SEANCE DU 21 NOVEMBRE 2000


SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Modification de l'ordre du jour réservé (p. 1 ).

3. Communication relative à des commissions mixtes paritaires (p. 2 ).

4. Saisine du Conseil constitutionnel (p. 3 ).

5. Organisme extraparlementaire (p. 4 ).

6. Modernisation du statut des sociétés d'économie mixte locales. - Adoption des conclusions rectifiées modifiées du rapport d'une commission. (Ordre du jour réservé.) (p. 5 ).
Discussion générale : MM. Paul Girod, rapporteur de la commission des lois ; Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer ; Jean-Jacques Hyest, André Rouvière, Jean-Pierre Fourcade, Jean-Pierre Schosteck, Thierry Foucaud, Jean-François Picheral.
M. le secrétaire d'Etat.
Clôture de la discussion générale.

Article 1er (p. 6 )

Amendement n° 3 du Gouvernement. - MM. le secrétaire d'Etat, le rapporteur, Michel Caldaguès, Christian Bonnet, Thierry Foucaud, Jean-Pierre Fourcade. - Rejet.
Adoption de l'article.

Article additionnel après l'article 1er (p. 7 )

Amendement n° 13 de M. Jean-Pierre Schosteck. - MM. Jean-Pierre Schosteck, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Article 2 (p. 8 )

Amendement n° 4 du Gouvernement. - MM. le secrétaire d'Etat, le rapporteur. - Rejet.
Adoption de l'article.

Article 3 (p. 9 )

Amendements n°s 5 et 6 du Gouvernement. - MM. le secrétaire d'Etat, le rapporteur. - Rejet des deux amendements.

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE

Amendement n° 7 du Gouvernement et sous-amendement n° 14 de M. Michel Caldaguès ; amendement n° 12 de M. André Rouvière. - MM. Michel Caldaguès, André Rouvière, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rectification de l'article par la commission ; retrait du sous-amendement n° 14 et de l'amendement n° 12 ; rejet de l'amendement n° 7.
Adoption de l'article rectifié.

Article 4 (p. 10 )

Amendement n° 8 du Gouvernement. - MM. le secrétaire d'Etat, le rapporteur. - Rejet.
Adoption de l'article.

Article 5 (p. 11 )

Amendement n° 9 du Gouvernement. - MM. le secrétaire d'Etat, le rapporteur, Christian Bonnet. - Rejet.
Adoption de l'article.

Article 6. - Adoption (p. 12 )

Article additionnel après l'article 6 (p. 13 )

Amendement n° 10 du Gouvernement. - MM. le secrétaire d'Etat, le rapporteur. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Articles 7 et 8. - Adoption (p. 14 )

Article additionnel après l'article 8 (p. 15 )

Amendement n° 11 du Gouvernement. - MM. le secrétaire d'Etat, le rapporteur. - Rejet.

Article 9. - Adoption (p. 16 )

Division et article additionnels après l'article 9 (p. 17 )

Amendements n°s 1 et 2 de M. Charles Descours. - MM. Charles Descours, le rapporteur. - Retrait de l'amendement n° 2, l'amendement n° 1 devenant sans objet.
Adoption des conclusions rectifiées modifiées du rapport de la commission.

Suspension et reprise de la séance (p. 18 )

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE

7. Conditions de détention dans les établissements pénitentiaires. - Discussion d'une question orale avec débat. (Ordre du jour réservé.) (p. 19 ).
MM. Jean-Jacques Hyest, auteur de la question ; Michel Pelchat, Guy-Pierre Cabanel, Robert Bret, Robert Badinter, Patrice Gélard, Jacques Donnay, Marcel-Pierre Cléach, Georges Othily.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.
Clôture du débat.

Suspension et reprise de la séance (p. 20 )

8. Modification de l'ordre du jour réservé (p. 21 ).

9. Modification de l'ordre du jour (p. 22 ).

10. Gestion des crises. - Discussion d'une question orale européenne avec débat. (Ordre du jour réservé.) (p. 23 ).
MM. Hubert Haenel, auteur de la question, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne ; Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères ; Aymeri de Montesquiou, Jean-Luc Bécart, Bertrand Auban, Serge Vinçon, Denis Badré, Michel Pelchat.
M. Alain Richard, ministre de la défense.
Clôture du débat.

Suspension et reprise de la séance (p. 24 )

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

11. Harmonisation du code de procédure pénale. - Adoption des conclusions rectifiées modifiées du rapport d'une commission. (Ordre du jour réservé.) (p. 25 ).
Discussion générale : M. Charles Jolibois, rapporteur de la commission des lois ; Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Clôture de la discussion générale.

Article additionnel avant l'article 1er (p. 26 )

Amendement n° 1 de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Retrait.

Article 1er (p. 27 )

Amendements n°s 2 et 3 de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Retrait de l'amendement n° 2 ; adoption de l'amendement n° 3 rédigeant l'article.

Articles additionnels après l'article 1er (p. 28 )

Amendement n° 4 de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Devenu sans objet.
Amendements n°s 5 et 6 rectifié bis de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Adoption des amendements insérant deux articles additionnels.
Amendement n° 7 de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Article 2 (p. 29 )

Amendements n°s 8 et 9 de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Retrait de l'amendement n° 9 ; adoption de l'amendement n° 8.
Amendements n°s 10 à 12 de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Adoption des trois amendements.
Adoption de l'article modifié.

Articles 3 à 7. - Adoption (p. 30 )

Article additionnel après l'article 7 (p. 31 )

Amendement n° 14 rectifié du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, M. le rapporteur. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Articles 8 à 15. - Adoption (p. 32 )

Article additionnel après l'article 15 (p. 33 )

Amendement n° 15 du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, MM. le rapporteur, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Nicole Borvo. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Article 16. - Adoption (p. 34 )

Articles additionnels après l'article 16 (p. 35 )

Amendement n° 13 rectifié du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, M. le rapporteur. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 16 du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, M. le rapporteur. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 17 rectifié du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, M. le rapporteur. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Article 17 (p. 36 )

M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux.
Adoption de l'article rectifié.

Article 18. - Adoption (p. 37 )

Intitulé (p. 38 )

M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Rectification de l'intitulé.

Vote sur l'ensemble (p. 39 )

Mme Nicole Borvo, MM. le rapporteur, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard.
Adoption des conclusions rectifiées modifiées du rapport de la commission.

12. Création d'une commission d'enquête sur les conditions d'utilisation des farines animales. - Adoption d'une proposition de résolution. (Ordre du jour réservé.) (p. 40 ).
Discussion générale : MM. Claude Huriet, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Patrice Gélard, rapporteur pour avis de la commission des lois ; Jean Bizet, Jean-Paul Emorine, Gérard Le Cam, Jean-Marc Pastor.
M. Patrice Gélard.
Clôture de la discussion générale.

Article unique (p. 41 )

M. Philippe Nogrix.
Adoption de l'article unique de la proposition de résolution.

13. Dépôt d'une proposition de résolution (p. 42 ).

14. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution (p. 43 ).

15. Dépôt de rapports (p. 44 ).

16. Ordre du jour (p. 45 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

MODIFICATION
DE L'ORDRE DU JOUR RÉSERVÉ

M. le président. La commission des affaires sociales demande, avec l'accord de la commission des affaires culturelles, que ses conclusions sur la proposition de résolution sur les conditions d'utilisation des farines animales, qui étaient inscrites comme dernier point de l'ordre du jour de notre séance d'aujourd'hui, soient examinées avant les conclusions de la commission des affaires culturelles sur la proposition de loi portant statut de l'Agence France-Presse.
Il n'y a pas d'opposition ?...
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Je confirme l'accord de la commission des affaires culturelles.
M. le président. Il en est ainsi décidé.
L'ordre d'examen des textes inscrits ce soir est ainsi modifié.

3

COMMUNICATION RELATIVE
À DES COMMISSIONS MIXTES PARITAIRES

M. le président. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la contraception d'urgence est parvenue à l'adoption d'un texte commun et que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.

4

SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le président. M. le président a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, le 16 novembre 2000, par plus de soixante députés, d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi d'orientation pour l'outre-mer.
Acte est donné de cette communication.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

5

ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE

M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein d'un organisme extraparlementaire.
En conséquence, j'invite la commission des affaires culturelles à présenter deux candidats appelés à siéger au sein du Comité d'orientation des programmes de la société nationale de programme La Cinquième.
Les nominations des sénateurs appelés à siéger au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.

6

MODERNISATION DU STATUT
DES SOCIÉTÉS D'ÉCONOMIE MIXTE LOCALES

Adoption des conclusions rectifiées modifiées
du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 77, 2000-2001) de M. Paul Girod, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi (n° 455, 1999-2000) de MM. Jean Bizet, Paul Blanc, Gérard Braun, Robert Bret, Michel Caldaguès, Marcel-Pierre Cléach, Charles Descours, Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Guy Fischer, Thierry Foucaud, Paul Girod, Georges Gruillot, Alain Journet, Jean-Paul Hugot, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Roland du Luart, Jean-Luc Miraux, Roland Muzeau, Jacques Peyrat, Jean-François Picheral, Jean-Marie Poirier, Jack Ralite, André Rouvière, Jean-Pierre Schosteck, Mme Odette Terrade et M. Paul Vergès tendant à moderniser le statut des sociétés d'économie mixte locales.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les sociétés d'économie mixte sont, dans notre paysage institutionnel et dans la pratique de la gestion des collectivités locales, une réalité qui a pris beaucoup d'importance même si, leur origine étant lointaine, la progression a été tout à fait étalée dans le temps.
Le premier texte autorisant la participation des collectivités territoriales à des sociétés est la loi Strauss du 12 avril 1906. Mais c'est après la guerre de 1914-1918, déjà dans un contexte de difficultés particulières, que les décrets-loi Poincaré du 26 novembre et du 28 décembre 1926 ont réellement marqué le point de départ de l'économie mixte locale ; le dispositif était fort encadré puisque la participation au capital des collectivités locales était, à l'époque, limitée à 40 % et qu'un décret en Conseil d'Etat était nécessaire pour voir éclore ces sociétés.
Après la Seconde Guerre mondiale, le décret du 20 mai 1955 avait porté la possibilité de participation des collectivités locales à 65 %. Mais c'est la loi de 1983, adoptée à l'unanimité par le Parlement, qui a permis l'éclosion des sociétés d'économie mixte locales telles que nous les connaissons, dans lesquelles les collectivités territoriales sont autorisées à prendre jusqu'à 80 % du capital. Il faut au minimum un actionnaire privé, les actionnaires minoritaires devant par ailleurs posséder 20 % au moins du capital, et les collectivités territoriales devant, en tout état de cause, être majoritaires avec un minimum de 51 %.
Depuis la loi de 1983, les sociétés d'économie mixte locales ont largement proliféré. De 524 à l'époque, leur nombre est passé à 1 255. Il en est certaines, d'ailleurs, qui n'avaient rien de local, tel Air Inter, ce qui prouve que même l'Etat peut trouver son intérêt à se servir de la formule.
Actuellement, les sociétés d'économie mixte locales emploient 60 000 personnes en équivalent temps plein, ce qui n'est pas négligeable. Leur chiffre d'affaires s'élève à 74,9 milliards de francs, si l'on inclut les sociétés d'autoroute, qui sont des sociétés d'économie mixte à caractère au minimum « interlocal » - c'est le moins que l'on puisse dire, sinon une autoroute n'aurait pas grand intérêt ! - et à plus de 40 milliards de francs si l'on prend en compte, dans l'état actuel des choses, les sociétés d'économie mixte locales stricto sensu. C'est dire leur utilité.
Les sociétés d'économie mixte locales se répartissent, dans l'état actuel des pratiques de gestion, entre sociétés de services, sociétés d'aménagement et sociétés immobilières gérant une part non négligeable du parc locatif social. C'est par conséquent l'un des instruments importants pour lesquels il est utile que la législation puisse s'adapter au fur et à mesure de l'évolution des choses. Or, depuis 1983, bien des changements sont intervenus.
C'est ainsi, tout d'abord, que la judiciarisation, à certains égards excessive, fait actuellement régner un certain nombre d'inquiétudes dans le milieu des élus locaux : à chaque fois que ces derniers sont amenés à prendre en mains les rênes d'une société de droit commun - et les mandataires de collectivités territoriales siégeant au sein d'une société d'économie mixte sont évidemment obligés de le faire - ils peuvent être suspectés de prises illégales d'intérêts. Cela fait donc partie des considérations que nous devons avoir présentes à l'esprit. Même si, pour l'instant, la jurisprudence écarte la mise en jugement d'élus dans cette situation, on ne peut jamais savoir ce qui peut arriver. Il faut, en tout cas, au moins clarifier la situation des mandataires des collectivités territoriales qui sont dans ce cas de figure.
L'évolution des besoins en matière financière a été grande et certaines opacités sont apparues. En matière financière, les sociétés d'économie mixte d'aménagement et de logement avaient besoin de disposer d'une capacité d'avances et de subventions des collectivités territoriales. La nécessité était telle que le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains l'a prise en compte : le problème va être réglé aujourd'hui même à l'Assemblée nationale par le vote, en dernière lecture, du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains, et nous n'avons donc pas à discuter de ce point dans le cadre de la proposition de loi examinée ce matin.
D'autres anomalies sont apparues. Ainsi, assez curieusement, les biens créés par une société d'aménagement supportent la TVA lorsqu'ils intègrent le patrimoine public de la commune, alors qu'il n'en aurait pas été de même si ces biens avaient été créés directement par la collectivité en régie. C'est donc un point sur lequel il faut probablement se pencher.
Un dernier point important concerne la coopération internationale.
Les sociétés d'économie mixte ont connu en Europe, hors de nos frontières, un développement tout à fait remarquable, et ce dans des conditions parfois beaucoup plus souples que les nôtres : dans nombre de pays, en particulier en Allemagne, les sociétés d'économie mixte sont en réalité des sociétés d'économie locale dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent détenir jusqu'à 100 % de participation au capital. Cette comparaison pourrait d'ailleurs, à la limite, nous amener à nous interroger sur la nature de la participation des collectivités locales au capital des sociétés d'économie mixte ; cela ne fait pas l'objet de l'actuelle proposition de loi, mais peut-être ce problème reviendra-t-il en discussion, ne serait-ce qu'au vu de ce qui se passe à l'extérieur.
Toujours est-il que des problèmes de coopération de sociétés d'économie mixte locale respectivement françaises et étrangères existent ; ils ont été partiellement résolus dans la mesure où un article du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains a prévu qu'une telle coopération peut se mettre en place entre sociétés d'économie mixte locale d'Etats limitrophes. Cette précision a d'ailleurs été adoptée, semble-t-il, parce que l'article l'incluant est venu en discussion immédiatement après un article prévoyant des POS transfrontaliers. Or, il est évident que les POS sont forcément appliqués à des Etats limitrophes.
Toutefois, en matière de services, une coopération pourrait également s'avérer utile entre des sociétés d'économie mixte d'Etats qui ne sont pas limitrophes, telles la France et la Suède, par exemple. C'est pourquoi cet aspect a été envisagé dans une proposition de loi qui, au départ, avait été déposée - je le souligne - devant les deux assemblées, le même jour, dans les mêmes termes et signée par tous les groupes politiques, ce qui prouve à quel point la préoccupation traversait les clivages partisans.
Parmi les dispositions figurant dans la proposition de loi initiale, un certain nombre ont été d'avance satisfaites par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, et, par conséquent, la commission ne les a pas prises en compte dans le texte qu'elle a élaboré ; d'autres ont été retenues ; enfin, certaines ont été écartées par la commission des lois.
S'agissant de ce dernier point, la commission a notamment écarté une disposition prévoyant qu'une société d'économie mixte détenue très majoritairement par une collectivité territoriale pouvait échapper en matière de délégation de service public et sans subdélégation aux procédures de la loi Sapin au moment de son renouvellement.
Compte tenu de la réglementation européenne et de la décision du Conseil constitutionnel de 1993, cette disposition a été écartée par la commission des lois comme a été écartée la création d'un conseil supérieur de l'économie mixte locale, la multiplication des structures n'étant pas forcément l'idée la meilleure en la matière, encore que l'on puisse regretter de perdre à cet égard la possibilité de disposer de comparaisons établies par un organisme indépendant entre ce qui se passe en France et ce qui se passe dans le reste de l'Union européenne, les éclairages émanant d'une fédération forcément un peu lobbyiste dans son comportement étant par nature un peu différent de ceux d'observateurs extérieurs intéressés au développement des sociétés d'économie mixte. C'est ainsi, par exemple, que nous disposons sur la question d'un document extrêmement intéressant conçu et diffusé par la fédération nationale des sociétés d'économie mixte et par une grande banque d'origine française mais aujourd'hui de statut belge, en l'espèce Dexia, qui connaît bien la question. Peut-être aurions-nous besoin d'un lieu d'observation plus neutre !
La proposition de loi qui est soumise à votre examen, mes chers collègues, comporte un certain nombre de dispositions.
La première ouvre aux collectivités territoriales la possibilité de détenir des comptes courants au sein des sociétés d'économie mixte, de manière à leur permettre la souplesse de gestion dont disposent les sociétés de droit privé, afin de ne pas les envoyer au combat de la concurrence avec, comme le dit l'expression populaire, les mains liées dans le dos.
La deuxième disposition, contenue dans l'article 2, donne aux collectivités territoriales la possibilité de récupérer la TVA sur la partie des réalisations effectuées par une société d'économie mixte d'aménagement en matière de réseaux revenant dans le domaine public de la commune.
La troisième disposition a trait à la protection des élus et tend à consacrer dans la loi la jurisprudence actuelle, selon laquelle le statut de mandataire conféré à un élu ne peut permettre à quiconque, de ce seul fait, de le poursuivre en matière de prise illégale d'intérêts.
En matière de transparence de la gestion des sociétés d'économie mixte - car, dans ce domaine aussi, il est nécessaire de renforcer la clarté que nos concitoyens appelent à raison de leurs voeux - il est prévu toute une série de dispositions sur l'examen des rapports de délégataires des sociétés d'aménagement, de telle manière que les contrats passés entre les collectivités territoriales et les sociétés d'économie mixte auxquelles elles participent soient le plus transparents possible.
Une disposition de souplesse a été envisagée pour les sociétés qui sont créées pour exercer une délégation de service public mais qui n'ont évidemment pas les références antérieures de capacité de gestion du service public en question. C'est toujours, au demeurant, ce qui se passe lorsqu'une SEM est créée pour exercer une délégation de service public : n'ayant pas d'ancienneté, elle ne peut pas concourir et elle est écartée de l'appel d'offres mis en place par la collectivité territoriale, parce que trop récente.
Il nous a semblé que cette pratique était un peu illogique, mais il est vrai que nous ne pouvions prévoir une dérogation aux dispositions de la loi Sapin pour les seules sociétés d'économie mixte : je vous renvoie, à cet égard, à la décision du Conseil constitutionnel de 1993, dont je parlais tout à l'heure.
Par conséquent, cette disposition a été prévue pour que toutes les sociétés puissent concourir. Ce n'est pas pour autant qu'elles échapperont aux difficultés de la mise en concurrence pour les phases ultérieures de l'attribution de la délégation !
La commission des lois a également prévu la possibilité pour des SEM, sous réserve d'un accord préalable entre les Etats, de conduire une coopération avec des sociétés de même nature situées à l'étranger.
Nous avons considéré, à cet égard, qu'il n'était pas nécessaire que les pays soient limitrophes, et ce pour deux raisons. La première, c'est parce que l'on peut très bien concevoir que des sociétés de services informatiques ou des sociétés culturelles aient besoin d'avoir des implantations dans des Etats non limitrophes pour être pleinement efficaces. La seconde, surtout, c'est que, si l'on maintenait la notion d'Etats limitrophes, on écarterait toute possibilité de création de SEM transfrontalières pour les départements et territoires d'outre-mer, qui n'ont pas de pays frontaliers limitrophes. En effet, par définition, les eaux internationales s'interposent entre la frontière de notre territoire ou de notre département d'outre-mer et le premier pays qui se profile à l'horizon, hormis quelques cas particuliers comme la Guyane, j'en donne bien volontiers acte à notre ami M. Othily.
Enfin, ont été prévues un certain nombre de dispositions pour le retour des biens mis à disposition d'une SEM en situation de liquidation judiciaire, pour qu'une collectivité territoriale ne se trouve pas « dépouillée », allais-je dire, à l'occasion d'une mise en liquidation qui peut toujours malheureusement se produire. N'avons-nous pas récemment connu quelques incidents à la suite desquels les collectivités se sont trouvées un peu « frustrées » ?
Telle est, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, l'économie du texte qui vous est aujourd'hui soumis. Celui-ci a fait l'objet d'une délibération en commission des lois la semaine dernière et, s'il ne reprend pas exactement les termes des deux propositions de loi initiales dont nous étions saisis au départ, il nous semble cependant constituer un compromis efficace, heureux et surtout prospectif pour permettre à nos sociétés d'économie mixte de continuer d'assurer avec bonheur la part de service public qui leur est déléguée par les collectivités territoriales qui les ont créées. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui est aujourd'hui soumis à votre assemblée...
M. Paul Girod rapporteur. Non ! La proposition de loi ! Nous n'avons pas la prétention de présenter un projet !
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Vous avez raison, monsieur le rapporteur : nous débattons aujourd'hui de ce texte dans le cadre des séances réservées aux initiatives parlementaires. Mais je vous dirai tout à l'heure pourquoi j'ai commis ce lapsus.
M. Paul Girod, rapporteur. Oh, je le sais bien !
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. La proposition de loi qui est aujourd'hui soumise à votre assemblée vise à moderniser le statut des sociétés d'économie mixte locales.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement partage voutre souci d'adapter le régime juridique des sociétés d'économie mixte locale, qui reste organisé à ce jour par la loi du 7 juillet 1983.
Le Gouvernement avait lui-même - c'est pourquoi je trébuchais à l'instant, monsieur le rapporteur - commencé à réfléchir dès 1997 sur ce sujet et entamé l'élaboration d'un projet de loi relatif aux interventions économiques des collectivités locales, lequel comportait un volet relatif aux sociétés d'économie mixte locales. Toutefois, ce projet de loi n'a pu aboutir, en raison principalement d'une absence de consensus suffisant sur la question du partage des compétences en matière d'intervention économique entre les différents niveaux de collectivités locales.
Le Gouvernement a, en conséquence, pris les mesures nécessaires pour que les collectivités locales puissent assurer dans une meilleure sécurité juridique leurs interventions économiques, conformément à nos engagements à l'égard de la Commission européenne. Cette question n'entre donc pas dans le cadre de nos discussions d'aujourd'hui.
S'agissant des dispositions relatives aux sociétés d'économie mixte locales, le Gouvernement a choisi par ailleurs d'insérer dans le projet de loi sur la solidarité et le renouvellement urbains les mesures relatives aux sociétés d'économie mixte oeuvrant dans le domaine du logement social et de l'aménagement. Ces dispositions doivent être adoptées en dernière lecture aujourd'hui même par l'Assemblée nationale.
Il reste cependant à prendre, je le reconnais bien volontiers, monsieur le rapporteur, quelques mesures nécessaires à une bonne adaptation du régime juridique des sociétés d'économie mixte locale.
J'ai bien compris que tel était l'objet de cette proposition de loi, et vous pouvez être convaincu que le Gouvernement n'y est pas défavorable dans son principe, puisqu'il avait lui-même pris l'initiative de réfléchir sur ce sujet. Et je me réjouis, encore une fois, que l'espace d'initiative parlementaire qui nous est offert ce matin nous permette d'approfondir ce thème.
Je pense que nous aurons, lors de la discussion des articles, quelques échanges sur la conception même de l'économie mixte qui peut découler de l'adoption de telle ou telle disposition.
Je saisis cette occasion, mesdames, messieurs les sénateurs, pour replacer l'économie mixte dans son contexte historique, car nous pourrons en tirer quelques leçons. Rassurez-vous, je ne remonterai pas au début du siècle ni au gouvernement Poincaré, à compter duquel on peut dater, je crois, l'émergence des fondations juridiques de l'économie mixte. Cependant, dans l'eprit même de la loi du 7 juillet 1983, les sociétés d'économie mixte locales ont pour caractéristique d'associer des personnes privées et publiques pour réaliser des opérations d'aménagement ou de construction, pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial, ou encore pour exercer toute autre activité d'intérêt général. Il s'agit donc bien d'associer des capitaux privés et publics pour mieux financer et mettre en oeuvre des actions publiques, afin que les collectivités puissent les assumer alors qu'elles pourraient difficilement le faire par leurs propres moyens.
Les sociétés d'économie mixte locales restent régies par la loi du 7 juillet 1983, dont les dispositions sont codifiées dans le titre II du livre V de la première partie du code général des collectivités territoriales. Cette loi, adoptée - chacun s'en souvient - dans le grand élan de décentralisation du début des années quatre-vingt, est à l'origine de l'essor considérable des sociétés d'économie mixte locales, qui représentent aujourd'hui près de 1 400 sociétés, employant environ 50 000 personnes, et dont le champ d'intervention couvre les secteurs de l'aménagement et de la construction mais aussi, de façon très variée, celui de la gestion des services publics.
Conçues comme un instrument destiné à permettre aux collectivités territoriales d'exercer pleinement leurs compétences dans le respect tant du principe de la liberté du commerce et de l'industrie que de l'intérêt général, les SEM locales apportent une contribution appréciée par tous au développement local en autorisant d'utiles synergies entre les projets et les moyens des collectivités locales et des entreprises privées.
Néanmoins - et chacun, je pense, en conviendra - le recours à une SEM locale n'est pas sans présenter des risques pour les finances locales, et certaines expériences récentes ont démontré que des opérations mal maîtrisées pouvaient conduire les collectivités actionnaires ou garantes à des sinistres financiers importants.
La gestion par les collectivités locales de ce type de sociétés exige donc la définition d'un cadre juridique précis de nature à permettre à tous les acteurs de l'économie mixte d'avoir une claire appréhension des responsabilités encourues.
Or il s'avère à l'expérience que le droit de l'économie mixte, tel qu'il résulte de la loi de 1983, présente certaines insuffisances auxquelles une jurisprudence peu abondante et parfois contradictoire n'a pas pu porter totalement remède. C'est ce qu'a rappelé très clairement à l'instant M. Paul Girod dans son rapport.
Les ambiguïtés relevées portent essentiellement sur les relations contractuelles et financières entre les collectivités locales et les SEM locales, sur le droit des sociétés appliqué à l'économie mixte et sur le statut des administrateurs mandataires des collectivités actionnaires.
Ces ambiguïtés méritent d'être relevées puis corrigées, dans un souci de plus grande sécurité juridique pour les collectivités locales et les SEM locales et afin de faciliter l'exercice du contrôle des organes délibérants des collectivités intéressées et du contrôle de légalité du représentant de l'Etat.
Avant d'en venir plus précisément au contenu du texte en discussion, je voudrais saluer, au nom de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, le travail de très grande qualité fait une nouvelle fois par votre commission et par son rapporteur, M. Paul Girod, pour tenir compte, d'une part, de ce que le Gouvernement a déjà inséré dans le projet de loi de solidarité et de renouvellement urbains et, d'autre part, des contraintes, notamment d'ordre constitutionnel - vous en avez rappelé au moins une, monsieur le rapporteur - qui s'imposent à nous.
Toutefois, et parce que le Gouvernement partage votre souci d'adapter le régime juridique des SEM locales, je ne vous cacherai pas que nous aurons, sur quelques sujets au moins, certaines divergences d'appréciation.
En premier lieu, l'article 1er de la proposition de loi porte sur les concours financiers des collectivités territoriales aux sociétés d'économie mixte.
Le Gouvernement convient avec vous que les SEM ont besoin de marges de manoeuvre financières et qu'à cet égard l'interdiction des avances en compte courant d'associés soulève quelques difficultés.
Cependant - nous y reviendrons, bien sûr, plus en détail, lors de la discussion des amendements - le Gouvernement reste très attaché à la préservation de la mixité du capital des SEM, et donc à la règle de détention de 80 % au maximum du capital par les collectivités publiques et de 20 % par les partenaires privés.
En l'état du texte proposé par la commission, il y aurait, à nos yeux, un risque de contournement de cette règle, dans la mesure où son respect ne serait exigé qu'au moment de la consolidation des avances en compte courant d'associés et alors même que cette consolidation s'imposera à l'échéance de la période fixée par les collectivités actionnaires. Certaines pourraient - je dis bien « pourraient » - de ce fait, être confrontées à des difficultés insurmontables.
Pour cette même raison, le Gouvernement proposera une disposition spécifique relative aux organismes détenus majoritairement par des capitaux publics, afin de garder à la part minimale de 20 % sa réalité de capital privé.
En deuxième lieu, il apparaît possible de renforcer encore les dispositions favorisant la transparence sur les décisions et la gestion des SEM locales à l'égard des assemblées délibérantes des collectivités locales, d'une part, du contrôle de légalité du représentant de l'Etat, d'autre part.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne s'agit pas de multiplier les contrôles, mais bien de mieux prévenir certains risques financiers, parfois malheureusement lourds de conséquences pour les budgets des collectivités locales concernées.
Des illustrations nous ont été données au milieu des années quatre-vingt-dix, période au cours de laquelle plusieurs SEM ont dû être liquidées après avoir pris des engagements financiers démesurés. Plusieurs budgets communaux - nous en connaissons tous - ont dû en supporter la charge, soit du fait des appels en garantie, soit du fait de leurs responsabilités d'actionnaire.
M. le président. C'est vrai !
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Je vous remercie, monsieur le président, de m'apporter votre soutien dans ma démonstration !
Dans ces cas, mesdames, messieurs les sénateurs, il est apparu clairement que les assemblées délibérantes des collectivités étaient insuffisamment informées des engagements financiers pris par leurs satellites.
Des amendements aux articles 1er et 3 et une disposition nouvelle vous seront proposés afin de favoriser la transparence des actes des sociétés d'économie mixte locales.
En troisième lieu, un amendement vous sera proposé à l'article 2, relatif au fonds de compensation pour la TVA.
Je ne crois pas, monsieur le rapporteur, que nous ayons un réel désaccord sur la possibilité pour les collectivités locales de bénéficier de ce fonds, dans la mesure où il n'y a pas, par ailleurs, de mécanisme de récupération de la TVA.
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est un remboursement !
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Mais, en l'état - nous y reviendrons plus en détail tout à l'heure - la disposition de la proposition de loi n'évite pas ce risque. Vous comprendrez donc, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous en débattions.
M. Jean-Pierre Fourcade. Absolument !
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Enfin, le Gouvernement est très sensible à votre grand souci de sécurité juridique, mais, en la matière, le législateur doit bien mesurer l'efficacité de son intervention, et, sur les articles 4 et 5, je vous inviterai tout à l'heure à faire preuve d'une grande prudence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je n'irai pas plus loin dans mon propos. L'objet de nos travaux de ce matin est bien de trouver les moyens de favoriser l'efficacité d'intervention des sociétés d'économie mixte au mieux des intérêts des collectivités locales.
Le Gouvernement est favorable aux motifs qui ont conduit à l'élaboration de ce texte. Il les partage et les a d'ailleurs déjà en partie inclus dans le projet de loi sur la solidarité et le renouvellement urbains, ainsi que, je me plais à le souligner, dans la loi d'orientation pour l'outre-mer.
En effet, si vous me permettez cette courte référence à mes attributions ministérielles directes, les sociétés d'économie mixte sont des outils très utiles au développement économique outre-mer. La loi d'orientation comporte pour elles quelques avancées, notamment, monsieur le rapporteur, en matière de coopération internationale dans l'espace régional.
En accord avec l'esprit de ce texte, le Gouvernement est cependant vigilant - vous le comprendrez aisément - sur les dispositions qu'il contient, et ce jusque dans les détails. La modernisation de l'économie mixte doit en effet reposer sur des bases juridiques et financières solides.
Je ne doute pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que le travail législatif dont vous avez pris l'initiative permette d'aller dans ce sens. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, une loi vieille de dix-sept ans, cela devient de plus en plus rare ! En effet, ces lois, nous les modifions régulièrement, à tel point d'ailleurs que nous n'attendons pas toujours de voir les effets des modifications pour les modifier à nouveau. Je ne veux pas citer d'exemple, mais il est vrai qu'aussi bien le Gouvernement que les parlementaires - il n'y a pas de raison qu'ils se privent de ce plaisir ! - ont un véritable appétit à légiférer.
Les dispositions de la loi de 1983 sur les SEM méritaient toutefois d'être modernisées, car un certain nombre de problèmes se posaient - certains, M. le rapporteur l'a dit, ont été résolus par la jurisprudence - notamment en matière de transparence, de concours des collectivités locales et même de délégation de service public.
Une modification de la loi était donc nécessaire, et il faut féliciter les auteurs de cette proposition de loi de l'avoir déposée - je note d'ailleurs qu'ils siègent sur toutes nos travées, ce qui prouve bien que la question de la modernisation se pose dans toutes les SEM.
Comme l'ont rappelé M. le secrétaire d'Etat et M. le rapporteur, qu'il faut, une fois de plus, féliciter pour l'excellence de ses travaux, les domaines de prédilection des SEM sont grosso modo , pour moitié, l'aménagement et le logement - c'est le domaine traditionnel - et, pour moitié, depuis la loi de 1983, les services. C'est vrai, c'est une évolution, le champs ouverts aux SEM sont de plus en plus vastes. Dans son rapport, M. Girod note que l'environnement, le tourisme, le développement économique et les transports sont les secteurs les plus importants.
Je rappelle que les SEM sont à la fois des sociétés commerciales, d'un certain point de vue, qu'elles doivent donc se conformer aux dispositions qui les régissent, et des sociétés à capital public. Si le taux de participation des collectivités territoriales devenait tellement majoritaire qu'il n'y aurait plus de capital privé, ces sociétés changeraient de nature. Ce ne seraient plus des sociétés d'économie mixte, elles deviendraient des sortes d'établissements publics d'une nouvelle forme. Il faut donc veiller à ce que ce soient vraiment des sociétés d'économie mixte.
S'agissant des contrôles, il est vrai que l'on peut améliorer le contrôle des collectivités et le contrôle de légalité.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il faut aussi que les organes de contrôle, commissaires aux comptes ou autres, fassent bien leur travail. Cela vaut pour toutes les sociétés.
Et si, parfois, les collectivités locales ne tiennent pas compte des observations des commissaires aux comptes, c'est bien dommage. Nous avons connu, dans les années passées, des catastrophes nombreuses en matière de SEM. Il y a donc lieu d'améliorer avant tout la transparence.
Les propositions faites par la commission des lois qui visent à une clarification du régime juridique des SEM ne peuvent qu'être approuvées.
Certaines dispositions de la proposition de loi ont été reportées puisqu'elles figurent dans le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains. En fait, on vise le même objectif.
La commission a souhaité préciser les dispositions relatives aux concours financiers des collectivités locales aux SEM, soit en leur qualité d'actionnaire, soit en leur qualité de cocontractant, ainsi que les conditions dans lesquelles l'apport en compte courant d'associés peut être accordé. Ces précisions seront utiles, sous réserve - M. le secrétaire d'Etat l'a indiqué - que l'on évite de dépasser le seuil de 80 %.
J'ai vu réagir le président du comité des finances locales, M. Jean-Pierre Fourcade, lorsque l'on a évoqué le FCTVA ; il nous dira sans doute tout à l'heure ce qu'il en pense. (M. Jean-Pierre Fourcade opine.)
Il était indispensable que le statut des élus mandataires au sein des SEM soit clarifié, notamment pour éviter les prises illégales d'intérêt.
Reste le titre III, relatif aux délégations de service public. Si l'on comprend l'intention des auteurs de la proposition de loi, il faut veiller au respect des règles constitutionnelles, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui n'aurait pu que censurer la disposition telle qu'elle était proposée - à condition, bien entendu, qu'un recours fût introduit ! C'est tellement clair que nous ne pouvons pas faire en sorte que les SEM échappent au dispositif de la loi Sapin. De ce point de vue, la commission des lois, presque unanime, a été extrêmement ferme.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les observations que je souhaitais faire sur ce texte important, qui, je l'espère, sera adopté rapidement pour permettre la modernisation du statut des sociétés d'économie mixte locales.
Le groupe de l'Union centriste soutiendra, bien entendu, les propositions de la commission des lois. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Rouvière.
M. André Rouvière. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, chers collègues, je n'insisterai pas sur les commentaires qui ont accompagné la présentation de cette proposition de loi, que j'ai cosignée. Je me contenterai de rappeler l'importance des SEM, en m'intéressant plus particulièrement à celles dont la vocation est le logement social.
Monsieur le secrétaire d'Etat, même si je suis bien conscient que ce n'est pas là l'objet du présent texte, j'aimerais me projeter un peu dans un futur, que je souhaite proche, au regard de la modernisation du statut des SEM locales.
Nous sommes tous d'accord pour reconnaître l'importance des SEM en matière de décentralisation, d'aménagement du territoire. Elles sont aujourd'hui un outil indispensable, irremplaçable. La progression de leur nombre depuis 1983 - M. le rapporteur l'a souligné - témoigne, à elle seule, de leur intérêt pour les collectivités territoriales, qui en ont besoin pour réaliser les aménagements qu'elles décident.
Depuis quelques années, nous sommes nombreux à nous interroger sur la nécessité d'adapter le statut des sociétés d'économie mixte aux exigences de la transparence. Et si nous sommes quasiment unanimes à réclamer cette transparence, nous voulons également de la souplesse - ce n'est pas contradictoire - pour pouvoir, bien sûr en toute légalité, être opérationnels.
Le droit européen intervient aussi sur le plan des responsabilités. Le texte dont nous discutons aujourd'hui est un premier pas ; il sera suivi par d'autres. J'évoquerai d'ailleurs dans un instant un deuxième pas que je souhaite voir franchi.
Le besoin de réforme, personne ne le conteste. Tous les groupes politiques sont d'accord pour apporter leur pierre à la modernisation du statut des SEM locales afin d'éclairer et tranquilliser les élus sur ce qui est légalement possible, notamment sur les aides que les collectivités peuvent apporter aux SEM.
Nous savons que la création ou la réhabilitation de logements sociaux, notamment en zones rurales, sont des opérations très difficiles. Il s'agit souvent de petites opérations qui ne présentent pas d'intérêt financier pour les SEM. En revanche, elles présentent un intérêt pour les collectivités, car elles leur permettent de maintenir leur population, voire de l'accroître.
Des SEM peuvent réaliser des opérations de réhabilitation d'un patrimoine vieillissant, obsolète, dans les villages, les communes elles-mêmes ne le pourraient pas. Mais celles-ci doivent participer en apportant le terrain, les bâtiments, parfois en réalisant les voies et réseaux divers. Nous nous rendons compte que ce qui empêche souvent la concrétisation de telles opérations, c'est l'obtention des prêts. Monsieur le secrétaire d'Etat, bien que cela n'entre pas dans le cadre de l'examen de cette proposition de loi, je souhaiterais que l'on puisse envisager un peu plus de souplesse en la matière.
Pour les logements sociaux, c'est la Caisse des dépôts et consignations qui a le quasi-monopole de l'octroi des prêts, et nous nous heurtons à des difficultés. Alors que les conseils d'administration des SEM ont mis sur pied des opérations dont les prêts sont garantis à 100 % par les collectivités, dont les projets ont été acceptés par le représentant du Gouvernement dans le département, la Caisse des dépôts et consignations, estimant que l'opération ne sera pas équilibrée, n'accorde pas les prêts. Il y a là un abus de pouvoir. Pour ma part, je l'ai vécu récemment dans le Gard.
Ne pourrait-on pas envisager un assouplissement des règles de fonctionnement des SEM afin que d'autres organismes prêteurs apportent leur concours, dans de meilleurs conditions, bien sûr, que la Caisse des dépôts et consignations ? Nous aurions ainsi plusieurs possibilités pour une même opération.
Nous savons très bien que l'équilibre à long terme est souvent apprécié eu égard à des éléments peu importants, si bien qu'il faut très peu de chose pour que l'opération soit jugée équilibrée ou pas. Je souhaiterais donc que, dans le domaine social, les collectivités locales soient aidées à cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat, et que vous envisagiez de déposer un projet de loi pour traiter ce problème très important. Telle est ma suggestion ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je prends la parole pour apporter le soutien de mon groupe à la proposition de loi qu'a excellemment rapportée notre collègue Paul Girod.
Mon expérience des sociétés d'économie mixte est courte mais triste, puisque j'ai dû en liquider une qui se trouvait en faillite à la suite d'une opération d'aménagement urbain mal conçue, mal dirigée et mal conduite.
Mais lorsque j'ai étudié cette proposition de loi, j'y ai trouvé un certain nombre de motifs de satisfaction. Les dispositions visant à apporter des précisions s'agissant des conventions devant exister entre les collectivités qui engagent l'opération et les sociétés d'économie mixte notamment me paraissent bienvenues. La transparence me semble avoir également fait des progrès. Je me suis rallié à cette proposition de loi, compte tenu aussi du nombre des SEM, de l'effectif de leurs salariés et de l'importance de leur chiffre d'affaires.
Par ailleurs, comme l'a dit très justement Paul Girod, du fait des nouvelles responsabilités que devront assumer les collectivités locales en matière d'environnement mais aussi de transports collectifs - secteur appelé à beaucoup se développer - d'accueil des entreprises et d'amélioration de la qualité de vie, il est certain qu'il fallait donner aux SEM un statut qui soit un peu plus large et un peu plus libéral que celui de 1983.
Dans le texte figuraient toutefois trois points qui me laissaient perplexe.
Le premier - qu'a immédiatement corrigé la commission des lois, ce dont je la remercie - touchait au problème de l'exonération de l'application des dispositions de la loi Sapin relatives aux délégations de service public. Je crois que ce dispositif, qui allait beaucoup trop loin, même si on l'avait assorti de conditions particulières, constituait une erreur et mettait à mal un très grand principe, sur lequel je conclurai, celui de la liberté de choix laissée aux collectivités territoriales sur leurs interventions.
L'article 10 de la proposition de loi me paraissait tout à fait choquant parce qu'il organisait un système de « tunnels » vers les SEM, alors que la loi Sapin impose aux maires, nous le savons bien, un certain nombre de formalités pour déléguer des services publics. La commission des lois a heureusement corrigé cet article. Bravo ! J'espère que personne n'insistera.
J'ai également été quelque peu choqué par la disposition prévoyant que le conseil municipal devait émettre un vote sur le rapport du délégataire. Je sais que cette procédure est obligatoire pour les rapports de concessions en matière d'eau potable, par exemple. Mais mon expérience des conseils municipaux - qui ne remonte qu'à une trentaine d'années ! - montre que ce rapport du délégataire ne sert que de substratum au rapport du maire adjoint ou du conseiller municipal représentant la collectivité dans la société. Je salue donc comme un progrès - et j'espère que le Gouvernement en tirera la conséquence en généralisant le dispositif - le fait que la prise d'acte remplace le vote.
Il est normal que le conseil municipal soit tenu très régulièrement informé de l'évolution des opérations des SEM, mais le principe du vote sur le rapport du délégataire constituait une absurdité. La prise d'acte, en revanche, me semble tout à fait convenable.
Il reste les problèmes financiers, sur lesquels j'ai été interrogé en ma qualité de président du comité des finances locales.
Je suis d'accord avec la proposition tendant à permettre les avances en compte courant d'associé. C'est bien le moins ! Sinon ce n'est pas la peine d'opter pour le régime de la société commerciale : autant s'en tenir à gérer l'établissement public.
Mais je sais bien qu'un certain nombre de fonctionnaires, notamment des administrations centrales, sont tellement attachés à la notion d'établissement public qu'ils n'ont pas encore intégré le fait que beaucoup d'opérations, en France, sont faites par des sociétés commerciales et que, dans l'Union européenne, ce phénomène ne fera que se développer. Il suffit de lire le journal pour voir les concentrations, les modifications.
Si nous persistons dans cette voie, si nous continuons à théoriser sur la primauté de l'établissement public, nous courrons des risques. De puissantes sociétés se créent en Europe et dans le monde entier - je pense à Vivendi et à son accord avec Universal. Elles se fondent sur des structures soumises au droit commercial, et j'espère que le droit commercial européen va se développer.
Pour ce qui est du fonds de compensation pour la TVA, monsieur le secrétaire d'Etat, vos propos m'ont fait sursauter quand, tout à l'heure, vous avez repris la vieille tradition du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie consistant à dire que l'Etat est assez généreux pour octroyer aux collectivités territoriales quelques bénéfices.
Non !
Il faut remonter à l'origine. Quand la TVA a été généralisée à l'ensemble des opérations - cela se passait en 1975 - il a été décidé que les collectivités locales seraient remboursées de la TVA versée sur les travaux qu'elles réalisent. La question s'est alors posée de savoir comment.
Après de longs débats, le ministre de l'intérieur de l'époque, M. Poniatowski - j'exerçais quant à moi d'autres responsabilités - a décidé qu'il était impossible de procéder à un remboursement factuel. A l'époque, les services nous avaient expliqué que c'était impossible. Je reconnais qu'ils ont changé d'avis par la suite et que certains textes, pour certaines opérations, notamment en matière de politique de la ville, autorisent désormais les remboursements directs.
Tout le monde peut se tromper, tout le monde peut changer d'avis, même l'administration française ! C'est un bon précédent.
Nous devons saluer ce revirement.
Il n'en demeure pas moins que, en 1975, il a été décidé d'englober la totalité d'un certain nombre de comptes communaux, départementaux ou régionaux et de procéder aux remboursements globalement, avec un décalage de deux ans. Cela implique que le partage en trésorerie qui en découle pour les collectivités locales est non pas un bénéfice, mais une charge.
Les sommes qui seraient remboursées par le fonds de compensation font l'objet d'une inscription budgétaire au titre de crédits évaluatifs et non pas des crédits limitatifs. Le fait qu'il s'agisse de crédits évaluatifs et non pas de crédits limitatifs montre bien qu'il s'agit de remboursements dont personne n'est capable de connaître avec exactitude le montant en début d'année, lorsqu'on établit le budget.
C'est la raison pour laquelle je crois qu'il ne faut plus parler de bénéfice. Il faut dire au contraire qu'il est normal que les collectivités locales, quand elles font directement des travaux, peuvent accéder au fonds de compensation. Le remboursement de la TVA, c'est une pratique courante pour les sociétés privées, donc quand il y a délégation de service public à une société privée.
Dans ce cas-là, tout le monde trouve que c'est normal. Pourquoi serait-ce anormal pour les sociétés d'économie mixte locales ?
Le remboursement direct par le fonds de compensation pour la TVA, c'est bien, cela nous permettra de gérer dans des conditions satisfaisantes.
Avant de conclure, je souhaite rappeler le principe majeur qui est à la base de la décentralisation, principe que le Conseil constitutionnel s'efforce, vaille que vaille, texte après texte, de faire respecter : la liberté laissée à toute collectivité territoriale, petite ou grande, commune, département, région ou nouvelle communauté, pour réaliser ses interventions. Le développement des communautés est si rapide à l'heure actuelle que le paysage de la France sera bientôt transformé, avec des communautés de communes, des communautés d'agglomération et des communautés urbaines.
L'important, c'est de laisser à chaque organe exécutif d'une collectivité, sous le contrôle de son organe législatif, le choix pour réaliser ses interventions. On ne peut pas guider ce choix par des considérations organicistes, par le fait que, si on passe par une SEM, on pourra récupérer les fonds plus vite, que les capitaux seront rémunérés, alors que, si on passe par une société privée, on s'expose aux risques inhérents au contrôle de légalité. L'important, c'est que les garanties juridiques et financières données à toutes les collectivités de base pour réaliser les opérations soient solides et claires.
Le texte qui nous est proposé va plus loin que la loi de 1983. Il apporte des garanties, notamment par la description des dispositions qui doivent figurer dans les textes et dans les avenants. Cela va dans le bon sens et donne un corps de doctrine parfaitement clair.
Quand une collectivité décide de faire une concession de service public pour gérer ses parcs de stationnement ou telle ou telle de ses activités, il faut qu'elle ait le choix. Elle peut le faire soit en régie directe, en fonction des avantages, des inconvénients et des garanties offertes, soit dans le cadre d'une société d'économie mixte ou encore d'une délégation de service public à une entreprise privée.
C'est cette liberté de choix laissée aux collectivités, qu'elles soient petites ou grandes, rassemblées ou non, qui me paraît être essentielle et constituer le fond du débat.
Le texte qui résulte des travaux de la commission des lois me convient très bien, et c'est à l'aune de ce principe essentiel qu'est la liberté de choix que j'examinerai les amendements du Gouvernement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Schosteck.
M. Jean-Pierre Schosteck. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les sociétés d'économie mixte sont régies par une loi votée le 7 juillet 1983 - dans le sillage des lois de décentralisation - qui en a fait les entreprises des collectivités locales.
Ce statut repose sur deux principes : l'alignement sur le droit des sociétés anonymes et l'affirmation du contrôle des collectivités locales sur celles-ci, puisqu'elles en sont à la fois les actionnaires majoritaires et les principaux clients.
Dans cet esprit, il est précisé dans l'exposé des motifs de la loi de 1983 qu'une « assimilation aussi poussée que possible des sociétés d'économie mixte avec le droit commun des sociétés commerciales a été recherchée tout en conservant le souci d'assurer la prééminence des collectivités territoriales dans la gestion. »
Il y est également écrit que « le renforcement de l'autonomie des collectivités locales, fondé sur le respect des principes de liberté et de responsabilité, conduit naturellement à reconnaître aux sociétés d'économie mixte une plus grande souplesse de leur statut et dans leurs interventions. Il en résulte que les responsables élus des collectivités locales disposeront de l'ensemble des pouvoirs de gestion sur ces sociétés. »
En deux mots, chacun a bien compris qu'il s'agissait à la fois de liberté et de responsabilité.
Dans le contexte de la décentralisation, ces principes sont à la source d'un essor sans précédent - qui a été relevé par mes prédécesseurs à cette tribune - de l'économie mixte locale, introduite dans notre pays par les décrets-lois Poincaré en 1926.
Fruit d'une concertation approfondie entre l'administration et la Fédération nationale des sociétés d'économie mixte, et adoptée à l'unanimité par le Parlement, la loi du 7 juillet 1983 a permis aux collectivités locales de travailler avec leurs sociétés d'économie mixte en toute sûreté juridique et avec la capacité d'obtenir, dans la réalisation de leurs projets ou la gestion de leurs services publics, la meilleure performance économique possible.
De fait, un certain nombre d'années après, le bilan de cette loi est celui de la réussite manifeste d'un instrument juridique correspondant à un réel besoin des élus locaux, en dehors de toute idéologie ou attache partisane. C'est ainsi que plus de 800 SEM et 30 000 emplois nouveaux ont été créés depuis 1983, ce qui porte leur nombre à près de 1 300 sociétés et plus de 56 000 emplois.
Néanmoins, depuis 1993, notamment, les SEM se heurtent à un faisceau concordant de difficultés économiques, juridiques et administratives qui contrecarrent les missions d'intérêt général qu'elles remplissent à la demande des collectivités, et qui, par leur accumulation, tendent à remettre en cause leur statut.
Tout d'abord, la crise de l'immobilier a frappé de plein fouet les SEM d'aménagement, qui représentent, à elles seules, un quart de ces sociétés.
Par ailleurs, quelques cas de SEM mal gérées et mal contrôlées - je dis bien « quelques cas » et non « de nombreux cas », comme certains l'ont affirmé - ont jeté le doute sur l'ensemble, doute attisé par le climat de suspicion à l'égard des élus de la République.
Enfin, et surtout, l'évolution juridique de l'économie mixte locale a créé progressivement une contradiction entre le droit et la volonté du législateur.
Je pense, tout d'abord, à l'évolution jurisprudentielle. En effet, le Conseil d'Etat a estimé, dans deux arrêts rendus - préfet des Alpes-de-Haute-Provence du 17 janvier 1994 et commune de Villenave-d'Ornon du 6 novembre 1995 -, que si les collectivités locales pouvaient participer librement à toute opération sur le capital des SEM, il leur était interdit, en revanche, d'accorder des concours financiers à leur société, en dehors du régime des aides directes et indirectes aux entreprises privées fixé par les lois de 1982.
Je pense, ensuite, à la loi du 29 janvier 1993, dite « loi Sapin », qui a soumis les SEM au même titre que les sociétés fermières ou concessionnaires de services publics, mais contrairement aux établissements publics, à un régime de mise en concurrence pour les délégations de service public. Cette disposition a placé les collectivités locales dans une situation absurde qui les oblige à mettre en compétition des sociétés dont elles sont les actionnaires majoritaires, qui sont constituées expressément pour exploiter le service qui fait l'objet de l'appel d'offres, mais qui, quelques semaines après leur création, n'offrent naturellement aucune des garanties professionnelles exigées par la loi.
En somme, l'évolution du droit depuis 1993 a eu pour effet simultané d'interdire aux collectivités locales de soutenir financièrement les SEM dont elles sont devenues les actionnaires majoritaires, mais diminués et irresponsables, et de placer ces entreprises publiques dans une situation plus défavorable que celle des entreprises privées intervenant dans le même secteur d'activité, puisque ces dernières sont leurs concurrentes dans les appels d'offres pour les délégations de service public.
Or, qu'il s'agisse du régime des relations financières avec les collectivités locales ou du droit à la concurrence, les SEM devraient être considérées telles que les définissent sans ambiguïté le droit communautaire et le Conseil d'Etat lui-même dans un avis rendu le 10 novembre 1993, à savoir comme « des entreprises publiques locales ».
Ce sont en effet des entreprises, en raison de leurs règles de fonctionnement, qui sont identiques à celles des sociétés commerciales.
Elles sont publiques parce que leur capital l'est majoritairement et que leurs missions sont d'intérêt général.
Elles sont enfin locales par leur enracinement dans un territoire.
Une clarification juridique, respectueuse des principes établis par le législateur en 1983 et limitée à un toilettage du statut, est devenue indispensable et urgente.
La proposition de loi de notre collègue Jean Bizet, que j'ai eu l'honneur de cosigner, arrive, de ce point de vue, à point nommé.
J'aimerais, à titre personnel, saluer la convergence de vues sur les différentes travées de cette assemblée, puisque la présente proposition de loi a été cosignée par onze sénateurs du RPR, neuf sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, quatre sénateurs du groupe des Républicains et Indépendants, trois sénateurs du groupe socialiste et un sénateur radical. Ce fait est suffisamment original pour être souligné.
Je me félicite, par ailleurs, que le Sénat ait souhaité inscrire ce texte en priorité dans son ordre du jour réservé du mois de novembre.
La qualité des travaux - cela devient un truisme - de notre rapporteur Paul Girod, que je tiens à saluer, et de la commission des lois dans son ensemble permet d'aboutir aujourd'hui à la discussion d'un texte équilibré et de bonne facture.
Le texte des conclusions de la commission des lois tient compte des évolutions intervenues dans la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains.
Il modernise, sans nul doute, les relations financières entre les SEM et les collectivités locales en permettant à ces dernières de verser, pour une durée limitée, des avances en comptes courants d'associés. Il précise, pour assurer la transparence, que ces avances devront avoir un objet précis.
Ce texte précise également le statut des élus mandataires au sein des SEM afin de prévenir les risques pénaux que ces derniers encourent par rapport à la prise illégale d'intérêts.
Il n'a pas été omis non plus de parfaire ce qui était approximatif à l'article 1er quater de la loi dite « SRU » pour le développement des SEM transfrontalières.
Toutes ces dispositions, si elles étaient adoptées, seraient de nature à contribuer à la relance des SEM, en plein doute aujourd'hui, d'autant que - dois-je rappeler ? -, depuis ces dernières années, on assiste à un coup d'arrêt brutal du développement de ces sociétés, leur nombre ayant chuté de 1 325 à 1 255 en trois ans.
Un point retient tout de même encore mon attention.
L'apparition de nouveaux territoires de développement requiert des collectivités et des intercommunalités des compétences et des outils qu'elles ne possédaient pas jusqu'alors. Pour les SEM, cette évolution peut favoriser l'émergence d'un nouveau métier dont elles maîtrisent le savoir-faire, celui, en quelque sorte, d'« ensemblier » du développement local, de gestionnaire de territoires.
La mise en oeuvre de partenariats opérationnels entre collectivités et entreprises, tournés vers le développement local, passe naturellement par l'économie mixte, qui offre à la fois la souplesse et l'encadrement nécessaires à la réussite de cette association.
Sur le terrain, la société d'économie mixte peut constituer le chaînon manquant permettant d'assurer la fédération des collectivités ou de leurs groupements et des acteurs du développement économique.
Dans ce domaine, comme dans les champs ouverts par l'environnement ou les nouvelles technologies, les SEM peuvent favoriser la coopération entre le public et le privé dans la durée et sur des objectifs concrets.
C'est le sens de l'amendement que je défendrai tout à l'heure. Les SEM, dont l'activité est liée au développement économique local, ne peuvent, à l'heure actuelle, effectuer certaines missions d'intérêt général propices à la création d'emplois au motif qu'elles ne peuvent recevoir de subventions de la part des collectivités concernées. Il est urgent d'apporter une réponse à ce problème de première importance, puisqu'il s'agit d'emplois qui ne seraient pas créés faute de volonté politique de tout mettre en oeuvre pour aider les entreprises qui démarrent, seules vraies créatrices d'emplois à l'heure actuelle. Enfin, il me semble qu'à vouloir surajouter les mesures d'encadrement et de contrôle qui pèsent sur les entreprises privées, d'une part, et sur les organismes publics, d'autre part, on stérilise cette formule originale qui se veut performante.
La méfiance que l'on constate ici où là tient peut-être, me semble-t-il, à l'ambiguité de l'expression « économie mixte », qui recouvre d'autres concepts sans doute plus macroéconomiques. On serait peut-être bien inspiré d'étudier une appellation plus adaptée, qui pourrait être, mais ce n'est qu'une proposition, « société d'économie locale ».
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, une piste supplémentaire de réflexion prospective sur ce sujet qui intéresse tous les gestionnaires de collectivité territoriale. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette proposition de loi, dont le groupe communiste républicain et citoyen est signataire, tend à moderniser le statut des sociétés d'économie mixte qui sont régies par la loi du 7 juillet 1983, cela a été rappelé.
Or, en vingt ans, le paysage socio-juridico-économique a changé. Les évolutions juridiques, notamment juridictionnelles, en matière d'interventions économiques des collectivités locales ont modifié de nombreuses données pour les SEM.
Passant d'un climat dans lequel les collectivités territoriales avaient interdiction d'intervenir dans le domaine économique à un assouplissement progressif, puis à un fléchissement, libéralisant de nombreuses aides aux entreprises, souvent sous couvert d'aides à l'emploi, on constate que la non-évolution de leur statut a mis les SEM en porte à faux par rapport aux entreprises privées.
L'exposé des motifs de la proposition souligne que « l'évolution du droit a eu simultanément pour effet d'interdire aux collectivités locales de soutenir financièrement les SEM, dont elles sont, de par la loi, les actionnaires majoritaires, tout en plaçant ces entreprises publiques locales dans une situation d'inégalité par rapport aux entreprises privées bénéficiant de toutes les possibilités d'aides financières de leurs actionnaires ».
Au-delà des relations financières entre les collectivités locales et les SEM, le droit à la concurrence est également faussé.
Toutes ces raisons rendent une modernisation du statut des SEM nécessaire et urgente.
La présente proposition de loi a été préparée dans la collégialité et la pluralité qui existent au sein de la Fédération nationale des sociétés d'économie mixte. Le sujet a suscité deux projets gouvernementaux qui n'ont pu voir le jour du fait des aléas de la vie politique, l'un de M. Perben en 1997, l'autre de M. Zuccarelli en 1999. Je remarque que les amendements présentés par le Gouvernement reprennent un peu de ce dernier projet de loi.
La réforme des SEM est voulue et partagée par de nombreux élus. En témoigne le dépôt simultané de la présente proposition, à l'Assemblée nationale avec comme premier signataire le député socialiste M. Georges Lemoine, et au Sénat le sénateur du RPR M. Jean Bizet.
Nous pouvons nous féliciter du travail mais aussi de la réflexion menés en commun, et insister sur le rôle primordial joué par la Fédération nationale des sociétés d'économie mixte, son président, son vice-président et son directeur ainsi, bien sûr, que son personnel.
Qu'il me soit permis de revenir quelques instants sur les indicateurs économiques qui témoignent de la vitalité des SEM.
Les SEM, ce sont 60 000 emplois, soit 30 000 emplois de plus qu'en 1983, et près de 1 600 emplois-jeunes. Ce sont aussi 11,5 milliards de francs de capitalisation, 75 milliards de francs de chiffres d'affaires, 30 milliards de francs d'investissements en aménagement et un parc de 517 000 logements, étant précisé que 12 000 logements sont mis en chantier chaque année.
Les SEM jouent un rôle significatif dans la bonne marche de certains services publics puisqu'elles gèrent 30 % de l'ensemble du réseau des transports publics et 20 % du parc national de stationnement.
Les SEM ont su développer des réalisations impliquant les métiers de l'environnement et des nouvelles technologies. Elles sont également de plus en plus présentes dans les secteurs de la culture.
Tous ces éléments témoignent du poids que représentent les SEM dans l'économie nationale, en dépit d'évolutions juridiques et économiques qui ne leur ont pas toujours été favorables.
C'est pourquoi il est temps de clarifier les relations entre collectivités locales et SEM.
Les conclusions de la commission des lois présentées par notre collègue Paul Girod recueillent notre accord.
Il paraît logique de ne pas débattre des articles 3 et 4 de la proposition initiale relatifs aux relations financières entre les collectivités territoriales et les SEM d'aménagement ou immobilières, dans la mesure où des dispositions quasiment identiques ont été adoptées dans la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains.
Pour le reste, la proposition de loi conserve, et c'est ce qui importe le plus au groupe communiste républicain et citoyen, l'objectif consistant à rendre aux collectivités locales leurs pleines responsabilités d'actionnaire majoritaire, en particulier en matière de concours financiers nécessaires à la société, en autorisant les apports en compte courant sous couvert d'une convention et d'une délibération de leurs assemblées délibérantes.
Cette proposition vise également à rétablir la sécurité juridique des élus mandataires des collectivités locales dans les SEM. Ainsi est écarté le risque de voir ces derniers poursuivis pour prise illégale d'intérêts du seul fait des fonctions qui leur ont été attribuées par la collectivité.
Il est également proposé d'admettre une dérogation à l'application de la loi sur les délégations de service public au bénéfice de certaines SEM répondant à des critères précis.
Mon ami Robert Bret m'a rapporté les débats qui se sont déroulés en commission des lois sur la légalité de ces mesures, notamment au regard de la réglementation européenne. En effet, le droit européen interdit formellement les aides de l'Etat aux entreprises lorsque ces aides seraient susceptibles de fausser la concurrence. L'Etat s'entend là au sens de nation et comprend, par conséquent, les collectivités locales.
Toutefois, plusieurs arguments peuvent être avancés pour considérer ces mesures comme compatibles avec le droit européen.
D'abord, la Cour de justice des Communautés européennes a jugé en 1999 qu'une société dans laquelle une collectivité publique détient une majorité renforcée et qui est habilitée à gérer directement un service public n'est pas en situation de concurrence puisqu'elle constitue un simple prolongement de la collectivité, au même titre qu'un établissement public.
D'autre part, le régime de mise en concurrence pour les délégations de services publics met en compétition des sociétés d'économie mixte créées de fraîche date et des entreprises déjà bien implantées, avec lesquelles elles ne peuvent évidemment pas rivaliser. L'article 5 du texte présenté par la commission des lois ne favorise donc pas les SEM au risque de fausser la concurrence, mais leur permet plutôt d'y participer. Il ne s'agit là que d'un traitement différencié, justifié par des situations elle-mêmes différentes. Telles sont les quelques remarques que je souhaitais formuler au nom du groupe communiste républicain et citoyen, qui considère, comme d'autres collègues qui se sont exprimés ce matin, que la modernisation du statut des SEM est bien d'actualité. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Picheral.
M. Jean-François Picheral. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes donc invités à discuter une proposition de loi dont la nécessité, ce débat en témoigne, n'est contestée par personne.
Le projet de loi préparé par M. Zuccarelli n'ayant pu aboutir, une initiative parlementaire était nécessaire.
La volonté de légiférer sur certaines matière abordées dans ce texte s'est déjà manifestée lors de l'examen du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains, qui a vu l'introduction, avec l'accord du Gouvernement, de quelques dispositions utiles.
Ce consensus pour moderniser le statut des sociétés d'économie mixte locales a parfois des racines profondes. Aujourd'hui comme en 1983, lorsque le Parlement avait adopté à l'unanimité le statut des SEM, il s'appuie sur des réalités.
En effet, le droit des interventions économiques et de l'économie mixte présente des insuffisances. Trop complexe et trop rigide, il n'est plus adapté aux besoins des entreprises, aux demandes des collectivités territoriales et aux contraintes communautaires. Les élus locaux sont amenés à intervenir en marge de la légalité, ce qui les expose à un risque juridique et financier.
Comme la décentralisation, l'économie mixte locale a été fondée en 1983 sur des principes de liberté et de responsabilité, qui sont la traduction directe du principe de libre administration des collectivités territoriales établi par les articles 34 et 72 de la Constitution, et sur la volonté de doter les collectivités des moyens d'action les plus efficaces au service du bien commun.
Que s'est-il passé depuis 1983 ?
Les sociétés d'économie mixte ont répondu à l'ambition du législateur, au-delà même de ses espérances. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 1 300 sociétés, plus de 60 000 salariés, 70 milliards de francs de chiffre d'affaires. A l'actif de ces entreprises, on compte les réalisations les plus exemplaires de la décentralisation, dans tous les domaines : logement social, renouvellement urbain, développement économique, transports collectifs, etc.
Paradoxalement, cette évolution a entravé le développement de l'économie mixte locale dès lors qu'elle s'est confrontée aux grands défis qui mobilisent nos collectivités territoriales : l'intercommunalité, le développement économique et la modernisation des services publics.
L'économie mixte n'est pas une idée nouvelle, mais nous pensons qu'elle est une idée d'avenir.
Aujourd'hui, plus encore qu'en 1983, toutes les collectivités locales ont besoin de moyens d'action qui réunissent la maîtrise politique, l'efficacité économique et l'utilité sociale pour résoudre les problèmes complexes qui leur sont posés.
Aujourd'hui comme en 1983, la société d'économie mixte est souvent la seule réponse opérationnelle à cette complexité qui pousse, dans presque tous les domaines de l'action publique, à conjuguer les compétences et les ressources, à gérer des partenariats entre des acteurs qui ne partagent ni la même culture ni la même logique dans l'action.
Nous pensons que la modernisation du statut des SEM doit revenir aux principes qui avaient guidé le législateur de 1983. Permettez-moi de vous les rappeler, tels que Gaston Defferre les avait exposés ici même, en avril 1983 :
« Les SEM auront le droit d'exercer toutes les compétences d'intérêt général autres qu'administratives dévolues aux collectivités territoriales. Elles deviendront ainsi un instrument permanent d'action à la disposition des élus... En ce qui concerne la forme de ces sociétés, la société anonyme a été retenue car c'est la plus répandue et la plus souple... Enfin, nous tirons la conséquence de la plus grande responsabilité des élus en renforçant leur contrôle sur ces sociétés. »
C'est dans cette optique que le groupe socialiste examinera cette proposition de loi, qui apporte des réponses utiles et concrètes aux attentes des élus à l'égard de nos SEM, entreprises des collectivités locales, qu'il s'agisse de rétablir un régime de relations clarifiées et surtout mieux maîtrisées entre les collectivités territoriales et les sociétés d'économie mixte locales, de renforcer la transparence de ces relations en rendant notamment obligatoire l'approbation par la collectivité des rapports d'activité présentés par la SEM ou de renforcer la protection des élus locaux administrateurs de SEM ou de regard de la prise illégale d'intérêt.
Je tiens à souligner la grande qualité du rapport de notre collègue Paul Girod. Les travaux de notre commission des lois ont utilement précisé et amélioré la proposition de loi initiale, tant sur le fond que sur la forme.
Le Gouvernement, qui aborde ce texte dans un esprit d'ouverture et de dialogue, ce dont je me félicite, nous propose un certain nombre d'amendements ; la plupart d'entre eux sont susceptibles d'améliorer encore le texte présenté par le rapporteur. Ces amendements s'inscrivent en tout cas dans la philosophie de la proposition de loi.
Tout en renforçant le rôle de collectivités territoriales actionnaires, qui pourraient notamment intervenir sous forme d'avances en compte courant d'associé, ils organisent une information plus complète de l'assemblée délibérante et un contrôle renforcé de celle-ci. Introduire plus de transparence et un meilleur contrôle des collectivités territoriales me paraît très utile.
Ils imposent en outre le respect d'une proportion de 80 % de fonds publics et de 20 % de fonds privés en ce qui concerne tant la participation au capital que les avances en compte courant. Cette précaution est utile si l'on veut se prémunir contre d'éventuels dérapages et protéger les finances locales.
Notons par ailleurs qu'un certain nombre de dispositions figurant dans la proposition de loi initiale ont déjà été prises en compte dans le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbain, en voie d'adoption définitive. Il s'agit, d'une part, de l'octroi par les collectivités territoriales aux sociétés d'économie mixte locales qui interviennent dans le domaine du logement social de subventions et prêts pour la construction et pour la gestion de ces logements et, d'autre part, de l'organisation des conditions de financement des opérations d'aménagement par les collectivités territoriales lorsqu'elles en confient la réalisation à des tiers.
Le toilettage du statut des SEM locales auquel nous allons procéder est tout à fait indispensable pour que ces sociétés puissent conserver leur place dans le développement local. Ce toilettage est également urgent : c'est pourquoi je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, de faire en sorte que cette proposition de loi soit inscrite à l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée nationale, de manière que nos collectivités territoriales disposent au plus tôt d'un outil complet et adapté leur permettant de jouer pleinement leur rôle au service du développement local. (Applaudissements.)
M. le président. Il me semble que Gaston Defferre avait aussi souhaité la création des chambres régionales des comptes. S'il revenait, il serait assez surpris de voir comment cela marche ! (Sourires.)
M. Jean-François Picheral. Il va falloir que nous nous en occupions aussi, monsieur le président !
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de répondre aux différents intervenants, je tiens à saluer la contibution positive de l'ensemble des groupes de votre assemblée à ce débat, résultat d'une initiative parlementaire tout à fait heureuse et de grande qualité.
M. Hyest a rappelé la nécessité de conforter les règles de mixité du capital ; j'y reviendrai lors de la discussion des articles.
J'ai également noté son approbation de l'instauration de contrôles plus étroits, même s'il considère - et je le reconnais avec lui - que les contrôles, y compris ceux des commissaires aux comptes - ainsi, peut-être, que ceux des chambres régionales des comptes, monsieur le président ! - peuvent parfois avoir leur faiblesse.
Monsieur Rouvière, vous avez insisté sur le besoin de moderniser le statut juridique des sociétés d'économie mixte tout en apportant davantage de sécurité juridique à leur action et à celle des élus mandataires. Les amendements que le Gouvernement présentera dans quelques instants vont bien dans ce sens.
Vous avez rappelé l'importance de l'activité des sociétés d'économie mixte pour le logement social. La loi SRU va bien dans ce sens. Elle apportera - et c'est, je crois, le souhait de plusieurs des sénateurs qui se sont exprimés ce matin - d'importantes souplesses pour les sociétés d'économie mixte de ce secteur.
Vous avez également fait une proposition pour que les possibilités de prêts soient davantage ouvertes, afin d'éviter, peut-être, ce que vous avez appelé le quasi-monopole de la Caisse des dépôts et consignations. Je pense que vous faisiez surtout référence aux prêts bonifiés qui, vous le savez, répondent à des règles très particulières, faute de quoi ils ne seraient d'ailleurs pas conformes aux règles de la concurrence.
Les cas où des refus ont pu être essuyés sont sans doute rares. On peut supposer, mais cela reste à vérifier qu'ils sont liés à des risques financiers très particuliers. En tout état de cause, je demanderai aux services du ministère de l'intérieur de se rapprocher de ceux du ministère des finances pour examiner ces quelques cas particuliers.
M. Fourcade a bien voulu nous faire part de son expérience. J'ai compris qu'elle avait été douloureuse. Cette expérience conforte, me semble-t-il, les dispositions de cette proposition de loi, qui visent à instaurer plus de transparence dans les actes des sociétés d'économie mixte et à permettre un meilleur contrôle à la fois des assemblées délibérantes et des représentants de l'Etat.
S'agissant du FCTVA, j'ai bien entendu votre souci de neutralité. C'est bien celui que le Gouvernement entend défendre, même si, visiblement, nous ne parvenons pas encore tout à fait à nous entendre sur les modalités.
La neutralité en la matière consiste à faire en sorte que le mode d'action choisi par la collectivité, qu'il s'agisse de travaux en régie ou de recours à un prestataire extérieur, qui peut éventuellement être une SEM, ne modifie pas la TVA perçue. Mais vous êtes un fin connaisseur de ces règles fiscales, monsieur le sénateur. Je pense d'ailleurs qu'elles remontent au temps où le ministère des finances se trouvait rue de Rivoli ! Il faut, en effet, parvenir à concilier la complexité de ces règles fiscales avec celles du FCTVA, afin de prévenir - ce que d'ailleurs personne ne contestera -, toute double récupération de la TVA, qui peut être possible dans certains cas ; nous y reviendrons tout à l'heure.
M. Schosteck a fait un très utile rappel des évolutions jurisprudentielles, qui ont d'ailleurs justifié plusieurs dispositions de cette proposition de loi. Il a également souligné l'intérêt de l'action des SEM pour l'exercice de certaines compétences des collectivités, mais aussi pour leur groupement. Ce point est essentiel. Il a, à cette occasion, élargi le débat aux modes d'intervention économique. Je n'ignore pas le lien avec les actions des SEM. Mais ces questions restent distinctes. Elles n'entrent pas dans le champ du texte qui est examiné aujourd'hui, et nous pouvons le regretter.
M. Foucaud a rappelé les aléas des textes qui ont été initialement présentés. Il a notamment souligné, à juste titre, l'importance des règles communautaires qui encadrent désormais l'action économique des collectivités locales. Le Gouvernement partage cette analyse. Pour moderniser le statut des SEM, nous devons tirer d'utiles enseignements de l'évolution de ces règles communautaires.
Enfin, M. Picheral a très clairement exposé les domaines d'action multiples des sociétés d'économie mixte et a indiqué en quoi ce mode d'intervention était porteur d'avenir. C'est bien le sens que le Gouvernement souhaite donner à ce débat. Mais, vous l'avez rappelé, ce mode d'intervention ne peut se développer que dans le cadre de règles juridiques précises, notamment en ce qui concerne la nécessaire transparence des actes des SEM. Or, nous ne pouvons progresser dans ce domaine que collectivement.
J'ai bien noté le soutien que vous apportez aux initiatives du Gouvernement - cela ne me surprend pas - afin d'accroître la transparence et la protection des finances locales.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

CONCOURS FINANCIERS
DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
AUX SOCIÉTÉS D'ÉCONOMIE MIXTE LOCALES

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. Il est inséré, dans le titre II du livre V de la première partie du code général des collectivités territoriales, un chapitre II bis ainsi rédigé :

« Chapitre II bis

« Concours financiers des collectivités territoriales et de leurs groupements.
« Art. L. 1522-4. - Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, en leur qualité d'actionnaires, allouer des apports en compte courant d'associés aux sociétés d'économie mixte locales dans les conditions définies à l'article L. 1522-5.
« Dans les conditions prévues au chapitre III du présent titre et à l'article L. 300-4-1 du code de l'urbanisme, les collectivités territoriales et leurs groupements, qu'ils soient ou non actionnaires, peuvent, en leur qualité de cocontractants des sociétés d'économie mixte locales, leur allouer des concours financiers, dans le cadre des opérations d'intérêt général ou des missions de service public qu'ils leur confient.
« Les concours financiers visés aux alinéas précédents ne sont pas régis par les dispositions du titre premier du présent livre.
« Art. L. 1522-5. - L'apport en compte courant d'associés visé à l'article L. 1522-4 est alloué dans le cadre d'une convention expresse entre la collectivité territoriale ou le groupement actionnaire, d'une part, et la société d'économie mixte locale, d'autre part, qui prévoit, à peine de nullité :
« 1° la nature, l'objet et la durée de l'apport ;
« 2° le montant, les conditions de remboursement, éventuellement de rémunération ou de transformation en augmentation de capital dudit apport.
« L'apport en compte courant d'associés ne peut être consenti par les collectivités territoriales et leurs groupements actionnaires pour une durée supérieure à deux ans, éventuellement renouvelable une fois. Au terme de cette période, l'apport est remboursé ou transformé en augmentation de capital.
« Toutefois, la transformation de l'apport en augmentation de capital ne peut avoir pour effet de porter la participation de la collectivité ou du groupement au capital social de la société au-delà du plafond résultant des dispositions de l'article L. 1522-2.
« Les assemblées délibérantes des collectivités territoriales et de leurs groupements actionnaires se prononcent sur l'octroi, le renouvellement ou la transformation en capital d'un apport en compte courant d'associés au vu des documents suivants :
« 1° un rapport d'un représentant de la collectivité territoriale ou du groupement au conseil d'administration ou au conseil de surveillance de la société d'économie mixte locale ;
« 2° une délibération du conseil d'administration ou du conseil de surveillance de la société d'économie mixte locale exposant les motifs d'un tel apport et justifiant son montant, sa durée ainsi que les conditions de son remboursement, de son éventuelle rémunération ou de sa transformation en augmentation de capital.
« Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités de rémunération des apports en compte courant d'associés. »
Par amendement n° 3, le Gouvernement propose de rédiger ainsi cet article :
« Il est inséré dans le code général des collectivités territoriales trois articles L. 1522-4, L. 1522-5 et L. 1522-6 ainsi rédigés :
« Art. L. 1522-4 . - Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent accorder des concours financiers à une société d'économie mixte locale dont ils sont actionnaires en prenant part aux augmentations de capital ou en consentant des avances en compte courant d'associé.
« L'engagement des collectivités territoriales et de leurs groupements sous forme de participation au capital et d'avances en compte courant d'associé ne peut être supérieur à 80 % de l'engagement, sous ces deux formes, de la totalité des actionnaires.
« L'octroi par les collectivités territoriales et leurs groupements d'avances en compte courant d'associé est subordonné au respect des dispositions de l'article L. 1524-1 et du huitième alinéa de l'article L. 1524-5.
« L'avance en compte courant d'associé ne peut être consentie par les collectivités territoriales et leurs groupements actionnaires pour une durée supérieure à deux ans, éventuellement renouvelable une fois. A l'issue de cette période, l'avance devra être remboursée ou transformée en augmentation de capital.
« Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités de rémunération de ces avances.
« Art. L. 1522-5 . - Les assemblées délibérantes des collectivités territoriales et de leurs groupements actionnaires se prononcent sur l'octroi et le renouvellement ou la transformation en capital d'une avance visée à l'article L. 1522-4 au vu des documents suivants :
« 1° un rapport du représentant de la collectivité territoriale ou du groupement au conseil d'administration ou du conseil de surveillance de la société ;
« 2° une délibération du conseil d'administration ou du conseil de surveillance de la société prise à une majorité des deux tiers exposant les raisons d'une telle avance et justifiant son montant, sa durée ainsi que les conditions de son remboursement, de son éventuelle rémunération ou de sa transformation en augmentation de capital ;
« 3° un rapport spécial du commissaire aux comptes de la société certifiant, d'une part, que l'engagement des collectivités territoriales et de leurs groupements sous forme de participation au capital et d'avance en compte courant d'associé n'excède pas le plafond fixé au deuxième alinéa de l'article L. 1522-4 et, d'autre part, que l'ensemble des éléments présentés est conforme à la situation financière actuelle et que les données prévisionnelles sont cohérentes avec l'ensemble des informations disponibles.
« Art. L. 1522-6 . - L'avance en compte courant d'associé est accordée dans le cadre d'une convention entre la collectivité territoriale ou le groupement actionnaire, d'une part, et la société, d'autre part, qui prévoit, à peine de nullité :
« 1° la nature, la durée et l'objet du concours financier ;
« 2° le montant, les conditions de remboursement, éventuellement de rémunération, ou de la transformation en capital du concours financier ainsi que les obligations de chacune des parties. »
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Je souhaite tout d'abord rappeler - je l'ai évoqué brièvement tout à l'heure dans mon intervention - que le Gouvernement partage le souci du Sénat d'autoriser les collectivités territoriales et leurs groupements à accorder des avances en compte courant d'associé pour les SEM locales. Cette mesure a pour objet de donner une marge de manoeuvre supplémentaire pour la modernisation de l'action des SEM. Ces sociétés d'économie mixte ne doivent pas - je reprends volontiers l'expression heureuse de M. le rapporteur - aborder leurs interventions avec « les mains liées dans le dos ». Toutefois, il est souhaitable que soient apportées certaines précisions sur les conditions dans lesquelles ces avances peuvent être attribuées.
Tout d'abord, ces avances ne sont pas soumises, vous le savez, au moment de leur attribution, au respect de la proportion 80 %-20 % entre les engagements financiers des collectivités locales et les autres partenaires. Le Gouvernement craint qu'il n'en résulte un risque de contournement de cette règle essentielle à l'économie mixte et à la protection des collectivités locales contre des risques financiers qui ne seraient pas maîtrisés.
Ensuite, il paraît utile que l'octroi de ces avances soit subordonné au respect des obligations prévues par le code général des collectivités territoriales en matière d'information du représentant de l'Etat sur l'activité des sociétés et des collectivités sur le rapport annuel de leur mandataire au conseil d'administration ou au conseil de surveillance de ces sociétés.
Enfin, une complète information de l'assemblée délibérante de la collectivité locale préalablement à l'octroi de l'avance paraît tout à fait indispensable. Le rapport spécial du commissaire aux comptes de la société doit ainsi permettre d'apprécier la réalité du besoin de cette avance.
Tels sont les trois motifs qui ont conduit le Gouvernement à déposer cet amendement : il tend à élargir les possibilités de consentir des avances en compte courant d'associé pour les sociétés d'économie mixte locales, mais en posant quelques limites.
Pour en faciliter la lisibilité, il est apparu préférable de réécrire l'ensemble de l'article 1er.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Girod, rapporteur. La lecture de l'amendement du Gouvernement a fait lever en moi un certain nombre de références intellectuelles.
Si mes souvenirs sont exacts, c'est Ugolin qui dévorait ses enfants pour leur conserver un père ! Par ailleurs, une vieille tradition parlementaire consiste à dire que, lorsque l'on n'est pas d'accord sur le fond, on attaque sur la forme.
Quelle méfiance à l'égard des collectivités territoriales !
Monsieur le secrétaire d'Etat, soyons sérieux ! Le texte qui vous est proposé par la commission des lois comporte deux aspects, notamment un aspect que je qualifierais d'architectural : la création d'un chapitre spécial dans le code général des collectivités territoriales relatif aux concours des sociétés d'économie mixte. Il s'agit d'un souci de clarification, qui ne figure pas dans l'amendement du Gouvernement.
Mais là n'est pas le fond du problème ! Le fond du problème, c'est que l'amendement du Gouvernement multiplie tellement les conditions d'octroi d'une avance en compte courant qu'en réalité il n'y aura jamais d'avance en compte courant.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pourquoi prévoir cette succession de démarches préalables, en particulier un rapport spécial du commissaire aux comptes sur la formule est curieuse - « les données prévisionnelles » ? L'avance en compte courant n'intervient que lorsqu'une difficulté ponctuelle se présente : la collectivité territoriale doit pouvoir donner à la SEM locale la souplesse qu'aurait une société privée placée dans les mêmes conditions. S'il faut que le concours financier des actionnaires privés soit équivalent - dans certains cas, ceux-ci sont moins motivés que la collectivité territoriale -, les délais seront tels que, de toute façon, l'opportunité sera passée avant que la mise en concurrence ne soit en place.
Nous souhaitons tous, monsieur le secrétaire d'Etat, que les sociétés d'économie mixte soient gérées dans un « but » comparable à celui des sociétés de droit privé, c'est-à-dire avec une idée sous-jacente de rentabilité, surtout si l'on veut que ces SEM en viennent à exercer un certain nombre de compétences d'ordre privé dans tel ou tel domaine : transport, parking, culture...
Les personnes privées n'apporteront leur concours aux SEM que dans la mesure où elles seront intéressées aux résultats et qu'elles pourront éventuellement toucher des dividendes. Il n'est pas certain que la collectivité territoriale soit aussi pressée de toucher ses dividendes que l'actionnaire privé.
La disposition relative aux comptes courants permettrait de résoudre ce problème, la collectivité territoriale laissant éventuellement au sein de la SEM, pour deux ans supplémentaires, les dividendes qu'elle pourrait percevoir, alors que les actionnaires privés souhaiteraient les toucher immédiatement. Si vous imposez des règles de parité à hauteur des participations des différents intervenants dans le capital, vous videz la mesure de tout son sens.
La multiplication des objections par rapport à la motivation de fond nous semble excessive. D'ailleurs, les dispositions prévues par la commission des lois qui prévoient une délibération concordante de la collectivité et de l'organe délibérant de la SEM sont suffisamment claires. Multiplier les précautions me semble être presque de la défiance vis-à-vis des collectivités et de leur capacité à apprécier les risques qu'elles prennent. Cela va à l'encontre de la libre administration des collectivités territoriales.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ce n'est pas le ministère qui raisonne à la place des élus locaux, ce sont les élus locaux qui raisonnent sur leurs problèmes. Par conséquent, la commission des lois, à une majorité fort courte, certes, puisque les avis étaient très partagés, a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 3 du Gouvernement, préférant la rédaction qu'elle avait proposée à la suite de ses délibérations précédentes.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 3.
M. Michel Caldaguès. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Nous savons que les propositions de loi sont des miraculées de l'ordre du jour prioritaire, dont elles se sont dégagées, je reprends le mot, miraculement.
Si ces propositions de loi font l'objet d'une réécriture par le Gouvernement - car c'est à cela que nous assistons, et pas seulement en ce qui concerne l'article 1er ! - que reste-t-il de la prérogative parlementaire ? Elle se réduit comme peau de chagrin !
Il s'agit donc d'une question de principe.
Je souhaite ajouter une question de détail, mais qui a son importance : la limitation de l'avance à une durée ne pouvant être supérieure deux ans, éventuellement renouvelable une fois, est porteuse de gros inconvénients, notamment pour les opérations d'aménagement urbain. Certaines de celles-ci « traînent » pour des raisons indépendantes de la volonté de la collectivité, par exemple pour des problèmes de relogement.
A l'issue de ce délai de deux ans, il faudra bien trouver un financement ! A défaut, la société devra déposer son bilan, ou bien procéder à une augmentation de capital. Il se peut que les actionnaires ne soient pas disposés à suivre, ou que la collectivité territoriale elle-même ne souhaite pas une augmentation de capital. On fera donc appel à des concours financiers extérieurs, qui, par définition, sont évidemment plus coûteux que l'avance de la collectivité territoriale. Qui payera ce surcoût ? Nécessairement l'argent public !
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, je me rallie à la position prise par la commission des lois.
M. Christian Bonnet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. J'ai toujours pensé que les sociétés d'économie mixte pouvaient être à la fois la meilleure et, parfois, la pire des choses.
Mon ami Jean-Pierre Fourcade, tout en faisant référence à l'expérience malheureuse à laquelle il avait assisté, a déclaré qu'il était d'accord avec le texte. Pour ma part, c'est en raison des expériences malheureuses dont j'ai eu connaissance que je ne peux pas être d'accord avec M. le rapporteur.
Je suis, au contraire, d'accord avec la position du Gouvernement. Il me paraît souhaitable, pour éviter les déconvenues, notamment aux élus, d'encadrer l'activité des SEM. Qu'il soit nécessaire de réformer les SEM, c'est certain ! Qu'il soit nécessaire de les encadrer, c'est tout aussi indispensable !
Je me rallie à certaines phrases qui ont été prononcées par M. le secrétaire d'Etat. Je l'ai entendu dire : « Certaines expériences malheureuses montrent que cela peut conduire à des sinistres financiers importants. » Il a ajouté : « Il faut prévenir des risques financiers parfois lourds de conséquences pour les budgets communaux. »
Compte tenu de l'expérience qui est la mienne, je répète que, sans les SEM, nombre de réalisations n'auraient pas vu le jour. Les SEM peuvent donc être la meilleure des choses. Toutefois, elles sont à l'origine de nombreuses déconvenues... pour ne pas parler de choses moins plaisantes.
C'est pourquoi je ne peux me rallier à la position de la commission.
M. Thierry Foucaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. En l'occurrence, on va, me semble-t-il, à l'encontre de l'initiative parlementaire, et on reprend les mauvais côté du projet de loi Zuccarelli.
S'agissant de la forme, la rédaction proposée par cet amendement est à peu près identique à celle que présente la commission. Mais, en fait, c'est comme le Canada dry. En effet, l'amendement prévoit de limiter la participation à 80 % du capital et des avances en compte courant, ce qui pourrait avoir pour effet de restreindre la participation des collectivités au capital des SEM en deçà de ce à quoi elles ont droit aujourd'hui.
Un de nos collègues a évoqué la question des risques financiers pour les sociétés d'économie mixte et, surtout, pour les collectivités locales. Permettez-moi de lui répondre que le risque pour les collectivités locales aujourd'hui ne se situe pas, sur le fond, du côté des sociétés d'économie mixte - mais je n'ouvrirai pas maintenant le débat sur la place des collectivités locales dans la société et sur les problèmes financiers qui se posent à cet égard. N'accusons pas les SEM de représenter un risque pour les collectivités locales.
Je pense, pour ma part, que la mesure préconisée par les auteurs de l'amendement va à l'encontre des souhaits exprimés par les élus locaux et de ce qu'il est nécessaire de faire pour assurer le développement des sociétés d'économie mixte.
Il en est de même - je profite de l'occasion pour l'indiquer dès à présent - pour l'amendement n° 11 du Gouvernement, qui prévoit que les 20 % restants du capital doivent être détenus par le secteur privé.
Pour toutes ces raisons, notre groupe ne votera donc pas ces amendements.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je me rallie à la position de la commission des lois, car je considère que l'amendement du Gouvernement, dont je comprends les motivations, est trop strict et qu'il encadre trop le dispositif.
C'est toujours la même théorie : un chef de bureau d'un ministère est beaucoup plus compétent, s'agissant des problèmes de terrain, que n'importe quel élu local, fût-il en place depuis trente ans dans une grande collectivité !
En l'occurrence, c'est l'application de cette théorie.
Certes, on peut, à la rigueur, accepter les prescriptions de l'article L. 1522-4, car la rédaction du Gouvernement me paraît convenable, sauf en ce qui concerne le délai de deux ans, éventuellement renouvelable une fois, que M. Caldaguès a évoqué voilà quelques instants. S'agissant des sociétés d'aménagement, imposer le remboursement au bout de quatre ans prouve que celui qui a conçu ce texte n'a jamais vu de près fonctionner une société d'aménagement. Jamais ! (Marques d'approbation sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.) Il faut tout de même que les commissaires du Gouvernement apprennent quelque chose quand ils viennent au Parlement, qu'ils ne soient pas passifs ! La disposition qui prévoit le remboursement après quatre ans est idiote.
M. Jean-Pierre Schosteck. Absolument !
M. Jean-Pierre Fourcade. Nous venons d'ailleurs de voter une loi sur l'archéologie préventive, qui allongera encore les délais en matière d'aménagement.
Je le répète : on peut accepter, à la rigueur, la rédaction proposée pour l'article L. 1522-4, en corrigeant la disposition relative à la durée de deux ans.
En revanche, la rédaction proposée pour l'article L. 1522-5 n'est pas acceptable. En effet, aux termes de celle-ci, les collectivités locales se prononcent au vu d'un certain nombre de documents, notamment une délibération du conseil d'administration prise à la majorité des deux tiers. Nous sommes en dehors de toute réglementation commerciale. Les sociétés d'économie mixte sont-elles des sociétés de droit commercial ou des organismes particuliers dans lesquels on multiplie les procédures ? Il ne manque plus que l'avis préalable de la chambre régionale des comptes et l'intervention du préfet de région, afin de voir si le préfet du département ne s'est pas trompé, pour que la boucle soit bouclée.
La rédaction proposée me paraît inacceptable. C'est pourquoi je suivrai la commission des lois.
M. Michel Caldaguès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. J'aurais pu me dispenser d'expliquer mon vote car j'avais déclaré à l'avance que j'étais défavorable à l'amendement. Ce qui m'a incité à demander de nouveau la parole, c'est l'intervention de mon excellent ami M. Christian Bonnet.
Nous sommes tous conscients des difficultés qui ont pu se produire, des abus qui ont pu être commis et des dangers contre lesquels il faut prémunir les collectivités locales : pas un de ceux qui, parmi nous, savent ce qu'est une société d'économie mixte ne les ignorent. Il ne faudrait donc pas accréditer l'idée que, parce que nous ne votons pas le texte du Gouvernement, nous oublions cet aspect de la question. Si nous n'étions pas conscients de tous les problèmes soulevés par M. Christian Bonnet, dont chacun connaît la rigueur, cette proposition de loi n'aurait, à l'évidence, pas été déposée.
J'ai tenu à faire cette mise au point car votre intervention, mon cher ami, pouvait prêter à confusion.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Il s'agit d'un article important. Je voudrais réagir sur trois points.
En ce qui concerne le débat de fond, à savoir la nature de l'économie mixte, je dirai aux différents intervenants que, s'agissant de l'encouragement à l'économie mixte, le Gouvernement est au moins aussi allant que M. Paul Girod. Cependant, il faut bien entendre aussi, dans les propos de M. Bonnet, un certain nombre d'appels à la prudence qui sont fondés sur l'expérience que nous avons tous de ces situations, sur la nécessité de faire en sorte que les assemblées des collectivités locales puissent véritablement maîtriser, dans un cadre juridique plus précis, leur intervention par l'intermédiaire des SEM. Je tiens à dire également à M. Jean-Pierre Fourcade, sans entrer dans un débat idéologique sur les sociétés d'économie mixte, que les SEM sont bien des sociétés d'économie mixte ; ce ne sont ni des établissements publics, ni Vivendi. Il faut trouver un point d'équilibre pour organiser leur mode d'intervention.
J'en viens aux avances en compte courant.
La durée qui est prévue dans l'amendement du Gouvernement est la même que celle qui est envisagée par la commission, c'est-à-dire deux ans, renouvelables. J'ai trouvé un peu rapide et sans doute injuste votre mise en cause des commissaires du Gouvernement qui m'accompagnent ce matin. Ils ont porté sur cette question la même appréciation que la commission des lois du Sénat. Or personne ne peut penser un instant que celle-ci méconnaît le fonctionnement concret des sociétés d'économie mixte locales.
Enfin, je reviens un instant sur la motivation du Gouvernement. Il s'agit bien de préserver la règle des 80 % de fonds publics et des 20 % de fonds privés, avant comme après la consolidation des avances, et ce dans des conditions qui paraissent acceptables. Le Gouvernement entend simplement rappeler l'esprit de ce qu'est une société d'économie mixte. Il ne souhaite en aucune manière, bien entendu, s'opposer à l'excellent travail parlementaire, dont j'ai rappelé la qualité tout à l'heure.
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous ai bien écouté. Permettez-moi de revenir sur la durée.
Mes chers collègues, par souci d'honnêteté, je suis obligé de dire, et je l'aurais fait de toute manière, que M. le secrétaire d'Etat a raison lorsqu'il affirme que la durée de deux ans, renouvelable une fois, figure dans la proposition de loi. Pourquoi avons-nous prévu une telle disposition ? C'est pour une raison simple. Si on n'avait pas, dans le temps, une limitation précise, nous risquerions de tomber sur un autre problème : le privilège du Trésor et la possibilité pour une collectivité territoriale de « camoufler » ou de placer ses excédents financiers dans une société d'économie mixte qui rémunérerait les apports en compte courant. C'est aussi la raison pour laquelle la commission des lois a prévu qu'un décret en Conseil d'Etat déterminera les modalités de rémunération de ces apports en compte courant, de manière que ce problème ne se pose pas.
Quant à la difficulté qui pourrait apparaître, s'agissant de l'aménagement, au bout de quatre ans, entre nous soit dit en passant, elle n'est pas si délicate à résoudre. Dans ce cas précis, on peut prévoir un remboursement et la réouverture de l'avance en compte courant sur délibération motivée.
Aussi, le problème posé par une opération de très longue durée peut être résolu dans la pratique sans pour autant introduire dans la loi une fragilité par rapport au privilège du Trésor et une possibilité de placement qui constituerait un détournement du système global d'équilibre de nos finances publiques. Il est préférable de maintenir cette précaution en l'état.
En revanche, monsieur le secrétaire d'Etat, et je regrette de devoir vous le dire, les précautions que vous prenez ne sont pas justifiables - je vous retourne le compliment du Conseil constitutionnel sur la « nature juridique » des sociétés d'économie mixte par rapport aux autres sociétés commerciales. Si vous nous imposez ce principe de la proportion de 80 % du capital détenus par les collectivités et 20 % détenus par les autres actionnaires en cumulant les avances en compte courant, dont le montant peut éventuellement être élevé, et le capital, cela veut dire qu'il n'y aura jamais d'avances en compte courant. Si là est l'objectif, dites-le franchement. Dites que vous êtes hostile aux avances en compte courant dans les sociétés d'économie mixte. Mais ne prenez pas cette sorte de faux nez, qui rappelle celui du projet de loi de M. Zuccarelli, lequel disait en substance : les avances en compte courant sont autorisées ; elles sont impossibles en fait. Cela n'est pas acceptable !
La commission des lois maintient donc son avis défavorable sur l'amendement du Gouvernement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article additionnel après l'article 1er



M. le président.
Par amendement n° 13, M. Schosteck propose d'insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le chapitre III du titre II du livre V de la première partie du code général des collectivités territoriales est complété in fine par un article ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent accorder aux sociétés d'économie mixte exerçant une activité de développement économique local des subventions ou des avances destinées à des programmes d'intérêt général liés à la mise en oeuvre et au développement des activités économiques locales.
« Les programmes des sociétés d'économie mixte au sens du présent article comprennent l'accueil, l'aide et le conseil à la création et les services communs aux entreprises.
« Les assemblées délibérantes des collectivités concernées votent ces subventions au vu d'une étude financière détaillant le coût total de l'investissement ainsi que l'équilibre prévisionnel d'exploitation, accompagné d'un rapport sur la situation financière de la société.
« La subvention accordée est au plus égale à la différence entre le coût de l'opération et le total des autres financements qui lui sont affectés. Lorsque cette condition n'est pas remplie, son montant est, le cas échéant, réduit au plus tard un an après la mise en service de l'opération.
« Une convention fixe les obligations contractées par les sociétés en contrepartie des financements accordés pour les programmes, l'accueil, l'aide et le conseil à la création et les services communs aux entreprises.
« Sous réserve des décisions de justice devenues définitives, les conventions passées antérieurement à la promulgation de la loi n° ....... du ....... tendant à moderniser le statut des sociétés d'économie mixte locales et qui seraient conformes à ses nouvelles dispositions, en tant que la validité de ces conventions au regard du titre Ier du livre V de la première partie du présent code est contestée, sont validées.
« Les concours financiers visés au présent article ne sont pas régis par les dispositions du titre Ier du livre V de la première partie du présent code. »
La parole est à M. Schosteck.
M. Jean-Pierre Schosteck. Mon amendement concerne un secteur qui, souvent, a besoin d'être géré par l'économie mixte, à savoir le secteur des activités économiques et de développement des territoires. Une disposition analogue à celle que je propose a été adoptée, pour l'aménagement et la construction, dans le cadre du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains. Il s'agit de faire bénéficier des mêmes facilités cet important secteur d'activités.
J'ajoute que ne pas adopter cette disposition, c'est contraindre les collectivités à recourir à une association régie par la loi de 1901, ce qui me paraît être beaucoup plus dangereux.
Enfin, s'agissant de l'ensemble des dispositions qui nous sont proposées et du débat que nous venons d'avoir, il faut bien veiller à traiter la fièvre, et non casser le thermomètre.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Girod, rapporteur. La commission a été sensible aux arguments de notre collègue M. Schosteck. Il s'agit effectivement d'un secteur important, qui n'est pas couvert par les dispositions actuelles de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Celle-ci concerne les villes, on pouvait par conséquent concevoir que cette disposition n'y soit pas intégrée.
La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Au risque de décevoir une nouvelle fois les membres de cette assemblée, je dirai que le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement.
Il s'agit en effet de dispositions qui concernent l'intervention économique des collectivités locales à un moment où le Gouvernement a très clairement annoncé, à la suite du rapport préparé par la commission présidée par Pierre Mauroy, son intention de s'engager dans une nouvelle étape de la décentralisation. Cette nouvelle étape ne peut exclure bien évidemment d'évoquer l'intervention économique des collectivités locales. C'est donc plutôt dans ce cadre-là, me semble-t-il, que les propositions que vous faites, monsieur le sénateur, mériteront d'être évoquées.
Pour cette raison essentiellement, et à ce stade, le Gouvernement est défavorable à votre amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 13.
M. Jean-Pierre Schosteck. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Schosteck.
M. Jean-Pierre Schosteck. Ce n'est pas la première fois que nous entendons les très beaux arguments avancés par M. le secrétaire d'Etat. Il ont en effet été déjà présentés par le Gouvernement lors de l'examen du projet de loi « Zucarelli », voilà de nombreuses années, et, à ma connaissance, rien n'est venu...
Les collectivités et les sociétés se trouvent en quelque sorte face à un vide juridique. Je note votre bonne volonté, monsieur le secrétaire d'Etat, et je ne doute pas qu'elle soit grande. Mais l'élaboration des textes peut prendre beaucoup de retard dans les bureaux des ministères. Par conséquent, je ne voudrais pas que, dans trois ans, nous en soyons à nous rappeler vos déclarations, venant après celles de M. Zucarelli, et sans doute après d'autres également.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 13, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 1er.

Article 2



M. le président.
« Art. 2. - I. - Après l'article L. 1615-10 du même code, il est inséré un article L. 1615-11 ainsi rédigé :
« Art. L. 1615-11. - Sous réserve des dispositions de l'article L. 1615-7, la fraction de la participation d'une collectivité territoriale ou d'un groupement affectée au financement d'acquisitions foncières ou d'équipements publics, dans les conditions prévues à l'article L. 300-4-1 du code de l'urbanisme, ouvre droit au bénéfice du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée. »
« II. - La perte de recettes résultant pour l'Etat des dispositions du I est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Par amendement n° 4, le Gouvernement propose de supprimer ce article.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Je souhaite poursuivre plus avant la discussion que nous avons amorcée tout à l'heure avec M. le rapporteur et M. Fourcade.
Il est vrai que, si les collectivités financent des équipements publics sous la forme de participations financières versées à des aménageurs, elles ne peuvent pas bénéficier du FCTVA lors de l'intégration de ces biens dans leur patrimoine. Il faut distinguer deux cas de figure.
Dans la situation actuelle, c'est-à-dire avant l'adoption du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains, les subventions versées aux aménageurs sont des subventions d'équilibre destinées à financer le déficit global des opérations d'aménagement, c'est-à-dire la différence entre le prix de revient des terrains et des ouvrages de ces opérations et leur prix de vente.
Sur le plan économique, ces subventions s'analysent comme des compléments de prix ne pouvant pas ouvrir droit à une attribution du FCTVA puisque l'aménageur, à savoir la collectivité, bénéficie déjà sur ces opérations du droit fiscal à récupération de la TVA. Nous serions dans un cas de double récupération de la TVA, et je pense que nous sommes d'accord sur ce point. (M. le rapporteur fait un signe d'assentiment.)
J'en viens à la situation qui résultera de l'adoption du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains. Ce texte permet aux collectivités locales d'affecter leur participation financière à des équipements ouvrant droit à une attribution du FCTVA.
Le Gouvernement est tout à fait conscient de la nécessité de ne pas pénaliser les collectivités locales en fonction du mode de gestion qu'elles choisissent : elles peuvent en effet intervenir en régie ou faire appel à des opérateurs, dont les sociétés d'économie mixte. Le Gouvernement s'est engagé à rechercher les moyens d'assurer cet objectif de neutralité.
Néanmoins, la rédaction actuelle de l'article 2 rend les participations financières versées à l'aménageur directement éligibles au FCTVA et, en cela, elle me paraît remettre en cause profondément les principes fondamentaux qui régissent ce fonds et qui excluent de son assiette les dépenses n'étant pas directement des dépenses d'investissement de la collectivité, même si leur finalité ultime est celle-là.
J'ajouterai - c'est peut-être un argument de calendrier - que cet amendement anticipe sur le texte du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains que l'Assemblée nationale doit adopter définitivement de façon imminente.
C'est pourquoi, au bénéfice de l'engagement d'examiner ce sujet lors d'une prochaine lecture à l'Assemblée nationale ou au Sénat, je vous demande de supprimer cet article.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur le secrétaire d'Etat, soyons tout à fait clairs ! Un proverbe ancien dit qu'il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Je crains qu'il n'y ait pire aveugle que celui qui ne prend pas la peine de lire !
En effet, si vous aviez fait relire de manière précise la proposition de la commission des lois, vous vous seriez aperçu que sont visées non pas les subventions d'équilibre, mais bien les subventions accordées spécifiquement en ce qui concerne la réalisation d'équipements destinés à revenir dans le patrimoine public de la collectivité d'implantation.
A ce niveau-là, il ne peut pas y avoir double exonération de TVA ou double récupération de TVA. Sont en effet visés les équipements qui ne seront pas vendus et qui reviendront de plein droit dans le patrimoine de la collectivité territoriale.
Le seul moyen d'échapper à la difficulté serait que l'aménageur revende à la collectivité territoriale, pour son prix de revient, des installations qu'elle a déjà préfinancées. Cette fois-là, ce serait non pas une double récupération, mais un double paiement par la collectivité territoriale.
Vous nous dites, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'un texte est en préparation. Excusez-nous, mais l'une des raisons du dépôt de cette proposition de loi tient justement au fait que des textes en préparation faisant suite à des engagements variés de divers ministres ne sont jamais venus en discussion !
D'une certaine façon, la représentation nationale dispose là d'un moyen de faire pression sur le Gouvernement pour que soient enfin résolus un certain nombre de problèmes dont on nous dit depuis des années que la solution est à l'étude !
Très honnêtement, monsieur le secrétaire d'Etat, dans cette affaire, tant les objectifs de la commission des lois que la rédaction proposée sont clairs, et la conséquence financière n'est pas de nature à faire frémir Bercy : l'amendement est en effet, gagé, même s'il l'est dans les conditions habituelles des gages parlementaires. Il s'agit donc d'une proposition claire et neutre, et je ne comprends pas que le Gouvernement ne veuille pas nous écouter. Par conséquent, si le Gouvernement ne retire pas son amendement - et je doute qu'il le fasse - j'invite le Sénat à ne pas l'adopter.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

TITRE II

STATUT DES REPRÉSENTANTS ÉLUS
DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET
DE LEURS GROUPEMENTS AU SEIN DU CONSEIL
D'ADMINISTRATION OU DE SURVEILLANCE
DES SOCIÉTÉS D'ÉCONOMIE MIXTE LOCALES

Article 3



M. le président.
« Art. 3. - L'article L. 1524-5 du même code est ainsi modifié :
« 1° Le cinquième alinéa est ainsi rédigé :
« Les élus locaux agissant en tant que mandataires des collectivités territoriales ou de leurs groupements au sein du conseil d'administration ou du conseil de surveillance des sociétés d'économie mixte locales et exerçant, à l'exclusion de toute autre fonction dans la société, les fonctions de membre ou de président du conseil d'administration ou du conseil de surveillance d'une société d'économie mixte locale ne sont pas considérés comme entrepreneurs de services municipaux, départementaux ou régionaux au sens des articles L. 207, L. 231 et L. 343 du code électoral. »
« 2° Après le sixième alinéa sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« Ainsi qu'il est dit au deuxième alinéa de l'article 432-12 du code pénal, les élus locaux agissant en tant que mandataires des collectivités territoriales ou de leurs groupements au sein du conseil d'administration ou de surveillance des sociétés d'économie mixte locales ne peuvent, du seul fait des fonctions ainsi exercées, être poursuivis sur le fondement dudit article.
« Les représentants élus, exerçant en qualité de mandataires des collectivités territoriales ou de leurs groupements, les fonctions de président du conseil d'administration ou de président du conseil de surveillance d'une société d'économie mixte locale ne peuvent participer aux commissions d'appel d'offres de la collectivité territoriale ou du groupement lorsque la société d'économie mixte locale est candidate à l'attribution d'un marché public ou d'une délégation de service public dans les conditions prévues aux articles L. 1411-1 et suivants.
« Les représentants élus, exerçant en qualité de mandataires des collectivités territoriales ou de leurs groupements, les fonctions de président du conseil d'administration ou de président du conseil de surveillance d'une société d'économie mixte locale ne peuvent prendre part au vote des délibérations de la collectivité ou du groupement lorsque ces délibérations portent sur les relations entre la collectivité ou le groupement et la société d'économie mixte locale. »
« 3° Le début du sixième alinéa est ainsi rédigé :
« Ces représentants peuvent percevoir une rémunération ou des avantages particuliers à condition d'y être autorisés par une délibération expresse de l'assemblée qui les a désignés ; cette délibération fixe le montant maximum des rémunérations ou avantages susceptibles d'être perçus ainsi que la nature des fonctions qui les justifient. »
Je suis tout d'abord saisi de deux amendements, présentés par le Gouvernement.
L'amendement n° 5 est ainsi rédigé :
« I. - Supprimer le cinquième alinéa de cet article.
« II. - En conséquence, dans le quatrième alinéa (2°) de cet article, remplacer le mot : "trois" par le mot : "deux". »
L'amendement n° 6 vise, dans le sixième alinéa de l'article 3, à supprimer les mots : « d'un marché public ou ».
La parole est à M. le secrétaire d'Etat, pour défendre ces deux amendements.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. L'article 3 concerne la protection des élus mandataires des collectivités locales au conseil d'administration ou au conseil de surveillance des sociétés d'économie mixte locales contre les risques auxquels les expose leur double fonction d'élu et de dirigeant de sociétés, notamment au regard du délit d'octroi d'avantages injustifiés et de prise illégale d'intérêts ou au regard de la qualification d'entrepreneurs de services locaux, le risque étant l'inéligibilité.
Le Gouvernement partage bien sûr l'ensemble de ces préoccupations. C'est la raison pour laquelle il est favorable dans l'ensemble aux mesures proposées par l'article 3 de la proposition de loi, notamment celles qui mettent les élus à l'abri des conflits d'intérêts.
Il est cependant nécessaire d'apporter quelques modifications. Certaines sont d'ordre purement tehnique. A titre d'exemple, la proposition d'interdire au président d'une société d'économie mixte de participer aux commissions d'appels d'offres pour l'attribution des marchés publics auxquels la société est candidate relève, me semble-t-il, d'une disposition non pas législative mais réglementaire. Tout en étant favorable sur le fond à cette disposition, le Gouvernement propose son retrait du texte et son adoption, par exemple, à l'occasion de la modification par décret de la partie réglementaire du code des marchés publics.
M. Jean-Pierre Schosteck. Vous savez bien que cela ne se fera pas !
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Il s'agit d'une disposition de nature réglementaire ! On peut la laisser figurer dans ce texte, mais, encore une fois, le Gouvernement, avec son amendement, est animé d'un souci qui n'est pas contestable, et il ne veut en rien empiéter sur les compétences du Parlement.
D'autres mesures sont inspirées par le souci d'assurer un meilleur contrôle des assemblées délibérantes des collectivités locales sur leurs représentants au conseil d'administration ou au conseil de surveillance des sociétés d'économie mixte locales. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement propose de sanctionner les mandataires des collectivités locales qui perçoivent des rémunérations de la société d'économie mixte locale sans y avoir été autorisés par une délibération de leur collectivité. La sanction serait, là, la perte de la qualité de mandataire.
Enfin, une autre proposition, inspirée à la fois par des considérations techniques et par des motifs de fond, fait l'objet d'un autre amendement : elle concerne votre proposition d'interdire l'engagement de poursuites pénales à l'encontre des élus pour prise illégale d'intérêt du seul fait des fonctions de mandataire d'une collectivité auprès d'une société d'économie mixte locale.
Sur le plan juridique, cette disposition paraît au Gouvernement dénuée d'effet et n'assure aucune protection supplémentaire aux élus, puisque l'exercice des fonctions de mandataire n'est pas par lui-même constitutif de ce délit.
Sur le fond, cette proposition, qui n'ajoute rien au droit, court le risque d'être mal comprise par l'opinion publique.
Le Gouvernement vous proposera donc de supprimer cette disposition non seulement à l'article 3, qui inscrit cette mesure dans le code général des collectivités territoriales, mais également à l'article 4, qui la reprend dans le domaine pénal.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 5 et 6 ?
M. Paul Girod, rapporteur. La commission n'est pas favorable aux amendements n°s 5 et 6.
S'agissant de l'amendement n° 5, le Gouvernement évoque l'existence d'une jurisprudence rendant inutile le dispositif proposé par la commission des lois sur prise illégale d'intérêt. Je ferai néanmoins remarquer à M. le secrétaire d'Etat que la jurisprudence n'intervient qu'à la fin de la procédure et qu'elle n'impose pas du tout à un juge d'instruction le respect d'un certain nombre de précautions. Or, il faut savoir ce qu'est la mise en examen et même simplement la rumeur d'une possible mise en examen sur une personne physique ! Par conséquent, puisque la jurisprudence va effectivement dans le sens de la non-mise en cause de la responsabilité de mandataire d'une collectivité territoriale dans le cadre d'une société d'économie mixte, mieux vaut, à notre avis, le consacrer dans la loi.
M. Jean-Pierre Schosteck. La jurisprudence peut changer !
M. Paul Girod, rapporteur. Cela ne mange pas de pain, comme l'on dit, mais cela permet d'arrêter tout net un certain nombre d'évolutions qui pourraient être probablement désagréables pour un certain nombre de personnes.
M. Jean-Pierre Schosteck. Et la jurisprudence peut changer !
M. Paul Girod, rapporteur. Exactement !
En ce qui concerne l'amendement n° 6, je suis très étonné. La Constitution prévoit, me semble-t-il, que les collectivités locales s'administrent librement dans le cadre de la loi. Et ce n'est pas une modification réglementaire du code des marchés publics qui va aboutir à une disposition aussi grave que celle qui interdirait à un président de société d'économie mixte de participer à une commission d'appel d'offres ou à des délibérations concernant cette société d'économie mixte.
Par conséquent, la commission considère que, si l'on doit adapter - principe de précaution, principe de clarté, principe de neutralité de l'assemblée délibérante - les compositions des commissions d'appel d'offres dans un domaine aussi délicat que celui-là, le représentant d'une société privée, dont la collectivité est certes l'actionnaire principal étant exclu éventuellement de la délibération seulement par la voie réglementaire, nous ouvrons alors une brèche dans le principe de la libre administration des collectivités territoriales. Cela ne semble pas prudent à la commission des lois d'accepter une telle disposition.
La commission émet donc un avis défavorable tant sur l'amendement n° 5 que sur l'amendement n° 6.

(M. Jean Faure remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 7, le Gouvernement propose de rédiger ainsi les deux derniers alinéas de l'article 3 :
« 3° Le sixième alinéa est ainsi rédigé :
« Lorsque ces représentants souhaitent, pour l'exercice de ces fonctions, percevoir des rémunérations ou avantages particuliers, ils doivent, sous peine de perdre leur qualité de mandataire, y être autorisés par une délibération expresse de l'assemblée qui les a désignés ; cette délibération fixe le montant maximum des rémunérations ou avantages susceptibles d'être perçus ainsi que la nature des fonctions qui le justifient. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 14, présenté par M. Caldaguès, et tendant à ajouter in fine , dans le dernier alinéa de l'amendement n° 7, les mots : « La présente disposition ne vise pas les moyens de travail usuels. »
Par amendement n° 12, M. Rouvière propose de rédiger comme suit les deux derniers alinéas de l'article 3 :
« 3° Le sixième alinéa est ainsi rédigé :
« Ces représentants peuvent percevoir une rémunération à condition d'y être autorisés par une délibération de la collectivité qu'ils représentent ou/et des moyens particuliers à condition qu'ils soient décidés par une délibération du conseil d'administration ou du conseil de surveillance de la société d'économie mixte. »
L'amendement n° 7 a déjà été exposé par le Gouvernement.
La parole est à M. Caldaguès, pour présenter le sous-amendement n° 14.
M. Michel Caldaguès. Je suis tout à fait d'accord, comme vous tous, pour encadrer de toutes les précautions nécessaires les dispositions qui peuvent être prises au sein d'une société d'économie mixte en faveur d'un dirigeant représentant une collectivité locale. En effet, c'est évident, certains abus ont pu se produire et il faut prendre toutes les précautions utiles.
Cependant, je voudrais attirer l'attention du Sénat sur le fait que nous, parlementaires, nous passons notre temps - nous le faisons trop souvent, en tout cas - à voter des dispositions suffisamment vagues pour que leur interprétation extensive permette de passer le fil autour du cou des élus locaux, notamment des maires.
Nous le déplorons, et nous avons souvent eu l'occasion de protester contre cette dérive ; mais nous ne sommes pas suffisamment attentifs au risque que nous prenons nous-mêmes de favoriser cette tendance ! Or, quand je lis que le mandataire doit être autorisé par une délibération fixant « le montant maximum des rémunérations ou avantages susceptibles d'être perçus », je suis amené à poser la question suivante : qu'est-ce qu'un avantage ? Où finit un moyen de travail et où commence un avantage ? Je voudrais bien le savoir, et je voudrais que ce soit au législateur plutôt qu'à Dieu sait quelle jurisprudence - dont nous savons fort bien comment elle risque d'être interprétée - de resserrer cette définition.
Il est quand même normal qu'un dirigeant de société d'économie mixte dispose de moyens de travail ! C'est la moindre des choses ! Une gomme et un crayon constituent-ils un avantage ? J'affirme que non, et vous l'affirmez également, mes chers collègues, dans votre bon sens, mais ce n'est peut-être pas l'interprétation qui prévaut toujours.
M. le président. La parole est à M. Rouvière, pour défendre l'amendement n° 12.
M. André Rouvière. Je rejoins notre collègue M. Caldaguès, même si mon amendement est sans doute plus global en ce qui concerne la rémunération.
Je pense en effet qu'il appartient à la collectivité qui a désigné un représentant de fixer cette rémunération, dans le cadre des plafonds légaux.
Je considère moi aussi que le mot « avantages » a aujourd'hui une connotation peu favorable pour ceux qui ont besoin d'outils pour exercer leurs responsabilités. J'estime qu'il serait plus opportun, ne serait-ce que pour la résonance que cela peut avoir dans les médias et dans le public, de parler de « moyens » et non pas d'« avantages ».
Ces moyens, qui est le mieux placé pour les apprécier ? Je pense que c'est le conseil d'administration de la SEM ou le conseil de surveillance ! Il ne s'agit pas ici d'être contre la transparence : je pense que l'on peut être pour la transparence et pour la légalité, et que les informations nécessaires peuvent figurer dans le rapport que la SEM fournit à la collectivité.
En adoptant l'amendement n° 12, nous pouvons éviter les lourdeurs et les malentendus et donner aux responsables des SEM les moyens nécessaires à l'exercice de leur mandat.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 7, le sous-amendement n° 14 et l'amendement n° 12 ?
M. Paul Girod, rapporteur. Je commencerai par l'amendement n° 7, pour m'étonner auprès du Gouvernement de la rédaction qu'il nous propose.
« Lorsque ces représentants souhaitent » - ce sont donc eux qui ont l'initiative - « pour l'exercice de ces fonctions, percevoir des rémunérations ou avantages particuliers, ils doivent, sous peine de perdre leur qualité de mandataire, y être autorisés par une délibération expresse de l'assemblée qui les a désignés ; cette délibération fixe le montant maximum des rémunérations ou avantages susceptibles d'être perçus ainsi que la nature des fonctions qui le justifient. »
Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis mandataire d'une collectivité territoriale, je souhaite percevoir une rémunération. Si ma collectivité ne prend pas la délibération, je suis donc déchu de mon mandat de mandataire ! Votre texte offre ainsi au mandataire un moyen de chantage sur sa propre collectivité, ce qui me semble excessif.
Il m'appartiendra ensuite de savoir si je continue quand même à postuler pour être mandataire sans rémunération, et il appartiendra à la collectivité de confirmer ou d'infirmer la confiance qu'elle m'a faite, mais je ne vois pas en quoi le fait qu'un souhait émis par le mandataire ne soit pas suivi par sa collectivité doive entraîner pour le mandataire en question la déchéance de son poste de mandataire, d'autant plus que derrière ce mot de déchéance on voit bien toutes les conséquences juridiques que cela peut entraîner.
Par conséquent, au moins sur le plan de la rédaction, l'amendement du Gouvernement n'est pas acceptable en l'état.
En revanche, l'objection soulevée par notre collègue M. Caldaguès est une vraie objection. Effectivement, si l'avantage est constitué par la gomme et le crayon, cela n'a pas d'intérêt, mais il n'en est pas de même s'il s'agit d'un logement de fonction ou d'une voiture : un logement de fonction, ce n'est pas un moyen, mais un avantage.
M. Jean-Pierre Schosteck. Absolument !
M. Paul Girod, rapporteur. C'est la raison pour laquelle la substitution du mot « moyens » au mot « avantages », que suggère M. Rouvière, peut avoir des inconvénients.
Il est toutefois évident que l'on ne peut pas faire délibérer la collectivité de base sur la totalité de ce dont bénéficiera le mandataire ! Par exemple, sur le fait de savoir si le président d'une SEM comme celle qui gère toute la distribution d'eau de la région parisienne doit avoir une secrétaire ou non, il me semble qu'une délibération n'est pas nécessaire, car il s'agit de moyens courants. De ce point de vue, l'objection de M. Caldaguès est donc bienvenue.
Toutefois, le sous-amendement qu'il a défendu s'appliquant à l'amendement du Gouvernement et non à la rédaction proposée par la commission des lois - qui, je l'espère, va être finalement retenue - je propose de rectifier les conclusions de la commission des lois en y ajoutant que la délibération en question ne vise pas les moyens usuels de travail.
M. Jean-Pierre Schosteck. Très bien !
M. Paul Girod, rapporteur. J'en viens à l'amendement n° 12, défendu par M. Rouvière, auquel j'ai déjà répondu en partie : la substitution du mot « moyens » au mot « avantages » me semble fragiliser le dispositif proposé.
Par ailleurs, donner aux seuls conseils d'administration des sociétés d'économie mixte la responsabilité de se pencher sur lesdits « avantages » me semble excessif, dans la mesure où certains d'entre eux peuvent être très importants et éventuellement créer au sein même de la collectivité qui envoie un mandataire à la SEM des tensions majeures. Il appartient vraiment à la collectivité de savoir pourquoi elle mandate quelqu'un et de définir les limites qu'elle donne aux rémunérations ou aux avantages accessoires !
C'est la raison pour laquelle la commission souhaite que M. Rouvière accepte de retirer son amendement.
Je résume donc la position de la commission : elle est défavorable à l'amendement n° 7, pour des raisons à la fois de rédaction et d'excessive rigueur ; elle souhaite le retrait de l'amendement n° 12, et elle est prête à prendre en compte le sous-amendement n° 14 en rectifiant le texte de ses conclusions.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 14 et sur l'amendement n° 12 ? M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. La position du Gouvernement, que je maintiens, est guidée par deux soucis.
Le premier est celui de la libre administration des collectivités locales, qui, encore une fois, quand elles sont représentées au sein d'une SEM, ne perdent pas pour autant leur compétence pour délibérer sur des sujets qui ne sont pas mineurs.
Le second est celui de la transparence : s'agissant de rémunérations ou d'avantages perçus par des mandataires des collectivités locales dans les sociétés d'économie mixte, celle-ci me paraît devoir s'appliquer non pas avec rigueur mais dans le sens d'une bonne lisibilité.
S'agissant des moyens de travail, le Gouvernement pourrait être tenté, pour des raisons pratiques, d'accepter l'amendement n° 12. Il ne le fera cependant pas, considérant qu'il est particulièrement difficile de définir la frontière entre moyens de travail et avantages.
Je demeure donc attaché aux principes de base que je viens de rappeler.
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 14.
M. Michel Caldaguès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Je remercie M. le rapporteur d'accepter de reprendre à son compte mon sous-amendement. Mais je considère que l'amendement n° 12 de M. Rouvière contient une notion qui mérite elle aussi d'être retenue, d'autant plus qu'elle me semble réduire à néant l'argumentation du Gouvernement.
En effet, le conseil d'administration est lui aussi qualifié pour vérifier que les moyens mis à disposition ne sont pas des avantages. De plus, ne l'oublions pas, on ne peut pas bénéficier d'avantages sans autorisation du conseil d'administration, sauf à considérer qu'il s'agit d'un abus de biens sociaux !
La notion introduite par M. Rouvière a le mérite de rappeler cette vérité évidente, et je pense que le devoir qu'a le conseil d'administration de veiller à ce qu'il n'y ait pas d'abus de biens sociaux est une garantie suffisante, de même que l'appréciation qu'il fera des moyens qui sont nécessaires pour travailler.
C'est pourquoi je considère que l'argumentation du Gouvernement n'est nullement convaincante.
Par les temps qui courent, il faut toujours s'avancer vêtu de lin blanc et de probité candide : je puis vous indiquer, monsieur le secrétaire d'Etat, que je suis président d'une société d'économie mixte mais que je n'ai jamais perçu à ce titre le moindre avantage et que je ne compte pas en demander. Je crois même que je n'ai ni gomme ni crayon ! (Sourires.)
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Je confirme que la commission est favorable au sous-amendement n° 14, mais qu'elle demeure défavorable à l'amendement n° 7.
Voilà pourquoi j'ai proposé de reprendre dans les conclusions de la commission le dispositif du sous-amendement n° 14.
M. Michel Caldaguès. Dans ces conditions, je retire le sous-amendement n° 14, monsieur le président, en remerciant M. le rapporteur.
M. le président. Le sous-amendement n° 14 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7, repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 12.
M. André Rouvière. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Rouvière.
M. André Rouvière. Permettez-moi de revenir sur la distinction entre avantages et moyens, car elle me paraît de plus en plus importante pour l'opinion publique.
Ce qui peut être accordé, on en a besoin ou non ! Si l'on n'en a pas besoin, je comprends que cela puisse être considéré comme un avantage ; mais si l'on en a besoin, ce n'est plus un avantage, c'est un moyen ! Or je pense que nous sommes tous d'accord pour bénéficier de moyens, mais pas d'avantages. Par les temps qui courent, il me semble nécessaire de clarifier la situation !
En tant que président d'une SEM, si l'on m'accorde des avantages, je suis gêné ; mais si l'on me donne des moyens et si, bien sûr, ils sont justifiés, je suis d'accord.
Voilà pourquoi je demande à M. le rapporteur de réfléchir un instant à cette distinction qui ne me paraît pas inutile aujourd'hui.
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur Rouvière, ce que j'ai proposé, c'est reprenant le sous-amendement de M. Caldaguès, d'ajouter in fine au texte présenté pour le sixième alinéa de l'article L. 1524-5 du code général des collectivités territoriales la phrase suivante : « La présente disposition ne vise pas les moyens de travail usuels. » On pourrait même, à la limite, supprimer le mot « usuels ».
M. Michel Caldaguès. Ainsi, M. Rouvière est satisfait !
M. Paul Girod, rapporteur. Je signale au passage que, de toute façon, la délibération de la commune ne fixe que le maximum possible et que c'est le conseil d'administration de la SEM qui fixe le montant exact.
M. le président. L'amendement n° 12 est-il maintenu, monsieur Rouvière ?
M. André Rouvière. Nous progressons vers un consensus, monsieur le président. Mais ne pourrait-on, monsieur le rapporteur, préciser qui arrête les moyens ? Cela permettrait de clarifier les choses.
M. Paul Girod, rapporteur. C'est le conseil d'administration, évidemment !
M. André Rouvière. Cet « évidemment » ne pourrait-il pas trouver sa traduction concrète dans le texte ? Il ne faudrait pas, en effet, que nous soyons accusés de disposer de moyens qui n'auraient été arrêtés par personne.
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur le président, parce qu'il faut que nous avancions, que nous ayons un texte que nous pourrons éventuellement affiner ensuite, je reprends le sous-amendement de M. Caldaguès, précisé ainsi que le souhaite M. Rouvière, au compte de la commission des lois et rectifie en conséquence ses conclusions en proposant pour le sixième alinéa de l'article L. 1524-5 du code général des collectivités territoriales la rédaction suivante :
« Ces représentants peuvent percevoir une rémunération ou des avantages particuliers à condition d'y être autorisés par une délibération expresse de l'assemblée qui les a désignés ; cette délibération fixe le montant maximum des rémunérations ou avantages susceptibles d'être perçus ainsi que la nature des fonctions qui les justifient. La présente disposition ne vise pas les moyens de travail définis par le conseil d'administration de la SEM. »
Voilà une proposition à laquelle, me semble-t-il, tout le monde pourra se rallier !
M. le président. Monsieur le rapporteur, je prends acte de la rectification de l'article 3.
M. André Rouvière. Dans ces conditions, je retire l'amendement n° 12.
M. le président. L'amendement n° 12 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'article 3 rectifié ?
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Pour en revenir à ce qui est fondamental, je rappelle, d'abord, que la première partie de l'article marque un réel progrès dans la transparence de l'allocation de rémunération aux membres des conseils d'administration des sociétés d'économie mixte locales, progrès dont nous ne pouvons, les uns et les autres, que nous réjouir.
S'agissant de la deuxième partie de l'article, qui vient d'être rectifiée, il paraît difficile au Gouvernement qu'on puisse déterminer ce que sont les moyens de fonctionnement ou les outils de travail usuels.
Mais, encore une fois, dans le souci de faire avancer le débat, et dans l'attente des précisions que permettront sans doute d'apporter les lectures ultérieures, je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3 rectifié.

(L'article 3 est adopté.)

Article 4



M. le président.
« Art. 4. - L'article 432-12 du code pénal est ainsi modifié :
« 1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, les élus locaux agissant en tant que mandataires des collectivités territoriales ou de leurs groupements au sein du conseil d'administration ou de surveillance des sociétés d'économie mixte locales ne peuvent, du seul fait des fonctions ainsi exercées, être poursuivis sur le fondement du présent article. »
« 2° Au début du deuxième alinéa, le mot : "Toutefois," est supprimé. »
Par amendement n° 8, le Gouvernement propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Cet amendement a les mêmes raisons d'être que les amendements que j'ai présentés à l'article 3.
Nous proposons, là, de supprimer l'article 4, qui concerne non plus le code général des collectivités territoriales mais le code pénal, et qui vise à interdire toute poursuite à l'encontre des élus sur le seul fondement de l'article 432-12 du code pénal.
Cette disposition n'ajoute rien au droit actuel puisque le seul fait d'être mandataire d'une collectivité au conseil d'administration ou de surveillance d'une société d'économie mixte locale n'est pas en soi constitutif du délit de prise illégale d'intérêt.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Girod, rapporteur. La commission, qui était défavorable à l'amendement n° 6, ne peut qu'être défavorable à l'amendement n° 8, car ce sont deux dispositions parallèles.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 8, repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)

TITRE III

ATTRIBUTION
DES DÉLÉGATIONS DE SERVICES PUBLIC

Article 5



M. le président.
« Art. 5. - Après le deuxième alinéa de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cas d'une société en cours de constitution ou nouvellement créée en vue de gérer le service public objet de la délégation, les garanties professionnelles et financières sont appréciées dans la personne des associés et au vu des qualification professionnelles réunies au sein de la société. »
Par amendement n° 9, le Gouvernement propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Il s'agit encore d'un amendement de suppression, et croyez que je le regrette profondément, monsieur le président.
L'article 5 institue un régime dérogatoire au code général des collectivités territoriales, qui définit les conditions auxquelles doivent répondre les entreprises pour prétendre à l'attribution d'une délégation de service public.
Ce régime dérogatoire est institué en faveur des sociétés en création ou des sociétés spécialement créées en vue de gérer le service objet de la délégation.
L'objet de l'article - je le rappelle brièvement - est de permettre la recherche de la meilleure offre possible pour satisfaire les besoins de l'usager au moindre coût.
En faisant de la personne des associés l'un des critères de qualification retenus pour l'examen de la candidature de certaines sociétés, l'article renforce et légitime la possibilité d'un choix intuitu personae du délégataire qui est contraire aux principes mêmes de la mise en concurrence.
En opérant une distinction entre les sociétés nouvellement créées et les autres, il me paraît aller, en outre, à l'encontre du principe d'égalité d'accès des candidats aux délégations de service public posé par la loi Sapin. Or, je rappelle que la rupture de l'égalité de traitement entre les différentes catégories de société a été censurée par le Conseil constitutionnel dans une décision de janvier 1993.
Si le Gouvernement propose de supprimer cet article, c'est bien parce qu'il s'exposerait au même risque d'inconstitutionnalité.
Mais, au-delà de ce risque, le Gouvernement n'est pas favorable, dans ce domaine comme dans d'autres, à la remise en cause des principes de transparence et de mise en concurrence qui ont été voulus par le législateur lors de l'adoption de la loi Sapin.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur le président, M. le secrétaire d'Etat regrette. Moi aussi ! En effet, la décision de 1993 visait l'exception accordée à des sociétés du fait de leur statut juridique et non pas du tout du fait de leur nature profonde.
Dans cette affaire, de quoi s'agit-il ? De permettre que, dès l'instant où une délégation de service public est offerte au marché d'appel d'offres, une société nouvellement créée puisse au moins se présenter - cela ne veut pas dire qu'elle sera attributaire - si elle réunit en son sein les compétences suffisantes pour pouvoir le faire.
Il est bien évident qu'une société qui vient de se créer - ce peut être une SEM mais aussi toute autre société - ne peut pas présenter les références d'usage antérieures sur la même mission, puisqu'elle vient d'être créée à cet effet. En revanche, ceux qui sont dans la société ont, eux, l'expérience antérieure et peuvent en faire état dans le dossier de présentation. Cela ne va pas plus loin.
Je ne suis pas du tout sûr, monsieur le secrétaire d'Etat, que cela puisse être censuré par le Conseil constitutionnel. En tout cas, la question vaut la peine d'être examinée de près, car c'est une entrave non pas uniquement pour les SEM mais aussi pour beaucoup d'autres sociétés et, à mon avis, cela va à l'encontre du principe de libre entreprise. D'ou l'importance du vote que nous allons émettre.
Encore une fois, les SEM ne seraient pas les seules visées et, de ce point de vue, l'exception d'irrecevabilité constitutionnelle, qui est sous-jacente dans vos propos, ne me semble pas pouvoir être invoquée.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 9.
M. Christian Bonnet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. M. le secrétaire d'Etat a évoqué la décision de 1993 du Conseil constitutionnel. Il y a peut-être un aspect constitutionnel ; il y a, en tout cas, un aspect médiatique. Voter une disposition qui tend à interdire des poursuites à l'encontre des élus pour prise illégale d'intérêt peut donner matière à des articles... que je serais capable d'écrire !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 9, repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 5.

(L'article 5 est adopté.)

TITRE IV

OBLIGATIONS DE COMMUNICATION
ET DE TRANSPARENCE
DES SOCIÉTÉS D'ÉCONOMIE MIXTE LOCALES

Article 6



M. le président.
« Art. 6. - I. - L'article L. 1523-2 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1523-2. - Les rapports entre les collectivités territoriales, leurs groupements ou une autre personne publique, d'une part, et les sociétés d'économie mixte locales exerçant une activité d'aménagement conformément à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, d'autre part, sont définis par une convention publique d'aménagement visée à l'article L. 300-4 du code de l'urbanisme qui prévoit, à peine de nullité :
« 1° L'objet du contrat, sa durée et les conditions dans lesquelles il peut éventuellement être prorogé ou renouvelé ;
« 2° Les conditions de rachat, de résiliation ou de déchéance par la collectivité, le groupement ou la personne publique contractant ainsi que, éventuellement, les conditions et les modalités d'indemnisation de la société ;
« 3° Les obligations de chacune des parties et notamment le montant de la participation financière de la collectivité territoriale ou du groupement dans les conditions prévues à l'article L. 300-4-1 du code de l'urbanisme, ainsi que les modalités du contrôle technique, financier et comptable exercé par la collectivité ou le groupement dans les conditions prévues au même article ;
« 4° Les modalités de rémunération de la société ou de calcul du coût de son intervention : lorsque la rémunération ou le coût de l'intervention est à la charge de la collectivité, du groupement ou de la personne publique, son montant est librement négocié entre les parties ;
« 5° Les pénalités applicables en cas de défaillance de la société ou de mauvaise exécution du contrat. »
« II. - L'article L. 1523-3 du même code est abrogé. » - (Adopté.)

Article additionnel après l'article 6



M. le président.
Par amendement n° 10, le Gouvernement propose d'insérer, après l'article 6, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 1524-1 du même code est modifié comme suit :
« I. - Dans le second alinéa, les mots : "aux articles L. 1523-2 à L. 1523-5" sont remplacés par les mots : "à l'article L. 1523-2".
« II. - Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« A peine de nullité, l'accord du représentant d'une collectivité territoriale ou d'un groupement sur la modification des statuts d'une société d'économie mixte locale ne peut intervenir sans une délibération préalable de son assemblée délibérante. Le projet de modification des statuts est annexé à la délibération transmise au représentant de l'Etat et soumise au contrôle de légalité dans les conditions prévues aux articles L. 2131-2, L. 3131-2, L. 4141-2, L. 5211-3, L. 5421-2 et L. 5721-4. »
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. La loi de juillet 1983 a fixé les missions des SEM par référence aux compétences des collectivités locales, ce qui est logique. Elle a également organisé les conditions dans lesquelles s'exerce le contrôle des collectivités locales. La création d'une SEM locale, et notamment la définition de son objet social, c'est-à-dire de ses activités, est donc une décision qui relève des assemblées délibérantes.
Or, la loi de juillet 1966, à laquelle sont soumises les sociétés d'économie mixte locales, donne compétence à l'assemblée générale des actionnaires pour modifier l'objet social de la société, sans que la loi de 1983 ait prévu de dérogation sur ce point en ce qui concerne les SEM locales. De sorte que, si au moment de leur création les activités des SEM locales sont définies par l'assemblée délibérante des collectivités actionnaires, la modification ultérieure de ces activités échappe au contrôle des collectivités.
Dans un souci, encore une fois, de totale visibilité pour les collectivités locales et de cohérence avec les principes adoptés par le Parlement en 1983, le Gouvernement propose, par cet amendement, de soumettre la modification de l'objet social des SEM locales à une approbation préalable des assemblées délibérantes des collectivités locales.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Girod, rapporteur. Nous comprenons bien le souci du Gouvernement : assurer une transparence complète en cas de modification des statuts. Mais cela engendre une certaine lourdeur. Des SEM comptant plus de cinquante collectivités locales participantes, cela implique cinquante délibérations.
Je voudrais savoir quelle interprétation le Gouvernement donne de son propre dispositif. Vous nous dites, monsieur le secrétaire d'Etat : l'accord du représentant d'une collectivité locale - s'agit-il du conseil d'administration, ou du conseil de surveillance ? - ne peut intervenir sans une délibération préalable de son assemblée. Mais vous ne précisez pas si la délibération doit être conforme ou pas. Il faut que l'assemblée ait délibéré, pour ou contre. Cela vous semble logique. A moi pas. C'est le premier aspect des choses.
Second aspect des choses : si la collectivité est contre la modification du statut et que le représentant est totalement minoritaire au sein du conseil d'administration, que se passe-t-il ? Les statuts seraient quand même modifiés ? Dans sa rédaction actuelle, l'amendement n'apporte pas de réponse claire à cette question.
Cela étant, la commission, qui a examiné l'amendement ce matin, a décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 10, pour lequel la commission s'en remet à la sagese du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 6.

Article 7



M. le président.
« Art. 7. - L'article L. 1411-3 du même code est complété par un second alinéa ainsi rédigé :
« Dès la communication de ce rapport, son examen est mis à l'ordre du jour de la plus prochaine réunion de l'assemblée délibérante qui en prend acte. » - (Adopté.)

TITRE V

COMPOSITION DU CAPITAL
DES SOCIÉTÉS D'ÉCONOMIE MIXTE LOCALES

Article 8



M. le président.
« Art. 8. - L'article L. 1522-1 du même code est ainsi modifié :
« 1° Le début du quatrième alinéa (2°) est ainsi rédigé :
« Les collectivités territoriales et leurs groupements détiennent,... (Le reste sans changement.) »
« 2° Dans le cinquième alinéa, les mots : "des Etats limitrophes" sont remplacés par le mot : "étrangères". » - (Adopté.)

Article additionnel après l'article 8



M. le président.
Par amendement n° 11, le Gouvernement propose d'insérer, après l'article 8, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 1522-2 du même code est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« A compter du 1er juillet 2001, cette participation minimale ne pourra comprendre des actions détenues par des organismes, quel que soit leur statut juridique, dans lesquels les collectivités territoriales et leurs groupements détiennent séparément ou ensemble plus de la moitié du capital ou des voix dans les organes délibérants.
« Les sociétés d'économie mixte locales constituées antérieurement au 1er juillet 2001 devront se conformer aux dispositions des deux alinéas précédents dès la première modification apportée soit à la composition de leur capital social soit à leurs statuts. »
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Les dispositions actuelles du code général des collectivités territoriales prévoient que la part du capital détenue par les actionnaires autres que les collectivités territoriales ou leurs groupements ne peut être inférieure à 20 %. Dans la pratique, il arrive que ces 20 % soient détenus par des organismes formés par les collectivités territoriales - associations, sociétés d'économie mixte locales - ou par des structures financées majoritairement par des fonds publics.
Il en résulte un contournement des principes de l'économie mixte, qui associe, par nature, des capitaux publics et privés, dans des proportions définies par le législateur et que nous avons rappelées, les uns et les autres, tout à l'heure. Afin de limiter ces possibilités de contournement du principe de la mixité des capitaux, il est souhaitable que les organismes dans lesquels les collectivités locales et leurs groupements disposent de la majorité ou du capital ou des voix dans les organismes délibérants soient exclus de la comptabilisation de cette fraction minoritaire de 20 % du capital.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Girod, rapporteur. Cet amendement pose en réalité, à travers une disposition apparemment simple et claire, le véritable problème du plafonnement de la participation des collectivités locales dans les sociétés d'économie mixte locales.
Je relève par ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, que, s'il s'agit d'une cascade de SEM, 20 % du capital peuvent ne donner qu'une idée déformée de la réalité. C'est également très complexe en ce qui concerne les associations.
Le vrai débat sur l'ampleur de la participation des collectivités territoriales mérite sûrement d'être ouvert, mais pas au détour de cette disposition. Voilà pourquoi la commission des lois souhaiterait que le Gouvernement renonce à cet amendement. Sinon, elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. L'amendement n° 11 est-il maintenu ?
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Le Gouvernement ne renonce jamais !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 11 repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)

TITRE VI

RETOUR DES BIENS À LA COLLECTIVITÉ
EN CAS DE LIQUIDATION JUDICIAIRE

Article 9



M. le président.
« Art. 9. - L'article L. 1523-4 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1523-4. - En cas de mise en liquidation judiciaire de la société, les conventions passées sur le fondement de l'article L. 300-4 du code de l'urbanisme ou les contrats de concession passés dans le cadre d'une délégation de service public sont automatiquement résiliés et il est fait retour gratuit à la collectivité territoriale ou au groupement des biens apportés par ces derniers et inclus dans le domaine de la convention ou de la concession.
« A peine de nullité, la convention ou le traité de concession comprend une clause prévoyant, pour le cas visé à l'alinéa précédent, les conditions d'indemnisation, par la collectivité territoriale ou le groupement, de la partie non amortie des biens acquis ou réalisés par la société et affectés au patrimoine de l'opération ou du service, sur lesquels ils exercent leur droit de reprise. Le montant de l'indemnité en résultant est versé à la société, déduction faite, le cas échéant, des participations financières de la collectivité territoriale ou du groupement pour la partie non utilisée de celles-ci et des paiements correspondant à l'exécution d'une garantie accordée pour le financement de l'opération. » - (Adopté.)

Division et article additionnels après l'article 9

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, présentés par M. Descours.
L'amendement n° 1 vise, après l'article 9, à ajouter une division additionnelle ainsi rédigée : « Titre VII. - Dispositions diverses ».
L'amendement n° 2 tend, après l'article 9, à ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 1523-4 du code général des collectivités territoriales est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. .... - Un Conseil supérieur de l'économie mixte siège auprès du ministre chargé des collectivités territoriales. Il est appelé par le ministre à donner son avis sur toute question concernant l'économie mixte locale et notamment sur les projets de textes législatifs ou réglementaires relatifs aux conditions d'exercice par les sociétés d'économie mixte de leurs activités.
« Le Conseil supérieur de l'économie mixte évalue chaque année par des études qualitatives et quantitatives la contribution de l'ensemble des sociétés d'économie mixte locales aux objectifs des politiques publiques locales.
« Sa composition et ses règles de fonctionnement sont fixées par décret. »
La logique nous conduit à examiner d'abord l'amendement n° 2.
La parole est à M. Descours pour le défendre.
M. Charles Descours. En tant qu'ancien président de la fédération des sociétés d'économie mixte, je reviens sur une demande que nous adressons depuis huit à neuf ans aux gouvernements successifs. Chacun d'entre eux a promis de prendre la décision dans les six mois, mais aucun n'a tenu sa promesse.
Je serais donc très heureux si le Sénat puis l'Assemblée nationale acceptaient de créer ce conseil supérieur des sociétés d'économie mixte auprès du ministre chargé des collectivités locales.
C'était notre souhait. Mais la commission des lois ne nous a pas suivis. Je m'en remettrai donc à ce que suggérera M. le rapporteur.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Girod, rapporteur. La commission souhaite entendre le Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur, le Gouvernement était tout à fait en phase avec votre intervention introductive à ce débat : non seulement la multiplication des instances consultatives n'est pas toujours garante du bon avancement du débat sur un certain nombre de sujets, mais la création de tels organismes à un coût qui n'est pas négligeable. En outre, cela ne nous paraît pas relever des plus urgentes priorités de la nation.
Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement.
M. le président. Quel est désormais l'avis de la commission ?
M. Paul Girod, rapporteur. En tant que rapporteur, je me soumets aux décisions de la commission, qui, ce matin, a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Cela me déchire, en tant que signataire de la proposition d'origine et défenseur du premier rapport devant la commission des lois, parce que j'étais plutôt favorable à la mise en place d'un conseil supérieur des sociétés d'économie mixte. Seul un tel organisme permettrait de réaliser des comparaisons avec ce qui se passe à l'étranger, en général, au sein de la Communauté européenne plus particulièrement, puisque, un jour ou l'autre, il faudra bien harmoniser le statut des entreprises locales.
M. le président. Monsieur Descours, l'amendement n° 2 est-il maintenu ?
M. Charles Descours. M. le rapporteur ne me l'a pas suggéré, mais, puisque M. le président me pose la question, je retire l'amendement.
Cette disposition ne répond pas à une priorité de la nation, monsieur le secrétaire d'Etat. Je le comprends d'autant mieux que, très récemment, je me suis, moi aussi, opposé à l'instauration de structures de ce type.
J'aimerais que le Gouvernement fasse preuve de la même rigueur au regard de la loi de financement de la sécurité sociale. Il nous propose en effet à cette occasion la création d'une vingtaine de fonds !
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est bien vrai !
M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.
En conséquence, l'amendement n° 1 n'a plus d'objet.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, modifiées, les conclusions rectifiées du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi n° 455 (1999-2000).

(Ces conclusions sont adoptées.)
M. le président. Je constate que le vote est intervenu à l'unanimité.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Guy Allouche.)

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

7

CONDITIONS DE DÉTENTION
DANS LES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES

Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 27 de M. Jean-Jacques Hyest à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la suite des conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, suivante :
M. Jean-Jacques Hyest rappelle à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, les conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, dont le rapport a été déposé le 29 juin dernier.
De son côté, la commission présidée par M. Canivet a également préconisé certaines réformes concernant le fonctionnement des établissements pénitentiaires.
Un mouvement important du personnel pénitentiaire a amené le Gouvernement à promettre des mesures pour améliorer la situation de ces personnels.
Compte tenu de l'urgence des mesures à prendre, la commission d'enquête a privilégié des propositions concrètes susceptibles d'être mises en oeuvre rapidement.
Un débat sur la politique pénitentiaire serait très utile, mais un certain nombre de mesures concernant les conditions de détention ne sont pas de nature législative, le plus urgent étant l'amélioration des conditions de détention et le renforcement des contrôles, ainsi que la remotivation des personnels.
C'est pourquoi M. Jean-Jacques Hyest demande à Mme le garde des sceaux de préciser les intentions du Gouvernement sur ce sujet brûlant.
La parole est à M. Hyest, auteur de la question.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le 5 juillet dernier, la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires rendait publiques ses conclusions, après une soixantaine d'auditions et trente déplacements dans les établissements pénitentiaires.
Comme vous le savez, mes chers collègues, cette commission d'enquête a été conduite à parler d'« humiliation pour la République » - depuis, on a fait mieux à l'Assemblée nationale ! - en ce qui concerne les centres de rétention.
Elle a découvert, pendant ses travaux, des maisons d'arrêt surpeuplées accueillant des personnes qui, parfois, n'ont rien à y faire. Elle a constaté une évolution inquiétante de la population carcérale : de plus en plus de mineurs, de plus en plus de vieillards, de plus en plus de malades, notamment des personnes atteintes de maladie mentale ou de troubles graves du comportement. A la prison républicaine s'est substitué un système confus dans lequel la prison-asile le dispute à la prison-hospice et à la prison-hôpital.
Elle a encore constaté que les droits de l'homme n'étaient pas pleinement respectés dans nos prisons et que les présumés innocents étaient détenus dans des conditions beaucoup plus rigoureuses que les condamnés.
Elle a aussi découvert que la multiplication des règlements et des circulaires n'aboutissait qu'au développement de ce qu'il faut bien appeler un certain arbitraire carcéral. Tel comportement toléré ici sera sévèrement sanctionné ailleurs...
La prison reproduit, par ailleurs, les inégalités sociales qui existent à l'extérieur. Le système baroque de la cantine et celui de la location des téléviseurs permettent aux plus favorisés des conditions de détention acceptables, mais condamnent les indigents aux tâches obscures et sous-rémunérées du service général quand ils peuvent travailler et, dans le meilleur des cas, au travail répétitif en atelier, voire en cellule.
Elle a enfin constaté l'inefficacité des contrôles exercés sur les établissements pénitentiaires. En théorie, toute une série de contrôles sont prévus, par les inspections, par les magistrats et par les commissions de surveillance. Mais les inspecteurs inspectent peu. Ce n'est pas leur faute : ils ne sont que quatre et deux doivent être présents en permanence à la chancellerie ; cela ne fait pas beaucoup. Les commissions de surveillance ne surveillent guère. Les magistrats du parquet répugnent le plus souvent à se rendre dans les prisons, et ceux qui y envoient les prévenus n'y mettent que rarement les pieds.
Au sein de cet univers carcéral, la commission d'enquête a pu aller à la rencontre d'un personnel pénitentiaire qui assure, avec abnégation et courage, le fonctionnement d'un service public indispensable, mais si difficile à gérer. Les personnes que nous avons vues sont souvent déboussolées, inquiètes, et cela d'autant plus qu'il leur est très difficile d'accomplir les tâches demandées, en raison notamment - je l'ai dit et vous le savez, madame le garde des sceaux - de l'augmentation dans les prisons du nombre de malades mentaux dont elles ne peuvent assurer la surveillance dans les meilleures conditions.
Vous l'avez compris, la commission d'enquête du Sénat a estimé qu'il fallait agir vite. Elle s'est voulue à la fois réaliste et ambitieuse. Elle a donc proposé une trentaine de mesures d'urgence pouvant, pour la plupart, être mises en oeuvre dans des délais très brefs. Afin de lancer le processus, nous avons demandé l'organisation d'un débat d'orientation devant le Parlement.
La commission d'enquête sénatoriale a rendu ses travaux, comme celle de l'Assemblée nationale. Le Gouvernement a pu en prendre connaissance et arrêter une stratégie. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Le débat d'orientation que nous avions demandé n'a pas été organisé mais, après tout, c'est le Gouvernement qui dispose ! Cela m'a conduit, pour avancer sur le sujet, à déposer cette question orale avec débat, en accord notamment avec M. le rapporteur de la commission d'enquête. Je regrette que l'initiative ne soit pas venue du Gouvernement - nous ne vous le reprochons pas, madame le garde des sceaux, car vous venez de prendre vos fonctions -, dont nous attendions qu'il apporte aux parlementaires des réponses après les travaux des commissions d'enquête.
Si le débat d'orientation n'a pas eu lieu, le Premier ministre a, en revanche, fait des annonces spectaculaires le 8 novembre dernier.
Il a tout d'abord annoncé que 10 milliards de francs sur six ans seraient consacrés à un plan de rénovation des établissements pénitentiaires, cette somme devant bien sûr s'ajouter à toutes celles qui ont déjà été annoncées pour le programme 4 000 et la rénovation des cinq premières grandes maisons d'arrêt.
Le Premier ministre a également annoncé l'élaboration d'une grande loi pénitentiaire, le dépôt d'un projet de loi devant intervenir au premier semestre 2001.
Si j'ai posé cette question orale avec débat, si je suis à cette tribune aujourd'hui, c'est pour vous dire, mes chers collègues, que les mesures gouvernementales, pour importantes qu'elles soient, ne répondent pas - ou pas complètement - aux attentes de la commission d'enquête du Sénat.
Plus les projets sont grandioses, spectaculaires, plus ils ont de chance de s'enliser et, finalement, de n'aboutir à rien.
Evoquons tout d'abord cette grande loi pénitentiaire annoncée par le Gouvernement.
Son élaboration sera très utile, tant les textes qui régissent l'administration pénitentiaire sont épars et enchevêtrés. Mais il faudra très longtemps avant qu'une telle loi ne voie le jour. Vous nous annoncez, madame le garde des sceaux, la discussion d'un texte à l'automne 2001 ; vous savez bien que l'automne est la période d'examen du budget et qu'il sera difficile de faire examiner un texte aussi lourd par les deux assemblées. Vous savez également que les échéances électorales au début de l'année 2002 interrompront les travaux du Parlement. Dans ces conditions, je suis convaincu qu'une grande loi pénitentiaire ne pourra pas être adoptée définitivement avant la fin de l'année 2002.
Le plan de rénovation à long terme est indispensable, et notre commission d'enquête l'a demandé. Mais, là encore, il faudra des années pour que les premiers effets se fassent sentir. J'en veux pour preuve, madame le garde des sceaux, le taux de consommation particulièrement faible des crédits inscrits par le Gouvernement au budget de l'administration pénitentiaire au cours de l'exercice précédent pour des constructions ou des rénovations d'établissements.
Ainsi, dans le rapport établi par la commission des finances du Sénat sur le budget de 2001, on peut lire que, pour le programme spécifique, sur 754 millions de francs de crédits de paiement, une partie sont des reports de l'année précédente, 43,4 millions de francs seulement avaient été consommés au 2 novembre. De même, en ce qui concerne le programme qui touche toutes les rénovations, les travaux effectués dans les établissements pénitentiaires, sur 443,9 millions de francs, seuls 199 millions de francs avaient été consommés au 2 novembre.
Dans ces conditions, les mesures annoncées par le Gouvernement ne se traduiront dans les faits que dans plusieurs années sauf si intervient un changement complet de gestion des crédits de l'administration pénitentiaire en matière de construction.
Un certain nombre d'entre nous le disent depuis de nombreuses années : si l'on veut gérer, si l'on veut vraiment améliorer et rénover, comme nous semblons tous le vouloir, il faut complètement changer de rythme pour permettre une meilleure consommation des crédits et un engagement plus rapide des programmes, à la fois, de rénovation et de construction.
Pouvons-nous attendre sans rien faire ? Pouvons-nous laisser les choses en l'état dans l'attente de cette grande loi pénitentiaire de la rénovation globale des établissements ? Je suis convaincu que non, car tant les personnels que les détenus attendent des réformes significatives et immédiates.
Madame la ministre, la commission d'enquête du Sénat a voulu être concrète. Elle a proposé des mesures peu spectaculaires, mais qui peuvent être mises en oeuvre tout de suite. Je vous en cite quelques-unes : la création d'un minimum carcéral pour les indigents, l'harmonisation à la baisse des tarifs de la cantine, la réduction à vingt jours de la durée maximale de placement en quartier disciplinaire, la suppression du prélèvement sur le produit du travail des détenus destiné à les faire participer à leurs frais d'entretien. Bien entendu, je ne parle pas de l'indemnisation des victimes, prélèvement que je crois indispensable de maintenir.
Je peux encore citer le doublement du nombre de lits en unités pour malades difficiles ou l'expérimentation de la transformation d'établissements pénitentiaires en établissements publics administratifs dotés d'un conseil d'administration.
Nous avons aussi proposé d'améliorer l'accueil des familles et de favoriser les projets des association visant à améliorer cet accueil.
Toutes ces propositions pourraient être mises en oeuvre très rapidement si le Gouvernement les reprenait à son compte.
Sur l'initiative de notre éminent collègue M. Robert Badinter, dont la grande expérience en cette matière nous a été si précieuse, nous avons proposé de « désencombrer » les maisons d'arrêt en permettant que des prévenus dont l'instruction est terminée puissent être placés en centre de détention.
Je dirais tout à l'heure, madame le garde des sceaux, que les prévenus sont plus mal traités que les détenus !
M. Robert Badinter. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est là une aberration de notre système ! Au moins, quand l'instruction est terminée, quand les intéressés sont en attente d'appel ou de cassation, permettons-leur de travailler, de se former ! Ne les laissons pas dans la maison d'arrêt où ils ne peuvent rien faire !
Vous nous répondrez, madame la ministre, qu'il n'y a pas de place en centre de détention. Mais la commission d'enquête a calculé que 1 700 places environ étaient disponibles !
Certes, il faudrait recruter du personnel supplémentaire si l'on voulait que toutes ces places soient occupées parce que, bien souvent, le personnel est en nombre insuffisant. Mais même si cela ne suffisait pas à résorber la surpopulation des maisons d'arrêt, ce pourrait être un progrès !
Par ailleurs, madame le garde des sceaux, on sait très bien que le centre national d'orientation est saturé et que les personnes condamnées attendent trop longtemps - trois ou quatre ans parfois - avant leur placement dans l'établissement où elles purgeront leur peine. Là aussi, il est urgent de trouver des solutions.
Parmi les propositions formulées par la commission d'enquête, quatre ou cinq seulement sont de nature législative. Doit-on, dans l'attente d'une grande loi pénitentiaire, renoncer à améliorer dès maintenant le contrôle des établissements pénitentiaires ? Je ne le crois pas, madame la ministre.
C'est pourquoi j'ai décidé, avec M. Cabanel - je pense que tous les membres de la commission d'enquête s'associeront à notre proposition - de déposer une proposition de loi destinée à mettre en oeuvre rapidement les quelques propositions du Sénat qui sont de nature législative. Si vous le vouliez, madame la ministre, cette proposition de loi pourrait être adoptée très vite. Elle ne contredirait en rien la grande loi pénitentiaire et permettrait l'entrée en vigueur de mesures d'urgence.
Nous attendons donc aujourd'hui du Gouvernement qu'il nous dise les suites qu'il entend donner aux diverses propositions de la commission d'enquête du Sénat que je viens d'évoquer, propositions que nous avons voulues concrètes et efficaces.
Madame la ministre, nous apprécions les mesures que vous avez annoncées et nous pouvons les approuver. Mais nous vous demandons instamment d'agir sans attendre, en prenant tout de suite les mesures d'urgence que nous vous proposons.
Madame la ministre, mes chers collègues, je vous rappelle les derniers mots du rapport de la commission d'enquête : « Il y a urgence... Il y a urgence depuis deux cents ans ».
De grâce, n'attendons plus, avançons dès maintenant ! Avançons dès maintenant, pour l'intérêt de la société, pour l'intérêt de ceux qui, en sortant de prison, doivent pouvoir retrouver leur place dans la société, mais aussi pour l'intérêt des personnels, qui ont une tâche si difficile. (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes ;
Dans la suite de la discussion, la parole est àM. Pelchat.
M. Michel Pelchat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet est si grave que nous pourrions en débattre pendant des heures. Pour ma part, je souhaite cet après-midi attirer l'attention de la Haute Assemblée et du ministre de la justice sur trois points qui ont été soulignés par le rapport de la commission d'enquête du Sénat et dont deux concernent très directement les jeunes détenus.
S'agissant des jeunes détenus, qui, pour l'administration pénitentiaire, sont ceux qui ont moins de vingt et un ans, il me paraît essentiel que la prison leur offre les moyens de se réinsérer dans la société. Il s'agit, me semble-t-il, d'une évidence.
En amont, la société a précisément échoué puisque ces jeunes ont commis des délits suffisamment graves, voire des crimes pour se retrouver en prison. S'il faut les punir, il faut aussi et surtout les aider puisque, pour la plupart d'entre eux, c'est l'échec de la société qui les a conduits à se retrouver dans cette situation.
La première façon d'aider ces enfants - à quatorze ou dix-sept ans, on est encore un enfant - est, me semble-t-il, de faciliter ou de favoriser les contacts que ces jeunes emprisonnés peuvent avoir avec leur famille, leur entourage ou, à défaut, avec toute personne qui leur apportera un peu d'intérêt et d'affection. L'affection manque souvent à ceux qui sont en totale rupture avec leur famille. Et pourtant, sans affection, rien n'est possible !
Ces visites doivent donc être aussi fréquentes quepossible.
Comme le souligne justement le rapport de la commission d'enquête du Sénat, le parc pénitentiaire français est d'une extrême diversité : aux « prisons des villes » s'opposent les « prisons des champs » ou les « prisons grands ensembles » et bien d'autres encore.
Or, si les prisons les plus appréciées des détenus comme des personnels demeurent, malgré leur vétusté, les prisons des villes, c'est précisément parce qu'elles sont très facilement accessibles. Il n'en va pas de même pour ces prisons excentrées, à l'architecture stalinienne, implantées au milieu de nulle part, comme celle de Fleury-Mérogis, que je visitai de nouveau voilà juste trois semaines.
Il faut savoir que, pour certaines familles qui n'ont pas d'autres moyens de locomotion que les transports en commun, ces prisons sont inaccessibles non seulement parce qu'elles sont peu ou prou desservies par les transports en commun, mais aussi parce que ces mêmes transports sont trop souvent coûteux pour les familles concernées. Que peut-on faire pour aider, financièrement ou matériellement, les parents très désireux de rendre visite à leurs enfants mais qui n'en ont pas les moyens ?
Aider les jeunes détenus, c'est aussi penser à ce qu'ils feront une fois sortis de prison.
Certes, et cela est une bonne chose, ils peuvent entreprendre ou poursuivre leurs études en prison ou bien encore apprendre un métier. Mais il importe aussi de savoir dans quel milieu ils se retrouveront à la sortie de la prison. S'ils baignent à nouveau dans l'univers qui fut le ferment de leur délinquance, il y a fort à parier qu'ils récidiveront.
L'accompagnement des éducateurs est-il suffisant ? Quelles mesures pourrait-on prévoir pour éviter que ces jeunes ne soient à nouveau entraînés dans ce cercle vicieux de l'échec et de la délinquance ? On parle en effet beaucoup de prévention de la délinquance avant la prison, mais pas suffisamment, à mon sens, de l'accompagnement de ceux qui sortent d'une incarcération, même si celle-ci est de courte durée.
Enfin, je voudrais souligner combien l'appréhension du monde carcéral ne peut se faire que dans sa globalité : on ne peut examiner, à juste titre, les conditions de détention des détenus sans prendre en considération les conditions de travail du personnel pénitentiaire, en particulier des surveillants.
En visitant les prisons, j'ai rencontré des surveillants soucieux de ne pas être de simples « porte-clés », mais, au contraire, d'être attentifs aux détenus. J'ai noté que les surveillants des centres de jeunes détenus sont tous des volontaires, qu'ils ont normalement reçu une formation spécifique et s'impliquent fortement dans leur mission ; cela est trop peu souvent souligné.
La nécessité de disposer de personnels en quantité suffisante est une évidence qui appelle une réforme urgente, accompagnée des crédits budgétaires nécessaires. J'insiste sur le fait que cette quantité suffisante ne doit pas et ne peut pas aller sans la qualité. Si l'on veut que les personnels pénitentiaires qualifiés soient motivés et dévoués, il faut revaloriser leurs métiers et les rémunérer à la mesure de la fonction que l'on souhaite leur confier, qui est difficile mais constructive pour notre société.
J'ai ainsi noté que, en France, de 60 % à 70 % des centres pénitentiaires sont dirigés par des chefs de service classés dans la catégorie B de la grille de la fonction publique, alors qu'ils devraient à ce niveau de responsabilités appartenir à la catégorie A et recevoir, bien entendu, un salaire en conséquence.
Dans le même ordre d'idées, est-il vraiment nécessaire d'imposer, pour leur titularisation, un concours aux quelques surveillants intérimaires qui, pour la plupart, totalisent de 10 à 15 ans de métier dans l'administration pénitentiaire ? Leur imposer un concours aujourd'hui, ne serait-ce pas considérer qu'ils sont incapables d'exercer leur métier qui est pourtant le leur depuis de nombreuses années ?
Motiver les surveillants pénitentiaires, c'est aussi leur donner des moyens adéquats pour exercer leur métier. Savez-vous de quelle unique arme disposent les surveillants pour se défendre contre un détenu dangereux : un sifflet !
Ce ne serait donc pas un luxe de prévoir au moins des escortes de police ou de gendarmes lors des fréquentes extractions et consultations médicales dans les hôpitaux de proximité.
Vous n'avez sans doute pas oublié, madame le ministre, que, le 7 août 1998, cinq surveillants pénitentiaires de Fleury-Mérogis, non accompagnés d'une escorte policière, se sont fait « braquer » et gazer à l'hôpital de Corbeil et que, à l'heure où je vous parle, le détenu auteur de ces méfaits et ses complices courent toujours.
En conclusion, je souhaite attirer l'attention du Gouvernement et de la Haute Assemblée sur un autre point essentiel : la mise en application de la loi du 12 avril dernier, en particulier de son article 24, qui prévoit la présence de l'avocat en commission de discipline.
Il apparaît que la mise en place de ce dispositif, tel que prévu par les textes, depuis le 1er novembre dernier, est une source de difficultés au sein des établissements pénitentiaires. Ne pourrait-on pas, madame le ministre, surseoir à l'application de cette mesure jusqu'à la fin de l'année, de manière à permettre une véritable réflexion dans un climat redevenu serein et constructif ?
Mes chers collègues, la condition de vie des détenus comme celle des personnels, qui ne peuvent être dissociées l'une de l'autre, comme elles ne peuvent être dissociées de l'état du patrimoine construit - M. Cleach insistera plus particulièrement sur cet aspect - sont de vraies questions de société. Elles nous concernent tous très directement. Les réponses qu'elles exigent doivent être apportées dans les meilleurs délais. Ne pourrait-on s'inspirer pour ce faire des deux rapports du Sénat et de l'Assemblée nationale ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy-Pierre Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en février 2000, dans l'émotion, le Sénat adoptait une résolution créant une commission d'enquête sur les conditions de détention dans les prisons françaises. Au terme de cinq mois d'auditions et après la visite de nombreux établissements pénitentiaires en France et à l'étranger, ses conclusions ont été rendues publiques le 5 juillet.
Le sévère constat dressé par les sénateurs a mis en lumière, notamment, les conditions de détention dégradées provoquées par la surpopulation carcérale, la vétusté des locaux et la pénurie d'effectifs dont souffre l'administration pénitentiaire.
Au-delà de ces éléments matériels, elle a également révélé le légitime besoin de reconnaissance des personnels pénitentiaires, tout en invitant la société française à conduire une réflexion d'ensemble sur le sens et le rôle de la prison.
La présente question orale devait nous permettre, madame la ministre, de vous interroger sur les suites que vous comptiez donner à ces conclusions. Plus de cinq mois s'étant écoulés depuis la publication du rapport, il paraissait opportun, en l'absence d'éléments nouveaux, de susciter un débat dont l'urgence avait été admise par tous.
Le discours du Premier ministre, lors de l'inauguration des nouveaux locaux de l'Ecole nationale d'aministration pénitentiaire à Agen, le 8 novembre dernier, est venu lever nos incertitudes et calmer en partie notre impatience.
En ma qualité de rapporteur de la commission d'enquête, j'y ai relevé, en particulier, deux sujets de satisfaction.
Le premier est la mise en chantier d'une loi pénitentiaire destinée à définir le sens de la peine, les missions de l'administration pénitentiaire, les règles fondamentales d'un régime carcéral respectueux de la personne humaine. Notre commission avait appelé une telle loi de ses voeux, en insistant sur la nécessité de clarifier les droits et les devoirs des détenus, de rénover les contrôles actuels, souvent inefficaces, voire inexistants, et d'affirmer la place de la réinsertion dans les objectifs de la détention.
Le second sujet de satisfaction est le lancement d'un plan de rénovation du parc pénitentiaire, étalé sur six ans, mobilisant des moyens financiers importants - 10 milliards de francs - et dont la réalisation sera assurée par un établissement public.
Dans les propositions formulées par notre commission, figuraient un tel plan ainsi que la création d'une structure publique, dénommée « agence pénitentiaire », qui gérerait de manière autonome le patrimoine pénitentiaire et serait en charge à la fois des dépenses d'investissement et des dépenses d'entretien. L'établissement public annoncé, madame la ministre, est-il cette agence ? Sa création est en tout cas urgente car, à mon sens, c'est à une telle structure que doivent revenir les études à mener en vue de la conception des nouveaux établissement pénitentiaires.
A cet égard, j'insiste sur le fait que les choix d'implantation doivent tenir compte de la nécessité d'un accès commode pour le personnel, les familles et les intervenants.
Je rappellerai également notre souhait de privilégier des établissements à taille humaine. C'est dans de tels établissements que le climat est le plus favorable.
Enfin, pour la rénovation de l'ensemble du parc, l'encellulement individuel et l'intégration de la douche dans la cellule doivent être l'objectif pour un hébergement correspondant aux règles d'hygiène du temps présent.
En dehors de ce programme ambitieux, des mesures d'application immédiate, le plus souvent de nature réglementaire, quelques-unes de nature législative, pourraient améliorer à court terme les conditions de détention. La commission d'enquête du Sénat en a proposé de nombreuses. Comptez-vous y donner suite ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de cette commission d'enquête, et moi-même allons d'ailleurs signer un texte comportant des propositions sur lesquelles le Parlement pourrait se prononcer.
La période d'attente de l'été n'a pas été vaine puisqu'elle a été occupée par la mise en place administrative de l'expérimentation du placement sous surveillance électronique dans quatre établissements pénitentiaires. Je m'en réjouis, mais cette expérimentation, qui doit durer neuf mois, mérite de trouver rapidement sa vitesse de croisière.
Un renforcement des effectifs d'agents d'insertion et de probation s'impose pour tester le dispositif et son efficacité, dans les meilleures conditions possibles, déceler ses défauts éventuels et les corriger, ainsi que pour juger objectivement ses résultats. En raison du démarrage lent de l'opération, je crains que la durée d'expérimentation initialement prévue ne doive être prolongée de quelques mois, au minimum.
La nécessité de renforcer les effectifs s'impose également pour l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire, et particulièrement pour les surveillants. Le projet de budget pour 2001 apporte, certes, des moyens humains supplémentaires, mais ils sont déjà jugés insuffisants par les intéressés. Ces personnels doivent aussi pouvoir bénéficier d'une formation et d'un cadre de travail satisfaisants.
Soyez convaincue, madame la ministre, que le Sénat restera très attentif au suivi des engagements du Gouvernement. Toutes ces réformes seraient vaines si elles n'étaient pas soutenues par une ferme volonté politique, par l'accord des représentants de la nation et par l'acceptation des personnels concernés. La direction de l'administration pénitentiaire, qui a déjà fait beaucoup d'efforts, doit développer la concertation au sein de structures appropriées et valoriser les expériences innovantes qui sont mises en oeuvre dans certains établissements.
Ainsi, l'évolution qui se dessine dans le système carcéral français ne doit pas être négligée. Nous sommes certainement à un moment de l'histoire où il va être possible de réaliser une réforme profonde, effaçant l'humiliation que représentent trop de prisons pour la République. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la question orale de notre collègue Jean-Jacques Hyest nous offre l'occasion, quatre mois après la remise des conclusions de notre commission d'enquête, d'évoquer de nouveau les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, et cela à ce moment crucial qu'est l'examen du projet de loi de finances.
Ainsi devrions-nous avoir aujourd'hui un avant-goût du débat budgétaire sur les crédits de la justice, singulièrement ceux qui sont alloués à l'administration pénitentiaire, d'autant qu'il s'agit là du premier rendez-vous important, dans cet hémicycle, sur ce sujet depuis la publication du rapport de notre commission d'enquête.
Je ne peux que me féliciter de ce débat, qui est l'occasion de rappeler tout le travail de réflexion mené cette année sur les prisons, notamment au Parlement, et qui empêche par là même qu'il ne retombe comme un soufflé. Je souhaite surtout que ce débat permette de lancer concrètement et rapidement les réformes que nous avons préconisées.
On peut dire que l'année 2000 aura été placée sous le signe des prisons. En effet, depuis la parution du livre de Mme Vasseur, médecin-chef à la prison de la Santé, jusqu'à aujourd'hui, on n'aura jamais autant parlé de l'univers carcéral.
Je ne compte plus les débats, colloques et autres initiatives qui ont eu lieu cette année un peu partout en France. Ici même, mes chers collègues, « l'ombre des prisons », si je puis dire, a plané sur plusieurs de nos discussions, et certaines des lois qui ont été votées récemment ont d'ores et déjà des incidences sur la politique pénitentiaire.
Par ailleurs, deux autres rapports importants ont été remis cette année : celui de la commission présidée par M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, portant sur l'amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, et celui de la commission dirigée par M. Daniel Farge, chargée de réfléchir à la question des libérations conditionnelles.
Je profite de ce débat pour annoncer la tenue à Marseille, sur l'initiative de la FARAPEJ, avec l'ensemble des associations oeuvrant autour de la prison, de la VIIe Journée nationale des prisons, le samedi 25 novembre prochain, le thème retenu étant : « La famille devant la prison ».
Le monde carcéral s'est, pour la première fois, ouvert sur l'extérieur, et nous avons assisté à une véritable prise de conscience d'un univers, celui de la prison, qu'on voulait jusqu'à présent ignorer, un peu comme s'il s'agissait d'une maladie honteuse.
On admet désormais que la prison ne peut plus être déconnectée de la société dans son ensemble. En effet, plus qu'un univers « à part », la prison constitue le reflet, démultiplié et concentré, de tous les maux de notre société, qu'on a voulu cacher derrière les hauts murs de nos prisons, situées de surcroît à la périphérie des villes.
Mais voilà qu'aujourd'hui ils nous reviennent en pleine face, à la manière d'un boomerang, alors qu'on aurait dû s'attaquer depuis longtemps à la source même de la délinquance.
La prison est aujourd'hui, enfin, considérée comme un « accident » dans la vie d'une personne, qui ne doit pas rompre le fil de sa vie en société.
Les rapports parlementaires ont fait naître de réels espoirs en la matière. Nous n'avons pas le droit de les décevoir.
Si l'idée selon laquelle l'enfermement n'est pas la panacée fait peu à peu son chemin, pour l'instant, nous n'avons pas trouvé, faute certainement d'avoir bien cherché, d'autres moyens pour répondre à la délinquance.
J'estime, pour ma part, qu'il est nécessaire de privilégier toutes les alternatives à l'incarcération pour éviter autant que faire se peut de recourir à la prison, qui doit rester l'ultime recours.
Des solutions existent déjà mais elles ne sont pas suffisamment utilisées. Je pense, par exemple, aux centres de semi-liberté, au sursis, au contrôle judiciaire, à la mise à l'épreuve, à la liberté conditionnelle, à la surveillance électronique - même si j'émets, à cet égard, certaines réserves - aux travaux d'intérêt général : ce sont là autant de pistes à explorer ou de solutions à développer.
On s'intéresse non seulement aux détenus, à leurs conditions de détention, à leur dignité au sein du monde carcéral, mais aussi à leur avenir à l'extérieur de la prison, à leur réinsertion, au sens de la peine, bref, de façon plus générale, au rôle de la prison.
Considérer le détenu comme un citoyen, tout au long de son incarcération, est un postulat indispensable si l'on veut réellement améliorer les conditions de détention, qui sont aujourd'hui humiliantes pour la France, indignes d'un pays qui se réclame des droits de l'homme.
En outre, la personne incarcérée étant destinée à réintégrer un jour ou l'autre la société, le rôle de la prison doit être d'assurer cette réintégration dans les meilleurs conditions. En clair, il faut donner un sens à la prison, de telle manière que le détenu en ressorte avec de plus grandes chances d'intégration qu'il n'en avait quand il y est entré.
Pourquoi ne pas mettre à profit le temps passé en prison pour former ceux qui n'ont pas de formation, soigner ceux qui en ont besoin, apprendre à lire et à écrire aux illettrés, sevrer les toxico-dépendants, etc. ?
Se posent, dès lors, avec force à la fois la question de la formation des personnels pénitentiaires et celle de la réinsertion, qui permet de prévenir la récidive, de rompre la spirale infernale : sortie de prison-réincarcération.
Aujourd'hui, tout est question de volonté politique et donc de moyens car, au coeur de toute réforme, la question des efforts financiers reste incontournable.
S'il faut noter l'augmentation constante depuis 1997 du budget de la justice, qui, pour l'année 2001, bénéficie d'une hausse de 3 %, force est de constater que les retards pris en la matière sont tels qu'ils sont difficilement rattrapables à court terme. De plus, la réforme globale de la justice entamée par le Gouvernement depuis 1997 a d'ores et déjà conduit de nouvelles dépenses.
Il est regrettable que, avant même son entrée en vigueur, la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes risque, faute de moyens budgétaires suffisants, de ne pas produire les effets escomptés, notamment en termes de diminution du nombre de personnes incarcérées.
De même, j'estime que, en concentrant l'essentiel des crédits de l'administration pénitentiaire sur la construction de prisons, comme s'il s'agissait là du remède miracle aux maux de nos prisons, avec notamment l'ouverture de dix nouveaux établissements, le budget de la justice n'a pris que très partiellement en compte les propositions avancées par les parlementaires.
Lutter contre la surpopulation carcérale ne signifie pas nécessairement construire de nouvelles prisons, car qui dit nouvelles prisons dit augmentation du nombre de détenus.
N'y a-t-il pas, en l'occurrence, un paradoxe entre, d'une part, l'entrée en vigueur de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et la restauration du parc pénitentiaire existant et, d'autre part, la création de prisons nouvelles ? A moins, bien entendu, d'envisager de les remplir !
S'il y a aujourd'hui inflation carcérale, c'est en partie à cause d'une pénalisation de plus en plus lourde, avec des peines de plus en plus longues, qui trouve sa raison d'être notamment dans la refonte globale de 1992 de notre code pénal, laquelle a revu à la hausse les sanctions de nombre d'infractions.
Tant qu'on n'aura pas révisé notre système pénal, qui demeure essentiellement basé sur la répression, ignorant la prévention, la réinsertion et donc la lutte contre la récidive, les prisons ont de beaux jours devant elles !
Ne convient-il pas de se poser la question : qui mettre en prison ? Ne faut-il pas privilégier les modes alternatifs à l'incarcération ?
Trop de détenus, en effet, n'ont pas leur place en prison. D'autres solutions pourraient être recherchées, notamment pour les prévenus, les mineurs, les étrangers, les indigents, les précaires, les détenus « psy », les toxicomanes ou encore les malades du sida ou du cancer en phase terminale.
En ce qui concerne les mineurs, j'ai apprécié, madame le garde des sceaux, les propos que vous avez tenus hier à Marseille devant les 1 200 participants aux assises de la protection judiciaire de la jeunesse : « Nous avons affaire à des adolescents dont la personnalité est en devenir. Notre responsabilité première est de les éduquer. »
Comme l'a rappelé l'ancient président de la Cour de cassation, M. Pierre Truche, « les mettre en prison ne fait pas baisser la délinquance ».
S'agissant de la construction de prisons nouvelles, je voudrais attirer votre attention sur certains points.
Tout d'abord, il convient de ne pas rééditer certaines erreurs du passé ; je pense ici au « programme 13 000 » de 1987, qui a abouti à la création de prisons certes neuves, mais totalement déshumanisées.
La maison d'arrêt de Luynes, dans les Bouches-du-Rhône, en fait partie, et je sais, pour m'y être rendu, que les personnes incarcérées préfèrent de loin une prison ancienne et vétuste mais jugée « plus humaine », comme les Baumettes, à une prison moderne où la surveillance électronique a remplacé les contacts humains.
Selon un rapport confidentiel réalisé par le ministère de la justice, le taux de suicides se révèle très élevé dans les établissements issus de ce programme et s'explique par le caractère « déshumanisé » de ce type d'établissements.
Ensuite, à ne pas instituer de numerus clausus, ne risque-t-on pas de connaître à nouveau, malgré ces nouvelles constructions, un surpopulation carcérale, dans la mesure où les dispositions visant à incarcérer moins de personnes n'auraient pas été prises ?
Enfin, l' « encellulement » individuel, que favorisent ces nouveaux établissements, est un aspect positif. Toutefois, il devra être fondé sur le consentement de la personne et non imposé. En effet, de nombreux détenus supportent difficilement la solitude, singulièrement au tout début de leur incarcération, période où l'on constate le plus grand nombre de déprimes et de suicides.
Puisque j'en viens à évoquer les suicides en prison - sujet grave s'il en est et qui me tient particulièrement à coeur - nous avons constaté que ceux-ci surviennent principalement à deux moments précis et distincts de l'incarcération : soit au tout début, lors du premier contact avec l'univers carcéral, comme je viens de le dire, soit lors du placement au « mitard ».
S'agissant de ce dernier point, il faut savoir que, pour une personne incarcérée, le fait de passer devant le prétoire, tribunal interne de la prison qui se prononce sur les infractions disciplinaires et où le personnel pénitentiaire est à la fois juge et partie, constitue un moment anxiogène par excellence. Le placement dans les quartiers disciplinaires qui s'ensuit, et qui peut aller jusqu'à quarante jours, ne fait que déstabiliser encore un peu plus l'intéressé.
Aussi notre commission d'enquête a-t-elle proposé, à juste titre, de réduire à vingt jours la durée maximale de cet isolement, de l'interdire pour les fautes les moins graves et, enfin, de repenser la discipline et la sanction en prison.
S'agissant de permettre au détenu d'être assisté par un avocat devant le prétoire, l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations l'autorise depuis le 1er novembre 2000. Toutefois, si cette disposition constitue une avancée considérable pour les droits des détenus, en revanche, on peut s'interroger - et je vous interroge, madame la ministre - sur l'effectivité, dans la pratique, de ce nouveau droit pour les détenus. Tous les moyens sont-ils mis en oeuvre pour la bonne application de la loi ?
La circulaire d'application, prise la veille de l'entrée en vigueur de cette disposition, soit le 31 octobre 2000, ne vient-elle pas en restreindre la portée de manière drastique, pour ne pas dire qu'elle revient à anéantir les effets bénéfiques escomptés d'une telle révolution pour notre droit pénitentiaire ? J'attends, madame la ministre, des précisions sur ce sujet.
Mes chers collègues, comme nous l'avons souligné dans notre rapport, nous devons nous attacher à améliorer non seulement les conditions de détention, mais aussi les conditions de travail des personnels pénitentiaires, indissociables les unes des autres.
Les gardiens de prison, qui ont protesté, au début du mois d'octobre dernier, contre leurs conditions de travail souvent très dures et ingrates, ont obtenu des avancées statutaires et indemnitaires, qui traduisent, à l'égard de leur profession, essentielle au fonctionnement de nos prisons, une certaine forme de reconnaissance, comme en a attesté le discours du Premier ministre à l'occasion de l'inauguration des nouveaux locaux de l'ENAP, à Agen, que mon collègue Georges Othily, rapporteur pour avis pour l'administration pénitentiaire, et moi-même visiterons demain.
Par ailleurs, permettez-moi de souligner que le problème récurrent du déficit des effectifs de l'administration pénitentiaire, notamment pour ce qui est du ratio prisonniers/surveillant, pourrait être résolu à moindre coût si l'on se dirigeait vers une diminution effective du nombre de personnes incarcérées, par exemple en mettant en oeuvre rapidement les dispositions relatives à la détention provisoire, ou en réactivant les modes alternatifs à l'incarcération. En diminuant ainsi le nombre de personnes incarcérées, on réduit de fait, le nombre de détenus par surveillant.
Pour ce qui est des deux missions qui incombent à l'administration pénitentiaire, force est de constater que la dimension sécuritaire est largement dominante par rapport à la mission de réinsertion pourtant primordiale, et ce en raison de l'insuffisance des moyens alloués aux services de réinsertion.
On le voit, changer la prison est une entreprise ambitieuse qui nécessite une volonté politique solide et des moyens financiers importants.
Les conclusions contenues dans les deux rapports parlementaires doivent impérativement et rapidement être suivies d'effets, pour aboutir à incarcérer moins de personnes, accorder plus de droits aux détenus et des conditions de détention dignes, ainsi que multiplier les contrôles extérieurs. Ne pas le faire, c'est prendre le risque que ces rapports aillent grossir les rangs de tant d'autres.
En annonçant une grande loi pénitentiaire portant sur la condition des détenus et le sens de la peine, les missions des personnels et les contrôles, le Gouvernement a pris la mesure du problème.
Etant donné que la dernière loi en la matière remonte à 1987, le fait d'emprunter la voie législative aura assurément l'avantage d'engager un grand débat national, ouvert et transparent, avec la consultation des organisations syndicales et des représentants des associations intervenant dans les prisons, du Conseil supérieur de l'administration pénitentiaire et du Parlement.
Le seul problème réside dans le délai qui va s'écouler entre l'annonce de cette réforme et son entrée en vigueur effective. Peut-on encore attendre 2002, voire 2003 ? Ne peut-on pas, dès à présent, prendre par voie réglementaire les mesures les plus urgentes ?
Nous sommes conscients des efforts budgétaires considérables que tout cela induit. Mais nous ne pouvons, en la matière, ni faire l'impasse ni renvoyer à plus tard les changements à opérer. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je suis convaincu que nous nous trouvons à un moment essentiel de l'histoire pénitentiaire. Ce qui adviendra dans les mois à venir s'inscrira dans l'histoire carcérale de la France qui connaît un intérêt cyclique pour les prisons.
Cet intérêt s'est développé depuis la Révolution française, où la prison est devenue un instrument essentiel de la pénalité. Des débats passionnés ont eu lieu à la Constituante, avec d'admirables discours ; je vous renvoie à Le Peletier de Saint-Fargeau, à une intervention de Mirabeau, peu connu au moment de la discussion de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, au code pénal de 1791.
Ensuite, ce fut le silence... jusqu'à ce que les tumultes de la Révolution et de l'Empire aient cédé la place à l'ordre du xixe siècle. Alors, singulièrement, la question carcérale revient au coeur de la société comme une préoccupation lancinante : on le voit dès la Restauration, avec le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, grand philanthrope s'il en fut ; on retrouve une ardeur intellectuelle et un très grand talent dans les débats qui se succèdent ici, qui était alors la Chambre des Pairs, et, à la chambre des députés, sur la question carcérale ; s'y illustrent notamment, parmi d'autres, Lucas et Tocqueville.
On mesure donc que l'interrogation est prégnante pour cette société : comment faire pour que la pénalité - la prison - devienne un facteur d'amendement, un moyen de réinsertion sociale ?
L'urbanisation et l'industralisation galopantes accroissent sans cesse l'obsession des classes dangereuses, suspectées d'être porteuses de violences criminelles et d'inclinations révolutionnaires. Je n'ai pas besoin de rappeler que Gavroche, à ses heures, est vide-gousset, ou tire-gousset, mais aussi héros de la liberté.
La société du xixe paraît ainsi en France - mais pas seulement en France - en proie à une sorte de recherche permanente d'un système carcéral qui redressera, ou qui brisera les délinquants, et spécialement les plus jeunes d'entre eux.
La défaite de 1870, et surtout la Commune, pousseront au paroxysme cette angoisse des classes supérieures. On répète volontiers, en 1871, que, dans les rangs des communards, on comptait un grand nombre de récidivistes et de délinquants - ce n'est pas ce que le dépouillement des archives de l'époque permet de vérifier. En tout cas, nous devons à cette angoisse la reprise de la réflexion et les travaux de la commission d'enquête parlementaire sur les prisons, présidée par le vicomte d'Haussonville, auquel, à plus d'un siècle de distance, je tiens à rendre témoignage : rarement ouvrage de cette qualité fut produit par une commission parlementaire.
Il en résulta une grande loi, celle de 1875, aux termes de laquelle, dorénavant, la règle serait l'emprisonnement individuel dans toutes les maisons d'arrêt de France à l'usage des prévenus, éventuellement des condamnés à de courtes peines. Qu'en advint-il ? Rien ! En effet, les maisons d'arrêt relevaient, pour l'essentiel, du budget municipal et augmenter les impôts pour améliorer le sort des prisonniers n'était guère populaire.
Mais enfin, rendons témoignage à nos ancêtres, les grands républicains. Nous leur devons au moins les lois de la fin du xixe siècle sur le sursis des courtes peines et sur la libération conditionnelle. Je rappelle ici la mémoire de notre illustre prédécesseur, le sénateur Bérenger. M. Hyest, M. Cabanel et le modeste intervenant en cet instant formons un voeu commun : puissions-nous baptiser du nom de Bérenger la salle de la commission des lois. Ce ne serait qu'une justice tardive.
Nous leur devons aussi les lois sur la relégation des multirécidivistes, qui sont, pour la plupart, des petits délinquants, des mendiants et des vagabonds.
Toutes ces dispositions ont contribué à diminuer considérablement le nombre des détenus. La France connaissait alors une période de stabilité et de progrès. Elle était porteuse de valeurs très fermes, structurant puissamment la société française. Si l'on y ajoute la réduction du chômage, presque insignifiant à cette époque de plein emploi, le résultat est là : le nombre des détenus et le niveau de criminalité n'ont cessé de baisser depuis 1890 jusqu'en 1912. Bienheureux vos prédécesseurs de cette époque ! J'en ai souvent rêvé, madame le garde des sceaux !
La population carcérale avait atteint, en 1913, le plus bas niveau qu'elle ait connu dans l'histoire pénitentiaire française. Dès lors, nul ne s'est plus intéressé aux prisons. Seul le bagne et ses excès fascinaient les journalistes et le public. Il faudra attendre les épreuves terribles de l'Occupation et l'emprisonnement des résistants pour que l'on prenne conscience de l'état lamentable des prisons françaises.
En même temps, la suppression du bagne a posé clairement la question de l'exécution des longues peines dans les centrales en métropole, d'où la mise en oeuvre de réformes inspirées pour beaucoup par l'école de la défense sociale, si chère à M. Ancel, sans pour autant, quelles que soient la qualité et l'inspiration de ces réformes, que l'on remédie aux conditions de vie archaïques et rigoureuses des détenus.
Je pourrais rapporter, si j'en avais le temps, bien des anecdotes cruelles sur les prisons. Je les ai découvertes voilà très exactement cinquante ans, puisque c'est à cette époque que je me suis rendu pour la première fois - en mobylette ! - à la maison d'arrêt de Fresnes.
Le mouvement des idées de 1968, la perméabilité aux idées de l'extrême gauche, l'intérêt très vif porté à tous les marginaux, les réflexions très poussées sur les procédures sociales d'exclusion ont renouvelé l'analyse et, c'est vrai, la réflexion sur la condition carcérale, qui s'étaient, il faut le reconnaître, quelque peu assoupies depuis près d'un siècle. Elles reprirent, à l'époque, avec une intensité nouvelle - tous les contemporains s'en souviennent - sous l'impulsion notamment de Michel Foucault, et, de 1970 à 1980, ce fut un moment exceptionnel de réflexion sur les prisons, leur signification, leur état. Le militantisme était grand. Il a fait naître le Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées, le GENEPI, parmi d'autres associations.
C'est peu de temps après - vous me pardonnerez ce rappel personnel - que je me suis trouvé appelé à la place où vous êtes actuellement, madame la garde des sceaux. S'agissant des prisons, j'étais entouré d'une équipe de femmes et d'hommes auxquels je tiens à rendre ici témoignage, puissamment motivés, inlassables dans l'action et convaincus qu'il fallait agir, même si nous travaillions, à ce moment-là, dans un climat de profonde défiance, marqué, je dois le dire, par une hostilité réelle de l'opinion et par les clameurs des démagogues sécuritaires.
Nous avons fait tout ce que nous pouvions dans la condition où nous nous trouvions : la suppression des quartiers de haute sécurité, les QHS, la suppression du costume carcéral, la possibilité enfin donnée de téléphoner à la famille régulièrement, le terme mis à ce que l'on appelait la « médecine pénitentiaire » et le transfert à l'Assistance publique, avec, je dois le dire, le concours particulièrement actif de M. Fourcade et des sénateurs de toutes tendances membres de la commission des affaires sociales - prélude à l'excellente loi de 1994 - la création des parloirs libres, l'introduction de la télévision dans les cellules... Je pourrais continuer la liste.
Je suis forcé de dire maintenant, le détachement venu, que toutes ces réformes, pourtant nécessaires et que je trouvais modestes, étaient accueillies au mieux par la défiance, au pire par l'hostilité et les invectives.
En même temps, je ressentais comme une blessure secrète - pourquoi ne pas le dire ? - l'impuissance, ou l'incapacité où j'étais à mobiliser les crédits nécessaires à la transformation de nos prisons et à l'amélioration de la condition des personnels pénitentiaires et des détenus. J'ai obtenu ou, plutôt, j'ai arraché, pour dire la vérité, à peu près 5 % d'augmentation annuelle du budget des prisons en francs constants - l'inflation était importante à l'époque - là où il aurait fallu beaucoup plus. Le tout représentait 25 %. Je regardais avec admiration sinon avec envie mon éminent collègue ministre de la culture, qui avait su faire évoluer ses crédits de 100 % durant la même période !
Pourtant, voyez-vous, ministre du budget, Premier ministre... tous étaient des hommes de coeur, des amis de surcroît, mais c'était toujours la même antienne : « Tu as raison, c'est vrai, mais, que veux-tu ? c'est la crise, c'est le chômage. Il y a des priorités plus importantes encore que les prisons : les chômeurs en fin de droits, les exclus, les veillards sans ressources, les hôpitaux à rénover, etc. ». Et ce n'était pas faux.
On me renvoyait ainsi aux jours meilleurs de la prospérité retrouvée. Je ne l'ai jamais connue ! Et je suis parti de la chancellerie, oui, secrètement blessé, pour gagner l'Ecole des hautes études, infiniment plus paisible, et y tenir pendant quatre ans un séminaire pour tenter - à défaut de Michel Foucault, hélas disparu ! avec qui je devais le faire - avec Michelle Perrot, la grande historienne, et les spécialistes éprouvés de la réalité carcérale d'analyser et de mieux comprendre cette singulière institution : la prison républicaine.
J'en ai tiré, madame la garde des sceaux, un gros livre, qui m'a pris, je le reconnais ici volontiers, beaucoup de temps et qui a connu ce que l'on appelle un succès d'estime... c'est-à-dire un échec total auprès des lecteurs ! (Sourires.) Je me ferai une joie de vous le remettre tout à l'heure pour des temps à venir.
Depuis lors, je n'ai jamais cessé de m'intéresser aux prisons et aux rapports singuliers que la communauté nationale entretient avec cette institution.
Comme nous sommes ici non dans un débat académique, comme on pourrait le croire, mais dans un débat politique, je vous rappellerai en cet instant quelques vérités amères qui nous concernent tous.
Depuis deux siècles, la France a des prisons indignes d'elle et des droits de l'homme dont elle se proclame la patrie, indignes de sa grande culture et du message d'humanisme dont je suis convaincu qu'elle est porteuse.
En un mot, j'estime, comme la commission d'enquête sénatoriale, qui a tant travaillé - et je rends hommage à son président et à ses rapporteurs, ainsi qu'à tous ses membres, qui ont témoigné d'une remarquable assiduité, y compris lors des visites dans les établissements pénitentiaires - que nos prisons sont, pour la République, une humiliation insupportable et que, alors que la situation économique s'est améliorée, madame la garde des sceaux, il n'est plus possible pour le Gouvernement, pour sa majorité et pour toutes les forces politiques présentes au Parlement, de se résigner à cet état de chose calamiteux.
Le moment est venu - d'une certaine manière, c'est votre chance, madame la garde des sceaux - de transformer radicalement le régime de la prison en France, parce que rarement, dans l'histoire, les conditions auront été aussi favorables.
Economiquement, tout d'abord, la loi d'airain qui pèse sur les prisons et qui interdit que, dans une démocratie, les détenus jouissent de conditions de vie supérieures à celles des travailleurs libres les moins favorisés, cette loi d'airain s'est desserrée, grâce à l'amélioration des conditions économiques, que nous espérons durable.
La diminution du chômage a réduit les angoisses et les tensions au sein de notre société. On peut maintenant, sans donner le sentiment de faire passer le sort des détenus avant celui des chômeurs, notamment des jeunes sans emploi, s'intéresser aux premiers sans être indifférent aux autres.
Des recettes fiscales plus abondantes permettent un accroissement du budget pénitentiaire, sans lequel rien n'est possible. Je salue, à cet égard, les décisions récemment prises par M. le Premier ministre, avec le concours du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - et grâce, je le sais, à votre ferme intervention, que je salue et dont je vous félicite, madame la garde des sceaux - car elles témoignent de cette volonté d'agir à laquelle nous aspirons.
Mais il faut être réaliste. Le programme annoncé mobilise 10 milliards de francs sur six ans. Il est assurément très important et porteur de progrès. Je sais que vous avez obtenu, avec le soutien actif du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, 1 milliard de francs pour 2001 en sus des 844 millions de francs initialement prévus. Il s'agit, là encore, d'une avancée très significative, dont nous vous félicitons.
Mais ces montants, vous le mesurerez vite, sont encore insuffisants. C'est à 13 milliards de francs au moins que se chiffrent les besoins, selon les estimations les plus raisonnables, pour une rénovation complète des établissements pénitentiaires en France.
Quant à la remise en état - je n'ose pas dire la remise aux normes - que commande le respect de la dignité humaine, c'est à 300 millions de francs par an que la commission d'enquête, après avoir écouté les experts, a justement chiffré le coût de l'entretien immobilier et de la maintenance. Nous aurons l'occasion d'en débattre de nouveau lorsque nous analyserons le budget de l'administration pénitentiaire.
Mais encore faut-il, madame la garde des sceaux, pour que ces rénovations et ces constructions aient toute leur portée, qu'elles soient l'expression d'une volonté politique audacieuse et ferme.
A cet égard, je crois pouvoir dire que l'opinion publique nous paraît aujourd'hui avoir enfin mesuré ce que signifie, en termes de souffrances et d'atteintes à la dignité humaine, l'état de certaines de nos prisons. La fermeté, indispensable dans la lutte contre la délinquance et le crime, n'implique pas des conditions de vie indignes dans les lieux de détention ou de rétention. La conscience paraît enfin acquise dans le public que des prisons dégradantes rendent ceux qui y sont détenus, surtout les plus jeunes, plus révoltés et parfois plus dangereux à leur sortie qu'ils ne l'étaient à leur entrée.
La rénovation des prisons, leur humanisation, les progrès du régime carcéral sont perçus dans l'opinion non plus comme l'expression du laxisme, ainsi qu'on le disait d'une philosophie ou d'une philanthropie naïve, mais comme un élément important et, à notre sens, essentiel de la prévention de la délinquance.
Le mythe de la prison « quatre étoiles » s'efface enfin devant la conscience de la misère carcérale et la nécessité d'y remédier.
Madame la garde des sceaux, vous pouvez, et vous devez agir avec la plus ferme résolution. Je ne doute pas que vous le ferez, d'ailleurs. Et quand j'évoquais tout à l'heure la primauté de cette volonté politique, je voulais marquer, après M. Bret, que, s'agissant de la transformation que nous souhaitons, tout en définitive va en dépendre.
Sur ce point, quand on analyse la situation des établissements pénitentiaires, on s'aperçoit que les problèmes qui sont partout présents ne se posent pas partout avec la même intensité.
C'est donc à dessein que, lors des travaux de la commission d'enquête sénatoriale, nous avons mis l'accent sur la situation des maisons d'arrêt. Certes, on ne peut pas dire que, pour ce qui est des centrales ou des centres de détention, tout aille pour le mieux. A cet égard - et là c'est non pas d'investissement mais de volonté politique et de volonté d'humanisation qu'il est question - s'agissant des centrales, qui abritent les condamnés au plus longues peines, il est indispensable que s'accroisse le nombre des libérations conditionnelles et que reprenne enfin la politique de grâces aujourd'hui abandonnée.
J'ai regardé les chiffres. Le nombre des libérations conditionnelles décidées par les gardes des sceaux successifs a diminué considérablement : 513 en 1992, 199 en 1995 et 153 en 1999 !
Nous savons que les conditions mises par la loi au placement en libération conditionnelle étaient trop rigoureuses compte tenu du chômage, comme nous savons que la loi de juin les a heureusement assouplies. Mais la situation de blocage actuelle est lourde de dangers, l'espérance dans les centrales cédant trop souvent au désespoir ou à la révolte.
Je sais aussi que, à partir du 1er janvier 2001, le pouvoir de décider des libérations conditionnelles va quitter la Chancellerie pour passer, comme nous étions nombreux à le souhaiter ici, à une juridiction. C'est une mesure décidée par le Parlement et que nous appelions de nos voeux depuis longtemps, depuis 1983 exactement.
Mais, avant cette date du 1er janvier 2001, madame la garde des sceaux, vous avez encore le pouvoir de décider des libérations conditionnelles. Et si vous le faites, ce sera un signal très fort adressé à la nouvelle juridiction. Vous conserverez ensuite, cela va de soi, la capacité, par les instructions générales au parquet, de témoigner de votre voeu de voir s'accroître le nombre des libérations conditionnelles.
La situation, je dois y insister, est plus tendue encore s'agissant des condamnés à perpétuité.
Depuis 1995, je regrette d'avoir à le dire, les grâces présidentielles ont pratiquement disparu. Comme nul, véritablement nul ne saurait croire qu'il s'agisse là d'insensibilité ou d'absence d'humanité de la part du chef de l'Etat, on ne peut pas ne pas se poser la question : pourquoi ce gel des commutations de peines de perpétuité en peines de réclusion criminelle à temps ? Craindrait-on à ce point la récidive ? Mais les statistiques indiquent que ce n'est pas à ce niveau-là que cela s'inscrit et, surtout, je le rappelle, il s'agit de grâces individuelles, donc de mesures prises en considération de l'évolution du condamné, en fonction de son comportement.
En gelant ainsi les grâces, on aboutit, je suis forcé de le dire, à vouer à la désespérance la population des centrales, particulièrement les condamnés à perpétuité. C'est prendre le risque d'une explosion ou d'une révolte, dont l'histoire carcérale - nul n'a oublié 1974 ! - nous enseigne le coût parfois en vies, toujours en souffrances humaines et, assurément, en terribles destructions matérielles.
Le problème premier demeure cependant celui des grandes maisons d'arrêt, les rapports successifs, rapports internationaux ou européens, comme ceux du comité européen pour la prévention de la torture, ou rapports de commissions parlementaires en font foi.
Je ne reprendrai pas ici ce qui a été dit excellement sur le problème des détentions provisoires.
La loi nouvelle va, je le pense, remédier à l'inflation. D'ailleurs, nous assistons à une diminution, lente mais constante, du nombre des placements.
La vraie question est celle de la durée des détentions provisoires. Là aussi, les dispositions de la loi nouvelle permettront d'y remédier, je l'espère.
Mais se trouvent aussi, à l'heure actuelle, dans les prisons, des catégories de justiciables qui ne devraient pas y être, des prévenus dont l'instruction est terminée et qui sont en attente de comparution devant la cour d'assises pendant des années, ou qui sont en appel, voire en cassation, ou bien des étrangers en situation irrégulière, ou bien encore des condamnés pour peines, qui ne devraient pas se trouver là non plus.
Je sais les avantages familiaux que l'on voit dans ce maintien. Je sais aussi la difficulté de gestion des personnels. Il faut remédier à cette situation. Il appartient à l'administration pénitentiaire, donc à vous, madame la garde des sceaux, de trouver des modes plus modernes de gestion de la population pénale. C'est seulement ensuite que l'on pourra parler de la question du numerus clausus, que, pour ma part, je juge quasiment impossible à mettre en oeuvre sans créer des inégalités injustifiables entre les personnes poursuivies en fonction de la capacité des maisons d'arrêt à les recevoir selon le lieu et le moment.
Nous aurons l'occasion de reprendre ce problème.
Nous en retrouverons d'autres, qu'il s'agisse de la formation, - je rappelle son importance - ou de la condition des personnels pénitentiaires, auxquels la nation n'accorde pas la considération nécessaire quand on connaît la difficulté et l'importance de leurs missions.
Nous reparlerons aussi de la santé, de la discipline, du travail, de la formation, et même de la cantine, comme l'a prosaïquement mais avec raison rappelé M. Hyest.
Madame le garde des sceaux, je suis navré, pour les avoir visités, de constater quinze ans après la création des parloirs libres, si nécessaires au maintien des liens familiaux, gage de réinsertion, que leur état est souvent misérable. Ce n'est pas un grand investissement. Il y faut simplement de l'attention et, je me permets de le dire, un peu de sensibilité.
Et que dirai-je de la redevance prélevée pour l'usage des télévisions dans les cellules ? Quand je l'ai introduite en 1985, j'étais convaincu que c'était pour un an. L'urgence commandait : la Coupe du monde arrivait et il fallait installer des postes. Aujourd'hui, je constate que la location est de 270 francs par mois à la Santé, que les tarifs varient de 105 francs à la maison d'arrêt d'Avignon à 300 francs à la maison d'arrêt de Borgo. Est-il admissible,...
M. Michel Pelchat. C'est inacceptable !
M. Robert Badinter. ... au début du xxie siècle, d'exiger cette rente de la part des détenus ? Et on ne sait que trop comment ceux qui ne peuvent la payer se procurent l'argent nécessaire !
Au-delà de ces considérations immédiates, se pose, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la question essentielle que nous traiterons enfin quand viendra le grand débat attendu sur la loi pénitentiaire : quelle est aujourd'hui, deux siècles après sa consécration juridique, la fonction réelle de la prison dans notre société ? Lieu de sûreté ? Lieu d'exclusion ? Lieu de punition ? Lieu de réinsertion ? La prison, telle qu'elle est aujourd'hui utilisée, paraît avoir changé de nature au regard de la population qu'elle reçoit : les psychotiques, qui relèvent de soins hospitaliers, les toxicomanes, qui relèvent de traitements médicaux, les jeunes détenus, les détenus âgés, en nombre grandissant dans les centrales, des étrangers, qui relèveraient plutôt de mesures de sûreté.
Je regarde la prison contemporaine - j'ai évoqué ce qu'est aujourd'hui sa population - et, à dire vrai, je reviens à l'origine. On a le sentiment que la prison est redevenue presque ce qu'elle était sous l'Ancien Régime : un hôpital, un hospice, un lieu d'exclusion, un lieu de sûreté indifférencié. La prison dans notre société a perdu tout sens.
Dans le débat pénitentiaire qui s'annonce - et je suis assuré que d'excellents esprits sur toutes les travées de cet hémicycle y participeront - c'est bien le sens de l'emprisonnement et, au-delà, le sens de la pénalité en général qu'il faudra définir. Je parlais d'heures éblouissantes, je ne sais pas si elles le seront. En tout cas, je suis convaincu qu'elles seront passionnantes. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, après les interventions des uns et des autres, il est difficile d'intervenir en cet instant, d'autant que je dois avouer ma totale unité de pensée avec tout ce qui a été dit par MM. Bret, Badinter, Cabanel et Hyest, ainsi que par M. Pelchat, qui est intervenu sur un sujet sur lequel je comptais m'exprimer, à savoir les jeunes.
Moi aussi, monsieur Badinter, je suis un adepte de la pensée de la défense sociale nouvelle de Marc Ancel et, comme lui, je pense que nous sommes véritablement devant une nécessité que la République doit traiter. En effet, nous devons faire un constat : aujourd'hui, la République est coupable, coupable de deux cents années de silence, coupable d'avoir marginalisé les prisons ou, plutôt, de les avoir rendues dans un monde différent du nôtre, ailleurs, comme si c'était quelque chose qui devait être séparé, coupé de la société.
Certes, dans le passé, nous avons eu des dénonciations de notre système carcéral. Je me souviens de quelques numéros de L'Assiette au beurre, par exemple, dans lesquels, au début du siècle, quelques journalistes courageux n'hésitaient pas à dénoncer des pratiques inadmissibles.
La République est coupable surtout depuis l'adoption de la déclaration européenne des droits de l'homme, surtout depuis l'après-guerre, où nous ne pouvons plus tolérer un certain nombre de dérives qui ont eu lieu dans le passé, et, par voie de conséquence, tous nos prédécesseurs, ici ou à l'Assemblée nationale, tous les gouvernements qui se sont succédé depuis la Libération, tous les gardes des sceaux qui ont été chargés de la justice et des prisons, sont coupables de ne pas avoir fait évoluer la situation plus vite. Nous sommes tous coupables, monsieur Badinter !
M. Robert Badinter. Je refuse cette culpabilité collective, monsieur Gélard ! J'ai fait tout ce que j'ai pu, dans la mesure des moyens que l'on m'a donnés !
M. Patrice Gélard. Certes ! Il y a donc responsabilité collective dans le refus des moyens nécessaires, qui incombe tout à la fois au Parlement et aux gouvernements.
Nous avons trop souvent ignoré les droits de l'homme, et le rapport de MM. Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel le démontre. Les droits de l'homme n'ont pas été suffisamment respectés dans de nombreux domaines. Nous qui sommes, comme l'a dit tout à l'heure M. Badinter, la patrie des droits de l'homme - ou qui voulons l'affirmer - face à cette situation - et vous l'avez également dit, mon cher collègue - nous accumulons des risques considérables.
Le premier, que craint tout garde des sceaux, c'est une explosion pénitentiaire. Nous savons qu'il ne faut pas grand-chose pour qu'elle se déclenche : une température trop élevée, un été trop chaud et, immédiatement, ce sont des explosions dans nos prisons, qui, reliées par le téléphone, s'embrasent comme un feu de broussailles, ce qui entraîne des conséquences gravissimes, tant pour les détenus que pour les gardiens et le garde des sceaux lui-même. Il faut éviter ces explosions.
D'autres éléments interviennent et nous interpellent également. La prison améliore-t-elle le jeune délinquant ou aggrave-t-elle sa situation ?
Par ailleurs, nous sommes confrontés à un problème extrêmement délicat : certaines victimes ne supportent pas que l'auteur d'un crime ou d'un délit ne soit pas emprisonné. Il faut que, dans ce domaine, l'opinion publique évolue, qu'elle apprenne que la justice n'est pas la vengeance et qu'elle ne doit pas forcément exclure ceux qui, à un moment ou à un autre, se sont rendus coupables d'atteinte à la propriété ou à l'intégrité physique d'autrui. Les sociétés primitives attachaient plus d'importance à la réparation matérielle qu'à la vengeance sur l'auteur d'un crime.
Il faut être conscient des droits des victimes. Elles ont été trop souvent maltraitées. Lorsqu'un accusé est condamné à verser des dommages et intérêts, rares sont les cas où les victimes peuvent percevoir la totalité de ce à quoi elles ont droit.
Il y a aussi les familles des détenus, dont on n'a pas parlé. Les membres de ces familles rencontrent des difficultés considérables pour rendre visite à leur mari, à leur père, à leur fils. Là encore, un problème de droits de l'homme se pose. Le condamné, la victime, les parents des détenus et les gardiens de prison, toutes ces catégories ont droit au respect de leurs droits et de leurs libertés.
Des suggestions ont été faites. Je pense aux trente propositions de la commission présidée par M. Hyest et dont M. Cabanel était rapporteur. Ces trente propositions sont simples, nettes, peu difficiles à mettre en oeuvre.
Qu'il me soit permis d'insister sur un certain nombre de points qui sont contenus dans le rapport et peut-être pas directement dans les propositions.
Madame le ministre, nos grandes universités comprennent des centres d'étude de criminologie. Ne pourriez-vous pas, sur les crédits de recherche dont vous disposez, demander à ces centres de recherche d'examiner les problèmes que vos services n'ont pas le temps d'étudier. Ainsi, une étude pourrait être faite, par un tel centre, sur les formes alternatives à l'emprisonnement. Autre exemple : en vous adressant à une école d'architecture, en liaison avec un groupe de criminologie, pourquoi ne pas demander aux étudiants de fin d'année en architecture de réfléchir sur ce que pourrait être la prison d'aujourd'hui, et non la prison d'hier ?
Il faut faire travailler nos groupes de recherche, nos jeunes chercheurs sur ces thèmes. De surcroît, cela relierait la société au problème des prisons, que l'on veut toujours cacher.
D'autres problèmes existent. On a évoqué la télévision dans les prisons, l'oeuvre de M. Badinter. Ne faudra-t-il pas envisager d'introduire le web dans les prisons (M. Badinter acquiesce), avec tout ce que cela comporte ?
On dénombre 1 700 éducateurs. Là, se pose un vrai problème de réflexion sur le rôle que pourraient jouer les prisons dans l'éducation ou l'initiation à des métiers, bien entendu sur la base du volontariat, car il ne peut en être autrement.
En tant qu'universitaire, je me souviens avoir été en liaison avec le directeur de la prison de Rouen pour permettre à un certain nombre de jeunes détenus de poursuivre des études. Il n'a pas toujours été facile d'agir en ce sens. D'abord, l'organisation des examens soulevait des problèmes très difficiles à surmonter. Par ailleurs, se posait le problème du contact permanent avec le détenu. J'ai eu le plaisir de voir un de ces étudiants réussir successivement les examens de la première et de la deuxième année puis obtenir une licence en droit. Après avoir été libéré, il a même obtenu une maîtrise en droit. Depuis - il n'est pas devenu avocat car il ne le pouvait pas - il travaille dans le domaine du droit. C'est un cas de réussite de la réintégration. Hélas ! le directeur de prison qui a succédé à celui qui était alors en poste n'a pas permis que les choses se déroulent par la suite aussi facilement.
Faire des études en prison, c'est très difficile ; c'est encore plus difficile pour des gens d'un certain âge. Je crois qu'il faudrait envisager des dispositifs nouveaux et faire en sorte, comme cela est précisé dans le rapport, que l'éducation nationale ne soit pas coupée comme elle l'est du monde carcéral.
Faire travailler nos chercheurs, mieux intégrer l'enseignement et l'initiation professionnelle à l'intérieur des prisons, ce sont des pistes que nous pourrions explorer.
Je formulerai maintenant un regret.
Je déplore que le garde des sceaux, ministre de la justice soit en même temps le ministre des prisons, et Dieu sait ce que cela signifiait dans certains pays totalitaires : le ministre de la justice, celui qui est chargé de défendre les droits de l'homme était, en fin de compte, celui qui ne respectait pas les droits de l'homme. J'ai toujours pensé qu'il y avait une ambiguïté dans la fonction de garde des sceaux entre, d'une part, la mission consistant à faire respecter les droits de l'homme, à faire progresser la justice, et, d'autre part, la mission qui a pour objet d'enfermer, de condamner et d'écarter de la société les éléments qui, aux yeux de celle-ci, sont dangereux, douteux ou inacceptables.
J'ai toujours considéré qu'il aurait fallu, auprès du garde des sceaux, un secrétaire d'Etat à l'administration pénitentiaire. Je regrette qu'il n'y en ait pas eu, sauf à de très courtes périodes. Tout d'abord, cela détacherait le garde des sceaux d'une série de tâches lourdes qui consistent à surveiller la manière dont se déroule l'action dans les prisons, dont les choses se passent, et à prendre en permanence la température.
Je ne reviendrai pas sur les réflexions contenues dans le rapport de la commission d'enquête, s'agissant de la rénovation de nos prisons. Certaines abbayes pourraient être rendues aux monuments historiques et certains châteaux pourraient être restitués aux municipalités ou aux départements en vue d'en faire des musées. Il me semble temps non plus de reconstruire ou de rénover certaines prisons inadaptées, mais de les abattre, car elles ne correspondent plus aux nécessités actuelles.
Bien évidemment, dans une société où nous ne serons jamais maîtres de la possibilité de mettre fin aux agressions, aux crimes ou aux délits, il faut voir derrière chaque condamné non pas un criminel ou un délinquant - il l'a été certes - mais un être humain, qui, comme sa victime et le restant de la société, a droit au respect de ses droits les plus élémentaires.
Vous êtes donc en face d'un défi, madame la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Oui, c'est sûr !
M. Patrice Gélard. ... un défi qui ne peut plus attendre. On ne peut plus laisser les choses en l'état, on ne peut faire en sorte que nos prisons soient pires que celles des Etats voisins. Le rapport de la commission d'enquête mentionne des expériences positives et intéressantes réalisées aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, dont il nous faudrait nous inspirer. Là encore, les groupes de recherche de droit pénal que j'évoquais tout à l'heure pourraient effectuer des missions à l'étranger et s'inspirer de ces exemples pour vous présenter, dans le cadre d'un groupe de recherche, des propositions.
Si la prison est peut-être un mal nécessaire dans notre société, faisons néanmoins en sorte qu'elle permette à celui qui y vit momentanément de redevenir, un jour, un citoyen à part entière. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Donnay.
M. Jacques Donnay. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la prison semble enfin à l'ordre du jour : l'ordre du jour médiatique, intellectuel et politique.
Des constats énoncés et des rapports présentés, je retiendrai simplement que l'on s'est indigné et que nous nous inscrivons aujourd'hui, enfin, dans la perspective de réformes.
Toutefois, je souhaiterais insister ici sur le fait que, selon moi, ni l'indignation ni les réformes ne suffisent.
En effet, la prison est un monde très compliqué.
Je reviendrai, dans un premier temps, sur la population carcérale, qui s'élevait, au 1er septembre, à 48 835 détenus. Après avoir rappelé que les maisons d'arrêt sont surpeuplées, notamment en raison de la présence « de gens qui n'ont rien à y faire » - 40 % des détenus sont en détention provisoire - je m'attacherai à vous présenter le caractère disparate d'une population qui évolue dans un système confus et engorgé.
La population pénale est actuellement surtout composée de délinquants sexuels et de toxicomanes, les pourcentages de ces derniers s'élevant respectivement à 21 % et à 16,8 % des condamnés. A Fresnes, plus de la moitié des détenus sont condamnés pour des affaires de moeurs. Leur nombre a triplé en trois ans sur l'ensemble du territoire.
Les 40 000 toxicomanes incarcérés chaque année posent d'autres problèmes, et notamment des problèmes de soins : il s'agit en effet d'une population fragile psychologiquement et très exposée au risque du suicide, qui transforme la détention en « prison-hôpital ».
On sait également aujourd'hui que la détention peut prendre la forme de « prison-asile », les malades mentaux représentant, de nos jours, près de 30 % de la population carcérale, ou la forme de « prison-hospice », le nombre de détenus de plus de soixante ans ayant été multiplié par cinq en vingt ans, alors que ce sont les mineurs délinquants qui constituent la hantise des personnels pénitentiaires.
Détenus jeunes ou au contraire très âgés, délinquants sexuels, toxicomanes, cas psychiatriques, il est incontestable que la population pénale vit des mutations auxquelles l'administration pénitentiaire n'a jusqu'à présent pas pu faire face.
Nombre de nos concitoyens n'ont rien à faire en prison, la détention ne devant intervenir que lorsque les autres recours ont échoué.
Pour éviter que les prisons ne deviennent des zones de relégation, il importerait de s'interroger sur la place et les missions de la prison : ce regard citoyen sur l'incarcération me semble un préalable incontournable à la construction d'une véritable réforme des prisons.
Nous savons tous que la prison, malgré les quelques améliorations qu'elle a connues - la santé des détenus a été confiée aux hôpitaux de proximité, la gestion privée a été introduite avec le « programme 13 000 », l'ambiance a considérablement changé, grâce à la meilleure qualité de la restauration, de la maintenance et à l'absence de surpopulation, même si les contacts entre les détenus doivent encore être améliorés - reste trop souvent « une machine à exclure », et que ce système perdure.
Par conséquent, si la prison est à l'ordre du jour, donnons-nous les moyens, pour la justice et les prisons, d'un véritable plan.
L'avenir de la prison dépend du niveau de connaissance, de l'intérêt et de l'exigence que l'on aura à son égard.
Cette exigence doit être une exigence d'humanité pour les détenus, une exigence de reconnaissance de la société vis-à-vis de ceux et de celles qui assurent le fonctionnement des prisons françaises, une exigence de sécurité pour tous les Français - je tiens à le souligner à mon tour - et, plus particulièrement, une exigence de solidarité envers toutes les victimes bien souvent désabusées par les décisions de justice.
C'est pourquoi il nous faut développer les mesures alternatives à l'incarcération, telles que le régime de semi-liberté, les travaux d'intérêt général, le bracelet électronique, une mission de réinsertion sociale - elle est très importante, car, après avoir purgé leur peine, les détenus seront mis en liberté - et la prise en charge des mineurs, avec l'organisation de petites unités de centres éducatifs renforcés et de centres de placement immédiat. Parallèlement à ces orientations, il importe également de s'intéresser de très près au personnel avec, pour objectif, la remotivation. Des efforts doivent donc être menés en termes d'effectifs, de considération de la profession et de formation.
La faisabilité du projet de réformer la prison est acquise, et de récentes déclarations ont entendu le démontrer.
Je souhaite donc que nous nous montrions très exigeants dans nos objectifs et que le système se modifie enfin.
C'est pourquoi, sur les pistes que j'ai pressenties pour un changement, je demande à Mme la garde des sceaux de nous tenir informés des mesures concrètes que le Gouvernement entend mettre en oeuvre. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Cléach.
M. Marcel-Pierre Cléach. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, notre éminent collègue et ami Jean-Jacques Hyest vous a rappelé les quelques propositions de bon sens émises par la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires français, propositions de nature à améliorer concrètement, mais surtout rapidement, les conditions de détention et la situation des personnels.
Je voudrais, pour ma part, évoquer le programme de rénovation immobilier des établissements pénitentiaires et vous dire mes inquiétudes quant à sa réalité et à la longueur de sa réalisation.
Cette inquiétude est largement partagée par les membres de la commission - elle a été exprimée - mais aussi par les associations attachées à l'amélioration du sort des détenus ainsi que par les syndicats représentatifs des personnels pénitentiaires et, plus généralement, par un grand nombre de Français et de Françaises attachés à ce que notre pays ne soit plus compté au rang des nations les plus retardataires dans ce domaine.
Lors de son audition par la commission des lois, le 15 mars dernier, Mme Elisabeth Guigou nous a donné les indications suivantes sur le programme immobilier de construction d'établissements neufs et de réhabilitation d'anciens établissements.
Elle indiquait avoir obtenu la construction de sept maisons d'arrêt à Lille, à Avignon, à Toulouse, à Toulon, à Meaux, à Liancourt et à Saint-Denis-de-la-Réunion, ce programme représentant un investissement de 2,6 milliards de francs.
Elle indiquait également avoir obtenu le financement pour la rénovation des cinq plus grandes maisons d'arrêt que sont les Baumettes, Loos-lès-Lille, La Santé, Fresnes et Fleury-Mérogis, le tout représentant un budget de 3 milliards de francs.
Elle indiquait, enfin, avoir obtenu un budget pour la réhabilitation du parc classique pour un montant de 3,2 milliards de francs.
Cet engagement représentait donc déjà un investissement total de 8,8 milliards de francs.
Un dépliant, communiqué quelque temps après par la direction de l'administration pénitentiaire, détaillait ce programme de construction en trois grandes étapes portant non pas sur neuf, mais sur dix nouveaux établissements pénitentiaires : neuf en métropole et un à la Réunion.
Mais il restera 127 établissements à remettre à niveau sur les 186 existants, et ce non compris les établissements du « programme 13 000 », déjà quelque peu fatigués, les établissements récents des départements d'outre-mer et les cinq prisons les plus grandes, qui doivent faire l'objet d'un programme spécifique.
Selon des estimations approximatives qu'a rappelées M. Badinter, le montant des autorisations de programme nécessaires à la rénovation des vieux établissements pénitentiaires et aux constructions s'élèverait au moins à 13 milliards de francs.
D'autres régions attendent des constructions de nouvelles maisons d'arrêt en remplacement de celles qui existent et qui offrent aux détenus des conditions de vie indignes et des conditions de travail également indignes au personnel de l'administration pénitentiaire, la première circonstance n'étant pas sans conséquence sur l'autre.
On peut donc mesurer, madame le ministre, l'importance des investissements à mettre en oeuvre pour remplacer les établissements pénitentiaires obsolètes et pour réhabiliter ceux qui méritent de l'être.
Le projet de budget de votre ministère pour 2001 prévoit 844 millions de francs d'autorisations de programme, ces moyens s'ajoutant aux 800 millions de francs d'autorisations de programme déjà ouvertes au collectif du printemps 2000. L'administration pénitentiaire recevra donc 1,6 milliard de francs d'autorisations de programme nouvelles pour accélérer la rénovation des établissements, et le programme de construction engagé en 1998 mobilisera près de 3 milliards de francs pour l'ouverture de dix nouveaux établissements.
Par ailleurs, le programme de rénovation des cinq grands établissements reçoit 500 millions de francs d'autorisations de programme pour une estimation de travaux d'environ 3 milliards de francs. Il en va tout autrement des crédits de paiement et des consommations de crédits.
A ce rythme, madame le ministre, combien d'années seront-elles nécessaires pour remettre à niveau notre parc pénitentiaire ? Même si je reconnais bien volontiers qu'un effort particulier a été fait au cours des trois dernières années, combien de temps faudra-t-il ? Quinze ans peut-être, si tout va bien ; oui, si tout va bien, car rien ne dit que les recettes fiscales suivront le rythme qu'elles ont connu en 1999 et en 2000.
D'autres affectations budgétaires pourront être jugées plus importantes et plus prioritaires que l'effort demandé en faveur du service pénitentiaire. Le financement des déficits sociaux, le coût des 35 heures, l'abondement du fonds de retraite, la réduction de la dette et celle, nécessaire, du déficit de l'Etat constituent des impératifs permanents entraînant en leur faveur des arbitrages positifs.
S'y ajoutent les besoins conjoncturels de financement, les situations de crise telle que celle que nous connaissons pour la filière bovine. En conséquence, le financement du programme immobilier que j'ai évoqué risque d'être indéfiniment reporté ou, en tout cas, très largement fractionné.
Les souhaits des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat rejoindraient alors le cimetière des voeux et bonnes intentions de tous ceux qui, depuis des décennies, ont demandé que notre pays soit, également en matière de gestion de la peine, le pays des droits de l'homme.
Puis-je alors vous suggérer, madame le ministre, d'explorer, en y apportant les corrections jugées nécessaires par la pratique et par la réflexion de vos services, mais aussi par la réflexion de tous ceux qui ont travaillé sur ces problèmes, la voie qu'avait ouverte votre prédécesseur, monsieur Chalandon, et qui a permis une réalisation relativement rapide du « programme 13 000 » ? C'est d'autant plus souhaitable que l'appréciation a posteriori de ce système et de l'apport du secteur privé dans ce domaine tout à fait particulier est aujourd'hui positive, y compris de la part des représentants des syndicats pénitentiaires, comme ils l'ont déclaré au cours de leur audition par la commission des lois.
La construction, la réhabilitation et la gestion déléguées nous permettraient incontestablement de faire face plus rapidement aux besoins du système pénitentiaire.
Je terminerai en souhaitant que, quel que soit le choix qui sera fait, vous vous attachiez à redonner espoir aux détenus, bien sûr, mais aussi au personnel de surveillance.
Puis-je vous suggérer également - et pardonnez-moi de redescendre à l'échelon local - d'avoir, chaque fois que votre TGV passera en gare du Mans, une pensée pour sa vieille maison d'arrêt, qui compte en moyenne cent quarante-cinq détenus pour cinquante-cinq places !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je la connais : c'est vrai !
M. Marcel-Pierre Cléach. Le terrain d'implantation d'un nouvel établissement est prêt. Il est agréé par vos services. Les collectivités territoriales et locales sont d'accord sur le choix du site. Il ne manque que la décision de votre ministère - votre décision.
Madame le ministre, il y a belle lurette que la nouvelle maison d'arrêt serait construite si le pouvoir décisionnel en la matière avait été déconcentré ou décentralisé. Pourquoi faut-il que l'Etat soit si lent, si compliqué, si inefficace ?
Nous comptons sur votre bon sens, votre réalisme, votre détermination mais votre coeur aussi, pour qu'en ce domaine si grave, si essentiel pour les droits de l'homme, bien sûr, mais aussi pour ceux auxquels nous confions l'une des tâches les plus difficiles et les plus ingrates de la République, cette inefficacité, au Mans comme ailleurs, ne devienne pas indignité. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer l'initiative de l'auteur de la question orale dont nous débattons, notre collègue Jean-Jacques Hyest, la procédure réglementaire des questions orales avec débat étant un outil fort utile pour le Sénat.
Les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires font donc aujourd'hui l'objet d'une discussion devant la Haute Assemblée.
La fonction punitive ou neutralisatrice de la peine privative de liberté évoque les contraintes de sécurité emblématisées par les barreaux et les miradors.
Dans cet univers, symbole de sanction, les individus ne doivent pourtant pas être ignorés.
Des cris d'alarme ont été lancés, comme l'ont rappelé les éminents collègues qui m'ont précédé à cette tribune : des conditions de santé déplorables avec une population jeune souffrant de graves problèmes de santé, des personnes touchées de plein fouet par le VIH, des pathologies induites par les conditions de détention, un personnel soignant tentant de pallier les insuffisances du fonctionnement pénitentiaire, attendant une réforme significative du Gouvernement ; mais j'arrête là l'énumération des maux dont souffrent encore certains détenus, l'outre-mer étant marqué plus encore par ces problèmes humains, particulièrement par la fièvre Q, au centre pénitencier de Rémire-Montjoly, en Guyane, qui n'a pas encore été totalement éradiquée.
Ces cris d'alarme, relayés par les médias, demeurent à l'esprit de tous. Un hebdomadaire ne titrait-il pas récemment : « Prisons, le huis clos de la honte » ?
Des commissions d'enquête ont été créées dans les deux assemblées.
Les conclusions de la commission d'enquête sénatoriale ont été résumées avec précision par son président et son rapporteur : une population en explosion face à un personnel qui n'est pas reconnu ou mal reconnu, les directeurs de prisons inquiets du climat social et de l'état d'esprit du personnel.
Que demandent-ils depuis plusieurs années ? La mise en oeuvre de la bonification du cinquième au titre de la pénibilité des fonctions et de la reconnaissance de l'Etat pour la mission de service public assurée, d'autant que cette mesure est déjà accordée à plusieurs autres professions tout aussi difficiles : policiers, gendarmes, contrôleurs aériens. Ces personnels de surveillance, qui représentent 20 000 fonctionnaires, en bénéficient. Pourquoi cette discrimination ?
La situation du personnel de direction est grave.
Tout effort de modernisation de la prison risque cependant d'être obéré par des considérations corporatistes. L'Etat démocratique entretient, en fait, des relations difficiles avec le milieu carcéral. Il doit faire appliquer, au sein des prisons, les droits de l'homme, tout en laissant respecter la sécurité publique.
Cette difficulté d'appréhension est mise en exergue dans l'application de la Convention européenne des droits de l'homme par la Cour et par la Commission, les conditions de détention bénéfiant de la protection indirecte de l'article 3 de ladite convention. La gêne est patente, l'équilibre très difficile à trouver en pratique.
La France a déjà fait de grands progrès en abolissant la peine de mort en temps de paix ; néanmoins, notre démocratie demeure toujours gangrenée par ses prisons.
L'établissement pénitentiaire est par essence un lieu de souffrance pour des personnes qui ont enfreint des lois et pour d'autres individus, en attente d'être jugés. Il faut tenter d'améliorer leur situation.
Nombre de solutions ont été préconisées par les assemblées.
Le Gouvernement, en réponse aux remarques faites par les parlementaires, a annoncé une dotation de 10 milliards de francs sur six ans, dont 1 milliard de francs pour 2001 afin de lancer le programme de rénovation du parc immobilier.
On ne peut que saluer cette initiative. Comme tous mes collègues, j'attends une présentation claire de ce plan de rénovation devant notre assemblée, qu'il s'agisse des délais ou des priorités décidées par le Gouvernement. Et je serais tenté de proposer la création d'une mission d'information pour suivre l'application de ce grand chantier.
Le Gouvernement a également proposé une grande réforme législative. On ne peut que saluer cette initiative.
Madame le garde des sceaux, c'est un long chantier que nous commençons aujourd'hui ensemble.
Voilà près de cinq ans que je rapporte devant le Sénat le budget de l'administration pénitentiaire, que je parcours tous les ans les prisons - demain, je serai à Agen - et vous me trouvrez toujours à vos côtés pour soutenir les actions dans ce sens. Mais, je le constate, le Gouvernement a écouté les parlementaires.
Alors que le système pénitentiaire est devenu une priorité, les prisons devraient être dignes du pays des droits de l'homme au xxie siècle.
La prison évolue, le détenu est une entité, le personnel s'adapte, mais le périmètre sécuritaire reste stable.
Nous attendons beaucoup de vous, madame le garde des sceaux. Puis-je former l'espoir que vous mettrez autant d'énergie à valoriser les métiers pénitentiaires qu'il en a été mis dans les grandes réformes de la justice et du droit par votre prédécesseur ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'occasion que nous offre la discussion de cette question orale est importante pour nous tous.
Je veux d'abord saluer, monsieur Hyest, les travaux de la commission d'enquête parlementaire du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France. Vous étiez particulièrement bien placé pour m'interroger sur les suites du rapport de cette commission. A travers vous, je salue en même temps l'ensemble des parlementaires, d'ailleurs, puisque l'Assemblée nationale a également effectué un travail sur ce sujet.
J'ai pris connaissance de ces dossiers - ce sont les premiers documents que j'ai consultés dans les jours qui ont suivi ma prise de fonctions - et je puis vous dire que l'on ne peut pas rester indifférent en lisant tout ce qui y est consigné.
J'ai eu l'occasion, le 8 novembre dernier, d'évoquer cette question devant le Premier ministre et les huit cents personnes qui participaient à l'inauguration de l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire, inauguration qui a été suivie par un colloque de grande qualité dont l'un des animateurs, je le souligne au passage, était M. Hyest.
Au travers de vos questions, vous avez montré tout l'intérêt que le Sénat portait aux questions pénitentiaires, et il est vrai, votre rapport le montre, que cet intérêt n'est pas nouveau. J'en veux pour preuve la loi du 19 décembre 1997, relative au placement sous surveillance électronique, que nous devons à M. Cabanel - lui-même rapporteur de la commission d'enquête parlementaire du Sénat -, ou encore le vote à l'unanimité par le Sénat de la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes, ainsi que les dispositions relatives à la détention provisoire et à la libération conditionnelle, qui auront une incidence significative sur la situation des prisons. J'y reviendrai.
Je n'oublie pas, enfin, que la commission d'enquête du Sénat a vu le jour sur l'initiative de M. Robert Badinter, notamment, et chacun sait ce qu'il a apporté à l'amélioration de la condition des détenus. J'y reviendrai aussi à la fin de mon propos.
Votre question, monsieur Hyest, traite de plusieurs sujets. Vous y abordez notamment les propositions contenues dans le rapport Canivet, que la commission d'enquête du Sénat a entérinées ; vous évoquez les mesures prises à l'issue d'un récent mouvement social pour améliorer la situation des personnels et vous rappelez, enfin, les propositions concrètes de la commission d'enquête relatives à l'amélioration de la condition des détenus, au renforcement des contrôles et à la remotivation des personnels.
Posant ces questions, vous faites directement référence aux propositions contenues dans ce rapport, qui a décliné, vous l'avez rappelé, un plan d'urgence qui s'articule autour de quelques axes prioritaires : l'amélioration des conditions de détention - et il faut lutter, je suis d'accord avec vous, contre la surpopulation des maisons d'arrêt et réhabiliter le parc pénitentiaire - mais aussi la meilleure définition des droits et devoirs des détenus et la remotivation des personnels, qui devraient être étroitement associés au projet de réforme sur le renforcement du contrôle extérieur des établissements.
Je vais essayer de préciser les intentions du Gouvernement, même si, aujourd'hui, je suis convaincue de ne vous répondre que partiellement.
Permettez-moi de brosser rapidement le tableau des décisions qui ont déjà été arrêtées et qui présentent un rapport direct avec les préconisations de votre rapport.
Le 8 novembre dernier, le Premier ministre a inauguré les nouveaux locaux de l'ENAP, qui, sous l'impulsion de M. Méhaignerie, en 1995, a été délocalisée de Fleury-Mérogis à Agen. Il me semble que ces nouveaux locaux, spacieux, respectueux de leurs occupants, sont une première réponse à votre préoccupation. Ils annoncent les établissements pénitentiaires de demain, qui participeront à la réinsertion des détenus tout en offrant aux personnels pénitentiaires des qualités pédagogiques et des conditions de travail en rapport avec l'importance de leurs missions, qu'elles soient de garde ou de réinsertion.
J'ai été frappée par le discours des jeunes dans cette école : quel que soit leur grade, du surveillant au directeur en passant par l'assistance sociale ou le psychologue, ils ont la volonté de faire ensemble ce qui n'a pas été fait dans le passé.
Au cours de cette inauguration, le Premier ministre a fait deux annonces importantes, que vous avez rappelées.
D'abord, s'agissant du programme immobilier, il a rappelé l'existence d'un programme de 10 milliards de francs sur six ans pour la rénovation complète du parc pénitentiaire. Un milliard de francs sera inscrit au budget de l'année 2001 par un amendement au projet de loi de finances, parce qu'il faut marquer que cet engagement est un engagement d'aujourd'hui et non pas de demain.
Ensuite, un établissement public sera constitué pour la bonne conduite de cette opération, parce que nous partageons votre analyse : il faut une structure spécifique pour conduire en un temps aussi court que possible l'ensemble des opérations de destruction, de reconstruction, de rénovation lourde des établissements pénitentiaires. Sans cela, ce programme, annoncé pour six ans, durera sept, huit, voire neuf ans, et peut-être sera-t-il oublié en chemin, ce qui serait profondément dramatique. Nous allons donc créer une vraie rupture dans la façon de gérer ce type de programme.
J'ajoute que, pour aider à la mise en oeuvre de cette grande réforme, j'ai décidé de constituer un conseil d'orientation stratégique dont la mission sera d'aider à la décision sur la dimension, sur le type et sur l'organisation des établissements à construire.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Ce conseil d'orientation stratégique doit être composé de personnes qualifiées pour s'occuper de ce dossier, notamment de parlementaires ayant participé aux commissions d'enquête du Sénat et de l'Assemblée nationale. Je solliciterai d'ailleurs les présidents de chaque assemblée à cette fin.
Il me semble, qui plus est, qu'il pourrait être créé - mais ce n'est pas de ma responsabilité et vous me pardonnerez de ne faire à cet égard qu'une suggestion - un groupe de suivi permanent dans chacune de vos assemblées parce que, au fil des ans, sait-on jamais, des difficultés, notamment d'ordre budgétaire, pourraient survenir. Ainsi, que se passera-t-il en 2003-2004 ? Un tel groupe de suivi permettrait donc de savoir chaque fois où l'on en est, pourquoi on a pris telle ou telle option.
On a parlé tout à l'heure des jeunes architectes. C'est vrai, lorsque l'architecte - celui qui a été retenu pour la prison du Pontet, par exemple - vous parle du projet, en évoquant l'air qu'il a essayé de faire entrer, le regard du surveillant vers son collègue, le regard du détenu, qui voit toujours une longue perspective devant lui, c'est déjà un échange sur le sens de la peine, sur la dignité de l'homme.
Le groupe qui sera chargé de suivre le programme devra toujours veiller à ce que l'architecte, le bureau d'études ou le maître d'oeuvre ne s'enferme pas dans des considérations liées à la qualité actuelle des bétons, au problème des marchés infructueux ou aux difficultés à trouver tel ou tel matériau ; il devra aussi veiller à ce qu'il pense toujours au regard du surveillant, à celui du détenu, à l'emplacement de l'appartement qui permettra le lien familial, à la façon dont on construira la salle de jeux pour les enfants. Tout cela fait partie d'un travail que je vous souhaite aussi intéressant et fructueux que possible.
Voilà une première réponse à votre souci de mesures immédiates et concrètes : un programme global, un budget, un calendrier et un établissement public spécialement affecté à la reconstruction ou à la rénovation des établissements pénitentiaires.
En fait, ce que vous propose le Gouvernement, à savoir un établissement public, n'est pas éloigné de votre agence. Peu importe les mots, nous avons le même objectif.
Je rappelle que ce programme immobilier complète celui qui avait déjà été arrêté, et qu'il porte sur les cinq plus grandes maisons d'arrêt - la Santé, Fleury-Mérogis, Fresnes, les Baumettes et Loos-lès-Lille - sur la reconstruction de neuf établissements pénitentiaires - Toulouse, Avignon, Liancourt, Meaux, Toulon, Lyon, Nice, la Réunion et Basse-Terre - et sur la construction d'un établissement supplémentaire à Lille, qui souffre d'un grave déficit de capacité. L'énumération peut paraître fastidieuse, mais elle correspond à une réalité que vous connaissez mieux que personne.
Est-il besoin de préciser, une fois encore, qu'il ne s'agit en aucun cas de construire en prévision d'une population plus importante, mais de reconstruire pour assurer des conditions de détention dignes ?
Il faudra respecter l'obligation d'encellulement individuel que le Parlement a voulu dans la loi du 15 juin 2000. Par rapport à la population pénale d'aujourd'hui, le déficit est de 9 000 cellules.
Nous devons être extrêmement vigilants devant la tentation qui consiste à dire que la plupart de ceux qui ont commis certains actes dans certains quartiers devraient être enfermés rapidement. C'est dangereux. Ne nous trompons pas d'objectif : il s'agit bien de satisfaire aux conditions de dignité des détenus, prévenus ou condamnés et non pas de faire de la place à ceux qui n'auraient pas été condamnés suffisamment.
Comme je l'ai dit récemment devant la commission des lois, nous devons parler avec les détenus - nous avons choisi la Santé parce que c'est le premier établissement que j'ai visité - pour qu'ils nous disent comment ils voient l'encellulement individuel, qu'ils nous disent leurs angoisses du soir, leur volonté d'échanger à des moments différents de la journée, qu'ils nous disent s'ils ont envie d'autre chose que ce que nous avons, nous, cru être un idéal.
Enfin, pour répondre complètement à votre interrogation sur les mesures à prendre pour remédier à l'encombrement des maisons d'arrêt, je voudrais préciser que mes services procèdent actuellement à une étude des moyens grâce auxquels les condamnés pourraient être plus rationnellement et plus rapidement orientés vers les centres de détention nationaux et régionaux. Il y a là effectivement un scandale, vous avez raison de le dire, et nous avons l'obligation d'y mettre fin.
Ainsi, certaines affectations pourraient être décidées sans passage par le centre national d'orientation de Fresnes, car, si c'est parfois une commodité, ce n'est pas une obligation en droit. Nous le ferons aussi vite que possible. Je vous invite d'ailleurs, au vu des chiffres que nous vous donnerons régulièrement, à nous dire si nous allons assez vite ou si nous sommes repris par l'habitude.
M. le Premier ministre a voulu, avec nous tous, accompagner cette annonce d'un programme immobilier - qui ne suffira jamais - d'un projet de loi pénitentiaire. Dans son discours d'Agen, il a confirmé sa volonté de voir le Gouvernement déposer ce projet rapidement.
La commission d'enquête du Sénat, il est vrai, s'est montrée réservée sur le principe de ce texte qui, selon son expression, ne changerait pas la prison, pas plus que l'on ne change la société par décret. Je partage cet avis.
Mais l'élaboration d'une loi sur l'application des peines est pourtant nécessaire, et d'abord pour mieux préciser - certes, pas pour vous, mais pour tous ceux qui suivront les débats parlementaires - le sens de la peine dans une société moderne et démocratique. J'attends de ce débat cette finesse d'analyse dont vous êtes capables. J'attends surtout de ce débat qu'il porte au-delà des enceintes des assemblées, pour être entendu par chaque citoyen de cette société qui « met en prison une partie d'elle-même ».
L'élaboration de cette nouvelle loi est également nécessaire parce qu'il faut élever au niveau législatif une partie des dispositions réglementaires du code de procédure pénale, ainsi que le recommande le rapport Canivet, qui a été approuvé par votre commission d'enquête, parce qu'il faut introduire de nouveaux droits pour les détenus, parce qu'il faut préciser les missions de l'administration pénitentiaire, définir les grands principes d'organisation des établissements, actualiser le statut des personnels.
C'était là une demande forte du mouvement. Contrairement à ce que l'on observe souvent dans de tels mouvements, il y avait, en fait, un accord profond entre l'ensemble des personnels, les directeurs d'établissement, les directeurs départementaux et régionaux et l'administration centrale. C'est la première fois, me semble-t-il, qu'un mouvement traduit un souci collectif d'une administration.
Enfin, il faut instaurer définitivement un contrôle extérieur des établissements pénitentiaires. Vous l'avez demandé, et il faut que nous l'inscrivions dans la loi. Sait-on jamais ! Un jour, nous ne serons plus là et nous devons donc éviter que, par facilité peut-être, il n'y ait plus ces contrôles que nous allons instaurer les premières années.
Je suis par ailleurs convaincue de l'intérêt d'un débat national sur les prisons parce que, sur ce point, les préoccupations de la commission, même si le projet proposé ne prend pas exactement la forme préconisée, participent de ce qui peut être un débat d'orientation, et j'espère qu'à la fin de ce débat, nous pourrons revenir à ce qui sera alors au coeur de notre engagement collectif, à savoir les mesures immédiates.
Aujourd'hui, les mesures immédiates sont un sujet brûlant, comme l'a fait, à juste titre, observer M. Hyest dans sa question. Nombre de solutions s'inscrivent dans le moyen terme, voire dans le long terme, et l'on ne remédie pas en quelques mois au désintérêt de plusieurs décennies.
Ce désintérêt n'a pas été celui des gardes des sceaux successifs, et, à cet égard, j'ai bien entendu la réponse spontanée de M. Badinter.
Ce désintérêt a été celui d'une population d'abord inquiète au sortir de la guerre, occupée ensuite à la construction des années soixante-dix et, enfin, frappée par la crise économique qui a suivi le choc de 1974, repliée sur elle-même parce que traumatisée par un chômage qui faisait naître les insécurités. Du coup, on a totalement abandonné le sujet des prisons.
Bien sûr, vous avez, par votre soutien au budget, permis qu'on inscrive, en 1998, plus de 60 millions de francs pour l'amélioration des conditions de détention et d'hygiène, qu'il s'agisse de la distribution de produits de première nécessité, renouvelée pour ceux qui n'ont pas de moyens, ou du cloisonnement des sanitaires.
Vous avez permis que 20 milliards de francs soient inscrits au projet de loi de finances pour 2001 pour revaloriser le travail des détenus affectés au service général des établissements. L'un d'entre vous l'a rappelé tout à l'heure. Il fallait, dès cette année, résoudre cette question. La décision intervient sur la recommandation d'un groupe de travail sur l'indigence qui a rendu son rapport en avril 2000. Elle est en complète harmonie avec une recommandation de votre commission d'enquête. (M. Jean-Jacques Hyest opine.)
Des moyens importants ont été « arrachés », si je puis dire, par Mme Guigou, dans le même contexte que celui qu'a évoqué précédemment M. Badinter.
Ainsi, 226 postes de surveillants spécialement formés pour les quartiers de mineurs ont été créés en quatre ans. Je rappelle que cette spécialisation n'existait pas auparavant ; personne n'était formé pour s'occuper des mineurs.
Même si 30 millions de francs ont été consacrés à la réhabilitation de ces quartiers de mineurs - vous avez souligné à quel point ils nous choquent - dont le nombre a augmenté, passant de 53 à 59, pour assurer une plus grande proximité des mineurs détenus et de leur famille ou des services éducatifs, nous sommes toujours insatisfaits de la situation.
Evidemment, dans le même temps, des mesures ont été prises pour la création des centres éducatifs renforcés et des centres de placement immédiat. J'ai bien entendu hier, aux assises de la protection judiciaire de la jeunesse, à Marseille, à quel point la question se posait encore du placement des jeunes, des plus jeunes, de ceux qui, malheureusement, utilisent la violence pour se porter mieux. Je sais que cette question se reposera au fur et à mesure de l'installation de ces centres.
Je reste intimement convaincue que la plupart des jeunes qui sont en grave situation de violence ou de délinquancce sont des jeunes qui ont une situation personnelle très difficile, qui sont en choc affectif permanent, qui ont un tel besoin de réassurance que, parfois, les faire accueillir par des adultes qui les respectent, qui leur parlent, qui les aident à écrire un projet personnel, peut-être une solution, même si ce n'est pas la seule.
La procédure disciplinaire a été réformée dans des conditions que nous aurions préférées différentes puisqu'un avis du Conseil d'Etat a été nécessaire pour avoir la certitude que la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration était applicable dans les établissements pénitentiaires.
Désormais, les détenus comparaissent devant la commission de discipline accompagnée d'un avocat ou d'une personne qui les assiste.
Je vois, pour ma part, un progrès considérable dans cette réforme, qu'il nous faut maintenant parachever en poursuivant la concertation avec le barreau et avec les organisations syndicales des personnels pénitentiaires, afin d'affiner les modalités d'application dont nous n'avons pu discuter avant l'entrée en vigueur de la loi.
En revanche, je pense que nous devons tirer toutes les leçons des premières expériences. En fait, je ne veux plus entendre les surveillants me dire qu'il ne s'agit plus maintenant de commissions de discipline mais du procès des surveillants. Tel n'est pas l'enjeu. L'enjeu, c'est de permettre à chaque détenu, à égalité d'armes, d'expliquer son comportement, peut-être de demander la clémence.
En tout cas, ce texte, en l'état, nous conduira à avoir une large concertation avec ceux qui doivent défendre les détenus en prison. Moi, je ne regrette rien parce que, plus il y aura d'avocats ou de mandataires qui entreront dans les prisons, plus on parlera dans les prisons, plus l'opinion publique restera totalement et constamment informée. Cet acquis n'est pas négligeable.
On a insisté pour que deux autres séries de mesures concernant l'accès au droit des détenus soient mises en place.
En application des dispositions de la loi du 18 décembre 1998, des points d'accès au droit sont progressivement installés dans les établissements. C'est le cas à Fleury-Mérogis et à la Santé. Même si, c'est vrai, cela ne se passe pas dans de très bonnes conditions, ce n'est pas une raison pour ne pas le faire.
D'autres projets doivent voir le jour à Fresnes et à Loos-lès-Lille. Nous devons en tirer rapidement les leçons pour que tous les établissements aient ensuite ce type de lieu.
Enfin, la juridictionnalisation de l'application des peines permettra à la défense d'entrer dans les établissements pénitentiaires pour débattre contradictoirement des aménagements de peines auxquels un détenu peut prétendre, avec la possibilité d'un second débat contradictoire en appel si la réponse est défavorable. C'est collectivement, l'espoir des détenus, donc le nôtre.
D'autres réformes que préconise la commission d'enquête sont à l'étude par mes services. Nous n'avons pas pu, en si peu de temps, aller au bout d'un travail difficile. Un groupe étudie, en particulier, la possibilité de détenir une radio au quartier disciplinaire - cela semble anodin, mais c'est fondamental - et la possibilité d'avoir des parloirs.
Ces mesures, à mon sens, sont urgentes. Mais il faut absolument que les personnels pénitentiaires y soient associés. Cela se fera dans les mois qui viennent. Nous ne devons pas, dans ce mouvement formidable que vous avez lancé, oublier ces personnels, qui doivent s'associer à la mise en place des mesures, les porter bien haut, pour ne pas avoir l'impression qu'on leur reproche quoi que ce soit.
Ces personnels ont été traumatisés non seulement par tout ce que l'on a dit d'eux à l'extérieur, mais surtout par de graves agressions et la mise en cause de leur autorité. Ils doivent comprendre - on doit les y aider - qu'il s'agit non pas d'accorder une faveur aux détenus, mais de poursuivre un objectif de réinsertion, même à l'égard des punis, en empêchant ce qui pourrait avoir des effets déshumanisants pour certains d'entre eux. Il faut diminuer les tensions et permettre à chacun de s'exprimer. Le personnel lui-même en sera bénéficiaire parce qu'il travaillera dans une plus grande sérénité, même si le mot lui est pour l'instant presque étranger.
La commission d'enquête préconise une plus grande transparence des établissements pénitentiaires. Sur ce point, nous sommes tous tellement d'accord que nous devons laisser les tournages de reportages, de films et les interviews des personnels se faire.
Mais un encadrement est nécessaire. J'ai du mal à expliquer à certains journalistes que l'on ne peut pas interviewer un détenu identifié ou identifiable... ou faire un reportage qui amènerait l'administration pénitentiaire à révéler des informations relatives à la sûreté de l'établissement ou des familles à découvrir sur leur écran de télévision un familier qu'ils ne veulent pas voir dans les conditions d'un détenu.
Bref, il faudra encadrer l'entrée de la médiation des journalistes dans les établissements pénitentiaires, tout en reconnaissant qu'il faut continuer à en parler beaucoup.
Monsieur Hyest, vous avez évoqué le récent mouvement social au sein de l'administration pénitentiaire. Je retiens que votre rapport dit des personnels pénitentiaires qu'ils sont « dévoués, désorientés et soucieux de reconnaissance ». Ce que j'ai vu et lu ces derniers temps me permet de souscrire totalement à ce diagnostic. Ils sont dévoués, ils sont désorientés ; ils sont soucieux de reconnaissance et ils craignent que les commissions d'enquête parlementaires n'aient pas de lendemain.
Comme je l'ai déclaré lors de l'inauguration de l'ENAP le 8 novembre dernier à Agen, les personnels qui souffrent d'une situation qu'ils n'ont pas créée, pas voulue et qui accomplissent avec courage une difficile mission méritent toute notre reconnaissance.
Les moyens qu'ils ont obtenus, que je vous ai détaillés lors de ma dernière audition en commission, les espoirs importants qu'ils ont d'un suivi de ces premières mesures, mais aussi leur déception à la lecture du projet de loi de finances pour 2001, qui ne leur apporte pas - même si c'est un bon projet puisqu'il crée 545 emplois - tout ce qu'ils souhaitaient - 1 000 postes en 2000 et 1 500 en 2001 - doivent être pris en compte.
Nous avons donc fait un premier pas. Nous reconnaissons certes qu'il est insuffisant, mais nous poursuivrons dans cette voie.
Le traumatisme des personnels doit toujours être pris en compte. La tentative d'assassinat d'un surveillant de la maison d'arrêt de Saint-Etienne en juillet dernier, commise à l'extérieur de l'établissement, aggravée par l'assassinat le 8 septembre d'un surveillant de la maison d'arrêt d'Avignon, pour un motif sûrement lié à sa vie privée, ont créé des conditions d'insécurité, non seulement au sein des établissements mais aussi à l'extérieur.
Nous devons donc être très vigilants - j'y reviendrai, monsieur Badinter - sur l'ambiance générale de ces maisons où la société s'enferme. Si les surveillants, si les personnels sont dans un état de crainte, il déteindra forcément sur les détenus et nous aurons des situations terribles.
Ce mouvement social, dont la vision donnée par les surveillants massés devant les prisons était pénible à supporter, doit être pris en compte tel qu'il est. Nous avons pu inscrire les moyens nécessaires dans le budget pour répondre à l'urgence. Je revois régulièrement les représentants des syndicats de personnels, dont les indemnités ont été revalorisées. Même si les contraintes et le fait que le projet de budget était arbitré depuis l'été ne nous ont pas permis de résoudre tous les problèmes, il faut leur dire que le Gouvernement et le Parlement réparent l'injustice subie par les personnels administratifs et revalorisent les carrières. Cette réforme est historique pour eux car on reconnaît enfin qu'ils jouent un vrai rôle dans la société. Ce protocole marque une étape ; nous devons rester à leur écoute, améliorer le dialogue social et parler de gestion des ressources humaines.
Comment veut-on que les détenus soient respectés si les personnels ne se sentent pas soutenus lorsqu'on les oblige à changer de lieu d'affectation, qu'ils ne trouvent pas de logement et qu'ils sont éloignés de leurs enfants ?
Bref, nous devons avoir comme souci particulier de redessiner notre organisation générale de la ressource humaine.
Les directeurs ne se sont pas ou peu exprimés. Je voudrais dire, puisque l'un de vous m'y a invitée, qu'ils ont, en particulier ceux qui ont la charge des plus grands établissements, de lourdes responsabilités. Ils s'inquiètent - ils m'ont déjà expédié plusieurs courriers à ce propos, ainsi qu'à vous - d'une grille indiciaire qui ne les favorise pas au regard d'autres corps. Je pense qu'ils ont raison. Nous devons donc prendre en compte la situation des directeurs, parce qu'il est anormal que des personnels accomplissant une fonction aussi noble que celle-là aient l'impression d'être oubliés.
Je répondrai maintenant directement à vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs.
M. Hyest a beaucoup parlé de la surpopulation des maisons d'arrêt. Il est vrai que l'on pourrait songer à placer certains détenus en centre de détention. Il est en effet exact que 1551 cellules ne sont pas utilisées - même si ce chiffre est un peu moins élevé cette année. Mais il faudrait alors modifier la loi, car ce placement est impossible pour les détenus qui purgent une peine inférieure à sept ans. Pourquoi ne pas la fixer à dix ans ? C'est une question que je me pose, et elle pourrait très bien recevoir une réponse en urgence dans la loi pénitentiaire.
Toutefois, il faut être prudent, car nous aurons bientôt besoin de ces places disponibles, lors de la rénovation ou de la destruction de certains établissements.
Le surpeuplement actuel des maisons d'arrêt est fort dommageable. Il conviendra de réfléchir à ce que nous pouvons faire pour améliorer la situation.
Parmi les mesures immédiates que nous envisageons, nous pensons qu'il faut tranformer les centres de détention régionaux en centres de détention nationaux.
Quant au centre national d'observation, ce n'est pas une nécessité, je l'ai dit tout à l'heure. Il faut donc l'éviter, et chaque fois que l'on pourra l'éviter on l'évitera.
Par ailleurs, placer les détenus en établissements pour peines implique qu'il faudrait peut-être scinder nos établissements monolithiques en établissements fractionnés, avec une aile pour chaque type de peines. Il faudrait aussi parler de géographie et de localisation.
Tout est possible. Il ne faut pas s'enfermer dans des définitions rigides, mais trouver ensemble la bonne façon de répondre aux problèmes, avec beaucoup de souplesse, et ce dans le respect du droit.
Vous avez également relevé, monsieur Hyest, que les crédits de paiement n'étaient pas consommés. Effectivement. Chaque fois qu'il y a des pics, comme dans tout budget de collectivités publiques, on lance un programme - par exemple, le « programme 13 000 », puis le « programme 4 000 » - ...
M. Jean-Jacques Hyest. Ce sont des autorisations de programme !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux ... et ensuite on inscrit les crédits de paiement dans un souci de rapidité. Je l'ai dit en commission, je le répète du haut de cette tribune, mieux vaut garder ces crédits, c'est plus prudent. Sait-on jamais comment ils pourraient être récupérés ! Accélérer les choses, c'est accélérer la mise en place de cet établissement public qu'on a annoncé.
Vous avez parlé de gestion de ces crédits par le directeur de l'établissement ou par une délégation générale, et un intervenant s'est référé aux établissements hospitaliers. Mais le statut de ces établissements est différent : ils sont gérés à la fois par une direction et par un conseil d'administration. Il est impossible de déléguer cette mission de service public à l'établissement pénitentiaire proprement dit. En revanche, pourquoi ne pas déconcentrer un certain nombre d'actions à l'échelle des directions régionales ?
Un effort est certainement à faire dans ce domaine ; l'administration en est consciente et reste vigilante quant à l'utilisation des crédits et s'agissant des priorités que vous avez dégagées. Nous rechercherons l'efficacité ; au-delà de l'établissement public, d'autres systèmes pourront être trouvés.
S'agissant du fonctionnement et de son évaluation permanente, il faut effectivement disposer d'indicateurs spécifiques de suivi : sanitaires cloisonnés, restauration, quartiers disciplinaires, troisième douche hebdomadaire - malheureusement, nous n'en sommes qu'à la troisième, loin encore de la douche quotidienne.
Bref, nous devons vous fournir un état des lieux, si je peux me permettre cette expression, qui n'est guère appropriée, fondé sur des critères que vous partageriez.
J'en viens à ce que vous avez dit sur les téléviseurs - et cinq autres intervenants ont évoqué cette question.
C'est vrai, il faut être franc, ce système permet de fournir aujourd'hui gratuitement aux détenus les plus démunis des téléviseurs. Ce qui est versé par les autres sert aux oeuvres sociales. Si l'on revient sur ce système, il faudra trouver d'autres moyens de financer les oeuvres sociales.
Cela étant, pour ma part, je ne suis pas contre le fait, comme dans les hôpitaux - parce que c'est ainsi dans les hôpitaux - qu'on participe, quand on a des revenus suffisants, au coût de location d'équipements de ce type. En tout cas, il faut tout de même se garder d'aller trop loin dans l'autre sens, à ne pas envoyer le balancier tout au bout de sa course, car alors les malades hospitalisés pourraient formuler la même demande.
Nous avons prévu 5 millions de francs dans le projet de budget pour 2001 pour améliorer les choses ; mais on peut aller au-delà. Il restera à financer les oeuvres sociales, qui permettent aussi des réinstallations. Sur ce point, j'examinerai de plus près ce que prévoit au total ce budget et étudierai comment on peut répondre à votre préoccupation, qui est fondée.
Je suis désolée d'être un peu plus brouillonne, je réponds mais dand l'ordre où vos questions ont été posées.
Vous avez parlé ensuite de l'octroi du RMI aux détenus.
C'est très délicat. D'ailleurs, je relisais récemment que le Secours catholique et la NVP sont opposés à toute aide financière qui aurait un caractère automatique. Je ne sais pas quel est - je n'ai pas fait le tour de la question ; vous imaginez bien qu'en quatre semaines je n'ai pas eu le temps de tout voir - le fondement de leur position.
Pour nous, en tout cas, le fait générateur de l'attribution du RMI est de donner des moyens convenables d'existence. Cette notion ne s'applique pas bien aux personnes détenues.
En revanche, je le disais ce matin à une journaliste qui m'interrogeait à ce sujet, je trouve qu'en ôtant tout droit social à une aide personnelle à une personne incarcérée, on crée une autre forme de double peine, qui frappe non pas le détenu, mais sa famille, car le détenu, lorsqu'il était libre, contribuait, bien ou mal, quelquefois très mal, aux ressources de la famille ; certains détenus peuvent avoir été salariés et seuls générateurs droits sociaux : une fois incarcérés, ils perdent ces droits, et alors la famille tout entière en pâtit.
Nous devons réfléchir ensemble sur cette éligibilité au RMI. Doit-il être versé directement au détenu ? Doit-on prendre en compte sa famille ? Je n'ai pas encore la réponse à cette question. En revanche, j'entends bien que l'absence totale pour quelqu'un de possibilité d'acheter quelque chose à un moment donné de son existence en prison est sûrement très lourd à porter. Même si les services dits des indigents apportent à celui qui n'a rien la télévision ou quelque nourriture, je pense que ce n'est pas digne. La possibilité d'acheter peut aider à la réinsertion.
Je me saisis de ce dossier tel qu'il est, c'est-à-dire sans expertise et je m'engage à mettre cette question sur la table et je m'engage avec vous et avec la ministre de l'emploi et de la solidarité, qui est particulièrement informée de cette demande.
Monsieur Cabanel, vous avez évoqué l'expérience, à laquelle vous tenez beaucoup, du bracelet électronique. Il est en cours d'expérimentation dans les établissements d'Aix, d'Agen, de Grenoble et de Loos-lès-Lille. Deux sociétés ont été sélectionnées et les premiers bracelets sont expérimentés sur trois sites, où trois personnes seulement sont actuellement placées sous bracelet.
En effet, je vous l'ai déjà dit en commission, le juge d'application des peines, qui à tenu à en essayer un certain nombre, a dû constater qu'ils se déclenchaient tout le temps ; nous avons connu quelques problèmes techniques.
Il faut aussi trouver des condamnés qui l'acceptent ; le dernier condamné a refusé. Les juges d'application des peines doivent donc faire preuve de prudence, mais aussi parfois de persuasion.
J'ajoute que le juge d'application des peines est aussi alerté par des familles qui ne souhaitent pas que ce soit « leur condamné » qui bénéficie de cette expérimentation.
Un travail important reste donc à faire. Je souhaite que plus de détenus soient placés sous bracelet électronique. Nous pourrions ainsi tirer suffisamment de leçons pour déterminer si ce système est bon ou non. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, avec l'aide des services pénitentiaires, pour que nous allions plus vite.
M. Pelchat a parlé des jeunes.
Ni les personnels ni les établissements pour mineurs ne sont à la hauteur de ce que nous attendons d'eux. Certes, notre pays compte maintenant trente centres éducatifs renforcés et vingt-trois centres de placement immédiat. Toutefois, même si les mineurs sont séparés des majeurs, même si leur quartier est identifié, l'état du parc pénitentiaire immobilier fait qu'ils ont l'impression de partager la prison des majeurs et sont blessés de leur situation, ou, parfois, à l'inverse, en tirent gloire.
Nous avons donc vraiment l'obligation d'aller plus vite.
Nous avons créé 380 emplois supplémentaires en 2000, auxquels viendront s'ajouter 128 autres emplois pour les quartiers des mineurs en 2001. Il nous faut accélérer ce mouvement - j'ai évoqué tout à l'heure les débats qui l'entouraient, je n'y reviens pas - sans oublier quelque chose de plus important peut-être, à savoir la sortie du jeune détenu.
L'administration pénitentiaire a renforcé - c'est bien - ses liens avec la protection judiciaire de la jeunesse sur le terrain, afin que le relais soit pris par les éducateurs de la PJJ dès la sortie du jeune. C'est nécessaire, particulièrement en région parisienne, dans les quartiers les plus difficiles. S'il n'y a pas ce travail des personnels de la PJJ, entrant dans l'établissement pour discuter avec le personnel de ce qui va se passer à la sortie, il y aura trop de récidive. Le travail bien fait doit favoriser les remises de peine au bénéfice en particulier des mineurs, qui pourront ainsi sortir plus rapidement de ces établissements.
M. Pelchat s'est interrogé sur la catégorie A. Nous ferons mieux cette année - j'y reviendrai plus en détail lors de la discussion budgétaire - pour ceux qui exercent les activités de chef d'établissement. Il s'agit donc plutôt d'une bonne nouvelle pour eux. C'est un souci de moins pour vous, même s'il faudra poursuivre dans cette voie.
M. Bret a indiqué que le plus important réside dans la prévention pour les jeunes. Il est vrai que, si nous acceptons bien collectivement l'objectif des centres de placement immédiat et les centres d'éducation renforcée, nous devons créer un lien entre l'enfant déjà délinquant et l'école.
Je n'ai pas bien admis, je dois être franche, que certains personnels me disent hier que l'éducation nationale était tellement faible face à cette situation qu'elle appelait systématiquement l'extérieur au secours. Il faut comprendre que cela se fasse dans certains établissements. Il faut l'admettre et chercher pourquoi.
Ces centres seront une réponse intéressante si les 112 emplois de conseillers d'insertion que nous allons créer dans le projet de loi de finances pour 2001 sont envoyés rapidement sur le terrain pour prendre en compte un projet d'éducation.
Certains éléments sont tout de même positifs. Ne soyons pas totalement pessimistes aujourd'hui. En effet, 65 % des premiers jeunes sortis sont à l'école ou en apprentissage, et nous enregistrons beaucoup moins de récidives immédiates qu'autrefois.
Le projet du jeune est réellement pris en compte. Ce que vous avez dit est suffisamment fort pour que l'on y soit encore plus attentif demain.
M. Bret a parlé de la réforme de la libération conditionnelle, de la loi du 15 juin 2000, des critères non seulement de travail, mais aussi de formation, de santé, de contribution à la famille. Tous ces éléments sont pris en compte. Nous avons élargi les critères.
Je compte beaucoup sur la juridictionnalisation, sur la présence de l'avocat auprès du juge de l'application des peines. Je note que les libérations conditionnelles sont encore insuffisantes. Je relève également qu'il est bon que l'on ait abandonné l'idée de travail obligatoire parce que l'on ne peut pas exiger cela d'un détenu qui a été en grande difficulté. En revanche, qu'il ait un projet pourrait permettre qu'il sorte.
Vous avez également parlé des alternatives à la détention. En 1989, 77 000 cas et 149 000 aujourd'hui. C'est mieux.
Nous avons plus de travailleurs sociaux, plus de formations, mais nous aurons besoin du concours des collectivités territoriales. Il faut que le travail d'intérêt général soit bien accepté par les habitants, les personnels, par les municipalités et par les maires eux-mêmes ; il faut qu'il soit porté par les communes. Si tel n'est pas le cas, ce travail deviendra une sorte d'humiliation organisée : celui qui ramasse les feuilles, alors que personne n'a envie d'accomplir cette tâche, sera montré du doigt.
Avec les collectivités, d'abord, mais aussi avec les artisans, les chambres de métiers, les chambres de commerce, on peut trouver des solutions, en apprentissage par exemple, qui soient tout à fait valorisantes pour tout le monde.
Monsieur Bret, vous avez proposé l'instauration d'un numerus clausus . Je n'y crois pas. Je crains que ce ne soit une solution de facilité. Comme je l'ai déjà dit dans une autre enceinte, les Hollandais n'en sont pas satisfaits ; la population commence à parler des gens condamnés qui n'ont pas effectué leur peine, et cela crée un climat difficile.
Prévoyons plus de peines alternatives à la privation de liberté, travaillons sur les conditions d'accueil, mais méfions-nous d'une solution qui nous donnerait peut-être bonne conscience mais qui nous obligerait à contrôler le nombre de personnes qu'on met en prison. Et qui ferait le « tri » ?
Je crains que ce dispositif ne soit d'une application délicate et qu'il ne relance certains discours sécuritaires que ni vous ni moi ne voulons entendre. Je ne rejette pas votre proposition parce qu'elle serait mauvaise, je pense simplement que les conséquences doivent être examinées très précisément.
Monsieur Bret, vous avez également évoqué la loi du 12 avril 2000 ; mais je n'y reviens pas.
Vous avez surtout insisté, comme beaucoup d'autres orateurs, sur la fréquence des suicides.
Le suicide, c'est ce qui est le plus insupportable, car c'est l'échec le plus grave d'une personnalité.
Il y en a moins aujourd'hui, dans les établissements qui ont été réhabilités que dans les autres, c'est tout ce que je peux dire. Nous avons donc un léger espoir.
Interrogeons-nous également, comme je le disais tout à l'heure, sur les problèmes liés à la solitude, aux horaires, qui se posent aussi à l'extérieur.
Il y a moins de suicides, monsieur Bret, mais ce n'est pas une consolation, il y en a toujours trop !
Vous avez tous parlé du sevrage des toxicomanes dépendants, qui conduit au suicide. La souffrance de la personne en sevrage est telle qu'elle est plus insupportable encore que d'autres types de souffrances physiques. Nous le savons tous maintenant, pour l'avoir lu et entendu, souvent en direct. Il nous faudra donc parler à nouveau des soins en milieu carcéral.
Je relance actuellement, avec Elisabeth Guigou et Dominique Gillot, le travail sur la santé. Je me permets toutefois d'évoquer tout de suite la dramatique pénurie de psychiatres, aussi bien dans les hôpitaux que dans les prisons.
Je ne sais ce que la société doit faire pour que de jeunes futurs médecins aient envie de devenir psychiatres dans le secteur public. Dans les hôpitaux psychiatriques, il y a aussi beaucoup de honte cachée et des services qui ressemblent parfois aux prisons les plus dures. Comment faire pour que cette assistance qui est tellement nécessaire, soit donnée, alors que la médecine médiatique, la médecine où l'on enregistre des succès que l'on peut qualifier d'éclatants, c'est une médecine plus organiciste.
Nous aurons de nouveau à parler de la psychiatrie tous ensemble.
Malheureusement, nous ne sommes pas, je vous le dis franchement, à la veille de pouvoir régler ce problème, tant les psychiatres sont peu nombreux à accepter de partir vers l'hôpital ou la prison.
Nous devons également travailler sur l'alternative que représente l'hôpital psychiatrique, et qui dépend actuellement du juge, et sur l'injonction de suivre des soins. Quatre établissements seulement, c'est insuffisant. Nous devons ouvrir ce débat avec le ministère de la santé. Mais ce n'est pas tout à fait au point, je le dis très franchement.
A propos de l'accueil des familles et des visiteurs, vous avez tous évoqué ces salles d'attente, en amont des parloirs, qui ne sont pas adaptées. Equipons au moins ces salles d'attente d'un mobilier adapté aux enfants, de livres, de distributeurs de boissons... Faisons entrer de la vie, de la couleur, de la chaleur humaine !
Pour avoir vu ces salles d'attente, comme vous, avant d'être garde des sceaux et depuis, j'ai été aussi choquée que vous. Seule une vingtaine d'espaces d'enfants est actuellement programmée pour. Mais, dans tous les établissements, l'accueil de la famille sera une priorité.
Dans le même ordre d'idées, tous les projets architecturaux prévoient des unités familiales de vie pour que le détenu passe quarante-huit heures avec sa famille. Je sais l'anxiété des surveillants, je sais l'anxiété des juges de l'application des peines, je sais les risques que nous prenons. Mais il faut le faire. Si nous ne prenons pas ces risques, nous n'aurons pas le courage minimal nécessaire pour continuer à exercer les mandats qui nous sont confiés.
Vous avez également pu constater que nous avons étudié l'élargissement des plages horaires d'accueil. Cependant, en travaillant avec la direction sur la mise en place des 35 heures et sur l'organisation de la journée des personnels, nous nous sommes aperçus qu'il fallait reparler de l'organisation de la journée des détenus. C'est là un vrai grand sujet, et vous avez tous raison de dire qu'il faut, pour les familles, que les établissements soient desservis par des transports en commun.
J'ai été quelque peu étonnée que l'on m'interroge sur le web dans les prisons, alors que nous sommes actuellement sous les feux médiatiques à propos des téléphones portables. Le web est un outil de communication beaucoup plus intéressant et beaucoup plus performant que le téléphone portable : je vous le dis tout de go, il n'y aura pas de web dans les prisons, c'est impossible à gérer.
En revanche, rien n'empêche d'avoir des postes informatiques et des cédéroms. A partir de l'informatique, on peut apprendre à lire quand on n'a pas envie de lire, on peut apprendre l'art, on peut apprendre la musique, on peut apprendre des langues, on peut apprendre le plaisir de découvrir des paysages. On peut tout apprendre avec ces merveilleux outils. Il faut donc faire un énorme effort sur les cédéroms. Parce que, comme le disait récemment Louis Mermaz, des détenus sont pauvres et, souvent, n'ont pas eu la chance d'aller à l'école, le maniement des cédéroms peut être un moyen de s'ouvrir à la vie en même temps que de faire « entrer » des paysages dans un lieu clos et triste. De ce point de vue, rien ne vaut cet outil informatique.
Je plaiderai donc encore pour que, au-delà des dix ordinateurs en place à la Santé, il y ait des ordinateurs dans tous les établissements pénitentiaires, d'autant que, dans tous les métiers ou presque, il est nécessaire de savoir se servir de ce type d'outil.
Vous avez parlé également des architectes. Je l'ai dit tout à l'heure, mais j'y reviens : lorsque l'on met en place un conseil d'orientation dans l'établissement public, c'est aussi pour parler aux architectes et les amener à faire le même travail que celui que vous avez fait, c'est-à-dire pour les conduire à ne plus voir le bâtiment tel qu'il est, mais à le voir à travers la vie des détenus en prison - les visites de sa famille, sa vie avec les surveillants... - mais aussi par rapport à leur sortie.
M. Gélard y insistait, nous pouvons réussir si le conseil d'orientation, comme je l'ai appelé, nous aide à faire partager cette vue plus proche et plus humaine de la construction.
Vous avez également parlé de l'enseignement, monsieur le sénateur. A cet égard, 233 brevets de collèges, 257 CAP ou BEP, une centaine de baccalauréats, 50 diplômes d'enseignement supérieur, c'est mieux, mais c'est peu.
Je me souviens du GENEPI, de ces merveilleuses manifestations où j'ai rencontré certains d'entre vous. Je veux saluer ces personnels qui développent la formation dans les centres de détention, les prisons et les maisons d'arrêt. Leur enthousiasme est tel que je vous invite à les rencontrer. Si vous les écoutez, ils vous retiendront une, deux ou trois journées, voire presque toutes vos journées de sénateur ! Ils ont tant envie de travailler mieux sur les méthodes pédagogiques, sur l'enseignement individualisé et sur la dignité par la culture. Cette démarche est en cours, même si ce n'est jamais suffisant.
M. Cléach a parlé de gestion déléguée, en évoquant l'idée de confier au privé la construction, la réhabilitation et la gestion.
La gestion déléguée est bien prévue dans les établissements en cours de construction dans le cadre du « programme 4000 ». Elle le sera pour les autres établissements qui ont fait l'objet également d'une décision.
Mais évitons toute confusion dans les mots et dans ce que l'on dit à l'extérieur parce que le « programme 3000 », par exemple, a été financé non pas par le privé, mais par l'Etat. C'est donc bien d'un programme public dont il s'agit, même si la gestion est déléguée.
En revanche, s'agissant toujours de gestion déléguée, beaucoup reste à faire en ce qui concerne les cantines. M. Badinter et d'autres orateurs ont beaucoup insisté sur ce sujet.
La situation est très variable d'un établissement à l'autre. Il leur a été donné comme consigne de prévoir des prix bas pour ce que l'on a appelé, peut-être malencontreusement, le « panier du détenu ».
Cela ne suffit pas. A la direction générale de Strasbourg, sera lancée une expérimentation qui consiste à passer un appel d'offres régional pour la cantine. Si des sociétés sont intéressées, les prix devraient baisser, ce qui permettra de distribuer plus et mieux.
Si les repas proposés sont bien acceptés, nous aurons réussi. De nombreux rapports insistent sur le « refus de plateau » ; mais il n'est pas besoin d'un rapport pour savoir qu'il est tentant de refuser des plateaux.
Il s'agit d'un vrai sujet d'étude, et je compte beaucoup sur l'expérience qui sera menée à Strasbourg, d'autant que, à ce propos, on pointe l'inégalité fondamentale entre les détenus, selon qu'ils ont de l'argent ou pas. Je crois que ce problème devrait être résolu dans peu de temps.
Monsieur Badinter, chacun comprendra que je m'adresse en dernier à l'ancien garde des sceaux que vous êtes.
Ce programme, même si nous ne sommes pas certains, ni vous ni moi, ni aucun de ceux qui sont ici, qu'il soit suffisant, découle des travaux de la commission d'enquête du Sénat et de l'aide de M. Fabius. Il vise non pas à emprisonner plus, mais à donner un sens à la privation de liberté. J'espère que ces 40 000 à 45 000 nouvelles places répondront à nos voeux communs.
Grâce à vous, monsieur Badinter - je le disais il n'y a pas longtemps dans une autre enceinte - étant plus jeune, je suis sortie un matin la tête plus haute, car la peine de mort avait été abolie dans mon pays. C'est un formidable élan, qui nous a tous alors profondément émus, au sens vrai du terme.
Moi, je souhaite qu'un jour vous sortiez à votre tour la tête plus haute parce que nous aurons respecté les droits de l'homme et contribué à faire recouvrer leur dignité à ceux qui sont dans les prisons. Ce n'est pas pour demain matin, j'en suis parfaitement consciente, mais c'est notre engagement réciproque.
Vous avez décrit avec force ce qu'a été l'histoire. Il est exact qu'aujourd'hui nous devons rénover ce qui peut l'être, détruire ce qui ne peut pas être rénové et ne construire que lorsqu'on est certain que ce sera possible dans de bonnes conditions. Tout cela sera accompli, je crois, car vous serez tous présents, aussi bien au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, pour porter ce dossier.
Il est vrai que les QHS et les costumes ont disparu, que des téléphones et des parloirs ont été mis en place. Mais les conditions d'incarcération restent terribles. C'est pourquoi - je l'ai dit tout à l'heure - je souhaite que le projet de loi pénitentiaire que je promets de déposer sur la table du conseil des ministres en juillet 2001 - sinon, on réfléchira encore pendant des années et on n'en sortira pas - soit d'abord et avant tout l'occasion d'affirmer que le détenu est une personne. Certes, on a, souvent, collectivement souffert de sa délinquance ; ses conditions de vie et d'environnement, ses « accidents de vie » l'ont déstructuré au point de le conduire à l'acte délictueux. Il faut donc lui rendre sa dignité.
Parmi les moyens à ma disposition dans l'immédiat, il y a effectivement, vous avez raison, la libération conditionnelle. J'ai pris une telle décision la semaine dernière pour une femme qui était condamnée à la réclusion à perpétuité, parce que c'est une façon, je crois, de redonner de l'espoir et parce qu'elle méritait de bénéficier de cette mesure.
M. Robert Badinter. Très bien !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. J'en ai déjà signé deux ; c'est insuffisant, mais je pense que j'en signerai d'autres. Je serai attentive tous les jours aux demandes qui seront faites, quitte d'ailleurs à les susciter, monsieur Badinter, car certains détenus ont été totalement oubliés et ne font plus de demande parce qu'ils n'ont pas toujours à l'extérieur une famille qui les porte, parce qu'ils ne sont pas soutenus par une association ou parce qu'ils n'ont plus d'avocat. Nous devons donc, avec l'administration pénitentiaire et les juges de l'application des peines, régulièrement regarder si tel détenu oublié au fond du couloir, dans la cellule X ou Y, ne réunit pas depuis longtemps les conditions de la libération conditionnelle. C'est à nous de le faire et je m'engage - j'allais dire je vous le promets - à utiliser cette mesure, d'autant plus que cette société a une faculté d'oubli qui est terrible.
L'un des détenus dits de longue peine que j'ai récemment rencontrés me disait : « Madame, j'ai trente-sept ans et trente ans de réclusion devant moi. La seule chose que je vous demande, c'est, plus que la rénovation des locaux, de me donner de l'espoir. Ne me donnez pas de garanties, donnez-moi de l'espoir ! »
Comme je l'ai déclaré devant les avocats du barreau de Paris vendredi, si nous parvenons, grâce aux mesures que je viens de décrire, mais aussi grâce à une véritable étude sur le sens de la peine, à redonner de l'espoir à ces personnes qui souffrent et à qui l'on demande de comprendre le sens de la peine, alors qu'on ne le demande pas aux autres citoyens de ce pays, alors elles retrouveront une forme de dignité. Ce n'est qu'une fois leur dignité recouvrée qu'elles comprendront, avec nous, à nouveau le sens de leur peine, car on ne peut pas vivre sans dignité. Nous aurons aussi une chance d'avoir avec eux un vrai projet permettant une libération conditionnelle.
C'est ainsi que je vis les choses, monsieur Badinter.
Cela dit, je suis consciente que, d'ici à mon retour au Sénat pour la présentation de ce projet de loi pénitentiaire dont je parlais, peu de progrès auront été faits. Je souhaite néanmoins que l'espoir que nous aurons rendu à beaucoup de détenus permette aux autres détenus de supporter mieux leurs conditions de détention et à ceux qui sont dehors de comprendre enfin qu'une société trouvera son équilibre non pas en enfermant ceux qui, à un moment donné, ont été déviants, mais en combattant la déviance et en permettant à ceux qui ont été déviants de retrouver la société et de vivre avec les autres une vie qui vaut toujours la peine d'être vécue... dehors ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communistre républicain et citoyen. MM. Cléach et Pelchat applaudissent également.)
M. le président. En application de l'article 83 du réglement, je constate que le débat est clos.
Mes chers collègues, avant d'aborder le point suivant de l'ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à dix-huit heures cinquante-cinq.

M. le président. La séance est reprise.

8

MODIFICATION
DE L'ORDRE DU JOUR RÉSERVÉ

M. le président. Mes chers collègues, ce soir après le dîner, nous devons examiner les conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi de M. Michel Dreyfus-Schmidt : quatre intervenants sont inscrits et dix-sept amendements ont été déposés.
Ensuite, nous devons examiner les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions d'utilisation des farines animales, dans l'alimentation des animaux d'élevage : il y a cinq intervenants.
Constatant que l'encombrement de l'ordre du jour ne permettra pas la discussion dans de bonnes conditions de la proposition de loi relative au statut de l'Agence France-Presse, la commission des affaires culturelles ne souhaite pas que ce texte soit examiné en fin d'ordre du jour, à une heure qui ne pourra être que trop tardive.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
L'ordre du jour de la séance d'aujourd'hui est ainsi modifié.

9

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. M. le président a reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement une lettre en date de ce jour par laquelle le Gouvernement, en accord avec la commission des affaires sociales, inscrit à l'ordre du jour prioritaire de la séance du jeudi 30 novembre 2000 après-midi, à la suite de la nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 ; les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi sur la contraception d'urgence.
Acte est donné de cette communication.
L'ordre du jour de la séance du jeudi 30 novembre 2000 est modifié en conséquence.

10

GESTION DES CRISES

Discussion d'une question orale européenne avec débat
(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale européenne avec débat suivante :
M. Hubert Haenel demande à M. le ministre de la défense quels ont été les progrès réalisés en matière de politique européenne de sécurité et de défense depuis que le Conseil européen d'Helsinki a décidé la constitution d'une force européenne terrestre de 60 000 hommes, opérationnelle et projetable sur des théâtres extérieurs, et que le Conseil européen de Feira s'est prononcé pour la formation d'une force de police européenne de 5 000 policiers.
Il souhaite notamment connaître l'état de la mise en place des instruments politiques et militaires nécessaires à la gestion des crises et recueillir le sentiment du Gouvernement sur les chances de voir progresser, d'ici la fin de la présidence française, cette construction ambitieuse. (n° QE 11.)
Mes chers collègues, compte tenu de l'heure - il est dix-huit heures cinquante-huit - des temps de parole prévus pour les différents intervenants et de la réponse de M. le ministre, il nous serait difficile de terminer l'examen de cette question avant vingt et une heures quinze ou vingt et une heures trente. Ce ne serait vraiment pas raisonnable, d'autant qu'il nous faut respecter certaines règles vis-à-vis du personnel du Sénat.
Je vous proposerai par conséquent, monsieur le ministre, mes chers collègues, d'interrompre l'examen de cette question vers vingt heures ou vingt heures dix.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je suis, bien entendu, à la disposition du Sénat. Je m'efforce toutefois de veiller à l'intérêt des sénateurs ; nombre d'entre eux souhaitent certainement qu'il y ait une continuité dans le débat et que je puisse répondre « dans la foulée ».
Puis-je vous proposer, monsieur le président, d'apprécier vous-même la situation vers vingt heures quinze ? Si vous constatez alors que le temps de parole des orateurs approche de sa fin, je m'engage à répondre en vingt minutes. Si, au contraire, le temps de parole s'allongeait un peu - cela arrive parfois, et c'est humain ! - vous opterez pour la solution que vous venez d'envisager.
M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, de cette suggestion, qui me paraît effectivement très sage.
Cela étant, nous devrons impérativement interrompre nos travaux à vingt heures trente.
Si chacun fait un effort, nous pourrons nous tenir à cet horaire et j'en sais gré, par avance, aux uns et aux autres.
La parole est à l'auteur de la question. M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la naissance, encore toute récente, du concept de « politique européenne de sécurité et de défense », ou PESD, a constitué pour les responsables politiques comme pour les opinions publiques l'annonce, longtemps espérée, d'un vrai départ pour la politique étrangère de l'Union.
Jusqu'à présent, celle-ci n'avait progressé que par petites touches, sur le plan institutionnel surtout, grâce aux traités de Maastricht, puis d'Amsterdam. Or la faiblesse véritable de la politique étrangère, portant directement atteinte à sa crédibilité, tenait à l'absence de capacité militaire effective de l'Union européenne, rendue manifeste par les conflits de Bosnie et, de manière plus éclatante encore, du Kosovo.
Nous avons désormais, plus que l'espoir, la conviction d'aboutir demain à une défense européenne à quinze, et cela, il faut le rappeler, parce que nos partenaires, Britanniques et Allemands essentiellement, ont heureusement rejoint une détermination française qui ne s'est jamais démentie.
La réflexion lancée lors du sommet européen de Cologne a voulu mettre l'Union européenne en mesure de réagir face aux crises en lui donnant une capacité d'action autonome, soutenue par des forces militaires crédibles. Elle s'est vue traduite dans les faits avec une rapidité exemplaire, contredisant les détracteurs d'une Europe réputée lente et exagérément procédurière.
Le rapport adopté au cours du sommet d'Helsinki, sous présidence finlandaise, a fixé à l'Union un programme ambitieux : se doter d'une capacité terrestre projetable équivalente à un corps d'armée, mobilisable en moins de deux mois et apte à fonctionner de manière autonome pendant une année au minimum. Nous étions partis sur l'idée d'un contingent de 60 000 hommes ; il est passé à 80 000, peut-être davantage : vous allez sans doute nous le préciser dans quelques instants, monsieur le ministre.
Cette force doit en outre pouvoir disposer des moyens nécessaires à son fonctionnement en termes de commandement, de contrôle, de renseignement et de logistique et être confortée, renforcée, en tant que de besoin, par les éléments aériens et navals adéquats.
Outre ces moyens d'action, les chefs d'Etat et de gouvernement ont également souhaité, vous le savez, l'institution d'organes politiques et militaires permanents, comportant trois éléments : un comité politique et de sécurité - COPS - chargé du contrôle politique et de la direction stratégique des opérations ; un comité militaire, réunissant les chefs d'état-major des armées ; un état-major, responsable de l'alerte rapide, de l'analyse de situation et de la planification stratégique.
Nous nous sommes réjouis, notamment au sein de notre délégation pour l'Union européenne, de ces initiatives constructives, et nous aimerions savoir, monsieur le ministre, si la présidence française a pu faire progresser la réflexion en cours autant qu'elle en avait affiché l'ambition. En effet, ces trois « instruments » ont bien été mis en place le 1er mars dernier, mais à titre intérimaire, dans l'attente du dispositif définitif. Qu'en est-il à ce jour ? Peut-on s'attendre à la réalisation de progrès décisifs avant la fin de cette année, ce qui constituerait une avancée essentielle à mettre au crédit de la présidence française ? Pourriez-vous, notamment, nous rendre compte des résultats - vous nous en réserveriez ainsi la primeur - de la Conférence d'engagement des capacités, qui s'est tenue hier et aujourd'hui même à Bruxelles et sur laquelle étaient fondés beaucoup d'espoirs ?
Par ailleurs, et c'est maintenant plus un sentiment de perplexité qu'une réelle interrogation que je vais vous soumettre, nous aimerions savoir, monsieur le ministre, comment est censée s'organiser la complémentarité entre tous ces organes.
Je m'explique. Le traité d'Amsterdam avait déjà institué, sur initiative française, un « haut représentant pour la PESC » ; en l'occurrence, c'est M. Javier Solana, nommé secrétaire général du Conseil, qui est devenu ce « Monsieur PESC » chargé d'être la voix et le visage de l'Europe. Le traité avait également créé une unité de planification de la politique et d'alerte rapide, sorte de cellule diplomatique et stratégique commune, placée sous l'autorité de ce haut représentant. Enfin, je ne voudrais pas oublier de rappeler que, au sein de la Commission européenne, c'est à M. Christopher Patten qu'il appartient de traiter des relations extérieures de l'Union.
Comment concevez-vous l'articulation entre ces « outils PESC » et les nouveaux « instruments PESD », dont on ne peut nier l'interpénétration ? Avons-nous tort de voir dans cette multiplication d'institutions des risques de dysfonctionnements, voire de rivalités, qui pénaliseraient le fonctionnement entier du système ?
Enfin, nous avons noté que l'Union de l'Europe occidentale avait récemment transféré à l'Union européenne ses fonctions et ses moyens ; c'est une hypothèse qu'avait d'ailleurs envisagée le traité d'Amsterdam, mais pour une date qu'il lui était alors difficile d'imaginer si proche. Ce rapprochement semblait indispensable, car il faut bien admettre que l'UEO n'a jamais eu de rôle véritablement opérationnel en la matière. Nous avions toutefois souhaité que l'assemblée parlementaire de l'UEO continue néanmoins d'exister, en raison de l'apport particulièrement utile de cette institution en matière de sécurité et de défense ; c'est, semble-t-il, ce qui a été décidé. Vous aviez même évoqué, monsieur le ministre, l'idée d'une organisation inspirée de celle de la COSAC, la Conférence des organes spécialisés des assemblées de la Communauté. Pourrez-vous nous indiquer de quelle manière pratique, à votre sens, fonctionnera, dans l'avenir, cet organe de délibération collective ?
Mérite également d'être posée la question de l'articulation de tout cela avec l'OTAN.
Après cette approche, que je qualifierai d'institutionnelle, de la défense commune, j'aimerais ma placer sous un angle plus pragmatique et évoquer ce que sera demain la réalité de l'engagement de cette force européenne.
L'histoire contemporaine, les nouvelles réalités géostratégiques, la fin du bipolarisme, la construction communautaire, tous ces éléments nous donnent à penser que c'est désormais sur des théâtres extérieurs au territoire de l'Union européenne que les opérations devront être menées. Et si l'on en croit les dramatiques expériences vécues en Bosnie et au Kosovo, il ne suffira plus de ramener la paix dans des pays en guerre : il faudra aussi y reconstituer ensuite les Etats eux-mêmes, détruits jusque dans leurs prérogatives et devoirs fondamentaux.
Dans ce type d'opération de maintien et de rétablissement de la paix, les forces armées interviennent souvent au coeur et au contact des populations civiles.
C'est en fonction de cet objectif que, lors du sommet européen de Feira, sous présidence portugaise, les chefs d'Etat et de gouvernement ont souhaité qu'une seconde étape soit franchie. En complément du volet strictement militaire arrêté à Helsinki, a ainsi été décidée la constitution d'un « réservoir » de 5 000 policiers permettant d'envoyer vers des théâtres extérieurs, en surplus des forces armées classiques, 1 000 hommes directement opérationnels sur le terrain.
C'est là une décision essentielle, qui rejoint l'une de mes préoccupations, vous le savez, concernant la « sortie de crise », ce moment délicat où la phase strictement militaire est passée, mais où la situation reste instable et où la nécessité impose de reconstruire un Etat en déshérence, notamment dans ses composantes essentielles que sont la police et la justice.
Nous sommes nombreux à nous interroger, ici comme dans d'autres enceintes, sur la « mise en musique » de ce dispositif complémentaire ; ce fut le cas, notamment, au colloque organisé sur ce thème voilà un mois, à Strasbourg et où nous nous trouvions l'un et l'autre.
Il faut en effet trouver les personnels adéquats, formés, immédiatement opérationnels et, de surcroît, maîtrisant la pratique de l'anglais puisque, nous le savons bien, c'est essentiellement cette langue qui sert de vecteur de communication dans ce cadre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Vous aggravez mon cas ! (Sourires.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Les Etats membres auront-ils les moyens de dégager ces personnels des effectifs dont ils ont eux-mêmes besoin pour leur propre sécurité intérieure, qui plus est pour des missions dont on sait qu'elles seront de longue durée ?
De surcroît, sait-on précisément désormais qui seront les personnels les plus à même de faire face à des situations très dégradées, en contact avec des populations civiles fragilisées, meurtries par des violences encore récentes et qui réclament la sécurité à laquelle elles peuvent légitimement prétendre ?
Il ne faut pas sous-estimer, en outre, le fait que ces personnels auront à affronter, au moins au début, un milieu de vie rude, pour ne pas dire hostile - songez à l'exemple kosovar - et qu'ils devraient être logiquement amenés à ne travailler que sous commandement militaire unique pour contribuer à l'efficacité et la cohérence du dispositif.
Pour tous ces motifs, mon sentiment a toujours été que les personnels les mieux préparés à cette tâche relevaient a priori des polices à statut militaire, qui existent déjà dans cinq des Etats membres de l'Union : notre gendarmerie nationale, les carabiniers italiens, la garde civile espagnole, la garde nationale républicaine portugaise et, plus récement, la maréchaussée néerlandaise.
J'ai relevé avec satisfaction dans le discours prononcé par M. le Premier ministre devant l'Institut des hautes études de la défense nationale que la France envisageait de faire participer plus spécifiquement à cet effort la gendarmerie nationale, ce qui me paraît d'excellent augure. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce point, monsieur le ministre ?
J'aimerais maintenant élargir le débat à d'autres questions plus éloignées mais qui demeurent intimement liées à notre dialogue de ce soir. Je pense, à quelques heures de l'ouverture du débat budgétaire au Sénat, à l'effort consenti dans le projet de loi de finances pour 2001 en faveur de la défense, ainsi qu'à l'état d'avancement des réflexions sur la loi de programmation militaire qui régira la matière pour la période 2003-2008.
Nous savons bien que certains de nos partenaires européens ont été amenés, sous la pression des contraintes budgétaires, à effectuer des coupes claires dans leurs crédits militaires. Certes, il semble que le Royaume-Uni poursuive son effort militaire, en vue peut-être - pourquoi pas ? - d'occuper la première place dans le dispositif de défense européen, mais la diminution des crédits militaires dans certains Etats de l'Union ne laisse pas d'être inquiétante du point de vue de la crédibilité de la défense européenne de demain.
Quels sont donc les objectifs du Gouvernement français en la matière, monsieur le ministre ?
D'autre part, je voudrais attirer votre attention sur deux dossiers dont notre délégation s'est récemment saisie et qui, l'un comme l'autre, l'ont fort préoccupée.
Le premier d'entre eux se rapporte à la gestion non militaire des crises et concerne une proposition de texte européen envisageant la création d'un « dispositif civil de réaction rapide » commun, géré directement par la Commission européenne et destiné à intervenir en urgence lors de la survenance d'événements graves.
Il nous a semblé que le dispositif proposé péchait par sa complexité et par son manque de rigueur juridique, et qu'il n'emportait pas, de surcroît, la conviction quant à son efficacité réelle. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité, par le biais du dépôt d'une proposition de résolution actuellement à l'étude auprès de la commission des affaires étrangères du Sénat, faire connaître notre perplexité et appeler le Gouvernement français à la plus grande vigilance sur un texte dont nul ne conteste, au demeurant, le bien-fondé quant à ses intentions.
Le second dossier se rapporte au problème particulier de l'accès du public aux documents communautaires classés « secret-défense », problème auquel nous venons de consacrer une communication. Nous avons eu connaissance de la différence radicale d'approche de cette question entre le Conseil et le Parlement européens.
En effet, voilà quelques mois, le Conseil, suivant en cela la décision de son secrétaire général, haut représentant pour la PESC, avait décidé - légitimement, me semble-t-il - d'exclure de la liste des documents européens accessibles au public les informations classées « très secret/top secret », « secret » et « confidentiel » en raison d'impératifs bien compréhensibles de discrétion applicables à celles-ci.
A l'inverse, le Parlement européen a considéré qu'il était contraire au traité d'Amsterdam de prévoir ce type de mesure générale et il a déféré cette décision devant la Cour de justice européenne, avec le soutien de trois Etats membres du nord de l'Europe - ce n'est pas un hasard ! - à savoir les Pays-Bas, la Suède et la Finlande, ce qui a ajouté à notre inquiétude.
Si l'on devait considérer que les informations ayant trait à la défense de l'Union européenne sont légitimement portées à la connaissance des citoyens européens ou résidant sur le territoire de l'Union, on porterait peut-être alors un coup fatal à la poursuite de la construction de la défense européenne.
Comment peut-on imaginer que celle-ci conserve quelque crédibilité à l'égard de ses partenaires - alliés de l'OTAN ou non - si certains des documents transmis par ceux-ci sont communicables au public sans même obtenir au préalable l'autorisation de leur auteur ? Comment maintenir la cohésion des Quinze si certains documents, légalement protégés dans tel ou tel pays par le droit national, deviennent librement accessibles au niveau des institutions européennes ? Selon vous, monsieur le ministre, quelle solution rapide et convaincante peut-on trouver à cette délicate affaire, solution qui devrait permettre de ménager à la fois le principe de transparence et le principe de confidentialité ?
Voyez dans ces interrogations et observations, monsieur le ministre, le signe de notre profond intérêt pour une question qui me semble essentielle si l'on veut obtenir l'adhésion de nos concitoyens à la poursuite de la construction européenne. (Applaudissements.) M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monseiur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Europe de la défense a franchi une étape très importante. A partir d'aujourd'hui, en tout cas après Nice, l'Europe des Quinze sera supposée disposer d'une volonté politique d'agir dans ce secteur, appuyée sur des institutions spécifiques et des capacités opérationnelles crédibles.
La démarche prépare l'avenir puisque les pays candidats à l'Union européenne sont et seront, selon des modalités précises, associés à cette ambition à quinze. Ils ont dès aujourd'hui, avec vous, monsieur le ministre, à Bruxelles, proposé d'apporter des capacités additionnelles à celles des membres de plein exercice.
Pour répondre à l'appel de M. le président, j'irai à l'essentiel.
Les relations de l'Union européenne avec l'OTAN constitueront l'une des clés de la crédibilité du dispositif. Sa crédibilité politique se mesurera à l'aune de l'indépendance dont la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD, pourra faire preuve à l'égard de l'Organisation atlantique. Mais sa crédibilité opérationnelle reposera quelque peu, au moins au début, sur la capacité de disposer de certains moyens collectifs de l'OTAN. Celle-ci et nos alliés américains ont toutefois désormais cessé de voir dans le projet européen une menace pour l'Alliance. Les experts militaires de l'organisation ont d'ailleurs contribué à la définition du catalogue de forces. L'élaboration du document relatif aux arrangements permanents entre l'Union européenne et l'OTAN sera l'instant de vérité.
En effet, nos alliés américains, toujours sensibles au risque de « duplication », considèrent que si certaines d'entre elles sont souhaitables, quand elles sont relatives à telle ou telle capacité collective, d'autres doivent être résolument écartées, en particulier celles qui sont relatives aux capacités de planification opérationnelle. L'OTAN, estiment-ils, a la capacité d'effectuer ce travail de planification opérationnelle au profit de l'Union européenne, sachant que celle-ci serait dotée de sa propre capacité de planification statégique.
Quelle est, monsieur le ministre, la position de la France sur ce sujet eu égard à la place spécifique que notre pays occupe au sein de l'OTAN et, en l'occurrence, dans ses instances de planification ?
D'une façon plus générale, comment la démarche d'examen et d'identification des capacités que vient d'effectuer l'Union européenne, mais qui est appelée à se poursuivre, s'articule-t-elle avec l'initiative de capacités de défense proposée par l'OTAN lors du sommet du cinquantenaire et dont l'objectif est sensiblement le même ? S'agissant, par ailleurs, de l'articulation entre la constitution de capacités militaires européennes et l'OTAN, je souhaite évoquer la situation du Corps européen, qui s'est acquitté de la mission qui lui avait été confiée au Kosovo avec une grande efficacité. Sa transformation en force de réaction rapide paraît donc sur la bonne voie et devrait être validée à la fin de l'année 2001.
Nous savons également que, outre l' Allied rapid reaction corps , l'ARRC, et le corps européen, l'OTAN envisage de pouvoir disposer d'un troisième corps de réaction rapide, plus spécialement destiné à intervenir dans le nord de la Méditerranée.
Le 30 mai dernier, le Président de la République proposait d'apporter une réponse européenne à cette question. Ne faut-il pas, en effet, saisir cette occasion pour proposer, de préférence à une force intégrée aux structures de l'Alliance dans laquelle la France serait marginalisée, une solution bâtie sur les mêmes principes que le corps européen, à savoir une force disponible tant pour l'OTAN que pour l'Union européenne ?
Pouvons-nous connaître, monsieur le ministre, la nature des propositions qu'envisage la France ? Ce corps du « Sud » peut-il dériver de l'Eurofor, dont il faudrait alors étoffer sensiblement l'armature ? Enfin, et surtout, cette idée de création d'un second corps européen rencontre-t-elle un écho favorable chez nos partenaires européens ?
Je souhaite évoquer maintenant, monsieur le ministre, la question de la zone géographique d'intervention du futur dispositif européen de défense.
En effet, la multiplicité des capacités d'intervention futures de l'Union européenne dans la gestion des crises, grâce à ses outils militaires mais également civils, en fera un instrument privilégié de collaboration avec l'ONU, singulièrement dans le cadre d'opérations de maintien de la paix, dont une ambitieuse réforme est d'ailleurs en cours. Notre minsitre des affaires étrangères a, devant l'assemblée générale des Nations unies, suggéré une plus étroite collaboration entre l'Union européenne et l'ONU sur ce terrain. Nos partenaires européens sont-ils également prêts à envisager, comme zone d'intervention de notre outil de défense commun, non seulement l'Europe mais potentiellement le monde ? En d'autres termes, et plus généralement, nous sommes-nous mis d'accord à Quinze sur un concept stratégique précis pour l'engagement de notre outil de défense ?
Pour conclure, monsieur le ministre, il me semble que certaines incertitudes institutionnelles doivent être levées au sein de l'Union européenne pour donner sa pleine mesure au dispositif européen de gestion des crises.
En premier lieu, il importe de simplifier le processus de décision. En effet, selon le concept européen de gestion de crises, cumulant les actions militaires et les actions civiles, il relève tantôt de la compétence communautaire, tantôt du deuxième pilier. Dans la gestion d'une crise complexe, quels seront, par exemple, les rôles respectifs du Haut Représentant, secrétaire général du Conseil, et des services compétents de la Commission ?
En second lieu, je crois qu'une réforme ambitieuse de la procédure des coopérations renforcées - notamment l'élargissement de leur champ d'application à la politique européenne commune de sécurité et de défense - devrait être le corollaire indispensable du dispositif européen de gestion de crises.
Cette réforme, tout comme le renforcement des efforts budgétaires de défense et leur mise en cohérence, ainsi que la clarification des procédures de décision dans la gestion des crises conditionneront la crédibilité des ambitions que l'Union européenne s'est assignées à Helsinki ; elle vient de commencer à les concrétiser, sous votre autorité, monsieur le ministre, à Bruxelles, et le Conseil de Nice devrait les entériner. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Il y a un an, monsieur le ministre, vous déclariez devant la délégation pour l'Union européenne : « Incontestablement, le paysage, à la fin de l'année 2000, sera très différent de ce à quoi nous pouvions nous attendre voilà deux ou trois ans. »
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. C'est vrai !
M. Aymeri de Montesquiou. Nous y sommes, et vous aviez en grande partie raison.
M. Alain Richard, ministre de la défense. On ne peut pas se tromper tout le temps ! (Sourires.)
M. Aymeri de Montesquiou. Mais quelques interrogations demeurent.
La dynamique de la construction d'une Europe de la défense est évidente. Je me réjouis que la politique étrangère soit progressivement complétée par une politique de défense. La sémantique vient le rappeler avec l'appartion récente, au sein de la PESC, de la politique européenne de sécurité et de « défense », - la PESD : le terme, tellement tabou, donc occulté depuis 1954, est enfin prononcé !
Au nom du groupe du Rassemblement démocratique social et européen, je souhaite non pas développer ici une théorie de la défense, mais plutôt poser un certain nombre de questions relatives aux liens avec l'OTAN et aux aspects opérationnels et budgétaires de notre défense européenne.
Le continent européen a lontemps été imbriqué dans un filet d'alliances diverses et difficilement lisible. Le traité d'Amsterdam prévoyait l'intégration à terme de l'UEO à l'Union européenne. Les ministres des affaires étrangères et de la défense de l'Union européenne viennent d'entériner la fin de l'UEO le 13 novembre dernier, et c'est une bonne chose. Aujourd'hui, la PESC, en termes d'alliance, se définit donc uniquement par rapport à l'Alliance atlantique.
Le développement de la défense européenne soulage et inquiète nos amis américains : d'un côté, ils se réjouissent que les Européens partagent le fardeau financier, mais, de l'autre, ils voient l'Union européenne mettre en place ses propres outils opérationnels, qui remettent en question leur hégémonie sur le continent européen.
Même si poser les problèmes de manière binaire a un effet réducteur, cela permet de les clarifier et d'obtenir des réponses nettes. Lors de votre audition du 7 décembre 1999, vous aviez affirmé ceci, monsieur le ministre : « L'Alliance atlantique demeure l'élément essentiel de la défense collective de l'Europe. » Envisage-t-on une coopération égalitaire ou une coopération complémentaire ? Le choix d'un « Monsieur PESC » au passé atlantiste n'a-t-il pas brouillé le message ?
Notre capacité de projection est encore dérisoire : aujourd'hui, nous demandons non seulement l'appui, mais encore - disons-le - l'aide des Etats-Unis. Jusqu'à quand ? Dans ce domaine, monsieur le ministre, quels sont les engagements pris quant à l'avion de transport européen ? Quel est le calendrier retenu ? Quand disposerons-nous d'une flotte logistique suffisante ?
La collecte d'informations est une donnée essentielle. Le satellite Hélios est-il suffisant ou devra-t-on faire appel aux satellites américains ?
Ce manque de clarté quant aux capacités respectives et à la distribution des rôles n'a pas empêché l'Europe de la défense de progresser, d'un point de vue industriel comme d'un point de vue opérationnel.
Le pragmatisme a prévalu du point de vue des équipements - c'est un point positif - et, depuis plus de deux ans, les industriels de la défense, appuyés par les Etats qui sont les principaux clients, ont donné l'impulsion en matière de coordination, voire de fusion.
Depuis le conseil européen d'Helsinki de décembre 1999, puis celui de Feira de juin 2000, et la réunion d'hier à Bruxelles, la défense européenne s'est dotée d'outils opérationnels, avec des objectifs précis et chiffrés pour 2003 : d'abord, constituer à quinze une force terrestre de réaction rapide de cent mille hommes déployable en soixante jours maximum, autosuffisante du point de vue logistique, du contrôle, du commandement et du renseignement ; ensuite, créer un réservoir de force de police européenne de cinq mille policiers permettant le déploiement rapide, en un mois, de mille policiers. Je ne suis pas sûr que le point de vue logistique sera respecté par le calendrier.
Ces décisions soulignent un réel progrès mais, monsieur le ministre, le mécanisme de l'apport volontaire des forces vous paraît-il satisfaisant ? Ne faut-il pas élaborer une règle qui soit la même pour tous ?
Les opérations sur les théâtres extérieurs, les OPEX, dans leurs trois phases - militaire, de restauration de la sécurité publique et de reconstruction d'un Etat de droit - apportent, certes, leur savoir-faire. Cependant, la mise en place d'organes politiques et militaires appropriés soulève, d'une part, la difficulté du respect du principe de la décision intergouvernementale, car la défense demeure au coeur de la souveraineté étatique et, d'autre part, l'exigence de rapidité de décision entre le COPS, le comité militaire, et l'embryon d'état-major européen. Quels sont les résultats des simulations de chaînes de décisions ? Avez-vous évalué leur durée de réaction ?
Quant au champ de notre action, à l'heure où les risques de conflits en Europe sont devenus plus réduits, où la zone à conflits potentiels se concentre surtout sur le pourtour méditerranéen, il s'agit aussi d'envisager une orientation spécifique de nos forces pour des missions au Sud. Sommes-nous prêts ?
J'aborderai, enfin, la question du financement de la défense européenne. L'effort des Etats membres en matière de défense s'effectue, bien évidemment, au détriment d'autres budgets. Il n'est justifié que par son efficacité. Or, aujourd'hui, si l'effort budgétaire cumulé des Quinze reste important - l'effort européen correspond à environ 60 % des dépenses américaines - la puissance additionnée demeure beaucoup trop faible. Ainsi, on évalue notre capacité de projection à 10 % de celle des Etats-Unis. Cette perte en ligne considérable se traduit pour les citoyens en un sentiment d'inutilité de notre effort financier national et européen.
Je m'interroge également sur l'inégalité des efforts des Etats membres, si l'on compare la France ou le Royaume-Uni, qui consacrent de l'ordre de 3 % du PIB à la défense, et d'autres pays qui atteignent péniblement la moitié de cet engagement.
Lors de son audition du 22 juin, M. Solana avait indiqué que les méthodes de comptabilisation des dépenses militaires différaient tellement d'un pays à l'autre que la détermination de critères d'hamonisation en matière de défense paraissait difficile. Pouvez-vous partager une telle analyse ? Elle est peu convaincante et dénote une modeste détermination. Seule une volonté forte peut parvenir à modifier ces comptabilisations inéquitables. Ces disparités budgétaires nuisent sans aucun doute à la solidarité.
Pourquoi ne pas demander à chaque Etat membre un effort budgétaire équivalent en pourcentage de son PIB ? Voilà un an, vous affirmiez que le moment n'était pas venu de mettre en place un mécanisme de critères de convergence sur les budgets « défense ». Pourquoi ? Cette décision vous paraît-elle davantage possible aujourd'hui ? Vous admettrez que ce mécanisme permettrait d'éviter les interruptions dans les alimentations de budgets, comme l'a fait l'Allemagne.
De même, est-il normal que des Etats membres, souvent aux frontières de l'Union, donc plus proches de zones instables, soient moins impliqués et continuent, par exemple, à affirmer leur neutralité ? La neutralité qui se justifiait soit par la volonté de n'appartenir à aucune des deux alliances, pacte de Varsovie ou OTAN, comme la Suède, soit par un traité, comme l'Autriche, doit être abandonnée par tous les membres de l'Union en vertu du traité de Maastricht. L'équivoque d'une participation aux seules opérations civiles tout en demeurant neutre n'est pas acceptable. La France, en tant qu'elle exerce la présidence de l'Union, devrait l'exiger.
Enfin, quelles seront nos exigences budgétaires vis-à-vis des pays candidats en matière de défense ?
Le développement de l'esprit de défense est un moteur de la construction de la citoyenneté européenne. Les citoyens consultés sur cette question seraient sans doute moins hostiles au principe d'un effort réellement partagé en faveur de la défense européenne si celle-ci apparaissait comme crédible.
Nous sommes bien conscients des contraintes budgétaires qui conduisent certains Etats membres à réduire leur budget militaire de manière substantielle. C'est une raison supplémentaire pour être plus efficace.
Comme le budget de la défense française, il s'agit, je reprends vos propos, de dépenser mieux. Cependant, la route est longue : dans son rapport, la Cour des comptes européenne vient d'estimer à cinq milliards d'euros, soit 5,75 % du budget de l'Union, le montant des pertes pour le budget 1999 en irrégularités, négligences et mauvais fonctionnements divers. Cela représente deux fois le coût du programme de l'A 400 M ! A ce propos, on peut être légitimement inquiet quant à sa concrétisation car il n'est pas encore budgétisé en France.
Grâce à la construction européenne, les risques de guerre entre les nations européennes sont nuls, comme nous l'avons tous rappelé devant le monument aux morts de nos communes voilà dix jours. Un demi-siècle après l'échec de la Communauté européenne de défense, l'Europe de la défense se construit enfin, non sans difficulté, mais, hélas ! la volonté apparaît molle chez certains de nos partenaires. C'est pourtant avec volonté et conviction que nous rattraperons le temps perdu et que nous deviendrons libres, collectivement, de prendre nos propres décisions en matière de défense.
Monsieur le ministre, je serai très heureux d'entendre vos réponses. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'évidence, la question orale avec débat de notre collègue Hubert Haenel tombe à pic. Que l'on me permette d'exprimer, ici, quelques-unes des positions de mon groupe sur cette question décisive.
Commençons par une lapalissade : la place de l'Europe sur la scène internationale n'est pas à la mesure de son poids économique, de son influence culturelle et du poids de ses valeurs.
L'évolution de l'Union européenne est marquée par un décalage croissant entre la rapidité de son élargissement et la lenteur relative de son approfondissement, singulièrement dans le domaine de la politique extérieure.
Je ne reviendrai pas sur les débats de fond relatifs à la construction européenne, qui ont traversé, et qui traversent encore, le pays.
Pour notre part, nous continuons de penser que l'actuelle construction européenne est trop marquée par les orientations libérales, trop orientée par les pressions des décideurs économiques dominants, laissant trop de côté les initiatives à prendre dans le domaine social.
Pour en revenir au sujet à l'ordre du jour, je dois d'abord dire que j'apprécie les initiatives lancées par le Gouvernement et par vous-même, monsieur le ministre, durant cette présidence française, pour convaincre nos partenaires européens de donner à l'Europe une capacité autonome de gestion de crise en appui à une politique étrangère et de sécurité commune encore naissante.
Hier et aujourd'hui encore, la décision d'agir militairement, en cas de crise, sur la périphérie européenne dépendait et dépend de facto de la volonté des Etats-Unis. En Bosnie, au Kosovo, nos partenaires européens ont, pour la plupart, réfusé d'intervenir hors du cadre de l'OTAN, poussant à accepter d'oublier, pour le Kosovo, le mandat de l'ONU.
La sécurité ne commence pas à nos frontières. Il convient d'avoir une conception extensive de la sécurité, qui suppose évidemment des capacités de prévention et d'intervention, qui suppose qu'on regarde comment construire ou reconstruire de la stabilité au-delà de nos frontières.
Je précise d'emblée que la sécurité n'est pas seulement une question militaire ; elle est bien plus globale et touche aussi aux questions sociales, religieuses, économiques, aux problèmes de prévention des désastres humanitaires, de lutte contre la pauvreté et, plus précisément, contre l'accroissement alarmant des inégalités qui se creusent entre pays riches et pays pauvres.
Faut-il également préciser qu'il convient d'éviter deux écueils majeurs : d'une part, l'angélisme européen, qui, souvent, cache mal une tendance à l'angélisme atlantiste, et, d'autre part, le repli nationaliste ?
Pour notre part, nous considérons, avec vigilance, qu'il faut préserver la souveraineté nationale dans les domaines essentiels de la vie du pays. Nous devons également saisir les enjeux et la nécessité d'une coopération européenne la plus large.
La mise en commun des moyens adéquats pour partager les charges de plus en plus lourdes des programmes de défense, qu'ils relèvent du renseignement ou de la création des nouveaux équipements aériens, terrestres ou navals, pour créer une force d'intervention et de gestion des crises est une réalité incontournable.
Nous voulons, nous aussi, prendre notre part dans le débat visant à faire comprendre à nos concitoyens qu'il est nécessaire de s'engager dans une voie de défense collective correspondant à l'imbrication des pays de l'Union européenne dans un système certes encore trop marqué par les orientations libérales, mais qui n'en est pas moins à l'origine d'une forte interdépendance interne menant à une solidarité de fait dont il faut tirer toutes les conséquences, y compris, et surtout, allais-je dire, de son caractère spécifique qui doit conduire naturellement à l'autonomie de décision politique vis-à-vis de tout autre pays ou système de pays, fût-il américain.
Mais si c'est pour dissoudre tout ou partie de notre autonomie stratégique, tout ou partie de nos forces armées dans un ensemble européen, nous n'en serons jamais. Si c'est pour abandonner tout ou partie essentielle de notre industrie publique de défense sur l'autel du libéralisme ou de la privatisation, nous n'en serons pas non plus.
Je sais que ce n'est pas la direction prise par le Gouvernement, et ce que j'ai lu très récemment de vos propos dans les négociations européennes me le confirme, monsieur le ministre. Je sais aussi que votre tâche est pour le moins complexe, car nombre de nos partenaires ne sont pas toujours sur la même longueur d'onde et ont encore tendance à se régler sur « Radio-Washington » !
Nous allons, à l'évidence, écouter votre exposé avec attention et nous espérons y trouver des débuts de réponse à nos préoccupations concernant, par exemple, le contrôle politique des parlements nationaux sur les futures interventions, les rapports avec l'ONU, avec l'OSCE, concernant aussi les éventuelles gestions de crise en Afrique.
Pouvez-vous nous préciser les missions de fond assignées à cette future force européenne ? Dans quel type de crise peut-elle être efficace ? Quels sont les champs et les théâtres d'intervention possibles ?
Ne peut-on y voir une possibilité de décrisper les relations avec la Russie ?
A ce propos, on ne pourra sans danger indéfiniment pousser la Russie dans ses retranchements par des élargissements successifs de l'OTAN sur ses frontières. L'adhésion de la Pologne à l'OTAN a notamment été très mal prise à Moscou. Celle des pays baltes, qui considèrent que leur admission future dans l'Union européenne est à mettre en parallèle avec leur entrée dans l'OTAN, serait considérée par les Russes comme une provocation. Quant à l'éventualité de l'adhésion à l'OTAN de l'Ukraine, coeur historique de la Russie et principal débouché maritime en eau toujours libre, elle serait considérée comme un casus belli .
Il nous semble que la création entre les membres de l'Union européenne actuels et futurs de cette force au service d'une politique de prévention et de gestion de crise pourrait être une alternative à l'adhésion à l'OTAN de pays ex-soviétiques situés aux frontières mêmes de la Russie, tout en leur assurant une sécurité à laquelle ils aspirent légitimement.
Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce que je tenais à dire, dans le temps qui m'étais imparti, sur cette question de grande importance. Au-delà de nos préventions et de nos différences, nous serons à vos côtés, monsieur le ministre, pour aider à rendre possible l'avènement d'une politique, y compris dans sa dimension militaire, issue d'une logique de coopération des nations européennes et d'autonomie mature. C'est là une question décisive pour l'avenir même de l'Europe. Ce serait là une contribution de taille pour tenter de rendre le monde plus stable, plus sécurisé et plus humain. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Auban.
M. Bertrand Auban. L'occasion nous est donnée de vous interroger, monsieur le ministre, sur les progrès accomplis en matière d'Europe de la défense. Hier, vous étiez à Bruxelles, où avait lieu la conférence d'engagement.
Dans quelques jours, les 7 et 8 décembre prochains, à Nice, nos pays aborderont une étape décisive pour l'Union européenne.
Au Conseil européen de Cologne, les Quinze avaient décidé d'engager une politique européenne de sécurité et de défense, afin de permettre à l'Union européenne de jouer pleinement son rôle sur la scène internationale. Au Conseil européen de Nice, l'Union européenne devra se doter des moyens indispensables pour cette entreprise. Ainsi, elle disposera des instruments civils et militaires nécessaires à la gestion de crises.
L'heure est importante et nous nous trouvons à un moment crucial pour la construction européenne. Depuis 1997, une formidable accélération a rendu possible ce qui, pendant des années, se dérobait devant nous : une Europe ayant la volonté d'assumer ses responsabilités et se donnant les moyens pour y parvenir.
L'oeuvre accomplie est considérable et le Gouvernement peut être légitimement fier d'avoir joué un rôle central dans ce processus. Bien entendu, rien n'est fini, rien n'est définitivement acquis. Néanmoins, mes chers collègues, reconnaissons que c'est du bel ouvrage !
Dans cette entreprise collective, la France a été en première ligne, notamment en cette période d'exercice de la présidence européenne. Face à une certaine tendance à la critique qui semble parfois gagner certains parlementaires de l'opposition, force est de constater que l'Europe de la défense est en train de se renforcer et de se consolider.
Certaines interrogations demeurent ; j'y reviendrai au fil de mon propos. Toutefois, mes premiers mots sont pour saluer l'oeuvre réalisée et pour vous encourager, monsieur le ministre, à continuer dans cette voie.
L'essentiel est de doter l'Union d'une capacité d'action et de décision en matière de crises. Cet objectif est aujourd'hui partagé par une grande majorité des pays membres de l'Union européenne. Ce n'était pas le cas voilà une dizaine d'années. Aujourd'hui, une Europe de la défense pouvant agir en dehors de l'OTAN ou en son sein semble une évidence. Pourtant, le chemin parcouru a été long !
Nous savons que l'objectif global est de disposer de 80 000 hommes qui constitueront la force commune de réaction rapide. Le total des personnels impliqués, compte tenu des cycles opérationnels et des relèves nécessaires, sera d'au moins 200 000 pour les seules forces terrestres.
Cette force terrestre sera complétée par un soutien aérien et naval correspondant et par des capacités spécifiques en matière de commandement et de contrôle, de renseignement et de transport stratégique. Il ne s'agit pas de la création d'une armée européenne.
Monsieur le ministre, nous savons que le délai de déploiement des forces européennes sera d'au moins soixante jours. Des éléments de réaction rapide, plus réduits, et avec un très haut degré de disponibilité, peuvent-ils être envisagés ?
Ces forces européennes, qui monteront en puissance jusqu'en 2003, devront être préparées à affronter des situations de crise qui mêlent les missions militaires et les missions civilo-militaires. En effet, les « missions de Petersberg » - définies en 1992 ! -, que l'on évoque en permanence, ne constituent pas un cadre précis pour l'engagement des forces. Les dernières crises nous ont montré la nécessité d'un engagement de longue durée avec des aspects inédits dans le domaine des actions civilo-militaires ou de maintien de l'ordre.
Il serait intéressant, monsieur le ministre, que vous nous informiez sur l'état d'esprit de nos partenaires européens en ce qui concerne les nouvelles dimensions apparues dans la gestion de crises.
Je souhaite maintenant m'attarder sur la nécessaire mise en cohérence des instruments civils et militaires qui donneront à l'Union européenne une spécificité dans le domaine de la gestion de crises.
Nous devons à l'avenir être capables de traiter, à notre niveau, avec nos ressources, les crises à venir. Peut-il y avoir une manière européenne de gérer les crises, en amont et en aval ? Peut-il exister une doctrine européenne de maintien de la paix ?
Aussi, dans le cadre des aspects civils de la gestion de crises, quels sont les progrès réalisés dans la définition de l'objectif de police fixé à Feira ? Ce volet « civil » constitue un engagement important et le complément nécessaire aux aspects militaires de la gestion de crise.
L'objectif défini à Helsinki implique nécessairement la profonde transformation des forces armées européennes. En France, nous avons déjà commencé cette transformation. Elle conduira à la mise en place de forces de projection pourvues d'armements à la pointe de la technologie. Cette mutation aura un coût. Nous en sommes conscients, et notre budget, dans le cadre de la loi de programmation, prend financièrement en compte cette évolution.
Or je ne suis pas certain que tous nos partenaires aient pris la mesure des efforts à réaliser. Par conséquent, comment partager le coût de la défense européenne ?
Les ministres de la défense de l'Union européenne, réunis hier à Bruxelles, ont peut-être discuté de cette importante question. Il s'agissait de la « conférence d'engagement de capacité », étape importante dans la constitution de la force européenne de réaction rapide. Celle-ci était suivie d'un conseil « affaires générales », qui a formalisé les engagements de participation des Quinze.
Cette conférence d'engagement a donc approuvé le catalogue inventoriant les besoins et les contributions nécessaires à la force de réaction rapide de l'Union européenne. Ce travail technique, réalisé depuis plusieurs mois, trouve ainsi son aboutisement. Cependant, cette conférence n'a pas fait qu'adopter un catalogue de scénarios et de forces à engager ; il y a eu aussi une étude sur les contributions nationales annuelles. Selon les décisions prises hier, quel doit être l'apport de la France ? Que signifie concrètement une contribution de 20 % de l'ensemble de la force européenne ?
Nous savons que des capacités européennes plus efficaces devront être développées sur la base de capacités nationales, binationales et multinationales existantes. En particulier, un effort est nécessaire dans certains domaines : capacité de projection, interopérabilité, flexibilité, mobilité et capacité de commandement et de contrôle.
Des critères de convergence budgétaire sont nécessaires pour donner une cohérence aux efforts de défense des membres de l'Union européenne. Nous connaissons les obstacles : contributions inégales aux efforts de défense, budgets hétéroclites, jeu des intérêts nationaux sur les industries de défense, visions géostratégiques disparates. Comment dépasser ces obstacles ?
Il est évident qu'une mise en cohérence des politiques d'acquisition d'équipements militaires est fondamentale ; d'où l'importance des décisions d'acquisition prises en faveur de l'Airbus A400M comme futur avion de transport militaire, élément essentiel pour le développement de la mobilité stratégique des forces de l'Union européenne. Je tiens à saluer ici cette initiative qui donne un aperçu du chemin que pourrait suivre l'aéronautique européenne.
Je pense aussi que des efforts concrets doivent être réalisés pour développer un système d'observation satellitaire européen indépendant. Quelles sont, monsieur le ministre, les évolutions possibles des initiatives engagées tout récemment, d'une part, par les Allemands, avec le système SAR-Lupe, et, d'autre part, par les Italiens et les Français, avec le programme Cosmos-Skymed Pléiade ?
Soyons conscients du long chemin budgétaire et militaire que devront parcourir les Européens pour mettre sur pied une force de réaction rapide à la hauteur de leurs projets.
Le processus actuel constitue une révolution culturelle pour les forces armées des pays impliqués ; ces dernières devront abandonner le concept de défense statique hérité de la guerre froide pour passer à la projection de forces sur des théâtres extérieurs, avec tout ce que cela comporte de moyens de transport, d'information et de communication.
Vous avez souvent expliqué, monsieur le ministre, qu'il ne saurait y avoir de politique européenne de sécurité et de défense sans le développement d'une véritable culture européenne de sécurité. Vous avez raison. Toutefois, je souhaiterais que l'on puisse spécifier le contenu de cette formule forte et pertinente.
Permettez-moi d'apporter quelques réflexions à la construction de cet édifice collectif.
Tout d'abord, je considère qu'une culture européenne de sécurité devra reposer sur des hommes et des femmes qui auront l'habitude de travailler ensemble et qui partageront des objectifs communs. Il s'agit donc de la formation des cadres civils et militaires de tous les pays participant à cette entreprise.
Je sais que l'idée d'un collège européen de sécurité a été avancée par l'Allemagne et par la France. Où en est-on ? Quel accueil les autres pays ont-ils réservé à cette initiative ?
Ensuite, une culture européenne de sécurité doit aussi reposer sur une adhésion consciente et engagée des citoyens. En France, notre tradition nationale de défense doit trouver un prolongement dans les perspectives ouvertes par la construction de la politique européenne de sécurité et de défense. Les journées d'appel de préparation à la défense peuvent devenir un moment fort pour diffuser les principes de la culture européenne de défense. Cependant, il n'y a pas que les jeunes, et je vous invite, monsieur le ministre, à faire un grand effort de communication vers l'ensemble de la population pour que les citoyens puissent trouver dès maintenant les explications et les analyses permettant de comprendre l'évolution actuelle. Cette culture que vous appelez de vos voeux ne doit pas rester l'apanage de quelques spécialistes de la chose militaire ; elle doit devenir un bien commun partagé par tous les citoyens des pays de l'Union européenne.
Nous devons nous poser les questions suivantes : sommes-nous en état de définir une stratégie européenne commune ? Sommes-nous capables d'avoir une perception commune de la menace ? Comment construire une culture européenne de sécurité sans développer la notion d'intérêts de sécurité communs ?
La question d'un Livre Blanc européen sur la sécurité et la défense devient d'une grande actualité. Notre prochaine programmation sera faite sous l'éclairage de la politique européenne de sécurité et de défense.
La France souhaite rendre permanentes les instances intérimaires crées à Helsinki et, ce faisant, doter l'Union européenne d'une capacité opérationnelle propre. A terme, il y aura le comité de sécurité et de politique, le COPS, le comité militaire et l'Etat-major européen.
Il convient d'éviter toute institutionnalisation excessive du processus d'Europe de la défense. Pourtant, il faut faire avancer la clarification institutionnelle sur le rôle du conseil des ministres de la défense, sur les rôles respectifs du Haut représentant pour la PESC et du commissaire aux relations extérieures et sur la division du travail entre la Commission et le Conseil. Il ne faut pas aborder cette tâche avec l'idée de construire une nouvelle usine à gaz institutionnelle.
Pour terminer, je souhaite saluer le succès de l'engagement de l'Etat-major du corps européen au Kosovo qui a permis de démontrer son efficacité opérationnelle au sein d'une opération de l'OTAN. Cette action a permis aussi de conforter le lien transatlantique en montrant clairement que l'évolution des capacités européennes ne porte pas préjudice, bien au contraire, à nos relations avec l'Alliance atlantique.
Les crises récentes et nos expériences militaires nous ont démontré que l'Europe ne pourra pas gérer les crises de manière crédible et suivant ses propres intérêts si elle ne dispose pas du soutien d'une force militaire significative.
Nous sommes aujourd'hui à quelques jours du Conseil européen de Nice, qui dotera l'Union européenne des structures et des arrangements permanents nécessaires à la gestion des crises. L'après-Nice devrait nous apporter une Europe consciente de ses enjeux de sécurité. Dans un monde multipolaire, l'affimation de l'Union européenne passe pas un renforcement de son intégration politique, relayé par des moyens de défense et de sécurité autonomes.
L'évolution vers un corps de réaction rapide est en marche. Vos efforts, monsieur le ministre, et ceux du Gouvernement depuis 1997 trouvent dans cette accélération du processus de construction de la politique européenne de sécurité et de défense une juste récompense. Au nom du groupe socialiste, je vous encourage à persévérer dans cette voie.
M. le président. La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne devions pas oublier la Bosnie ! Il y eut, hélas ! le Kosovo !
Absence pour certains, démission pour d'autres, quel que soit le terme choisi, le paradoxe était criant : d'un côté, une Europe qui s'affirme comme une puissance économique et commerciale incontestée, de l'autre, une Europe qui ferme les yeux sur l'ignominie, l'irréparable.
Et pourtant, pourquoi avons-nous voulu l'Europe ? Avant tout pour bâtir une paix durable afin d'éviter un autre conflit mondial, la Seconde Guerre mondiale ayant laissé un réel traumatisme dans l'esprit de tous les humanistes.
Aujourd'hui, il semble plus nécessaire que jamais que les pays européens s'interrogent sur la place et le rôle qu'ils occupent au sein de ce continent et trouvent des moyens efficaces à la gestion des crises.
L'Europe a besoin d'une force de réaction qui puisse, seule, faire aussi bien, sinon mieux, que les Américains pour résoudre les crises de basse intensité. Nous devons pouvoir être capables, nous seuls Européens, d'imposer la paix et le respect des droits de l'homme quand ceux-ci sont menacés. Monsieur le ministre, pourra-t-elle être utilisée avant 2003, comme vous l'avez déclaré hier lors de la conférence sur les capacités opérationnelles européennes ?
Il semblerait que l'objectif à atteindre soit de définir une Europe de la défense pour pouvoir concrétiser une Europe de la sécurité. L'exercice est difficile, car les références à tel ou tel concept de défense commune sont multiples, et elles divergent selon les pays et parfois même selon les appartenances politiques à l'intérieur d'une même nation.
C'est pourquoi l'Europe doit développer et appliquer une politique préventive de la gestion des crises. Nous devons garder à l'esprit que la vocation première de l'Europe est d'enraciner la paix sur notre continent.
La prévention est l'une des clefs de la sécurité européenne. Mais, contrairement aux idées reçues, les efforts de prévention et de résolution des conflits nécessitent une puissance militaire.
Voilà peu de temps encore, la « partition » se jouait à quatre : les Etats-Unis, qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, sont incontournables, l'Allemagne, qui a l'armée la plus développée du continent, la Grande-Bretagne, puissance nucléaire et membre du conseil de sécurité des Nations unies, et la France, grâce à qui l'idée même de défense européenne a vu le jour.
Depuis la chute du mur de Berlin, l'Europe a changé ; des réformes ont été engagées dans différents pays pour adapter l'outil militaire aux nouveaux besoins. Néanmoins, la construction d'une Europe de la défense a pâti d'un immobilisme certain. Or, chacun sait que, en ce domaine, l'immobilisme est déstabilisateur, voire dévastateur.
Rien ne sert de chercher le coupable de cet échec. En effet, les Etats-Unis ne sont en rien responsables des carences de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne. L'Europe est la seule fautive.
Comme l'a dit le Président de la République devant le comité des présidents de l'Assemblée parlementaire de l'Union de l'Europe occidentale, le 30 mai 2000 : « N'oublions jamais qu'à deux reprises, dans le siècle passé, ils sont venus combattre à nos côtés contre la tyrannie. C'est également grâce à eux que l'Europe a pu se développer en paix pendant cinquante ans, malgré la division qui lui était imposée. Aujourd'hui encore, l'Alliance atlantique demeure essentielle à la défense collective de l'Europe ».
Nous sommes par ailleurs responsables d'avoir parfois laissé la suprématie américaine s'infiltrer dans tous les domaines d'action. L'Union européenne se doit de rendre sa politique étrangère et de sécurité commune crédible et efficace, car, si elle ne le fait pas, sans doute les Etats-Unis et la Russie - pourquoi pas ? - s'empresseront-il de nouer une entente spécifique.
La sécurité de l'Europe est indissociable de la sécurité mondiale et de l'établissement d'un droit international qui soit réellement respecté. Ainsi, le 29 février 2000, le Président de la République déclarait ceci : « Je suis convaincu que le moment est venu pour l'Europe d'apporter toute sa contribution à la sécurité de notre continent et du monde. »
Cependant, l'ONU n'a plus les moyens de ses missions. C'est pourquoi la question d'une révision du chapitre VII de la charte peut se poser aujourd'hui. L'Europe a le devoir de pallier les insuffisances de cette organisation et d'assurer la sécurité de ses citoyens, où qu'ils soient dans le monde.
Les enseignements des conflits en ex-Yougoslavie sont éloquents. Rappelons-nous que seuls les avions américains étaient équipés de système de guidage de missiles par satellite et pouvaient ainsi atteindre leurs cibles, même par mauvais temps.
Depuis le Kosovo, il semblerait qu'une prise de conscience ait eu lieu. L'Europe de la défense a connu un véritable élan.
En quelques semaines, les Quinze, sous l'impulsion française, ont mis sur pied des cadres politiques qui confirment une réflexion déclenchée par ce conflit. Ont ainsi été créés, le 1er mars, un comité politique et de sécurité et, le 7 mars, un comité militaire. Par la suite, un embryon d'état-major fut installé auprès du Haut Représentant de l'Union européenne, M. Javier Solana.
Par ailleurs, le 22 septembre dernier, les quinze ministres de la défense de l'Union européenne, autour de vous, monsieur le ministre, ont posé les bases de ce qui devrait être la future force de réaction rapide.
Depuis la conférence d'hier, nous savons que la contribution allemande sera de 18 000 hommes. Celle de la France sera comprise entre 10 000 et 20 000 hommes. Sera-t-elle au même niveau que celle de l'Allemagne ou du Royaume-Uni ? Cette question est d'une importance capitale si l'on veut vraiment jouer notre rôle de puissance.
La participation budgétaire française sera-t-elle prélevée sur sa contribution au budget de l'Europe ou bien sur celui de la défense française ? Si tel était le cas, monsieur le ministre, comment envisagez-vous ce financement ?
Malgré un coût financier élevé, il est essentiel de doter l'Europe de moyens d'aide au commandement et aux opérations en développant des systèmes d'information et de communication, de renforcer ses capacités de renseignement et de transport de troupes et de repenser son armement et l'équipement de ses avions. Monsieur le ministre, nous attendons les précisions que vous avez annoncées hier sur la participation française dans ces différents domaines.
Selon les experts militaires, les budgets de la défense des différents « grands » pays européens devraient augmenter de 20 % à 30 %. Or, quel est celui qui, à l'heure actuelle, pourrait se permettre de mener une telle politique ? Observons toutefois que les Britanniques ont déjà réévalué le leur.
En France, loin d'être stabilisés, les crédits consacrés au budget de la défense diminuent en francs courants. Le Gouvernement a revu à la baisse les crédits prévus par l'actuelle loi de programmation militaire dans le cadre de la revue de programme. Quelles seront les ambitions de celle que vous préparez ?
Quelle promesse d'avenir allons-nous faire à la jeunesse européenne pour qu'elle ait confiance en l'Europe, confiance en nous ? Quelle paix pouvons-nous garantir aux jeunes Européens d'aujourd'hui et de demain ? Quelle foi en l'avenir d'une Europe libre pouvons-nous leur offrir, nous qui avons reçu la liberté du sacrifice de deux générations ?
« Il n'y a qu'une seule querelle qui vaille c'est celle de l'homme », disait le général de Gaulle. Aujourd'hui, nous avons sans doute le devoir d'apporter à tous les hommes de France et d'Europe la liberté et la paix, aucun peuple ne devant être soumis à « l'impôt du sang ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Je souhaite revenir, monsieur le ministre, sur le rôle des forces françaises mises en oeuvre lorsque des crises appellent notre intervention hors de nos frontières, dans le cadre de l'OTAN.
L'expérience montre que de telles interventions comportent généralement une premières phase, purement opérationnelle, destinée à « séparer les combattants ». Une fois l'agressivité des protagonistes retombée, dans un deuxième temps, il reste à bâtir la paix, à restaurer les conditions d'une vie quotidienne humaine, à reconstruire le pays, la société, voire la démocratie. Et c'est au moins aussi difficile, mais ce n'est plus exclusivement militaire.
Alors, certains s'interrogent pour savoir si cette mission de reconstruction relève bien du rôle de l'armée et, si oui, si elle peut être assurée par des unités classiques ou s'il ne faut pas plutôt concevoir de nouveaux « corps de la paix », spécifiques, formés et entraînés pour accomplir ces missions.
Je suis totalement convaincu, pour ma part, que nos forces remplissent ces missions dans les meilleures conditions, de manière responsable, efficace et généralement passionnée.
Ma question ne concerne, par conséquent, ni la valeur des hommes ni la qualité de leur engagement, qu'il convient au contraire et à nouveau de saluer sans réserve. Elle vise plutôt la pertinence d'un choix qui confie ces missions, de caractéristiques assez nouvelles, à des unités dont la vocation, actuellement, demeure tout de même le règlement des conflits.
Ne faut-il pas réfléchir à la création, au sein de nos forces armées, d'unités adaptées à ces missions de reconstruction sociale ?
Je fais l'hypothèse que la réponse est affirmative. Et j'en viens donc au deuxième volet de ma question, ou plutôt à ma proposition, qui concerne cette fois l'Europe.
Nos partenaires au sein de l'Union développent le même type de réflexion que nous. Alors, mettons ces réflexions en commun ! Nous pourrions d'ailleurs utiliser pour cela l'Institut des hautes études de défense nationale, l'IHEDN, qui a bien vocation à porter des préoccupations globales, militaires et civiles de défense : lieu de réflexion et de propositions, l'IHEDN pourrait faciliter la rencontre sur ce sujet d'experts des différents pays de l'Union et des pays candidats. Ce serait bon pour l'institut, mais aussi pour l'Europe et pour chacun de ses Etats membres. De tels échanges seraient, en outre, certainement très riches.
Robert Schuman, voilà cinquante ans et quelques mois, nous invitait à progresser pas à pas, en nous appuyant chaque fois que possible sur des réalisations concrètes, et en mettant en évidence celles qui peuvent avoir une forte valeur symbolique.
Avec la fin de l'UEO et le transfert de compétences qui va être réalisé au bénéfice de l'Union européenne, nous mettons en place le socle sur lequel va progressivement s'édifier l'Europe de la défense. Ce n'est évidemment pas simple, mais la construction européenne n'a jamais relevé de la facilité. Elle s'arrête d'ailleurs chaque fois que faiblit la volonté politique.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Denis Badré. Je crois que nous sommes d'accord sur ce point, comme nous sommes d'accord, me semble-t-il, pour vouloir que l'Europe devienne rapidement une réalité politique, pour vouloir qu'elle puisse vraiment faire entendre sa voix au sein de l'Alliance atlantique.
M. Michel Pelchat. Et au-delà !
M. Denis Badré. A partir du moment où ce travail de fond se poursuit - et vous le faites, je pense, avec détermination et ambition, monsieur le ministre - un geste symbolique pourrait manifester immédiatement et concrètement notre volonté de servir la liberté et la démocratie.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je suggère que la France propose la mise en place d'un « corps européen de la paix ». Un tel signal confirmerait de manière éclatante que les peuples de l'Union veulent travailler ensemble au service de la paix.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Denis Badré. Ainsi, l'Europe de la défense s'incarnerait, et avec elle l'Europe des citoyens offrirait un nouveau visage séduisant, celui de l'Europe pour la paix. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat. Monsieur le ministre, j'avais initialement prévu de vous faire une part d'une constatation réjouissante, puis de vous poser trois questions. Mais j'abandonne l'intervention que j'avais préparée pour vous permettre de répondre largement à toutes les questions qui vous ont déjà été posées.
La constatation réjouissante - et, intervenant le dernier, je peux en parler encore plus facilement - est la suivante : aujourd'hui, nous parlons d'Europe de la défense, donc de la défense de l'Europe et plus de notre défense territoriale. C'est là le résultat de cinquante ans d'efforts dans la construction européenne, qui nous ont fait remporter les victoires démocratiques que nous avons connues et qui nous permettent aujourd'hui de nous poser des questions non plus sur notre propre sécurité, mais sur la façon dont nous pouvons gérer les crises qui pourraient se produire à l'extérieur de notre territoire. Cela mérite d'être salué, car c'est un grand succès de l'Europe.
Quant à mes trois questions, monsieur le ministre, elles sont les suivantes.
La première est relative à notre capacité de transporter les forces d'intervention et d'action rapides dont nous avons décidé hier la constitution et qui, immanquablement, se mettront très rapidement en place, dans les années qui viennent.
La seconde est directement liée à la première : pour intervenir, encore faut-il regarder, voir, connaître, savoir. De quelles capacités d'observation autonomes disposerons-nous dans ce cadre ?
Enfin, troisième question, je souhaiterais savoir par quel moyen la France entend contribuer à entraîner ses partenaires européens, qui ne sont pas tous enthousiastes par rapport à ces deux objectifs.
Par ailleurs, monsieur le ministre, notre pays entend être présent - et il l'est - sur les trois grands océans. Comment peut-il, dans ces conditions, demeurer « borgne », avec un seul porte-avions, alors même que nous souhaitons participer à une force aéronavale dans l'ensemble du monde ? Voilà qui n'est pas très entraînant pour nos partenaires !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'en ai terminé avec l'essentiel de ce que je voulais dire. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à saluer l'initiative de M. Haenel, qui est à l'origine du débat de cet après-midi devant le Sénat, où la qualité des interventions m'a à nouveau frappé.
Je viens de passer deux jours à Bruxelles, où s'est déroulée la conférence d'engagement des forces de l'Union. C'est une étape décisive dans la constitution d'une capacité d'action militaire au service d'une politique européenne de sécurité et de défense, dont j'ai la satisfaction de vous rendre compte.
Cette satisfaction, c'est d'abord celle d'avoir rempli le mandat confié à la présidence française au sommet de juin dernier, à Feira : il nous revenait de faire progresser les Quinze dans la voie de la mise en oeuvre complète des engagements pris par les chefs d'Etat et de gouvernement.
Ce mandat était exigeant : il nous fallait cheminer sur des terrains nouveaux, créer des structures réactives et crédibles, et instituer de nouvelles procédures pour atteindre nos objectifs.
Nous avons conservé l'approche pragmatique et réaliste qui inspire ce projet depuis deux ans. Nous avons ainsi identifié nos besoins, nos moyens, les domaines où il nous faut encore progresser, et défini le système d'évaluation qui nous permettra - j'y reviendrai - de mesurer les progrès continus.
Nous allons pouvoir, je le crois, présenter au conseil européen de Nice un document dynamique et complet.
J'en profite d'ailleurs pour répondre aux commentaires que j'ai pu entendre - pas dans le débat de cet après-midi - sur une volonté politique qui ne serait pas suffisamment forte et déterminée.
Nous avons mené ce projet sans fracas, sans controverse. Nous avons convaincu et entraîné nos partenaires, et nous avons créé un consensus. Des décisions ont pu être prises à temps, et elles engagent l'Europe dans des domaines où nous étions confrontés depuis longtemps - plusieurs orateurs l'ont dit - à des blocages.
Mais je sais que le Sénat, lui, est insensible à la politique spectacle et qu'il juge l'action du Gouvernement, des pouvoirs publics en l'occurrence, à ses résultats. Je crois en tout cas que la volonté, dans ce domaine, se juge aux réalisations et non pas aux proclamations.
Dans le domaine essentiel des capacités militaires, comme l'ont indiqué les différents orateurs, les Etats membres s'étaient fixés à Helsinki, vous vous en souvenez, un objectif global : une force de 60 000 hommes déployable dans un délai inférieur à soixante jours. Ils avaient également décidé de déterminer rapidement des objectifs collectifs de capacités, notamment en matière de commandement et de contrôle au niveau stratégique, de renseignement et de transport militaire à longue distance.
Depuis le conseil de Feira, en juin dernier, les Quinze ont mené à bien la traduction en termes concrets de ces objectifs militaires. Je salue, à cet égard, la qualité du travail effectué par les experts militaires des quinze Etats membres sous l'autorité de l'organe militaire intérimaire, c'est-à-dire des quinze chefs d'état-major. Tout cela constituait une « première » car, pour la première fois, des représentants militaires de nos quinze nations ont eu à effectuer un travail de planification de forces à un haut niveau d'exigence, et ils l'ont fait de manière particulièrement soigneuse et exemplaire.
Ce travail a été soutenu, c'est vrai, par une volonté politique collective des gouvernements, manifestée notamment le 22 septembre dernier lors de la réunion informelle des ministres de la défense à Ecouen.
Nous avons ainsi transformé nos objectifs politiques en une série de documents de planification militaire très détaillés, qui sont aujourd'hui adoptés et qui lient nos quinze pays.
En premier lieu, il s'agit du « catalogue de capacités », un document de plus de 300 pages identifiant de façon rigoureuse les capacités militaires nécessaires pour assumer l'ensemble des missions de Petersberg : aide humanitaire, évacuation des ressortissants, prévention des conflits, mais aussi - et c'est le « niveau élevé » de Petersberg, comme nous disons - séparation par la force des parties belligérantes.
Je voudrais souligner, en réponse à certaines observations de plusieurs orateurs, que cette démarche a fait référence à la réforme de l'ONU et que, sur la question du champ géographique de nos interventions, il avait bien été décidé, au sommet d'Helsinki, que l'on pourrait prendre toutes les missions de Petersberg, y compris des missions de séparation des belligérants, sous l'égide des Nations unies. Par conséquent, cela pouvait se réaliser sur un théâtre éloigné, d'où les questions de projection.
Le deuxième document approuvé est le « catalogue des forces », qui prend acte des contributions de chacun des Etats membres.
Les contributions volontaires, confirmées hier par les Quinze, constituent un réservoir de plus de 100 000 hommes, d'environ 400 avions de combat et de 100 bâtiments navals. Ces contributions permettent donc de répondre pleinement à l'objectif global défini par le Conseil.
Permettez-moi deux précisions à propos de ces chiffres.
D'une part, c'est un dispositif destiné à être maintenu sur théâtre pendant au moins un an. Cela signifie donc que, lorsqu'elle a annoncé sa contribution, chaque nation s'est engagée à avoir une relève suffisante pour tenir ce niveau de contribution pendant un an.
D'autre part, le chiffre de 100 000 hommes ne signifie pas que nous cherchons à déborder de l'objectif d'Helsinki, qui était de 60 000 hommes sur théâtre, mais que nous devons prévoir une ressource en spécialistes et en qualifications différentes pour que l'objectif de 60 000 hommes soit atteint quelles que soient les conditions opérationnelles de leur emploi, quelle que soit la distance, quel que soit le niveau de force des adversaires.
Le résultat de cette conférence d'engagement va toutefois au-delà de ces deux catalogues. Nous avons en effet réalisé un accord sur le travail d'amélioration qualitative de ces forces, en particulier pour améliorer leur réactivité, leur déployabilité, l'interopérabilité entre les forces et leur capacité de durée.
J'ajoute la prise en compte de la composante « police », dont nous n'avons pas reparlé au cours de ces réunions, mais qui a fait l'objet d'un engagement politique à Feira et pour laquelle notre pays prendra toute sa part, avec, bien sûr, un apport substantiel de la gendarmerie, qui dispose d'une expérience valorisable en la matière.
Un effort en termes d'équipement devra aussi être fait s'agissant des capacités opérationnelles - et je réponds là au président de Villepin, qui s'interrogeait sur les améliorations à apporter en dehors des questions stratégiques - qu'il s'agisse des moyens de recherche et de sauvetage en conditions de combat, du ravitaillement en vol, des moyens de suppression des défenses aériennes - on a vu au Kosovo que cela constituait encore un point faible, et pas seulement, d'ailleurs, pour les Européens - ou encore des moyens de défense contre les missiles sol-sol ou des armements à guidage terminal.
Par ailleurs, nous devons compléter nos capacités stratégiques en matière de commandement, même si nous avons regroupé hier un nombre satisfaisant d'états-majors des différents niveaux. En outre, l'état-major de l'Union européenne va être déclaré opérationnel au cours de l'année 2001, renforçant donc la capacité d'évaluation de situation et de planification stratégique de l'Union européenne.
En matière de renseignement, nous disposons du centre satellitaire de Torrejon, que nous héritons de l'UEO, et les Etats membres ont offert des ressources qui contribueront à la capacité d'analyse et de suivi de situation de l'Union européenne ; mais, nous le savons, des efforts sérieux sont encore nécessaires dans ce domaine pour disposer, à l'avenir, de l'ampleur suffisante en matière de renseignement de niveau stratégique.
S'agissant des capacités aérienne et navale de projection et des transports stratégiques, des améliorations sont à rechercher pour que l'Union européenne puisse répondre en toute hypothèse aux besoins d'une opération de haut niveau d'exigence située à distance.
Je ne fais pas tout à fait mien le chiffre faible mentionné tout à l'heure par M. de Montesquiou, qui affirmait que notre capacité de projection ne serait que de 10 % de celle des Etats-Unis. Elle est inférieure à la leur, je n'ai aucun doute sur ce point, mais nous avons démontré en diverses circonstances que les capacités de mobilisation de moyens de projection des Européens étaient tout de même substantielles. En tout cas, nous voulons les renforcer.
Les hélicoptères NH 90, les navires de transport opérationnel - vous connaissez les deux commandes françaises - et, surtout, l'avion de transport du futur, l'A 400 M, sur lequel je reviendrai, sont des projets arrêtés et choisis par nos nations. Ils contribueront puissamment au renforcement des capacités de projection à disposition de l'Union.
Ces améliorations et ces projets sont ici et là décrits comme illustrant des carences européennes. Que l'on me permette de souligner que cette observation survient à un moment où tous les objectifs politiques ont été atteints. Il ne reste donc que cette seule critique à faire. Par ailleurs, cette situation de carence correspond à des manques anciens qui marquent les systèmes nationaux de défense de beaucoup de pays européens, ils sont hérités d'une situation statégique différente.
Je relève qu'en moins de deux ans de débats et de décisions, l'Europe de la défense aura conduit les Quinze à adopter une attitude constructive et volontariste pour remédier à ces manques, alors que personne ne s'en préoccupait vraiment auparavant. J'observe, au passage, que ces comblements de manques profiteront autant à l'Alliance atlantique qu'à l'Union européenne.
C'est donc une nouvelle dynamique qui est lancée sur la base d'une démarche forte des quinze Etats membres. Elle n'atteindra sa pleine crédibilité que si elle s'inscrit dans la durée.
C'est pourquoi nous avons adopté au moins les principes d'un mécanisme de suivi et d'évaluation des capacités, et j'espère que la négociation sera suffisamment avancée pour que ce mécanisme puisse être approuvé au Conseil européen de Nice. Il vise à soutenir l'effort de chacun en mesurant les progrès. Il permettra de comparer de manière claire - cette question a été soulevée judicieusement - les niveaux d'engagement des Etats membres, donnant ainsi aux quinze gouvernements les éléments nécessaires pour prendre des décisions qui maintiendront leur niveau d'influence et leur niveau de participation aux projets européens.
Comme vous pouvez le constater, les Européens ont pris des décisions qui engagent un effort à long terme, qui consolideront la place mondiale de l'Europe de la défense. Mais il faut commencer par une mise en oeuvre rapide des décisions que nous avons prises.
A Helsinki, l'objectif était de rendre opérationnelle la force de réaction rapide en 2003. Notre souhait est donc que les organes permanents de gestion de crise soient mis en place le plut tôt possible après le sommet de Nice.
Il faudra rendre le système opérationnel, en particulier l'état-major de l'Union européenne, ce qui demandera quelques mois. Cela suppose que cet état-major ait ses installations propres et que ses procédures soient validées.
Je crois d'ailleurs pouvoir dire, en réponse aux observations qui ont été faites par plusieurs orateurs, que les procédures concernant la gestion politico-militaire des crises commencent à se clarifier et qu'elles garderont une robustesse et une simplicité suffisantes. Tel est, en tout cas, la volonté politique de notre pays. Simplement, elles doivent être compatibles avec le système intergouvernemental. Nous ne pouvons pas aller jusqu'au vote à la majorité qualifiée ; ce ne serait pas conforme à la réalité.
Ce qui ajoute à la complexité - M. Haenel l'a bien souligné - c'est évidemment le fait qu'il y aura aussi une gestion civile des crises. Ce n'est pas là simplement une lubie de l'un ou l'autre de nos partenaires, cela correspond à une réalité.
La force de l'Union européenne, c'est justement de pouvoir associer plusieurs instruments portant sur la prévention, sur d'éventuelles sanctions économiques, sur des actions humanitaires et aussi sur les moyens militaires, qui ne doivent pas être mis au second plan. Il y a donc, c'est vrai, un effort à faire de coordination et de symbiose entre les différents piliers de l'Union.
La position de notre pays consiste à dire que, si le Conseil européen, qui détient l'autorité politique, qui a le leadership , et le Conseil des ministres sont bien en mesure de contrôler l'ensemble du dispositif, nous devrions y parvenir.
Lorsque tous ces organes seront en mesure d'assumer leurs fonctions, donc bien avant 2003, nous pensons - je l'ai dit au nom des Quinze - que l'Union européenne sera progressivement capable d'accomplir des missions du type des missions de Petersberg, éventuellement au cours de l'année 2001 ou de l'année 2002.
Pour nombre de nos partenaires, le crédit même de cette dynamique dépendait pour beaucoup des échanges avec l'Alliance atlantique. La définition des relations entre l'Union européenne et l'OTAN était donc un aspect important du mandat qui nous avait été confié à Feira, et de très grands progrès ont été accomplis dans ce domaine.
Les principes généraux en la matière ont fait l'objet d'un accord à quinze, et ont été exposés lors du dîner de travail que nous avons eu, hier soir, avec le secrétaire-général de l'OTAN, Lord Robertson. Les Quinze - j'insiste sur ce point - ont une nouvelle fois réaffirmé le principe de leur autonomie de décision par rapport à l'Alliance. Si l'Union européenne décide d'agir seule, cette décision n'est soumise à aucun autre accord que celui de ses Etats membres.
Elle tient, bien entendu, l'OTAN informée. Si l'Union européenne décide d'agir avec les moyens de l'Alliance, elle transmet alors une demande à l'OTAN sur les moyens et les capacités nécessaires, qu'elle aura déterminés en relation avec les deux organismes. Nous souhaitons d'ailleurs que l'OTAN mette au point rapidement la procédure de réponse à ces demandes éventuelles de l'Union européenne.
Les Quinze ont également rappelé la différence de nature qui existe entre l'Union européenne et l'OTAN, notamment dans toute la gamme des capacités civiles et politiques dont je parlais tout à l'heure. Il faudra en tenir compte dans la mise au point des arrangements permanents. L'Union européenne n'est pas simplement une alliance militaire.
Enfin, dernier principe, notre travail entre l'Union européenne et l'Alliance atlantique sera fondé sur l'égalité des responsabilités et l'égalité de droits entre les deux institutions.
Une coopération de grande qualité est d'ores et déjà engagée sur ces bases entre l'Union et l'Alliance. Les experts de l'Alliance ont présenté des analyses très utiles sur le catalogue de forces, chaque fois que cela leur était demandé, et un climat de confiance se développe.
Nous soutenions depuis longtemps qu'un renforcement des capacités propres des Européens moderniserait et équilibrerait l'Alliance ; c'est ce que nous commençons à observer. Dans ce contexte, je me réjouis d'ailleurs de voir que l'administration américaine partage ce point de vue et exprime son soutien aux efforts des Européens.
Nous avons également progressé dans les discussions avec les pays que nous appelons « tiers », c'est-à-dire les quinze Etats européens qui soit sont candidats à l'Union européenne, soit sont membres de l'OTAN et non membres de l'Union européenne.
Ce matin même, nous avons tenu avec eux deux réunions informelles, l'une avec les quinze, l'autre avec les six alliés non membres de l'Union européenne.
Nous avons accueilli très favorablement leurs propositions de contributions additionnelles qui étaient significatives, et nous avons discuté des relations entre eux et l'Union européenne.
Sur ce point également, un accord est apparu entre les quinze membres de l'Union européenne. En période de risque de crise, nous souhaitons mettre en place des consultations avec d'éventuels Etats tiers contributeurs. Celles-ci se tiendront dès l'émergence d'un risque de crise et avant même la décision du Conseil européen, qui reste, bien sûr, de la responsabilité des Quinze.
Dès la décision prise, les travaux de planification seront présentés aux contributeurs pour leur permettre de définir leurs apports volontaires.
Enfin, en cas d'opération, les Etats tiers participeront à la conduite de l'opération au jour le jour, avec les mêmes droits et les mêmes obligations que les Etats membres, puisqu'ils auront pris un engagement direct d'action militaire. A cette fin, un comité de contributeurs sera constitué.
En revanche, en dehors des périodes de gestion de crise, nous fonctionnons avec un système de réunions régulières prévues entre les Etats tiers et l'Union européenne, dont au moins une par semestre au niveau ministériel. Pour le travail quotidien, chaque pays tiers pourra, en outre, désigner des représentants politiques pour servir d'interlocuteur au COPS pour servir de point de contact auprès de l'état-major de l'Union européenne.
La France apportera une contribution très significative au réservoir de forces. Le volume global de son engagement s'élève à environ 20 % de la force de réaction rapide, soit une contribution terrestre maximale de 12 000 hommes de toutes qualifications - je parle des hommes en projection, sur le théâtre - avec des moyens aériens et navals appropriés, soit 75 avions de combat et 12 bâtiments, dont le porte-avions.
Je ne fais pas de comparaison avec les contributions des autres nations parce que nous sommes convenus hier que chaque gouvernement présenterait, dans les termes qui lui paraissent justes, sa contribution - généralement, d'ailleurs, devant son parlement. Ce n'est donc que dans quelques jours que nous pourrons sans spéculation faire une observation publique des contributions des uns et des autres.
C'est dans le domaine des capacités stratégiques, dont nous avons parlé, que la France fournit sa plus forte contribution.
Dans le domaine du commandement, elle tient à la disposition de l'Union ses états-majors de niveau stratégique et d'opération, ainsi que des états-majors tactiques et des moyens projetables, des moyens de théâtre, pour la communication, notamment par satellite.
Dans le domaine du renseignement, elle offre des capacités d'imagerie satellitaire, qu'elle est seule à détenir, grâce à des stations de théâtre Hélios. Elle tient aussi à la disposition de l'Union des moyens de reconnaissance et de surveillance du champ de bataille.
Enfin, dans le domaine de la mobilité, elle participe de manière substantielle à l'effort collectif, avec 29 avions à long et moyen rayon d'action et deux grands bâtiments amphibies, les NTCD de nouvelle génération, à l'heure actuelle en service.
La totalité des moyens français pourra être déployée dans le délai de soixante jours imparti. Nous pourrons maintenir ces capacités sur le théâtre d'opérations pour au moins une année ; seul le groupe aéronaval fera exception, en étant déployé au maximum six mois, comme M. Pelchat l'a justement relevé.
Cet engagement de la France est en grande partie le résultat de l'intense effort d'adaptation de son outil militaire qu'elle mène depuis 1996. La pertinence du modèle d'armée que nous avons décidé de mettre en place est confirmée.
Toutefois, nos efforts ne s'arrêtent pas là. Le format d'armée que nous nous sommes fixé pour 2015 implique encore de nombreuses mesures d'investissement. Ces projets nationaux, et éventuellement multinationaux, renforceront les capacités de l'Union. Ils feront l'objet d'un examen particulier lors de l'établissement, assez proche maintenant, de notre loi de programmation militaire pour 2003-2008.
J'ai l'intention d'adresser à la commission des affaires étrangères un document d'étude et de réflexion sur les bases de notre programmation militaire pour permettre un véritable dialogue entre les deux chambres du Parlement et le Gouvernement avant l'adoption de ce projet de loi, sans doute au cours de l'année prochaine.
Quant aux projets d'amélioration de capacité, qui apparaîtront dans les lois de finances à venir et dans la prochaine loi de programmation, nos premiers efforts se feront en grande partie à titre national.
Dans le domaine des moyens d'imagerie satellitaire, nous disposerons en 2004, avec la nouvelle génération d'Hélios, des stations de théâtre améliorées dotées de capacités de très haute définition.
Toujours en matière de renseignement, nous aurons une nouvelle génération de drones tactiques plus performants, y compris un système moyenne altitude et longue endurance, ainsi que des nacelles de reconnaissance de nouvelle génération, placés sous les avions pour améliorer nos moyens de reconnaissance.
Pour les communications satellitaires, autre élément clé, des capacités accrues en matière de débit et de protection de données transitant entre les unités sont prévues sur notre programme Syracuse III.
Afin d'améliorer l'efficacité de nos armées, nous désirons nous équiper de nouveaux armements de précision et de missiles de croisière. Nous serons les premiers, avec nos partenaires britanniques, à offrir ce type d'armement en Europe.
Nous avons aussi un programme d'amélioration des moyens de projection navale, avec les deux nouveaux NTCD. Quant au programme Rafale il concourra à l'amélioration de notre projection de puissance.
Je signale - nous ne sommes sans doute pas nombreux en Europe à réfléchir à cette question - que, pour mieux protéger nos forces - nous ne sommes pas en avance sur ce point - nous devons acquérir les premiers moyens de détection des agents biologiques, puisque nous savons que, sur certains des théâtres où nous pourrions agir, ce risque existe effectivement.
En plus de ces efforts d'amélioration sur le plan national, nous avons l'intention de soutenir des projets de coopération déjà existants et d'en promouvoir de nouveaux.
Je mentionne, bien sûr, les états-majors multinationaux, l'Eurocorps, L'Eurofor et l'Euromarfor.
Monsieur de Villepin, sur la question du corps sud, le débat est encore ouvert. Nos alliés sont encore partagés, mais la France soutiendra une formule de type Eurocorps, car c'est la plus juste, de notre point de vue.
En coopération avec la Grande-Bretagne et tous les pays membres intéressés, nous travaillons à la mise au point d'un outil de simulation d'aide à la décision stratégique, moyen de rendre beaucoup plus efficace la conduite des opérations.
Dans le domaine du renseignement, nous nous proposons, avec l'Allemagne et l'Italie, d'acquérir une capacité d'observation satellitaire en tout temps puisque nos partenaires italiens et allemands travaillent au développement de satellites radars, qui compléteraient donc bien le système Hélios II.
Quant aux moyens de transport stratégiques, nous multilatéralisons, avec le groupe aérien européen, les accords de partage de capacité existants, mais, surtout, nous nous engageons à acquérir le programme du futur avion de transport A 400 M. L'ensemble des Européens de l'Union en achèteront 185. Comme beaucoup le savent ici, le Gouvernement a décidé d'inscrire 20 milliards de francs d'autorisations de programme au collectif qui vous sera bientôt soumis pour apporter une grande partie du financement qui nous incombe dans ce domaine.
Dans le même esprit, nous travaillons avec les Pays-Bas au sein d'un groupe de travail sur la projection maritime, qui étudiera différentes solutions d'accroissement des moyens de projection.
En conclusion, après la réunion de la semaine dernière, à Marseille, où tous les Etats membres de l'UEO avaient pris les décisions importantes de transfert de l'UEO vers l'Union européenne des moyens pratiques existants, ces deux dernières journées ont constitué une étape marquante dans le processus de construction de l'Europe de la défense.
Après avoir démontré sa détermination, tard en Bosnie, puis dès le début de la crise au Kosovo, l'Europe affirme aujourd'hui ses capacités et s'organise pour les consolider dans un processus de long terme.
Elle a déjà fortement amélioré et réorganisé ses industries de défense, comme plusieurs orateurs l'ont remarqué. Elle a aujourd'hui la volonté politique d'acquérir cet outil de défense essentiel à la place internationale de l'Union européenne ; cette volonté est partagée par les quinze Etats, au-delà de leurs différences de perception et de tradition ; elle est comprise par nos opinions publiques, que nous devons, bien entendu, continuer à bien informer.
Les méthodes pour donner corps à ce projet sont en place. Notre pays y tient toute sa place, dans une compréhension profonde avec tous ses partenaires de l'Union. Il espère - c'est notre tâche, M. Auban l'a très bien dit - faire progresser entre les Quinze une culture européenne de sécurité fondée à la fois sur nos valeurs humaines et sur notre expérience historique profonde.
C'est donc avec satisfaction, avec confiance dans l'avenir et avec le sens aigu de ma responsabilité pour contribuer au succès de ce projet historique que je rends compte au Sénat des avancées importantes que nous venons d'accomplir. (Applaudissements.)
M. le président. Je constate que le débat est clos.
Le Sénat va maintenant interrompre ses travaux ; il les reprendra à vingt-deux heures trente.
(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

11

HARMONISATION DU CODE
DE PROCÉDURE PÉNALE

Adoption des conclusions rectifiés modifiées
du rapport d'une commission
(ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 78, 2000-2001) de M. Charles Jolibois, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi (n° 474, 1999-2000) de M. Michel Dreyfus-Schmidt et des membres du groupe socialiste et apparentés tendant à harmoniser l'article 626 du code de procédure pénale avec les nouveaux articles 149 et suivants du même code.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. M. Charles Jolibois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi tend à harmoniser le régime de l'indemnisation des condamnés lorsqu'ils sont reconnus innocents après une procédure de révision avec le système d'indemnisation des personnes qui ont été abusivement, ou à la suite d'une erreur placées en détention provisoire.
Lors de la discussion du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, qui a considérablement modifié le code de procédure pénale français, nous avons adopté un nouveau régime d'indemnisation des personnes placées à tort en détention provisoire.
Nous avons d'abord rendu l'indemnisation obligatoire - le mot ne figurait pas dans les textes jusqu'alors - sauf dans quelques cas très précis. Le principe, c'est l'indemnisation... sauf quand on est en dehors de ce principe.
En particulier, n'est pas indemnisée la personne qui s'est librement et volontairement accusée, ou qui s'est laissée accuser en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites.
Nous avons également prévu que le préjudice pourrait être évalué au moyen d'une expertise contradictoire.
Enfin, le législateur a modifié la procédure puisque, désormais, les demandes sont formulées au premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle a été prononcée la décision de relaxe ou d'acquittement. Par ailleurs, un recours est possible - il s'agit toujours du deuxième degré de juridicion - devant la commission nationale d'indemnisation des détentions provisoires.
Le législateur n'avait cependant pas modifié les règles relatives à l'indemnisation des condamnés reconnus innocents après une proccédure de révision. A cet égard, l'actuel article 626 du code de procédure pénale prévoit que le condamné, lorsqu'il est reconnu innocent, a droit à une indemnité « à moins qu'il ne soit prouvé que la non-représentation de la pièce nouvelle ou la non-révélation de l'élément inconnu en temps utile lui est imputable en tout ou partie ». Il faut savoir qu'en raison de la règle de l'autorité de la chose jugée, la révision d'une condamnation n'est possible que lorsque l'on peut fournir ces pièces nouvelles ou cette révélation d'éléments nouveaux.
Mais la règle de l'article 626 est évidemment beaucoup plus restrictive pour le condamné que celle que nous avons prévue pour les personnes abusivement placées en détention provisoire.
Il se trouve que le maintien de la rédaction de l'article 626 a eu des conséquences fâcheuses dans une affaire récente, où un condamné qui avait passé de nombreuses années en prison s'est vu refuser une indemnité après avoir été innocenté par une procédure de révision.
Il fallait faire quelque chose, et je remercie notre excellent collègue Michel Dreyfus-Schmidt, dont nous connaissons tous la vigilance, d'avoir déposé une proposition de loi afin d'harmoniser les régimes d'indemnisation.
Si vous suivez la commission des lois, l'indemnisation d'un condamné reconnu innocent sera obligatoire sauf lorsque la personne s'est librement et volontairement accusée ou laissée accuser en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites, comme en matière de détention provisoire. L'indemnisation sera demandée au premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle réside l'intéressé, un recours étant possible devant la commission nationale d'indemnisation.
Parallélisme des conditions d'ouverture, parallélisme des procédures pour formuler la demande : il s'agit donc de compléter tout simplement la loi relative à la présomption d'innocence et aux droits des victimes que nous avons adoptée, et je suis très heureux que l'initiative en revienne à notre assemblée.
La commission des lois a souhaité saisir cette occasion pour corriger quelques erreurs ou opérer certaines coordinations omises dans la loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes, afin de faciliter l'application de cette loi. Je dois dire que le Gouvernement a également saisi cette occasion, et nos propos ont donc également été parallèles sur ce point.
Pour conclure, je dirai que la proposition de loi qui est soumise au Sénat ce soir est utile pour la justice de notre pays, qui doit toujours, quand elle le peut, réparer les erreurs qu'elle a commisses. Dans ce domaine, votre rapporteur et la commission des lois, qui l'a suivi, pensent que la France doit montrer l'exemple dans l'application d'un droit de l'homme fondamental, à savoir la réparation d'une erreur judiciaire.
La commission des lois vous demande par conséquent, mes chers collègues, de bien vouloir adopter le texte qu'elle vous soumet aujourd'hui. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue bien sûr l'initiative de M. Dreyfus-Schmidt, dont la proposition de loi tend à harmoniser les dispositions de l'article 626 du code de procédure pénal avec celles qui figurent dans la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innoncence et les droits des victimes.
Je remercie également M. Jolibois, rapporteur de la commission des lois, pour la qualité de son rapport et pour travail accompli en commission.
Cette proposition vient compléter sur un point important la loi du 15 juin 2000, dont les principales dispositions entreront en vigueur le 1er janvier prochain.
Cette réforme majeure, déposée et défendue par Mme Elisabeth Guigou, modifie très profondément les différentes phases de notre procédure, pour leur permettre d'être en complète conformité avec les principes généraux du droit dans une société démocratique, comme avec les principes posés par la Convention européenne des droits de l'homme.
Ce texte historique a fait l'objet d'un très large consensus politique, et le rôle du Parlement dans son élaboration, notamment celui du Sénat, a été déterminant.
Le projet initial du Gouvernement, qui présentait déjà une particulière ampleur, a ainsi été complété sur des points essentiels. Les principales modifications apportées par la loi du 15 juin 2000 portent en effet sur le renforcement des droits de la défense, avec notamment l'intervention d'un avocat dès la première heure de la garde à vue, sur la limitation de la détention provisoire, avec l'institution de délais butoirs, la création du juge des libertés et de la détention, et l'amélioration des mécanismes d'indemnisation des détentions, sur la création d'un appel circulaire en matière criminelle, sur la juridictionnalisation de l'application des peines.
Ces deux derniers points montrent l'importance des apports du Sénat au projet de loi. C'est en effet la Haute Assemblée qui est à l'origine de l'appel des décisions des cours d'assises et qui a élargi la réforme de l'application des peines, décidée par l'Assemblée nationale, à la libération conditionnelle des condamnés à de longues peines, en créant la juridiction régionale de la libération conditionnelle.
La réforme a enfin porté sur le principe d'une réparation obligatoire et intégrale du préjudice causé par une détention provisoire suivie d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement.
Vous savez que seules trois hypothèses limitativement énumérées par cet article justifient l'absence d'indemnisation.
Aucune indemnisation n'est due, ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, lorsque la décision a pour seul fondement la reconnaissance de l'irresponsabilité pénale de la personne pour trouble mental, une aministie postérieure à la mise en détention, ou lorsque la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissée accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites.
La loi du 15 juin 2000 a par ailleurs prévu qu'à compter du 16 décembre 2000 - donc dans moins d'un mois - ces indemnisations, autrefois accordées par la commission nationale auprès de la Cour de cassation, seront accordées par les premiers présidents des cours d'appel, dont les décisions pourront faire l'objet d'un recours devant le commission nationale. Je puis vous indiquer que le décret d'application de ces dispositions est actuellement en cours de signature et devrait paraître au Journal officiel dans les prochains jours.
M. Dreyfus-Schmidt s'est aperçu, avec la vigilance qui lui est coutumière, que cette réforme n'avait pas été étendue aux hypothèses dans lesquelles une personne est innocentée après avoir fait l'objet d'une procédure de révision.
Dans un tel cas, en application des dispositions de l'article 626 du code, la personne n'a pas droit à indemnisation s'il est prouvé que la non-représentation de la pièce nouvelle - ou la non-révélation de l'élément inconnu qui a permis la révision du procès - est imputable en tout ou partie à la personne finalement reconnue innocente.
Cette règle est pourtant en elle-même choquante, car elle est contraire au principe de la présomption d'innocence, et elle est en contradiction avec les nouvelles dispositions de l'article 149, dont je rappelle qu'elles prévoient une réparation obligatoire et intégrale.
La proposition de loi déposée par M. Dreyfus-Schmidt a précisément pour objet de mettre fin à cette situation en étendant à la révision les nouvelles règles instituées en matière d'indemnisation des détentions provisoires.
Cette proposition, acceptée par la commission sur la proposition de M. le rapporteur, n'appelle aucune réserve de ma part et, encore une fois, je salue l'initiative de M. Dreyfus-Schmidt.
Faut-il, à cette occasion, revenir également sur la formulation du nouvel article 149, en parlant de « réparation intégrale du préjudice » et non « d'indemnisation du préjudice » ?
M. Dreyfus-Schmidt le propose, votre commission estime que ces modifications ne sont pas nécessaires. Ainsi que j'aurai l'occasion de le préciser lors de la discussion des articles, le Gouvernement s'en rapportera à la sagesse de la Haute Assemblée sur ce point.
M. le rapporteur a par ailleurs fort opportunément proposé de compléter la proposition de loi sur d'autres points, afin de faciliter l'application de la loi du 15 juin 2000. Qui, en effet, était mieux placé pour le faire que M. Jolibois, rapporteur de ce texte de plus de cent quarante articles !
Votre rapporteur a d'ailleurs modifié le titre de la proposition de loi pour indiquer qu'elle procéderait également à diverses coordinations dans le code de procédure pénale. Ce nouvel intitulé décrit très clairement l'objectif du texte, il en montre la légitimité, il en délimite également très précisément le domaine.
Le Gouvernement ne peut donc qu'être pleinement favorable aux ajouts proposés par votre rapporteur, car ceux-ci renforcent la cohérence de l'ensemble de la réforme et permettront qu'elle s'applique dans des conditions satisfaisantes.
Sans parler des corrections purement rédactionnelles qui figurent dans la proposition de loi, je citerai d'abord les dispositions qui permettent de maintenir les sanctions encourues par le témoin refusant de comparaître ou de déposer et qui paraissent évidemment nécessaires.
Je mentionnerai les dispositions permettant de désigner une même cour d'assises en appel dans le cas où cette cour est composée de magistrats professionnels, comme en matière de terrorisme.
J'évoquerai enfin les dispositions d'adaptation concernant l'outre-mer. Celles-ci tiennent compte du fait que, dans certains ressorts, il n'y a qu'un juge de l'application des peines, de sorte que la juridiction régionale de la libération conditionnelle ne peut en comporter deux, comme en métropole.
Elles tiennent également compte de la situation des îles Wallis-et-Futuna, dans lesquelles il n'y a qu'un seul magistrat du siège. Il devrait donc pouvoir, en tant que juge d'instruction, incarcérer provisoirement une personne mise en examen et dont le placement en détention provisoire sera alors décidé ou refusé par le juge des libertés et de la détention de Nouvelle-Calédonie.
Le Gouvernement est d'autant plus favorable à ces coordinations qu'il vous propose lui-même d'en ajouter quelques autres ; il a déposé plusieurs amendements à cette fin, comme l'a rappelé M. le rapporteur.
Ces amendements concernent essentiellement deux questions : celle du juge des libertés et de la détention et celle de la localisation des débats contradictoires devant les juridictions de l'application des peines.
Sur le premier point, il est apparu nécessaire d'insérer quelques dispositions dans le code de l'organisation judiciaire afin, dans les petites juridictions, de permettre à une ou deux chambres une certaine mutualisation des moyens.
Dans des conditions strictement encadrées par les dispositions qui vous sont proposées, le juge des libertés et de la détention d'une juridiction pourra, pendant les périodes de vacation, de fin de semaine ou en cas d'absence d'un magistrat, exercer cette fonction dans un ou deux autres tribunaux.
Le second point concerne la juridictionnalisation de l'application des peines. Il est apparu souhaitable de faciliter l'application des textes adoptés par le Parlement, qui résultent des amendements déposés par le Sénat.
Il s'agit de préciser que le décret d'application de la réforme - qui a d'ailleurs déjà été rédigé par le Gouvernement et qui devrait être très prochainement publié - peut déterminer la localisation des débats contradictoires qui se tiendront devant les juges de l'application des peines et les juridictions régionales de la libération conditionnelle.
Il est en effet nécessaire de permettre que ces débats, lorsqu'ils concernent des condamnés détenus, et uniquement dans ce cas-là, auront normalement lieu au sein de l'établissement pénitentiaire.
Cette solution, que le Parlement a voulue, se justifie pleinement pour renforcer la présence des magistrats, de la défense et du droit dans les établissements pénitentiaires. Il faut aussi prendre en compte les exigences de sécurité qui incitent à ne pas multiplier les extractions de personnes éventuellement condamnées à de lourdes peines.
Il convient en outre de songer aux très grandes difficultés matérielles qu'induiraient 30 000 ou 50 000 extractions supplémentaires pour les services de police et de gendarmerie, au moment où des efforts très importants sont consacrés à la police de proximité.
Je terminerai mon propos par quelques informations rapides sur la préparation de l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000, qui intéresse nécessairement votre assemblée.
Dès juillet dernier, un groupe de suivi de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes a été mis en place au sein du ministère. Il est composé de praticiens, de magistrats et de fonctionnaires. Ce groupe a rencontré des représentants du barreau. Il s'est également réuni avec des policiers et des gendarmes.
Il a tenu les juridictions informées de ses travaux et a ainsi recensé les principales questions posées par l'application de la loi du 15 juin 2000. Il a dégagé les solutions pratiques qui lui paraissaient les plus pertinentes, solutions qui seront, au besoin, reprises dans les décrets et circulaires.
Les décrets d'application sont en préparation. Comme je l'ai indiqué, celui sur l'application des peines pourrait être publié dans les prochains jours.
Compte tenu de leur importance, les principales dispositions de la loi du 15 juin 2000 feront l'objet de quatre circulaires très complètes concernant la garde à vue et l'enquête, l'instruction et le jugement, la procédure criminelle et l'application des peines. Un tableau comparatif exhaustif est également en préparation.
Chacun de ces documents comportera une centaine de pages avec ses annexes, comprenant notamment des modèles de formulaires.
Les circulaires devraient être prochainement adressées aux juridictions. Elles seront mises en ligne sur les sites internet et intranet du ministère de la justice.
Comme vous le voyez, tout est mis en oeuvre pour permettre que la loi du 15 juin 2000, en dépit des changements qu'elle induit dans le fonctionnement de nos juridictions, puisse être appliquée dans les meilleures conditions possible.
La présente proposition de loi participe directement de cet objectif. C'est pourquoi je vous demande, mesdames et messieurs les sénateurs, de bien vouloir l'adopter avec les amendements du Gouvernement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais d'abord adresser mes remerciements ausi bien à M. le rapporteur qu'à Mme le garde des sceaux d'avoir bien voulu me remercier d'avoir présenté cette proposition de loi. Je fais tout de suite une petite réserve : lorsqu'une proposition de loi vient à l'ordre du jour sur décision de la conférence des présidents, le Sénat est saisi non pas de la proposition de loi, mais des conclusions du rapport fait au nom de la commission des lois. Le rapporteur étant passé assez vite sur ce point, on a pu croire que c'était le texte même de ma proposition qui avait été retenu. Je vais donc être obligé d'expliquer au Sénat que ce n'est pas tout à fait le cas, même si ça l'est sans doute pour l'essentiel.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Ah !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Depuis de longues années, vous le savez bien, je me bats ici pour obtenir une réparation obligatoire, pour remplacer, dans l'article 149 du code de procédure pénale, le mot « peut » par le mot « doit », pour obtenir - en 1996 - que soit supprimée, toujours dans l'article 149 dudit code, la phrase selon laquelle, était-il dit, une indemnité peut être allouée aux personnes ayant fait l'objet à tort d'une détention préventive dans le cas où leur préjudice est anormal et d'une particulière gravité.
Nous nous sommes battus à l'occasion de l'examen des différents textes et nous avons à peu près obtenu satisfaction, sauf sur un point, à savoir notre demande insistante de parler non pas d'« indemnisation », mais de « réparation », et même de « réparation intégrale ». J'aurai l'occasion d'y revenir tout à l'heure.
Toujours est-il qu'en 1998 - M. Fauchon, aujourd'hui président de la commission,... M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Non ! Non ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... en tout cas assis à la place du président qu'il représente ès qualité de vice-président... nous avait fait une proposition de modification de l'article 626 dans le projet de loi tendant à renforcer l'efficacité de la procédure pénale. Mais n'était en cause qu'un alinéa, le troisième, celui qui indique désormais que l'indemnisation peut également être allouée par la décision d'où résulte son innocence.
Devant la Cour d'assises, l'indemnisation est allouée par la cour statuant comme en matière civile, sans l'assistance des jurés. Mais il n'était pas fait allusion du tout dans ce débat au premier alinéa de cet article 626 du code de procédure pénale, qui traite de l'indemnité à verser, sur décision d'une commission nationale siégeant à la Cour de cassation, à celui qui a été condamné à tort.
Dans le même débat, nous avions demandé que, dans l'article 149 du même code, il soit précisé que la réparation devait être intégrale. A l'époque, le rapporteur n'a pas voulu que l'on traite des deux sujets. On a donc renvoyé le second sujet, celui concernant l'article 14, au débat sur la loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes ; mais, à l'occasion de la discussion de ce texte, lorsqu'on a abordé l'article 149, on a complètement oublié de parler - n'est-il pas vrai ? - de l'article 626.
Cet été, quand on a lu dans la presse que M. Rida Daalouche, qui avait fait - excusez du peu ! - cinq ans et trois mois de prison, et qui a fini par être acquitté par la cour d'assises de renvoi après que la Cour de cassation eut constaté qu'il était hospitalisé le jour des faits, s'était vu refuser toute indemnisation, on s'est alors rendu compte qu'aux termes de l'article 626 le condamné blanchi n'a droit à rien dès lors qu'il serait prouvé que la non-représentation de la pièce nouvelle ou la non-révélation de l'élément inconnu en temps utiles lui était imputable en tout ou en partie.
M. Daalouche, qui était un drogué et qui n'avait pas sans doute toujours les idées très nettes, avait en somme eu le tort de ne pas prouver son innocence, alors qu'il revient à l'accusation de prouver la culpabilité d'un criminel ou d'un délinquant !
Il avait dit, dans un premier temps, qu'il avait accompagné une amie à Perpignan, puis, dans un second temps, qu'il avait été hospitalisé, sans toutefois préciser la date, ce qui, d'après la Cour de cassation, a empêché le juge d'instruction de vérifier s'il avait bien été hospitalisé et quand.
C'est donc parce que ce garçon n'a pas prouvé son innocence, alors qu'il était innocent, qu'il s'est vu refuser toute indemnisation, et ce par une décision de la commission nationale qui s'appelle, depuis la loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes, commission nationale d'indemnisation - et non pas de « réparation », ce qui serait tout de même mieux. La décision de cette commission est du 17 août. Notre proposition a été enregistrée le 12 septembre. C'est dire que nous n'avons pas perdu de temps. Et elle vient aujourd'hui en discussion, d'autant plus rapidement qu'elle était utile comme support d'autres modifications - n'est-il pas vrai ?
Quel est l'essentiel de cette proposition ?
Dans le nouvel article 149, il est dit que lorsqu'une procédure est terminée à l'égard de quelqu'un qui a fait de la détention provisoire, par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, la personne a droit dans tous les cas à réparation, sauf si elle a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites.
Et il nous a paru tout à fait normal de demander que les deux cas soient traités de la même manière : celui qui a fait de la prison à tort, provisoire, sans être ensuite condamné et celui qui a fait de la détention avant d'être condamné ; leurs droits doivent être les mêmes.
Nous avons donc proposé de reprendre la phrase figurant dans l'article 149 pour l'insérer dans l'article 626. Commission des lois et Gouvernement en sont d'accord.
Mais nous avons aussi proposé, une fois de plus, qu'il soit précisé dans les deux cas, et donc dans les deux articles, que la réparation doit être intégrale.
Certains disent que cela va de soi, d'autant plus que, dans l'article 149, il est dit dorénavant que l'indemnité « est » accordée - et non plus « peut être accordée » - afin de réparer le préjudice moral et matériel.
Du moment qu'il s'agit de réparer le préjudice, cela signifierait qu'il doit être réparé intégralement. Et certains de nous dire : la preuve, c'est que, dans l'article 1382 du code civil, qui n'a pas été modifié depuis l'origine, il est dit que « tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Or la jurisprudence a toujours compris que la réparation doit être intégrale.
Cependant, l'article 706-3 du même code de procédure pénale, précise en toutes lettres, à propos des indemnisations versées aux victimes d'infractions que, dans certains cas, la réparation doit être intégrale. D'ailleurs, ce mot « intégrale » est répété trois fois dans la circulaire qui commente cet article 706-3.
Il nous paraît donc dangereux que, dans le même code, on parle tantôt de « réparation intégrale », tantôt de « réparation » sans autre précision. C'est la raison pour laquelle nous demandons que, aussi bien dans l'article 149 que dans l'article 626, il soit précisé que la réparation doit être intégrale.
Pourquoi est-il très important de le préciser ?
C'est que la commission nationale dite - pour peu de temps, je l'espère ! - « d'indemnisation » a de mauvaises habitudes : elle alloue des indemnités le plus souvent forfaitaires et souvent très faibles.
Certes, on m'objectera, comme je l'ai lu dans le rapport, que, depuis 1996, le montant total des indemnités a beaucoup augmenté. Bien sûr, puisqu'elles sont maintenant accordées non plus seulement pour compenser un préjudice anormal d'une particulière gravité, mais dans tous les cas !
Comment mieux faire savoir, d'abord aux présidents de cours d'appel, qui vont statuer en premier ressort en matière de détention provisoire, puis aux magistrats de la Cour de cassation membres de la commission nationale d'indemnisation, ce que veut le législateur, à savoir une réparation intégrale du préjudice, qu'en l'inscrivant dans la loi elle-même ?
J'aurais d'autant plus aimé que la commission retienne cette formule qui était dans ma proposition qu'on retrouve dans les amendements que j'ai déposés et qu'elle a examinés ce matin, que cela aurait évidemment permis de gagner du temps puisque je n'aurais pas besoin maintenant de les défendre un à un. La plupart d'entre eux, de coordination, ne donneraient pas lieu à débat.
Par ailleurs, dans la rédaction proposée par la commission pour l'article 626 du code de procédure pénale, pas plus que dans le texte actuel, ne figure même pas le mot « réparation ».
Certes, monsieur le rapporteur, vous avez retenu mon amendement qui tend à ajouter : « pour réparer le préjudice matériel », ce qui introduite tout de même la notion de réparation. Il reste que, par trois fois, on retrouve les mots « indemnité » ou « indemnisation ».
Je demande donc, par de nombreux amendements, que, chaque fois qu'il est question d'indemnisation dans le texte, on y substitue les mots : « réparation intégrale », ou « réparation » s'il a été fait mention de la réparation intégrale à l'alinéa précédent.
Pour le reste, la commission propose quelques modifications de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. En effet, Gouvernement et commission se sont rendu compte - et c'est bien normal, s'agissant d'un texte qui compte 140 articles ! - de l'existence d'un certain nombre d'oublis.
Ne faut-il pas cent fois sur le métier remettre son ouvrage, le polir et le repolir ? C'est précisément dans cet esprit, avec ce souci, que je demande qu'il soit systématiquement recouru à la notion de réparation intégrale.
Dans un autre amendement, je soulève en outre la question de savoir si, lorsque les faits sont prescrits, il doit y avoir une réparation pour celui qui a été mis en prison, soit qu'il l'ait été alors qu'il y avait déjà prescription, soit que le dossier ait tellement « dormi » que la prescription a fini par être acquise. Les deux cas sont possibles et ne sont malheureusement, ni l'un ni l'autre, des hypothèses d'école.
Je rends cet hommage à notre excellent rapporteur, M. Jolibois : c'est lui qui a fait en sorte qu'il y ait réparation lorsqu'il y a prescription. Monsieur le rapporteur, vous avez estimé, à très juste titre, que la prescription justifiait a fortiori la réparation. Pour autant, il n'est pas dit expressément dans le texte qu'il doit y avoir réparation lorsqu'il y a prescription. J'ai donc déposé un amendement pour que cela soit précisé, sachant que ce problème suscite beaucoup de discussions au sein de la commission nationale d'indemnisation.
Il est également proposé qu'en matière d'appel criminel on sache, lorsqu'on est en cour d'assises spéciale, devant quelle autre cour d'assises l'affaire sera renvoyée. Doit-il s'agir, comme cela est demandé, de la cour d'assises spéciale autrement composée ? Je dois dire que, pour ma part, j'ai toujours dénoncé cette cour d'assises spéciale, et cela dès sa création. Mais, du moment qu'elle existe, j'aurais préféré que ce soit une autre qui soit constituée, par exemple à Versailles, puisque la première siège à Paris.
Enfin, le Gouvernement propose de prévoir un décret précisant où et comment juge d'application des peines et chambre d'appel doivent siéger en matière d'application des peines. Je peux comprendre que l'on veuille éviter de déplacer des détenus, qui ont été condamnés, dont certains peuvent être dangereux, dont certains peuvent déposer très souvent des demandes occasionnant des transports importants. Mais je pense tout de même qu'il serait bon de donner aux magistrats de la chambre des appels correctionnels la possibilité, s'ils le désirent, d'ordonner que l'intéressé, s'il le demande, lui soit amené, à moins que la chambre des appels correctionnels ne préfère se déplacer pour aller le voir. Décider qu'en aucun cas les membres de la chambre des appels correctionnels ne pourront eux-mêmes - et tous - voir celui qui demande une modification de l'application de sa peine me paraît excessif.
Voilà ce que je vous demande d'inscrire dans le décret, madame la ministre, après que le Parlement vous aura autorisée, ce dont je ne doute pas, à le prendre.
Telles sont les explications que je voulais donner au Sénat. Je le prie de m'excuser d'avoir été un peu long, mais je dis au Sénat, et il le sait d'ailleurs bien, que je ne cesserai le combat que lorsqu'il sera précisé dans la loi que, dans le cadre de l'article 149 comme dans celui de l'article 626, la réparation, pour ceux qui ont fait de la prison à tort, doit être intégrale.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Section 1


Dispositions relatives à l'indemnisation des condamnés reconnus innocents et à l'indemnisation des personnes placées en détention provisoire et bénéficiant d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement

Article additionnel avant l'article 1er



M. le président.
Par amendement n° 1, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'ajouter, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans la première phrase du premier alinéa de l'article 149 du code de procédure pénale, les mots : "décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive" sont remplacés par les mots : "décision devenue définitive de non-lieu, de relaxe, d'acquittement ou constatant la prescription". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai été suffisamment précis lors de la discussion générale pour me permettre d'être bref dans la présentation de mes amendements.
Cet amendement vise à préciser que, lorsqu'il y a une décision constatant la prescription, l'intéressé a droit à une réparation intégrale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Cette question est importante et elle a déjà été longuement évoquée lors de la discussion du texte sur la présomption d'innocence.
A l'époque, toute récente, le Gouvernement considérait que la prescription était l'un des cas qui justifiait que l'on n'indemnise pas une personne placée en détention provisoire. J'ai, pour ma part, défendu l'idée selon laquelle une personne placée en détention pour une infraction prescrite devait être indemnisée. J'ai été suivi, et la prescription a été retirée de la liste des exceptions à l'indemnisation.
Cela signifie que le système du code de procédure pénale consiste à poser un principe, l'indemnisation, et à prévoir des exceptions : si l'on n'entre pas dans un des cas d'exception, on a le droit à l'indemnisation !
Par conséquent, monsieur Dreyfus-Schmidt, lorsque vous demandez que l'on réintroduise la prescription, vous changez la totalité du mode de raisonnement juridique qui a été adopté à la fois par le code et par nous.
En fait, cher collègue, sur le fond, nous sommes complètement d'accord. C'est sur la conception de la règle juridique que nous divergeons. Selon moi, cette règle doit être cartésienne. Il ne faut pas oublier que le droit français est un droit court parce que c'est un droit fondé sur le raisonnement : si l'on abandonne ce système de raisonnement, on va tomber dans un droit qui peut parfois être plus plaisant, comme le droit anglo-saxon ou d'autres droits plus longs, plus explicatifs mais où, d'un article à l'autre, les explications sont différentes, ce qui provoque des erreurs et exige un difficile travail d'interprétation.
Notre système est à la fois plus clair et plus simple : l'indemnisation est la règle, laquelle connaît quelques exceptions expressément prévues.
Je ne sais d'ailleurs pas à quoi vous faites allusion quand vous dites que ce système aurait déjà suscité des difficultés.
Bien sûr, il y a eu un changement puisque, dorénavant, la prescription ne figure plus dans les exceptions. Mais c'est précisément ce changement qui va conduire les magistrats, lorsque quelqu'un aura été détenu alors que ce qu'on lui reprochait était prescrit, à admettre que le préjudice ainsi subi doit être réparé.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Cet amendement montre la volonté tout à fait légitime de M. Dreyfus-Schmidt d'aller au fond des choses et de rendre la loi aussi explicite que possible. Il ne fait toutefois pas de doute dans l'esprit du Gouvernement, ni dans celui du Parlement - et les débats qui ont eu lieu au Sénat lors du vote de la loi le prouvent - qu'une indemnisation, ou une réparation, est due si une personne bénéficie d'un non-lieu ou d'une relaxe en raison de la prescription de l'action publique.
La circulaire d'information qui sera spécialement adressée aux premiers présidents des cours d'appel, compétents à partir du 16 décembre prochain pour statuer sur les demandes d'indemnisation, le mentionnera de la façon la plus claire possible, en rappelant notamment qu'au cours des débats le Parlement a refusé d'adopter des dispositions qui prévoyaient qu'aucune indemnisation n'était due en cas de prescription, pour ne finalement retenir que les trois hypothèses du trouble mental, de l'amnistie ou de la personne qui se laisse volontairement accuser à tort.
Cette circulaire pourra également faire état des débats qui ont lieu ce soir et qui, grâce à la discussion de l'amendement de M. Dreyfus-Schmidt, rendent les choses encore plus claires, en tout cas je l'espère.
D'un point de vue juridique, il est inutile de distinguer les décisions de relaxe, de non-lieu ou d'acquittement de celles qui constatent la prescription. Il peut, certes, arriver que des juridictions aient prononcé des décisions qui se bornaient à constater la prescription ; mais, aux termes du code de procédure pénale - qui ne mentionne nulle part de telles décisions - ces juridictions auraient dû ensuite soit déclarer qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre, soit relaxer le prévenu des fins de la poursuite, soit acquitter l'accusé.
Si le texte de l'article 149 du code de procédure pénale était précisé dans le sens que souhaite M. Dreyfus-Schmidt, il en résulterait au demeurant des interprétations a contrario . Par exemple, si des poursuites sont annulées parce qu'elles ont été engagées devant une juridiction incompétente, devra-t-on estimer que la détention provisoire de la personne irrégulièrement poursuivie ne donne pas lieu à indemnisation ? Et que se passera-t-il si l'action publique est éteinte en raison de l'autorité de la chose jugée, parce que la personne a déjà été poursuivie - et condamnée ou relaxée - pour les mêmes faits ? Je pourrais multiplier les exemples.
Dans ces conditions, compte tenu des précisions qui seront apportées dans la circulaire à venir - et quand on s'exprime devant le Sénat, cela a valeur d'engagement, monsieur le sénateur - après la parution du décret d'application qui est actuellement en cours de signature, j'espère que vous serez suffisamment convaincu par cette argumentation, monsieur Dreyfus-Schmidt, pour retirer votre amendement. En effet, il me déplairait, parce que, au fond, je vous comprends, de dire que le Gouvernement y est défavorable.
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, l'amendement est-il maintenu ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Madame la garde des sceaux, je vous remercie d'avoir précisé que, dans certains cas, très rares bien sûr, il y a prescription sans qu'intervienne formellement une décision de non-lieu, d'acquittement ou de relaxe. Vous dites que, dans ce cas-là, il y a erreur et que le président de la cour d'appel ou la commission nationale doivent faire comme s'il y avait eu une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement. Pour vous, en tout état de cause, dans le cas de prescription, la réparation intégrale - nous y reviendrons tout à l'heure - est due.
Si c'est bien ce que vous avez voulu dire, je retire mon amendement.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. C'est bien ce que j'ai voulu dire !
M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - Au début du premier alinéa de l'article 149 du code de procédure pénale, les mots : « Sans préjudice de l'application des dispositions des articles 505 et suivants du code de procédure civile » sont remplacés par les mots : « Sans préjudice de l'application des dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire ».
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 2, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« La première phrase du 1er alinéa de l'article 149 du code de procédure pénale est ainsi rédigée :
« Sans préjudice de l'application des dispositions des alinéas deux et trois de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision devenue définitive de non-lieu, de relaxe, d'acquittement ou constatant la prescription, a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. »
Par amendement n° 3, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« La première phrase du 1er alinéa de l'article 149 du code de procédure pénale est ainsi rédigée :
« Sans préjudice de l'application des dispositions des alinéas deux et trois de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt pour présenter ces deux amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je retire l'amendement n° 2, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.
Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les deux précédents amendements que je viens de retirer comportaient le mot « prescription ».
Nous reprenons ici le texte de l'article 149 du code de procédure pénale, à ceci près que nous introduisons les mots : « réparation intégrale ».
L'article 149, dans sa rédaction actuelle, dispose : « Sans préjudice de l'application des dispositions des articles 505 et suivants du code de procédure civile, » - la commission est d'accord pour constater que l'article 505 a été abrogé et que c'est l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire qui doit être visé - « une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire... afin de réparer le préjudice moral et matériel qu'elle a subi à cette occasion. » Pour que les choses soient claires, il faut préciser que l'intéressé a droit à réparation « intégrale » de ce préjudice matériel et moral.
Tel est l'objet de cet amendement n° 3.
Nous sommes obligés de renverser la phrase, mais elle ne dit rien d'autre que ce que viens d'indiquer : « Sans préjudice de l'application des dispositions des alinéas deux et trois de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention ».
Il est nécessaire, je le répète, de le préciser, parce que, apparemment, la commission nationale a du mal à se défaire de ses habitudes fort anciennes d'allouer « à la tête du client » des indemnités qui varient beaucoup et qui sont souvent forfaitaires. Il n'existe pas d'inconvénient à le dire puisque cette notion de réparation intégrale figure déjà dans l'article 706-3 du code de procédure pénale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Mon intervention sera peut-être moins courte que je ne le souhaiterais parce que je n'ai pas répondu à certaines questions dans mon exposé général, comme l'a fait par anticipationM. Dreyfus-Schmidt.
A la vérité, la discussion porte sur la nécessité, pour la protection de ceux qui demandent une indemnité, de prévoir que la réparation du préjudice est ou non intégrale.
La première fois que j'ai eu le plaisir d'étudier la proposition de loi de M. Dreyfus-Schmidt, j'ai constaté que notre collègue avait ajouté le qualificatif « intégrale ». En fait, nous avons repris son idée : nous sommes passés d'un système d'indemnisation presque optionnel pour la commission nationale à un système d'obligation.
En outre, et c'est très important, la commission nationale a désormais obligation d'accorder une indemnité « pour réparer ». Et comme si cela n'était pas suffisant, le texte que nous avons adopté précise que la réparation concerne les deux éléments de la théorie générale du préjudice, à savoir le préjudice moral et le préjudice matériel. En effet, lorsque quelqu'un est allé en prison indûment, il subit un préjudice moral, qui doit être réparé.
Dès lors, fallait-il encore indiquer que la réparation du préjudice doit être « intégrale » ?
Peu importe que le terme soit déjà employé dans un autre texte ! J'irai presque jusqu'à dire que c'est superfétatoire. Ce que nous devons faire - ce que tous les grands légistes ont fait, en droit français - c'est du droit concret, court et précis.
Il est vrai que l'article 1382 du code civil, qui constitue la base de toute la théorie du préjudice, est d'une concision prodigieuse : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à la réparer. »
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est du droit civil !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Ajouter le terme « intégrale » pourrait créer par la suite une certaine confusion : il y aurait le préjudice qui donnerait lieu à une réparation intégrale et celui qui serait simplement réparé. D'ailleurs, tout cela relève de l'appréciation des magistrats. Par conséquent, peu importe les mots que l'on emploie ! Ce n'est pas une querelle sur le sexe des anges, monsieur Dreyfus-Schmidt. Il suffit de préciser que la réparation concerne le préjudice moral et matériel.
Nous avons simplement voulu alléger ce texte et nous situer davantage dans la tradition juridique française, qui se perd un peu, c'est vrai : de plus en plus, la tendance est au délayage.
Les dispositions que nous vous proposons sont suffisantes pour assurer ce que nous voulons tous : la réparation complète du préjudice avec un texte simple et clair.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je n'ai pas l'impression que je vais m'attirer de votre part des louanges pour ma clarté, monsieur le rapporteur.
Je comprends ce que vous avez dit mais, en fait, il semble que la loi comme les intentions du législateur sont claires.
A plusieurs reprises au cours des débats, ElisabethGuigou, présentant les nouvelles dispositions de l'article 149 du code de procédure pénale, a déclaré que ce texte améliorait l'indemnisation des détentions provisoires injustifiées en instaurant la réparation intégrale de tous les chefs de préjudice.
Le préjudice, tant moral que matériel, résultant de la détention, l'intégralité du préjudice subi doit donc être évaluée. Cette évaluation peut d'ailleurs nécessiter une expertise, qui est expressément envisagée par le nouveau texte. Une fois évalué, le préjudice subi doit être indemnisé et le montant de l'indemnisation accordée doit correspondre au montant intégral du préjudice.
Que l'on utilise le mot « réparation » ou le mot « indemnisation », même si je vous rejoins sur une interprétation qui se détache un peu de la sémantique, ne change rien au fond du texte. D'ailleurs, M. Dreyfus-Schmidt ne propose pas cette simple substitution de termes, puisqu'il y accole également l'adjectif « intégrale ».
Cette précision supplémentaire ne me paraît pas non plus indispensable, puisque le nouveau texte fait référence au préjudice matériel et moral, donc à l'ensemble des chefs de préjudice qui a été subi.
Il est vrai qu'en matière d'indemnisation des victimes l'article 706-3 du code de procédure pénale utilise les termes « réparation intégrale ». Mais l'intitulé du titre consacré à cette disposition fait référence au « recours en indemnité » des victimes. Les expressions « indemnité » ou « réparation » seraient donc bien synonymes.
Si l'article 706-3 précise que la réparation doit être intégrale, c'est pour éviter une confusion avec l'article 706-14, qui prévoit, quant à lui, la possibilité de donner aux victimes de certaines infractions contre les biens une indemnisation qui, à la différence de l'indemnitation de l'article 706-3, ne peut dépasser un montant maximum fixé par la loi.
En revanche, aucun plafonnement n'est prévu pour l'indemnisation des détentions provisoires. Il n'y a donc pas de confusion possible.
Sous réserve de ces observations, j'en appelle à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. M. le rapporteur a dit que j'avais pris les devants. En effet. Mais il n'en a pas tenu compte ! Il a fait référence à l'article 1382. Mais il s'agit d'un article du code civil qui est appliqué depuis tellement longtemps qu'il n'y a pas de discussion à son égard.
Pour ma part, j'ai cité le code de procédure pénale et Mme le garde des sceaux, elle, vient de me répondre.
L'article 706-3 dispose : « Toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes : ».
En outre, dans la circulaire qui est publiée au Dalloz, qui émane donc de la Chancellerie, il est répété par trois fois que la réparation intégrale est réservée aux victimes d'atteintes graves à la personne.
Cela signifie clairement que la réparation peut ne pas être intégrale ! Il est donc normal de préciser dans le même code de procédure pénale, aux articles 149 et 626, que la réparation doit être intégrale, à défaut de quoi certains plaideront que, dès lors que le terme « intégrale » figure dans l'article 706-3, mais pas dans les articles 149 et 626, cela signifie que la réparation peut, là, ne pas être intégrale.
J'ajoute que j'ai sous les yeux le compte rendu des débats du 25 juin 1999, au cours desquels le Sénat a adopté un amendement n° 38 rectifié bis , présenté par M. Jolibois, au nom de la commission des lois, qui commence ainsi : « Toute personne mise en détention provisoire a droit à la réparation intégrale du préjudice matériel et moral résultant de cette détention si elle a bénéficié d'une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement... »
Je ne comprends pas votre attitude, monsieur le rapporteur, car, je le répète, le Sénat a voté cette disposition sur votre proposition. En outre, cette disposition figure déjà dans le code de procédure pénale, à l'article 706-3.
Je me permets d'insister auprès de l'ensemble de mes collègues pour qu'ils votent mon amendement et que l'on dise enfin ce qui doit être clair, à savoir qu'en cas de détention provisoire à tort ou de condamnation à tort la réparation doit être intégrale.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé.

Articles additionnels après l'article 1er



M. le président.
Par amendement n° 4, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans la première phrase du 1er alinéa de l'article 149 du code de procédure pénale, après le mot : "réparer" est inséré le mot : "intégralement". »
Cet amendement n'a plus d'objet.
Je suis maintenant saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune et qui sont présentés par M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 5 tend à insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le second alinéa de l'article 149 du code de procédure pénale, les mots : "une indemnisation" sont remplacés par le mot : "réparation". »
L'amendement n° 6 vise à insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Dans le second alinéa de l'article 149 du code de procédure pénale, les mots : "une indemnisation" sont remplacés par les mots : "réparation intégrale de son préjudice".
« II. - A la fin du même alinéa, la référence : "de l'article 149-1" est remplacée par la référence : "des articles 149-1 à 149-3". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre ces deux amendements.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'amendement n° 5 est un amendement de coordination.
En ce qui concerne l'amendement n° 6, le paragraphe I est une disposition de coordination. Par conséquent, je demanderai par un vote par division.
S'agissant du paragraphe II, j'avoue que je ne comprends pas pourquoi notre amendement n'a pas été retenu. En effet, le texte en vigueur précise que « lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d'aquittement lui est notifiée, la personne est avisée de son droit de demander une indemnisation, ainsi que des dispositions de l'article 149-1 ».
Or, l'article 149-1 que l'on fait connaître à celui qui vient d'être acquitté dispose que « l'indemnisation prévue à l'article précédent est allouée par décision du premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle a été prononcée la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement ». On sait par ailleurs qu'il s'agit d'une réparation intégrale.
Mais l'article 149-2, qui n'est pas visé dans le texte actuellement en vigueur, précise que « le premier président de la cour d'appel, saisi par voie de requête dans le délai de six mois » - il est intéressant que la personne le sache ! - « statue par une décision motivée. Les débats ont lieu en audience publique, sauf opposition du requérant. » - il est bon que le requérant le sache - « A sa demande, celui-ci est entendu personnellement ou par l'intermédiaire de son conseil. » - il est bon que la personne le sache !
Quant à l'article 149-3, il prévoit que « les décisions prises par le premier président de la cour d'appel peuvent, dans les dix jours de leur notification, faire l'objet d'un recours devant une commission nationale d'indemnisation des détentions provisoires.
Je demande donc simplement - ce n'est pas difficile - que, par voie de document préparé à l'avance, soient remis à l'intéressé non seulement le texte de l'article 149-1, mais également celui des articles 149-2 et 149-3.
C'est pourquoi notre amendement prévoit de remplacer les mots : « de l'article 149-1 » par les mots « des articles 149-1 à 149-3 ».
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 5 et 6 ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. S'agissant de l'amendement n° 5, la commission émet un avis favorable, par coordination.
J'en viens à l'amendement n° 6.
Nous devons accepter le paragraphe I de cet amendement par voie de conséquence. Puisque l'adjectif « intégrale » sera inséré partout, il faut, en l'occurrence, parler de « réparation intégrale du préjudice ».
Quant au paragraphe II, il tend à préciser que la personne qui a été abusivement placée en détention provisoire doit être informée non seulement de son droit de demander une indemnité devant le Premier président de la cour d'appel, mais aussi de toute la procédure, et donc de la possibilité de faire appel devant la commission d'indemnisation des détentions provisoires.
Pour nous, le problème relève de la circulaire. Cependant, il faut veiller à ce que des imprimés soient remis aux personnes relaxées, acquittées ou bénéficiant d'un non-lieu. Je pense que Mme le garde des sceaux peut nous donner des assurances sur ce point.
Cela étant dit, le Sénat voudra peut-être inscrire l'intégralité de la marche à suivre dans la loi. A la vérité, ce n'est pas fondamental. Je le répète : je considère que cela relève de la circulaire. Je vous ferais confiance, madame le garde des sceaux, si vous nous indiquez que ces dispositions figureront bien dans la circulaire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La circulaire irait au-delà de la loi !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 5 et 6 ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis favorable sur l'amendement n° 5.
Le paragraphe II de l'amendement n° 6 a pour objet de préciser, dans l'article 149, l'étendue de l'information qui doit être donnée à la personne sur son droit à indemnisation.
Je ne suis pas certaine que cette précision relève du domaine de la loi ni qu'elle soit indispensable.
En tout état de cause, je puis indiquer que, sur le fond, les circulaires et formulaires préparés par la Chancellerie informeront complètement la personne.
Je peux même vous lire la formulation qui figurera dans les ordonnances de non-lieu ou dans les jugements de relaxe : « Informons la personne de son droit de demander devant le premier président de la cour d'appel, en application des articles 149 et suivants du code de procédure pénale et dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la présente décision deviendra définitive, l'indemnisation du préjudice matériel et moral résultant de la détention provisoire dont elle a fait l'objet. »
Cette formulation précise ainsi l'autorité devant qui l'indemnisation doit être demandée et le délai pour agir, ce qu'imposait non pas la lettre de la loi mais son esprit. Sur ce point, j'ai un peu l'impression de me situer entre vous, monsieur Dreyfus-Schmidt, et M. le rapporteur.
Je vous précise en outre que le décret d'application prévoit dans le nouvel article R. 26 du code de procédure pénale que le délai de six mois pour demander une indemnisation ne pourra courir si cet avis n'a pas été donné, ce qui complète utilement les dispositions législatives.
Ces observations montrent de façon éclairante ce qui relève de la loi, ce qui relève du décret et ce qui relève des circulaires ou des formulaires, même s'il est toujours possible de vouloir rendre la loi plus précise.
Je ne suis toutefois pas persuadée qu'il convient de donner connaissance à la personne de tous les détails de la procédure, comme le fait que les décisions des premiers présidents pourront faire l'objet d'un recours devant la commission nationale - la personne le saura quand elle aura déjà saisi le premier président - ou comme le fait que la commission nationale peut comporter plusieurs sections si le bureau de la Cour de cassation en décide ainsi... C'est pourtant ce qui arriverait si l'on mentionnait tous les articles cités par l'amendement.
Sous le bénéficie de ces observations, je m'en remets à la sagesse du Sénat, si cet amendement est maintenu.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 1er.
S'agissant de l'amendement n° 6, je rappelle que j'ai été saisi d'une demande de vote par division.
Je vais donc mettre aux voix le paragraphe I de cet amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vais rectifier cet amendement, et je vous prie de m'en excuser, mais c'est pour donner satisfaction à Mme le garde des sceaux.
Il n'y a effectivement pas lieu de donner à l'intéressé l'information selon laquelle le bureau de la Cour de cassation peut décider que la commission comportera plusieurs formations. Il n'y a pas lieu non plus de lui indiquer la composition de la formation. Il convient donc de préciser : « article 149-3, premier alinéa ».
Aux yeux de M. le rapporteur, le reste relève de la circulaire. Non ! car la circulaire serait en contradiction avec la loi, qui dispose que la personne est avisée de son droit à demander une indemnisation ainsi que des dispositions de l'article 149-1, et donc pas de l'article 149-2 ni de l'article 149-3, premier alinéa.
Or, l'intéressé peut ne pas avoir d'avocat. Il est tout de même nécessaire qu'il connaisse le délai dont il dispose pour faire une demande, qu'il sache qu'il peut être entendu s'il le demande, etc. Il est également nécessaire de lui préciser qu'aux termes de l'article 149-3 il peut formuler un recours devant la commission nationale, que cette commission est placée auprès de la Cour de cassation, etc.
Voilà pourquoi je me permets d'insister.
Je note d'ailleurs que M. le rapporteur comme Mme la garde des sceaux s'en remettent à la sagesse du Sénat, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas loin d'être convaincus. J'espère que mes collègues, eux, le sont.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 6 rectifié, présenté par M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés, et tendant à insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Dans le second alinéa de l'article 149 du code de procédure pénale, les mots : "une indemnisation" sont remplacés par les mots : "réparation intégrale de son préjudice".
« II. - A la fin du même alinéa, la référence : "de l'article 149-1" est remplacée par la référence : "des articles 149-1 à 149-3, premier alinéa". »
Monsieur Dreyfus-Schmidt, le paragraphe I de l'amendement n° 6 rectifié n'est pas compatible avec l'amendement n° 5 que le Sénat vient d'adopter. Je vous suggère donc de modifier à nouveau votre amendement en supprimant ce paragraphe.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je me range à votre argument et je modifie mon amendement selon votre suggestion.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 6 rectifié bis , présenté par M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés, et tendant à insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« A la fin du second alinéa de l'article 149 du code de procédure pénale, la référence : "de l'article 149-1" est remplacée par la référence : "des articles 149-1 à 149-3, premier alinéa". »
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je m'en remets également à la sagesse du Sénat.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié bis , pour lequel la commission et le Gouvernement s'en remettent à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 1er.
Par amendement n° 7, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Au début de l'article 149-1 du code de procédure pénale, les mots : "l'indemnité" sont remplacés par les mots : "la réparation". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il s'agit d'un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 1er.

Article 2



M. le président.
« Art. 2. - L'article 626 du même code est ainsi modifié :
« I. - Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Sans préjudice des dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, un condamné reconnu innocent en application du présent titre a droit à une indemnité à raison du préjudice matériel et moral que lui a causé la condamnation. Toutefois, aucune indemnisation n'est due lorsque la personne a été condamnée pour des faits dont elle s'est librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites. »
« II. - Après le deuxième alinéa, est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« A la demande de l'intéressé, le préjudice est évalué par expertise contradictoire réalisée dans les conditions des articles 156 et suivants. »
« III. - Dans le troisième alinéa, le mots : "par la commission et suivant la procédure prévue par les articles 149-1 et 149-2" sont remplacés par les mots : "par le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle réside l'intéressé et suivant la procédure prévue par les articles 149-1 à 149-4". »
Je suis d'abord saisi de deux amendements, présentés par M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés, qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 8 tend, dans la première phrase du texte proposé par le paragraphe I de l'article 2 pour rédiger le premier alinéa de l'article 626 du code de procédure pénale, à remplacer les mots : "une indemnité à raison" par les mots : "réparation intégrale".
L'amendement n° 9 a pour objet, dans la première phrase du texte proposé par le I de l'article 2 pour rédiger le premier alinéa de l'article 626 du code de procédure pénale, de remplacer les mots : "à raison du" par les mots : "afin de réparer le".
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre ces deux amendements.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'amendement n° 8 est un amendement de coordination.
Quant à l'amendement n° 9, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 9 est retiré.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 8 ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 8, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 10, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans la seconde phrase du texte présenté par le I de l'article 2 pour le premier alinéa de l'article 626 du code de procédure pénale, de remplacer le mot : "indemnisation" par le mot : "réparation".
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il s'agit également d'un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 10, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 11, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après le II de l'article 2, un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - A. Au début du troisième alinéa de l'article 626 du code de procédure pénale, les mots : "L'indemnité" sont remplacés par les mots : "La réparation".
« ... - B. Dans la deuxième phrase du même alinéa, les mots : "l'indemnisation" sont remplacés par les mots : "la réparation".
« ... - C. En conséquence, dans la dernière phrase du même alinéa, les mots : "l'indemnisation" sont remplacés par les mots : "la réparation". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 11, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 12, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter l'article 2 par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... - Dans la première phrase du quatrième alinéa de l'article 626 du code de procédure pénale, le mot : "indemnité" est remplacé par le mot : "réparation". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est encore un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 12, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2, modifié.

(L'article 2 est adopté.)

Section II


Dispositions relatives aux sanctions encourues par le témoin qui ne comparaît pas, ne prête pas serment ou refuse de déposer

Articles 3 à 6



M. le président.
« Art. 3. - Les deux derniers alinéas de l'article 109 du même code sont supprimés. » - (Adopté.)
« Art. 4. - A la fin du deuxième alinéa de l'article 326 du même code, les mots : "à la peine portée à l'article 109" sont remplacés par les mots : "à une amende de 25 000 F". » - (Adopté.)
« Art. 5. - A la fin de l'article 438 du même code, les mots : "à la peine portée à l'article 109" sont remplacés par les mots : "à une amende de 25 000 F". » - (Adopté.)
« Art. 6. - Dans l'article 434-15-1 du code pénal, après les mots : "Le fait de ne pas comparaître," sont insérés les mots : "de ne pas prêter serment ou de ne pas déposer,". » - (Adopté.)

Section III

Dispositions diverses

Article 7

M. le président. « Art. 7. - A la fin de la première phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article 116 du code de procédure pénale, le mot : "permanente" est remplacé par le mot : "personnelle". » - (Adopté.)

Article additionnel après l'article 7



M. le président.
Par amendement n° 14 rectifié, le Gouvernement propose d'insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le deuxième alinéa de l'article 137-1 du code de procédure pénale est complété par la phrase suivante :
« Il peut alors faire application des dispositions de l'article 93. »
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Cet amendement a pour objet de permettre au juge des libertés et de la détention de se transporter sur l'ensemble du territoire national, comme le prévoit l'article 93 pour le juge d'instruction, afin de procéder aux débats contradictoires en cas de placement en détention ou de prolongation d'une détention.
Il ne s'agira évidemment pas là d'une situation fréquente, mais elle pourra par exemple survenir dans l'hypothèse d'une personne intransportable en raison de son état de santé ou d'un dangereux malfaiteur blessé à la suite de son interpellation. Il s'agit là de cas rares, mais pouvant se produire.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 14 rectifié, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 7.

Articles 8 à 15



M. le président.
« Art. 8. - Dans l'article 152 du code de procédure pénale, les mots : "celles-ci" sont remplacés par les mots : "ceux-ci". » - (Adopté.)
« Art. 9. - Dans le dernier alinéa de l'article 179 du même code, les mots : "au troisième alinéa" sont remplacés par les mots : "au premier alinéa". » - (Adopté.)
« Art. 10. - L'article 187-1 du même code est ainsi modifié :
« I. - Dans les troisième et cinquième alinéas, les mots : "du juge d'instruction" sont remplacés par les mots : "du juge des libertés et de la détention".
« II. - Dans le dernier alinéa, les mots : "par le juge d'instruction" sont remplacés par les mots : "par le juge des libertés et de la détention". » - (Adopté.)
« Art. 11. - Dans les premier et deuxième alinéas de l'article 207-1 du même code, les mots : "chambre d'accusation" sont remplacés par les mots : "chambre de l'instruction". » - (Adopté.)
« Art. 12. - Dans l'article 609-1 du même code, les mots : "ou de transmission de pièces" sont supprimés. » - (Adopté.)
« Art. 13. - Dans l'article 610 du même code, les mots : "devant un tribunal civil autre que celui où s'est faite l'instruction" sont remplacés par les mots : "devant une cour d'appel autre que celle dans le ressort de laquelle siège la cour d'assises qui a rendu l'arrêt". » - (Adopté.)
« Art. 14. - L'article 698-6 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 380-1, en cas d'appel d'une décision d'une cour d'assises composée comme il est dit au présent article, la chambre criminelle de la Cour de cassation peut désigner la même cour d'assises, autrement composée, pour connaître de l'appel. » - (Adopté.)
« Art. 15. - La dernière phrase de l'article 720-5 du même code est ainsi rédigée :
« La semi-liberté est alors ordonnée par la juridiction régionale de la libération conditionnelle dans les conditions prévues par l'article 722-1, sauf si la peine restant à subir par le condamné est inférieure à trois ans. » - (Adopté.)

Article additionnel après l'article 15



M. le président.
Par amendement n° 15, le Gouvernement propose, après l'article 15, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le dernier alinéa de l'article 722 du code de procédure pénale est complété par la phrase suivante : "Ce décret précise la localisation des débats contradictoires que doit tenir le juge de l'application des peines lorsqu'ils concernent des condamnés incarcérés".
« II. - Le dernier alinéa de l'article 722-1 du code de procédure pénale est complété par la phrase suivante : "Ce décret détermine la localisation des débats contradictoires que doit tenir la juridiction régionale de la libération conditionnelle lorsqu'ils concernent des condamnés incarcérés". »
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Le Gouvernement, qui n'a pas été démenti par les débats parlementaires, a toujours considéré que les débats contradictoires devant le juge de l'application des peines et la juridiction régionale de la libération conditionnelle devaient, « lorsque le condamné est effectivement incarcéré dans un établissement pénitentiaire », se tenir au sein de cet établissement.
En revanche, lorsque le condamné n'est pas effectivement incarcéré, les débats auront lieu au tribunal, dans le cabinet du juge de l'application des peines ou au siège de la cour d'appel, devant la juridiction régionale.
Il en sera ainsi pour les condamnés qui, soit ont bénéficié d'une libération conditionnelle, soit ont fait l'objet d'une semi-liberté, d'un placement extérieur, d'un placement sous surveillance électronique ou d'une permission de sortir, même si, dans ces différents cas, le condamné est juridiquement considéré comme exécutant sa peine privative de liberté.
Plusieurs raisons justifient cette option : il y a, tout d'abord, la volonté de renforcer la présence des magistrats, de la défense et du droit dans les établissements pénitentiaires ; par ailleurs, les exigences de sécurité incitent à ne pas multiplier les extractions de personnes éventuellement condamnées à de lourdes peines ; enfin, il faut prendre en compte les très grandes difficultés matérielles qu'induiraient 30 000 à 50 000 extractions supplémentaires pour les services de police et de gendarmerie, alors que le besoin d'effectifs est très grand.
Cette volonté annoncée de localiser les débats contradictoires dans les établissements pénitentiaires a toutefois prêté à discussion depuis le vote de la loi.
Cette discussion résulte en réalité d'une confusion entre la situation des prévenus, présumés innocents et dont le jugement trouve normalement sa place, sauf exception décidée par le législateur, dans les palais de justice et celle des condamnés définitifs sollicitant un aménagement de leur peine.
C'est pourquoi il est conforme, nous semble-t-il, à l'esprit de la loi de lever toute ambiguïté en complétant les articles 722 et 722-1 du code de procédure pénale, respectivement relatifs à la compétence du juge de l'application des peines et à celle de la juridiction régionale de la libération conditionnelle.
Le présent amendement indique ainsi expressément que le décret d'application auquel renvoient ces articles pourra déterminer la localisation des débats contradictoires que devront tenir le juge de l'application des peines et la juridiction régionale de la libération conditionnelle, lorsqu'il s'agit de condamnés incarcérés.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement, et ce d'autant plus que ce dernier contient les mots clé suivants : « lorsqu'il concerne les condamnés incarcérés », ce qui rend nécessaire, satisfaisant et complet le texte que vous proposez.
En revanche, madame le garde des sceaux, je serais heureux que vous puissiez nous apporter des explications sur un point.
L'adoption de cet amendement va entraîner une situation tout à fait nouvelle. En effet, à partir du moment où, pour éviter des extractions, le débat se tiendra en prison, il sera nécessaire que les avocats se déplacent tous en masse. Aussi remplacez-vous les 55 000 extractions - c'est le chiffre dont j'ai eu connaisance - par le déplacement des avocats. Or, les textes, à l'heure actuelle, ne permettent pas, m'a-t-on dit, de commettre d'office des avocats pour ce genre de travail. Par conséquent, il n'y aura pas d'avocat commis d'office et pas d'indemnisation des avocats.
Il serat donc à mon avis nécessaire, madame le garde des sceaux, que vous interveniez très rapidement pour que la défense des personnes ayant besoin d'un avocat mais ne pouvant régler ce dernier puisse être assurée. Une telle disposition me semblerait une conséquence tout à fait normale de l'amendement qui va être adopté.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je souhaite rassurer M. le rapporteur. Dans le projet de décret, qui fait actuellement l'objet d'une concertation avec l'ensemble des représentants institutionnels et syndicaux des avocats, une telle disposition et une indemnisation sont prévues. D'ailleurs, lorsque nous reverrons l'aide juridictionnelle dans son entier, nous réintégrerons ces éléments dans le texte.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Merci, madame le garde des sceaux.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 15.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si je me rends aux raisons commandant que le juge de l'application des peines statue dans les établissements pénitentiaires, je considère cependant que la juridiction régionale de la libération conditionnelle devrait éventuellement pouvoir demander que l'intéressé lui soit amené. Elle ne va en effet pas se déplacer tous les jours dans les grands ressorts pour aller dans une prison !
« Le présent amendement indique ainsi expressément que le décret d'application auquel renvoient ces articles pourra déterminer la localisation des débats contradictoires », vient de préciser Mme le garde des sceaux. Le Gouvernement a donc la possibilité de le préciser dans le décret. Je vous demande donc d'apporter cette précision, madame le garde des sceaux, et ce d'autant plus que l'on pourrait peut-être faire une différence suivant l'importance des peines prononcées. En tout cas, je crois qu'on ne peut pas demander à une chambre régionale de se déplacer systématiquement.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. S'agissant des libérations conditionnelles, je rejoins M. Dreyfus-Schmidt pour trouver que la prison n'est pas le lieu idéal pour se prononcer et qu'il faut offrir le choix.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 15, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 15.

Article 16



M. le président.
« Art. 16. - I - Après l'article 722-1 du même code, il est inséré un article 722-1-A ainsi rédigé :
« Art. 722-1-A. Dans les territoires et départements d'outre-mer, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, la juridiction régionale de la libération conditionnelle prévue à l'article 722-1 est composée d'un magistrat du siège de la cour d'appel, président, d'un magistrat du siège de la cour d'appel et d'un juge de l'application des peines, assesseurs ».
« Lorsque les débats contradictoires de la juridiction régionale de la libération conditionnelle établie auprès de la cour d'appel de Fort-de-France se tiennent dans le département de la Guyane, le premier président de la cour d'appel de Fort-de-France peut, par ordonnance, désigner le président de la chambre détachée ou l'un de ses conseillers pour exercer les fonctions de président et un conseiller de la chambre détachée pour exercer les fonctions d'assesseurs ».
« II - Le premier alinéa de l'article 823 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Pour l'application des dispositions de l'article 145 dans le territoire des îles Wallis-et-Futuna, le juge d'instruction peut ordonner l'incarcération provisoire de la personne mise en examen. Celle-ci doit comparaître devant le juge des libertés et de la détention dans les meilleurs délais, et au plus tard le septième jour ouvrable suivant ».
« III - Il est inséré au chapitre XII du titre I du livre sixième du code de procédure pénale un article 868-1 ainsi rédigé :
« Art. 868-1. - Par dérogation aux dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article 709-1, le président du tribunal de première instance de Wallis-et-Futuna exerce les fonctions de juge de l'application des peines ».
« IV - Il est inséré au chapitre IX du titre II du livre sixième du code de procédure pénale un article 901-1 ainsi rédigé :
« Art. 901-1. - Par dérogation aux dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article 709-1, le président du tribunal de première instance exerce les fonctions de juge de l'application des peines. » - (Adopté.)

Articles additionnels après l'article 16



M. le président.
Par amendement n° 13 rectifié, le Gouvernement propose d'insérer, après l'article 16, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est créé dans le livre VI du code de l'organisation judiciaire un titre IV ainsi libellé et rédigé :

« Titre IV
« Le juge des libertés et de la détention


« Art. L. 640-1. Les règles concernant les conditions de désignation et les attributions du juge des libertés et de la détention sont fixées par le code de procédure pénale et par les lois particulières.
« Art. L. 640-2. Pour l'organisation du service de fin de semaine ou du service allégé pendant la période au cours de laquelle les magistrats bénéficient de leurs congés annuels, et nonobstant les dispositions des articles 137-1 du code de procédure pénale et L. 710-1 du présent code, un magistrat ayant rang de président, de premier vice-président ou de vice-président exerçant les fonctions de juge des libertés et de la détention dans un tribunal de grande instance peut être désigné afin d'exercer concurremment ces fonctions dans, au plus, deux autres tribunaux de grande instance du ressort de la cour d'appel ; cette désignation est décidée par ordonnance du premier président prise à la demande des présidents de ces juridictions et après avis du président du tribunal de grande instance concerné ; elle en précise le motif et la durée, ainsi que les tribunaux pour lesquels elle s'applique ; la durée totale d'exercice concurrent des fonctions de juge des libertés dans plusieurs tribunaux de grande instance ne peut excéder quarante jours au cours de l'année judiciaire.
« La désignation prévue à l'alinéa précédent peut également être ordonnée, selon les mêmes modalités et pour une durée totale, intermittente ou continue, qui ne peut excéder quarante jours, lorsque, pour cause de vacances d'emploi ou d'empêchement, aucun magistrat n'est susceptible, au sein d'une juridiction, d'exercer les fonctions de juge des libertés et de la détention. »
La parole est à Mme le garde des sceaux. Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. La création du juge des libertés et de la détention est susceptible de poser des difficultés dans les petites juridictions qui comptent une ou deux chambres. On l'entend d'ailleurs beaucoup dans les débats extérieurs à cette enceinte. Leurs effectifs ne permettront pas à eux seuls d'assurer en permanence la charge de ce service.
Le mécanisme de la délégation prévu à l'article L. 221-1 du code de l'organisation judiciaire, bien qu'expressément modifié par le précédent amendement du Gouvernement pour être applicable aux juges des libertés et de la détention, ne peut répondre de façon totalement satisfaisante aux difficultés particulières posées par l'institution de ces nouvelles fonctions.
Il est donc indispensable de prévoir des dispositions spécifiques permettant de pourvoir aux permanences de fins de semaine et congés divers, ainsi qu'aux hypothèses d'empêchement ou de vacances d'emploi dans une juridiction détermnée.
C'est pourquoi le présent amendement donne aux premiers présidents des cours d'appel la possibilité d'organiser, dans les hypothèses que je viens de citer, une forme de mutualisation des moyens humains disponibles dans les petites juridictions.
Les premiers présidents des cours d'appel pourront ainsi désigner un président, premier vice-président ou vice-président pour exercer le service du juge des libertés et de la détention dans plusieurs juridictions.
La durée totale ou cumulée de ces désignations ne devra pas excéder quarante jours au cours de la même année judiciaire, et le magistrat désigné ne pourra exercer concurremment les fonctions de juge des libertés et de la détention dans plus d'un ou deux autres tribunaux de grande instance que celui où il est nommé.
Je vous demande donc d'adopter cet amendement, qui présente une importance pratique considérable et qui permettra d'appliquer la loi du 15 juin 2000 dans des conditions satisfaisantes.
Vous noterez d'ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, que, à la suite des diverses observations que vous aviez faites, nous avons pu répondre plus avant aux interrogations que vous aviez encore.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission émet un avis favorable dans la mesure où les cas dans lesquels cette solution sera appliquée sont bien limités et où le magistrat désigné ne pourra exercer que dans deux autres tribunaux de grande instance.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 13 rectifié, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 16.
Par amendement n° 16, le Gouvernement propose d'insérer, après l'article 16, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans la première phrase du premier alinéa de l'article L. 221-1 du code de l'organisation judiciaire, le mot : "juges" est remplacé par les mots : "magistrats du siège". »
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Les dispositions de l'article L. 221-1 du code de l'organisation judiciaire donnent au premier président le pouvoir de déléguer les présidents de chambre et les conseillers de la cour d'appel, les juges des tribunaux d'instance et de grande instance pour exercer des fonctions judiciaires dans les tribunaux du ressort de la cour d'appel. Toutefois, le terme de « juges » ici employé est source d'ambiguïté dans la mesure où il peut être interprété comme excluant les magistrats ayant rang de président, de premier vice-président, de vice-président dans les tribunaux de grande instance.
Or le nouvel article 137-1 du code de procédure pénale résultant de la loi du 15 juin 2000 réserve les fonctions de juge des libertés et de la détention aux président, premiers vice-présidents et vice-présidents du tribunal de grande instance.
Afin de lever toute ambiguïté sur la possibilité de déléguer des magistrats du siège pour exercer les fonctions de juge de l'application des peines, cet amendement vise à introduire à l'article L. 221-1 les termes de « magistrats du siège », qui s'appliquent à tous les magistrats des tribunaux sans considération de grade.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Cette précision étant à son avis nécessaire, la commission émet un avis très favorable sur cet amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 16, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 16.
Par amendement n° 17 rectifié, le Gouvernement propose d'insérer, après l'article 16, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré dans le chapitre II du titre II du livre II du code de l'organisation judiciaire un article L. 221-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 221-3. Pour l'organisation du service de fin de semaine ou du service allégé pendant la période au cours de laquelle les magistrats bénéficient de leurs congés annuels, le procureur général peut désigner, après avis des procureurs de la République concernés, un magistrat du parquet d'un tribunal de grande instance de son ressort pour exercer également les compétences du ministère public près d'au plus deux autres tribunaux de grande instance du ressort de la cour d'appel.
« Le décision portant désignation en précise le motif et la durée ainsi que les tribunaux pour lesquels elle s'applique. »
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Dans le même esprit que l'amendement précédent, il s'agit de donner les mêmes moyens aux parquets de taille modeste qui comprennent une ou deux chambres. A défaut, ils seraient exposés aux mêmes difficultés d'organisation.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission est d'autant plus favorable à cet amendement que le Gouvernement n'avait pas prévu initialement de limiter la mesure à deux autres tribunaux de grande instance. Il y aura ainsi parallélisme avec ce qui se passe pour les magistrats du siège, et je vous remercie, madame le garde des sceaux, d'avoir déposé puis rectifié cet amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 17 rectifié, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 16.

Article 17



M. le président.
« Art. 17. - Les dispositions des articles 3 à 16 de la présente loi entreront en vigueur à la date d'entrée en vigueur des articles du code de procédure pénale qu'elles modifient ou auxquels elles font référence, dans leur rédaction issue de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000. »
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. M. Charles Jolibois, rapporteur. Compte tenu des amendements que nous venons d'adopter, la commission souhaite rectifier le texte qu'elle a adopté pour l'article 17.
Après les mots : « 3 à 16 », il conviendrait d'ajouter les mots « et 16 bis ». C'est de l'horlogerie suisse !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'article 17 rectifié ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. C'est, en effet, de l'horlogerie suisse !
Le Gouvernement ne peut qu'être favorable à cette rectification.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 17 rectifié.

(L'article 17 est adopté.)

Article 18



M. le président.
« Art. 18. - La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis-et-Futuna et dans la collectivité territoriale de Mayotte. » - (Adopté.)

Intitulé



M. Charles Jolibois,
rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Monsieur le président, dans la mesure où nous avons adopté des amendements relatifs au code de l'organisation judiciaire, l'intitulé proposé initialement par la commission n'est plus totalement pertinent, et elle souhaiterait le rectifier pour le rédiger de la manière suivante : « Proposition de loi tendant à faciliter l'indemnisation des condamnés reconnus innocents et portant diverses dispositions de coordination en matière de procédure pénale ».
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'intitulé proposé par la commission ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Favorable.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je trouve plaisant que la commission propose un intitulé différent de celui qu'avait imaginé l'auteur de la proposition de loi ! L'intitulé proposé par la commission n'en est pas moins difficile à citer, un peu long, et il me semble moins harmonieux que le précédent.
Cependant, nous ne nous y opposerons pas.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
L'intitulé de la proposition de loi est ainsi rectifié.

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix les conclusions de la commission des lois, je donne la parole à Mme Borvo pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous nous apprêtons à voter a pour objet essentiel de réparer quelques oublis, imprécisions ou erreurs qui subsistaient après le vote de la loi du 15 juin 2000. De ce point de vue, évidemment, le résultat est positif.
En premier lieu, la proposition de loi initiale visait à réparer l'injustice née de la distorsion et du défaut de cohérence entre les articles 149 et 626 du code de procédure pénale, distorsion qui avait eu des effets particulièrement choquants. L'harmonisation préconisée répare donc cette injustice flagrante, et nous ne pouvons qu'en être satisfaits.
Quant aux articles de la présente proposition de loi, ils visent à rendre applicable la loi sur la présomption d'innocence - pour reprendre les termes utilisés par M. le rapporteur - et, bien entendu, nous ne pouvons que les approuver.
Cela étant, permettez-moi deux remarques.
Premièrement, plus personne ne s'y retrouve dans le foisonnement des textes actuels. Il est tout de même inquiétant que l'on doive apporter des correctifs à une loi cinq mois seulement après son adoption ! Que les services ministériels et les assemblées parlementaires, au terme de deux lectures et d'une commission mixte paritaire, aient pu laisser échapper des erreurs montre à quel point la loi est devenue illisible, même pour les spécialistes !
Cette situation illustre bien les aspects particulièrement négatifs d'une inflation législative qui n'a rien d'accidentel et dont les effets pervers sont dénoncés depuis fort longtemps. Cette inflation est source d'insécurité juridique permanente, ce qui n'est pas tolérable et qui suscite bien des interrogations sur le sens du principe selon lequel « nul n'est censé ignorer la loi ».
En tant que législateurs, nous avons notre part de responsabilité et nous devons en tirer tous des enseignements pour l'avenir.
Deuxièmement, ce retour inopiné sur la loi relative au renforcement de la présomption d'innocence ne peut pas aller sans évoquer les difficultés rencontrées sur le terrain pour la mise en place des nouvelles dispositions.
Tant les avocats que les magistrats dénoncent l'absence de moyens suffisants et anticipés pour faire face à ces changements.
Les amendements présentés par le Gouvernement relatifs à l'organisation des permanences en période de congés et dans les petites juridictions, que nous avons adoptés, révèlent bien ces difficultés.
Je ne développerai pas plus mon propos - nous aurons l'occasion d'y revenir au moment de la discussion budgétaire - sinon pour dire, là aussi, combien il nous faut être vigilants si nous ne voulons pas que les dispositions adoptées restent lettre morte faute d'être matériellement applicables. Un suivi effectif de la loi s'avère d'ores et déjà nécessaire !
C'est en ayant à l'esprit tous ces éléments que les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront ce texte dans son ensemble.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. En réponse à Mme Borvo, je tiens à rappeler que le code de procédure pénale n'avait pas été modifié de manière aussi importante depuis 1897, époque à laquelle avait été révisée la procédure d'instruction. Il s'agissait, par conséquent, d'un travail tout à fait énorme !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous oubliez 1958 !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Le travail était plus important qu'en 1958 !
Quand j'ai rapporté le projet de code pénal, nous avons dû, là aussi, procéder à quelques rectifications, M. Dreyfus-Schmidt s'en souvient sans doute. Des textes de cette ampleur entraînent forcément des rectifications ! Et il est heureux de les faire rapidement, si possible avant l'application du texte concerné.
Je pense donc que nous ne pouvons que nous féliciter du travail qui a été fait, même si je dois m'en excuser auprès de ceux de mes collègues qui ont pu considérer que cet exercice pourtant très utile était un peu ennuyeux.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je veux simplement dire que le groupe socialiste votera ce texte, cela n'étonnera personne. Quoi qu'il en soit, je reconnais mon enfant beaucoup mieux à l'issue de ce débat qu'à son commencement. J'en remercie mes collègues ainsi que le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je veux revenir sur les propos très intéressants de Mme Borvo. Nous sommes, en effet, confrontés à des problèmes qu'un garde des sceaux doit s'attacher à résoudre.
Je représente le Sénat à la commission supérieure de codification et j'ai été frappé par le trop petit nombre de fonctionnaires chargés de suivre ces problèmes. Trop de ministères délaissent les questions juridiques et ne délèguent pas les personnels suffisants. Je me souviens encore d'un jour où nous délibérions d'un sujet relatif à l'outre-mer, sur lequel le garde des sceaux a dû détacher deux magistrats faute de fonctionnaires compétents en matière juridique. C'est un problème particulièrement important !
Un exemple choquant peut illustrer cette situation : quelques semaines après la promulgation de l'ordonnance relative au code de commerce, il a fallu publier un rectificatif. Il ne faut pas que ce genre de choses se reproduise !
Notre code de procédure pénale a vieilli et il est peut-être temps, à la lumière du travail que nous venons d'accomplir sur la présomption d'innocence, de penser à une révision complète et totale de ce code.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions rectifiés modifiées de la commission des lois sur la proposition de loi n° 474 (1999-2000).

(Ces conclusions sont adoptées.)
M. le président. Je constate que le vote est intervenu à l'unanimité.

12

CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE
SUR LES CONDITIONS D'UTILISATION
DES FARINES ANIMALES

Adoption d'une proposition de résolution

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur la proposition de résolution (n° 73, 2000-2001) de MM. Jean Arthuis, Guy-Pierre Cabanel, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs. [Rapport n° 88 (2000-2001) et avis n° 81 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a été saisie de la proposition de résolution présentée par MM. Jean Arthuis, Guy-Pierre Cabanel, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs.
Rappelant « la gravité des développements récents de la crise liée à l'alimentation animale et à l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine » ainsi que la « forte inquiétude chez nos concitoyens », les auteurs de la proposition de résolution estiment que « le Parlement ... ne peut être absent d'un débat aussi essentiel pour la santé des consommateurs. Il est de son rôle de donner à nos concitoyens et à tous les acteurs concernés tous les éléments de jugement sur des questions aussi graves ».
La commission d'enquête devrait notamment, selon les auteurs de la proposition de résolution, « déterminer les conditions et le périmètre des contrôles opérés par les pouvoirs publics sur l'importation et l'utilisation de farines animales, en particulier britanniques ; évaluer les éventuelles solutions de substitution et d'élimination de ces farines animales ; vérifier la bonne application du système de traçabilité des produits mis en place depuis 1996 ; s'assurer du respect du principe de précaution à tous les niveaux de la chaîne agro-alimentaire ; mesurer les efforts engagés par l'Etat en matière d'identification de l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine ».
Pour les auteurs de la proposition de résolution, « tous ces éléments doivent contribuer à assurer la transparence et la précaution, deux principes indispensables à la protection de la santé de nos concitoyens ».
La commission des affaires sociales a donc examiné l'opportunité de la création d'une telle commission d'enquête.
Elle avait été saisie voilà un peu plus d'un an d'une proposition de résolution présentée par Mme Odette Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, tendant à créer une commission d'enquête sur la sécurité sanitaire et alimentaire des produits destinés à la consommation animale et humaine en France et dans l'Union européenne.
La commission des affaires sociales n'avait pas été, alors, favorable à la constitution d'une telle commission d'enquête. Elle avait, en effet, considéré que ses auteurs attendaient des travaux du Sénat moins une véritable « enquête » qu'une étude approfondie et des propositions.
Elle avait dès lors estimé que les dispositions de l'article 21 du règlement du Sénat, qui prévoient que le Sénat peut, sur leur demande, octroyer aux commissions permanentes ou spéciales l'autorisation de désigner des missions d'information sur les questions relevant de leur compétence, apparaissaient plus adaptées pour parvenir au résultat recherché par les auteurs de la proposition de résolution.
La sécurité sanitaire des aliments constitue en effet une compétence de la commission des affaires sociales, à qui il appartient d'examiner toutes les questions relatives à la santé de l'homme, et notamment du consommateur.
La commission des affaires sociales a, sur ces sujets, fait usage de sa compétence en constituant, en 1996, une mission d'information sur les conditions du renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, dont le rapport d'information a été annexé au procès-verbal de la séance du 30 janvier 1997.
Les travaux de cette mission ont conduit au dépôt d'une proposition de loi adoptée définitivement par le Parlement le 18 juin 1998.
La loi du 1er juillet 1998, issue des travaux de notre commission, a constitué une réforme majeure de l'administration sanitaire française, de la veille sanitaire au contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme. Les nouvelles institutions créées par cette loi - l'Institut de veille sanitaire, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments - ont été installées au printemps 1999.
En conséquence, la commission des affaires sociales avait estimé qu'établir un bilan du fonctionnement de ces agences moins de six mois après leur mise en place aurait été prématuré.
Elle avait d'ailleurs relevé que, en ce qui concerne la gestion de l'affaire dite de « la vache folle », l'intervention de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments avait été exemplaire. C'est en effet sur le fondement d'un rapport des experts de l'agence que le Gouvernement français a décidé, le 1er octobre 1999, d'interrompre la procédure de levée de l'embargo sur l'importation de viande bovine d'origine britannique.
Soucieuse d'un suivi attentif de ce dossier, la commission des affaires sociales a organisé, le 25 mai 2000, une journée d'auditions publiques consacrées à l'application de la loi et, plus largement, à l'état des lieux et aux perspectives dans le domaine de la sécurité sanitaire en France et en Europe. Elle a manifesté l'intention de connaître, à cette occasion, le point de vue des agences, celui des producteurs, des consommateurs, des experts, des journalistes spécialistes de ces questions, des responsables ministériels concernés ainsi que celui du commissaire européen chargé de la protection de la santé et des consommateurs. Cette journée d'auditions a donné lieu à un rapport d'information publié en mai dernier.
Saisie d'une demande identique de constitution de commission d'enquête, l'Assemblée nationale a, pour sa part, fait un choix différent, en décidant, le 7 octobre 1999, la création d'une commission d'enquête sur la transparence et la sécurité sanitaire de la filière alimentaire en France.
Cette commission d'enquête, présidée par M. Félix Leyzour, député des Côtes-d'Armor, et dont M. Daniel Chevallier, député des Hautes-Alpes, était le rapporteur, a rendu ses conclusions le 29 mars 2000.
Elle s'est notamment interrogée sur l'interdiction des farines animales, dont les inconvénients lui sont apparus, au terme d'un large débat, plus grands que les avantages.
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'en quelques mois le contexte a profondément évolué !
Le 25 octobre dernier, le Président de la République déclarait en effet au salon international de l'alimentation : « Il n'est pas admissible que, dix ans après leur interdiction, des traces de farines animales puissent encore être trouvées dans l'alimentation des bovins. La question de l'interdiction de ces farines pour l'alimentation de tous les animaux d'élevage doit être posée afin d'empêcher toute contamination croisée. »
Le mardi 7 novembre, le Président de la République réaffirmait cette conviction : « Nous devons sans retard interdire les farines animales et prendre le cap du dépistage systématique de la maladie, afin de limiter, autant qu'il est techniquement possible, les risques de contamination. »
Pour sa part, le Premier ministre annonçait, le 14 novembre, un renforcement du dispositif de sécurité sanitaire reposant sur sept volets : la suspension de l'utilisation des farines de viande et d'os dans l'alimentation des porcs, des volailles, des poissons ainsi que des animaux domestiques ; la poursuite des mesures de retrait des tissus dits à risques ; le renforcement des moyens de contrôle sur l'ensemble de la chaîne alimentaire ; l'extension du dépistage de l'ESB par les tests biologiques ; la préparation de mesures de retrait de la chaîne alimentaire de certaines catégories de bovins ; le renforcement des mesures de précaution et de sécurisation pour la santé de l'homme contre le risque éventuel de transmission de la maladie humaine à l'occasion des activités de soins ; le renforcement de la recherche.
A la lumière de ces événements récents, la création d'une commission d'enquête sur les conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs apparaît pleinement justifiée.
A un moment où l'opinion publique semble gagnée par une profonde inquiétude, cette commission d'enquête pourrait dresser un constat objectif de la situation et formuler des propositions pour l'avenir.
On sait aujourd'hui que la première cause de l'émergence de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB, en France réside dans les farines de viandes et d'os importées du Royaume-Uni et destinées à l'alimentation du bétail.
Le système de fabrication de ces farines incorporait à l'origine la totalité du cerveau et de la moelle épinière, là où l'agent pathogène, le prion, est essentiellement présent lorsque les animaux sont malades. Des changements dans le processus de fabrication de ces farines - diminution de la température et de la pression - décidés en Grande-Bretagne au début des années 1980, ont accéléré la transmission de cet agent au sein de l'espèce. A ce jour, on a détecté 180 000 bovins britanniques atteints de l'ESB.
Tirant les conclusions de la mise en évidence de ce mode de contamination, la France a décidé, en juillet 1990, de retirer les farines animales de l'alimentation des bovins. En décembre 1994, l'interdiction a été étendue à l'ensemble des ruminants : bovins, ovins et caprins.
Sont cependant apparus parallèlement des cas français dits « NAIF », c'est-à-dire nés après l'interdiction des farines, attribués à la fraude, puis à la « contamination croisée » : les farines destinées aux porcs et aux volailles auraient « pollué » plus ou moins accidentellement les aliments destinés aux bovins.
Combien y a-t-il aujourd'hui en France de bovins apparemment sains contaminés par l'agent pathogène responsable de l'encéphalopathie spongiforme bovine ? Rien, en l'état actuel des données épidémiologiques, ne permet de le dire.
Le premier cas d'ESB a été repéré en France en 1991 ; depuis, environ cent quatre-vingts cas ont été identifiés, dont une quarantaine grâce aux tests récemment développés et qui sont appliqués sur des bovins morts.
Or, l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine a, semble-t-il, réussi à franchir la barrière d'espèce et à atteindre l'homme par voie alimentaire.
Le nombre de décès dus à la nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, liée à la maladie de la « vache folle », fait craindre en Grande-Bretagne une épidémie de grande ampleur.
Selon les dernières statistiques officielles, quatre-vingt-quatre cas mortels ont déjà été recensés dans le pays. « Une large partie du Royaume-Uni court un risque grave », expliquaient il y a quelques mois trois des meilleurs spécialistes internationaux de cette maladie.
Ainsi se trouve posée la question de l'exposition des populations européennes à l'agent de la maladie de la « vache folle ». Cette question concerne tout particulièrement la France, où la population a été plus exposée au risque infectieux que celle des autres pays européens, du fait des importations massives de farines et de viandes bovines britanniques. En France, on n'a cependant recensé à ce jour que trois cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
La commission d'enquête devra donc apporter sa contribution à une meilleure compréhension de cette problématique complexe dans un contexte où les incertitudes scientifiques restent grandes.
L'exposé des motifs de la proposition de résolution couvre largement le champ des investigations qui pourront être menées par la commission d'enquête.
Votre rapporteur souhaite, à cet égard, formuler trois observations.
Première observation : comme l'a affirmé le Président de la République, « dans cette crise, aucun impératif ne peut être placé plus haut que l'exigence de la santé publique. ... Aucune objection économique, aucune contrainte technique ne peuvent être retenues qui seraient contraires à cet impératif. Tout doit donc être mis en oeuvre pour parvenir à une sécurité maximale. » Votre rapporteur souscrit pleinement à cette exigence.
Deuxième observation : dans des matières aussi complexes, la démarche retenue doit être avant tout scientifique. Elle suppose à la fois prudence et objectivité.
Le temps d'incubation de la nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob reste pour l'heure inconnu. Dès lors, les mesures prises depuis le début des années 1990 peuvent limiter les risques à l'avenir ; elles n'empêcheront vraisemblablement pas l'émergence de nouveaux cas dans les prochaines années.
Il convient donc, en s'appuyant sur les données scientifiques les plus récentes, de répondre aussi objectivement que possible aux attentes et aux inquiétudes de l'opinion publique.
Troisième observation : il s'agit de rechercher les dysfonctionnements éventuels et de comprendre le contexte dans lequel certaines décisions ont été prises.
Au demeurant, les investigations de la commission d'enquête devront naturellement porter sur les moyens mis en oeuvre par les pouvoirs publics et les différents services publics pour répondre au défi sanitaire que représentent la maladie de la vache folle et ses conséquences pour la santé humaine.
En conséquence, la commission des affaires sociales a retenu pour ses conclusions la proposition de résolution dans son texte initial. C'est ce texte qu'elle vous propose d'adopter.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. A l'unanimité !
M. Claude Huriet, rapporteur. La commission des affaires sociales - j'en donne acte à son président - s'est en effet prononcée à l'unanimité en faveur du texte de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Patrice Gélard, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Quand elle n'est pas saisie au fond, la commission des lois n'a qu'un rôle relativement formel.
L'article 11 de notre règlement prévoit en effet que « lorsqu'elle n'est pas saisie au fond d'une proposition tendant à la création d'une commission d'enquête, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale est appelée à émettre un avis sur la conformité de cette proposition avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, modifiée, ... »
L'article 6 de l'ordonnance précitée dispose que « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées. »
La proposition faite par la commission des affaires sociales entre parfaitement dans le champ de l'article 6 de l'ordonnance de 1958. C'est la raison pour laquelle la commission des lois a donné un avis favorable à cette proposition. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, mes chers collègues, l'épidémie d'ESB qui sévit dans le cheptel français depuis plusieurs années a subitement entraîné, ces derniers mois, une psychose chez nos concitoyens : 70 % des consommateurs sont aujourd'hui inquiets et avouent ne plus vouloir consommer de viande de boeuf.
Cette épidémie n'a pourtant rien à voir, dans son ampleur, avec celle qu'on connaît outre-Manche : 180 485 cas ont été diagnostiqués à ce jour en Grande-Bretagne, contre 172 en France.
La contamination de l'homme, hypothèse longtemps exclue, constitue aujourd'hui un réel problème de santé publique puisque 85 cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ont été enregistrés en Grande-Bretagne, contre deux en France.
La modélisation des épidémiologistes les plus compétents, tel Roy Anderson, chiffre le nombre des victimes à l'horizon 2040 à 136 000 en Grande-Bretagne.
La population française court-elle les mêmes risques de contamination ? On peut et on doit, malheureusement, se poser la question en raison des importations de viandes bovines, notamment avant l'instauration de l'embargo en avril 1996. On peut et on doit se poser cette même question en raison de l'importation, à partir de 1988, d'abats toujours d'origine anglaise.
En effet, la France importait à elle seule, en 1995, 106 261 tonnes de viande anglaise sur les 216 661 tonnes exportées vers l'Union européenne. Quant aux abats, c'est-à-dire les parties les plus à risques, les importations ont représenté 326 tonnes en 1987, 4 883 tonnes en 1988, pour atteindre 8 000 tonnes en 1993 et en 1994.
On peut donc logiquement considérer que la contamination potentielle de l'homme date des années quatre-vingt à quatre-vingt-dix, lorsque l'on consommait en toute ignorance ces abats aujourd'hui classifiés de « à risques ». Ce serait donc la population française qui, entre 1985 et 1995, aurait été, après la population britannique, la plus exposée à ce risque infectieux.
On comprend mieux pourquoi le Président de la République a souhaité que le Gouvernement interdise rapidement l'incorporation de farines de viandes et d'os dans l'alimentation de tous les animaux, notamment les porcs et les volailles, l'interdiction ayant été décidée dès 1990 pour les bovins.
La décision du Sénat de mettre en place une commission d'enquête sur les conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et sur les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs s'avère donc pertinente. Le rôle de cette commission sera fondamental pour répondre d'abord à l'inquiétude de nos concitoyens, ensuite à celle des agriculteurs de la filière bovine et des entreprises agroalimentaires qui subissent une crise sans précédent, bien plus grave que celle de 1996.
Il importera précisément de déterminer les conditions et le périmètre des contrôles opérés par les pouvoirs publics sur l'importation et l'utilisation de farines animales, en particulier britanniques, d'évaluer les éventuelles solutions de substitution et d'élimination de ces farines animales, de vérifier la bonne application du système de traçabilité des produits mis en place depuis 1996, de s'assurer du respect du principe de précaution à tous les niveaux de la chaîne agroalimentaire et, enfin, de mesurer les efforts engagés par l'Etat en matière d'identification de l'agent de l'ESB.
Je me permettrai d'attirer votre attention sur quatre points précis : le rôle de la Grande-Bretagne dans l'évolution et la propagation de cette maladie, tout d'abord, la nécessaire dimension européenne dans l'approche de ce dossier, ensuite, la substitution aux farines animales de produits à base de protéines végétales, par ailleurs, le dialogue avec nos concitoyens sur leur alimentation, enfin.
Il est clair que la responsabilité des industriels britanniques dans l'apparition de l'ESB est pleine et entière. En s'affranchissant des contingences de fabrication auxquelles la France a toujours fait référence, c'est-à-dire la température, la durée et la pression, la Grande-Bretagne a fabriqué des farines de viandes qui se sont révélées porteuses d'agents transmissibles non conventionnels, responsables de la maladie.
N'oublions pas que l'utilisation des farines dans l'alimentation animale date de 1868 et qu'elle n'avait jusqu'alors induit aucune incidence sanitaire négative.
Ayant établi la relation directe entre ces farines et l'ESB, la Grande-Bretagne n'a-t-elle pas exporté à bas prix farines, viandes et abats dès les années quatre-vingt ? Il faudra clairement établir l'importance et la nature de ces échanges commerciaux et considérer les responsabilités de chacun, de part et d'autre de la Manche.
La nécessaire approche qu'il convient aujourd'hui d'avoir sur ce délicat dossier est une approche européenne. L'harmonisation des législations portant sur l'interdiction des farines, des tests de dépistages, de l'étiquetage, de la traçabilité des divers produits ne peut se concevoir qu'à l'échelle européenne. La mise en oeuvre du livre blanc sur la sûreté alimentaire, élaboré par la Commission européenne, va précisément dans ce sens et doit se concrétiser rapidement. Il est impératif d'élaborer la liste des ingrédients entrant dans l'alimentation animale.
Je sais que les avis sont divergents sur ce point précis. La France doit être très ferme, je l'ai déjà dit lors de l'adoption d'une résolution à l'unanimité tant devant la délégation du Sénat pour l'Union européenne, le 11 octobre 2000, qu'en commission des affaires économiques et du Plan, le 25 octobre 2000.
La création de l'autorité alimentaire européenne est incontournable et elle ne doit désormais prendre aucun retard. L'agriculture a été, hier, le fondement de la construction européenne. Je crains, au travers de cette crise de l'ESB, que cette même agriculture ne devienne aujourd'hui « la pomme de discorde » d'une construction européenne inachevée et toujours en devenir.
La mutation de ce secteur d'activité qui, aux côtés de l'agro-business, ne l'oublions pas, reste le secteur économique majeur de notre société est l'objet de turbulences fortes par absence de desseins et d'objectifs clairement définis. La loi d'orientation agricole votée l'an passé n'aura pas su donner le grand souffle que l'on attendait tant aux agriculteurs qu'aux industriels de l'amont et de l'aval de la filière.
J'insiste sur ce point, car je crains malheureusement que nous ne soyons à l'aube d'une crise politique européenne majeure avec, pour toile de fond, un problème de santé publique.
Quant à la substitution aux protéines animales de protéines végétales, c'est un sujet dont, depuis 1992, avec les accords de Blair House, nous avons été nombreux à souligner l'enjeu. A chaque examen du budget du ministère de l'agriculture, j'ai insisté sur cette substitution. Je considère en effet que l'Europe ne peut être dépendante à hauteur de 76 % pour les protéines nécessaires à la nourriture de ses animaux.
La France quant à elle, dois-je le rappeler ? ne produit que 285 000 tonnes de soja, quand il lui en faudrait 4,5 millions de tonnes ! Renégocier les accords de Blair House sera incontournable. Cultiver davantage d'oléoprotéagineux dès la récolte 2001 ne l'est pas moins, en réorientant les aides de la PAC vers les oléoprotéagineux plus que vers les céréales.
Je me permets de rappeler que, pour combler les 430 000 tonnes de farines animales utilisées dans l'alimentation de nos animaux, il conviendra d'employer 980 000 tonnes de pois protéagineux et 650 000 tonnes de tourteaux de colza et de tournesol.
Quant aux importations supplémentaires de soja, américain pour la plus grande part, chacun sait qu'à 50 % elles portent sut un soja génétiquement modifié. Le Gouvernement a eu tort de laisser diaboliser les biotechniques pour cause de « majorité plurielle ».
Il n'a pas été responsable de sa part d'accepter, depuis deux ans, un moratoire sur les OGM sans profiter de ce laps de temps pour parfaire la connaissance et l'expertise de leurs effets éventuels sur l'environnement et la santé, alors même que ces OGM avaient déjà fait l'objet d'un examen détaillé de la part de la commission du génie biomoléculaire. Gouverner, c'est prévoir ! En la matière, il y a eu non pas prévision, mais attentisme. Le consommateur est troublé et inquiet. Cette attitude n'est pas pour le rassurer.
En dernier lieu, je souligne que la mutation de notre société n'est pas toujours bien appréhendée par nos concitoyens. Toute évolution, en quelque domaine que ce soit, est plutôt vécue par les Anglo-Saxons comme une continuité de progrès, alors qu'elle est subie par les Françaises et les Français comme une rupture culturelle entraînant de leur part une crispation passéiste. C'est particulièrement vrai dans le domaine alimentaire. L'alimentation était un des derniers repères qui rassurait nos concitoyens, une alimentation avec laquelle ils entretenaient des rapports culturels forts.
Malheuresusement, à leurs yeux, l'agriculture s'est modernisée, structurée, sans qu'ils la comprennent vraiment aujourd'hui, et leur alimentation s'est, quant à elle, profondément déstructurée.
Au-delà d'un réel et grave problème de santé publique, la société française est malade. Elle subit une fracture culturelle supplémentaire car elle n'a plus de liaison forte avec la ruralité qui entre dans une nouvelle phase de modernité. Ce mal s'appelle la disparition de la confiance. Pour rétablir cette confiance, il conviendra de faire toute la lumière sur les conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage. C'est le rôle de cette commission d'enquête.
Il conviendra ensuite de rétablir un dialogue avec nos concitoyens ; ce sera une tâche longue et difficile, à laquelle nous sommes tous conviés. La cohérence et l'évolution harmonieuse de notre société sera à ce prix. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Emorine.
M. Jean-Paul Emorine. Les semaines passées, la crise liée à l'ESB a connu de nouveaux développements d'une forte intensité et gravité. On retiendra deux faits particulièrement importants : un négociant a été placé en garde à vue pour avoir présenté à l'abattoir un animal malade alors que le reste du troupeau avait déjà été commercialisé ; des craintes sont apparues sur les modalités de découpe des côtes de boeuf.
Ces événements ont provoqué une vive inquiétude chez nos concitoyens comme en témoignent la chute de la consommation de viande de boeuf et le retrait de cette même viande dans les cantines scolaires de plusieurs communes.
La peur, voire la psychose, s'est bel et bien installée, comme l'atteste l'étude du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie, leCREDOC, menée les 16 et 17 novembre : 45 % des personnes interrogées déclarent avoir réduit leur consommation et vouloir continuer de le faire dans les mois à venir.
Ces résultats corroborent les données commerciales disponibles, qui font état d'une baisse de 50 % des ventes bovines en France, baisse qui peut se traduire par une chute vertigineuse pour certaines entreprises spécialisées.
Après le paroxysme de l'année 1996 et le maintien de l'embargo sur le boeuf britannique en 1999, ce nouvel épisode de la crise de la « vache folle » nous conduit à renouveler notre réflexion sur la manière de traiter cette épizootie, et ce dans un unique objectif : protéger et rassurer nos concitoyens.
A cet effet, nous devons placer au premier plan les impératifs de santé publique et de sécurité alimentaire qui imposent aux pouvoirs publics la recherche de la protection maximale du consommateur.
En février dernier, déjà, sur l'initiative de notre collègue Hubert Haenel, nous avions organisé, ici même, un débat sur l'épizootie de l'ESB.
Dès ce moment, je soulignais, au nom du groupe des Républicains et Indépendants, plusieurs facteurs qui devaient, nous semblait-il, être pris en compte immédiatement, à savoir : organiser un système de surveillance épidémiologique ainsi qu'un système d'alerte efficace et contrôlé à l'échelon européen, généraliser le test de dépistage à grande échelle, développer la recherche pour un test sur animaux vivants et harmoniser le mode de fabrication des farines animales en Europe.
La crise que nous traversons aujourd'hui donne un relief tout particulier à cette dernière suggestion.
En effet, l'ESB apparaît en Grande-Bretagne dans les années quatre-vingt, à la suite d'une modification des conditions de fabrication des farines carnées. Essentiellement pour des raisons de productivité, les autorités britanniques ont alors autorisé la diminution de leur température de cuisson, en deçà du seuil de résistance du prion. Il est donc très tôt admis que les farines contenant les déchets de ruminants sont un vecteur de l'ESB.
C'est pourquoi la France a décidé de prendre plusieurs mesures destinées à sécuriser ces farines, qui, par ailleurs, apportent aux animaux un supplément en protéines.
Successivement, nous avons interdit l'importation des farines carnées britanniques, leur utilisation dans l'alimentation des bovins, puis dans celle des ruminants. Enfin, nous avons interdit dans les farines les matériaux à risques spécifiés, tels la moelle, la cervelle, les yeux. Parallèlement, les farines sont soumises à un traitement thermique afin d'inactiver les prions.
Cependant, malgré ces règles strictes, nous constatons la multiplication des cas d'animaux malades, ce qui révèle la contamination d'animaux nés après l'interdiction des farines, soit après 1990.
La principale explication invoquée tient aux farines : ou leur interdiction n'a pas été respectée, ou des contaminations croisées entre filières d'aliments pour ruminants et non ruminants ont eu lieu, lors de la fabrication, du transport ou de l'entreposage.
Dans un entretien au journal Le Monde, le 31 octobre 2000, M. Hirsch, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, situait exactement les termes du débat : « On sait que l'emploi des farines animales et le recyclage de l'agent infectieux sont à l'origine du développement spectaculaire des cas d'ESB... C'est la raison pour laquelle des restrictions de leur usage ont été décidées... Or on voit encore apparaître dans plusieurs pays, dont la France, des cas d'ESB et l'on sait que les farines animales ne sont pas interdites dans l'ensemble des espèces animales. Il est tentant de faire le rapprochement entre ces deux faits et naturel de poser la question d'une interdiction totale ».
Bannir les farines apparaît alors comme un moyen de supprimer une des sources de contamination. A ce titre, après la déclaration de M. le Président de la République, nous saluons la décision du Gouvernement de suspendre l'utilisation des farines d'os et de viande, même si nous regrettons les hésitations et les discours parfois contradictoires entre le secrétariat d'Etat à la santé et le ministère de l'agriculture.
Nous sommes également étonnés que l'AFSSA n'ait pas été saisie plus tôt de la question des farines, ce qui aurait permis de connaître l'avis des scientifiques et de ne pas agir dans l'urgence.
Savoir anticiper fait pleinement partie du rôle de l'homme politique, tout comme communiquer et expliquer. C'est dans cette perspective que le Sénat propose aujourd'hui la mise en place d'une commission d'enquête sur les conditions d'utilisation des farines carnées.
La décision de suspendre les farines cache d'autres interrogations que nous devons aborder dans un souci de clarté et de vérité.
En tenant compte des suggestions de notre collègue rapporteur M. Claude Huriet, et sans préjuger les travaux ultérieurs de la commission d'enquête, je souhaite aborder avec vous quelques points importants.
La question des importations est particulièrement sensible. Dès 1997, notre collègue de l'Assemblée nationale M. Jean-François Mattéi soulignait dans son rapport que les « différentes séries statistiques ... ne sont pas cohérentes entre elles. » Nous pouvons nous demander si des stocks de farines importées avant l'interdiction n'ont pas été écoulés sur le marché.
S'il y a eu des contaminations croisées, cela a-t-il été le fait d'erreur ou de fraude ? La réglementation a-t-elle été respectée, notamment pour l'élimination de tous les tissus susceptibles de transmettre le prion et les procédés de chauffage ?
A l'avenir, nous devons nous donner les moyens d'appliquer strictement les dispositifs de contrôle en vigueur et, peut-être, d'adapter les structures administratives qui ont en charge la gestion du risque sanitaire.
Plus généralement, nous devrons chercher à savoir comment les moyens de protection de santé publique ont été mis en oeuvre.
Mais le travail d'une commission d'enquête est un travail de réflexion qui s'inscrit sur plusieurs mois.
Dans l'immédiat, nous souhaitons que le Gouvernement profite de la présidence française de l'Union européenne pour convaincre nos partenaires de prendre des dispositions similaires aux nôtres afin de garantir la sécurité alimentaire de nos concitoyens. Le principe de précaution doit s'appliquer au niveau européen.
Il faut aussi relancer, au sein de la PAC, les productions d'oléoprotéagineux, harmoniser nos mesures sanitaires et développer des tests dans tous les pays.
En France même, il est indispensable de venir en aide à tous les acteurs de la filière, des producteurs aux bouchers-charcutiers.
Enfin, nous devons tirer les leçons de cette crise pour l'avenir. Dans cette perspective, il nous faut encourager la recherche afin de mieux connaître la variante humaine de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ; assurer une plus grande participation des citoyens à la décision ; améliorer le fonctionnement de ce que l'on appelle la « comitologie bruxelloise » ; ne pas craindre de lancer un programme de recherche sur l'impact des OGM sur la santé et l'environnement car, incidemment, cette nouvelle crise de l'ESB pose la question du recours aux OGM, même si l'Europe arrive à augmenter sa propre production d'oléo-protéagineux sans recourir à des importations.
En conclusion, nous devons nous attacher à résorber la crise de confiance entre les citoyens consommateurs et les pouvoirs publics. La constitution d'une commission d'enquête sur les farines animales y participe pleinement, tant par l'analyse de l'action publique qu'elle peut faire que par les moyens nouveaux pour l'avenir qu'elle peut proposer.
C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants apporte son entier soutien à la proposition de résolution visant à créer une telle commission d'enquête. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, mes chers collègues, la proposition de résolution visant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions d'utilisation des farines animales nous amène à évoquer la crise liée à l'ESB dans son ensemble.
L'intervention du Président de la République demandant, le 7 novembre dernier, lors d'une communication solennelle à la télévision, la suspension immédiate de l'utilisation des farines animales et la généralisation du dépistage des animaux porteurs de prions a provoqué, on ne saurait le nier, une véritable panique dans l'opinion publique.
Ce n'était sans doute pas l'effet recherché.
Mais il est des déclarations qui, relayées par la presse dans le contexte d'inquiétudes que l'on sait, peuvent provoquer de véritables psychoses.
Le président de la République en est lui-même conscient. Il déclarait, dans une conférence de presse lors d'un sommet européen de 1996 : « Il n'y a pas de vaches folles, il n'y a qu'une presse folle ». Le point sur lequel il vaudrait de s'interroger est de savoir si, à certains moments plus qu'à d'autres, la presse et l'opinion publique ont de bonnes ou de mauvaises raisons de s'affoler.
Le Premier ministre a décidé de suspendre temporairement l'utilisation des farines animales destinées à l'alimentation des porcs, des volailles et des poissons.
Il l'a fait sans pouvoir bénéficier des conclusions de l'AFSSA, à laquelle il avait récemment confié la mission d'évaluer les risques liés à l'utilisation de ces mêmes farines. Au vu de la complexité des recherches à mener, l'AFSSA ne pourra, en effet, apporter la réponse que dans environ trois mois.
Cette demande adressée à l'AFSSA s'inscrivait dans la continuité d'un certain nombre de mesures prises en application du principe de précaution et visant à renforcer les protections à l'égard de la santé publique de nos concitoyens.
Si, concernant la maladie de la « vache folle », les connaissances scientifiques ont nettement progressé, il n'en demeure pas moins que de nombreuses incertitudes subsistent, qui peuvent justifier certaines craintes.
Pour autant, dans la confusion générale qui règne aujourd'hui, on se doit de rappeler qu'un point au moins semble faire l'unanimité : la réglementation française est certainement la plus rigoureuse en Europe.
Toutes les commissions d'enquête, expertises et rapports d'information consacrés à l'ESB - celui d'Evelyne Guilhem et de Jean-François Mattéi, par exemple, précisément destiné à faire le point sur la maladie de la vache folle et intitulé De la vache folle à la vache émissaire , de janvier 1997, ou celui de Félix Leyzour et Daniel Chevallier, qui est plus récent et dont le propos était plus large, intitulé Transparence et sécurité de la filière alimentaire française, de mars 2000 - ont souligné l'exemplarité du système de contrôle sanitaire français.
En la matière, la France a valeur de modèle, modèle dont nos partenaires européens auraient eu intérêt à s'inspirer, comme le soulignait à juste titre le rapport Guilhem-Mattéi. En outre, depuis trois ans, les dispositifs de contrôle n'ont cessé de se renforcer.
Permettez-moi, mes chers collègues, de rappeler les spécificités de notre modèle français de protection sanitaire de la filière alimentaire. J'essayerai, sur ce point, de ne pas être exhaustif...
Depuis les années cinquante, la France dispose d'une structure originale dans le domaine de l'éradication des maladies contagieuses du bétail : les « groupements de défense sanitaire du bétail », constitués de la quasi-totalité des éleveurs et présents au sein de chaque commune. Son système d'identification du troupeau de bovins est l'un des plus fiables en Europe. Il se traduit par une surveillance efficace de tous les animaux et de leurs mouvements.
La réforme de 1995, qui permet une préidentification des animaux dès leur naissance, a encore accru sa fiabilité et renforcé sa crédibilité. Enfin, non négligeable du point de vue du consommateur, la mise en place du sigle VBF - viande bovine française - permet d'identifier précisément les animaux nés, élevés et abattus en France.
Depuis 1994, le système d'épidémio-surveillance s'appliquant à l'ESB conduit à l'abattage systématique d'un troupeau au sein duquel au moins un animal a été suspecté d'être atteint de cette maladie.
A toutes ces mesures s'ajoutent encore celles qui s'apparentent à un néoprotectionnisme, un « protectionnisme sanitaire », et qui ont été prises à l'encontre de certains de nos partenaires commerciaux pour éviter la transmission de l'ESB dans le cheptel français.
Ainsi, en 1990, les importations de farines animales en provenance du Royaume-Uni sont interdites. En 1994, la pénétration sur le territoire français de bovins de moins de six mois en provenance de la Grande-Bretagne est soumise à l'autorisation des services vétérinaires. En 1995, l'importation de tissus ou d'organes de bovins ou encore de déchets d'animaux britanniques est interdite. En 1996, toute importation de viande bovine, de bovins vivants et de produits à base de tissus bovins en provenance du Royaume-Uni est interdite.
Signalons encore les taxes d'équarrissage - 1996, 1998 - qui, souvenons-nous, avaient provoqué des débats houleux au sein même de cette assemblée. Ces taxes, à défaut d'autres solutions, sont pourtant essentielles pour financer le retraitement et l'élimination des farines animales.
Tous ces dispositifs ont été complétés et renforcés avec le souci de protéger efficacement la santé publique par deux lois : celle du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme et la loi du 9 juillet 1999 d'orientation agricole, qui comporte un important volet relatif à la sécurité sanitaire des aliments.
Entre autres institutions nouvelles, la première a créé l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, dont la mission est de veiller à assurer la sécurité sanitaire de l'ensemble de la chaîne alimentaire depuis le stade de la matière première jusqu'à celui du produit fini.
Organe indépendant, composée d'experts scientiques disposant de moyens significatifs, elle contribue incontestablement à améliorer l'évaluation des risques alimentaires.
Au début du mois de novembre 1999, à la demande du Gouvernement, l'AFSSA a engagé une procédure de réévaluation du dispositif français de prévention. A la suite de ses avis d'expertise, le Gouvernement a récemment décidé de retirer les intestins de bovins et les matières à risques spécifiés de la chaîne alimentaire.
La seconde loi, la loi d'orientation agricole, outre le fait qu'elle amorce une rupture dans la manière même de concevoir l'agriculture, point sur lequel nous aurons l'occasion de revenir, renforce de manière contraignante le contrôle sanitaire des animaux et des viandes.
Enfin, les dernières mesures annoncées par le Gouvernement visent à renforcer les contrôles sur l'ensemble de la chaîne alimentaire, à multiplier les tests de dépistage de l'ESB, à renforcer les effectifs d'environ 500 postes de vétérinaire ou de pharmacien inspecteur, d'ingénieur sanitaire, de médecin.
Saluons les initiatives et les efforts du Gouvernement.
Malgré un système rigoureux de protection, malgré l'interdiction des farines animales dans l'alimentation des bovins depuis 1990, puis de tous les ruminants, la maladie de la vache folle n'a pas été éradiquée. Depuis 1991, 176 cas ont été identifiés. Comment expliquer la persistance de la maladie, les nouveaux cas, alors que le système de contrôle n'a cessé de se renforcer ?
Les connaissances scientifiques progressent et tentent d'apporter des explications pertinentes sur les mécanismes de transmission et de propagation de l'ESB.
Les commissions d'enquête parlementaires contribuent aussi à améliorer la transparence et la connaissance de la sécurité alimentaire. Mais, si toutes ces démarches sont satisfaisantes et nécessaires, elles ne nous éviteront pas de nous interroger sur l'origine du recours aux farines animales.
L'utilisation de telles substances, qui sont riches en protéines, qui permettent de faire grossir plus rapidement le bétail et de réduire le cycle de production, ne témoigne-t-elle pas d'une dérive productiviste ayant pour finalité la réduction des coûts et des prix ?
Le recensement des cas déclarés d'ESB fait apparaître que l'épidémie touche essentiellement la Grande-Bretagne.
Plus de 160 000 bêtes ont été atteintes depuis 1989, soit 99 % des cas recensés. Ne doit-on pas commencer par s'interroger sur le mode de production britannique, fondé sur une agriculture intensive et fortement exportatrice à la recherche de nouvelles parts de marché au niveau européen ? Motivé par la course à la productivité et à la réduction des coûts de production, le modèle britannique aurait-il fini par générer des effets pervers ou, pour le dire autrement, des externalités négatives, significatives de la défaillance d'une régulation fondée exclusivement sur le marché ?
Si, selon une étude d'un universitaire de Cambridge, les premiers cas de maladie de la vache folle sont apparus en Grande-Bretagne au début des années soixante-dix, l'épidémie s'est fortement développée à partir de la fin de ces mêmes années. C'est au cours de cette même période que les conditions de fabrication des farines animales ont été modifiées, le nouveau procédé, plus économique, consistant à préparer les farines non plus par lots, mais en continu et avec un chauffage limité à 80-90 degrés contre 120 degrés au préalable. Selon les experts scientifiques, ce nouveau procédé serait l'une des principales causes du développement de la maladie bovine.
Avant 1985, 54 000 cas d'ESB précliniques ont été recensés, en tout 500 000 avant l'interdiction totale des farines.
Plus inquiétant encore, 500 000 animaux infectés seraient entrés dans la chaîne alimentaire en Grande-Bretagne. Compte tenu des délais d'incubation, les effets liés à la « sécurisation » des farines ne seront connus qu'à partir de 2001. Le coût économique est à la hauteur de la lenteur de la réaction : 4,5 millions de bovins ont été abattus.
Les autorités britanniques ont tardé avant de réagir et de prendre les mesures nécessaires. Leur négligence et leur incurie en la matière sont dénoncées dans un rapport récent comportant plus de seize volumes.
Si, selon Luc Guyau, « les farines animales peuvent être considérées comme un élément de la modernité agricole », alors, c'est sur ce type de modernité, fondatrice du modèle productiviste, qu'il convient de se poser des questions.
Or c'est précisément ce modèle-là qui, au cours des années quatre-vingt, s'est imposé comme référent et a orienté les choix européens. C'était sans compter avec les effets pervers qu'il engendre.
Si les cas de maladie que l'on observe aujourd'hui peuvent s'expliquer par la longue période d'incubation, ils peuvent aussi être liés à un écoulement frauduleux de farines.
Cette dernière hypothèse a été évoquée par le Premier ministre. En juin 1993, Le Monde n'avait pas hésité à parler d'un « blanchiment » des farines animales anglaises, exportées massivement vers la France. Malgré l'embargo qui frappait la Grande-Bretagne, des quantités importantes de farines infectées seraient entrées sur le territoire national.
Qui sont les coupables ? Les exportateurs britanniques ? Les fabricants d'aliments pour le bétail qui ont importé les farines parce qu'ils bénéficiaient d'un rabais de 30 % ? Dans l'un et l'autre cas, les motivations ont répondu au même souci : la recherche de la rentabilité à tout crin, au mépris de la santé publique.
La crise que connaît actuellement la filière alimentaire n'est-elle pas le résultat d'une dérive productiviste qui accule les producteurs à une baisse drastique des coûts ?
A l'aval de la filière, ce sont les grands groupes de la distribution qui, bénéficiant d'un rapport de force favorable, font pression sur les prix de leurs fournisseurs. Cette pression sur les prix se répercute, à travers la recherche d'un accroissement des rendements et d'une diminution des coûts, tout au long de la filière. Faire pression sur les coûts pour obtenir les matières premières à des prix plus faibles peut conduire à certaines aberrations, tant du point de vue de la sécurité alimentaire que de celui de la qualité des aliments.
Les éleveurs qui, aujourd'hui, subissent de plein fouet la crise sont-ils coupables ? Ne sont-ils pas plutôt les victimes de la grande distribution, où cinq groupes se partagent 93 % des parts de marché ?
Vendre, comme l'a déjà fait le groupe Carrefour, du rosbif à moins de 40 francs le kilogramme, suppose d'acheter des carcasses à 14 francs le kilogramme, soit 30 % de moins que le prix habituel. C'est à ce genre de conditions que sont soumis les fournisseurs des grandes surfaces. Et c'est sur fond de déflation des revenus que s'enclenche la spirale de réduction des coûts.
A l'amont de la filière, les revenus du travail diminuent, tandis que les grands groupes de l'agroalimentaire et les grandes surfaces captent, en valeur, la plus grande partie des richesses créées.
Ce sont aujourd'hui les éleveurs qui pâtissent le plus d'une situation dont ils ne sauraient être tenus responsables. Toute la lumière doit être faite sur les responsabilités de la crise actuelle et de la psychose qu'elle a suscitée.
La crise de la vache folle et ses conséquences dramatiques pour l'ensemble de la filière agroalimentaire sont le résultat d'une dérive productiviste, peu soucieuse de l'environnement et des considérations d'ordre éthique.
Si l'on veut éviter qu'à l'avenir d'autres crises semblables à celles que nous connaissons aujourd'hui ne surviennent à nouveau, il nous faut réorienter la politique agricole, voire la repenser.
C'est dans cette problématique que s'est inscrite la loi d'orientation agricole de 1999, fondée sur la multifonctionnalité et la durabilité de l'agriculture. Un effort de réflexion en ce sens doit être mené au niveau européen.
Dans cet esprit, la recherche de solutions alternatives à l'utilisation des farines animales doit s'accompagner d'une réflexion globale sur la politique agricole européenne.
L'Europe a choisi de développer les céréales à bas prix destinées à alimenter les marchés mondiaux. Elle est fortement déficitaire en oléoprotéagineux, qui pourraient constituer un substitut aux farines animales.
On sait que, depuis 1992 et les accords de Blair House, la France et les autres pays européens sont contraints de limiter leur production de soja, de colza et de tournesol. La France importe environ 70 % des soja, colza, lupin et autres protéagineux qui entrent dans l'alimentation animale. La suppression des farines animales provoquera un accroissement de la dépendance de la France en particulier et de l'Europe en général vis-à-vis du marché américain.
A cet égard, d'autres inquiétudes surgissent, liées aux importations d'OGM. En effet, les milieux scientifiques n'ont aucune certitude quant aux effets à long terme de l'utilisation des OGM. En remplaçant les farines animales par des produits génétiquement modifiés, ne fait-on pas courir de nouveaux risques aux consommateurs ?
Des programmes de développement de production de soja, colza et autres protéagineux doivent être envisagés à l'échelon européen. Il est possible de cultiver les jachères ou de réorienter certaines cultures. Cela ne sera possible que si l'Union européenne dégage des aides, des financements et renégocie les accords de Blair House.
La mécanisation, l'intensification et la spécialisation de l'agriculture, qui ont participé de sa modernisation, ont eu de multiples conséquences néfastes en matière d'environnement : pollution de l'air, de l'eau et des sols. Force est de constater qu'elles ont aussi eu des effets néfastes en termes de santé publique.
La crise de la vache folle a provoqué dans notre pays une véritable psychose. Les consommateurs sont inquiets quant aux produits alimentaires qu'ils achètent. Les parents le sont quant à ce que leurs enfants consomment dans les cantines scolaires. Et la décision prise par certaines mairies de retirer la viande de boeuf des cantines scolaires a eu pour effet de renforcer les inquiétudes. Je ne jette pas la pierre aux élus, qui se sont, eux aussi, trouvés contraints d'agir sous la pression de l'opinion publique. Le plus difficile pour eux sera sans doute d'autoriser à nouveau la viande de boeuf dans les cantines.
Le Gouvernement doit prendre toutes les mesures nécessaires pour rassurer l'opinion publique. Il doit renforcer la transparence, garantir la traçabilité de nos produits, du producteur jusqu'au consommateur, pour éviter que des malversations ne se produisent, des changements d'étiquettes sur le bétail, par exemple. Il doit s'efforcer d'assurer la protection des salariés qui pourraient dénoncer d'éventuelles entorses de ce type. Il doit aider à la promotion et à la reconnaissance des marques de qualité et des labels.
Le plan gouvernemental annoncé aujourd'hui et portant sur un montant total de plus de 3 milliards de francs concerne l'ensemble des acteurs de la filière : éleveurs, producteurs d'aliments destinés au bétail ou entreprises de l'aval, comme les abattoirs, les découpeurs et les transformateurs.
Il conviendra aussi de s'assurer que l'ensemble des salariés de l'agroalimentaire, souvent faiblement rémunérés pour un travail pénible, et ceux de la filière des farines animales ne soient pas victimes de cette crise de confiance qui est liée à l'insécurité alimentaire. Je compte sur ce gouvernement pour gérer au plus près et au mieux leur situation de chômage, qu'il soit partiel ou total.
Ce plan, messieurs de la majorité sénatoriale, est annoncé dans le contexte d'une délicate négociation européenne, où l'affirmation du modèle français de sécurité alimentaire est pour le moins difficile à faire passer auprès de partenaires qui se refusent à prendre les indispensables décisions qu'impose la situation créée.
Dans ce contexte, votre proposition de constituer une commission d'enquête parlementaire apparaît pour l'essentiel comme une sorte d'épisode conjoncturel, lié à une actualité portée par des déclarations diversement appréciées.
Le mérite principal que l'on peut néanmoins trouver à cette proposition est de se placer dans la perspective de la recherche des solutions les plus durablement adaptées à une situation qui n'a manifestement que trop duré et qui est aujourd'hui trop sujette à controverses, polémiques et pressions, sur l'inconscient collectif.
Vous m'autoriserez à m'interroger sur le bien-fondé de cette commission d'enquête parlementaire.
S'agit-il réellement d'éclairer les consommateurs que nous sommes tous, hormis quelques végétariens ou végétaliens, et de regagner leur confiance ? S'agit-il de préserver les éleveurs et leurs intérêts ou de défendre un mode de production qui montre ses limites et ses dangers ? S'agit-il de mesurer le degré d'application du principe de précaution par le Gouvernement, principe auquel il conviendrait, si cela est possible, de donner une définition scientifique et qu'il faudrait faire admettre par l'OMC ? Ou bien s'agit-il d'une opération à caractère politicien, visant à créer artificiellement une « affaire du sang contaminé bis » ?
Les conclusions que nous tirerons du travail d'une telle commission seront peut-être divergentes - le débat que nous avons ce soir le laisse présager - mais nous ne devons pas nous en priver.
C'est au bénéfice de ces considérations que nous ne nous opposerons pas à la constitution de cette commission d'enquête et que nous voterons la présente proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, mes chers collègues, le 14 novembre dernier, le Gouvernement a décidé de retirer de l'alimentation de tous les animaux les farines animales : décision grave et lourde de conséquences, mais aussi décision sage.
En la prenant, le Gouvernement a d'abord, je le crois, entendu les Français, qui, dans leur grande majorité, étaient favorables au retrait des farines. Surtout, il a concrétisé la volonté qu'il a toujours affichée, celle de faire de la santé publique un objectif majeur de sa politique.
Pour prendre des décisions, tout homme politique doit pouvoir s'appuyer sur des experts. Dans le cas présent, le Gouvernement écoute et suit l'avis des scientifiques qu'il consulte. Voilà un mois environ, après qu'une ESB eut été diagnostiquée chez un bovin né après 1996, il a saisi l'AFSSA. Celle-ci a déclaré ne pas pouvoir se prononcer avant trois à quatre mois. Dans l'intervalle, que faire ?
Quand on a en mémoire le douloureux dossier du sang contaminé, on ne peut que faire jouer à plein le principe de précaution. C'est là qu'il prend tout son sens : quand les incertitudes sont trop grandes ou les délais d'examen trop longs.
Ainsi, comme lorsqu'il avait décidé, il y a quelques mois, de maintenir l'embargo sur le boeuf britannique, le Gouvernement a appliqué le principe de précaution en interdisant l'utilisation de ces farines animales.
Pour autant, la décision a des incidences économiques lourdes qu'il faut d'ores et déjà estimer et dont il faut, en même temps, prévenir les dégâts.
Se pose d'abord l'important problème du stockage et de l'élimination de ces farines, que la commission d'enquête devra évidemment aborder.
Les équarrisseurs français traitent actuellement 2,8 millions de tonnes de déchets animaux par an, qu'ils transforment en farines animales, en graisses ainsi qu'en aliments pour animaux domestiques et en matières premières pour des industries non alimentaires. Ils traitent en outre plus de 500 000 tonnes de saisies sanitaires et d'abats potentiellement infectieux.
De la décision qui vient d'être prise, il résulte que les volumes à détruire vont dépasser un million de tonnes. Il s'agit donc de déterminer les capacités d'incinération dont notre pays dispose immédiatement, non à long terme.
Avant de pouvoir tout détruire, il faudra être capable de stocker. Comment ? Sous quelle forme ? Où ? Le problème est loin d'être mince ! Les installations de stockage sont généralement soumises à des autorisations. Cependant, eu égard à l'urgence, on peut toujours avoir recours à la réquisition.
Sur l'ensemble de ces problèmes, le Gouvernement a confié une mission au préfet Jean-Paul Proust, qui a immédiatement décidé de procéder à un recensement des sites de stockage.
Bien entendu, la commission d'enquête devra également se pencher sur le sort de la filière bovine.
Dans quelques heures, à l'issue des négociations menées à l'échelon européen, le ministre de l'agriculture doit confirmer les mesures de son plan de soutien à la filière bovine et aux éleveurs touchés.
Je veux rappeler toute l'importance que revêt, en l'occurrence, la traçabilité des produits. En situation de crise, le consommateur s'oriente de lui-même vers des produits labellisés, connus. D'ailleurs, aujourd'hui, la plupart de nos bouchers maintiennent une activité réelle parce que, généralement, on sait d'où proviennent les produits qu'ils ont à l'étalage.
Il s'agit bien de retrouver la confiance. Nous avons le système de contrôle le plus exigeant de toute l'Europe : il faut s'en servir.
Peut-être, faut-il aussi voir dans cette crise le signe que les méthodes d'élevage appliquées depuis plus de trente ans pour intensifier les productions sont mauvaises. Le problème auquel nous sommes confrontés ne les remet-il pas profondément en question ?
Cela nous conforte en outre dans l'idée selon laquelle la loi d'orientation agricole va dans le bon sens et qu'il faut en faire respecter l'esprit. Je rappellerai ici brièvement que la nécessité d'une véritable traçabilité, concernant notre élevage allaitant, a été largement évoquée ici même, à cette tribune, voilà un petit peu plus d'un an. Avait notamment été soulignée la possibilité de mettre en oeuvre des techniques modernes faisant l'objet d'une expérimentation, laquelle doit s'achever dans les prochains mois.
On ne peut évidemment pas parler des farines animales sans aborder la question, de dimension européenne, des protéines végétales. Il faut augmenter de 30 % les surfaces consacrées aux oléagineux et aux protéagineux, soit, pour la France, 400 000 hectares supplémentaires.
En effet, les fabricants d'aliments devront utiliser des protéines végétales issues de graines protéagineuses - pois, féveroles, lupins, etc. -, du fourrage déshydraté, des tourteaux de graines oléagineuses, etc.
Je n'oublie pas que, dans le domaine des protéines, nous sommes dépendants des Etats-Unis, du Brésil et de l'Argentine à plus de 70 %. Nous avons donc un champ d'action qui est encore large dans ce domaine.
En Europe, nous sommes très étroitement liés aux accords de Blair House de 1992, qui limitent à 5 millions d'hectares la surface européenne réservée aux cultures végétales. Il convient d'engager un débat et d'exercer une pression politique afin de faire exploser ces barrières : il est en effet nécessaire et urgent de parvenir à lever ces restrictions de productions.
Si l'Europe y parvient, la première récolte de pois protéagineux, par exemple, puisque la récolte est liée aux conditions de semis, pourrait avoir lieu dès juillet 2001 et, pourtant, nous ne sommes qu'en novembre 2000. Dans cet intervalle, comment allons-nous résoudre ce problème, sinon en favorisant l'importation ? Mais quel type d'importation ? S'agit-il d'une importation avec des produits OGM, ce qui nécessitera certainement des contrôles plus spécifiques, de manière à éviter, demain, un autre problème ?
La France a les moyens d'établir un plan national « protéines », notamment pour relancer la production de soja.
Enfin, et pour se prononcer sur l'opportunité de la question qui nous est posée aujourd'hui, vous me permettrez, à la suite de ce tour d'horizon très général, certes, de faire quelques remarques liminaires qui s'imposent à moi.
Si cette commission d'enquête a pour objet, comme l'intervention du plus haut personnage de l'Etat, d'inquiéter les Français et, par là-même, de détruire toute une filière économique, vous comprendrez que nous ne ressentions pas l'utilité d'une telle commission. Le mal est déjà fait ! Le comble est que la France qui a incontestablement la meilleure protection sanitaire d'Europe, a ainsi réussi à se faire montrer du doigt par tous les autres pays européens.
En revanche, si cette commission doit, dans sa recherche de la vérité, en remontant suffisamment loin - 1984, 1985, 1986 peut-être - afin de porter un jugement sur les animateurs d'un certain type d'agriculture ayant entraîné la destruction de toute une agriculture traditionnelle, pour y substituer une autre - industrielle, et surtout financière, où seul le rapport compte, et non plus l'amour de ce que l'on produit, peu importe avec quoi - si donc cette commission doit conduire sur le banc d'accusation cette prétendue forme moderne de l'agriculture, en opposition aux zones traditionnelles d'élevage, l'élevage allaitant, par exemple, qui reste le fleuron de notre agriculture... alors, pourquoi pas ? Car, quel choc, quelle tristesse pour tous ces éleveurs de se sentir lâchés, abandonnés par les plus hautes sphères professionnelles, qui proposent l'abattage systématique des animaux nés avant 1996, accroissant encore le trouble et accompagnant une agitation politique... même si des mesures sont nécessaires pour rééquilibrer le marché.
Enfin, au moment où le débat, indispensable bien sûr, est engagé par l'Europe, au moment où le Gouvernement oriente la France dans une voie responsable, alliant la précaution sanitaire et l'incidence économique et les mesures qui s'y rattachent, nous ne voyons ni l'urgence ni la nécessité de cette commission. Il vaudrait mieux dépenser notre énergie sur le dépistage et la traçabilité.
Nous serons nombreux à nous investir avec sérieux pour permettre un éclairage supplémentaire aux scientifiques, dans un esprit neutre, avec une véritable perspective : la préservation de la santé humaine. C'est sur ce chemin, et sur ce chemin seulement, que nous nous engageons.
Tel est l'esprit qui anime mon groupe sur cette question. Nous participerons à cette commission, mais, au départ, sans grand enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Patrice Gélard. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. A titre personnel, je dois dire que j'ai écouté avec attention le discours du dernier orateur. Je ne peux en aucun cas - et mon groupe pas davantage - m'associer à ce qu'il a dit s'agissant des propos de M. le président de la République. Je déplore ce passage de son intervention, qui me paraît beaucoup plus politicien que ce qu'il veut bien reprocher au chef de l'Etat.
M. Jean Arthuis. Très bien !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'article unique de la proposition de résolution.

M. Philippe Nogrix. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Mes chers collègues, c'est pour nous une absolue nécessité de savoir et de comprendre, car nous aurons à décider et, surtout, à communiquer. Or, aujourd'hui, on dit trop souvent n'importe quoi sur le sujet, histoire de briller dans les conversations.
Au passage, on déstructure ou, pis, on détruit d'un trait de plume des filières entières de l'industrie, on réduit à néant les efforts de qualité, les efforts pour améliorer les procédures, les efforts déployés depuis des années par des professionnels pour développer des savoir-faire et améliorer la qualité.
Le groupe de l'Union centriste soutiendra, bien sûr, les propositions de la commission.
Je souhaite cependant que nous recherchions aussi - si c'est possible - d'où proviennent toutes ces attaques sur notre filière bovine. Qui veut la mort de cette filière ? Peut-on imaginer, mes chers collègues, que les Américains, auxquels nous avons refusé le boeuf aux hormones à une certaine époque, seraient en train de se venger ? Peut-on imaginer que le lobby du soja, lui aussi américain, y soit pour quelque chose ? Peut-on imaginer que ce sont les OGM, autorisés en Amérique, qui permettront à notre filière d'être sauvée ?
J'espère, monsieur le président, mes chers collègues, que la commission d'enquête nous permettra d'éclairer toutes ces zones d'ombre ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des républicains et indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique de la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.)
M. le président. Je constate que le vote est intervenu à l'unanimité.

13

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION

M. le président. J'ai reçu de MM. Gérard Larcher, Pierre Hérisson, Paul Girod, François Trucy et Louis Althapé une proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne la poursuite de l'ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté (n° E-1520).
La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 89, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

14

TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les conditions sanitaires applicables aux sous-produits animaux, modifiant les directives 90/425/CEE et 92/118/CEE.
Ce texte sera imprimé sous le n° E 1598 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les règles sanitaires applicables aux sous-produits animaux non destinés à la consommation humaine.
Ce texte sera imprimé sous le n° E 1599 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
Proposition de décision du Conseil relative à une participation financière de la Communauté à certaines dépenses consenties par les Etats membres pour la mise en oeuvre des régimes de contrôle, d'inspection et de surveillance applicables à la politique de la pêche.
Ce texte sera imprimé sous le n° E 1600 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion de l'accord sous forme d'échange de lettres relatif à l'application provisoire du protocole fixant les possibilités de pêche et la contrepartie financière prévues dans l'accord entre la Communauté européenne et le gouvernement de la République d'Angola sur la pêche au large de l'Angola pour la période du 3 mai 2000 au 2 mai 2002.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-1601 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion de l'accord sous forme d'échange de lettres relatif à l'application provisoire du protocole fixant les possibilités de pêche et la compensation financière prévues dans l'accord entre la Communauté économique européenne et le gouvernement de la République de Guinée équatoriale concenant la pêche au large de la côte de la Guinée équatoriale pour la période du 1er juillet 2000 au 30 juin 2001.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-1602 et distribué.

15

DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de M. Charles Descours, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 86 et distribué.
J'ai reçu de M. Lucien Neuwirth, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texe sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la contraception d'urgence.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 87 et distribué.
J'ai reçu de M. Claude Huriet un rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de résolution de MM. Jean Arthuis, Guy-Pierre Cabanel, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs (n° 73, 2000-2001).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 88 et distribué.

16

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui mercredi 22 novembre 2000, à quinze heures et, éventuellement, le soir :
1. Nomination des membres de la commission d'enquête sur les conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs.
2. Discussion de la proposition de loi organique (n° 439, 1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, destinée à améliorer l'équité des élections à l'assemblée de la Polynésie française.
Rapport n° 76 (2000-2001) de M. Lucien Lanier, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble du texte.
3. Discussion du projet de loi organique (n° 483, 1999-2000) modifiant les règles applicables à la carrière des magistrats.
Rapport n° 75 (2000-2001) de M. Pierre Fauchon, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble du texte.
4. Discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 20, 1999-2000) relatif à la résorption de l'emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu'au temps de travail dans la fonction publique territoriale.
Rapport n° 80 (2000-2001) de M. Daniel Hoeffel, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

DÉLAI LIMITE
POUR LES INSCRIPTIONS DE PAROLE
ET POUR LE DÉPÔT DES AMENDEMENTS

Délai limite pour les inscriptions de parole
dans la discussion générale
du projet de loi de finances pour 2001

Le délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale du projet de loi de finances pour 2001 est fixé au mercredi 22 novembre 2000, à dix-sept heures.

Délai limite pour le dépôt des amendements
aux articles de la première partie
du projet de loi de finances pour 2001

Le délai limite pour le dépôt des amendements aux articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2001 est fixé au jeudi 23 novembre 2000, à onze heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 22 novembre 2000, à une heure vingt-cinq.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





ERRATUM
au compte rendu intégral de la séance du 7 novembre 2000

LOI D'ORIENTATION POUR L'OUTRE-MER

Page 5738, 1re comonne, dernière ligne,
Au lieu de : « à l'article de la loi »,
Lire : « à l'article 8 de la loi ».

ERRATA
Au compte rendu intégral de la séance du 8 novembre 2000

ÉPARGNE SALARIALE

Page 5870, 1re colonne, dans le texte proposé par l'amendement n° 58, à la dernière ligne du A,
Au lieu de : « L. 213-16 »,
Lire : « L. 233-16 ».
Page 5908, seconde colonne, dans le texte proposé par l'amendement n° 168, antépénultième et avant-dernières lignes,
Au lieu de : « ... administrations... »,
Lire : « ... administrateurs... ».
Page 5910, 1re colonne, dans le texte proposé par l'amendement n° 32, 2e alinéa,
Au lieu de : « Art. L. 444-7. - ... »,
Lire : « Art. L. 444-8. - ... ».