Séance du 11 mai 2000






SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. - Discussion d'une question orale avec débat portant sur un sujet européen (p. 1 ).
MM. Hubert Haenel, auteur de la question, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne ; Pierre Fauchon, au nom de la commission des lois ; Paul Masson, Mme Marie-Madeleine Dieulanguard, M. Gérard Delfau, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Daniel Hoeffel, James Bordas.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.
Clôture du débat.

Suspension et reprise de la séance (p. 2 )

3. Questions d'actualité au Gouvernement (p. 3 ).
M. le président.

RAPPROCHEMENT
RENAULT VÉHICULES INDUSTRIELS-VOLVO (p. 4 )

MM. Michel Teston, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

PRIX ET QUALITÉ D'ACCÈS À INTERNET (p. 5 )

MM. Gérard Larcher, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

ÉVOLUTION DE LA DÉCENTRALISATION (p. 6 )

MM. Paul Girod, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

TAUX DE CHANGE DE L'EURO (p. 7 )

MM. Paul Loridant, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

STATUT DE STRASBOURG
COMME SIÈGE DU PARLEMENT EUROPÉEN (p. 8 )

MM. Daniel Hoeffel, Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

MISE EN CAUSE DU CHEF DE L'ÉTAT
PAR LE JOURNALISTE TUNISIEN TAOUFIK BEN BRICK (p. 9 )

MM. Ladislas Poniatowski, Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

RÉCUPÉRATION DE L'AIDE SOCIALE
VERSÉE AUX HANDICAPÉS (p. 10 )

M. Alfred Foy, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

CRISE DU CINÉMA FRANÇAIS (p. 11 )

Mmes Danièle Pourtaud, Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication.

POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA DOULEUR
ET DE DÉVELOPPEMENT DES SOINS PALLIATIFS (p. 12 )

M. Lucien Neuwirth, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

DOTATION GLOBALE DE FONCTIONNEMENT (p. 13 )

MM. Jean-Paul Amoudry, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

COULÉES DE BOUE
CONSÉCUTIVES AUX ORAGES QUI SE SONT ABATTUS
SUR LE DÉPARTEMENT DE LA SEINE-MARITIME (p. 14 )

M. le président.
MM. Charles Revet, Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.
MM. Henri de Raincourt, le président.

Suspension et reprise de la séance (p. 15 )

4. Chambres régionales des comptes. - Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission (p. 16 ).
Discussion générale : MM. Jean-Paul Amoudry, rapporteur de la commission des lois ; Jacques Oudin, rapporteur pour avis de la commission des finances ; Mme Nicole Borvo, MM. Paul Girod, Michel Charasse, José Balarello.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget.
Clôture de la discussion générale.

Articles 1er et 2. - Adoption (p. 17 )

Article additionnel après l'article 2 (p. 18 )

Amendement n° 26 de M. Henri de Raincourt. - MM. José Balarello, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Retrait.

Article 3. - Adoption (p. 19 )

Article 4 (p. 20 )

Amendement n° 23 de M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. - MM. le rapporteur pour avis, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Articles additionnels après l'article 4 (p. 21 )

Amendement n° 5 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat, MM. Jacques Larché, président de la commission des lois ; José Balarello. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 6 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat, M. le rapporteur pour avis. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Article 5. - Adoption (p. 22 )

Articles additionnels après l'article 5 (p. 23 )

Amendement n° 24 de M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. - MM. le rapporteur pour avis, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 7 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur. - Retrait.

Articles additionnels avant l'article 6 (p. 24 )

Amendement n° 8 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Amendement n° 9 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur. - Retrait.

Article additionnel avant l'article 6
ou après l'article 14 (p. 25 )

Amendements n°s 4 rectifié de M. José Balarello et 10 de M. Michel Charasse. - MM. José Balarello, Michel Charasse, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat, M. le président de la commission des lois. - Retrait de l'amendement n° 10 ; adoption de l'amendement n° 4 rectifié insérant un article additionnel.

Articles additionnels avant l'article 6 (suite) (p. 26 )

Amendement n° 11 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 12 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Amendement n° 13 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Amendement n° 14 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Amendement n° 15 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat, M. le rapporteur pour avis. - Retrait.

Article 6 (p. 27 )

Amendement n° 25 de M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. - MM. le rapporteur pour avis, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 7 (p. 28 )

Amendements n°s 22 et 16 rectifié de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat, M. le rapporteur pour avis. - Retrait de l'amendement n° 22 ; rejet de l'amendement n° 16 rectifié.
Adoption de l'article.

Articles 8 et 9. - Adoption (p. 29 )

Article 10 (p. 30 )

Amendements identiques n°s 1 de M. José Balarello et 17 de M. Michel Charasse. - MM. José Balarello, Michel Charasse, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Adoption des deux amendements rédigeant l'article.

Article 11 (p. 31 )

Amendement n° 18 de M. Michel Charasse. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.

Article 12 (p. 32 )

Amendements n°s 19 de M. Michel Charasse et 2 de M. José Balarello. - Retrait de l'amendement n° 19 ; adoption de l'amendement n° 2 rédigeant l'article.

Article 13 (p. 33 )

Amendement n° 20 de M. Michel Charasse. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.

Article 14 (p. 34 )

Amendement n° 21 de M. Michel Charasse. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.

Division additionnelle après l'article 14 (p. 35 )

Amendement n° 3 de M. José Balarello. - M. José Balarello. - Retrait.

Vote sur l'ensemble (p. 36 )

MM. Michel Charasse, le rapporteur pour avis, Jacques Machet, Robert Del Picchia.
Adoption des conclusions modifiées du rapport de la commission.

Suspension et reprise de la séance (p. 37 )

5. Régimes de retraite. - Discussion d'une question orale avec débat (p. 38 ).
MM. Jean-Pierre Fourcade, auteur de la question ; Aymeri de Montesquiou, Claude Domeizel, Alain Vasselle, Roland Muzeau, Jacques Bimbenet.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité ; M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Clôture du débat.

6. Dépôt d'une proposition de loi (p. 39 ).

7. Dépôt d'un rapport (p. 40 ).

8. Ordre du jour (p. 41 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à onze heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX
DE L'UNION EUROPÉENNE

Discussion d'une question orale avec débat
portant sur un sujet européen

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat suivante portant sur un sujet européen suivante :
M. Hubert Haenel demande à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes quelle vocation le Gouvernement souhaite assigner à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne sur laquelle le Conseil européen devra se prononcer en décembre prochain. Il lui demande en particulier si le Gouvernement estime que cette Charte doit seulement réunir les droits fondamentaux en vigueur au niveau de l'Union de manière à leur donner une plus grande visibilité ; si elle ne doit comprendre que des droits justiciables ou si elle peut également inclure des droits affirmant des objectifs et appelant des actions de l'Union européenne ; si, selon lui, cette Charte doit, à terme, être incluse dans les traités ; enfin, si le Gouvernement juge souhaitable que l'Union européenne adhère à la Commission européenne des droits de l'homme. (N° QE 9.)
Je souhaite que, dans ce débat, chaque orateur fasse preuve de concision, car nous avons l'obligation de suspendre la séance à treize heures, les questions d'actualité au Gouvernement commençant à quinze heures précises.
Je vous remercie par avance de votre compréhension, mes chers collègues.
La parole est à M. Haenel, auteur de la question et président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd'hui porte sur un sujet dont le seul intitulé permet de mesurer toute l'importance : « Les droits fondamentaux de l'Union européenne ».
Il s'agit ni plus ni moins de recenser et de proclamer, au niveau de l'Union, ces droits et libertés que les Etats membres considèrent comme inhérents à la personne humaine et placent, à ce titre, au sommet de leur hiérarchie des valeurs.
On ne saurait imaginer que les parlements ne soient pas associés à ce programme ambitieux qui touche directement aux libertés publiques. Le Conseil européen l'a d'ailleurs admis, lui qui, à Cologne, en juin dernier, a confié le soin d'élaborer un projet de charte des droits fondamentaux de l'Union européenne à une enceinte composée de représentants des chefs d'Etat et de gouvernement et du président de la Commission europénne, mais aussi de membres du Parlement européen et des parlements nationaux, à raison de deux par Etat.
A Tampere, en octobre 1999, le Conseil européen a décidé que cet organe comporterait soixante-deux membres et autant de suppléants : quinze représentants des chefs d'Etat et de gouvernement, le représentant du président de la Commission, seize parlementaires européens et trente parlementaires nationaux.
Cette enceinte, qui a pris le nom de convention a élu à sa présidence, à l'unanimité, M. Roman Herzog, ancien président de la République fédérale d'Allemagne. Elle tient plusieurs réunions par mois, formelles ou informelles, et compte achever ses travaux suffisamment tôt pour que son projet soit soumis au Conseil européen sous présidence française et peut-être examiné de façon informelle en juin à l'occasion du Conseil de Feira.
Je dis bien « son projet », car le rôle de la convention ne consiste pas, comme on le dit parfois abusivement, à élaborer une charte des droits fondamentaux, mais, plus modestement, à élaborer un texte dont le destin dépendra du seul Conseil européen. A cet égard, peut-être pourriez-vous nous éclairer, monsieur le ministre, sur la manière dont vous voyez l'intervention ultérieure du Conseil européen : pourra-t-il amender le projet de la convention et, dans l'affirmative, comment ?
Quoi qu'il en soit, il est nécessaire - c'est ce que j'ai voulu en posant cette question orale avec débat sur un sujet européen - que notre assemblée recueille le sentiment de l'exécutif, mais aussi que chacun d'entre nous puisse s'exprimer sur ce dossier qui soulève de multiples interrogations, tant juridiques que politiques.
Parmi ces interrogations, la première qui vient à l'esprit porte sur le principe même d'une charte des droits fondamentaux.
Pour quoi faire, disaient certains, puisqu'il suffirait à l'Union européenne d'adhérer à la convention européenne des droits de l'homme pour se doter d'un texte assurant une garantie efficace des droits fondamentaux face aux institutions européennes ?
Cette thèse est peut être défendable sur le plan juridique ; mais je crois que la question de la raison d'être d'une charte des droits fondamentaux dépasse largement le strict champ du droit.
Il s'agit, à mon sens, d'adresser un message clair aux citoyens sur ce que fait et sur ce qu'est l'Europe. Les relations entre l'Union et les citoyens sont en effet marquées d'un paradoxe qu'il convient d'effacer : d'une part, les citoyens se déclarent à une large majorité favorables à la construction européenne ; mais, d'autre part, lorsqu'ils parlent de Bruxelles, c'est souvent pour dénoncer la frénésie réglementaire de technocrates, ou d'eurocrates, faisant fi de leurs aspirations.
On passe trop souvent sous silence tous les apports de l'Europe pour la placer au sein de controverses : on dénonce l'Europe qui décide trop, sur le chocolat, la chasse, le fromage au lait cru ; parfois, on dénonce aussi l'Europe qui ne décide pas assez, par exemple à propos de la prévention des marées noires ou de la justice.
Et lorsque l'on reconnaît les succès de la construction européenne, des politiques communes à l'euro, en passant par la réalisation du marché intérieur, c'est souvent pour y voir le signe que l'Europe est faite pour les banquiers et les industriels plus que pour les citoyens. Elle reste, aux yeux de beaucoup, synonyme de marché commun.
Il en résulte un sentiment d'incompréhension, de frustration et parfois de révolte, que nous devons effacer en montrant aux citoyens qu'ils sont au coeur de la construction européenne et que, ce qui unit les Etats, et, par-delà les Etats, les peuples, ce n'est pas seulement une interdépendance économique quasi indissoluble, c'est aussi, et surtout, une véritable communauté d'idées et de valeurs. L'Europe n'est pas un simple marché, nous devons sans cesse le rappeler, c'est une Communauté.
A cet égard, l'adoption d'une charte des droits fondamentaux représenterait un message fort, car seraient proclamés, au niveau de l'Union, ces droits et libertés que chaque Etat membre considère comme inhérents à la personne humaine et place, à ce titre, au sommet de sa hiérarchie des valeurs.
Parce qu'elle rappellerait les principes qui constituent le fondement de l'identité européenne, cette charte serait, en quelque sorte, un ciment pour les peuples, une référence pour les institutions et aussi, ne l'oublions pas, un modèle pour tous les pays candidats, qui devraient pleinement adhérer à ce socle de valeurs communes aux Etats membres et pas seulement manifester la volonté d'entrer dans un marché ou de bénéficier d'aides.
Voilà pourquoi je fais partie de ceux qui sont partisans de cette charte. Voilà pourquoi je considère que le débat sur sa raison d'être dépasse largement le cadre juridique. Il a une véritable dimension politique, et je crois que c'est ce que le Conseil européen a voulu montrer en confiant le travail préparatoire à un organe composé aux trois quarts de parlementaires, nationaux ou européens.
L'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'homme est demandée par nos collègues du Parlement européen, comme ils réclament l'adoption d'une charte des droits fondamentaux.
Monsieur le ministre, lorsque vous êtes venu devant la délégation du Sénat pour l'Union européenne, voilà quelques semaines, vous nous avez dit que le Gouvernement ne souhaitait pas l'adhésion de l'Union à la convention. Nous serions heureux, tous autant que nous sommes, que vous précisiez les raisons qui amènent le Gouvernement à s'opposer à cette adhésion.
Quant aux autres interrogations, je les regrouperai en deux catégories : certaines concernent le contenu de la future charte, d'autres, sa portée.
En ce qui concerne la contenu de la charte, la question se pose de savoir s'il convient - et, si oui, dans quelle mesure - d'aller au-delà de la reprise pure et simple de droits d'ores et déjà consacrés dans d'autres textes ou par la jurisprudence.
Sur ce point, deux conceptions se sont fait jour au sein de la convention.
Pour certains, la charte devrait simplement reprendre et, le cas échéant, préciser l'existant.
Les tenants de cette thèse, défendue notamment par le réprésentant du gouvernement britannique, Lord Goldsmith, s'appuient sur les conclusions du Conseil européen de Cologne, qui réclamaient le recensement « des droits fondamentaux en vigueur au niveau de l'Union ... de manière à leur donner une plus grande visibilité. » Dans cette optique, la convention serait donc appelée en quelque sorte à codifier des droits reconnus par la convention européenne des droits de l'homme, la charte sociale européenne, la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, les traditions constitutionnelles communes des Etats membres ou la jurisprudence de la Cour de justice de Luxembourg.
A l'opposé de cette thèse, d'autres membres de la convention semblent souhaiter aller au-delà de cette simple codification. Ceux-là peuvent tirer argument de la composition même de la convention, que le Conseil européen a voulu politique et qui comprend, en effet, à commencer par M. Roman Herzog, des personnes qui ont exercé d'importantes fonctions dans leur pays.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire quelle est, de ces deux conceptions, celle du Gouvernement français ?
Peut-être pourriez-vous également nous dire, si votre religion est faite, ce que, selon vous, doit être la charte et ce qu'elle ne doit pas être. Doit-elle se prononcer sur ces questions qui posent déjà tant de difficultés au niveau national, comme celle des minorités ou celle de la laïcité ?
Par ailleurs, il me semble indispensable que la charte mentionne, sous une forme ou une autre, que tous les droits fondamentaux impliquent des devoirs et des responsabilités. Je suppose que notre éminent collègue Pierre Fauchon reviendra sur ce point. A la suite de sa très intéressante communication devant la délégation pour l'Union européenne, j'ai déposé une contribution en ce sens au sein de la convention. Je serais donc heureux de savoir, monsieur le ministre, si le Gouvernement appuie cette contribution et si vous souhaitez que le représentant de l'exécutif français à la convention, M. Guy Braibant, qui est resté jusqu'ici assez « taisant » sur ce sujet, la soutienne. Pour ma part, je ne pourrais donner mon aval à un texte qui ne comprendrait pas une disposition sur les devoirs et les responsabilités.
Enfin, la charte ne doit-elle reprendre que des droits justiciables ou peut-elle également inclure des droits affirmant des objectifs et appelant des actions de l'Union européenne ?
Avec ces questions, j'aborde déjà la seconde catégorie d'interrogations, celles qui concernent la portée de la charte.
Au sein de la convention, une oppostion est apparue entre, d'une part, les tenants d'un texte contraignant et, d'autre part, ceux qui souhaitent un catalogue de droits qui constituerait, certes, une référence, mais n'aurait pas en lui-même - en tout cas pas tout de suite - un caractère contraignant.
Sur ce point, les conclusions du Conseil européen de Cologne n'apportent guère de lumière, puisqu'elles se contentent d'indiquer que, après la proclamation solennelle, « il faudra examiner si et, le cas échéant, de quelle manière la charte pourrait être intégrée dans les traités. »
Il appartient donc au Conseil européen de dire s'il souhaite que la charte soit ou non revêtue d'un caractère contraignant, et rien ne nous permet aujourd'hui de préjuger sa décision. Il serait pourtant utile de savoir quelle est son intention, car la portée d'un texte n'est pas sans influence sur son contenu. Peut-être pouvez-vous nous éclairer sur ce point, monsieur le ministre, en nous disant quelle position la France, par la voix du Président de la République, entend défendre au Conseil européen.
Bien entendu, dans l'hypothèse où la charte aurait un caractère contraignant, se poserait inéluctablement la question de son articulation avec la convention européenne des droits de l'homme.
Je précise que nos collègues du Parlement européen se sont prononcés sur la portée de la future charte dans des termes qui ne laissent aucune place à l'équivoque. Considérant « qu'une charte des droits fondamentaux qui ne constituerait qu'une déclaration non contraignante... décevrait les attentes légitimes des citoyens » et que « la charte des droits fondamentaux doit être conçue comme l'élément essentiel du processus nécessaire pour doter l'Union européenne d'une constitution », le Parlement européen demande notamment que la charte soit dotée pleinement d'un caractère juridique contraignant par le biais de son incorporation au traité, que tout amendement à ce texte soit soumis à l'avis conforme du Parlement européen et que la charte contienne une clause exigeant l'assentiment du Parlement européen pour toute restriction sur les droits fondamentaux, en toute circonstance et sans aucune exception.
Je souhaite savoir, monsieur le ministre, comment le Gouvernement français accueille ces « revendications » et, d'une manière générale, la résolution du Parlement européen dans son ensemble.
Enfin, un dernier point suscite beaucoup d'interrogations et sans doute aussi beaucoup d'incompréhension. Il porte sur le domaine d'application de la charte. Il va de soi qu'il s'agirait là d'un point essentiel si la charte devait devenir un peu contraignante.
Certains aspects paraissent clairs. C'est ainsi qu'il semble admis par tous qu'un acte pris par un Etat membre dans un domaine où l'Union n'a pas de compétence ne sera pas soumis au respect de la charte.
Parallèlement, il va de soi qu'un acte de l'Union, qu'il émane de la Commission ou du Conseil, qu'il soit ou non adopté selon la procédure de codécision, sera soumis au respect de la charte.
Mais il y a toute la zone grise qui se trouve entre ces deux extrêmes. Il y a tout le domaine pour lequel les Etats membres prennent des actes normatifs ou des décisions qui découlent, directement ou indirectement, du droit communautaire.
Ces actes et ces décisions seront-ils tenus de respecter la charte ? Et, dans le cas où la charte serait contraignante, un recours sera-t-il possible devant la Cour de justice à leur sujet ? Si tel est le cas, ne risque-t-on pas des conflits de jurisprudence ? Et ne risque-t-on pas de laisser à la seule discrétion de la Cour de justice un vaste champ de compétences, au détriment du principe de subsidiarité ?
Je serais heureux, monsieur le ministre, de connaître l'opinion du Gouvernement sur ce point essentiel. Car vous le savez, ce n'est pas du ressort de la seule convention ; cela dépendra en réalité, au premier chef, des décisions que sera appelé à prendre le Conseil européen. Ai-je besoin de souligner qu'il serait souhaitable, sur un point aussi important, que le Conseil européen prenne alors sa décision en toute clarté, en refusant toute ambiguïté et toute obscurité ?
J'en ai terminé avec les principales interrogations que soulève, à mes yeux, l'élaboration d'une charte des droits fondamentaux.
Je ne saurais cependant achever mon propos sans revenir, pour m'en féliciter, sur l'originalité de la méthode retenue par le Conseil européen.
Je tiens en effet à saluer le double équilibre trouvé par celui-ci : équilibre, d'une part, entre représentants des gouvernements et de la Commission et représentants des parlements, qui fait la part belle à ces derniers, ce qui semble tout à fait normal pour un texte avant tout politique ; équilibre, d'autre part, entre le pouvoir législatif au niveau des Etats - parlementaires nationaux - et le pouvoir législatif au niveau de l'Union, c'est-à-dire Conseil et Parlement européens.
Je crois que cette convention peut être un bon laboratoire pour une expérience qui, si elle se révélait concluante, mériterait de servir pour d'autres grands sujets éminemment politiques, soumis in fine à ratification ; je pense par exemple à la justice. Il nous faut, en effet, réfléchir aux moyens qui permettraient de réinsérer de manière plus précise et plus étroite les parlementaires nationaux dans l'élaboration des grands textes de l'Union. Pour l'élaboration de la plupart des normes communautaires, le mécanisme de l'article 88-4 de la Constitution permet une assez bonne association des députés et des sénateurs. Mais, pour des textes plus sensibles, tels que ceux qui seraient susceptibles de toucher aux libertés publiques - et là je pense à l'espace judiciaire européen -, une implication plus forte des parlementaires nationaux est sans doute nécessaire. A la fois parce qu'ils ont une compétence certaine dans des matières de ce genre, en raison de leur expérience de législateur national, et parce qu'ils incarnent une légitimité très forte aux yeux des citoyens des différents Etats membres de l'Union, les parlementaires nationaux ont alors une vocation naturelle à intervenir de manière plus directe que par le seul dialogue avec leur gouvernement, comme ce fut trop souvent le cas dans le passé. Est-ce bien la position du Gouvernement, monsieur le ministre ?
Pour conclure, ne perdons pas de vue que cette charte a été voulue essentiellement par l'Allemagne pour résoudre des problèmes constitutionnels qui lui sont propres.
Or il apparaît clairement, à l'occasion des débats au sein de la convention, que les intérêts sont souvent divergents entre les différents participants et les différentes sensibilités. Entre les pays du Nord et ceux du Sud, entre la culture latine et la culture anglo-saxonne, le consensus est loin d'être atteint. Nous aurons encore l'occasion de le constater dans quelques semaines à Lisbonne, lors de la réunion de la conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, puisque la charte figure à l'ordre du jour de la XXIIe COSAC.
C'est normalement sous présidence française que le projet de charte devrait être adopté. Notre responsabilité ne sera pas mince, tant sur le contenu de la charte que sur la nature juridique de celle-ci.
La charte devrait contribuer à répondre à quelques-unes des grandes questions existentielles de la construction européenne. Il est temps, en effet, que les Européens se posent ensemble des questions fondamentales telles que : qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? L'occasion nous en est donnée.
L'élaboration de la charte devrait nous aider à donner à l'Europe les dimensions sociale, intellectuelle, culturelle et spirituelle ou morale qui lui font trop souvent défaut. Mais cet exercice ne nous épargnera pas de traiter avec tout le discernement nécessaire des questions plus fondamentales encore : quelle Europe pour demain ? Pourquoi ? Pour qui ? Et quelle configuration pour cette Europe ? Faut-il une avant-garde ou une Europe à géométrie variable ? Les coopérations forcées, une fois rénovées, suffiront-elles à répondre à cette question ? La charte n'y suffira pas.
Cinquante ans après la convention européenne des droits de l'homme, cinquante ans après la déclaration de Robert Schuman qui a ouvert la voie vers l'Union européenne, il est temps de réfléchir à ces questions essentielles.
Si l'exercice réussit, nous aurons montré la solidité et la consistance du ciment européen et nous aurons affirmé nos valeurs fondatrices au grand jour pour ceux qui vont nous rejoindre dans les années qui viennent.
Si l'exercice ne réussit pas, ce sera un révélateur : cela fera apparaître que la construction engagée il y a cinquante ans est aujourd'hui à bout de souffle et qu'il est temps de repartir sur de nouvelles bases.
En tout état de cause, je suis persuadé qu'il serait préférable de renoncer à la charte plutôt que d'adopter un texte décevant, qui apparaîtrait, au mieux, comme une sorte d'ersatz de la Convention européenne des droits de l'homme. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Fauchon, au nom de la commission des lois.
M. Pierre Fauchon, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne surprendrai sans doute pas en disant que je partage les interrogations de notre collègue Haenel. Il est permis de se demander si les dirigeants de l'Europe avaient une vue claire et commune de l'objectif à atteindre quand ils ont décidé, à Cologne, d'ouvrir au sein de l'Union une réflexion sur les droits fondamentaux des citoyens de cette Union, réflexion, disons-le immédiatement, qui n'a de sens que si elle dégage des principes, des exigences nouvelles, marquant une différence et un progrès par rapport aux texte nationaux ou internationaux existants, spécialement la Convention européenne des droits de l'homme. C'est un thème qui sera traité tout à l'heure, avec l'autorité qui lui est particulière, par notre excellent collègue M. Hoeffel.
Il est douteux en tout cas que l'on puisse attendre une telle innovation dans le domaine classique des droits fondamentaux, domaine déjà exploré en tous sens depuis la fin du xviiie siècle dans les grands textes qui, face aux pouvoirs établis et alors quasiment tout-puissants, ont affirmé la liberté, l'éminente et imprescriptible dignité de l'homme, avec les garanties essentielles que nous connaissons.
Dans ce domaine, le problème est bien moins dans la proclamation que dans la vigilance face à des menaces qui peuvent prendre des formes nouvelles et sans cesse renaissantes, tant sont diverses et insidieuses les voies et moyens de l'esprit de domination et d'intolérance.
En revanche, la notion de droits fondamentaux s'étend, pour nos consciences modernes, à ce qu'il est convenu d'appeler les droits économiques et sociaux, tels que les droits au logement, au travail, à l'enseignement, à la santé et d'autres, qui sont des droits relatifs dans la mesure où ils procèdent non de la dignité de l'homme perçue comme valeur universelle, mais de la relation particulière de ce dernier avec le corps social déterminé auquel il appartient, c'est-à-dire, au sens propre du terme, que ces droits explicitent certains aspects du contrat social particulier à ce corps.
La notion de « droit » prend ici la forme plus active d'une notion de créance sur la société. Voilà un domaine qui ne peut être traité au fond que dans un cadre juridique cohérent, doté de pouvoirs publics capables de faire droit à de telles créances d'une manière concrète et réelle. Cela nous ramène à la raison d'être d'une déclaration intéressant les citoyens de l'Union européenne, celle-ci disposant d'une telle structure contraignante.
Il n'est donc pas anormal - cela pourrait même être très significatif, M. Haenel le signalait tout à l'heure - que l'Union se pose de telles questions, ce qui implique évidemment qu'elle se juge en état d'y apporter des réponses sérieuses ; sinon il vaudrait mieux ne pas se les poser.
Je me placerai donc dans cette perspective, ce qui implique, je le reconnais, une certaine dose d'optimisme. Et je mettrai à profit le temps que la commission des lois a bien voulu me confier pour inviter à un élargissement du débat et à poser, comme l'a annoncé M. Haenel tout à l'heure, la question de savoir si une déclaration de droits ne devrait pas s'accompagner d'une déclaration de devoirs.
A considérer l'esprit revendicatif qui est l'un des traits des sociétés modernes, spécialement des sociétés avancées comme les nôtres, n'est-on pas amené à se demander si l'individu est en droit de camper, en quelque sorte, sur une position de créancier détenteur de droits unilatéraux, sans prendre du même coup conscience du fait que la société est en droit, de son côté, d'attendre de lui qu'il contribue à la bonne mise en oeuvre du contrat social, dans son propre intérêt comme dans l'intérêt de ses concitoyens ?
Le contrat social, en effet, ne saurait se réduire à un faisceau d'exigences unilatérales ; comme tout contrat, il postule nécessairement, sous le signe de la solidarité, que chacun des membres du corps social se considère non seulement comme porteur d'exigences et de droits, mais aussi comme porteur d'obligations, de devoirs et, disons-le dans une formulation peut-être plus nouvelle, comme porteur de responsabilités.
Sans doute est-ce une tendance actuelle et très favorisée par l'évolution générale des mentalités que chacun soit plus attentif, plus vigilant et plus sensible à faire valoir ses droits qu'à assumer ses responsabilités ; mais ne nous appartient-il pas justement à nous, en tant qu'élus responsables de la cohésion sociale, de rappeler qu'il n'y a pas de contrat sans réciprocité des obligations, que la société ne peut distribuer qu'à la condition de recevoir, étant entendu que les termes de l'échange ne sont pas seulement d'ordre financier, comme on l'imagine parfois un peu sommairement, qu'il ne s'agit pas seulement de la redistribution des richesses entre ceux qui ont trop et ceux qui n'ont pas assez, mais que l'intérêt commun englobe plus généralement des valeurs que j'appellerai, pour simplifier, des valeurs de civilisation par rapport auxquelles il est juste et nécessaire que chacun se sente tout à la fois bénéficiaire et contributeur.
Quelques exemples éclaireront sans doute utilement ce propos quelque que peu abstrait.
Je songe aux responsabilités civiques : n'y a-t-il pas un devoir de participer à la vie politique, de voter, de s'informer, ce qui va très au-delà du paiement de l'impôt, obligation, évidemment, élémentaire ?
Dans le domaine économique, peut-on affirmer un droit à l'emploi et à une juste rémunération sans proclamer un devoir d'activité, de travail, de participation à la création des richesses ?
Dans le domaine socioculturel, peut-on tout mettre à la charge de la collectivité, tout attendre d'elle, en ignorant le rôle nécessaire de toutes les formes d'action non gouvernementales, qu'elles soient associatives ou individuelles, et de l'obligation d'apporter son concours à de telles actions, en particulier pour ceux qui en revendiquent le bénéfice ?
Dans le domaine du cadre de vie et de l'environnement, auquel nous avons tant de raisons d'être sensibles actuellement, n'est-il pas évident que personne ne saurait revendiquer le droit à la pureté de l'air et de l'eau non plus qu'à la propreté et à la beauté de la nature s'il ne s'en reconnaît pas lui-même responsable et activement responsable pour la part qui peut dépendre de lui ?
Tel est, mes chers collègues, le vaste champ de réflexion que le présent débat donne l'occasion d'ouvrir et qui me semble avoir le mérite de replacer au coeur de nos préoccupations l'idée de responsabilité, dont Montesquieu, approuvé par Jean-Jacques Rousseau, enseignait que, sous la dénomination de vertu, elle était le principe même des sociétés démocratiques. Montesquieu ne manque pas de préciser qu'il parle de vertu politique, de celle qui tend au bien public, selon sa propre formule, et non des vertus morales particulières.
Dès 1789 et depuis lors, les deux idées ont été fréquemment associées dans la réflexion politique, l'une d'elle étant, en quelque sorte, le contrepoint justifié de l'autre.
En 1789, c'est Grégoire qui tente de faire adopter par la Constituante une déclaration des devoirs. Il n'est pas parvenu à obtenir une majorité suffisante, mais il a recueilli un nombre de voix très important. Il est permis de regretter cette lacune initiale, car nous aurions introduit ainsi, dans notre conscience et dans le plus fondamental de nos textes, une dimension qui lui manque fâcheusement, me semble-t-il.
La déclaration de 1795 comme la Constitution de 1848 font état des devoirs des citoyens, que l'article 7 de la Constitution de 1848 formule ainsi : « Les citoyens doivent (...) participer aux charges de l'Etat en proportion de leur fortune ; ils doivent s'assurer, par le travail, des moyens d'existence et, par la prévoyance, des ressources pour l'avenir ; ils doivent concourir au bien-être commun en s'entraidant fraternellement les uns les autres et à l'ordre général en observant les lois morales et les lois écrites qui régissent la société, la famille et l'individu ».
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Pierre Fauchon, au nom de la commission des lois. Le préambule de 1946 rappelle que chacun « a le devoir de travailler », et la Déclaration universelle des droits de l'homme intègre cette notion des devoirs des citoyens. On peut citer aussi la Constitution de Weimar de 1919, très développée sur ce thème, et les actuelles Constitutions de l'Espagne ou de la Pologne. On peut citer enfin - et je ne le fais pas uniquement pour le pittoresque, car cela mérite d'être mentionné - dans un ordre moins juridique mais non moins politique, la formule de l'un de nos chants les plus populaires : « Pas de droits sans devoirs, pas de devoirs sans droits ».
Je suppose qu'en tout cas nos amis du groupe communiste républicain et citoyen auront reconnu là l'un des couplets de l'Internationale, tout simplement !
M. Jacques Oudin. On va le reprendre !
M. Pierre Fauchon, au nom de la commission des lois. On ne s'étonnera pas si je préfère le concept, si fécond, de contrat social à celui, si néfaste et dévastateur - je n'hésite pas à le dire - de lutte des classes. C'est d'ailleurs bien une démarche contractuelle, quasiment la première dans l'histoire de l'humanité, qui caractérise la construction européenne, procédant tout entière de la volonté des peuples, et c'est parce qu'une telle démarche serait mal assurée si elle ne conjuguait pas les droits des citoyens de l'Union européenne avec leurs responsabilités que j'ai cru intéressant, d'autant que je m'exprimais au nom de la commission des lois, d'attirer l'attention de notre assemblée sur ce thème. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Masson.
M. Paul Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous rassemble aujourd'hui est simple à énoncer : quels droits fondamentaux devront figurer dans la charte, notamment en matière sociale et économique ? Quels caractères donner à cette charte ? Est-ce une déclaration politique ou doit-elle avoir valeur juridique contraignante ?
Vous avez personnellement esquissé une position, monsieur le ministre, en déclarant le 26 avril dernier : « Il me paraît de bon sens de ne s'interroger sur une éventuelle valeur contraignante de cette charte que lorsque nous connaîtrons le projet rédigé par la convention. » Il faudrait, selon vous, un texte percutant, fort, concis, lisible pour justifier que l'on puisse s'interroger sur la pertinence de son insertion dans les traités européens.
Vos propos me conduisent à penser que vous n'excluez pas de proposer au gouvernement français l'insertion de cette charte dans les traités européens bien que cette option n'ait pas été jusqu'ici retenue, même comme hypothèse de travail, par le Conseil européen de Tempere.
Pour sa part, le Parlement européen a déjà tranché : il propose la solution extensive et souhaite donner à la charte une forme normative. Cependant, nous savons que certains représentants des gouvernements sont réticents sur la formulation large. Quelle est la position du représentant du gouvernement français à cet égard ?
Rappelons que, jusqu'ici, l'Union européenne s'en est tenue aux termes de l'acte unique, ratifié en 1986. Celui-ci précisait qu'il s'agissait de « promouvoir ensemble la démocratie en se fondant sur les droits fondamentaux reconnus dans les constitutions et lois des Etats membres ».
Les traités de Maastricht et d'Amsterdam n'ont jamais mis en cause ce principe fondamental, qui a été ratifié, faut-il le rappeler, par le peuple français lui-même, à l'occasion du référendum sur le traité de Maastricht.
Certes, les deux traités introduisaient dans les normes européennes des droits spécifiques complémentaires : droit de circuler, droit de vote, etc., mais l'énoncé de ces droits spécifiques ne fait que renforcer a contrario le principe de prépondérance jusqu'ici retenu des constitutions nationales et des lois des Etats membres.
Pour tout le reste, on doit le rappeler avec une certaine force, il existe déjà un dispositif international de contrôle, la Convention européenne des droits de l'homme, qui assure avec vigilance depuis plusieurs décennies la régularité des mécanismes juridiques internes de chacun des Etats membres. Personne ne s'en plaint. Il y a peu, le gouvernement français lui-même, pourtant chatouilleux sur le sujet, a modifié le code de procédure pénal après un jugement de la Cour de Strasbourg dénonçant un procès inéquitable fait à un ressortissant de la justice française à l'occasion d'une décision d'une juridiction d'appel nationale.
Donc, le système tient debout et il fonctionne. Pourquoi alors vouloir donner à la Cour de justice de Luxembourg une responsabilité nouvelle, responsabilité que la Cour de Strasbourg assume fort bien ?
L'option fondamentale est soit de s'en tenir à une déclaration solennelle qui ne modifie pas le traité soit d'aller plus avant et d'introduire un préambule dans le traité qui donne un caractère normatif à cette chartre, conduisant ipso facto à une nouvelle modification des traités.
La présidence française doit-elle pour autant proposer aux partenaires européens une nouvelle réforme des traités avec pour conséquence d'introduire une concurrence entre deux juridictions, celle de Strasbourg, qui fonctionne bien, et celle de Luxembourg, les conduisant toutes deux à des conflits d'interprétation et introduisant une confusion dans les compétences, d'une part, de donner à la Cour de justice européenne un droit de regard sur la pratique des droits fondamentaux des Etats à partir de leur propre Constitution ou de leurs propres lois, d'autre part.
Est-ce le moment ? Est-ce l'objectif voulu par les Quinze ? On peut en douter.
Le mandat donné est clair : procéder à un recensement des droits fondamentaux, au besoin complétés. Une déclaration solennelle sans aucune implication normative est prévue.
Cette solution aurait sans doute l'avantage de rallier l'unanimité. Il n'est pas dit cependant qu'elle trouve une majorité au Parlement européen.
Faut-il pour autant choisir une voie, à mon sens plus dangereuse, en proposant une option juridique normative avec, à la clé, une nouvelle modification des traités par l'introduction d'un préalable quasi constitutionnel à ces traités ?
Outre le fait que cette option risquerait de ne pas faire l'unanimité chez les Quinze, il pourrait paraître singulier d'ouvrir un débat de fond sur le pouvoir politique de l'Europe à quelques encablures d'une série de consultations électorales prévues en France dès 2001.
Serait-il convenable que le peuple français soit, à la veille de ces élections, écarté une nouvelle fois de ce débat par le biais d'une procédure purement parlementaire ?
Le Parlement lui-même ne se placerait-il pas, dans cette circonstance, en situation ambiguë par rapport à nos concitoyens, dont il est le mandataire ? Ne pourrait-on s'étonner de la hâte mise à ratifier un nouveau texte, alors que le même exercice a déjà été fait, selon les mêmes procédures, il y a deux ans à peine ? La voie du Congrès serait-elle toujours privilégiée lorsqu'il s'agit de parler de l'Europe à la France ?
Si la présidence française cherche une option plus politique que celle de la simple déclaration, une voie plus juste ne serait-elle pas alors de proposer à l'Union d'adhérer à la Convention européenne des droits de l'homme afin d'établir, selon la formulation même du Parlement européen, « avec le Conseil de l'Europe, une coopération étroite » ?
M. Jacques Oudin. Très judicieux !
M. Paul Masson. Cet acte significatif aurait une double vertu : combler, ainsi que l'explique très bien M. Hoeffel, le vide juridique actuel concernant les actes communautaires et ne pas engager entre les deux cours de justice une concurrence aux effets imprévisibles.
Comme cela a été dit à l'Assemblée nationale le 9 mai, pour réussir la présidence française, il importe essentiellement de donner à l'opinion internationale un sentiment de réalisme. L'élargissement attendu, qui est aujourd'hui surtout perçu comme un facteur d'affaiblissement de l'Union, pourrait être un facteur novateur dans la mesure où il pourrait conduire, si on le veut, à une refondation de l'Union. Mais ce n'est pas par le biais d'une déclaration sur les droits fondamentaux, si solennelle fût-elle, que l'opinion publique prendra conscience des nouvelles exigences de notre Europe face aux mutations mondiales que nous connaissons.
L'Europe politique ne se fera pas sans l'adhésion du peuple français ni sans un mandat constituant clairement authentifié par le vote populaire.
Il serait à mon sens pernicieux, pour le devenir même de l'Europe, que le chemin de ce pouvoir politique nouveau, qui ne peut être délégué que par la nation, soit emprunté d'abord par des juges, si estimables fussent-ils.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous avez l'occasion de clarifier ce débat. Autant, me semble-t-il, la France est particulièrement qualifiée pour proposer aux Etats de l'Union une communauté de valeurs partagées, autant il me paraît hasardeux d'engager à cette occasion, et sur ce seul point, une nouvelle révision, qui mérite à l'évidence un autre débat, moins confidentiel que ceux que nous connaissons toujours sur ce sujet qui nous rassemble aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que nous ayons aujourd'hui l'occasion de débattre d'un processus tout à fait unique et novateur, lancé lors du sommet de Cologne en juin 1999, celui de l'élaboration d'une charte européenne des droits fondamentaux au sein d'une convention qui réunit les représentants non seulement des gouvernements et du Parlement européen, mais aussi des parlements nationaux, représentants dont j'ai l'honneur de faire partie, en tant que suppléante de M. Haenel.
Il s'agit d'un processus novateur, et tout d'abord par la démarche retenue : celle d'une convention et non d'une négociation strictement intergouvernementale, par nature plus confidentielle.
C'est un processus novateur également par la composition de la convention, dont la représentation intègre une forte présence des parlements nationaux, ce qui ne peut que mieux affirmer l'identité européenne de chaque Etat membre et mieux concourir à faire percevoir aux citoyens l'évolution de la construction européenne.
Enfin, il est novateur par sa transparence, grâce à un accès facilité des citoyens aux contributions individuelles et collectives, ainsi qu'aux nombreux débats avec la société civile.
Il s'agit, en effet, de définir clairement des principes et des droits auxquels pourront se référer les citoyens et résidents européens, ainsi que toute personne circulant dans l'espace européen.
La charte est destinée à s'appliquer aux actes des institutions européennes. Elle ne peut attribuer de compétences supplémentaires à l'Union européenne et doit respecter les principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Il me paraît important de rappeler ici en quoi cette charte est urgente, nécessaire et légitime.
En effet, peu de droits fondamentaux sont expressément énoncés dans les traités. Certes, les directives européennes ont progressivement intégré nombre de ces droits, et la Cour de justice des Communautés européennes en a assuré le respect au regard des actes de souveraineté des institutions communautaires.
Cette nouvelle étape est pourtant capitale pour les citoyens, qui éprouvent très souvent le sentiment d'être tenus à l'écart de l'édification de l'espace européen.
M. Hubert Haenel. C'est vrai !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. La charte peut donc contribuer à réduire le déficit démocratique qu'ils perçoivent dans le fonctionnement de nos institutions.
L'Union ne doit pas constituer seulement une organisation économique et financière et une zone de libre échange. Depuis son origine, elle prétend réaliser un projet de civilisation guidé par des valeurs auxquelles doivent adhérer tous ses Etats membres.
L'arrivée en Autriche d'un gouvernement de coalition comprenant un parti d'extrême droite qui défend des thèses xénophobes renvoie soudainement nos Etats et nos concitoyens à des interrogations essentielles sur ce que sont ces valeurs et sur leur portée.
L'objet de la charte est donc bien de « référencer », dans un texte identitaire, un ensemble de valeurs communes aux citoyens européens mais aussi d'enrichir ce « référentiel ».
De plus, cette entreprise est importante pour l'élargissement de l'Union à de nouveaux Etats membres. Nous pensons en effet que cette future charte doit faire partie de ce que nous appelons l'acquis communautaire.
Sur ce point, je rejoins M. Haenel, pour qui l'adhésion à l'Union est aussi une adhésion à un système de valeurs.
M. Gérard Delfau. Très bien !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Nous disposons déjà de textes et de juridictions. Aussi la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme constitue-t-elle les fondamentaux de la charte. Ce texte est toutefois devenu insuffisant au regard de l'évolution des réalités politiques et économiques, et aussi des défis auxquels doit désormais faire face l'Union.
Je tiens maintenant à présenter quelques remarques sur la valeur qui sera assignée à la charte.
Si nous comprenons qu'il soit prématuré, aujourd'hui, de fixer définitivement le statut qui lui sera dévolu, je veux souligner qu'il est pour le moins délicat de repenser des droits, d'en approfondir certains, voire d'en consacrer de nouveaux, sans en connaître la véritable portée. Mais je veux croire que le terme de « convention » n'a pas été choisi par hasard.
Le texte rédigé par le Parlement européen en 1989 n'est resté qu'à l'état de déclaration puisqu'il n'a pas été ratifié par tous les Etats membres. Quel serait donc le sens d'une simple déclaration alors que l'objectif premier de cette charte, tel que défini par le mandat de Cologne, est d'offrir aux citoyens et aux résidents européens un texte clair, dont ils pourront revendiquer l'application ?
M. Gérard Delfau. Très bien !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Si la charte n'était qu'une énonciation de droits proclamatoires, elle serait uniquement l'édiction d'une protection minimale, un simple rempart. En revanche, intégrée dans le préambule des traités, elle pourrait garantir la préservation d'un certain nombre de droits dans l'élaboration des actes communautaires. Cela signifierait que les institutions européennes ne pourraient enfreindre les droits énoncés, sans être pour autant obligées de légiférer dans ces domaines.
Je sais qu'il est encore prématuré de trancher cette question. Néanmoins, il est, pour nous, important d'avoir dès à présent une haute ambition pour ce texte que nous considérons comme indispensable à une construction européenne plus politique et plus sociale. Et nous n'excluons pas que la charte puisse devenir, à terme, le texte de base d'une Constitution.
Cependant, et sans qu'il soit question de brûler les étapes, elle doit contribuer dès à présent à placer la personne humaine au coeur du projet européen. C'est cet objectif qui doit guider nos travaux, lesquels sont soumis à deux impératifs : la clarté et l'accessibilité.
Je formulerai quelques remarques sur ce qui devrait figurer dans ce texte quant aux principes et aux droits affirmés.
Tout d'abord, l'application du principe d'indivisibilité des droits me paraît essentielle, notamment en ce qui concerne l'indivisibilité des droits civiques et sociaux, ceux-ci étant également interdépendants.
C'est en ce sens que nous estimons, par exemple, que le principe de non-discrimination doit être inscrit aussi bien au titre des droits des individus qu'au titre du droit au travail. L'égalité entre les femmes et les hommes doit, à cet égard, être garantie dans son ensemble, et pas seulement dans le cadre du travail.
S'agissant du droit de toute personne d'accéder aux soins, il représente un droit universel qui relève de la dignité humaine et il doit donc figurer dans l'article 1er de la charte.
Il en est de même pour le droit au logement, qui participe directement à la lutte contre l'exclusion sociale et conditionne l'exercice des droits les plus élémentaires de la personne.
Par ailleurs, le traité d'Amsterdam place la construction d'un espace de sécurité, de liberté et de justice au centre de nos préoccupations. Il « communautarise » des domaines liés à la libre circulation des personnes dans l'Union, tels que les visas, l'asile ou l'immigration.
L'inscription de droits économiques et sociaux est, à nos yeux, essentielle, car ils doivent être considérés comme déterminants pour l'exercice des libertés. D'ailleurs, notre pays avait opté pour une telle reconnaissance dans les constitutions de 1946 et 1958.
Cet objectif est, au demeurant, d'actualité : les décisions prises au récent sommet de Lisbonne vont tout à fait dans ce sens.
Il est ainsi fondamental, selon nous, que soit affirmé un droit à l'emploi en tant que tel, car il ne peut constituer seulement un objectif.
S'agissant du droit à la protection en cas de licenciement, nous souhaitons que soit prévu un droit de recours.
Nous serons particulièrement attentifs à l'inscription des droits à la formation professionnelle et à la formation tout au long de la vie, qui, dans les conclusions du Conseil européen de Lisbonne, ont été enfin reconnus comme « une composante essentielle du modèle social européen ».
Un représentant français de la Confédération européenne des syndicats rappelait d'ailleurs récemment que, compte tenu des nouvelles trajectoires professionnelles, de moins en moins linéaires, il était urgent de consacrer un droit et de voir aboutir des dispositifs de crédit formation, utilisables en fonction des besoins et pendant toute la vie professionnelle.
Nous soutenons, de même, l'inscription d'un salaire minimum. Il existe désormais dans tous les Etats membres de l'Union. Cette généralisation atteste le bien-fondé d'une telle disposition, alors que, il n'y a pas si longtemps, dans certains milieux, on fustigeait encore l'institution d'un tel salaire minimum, décrivant celui-ci comme un obstacle à l'emploi.
Nous souhaitons que, conjointement, soit traduit le principe d'équité dans la rémunération, dans le sens d'une égalité de rétribution pour des situations professionnelles identiques.
Nous voudrions aussi qu'un article sur un revenu minimum soit inscrit dans le champ des prestations sociales. D'ailleurs, la notion de prestation minimale a été introduite, dans le cadre de la conférence intergouvernementale, parmi les thèmes susceptibles de bénéficier de l'extension de la majorité qualifiée.
S'agissant du droit à la protection sociale, nous estimons qu'il doit s'appliquer à toutes les personnes, et pas simplement aux travailleurs. C'est cette démarche qui a guidé le Gouvernement et le Parlement quand nous avons instauré la couverture maladie universelle.
Nous soutenons aussi l'inscription des droits d'accès aux services d'intérêt général. Ils garantissent l'exercice de certains droits sociaux élémentaires, en particulier la santé, l'éducation, les transports. Nous estimons en effet que la défense du principe d'égal accès est essentiel et concourt à la définition d'un modèle social européen.
Pour ce qui est du droit de la famille, nous tenons à souligner que c'est l'enfant, et non le mariage, qui fonde la famille et, donc, justifie les droits qui en découlent.
J'ajoute que, dans la perspective d'une modernisation de notre corpus de droits fondamentaux et de leur interdépendance, il convient de reconnaître parallèlement un droit permettant de concilier vie familiale et vie professionnelle.
Nous devons encore envisager que soit inséré un article sur la protection des personnes âgées, afin que leur dignité soit préservée et leur marginalisation évitée, en particulier pour les plus dépendantes d'entre elles.
Enfin, si l'exigence de protection des personnes handicapées est clairement définie dans nos pays, il convient d'accomplir des progrès notables pour que leur insertion dans le monde du travail soit expressément garantie.
Avant de terminer, je voudrais faire quelques brèves remarques sur l'idée, défendue à la fois par M. Haenel et par M. Fauchon, selon laquelle il ne peut y avoir de droits sans devoirs.
Je conviens avec eux qu'il existe des responsabilités réciproques ; à titre d'exemple, on peut citer le droit à un environnement sain, qui implique pour chacun de nombreux devoirs.
M. le président. Mme Dieulangard, je vous demande de conclure. Vous parlez déjà depuis douze minutes et demie !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je conclus, monsieur le président.
Pourtant je préfère la notion de responsabilités à celle de devoirs, tout comme je m'interroge sur la nécessité d'introduire un « devoir de travailler ».
Ce sont principalement les Etats et l'Union européenne qui ont des responsabilités envers les citoyens en matière de croissance, d'économie, d'emploi.
Si nous avons effectivement des devoirs, le premier est collectif : c'est celui de la solidarité.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos travaux sont un révélateur de la volonté des Etats de construire une union politique. A cette union politique, une charte des droits fondamentaux est indispensable. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Haenel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'heure où la crise autrichienne relance le débat sur les valeurs politiques et morales qu'incarne l'Union européenne, et surtout sur les moyens dont elle dispose pour les défendre, l'élaboration d'une charte des droits fondamentaux est plus que jamais d'actualité.
Je n'évoquerai que par allusion la longue marche de cette idée, qui passe par l'appel lancé en 1946 par Winston Churchill à la famille européenne, par le Mouvement européen, par les différents traités, par le préambule de l'Acte unique, lequel se réfère à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ou par de multiples décisions de la Cour de justice des Communautés, celle-ci s'étant, à plusieurs reprises et sous des formes différentes, posée en garante des libertés traditionnelles, chèrement acquises, en deux siècles de lutte, car elles ne furent jamais octroyées.
De son côté, dès 1977, le Parlement européen s'est prononcé en faveur de la défense des droits et des libertés fondamentaux dans l'Union européenne. Adopté par le Conseil et cosigné par la Commission, ce document a permis d'engager le long processus conduisant à l'élaboration de la future charte des droits fondamentaux.
Voilà où nous en étions en juin 1999, quand la décision du Conseil européen de Cologne a été prise d'élaborer une charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
La phase concrète d'élaboration a été mise en oeuvre lors du Conseil de Tampere de décembre 1999.
La France, ainsi qu'elle l'a affirmé par les voix de ses plus hauts responsables, souhaite qu'une telle charte soit adoptée sous sa présidence du Conseil européen, au cours du second semestre 2000.
Les soixante-deux membres de la convention chargée d'élaborer la charte - formule effectivement originale - en ont dores et déjà esquissé l'architecture globale et ébauché les modalités d'application.
Je formulerai une remarque préalable : la charte devrait concerner uniquement les citoyens de l'Union, à la différence de la convention européenne des droits de l'homme, qui intéresse les quarante et un Etats membres du Conseil de l'Europe.
Je dois cependant remarquer que cette position limitative, que je comprends par ailleurs, n'est pas sans poser quelque problème de conscience aux héritiers des valeurs universalistes de la Révolution française et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui conçoivent la construction européenne sur le long terme, et non en fonction de préoccupations, certes, légitimes et délicates. Mais nous sommes ici au Parlement, et nous devons nous inscrire dans la longue durée.
L'élément novateur de la charte réside dans l'adjonction aux droits civils et politiques des droits économiques et sociaux tels qu'ils sont énoncés dans la charte sociale européenne et dans la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs.
On l'a dit et on le dira encore, c'est bien ainsi que les citoyens attendent que l'Europe descende de ses traités, de ses organisations, de ses manifestations solennelles et qu'elle entre un peu plus avant dans le quotidien, et pas seulement sous la forme, un peu caricaturale, que prennent parfois certaines directives.
Lors de l'élaboration de la convention européenne des droits de l'homme, il y a cinquante ans, certains droits relatifs à la santé publique ou au salaire minimum, sans parler, bien sûr, des droits de la bioéthique, de l'informatique ou de l'environnement, n'avaient pas encore été créés. Il est donc aujourd'hui essentiel d'ajouter ces nouveaux droits, par ailleurs objet d'une revendication ancienne de nombreuses associations et de syndicats, entre autres.
Une des questions qui se posent aujourd'hui même réside dans le point de savoir s'il faut accorder ou non à la charte un caractère juridique contraignant. Le 16 mars dernier, le Parlement européen a souhaité, à une écrasante majorité, doter la charte de cette force juridique, par le biais de son incorporation dans les traités.
Ces avancées constitueraient sans aucun doute le premier pas de l'Union européenne vers l'adoption d'une constitution, objectif à long terme.
Il est en effet permis de s'interroger sur l'intérêt d'une charte qui ne disposerait que d'un caractère déclaratif, alors que des millions de citoyens européens vivent encore aujourd'hui en dessous du seuil de pauvreté. Tel est l'un des enjeux de la présidence française, monsieur le ministre, et vous le savez, comme le Parlement tout entier. Nous attendons sur ce point des éclaircissements et, si possible, quelques pas en avant de votre part.
La charte doit répondre à une forte aspiration des opinions publiques européennes, à un renforcement des droits des citoyens de l'Union européenne et à un rééquilibrage des textes en leur faveur.
Pour autant, et je le dis au passage sans pouvoir développer, il est souhaitable de ne pas créer de concurrence fâcheuse entre la Cour de Luxembourg et celle de Strasbourg.
Aussi sera-t-il nécessaire de bien préciser que la charte ne régira que les actes communautaires et laissera entier le système des droits reconnus à toutes personnes présentes sur le territoire communautaire, qu'elles aient ou non la citoyenneté des Etats membres.
Du reste, rappelons que la charte comprendra bien d'autres droits que ceux qui sont actuellement garantis par la Cour de Strasbourg et constituera une avancée, notamment dans les secteurs économiques et sociaux.
Marie-Madeleine Dieulangard l'a excellemment dit, il faut donner un contenu concret au droit du travail, à la protection des salariés et à la formation continue, pour ne prendre que quelques exemples.
J'ajouterai une dimension de notre mode de vie européen qui n'a pas encore été évoquée, et même une dimension de notre civilisation, je veux parler de la contribution des services publics appelés, dans le nouvel article 16 du traité d'Amsterdam, « services d'intérêt général à la cohésion sociale et territoriale ».
Un ensemble d'organisations syndicales et d'associations ont élaboré à ce sujet une plate-forme commune. Ils souhaitent que la France fasse inclure cette forme d'organisation sociale originale dans la charte des droits fondamentaux. L'objectif est bien que nos partenaires européens confirment que la notion de « services d'intérêt général », et pas seulement à vocation économique, soit l'une des valeurs communes de l'Union européenne.
Cette intégration au sein de la charte aura pour conséquence de donner un cadre conceptuel à la mise en oeuvre concrète des droits fondamentaux en matière économique et sociale.
Elle permettra, dans un deuxième temps, de renforcer encore la timide avancée réalisée par la rédaction de l'article 16 du traité d'Amsterdam. Dans l'immédiat, je souhaite, sur ce sujet comme sur les autres, que la charte puisse être incluse dans le préambule du traité sur l'Union européenne. Ce serait un premier pas particulièrement significatif.
La charte aura en même temps vocation à s'appliquer aux institutions et non aux Etats membres. Elle doit donc traiter d'un certain nombre de sujets sensibles. Je vais prendre pour exemple l'introduction, dans la charte, des droits collectifs et régionaux, voire le droit des minorités. Ces domaines suscitent des opinions extrêmement divergentes, voire contradictoires, en fonction des sensibilités ethniques et culturelles. Ils ne semblent pas faire aujourd'hui l'objet d'un compromis et devront être très sérieusement approfondis. La question est cependant posée.
Pour l'heure, la convention a décidé de prendre pour base de travail une liste relativement complète, incluant l'intégralité des droits de l'homme, auxquels sont ajoutés des droits économiques, sociaux et environnementaux.
Particulièrement attachés aux valeurs de la démocratie, les sénateurs du groupe du Rassemblement démocratique et social européen adhèrent sans restriction à ces valeurs.
Parce qu'ils partagent l'idée selon laquelle la charte des droits fondamentaux constitue une avancée essentielle pour la poursuite de la construction européenne au service des citoyens, les sénateurs du groupe que je représente à cette tribune estiment qu'une dimension morale, je dirai même éthique, et un principe de justice sociale doivent présider à son élaboration. Telles sont les raisons pour lesquelles, monsieur le ministre, nous serons particulièrement attentifs à vos réponses. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au conseil de Tampere, à la fin de l'année 1999, les chefs d'Etat et de gouvernement ont lancé le processus de rédaction d'une charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, rédaction qui doit s'achever sous présidence française.
L'adoption éventuelle du projet de texte devrait avoir lieu au Conseil européen de Nice, en décembre prochain.
La France a donc une responsabilité toute particulière à cet égard et devra se montrer à la hauteur d'une telle ambition. Il s'agit véritablement d'un enjeu pour la construction d'une Europe citoyenne.
Alors que l'élargissement aux pays de l'Est se précise et que l'actualité montre, avec le cas autrichien, que des reculs sont toujours possibles, il est de la responsabilité de l'ensemble des pays européens de rester vigilants.
Réaffirmer dans cette charte et rendre visibles aux yeux des citoyens européens, mais aussi au reste du monde, les valeurs qui fondent la Communauté européenne est un objectif auquel on ne peut que souscrire. L'Europe est aujourd'hui essentiellement économique et financière. Il est grand temps de privilégier la construction d'une Europe « communauté de valeurs de démocratie, de progrès et de justice sociale ».
La question de l'identité de l'Europe est au coeur des réflexions sur l'élaboration de cette charte. Il convient donc non pas de s'enfermer dans un débat purement technique et juridique...
M. Hubert Haenel. C'est vrai !
Mme Danielle Bidard-Reydet. ... mais au contraire d'élargir la discussion, de l'ouvrir pour lui donner une dimension nouvelle.
Partout aujourd'hui en Europe, le désir de citoyenneté s'exprime et se renforce. A défaut de répondre à cette attente, l'Europe s'éloignera encore plus des peuples et de leurs préoccupations. Nous appuyant sur ces préoccupations, nous devons renforcer les liens entre les exigences des citoyens européens et la construction européenne. L'enjeu est d'importance si l'on veut donner sens au contenu de cette construction et répondre ainsi aux aspirations des citoyens à un renouvellement de la démocratie, dans les institutions comme dans le contenu social de l'Union européenne.
Le processus d'élaboration de la charte peut constituer une avancée citoyenne, un instrument de progrès et de justice sociale. Elle doit constituer un point d'appui pour les citoyens dans leurs revendications pour l'application de l'ensemble des droits déjà acquis ainsi que pour une formulation de nouveaux droits. Cela implique que l'ensemble des citoyens européens soient mieux informés, qu'ils puissent s'exprimer dans ce débat.
Nous nous félicitons du processus original d'élaboration, avec une convention composée de membres de l'exécutif et du législatif, des différents parlements, avec une transparence affirmée par le compte tendu intégral des débats publics sur internet et avec les appels à contribution des membres de la société civile.
Pourtant, il nous semble nécessaire de privilégier encore la démarche participative « dans l'élaboration de la charte », de développer l'information dans tous les pays européens. Je pense que, dans cet esprit, un forum public pourrait être organisé au niveau européen, associant des élus, des membres de la société civile et des experts.
Les attentes des citoyens sont immenses pour une réorientation de l'Europe vers plus de solidarité, de démocratie, de protection de l'environnement et de développement durable. Nous devons y répondre. Pour cela, il n'est pas possible de se limiter à un simple « recopiage » des droits déjà existants dans la convention européenne des droits de l'homme et dans la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs. Ces droits doivent, bien sûr, être inscrits de façon lisible dans la charte, avec l'application du principe de non-régression, mais il faut également y mentionner de nouveaux droits tendant à construire une Europe plus juste et plus humaine ainsi que ceux qui sont relatifs, notamment, à la bioéthique et à la transparence administrative.
Le projet de charte prévoit trois « corbeilles », comme cela a déjà été rappelé.
La troisième corbeille, qui traite des droits économiques et sociaux, est à l'origine de nombreuses divergences entre les partenaires européens. Il s'agit, en effet, de traduire le concept social européen, sur lequel les opinions des gouvernements sont loin d'être semblables. On a pu le vérifier au sommet sur l'emploi de Lisbonne, avec la volonté affichée de certains Etats, en particulier le Royaume-Uni, de « moderniser » le système de protection sociale en le réduisant au minimum !
Une telle évolution constituerait un véritable danger pour l'avenir de l'Europe, qui doit développer, au contraire, un projet social ambitieux pour répondre aux attentes des citoyens européens.
Les « droits fondamentaux » sont indivisibles. L'ensemble des droits économiques et sociaux qui concernent la vie quotidienne de chaque citoyen constituent donc des droits fondamentaux à part entière. Le gouvernement français a déjà affirmé sa volonté d'accorder une importance particulière aux droits de la troisième corbeille, mais il faut développer un argumentaire plus exigeant dans ce domaine.
Nous pensons qu'il est de la responsabilité de la France d'être ferme sur cette question, en mettant en avant la justice sociale, le bien-être de tous. L'être humain doit être au coeur de la construction européenne, à la place des marchés financiers soutenus par la logique de Bruxelles.
Nous avons conscience des réticences des gouvernements des pays partenaires, mais nous pensons que le rôle des peuples de l'Union, qui tous aspirent à un mieux-être, peut permettre d'aller dans ce sens. Il est donc utile de leur donner les moyens de participer aux débats et de se mobiliser pour préciser quels droits doivent être considérés dans le cadre d'une Europe sociale et solidaire. Les très nombreuses contributions d'associations, d'organisations non gouvernementales et de syndicats de l'ensemble des pays européens témoignent du foisonnement de propositions sur ce sujet et de l'urgence de leur prise en compte.
Il est tout d'abord fondamental de réaffirmer et, surtout, d'étendre les droits des citoyens à la prise de décision et aux choix économiques qui conditionnent la construction européenne, ce qui implique une démocratisation des institutions européennes, y compris des institutions financières telles que la Banque centrale européenne.
Dans le même sens, il nous faut prendre en compte les droits des salariés à l'information et à la gestion des groupes économiques dans le cadre des comités de groupe européens, afin que les salariés soient associés aux réformes qui les concernent au premier chef.
Le droit d'association et les droits syndicaux transnationaux doivent être revalorisés. Le développement d'une véritable démocratie en Europe et la mobilisation des citoyens en faveur de la construction européenne passent nécessairement, selon nous, par l'extension de ces droits.
Donner aux citoyens la possibilité de peser réellement sur les choix des orientations permettra à l'Europe de se réorienter vers un développement au service des peuples. Dans une Europe où la précarité et le chômage font des ravages, le droit à la sécurité de l'emploi et à la formation est une priorité pour tous. C'est également le cas pour le droit à une protection sociale suffisante, à un revenu minimal décent, à l'accès total et sans discrimination de ressources aux soins de qualité, à l'éducation, au logement.
Des associations et des ONG se battent depuis des années pour que les injustices prennent fin. Comment ne pas répondre à ces attentes ?
D'autres droits constituent aussi des priorités pour les citoyens. Il s'agit, par exemple, du droit à l'accès à des services publics de qualité, du droit à l'accès aux nouvelles technologies de l'information et du droit à un environnement durable et de qualité concernant, notamment, la sécurité sanitaire, alimentaire et maritime.
Certains droits spécifiques doivent, selon nous, être considérés avec attention. Je pense en particulier aux droits des jeunes, qui sont trop peu pris en compte en tant que tels au sein de l'Union. Des consultations pourraient être organisées à l'échelon européen pour mieux connaître les aspirations des jeunes. Quant aux droits des femmes, il est indispensable d'inscrire l'égalité des sexes, notamment socio-économique, comme le réclament les associations féministes, et non pas de se limiter à une clause générale de non-discrimination. Les femmes ne sont pas, en effet, une minorité, elles représentent plus de la moitié de la population européenne.
D'une façon générale, la question se pose de savoir si les droits contenus dans la charte concerneront uniquement les ressortissants européens - immigrés extracommunautaires exclus - ou tous ceux qui résident légalement dans l'Union. La notion de citoyenneté européenne ne doit pas être réductrice, elle doit s'appliquer à l'ensemble des individus qui réside sur le territoire européen, dans un souci d'amélioration de la vie démocratique et de recul des inégalités et des discriminations.
Il faudrait également veiller, en particulier dans le contexte actuel, à la stricte application de l'article 13 du traité d'Amsterdam s'agissant des discriminations fondées sur la race, l'orientation sexuelle, la religion, le sexe, les handicaps.
Nous sommes pour l'instauration d'une citoyenneté de résidence qui passe par la promotion, dans un premier temps, du droit de vote et d'éligibilité pour les étrangers extracommunautaires dans tous les pays de l'Union européenne aux élections locales. Cela est devenu incontournable, car majoritairement souhaité par l'opinion publique européenne. Avec les droits de la première corbeille et les droits économiques et sociaux, les citoyens extracommunautaires de l'Union doivent bénéficier des mêmes avantages que les ressortissants de l'Union européenne.
La question de la portée juridique de la charte est également importante. Sera-t-elle un document juridiquement contraignant intégré dans les traités et contrôlé par la Cour de justice ? Quelles seront, dans ce cas, les voies de recours ? Sera-t-elle un texte déclaratoire à valeur purement symbolique ? Le débat est vif sur ce sujet et la position de nombreux acteurs, notamment celle du Gouvernement français, est de choisir la prudence en concentrant les efforts sur la qualité du contenu de la charte. C'est, bien sûr, un préalable indispensable : il n'y aurait aucun intérêt à intégrer dans le traité une charte restrictive, voire régressive, ou même simplement peu lisible. Cependant, il n'est pas inopportun d'amorcer ce débat sur cette question.
M. le président. Madame Bidard-Reydet, je vous demande de bien vouloir conclure.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Je vais conclure, monsieur le président.
Si nous estimons que ce texte ne doit en aucun cas avoir pour objet de supplanter les textes fondamentaux de la République, il nous semble malgré tout nécessaire que des conditions pour l'application effective des droits contenus dans la charte, droits nouveaux comme droits existants, pas toujours appliqués, soient clairement définies.
En conclusion, je dirai notre engagement pour que la charte permette une réelle avancée dans la construction d'une Europe du progrès humain et de la citoyenneté. Nous sommes convaincus que le Gouvernement français, en particulier pendant la présidence française de l'Union européenne, oeuvrera en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - Mme Dieulangard applaudit également.)
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nécessité d'une volonté politique de l'Europe a été mise en relief tout au long de cette semaine. Cette volonté doit s'accompagner d'une clarté dans la démarche et d'une complémentarité dans l'intervention des diverses institutions européennes.
Il y a l'Europe des Quinze et l'Europe des Quarante et un : chacune a sa vocation et son champ d'action, mais chacune, dans sa sphère, concourt à la réalisation d'objectifs et à la défense de valeurs qui doivent faire de notre continent un pôle de rayonnement exemplaire.
Il me semble inutile et même inopportun que l'Union européenne cherche, dans certains domaines, à répéter ce que le Conseil de l'Europe a déjà réalisé. J'exprime cette crainte à propos de l'élaboration de la charte des droits fondamentaux, dont l'articulation avec la convention du Conseil de l'Europe ne doit en aucun cas être source de difficultés ou d'équivoque.
Il n'est pas question, bien entendu, de remettre en cause l'originalité de la méthode ni la qualité et la compétence de ceux qui préparent la charte et qui réalisent un travail sérieux, notre collègue Haenel, que je remercie de l'initiative de cette question orale européenne avec débat, l'a bien relevé.
Cependant, les interrogations naissent de certaines déclarations faites récemment et que je voudrais rappeler : « Personne ne sait encore très bien ce sur quoi l'on va déboucher. », ou encore « L'important est, pour le moment, d'obtenir une bonne charte et la question du statut viendra plus tard. »
L'Europe n'est pas née d'une équivoque, elle ne peut pas avancer dans l'équivoque. Il faut qu'au départ les choses soient claires. Il y va du caractère confiant des relations entre institutions européennes. Il faut, à cet effet, rappeler la situation actuelle.
La convention européenne des droits de l'homme du Conseil de l'Europe a été signée en 1950. Elle est dotée d'un mécanisme de contrôle supranational. Il s'agit, depuis 1998, d'une cour unique et permanente dont les arrêts s'imposent aux Etats adhérents. Les quarante et un Etats qui composent le Conseil de l'Europe sont tous signataires de la convention, et l'engagement de souscrire cette convention est même devenu une condition d'adhésion au Conseil de l'Europe.
Les quinze Etats de l'Union européenne ont souscrit depuis longtemps à la convention, l'ont incorporée dans leur droit interne, et sont donc soumis à la juridiction de la Cour de Strasbourg.
Pour sa part, l'Union européenne, à partir de l'Acte unique européen, a prévu que les traités, dans leur préambule, fassent mention de la soumission de l'ordre juridique communautaire aux droits de l'homme et explicitement à la convention européenne des droits de l'homme.
Il ne subsiste qu'un vide juridique : les actes et décisions émanant des organes communautaires ne sont pas soumis, quant à eux, à un contrôle de légalité au regard des droits de l'homme.
Se pose, de ce fait, la question de l'articulation entre les deux ordres juridiques. Comment combler ce vide juridique.
A plusieurs reprises, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a invité l'Union européenne à formaliser la soumission à l'ordre juridique de la convention européenne des droits de l'homme, solution longtemps approuvée par le Parlement européen. Mais la Cour de justice des Communautés européennes a émis un avis défavorable, et il se dégage donc actuellement une tout autre orientation. L'Assemblée du Conseil de l'Europe s'est pourtant prononcée en faveur d'une incorporation des droits garantis par la convention européenne des droits de l'homme dans la future charte. Elle s'est également prononcée pour la modification des traités européens afin de rendre possible l'adhésion de l'Union européenne à cette convention.
Le président de l'Union européenne, s'exprimant devant le Conseil de l'europe, a déclaré : « Il est utile que l'Union se dote d'une charte des droits fondamentaux afin de se rapprocher de ses citoyens. » Mais il a ajouté : « Il faut éviter toute incohérence entre la charte et la convention ou entre les jurisprudences des deux cours européennes. »
M. Hubert Haenel. Assurément !
M. Daniel Hoeffel. Cela entraîne évidemment trois risques.
Le premier, c'est celui d'une Europe à deux vitesses, avec une certaine conception des droits de l'homme dans une partie de l'Europe et une autre dans le reste de l'Europe. Ce serait le risque d'une nouvelle division au moment même où le continent européen refait son unité.
Le deuxième risque, c'est le risque de divergence quant aux droits garantis.
Le troisième risque, principal, tient à l'institution d'un double mécanisme de contrôle. Existe donc le risque d'une divergence des droits garantis et de la jurisprudence des deux cours, celle de Strasbourg et celle de Luxembourg.
La divergence sur la définition des droits entre la future charte et la convention existante ainsi que la divergence des mécanismes de contrôle et des jurisprudences, voire leur concurrence, n'apporteraient sans doute pas une sécurité supplémentaire quant aux droits des citoyens. Les inévitables conflits de droit et conflits de juridiction ne contribueraient pas à la lisibilité de la construction européenne.
Ce sont, monsieur le ministre, les trois questions qui ont déjà été posées mais que je répète.
Il faut, en premier lieu, inviter le Gouvernement français à éviter toute divergence entre la convention européenne des droits de l'hommes et la future charte des droits fondamentaux dans la définition même des droits.
Il convient, en deuxième lieu, faire preuve de circonspection à l'égard d'une incorporation de la charte dans les traités européens qui entraînerait la compétence de la Cour de justice de Luxembourg, et donc une concurrence fâcheuse avec la Cour de Strasbourg.
Il faudrait, en troisième lieu, que soit bien précisé que la charte ne régit que des actes communautaires, et laisse donc entier le système des droits reconnus à toutes les personnes présentes sur le territoire communautaire, qu'elles aient ou non la citoyenneté de l'un des Etats membres.
C'est une question d'efficacité, mais aussi de lisibilité de l'Europe et des droits de l'homme par la population européenne. Nos concitoyens éprouvent souvent des difficultés à savoir qui fait quoi en Europe et qui est compétent pour quoi. A un moment où l'Europe est à un tournant, il faut des réponses claires à ces interrogations. Il est encore temps d'y contribuer. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous ayez la volonté d'y contribuer. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si les bonnes intentions ne donnent pas toujours les meilleurs résultats, le groupe des Républicains et Indépendants approuve toutefois l'idée d'un renforcement des droits fondamentaux des citoyens européens.
Nous y sommes favorables par principe, car cela correspond à notre vision d'une société plus humaine et plus juste, qui prenne mieux en compte chaque individu en tant que tel.
Nous y sommes également favorables parce que ce projet peut contribuer à forger une identité européenne qui soit non seulement économique ou historique, mais également fondée sur des droits et des principes communs pour tous les citoyens de l'Union.
Cela étant dit, mon groupe est perplexe quant au résultat final.
Le débat sur la charte des droits fondamentaux de l'Union repose, en effet, sur deux ambiguïtés majeures : ambiguïté vis-à-vis de la convention de protection des droits de l'homme, qui est déjà en vigueur dans le cadre du Conseil de l'Europe ; ambiguïté sur le contenu même de la future charte, que beaucoup veulent étendre et que certains voient comme un embryon de Constitution européenne.
Il est indispensable de lever rapidement ces deux ambiguïtés. A défaut, le malaise que nous sommes déjà nombreux à ressentir se transformera en affrontement idéologique, au risque de faire échouer l'ensemble du processus.
Le débat d'aujourd'hui a donc beaucoup d'importance, et je rends hommage à M. Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, qui en a eu l'initiative.
Notre collègue nous a présenté les enjeux politiques et juridiques de la charte des droits fondamentaux.
De mon côté, je souhaite vous faire part de mes interrogations en tant que sénateur membre de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Tout se passe comme si l'Europe découvrait la nécessité de garantir le respect des droits de l'homme.
Or, il existe déjà une convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : elle a été signée en 1950 au niveau du Conseil de l'Europe et elle dispose, depuis 1998, d'une cour unique et permanente dont les arrêts s'imposent aux Etats membres.
Pourquoi alors refaire à quinze ce qui existe déjà à quarante et un ? Pourquoi prendre le risque d'instituer un double ordre juridique, l'un dépendant de l'Union européenne, l'autre du Conseil de l'Europe ? Quelle serait alors la cour compétente ? Celle de Strasbourg ou celle de Luxembourg ?
Je veux témoigner de l'esprit d'ouverture dans lequel la question a été abordée au sein du Conseil de l'Europe, notamment par la commission juridique et des droits de l'homme dont je fais partie.
Nous avons à plusieurs reprises - et longuement - débattu de l'intention de l'Union européenne de se doter d'une charte.
Je crois pouvoir assurer que le Conseil de l'Europe n'est absolument pas opposé à une telle initiative et ne cherche pas à préserver un quelconque monopole. Au contraire, le rapporteur de la commission juridique, M. Magnusson, a accueilli favorablement l'adoption de la charte, la considérant comme un renforcement de la protection des droits de l'homme en Europe. Il s'est seulement inquiété, comme beaucoup, des risques de double emploi entre la Cour de justice de Luxembourg et la Cour de Strasbourg.
Tel était le sens de la proposition d'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'homme, qui serait ainsi venue s'ajouter aux adhésions individuelles des quinze Etats membres.
Tel est aussi le sens de la résolution adoptée le 25 janvier dernier par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui propose une autre solution, sous forme d'une incorporation dans la future charte des droits garantis par la convention.
Dans les deux cas, cela permettrait de combler le vide juridique qui exclut aujourd'hui les actes et les décisions des institutions de l'Union européenne du champ d'application du contrôle du respect des droits de l'homme.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ne nous voilons pas la face. Soyons conscients que le problème est non pas juridique mais politique. L'Union européenne, sous la pression du Parlement européen et de quelques Etats membres, cherche à renforcer son identité. Elle souhaite donc mettre en place son propre cadre juridique, dans tous les domaines, et je pourrais prolonger mon propos en parlant de ce que l'on appelle la « corbeille » des droits fondamentaux réservés aux citoyens de l'Union ou de celle des droits économiques et sociaux.
Il est clair que certains veulent étendre le contenu de la future charte pour aller au-delà d'une simple codification du droit existant et lui donner un caractère contraignant, avec toutes les dérives que cela peut comporter.
Pour ma part, j'ai souhaité centrer mon intervention sur les risques liés à la coexistence de deux juridictions en matière de droits fondamentaux.
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de faire table rase du passé. Il y a deux assemblées européennes mais une seule Europe. Les citoyens n'ont rien à gagner d'une lutte d'influence entre Strasbourg et Luxembourg.
Nous demandons en conséquence que la France mette tout en oeuvre pour clarifier la situation.
L'Union européenne et le Conseil de l'Europe ont des objectifs différents, mais une vision commune. Nous ne devons pas l'oublier. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la délégation du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux en premier lieu remercier M. Hubert Haenel pour la question qu'il a posée aujourd'hui, question qui nous permet de débattre de cette très importante initiative pour l'Europe qu'est le projet de charte des droits fondamentaux.
Il est en effet nécessaire que la représentation nationale, mais aussi, à travers elle, l'opinion publique soient informées de ce projet y apportent leur contribution. Je veux aussi remercier M. Hubert Haenel et Mme Marie-Madeleine Dieulangard pour leur très active participation au sein de la convention, où ils représentent tous les deux le Sénat : je sais l'investissement de temps et d'énergie que requiert cet exercice, et je me réjouis de l'enthousiasme dont ils font preuve l'un et l'autre.
Le débat de ce matin aura été de haute tenue. Il aura permis, j'en suis certain, d'approfondir toute une série de questions importantes pour nos concitoyens.
Avant d'apporter des éléments de réponse aux différentes interrogations soulevées, je voudrais vous livrer les quelques réflexions que m'inspire cette tentative unique, cette « expérience », devrais-je presque dire - M. Haenel a d'ailleurs évoqué l'idée d'un « laboratoire » - qu'est la rédaction d'une charte des droits fondamentaux de l'Union européenne par une enceinte tout à fait spécifique par rapport aux institutions européennes classiques.
M. Fauchon s'est demandé si les dirigeants européens avaient une idée claire lorsqu'ils ont lancé ce processus. Je crois que oui.
Je veux tout d'abord souligner la prise de conscience qu'a révélée le lancement de cet exercice. Il est vrai que l'on pourrait s'interroger sur son bien-fondé, ou peut-être même sur son caractère paradoxal, et ce à deux titres : tout d'abord, quinze Etats membres de l'Union ont incorporé depuis longtemps, chacun en ce qui le concerne - plusieurs orateurs l'ont indiqué - la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans leur droit interne, et ils sont soumis à la juridiction de Strasbourg, à laquelle nous sommes très attachés ; par ailleurs, la Cour de justice des Communautés européennes de Luxembourg a jugé à de nombreuses reprises que le respect des droits fondamentaux faisait partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour de justice assure le respect.
Et pourtant, on est bien obligé de constater que les traités constitutifs des Communautés ne contiennent aucun énoncé des droits et des libertés qui en découlent. Si, en 1953, il fut prévu dans l'avant-projet de « statut » des Communautés européennes que les dispositions du titre Ier de la convention européenne en feraient partie, aucune référence, a fortiori aucune liste des droits fondamentaux, n'a, depuis, été inscrite dans les textes constitutifs des Communautés de l'Union européenne.
Il y a donc, dans ce projet de charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, la volonté clairement politique - M. Delfau a justement insisté sur ce point - de combler là une lacune. Il s'agit en effet, comme l'indiquent clairement les conclusions du Conseil européen de Cologne, d'ancrer l'importance et la portée exceptionnelles de ces droits de façon visible pour les citoyens, et de créer ainsi un texte de référence, un texte identifiant précisément ce qu'est l'Union européenne, y compris dans ses différences avec l'Europe des quarante et un, ses valeurs et, d'une certaine façon, son projet politique.
Le projet de charte des droits fondamentaux lancé par le Conseil européen de Cologne des 3 et 4 juin 1999 répond donc, à mon sens, à ce souci d'affirmer que la Communauté, que l'Union européenne n'est pas seulement un ensemble à vocation économique et financière, mais qu'elle est d'abord une communauté de valeurs, une communauté de civilisations,...
M. Hubert Haenel. Tout à fait !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. ... une communauté au sens fort, c'est-à-dire un lien de rattachement indissoluble, d'adhésion identitaire, qui transcende les tragédies de l'histoire européenne.
Je suis certain que nous nous sentons européens justement parce que nous avons tiré les leçons des crimes qui ont conduit à l'asservissement, à la dégradation, à la négation de la dignité de la personne humaine et non pas seulement parce que l'histoire et la géographie nous ont rassemblés au bout d'un isthme continental. Nous sommes européens parce que nous avons la volonté de vivre une vie commune et que nous partageons certaines valeurs et non pas parce que le hasard nous fait vivre ici ou là en nous contraignant à coopérer dans un grand marché unique, doté maintenant d'une monnaie unique.
Si la méthode de construction graduelle de l'Europe, fonction par fonction - charbon, acier, agriculture, transports - si bien décrite dsns la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950 dont nous venons de célébrer le cinquantième anniversaire, l'a emporté et a conduit à la réalisation des solidarités de fait, il faut aujourd'hui réfléchir à l'identité profonde de l'Union, et ce ne peut être que le produit d'une volonté politique.
On sait aussi - Mme Dieulangard y a justement instisté - que, par une coïncidence malheureuse, hélas ! les événements politiques autrichiens ont mis également en exergue de façon aiguë l'absence d'un référentiel de valeurs au sein de l'Union et ont, je le crois sincèrement, accentué la nécessité d'un tel exercice.
L'autre dimension que je veux souligner brièvement, c'est, bien sûr, le caractère totalement inédit de la méthode retenue. Comme vous l'avez indiqué, monsieur Haenel, c'est la première fois qu'est confié à une enceinte composée en majorité de parlementaires nationaux et européens ainsi qu'à des personnalités représentants les chefs d'Etat et de gouvernement le soin de rédiger un texte qui est appelé à être adopté par les trois institutions que sont : le Parlement européen, la Commission et le Conseil européen.
Cette volonté d'intégrer les parlementaires a été fortement soutenue par la France ; il nous paraissait en effet indispensable, s'agissant des droits fondamentaux, de recourir à un processus d'élaboration associant d'abord les représentants élus des citoyens.
De même, je me réjouis du principe de transparence qui préside aux travaux de la convention, puisque tous les documents et contributions sont disponibles immédiatement sur Internet. On pourra peut-être, à Nice, adopter le premier texte européen on line, la « charte.com », en quelque sorte. En tout cas, la société civile ne s'y est pas trompée et participe pleinement à cette élaboration en ligne.
Cette initiative montre bien, à l'heure où sont engagées les réformes fondamentales des institutions de l'Union dans le cadre de la conférence intergouvernementale, que l'Union doit savoir et sait aussi innover de façon pragmatique.
Il est vrai - je rejoins M. Hubert Haenel sur ce point - que le caractère inédit de la procédure retenue fait peser une sorte d'obligation de réussite sur la convention, si l'on veut que cette démarche soit, demain, reprise dans d'autres circonstances ; mais c'est très certainement ce qui fait aussi tout le piquant de participer à une telle aventure.
J'en viens maintenant aux questions, nombreuses et très précises, qui ont été soulevées ce matin. Je tâcherai d'y apporter des réponses aussi précises que possible, même si certains points n'ont pas encore fait l'objet de décisions définitives au sein du Gouvernement et entre les autorités de l'exécutif, justement parce que nous respectons le travail de la convention, qui est un travail évolutif et conduit de façon intelligente par son président, M. Herzog, et par ses membres.
Je veux, en premier lieu, préciser le calendrier et les modalités d'adoption de cette charte. Comme vous le savez, les conclusions du Conseil européen de Cologne précisent que la convention devra remettre en temps utile le projet de charte pour permettre sa proclamation, lors du Conseil européen qui se tiendra en décembre 2000 à Nice, par les trois institutions principales de l'Union, à savoir la Commission, le Parlement européen et le Conseil.
Le respect de ce calendrier implique que le projet de charte issu de la convention soit présenté lors du Conseil européen informel qui se tiendra à la mi-octobre à Biarritz. Il est indispensable que les Etats membres puissent, dès ce moment-là, vérifier que le projet transmis respecte la « feuille de route » fixée à Cologne. Par définition, le Conseil européen - et je réponds ainsi à la première question de M. Hubert Haenel - pourrait amender le texte, et c'est d'ailleurs son rôle.
Mais je veux me placer volontairement dans une perspective où le texte de la Convention sera si parfaitement lisible, concis et percutant, qu'il ne nécessitera tout au plus que de légères modifications, ce qui n'est pas illogique compte tenu du fait que chaque chef d'Etat ou de Gouvernement a un représentant dans la convention.
J'exclus en tout cas l'hypothèse d'une complète réécriture du projet par le Conseil européen ou, plus encore, par le Parlement européen ; je tiens à souligner, au contraire, toute l'attention que porte le Conseil aux travaux de la convention, puisque la présidence portugaise a souhaité entendre un rapport de M. Herzog lors du Conseil européen qui se tiendra, en juin prochain, à Feira.
J'en viens maintenant aux interrogations relatives au contenu même de la charte.
Tout d'abord, va-t-il s'agir d'une codification du droit existant ou d'une innovation ? Mme Bidard-Reydet, par exemple, s'est demandé si l'on ferait du recopiage du droit existant ou si l'on créerait des droits nouveaux.
Un premier débat, ainsi que l'a rappelé M. Haenel, opposerait les tenants d'une codification stricte à ceux qui souhaitent aller plus loin. Il est certain que, pour le Gouvernement français, il s'agit non pas de créer ex nihilo de nouveaux droits, mais de reprendre largement et d'écrire des principes et des valeurs qui existent déjà soit dans des textes internationaux, soit dans les textes communautaires de « droit primaire » ou de « droit dérivé », soit encore dans les traditions constitutionnelles des Etats membres.
C'est peut-être d'ailleurs sur ce dernier point que le travail, que je qualifierai d'« innovation stylistique », qui sera mené, à la marge, par la convention peut être le plus intéressant.
La charte des droits fondamentaux prévoira-t-elle des droits effectifs ou des objectifs politiques ? Cette question a notamment été soulevée concernant les droits économiques et sociaux, sur lesquels je reviendrai plus tard un peu plus longuement.
Sur ce point, il faut, à mon avis, avoir une lecture souple et volontariste de la « feuille de route » dessinée par les conclusions du Conseil européen de Cologne. Le droit à l'emploi, par exemple, ne saurait être évincé au prétexte qu'il s'apparente plus à un objectif qu'à un droit effectif. C'est ce que font nos amis britanniques mais, pour nous, c'est totalement inacceptable.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Cette conception peut d'ailleurs être aisément contrée si l'on rappelle que l'ensemble des dispositifs mis en oeuvre depuis le traité d'Amsterdam - lignes directrices pour l'emploi, pacte européen pour l'emploi... - ont déjà donné corps, au niveau européen, à ce droit à l'emploi qui ne constitue donc plus seulement un objectif.
J'entrerai maintenant dans ce que l'on peut appeler « le contenu matériel » de la charte, qui est bien sûr, pour le Gouvernement, l'aspect le plus important.
Vous m'avez interrogé, monsieur Haenel, sur l'éventuelle inscription d'un droit des minorités ou, encore, du principe de laïcité. Mme Dieulangard a, quant à elle, indiqué avec précision les droits sociaux qu'elle souhaitait voir figurer dans ce texte.
M. Michel Charasse. C'est très important !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Comme vous le savez, les conditions du Conseil de Cologne ont défini les trois « corbeilles » de droits que doit contenir ce texte, et je sais que la convention s'en tiendra à cette feuille de route.
S'agissant du droit des minorités, le Gouvernement ne peut que s'opposer à une telle inscription, qui est contraire à notre tradition constitutionnelle. Par ailleurs, le traité sur l'Union comporte, en son article 13, le principe général de non-discrimination qui peut permettre, par exemple, la défense de telle ou telle « tradition culturelle », expression que je préférerais à celle de « droit des minorités ».
Sur le principe de laïcité - c'est un autre exemple d'un principe qui n'appartient pas, loin de là, à l'ensemble des traditions constitutionnelles des Etats membres, mais je sais qu'au cours des débats de la convention certains l'ont toutefois évoqué sous le nom de « principe de neutralité » - je ne dissuaderai sûrement pas les membres français de l'enceinte de tenter la chose, mais je ne suis pas certain, et je le regrette, qu'ils obtiendront satisfaction ; en tout cas, ils seront soutenus.
J'en viens maintenant à un sujet essentiel, que M. Masson a présenté à sa façon et sur lequel ont insisté Mme Bidard-Reydet et M. Delfau. Ce sujet constitue le coeur de cette charte pour ceux qui veulent en faire un projet social : je veux parler des droits économiques et sociaux.
Vous le savez, mais je veux le rappeler, cette partie constitue pour nous le coeur de la démarche puisqu'elle souligne le caractère global et équilibré de la charte et qu'elle traduira aussi la réalité du modèle social européen.
Vous le savez aussi bien que moi, les premiers débats ont montré que, sur ces points, les choses n'allaient pas de soi pour tous nos partenaires. Certains pays nordiques et nos amis britanniques s'opposent même clairement à nous sur l'ampleur et la portée de ces droits. Ainsi, le droit de négocier et de conclure des conventions collectives, le droit de grève, mais également l'insertion dans la charte du droit à un salaire minimum sont contestés par certains.
Pour ma part, j'estime qu'il faut au minimum, pour que la charte ait un contenu acceptable pour nous, qu'y figurent une quizaine de droits sociaux essentiels allant du droit au travail et à la protection sociale au droit de grève en passant par le droit syndical ou la garantie d'accès pour tous aux services d'intérêt général, sujet sur lequel M. Delfau a insisté.
Je reprendrai bien volontiers à mon compte ce qui a été dit sur le droit au logement par Mme Dieulangard, ou encore tout ce qui a été dit sur la revalorisation des droits sociaux, notamment syndicaux, par Mme Bidard-Reydet.
Je partage sur ce point l'avis du président Haenel, à savoir que, honnêtement, mieux vaut pas de charte du tout qu'une charte qui serait un ersatz ne comprenant pas ces droits économiques et sociaux.
La présence de droits sociaux dans cette charte consacre par ailleurs une évolution philosophique et juridique, l'unicité des droits fondamentaux. Il est effectivement clair, aujourd'hui, que droits civils, droits politiques, droits économiques et sociaux sont interdépendants. La liberté d'association, de pensée, d'opinion, la liberté syndicale - j'y reviens - la liberté de manifestation ou de négociation sont ainsi intimement liées. C'est l'intérêt, et je dirai même la condition sine qua non d'un tel texte.
En outre, M. Haenel et Mme Dieulangard se sont demandé si d'autres droits, dits nouveaux droits ou droits de troisième génération, pouvaient être intégrés dans le projet de charte. Il s'agit notamment des droits relatifs à la protection de l'environnement, à la bioéthique, ou encore à la transparence administrative.
Ces questions sont importantes pour nos concitoyens et le président Herzog semble lui-même - je parle sous votre contrôle, monsieur Haenel - favorable à leur intégration.
M. Hubert Haenel. Tout à fait !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Il est certain que c'est également à travers l'inscription de tels droits que la valeur ajoutée de cette charte se confirmera. J'ai donc une attitude ouverte à l'égard de ces propositions, à la condition expresse, je le répète, qu'aucun de ces droits ne constitue une création ex nihilo. Un droit énoncé doit forcément se rattacher à un texte existant, soit à un texte international ratifié par les Quinze, soit à telle ou telle tradition constitutionnelle partagée par tous les Etats membres.
Enfin, s'agissant de l'idée de « devoirs » ou de « responsabilités » que M. Fauchon à défendue avec son éloquence coutumière, je ne peux que confirmer que j'y suis, pour ma part, très favorable.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. La citoyenneté, bien sûr, mais plus généralement l'appartenance à une société exigent que chacun soit aussi conscient de ce que l'on attend de lui.
Je renvoie cette question à la convention et je suis certain que Guy Braibant, même s'il a pu être perçu comme « taisant », ou « taiseux », a été dûment sensibilisé par M. Haenel et a appliqué à ce sujet le principe selon lequel « qui ne dit mot consent ». (M. Haenel sourit.) Je crois en tout cas que c'est ainsi qu'il faut interpréter ce silence.
J'en reviens à une question fondamentale posée par beaucoup d'entre vous, notamment par M. Masson, chez lequel j'ai cru ressentir une légère hostilité, et par Mme Dieulangard, qui y est au contraire très favorable : je veux parler de la valeur contraignante ou non de la charte.
Vous connaissez ma position. Elle a été critiquée mezzo voce par M. Hoeffel, mais, pour ma part, j'assume ce que j'ai dit auparavant. Outre le fait que les conclusions de Cologne sont particulièrement claires et qu'il est difficile pour la France, qui assurera la présidence de l'Union, de préempter aujourd'hui un tel débat, il me paraît de bon sens d'attendre de connaître le projet rédigé par la convention pour nous interroger sur une éventuelle valeur contraignante de cette charte. J'attends donc de voir ce qu'il en sera avant de me prononcer.
Plus ce texte sera percutant, fort, concis, lisible, accessible à nos concitoyens, plus la question de sa valeur juridique et de son éventuelle insertion dans les traités sera pertinente, et je me refuse de poser cette question par principe.
Je redis à M. Masson que tel n'est effectivement pas notre objectif premier. Mais il est tout aussi vrai que des réflexions sont menées par le Gouvernement et par le Président de la République dans l'hypothèse où la qualité de ce texte serait suffisante. A ce stade, l'une des solutions envisageables serait son intégration par voie de protocole, mais nous verrons bien en fonction des travaux.
A ce titre, je rappelle que nous ne sommes pas seuls dans cette affaire et que conférer un caractère contraignant à ce texte poserait à certains de nos partenaires des difficultés particulières. Je pense notamment au Danemark, pour lequel une telle option entraînerait nécessairement l'organisation d'un référendum, ce qui n'est jamais simple sur les questions européennes. Et, pour d'autres pays aussi, se poseraient certainement des questions constitutionnelles.
En tout cas, soyez sûr, monsieur Haenel, que le Président de la République et le Premier ministre, qui siègent ensemble au Conseil européen, ont à coeur de traiter cette question.
Notre objectif est donc de disposer du meilleur texte possible lors du Conseil européen de Nice, qui conclura notre présidence. Au demeurant, il me semble que la ligne choisie par le président Herzog est la bonne : il a fait le choix de conduire les travaux de rédaction du projet de charte comme si celle-ci devait être un jour contraignante. C'est sans doute la meilleure solution, et je vous fais toute confiance pour parvenir à un résultat probant.
Sans préjuger la valeur juridique qui sera finalement conférée à la charte, je veux néanmoins traiter rapidement quelques interrogations juridiques que soulève l'existence même de ce texte.
M. Hoeffel et M. Bordas se sont faits les avocats éloquents du Conseil de l'Europe. Il a souvent été avancé - parfois sous forme critique, reconnaissons-le - que le projet de charte constituerait une sorte de « doublon » de la convention européenne des droits de l'homme, risquant ainsi d'entraîner une confusion aux yeux des citoyens, voire d'être à l'origine d'une « Europe des droits de l'homme à deux vitesses ». Telle est bien, en substance, la thèse que vous avez défendue.
J'essaie d'évaluer avec sérieux un tel risque. En termes de contenu, tout d'abord, la charte constituera un texte plus global - plus approfondi aussi, j'espère - que la convention européenne des droits de l'homme, puisqu'elle doit non seulement contenir les droits civiques et politiques tels qu'on peut les trouver dans la convention, mais aussi les droits inhérents à la citoyenneté européenne ainsi que les fameux droits économiques et sociaux dont nous parlions à l'instant.
Ce projet a donc, pour moi, sa légitimité propre, ainsi que l'ont d'ailleurs reconnu les membres de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe dans leur résolution relative à la charte.
S'agissant du risque de confusion, ou même d'une éventuelle concurrence entre la Cour du Luxembourg et la Cour de Strasbourg - risque que je ne méconnais pas et que je ne sous-estime pas - il est certain que, lorsque la charte reprend des droits directement issus de la convention, elle doit veiller - et elle y veille - à adopter la formulation la plus proche possible de celle-ci et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme afin d'assurer la plus grande sécurité juridique, ce qui est notre préoccupation commune.
Un autre élément doit permettre, me semble-t-il, de réduire les inquiétudes : la charte concernera d'abord les institutions de l'Union, conformément aux conclusions de Cologne, et, de ce point de vue, les partisans des droits de l'homme que nous sommes tous ici ne peuvent que se réjouir, car cette initiative comble un vide, la Communauté européenne en tant que telle n'étant pas justiciable - et nous souhaitons que cela demeure ainsi - de la Cour européenne des droits de l'homme.
La Cour de justice des Communautés européennes a déjà la faculté de recourir, pour élaborer sa jurisprudence, aux principes contenus dans la convention, aux termes de l'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union.
La charte devrait donc, au contraire des craintes qui ont pu apparaître et que, encore une fois, je ne sous-estime pas, aller dans le sens d'une plus grande sûreté juridique puisque, d'une certaine façon, elle donnera une traduction précise et écrite - et non pas abandonnée à la seule jurisprudence - de ce fameux article 6.
C'est pourquoi - et cela découle, je crois, de tout ce que je viens de dire - je veux rappeler notre opposition à l'adhésion de l'Union à la convention européenne des droits de l'homme. En effet, outre le fait que nous refusons une subordination juridique de l'Union à la Cour européenne de Strasbourg, j'attire votre attention sur le fait qu'au-delà de cette subordination juridique l'adhésion risquerait d'être perçue comme une subordination politique de l'Europe des quinze à l'Europe des quarante et un.
En tout état de cause, une adhésion ne saurait être considérée comme répondant de façon satisfaisante aux objectifs assignés à la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, puisque la convention européenne des droits de l'homme, je le rappelle, ne comprend aucun droit social.
Je tiens à insister sur la différence de nature non pas entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne, mais entre les deux cours, puisque la Cour européenne de Strasbourg est composée de quarante et un juges - qui ont autant de traditions juridiques différentes - ce qui pose certains problèmes de sûreté. Mais nous veillons très attentivement à la correspondance des jurisprudences des deux cours.
Je veux enfin répondre à la question du M. Haenel relative au champ d'application de la charte, et plus précisément au sort réservé aux actes des Etats membres pris en application du droit communautaire.
Je souhaite d'abord vous indiquer, monsieur Haenel, qu'en posant cette question vous vous placez dans l'hypothèse d'une charte à laquelle aurait été donnée une valeur contraignante. Soit ! Mais, dans cette hypothèse, il est aussi clair, à mon sens, qu'il ne s'agira pas nécessairement d'appliquer les règles de procédure habituelles, et notamment le droit de « gardien » des textes reconnu par les traités à la seule Commission européenne.
Mais je dois dire que, même si le Conseil européen décide que la charte ne sera pas formellement contraignante, il ne me paraîtrait néanmoins pas choquant que la Cour de justice des Communautés européennes fasse référence ou s'inspire de la charte des droits fondamentaux, comme elle le fait déjà, au fond, de façon « jurisprudentielle », en application de l'article 6 du traité, lorsqu'elle est amenée à juger de dispositions nationales prises en application du droit communautaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, alors que nous venons de célébrer, le 9 mai dernier, le cinquantième anniversaire de la déclaration de Robert Schuman, il me paraît essentiel de rappeler que la construction européenne répond d'abord à une exigence morale et politique : asseoir définitivement sur notre continent tant de fois meurtri la paix, la démocratie et la liberté. Cinquante ans après cette déclaration, au moment où l'Europe rencontre de formidables succès mais s'interroge en même temps sur son avenir, il est important qu'un texte fort rappelle ce que sont les valeurs essentielles sur lesquelles se fonde ce modèle européen. C'est en tout cas, pour moi, le sens premier que revêt la rédaction de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Quoi qu'il en soit, il me paraît certain, pour reprendre les propos de M. Haenel, que, si cette initiative réussit, elle constituera un indéniable et considérable succès pour l'Europe, pour les citoyens, mais aussi pour les parlements. En revanche, si, hélas ! nous échouons - et je rejoins encore une fois M. Haenel, il serait alors difficile de ne pas en tirer quelques conclusions quant à l'avenir de l'Europe politique. Toutefois, j'ai bien compris que les propos de M. Haenel représentaient une mise en garde s'agissant de la méthode, une impulsion,...
M. Hubert Haenel. Un aiguillon ! (Sourires.)
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. ... un aiguillon, et ne reflétaient pas un manque de confiance. Je partage totalement son optimisme.
En elle-même, cette charte ne résout pas tous les problèmes. Très prochainement, se tiendra ici même le débat sur les objectifs de la présidence française, à l'image de celui qui a eu lieu le 9 mai dernier devant l'Assemblée nationale. La charte est l'un des aspects de l'Europe politique, de même que la réforme des institutions et la construction de l'Europe de la défense. Ce sont là des éléments constitutifs du projet que nous voulons mettre en oeuvre pour l'Europe, un projet social, un projet politique, un projet, encore une fois, de civilisation.
La charte sera-t-elle une Constitution ? Ce débat sur l'avenir de l'Europe, que nous reprendrons, si vous le voulez bien, le 16 mai prochain et qui a été illustré de façon brillante à l'Assemblée nationale, par exemple par M. Giscard d'Estaing, par M. Juppé, par M. Hue ou par M. le Premier ministre, est devant nous. Quant à la Constitution, nous verrons bien ! Je n'y suis pas opposé par principe, mais cela ne se fera en tout cas pas sans Constituants ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Je constate que le débat est clos.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

3

QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, je vous informe que M. le président du Sénat ne peut participer aujourd'hui à notre séance de questions d'actualité, car il est en ce moment même à Clermont-Ferrand, où il doit présider les états généraux des élus locaux d'Auvergne consacrés à l'aménagement du territoire.
Conformément à la règle posée par la conférence des présidents, je rappelle que l'auteur et le ministre disposent chacun de deux minutes trente.
Chaque intervenant aura à coeur de respecter le temps qui lui est imparti, afin que toutes les questions et toutes les réponses puissent bénéficier de la retransmission télévisée.

RAPPROCHEMENT
RENAULT VÉHICULES INDUSTRIELS-VOLVO

M. le président. La parole est à M. Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, Renault et Volvo ont rendu public un accord dans le secteur du poids lourd, accord par lequel le constructeur français cède sa branche véhicules industriels, hors autobus et autocars, au groupe suédois, dont il deviendra, en deux étapes, le principal actionnaire, avec 20 % du capital.
Cet accord présente le grand intérêt de rapprocher deux constructeurs dont les marchés sont complémentaires, en particulier en Europe, pour construire un ensemble qui se hissera ainsi au deuxième rang mondial du secteur.
Cela dit, cet accord suscite trois séries d'interrogations.
Premièrement, la valorisation de Renault véhicules industriels, RVI, est-elle suffisante dans cet accord ?
Deuxièmement, quelle est la stratégie de Renault dans le secteur du poids lourd, de l'autobus et de l'autocar ?
Ce désengagement partiel du secteur du poids lourd est-il une première étape avant la sortie définitive de Renault de ce secteur d'activités ?
En outre, quel sera le sort d'Irisbus, filiale commune à parité d'Iveco et de RVI, créée dans les autobus et les autocars ? Renault veut-il céder sa participation à Iveco, avec pour conséquence un risque certain de délocalisation des productions des sites d'Annonay et de Rorthais vers d'autres usines du groupe Irisbus, notamment en Italie, en République tchèque et en Hongrie ?
La troisième série de questions porte sur la préservation de l'emploi et les conditions de travail des salariés de RVI. Cela suppose le maintien en France d'un outil de production moderne et puissant dans les secteurs du poids lourd, du bus et du car, c'est-à-dire d'unités de recherche et de développement et d'unités de production dans la fonderie et l'emboutissage.
L'Etat étant le premier actionnaire de Renault, avec 44 % du capital, le Gouvernement peut-il apporter les garanties suivantes : d'abord, le maintien durable de la présence de Renault dans les secteurs du poids lourd, du bus et du car et, ensuite, un engagement sans équivoque de Renault et de Volvo à pérenniser en France un outil de production moderne et puissant dans les trois secteurs d'activités précités ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie des réponses que vous voudrez bien apporter à ces interrogations. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le sénateur, comme vous l'avez souligné à juste titre, le projet de partenariat entre Renault et Volvo permet de rapprocher deux constructeurs dont les marchés sont complémentaires et qui devraient pouvoir constituer ainsi le deuxième groupe mondial en matière de poids lourds.
Vous posez, à juste titre, la question de la valorisation de RVI. Les analystes financiers ont récemment considéré que cette valorisation était tout à fait correcte du fait de la participation que Renault acquiert en contrepartie dans Volvo, entreprise suédoise en très bonne situation financière. Par ailleurs, l'Etat, vous le savez, ne manque jamais de surveiller attentivement ses intérêts patrimoniaux.
Cela étant, le Gouvernement veut aussi que cette opération se fasse sur une base industrielle et non pas sur une base exclusivement financière. Cela suppose que soient respectés l'emploi et l'identité des constructeurs, notamment les marques et la capacité technique et technologique de Renault.
Le fait que Renault puisse acquérir 5 % supplémentaires du capital de Volvo, au-delà des 15 % prévus par l'accord, est le signe concret que cette opération constitue un investissement de long terme.
Quant à la filiale Irisbus, elle n'est pas intégrée dans le partenariat Renault-Volvo, mais Renault doit apporter, à nos yeux, des garanties sur la pérennité de ses activités industrielles et sur les emplois correspondants. Nous y veillerons, comme nous veillerons au devenir, s'agissant notamment de l'emploi, des sites fusionnés avec Volvo.
Comme vous le soulignez - et ce sera ma conclusion - l'emploi doit en effet être au coeur de notre approche. Renault a garanti, à la suite de l'accord avec Volvo, que l'emploi chez RVI serait maintenu et qu'il n'y aurait pas de changement de statut des salariés. En outre, Volvo et RVI conserveront leur identité - je l'ai dit -, leurs marques et leurs sites de montage respectifs.
Soyez assuré que les engagements que Renault a pris à cet égard, qui sont de toute façon placés sous le contrôle des organes de consultation du personnel, feront l'objet, au jour le jour, d'une extrême vigilance de notre part. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

PRIX ET QUALITÉ D'ACCÈS À INTERNET

M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, l'adaptation de notre économie aux exigences de la société de l'information est un enjeu crucial pour l'avenir de notre pays. Le Président de la République l'a d'ailleurs clairement rappelé récemment.
Vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, n'avez-vous pas reconnu, au mois de novembre dernier, que, pour développer rapidement une offre d'accès à haut débit au réseau Internet, il convenait de permettre aux concurrents de France Télécom de proposer de tels services sur le réseau téléphonique local et d'autoriser ainsi le « dégroupage » ?
Cette fois, le geste semblait, enfin, devoir être joint à la parole ! Le Gouvernement n'avait-il pas déposé à l'Assemblée nationale, le 25 avril dernier, un amendement ayant cet objet lors de la discussion du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, qui viendra bientôt en discussion devant notre Haute Assemblée ?
Nous commencions à y croire !
Eh bien, mes chers collègues, nous avions tort. Le lendemain même de son dépôt, cet amendement gouvernemental était retiré !
Certes, le retrait précipité de réformes longuement annoncées semble être devenu, ces derniers temps, la forme la plus courante de l'action gouvernementale ! (Protestations sur les travées socialistes.) Dans le domaine des télécommunications, cela tend même à devenir une habitude.
M. René-Pierre Signé. Et la dissolution !
M. Gérard Larcher. Le Gouvernement ne vient-il pas de laisser entendre qu'il pourrait mettre aux enchères les licences de la troisième génération de téléphonie mobile, les licences UMTS, moins de cinq mois après avoir fait savoir qu'il excluait une telle solution, qui, d'ailleurs, peut se révéler extrêmement préjudiciable à l'intérêt national et aux entreprises nationales ?
M. René-Pierre Signé. Tu parles !
M. Gérard Larcher. Mais la palinodie sur le dégroupage, elle, risque non seulement d'entraver le développement de l'Internet rapide en France, mais, surtout, de le réserver aux nantis de la géographie et du revenu,...
M. René-Pierre Signé. Rambouillet !
M. Gérard Larcher. ... car les autres technologies ne pourront pas couvrir toutes les zones du territoire et seront rarement à des prix abordables, notamment pour les petites et moyennes entreprises et les particuliers. Ainsi s'annonce une belle politique sociale et d'aménagement du territoire !
Aussi souhaiterais-je savoir quelles sont les raisons qui ont conduit le Gouvernement à retirer son amendement n° 618 sur le dégroupage.
J'apprécierais également de savoir ce que le Gouvernement envisage désormais de faire pour assurer de manière fiable l'ouverture de la boucle locale à l'Internet rapide pour le début de l'an prochain, ainsi qu'il s'y était engagé. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le sénateur, la tarification d'Internet est, en effet, une question légitime pour les internautes.
Le Gouvernement souhaite - c'est une ligne de conduite intangible - pratiquer ou faire pratiquer les prix les plus bas possible, dans le respect, évidemment, du droit de la concurrence.
Pour l'accès par le réseau téléphonique, qui est une des solutions, et qui est encore la solution la plus courante, les tarifs d'accès à Internet ont considérablement baissé. La France se trouve, d'ailleurs, parmi les pays européens les moins chers.
Aujourd'hui, nous avons devant nous le nouveau défi qui fait l'objet de votre question : Internet à haut débit.
Différentes technologies pour le haut débit sont possibles : les réseaux câblés - ils sont utilisés -, la boucle locale par radio - qui va démarrer, je l'annonce au Sénat, à l'automne prochain -, les technologies par satellite, notamment Skybridge, en 2003-2004, l'UMTS, nouvelle norme de transmission technologique, et l'ADSL, qui sera bientôt accessible sur 80 % des lignes téléphoniques.
Cette technologie d'Internet rapide doit se développer dans un cadre concurrentiel, pour accélérer son développement et sa diffusion. Elle doit aussi - vous l'avez souligné, et je vous rejoins - se pratiquer dans un souci d'égalité : égalité des entreprises petites et grandes, égalité des territoires et des particuliers.
L'ADSL doit être accessible à tous sans discrimination. Pour cela, le Gouvernement souhaite mettre en oeuvre le dégroupage de la boucle locale téléphonique. C'est une affirmation que je réitère devant le Sénat.
La discussion du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques à l'Assemblée nationale n'a pas permis de mener à bien cette transformation de notre ordre juridique ; mais le Gouvernement n'entend pas pour autant renoncer au dégroupage de la boucle locale.
M. Gérard Larcher. C'est le Sénat qui le fera !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Il assume ses responsabilités, qui sont de moderniser notre pays et d'en faire un champion européen des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Notre volonté - j'en termine par là - c'est de faire évoluer, d'ici au début de 2001, comme nous y invite d'ailleurs, dans une recommandation, l'Union européenne, la réglementation des télécommunications, en favorisant l'innovation, l'investissement et l'accès de tous - j'y insiste - à Internet. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean Chérioux. Et sur le retrait de l'amendement ?

ÉVOLUTION DE LA DÉCENTRALISATION

M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Ma question s'adressait à M. le Premier ministre. Mais, puisque M. le ministre de l'intérieur a récupéré la décentralisation, j'imagine qu'il est plus qualifié que jamais pour me répondre.
Ma question se veut surtout l'expression du désarroi des responsables des collectivités locales, dont nous sommes, ici, les représentants constitutionnels.
Le Gouvernement, comme M. le Premier ministre, a une haute idée du fait de gouverner.
Il se sent en charge de la cohésion sociale de la nation, de l'efficacité de son économie, de l'aménagement et de l'équipement de son territoire, sans parler, bien entendu, des pouvoirs régaliens de l'Etat que sont la diplomatie, la défense, la protection des citoyens et la justice, qu'il gère selon ses conceptions.
Pour assurer la gestion des premiers domaines dont j'ai parlé, les collectivités locales, responsables et, par définition, au contact du terrain, ont leur rôle à jouer, parfois prééminent, ne serait-ce qu'en termes d'investissement public.
Mais comment se fait-il qu'elles se voient aujourd'hui, et en même temps, confier de plus en plus de missions nouvelles - elles ne demandent d'ailleurs bien souvent qu'à les assumer - et encadrées de plus en plus près - c'est là où le bât commence à blesser - jusqu'à la substitution des représentants de l'Etat à leur pouvoir propre, aussi bien dans leurs missions anciennes que dans les nouvelles ?
Comment se fait-il aussi qu'elles se voient imposer une triple évolution constante de leurs finances.
La première est une diminution de leur autonomie fiscale, toujours compensée, ou presque, la première année, mais avec une évolution de la compensation qui les décroche chaque jour un peu plus du bénéfice de la croissance ? Que dire, d'ailleurs, de celles qui, de plus, nouvelles dans leur existence en tant que collectivités territoriales, ou au moins en tant qu'établissement public de coopération intercommunale, n'auront jamais de référence sur la part salaire de la taxe professionnelle ? Vous savez à peu près de quoi je veux parler !
La deuxième évolution, c'est l'introduction, au sein de la DGF, qui devrait être neutre, de plus en plus de considérants d'affectation, qui canalisent leur action, nolens volens, vers des objectifs que prédécide l'Etat.
Enfin, troisième évolution, les collectivités locales se voient appliquer, pour le calcul des dotations de compensation des charges de leurs nouvelles missions, un système au moins aussi mauvais que celui dont je parlais à propos de la suppression de certains impôts locaux.
Nous nous félicitons tous de l'existence de la commission présidée par un de nos anciens premiers ministres, notre éminent collègue Pierre Mauroy. Mais n'est-il pas contradictoire de la pousser à proposer plus de décentralisation, tout en resserrant les marges de manoeuvre des collectivités locales et, en tout premier lieu, leur marge financière, ce qui revient à recentraliser ?
Quelle est, monsieur le ministre de l'intérieur, la véritable voie qu'entend suivre le Gouvernement ? (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, effectivement, je m'exprime en tant que ministre chargé de la décentralisation, vous l'avez noté, et je le fais avec d'autant de coeur que je suis absolument convaincu qu'en l'espace de trois ans nous avons approfondi celle-ci ; la loi que vous avez fini par voter sur l'intercommunalité, que le Sénat, dans son immense majorité, a votée est un grand pas dans cette direction ; cette réforme de l'intercommunalité fait bouger toute notre carte territoriale, et vous le savez bien.
C'est tout de même en rupture avec les orientations précédentes, monsieur Girod, que le Gouvernement a conclu en 1997 avec les collectivités locales un contrat de croissance et de solidarité qui, pour la première fois, les faisait bénéficier d'une indexation sur la croissance, indexation qui est allée elle-même en croissant : 25 %, 30 % et 33 %.
C'est ainsi que les collectivités locales ont pu être associées à de nouvelles politiques publiques : les emplois-jeunes financés à 80 % par l'Etat, les contrats locaux de sécurité, domaine où, généralement, on ne leur demandait pas leur avis. Sur les polices municipales, après accord de la commission mixte paritaire, nous avons adopté une loi qui a finalement réuni toutes les femmes et tous les hommes de bon sens, et ils sont nombreux, sur tous les bancs.
J'ajoute que la réforme de l'intercommunalité que je mentionnais tout à l'heure a été financée non pas, comme précédemment, sur la dotation globale de fonctionnement, mais à partir d'une dotation spéciale de 500 millions de francs, qui s'est révélée insuffisante compte tenu du succès remarquable de cette loi - ce dont on ne peut quand même pas se plaindre ! Je vous fais observer que nous avons abondé cette dotation de 500 millions de francs d'un crédit de 250 millions de francs dans le collectif budgétaire actuellement en discussion.
Enfin, dois-je vous rappeler que les contrats de plan Etat-région ont été dotés de 120 milliards de francs, sans parler de tous les projets hors contrats de plan, pour 20 ou 30 milliards de francs - je ne me souviens plus très bien - c'est-à-dire des chiffres tout à fait importants et qui élargissent la marge des collectivités locales ?
Je mentionne au passage la suppression des financements croisés de l'aide sociale, la baisse de la taxe d'habitation...
M. le président. Monsieur le ministre, je vous prie de conclure.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je conclurai sur ce point.
Quand on regarde les choses sur les cinq dernières années, 1994-1999, on constate que les bases de la taxe d'habitation pour les régions n'ont pas augmenté plus vite que la DGF indexée sur la moitié du PIB : 11,35 % par rapport à 11,50 %. Vous le savez très bien, l'indexation sur le PIB va faire que la dotation globale de fonctionnement augmentera l'an prochain de 3 %.
Il n'est donc pas exact de dire que les collectivités locales sont sanctionnées.
J'aurai l'occasion de revenir sur tous ces sujets puisqu'une seconde question pointe à l'horizon.
Je me réjouis quand même, monsieur Girod, de constater que vous-même et un certain nombre de vos collègues, qui n'avez pas voté les lois de décentralisation présentées par Gaston Defferre, non plus que la loi sur l'administration locale de la République, vous êtes aujourd'hui convertis au principe d'une décentralisation plus poussée, dont vous trouverez toujours en moi l'avocat, dans le respect, bien sûr, des exigences de la cohésion nationale. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

TAUX DE CHANGE DE L'EURO

M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et porte sur l'euro.
Depuis son lancement en janvier 1999, l'euro a enregistré une baisse de près de 20 % par rapport au dollar et de 25 % par rapport au yen.
De plus, une statistique récente nous apprend que la monnaie unique ne représente que 1,69 % environ de l'ensemble des transactions enregistrées en France. Payer un chèque en euros relève presque de l'exploit, monsieur le ministre, et j'en parle en connaissance de cause !
Ces deux faits viennent apporter un cinglant démenti aux discours exaltés et aux promesses des « eurobéats ». Hier encore, contre tout bon sens économique et politique, ils nous assenaient que seul un euro fort pourrait assurer les conditions de la prospérité économique et d'une décrue du chômage.
Selon ces mêmes « spécialistes » - qui, au demeurant, se font aujourd'hui bien discrets - avec l'indépendance de la Banque centrale européenne, les marchés financiers européens allaient susciter un immense engouement permettant de financer à bon compte les économies de ce que certains appellent l'Euroland. La puissance politique de l'Europe serait la cerise sur le gâteau !
Or, aujourd'hui, l'euro est faible, et tout le monde, à commencer par les chefs d'entreprise et les salariés européens, s'en réjouit.
Dopées par une parité plus réaliste avec le dollar et le yen, les économies européennes retrouvent le chemin de la croissance et les salariés celui de l'emploi. Ce constat m'amène à formuler trois remarques et à vous interroger sur les initiatives que le Gouvernement compte prendre alors même qu'il s'apprête à assumer la présidence de l'Union européenne.
Les sérieuses difficultés dans lesquelles se trouvent aujourd'hui l'euro soulignent, selon moi, son caractère prématuré et la nécessité de le remplacer par une monnaie commune. Celle-ci aurait l'avantage de donner une réalité à l'Europe à l'étranger et de permettre une souplesse monétaire et budgétaire au sein même des économies européennes : des monnaies nationales au service du développement économique et de l'emploi, et non une monnaie unique forte au profit des spéculateurs et des rentiers.
Ma seconde observation porte sur l'urgence d'une réforme des statuts de la Banque centrale européenne.
M. le président. Monsieur Loridant, je vous prie de conclure.
M. Paul Loridant. Je termine, monsieur le président.
A plusieurs reprises, en effet, la BCE a tenté sans succès de soutenir l'euro en relevant les taux d'intérêt, au risque de casser la reprise économique.
Entendez-vous promouvoir l'idée d'une révision des statuts de la BCE qui viserait à lui imposer des objectifs de plein emploi, comme c'est le cas aux Etats-Unis ?
Enfin, conséquence directe de cette remarque, quelles initiatives comptez-vous prendre afin de donner une réalité au pilotage politique de l'euro, qui, de l'aveu général, est encore aujourd'hui une fiction, ce qui explique en partie la sévère sanction de l'euro par les marchés ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le sénateur, je voudrais faire avec vous un constat, risquer deux ou trois points d'analyse et proposer les solutions que la dernière partie de votre question appelle.
Le constat c'est que, en effet, l'euro continue à évoluer autour de 0,90 dollar des Etats-Unis, c'est-à-dire loin de son cours d'origine.
L'analyse, c'est qu'il est plus important, vous en conviendrez avec moi, de parler de la stabilité de l'euro que de son niveau. C'est la stabilité du taux de change qui est indispensable pour bâtir un socle de confiance qui soit favorable à l'investissement, favorable à la croissance et donc, finalement - c'est notre objectif commun - favorable à l'emploi.
Nous avons donc besoin d'un euro stable. De ce point de vue, si les « euro-fondamentaux », comme on dit, sont bons - je songe à l'emploi, au produit intérieur brut, à l'investissement, aux prix, aux excédents du commerce extérieur - la situation, vous l'avez dit, n'est globalement pas satisfaisante.
Selon le FMI, la croissance de la zone euro en 2001 sera la plus forte du G3. Que manque-t-il à l'euro, ou plutôt que manque-t-il à l'Europe pour que l'euro regagne sa force potentielle ?
Il y a un certain nombre de solutions. Le Premier ministre, Lionel Jospin, les a évoquées il y a quelques jours à l'Assemblée nationale.
Une Europe plus forte a besoin d'un euro stable et qui tienne bon. En réalité - je renverse la proposition - un euro fort a besoin d'une Europe forte. D'où les solutions : renforcer l'euro-11 et le rôle de son président, assurer une meilleure continuité de la présidence de cette instance et renforcer, accélérer la construction, faire tout pour que naisse une véritable Europe politique, car c'est de là que part le vrai problème et c'est de là que peuvent venir les vraies solutions. En un mot, il nous faut un euro de confiance, un euro de croissance et un euro de puissance, celle de l'Europe. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

STATUT DE STRASBOURG
COMME SIÈGE DU PARLEMENT EUROPÉEN

M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
Dès la création du Parlement européen, son siège a été fixé à Strasbourg. Le traité d'Amsterdam l'a confirmé.
Le choix de Strasbourg a été, au lendemain de la guerre, fondé sur le symbole fort de la réconciliation et de la paix que représentait cette ville.
Aujourd'hui, des problèmes d'ordre pratique - et les liaisons aériennes ne sont pas seules en cause ! - prennent le dessus. Ils alimentent la critique de ceux qui tentent de mettre en cause les décisions du passé, en dépit des efforts importants consentis conjointement par l'Etat et par les collectivités locales alsaciennes.
Quelles sont, monsieur le ministre, les dispositions que compte prendre le Gouvernement français pour conforter le siège de Strasbourg, tant au niveau des décisions à prendre par l'Union européenne que grâce à des initiatives concrètes améliorant l'accessibilité et les conditions d'accueil de la ville ?
Compte tenu de l'évolution de la situation, des signaux forts s'imposent rapidement car il y a urgence. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur Hoeffel, notre pays, le Gouvernement sont très attachés au statut européen de Strasbourg et il y va effectivement de la symbolique de réconciliation et de paix, dans la droite ligne de la déclaration de Robert Schuman, dont nous fêtons l'anniversaire.
Vous savez que, depuis toujours, les autorités françaises soutiennent l'ancrage du Parlement européen à Strasbourg. Vous avez rappelé les différentes étapes : d'abord Edimbourg ; ensuite, l'arrêt de la Cour de justice, en octobre 1997, qui validait cette obligation pour le Parlement européen ; enfin, la fixation officielle - claire et définitive - dans le traité d'Amsterdam du siège du Parlement européen à Strasbourg.
Par conséquent, la situation est parfaitement assurée sur le plan juridique : Strasbourg est le siège officiel du Parlement européen, où se tiennent ses douze sessions plénières ; je ne cesse de le répéter aux parlementaires européens. J'étais d'ailleurs à Bruxelles largement pour cela.
Afin de faire vivre ce siège et de lui donner une réalité physique, il a été décidé de construire un immeuble propre au Parlement européen, contenant notamment un hémicycle et toutes les facilités pour les députés. Il a été inauguré le 14 décembre dernier par le Président de la République.
Reste - et, vous l'avez dit, c'est l'essentiel - la question de l'accessibilité aérienne et terrestre de Strasbourg.
Nous n'ignorons pas les difficultés que rencontrent certains parlementaires pour rejoindre le Parlement lors des sessions plénières. Quand ce gouvernement a pris ses fonctions, l'Etat finançait, durant les sessions, des vols spéciaux - presque toujours vides, hélas ! et systématiquement en retard - entre Strasbourg et les principales capitales européennes.
Sur proposition des collectivités locales alsaciennes, représentées par la chambre de commerce et d'industrie du Bas-Rhin, nous avons fait évoluer ce système, qui n'était d'ailleurs plus conforme aux règles en vigueur. Nous nous sommes donc concentrés sur les liaisons les plus difficiles, la plupart des capitales européennes étant déjà desservies commercialement. Malgré des appels d'offres successifs, seules, hélas ! les liaisons vers Copenhague, Milan et Vienne ont pu être attribuées à des compagnies aériennes et bénéficier des subventions de l'Etat, Lisbonne et Dublin ne trouvant aucun preneur.
Ce système ne donne toujours pas satisfaction à certaines parlementaires.
Aussi ai-je décidé, en liaison avec la présidence du Parlement européen et les collectivités locales, d'adresser dès la semaine prochaine un questionnaire à l'ensemble des parlementaires européens afin de mieux connaître leurs besoins réels et d'en tenir compte pour préparer, à l'automne, le renouvellement du schéma actuel de desserte aérienne.
Parallèlement, avec le ministre des transports, Jean-Claude Gayssot, nous travaillons à la mise en réseau des aéroports voisins de Strasbourg, notamment ceux de Stuttgart, Francfort, Sollingen et Bâle-Mulhouse.
Nous pensons aussi rendre moins contraignantes les règles militaires qui s'appliquent au trafic aérien dans cette partie Nord-Est de la France.
Nous songeons à l'avancement du TGV-Est.
Enfin, je n'oublie pas le contrat triennal « Strasbourg, capitale européenne ».
La mobilisation de l'ensemble des collectivités locales - et je sais pouvoir compter sur vous - reste, à cet égard, indispensable à notre action. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Hoeffel applaudit également.)

MISE EN CAUSE DU CHEF DE L'ÉTAT
PAR LE JOURNALISTE TUNISIEN TAOUFIK BEN BRICK

M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Ma question s'adressait à M. Védrine, ministre des affaires étrangères. Je regrette qu'il ne soit pas là, parce qu'il est directement concerné par le problème que je vais soulever. Je suis cependant ravi que M. Moscovici réponde à sa place.
De tous temps, la France a été une terre d'accueil et de refuge pour tous ceux qui ont quitté leur pays parce qu'ils considéraient que les droits de l'homme y étaient bafoués, voire parce qu'ils y vivaient des situations plus graves.
De tous temps, cet accueil s'est accompagné d'un certain nombre de règles.
La première de ces règles, c'est que nous demandons à ceux que nous accueillons de ne pas profiter de cette invitation sur notre territoire pour faire de la politique à l'encontre du pays qu'ils viennent de quitter.
Il existe une autre règle, qui ne figure nulle part mais qui va se soi : le moins que l'on puisse attendre de quelqu'un qui vient sur notre territoire, c'est qu'il n'insulte pas le Président de la République. Or, c'est ce que M. Taoufik Ben Brick vient de faire, à peine arrivé sur le sol français.
Je rappelle que M. Ben Brick est ce journaliste tunisien qui a fait quatre semaines de grève de la faim pour obtenir un passeport, la liberté de circuler dans son pays et le rétablissement de sa ligne de téléphone. Il a obtenu satisfaction sur tous les points, et ce, dans une certaine mesure, grâce au Quai-d'Orsay et à l'Elysée.
M. Védrine est même allé plus loin, puisqu'il lui a accordé un visa, en précisant que c'était pour des raisons humanitaires. Mais, à mon avis, M. Védrine savait à qui il avait affaire, puisqu'il a bien précisé qu'il ne lui avait pas accordé ce visa pour qu'il vienne continuer sur notre territoire la lutte contre le régime tunisien.
Or qu'a eu M. Védrine pour tout remerciement ? A peine débarqué, à peine descendu de son ambulance, M. Ben Brick a tenu une conférence de presse. Quand on lui a demandé ce qu'il pensait de l'avertissement de M. Védrine, il a laissé entendre qu'il n'en avait rien à faire.
Mais, ce qui est beaucoup plus grave, c'est qu'il a insulté à cette occasion le Président de la République et qu'il a confirmé ses propos dans un entretien dont le compte rendu est paru hier dans Courrier international . On peut lire dans ce magazine la déclaration suivante : « J'accuse Jacques Chirac d'avoir été si longtemps le plus fidèle soutien du régime ignominieux de Ben Ali... Le Président français n'hésite pas à propager des mensonges. » Un peu plus loin, M. Ben Brick affirme que « le silence de Jacques Chirac sur la nature de ce dictateur de seconde division qu'est Ben Ali en a fait le collaborateur du président tunisien ».
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.
M. Ladislas Poniatowski. Ce mot de « collaborateur » n'est pas innocent.
Je considère, compte tenu de ces propos, que M. Ben Brick n'est pas le bienvenu dans notre pays. (Murmures sur les travées socialistes.)
M. Paul Masson. Absolument !
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le ministre, ma question est donc de savoir non pas ce qui se passe en Tunisie, mais ce que vous allez faire pour inviter M. Ben Brick à exercer ses tristes talents hors de nos frontières, et ce le plus vite possible. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées socialistes.)
M. Alain Vasselle. Excellente question !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. M. Védrine n'est pas là parce qu'il fait son métier de ministre des affaires étrangères : il est en ce moment même en route vers Washington. Je me permettrai donc, à sa place, monsieur le sénateur, de rappeler l'origine de cette affaire.
M. Ben Brick, correspondant en Tunisie du journal La Croix, observait depuis le 3 avril dernier une grève de la faim pour protester contre les mesures qui l'empêchaient d'exercer son métier de journaliste et qui avaient notamment pour effet de resteindre sa liberté de circulation.
Dès le 20 avril dernier, la France a fait savoir, dans un souci d'apaisement - je répète ce propos - qu'elle était disposée à accueillir M. Ben Brick.
Celui-ci a néanmoins tenu par la suite des propos critiques à l'encontre des autorités françaises, notamment de M. le Président de la République, une première fois le 21 avril dernier et, de nouveau, dans une lettre ouverte au Président de la République, le 1er mai, propos repris dans le Courrier International .
En dépit de ces déclarations, les autorités françaises - toutes les autorités françaises, j'y insiste - toujours dans un souci d'apaisement, ont maintenu et maintiennent la même ligne, visant à favoriser le dénouement de cette affaire.
La soeur de M. Ben Brick a été reçue par un collaborateur - pardonnez-moi le mot ! - du Président de la République, le 27 avril dernier. Un visa de court séjour a été accordé à M. Ben Brick le 4 mai, après que les autorités tunisiennes lui ont délivré un passeport et ont levé l'interdiction de sortie du territoire qui pesait sur lui.
M. Ben Brick s'est rendu en France le même jour.
Le ministre des affaires étrangères avait précisé, dès le 3 mai, comme vous l'avez rappelé, que notre décision visait à contribuer à l'apaisement et non pas à encourager M. Ben Brick à poursuivre sa lutte depuis la France.
On peut déplorer ce qui se produit.
Nous regrettons - tout autant que vous, monsieur le sénateur - des propos portant une appréciation inexacte et ouvertement polémique sur la politique française à l'égard de la Tunisie.
A cet égard, je voudrais rappeler les propos d'Hubert Védrine devant l'Assemblée nationale : La France souhaite qu'une évolution politique accompagne les succès du développement économique et social que la Tunisie a su réaliser au cours des dix dernières années.
Cette ouverture, c'est aux Tunisiens eux-mêmes d'en fixer le rythme, le contenu et les modalités, mais elle est aujourd'hui à la fois indispensable et possible.
Une telle évolution, avec des nouvelles étapes vers la libéralisation et la démocratisation, permettrait aussi de concrétiser les engagements de respect des libertés fondamentales souscrits par la Tunisie elle-même dans son accord d'association avec l'Union européenne, qu'elle avait été le premier pays méditerranéen à conclure, dès 1995.
Telle est la position des autorités françaises à l'heure où je vous parle. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alain Vasselle. Alors, on le laisse continuer !

C'est une non-réponse !

RÉCUPÉRATION DE L'AIDE SOCIALE
VERSÉE AUX HANDICAPÉS

M. le président. La parole est à M. Foy.
M. Alfred Foy. Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
Les récents démêlés ayant opposé, voilà quelque temps, une grande compagnie d'assurance à des familles de personnes handicapées, au-delà de la vive émotion qu'ils ont suscitée, ont permis de mettre en lumière, parmi d'autres problèmes, l'urgence d'une réforme des règles de la récupération de l'aide sociale.
Comme vous le savez, le caractère subsidiaire des prestations d'aide sociale confère à la collectivité territoriale qui les verse, en l'occurrence le département, un droit à récupération sur le patrimoine du bénéficiaire.
Ainsi, à la différence d'autres prestations, notamment les aides au logement ou le RMI, les prestations d'aide sociale versées aux handicapés - l'allocation compensatrice ou la prise en charge des frais d'hébergement - peuvent être réclamées dans leur intégralité, en vertu de l'article 146 du code de la famille et de l'action sociale, si la personne bénéficiaire, indépendamment de son état de santé, « revient à meilleure fortune », selon la formule consacrée.
Par conséquent, il est impossible à une personne handicapée d'hériter de ses parents sans que l'héritage, même modeste, ne risque d'être repris, ou de bénéficier d'une donation, ou de transmettre librement son patrimoine de son vivant à son conjoint, à ses enfants, voire à la personne qui l'aide à surmonter son handicap.
Qui plus est, comme ces prestations sont versées dès que le bénéficiaire atteint l'âge de vingt ans, et plus tôt encore s'il se marie ou exerce une profession rémunérée, c'est sur une très longue période que peut s'exercer la récupération.
Pour mettre fin à cette injustice à l'égard des personnes handicapées, il convient donc d'entreprendre la modernisation et l'humanisation des règles de récupération d'aide sociale.
Depuis plusieurs années, force est de reconnaître que des avancées significatives ont été réalisées en faveur des personnes handicapées.
Récemment encore, un dispositif d'un montant de 1,52 milliard de francs échelonné sur trois ans a été mis en place pour faciliter leur insertion dans la vie de tous les jours. Mais, j'insiste, il faut à présent « dépoussiérer » notre réglementation de ses « scories », qui sont des facteurs d'exclusion à l'égard des personnes handicapées.
C'est une exigence forte, d'actualité, à laquelle les pouvoirs publics doivent répondre. Aussi ma question est-elle la suivante : est-ce que le Gouvernement a l'intention de présenter devant le Parlement, en particulier lors de la discussion de la loi de modernisation, un texte qui irait dans ce sens, et selon quel calendrier ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés. Monsieur le sénateur, développer plus de solidarité à l'égard des personnes handicapées et de leurs familles est effectivement une priorité du Gouvernement, priorité qui a été affirmée clairement par le Premier ministre, le 25 janvier dernier, lors de la réunion du Conseil national consultatif des personnes handicapées. A cette occasion, le Premier ministre a annoncé que le plan triennal serait renforcé et que 2,5 milliards de francs de crédits supplémentaires seraient accordés pour répondre aux besoins et aux aspirations légitimes des personnes handicapées, leur garantissant respect et considération de leurs potentialités.
Dans cet esprit, la récupération sur succession, qui est liée au caractère subsidiaire de l'aide sociale versée par les collectivités locales, comme vous l'avez précisé, est un problème auquel je suis particulièrement attentive. Aussi ai-je demandé à mes services de mener une expertise technique sur ce sujet, qui sera examiné très prochainement.
Comme vous le savez, en ce qui concerne le bénéficiaire de l'aide sociale « revenu à meilleure fortune », il appartient actuellement aux commissions et aux juridictions d'aide sociale d'apprécier si la perception d'un héritage doit être considérée ou non comme un retour à meilleure fortune. Il est bien entendu tenu compte de la situation et des obligations familiales de l'intéressé.
En règle générale, la commission centrale d'aide sociale retient comme critère l'accroissement significatif du patrimoine du bénéficiaire par l'apport fortuit de biens importants et nouveaux. Le seul retour à une faculté d'épargne ne saurait en lui-même être considéré comme un retour à une meilleure fortune. Néanmoins, lorsque l'accroissement du patrimoine du bénéficiaire de l'aide sociale est important, les dispositions de l'article 146 du code de la famille et de l'aide sociale permettent d'affecter une juste partie de ces gains à un allégement partiel de la dépense que la collectivité publique assume, en l'occurrence, au nom de la solidarité.
Dépoussiérer les textes en vigueur, s'interroger sur leur adaptation au monde actuel ? Sûrement, monsieur le sénateur ! Cependant, ne perdons pas de vue la justice sociale. La collectivité doit avant tout aider ceux qui ont besoin de surmonter leurs difficultés, mais elle doit pouvoir prendre en compte la situation des revenus ou du patrimoine de ceux qui font appel à elle. Le projet de révision de la loi de 1975 qui sera déposé au Parlement dès cette année, comme le Premier ministre l'a annoncé, le 25 janvier dernier, sera l'occasion d'aborder, en autres, ce point.
Nous serons au rendez-vous. J'y travaille activement. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Foy et Durand-Chastel applaudissent également.)

CRISE DU CINÉMA FRANÇAIS

M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Madame la ministre, le cinquante-troisième festival de Cannes s'est ouvert cette année sur ce qu'un grand quotidien du soir a appelé « la crise du cinéma français ».
Je préfère souligner quant à moi que la France est l'un des rares pays à avoir encore une industrie du cinéma bien vivante, puisque 189 films ont été produits en 1999 dans notre pays, et qu'il y en a quatre en compétition à Cannes. La politique volontariste initiée par Jack Lang voilà bientôt vingt ans n'y est certainement pas étrangère.
Mais on ne peut pas pour autant considérer que tout va bien.
J'ai pour ma part trois grandes inquiétudes.
Ma première inquiétude, c'est la désaffection du public pour les films français.
En 1999, seulement 30 % des Français qui sont allés au cinéma ont choisi un film français, alors que la production nationale représentait plus de 50 % de parts de marché en 1981. Certes, Astérix a réuni 9 millions de spectateurs, mais, sur les 180 films français sortis en salle, seulement 23 ont dépassé les 500 000 entrées et près d'un tiers ont réalisé moins de 25 000 entrées.
Ma deuxième inquiétude concerne la concentration de la distribution.
L'explosion des multiplexes et leurs pratiques commerciales...
M. Gérard Larcher. Tout à fait !
Mme Danièle Pourtaud. ... comme le lancement de la carte d'abonnement d'UGC menacent le réseau des salles indépendantes... lorsqu'elles existent encore.
M. Gérard Larcher. C'est vrai !
Mme Danièle Pourtaud. Or, si les multiplexes ont certainement contribué à attirer les jeunes vers le cinéma, il n'en reste pas moins que leur programmation laisse peu de place au cinéma français.
J'en donnerai deux exemples : UGC a sorti, en 1999, vingt-trois films, dont dix-sept américains, et Gaumont dix-huit films, dont quinze américains et trois français. Il est clair que les autres films français ont besoin des salles indépendantes pour rencontrer leur public.
M. Serge Vinçon. Tout à fait !
Mme Danièle Pourtaud. Enfin, ma troisième inquiétude porte sur les effets pervers de notre système d'aides. Je ne citerai que l'un d'entre eux, mais d'autres pourraient être mis en évidence.
Sur les 180 films français sortis en 1999, un sur trois est un premier film. Malheureusement, dans 60 % des cas, c'est aussi le dernier.
Pendant des années, nous avons mis l'accent sur le soutien aux jeunes réalisateurs. C'est effectivement très important. Mais on doit, me semble-t-il, s'interroger en constatant que seul un réalisateur sur trois fera un deuxième film et seulement un sur trente un troisième.
M. le président. Merci de poser votre question, madame le sénateur !
Mme Danièle Pourtaud. Madame la ministre, quelles sont vos pistes de réflexion sur ces divers problèmes ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Madame la sénatrice, vous avez évoqué la crise du cinéma français et vous vous posez de nombreuses questions sur l'avenir de celui-ci. Si je comprends vos interrogations, je partage moins vos inquiétudes.
Certes, il y a des raisons de s'interroger : citons la crise relative de la fréquentation des salles pendant plusieurs années, le poids considérable, voire excessif, du cinéma américain, les relations complexes, et souvent conflictuelles, entre la télévision et le cinéma, et, enfin, l'inquiétude légitime face à l'inconnu que représentent certaines évolutions techniques et économiques.
Pourtant, je suis revenue du festival de Cannes, où j'accompagnais le Premier ministre, qui a clos un colloque international sur l'avenir du cinéma, raisonnablement optimiste, et même confiante dans l'avenir, car le cinéma français, vous l'avez d'ailleurs souligné vous-même, est bien vivant et en bonne santé.
En effet, il est abondant et varié : 180 films ont été produits dans notre pays en 1999, parmi lesquels on trouve aussi bien la Jeanne d'Arc de Luc Besson que Vénus beauté institut de Tonie Marshall ou encore La Vie rêvée des anges d'Erick Zonca, pour citer de jeunes réalisateurs. Outre les quatre films présentés à Cannes en sélection officielle, quelque vingt autres films sont présentés dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs et dans la section « Un certain regard ».
Par ailleurs, depuis quelques années, nous assistons à la remontée de la fréquentation en salle, ce qui est la seule véritable réponse du public. En 1999, c'est une fréquentation de 33 % qui répondait à l'offre de films français.
Bien entendu, je mesure, comme vous, les défis auxquels est confronté aujourd'hui le cinéma français.
Rappelons simplement que, tout au long de son histoire, le cinéma a su s'adapter, et même s'enrichir, des défis technologiques, je pense à l'avènement du parlant et à l'arrivée de la couleur. L'arrivée du numérique peut également - je le pense et c'était le point de vue des professionnels à Cannes - être une grande chance pour l'évolution économique, technique et même esthétique du cinéma sur les plans. Il est vrai que nous devrons encadrer cette numérisation sur le plan juridique pour qu'elle ne nuise pas, en particulier, aux droits d'auteur.
Nous aurons aussi à nous préoccuper des risques de la concentration financière, qui est considérable dans ce domaine. Je tiens à vous dire que nous le ferons.
Aujourd'hui, mon souci est de prendre toutes les mesures susceptibles d'appuyer ce qui a toujours été l'axe de la politique des pouvoirs publics, notamment de notre gouvernement, à l'égard du cinéma, à savoir le soutien de la diversité.
M. le président. Merci de conclure, madame le ministre.
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. S'agissant de la production, nous le ferons par une révision des mécanismes d'aides.
S'agissant de l'exploitation - c'était votre dernière préoccupation, à laquelle je tiens à répondre - j'ai réagi, vous le savez, au lancement de la carte UGC. Nous devons, certes, répondre à l'appétit des publics, notamment des jeunes, par des politiques tarifaires dynamiques ; mais nous devons aussi, et je le ferai, soutenir l'existence d'un réseau diversifié, indépendant et créatif de salles de diffusion du cinéma. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)

POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA DOULEUR
ET DE DÉVELOPPEMENT DES SOINS PALLIATIFS

M. le président. La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth. Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'Etat à la santé... en attendant que nous ayons un ministère de la santé à part entière. (Mme le secrétaire d'Etat sourit.)
Le 17 novembre 1994, un amendement au projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social, adopté à l'unanimité des deux assemblées, rendait obligatoire, pour les établissements de santé et pour les acteurs du système de santé, la prise en charge de la douleur des patients.
Le Sénat allait plus loin en affectant sur la réserve parlementaire 5 millions de francs en investissement à l'intention des centres de référence modèles pour la prise en charge de la douleur.
Dès l'année 1995, la charte du patient hospitalisé était mise en place ; les articles 37 et 38 du code de déontologie étaient adaptés à la lutte contre la douleur. De plus, étaient modifiées la formation initiale des médecins ainsi que la délivrance des antalgiques majeurs.
Deux ans après son annonce, j'aimerais connaître, madame la secrétaire d'Etat, le bilan d'application du plan de lutte contre la douleur défini par votre prédécesseur, M. Bernard Kouchner.
Si je me félicite vivement de la suppression du carnet à souches, de la diffusion de nouvelles formes pédiatriques d'antalgiques majeurs et de l'établissement d'une liste nationale de structures de lutte contre la douleur, je voudrais énumérer certains points qui m'apparaissent inquiétants.
Mille pompes à morphine avaient été promises : combien ont été distribuées ? Qui les a financées ? Chacun connaît l'efficacité de ces pompes. Tous les services des établissements hospitaliers devraient en être dotés.
La distribution des réglettes de mesure de la douleur a été laissée à la charge des laboratoires pharmaceutiques. Si certains établissements de santé ont été visités, d'autres n'ont encore reçu aucune réglette.
Pour l'ensemble du territoire, une trentaine de postes de praticiens hospitaliers spécialisés dans la douleur, les « PH douleur », ont été créés, ce qui est absolument insuffisant. Je crains d'ailleurs que l'on ne puisse constater de progrès en la matière que si une enveloppe nationale dédiée à la lutte contre la douleur est mise en place.
La formation médicale continue, la FMC, comme l'établissement d'un logiciel pédagogique pour la FMC, sont au point mort.
Il serait regrettable, madame la secrétaire d'Etat, que les annonces gouvernementales aient fait naître chez les patients des attentes qui, en l'état, ne peuvent être actuellement satisfaites par notre système de soins.
Aussi, je voudrais connaître les mesures que vous allez prendre pour accélérer la mise en oeuvre du plan de lutte contre la douleur. (Applaudissements sur toutes les travées.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés. Monsieur le sénateur, votre question me permet de revenir sur un sujet à propos duquel la politique gouvernementale a été injustement mise en cause dans les colonnes d'un grand quotidien national voilà peu de jours.
Comme vous le savez, puisque nous nous sommes souvent entretenus de ces questions qui vous tiennent à coeur, s'il est un domaine de santé publique vis-à-vis duquel la conviction, l'investissement et la vigilance du Gouvernement ont été maintenus sans relâche de la part tant de Bernard Kouchner que de moi-même, c'est bien celui de la lutte contre la douleur et du développement des soins palliatifs, préoccupations certes différentes, mais qui ont le même objectif, à savoir accompagner ceux qui souffrent et les soulager à tout moment, notamment à la fin de leur existence.
Aujourd'hui, il est du devoir de toutes les équipes soignantes d'avoir conscience de la douleur de leurs patients, de la rechercher systématiquement pour la soulager efficacement. C'est une nouvelle culture, qui ne doit pas être limitée à quelques professeurs d'université ou praticiens hospitaliers spécialisés. Elle doit être diffusée, diffusion qui demande, bien sûr, un peu de temps, mais qui fait, vous le savez, monsieur le sénateur, de plus en plus d'adeptes, ce dont je me réjouis.
Je félicite les praticiens pour leur action, leur participation et leur engagement durable sur cette nouvelle façon de pratiquer les soins dans notre pays.
M. Jean Chérioux. Il faut féliciter aussi M. Neuwirth !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je le fais volontiers.
A ma demande, le suivi du plan douleur fait l'objet d'une vigilance particulièrement attentive de la part de mes services, en étroite concertation avec les professionnels spécialistes de la question.
Un bilan de ce plan à mi-parcours et des perspectives pour sa poursuite sont en cours de finalisation, comme vous me le demandez.
Monsieur le sénateur, vous m'avez devancée de quelques semaines : pardonnez-moi de ne pas répondre précisément à vos interrogations aujourd'hui, mais je m'exprimerai sur ce sujet à l'occasion de la date anniversaire de la loi du 9 juin 1999 visant à développer et à garantir l'accès aux soins palliatifs. Je ferai alors le point sur les deux plans du Gouvernement, celui qui concerne la lutte contre la douleur et celui qui vise à développer les soins palliatifs, auxquels vous êtes particulièrement attaché. J'espère que vous répondrez à mon invitation pour être, ce jour-là, à mes côtés lors de cette conférence de presse. (Applaudissements.)
M. Jean Chérioux. C'est la loi Neuwirth !

DOTATION GLOBALE DE FONCTIONNEMENT

M. le président. La parole est à M. Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
Notre collègue Paul Girod, il y a un instant, comme notre collègue René Monory lors de la précédente séance des questions d'actualité, voilà deux semaines, l'ont très bien démontré : nous assistons invariablement, depuis plusieurs mois, à une dangereuse et inacceptable remise en cause de l'autonomie financière de nos collectivités locales ; je pense notamment à la réforme de la taxe professionnelle, qui se retourne aujourd'hui contre les communes.
En effet, le taux d'indexation de la compensation financière versée par l'Etat est tel que cette ressource essentielle pour nos collectivités augmente de zéro pour cent en 2000. Demain, hélas ! il en sera sans doute de même pour la taxe d'habitation !
Or, dans le même temps, comme le révèle le récent rapport de la Cour des comptes, les dépenses de l'Etat ont augmenté en définitive de 2,7 % en 1999 et la cagnotte fiscale s'est élevée à plus de 50 milliards de francs ! S'il faut réduire les impôts, et nous en sommes évidemment d'accord, il ne faut pas pour autant étrangler financièrement les collectivités locales. Il faut prendre l'argent là où il se trouve, c'est-à-dire dans les caisses de l'Etat !
M. Jean Chérioux. Dans la cagnotte !
M. Jean-Paul Amoudry. Vous nous répondrez alors que, pour s'assurer des ressources convenables, les communes doivent opter pour l'intercommunalité, profondément réformée voilà un an. Mais force est de constater que le Gouvernement mène une politique de gribouille. Quelle n'est pas la déception de très nombreux responsables d'établissements publics de coopération intercommunale qui viennent de recevoir la notification du niveau de DGF pour 2000 !
Nous savions que le coût des communautés d'agglomération avait été largement sous-estimé. A cet égard, la ponction opérée sur la dotation de compensation de la taxe professionnelle pour financer ces communautés est injustifiable et dangereuse, comme l'a justement noté le comité des finances locales en février dernier.
En recevant leur notification de DGF, l'ensemble des groupements communaux se rendent compte à présent que le Gouvernement ne se donne pas les moyens de sa politique.
Non, décidément, le Gouvernement ne peut pas faire durablement illusion, en cassant les ressorts de nos collectivités territoriales ! Quand donc le ministre tiendra-t-il ses engagements à l'égard des élus locaux et de leurs administrés ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, je voudrais, si vous le permettez, redresser quelques inexactitudes dans votre propos. Je peux vous le démontrer, la thèse que vous développez ne tient pas.
J'ai toujours été très attentif au respect des engagements pris envers les collectivités locales. Il n'y a pas de remise en cause de l'autonomie financière de ces collectivités. La réforme de la taxe professionnelle, c'est-à-dire la suppression de la part salariale, a été bien accueillie, y compris par les chefs d'entreprise. Elle fait l'objet d'une compensation financière indérée sur la DGF.
S'agissant de la DGF forfaitaire de l'an 2000, dont vous me parlez aujourd'hui, elle augmente de 0,8 % environ, augmentation qui tient en grande partie à la régularisation négative opérée à partir de chiffres de croissance qui, en 1999, se sont révélés moins élevés qu'il était initialement prévu. Ce ne sera pas du tout le cas pour l'année à venir. En effet, l'évolution de la DGF sera proche de 3 %, compte tenu de la croissance forte attendue.
Si nous prenons en considération une période plus longue, les cinq dernières années connues, nous constatons que le produit de la DGF a progressé au même rythme que la masse salariale. Il s'agit donc d'une compensation relativement honnête.
Bien entendu, vous pouvez répondre à cela que la suppression de la part régionale de taxe d'habitation donnera lieu à une compensation de même nature ; mais mes arguments seront également de même nature.
Les collectivités locales sont donc pleinement associées aux bénéfices de la croissance économique retrouvée et le seront également par le choix du Gouvernement de faire bénéficier le contribuable local d'un certain nombre d'allégements fiscaux.
Je ne pense donc pas que les élus locaux que vous êtes aussi, en général, aient lieu de s'en désoler.
Pour répondre à votre argumentation sur les ressources de l'Etat, la programmation budgétaire transmise à Bruxelles fait état d'une croissance des dépenses des collectivités locales supérieure de quatre fois à ce que sera la croissance prévue des dépenses de l'Etat : 4 % contre 1 %. Il est donc clair que ce n'est pas l'austérité qui est programmée pour les collectivités locales, au contraire !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je conclus !
Je dirai que M. Amoudry a tort de penser que l'intercommunalité n'a jamais été conçue comme une solution pour conforter les moyens de financement des collectivités locales. Comme je l'ai dit tout à l'heure en répondant à M. Paul Girod, l'Etat a fait le choix de consacrer une enveloppe exceptionnelle de 500 millions de francs par an et il a inscrit une dotation spécifique de 250 millions de francs. Il y a, bien sûr, un prélèvement sur la DCTP, à hauteur de 247 millions de francs,...
M. Jean-Pierre Schosteck. Oui !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... mais je dirai que peu de collectivités le supportent, compte tenu d'une certaine péréquation.
M. le président. C'est fini, monsieur le ministre !
M. Henri de Raincourt. Cela fait deux fois !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. J'ajoute que le comité des finances locales - j'ai terminé, monsieur le président - chargé de répartir la DGF a acté que la dotation par habitant de chacune des catégories d'EPCI suivrait la même progression que celle de la dotation forfaitaire.
M. Henri de Raincourt. Il ne va pas rester de temps à notre groupe !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. En 2000, on dénombre 169 groupements à fiscalité propre, dont 51 communautés d'agglomération, de plus par rapport à 1999, pour une population totale supplémentaire de 3,8 millions d'habitants.
On peut se réjouir, au contraire, que le financement de ces nouvelles intercommunalités ait pu se faire dans des conditions remarquables,...
M. Jean-Pierre Schosteck. Ça ne se voit pas !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... qui garantissent autant que possible les ressources des collectivités locales,...
M. Henri de Raincourt. Ce n'est pas sérieux, monsieur le président !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... lesquelles auront augmenté de plus de 4 milliards de francs cette année du fait de la croissance de la DGF et de l'abondement de la DSU et de la DSR que l'Etat a apporté. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Ladislas Poniatowski. Cinq minutes de réponse !

COULÉES DE BOUE CONSÉCUTIVES AUX ORAGES
QUI SE SONT ABATTUS SUR LE DÉPARTEMENT
DE LA SEINE-MARITIME

M. le président. Mes chers collègues, j'ai essayé de contenir les débordements en matière de temps de parole, mais en vain. Aussi, la dernière question, celle de notre collègue Charles Revet, sur les coulées de boues en Seine-Maritime, ainsi que la réponse du Gouvernement ne bénéficieront pas de la retransmission par la télévision. C'est très regrettable !
M. Henri de Raincourt. C'est lamentable !
M. André Vezinhet. Vous n'avez pas l'autorité de M. le président du Sénat !
M. le président. La parole est à M. Revet.
M. Charles Revet. Je le regrette d'autant plus qu'il s'agit vraiment d'une question d'actualité.
Ma question a effectivement trait aux graves intempéries que subit actuellement la Seine-Maritime, comme d'ailleurs plusieurs régions de France.
Depuis la fin de la semaine dernière et cette nuit encore, nous sommes à nouveau confrontés à des précipitations catastrophiques, qui n'ont d'exceptionnelles que le qualificatif, puisqu'elles surviennent de plus en plus régulièrement. Inutile de rappeler ce que nous avons tous, ou presque, vécu à la fin de l'année 1999.
Ces intempéries ont eu des conséquences tragiques et catastrophiques : tragiques, car nous avons eu à déplorer deux morts ces derniers jours ; catastrophiques, pour les nombreuses familles sinistrées, sans oublier les collectivités et les entreprises.
Le conseil général de la Seine-Maritime a pris, dès hier, des dispositions pour apporter aux familles les plus démunies des aides d'urgence.
S'il n'est du pouvoir de personne de maîtriser les éléments déchaînés, force est de constater que certains aménagements irréfléchis, auxquels s'ajoute parfois une politique inadaptée, ont constitué des phénomènes aggravants.
La Normandie a la réputation d'être verte, et les prairies qui se trouvent dans les vallées et les coteaux environnants en servent souvent d'illustration.
Chacun connaît le pouvoir absorbant et filtrant de ce type de culture, qui contribue à la protection de la nappe phréatique.
Bien entendu, il n'est pas dans mon esprit de considérer que ce que je vais évoquer constitue la seule ou la principale cause des situations auxquelles nous sommes confrontés. Mais des milliers d'hectares de prairie, compte tenu des dispositions en vigueur, sont actuellement labourés et ensemencés en maïs fourrage dans la mesure où celui-ci bénéficie de primes européennes alors que la prairie ne peut y prétendre.
Ma question est double.
Quelles dispositions le Gouvernement entend-t-il prendre pour venir en aide aux familles, aux collectivités et aux entreprises sinistrées ?
Le Gouvernement entend-il intervenir auprès de la Communauté européenne, notamment mettre à profit notre prochaine présidence pour que les choix en matière d'attribution des primes tiennent compte des conséquences environnementales qui peuvent en découler ?
Le bon sens et la sagesse voudraient que la prairie puisse bénéficier des mêmes aides que celles qui sont accordées aux autres types de culture, ce qui permettrait, peut-être en utilisant les contrats territoriaux d'exploitation comme outil, de traiter prioritairement les endroits stratégiques, qui aujourd'hui sont bien répertoriés. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, s'il avait été présent à Paris, mon collègue Jean Glavany vous aurait répondu. En son absence, c'est moi qui vais le faire.
Votre question porte sur deux points : les indemnisations et les conséquences des cultures agricoles sur le sol et le ruissellement.
D'abord, je ferai remarquer que les drames vécus dans votre région n'ont pas laissé insensible le Gouvernement. Hier, malgré le conseil des ministres, M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, s'est rendu lui-même sur place, dans cette région qui est également la sienne.
Je suis tout à fait conscient des difficultés liées aux intempéries que vient de subir la Seine-Maritime, et le Gouvernement, à l'instar, j'imagine, de la Haute Assemblée tout entière, tient à exprimer sa solidarité aux personnes durement touchées et aux familles des victimes.
Bien évidemment, si l'ampleur des conséquences de ces intempéries le justifie, l'Etat prendra toutes les mesures nécessaires, y compris en ce qui concerne l'éligibilité au régime des catastrophes naturelles.
Le Gouvernement a démontré au cours de ces derniers mois, à la suite des tempêtes de l'hiver et de l'automne derniers, qu'il prenait rapidement les mesures adéquates, et vous savez que le Premier ministre s'attache à ce que ces décisions soient suivies d'effet. Ce point sera d'ailleurs l'un des objets de la réunion interministérielle qui se tiendra demain à Matignon.
Je rappelle toutefois qu'il n'appartient pas à la solidarité nationale de se substituer aux assurances.
En ce qui concerne le ruissellement et ses conséquences pour l'agriculture, il est vrai que la Seine-Maritime est régulièrement soumise à des précipitations particulièrement abondantes qui, sur des sols limoneux, peuvent entraîner des glissements de terrain.
La fixation de prix garantis élevés pour les céréales a favorisé leur mise en culture. Mais la réforme de la politique agricole commune a permis d'enrayer ce phénomène, puisque l'éligibilité aux aides communautaires est conditionnée par le fait que les terres concernées portaient des cultures arables au 31 décembre 1991.
Au-delà du maïs, ce sont toutes les cultures de printemps, pommes de terre ou betteraves sucrières notamment, qui sont concernées par ce phénomène.
Les contrats territoriaux d'exploitation, pierre angulaire de la loi d'orientation agricole, constituent l'outil idéal pour favoriser la modification de certaines pratiques culturales, en incitant à l'enherbement des parcelles, à la création de haies ou à l'implantation de mares.
L'agriculture n'est pas seule en cause ; l'urbanisation, qui a pour effet d'imperméabiliser les sols, contribue également, en l'absence de dispositifs d'évacuation des eaux, à aggraver ces phénomènes d'érosion. L'Etat, au travers des contrats de plan Etat-région et des documents uniques de programmation des fonds structurels, a mobilisé un montant significatif de crédits hydrauliques pour lutter contre ces phénomènes de ruissellement.
Tels sont, monsieur le sénateur, les éléments de réponse que je suis en mesure d'apporter à votre question.
M. Henri de Raincourt. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, je voudrais, au nom de mon groupe, faire un rappel au règlement et déplorer que, pour la deuxième fois consécutive au cours d'une séance de questions d'actualité, en raison d'interventions trop longues, la question de l'un de nos collègues et la réponse correspondante n'aient pas pu être retransmises par la télévision. C'est inacceptable !
Je souhaite ardemment que cette remarque soit portée à la connaissance de M. le président du Sénat et qu'une réflexion soit conduite rapidement pour que de tels errements ne se reproduisent pas.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il faut supprimer la onzième question !
M. Henri de Raincourt. Il y a sûrement une solution pour mettre un terme à cet état de chose. En tout cas, on ne peut pas continuer à travailler de la sorte, en créant, à chaque séance de questions d'actualité, un sentiment de frustration chez certains de nos collègues.
En l'occurrence, il était difficile de contester le caractère d'actualité de la question de Charles Revet.
Monsieur le président, ma remarque est sérieuse. Elle doit être prise en considération et ne pas être considérée comme une simple clause de style. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. L'expérience démontre qu'il est systématiquement impossible de retransmettre la onzième question : selon les statistiques dont nous disposons, sur les huit dernières séances de questions d'actualité au Gouvernement, une seule a permis la retransmission des onze questions.
Il serait donc, selon moi, raisonnable de proposer à M. le président du Sénat de ne retenir que dix questions d'actualité. En tout cas, c'est la suggestion que, personnellement, je lui adresserai, ainsi qu'à la conférence des présidents.
M. Ladislas Poniatowski. Avec dix, ce sera pareil !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

4

CHAMBRES RÉGIONALES DES COMPTES

Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 325, 1999-2000) de M. Jean-Paul Amoudry, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi (n° 84, 1999-2000) de MM. Jacques Oudin, Jean-Paul Amoudry, Philippe Marini, Patrice Gélard, Joël Bourdin, Paul Girod et Yann Gaillard tendant à réformer les conditions d'exercice des compétences locales et les procédures applicables devant les chambres régionales des comptes.
Avis (n° 334, 1999-2000) de M. Jacques Oudin.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. « Le temps mûrit toute chose ; le temps est père de vérité. » Cette réflexion de Rabelais, qui savait, lui aussi, donner du temps au temps, illustre parfaitement, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la méthode retenue pour l'élaboration de la présente proposition de loi, dont l'objet principal est de rénover les modalités d'exercice de l'examen, par les chambres régionales des comptes, de la gestion des collectivités locales.
En effet, loin d'être un texte de circonstance, ou d'humeur, cette proposition de loi est le produit d'une réflexion approfondie et sereine, en même temps que le fruit d'un travail patient et volontaire.
J'aurai même la faiblesse de penser que la procédure retenue pour l'élaboration de cette proposition de loi, avec ses aller et retour entre la réflexion, la consultation et la concertation, est un exemple achevé de la méthode sénatoriale.
Qu'on en juge ! C'est dans la proposition de loi déposée voilà plus de trois ans, en février 1997 par nos collègues Patrice Gélard et Jean-Patrick Courtois que le présent texte trouve son origine.
L'objet de cette proposition de loi, qui consistait à exclure de l'examen de la gestion d'une collectivité locale par une chambre régionale des comptes « les choix de gestion qui résultent des délibérations prises par l'assemblée délibérante de cette collectivité », portait la marque d'un contexte de défiance à l'égard de certaines attitudes des juridictions financières dans la mise en oeuvre de l'examen de la gestion des collectivités locales.
Deux types de griefs étaient alors, déjà, formulés par les élus locaux. Ils demeurent d'actualité.
En premier lieu, nombre d'élus déplorent l'absence d'articulation entre le contrôle de légalité mis en oeuvre par les préfets et l'examen de la gestion des collectivités locales opéré par les chambres régionales des comptes. Cette lacune constitue, à l'évidence, un facteur d'insécurité juridique pour les élus locaux.
En second lieu, des responsables locaux contestent certaines pratiques des chambres régionales des comptes. Ce reproche vise, tout d'abord, la médiatisation excessive dont font parfois l'objet les lettres d'observations provisoires, alors même qu'elles peuvent être démenties dans la suite de la procédure, sans que le démenti en question bénéficie pour autant d'une publicité comparable.
Par ailleurs, les élus locaux contestent, à juste titre, l'absence, encore trop fréquente, de hiérarchisation des observations formulées par les chambres régionales des comptes sur la gestion des collectivités. Tout se passe comme si les juridictions financières ne mettaient l'accent que sur les seuls points négatifs sans les resituer dans l'ensemble de la gestion des collectivités. De fait, les chambres régionales des comptes, qui n'ont aucune obligation de dresser un bilan objectif de la gestion locale, s'interdisent le plus souvent de le faire.
Enfin, de nombreuses voix s'élèvent contre une dérive, réelle ou supposée, vers un contrôle de l'opportunité des choix politiques - au sens noble du terme - effectués par la collectivité locale.
Tel est le contexte de malaise qui a présidé à la prise de conscience par notre assemblée du « vécu », parfois conflictuel, de l'exercice du contrôle de gestion.
Afin de restituer toute sa sérénité à ce débat essentiel pour l'avenir de la décentralisation, le président Christian Poncelet, à l'époque président de la commission des finances, et M. Jacques Larché, président de la commission des lois, ont proposé à leurs commissions respectives, qui les ont suivis, de créer un groupe de travail commun aux deux commissions.
Pendant près d'un an, d'avril 1997 à mars 1998, le groupe de travail que j'avais l'honneur de présider et dont le rapporteur était notre excellent collègue Jacques Oudin a procédé à l'audition de tous les acteurs du contrôle financier : M. le Premier président et Mme le procureur général près la Cour des comptes, les représentants des juridictions financières, les associations d'élus locaux, les représentants du corps préfectoral, les comptables publics, les avocats spécialisés dans le conseil aux collectivités locales et, enfin, les représentants des fonctionnaires territoriaux.
Ce travail d'information, de consultation et de concertation a débouché sur la rédaction d'un rapport d'information, dont les préconisations ont été adoptées, à l'unanimité, par les deux commissions, en juin 1998.
Aujourd'hui, nous débattons des recommandations d'ordre législatif de ce rapport d'information, dont la présente proposition représente la traduction fidèle.
Cette proposition de loi n'est donc pas le fruit de l'improvisation ou de la précipitation.
Elle ne marque pas, non plus, un recul par rapport aux principes fondateurs de la décentralisation.
Elle n'est pas davantage dictée par une quelconque tentation d'affranchir les collectivités locales du contrôle des chambres régionales des comptes.
Bien au contraire, les membres du groupe de travail et les auteurs de la présente proposition de loi sont profondément convaincus de la nécessité d'un contrôle a posteriori des actes des collectivités locales.
Ils rappellent que ce contrôle, qui s'inscrit dans le droit-fil de l'article XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, aux termes duquel la société « a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration », constitue l'un des piliers les plus anciens et les plus fondamentaux de notre démocratie.
En outre, les auteurs de la proposition de loi considèrent que le renforcement de l'autonomie et des responsabilités des collectivités locales, qui sont devenues - grâce à la décentralisation - des acteurs majeurs de la vie économique et sociale de notre pays, trouve sa contrepartie naturelle et légitime dans l'instauration du contrôle financier.
Pour nous, ce contrôle, qui participe d'une mission de régulation de la décentralisation, constitue un indéniable facteur de transparence de la gestion publique locale.
Trêve de faux procès ! Trêve de procès d'intention ! Le contrôle financier, incontestable et incontesté dans son principe, n'en demeure pas moins perfectible dans ses modalités d'exercice. Tel est précisément l'objet de la présente proposition de loi : il s'agit de normaliser les relations entre les élus locaux et les chambres régionales des comptes, afin de conférer au contrôle financier toute sa légitimité démocratique et, partant, toute son efficacité au service de la transparence de la gestion publique locale.
C'est dans cet esprit, et avec le souci de renforcer la sécurité juridique des actes des collectivités locales, que le groupe de travail avait envisagé de compléter les compétences actuelles des chambres régionales des comptes par une mission de conseil aux collectivités locales, mais cette idée, séduisante, dont la concrétisation aurait pu modifier de manière durable et bénéfique le climat des relations entre les élus locaux et les chambres régionales des comptes, est apparue comme une fausse bonne idée.
Son application se serait en effet heurtée à des obstacles humains, en raison des effectifs actuels de magistrats des chambres régionales des comptes, et à des objections juridiques issues de l'impossibilité d'être à la fois « juge et partie ».
Les auteurs de la proposition de loi ont donc imaginé une solution de repli qui aurait pu consister à confier cette mission de conseil à un groupement pour l'aide à la gestion des collectivités territoriales, constitué sous la forme d'un groupement d'intérêt public. Cependant, la commission des lois, qui s'est émue, à juste titre, du risque de création d'une « structure lourde et à l'efficacité douteuse », a préféré retirer cet article des conclusions qu'elle nous soumet.
Le problème de l'amélioration de l'information de nos collectivités, afin de faire reculer l'insécurité juridique, demeure donc entier et conserve toute son acuité.
Il me semble que le Sénat serait fidèle à son « bonus constitutionnel » de représentant des collectivités territoriales de la République s'il apportait, dans le cadre des travaux de sa mission d'information sur la décentralisation, une solution satisfaisante à ce lancinant problème.
En définitive, les conclusions de la commission des lois sont animées par une double volonté : d'une part, rénover les conditions d'exercice de l'examen de la gestion des collectivités locales ; d'autre part, renforcer les garanties dont doit bénéficier la collectivité contrôlée.
L'objectif de rénovation des conditions d'exercice du contrôle financier se traduit principalement par une définition législative de l'objet et du contenu de l'examen de la gestion d'une collectivité locale.
C'est ainsi que l'article 1er du texte soumis à notre appréciation édicte un « code du bon usage » de l'examen de gestion. Il précise que l'examen de la gestion porte, d'abord et principalement, sur la régularité de cette gestion, c'est-à-dire sur la conformité des actes examinés aux lois et règlements en vigueur.
Cet examen peut également porter sur la qualité de la gestion, c'est-à-dire sur l'économie des moyens mis en oeuvre par rapport aux objectifs fixés, mais sans que ces objectifs, dont la définition relève de la responsabilité exclusive des élus, puissent eux-mêmes faire l'objet d'observations ou d'appréciations.
Cette précision législative, qui constitue une sorte de garde-fou légal, devrait permettre de prévenir tout risque de dérive vers un contrôle d'opportunité, inconciliable avec les principes démocratiques de libre administration des collectivités locales, réaffirmés par les lois fondamentales de 1982.
Par ailleurs, l'article 1er prévoit que les lettres d'observations définitives doivent prendre en compte les résultats de la procédure contradictoire avec l'ordonnateur concerné.
Enfin, les observations définitives formulées par les chambres régionales des comptes devront être replacées dans l'ensemble de la gestion examinée. Autrement dit, elles devront être hiérarchisées. C'est à cette condition qu'elles pourront remplir une utile mission d'aide à la gestion.
Second objectif de la proposition de loi, il s'agit de renforcer les garanties dont bénéficie la collectivité contrôlée.
Plusieurs des mesures qui vous sont proposées témoignent de cette volonté. Il en est ainsi de l'extension aux chambres régionales des comptes du régime de non-communication des documents préparatoires, d'ores et déjà en vigueur pour les documents préparatoires d'instruction de la Cour des comptes, ou de l'institution, à l'approche des élections locales, d'une période de neutralité de six mois, se traduisant par une suspension de l'envoi et de la publication des lettres d'observations définitives, ou encore de l'affirmation du caractère contradictoire de la procédure.
Toutes ces avancées répondent, à l'évidence, à un besoin exprimé par les élus locaux, comme en témoignent les adjonctions opérées par nos collègues députés lors de l'examen du projet de loi relatif au statut des magistrats financiers.
Mais la pièce maîtresse du dispositif proposé par le présent texte est, sans contexte, l'ouverture aux collectivités locales de la faculté de déférer au Conseil d'Etat les lettres d'observations définitives, par la voie du recours pour excès de pouvoir. Pour aboutir à ce résultat, la proposition de loi reconnaît aux lettres d'observations définitives le caractère d'actes « susceptibles de faire grief ».
Cette qualification juridique mettrait fin à un vide juridique ou juridictionnel puisque, actuellement, les lettres d'observations définitives ne constituent ni des décisions juridictionnelles ni des décisions administratives. Une telle situation, qui assimile les lettres d'observations définitives à de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours, est choquante au regard des impératifs de l'Etat de droit, notamment le respect des droits de la défense.
Par ailleurs, il est loisible d'estimer que, si les lettres d'observations définitives ne modifient pas immédiatement la situation juridique des personnes physiques ou morales concernées, elles emportent néanmoins des effets incontestables sur les conditions d'exercice de leurs mandats par les ordonnateurs, sur le déroulement des travaux de l'assemblée délibérante ou encore sur les tiers.
En outre, la qualification reconnue dans la proposition de loi parachève une évolution caractérisée, en premier lieu, par un délin inexorable, et souhaitable, des actes insusceptibles de recours et, en second lieu, par une publicité croissante des lettres d'observations définitives qui, depuis l'intervention des lois de 1990 et de 1995, doivent être communiquées à l'assemblée délibérante et aux tiers.
C'est précisément cette « externalisation » croissante des observations définitives, induite par une publicité sans cesse plus large, qui a rendu impossible le maintien de la fiction de leur caractère de simples mesures d'ordre intérieur.
En outre, la matière se caractérise par une nouvelle approche du Conseil d'Etat, comme en témoigne l'arrêt Société Métal Labor, du 22 février 2000.
En l'espèce, le Conseil d'Etat a annulé une décision juridictionnelle de la Cour des comptes au motif que l'affaire avait été précédemment évoquée dans le rapport public, dans lequel l'irrégularité des faits avait été relevée. Ce faisant, le Conseil d'Etat a reconnu que le rapport public de la Cour des comptes, auquel peuvent être assimilées les lettres d'observations définitives, n'était pas dépourvu de portée juridique.
Enfin, l'argument invoqué par certains selon lequel l'octroi aux lettres d'observations définitives de la qualité d'actes susceptibles de faire grief serait incompatible avec le principe de la libre administration des collectivités locales, ne me paraît ni déterminant ni convaincant.
L'anomalie au regard de l'autonomie locale semble constituée moins par cette qualification que par la situation actuelle, caractérisée par l'impossibilité, pour les collectivités locales, de faire valoir leur défense.
Dois-je enfin préciser que l'appel devant le Conseil d'Etat n'est pas suspensif ?
Pour être exhaustif, il m'appartient de mentionner également les dispositions qui modifient plusieurs articles du code électoral pour remplacer la démission d'office de l'ordonnateur reconnu comptable de fait par une procédure de suspension des fonctions de l'ordonnateur jusqu'à l'apurement de la situation de gestion de fait. Cette mesure tire les conséquences d'une jurisprudence du Conseil constitutionnel établie le 15 mars 1999.
Telles sont, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'économie et les principales orientations de la proposition de loi que nous avons l'honneur, Jacques Oudin et moi-même, de rapporter devant vous.
Comme nous espérons vous en convaincre tout au long de la discussion à venir, le texte soumis à votre appréciation prévoit un dispositif mesuré et équilibré qui devrait nous permettre d'aboutir au progrès recherché, c'est-à-dire à rendre le contrôle financier et l'examen de la gestion plus légitimes aux yeux des élus locaux et plus utiles à la gestion locale.
Il s'agit, au-delà du contrôle stricto sensu, de développer un dialogue constructif entre les chambres régionales des comptes et les élus locaux, ainsi que de favoriser l'émergence d'une culture de l'évaluation de l'action publique locale.
A mon sens, c'est à ce prix que la décentralisation et la démocratie locale pourront réaliser les nouvelles avancées qu'attend la société française au seuil du xxie siècle. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la séance de cet après-midi, comme vient de le rappeler notre collègue Jean-Paul Amoudry, constitue l'aboutissement de trois années de partenariat étroit entre les deux commissions des lois et des finances, trois années pendant lesquelles, au nom de nos deux commissions, nous avons essayé de faire avancer le dossier des chambres régionales des comptes.
C'est peut-être le moment de rappeler que la Haute Assemblée a toujours été favorable à la plus grande clarté des comptes à tous les échelons, quels qu'ils soient.
J'aurai l'occasion de le redire, c'est dans cet hémicycle que des amendements ou des projets de loi ont été débattus, de façon que la Cour des comptes et l'ensemble des juridictions financières puissent jouer pleinement leur rôle dans tous les aspects de la vie publique.
Si la Cour des comptes a le rôle qu'elle a aujourd'hui dans l'examen des comptes sociaux, si les comptes des collectivités locales peuvent être mieux examinés grâce à une comptabilité plus claire, l'apport de la Haute Assemblée aura été, à cet égard, tout à fait déterminant. Je tenais à le dire, parce que personne ne pourra accuser le Sénat d'avoir mis la moindre entrave, jamais, en quoi que ce soit, à l'exercice du contrôle financier dans tous les domaines.
Permettez-moi de revenir un peu en arrière pour rappeler l'historique de cette initiative. Tout a commencé en 1997, quand les présidents respectifs des commissions des lois et des finances, à l'époque MM. Jacques Larché et Christian Poncelet, ont considéré que le renforcement du contrôle financier des collectivités locales constituait - c'est toujours vrai - le corollaire indispensable de l'approfondissement de la décentralisation, qu'il fallait aller dans le sens d'un meilleur contrôle pour une meilleure décentralisation, mais que les relations avec les chambres régionales des comptes et des élus locaux ne présentaient pas toujours le degré de sérénité souhaitable.
Les deux présidents ont alors décidé la création de ce groupe de travail commun sur les chambres régionales des comptes qu'a présidé M. Amoudry et dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur. Nous avons rendu notre rapport en juin 1998. A l'évidence, le Sénat a pris un train de sénateurs pour nourrir sa réflexion ! (Sourires.)
Nos conclusions ont servi de fondement à l'élaboration de la présente proposition de loi, qui n'a été déposée que plusieurs mois plus tard, à l'issue de nouvelles réflexions. Vous constaterez que, bien qu'elle ait été signée par les membres du groupe de travail appartenant à la majorité sénatoriale, elle suscite toutefois des remarques convergentes de la plupart des sensibilités représentées dans cet hémicycle.
Aujourd'hui, le rapport du groupe de travail est devenu un document de référence et, avant même d'être introduites dans notre droit, ses conclusions, reprises dans la proposition de loi, ont déjà fait oeuvre utile.
Elles ont permis, en effet, d'engager un vaste débat, et j'entends par là un échange rationnel et serein, et non les invectives que nous avons les uns et les autres pu lire dans certains organes d'information ou à la suite de certaines conférences de presse.
M. Michel Charasse. Scandaleux !
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Je vous laisse la paternité de ce qualificatif, mon cher collègue !
M. Michel Charasse. Il va directement dans le sens de ce que vous venez de dire !
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Absolument !
Ces propositions ont donc permis d'engager un vaste débat, dont le principal enseignement est la nécessité, désormais reconnue par tous, de remettre en cause le statu quo. Il y a quelques mois encore, la simple évocation d'une modification des règles applicables aux chambres régionales des comptes pouvait être assimilée à une volonté de museler les juges.
Je suis persuadé que, d'ores et déjà, il n'est plus personne pour le penser, et que ce sera d'autant plus vrai à l'issue de nos débats.
Au-delà d'un constat partagé, les différentes parties prenantes du débat ont évolué.
La Cour des comptes, d'abord, et je me permets de saluer la présence de son Premier président dans notre tribune officielle. Dès juillet 1997, c'est-à-dire quatre mois après le début des réflexions de notre groupe de travail, elle adressait aux magistrats des chambres un « texte de référence », véritable charte de déontologie fondée sur des principes proches de ceux que le groupe de travail allait retenir. C'est donc bien que nous allions dans le sens d'une amélioration de l'organisation et de meilleures procédures.
Le Gouvernement, ensuite, qui a décidé, un peu sous la pression des magistrats des chambres,...
M. Michel Charasse. « Pression » quel vilain mot !
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. ... lesquels avaient déclenché un important mouvement de grève en 1999, de suivre une recommandation formulée à plusieurs reprises par des rapports sénatoriaux et de mettre en adéquation le statut des magistrats des chambres régionales des comptes avec les responsabilités qu'ils exercent.
Cette demande d'alignement des deux statuts nous paraissait d'une telle évidence que nous nous étonnions que cela n'ait pas été fait plus tôt. Un projet de loi, actuellement en navette, prévoit d'harmoniser leur statut sur celui des magistrats de tribunaux administratifs ; c'est le moins que l'on pouvait faire.
Les députés, enfin, car, à l'occasion de l'examen du projet de loi sur le statut des magistrats, ils ont également repris à leur compte une proposition du Sénat en adoptant un amendement prévoyant que les lettres d'observations définitives, à l'image des rapports de la Cour des comptes, devront être publiées avec les réponses des personnes contrôlées.
Au sein même de notre assemblée, à l'occasion de la discussion du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, le groupe socialiste a déposé des amendements relatifs au régime de la gestion de fait et aux conditions de l'examen de la gestion des collectivités par les chambres régionales.
L'ensemble de ces initiatives montre que le chantier ouvert par les travaux du groupe de travail de notre commission des lois et de notre commission des finances méritait non seulement d'être entrepris, mais aussi mené à son terme. Je suis persuadé que le Gouvernement en est pleinement conscient.
Dès lors, il paraît logique qu'il appartienne au Sénat, puisque celui-ci a ouvert le débat, d'apporter des réponses globales et cohérentes aux questions qu'il a conduit les uns et les autres à se poser, afin de permettre au contrôle financier des collectivités locales de s'exercer dans les meilleures conditions possibles et, surtout, dans le respect des grands principes du droit.
A ce stade, je tiens à rappeler que le Sénat est traditionnellement en pointe s'agissant du contrôle et de la transparence des comptes publics. En tant que rapporteur pour avis des crédits de la sécurité sociale, j'avais déposé un amendement à la loi du 24 juillet 1994 sans lequel la Cour des comptes ne réaliserait pas chaque année son rapport sur la loi de financement de la sécurité sociale. Cela a été une grande avancée. C'est d'ailleurs l'époque où j'avais également déposé une proposition de loi de réforme constitutionnelle introduisant le Parlement dans le débat social, ce qui me paraissait être une évidence.
Plus récemment, les initiatives de la commission des finances ont conduit l'Etat à modifier la présentation de son budget, notamment en rebudgétisant des dépenses qui en avaient été extraites. Je parle bien entendu des dépenses sociales.
Il ne m'appartient pas, en tant que rapporteur pour avis, de me livrer à une présentation détaillée du texte que nous examinons aujourd'hui, d'autant qu'il a été excellemment exposé par M. Amoudry. J'insisterai simplement sur deux points.
Ma première remarque est la suivante : cette proposition de loi comporte un ensemble de mesures à la fois cohérent et mesuré, ce qui est d'ailleurs le propre des travaux du Sénat.
Cohérent, parce que les difficultés rencontrées par les uns et par les autres sont abordées et traitées en prenant en compte l'ensemble des points de vues.
Tout d'abord, il faut prendre en compte le point de vue des élus locaux, qui sont à la recherche d'une plus grande sécurité juridique de leurs actes. Dans ce but, la proposition de loi prévoit d'utiliser la grande connaissance du terrain des magistrats financiers et de leur conférer un « droit d'alerte », lorsqu'ils constateraient que certaines règles rencontrent des difficultés d'application. J'ai l'habitude de dire que les mauvaises lois et les mauvais règlements font les mauvais contrôles. Si vous voulez de bons contrôles, il est préférable de savoir sur quels textes on s'appuie. D'ailleurs, nous avons proposé que toute observation d'une chambre régionale des comptes fasse référence au texte qui aurait été méconnu, ce qui implique, de la part des uns et des autres, d'améliorer lesdits textes.
Ensuite, il convient de prendre en compte le point de vue des magistrats financiers, qui doivent pouvoir travailler dans des conditions normales, c'est-à-dire dans un cadre bien défini et sans surcharge excessive. Dans cette optique, la proposition de loi prévoit notamment de définir le contenu de l'examen de la gestion, de manière à permettre aux magistrats de savoir exactement jusqu'où ils peuvent aller sans encourir le reproche de contrôler l'opportunité des choix des élus locaux. Je pense - nous le verrons lors de l'examen des articles - que nous sommes parvenus à un bon équilibre. Je souhaite que le Gouvernement en soit également persuadé.
La propositon de loi prévoit également, en matière de jugement des comptes, de revoir le seuil de partage entre l'apurement administratif et la compétence des chambres, afin que les chambres régionales des comptes ne soient plus engorgées par le contrôle de « petits » comptes qui les détournent de leurs missions qualitatives, et même des comptes des associations foncières ; il me paraît nécessaire que la loi règle ce problème.
Enfin, il importe de prendre en compte le point de vue des personnes contrôlées, dont les droits doivent être garantis - et c'est tout à fait essentiel ; ce n'est pas parce que vous êtes un élu et que vous êtes soumis à un contrôle que vous n'avez plus de droits - à toutes les étapes de la procédure, conformément aux grands principes de notre droit. En conséquence, il est proposé de renforcer le respect des règles de procédure en faisant intervenir le commissaire du Gouvernement, la mission permanente d'inspection des chambres, le parquet de la Cour des comptes, de façon à renforcer le caractère contradictoire des procédures en ouvrant la possibilité de demander une nouvelle délibération aux chambres et de demander l'annulation des observations définitives par la voie d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat. Je sais que cette phrase est une phrase qui fâche, mais j'espère que les débats parlementaires et la navette permettront de trouver le juste milieu.
Il est également prévu de faire en sorte que les travaux des chambres ne puissent pas faire l'objet d'utilisations médiatiques ou politiques abusives - je dois faire plaisir à notre collègue Michel Charasse en disant cela - en renforçant la confidentialité des documents provisoires, en soumettant les chambres à un délai de « neutralité » de six mois avant une élection et en aménageant les règles d'inéligibilité en cas de gestion de fait, de manière à éviter que les magistrats financiers ne deviennent également juges du mandat, ce qu'ils ne souhaitent d'ailleurs pas.
Cohérent, le dispositif proposé est également mesuré, car, à l'exception d'une ou deux questions de fond telles que le contenu de l'examen de la gestion et la possibilité de recours pour excès de pouvoir, que j'évoquais voilà un instant, ce sont surtout des mesures techniques, demandées ou préconisées par diverses personnes que nous avons entendues, qui nous sont aujourd'hui soumises.
Par exemple, l'aménagement du régime de la gestion de fait est ardemment souhaité par les magistrats, qui, aujourd'hui, hésitent à déclarer certains élus comptables de fait car cela reviendrait à rendre inéligibles des personnes qui n'ont manifestement rien commis de véritablement répréhensible. Je crois d'ailleurs que cette question de la gestion de fait sera examinée à travers des amendements qui n'émanent ni du groupe de travail ni des commissions, mais qui sont fondés et dignes d'intérêt.
Au total, il s'agit bien d'un texte qui a pour objet d'améliorer les conditions dans lesquelles s'effectue le contrôle financier des collectivités locales, sachant que, à notre époque, les attentes des citoyens en matière de contrôle de la dépense publique se font de plus en plus fortes. Encore faut-il que ce contrôle s'exerce dans des conditions de parfaite clarté et en toute rigueur.
Ce constat me conduit à ma seconde remarque.
Les observations des magistrats sur la gestion des collectivités locales reflètent dans bien des cas moins une mauvaise gestion qu'une difficulté à appliquer une réglementation complexe et incertaine. Je pense que, en l'occurrence, la présence du ministre de l'intérieur dans cette enceinte n'aurait pas été tout à fait inutile.
Quoi que l'on dise ou que l'on fasse, il y aura toujours des gens pour considérer que les élus veulent réformer le fonctionnement des chambres régionales des comptes dans le dessein de « museler » les juges. J'ai fait justice de cette affirmation totalement infondée.
Pourtant, force est de constater que, en matière de gestion financière, les collectivités locales n'ont pas à rougir de leur bilan, surtout lorsqu'on le compare à celui de l'Etat. Sans vouloir polémiquer, madame le secrétaire d'Etat, je tiens à attirer votre attention sur les quelques chiffres qui suivent.
En premier lieu, les investissements des collectivités locales sont en, pourcentage du produit intérieur brut, quatre fois supérieurs à ceux de l'Etat.
En deuxième lieu, les collectivités locales se désendettent depuis 1997. Depuis 1980, la part des collectivités locales dans l'endettement public total est ainsi passée de 26 % à 12 %.
En troisième lieu, les collectivités locales maîtrisent leurs dépenses de fonctionnement, malgré l'effet des décisions prises par l'Etat en matière de rémunération des agents et de normes techniques.
En quatrième lieu, les collectivités locales maîtrisent leurs prélèvements obligatoires. Pour 1999, la Cour des comptes relève que la fiscalité locale a baissé de 0,2 point de PIB, alors que la fiscalité de l'Etat a augmenté de 1,2 point de PIB.
En cinquième lieu, les collectivités locales dégagent un excédent budgétaire, alors que l'Etat a encore un déficit important. Faut-il rappeler que, sans l'excédent des collectivités locales, la France n'aurait pas rempli les critères de convergence nécessaires pour la participation à l'euro ?
En sixième lieu, il convient de rappeler que les collectivités locales sont soumises à des règles comptables strictes, qui contrastent avec les facilités que l'Etat s'autorise, comme le remarque encore une fois la Cour des comptes dans son rapport préliminaire sur l'exécution des lois de finances de 1999.
Ainsi, les collectivités locales n'ont pas le droit de financer des dépenses de fonctionnement par l'emprunt - c'est une bonne chose et, généralement, elles respectent cette règle - alors que la loi de finances initiale pour 2000 affichait encore un solde primaire négatif de près de 50 milliards de francs.
Dans l'ensemble, les collectivités locales sont donc bien gérées. Certes, il y a toujours des exceptions. Lorsqu'elles ne sont pas bien gérées, les chambres régionales des comptes sont là pour en tirer les conséquences. Nous notons d'ailleurs, d'année en année, des améliorations substantielles.
En revanche, les collectivités, notamment les plus petites, sont largement démunies face au caractère complexe et incertain de la réglementation qu'elles doivent appliquer. Le nombre de normes augmente sans cesse, par sédimentation plutôt que dans le cadre d'un ensemble cohérent. Il en résulte la conjonction d'une complexité accrue et de la persistance de « trous » dans la réglementation. L'instruction comptable M 14 constitue un bon exemple de complexité, surtout lorsque l'on sait que, deux ans après sa mise en application, le comité des finances a changé la nomenclature une fois de plus, ce qui est tout de même un paradoxe.
L'incapacité des élus à manipuler la M 14 expliquerait, selon certains, l'augmentation des budgets votés hors délais constatée par les chambres régionales des comptes. S'agissant des « trous » dans la réglementation, ils sont progressivement comblés par l'adoption d'amendements à l'occasion de tel ou tel texte ou par la jurisprudence, ce qui permet de résoudre des problèmes spécifiques mais n'améliore pas nécessairement la cohérence de l'ensemble.
Les magistrats des chambres régionales des comptes, comme les élus locaux, vivent quotidiennement ces difficultés. Ils sont, si je puis dire, « dans le même bateau ». Leurs intérêts sont largement communs pour élaborer ensemble un corps de doctrine, un corps de contrôle de la gestion qui donne confiance et soit productif. On peut faire du bon contrôle de la gestion et de ce bon contrôle peut sortir beaucoup de bien.
Le rapport du groupe de travail de 1998 était intitulé : Chambres régionales des comptes et élus locaux : un dialogue indispensable au service de la démocratie locale. Il nous revient, cet après-midi, de créer les conditions d'un dialogue constructif, nécessaire à l'approfondissement et la consolidation de notre décentralisation. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, chers collègues, les chambres régionales des comptes symbolisent parfaitement la rupture opérée par les lois de décentralisation de 1982. La volonté de mettre fin à la tutelle administrative a, en effet, nécessité la mise en place d'institutions entièrement nouvelles répondant à deux exigences : une exigence de proximité avec les collectivités locales elles-mêmes, comme condition d'un contrôle serein ; une exigence d'indépendance vis-à-vis de l'Etat, afin de garantir pleinement le respect du principe de libre administration.
Elles sont un élément fondamental de la démocratie locale, qui donne tout son sens à l'article XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, aux termes duquel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Leur rôle est d'autant plus important que les collectivités locales sont devenues un acteur essentiel de l'économie, ce que chacun sait ici.
Qu'on en juge : leurs dépenses correspondent à plus de la moitié du budget national et leurs investissements représentent 70 % de l'investissement public total.
Pourtant, les chambres régionales des comptes rencontrent deux types de critiques.
Il y a tout d'abord une critique d'ordre statutaire qui émane des membres des chambres régionales des comptes et qui a été en partie prise en compte dans le projet de loi adopté le 3 mars dernier par l'Assemblée nationale. Nous savons néanmoins que le principe de mobilité fait problème parmi les magistrats financiers, qui y voient une possible remise en cause de leur indépendance. Nous espérons, madame la secrétaire d'Etat, que nous pourrons néanmoins en débattre prochainement.
D'autres critiques, émanant des élus, tiennent aux modalités d'exercice par les chambres régionales des comptes de leurs missions. Si le contrôle juridictionnel semble bien admis, il n'en est pas de même du contrôle administratif portant sur la gestion des collectivités locales, sur leurs établissements publics, ainsi que sur les associations dépendant financièrement d'elles.
Malgré les aménagemens opérés par les lois du 5 janvier 1988 et du 15 janvier 1990, un sondage réalisé par l'association des maires de France, en 1998, révélait que 47 % des maires souhaitaient une réforme du contrôle de gestion.
Telles sont les critiques dont les auteurs de la proposition de loi aujourd'hui en discussion voudraient se faire les relais. Qu'elles portent sur la constance du contrôle de gestion en s'interrogeant sur sa neutralité, qu'elles revendiquent un meilleur respect du principe du contradictoire ou qu'elles insistent sur la nécessité de renforcer la sécurité juridique, toutes convergent vers un seul et même constat, à savoir l'absence de dialogue confiant entre les collectivités locales et les chambres régionales des comptes.
Pour rénover ce dialogue, faut-il opérer une remise en cause des compétences des chambres régionales des comptes ? Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne le pensent pas. Ils considèrent, pour leur part, que des aménagements simples permettraient une amélioration sensible des conditions du contrôle de gestion.
De ce point de vue, notre groupe est d'accord avec les propositions tendant à instaurer un véritable « droit de réponse » des élus aux lettres d'observations par le biais de l'institution d'un délai de réponse, que ce dernier soit de un mois, comme le propose la commission des lois, ou de deux mois, comme en a décidé l'Assemblée nationale. De même, l'annexion de la réponse écrite à la lettre d'observations semble constituer une solution équitable. Enfin, les dispositions prévoyant la présentation par le ministère public de ses conclusions avant l'arrêt des observations définitives sur la gestion paraissent intéressantes.
En revanche, la remise à plat du contrôle de gestion, comme le propose la commission des lois, nous semble de nature à hypothéquer l'avenir du contrôle financier.
Je prendrai trois exemples à cet égard.
Le premier exemple porte sur le relèvement notable des seuils en deçà desquels le contrôle des chambres régionales des comptes disparaît au profit du système de l'apurement administratif.
Je ne suis pas sûre que cette restriction du champ de compétence des chambres régionales des comptes soit judicieuse, et ce d'autant que la majorité de la commission des lois a souhaité qu'une évolution pouvant aller jusqu'à 20 % du montant total des recettes - ce n'est pas rien ! - ne puisse pas remettre en cause ce seuil. Sachant que les recettes des collectivités locales ont plus tendance à croître qu'à diminuer, je doute que cette règle soit le gage d'une volonté de dialogue à l'égard des chambres régionales des comptes.
Mon deuxième exemple concerne la définition du contrôle de gestion.
Si l'on peut être sensible à la volonté de donner une définition légale au contrôle de gestion pour permettre un traitement égalitaire des contrôlés et éviter les abus d'une définition exclusivement « judiciaire », il n'est pas certain que le texte qu'il nous est proposé d'adopter ne tombe pas dans le « piège » évoqué par le groupe de travail de 1997-1998 sur les relations entre les chambres régionales des comptes et les élus, à savoir la réduction du contrôle à une simple vérification de l'application des textes, en laissant de côté tout ce qui ressortit à l'efficience et à l'efficacité.
Enfin, l'interdiction de publication de lettres d'observations définitives dans les six mois précédant une élection générale, retenue dans la proposition de loi initiale, risquait fort d'aboutir à ce que j'appellerai « un contrôle en pointillé ». On est revenu sur cette disposition, mais cela reste un problème.
On peut se demander si, eu égard aux garde-fous posés quant au respect du principe du contradictoire, cette limitation continue d'avoir un sens. De même, les exigences de transparence de la vie publique s'accommodent mal de restrictions.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen ont également des doutes quant à l'efficacité des solutions proposées.
S'il est louable de vouloir lutter contre la médiatisation à outrance du contrôle de gestion pour éviter qu'il ne soit détourné de son objet, on peut néanmoins être sceptique, lorsque l'on connaît les difficultés à faire respecter le secret de l'instruction, sur l'efficacité de l'interdiction de communication des documents préparatoires.
Par ailleurs, instaurer le recours pour excès de pouvoir contre les lettres d'observations définitives aboutit à juridictionnaliser le contrôle de gestion. Or, si les membres de mon groupe sont sensibles à l'argument du « droit de recours », ils ne sont pas certains que cette solution n'ait pas l'effet inverse de celui qui est recherché, à savoir rendre le contrôle de gestion plus solennel, et donc plus lourd de conséquences sur la gestion locale et le mandat des élus qu'il ne l'est actuellement.
Reste la question de la gestion de fait, sujet très sensible pour l'ensemble des élus qui se retrouvent, parfois, lourdement sanctionnés, alors qu'ils pensaient agir dans un cadre légal. La sanction de la démission d'office apparaît symptomatique d'un contrôle qui est excessif parce qu'il met en cause le mandat même des élus.
On conviendra toutefois que cette sanction n'est pas si fréquente qu'on veut bien le dire parfois : la loi de 1991 donne six mois aux élus pour régulariser et obtenir ainsi un quitus.
A notre sens, des améliorations peuvent être recherchées. Ainsi, la substitution d'une prescription de cinq ans à la prescription trentenaire actuelle nous paraît judicieuse.
De même, l'impossibilité de prononcer une déclaration de gestion de fait sur les exercices ayant fait l'objet d'un apurement définitif mérite d'être étudiée, à condition qu'elle ne concerne pas les gestions de fait volontairement dissimulées.
En revanche, le système proposé par la commission des lois ne nous sied guère, parce qu'il pourrait être considéré comme se contentant de « prendre acte » de la gestion de fait, et donc de la confusion de l'ordonnateur et du comptable.
En fin de compte, les membres du groupe communiste républicain et citoyen voient dans la délicate question de la gestion de fait une traduction de l'insécurité juridique dont souffrent les élus locaux. Ils considèrent que celle-ci ne pourra trouver de solution durable que dans le renforcement du conseil aux collectivités locales, qui pourrait être une véritable aide à la décision.
Ce besoin de conseil est particulièrement crucial dans les petites communes n'ayant les moyens ni financiers ni matériels nécessaires pour recourir à des audits extérieurs.
Les auteurs de la proposition de loi avaient envisagé le problème en proposant la création d'un groupement d'intérêt public. Celui-ci présentait pourtant, pour la commission des lois, l'inconvénient majeur d'être particulièrement lourd d'utilisation ; elle ne l'a donc pas retenu.
On sait également que le groupe de travail consacré aux relations entre les chambres régionales des comptes et les élus avait écarté l'idée de confier aux chambres régionales des comptes elles-mêmes ce rôle de conseil, eu égard au dédoublement fonctionnel qu'il entraînerait. Le Conseil d'Etat lui a récemment donné raison sur ce point.
Il faut donc absolument soit réfléchir à une réorganisation interne de la chambre régionale des comptes, de façon à bien distinguer les fonctions, à l'instar du Conseil d'Etat, soit explorer d'autres voies, qu'il s'agisse d'exploiter au mieux les possibilités données par l'intercommunalité ou de réfléchir à des services plus orientés sur le conseil dans les préfectures.
Au vu de toutes ces remarques, vous aurez compris que mon propos est relativement modéré, mais que le texte présenté par la commission des lois n'a pas convaincu les membres du groupe commmuniste républicain et citoyen. En voulant rééquilibrer le contrôle des chambres régionales des comptes, on tend à créer un nouveau déséquilibre dont personne ne sortira gagnant, ni les chambres, ni les élus, et encore moins les citoyens.
On le sait, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Je crains que la preuve ne nous en soit à nouveau donnée aujourd'hui. C'est pourquoi nous voterons contre ce texte.
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le texte dont nous allons discuter recouvre bien des aspects.
Hors les aspects de procédure sur le secret des étapes intermédiaires des contrôles et la forme de publication des lettres d'observations définitives, sur lesquels j'ai le sentiment que, petit à petit, se dessine un certain consensus, le débat qui s'ouvre me semble en grande partie le résultat d'un énorme malentendu. A cet égard, je parle non pas de la gestion de fait, mais de la fameuse affaire du jugement d'opportunité. Ce malentendu était prévisible depuis la discussion, en 1987, de la loi dite « loi Galland », relative à l'amélioration de la décentralisation, loi dont j'avais eu l'honneur, à l'époque, d'être le rapporteur.
Déjà, l'aspect et le contenu des observations des chambres régionales des comptes sur la gestion des collectivités locales étaient en cause. Peut-être peut-on résumer le contexte - j'avance à pas comptés, car le sujet est délicat - en constatant que, organes juridictionnels coordonnés sans hiérarchisation par la Cour des comptes, les chambres régionales des comptes ont tout naturellement compris leur mission comme étant parallèle à celle qu'exerce la haute juridiction financière. Celle-ci, dans ses jugements mais surtout dans son rapport annuel, ne se prive pas de mettre en exergue les dysfonctionnements, les insuffisances et les erreurs des administrations de l'Etat.
Ces remarques n'atteignent toutefois que très exceptionnellement - pour ma part, je n'en ai d'ailleurs aucun souvenir précis - la gestion des ministres en tant que personnes. Leurs fautes éventuelles échappent d'ailleurs aux juridictions de droit commun puisque seule la Cour de justice de la République est compétente en ce qui les concerne. (M. Charasse s'exclame.)
Les jugements du peuple souverain sur les ministres et sur leur gestion ne s'exercent qu'à travers des élections législatives et, par conséquent, à un niveau n'ayant rien à voir avec celui où évoluent les élus des collectivités territoriales.
Il n'en va pas du tout de même lorsqu'une observation sur la gestion d'une collectivité territoriale est formulée par une chambre régionale des comptes, car, bien entendu, l'élu se sent directement concerné.
Personne, je pense, n'imagine contester le bien-fondé d'une irrégularité financière ni la transmission à la justice pénale d'une infraction délibérée.
Mais toute observation sur l'efficacité, parfois appelée « évaluation des politiques publiques », est vécue par les responsables d'une collectivité territoriale d'une manière très différente de celle dont est vécue - je n'ose pas dire « superbement ignorée » - une telle évaluation par les administrations de l'Etat et, au mieux, considérée par les ministres comme un moyen supplémentaire d'investigations sur le fonctionnement de leurs propres services.
C'était d'ailleurs dans ce dernier esprit, à savoir l'information du responsable sur le fonctionnement de ses propres services, que l'idée des observations sur la gestion des collectivités territoriales avait été admise par le législateur au moment du débat de la loi Galland précitée.
L'interprétation donnée sur le terrain en a été d'emblée différente, et certaines exagérations dans le formulé d'observations sont présentes dans toutes les mémoires, traumatisant les élus mentionnés et, bien au-delà, par vagues successives, nombre de leurs collègues.
L'élu local, contrairement au ministre, est en effet l'exécuteur de terrain d'une politique née et arrêtée par une assemblée de terrain, responsable directement à intervalles réguliers et relativement courts devant la population qu'il administre.
Encadré par un contrôle de légalité malheureusement un peu incertain, trop souvent insuffisamment conseillé sur le plan juridique - c'était l'un des aspects de la proposition d'origine - et mal assuré quant aux sécurités qui devraient être les siennes avant de passer à l'action, l'élu local accepte difficilement de voir publiquement remises en cause des décisions découlant de délibérations publiques, à la régularité non contestée sur l'instant, surtout lorsqu'il s'agit d'adéquation en termes d'efficacité entre buts et résultats.
Toute initiative, même lorsqu'elle émane d'une collectivité territoriale - c'est également vrai dans l'économie privée, dans l'économie courante - compte une part d'incertitude que seul le temps peut lever... temps dont, par définition, le juge a disposé, mais dont, au moment de la décision ni l'assemblée ni son chef n'ont évidemment la moindre mesure quant à ce qu'il révèlera. C'est là, me semble-t-il, que se trouve l'ambiguïté.
Le choix d'une politique ne peut, bien entendu, pas être remis en cause, mais l'observation sur son efficacité a, quand il s'agit d'un élu local directement en contact avec sa population, un effet tout autre que celui d'une observation sur l'efficacité du fonctionnement d'une administration de l'Etat tel que nous le connaissons. A mon sens, un avis sur le choix d'une politique est, par définition, hors sujet ; c'est d'ailleurs rarissime ; mais un tel avis, quand il se produit, crée, d'une certaine manière, même si juridiquement ce n'est pas le cas, un réel grief vis-à-vis de l'élu local, et c'est le débat d'ambiance devant lequel nous nous trouvons.
Bien entendu, j'imagine que l'argument d'opportunité ne doit pas être utilisé exclusivement par les magistrats, et j'imagine qu'il doit bien exister quelques circonstances dans lesquelles le responsable local l'invoque lui-même face à la constatation d'une irrégularité. Cela ne doit normalement pas être admis et, dans ce cas précis, j'estime tout à fait logique que les jugements, observations et autres décisions relèvent les cas dans lesquels les ordonnateurs se laissent aller à l'invoquer.
Le texte dont nous allons discuter a ses qualités et ses défauts, mais il constitue un apport à ce dialogue difficile entre la nécessaire rigueur financière qui s'impose à tous, la souplesse et le minimum de sens du risque qui sont tous les jours demandés aux élus de terrain, et la nécessité devant laquelle nous sommes de faire en sorte qu'il reste demain des candidats pour accepter de gérer le quotidien de nos concitoyens, ce qui n'est pas aussi certain qu'on veut le penser dans l'atmosphère qui est en train de se créer dans nos collectivités territoriales.
C'est dans cet esprit qu'il faut concevoir les votes qui vont intervenir, lesquels ne comportent, bien entendu, aucun jugement d'ensemble péjoratif sur l'ensemble du corps des magistrats des chambres régionales des comptes, en lesquels nous avons beaucoup de confiance et entre les mains desquels repose également toute la confiance de nos concitoyens, ni d'abandon du principe même de leur contrôle.
Toutefois, nous devons être bien conscients que l'efficacité exigée par le citoyen vis-à-vis de son élu local, qu'il voit tous les jours, comporte un certain nombre de dimensions psychologiques dont la traduction doit être opérée en termes juridiques et qui ne sont pas de même nature que celles de la juridiction un peu froide et relativement distante qu'est la Cour des comptes face aux administrations de l'Etat.
Mes chers collègues, en conclusion, je souhaite que ce débat se déroule dans la sérénité la plus complète et que nous puissions petit à petit avancer vers la dissipation d'un malentendu qui, encore une fois, me semble aujourd'hui dommageable pour tout le monde. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans cette discussion qui était attendue depuis un certain temps et qui doit beaucoup au travail effectué spontanément sur l'initiative de plusieurs de nos collègues - je pense, notamment, au groupe de travail animé par notre collègue Jacques Oudin, puis à la réflexion menée par nos commissions des lois et des finances afin d'examiner, quinze ans après, ce qui va bien et ce qui va moins bien dans le système des chambres régionales des comptes - je voudrais dire dans quel état d'esprit mon groupe aborde ce débat sur le statut des chambres et abordera demain le débat que l'on nous annonce sur le statut des magistrats des chambres.
En premier lieu, les chambres régionales des comptes font partie intégrante du bloc de la décentralisation et il ne saurait être question, de notre point de vue, de remettre en cause leur existence ; ce n'est d'ailleurs pas ce qui nous est proposé.
Je le dis avec d'autant plus de force qu'il s'est trouvé, par les hasards de la vie et des circonstances, que j'ai été, au moment de la création des chambres, l'un des inventeurs de la formule, puisque, à l'époque, je conseillais le Président de la République sur ce dossier et que j'étais, à l'Elysée, le correspondant de Gaston Defferre, lequel menait devant le Parlement les débats sur les lois de décentralisation. Nous avions réfléchi à cet organisme. Au demeurant, je ne suis pas sûr d'en avoir inventé la dénomination, qui doit être due, je pense, au président Rosenwald, qui était à l'époque premier président de la Cour des comptes ; en tout cas, madame la secrétaire d'Etat, dans une recherche en paternité, je ne suis pas clair. Par conséquent, je n'accablerai pas mon éventuel enfant, tant s'en faut ! (Sourires.)
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Il faut un test d'ADN ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Charasse. Premièrement, le principe du contrôle financier a posteriori et l'existence d'un organisme spécialisé à cet effet est, mes chers collègues, la contrepartie de la liberté locale devenue totale, notamment par la suppression des tutelles et des contrôles a priori.
Deuxièmement, avec la déconcentration, l'institution des chambres régionales des comptes est le second grand pilier qui doit assurer l'équilibre de la décentralisation afin que cette grande réforme n'entraîne pas, comme le disait le président Mitterrand, qui en est l'un des auteurs, « le rétablissement de féodalités locales contre la République et l'anéantissement de l'autorité de l'Etat au détriment de l'unité de la nation ».
Le pilier de la déconcentration, nous le savons tous, a malheureusement été trop oublié par les gouvernements successifs, et les préfets restent encore souvent bien trop démunis. Il ne saurait donc être question pour mon groupe d'ébranler cet indispensable pilier de l'équilibre de la décentralisation que sont les chambres régionales des comptes et, fidèles à l'oeuvre du président Mitterrand, de Pierre Mauroy et de Gaston Defferre, nous ne nous associerons naturellement jamais - mais ce n'est pas l'objet du débat - à des initiatives qui viseraient à le mettre en cause.
Dans l'esprit de ce qu'a rappelé le Président de la République de l'époque sur les principes de la République, les chambres régionales des comptes - nos collègues MM. Amoudry et Oudin le disent très bien dans leur rapport - ont reçu pour mission de faire vivre, dans le cadre de la liberté locale, les grands principes de la déclaration de 1789 en ce qui concerne, d'abord, le droit pour la société de demander des comptes à tout agent public sur son administration - à tout agent public, sauf, naturellement, comme vous le savez, aux magistrats de tous ordres, mais cela, c'est un autre débat (Sourires) - et, ensuite, le droit pour les citoyens de contrôler l'emploi des fonds publics par eux-mêmes ou par leurs représentants : ces droits se fondent sur les articles XIV et XV de cette déclaration.
Mais comment les citoyens et leurs élus peuvent-ils contrôler s'ils ne savent pas, s'ils ne sont pas informés de la réalité ? En quelque sorte, les chambres régionales sont la transposition, au niveau local, de la Cour des comptes qui, au niveau national, assiste le Parlement - dans le cadre des articles 47 et 47-1 de la Constitution, que nos rapporteurs connaissent bien - en matière de contrôle de l'exécution des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.
Remettre en cause le principe du contrôle financier local tel que l'ont voulu les lois de juillet 1982 reviendrait à priver les citoyens de leurs droits, et la République d'un organisme régulateur indispensable.
Qu'on n'attende donc pas de notre groupe qu'il s'engage un jour dans cette voie, et je me réjouis que telles ne soient pas les intentions des auteurs des propositions qui nous sont soumises.
En second lieu, il n'est pas question non plus, de notre point de vue, de remettre en cause les grands principes sur lesquels repose le fonctionnement des chambres.
D'abord, ce sont des juridictions indépendantes. Cette formation et cette indépendance garantissent aux citoyens et aux élus locaux que les comptes des collectivités seront jugés hors de toute pression politique, ou corporatiste, hors de tout ordre extérieur, hors de tout intérêt particulier, et selon une démarche où la recherche de la sincérité et de l'objectivité au regard de la rigueur de la loi prend normalement, et en principe, le pas sur toute autre considération subjective ou partisane.
Juridiction indépendante, la chambre régionale des comptes n'a pas reçu de la loi le droit de se prononcer sur l'opportunité politique des choix et des décisions des assemblées locales issues du suffrage universel ou des organes exécutifs qu'elles désignent librement.
C'est un débat difficile, que notre collègue Paul Girod vient d'aborder après nos rapporteurs. Ce n'est pas toujours clair ! Nous essayons les uns et les autres de trouver une solution, et même si, comme le disait M. Girod - c'est en tout cas ce que j'ai cru comprendre de son propos - il y a l'art et la manière de le faire, le « principe de précaution », dans ce domaine, s'impose sans doute plus qu'ailleurs.
Les chambres, en dehors des illégalités manifestes, peuvent toujours critiquer les méthodes retenues pour exécuter les décisions politiques et leur coût pour le contribuable, mais elles ne sauraient sans violer la séparation des pouvoirs, qui est inhérente à l'existence de toute juridiction indépendante, se prononcer sur des choix politiques qui ne relèvent, dans la République, que des élus et, le moment venu, des électeurs.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Absolument !
M. Michel Charasse. Le principe selon lequel « aucune section du peuple, aucun individu ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale », qui figure à l'article 3 de notre Constitution comme d'ailleurs dans la déclaration de 1789, s'applique évidemment aux chambres régionales des comptes comme à toutes les autres juridictions, et la loi des 16 et 24 août 1790 aussi dans celles de ses dispositions qui sont toujours en vigueur.
Dans le domaine du contrôle financier local comme dans le domaine judiciaire en général, il ne saurait être question de rétablir les Parlements de l'Ancien Régime, même si quelques nostalgiques conçoivent quelque rancoeur de cette interdiction.
En tout cas, qu'il soit donc bien clair qu'il ne saurait être question de revenir sur les lois de 1982 en ce qu'elles ont retenu l'indépendance et son corollaire, la séparation des pouvoirs.
Le troisième grand principe est celui du débat contradictoire - c'est la règle de la juridiction - désormais bien établi mais qui, je le rappelle au passage, a nécessité quelques retouches de la part du législateur depuis 1982, car la loi avait été assez maladroite ou insuffisamment précise sur un certain nombre de points.
Les citoyens mis en cause devant toute juridiction doivent pouvoir être entendus et faire valoir leurs arguments. Le statut des chambres comporte bien la possibilité d'être entendu, oralement et par écrit, et les droits de la défense sont donc aujourd'hui bien reconnus, même s'ils méritent encore - on en parlera sans doute tout à l'heure - quelques améliorations.
De quoi s'agit-il donc, mes chers collègues, si l'on ne remet pas en cause le principe de l'existence des chambres et les grands principes de leur fonctionnement ?
D'abord, que l'on s'entende bien. Quels que soient les cris que peuvent pousser certains qui défilent sous nos fenêtres, les chambres régionales des comptes n'ont pas été instituées pour le plaisir ou le confort de ceux qui les ont intégrées, elles l'ont été pour faire respecter les lois et règlements et, avant d'accabler leurs décisions, on ferait parfois mieux de s'interroger sur les vertus ou les vices des lois et règlements que nous fabriquons les uns et les autres et que les chambres régionales des comptes ne peuvent qu'appliquer. Je fais allusion, en particulier, aux règlements que nous créons parfois nous-mêmes dans nos conseils régionaux ou généraux et qui nous sont ensuite « renvoyés dans la figure ».
Les chambres régionales des comptes n'ont pas été instituées, enfin, d'une façon immuable. Nos institutions et leurs grands principes n'interdisent pas au législateur d'apporter aux règles de fonctionnement les retouches qu'elles appellent naturellement après une quinzaine d'années de pratique.
Les magistrats financiers eux-mêmes estiment, après ces quinze années, qu'ils mériteraient d'avoir un statut calqué sur celui des tribunaux administratifs, et un processus législatif a été engagé à cet effet devant l'Assemblée nationale au travers d'un projet de loi dont nous serons prochainement saisis.
Les syndicats de ces magistrats peuvent difficilement soutenir qu'il faut de toute urgence s'occuper des problèmes de carrière et de rémunération que les quinze années de fonctionnement de ces jeunes institutions ont fait apparaître et dénier le droit au législateur qui en a la charge de répondre, lui aussi et pour ce qui le concerne, après quinze ans de jurisprudence des chambres, aux inconvénients qui ne sont pas forcément tous dus aux chambres, mais qui ont pu apparaître au fil du temps et qui peuvent mettre en cause, en persistant, le bon fonctionnement des institutions locales de la République, le droit pour le suffrage universel de se prononcer en toute connaissance de cause, la possibilité pour les élus locaux de remplir normalement leur mission et la faculté pour les citoyens de rester disponibles pour le service de la démocratie locale !
Cela signifie, en particulier, que le citoyen qui se met volontairement au service des autres et qui obtient la confiance des électeurs ne saurait se heurter à un mur de procédures, d'exigences ou de sanctions allant au-delà de l'obligation d'une gestion sincère, économe, honnête, légale et transparente de l'argent public.
M. René-Pierre Signé. Bravo !
M. Michel Charasse. Bref, si les contrôles doivent évidemment sanctionner les manquements graves, ils doivent aussi permettre aux citoyens de connaître la vérité, à l'autorité judiciaire de disposer du matériau nécessaire pour les condamnations pénales, aux élus locaux de bénéficier de précieux conseils pour remplir leurs fonctions selon la loi et selon les instructions reçues du suffrage universel et des assemblées locales, au pays enfin d'assurer en toutes circonstances les besoins essentiels et urgents de la population et de la nation, ce qui implique qu'on tienne compte des circonstances locales liées à des catastrophes ou à des troubles et à l'obligation constitutionnelle d'assurer, quoi qu'il arrive, la continuité du service public et la sécurité des biens et des personnes.
Dans ces divers domaines, mes chers collègues, bien des points des lois de 1982 demandent des modifications et des adaptations : ne faut-il pas clarifier les textes afin d'exclure les contrôles d'opportunité, et donc la violation de la séparation des pouvoirs ? Ce n'est pas facile, notre collègue Paul Girod nous l'a dit tout à l'heure, et M. le rapporteur également. Ne faut-il pas, cependant, essayer ?
Ne faut-il pas mieux assurer encore les droits de la défense ? Ne faut-il pas fixer un délai de prescription plus raisonnable que les trente ans retenus par le Conseil d'Etat faute d'un texte approprié ? Ne faut-il pas assurer plus fortement l'indépendance de la juridiction en excluant du délibéré le commissaire du Gouvernement ? Ne faut-il pas supprimer la peine automatique d'inéligibilité des comptables de fait, puisque, depuis une récente décision du Conseil constitutionnel, notre droit financier n'est plus conforme à la Constitution ?
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Tout à fait !
M. Michel Charasse. Ne faut-il pas donner au gestionnaire de fait les mêmes moyens administratifs qu'au comptable public pour recouvrer les sommes indûment payées ? Ne faut-il pas veiller à ce que les activités des chambres n'interfèrent pas avec les périodes électorales ? Ne faut-il pas trancher la question de savoir si les lettres d'observation font ou non grief et si elles peuvent faire l'objet d'un appel alors que les élus locaux ne disposent pratiquement pas des moyens de faire prévaloir le droit en appel si la chambre persiste malgré les réponses de l'intéressé ? Ne faut-il pas interdire aux chambres de revenir indéfiniment sur la chose déjà jugée par elles ? Ne faut-il pas se demander si le gestionnaire de fait doit seul rembourser le débet alors qu'on pourrait poursuivre les bénéficiaires des fonds irréguliers ?
Je n'énumère pas, mes chers collègues, l'ensemble des questions qu'il faudra bien aborder dans ce débat ou dans le débat à venir pour procéder à un « toilettage » indispensable de l'oeuvre du législateur de 1982, législateur qui manquait alors cruellement et totalement d'expérience du contrôle financier local et de ses exigences - je fais appel aux souvenirs de ceux qui siégeaient au Sénat à l'époque - compte tenu des pratiques anciennes qui voulaient que le contrôle financier soit secondaire puisque les tutelles administratives réglaient presque tout en amont et que, finalement, seules « sortaient » les affaires les plus énormes dans le rapport annuel public de la Cour des comptes.
Nous aurons l'occasion d'aborder ces points, qui doivent rester essentiellement techniques, à travers la proposition de loi et les amendements des uns et des autres.
Le groupe socialiste abordera cette discussion avec un esprit ouvert et constructif, mais dans le respect des grands principes que j'ai rappelés au début de mon propos et sans négliger la nécessaire concertation avec le pouvoir exécutif, qui est lui aussi concerné par le bon fonctionnement local de la République.
Pour conclure, je voudrais dire un mot plus personnel, dont on comprendra qu'il n'engage pas mes amis politiques.
Lorsque je lis dans Les Echos de ce matin qu'un délégué syndical des magistrats des chambres aurait déclaré que la réforme proposée par notre assemblée marquait « la volonté manifeste de certains élus de soustraire leur action à tout contrôle » - ce sont les termes mêmes qui sont employés dans le journal Les Echos ...
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. C'est honteux !
M. Michel Charasse. ... je me dis que, décidément, certains magistrats de ces jeunes juridictions, qui n'ont pas encore vingt ans, n'auront pas attendu longtemps - deux cents ans, comme les autres ! - pour rejoindre la cohorte des magistrats de l'ordre judiciaire, ou de ceux d'entre eux, en tout cas, qui confondent justice et vengeance, et rêvent avec nostalgie du bon vieux temps des parlements de la monarchie. (Sourires.)
Tout cela me rappelle les propos, que nous avons dénoncés ici même, voilà six mois, d'un président de syndicat de magistrats, qui avait déclaré que, au fond, le refus du Sénat de soutenir la révision constitutionnelle tenait à la volonté des sénateurs de se protéger. Notre bureau avait protesté. Le garde des sceaux n'a rien fait de notre protestation. Mais il faut bien, au moins, que quelqu'un le remarque à cette tribune !
M. René-Pierre Signé. Bravo !
M. Michel Charasse. Et je ne suis pas plus près d'accepter de ce monsieur ce que je n'ai pas accepté, hier, de cet autre monsieur !
MM. Jean-Pierre Schosteck et Gérard Braun. Très bien !
M. Michel Charasse. En tout cas, ce genre d'attaque basse et méprisante démontre que, comme certains dans l'ordre judiciaire, certains dans l'ordre financier ont du mal à comprendre et à accepter les règles de la République.
Car lorsqu'il s'agit de mettre en oeuvre les grands principes de la République dans le domaine des institutions publiques, ceux de 1789, de 1790, de 1946 et de 1958, on entend toujours, au fond, mes chers collègues, deux sortes d'avocats : ceux des corporations et des intérêts particuliers propres à ces institutions, qui viennent hurler leur égoïsme sous nos fenêtres, et ceux qui plaident au nom de la République, de ses principes et de ses institutions, et qui sont chargés de les mettre en oeuvre, entendez le Gouvernement et le Parlement, qui ne sont, dans ces domaines, les avocats de personne d'autre que de la République et qui ne sont au service d'aucun intérêt particulier.
Faut-il répondre aux basses attaques de ceux pour qui le devoir de réserve s'arrête là où commencent leurs petits intérêts ?
Mes chers collègues, je crois que ce serait s'abaisser, ne leur en déplaise, car nous ne jouons pas vraiment dans la même cour ! Mais qu'on me permette de dire que, en emboîtant le pas aux vieilles antiennes corporatistes des magistrats les plus activistes de l'ordre judiciaire - puisque Les Echos nous apprennent que les syndicats des magistrats des deux ordres, judiciaire et financier, ont fait la jonction pour nous dénier le droit de faire la loi - ceux des magistrats de ces jeunes juridictions financières qui s'acoquinent avec ceux des plus anciens tribunaux ont subitement pris un sacré « coup de vieux » !
Et pis encore : leur protestation vise, en réalité, une disposition votée par l'Assemblée nationale, dont nous aurons à connaître, qui les oblige à la mobilité tous les sept ans. Mesure sans doute de bonne gestion, donc d'économie, peut-être comparable, madame la secrétaire d'Etat, à celles que les chambres suggèrent parfois aux élus locaux ! l'arroseur arrosé, en quelque sorte !
Ces quelques mots étaient juste pour me faire plaisir et n'engagent évidemment pas ceux de mes collègues et amis du groupe socialiste qui n'ont pas pour les magistrats qui prétendent exercer la souveraineté nationale à la place du peuple et de ses élus la même irrévérence républicaine que moi.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On a la même, mais on ne généralise pas !
M. Michel Charasse. Je me suis attaché à utiliser le mot « certains » parce que je savais que vous seriez en séance, cher Dreyfus-Schmidt !
Ne nous trompons pas de débat. Il s'agit, mes chers collègues, de réformer les chambres régionales des comptes pour qu'elles remplissent mieux la mission que la République leur confie pour le compte de la souveraineté nationale et à laquelle s'emploient, avec dignité, la plupart de leurs magistrats.
Il ne s'agit ni de faire plaisir aux élus locaux par un laxisme excessif ni de complaire à la poignée de magistrats excités des chambres régionales des comptes qui en demandent toujours plus pour pouvoir trancher, au final, à la place du peuple. Il s'agit d'éviter qu'à la faveur des modes et de la pensée unique on ne conduise les Français à douter d'une démocratie représentative parce que quelques petits « saints » portant le beau nom de « magistrat » sèmeraient le doute dans l'esprit civique sur le thème facile du « Tous pourris ! ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Michel Charasse. Quant au vote final du groupe sur le texte que nous examinons, il sera naturellement fonction de ce qui sortira de nos délibérations. (Très bien ! et applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, accompagnant le mouvement de décentralisation de 1982, le législateur a mis en place un contrôle juridictionnel de proximité des comptes des collectivités locales.
Ainsi, en contrepartie de la suppression de ce qu'il était convenu d'appeler la « tutelle » préfectorale a priori des actes des collectivités, et compte tenu de l'élargissement des compétences de celles-ci, une chambre régionale des comptes a été instituée dans chaque région.
Ayant pour mission de juger les comptes, d'examiner la gestion et de concourir au contrôle des actes budgétaires des collectivités et de leurs établissements publics, les juges des chambres régionales des comptes sont la traduction du principe constitutionnel consacré à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
Ces juges remplissent un rôle essentiel en informant la population sur l'utilisation de l'argent public. Ils améliorent ainsi la participation des citoyens à la gestion de leur vie quotidienne.
L'objectif affiché était donc bien, dès le départ, que la démocratie locale sorte renforcée par ce dispositif.
Or, au terme de près de vingt ans, la manière dont certaines chambres exercent leurs investigations et communiquent leurs conclusions suscite aujourd'hui de vives réactions de la part des responsables locaux.
Ces derniers ne contestent pas la nécessité d'un contrôle a posteriori des collectivités locales. Les critiques formulées par les juges financiers sont parfois justifiées.
Il n'est en effet pas question de considérer que les élus, parce qu'ils détiennent leur mandat du suffrage universel, peuvent faire tout ce qu'ils veulent durant leur mandat, et ce sans contrôle.
Les chambres régionales des comptes ont effectivement mis en évidence certaines irrégularités des collectivités locales. Les sanctions sont alors légitimes.
Mais, les élus honnêtes - il ne s'agit pas ici de protéger ceux qui ne le sont pas - déplorent, à juste titre, deux tendances qui se sont fait jour.
La première tendance est celle des chambres à ne mettre en avant que ce qui ne va pas, sans relativiser l'éventuelle proportion de ce qui pose problème par rapport à l'ensemble de la gestion locale, et en faisant trop souvent abstraction du contexte dans lequel s'inscrit cette gestion. Cela fausse la perception que nos concitoyens peuvent avoir de l'engagement de leurs élus dans la gestion de leur collectivité et des difficultés qu'ils rencontrent.
Le contexte dans lequel s'exercent les mandats locaux est en effet de plus en plus complexe, nous le savons tous, mes chers collègues, du fait, notamment, de l'inflation des normes juridiques - nous en sommes d'ailleurs largement responsables...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. José Balarello. ... du fait également de l'extension croissante du champ des responsabilités des élus et de la pénalisation exagérée de notre droit.
Les collectivités sont bien souvent insuffisamment armées pour y faire face, madame la secrétaire d'Etat. C'est pourquoi, quand la gestion est bonne, il faut le reconnaître et le dire.
La seconde tendance qui inquiète les élus est celle des chambres régionales des comptes à effectuer des contrôles d'opportunité. En effet, les chambres n'ont pas à émettre d'appréciations sur le bien-fondé des choix politiques des élus, qui sont - on l'a déjà dit à cette tribune - du ressort du suffrage universel.
Par conséquent, je suis favorable à l'article 1er du texte proposé par la commission des lois, qui précise le contenu de l'examen de la gestion opéré par les chambres régionales des comptes, en supprimant le contrôle d'opportunité.
De plus, il faut avoir à l'esprit que les chambres régionales des comptes détiennent des pouvoirs exorbitants du fait des conséquences que peuvent engendrer leurs seules observations.
La réputation des élus est à la merci des observations provisoires des chambres, dont la presse fait souvent état sans les replacer dans un contexte général de gestion.
Or ce dialogue entre les élus et les chambres mériterait d'être favorisé sans être mis sur la place publique. Il ne peut être que bénéfique à la démocratie locale.
La crise des candidatures aux élections municipales, que nous observons dans tous les sondages, est révélatrice du malaise des élus, qui supportent de plus en plus difficilement d'être la cible des juridictions administratives, juridiques ou financières pour des délits non intentionnels.
Les élus sont confrontés à l'impossibilité d'avoir des services compétents mais également à la méconnaissance de règles administratives ou jurisprudentielles qui ont évolué rapidement ces dix dernières années et dont même les magistrats n'ont pas connaissance avant de les apprendre, comme les avocats, d'ailleurs - j'ai exercé cette profession pendant trente-cinq ans -, à la faveur de l'étude d'un dossier.
Aussi, si la commission des lois a supprimé les premiers articles de la proposition de loi, qui tendaient à créer le groupement d'intérêt public pour l'aide à la gestion des collectivités, considéré comme trop lourd, il n'en reste pas moins vrai que l'idée développée par notre rapporteur était bonne, car ce besoin de sécurité juridique se fait de plus en plus sentir, et il nous faudra trouver une solution, madame la secrétaire d'Etat, autre qu'individuelle et au coup par coup, car les avocats spécialisés en cette matière sont peu nombreux, voire inexistants.
Les autres articles sont approuvés par nous, car ils améliorent les procédures devant les chambres régionales et l'usage du « contradictoire », et ils interdisent la publicité des observations provisoires.
Cependant, les dispositions du titre III sur l'inéligibilité, si elles vont dans le bon sens, sont, à notre avis, trop timorées. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé deux amendements qui ont le mérite de la simplicité. Des amendements émanant d'autres groupes de la Haute Assemblée vont d'ailleurs dans le même sens.
Depuis quelque temps déjà, en effet, je me suis rendu compte de l'ignorance de presque tous, y compris les élus, sur les raisons pour lesquelles un élu déclaré comptable de fait devenait inéligible.
Tout simplement, mes chers collègues, le code électoral, dans ses articles L. 195 et L. 231 - nous en reparlerons lors de l'examen de nos amendements - a voulu éviter que les comptables receveurs municipaux ou départementaux se présentent aux élections contre le maire ou le conseiller général. C'est - pardonnez-moi l'expression - aussi bête que cela ! Ils sont énumérés entre les inspecteurs d'académie et les directeurs des postes ou les policiers et les chefs de bureau de préfecture.
Un troisième amendement déposé par mes soins a été accepté par la commission des lois.
De quoi s'agit-il ? Mes chers collègues, l'inéligibilité est une sanction grave et injustifiée, lorsqu'il n'y a pas de délit - pénal, entendons-nous bien ! - reproché au maire ou au président de conseil général ou de conseil régional.
Mais il y a plus grave pour les élus, et ce même si beaucoup n'en sont pas conscients, car ils méconnaissent les problèmes posés par le non-respect de la séparation des ordonnateurs et des comptables, vieux principe datant de frimaire ou de vendémiaire an III et des ordonnances royales de 1822, 1838 et 1862, et qui peut entraîner la responsabilité financière de l'élu et la saisie de ses biens personnels, c'est-à-dire une mise en débet, dans le cas où il est déclaré comptable de fait, et ce alors qu'il n'y a aucune malversation de sa part et que, de surcroît, la collectivité concernée a reconnu le « caractère d'utilité publique de la dépense ».
Comment, dans ce cas, peut-on saisir le patrimoine ou le salaire de l'élu concerné ?
Même les présidents des chambres régionales des comptes sont conscients - ils me l'ont dit - du « trou législatif » qui existe. Ils demandent au législateur que nous sommes d'élaborer un texte qui leur permette de ne pas ruiner certains élus locaux qui ne sont coupables d'aucune marlversation.
En effet, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la gestion de fait étant une gestion irrégulière des deniers publics, le but de l'opération de déclaration de gestion de fait est d'aboutir à une régularisation des dépenses permettant d'octroyer au comptable de fait le quitus de gestion, c'est-à-dire de lui délivrer en quelque sorte un certificat de régularisation des dépenses opérées.
Cependant, dans cette procédure de gestion de fait, déjà complexe, une étape importante, qui en constitue le point central, est la reconnaissance d'utilité publique des dépenses, qui, comme l'indique d'ailleurs M. Michel Lascombe dans la Revue française des finances publiques de juin 1999, « est sans doute l'une des étapes les plus mystérieuses ».
Afin de rationaliser et de « juridiciser » cette étape, il convient de lui rendre son rôle primordial dans la procédure, afin de donner une sécurité juridique et comptable au comptable de fait mis en cause. Car, actuellement, celui-ci peut obtenir la reconnaissence de l'utilité publique des dépenses et se voir in fine - c'est tout de même assez paradoxal ! - déclarer en débet par la chambre régionale des comptes, qui pourra refuser d'allouer certaines dépenses, c'est-à-dire en rejeter certaines, pour les laisser à la seule charge du comptable de fait, sans que l'organisme public ayant conféré et reconnu l'utilité publique des dépenses puisse le suppléer.
Dans ce cas, le comptable de fait, bien qu'ayant vu les dépenses reconnues d'utilité publique, n'aura plus comme recours qu'à demander une remise gracieuse ou à entamer des contentieux fondés sur la notion d'enrichissement sans cause ou en répétition de l'indu, ce que le droit romain désigne sous le terme d'action de in rem verso .
A moins, mes chers collègues, que ne s'impose à tous la jurisprudence initiée par l'arrêt de la Cour des comptes du 7 octobre 1993 dans le dossier de la mairie de Salon-de-Provence ! Une écriture législative me paraît toutefois souhaitable.
Je remercie donc les signataires de cette proposition de loi, qui ont fait oeuvre utile, puisqu'elle nous a permis de faire prendre en compte par tous les réalités concrètes auxquelles les élus locaux sont confrontés. Ces réalités sont largement méconnues dans le public. Mais n'est-ce pas notre faute à nous, parlementaires, et à l'Association des maires de France s'il y a un déficit de communication assez considérable en la matière ?
Au bénéfice de ces explications, le groupe des Républicains et Indépendants, qui débattra des amendements avec la plus grande ouverture d'esprit, soutiendra le texte qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte dont l'examen vous est proposé est, comme l'ont rappelé MM. Amoudry et Oudin, le fruit d'un travail long et intense, auquel un certain nombre d'entre vous ont participé. Il faut le souligner, comme doit l'être toute démarché, toute action guidée par le souci d'améliorer le fonctionnement de nos institutions et donc de notre démocratie.
Dès sa prise de fonction, le Gouvernement s'est trouvé confronté à l'émergence d'un mouvement social qui affectait les chambres régionales des comptes et qui était important au regard du nombre de magistrats qui l'ont animé.
Ce mouvement trouvait son origine dans l'adoption par le Parlement, le 26 mars 1997, d'une refonte du statut des conseillers des tribunaux administratifs, qui plaçait ceux-ci dans une situation de carrière plus favorable que celle des magistrats des chambres régionales des comptes.
Légitimement, ceux-ci ont manifesté leur inquiétude devant cette distorsion d'autant plus incompréhensible que les missions et l'organisation de ces deux institutions sont très largement comparables.
Dans ces conditions, le Gouvernement s'est attaché à mettre en oeuvre la réforme du statut des conseillers des chambres régionales des comptes, qui a été adoptée en conseil des ministres le 29 décembre 1999, déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale et adoptée par celle-ci en première lecture le 30 mars dernier. M. Oudin a bien voulu souligner le caractère nécessaire et, bien sûr, positif de ce projet.
Pour autant, le Gouvernement ne s'est pas désintéressé des missions et des procédures des chambres régionales des comptes, qui font clairement partie du bloc de décentralisation, comme l'a très judicieusement rappelé M. Charasse.
C'est ainsi que, prenant en compte le souci exprimé par l'Assemblée nationale de légiférer sans délai dans le sens d'une stabilisation des relations entre les élus locaux et les chambres régionales des comptes, le Gouvernement a accepté l'introduction de deux articles dans le projet de loi statutaire, comme l'a rappelé Mme Borvo.
Toutefois, et les travaux que vous avez menés en la matière l'ont bien montré, cette stabilisation des relations et des procédures, somme toute naturelle pour une institution de création récente, implique une approche globale, alors que nous sommes aujourd'hui face à des initiatives dispersées et multiples.
Dispersées, car, outre la présente proposition de loi issue du groupe de travail du Sénat, il existe une autre proposition de loi, qui émane d'un député, M. Nicolin.
Multiples, parce que, si votre proposition de loi est principalement consacrée à l'une des missions qui sont confiées aux chambres régionales des comptes, à savoir l'examen de la gestion, la plus grande part des amendements qui ont été déposés sur ce texte sont centrés sur une autre mission, qui est le jugement des comptes, au travers de la procédure de gestion de fait, dont le radicalisme des conséquences peut, effectivement, inquiéter un certain nombre d'élus.
Ces diverses initiatives méritent un examen d'ensemble afin de préserver les objectifs de clarification, de lisibilité et de stabilisation que le Gouvernement, avec la représentation nationale, a le souci d'atteindre.
C'est pourquoi il paraît préférable de les examiner dans un cadre cohérent.
Le projet de loi statutaire peut apparaître, de ce point de vue, comme le meilleur vecteur, dans la mesure où il a été élargi, je viens de l'indiquer, à des dispositions qui touchent aux procédures qui sont applicables devant les chambres régionales des comptes.
Il va de soi que toute adjonction à ce projet ne peut se concevoir qu'à la condition qu'elle ne se traduise pas par le report de l'adoption du nouveau statut, à laquelle les magistrats des chambres régionales des comptes, de la Cour des comptes, le Gouvernement et le Parlement sont attachés.
Pour autant, ne vous méprenez pas sur mes propos : il n'est pas dans l'intention du Gouvernement de reporter sine die l'examen de ces différentes initiatives.
Je voudrais, pour vous en convaincre, m'attarder sur les dispositions qui ont été adoptées dans le cadre du projet de loi statutaire car elles répondent pleinement, me semble-t-il, à un point qui figure au coeur de vos préoccupations, exprimées dans le texte qui est aujourd'hui présenté devant la Haute Assemblée.
Ces dispositions, quelles sont-elles ?
En premier lieu, les observations des chambres régionales des comptes ne peuvent être arrêtées définitivement qu'après réception des réponses écrites des personnes concernées, auxquelles est accordé à cet effet un délai de deux mois, ou, à défaut, à l'expiration de ce délai.
En second lieu, les observations définitives des chambres régionales des comptes prennent la forme d'un rapport d'observations auxquelles les personnes concernées se voient donner la possibilité de répondre par écrit sous un nouveau délai de deux mois. Dès lors que des réponses écrites sont apportées, elles sont annexées au rapport d'observations.
Ces dispositions, je tiens à le souligner, monsieur Paul Girod, pour répondre à la préoccupation que vous avez exprimée, sont d'une portée majeure en termes de démocratie puisque, d'une part, elles reviennent en quelque sorte à donner aux ordonnateurs le dernier mot et, d'autre part, elles livrent à l'électeur, au citoyen, dans un même document, le point de vue de la chambre régionale des comptes et celui de l'élu ou du dirigeant concerné, lui apportant ainsi tous les éléments pour se forger sa propre opinion.
Dans la grande majorité des cas, l'opinion du citoyen sur la gestion des collectivités locales est bonne. En effet, monsieur Oudin, vous avez raison, les collectivités locales n'ont pas à rougir de leur gestion l'Etat non plus d'ailleurs.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. C'est un peu différent !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Vous avez raison au moins sur deux points.
Tout d'abord, l'Etat doit être encore plus transparent, en dépit des progrès les plus récents qui ont été accomplis dans ce domaine. Par ailleurs, l'Etat - c'est vrai aussi - est encore lourdement déficitaire, même si sa situation s'est beaucoup améliorée au cours des trois dernières années, années de forte croissance.
L'Etat - j'en profite pour le rappeler - tient les engagements qu'il a contractés à l'égard des collectivités locales. Ainsi, le contrat de croissance et de solidarité qui a été conclu pour les années 1999-2001 leur assure-t-il des concours indexés sur une partie croissante d'une croissance elle-même de plus en plus forte.
J'en reviens au texte qui nous occupe cet après-midi et aux dispositions qui ont été adoptées lors de la première lecture du projet de loi statutaire à l'Assemblée nationale.
Vous avez pu constater que ces dispositions, qui renforcent le caractère contradictoire de la procédure, répondent à votre proposition qui forme l'article 7 et vont même au-delà, par le délai de deux mois qu'elles posent, quand cet article n'en prévoit qu'un. Elles constituent donc une forme de réponse à pas moins de six articles du texte dont nous discutons aujourd'hui, sur les quatorze qu'il comprend.
J'ajoute que l'article 5 qui est proposé a d'ores et déjà reçu application puisqu'il forme l'article 7 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
En conséquence, à l'examen de ce texte, je formulerai deux séries de réponses.
La première c'est que les dispositions législatives répondant en grande partie à des préoccupations qu'il exprime sont d'ores et déjà prises en compte ou sont en voie de l'être.
La seconde, c'est la nécessité, par souci de sécurité, de stabilité, de cohérence, d'examiner globalement les diverses initiatives existantes en ce qui concerne les procédures qui sont applicables devant les chambres régionales des comptes.
Ces initiatives doivent être examinées, débattues ensemble de manière que, même si elles ne sont pas toutes retenues, à l'issue des débats, il en naisse un ensemble cohérent et équilibré, sauf à remettre sans cesse, comme votre groupe de travail en a ressenti la nécessité, l'ouvrage sur le métier.
Pour cet ensemble de raisons, le Gouvernement souhaite le retrait de ce texte.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Ça, c'est une surprise !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier


DISPOSITIONS TENDANT À AMÉLIORER LES CONDITIONS D'EXERCICE DES COMPÉTENCES LOCALES ET À ASSURER UNE PLUS GRANDE SÉCURITÉ JURIDIQUE AUX ACTES DES COLLECTIVITÉS LOCALES

Article 1er

M. le président. « Art. 1er. - I. - Après le premier alinéa de l'article L. 211-8 du code des juridictions financières, il est inséré deux alinéas ainsi rédigés :
« L'examen de la gestion porte sur la régularité des actes de gestion et sur l'économie des moyens mis en oeuvre par rapport aux objectifs fixés par l'assemblée délibérante ou par l'organe délibérant sans que ces objectifs, dont la définition relève de la responsabilité exclusive des élus ou des délégués intercommunaux, puissent eux-mêmes faire l'objet d'observations.
« Les observations que la chambre régionale des comptes formule à cette occasion mentionnent les dispositions législatives ou réglementaires dont elle constate la méconnaissance. Elles prennent en compte expressément les résultats de la procédure contradictoire avec l'ordonnateur et celui qui était en fonctions au cours de l'exercice examiné ou le dirigeant ou tout autre personne nominativement ou explicitement mise en cause. L'importance relative de ces observations dans l'ensemble de la gestion de la collectivité ou de l'établissement public est évaluée. »
« II. - En conséquence, le début du dernier alinéa du même article est ainsi rédigé :
« La chambre régionale des comptes peut également... »
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2

M. le président. « Art. 2. - Le chapitre Ier du titre Ier de la première partie du livre II du code des juridictions financières est complété par un article L. 211-9 ainsi rédigé :
« Art. L. 211-9. - Dans le cadre de la mission qui lui est confiée par l'article L. 211-8, la chambre régionale des comptes recense les difficultés auxquelles les collectivités locales ou établissements publics ont été confrontés dans l'application des dispositions législatives et réglementaires. Les constatations des chambres régionale des comptes sont insérées dans le rapport public annuel de la Cour des comptes dans les conditions fixées par les articles L. 136-2 et suivants. » - (Adopté.)

Article additionnel après l'article 2



M. le président.
Par amendement n° 26, M. de Raincourt et les membres du groupe des Républicains et Indépendants proposent d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les collectivités territoriales et leurs établissements publics peuvent accorder à leurs agents le bénéfice de titres-restaurant comportant une participation financière de la collectivité ou de l'établissement public plafonnée au taux maximum en vigueur dans les services de l'Etat. »
La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Dans le cadre de leur politique sociale, la plupart des collectivités territoriales et leurs établissements publics accordent des titres-restaurant à ceux de leurs agents qui ne peuvent accéder à un restaurant administratif. Cette pratique, similaire d'ailleurs à celle ayant cours dans le secteur privé, ne pose de difficulté ni sur le plan du droit social, ni sur le plan fiscal.
En revanche, le contrôle de légalité, comme celui qui est exercé par les chambres régionales des comptes, a pu contester le montant de la participation accordée par certaines collectivités à leurs agents par le biais des titres-restaurant, au motif d'une rupture de parité avec la fonction publique d'Etat.
Le présent amendement n'entend pas remettre en cause le principe de parité des différentes fonctions publiques, mais vise au contraire à une clarification. Il apparaît en effet que l'appréciation de la légalité de la participation est rendue difficile par l'hétérogénéité des montants accordés dans les différents services et administrations d'Etat, empêchant en conséquence une constatation objective du principe de parité.
L'amendement proposé vise à autoriser les collectivités territoriales à accorder une participation plafonnée au taux minimum en vigueur dans les services de l'Etat.
M. de Raincourt et les membres de notre groupe aimeraient connaître le sentiment de Mme la secrétaire d'Etat sur ce problème.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Cet amendement traite des conditions d'application des règles de parité entre fonctions publiques, sujet bien sûr sans lien direct avec le texte qui nous occupe.
Cependant, M. Balarello l'a rappelé, il pose un problème très important, et, comme M. Balarello, la commission souhaite avoir des assurances du Gouvernement sur le règlement de cette question dans un autre texte, par exemple dans le projet de loi de finances rectificative. La commission souhaite donc, avant de se prononcer, entendre la position de Mme la secrétaire d'Etat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Il est défavorable. Mais je répondrai sur le fond à M. le rapporteur.
Lorsque le projet de loi de finances pour l'année 2000 a été présenté devant la Haute Assemblée, nous avons indiqué qu'un état des lieux serait fait sur le mode de prise en charge de la restauration collective au sein de la fonction publique. Cet état des lieux est en cours. Nous aurons donc l'occasion de réexaminer la question.
M. le président. Quel est donc l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Je suggère à M. Balarello, compte tenu des assurances données par Mme la secrétaire d'Etat, de retirer son amendement ; l'inventaire étant en cours, ainsi qu'il nous a été indiqué, nous pouvons escompter des résultats dans des délais proches.
M. le président. Monsieur Balarello, l'amendement n° 26 est-il maintenu ?
M. José Balarello. Compte tenu de ce qui vient d'être indiqué par Mme la secrétaire d'Etat, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 26 est retiré.

TITRE II

DISPOSITIONS TENDANT À AMÉLIORER
LES PROCÉDURES APPLICABLES DEVANT
LES CHAMBRES RÉGIONALES DES COMPTES

Article 3



M. le président.
« Art. 3. - L'article L. 111-10 du code des juridictions financières est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cadre de cette mission permanente, la Cour des comptes peut être saisie des difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de la procédure d'examen de la gestion prévue par l'article L. 211-8, avant l'adoption des observations définitives, soit par le président de la chambre régionale des comptes, soit par les dirigeants des personnes morales contrôlées ou par toute autre personne mise en cause nominativement ou explicitement dans les observations provisoires de la chambre. Elle formule des recommandations destinées à assurer le bon déroulement de la procédure. La saisine de la Cour ne suspend pas la procédure d'examen de la gestion. » - (Adopté.)

Article 4



M. le président.
« Art. 4. - L'article L. 211-2 du code des juridictions financières est ainsi rédigé :
« Art. L. 211-2. - Les comptes des communes dont la population n'excède pas 2 500 habitants ou groupements de communes dont la population n'excède pas 10 000 habitants et dont le montant des recettes ordinaires figurant au dernier compte administratif est inférieur à 7 000 000 F ainsi que ceux de leurs établissements publics font l'objet, sous réserve des dispositions des articles L. 231-7 à L. 231-9, d'un apurement administratif par les comptables supérieurs du Trésor.
« A compter de l'exercice 2000, le seuil de 7 000 000 F pris en compte pour l'application de l'alinéa précédent évolue chaque année comme la dotation globale de fonctionnement.
« Lorsque, d'un exercice à l'autre, l'évolution du montant des recettes ordinaires figurant au dernier compte administratif par rapport au seuil défini à l'alinéa précédent est inférieure ou égale à 20 %, les comptes visés au premier alinéa continuent à être examinés selon les modalités applicables au cours de l'exercice précédent. »
Par amendement n° 23, M. Oudin, au nom de la commission des finances, propose de remplacer le dernier alinéa du texte présenté par cet article pour l'article L. 211-2 du code des juridictions financières par deux alinéas ainsi rédigés :
« L'évolution du montant des recettes ordinaires figurant au dernier compte administratif par rapport au seuil défini à l'alinéa précédent est appréciée tous les trois ans.
« Les comptes des associations syndicales autorisées et des associations foncières de remembrement font l'objet d'un apurement administratif par les comptables supérieurs du Trésor. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Cet amendement a deux objets.
Tout d'abord, par son premier alinéa, il tend à remédier aux phénomènes de yo-yo que connaissent certaines collectivités en matière de contrôle de leurs comptes.
Le contrôle des comptes relève des chambres régionales des comptes au-dessus d'un seuil aujourd'hui fixé à 2 000 habitants et 2 millions de francs de recettes.
J'attire votre attention sur le fait que ce seuil de 2 millions de francs a été fixé par la loi en 1988, c'est-à-dire il y a douze ans. Comme quoi on devrait se méfier des fixations de seuils en valeur absolue dans une loi !
En deçà, la compétence appartient au comptable supérieur du Trésor ; c'est le système de l'apurement administratif.
Les collectivités dont les recettes se situent autour du seuil peuvent faire des aller retour entre les deux systèmes, par exemple les années où elles doivent financer un gros investissement.
La proposition de loi tente de remédier à ces phénomènes de yo-yo en prévoyant que les modalités du contrôle ne changent pas si la variation des recettes d'une année sur l'autre est inférieure à 20 %.
Le problème réside dans le fait que ce système est glissant. Une commune dont les recettes augmenteraient de 15 % par an pendant dix ans ne changerait jamais de système alors que son budget pourrait largement dépasser le seuil.
Pour le remplacer, je vous propose de décider que la position d'une commune par rapport au seuil soit appréciée tous les trois ans, afin de conférer une stabilité absolue pendant ces trois exercices.
Le deuxième alinéa permet de lever l'un des principaux frein au développement de l'examen de la gestion des collectivités par les chambres. Aujourd'hui, en effet, les magistrats consacrent beaucoup de temps à contrôler des comptes qui sont en réalité des coquilles vides, qu'il s'agisse des comptes des associations syndicales autorisées ou des associations foncières de remembrement, soit 15 229 en 1997.
Le temps qu'ils passent à faire cela, même s'il ne s'agit que de remplir quelques lignes d'un formulaire, ils ne le consacrent pas à leurs missions plus « qualitatives ».
Aussi, dans le souci d'améliorer la qualité du contrôle financier, nous proposons de soumettre ces comptes au régime de l'apurement administratif. Cela peut paraître anodin, mais en faisant cela nous accédons à l'une des revendications les plus fortes des magistrats des chambres régionales.
De ce fait, il est un peu navrant de constater dans la presse que certains syndicats de magistrats interprètent notre démarche comme une volonté de museler les juges. Mais, sur ce point, notre collègue Michel Charasse a tout dit !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, mais pas parce que la question qui est soulevée n'est pas importante.
Comme vous, nous constatons en effet que ce phénomène de yo-yo entre apurement administratif et contrôle juridictionnel des comptes pose un certain nombre de problèmes.
Les cas litigieux sont relativement peu nombreux. Néanmoins, lorsqu'ils se produisent, les inconvénients sont assez lourds. Pour cette raison, nous avons constitué au ministère des finances, en liaison avec la Cour des comptes, un groupe de travail qui est chargé d'étudier la meilleure réponse à apporter à l'actualisation des critères depuis 1988 pour déterminer le seuil d'apurement administratif et pour introduire un élément de stabilité durable qui est très souhaitable.
Sur le fond, cet amendement nous semble avoir une conséquence fort dommageable : le nombre des comptes qui seraient désormais soumis à l'apurement administratif augmenterait de plus d'un tiers pour les seules collectivités locales, ce qui pose aussi des problèmes.
Par conséquent, nous souhaiterions pouvoir aller au terme de cette réflexion menée en liaison avec la Cour des comptes avant de prendre parti sur une disposition législative.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 23.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Madame la secrétaire d'Etat, vous nous dites que vous avez engagé une réflexion ; nous aussi, nous avons engagé la réflexion, et depuis longtemps. Mais, à un moment donné, il faut arrêter de réfléchir et décider. Or, j'ai l'impression que le Gouvernement n'y parvient pas.
Pour notre part, nous considérons que notre proposition, même imparfaite, permettrait de régler de nombreux problèmes, sur lesquels d'ailleurs les chambres régionales des comptes et même la Cour des comptes ont attiré notre attention.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 23, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 4, ainsi modifié.

(L'article 4 est adopté.)

Articles additionnels après l'article 4



M. le président.
Par amendement n° 5, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 4, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 231-3 du code des juridictions financières est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« L'action en déclaration de gestion de fait se prescrit par 5 ans à compter du dernier acte constitutif de ladite gestion. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Il s'agit de régler un problème un peu bizarre.
Comme vous le savez, en matière criminelle, la prescription est de dix ans ; en matière correctionnelle, elle est de trois ans, sauf pour l'abus de bien social, pour lequel elle est de trois ans à partir du jour, etc., pour les créances, elle est de quatre ans, mais, pour la gestion de fait, la prescription est de trente ans.
Cela veut dire que l'on peut aller chercher un élu trente ans après les faits, même s'il a quitté ses fonctions, même s'il est très âgé. De plus, s'il est mis en débet, on pourra à la limite poursuivre ses héritiers si lui-même n'est plus là.
Pourquoi trente ans, en l'occurrence ? Tout simplement parce que le Conseil d'Etat, en l'absence de texte, a décidé d'appliquer la prescription de droit commun.
Nous proposons un délai plus raisonnable de cinq ans. C'est plus que le délai pour les délits, mais c'est un délai que nous avons calculé, au groupe socialiste, de façon à tenir compte du rythme et des charges de travail de contrôle des chambres régionales des comptes, de façon à ne pas leur imposer un rythme trop lourd ou qui serait déraisonnable au regard de leurs possibilités.
En tout cas, il est bien évident que trente ans, ce n'est pas possible. Cela ne peut pas continuer comme cela.
Pour autant, je n'incrimine pas le Conseil d'Etat, qui n'avait pas d'autre texte à se mettre sous la dent.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. La commission a souscrit à la proposition de M. Charasse, après avoir observé, en particulier, que le rythme de contrôle par les chambres régionales des comptes était en moyenne de quatre ans.
La commission a donc émis un avis favorable sur l'amendement n° 5.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est très conscient du problème soulevé par M. Charasse. Je vais cependant tenter de donner les raisons pour lesquelles nous ne sommes pas nécessairement favorables à cet amendement et d'expliquer dans quel sens nous pourrions peut-être travailler.
La durée de cette prescription trentenaire - très longue, c'est exact - s'explique par différentes raisons : d'abord, l'application du droit commun par rapport aux dettes à caractère civil ; ensuite, la nécessité de traiter sur un pied d'égalité les comptables de fait et les comptables patents ; enfin, la nécessité de protéger l'action en recouvrement de ces créances pour les comptables publics.
Il nous semble que le délai de cinq ans prévu par l'amendement est un peu court si l'on veut respecter les principes qui viennent d'être énoncés et compte tenu des conditions d'examen des comptes par les chambres régionales des comptes. Néanmoins, il me semble qu'il devrait être possible d'examiner la manière de restreindre le délai actuel pour que celui-ci corresponde au respect des règles de droit que je viens d'évoquer et soit plus conforme à des délais qui existent par ailleurs dans d'autres procédures, à caractère judiciaire notamment.
M. Jean-Pierre Schosteck. Le Gouvernement va réfléchir !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Madame le secrétaire d'Etat, la méthode de travail qui consiste à dire que les problèmes sont importants mais à ne rien faire pour les résoudre n'est peut-être pas la plus satisfaisante !
Dans votre réponse, vous nous avez indiqué que, bien entendu, il y avait un problème et que vous étiez prête à l'étudier, mais vous ne nous avez présenté aucune proposition.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Nous ferons des propositions ; nous retiendrons un certain nombre d'orientations, comme je l'indiquerai dans la suite du débat et comme je l'ai déjà dit dans mon discours introductif, notamment en complétant le projet de loi statutaire qui sera très prochainement soumis à votre assemblée.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Madame le secrétaire d'Etat, nous sommes confrontés à un problème concret et, comme l'a dit M. le rapporteur et comme le propose M. Charasse, le délai de cinq ans nous paraît raisonnable. C'est notre position. L'acceptez-vous ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. J'ai indiqué que le délai de cinq ans est bien court. Nous sommes donc défavorable à l'amendement qui préconise ce délai.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Voilà une réponse précise !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. J'étais prêt à me rallier à une autre durée, mais le Gouvernement ne formule pas de proposition. C'est très gênant.
Retirer l'amendement signifierait que je renonce à appeler l'attention du Gouvernement sur la durée du délai.
J'ajoute, puisque le Gouvernement va réfléchir, qu'il faut arrêter, dans ce pays, de fixer des délais de prescription pour l'argent supérieur à ceux qui s'appliquent aux crimes !
MM. Philippe François et Jean-Pierre Schosteck. Oui !
M. Michel Charasse. Le délai de dix ans est applicable en matière criminelle. On ne peut donc plus poursuivre un criminel qui a tué au-delà de dix ans. Mais s'il a commis un abus de bien social dans la même affaire, on peut le poursuivre quinze ans après. Cela coûte plus cher de voler que de tuer ! La vie humaine n'a pas beaucoup de prix !
Si ce n'est pas cinq ans, si le Gouvernement propose, au terme de ses réflexions, dix ans, douze ans, voire quinze ans - je le dis franchement, avec amitié et même affection, à Mme le secrétaire d'Etat - moi, je ne marche pas, je n'accepte pas un système qui consiste à considérer que la vie humaine a moins de prix que trois francs six sous.
Par conséquent, si je suis ouvert aux discussions futures, à titre conservatoire je maintiens mon amendement.
M. Philippe François. Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est la nouvelle hiérarchie des valeurs !
M. José Balarello. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Je veux simplement rappeler à Mme la secrétaire d'Etat que la prescription pénale en matière de délit est de trois ans.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 4.
Par amendement n° 6, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, après l'article 4, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 231-3 du code des juridictions financières est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« Une déclaration de gestion de fait ne peut pas être prononcée sur les exercices ayant déjà fait l'objet d'un apurement définitif de la chambre régionale des comptes avec décharge donnée au comptable. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Il s'agit de préciser que, lorsqu'un exercice budgétaire a donné lieu, de la part de la chambre régionale des comptes, à un apurement définitif avec décharge donnée au comptable, on ne peut pas revenir dessus en particulier, pour prononcer une gestion de fait ; sinon, on remet en cause la chose jugée. Cela a été vu, cela a été jugé, le comptable a reçu quitus, la messe est dite ! Terminé ! Sinon on n'en sortira jamais !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. La commission estime que cette solution paraît logique dès lors que les comptes ont fait l'objet d'un jugement par la chambre régionale des comptes.
Elle est donc favorable à l'amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Lorsque le juge examine les comptes du comptable patent, il ne se prononce que sur les opérations qui sont retracées dans les comptes.
Or, la gestion de fait concerne, par définition, des recettes qui sont perçues en dehors de la caisse du comptable public, ou des sommes qui ont été irrégulièrement extraites de cette caisse. Par là même, elle ne peut être découverte à l'occasion du jugement des comptes tenus par le comptable de la collectivité.
Dans ces conditions, la décharge accordée au comptable patent ne saurait interdire au juge des comptes de déclarer des gestions de fait dont il aurait connaissance postérieurement.
Pour cette raison, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 6.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Madame le secrétaire d'Etat, veuillez m'excuser de vous le dire, mais votre explication est totalement irrecevable.
La majeure partie des gestions de fait se voient lors du contrôle des comptes d'un exercice, ou de plusieurs exercices donnés. Il est faux de dire que la majorité d'entre elles sont découvertes en dehors.
L'amendement n° 6 de M. Charasse est parfaitement cohérent et pertinent. C'est la réponse du Gouvernement qui est étonnante.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Moi, je dois dire que je ne suis pas insensible à ce qu'a dit Mme le secrétaire d'Etat.
Il n'empêche qu'avec la position qu'elle adopte on n'en finit jamais ! La chambre régionale des comptes a donnée quitus !... Elle n'avait qu'à voir... C'est exactement comme si un tribunal correctionnel rendait un premier jugement, puis, trois ans après, disait : « Au fait, j'ai oublié, lors du premier jugement, que Machin a craché sur la figure d'Untel. J'aurais dû réagir. Finalement, je rouvre le dossier. »
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Non, c'est prescrit.
M. Michel Charasse. Non ! trois ans après, ce n'est pas prescrit ! Pour le moment, la prescription, c'est trente ans !
Bon ! Disons, monsieur le président Sarché, quinze jours ou trois semaines après. Il dit : « Tiens j'ai oublié un truc, j'ai oublié le sel... je redescends.... J'ai oublié de descendre la poubelle... je redescends... J'ai oublié de condamner Machin... je reprends le dossier. C'est là un genre de service à la carte et à la tête du client qui est difficilement acceptable !
Peut-être faudrait-il réécrire différemment cet amendement pour aboutir au même résultat. Je le maintiens à titre conservatoire. Mais je ne m'opposerai pas à ce que l'on tente de trouver une autre solution si Mme la secrétaire d'Etat nous confirme qu'elle acceptera de revoir la question à l'occasion du débat sur le projet de loi relatif au statut des conseillers.
En tout cas, ce qui est dit est dit, ce qui est fait est fait, et il n'y a pas à y revenir !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de la loi, après l'article 4.

Article 5



M. le président.
« Art. 5. - L'article L. 241-6 du code des juridictions financières est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions du titre premier de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal ne sont pas applicables aux mesures d'instruction, rapports et diverses communications provisoires de la chambre régionale des comptes. » - (Adopté.)

Articles additionnels après l'article 5



M. le président.
Par amendement n° 24, M. Oudin, au nom de la commission des finances, propose, après l'article 5, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« A l'article L. 241-7 du code des juridictions financières, les mots : "ainsi que l'ordonnateur qui était en fonctions au cours de l'exercice examiné" sont remplacés par les mots : "l'ordonnateur qui était en fonctions au cours de l'exercice examiné, ainsi que, sur sa demande, toute personne que la chambre envisage de mettre en cause nominativement ou explicitement". »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Cet article additionnel a pour objet de faire en sorte que l'ensemble des personnes destinataires des lettres d'observations provisoires aient eu l'occasion de faire valoir leur point de vue devant le magistrat rapporteur ou devant le président de la chambre régionale avant l'élaboration de ces documents, et cela pour deux raisons.
Premièrement, il peut être utile au magistrat d'entendre, tôt dans la procédure, le point de vue des personnes qui doivent être mises en cause.
Deuxièmement, compte tenu des possibilités de fuites, il est préférable de faire en sorte que les lettres d'observations provisoires soient de moins en moins des documents dans lesquels les magistrats « se défoulent » et de plus en plus des documents réalistes, réalisés dans le respect des règles de la procédure contradictoire.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Avis favorable, monsieur le président.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Avis défavorable, parce que la procédure d'élaboration d'observations de gestion prévoit un entretien préalable avec l'ordonnateur en fonction et avec celui qui l'était au cours des exercices examinés. Ce sont les dispositions de l'article L. 241-7.
Par ailleurs, aucune lettre d'observations définitives ne peut être arrêtée sans l'audition des personnes mises en cause. Ce sont les dispositions de l'article L. 241-4.
Cet amendement est donc sans objet puisqu'il convient de distinguer l'entretien, qui a lieu indépendamment de toute mise en cause de qui que ce soit et qui, de ce fait, a lieu entre le seul rapporteur et les ordonnateurs concernés, de l'audition, par la formation de délibéré, et non par le seul rapporteur, de chacune des personnes mises en cause.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 24, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 5.
Par amendement n° 7, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 241-11 du code des juridictions financières est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« Ces observations définitives sont publiées avec les éventuelles réponses adressées par les personnes mises en cause, qui doivent intervenir dans le délai fixé par la chambre. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Lorsque la chambre arrête ses observations définitives et les adresse aux responsables de la collectivité concernée pour qu'il en soit donné connaissance aux membres de l'assemblée délibérante, il est fréquent, il est même habituel, que la presse locale soit destinataire des observations définitives, non pas par fuite, mais parce que c'est un élément d'information. C'est très facile : il suffit que les lettres d'observations définitives figurent, par exemple, dans les rapports adressés au conseil général ; les rapports étant publics, la presse locale en a connaissance.
La presse locale publie tout ou partie des lettres d'observations définitives, sans donner forcément la parole à l'autorité mise en cause, dont les réponses fournies au moment de la lettre d'observations provisoires ne figurent plus dans la lettre d'observations définitives.
Lorsque c'est la Cour des comptes qui critique la gestion de certains ministères dans son rapport public annuel, il est publié en annexe - ce qui est tout à fait normal - les réponses des ministères, des collectivités, des directeurs d'hôpitaux ou des patrons d'établissements publics concernés. Mais là, au cas particulier, les lettres d'observations définitives ne comportent pas les réponses des autorités mises en cause.
Par cet amendement n° 7, je propose que, désormais, ce soit le cas, comme pour les rapports d'inspection générale dans les divers ministères, qui comportent généralement en annexe les réponses aux inspections générales fournies par l'intéressé.
Je souhaite que ces observations soient publiées avec les éventuelles réponses - parce que l'autorité mise en cause n'est pas obligée de répondre - et, en tout cas, que ce soit la chambre elle-même qui fixe un délai pour adresser les réponses, qui seront publiées en annexe aux observations définitives.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. La commission rappelle que cet amendement prévoit une publication des réponses des personnes mises en cause dans les observations définitives ; mais elle souligne qu'il paraît satisfait par l'article 7 du texte de la commission des lois, qui fixe, en outre, un délai d'un mois pour les réponses de la personne mise en cause.
Il nous semble, dans ces conditions, que M. Charasse pourrait, s'il le veut bien, retirer son amendement, car ce dernier semble faire double emploi avec ce qui est proposé par la commission. M. le président. L'amendement n° 7 est-il maintenu, monsieur Charasse ?
M. Michel Charasse. Non, monsieur le président, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 7 est retiré.

Articles additionnels avant l'article 6



M. le président.
Par amendement n° 8, M. Charasse et les membres du groupe socialiste et apparentés, proposent d'insérer, avant l'article 6, un article additionnel ainsi rédigé :
« Avant l'article L. 131-11 du code des juridictions financières, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. ... - L'élu local déclaré gestionnaire de fait pour le versement irrégulier de rémunérations accessoires à des fonctionnaires territoriaux n'est tenu au remboursement des sommes en cause qu'à la condition que les fonctionnaires intéressés soient tenus au même remboursement et n'aient pas honoré leur dette après qu'ont été vainement mises en oeuvre par le comptable public de la collectivité ou de l'établissement concerné toutes les voies de recouvrement légalement applicables. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Un certain nombre de collègues élus locaux ont été déclarés à bon droit gestionnaires de fait - c'est d'ailleurs très souvent le cas - pour avoir versé des rémunérations accessoires irrégulières aux personnels de la collectivité concernée.
Dans ce cas-là, que se passe-t-il ?
Je dirais entre parenthèses à Mme le secrétaire d'Etat que, dans de très nombreux cas, les collectivités locales se sont alignées sur le régime des primes des préfectures, lequel est illégal. Mais rien n'est fait à l'encontre du ministre de l'intérieur, et pour cause, car celui-ci ne relève pas de la cour de discipline budgétaire. Je ne souhaite d'ailleurs pas que M. Chevènement soit poursuivi, d'autant moins que ce n'est pas lui qui a inventé ce système.
Bref, on fait comme l'Etat, on est gestionnaire de fait.
Mais lorsqu'un comptable public est mis en débet pour une raison ou une autre, il poursuit le recouvrement des sommes correspondant au débet. Ayant payé à tort 100 francs à M. Dupont, il poursuit ce dernier pour qu'il le rembourse, sinon il va payer de sa poche.
En ce qui concerne les rémunérations irrégulières, le comptable de fait n'a pas les moyens de poursuivre. Il doit donc payer. Parallèlement, nul ne demandera à ceux qui ont perçu des rémunérations irrégulières de les rembourser.
L'amendement n° 8 que je propose a simplement pour objet de réclamer le reversement des sommes indues à ceux qui en ont bénéficié avant de demander au comptable de fait de rembourser ce qui ne l'est pas par les intéressés. Sinon, le système seraitinéquitable.
Quelqu'un reçoit des indemnités irrégulières, il doit les rembourser. Celui qui a touché des indemnités irrégulières, qui, la plupart du temps, les a réclamées avec insistance, en défilant, en faisant la grève, en bloquant le service, etc., lui, pénard, tranquille, a tout empoché ; c'est sur le compte en banque, ou sur le livret de caisse d'épargne de la gamine !
L'amendement n° 8 prévoit donc que, dans ce cas-là, tout le monde doit payer, y compris les bénéficiaires des indemnités irrégulières, ce qui, à mon avis, freinera beaucoup l'ardeur des services, parce qu'il y a longtemps que l'on ne poursuit plus ce genre de chose. C'est à peu près aussi vieux que depuis que l'on a pris l'habitude, au nom du service fait, de payer les jours de grève !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ? M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Cet amendement précise que l'élu local déclaré gestionnaire de fait pour le versement irrégulier de rémunérations accessoires à des fonctionnaires territoriaux n'est tenu au remboursement des sommes en cause qu'à la condition que les fonctionnaires intéressés soient tenus au même remboursement et n'aient pas honoré leur dette.
La commission des lois a estimé que cet amendement soulevait une véritable question qui méritait attention.
Les irrégularités constatées dans ce domaine peuvent en effet s'expliquer le plus souvent par des rigidités excessives du statut de la fonction publique territoriale. Est donc en cause le problème de la place de la fonction publique territoriale par rapport à la fonction publique d'Etat et de son caractère attractif. Or un ordonnateur peut se voir réclamer sur ses deniers personnels des sommes considérables, alors même que sa bonne foi n'est pas en cause.
Pour autant, l'amendement soulève un certain nombre de difficultés.
Il reviendrait notamment à subordonner le déclenchement d'une procédure concernant un élu ordonnateur reconnu comptable de fait à l'échec préalable d'une procédure concernant les fonctionnaires bénéficiaires des rémunérations accessoires versées irrégulièrement.
La commission des lois a donc souhaité entendre le Gouvernement avant de se prononcer.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ? Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Avis défavorable, parce que cet amendement introduit une double discrimination : d'une part, une discrimination entre les gestionnaires élus et les gestionnaires non élus, qui sont, eux aussi, susceptibles d'être attraits dans la même procédure et pour la même raison ; d'autre part, une discrimination au sens où il ne vise que les dépenses de rémunérations accessoires, alors que la procédure de gestion de fait, par définition, concerne tout type de dépenses de nature publique.
Pour cette raison, cet amendement nous paraît assez largement de circonstance.
Par ailleurs, du point de vue de la forme, il nous semble que cet amendement trouverait mieux sa place en fin de section 1 du chapitre Ier du titre III plutôt que là où il est situé, c'est-à-dire dans une section relative à la condamnation des comptables à l'amende.
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. La commission s'en remet à la sagesse du Sénat, monsieur le président.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 8.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je ne sais pas si c'est un amendement de circonstance, mais, en tout cas, personne ne me l'a soufflé, et je ne suis pas en situation de gestionnaire de fait après avoir été mis en débet - cela viendra peut-être un jour ! - parce que je n'ai jamais payé ce type de primes irrégulières. J'applique strictement les règles. C'est d'ailleurs pour cela que les fonctionnaires m'aiment bien !
Cela étant, j'ai visé là l'un des cas ayant donné lieu au plus grand nombre de déclarations de gestion de fait depuis quinze ans. Aujourd'hui, cela doit avoir tendance à s'estomper quelque peu, mais il y en a encore.
Madame le secrétaire d'Etat, au cas particulier, beaucoup de collègues élus locaux ont été déclarés gestionnaires de fait parce qu'ils avaient aligné le régime de rémunération - je pense notamment aux conseils généraux et aux conseils régionaux - sur le régime des préfectures, qui est illégal. L'Etat ne peut pas à la fois garder pour son compte un régime illégal et, avec un charmant sourire et un joli minois, qui sont ceux de Mme Parly, nous dire gentiment que eux les élus locaux, passent à la toise, un point c'est tout. Je voudrais donc que le Gouvernement réfléchisse sur ce point dans la perspective du prochain débat.
Ensuite, je ne sais pas ce que disent les gens de la direction de la comptabilité publique qui suivent ces questions, mais, je le répète, lorsqu'un comptable public est mis en débet, il a les moyens, par la voie administrative et par les pouvoirs qui sont les siens, de poursuivre le recouvrement des sommes qu'on lui réclame, alors que le comptable de fait ne les a pas, puisqu'il ne peut pas déclencher un avis à tiers détenteur ou une saisie-arrêt sur un compte, comme peut le faire le comptable public. Je ne vois pas où est l'inégalité.
Mon amendement vise naturellement les cas où tout a été fait pour recouvrer les traitements et indemnités indûment versés. Si une partie n'est pas recouvrée, à ce moment-là le comptable de fait paie. Mais on ne peut pas lui demander de payer la totalité, de vendre ses biens, et d'aller se consoler en buvant l'apéritif chez un de ses employés communaux qui a largement touché et profité des primes qu'il vient de payer en vendant sa propre maison... Il y a quand même quelque chose qui ne va pas !
Monsieur le président, je retire mon amendement à titre provisoire, mais je souhaite que Mme Parly et les collaborateurs qui l'entourent réfléchissent à cette question, qui n'est pas mince. C'est un problème de justice et d'équité car, contrairement à ce qui est dit, le comptable de fait et le comptable public sont soumis, certes, aux mêmes sanctions, mais ils n'ont pas les mêmes pouvoirs pour passer à travers la sanction !
M. Jacques Machet. Ce n'est pas nouveau !
M. le président. L'amendement n° 8 est retiré.
Par amendement n° 9, MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 6, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. Le second alinéa de l'article L. 131-11 du code des juridictions financières est ainsi rédigé :
« Cet amende est calculée suivant l'importance et la durée de la détention ou du maniement des deniers sans pouvoir dépasser ni le dixième du total des sommes indûment détenues ou maniées ni une somme d'un million de francs. »
« II. Le second alinéa de l'article L. 262-39 du code des juridictions financières est ainsi rédigé :
« Cette amende est calculée suivant l'importance et la durée de la détention ou du maniement des deniers dans les conditions déterminées par le second alinéa de l'article L. 131-11. »
« III. Le second alinéa de l'article L. 272-37 du code des juridictions financières est ainsi rédigé :
« Cette amende est calculée suivant l'importance et la durée de la détention ou du maniement des deniers dans les conditions déterminées par le second alinéa de l'article L. 131-11. »
La parole à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Il s'agit de ramener le montant maximum de l'amende susceptible d'être prononcée pour gestion de fait à un montant plus modéré.
Actuellement, ce montant est susceptible d'être « égal au total des sommes indûment détenues par le comptable de fait », ce qui peut être vraiment considérable.
Le Conseil constitutionnel n'a pas examiné cette disposition, mais je ne suis pas certain qu'il la jugerait nécessaire au sens de la déclaration de 1789. A mon avis, le texte actuel est fragile, sauf que, comme il n'est pas susceptible d'être déféré au Conseil, il ne risque rien pour l'instant.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Cet amendement fixe un double plafond à l'amende qui peut être prononcée par le juge financier en cas de gestion de fait. Il convient de rappeler que cette amende peut ne pas être prononcée.
Elle est actuellement calculée selon l'importance de la durée de la détention ou du maniement des deniers. Son montant ne peut dépasser le montant des sommes indûment détenues ou maniées.
Dans la pratique, il semble que le montant, sauf exception rarissime, d'un million de francs ne soit pas dépassé, ce qui n'est pas déjà pas si mal !
La commission des lois s'est interrogée sur le principe même d'une amende infligée par le juge financier à l'ordonnateur reconnu comptable de fait alors que celui-ci n'a commis aucune infraction pénale.
Elle a par ailleurs constaté que cette amende pouvait représenter des sommes très élevées.
Aussi, au dispositif de plafonnement prévu par l'amendement n° 9, la commission des lois a-t-elle préféré la rédaction de l'amendement n° 4 rectifié, que défendra tout à l'heure M. Balarello, et qui prend en compte la situation des gestionnaires de fait de bonne foi.
Dans ces conditions, la commission demande à M. Charasse de bien vouloir retirer son amendement en attendant l'examen de l'amendement n° 4 rectifié.
M. le président. Monsieur Charasse, accédez-vous à la demande de M. le rapporteur ?
M. Michel Charasse. Je vais me rallier provisoirement à l'amendement n° 4 rectifié. Je dis « provisoirement » parce que je souhaiterais y ajouter un élément - je le signale dès maintenant au Gouvernement.
En effet, les ministres passent leur temps à faire des remises gracieuses, totales ou partielles, d'amendes infligées par les juridictions financières. Or j'ai toujours estimé, personnellement, que cela relevait du droit de grâce du chef de l'Etat, et de lui seul. Pendant que j'étais moi-même ministre du budget, je faisais accorder ces remises gracieuses par le Président de la République.
Je pense qu'il serait beaucoup plus sain qu'en la matière le Président de la République retrouve pleinement son droit de grâce.
Sous le bénéfice de cette observation, qui est accessoire, je retire mon amendement au profit... disons plutôt au bénéfice (Sourires.) de celui de M. Balarello.
M. le président. L'amendement n° 9 est retiré.

Articles additionnels avant l'article 6 ou après l'article 14



M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 4 rectifié, M. Balarello et les membres du groupe des Républicains et Indépendants proposent d'insérer, après l'article 14, un article additionnel ainsi rédigé :
« Quand un ordonnateur déclaré comptable de fait, dans le cadre de l'opération de reddition de ses comptes, a obtenu de la part de l'organe délibérant de la collectivité la reconnaissance du caractère d'utilité publique sur les comptes présentés, cet ordonnateur ne pourra être mis en débet à titre personnel à due concurrence par la juridiction financière ayant jugé les comptes, si aucune malversation, détournement ou enrichissement personnel n'a été relevé à son encontre, aucune amende ne pourra être infligée à l'ordonnateur de bonne foi, ayant obtenu l'utilité publique de la dépense et ayant mis fin à la situation qui l'a amené à être déclaré comptable de fait.
« Cet apurement de la gestion de fait vaut quitus à hauteur des sommes auxquelles l'utilité publique a été conférée. »
Par amendement n° 10, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 6, un article additionnel ainsi rédigé :
« Avant l'article L. 131-11 du code des juridictions financières, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
Art. L. ... - Si l'assemblée délibérante de la collectivité ou de l'établissement public a déclaré l'utilité publique de la dépense, ou à défaut le ministre chargé du budget, le comptable de fait ne peut être astreint à payer les sommes mises à son débet.
« Le comptable de fait n'est pas non plus astreint à payer lorsque les dépenses n'ont pas reçu le caractère d'utilité publique mais que le comptable public compétent n'a pas fait toutes les diligences nécessaires ni pris toutes les sûretés utiles en vue du recouvrement des créances de la collectivité, ni constaté, le cas échéant, le caractère irrécouvrable de tout ou partie des sommes en cause selon les règles et procédures applicables aux créances habituellement recouvrées par les comptables publics.
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsque le comptable de fait a été condamné définitivement pour des délits commis à l'occasion et dans le cadre du maniement irrégulier des fonds publics. »
La parole est à M. Balarello, pour défendre l'amendement n° 4 rectifié.
M. José Balarello. Le titre IV de cette proposition de loi tend à modifier certaines dispositions concernant l'apurement définitif de la gestion de fait, cela afin d'éviter les situations où l'ordonnateur n'a pas commis de malversation ou n'a eu aucun enrichissement personnel dans le cadre de la gestion de fait, mais se voit malgré cela infliger une mise en débet à titre personnel souvent très importante - elle peut atteindre plusieurs millions de francs - alors même que l'organe délibérant de la collectivité à laquelle, se rattache la gestion de fait a conféré l'utilité publique aux comptes présentés lors de leur reddition.
Nous savons tous en effet que la prise en compte de l'utilité publique ne suffit pas à mettre hors d'atteinte le comptable de fait alors même que celui-ci était entièrement de bonne foi. C'est la raison pour laquelle avec l'aval de la commission, nous avons déposé cet amendement de façon à dispenser de l'amende l'ordonnateur de bonne foi.
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour défendre l'amendement n° 10.
M. Michel Charasse. Finalement, je trouve l'amendement de M. Balarello beaucoup plus intelligent que le mien,...
M. José Balarello. Merci !
M. Michel Charasse. ... ce qui m'ennuie profondément... Mais, tant pis !
Je retire donc mon amendement au bénéfice du sien. Décidément, cela fait deux fois !
M. le président. L'amendement n° 10 est retiré.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 4 rectifié ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Cet amendement dispose que ne pourra être mis en débet à titre personnel l'ordonnateur qui aura obtenu de la part de l'organe délibérant de la collectivité locale la reconnaissance de l'utilité publique sur les comptes présentés si aucune malversation, aucun détournement ou enrichissement personnel n'a été relevé à son encontre. Aucune amende ne pourra être infligée à l'ordonnateur de bonne fois ayant obtenu l'utilité publique de la dépense et ayant mis fin à la situation de comptable de fait.
Il soulève une question importante, qui porte sur les montants très élevés qui peuvent être exigés d'un élu de bonne foi mis en débet.
La commission des lois a, pour sa part, suivi les recommandations du groupe de travail. C'est pourquoi elle a retenu un dispositif prévoyant la suspension des fonctions d'ordonnateur, dispositif qui semble recueillir un certain consensus.
Trois problèmes de fond sont soulevés par l'amendement et méritent d'être soulignés.
En premier lieu, il faut observer que sont appliquées à l'ordonnateur reconnu comptable de fait les règles qui sont valables pour les comptables patents. L'amendement pourrait en conséquence aboutir à une distorsion de traitement entre élu et comptable patent fonctionnaire, qui serait seul, alors, à pouvoir supporteur un débet.
En outre, si une décision de l'organe délibérant de la collectivité reconnaissant l'utilité publique de la dépense suffisait à couvrir l'irrégularité constatée et à dispenser du débet, on peut se demander si la portée même de la procédure de gestion de fait, qui est de rétablir la sincérité des comptes, et la règle de séparation des ordonnateurs et des comptables ne seraient pas mises en cause.
Enfin, il existe une procédure de remise gracieuse par le ministre de l'économie et des finances, prévue par les articles 7 et suivants du décret du 29 septembre 1964, qui peut être de nature à répondre à la préoccupation exprimée.
Il est également vrai que l'avis conforme de l'organe délibérant exigé dans ce cadre peut soulever un problème, notamment dans les cas de changement de majorité politique au sein des assemblées locales.
Pour toutes ces raisons et compte tenu de la complexité du sujet, la commission des lois a souhaité entendre l'avis du Gouvernement avant de se prononcer.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, et je vais essayer d'expliquer pourquoi.
Je risque d'apparaître un peu didactique, mais nous abordons là la question centrale du débat, la gestion de fait.
Je rappellerai donc que cette procédure découle de deux principes fondamentaux : le premier, c'est, comme vous l'avez rappelé à l'instant, monsieur le rapporteur, la séparation des ordonnateurs et des comptables ; le second principe est celui de l'unité et de l'universalité budgétaire, qui implique qu'à une entité publique corresponde un seul budget et un seul compte. Enfin, l'intégralité des recettes et des dépenses qui sont générées par la collectivité doit être retracée dans ce budget et dans ce compte.
La gestion de fait repose sur la découverte d'opérations qui ont été effectuées pour le compte de la collectivité, comme je le disais tout à l'heure, mais en dehors de son budget, et qu'il convient, en application des principes que j'ai rappelé à l'instant, de réintégrer tant dans le budget que dans le compte par la mise en oeuvre d'un certain nombre de procédures.
Il faut d'abord l'autorisation budgétaire de l'assemblée délibérante, sans laquelle de toute façon aucune opération ne peut être engagée au nom de la collectivité. Il faut aussi établir le compte des opérations. Il faut dégager le solde et le versement de celui-ci dans la caisse du comptable de la collectivité.
La reconnaissance de l'utilité publique, qui est sollicitée de l'assemblée délibérante dans le cadre de la procédure de gestion de fait, c'est l'autorisation budgétaire, mais elle ne vaut pas validation du comptable de fait et encore moins justification de la dépense ou de la recette dont la régularité est appréciée par le juge des comptes comme pour les comptables patents.
Par conséquent, elle ne fait pas disparaître la gestion de fait - elle en est en quelque sorte la conséquence, puisqu'elle intervient a posteriori - et constitue non pas une approbation des dépenses, mais une simple ouverture rétroactive des crédits.
Cette reconnaissance de l'utilité publique des opérations constitue donc une condition nécessaire mais non suffisance puisque, ensuite, il faut mener à bien la seconde partie de la procédure, c'est-à-dire l'établissement du compte en recettes et en dépenses et la fixation du solde qui est à reverser dans la caisse de la collectivité.
Ce rappel un peu long m'a paru nécessaire parce qu'il met en lumière que l'adoption de cet amendement, dont l'objet serait de conférer en quelque sorte à l'acte de reconnaissance d'utilité publique la valeur d'un quitus, reviendrait en réalité à distraire l'appréciation de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable de fait de la compétence du juge des comptes, c'est-à-dire à supprimer, d'une certaine manière, la procédure de gestion de fait.
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission sur l'amendement n° 4 rectifié ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. La commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4 rectifié.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Tout cela n'est pas très satisfaisant.
Pour ma part, je comprends parfaitement l'intention de M. Ballarello. Au demeurant, je souhaiterais que son amendement soit modifié de telle sorte qu'après le mots : « a obtenu de la part de l'organe délibérant de la collectivité » soient ajoutés les mots : « ou, à défaut, de la part du ministre chargé du budget », et cela de façon à éviter les vengeances politiques qui peuvent suivre le renouvellement d'une majorité locale.
Je suis bien sûr sensible, comme Mme le secrétaire d'Etat, aux principes qu'elle a rappelés, qui sont de grands principes de comptabilité publique, mais, chère Florence Parly, des principes dont l'Etat s'affranchit lui-même sans arrêt, sans être jamais sanctionné par personnes. Faites ce que je dis, mais pas ce que je fait !
Si la collectivité reconnaît le caractère d'utilité publique des dépenses, cela veut dire que les dépenses en question étaient utiles, que la collectivité estime que l'ordonnateur a eu raison de les engager ; simplement la procédure était mauvaise.
Dans ces conditions, chère Florence Parly, en vertu de quelle autorisation budgétaire parlementaire peut-on régulièrement, en émettant des fonds attestant un service qui n'a pas été rendu, payer les jours de grève aux fonctionnaires de l'Etat ? Je vous pose la question !
Personnellement, je pense qu'il faut aller beaucoup plus loin dans la voie de la reconnaissance d'utilité publique et de ses conséquences. A partir du moment où l'assemblée a déclaré l'utilité publique, cela veut dire que la dépense était utile, que seules les modalités étaient défaillantes, étant entendu, comme le précise M. Balarello dans son amendement, qu'il n'y a pas eu de malversation.
Avec les raisonnements qu'on m'oppose, la portée de la reconnaissance d'utilité publique devient particulièrement limitée. Au fond, cela ne sert pas à grand-chose d'avoir la reconnaissance d'utilité publique ! On est toujours en débet : il faut rembourser et l'on n'en a pas les moyens ! Il s'agit souvent de dépenses qui ont plus ou moins un caractère social, de soutien à des associations ou autres, et qui ont été faites dans des conditions exemptes de toute malversation susceptible de donner lieu à des poursuites pénales.
En fait, l'élu local n'a rien volé, il a fait pour le mieux, maladroitement en ne respectant pas les procédures ; mais, finalement, le conseil municipal, le conseil général, le conseil régional ou le conseil de groupement des collectivités disent : il fallait le faire, quoiqu'il eût été bon de ne pas le faire comme cela.
M. Balarello propose d'en tirer des conséquences simples, et l'on se pose toute une série de questions.
Mes chers amis, j'ai géré le budget de l'Etat pendant quatre ans et demi. Je peux vous dire que, quand on est un gestionnaire du budget de l'Etat, on se pose moins de questions ! Quand on « planque », comme ce fut le cas en 1984, à une heure du matin, au bord de la route, vers le tunnel du mont Blanc ouvert, à l'époque, un trésorier-payeur général avec une table et des billets de banque pour indemniser les camionneurs qui bloquent le tunnel, alors que l'on n'a même pas pensé à signer un texte créant une régie des recettes, ou une régie d'avances, on ne se pose pas de questions ! Si c'était un élu local qui avait fait cela, il aurait été gestionnaire de fait !
Je crois donc, madame le secrétaire d'Etat, qu'il faut réfléchir sérieusement. Lorsqu'une assemblée délibérante, qui est l'émanation de la souveraineté populaire, décide que la dépense est justifiée, le reste n'est qu'accessoire s'il n'y a pas eu de malversation. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Schosteck. Parfaitement !
M. le président. Monsieur Balarello, acceptez de modifier votre amendement ainsi que l'a proposé M. Charasse ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Monsieur le président, je souhaiterais intervenir avant que M. Balarello ne se prononce.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Pour ma part, je ne suis pas favorable à l'ajout proposé par M. Charasse. La motivation qu'il a donnée ne me paraît pas tout à fait pertinente. Le ministre du budget peut aussi être un ennemi politique. Cela peut arriver.
M. Michel Charasse. Je cherche une instance d'appel.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Par ailleurs, mon cher collègue, vous avez argumenté de telle manière que vous avez vous-même détruit la portée de votre proposition. Vous avez parlé de la souveraineté populaire et de la vertu qui s'attache à la délibération de la collectivité intéressée. Laissons donc le problème se régler au sein de la collectivité intéressée, et n'y mêlons pas le ministre chargé du budget ! Même s'il s'agit de ministres particulièrement éminents, comme il y en eut dans le passé (Sourires) , ce n'est pas la peine de les mêler à ces procédures.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Vous avez raison !
M. Michel Charasse. Alors, je n'insiste pas !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4 rectifié.
M. José Balarello. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Je voudrais simplement attirer l'attention de Mme la secrétaire d'Etat sur trois points.
Je tiens d'abord à insister sur l'importance que revêt cette affaire pour les élus locaux qui, tout en n'ayant commis aucune malversation, tout en n'étant pas de mauvaise foi, risquent de se trouver totalement ruinés.
Je me demande dans quelle mesure cela est conforme à la déclaration des droits de l'homme. Je me demande si cela n'est pas susceptible d'être condamné par la Cour européenne de Strasbourg ou par la Cour de justice de Luxembourg. Si une action devant ces cours internationales était intentée, n'arriverait-on pas à mettre fin à cette façon de procéder qui est totalement ubuesque ?
Certes, la notion de comptable de fait est ancienne, mais force est de reconnaître que c'est depuis les lois de décentralisation et l'institution des chambres régionales des comptes qu'elle est régulièrement invoquée. Si, en droit strict, les chambres régionales des comptes n'ont pas tort, il appartient tout de même au législateur que nous sommes d'essayer de combler les lacunes du droit en la matière.
Parce qu'il faut savoir que cela aboutit à la ruine de gens qui n'ont commis aucune malversation ! Quand on saisit leurs biens personnels, on les ruine littéralement ! Et il s'agit parfois de sommes considérables : je peux citer l'exemple de quelqu'un qui n'a rigoureusement rien mis dans sa poche mais à qui l'on réclame 23 millions de francs ! Je trouve cela absolument scandaleux.
J'en arrive au deuxième point sur lequel je souhaite appeler votre attention, madame le secrétaire d'Etat.
J'ai trouvé un arrêt de la Cour des comptes, en date du 7 octobre 1993, concernant la mairie de Salon-de-Provence, où il est indiqué que la déclaration d'utilité publique suffit pour faire modifier les comptes et que la chambre régionale des comptes ne peut pas aller à l'encontre de la déclaration d'utilité publique.
Depuis des années, en fait, nous nous voilons la face en acceptant que des gens qui sont honnêtes soient totalement ruinés.
Enfin, je veux soulever un problème de droit civil.
Je l'ai dit tout à l'heure, à Rome, déjà il existait l'action de in rem verso, c'est-à-dire l'action pour l'enrichissement sans cause.
Dès que la collectivité locale a voté l'utilité publique, elle reconnaît que la dépense est légitime. Cela signifie que, si un élu local est mis en cause à hauteur de 10 millions de francs, par exemple, on fait entrer cette même somme dans les caisses de la collectivité locale concernée. Mais, madame la secrétaire d'Etat, ne pensez-vous pas que cet élu local est fondé à assigner la collectivité devant la chambre civile du tribunal de grande instance en disant que la collectivité lui doit ces 10 millions de francs, assortis des intérêts ? N'a-t-on pas examiné la question ?
Moi, ce que je n'accepte pas - et je partage entièrement le point de vue de M. Charasse à cet égard - c'est que nous survolons les problèmes dans cette affaire. Or il y a un problème de législation financière un problème de droit civil, ainsi qu'un problème de morale publique et d'équité.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié, repussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 14.

Articles additionnels avant l'article 6 (suite)



M. le président.
Par amendement n° 11, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 6, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 131-11 du code des juridictions financières, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Dans le cadre de la procédure de gestion de fait, l'assemblée délibérante de la collectivité concernée appelée à statuer sur l'utilité publique des dépenses litigieuses doit se prononcer par une délibération motivée. Celle-ci doit intervenir au cours de la première séance de cette assemblée qui suit la demande du comptable de fait, adressée par lettre recommandée avec accusé de réception, sollicitant que cette question soit inscrite à l'ordre du jour du conseil.
« Faute pour le président de cette assemblée d'avoir satisfait à cette demande ou en cas de délibération défavorable, la juridiction financière statue en équité en tenant compte des circonstances de l'espèce. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Nous venons d'évoquer longuement la question de la déclaration d'utilité publique des dépenses. Encore faut-il que l'élu en cause ait la possibilité d'obtenir, au moins, que l'assemblée délibérante concernée prenne position.
L'amendement n° 11 vise à fixer une procédure pour que l'assemblée délibérante se prononce sur une demande de déclaration d'utilité publique formulée par un élu ordonnateur.
Je propose que cette demande fasse l'objet d'une lettre adressée au responsable de la collectivité concernée et que celui-ci soit obligé de l'inscrire à l'ordre du jour de la première séance de l'assemblée qui suit la demande du comptable de fait. Si le président de l'assemblée concernée ne satisfait pas à cette demande, ou si la délibération est défavorable, la juridiction financière en tire les conséquences. Mais que, pour des raisons d'hostilité politique ou de mesquines vengeances locales, des demandes de déclaration d'utilité publique ne soient jamais examinées, cela me paraît tout de même aberrant et un peu injuste.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Il est vrai que, si l'exécutif territorial ne faisait pas toutes les diligences nécessaires pour inscrire la question à l'ordre du jour, le problème pourrait se poser.
Cela dit, la commission souhaite connaître l'avis du Gouvernement avant de se prononcer.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Sur le principe, cet avis est tout à fait favorable. Toutefois, cet amendement ayant été déposé à la dernière minute, nous demandons quelques jours pour mettre au point une solution ; celle-ci vous sera prochainement soumise, lors de la première lecture du projet de loi statutaire.
M. le président. Quel est, maintenant, l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 11, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l'article 6.
Par amendement n° 12, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 6, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 131-11 du code des juridictions financières, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. ... - En cas de déclaration de gestion de fait par une chambre régionale des comptes, le jugement n'est définitif que lorsque toutes les voies de recours ont été épuisées. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Nous sommes là dans le domaine de la gestion de fait et donc des sanctions qui peuvent découler de la déclaration de gestion de fait. Parce que le débet, c'est tout de même une obligation financière qui ressemble fort à une sanction, surtout s'il est accompagné d'une amende !
Or nous nous trouvons dans une situation qui est tout à fait paradoxale au regard de la Convention européenne des droits de l'homme.
D'un côté, le Conseil constitutionnel ne cesse de nous expliquer que le même régime doit s'appliquer aux peines pénales et aux sanctions, et il a rendu plusieurs décisions, notamment en matière fiscale - Mme Parly les connaît bien - aux termes desquelles, lorsque des sanctions sont prononcées, pas plus que des peines elles ne peuvent être rétroactives. D'un autre côté, les décisions de la chambre régionale des comptes sont exécutoires, même si elles sont portées en appel, même si elles sont portées en cassation.
Autrement dit, alors que la convention européenne prévoit que les sanctions et les peines ne peuvent être appliquées que lorsque toutes les voies de recours ont été épuisées, là, ce n'est pas le cas.
Je propose donc de préciser simplement que, lorsqu'il y a gestion de fait, avec les sanctions qui en découlent, on ne peut appliquer la décision de justice que lorsque toutes les voies de recours ont été épuisées.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. La commission a bien mesuré l'importance des questions posées et des solutions préconisées par M. Charasse.
Toutefois, les articles 10 et suivants de la proposition de loi substituent à la procédure actuelle une procédure de suspension des fonctions de l'ordonnateur. Cela permet de lever la difficulté signalée puisque la nouvelle procédure se substituera à la procédure actuelle de régularisation dans le délai de six mois.
Dans ces conditions, et selon la logique que nous avons adoptée, je demande à M. Charasse de retirer son amendement.
M. le président. L'amendement est-il maintenu, monsieur Charasse ?
M. Michel Charasse. Puisque nous aurons un autre débat sur le même sujet, je fais confiance au rapporteur, et je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 12 est retiré.
Par amendement n° 13, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 6, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 131-11 du code des juridictions financières, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Les chambres régionales des comptes peuvent être appelées à donner leur avis sur les questions qui leur sont soumises par les préfets. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Voilà quelque temps, le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel a étendu la compétence consultative de la juridiction administrative aux tribunaux administratifs. Les préfets ont ainsi la possibilité de saisir d'une demande d'avis des tribunaux administratifs lorsqu'une question juridique complexe se pose à eux, de la même manière que le Gouvernement a la possibilité de saisir le Conseil d'Etat d'une demande d'avis lorsqu'il se trouve dans une situation similaire.
Bien entendu, l'avis rendu ne préjuge en rien les décisions susceptibles d'être rendues ultérieurement par la juridiction, mais il donne au représentant de l'Etat des indications utiles.
Les chambres régionales des comptes ont pris largement leur place, aujourd'hui, dans l'élaboration du droit public et du droit financier, mais cette procédure d'avis ne leur est pas appliquée, ce qui s'avère assez pénalisant. En effet, cela pourrait être très utile lorsque, dans le cadre du contrôle de légalité, le préfet conteste une décision.
Je vais prendre un exemple. Lorsqu'on a créé ces malheureux SDIS, les services départementaux d'incendie et de secours, j'ai décidé de constituer un budget annexe spécial pour faire apparaître clairement les dépenses relatives aux pompiers et assumées par ma commune. Cela ne plaît pas à tout le monde, mais c'est ainsi ! Or, l'instruction M 14 prévoit les cas dans lesquels un budget annexe est obligatoire - en matière industrielle et commerciale - mais elle ne dit rien d'autre. Autrement dit, elle n'interdit pas formellement la création d'une comptabilité à part si l'on souhaite isoler des comptes de manière à mieux cerner certains coûts.
Après avoir longuement réfléchi, l'organe chargé du contrôle de légalité m'a dit : « Tout ce qui n'est pas interdit est autorisé ; je laisse passer. » Mais je ne sais pas ce qu'en dira, le moment venu, la chambre régionale des comptes. Si l'on avait pu la consulter à ce moment, elle nous aurait donné un avis, que nous aurions suivi ou non, peu importe, mais elle nous aurait fourni une indication pour la suite.
Je propose donc simplement que le préfet, lorsqu'il le juge nécessaire, puisse formuler auprès de la chambre une demande d'avis juridique, comme il le fait aujourd'hui auprès du tribunal administratif.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Cet amendement consacre la mission de conseil aux chambres régionales des comptes sur les questions qui leur sont soumises par les préfets. Je rappelle que le groupe de travail que j'ai eu l'honneur de présider a été conduit à considérer que, si une telle proposition pouvait paraître séduisante, elle constituait en réalité une fausse bonne idée.
En effet, elle soulève deux problèmes essentiels.
Le premier est d'ordre matériel : en raison des moyens limités en personnels de certaines chambres régionales, il serait difficile de faire appliquer d'une façon homogène et harmonieuse cette disposition sur l'ensemble du territoire.
Le second problème est peut-être plus important. Cette proposition heurte un principe posé par la Convention européenne des droits de l'homme. Cette mission de conseil aboutirait en effet à une sorte de dédoublement fonctionnel des chambres régionales, et créerait une confusion des fonctions juridictionnelles et consultatives.
Je me permets, à cet égard, de citer un passage d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme en date du 19 juillet 1995, l'arrêt Procola contre Luxembourg.
Selon la Cour, « il y a eu confusion dans le chef de quatre conseillers d'Etat de fonctions consultatives et de fonctions juridictionnelles. Dans le cadre d'une institution telle que le Conseil d'Etat luxembourgeois, le seul fait que certaines personnes exercent successivement à propos des mêmes décisions les deux types de fonctions est de nature à mettre en cause l'impartialité structurelle de ladite institution. En l'espèce, Procola a pu légitimement craindre que les membres du comité du contentieux se soient sentis liés par l'avis précédemment donné. Ce simple doute, aussi peu justifié soit-il, suffit à altérer l'impartialité du tribunal en question. »
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. L'avis du Gouvernement est également défavorable.
Il nous semble que le préfet, d'ores et déjà, a la capacité de demander un certain nombre d'avis aux chambres régionales sur toutes sortes de questions. Outre les actes budgétaires, il peut le faire sur des conventions de délégation des services publics, sur des marchés passés par des collectivités territoriales et leurs établissements publics.
La mesure proposée étendrait la possibilité, pour le préfet, de saisir les chambres régionales des comptes à titre consultatif sur des questions qui nous semblent aujourd'hui dévolues aux tribunaux adminsitratifs.
Par ailleurs, il semble que le préfet a vocation d'interroger les services déconcentrés de l'Etat sur toutes sortes de questions d'ordre administratif ou financier. En l'occurrence, dans l'exemple cité, il aurait pu interroger le TPG.
M. Michel Charasse. Il l'a fait ! Et le TPG a donné un avis défavorable. Et quand je lui ai demandé sur quel texte il se fondait, il m'a répondu : « Il n'y en a pas ! » Voilà !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Le pouvoir de saisine du préfet est large. Dès lors, je ne vois pas très bien sur quoi porterait l'extension ainsi proposée.
Nous sommes prêts à examiner concrètement les modalités de cette extension mais, à ce stade, nous ne sommes pas favorables à l'amendement tel qu'il est rédigé.
M. le président. Monsieur Charasse, je vous prie d'éviter dorénavant de prendre la parole sans l'avoir demandée. Sinon, je peux tout aussi bien aller manger la soupe pendant que vous dialoguez les uns avec les autres ! (Sourires.)
Cela étant, maintenez-vous l'amendement n° 13 ?
M. Michel Charasse. Si je l'ai fait, monsieur le président, c'était pour aller plus vite. Je ne souhaite pas que vous soyez en retard pour le dîner. Je sais l'importance qu'il a toujours pour vous ! (Nouveaux sourires.)
La décision de justice européenne dont M. le rapporteur de la commission des lois vient de nous lire un extrait me paraît menacer fortement le caractère consultatif de la juridiction administrative, qui pourrait bien, un de ces jours, se faire, elle aussi, « ramasser » ...
Cela dit, j'ai contre moi la commission des lois, ce qui m'ennuie parce que ce sont de bons collègues. J'ai contre moi la secrétaire d'Etat ; cela m'embête, parce que je l'adore... (Sourires.)
Dans ces conditions, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 13 est retiré.
Par amendement n° 14, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 6, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 131-11 du code des juridictions financières, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Tous les jugements et arrêts rendus par les tribunaux administratifs, les chambres administratives d'appel et par le Conseil d'Etat concernant directement ou indirectement une collectivité territoriale ou un établissement public en dépendant doivent être automatiquement notifiés à la chambre régionale des comptes compétente. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je pense qu'il serait utile que les chambres régionales des comptes soient systématiquement destinataires de tous les jugements concernant les collectivités locales dont elles contrôlent la gestion.
Pourquoi vous dis-je cela ? Parce que je me suis trouvé, en Auvergne, devant une situation très « simple » : l'association des maires a contesté le contingent d'aide sociale devant le tribunal administratif ; elle a perdu. Quelque temps après, la chambre régionale des comptes a examiné les comptes du département et a déclaré, elle, que le contingent d'aide sociale était illégal ! Mais, comme il y avait l'autorité de la chose jugée de la décision du tribunal administratif, cette déclaration était inopérante... sauf que la chambre régionale des comptes ne le savait pas !
Par conséquent, on s'est trouvé dans un imbroglio juridique absolument total, qui a conduit l'association des maires dont je m'occupe à se taire et à ne rien faire.
Je pense qu'il serait mieux désormais que les chambres régionales des comptes soient destinataires systématiquement de tous les jugements qui intéressent les collectivités qu'elles contrôlent.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. La disposition proposée paraît source de complexité et de lourdeur, c'est le moins que l'on puisse dire !
Par ailleurs, la commission rappelle que les jugements sont publics et que les chambres régionales des comptes ont, bien sûr, les moyens de se procurer les décisions de justice susceptibles de concerner leurs compétences. Faut-il pour autant créer une obligation dans la loi ?
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement partage l'avis défavorable de la commission.
M. le président. Monsieur Charasse, l'amendement n° 14 est-il maintenu ?
M. Michel Charasse. Je veux simplement poser une question à Mme la secrétaire d'Etat, afin qu'elle réfléchisse à la réponse qu'elle pourra me faire d'ici au prochain débat.
Madame la secrétaire d'Etat, que se passe-t-il lorsqu'une chambre régionale des comptes remet en cause un jugement définitif d'un tribunal administratif ? Personne n'est capable de me répondre ! Je souhaiterais donc que vous puissiez au moins m'apporter une réponse après les vacances, une réponse claire et qui soit utile à tout le monde.
Cela dit, je retire l'amendement n° 14.
M. le président. L'amendement n° 14 est retiré.
Par amendement n° 15, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 6, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 231-13 du code des juridictions financières est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« Le magistrat qui requiert au nom de la loi au sein de la chambre régionale des comptes ne peut participer au délibéré de la chambre. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Cet amendement a simplement pour objet de préciser que le commissaire du Gouvernement de la chambre régionale des comptes ne peut pas participer au délibéré de la chambre, pas plus que le procureur ou le procureur général n'assistent au délibéré du tribunal correctionnel ou de la cour d'assises.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Si un problème doit se poser au regard de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit le droit à un procès équitable, il semble concerner la participation du rapporteur au délibéré et non celle du ministère public.
Pour autant, la commission des lois souhaite avoir confirmation de la part du Gouvernement que le ministère public ne participe jamais au délibéré. Il s'agit d'une question préalable à laquelle nous souhaitons obtenir une réponse.
En outre, si exclure le rapporteur du délibéré est souhaitable sur le plan des principes, cela pourrait poser un problème d'organisation, en particulier pour les petites chambres régionales des comptes, composées de quatre ou cinq magistrats seulement.
C'est en fonction de la réponse que nous apportera le Gouvernement que la commission se déterminera sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur, le commissaire du Gouvernement est membre d'une formation de délibéré ; pour autant, il ne participe pas au délibéré de la chambre. Il y a une différence entre « assister » et « participer ». Je suis extrêmement claire : il ne participe pas au délibéré, il assiste.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. Michel Charasse. Et l'avocat général à la cour d'assises ?
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Je poserai une question complémentaire à Mme la secrétaire d'Etat, si elle le permet : en vertu de quels textes le commissaire du Gouvernement ne participe-t-il jamais au délibéré ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Sauf erreur de ma part, c'est en vertu des articles R. 212-31 à R. 212-33 du code des juridictions financières.
M. le président. Quel est donc in fine l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Sous réserve de l'appréciation de son auteur, l'amendement devient sans objet.
Pour autant, la question du rapporteur demeure posée et il pourrait être envisageable de préciser que le commissaire du Gouvernement ne doit pas participer au délibéré.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. A l'occasion de cet amendement, M. le rapporteur a soulevé le problème - important - du fonctionnement des petites chambres régionales des comptes à quatre ou cinq magistrats, et il en existe, nous le savons.
Madame la secrétaire d'Etat, pensez-vous réellement qu'une chambre régionale des comptes puisse fonctionner avec quatre magistrats ? Ne serait-il pas opportun, à l'occasion de ce débat ou de la discussion du projet de loi sur le statut, que nous portions un regard objectif sur le fonctionnement des chambres régionales, notamment sous l'angle de leurs effectifs ?
Les personnes que nous avons consultées nous disent que, si l'on veut vraiment que la collégialité, le contre-rapport, bref l'ensemble des dispositions qui régissent le fonctionnement normal des chambres soient appliquées, un minimum de quinze magistrats par chambre serait nécessaire.
Cela impliquerait de réorganiser les chambres non pas en divisant leur nombre par deux, mais en en regroupant un certain nombre afin d'atteindre l'efficacité optimale.
Je me permets de soulever cette question à l'occasion de l'examen de cet amendement, de façon que le Gouvernement puisse nous apporter une réponse. Il s'agit là, non pas de gêner le fonctionnement des chambres, mais au contraire d'améliorer leur efficacité.
M. le président. Monsieur Charasse, l'amendement n° 15 est-il maintenu ?
M. Michel Charasse. Il se trouve que je n'ai rien compris à ce débat !
M. le rapporteur pose la question à Mme la secrétaire d'Etat : est-ce que le commissaire du Gouvernement participe au délibéré ? Est-ce qu'il assiste ? Mme la secrétaire d'Etat répond qu'il ne participe pas au délibéré, en vertu des articles R. ... quelque chose du code des juridictions financières.
Très bien ! Mais il assiste. Alors, est-ce que l'avocat général assiste au délibéré du jury d'assises ?
M. José Balarello. Non !
M. Michel Charasse. Est-ce que le procureur de la République assiste au délibéré du tribunal correctionnel ?
M. José Balarello. Non !
M. Michel Charasse. Pour ma part, je pense qu'il faut tout aligner.
Si j'ai bien compris ce qu'a dit M. le rapporteur de la commission des lois, on va en reparler à l'automne, et je retire mon amendement. Mais je ne suis pas décidé à accepter que le commissaire du Gouvernement, qui requiert au nom de la loi, assiste au délibéré, même sans y participer. Surtout dans les petites chambres, monsieur Oudin, où tout le monde se connaît. Si l'on arrivait à constituer de grosses chambres, cela faciliterait peut être le travail des magistrats..., mais cela crierait beaucoup plus fort sous nos fenêtres dans certaines circonstances ! (Sourires.) M. le président. L'amendement n° 15 est retiré.

Article 6



M. le président.
« Art. 6. - L'article L. 241-14 du code des juridictions financières est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Avant que la chambre régionale des comptes arrête lesdites observations et après, le cas échéant, l'audition des personnes mentionnées à l'alinéa précédent, le ministère public lui présente ses conclusions qui apprécient notamment la légalité de la procédure suivie au cours de l'examen de la gestion. Ces conclusions peuvent être communiquées à leur demande aux personnes visées au premier alinéa de l'article L. 241-11 »
Par amendement n° 25, M. Oudin, au nom de la commission des finances, propose de compléter la seconde phrase du texte présenté par cet article pour compléter l'article L. 241-14 du code des juridictions financières par les mots : « , à l'ordonnateur en fonctions au cours de l'exercice examiné et à toute personne nominativement ou explicitement mise en cause. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. L'article 6 rend obligatoire la présentation des conclusions par le commissaire du Gouvernement, qui se prononce, notamment, sur la légalité des procédures.
Dans sa rédaction actuelle, l'article 6 ne permet pas la communication de ces conclusions à l'ordonnateur en fonction au cours de la période faisant l'objet du contrôle, ni à l'ensemble des personnes nominativement ou explicitement mises en cause. L'objet de cet amendement est de remédier à cet oubli.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Avis défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 25, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 6, ainsi modifié.

(L'article 6 est adopté.)

Article 7



M. le président.
« Art. 7. - Après l'article L. 241-14 du code des juridictions financières, sont insérés les articles L. 241-14-1 et L. 241-14-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 241-14-1. - Les observations définitives sur la gestion prévues par l'article L. 241-11 ne peuvent être publiées ni communiquées à des tiers avant que l'ordonnateur et celui qui était en fonctions au cours de l'exercice examiné ou le dirigeant ou tout autre personne nominativement ou explicitement mise en cause aient été en mesure de leur apporter une réponse écrite dans un délai d'un mois. Cette réponse est annexée aux observations définitives de la chambre régionale des comptes. »
« Art. L. 241-14-2. - Les observations définitives sur la gestion prévues par l'article L. 241-11 ne peuvent être publiées ni communiquées à des tiers à compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections pour la collectivité concernée et jusqu'à la date du tour de scrutin où l'élection est acquise. »

Je suis saisi, par MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés, de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 22 vise à rédiger comme suit le texte proposé par l'article 7 pour l'article L. 241-14-2 du code des juridictions financières :
« Art. L. 241-14-2. - Sous réserve de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, aucun jugement relatif aux comptes d'une collectivité locale ou d'un établissement public local ne peut être rendu par une chambre régionale des comptes, ni aucune observation, provisoire ou définitive, adressée par cette chambre dans les trois mois qui précèdent le renouvellement général des collectivités locales dont fait partie la collectivité concernée.
« Les délais de prescription sont suspendus pour la même durée. »
L'amendement n° 16 rectifié tend à rédiger comme suit le texte proposé par l'article 7 pour l'article L. 241-14-2 du code des juridictions financières :
« Art. L. 241-14-2. - Sous réserve de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, aucun jugement relatif aux comptes d'une collectivité locale ou d'un établissement public local ne peut être rendu par une chambre régionale des comptes, ni aucune observation, provisoire ou définitive, adressée par cette chambre dans le délai prévu au deuxième alinéa de l'article L. 52-1 du code électoral.
« Les délais de prescription sont suspendus pour la même durée. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. S'agissant de l'amendement n° 22, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 22 est retiré.
Veuillez poursuivre, monsieur Charasse.
M. Michel Charasse. Pour l'instant, il n'y a rien dans la loi, mais les chambres régionales des comptes ont adopté une pratique selon laquelle, trois mois avant une élection, on n'envoie pas de lettre d'observations. Mais ce délai de trois mois est très différent de l'autre délai fixé par le code électoral, qui, lui, est de six mois. Si bien que, pendant les six mois qui précèdent une élection générale, un maire ne peut pas dire du bien de lui à travers des publications municipales, mais que, pendant trois de ces six mois-là il peut se faire éreinter par la chambre régionale des comptes !
Mon amendement vise donc à aligner les deux délais : pendant six mois, on ne dit pas de bien et on ne dit pas de mal. Et les électeurs s'en chargent !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. L'amendement de M. Charasse applique à la publication des jugements et observations des chambres régionales des comptes le délai de six mois prévu par le code électoral pour l'interdiction de toute promotion sur une gestion locale à la veille d'une élection. Il prévoit parallèlement la suspension des délais de prescription.
Son objet est partiellement satisfait par l'article 7 du texte proposé par la proposition de loi, qui se limite néanmoins à la publication des lettres d'observations définitives et non pas des jugements.
La commission n'a pas entendu exclure la possibilité que des jugements des comptes soient rendus pendant la même période. Elle a donc émis un avis défavorable sur cet amendement, s'en tenant à sa proposition initiale portant uniquement sur les lettres d'observations définitives.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. En ce qui concerne les observations de gestion, le Gouvernement estime que cette proposition doit être considérée par rapport à l'article 32 du projet de loi portant diverses propositions statutaires sur la Cour des comptes.
Les chambres régionales des comptes adoptent une période de réserve de trois mois pour l'envoi des lettres d'observations définitives aux ordonnateurs concernés par des élections locales. L'article 32 précité, en rendant communicables non seulement les lettres d'observations, mais aussi les réponses des personnes concernées, apporte au citoyen, à l'électeur, l'ensemble des moyens nécessaires pour qu'il se forge une juste opinion.
En ce qui concerne les jugements, l'amendement, qui interdirait à une juridiction de rendre des jugements en considération de périodes électorales, introduirait un régime d'exception inédit en droit français, en contradiction avec le principe d'indépendance de la justice.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 16 rectifié.
M. Michel Charasse. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. J'ai lu avec attention l'article 7, monsieur le rapporteur, proposé par la commission des lois, mais il me paraît un peu restrictif par rapport à mon propre amendement.
Moi, je visais l'impossibilité pour la chambre des comptes de perturber d'une quelconque manière une campagne électorale en cours, mais je réservais l'éventualité de poursuites pénales en autorisant la chambre, pendant ce délai de six mois, à saisir le parquet si elle avait noté, au cours de son travail, des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale.
Monsieur le président, j'ai la faiblesse de préférer ma rédaction, même si je me rallierai à la rédaction de la commission si ma rédaction n'est pas adoptée.
Donc, je maintiens l'amendement n° 16 rectifié. J'appelle l'attention de M. le rapporteur sur le fait qu'il doit bien être entendu tout de même, et j'espère qu'il le dira, que, pendant ce délai de six mois, la chambre a toujours la possibilité de saisir le préfet si elle a constaté des faits délictueux sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale. Ce serait tout à fait dommage de se retrouver dans un cas de prescription que l'on n'a pas saisi l'autorité judiciaire dans les délais, parce que l'on considère que l'on se doit d'être complètement muet pendant ces six mois.
Cela dit, je pense qu'à partir du moment où un élu local ne peut faire valoir les vertus de sa gestion, que ce soit par la publicité d'un jugement définitif ou par celle des observations, il me paraît difficile que l'on puisse faire valoir les défauts de sa gestion pendant la même période.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Je voudrais souligner à l'adresse de M. Charasse et de l'ensemble de nos collègues que le délai de six mois proposé par la commission des lois empêche uniquement la publication et l'envoi des lettres d'observations définitives, et que, naturellement, l'ensemble des activités des chambres pendant ces mêmes délais - le travail d'investigation, de mission, d'échanges, de contrôle... est évidemment laissé à la libre possibilité des chambres régionales des comptes.
J'indique également que la commission des lois a restreint la limite ainsi imposée aux seules élections pour la collectivité concernée.
Nous ne sommes donc plus dans le cadre de la rédaction initiale, qui prévoyait que le délai de neutralité était imposé pour six mois à la veille de l'ensemble des élections générales. Aujourd'hui, ce sont uniquement les élections locales, et pour la gestion concernée, qui donneront lieu à l'observation du délai. Autrement dit, les élections générales - élections législatives, sénatoriales, européennes, présidentielles et autres - ne seront plus génératrices d'aucun délai que les chambres auraient à observer.
Ce sont là des précisions qu'il faut apporter, et c'est bien volontairement que la commission des lois s'en est tenue à la limitation à ces élections et au seul examen de la gestion. L'ensemble des autres activités sont bien entendu librement laissées à la diligence des chambres. M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Lors des réunions du groupe de travail et de la préparation de ce texte qui est en discussion, nous avons souhaité que le déroulement des campagnes électorales soit réellement marqué à la fois par l'équité et par la sérénité.
C'était d'ailleurs bien là l'intention du législateur lorsque, en mettant tous les candidats sur le même plan, il avait estimé qu'il convenait d'interdire que le candidat sortant, l'élu en place, puisse utiliser les fonds de sa collectivité pour assurer la promotion de sa gestion et donc pour faire sa campagne.
Par conséquent, ces six mois où il était interdit de faire une promotion positive de son action devaient également être retenus pour éviter toute perturbation extérieure négative, sachant qu'une lettre d'observations définitives doit être délibérée en conseil municipal. Elle est donc rendue publique et peut faire l'objet de certaines polémiques.
Nous sommes donc dans la même logique de sérénité et d'équité dans cette période de neutralité. Je souhaitais le dire, car nous sommes tous d'accord, je crois, sur ces dispositions.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 16 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 est adopté.)

Articles 8 et 9



M. le président.
« Art. 8. - Le chapitre III du titre IV de la première partie du Livre II du code des juridictions financières est complété par un article L. 243-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 243-4 . - La chambre régionale des comptes statue dans les formes prévues aux articles L. 241-13 et L. 241-14 sur toute demande en rectification d'observations définitives sur la gestion qui peut lui être présentée par les dirigeants des personnes morales contrôlées ou tout autre personne nominativement ou explicitement mise en cause. » - (Adopté.)
« Art. 9. - Le chapitre III du titre IV de la première partie du Livre II du code des juridictions financières est complété par un article L. 243-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 243-5 . - Les observations définitives formulées par la chambre régionale des comptes sur la gestion d'une collectivité territoriale, d'un établissement public local ou de l'un des organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 241-11 sont des actes susceptibles de faire grief. Ils peuvent être déférés devant le Conseil d'Etat pour excès de pouvoir. » - (Adopté.)

TITRE III

DISPOSITIONS TENDANT À PRÉCISER
CERTAINES RÈGLES D'INÉLIGIBILITÉ
PRÉVUES PAR LE CODE ÉLECTORAL

Article 10



M. le président.
« Art. 10. - Au début du 11° de l'article L. 195 du code électoral, sont insérés les mots : "Sous réserve des dispositions du second alinéa de l'article L. 205,". »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par M. Balarello et les membres du groupe des Républicains et Indépendants.
L'amendement n° 17 est déposé par MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Tous deux tendent à rédiger comme suit cet article :
« Dans le 11° de l'article L. 195 du code électoral, après les mots : "agents et comptables de tout ordre", sont insérés les mots : "agissant en qualité de fonctionnaire". »
La parole est à M. Balarello, pour présenter l'amendement n° 1.
M. José Balarello. Cet amendement vise les problèmes relatifs à l'inégilibité des élus au conseil général lorsque ces derniers sont déclarés comptables de fait.
L'article 195 du code électoral prévoit dix-neuf catégories de personnes ne pouvant être élues membres du conseil général. Entre le dixième alinéa, qui concerne les inspecteurs d'académie, les inspecteurs de l'enseignement primaire, et le douzième alinéa, qui vise les directeurs départementaux et inspecteurs principaux des postes et télécommunications, figurent les agents et comptables de tout ordre, employés à l'assiette, à la perception et au recouvrement des contributions directes et indirectes, etc. On assimile donc les comptables de fait à ces agents et comptables. C'est la raison pour laquelle je propose, par l'amendement n° 1, d'ajouter les mots : « agissant en qualité de fonctionnaire ».
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour présenter l'amendement n° 17. M. Michel Charasse. Monsieur le président, cet amendements n°s 18 à 21 ont tous le même objet, et je les défendrai donc ensemble.
Aux termes du code des juridictions financières et du code électoral, l'élu définitivement déclaré comptable de fait est inéligible.
Comme je l'ai indiqué tout à l'heure dans la discussion générale, cette sanction a, en fait, un caractère automatique ; or, le Conseil constitutionnel, voilà dix-huit mois, a remis en cause, à propos d'un texte étendant à la Nouvelle-Calédonie des dispositions du droit français relatives au droit des sociétés, et notamment aux faillites, le principe de l'automaticité de telles sanctions, en considérant qu'il ne pouvait y avoir perte des droits civiques sans une décision de justice.
Les amendements que je présente ont pour objet de supprimer cette sanction automatique. La question qui se pose est bien évidemment de savoir s'il ne va pas en résulter une inégalité entre le comptable public ou patent qui est, en tout état de cause, inéligible et le comptable de fait, qui, devient inéligible dans la mesure où il est déclaré comptable.
Je tiens à dire que leur situation n'est pas du tout la même : le comptable public, lui, prête serment devant la chambre régionale des comptes ; le comptable de fait, non. Le comptable public, lui, dispose de moyens de poursuivre le recouvrement des sommes indues ; le comptable de fait, non. Le comptable public, lui, a la possibilité d'adhérer à un organisme de caution mutuelle qui le couvre jusqu'à hauteur de la moitié ou d'un peu plus en cas de débet ; le comptable de fait, non. De surcroît, le gestionnaire de fait n'est comptable que pour la brève période pendant laquelle il a été déclaré tel, et, généralement, lorsque la sanction d'inéligibilité est appliquée, il y a beau temps qu'il ne l'est plus, puisque ses activités de comptable ont cessé. Dans ce cas, la sanction frappe donc a posteriori une période de deux, trois, quatre, cinq ou six mois, période pendant laquelle l'intéressé a été, quelquefois à son corps défendant et sans s'en rendre compte, comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, un comptable de fait.
Par conséquent, le principe d'égalité n'est, à mon avis, pas rompu puisque les comptables sont dans une situation différente.
J'ajoute - ce n'est pas moindre - que, pour son métier de comptable public, l'intéressé est rémunéré par l'Etat, alors que, pour son métier de comptable de fait, l'intéressé n'est qu'emm... par tout un tas de personnes, dont la chambre régionale des comptes et quelques autres ! Il n'y a donc pas vraiment d'égalité entre les deux catégories.
Tous ces amendements ont donc le même objet. Ils visent, comme l'amendement n° 1 de M. Balarello, à dire que l'inéligibilité ne concerne que le comptable patent, donc public, et que, dans tous les autres cas, il n'y a pas d'inéligibilité pour l'ordonnateur qui s'est érigé en comptable de fait, sauf, bien entendu - mais c'est le tribunal judiciaire qui le dira - s'il y a eu des malversations entraînant une inégibilité au titre des peines prévues pour les condamnés dans le cadre du code électoral.
Monsieur le président, j'ai défendu en bloc tous mes amendements.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 1 et 17 ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. En ce qui concerne l'amendement n° 1 - mais cet avis constitue également une réponse aux amendements que vient de présenter M. Charasse -, il tend à ne rendre inéligible aux assemblées locales que les seuls comptables exerçant en qualité de fonctionnaires. Dans son esprit, cet amendement a le même objet que le texte adopté par la commission des lois, qui vise à préciser les règles d'inéligibilité applicables aux ordonnateurs reconnus comptables de fait.
Toutefois, la commission des lois, conformément aux recommandations du groupe de travail, a retenu une procédure de suspension de ses fonctions de l'ordonnateur reconnu comptable de fait jusqu'à la régularisation de sa situation.
Le bien-fondé de cette procécure est admis par les magistrats financiers eux-mêmes, lesquels ont regretté, devant le groupe de travail, que le juge des comptes soit conduit à être également le juge du mandat.
C'est pourquoi le texte de la commission des lois précise, à l'article L. 195 du code électoral, que l'inéligibilité des comptables exerçant dans le département est applicable sous réserve des dispositions relatives à la suspension des fonctions d'ordonnateur insérées par la commission à l'article L. 205.
Le dispositif de la commission paraît donc de nature à satisfaire l'objet de l'amendement, lequel, en revanche, introduit dans l'énoncé des règles générales d'éligibilité une différence de traitement entre les comptables selon qu'ils sont fonctionnaires ou non. La commission des lois s'est néanmoins ralliée à cette proposition.
Je précise que, si les amendements n°s 1 et 17 étaient adoptés, ils rendraient sans objet les articles 11, 13 et 14 de la proposition de loi dans le texte proposé par la commission des lois. Ces articles devraient alors faire l'objet des coordinations prévues.
La commission émet donc un avis favorable sur les amendements n°s 1 et 17.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 1 et 17 ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Comme les orateurs précédents, je m'exprimerai globalement sur les amendements n°s 1, 17 et suivants.
Il faut examiner de manière globale la question des conséquences de la gestion de fait ; en effet, dans le droit existant, l'équilibre du régime est sinon fragile, du moins ténu.
L'article 195 du code électoral prévoit l'égalité de traitement au regard de la possibilité de se faire élire, entre d'une part, un citoyen exerçant la profession de comptable public et, d'autre part, un élu s'étant ingéré momentanément dans les mêmes fonctions de comptable.
D'un côté, le comptable public ne peut se présenter à une élection dans le ressort de son territoire professionnel dans le délai de six mois, non pas parce qu'il aurait agi en contradiction avec les lois et règlements mais tout simplement parce que pèse a priori sur lui le soupçon d'avoir utilisé ses fonctions pour se concilier les électeurs.
D'un autre côté, cette incompatibilité est appliquée à un élu qui a été jugé comptable de fait, c'est-à-dire qu'il a utilisé ses fonctions d'ordonnateur pour distraire de la caisse publique une partie des deniers de la collectivité qu'il administre.
Supprimer cette incompatibilité pour le comptable de fait pose une vraie question de rupture d'équilibre qu'il importe de considérer.
Les dispositions de l'article L. 205 du code électoral, que la commission propose également de modifier à l'article suivant, comportent, j'en conviens, des imperfections. En effet, pour éviter l'effet brutal et immédiat d'une démission d'office, elles permettent qu'un élu qui a été jugé comptable de fait soit maintenu dans ses fonctions électives s'il reçoit quitus dans le délai de six mois de l'expiration du délai de production du compte. Mais si une nouvelle élection intervenait dans les six mois, il ne pourrait pas se représenter.
Nous pensons que des améliorations et des corrections peuvent être apportées sans porter atteinte au principe de la séparation des pouvoirs posé par notre droit financier. Nous souhaitons donc, nous aussi, remédier à la rigueur, effectivement excessive, de certaines des conséquences de la gestion de fait en matière électorale.
J'en profite, si vous m'y autorisez, monsieur le président, pour récapituler les engagements que j'ai pris devant vous.
J'ai pris ainsi l'engagement d'introduire dans le projet de loi statutaire qui sera prochainement soumis à la Haute Assemblée une disposition relative à la délibération de reconnaissance de l'utilité publique, qui satisfera l'amendement n° 11 de M. Charasse.
J'ai proposé à votre assemblée de réexaminer dans le cadre de l'article 32 de ce projet de loi statutaire les propositions relatives aux missions des chambres régionales des comptes en matière d'examen de la gestion, notamment en ce qui concerne les réponses écrites des ordonnateurs aux observations définitives.
S'agissant enfin de l'apurement administratif, j'ai indiqué que le groupe de travail commun à la Cour des comptes et au ministère des finances proposera un système, durable je l'espère.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur les deux amendements identiques n°s 1 et 17.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 1 et 17.
M. José Balarello. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. L'explication de Mme le secrétaire d'Etat contient des éléments positifs, et je l'en remercie, puisqu'elle nous a dit en réalité qu'elle prendrait en compte les travaux qui se sont déroulés cet après-midi au Sénat.
Cela étant, lorsqu'on nous dit qu'il y aurait rupture de traitement entre le comptable public et le comptable de fait, je réponds qu'il faut revenir au code électoral ! Qu'a voulu le législateur en adoptant les articles L. 194 et suivants concernant les conseils généraux ? Il en est d'ailleurs de même pour les conseils municipaux, et c'est pourquoi nous avons déposé, avec Michel Charasse, un certain nombre d'amendements visant aussi ces derniers. Le législateur a, dans les deux cas, souhaité rendre inéligibles un certain nombre de personnes : les préfets, les magistrats du siège et du parquet, les membres des tribunaux d'instance et de grande instance, les officiers, les fonctionnaires des corps actifs de police, les ingénieurs des Ponts et Chaussées - tous les élus cantonaux le savent ! - mais aussi les ingénieurs des Postes et Télécommunications, etc. Bref, ces articles contiennent une nomenclature de dix-neuf professions.
Cela n'a toutefois, rien à voir avec la différence de traitement entre le comptable public et celui qui serait devenu comptable public à la suite d'une gestion de fait !
En réalité, là où le bât blesse, c'est précisément parce que la jurisprudence qui a été établie pour l'application de ces dispositions est le fruit de je ne sais quel esprit tortueux - et je suis mesuré : j'allais dire « tordu » - dans la mesure où l'article L. 195 a été appliqué à la gestion de fait.
Je crois, madame le secrétaire d'Etat, qu'il faut que vous purgiez ce problème de façon définitive, comme nous le ferons pour les élections municipales dans quelques instants.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 1 et 17, acceptés par la commission et repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 10 est ainsi rédigé.

Article 11



M. le président.
« Art. 11. - Le second alinéa de l'article L. 205 du code électoral est ainsi rédigé :
« Toutefois, par dérogation à l'alinéa précédent, lorsqu'un jugement du juge des comptes statuant définitivement a déclaré comptable de fait un conseiller général, celui-ci est suspendu de ses fonctions d'ordonnateur jusqu'à ce que quitus lui soit délivré de sa gestion. »
Par amendement n° 18, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« Le second alinéa de l'article L. 205 du code électoral est supprimé. »
Il s'agit, comme il a été dit, d'un amendement de coordination.
Personne ne demande la parole ?...
Je le mets aux voix.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 11 est ainsi rédigé.

Article 12



M. le président.
« Art. 12. - Au début du 6° de l'article L. 231 du code électoral, sont insérés les mots : "Sous réserve des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 236". »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 19, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« Le 6° de l'article L. 231 du code électoral est supprimé. »
Par amendement n° 2, M. Balarello et les membres du groupe des Républicains et Indépendants proposent de rédiger comme suit l'article 12 :
« Dans le 6° de l'article L. 231 du code électoral, après les mots : "Les comptables des deniers communaux", sont insérés les mots : "agissant en qualité de fonctionnaire". »
Il s'agit d'amendements de coordination.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Monsieur le président, par cohérence, la commission souhaiterait que l'amendement n° 2 soit adopté plutôt que l'amendement n° 19.
M. le président. Monsieur Charasse, acceptez-vous de retirer l'amendement n° 19 au bénéfice de l'amendement n° 2 ?
M. Michel Charasse. A cette heure, monsieur le président, et ayant les mêmes obligations que vous, j'accepte de le retirer. (Sourires.)
M. le président. L'amendement n° 19 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 12 est ainsi rédigé.

Article 13



M. le président.
« Art. 13. - Le dernier alinéa de l'article L. 236 du code électoral est ainsi rédigé :
« Toutefois, par dérogation à l'alinéa précédent, lorsqu'un jugement du juge des comptes statuant définitivement a déclaré comptable de fait un conseiller municipal, celui-ci est suspendu de ses fonctions d'ordonnateur jusqu'à ce que quitus lui soit délivré de sa gestion. »
Par amendement n° 20, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« Le dernier alinéa de l'article L. 236 du code électoral est supprimé. »
Il s'agit également d'un amendement de coordination.
Personne ne demande la parole ?...
Je le mets aux voix.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 13 est ainsi rédigé.

Article 14



M. le président.
« Art. 14. - Le dernier alinéa de l'article L. 341 du code électoral est ainsi rédigé :
« Toutefois, par dérogation à l'alinéa précédent, lorsqu'un jugement du juge des comptes statuant définitivement a déclaré comptable de fait un conseiller régional, celui-ci est suspendu de ses fonctions d'ordonnateur jusqu'à ce que quitus lui soit délivré de sa gestion. »
Par amendement n° 21, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« Le dernier alinéa de l'article L. 341 du code électoral est supprimé. »
Il s'agit d'un amendement de coordination.
Personne ne demande la parole ?...
Je le mets aux voix.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 14 est ainsi rédigé.

Division additionnelle après l'article 14



M. le président.
Par amendement n° 3, M. Balarello et les membres du groupe des Républicains et Indépendants proposent d'ajouter, après l'article 14, une division additionnelle ainsi rédigée :
« Titre...
« Dispositions visant à organiser l'apurement définitif de la gestion de fait dans le cas de non-détournement de sommes, ni enrichissement personnel. »
La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Je retire cet amendement, monsieur le président, comme nous en étions convenus en commission des lois.
M. le président. L'amendement n° 3 est retiré.

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix les conclusions de la commission des lois, je donne la parole à M. Charasse pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Notre groupe se réjouit, naturellement, que, sur un certain nombre de points, nous ayons avancé, soit en adoptant des dispositions qui correspondent à notre souhait, soit en progressant dans la réflexion que nous a promise le Gouvernement pour un débat ultérieur.
Certes, il reste encore un certain nombre d'autres points à étudier. Sur quelques-uns, je me suis rallié aux positions de la commission des lois, qui a beaucoup travaillé, comme d'ailleurs la commission des finances et le groupe de travail auparavant, mais il en demeure d'autres qui devront être revus.
C'est pourquoi le groupe socialiste s'abstiendra.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Nous avons mené, prendant trois heures et demie, un débat approfondi, dont la tenue même a montré le bien-fondé et à l'issue duquel je ferai trois constats.
Le premier, c'est que tout démontre que nos textes doivent être améliorés. Vous n'avez d'ailleurs pas dit autre chose, madame le secrétaire d'Etat : vous avez en effet reconnu que des lacunes existaient, rappelé qu'un groupe de travail a été mis en place avec la Cour des comptes et déclaré qu'un texte relatif à l'amélioration statutaire serait prochainement examiné.
Je regrette, dans ces conditions, que notre texte n'ait pas trouvé grâce à vos yeux et que vous vous soyez montrée d'une rigueur négative particulièrement frappante.
Par ailleurs - c'est mon deuxième constat -, chacun a pu se rendre compte que l'objectif du Sénat n'était pas de gêner, d'entraver ou d'empêcher le bon déroulement du contrôle financier, loin s'en faut. Tout ce que nous avons souhaité, c'était mettre en harmonie un certain nombre de textes et les faits avec les réalités. C'est ainsi que le Sénat a pu, me semble-t-il, faire avancer la réflexion pour un meilleur contrôle et une meilleure clarté des comptes.
J'ai, enfin - c'est mon troisième constat - un regret à formuler. J'ai pris soin, dans mon propos introductif, de rappeler l'ancienneté de nos réflexions sénatoriales. Au printemps 1997, nous avons commencé à réfléchir à ces problèmes. Cette date doit vous rappeler quelque chose, madame le secrétaire d'Etat ! Certes, vous étiez très occupée en arrivant au pouvoir, mais notre rapport a été déposé en 1998. Avouez, dans ces conditions, que la République fonctionne de façon curieuse quand certains points aussi importants font l'objet de si peu de dialogue entre le Parlement et le Gouvernement !
Même si nous souhaitons être modestes dans le jugement que nous portons sur ses qualités, ce texte aurait pu entraîner, me semble-t-il, une réflexion plus approfondie, à l'image de celle que nous avons eue avec d'autres en engageant la préparation de cette proposition de loi.
Je dois donc vous avouer que je me suis senti un peu déçu en écoutant, madame le secrétaire d'Etat, l'ensemble de vos réponses, d'autant que, vous l'avez constaté, nous avons discuté de ce texte sans aucun esprit partisan : Michel Charasse a été applaudi sur l'ensemble des travées de la droite et tout le monde a voté les mêmes textes ; même si, à l'issue de cet examen, le groupe socialiste s'abstient, on voit bien que cette démarche a fait l'objet d'une certaine unanimité.
Quoi qu'il en soit, madame le secrétaire d'Etat, vous nous avez tendu la perche, en quelque sorte, pour la suite des événements en nous disant que nous nous reverrions pour l'examen du texte sur les statuts. Le projet de loi ne portera-t-il d'ailleurs que sur les statuts ? Certainement pas ! Nous prenons donc finalement l'engagement commun de revoir la totalité du dispositif à cette occasion. Je m'en réjouis, à la fois pour les collectivités locales, pour la qualité de l'examen des comptes, pour les chambres régionales des comptes, et, finalement, pour le bon fonctionnement de la République et de la démocratie. (Applaudissements.)
M. Michel Charasse. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise est particulièrement significative de la qualité et de l'opportunité des travaux qui peuvent être menés dans nos différentes commissions sénatoriales, en l'occurrence la commission des lois et la commission des finances. Cette proposition est l'aboutissement d'un travail de longue halaine, marqué par le rapport d'étape du groupe de travail présidé par mon collègue de l'Union centriste Jean-Paul Amoudry.
Etabli à l'issue d'un programme d'audition particulièrement complet, ce rapport, il faut le rappeler, a été adopté à l'unanimité par nos deux commissions, au-delà des clivages politiques.
Par ailleurs, les différentes mesures proposées correspondent aux attentes réelles d'élus locaux dont le Sénat est le représentant et le défenseur. Il s'agit non pas, chacun l'a compris, de remettre en cause les principes même du contrôle financier des collectivités locales par les chambres régionales des comptes, mais de les rendre conformes aux principes fondamentaux de notre droit.
Les différentes mesures proposées partent, en effet, d'un constat : les élus locaux, confrontés aux difficultés et aux contraintes constantes de la gestion locale, vivent mal les modalités du contrôle financier.
Il faut mettre fin à certaines dérives : je crois, à cet égard, que beaucoup de magistrats réticents à l'origine vis-à-vis de ce texte ont compris la nécessité de renforcer les garanties offertes aux collectivités contrôlées. Je pense, en particulier, à la confidentialité des documents préparatoires des chambres régionales des comptes, à la prise en compte expresse de la réponse écrite de l'ordonnateur, aux observations définitives des chambres ainsi qu'à la reconnaissance du caractère d'actes faisant grief aux observations des chambres, et donc à la possibilité d'un recours pour excès de pouvoir.
De telles mesures sont indispensables, et il faut espérer que l'Assemblée nationale s'y ralliera, ce qui prouvera que les propositions du Sénat, par leur pertinence et leur sérieux, peuvent contribuer à améliorer l'état de droit, ce à quoi chaque Français, élu ou non, aspire légitimement.
Il me reste à féliciter à nouveau mes collègues MM. Amoudry et Oudin pour la très grande qualité de leur travail, ainsi que les commissions du Sénat et leurs fonctionnaires, qui y ont contribué.
Le groupe de l'Union centriste votera donc la proposition de loi qui nous est présentée dans la version proposée par les commissions concernées. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Del Picchia.
M. Robert Del Picchia. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est un texte équilibré que nous allons adopter aujourd'hui.
Un texte équilibré, car sans complaisance, certes, mais également sans outrance.
Si ce texte est sans complaisance, c'est que notre assemblée prend ses responsabilités aujourd'hui en adoptant des mesures de première importance qui répondent aux attentes de bon nombre des élus locaux, qui vivent souvent très mal la procédure d'examen de la gestion de leur collectivité, alors même, ainsi que le rappelait notre rapporteur pour avis, Jacques Oudin, que les finances locales sont souvent les seules dans ce pays à être équilibrées. Les collectivités locales sont en effet bien souvent des exemples à suivre plus qu'à blâmer !
Empêcher les appréciations des chambres régionales des comptes sur l'opportunité des politiques publiques semble, à ce titre, l'un des points essentiels, puisque ces contrôles pouvaient s'apparenter à un déni de légitimité politique. En effet, seuls les décideurs politiques sont élus, et donc seuls eux ont la légitimité politique.
Cette légitimité est le tenant d'une responsabilité qu'ils assument par le suffrage et par le risque qu'ils courent de voir leur mandat non reconduit.
C'est aux citoyens, par leur vote, qu'il appartient de porter un jugement sur l'opportunité des politiques publiques et non pas à des magistrats, qui accaparent ainsi un pouvoir dont ils ne détiennent aucune légitimité.
Le texte que nous nous apprêtons donc à voter est non pas un recul du contrôle des chambres régionales des comptes sur les finances publiques, mais bien au contraire un moyen de légitimer ces contrôles en les limitant aux strictes missions qui sont les leurs.
Préciser et renforcer leur pouvoir de contrôle sera de nature à améliorer leur efficacité, en légitimant plus encore leur existence.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe du Rassemblement pour la République adoptera ce texte, amendé comme il se doit par notre assemblée. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions modifiées du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi n° 84 (1999-2000).
Mme Nicole Borvo. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.

(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quanrante-cinq.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

5

RÉGIMES DE RETRAITE

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 22 de M. Jean-Pierre Fourcade à M. le Premier ministre, sur les régimes de retraite, suivante :
M. Jean-Pierre Fourcade demande à M. le Premier ministre de préciser les orientations qu'il vient d'annoncer sur les perspectives des régimes de retraite dans les prochaines années. Il l'interroge sur les modalités techniques et financières du rapprochement entre les régimes de base et les régimes spéciaux, et sur la juxtaposition des mécanismes de répartition avec ceux de l'épargne salariale.
La parole est à M. Fourcade, auteur de la question.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, j'ai interrogé le Premier ministre sur les orientations qu'il vient de définir pour assurer l'avenir des régimes de retraite en France dans les vingt prochaines années, et je vous remercie d'avoir accepté de venir en débattre devant la Haute Assemblée.
S'agissant d'un problème essentiel qui préoccupe sept français sur dix, selon les sondages, j'estime qu'il est nécessaire de l'aborder de manière sérieuse et réfléchie en se situant bien au-delà des polémiques observées depuis quelques semaines.
Je partirai de quatre constats.
D'abord, l'allongement de l'espérance de vie constitue l'une des principales mutations auxquelles la société française sera confrontée dans les décennies à venir ; ce phénomène démographique est certain et rien ne peut permettre de le contourner.
Ensuite, c'est à partir de 2005-2006 que les générations nombreuses de l'après-guerre partiront en retraite, ce qui entraînera un bouleversement des équilibres entre les actifs et les retraités.
Par ailleurs, notre système français de régime de retraite est complexe, inéquitable et relativement opaque : entre les pensions de retraite versées aux agriculteurs et celles dont bénéficient les agents de la SNCF ou de la RATP, il y a peu de points communs, si ce n'est qu'elles sont toutes largement financées par des transferts de ressources provenant des contribuables.
Enfin, en dépit des innombrables rapports, colloques, tables rondes et de quelques mesures courageuses décidées en 1993, la France est en retard ; le fait de différer les décisions aggrave le problème et inquiète autant les futurs retraités que les jeunes qui débutent leur carrière. Il est donc urgent de savoir ce qui se prépare pour éclairer nos concitoyens.
J'attends beaucoup de notre débat pour faire progresser la réflexion sur ce sujet.
Je vous poserai ce soir deux questions seulement. D'une part, quelles sont les orientations précises du Gouvernement concernant les modalités techniques et financières du rapprochement entre les régimes de base et les régimes spéciaux ? D'autre part, quelle est la cohérence de la juxtaposition des mécanismes de répartition avec ceux de l'épargne salariale, cette question étant au coeur de l'actualité compte tenu de la présentation par le ministre des finances des lignes directrices de son projet ?
Concernant le régime général et les régimes spéciaux, nous savons qu'ils souffrent d'un déficit structurel qui ne fera que s'aggraver du fait des événements que j'ai rappelés et de l'évidente détérioration du rapport entre les actifs et les retraités.
Comme le soulignait notre excellent collègue Alain Vasselle dans son rapport sur l'assurance-vieillesse dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, « le rapport Perspectives à long terme des retraites de 1995 évaluait ainsi les besoins de financements futurs du seul régime général à 18,4 milliards de francs en 2000, 17,8 milliards en 2005, 55,4 milliards de francs en 2010 et 107 milliards de francs en 2015 », soit à cette date, si on convertit de manière sommaire, l'équivalent de 4,3 points de cotisation.
Pour les fonctionnaires civils, monsieur le ministre, le besoin de financement était évalué à 34,2 milliards de francs en 2005, 56 milliards de francs en 2010 et 80,2 milliards de francs en 2015.
Au total, les besoins de financement en 2015 des différents régimes étudiés par le rapport de 1995 - le régime général, les fonctionnaires civils, la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL, la SNCF, l'association des régimes de retraites complémentaires, l'ARRCO, l'association générale des institutions de retraites des cadres, l'AGIRC, les exploitants agricoles - atteignaient 330 milliards de francs.
Ce poids difficilement supportable au regard des contraintes budgétaires proviendrait pour moitié des régimes spéciaux des fonctions publiques de l'Etat et des collectivités locales. Le régime général aurait un besoin de financement légèrement moindre, de l'ordre de 107 milliards en 2015, comme je l'ai déjà dit.
Les systèmes de retraite du secteur privé ont déjà fait l'objet de plusieurs réformes, notamment celles qui ont été entreprises par le gouvernement de M. Edouard Balladur en 1993, qui ont contribué à résorber les déficits et à assurer une évolution des dépenses relativement compatibles avec les ressources.
Il est maintenant devenu urgent de réformer les régimes spéciaux dont l'équilibre est assuré par le contribuable. J'ai cru comprendre que le Gouvernement s'en tient à l'engagement d'une négociation avec les partenaires sociaux, assortie de la mise en place ces jours-ci d'un « conseil d'orientation des retraites ». Après dix années de réflexion, vous avouerez que c'est un peu court ! Je souhaiterais savoir ce soir quelles seront les prochaines étapes.
En effet, l'opacité de notre système de retraite porte aussi bien sur les prestations servies par les différents régimes, qui ne sont pas du tout égales selon que l'on relève du régime spécial de la SNCF, de la caisse autonome nationale de compensation de l'assurance vieillesse artisanale, la CANCAVA, de l'organisation autonome nationale d'assurance vieillesse de l'industrie et du commerce, l'ORGANIC, que sur les relations financières compliquées entre l'Etat, le régime général et les régimes spéciaux.
Nous savons tous que les disparités de traitement entre salariés du secteur privé et salariés du secteur public sont allées croissant au cours des dernières années.
Or, les perspectives financières de ces régimes spéciaux ne sont pas favorables.
Je crains surtout que les écarts ne s'accroissent entre les assurés des régimes spéciaux et les assurés des régimes qui ont déjà connu des réformes, au détriment de ces derniers.
C'est pourquoi il me semble que rétablir l'égalité entre les salariés du secteur privé et les agents de la fonction publique est une priorité. La fonction publique bénéficie de privilèges qui menacent à terme les équilibres budgétaires.
Par ailleurs, je crois nécessaire de rendre plus transparent l'engagement de l'Etat en matière de retraite. Pour ma part, je pense qu'il serait nécessaire - mais je sais que c'est une matière un peu taboue - d'individualiser le compte retraite des agents publics au sein du budget de l'Etat pour peu que l'on connaisse enfin ex ante et non ex post le taux des cotisations versées pour la retraite des agents de l'Etat.
Par ailleurs, au Sénat - c'est la présence de M. Domeizel qui m'incite à le dire - nous savons tous la nature des ponctions qu'a subies la CNRACL depuis un certain nombre d'années et la complexité des mécanismes de compensation et de surcompensation.
Autant la compensation est obligatoire du fait de la multiplicité des régimes de base, autant la surcompensation est une astuce pour ponctionner les régimes excédentaires afin de financer les autres.
Malheureusement, comme nous le savons tous et comme nous le disons cette année, ce dispositif a des limites !
Je regrette que le Premier ministre, lors de sa déclaration du 21 mars dernier, n'ait pas souhaité aborder ces questions essentielles et qu'il s'en soit tenu à des dispositions générales.
J'en viens à la seconde partie de ma question : elle porte sur la juxtaposition des mécanismes de répartition - auxquels tout le monde est attaché - avec ceux de l'épargne salariale.
L'actualité me conduit à traiter de la note concernant le plan partenarial d'épargne salariale, le PPES, qui vient d'être adressée aux partenaires sociaux. Je regrette d'ailleurs que le Parlement, sur un sujet aussi important, ait dû prendre connaissance de ce document par la presse.
Vous savez que le fonds de réserve que vous avez créé n'est pas une solution durable au problème de financement futur de notre système de retraite ; il ne peut constituer qu'une mesure d'accompagnement d'une réforme plus globale, même s'il est utilisé comme un instrument de lissage temporaire.
Un tel fonds ne résout pas le problème du financement futur des retraites : il ne peut que constituer une mesure d'accompagnement. Ce ne sont donc pas les sommes que vous prévoyez d'affecter au fonds de réserve pour les retraites qui sont à la mesure de la difficulté décrite dans le rapport Charpin. Je sais bien qu'après il y a eu le rapport Teulade, mais, comme l'a parfaitement démontré la commission des affaires sociales de la Haute Assemblée, le rapport Teulade étant fondé sur des erreurs mathématiques évidentes, il est clair que le rapport Charpin est plus indicatif.
Le défi démographique et financier que nous devons relever passe par la création d'un système de retraite mixte, répartition-capitalisation.
S'agissant de l'introduction d'un complément de retraite par capitalisation, sous la forme de fonds d'épargne retraite, le Gouvernement semble aujourd'hui prendre conscience du caractère indispensable de cet apport. Que de temps perdu !
Aussi, j'ai difficilement compris l'obstination du Gouvernement, au cours de ces dernières années, à ne pas vouloir compléter le système de répartition par de véritables fonds de pension fondés sur la capitalisation.
Au lieu de bricoler un dispositif d'épargne salariale créant une confusion avec l'épargne-retraite, il aurait suffi, comme j'ai eu déjà l'occasion de vous le dire, madame la ministre, de deux amendements très simples à la loi Thomas que votre majorité aurait pu adopter très rapidement pour qu'ils s'appliquent dès 1997. Nous avons perdu trois ans !
D'une part, il fallait réduire la possibilité de prélèvement par les employeurs sur la marge laissée disponible en matière de financement de la sécurité sociale, car, je le reconnais volontiers, la majorité de l'époque était sans doute allée trop loin dans l'utilisation de cette marge.
M. Claude Domeizel. C'était une mauvaise loi !
M. Roland Muzeau. C'est le moins qu'on puisse dire !
M. Jean-Pierre Fourcade. D'autre part, il convenait sans doute de supprimer la disposition prévoyant que le chef d'entreprise pouvait décider seul d'un fonds de pension, sans l'accord des délégués du personnel.
Pour le reste, les méthodes de collecte, de gestion, l'utilisation, la sortie en rente et l'ensemble du dispositif prudentiel, la loi était parfaitement équilibrée. Il suffisait de faire adopter très rapidement ces deux amendements pour que nous ayons des fonds de pension capables de concurrencer ceux qui viennent sous notre nez acheter des parts importantes de nos grandes entreprises et générer des investissements, en général immobiliers, sélectionnés du seul point de vue de la rentabilité brute.
M. Aymeri de Montesquiou. C'est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade. Vous savez bien que les fonds de pension sont indispensables, mais vous préférez parler d'épargne salariale, ce qui revient au même ; c'est une simple différence de vocabulaire.
En fait, si l'on regarde de plus près la note concernant l'avant-projet de loi sur l'épargne salariale qui vient d'être adressée aux partenaires sociaux, on constate que vous allez créer un troisième étage de retraite complémentaire reposant sur la capitalisation.
Alors qu'il était président de l'Assemblée nationale, M. Laurent Fabius a souvent plaidé pour des fonds de pension à la française, dénommés par lui « fonds partenariaux de retraite ». L'actuel ministre de l'économie, des finances et de l'industrie propose aujourd'hui une nouvelle formule d'épargne-retraite. L'avant-projet transmis aux syndicats et au patronat comporte la création d'un nouveau plan d'épargne pour les salariés. D'une durée de dix ans à quinze ans, il pourrait être liquidé sous forme de capital ou de rente et, dans ce dernier cas, offrir un complément de retraite.
Je me félicite que ce projet crée une véritable rupture avec la philosophie que vous avez défendue depuis plusieurs années, qui refusait le principe même de la capitalisation.
Cependant, je constate que ce projet suscite déjà une réelle opposition de la part d'un certain nombre d'éléments de la majorité plurielle qui soutient, madame la ministre, monsieur le ministre, votre gouvernement.
Or, si j'ai bien lu, « la sortie du PPES » - permettez-moi d'utiliser ce nouveau sigle pour le faire connaître - « pourrait se faire librement, au choix du salarié, en capital ou en rente ».
Le coeur de ce nouveau dispositif consiste à ouvrir la possibilité pour tous les salariés, y compris dans les PME et les PMI, dont 97 % des employés ne bénéficient pas aujourd'hui de ces mécanismes, de cotiser à un « plan partenarial d'épargne salariale » à long terme, avec abondement de l'employeur.
Il s'agit de créer un nouveau produit d'épargne longue, en incitant à ce qu'il soit investi majoritairement en actions, notamment celles de l'entreprise.
En clair, même si le Gouvernement reste - si j'ai bien compris - prudent sur l'emploi du vocabulaire, il propose aux syndicats de créer, en quelque sorte, « des fonds de pension de gauche », pour reprendre l'expression amusante d'un journaliste de la presse écrite.
Ce qui me semble ennuyeux dans cette affaire, c'est la confusion entre épargne-retraite et épargne salariale que le Gouvernement est en train de créer.
Je souhaite donc connaître les orientations du Gouvernement s'agissant de la cohérence des modalités techniques et financières de cette juxtaposition des mécanismes de répartition avec ceux de l'épargne salariale.
Quelles sont les étapes ? Quel est le volume envisagé ? Quelles sont les modalités de participation des employeurs et comment seront définies les frontières entre ce troisième étage de capitalisation et les deux étages actuels, à savoir les régimes de base et les régimes complémentaires ? Ce sont là des problèmes de fond qui se posent à nous, et l'on ne peut s'en remettre à une négociation de longue durée pour les résoudre.
Madame la ministre, monsieur le ministre, à persévérer dans l'attentisme, le Gouvernement fait courir plusieurs risques à la société française : d'abord, celui de décourager les jeunes, qui sont déjà nombreux à s'expatrier et qui n'acceptent pas volontiers de voir augmenter les taux de cotisation qu'ils subissent ; ensuite, celui de découvrir, mais un peu tard, que la seule réponse valable au déséquilibre entre actifs et retraités sera d'ouvrir très largement la porte à l'immigration de travailleurs plus ou moins qualifiés ; enfin, celui de rendre plus difficile le maintien de la stabilité budgétaire, que vous êtes en voie de retrouver. C'est l'une des clefs du bon fonctionnement de l'euro, et il me semble que cet attentisme s'agissant du règlement du problème des retraites comporte à terme un certain nombre de menaces pour la monnaie unique.
C'est donc avec beaucoup d'intérêt que j'attends vos réponses. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE ainsi que sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
- groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
- groupe socialiste, 25 minutes ;
- groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
- groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
- groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le thème des retraites constitue certainement une des préoccupations majeures des Français. Ils sont très attentifs aux réponses, car ils savent que la qualité de leur avenir en dépend.
Mais, on le constate, le Gouvernement ne sait pas aller au-delà de déclarations générales bien décevantes, hélas !
Pourtant, ce n'est pas faute d'information. Depuis M. Michel Rocard, tous les Premiers ministres connaissent l'échéance des années 2000, tous connaissent la difficulté des mesures à prendre. Le courage est une qualité indispensable à ceux qui veulent gouverner dans l'intérêt du pays, même s'ils doivent en subir les dures conséquences.
Que sont devenues les recommandations du rapport Charpin remis au Premier ministre il y a plus d'un an ? Ont-elles été enterrées au profit des conclusions lénifiantes du rapport Teulade ? Chacun le proclame : le devoir du politique, c'est de prévoir et de dessiner l'avenir par des décisions claires. Les difficultés futures du pays seront proportionnelles à votre indécision.
La question de mon ami Jean-Pierre Fourcade et son brillant exposé permettent de revenir en profondeur sur le sujet dans toute son envergure. En effet, l'avenir des retraites concerne l'ensemble des Français, quel que soit leur âge.
D'autres orateurs interviendront certainement sur les facteurs démographiques faisant apparaître de manière inéluctable des déficits et sur les projections selon les divers régimes de retraite. Pour ma part, je centrerai mon propos sur les régimes agricoles et, plus spécifiquement, sur le régime des non-salariés agricoles.
En effet, alors que ce dernier présente des caractéristiques qui le distinguent de la majorité des autres régimes de retraite - un niveau de pensions excessivement bas, le plus faible de tous, et un déficit structurel, le plus faible nombre d'actifs par retraite, à savoir un pour trois - le Gouvernement ne prend guère en compte ces particularités en dehors du BAPSA et il ne définit pas les mesures qu'il compte prendre pour rendre justice une fois pour toutes aux retraités agricoles. Dès 1994, les décisions avaient laissé espérer une évolution positive et accélérée. L'espoir a fait place à la désillusion.
Madame la ministre, monsieur le ministre, voilà un mois, je vous ai posé une question d'actualité sur les mesures que vous envisagiez pour pallier la faiblesse des montants des pensions. La réponse n'était pas au niveau de l'injustice. La revalorisation en valeur absolue des retraites des non-salariés tenait davantage de l'effet d'annonce que d'une mesure conséquente.
Je choisirai l'exemple de mon département, le Gers, qui est significatif. La masse trimestrielle versée par la mutualité sociale agricole aux retraités non salariés s'élève à 173 millions de francs et la revalorisation en cours s'établit à 4,2 millions de francs par trimestre, soit 2,46 %. Concrètement, elle représente 175 francs de plus par mois pour 8 455 retraités sur 28 000.
Cette revalorisation est donc modeste dans son montant, et les deux tiers des retraités en sont exclus. Les agriculteurs ne sont pas dupes de ces effets d'annonce et l'autosatisfaction du Gouvernement leur apparaît comme de la provocation.
Madame la ministre, monsieur le ministre, allez-vous dès lors accélérer et étendre la revalorisation des retraites pour permettre aux anciens agriculteurs de bénéficier, comme tous les citoyens, d'une conjoncture économique générale favorable ? N'étaient-ce pas eux qui, en priorité, devaient bénéficier des excédents fiscaux ? Je vous rappelle à ce propos que les agriculteurs sont les seuls actifs dont le revenu a baissé cette année ; très précisément, il a diminué de 7 %.
Pourquoi ne mettez-vous pas en application le « souci permanent de justice entre générations et entre catégories sociales » proclamé par M. le Premier ministre dans sa lettre de commande à M. Charpin, ainsi que « la solidarité nationale », qui, selon les termes mêmes de la Lettre du Gouvernement du 6 avril dernier, devrait continuer de jouer à l'égard des régimes en difficulté, car « l'équilibre est hors de leur portée, du fait des évolutions économiques et sociales » ?
Une revalorisation substantielle serait une mesure de justice attendue par les agriculteurs et elle serait comprise par tous ; elle ne saurait pourtant tenir lieu de seule politique pour l'avenir. Elle doit être accompagnée de réformes structurelles. Je citerai trois d'entre elles.
Il conviendrait de créer un régime complémentaire obligatoire pour les agriculteurs, véritable deuxième pilier, comme cela existe déjà dans la plupart des autres régimes. Le projet a été approuvé le 18 mars 1999 par le congrès de la FNSEA. Le Gouvernement compte-t-il le mettre en oeuvre ?
Il faudrait intégrer, à moyen terme, dans le régime général les non-salariés agricoles, leur assurer un statut homogène avec celui des salariés agricoles dont le régime est déjà aligné sur le régime général.
En ce qui concerne le rapprochement entre régimes de base et régimes spéciaux, formulé par M. Jean-Pierre Fourcade dans sa question, la refonte est indispensable pour plusieurs raisons. Elle met en application le principe de solidarité nationale, elle permet une simplification souhaitable alors que la France dispose de vingt-six régimes différents. Techniquement, la baisse continue du nombre de non-salariés agricoles rend possible une telle mesure.
Enfin, je voudrais souligner que l'allongement de la durée de cotisation pour obtenir une retraite au taux plein est inévitable. J'insiste sur le fait que cette décision ne sera comprise que si elle est appliquée à tous les régimes, sans exception et de la même façon.
L'avenir des retraites et le maintien du système par répartition ne peuvent être compromis par le report sans courage de décisions urgentes. Madame la ministre, vous avez fait preuve de beaucoup de pugnacité et de détermination pour des sujets comme le PACS ou les 35 heures.
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est vrai !
M. Aymeri de Montesquiou. Nous observerons si vous faites preuve des mêmes vertus pour lutter contre une injustice. Si vous le voulez, vous le pouvez ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Domeizel.
M. Claude Domeizel. Nous remercions M. Fourcade d'avoir posé cette question car elle devrait permettre au Gouvernement non seulement de prouver qu'il n'est pas resté immobile sur ce dossier, mais aussi d'apporter des précisions en complément des orientations générales annoncées par M. Lionel Jospin, le 21 mars dernier, sur l'avenir des retraites.
Il ne m'appartient pas de répondre au lieu et place du Gouvernement, mais, pour ce qui me concerne comme pour le groupe socialiste, cette question est l'occasion de rappeler la pertinence de la démarche adoptée par le Premier ministre pour traiter cet épineux dossier qui préoccupe tous les Français, les retraités aussi bien que les actifs.
Car le règlement du dossier est inéluctable et la recherche d'une solution est un problème auquel tout gouvernant, quel qu'il soit, est confronté.
Je ne reviendrai pas sur les diagnostics qui ont été opérés : allongement de la vie, allongement des retraites, choc démographique, problème de financement des retraites.
Les faits sont là, et ce n'est pas en pratiquant la politique de l'autruche qu'ils s'évacueront d'eux-mêmes.
MM. Aymeri de Montesquiou et Jean-Pierre Fourcade. C'est vrai !
M. Claude Domeizel. Je sais gré au Premier ministre d'avoir eu le courage de prendre ce dossier à bras-le-corps avec conviction et méthode. Il est toujours facile de critiquer, mais vous savez très bien que ce n'est pas en s'opposant systématiquement, comme vous le faites constamment ici, mesdames et messieurs de la droite, que des solutions constructives seront apportées.
Au fait, qu'avez-vous fait lorsque vous étiez au pouvoir ?
Mme Hélène Luc. Bonne question !
M. Claude Domeizel. M. Balladur a fait passer la durée de cotisations de 37,5 annuités à 40. M. Juppé a totalement échoué en présentant son projet sur les retraites en dehors de toute concertation.
Vous avez voté la loi Thomas, et notre collègue Jean-Pierre Fourcade a très rapidement démontré que ce n'était pas une bonne loi puisque lui-même a demandé qu'elle soit modifiée. Mais nous allons l'abroger.
Plus généralement, et c'est absolument regrettable, vous avez créé un climat tendant à faire entrer dans les esprits que le système par répartition était voué à l'échec.
Dans un communiqué de presse du 3 mai dernier, M. Delaneau, le président de la commission des affaires sociales, ne vante-t-il pas la capitalisation en faisant remarquer que la commission des affaires sociales du Sénat n'a pas attendu la création d'un Conseil d'orientation des retraites pour formuler et faire adopter par le Sénat des propositions concrètes en matière de retraite ? Il rappelle que le Sénat a adopté une proposition de loi donnant aux 14 millions de salariés du régime général la possibilité de constituer un complément de retraite par capitalisation.
Aujourd'hui, que proposez-vous d'autre ? Rien.
Il est facile de taxer le Gouvernement d'immobilisme et de faire de l'opposition systématique ! S'agissant toujours de M. Delaneau, il ne serait pas, si j'en crois ses communiqués, décidé à siéger au conseil d'orientation des retraites, par principe.
Au contraire, le Gouvernement agit.
Monsieur Fourcade, vous avez très brièvement parlé de la CNRACL, dont je suis président depuis quelques années. Permettez-moi de vous rappeler que le taux de surcompensation diminue peu, mais c'est sur la bonne voie.
M. Jean-Pierre Fourcade. Grâce à qui ?
M. Claude Domeizel. Grâce au Gouvernement, qui agit dans la concertation.
Nous soutenons la méthode employée par Lionel Jospin. D'ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à l'approuver. Si je me réfère aux résultats d'un sondage réalisé après les annonces du Premier ministre sur les retraites, « les Français approuvent majoritairement sa méthode » et, selon un autre sondage, « les Français suivent le Premier ministre sur la retraite ».
Pour ce qui est de la méthode, celle de Lionel Jospin est totalement opposée à celle qu'utilisait Alain Juppé. Travailler seul, dans la précipitation, conduit à l'échec ; M. Juppé en a fait l'expérience qu'on connaît : tout le monde a en mémoire les événements de l'automne 1995.
Sur un tel dossier, il est indispensable de prendre le temps nécessaire, car nous n'avons pas le droit de nous tromper. Toute réforme pour s'assurer des garanties de succès est rarement le fruit d'une génération spontanée. Et, d'ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à agir ainsi. Plusieurs pays ont procédé de la sorte. Il suffit de prendre un seul exemple, celui de la Suède, qui vient de transformer la structure de son système de retraite par un processus de réforme qui s'est étalé sur une quinzaine d'années.
La retraite est en effet un dossier porteur d'enjeux sociaux et financiers importants, concernant l'ensemble de la société française pour plusieurs générations. Les décisions en ce domaine méritent donc la plus grande attention et nécessitent la mise en oeuvre d'une démarche concertée dans le double but de les inscrire dans la durée et de préserver l'équité entre les générations successives.
La première étape consistait à faire le point de la situation ; c'est l'état des lieux réalisé par le rapport de Jean-Michel Charpin. Il était en effet impératif de procéder à des diagnostics lucides pour prendre en compte la mesure de la complexité du sujet.
La seconde étape repose sur la concertation ; c'est celle qui a été déjà menée avec les partenaires sociaux. Je note que le Gouvernement n'entend pas imposer une solution, il souhaite qu'une négociation s'engage rapidement avec les partenaires sociaux. Notamment pour la fonction publique, il propose de conclure un pacte pour les retraites toujours dans la concertation, préalable à toute décision.
S'agissant du fond du sujet, la clé de voûte de l'édifice est la garantie de notre régime de retraite par répartition et la consolidation de ce système, symbole de la chaîne de solidarité qui relie entre elles les générations.
Cette position est la concrétisation des intentions que vous affichiez, madame la ministre, au cours du débat sur la branche vieillesse lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 au chapitre intitulé : « Consolider nos régimes par répartition », avec la détermination du Gouvernement « d'assurer la pérennité de nos régimes par répartition dans la concertation et le souci d'équité entre générations et régimes ».
Avec les membres du groupe socialiste, je ne puis qu'être favorable à la consolidation des régimes par répartition.
Je constate également que le Gouvernement formule une série d'idées nouvelles : un passage progressif de l'activité à la retraite ; la reconnaissance de la pénibilité de certaines tâches ; la possibilité de racheter des annuités. Toutes ces propositions vont dans le sens de l'équité et de la justice.
Ainsi, pour assurer la pérennité de retraites par répartition, Lionel Jospin a avancé cinq principes : une démarche concertée et progressive ; le respect de la diversité et de l'identité des régimes ; l'équité et la solidarité entre les régimes ; une plus grande souplesse pour mieux respecter les choix individuels et, enfin, l'anticipation de l'évolution démographique afin d'équilibrer les charges entre les générations après l'horizon 2020.
Ces propositions concrètes qui s'ouvrent au dialogue, au positionnement des uns et des autres, dans une démarche concertée, ont également le mérite d'aborder le problème des régimes spéciaux. Je cite le Premier ministre : « Ne rien faire serait laisser croire que les déséquilibres, massifs à terme, des retraites des fonctionnaires pourraient être financés par la solidarité nationale et par l'impôt et donc par l'ensemble des Français, fonctionnaires et non fonctionnaires. »
S'agissant, d'une part, du respect de la diversité et de l'identité des régimes et, d'autre part, de l'équité et de la solidarité entre les régimes, je rappelle que pas moins de vingt-six régimes assurent aujourd'hui la couverture de base du risque vieillesse. Je note que le Gouvernement entend préserver ces spécificités et respecter l'héritage de l'histoire sociale de notre pays.
Il invite les responsables de chaque régime à ouvrir des discussions pour que des solutions adaptées soient dégagées rapidement par la concertation.
Pour ma part, sur ce point, je m'attacherai à développer quelques éléments de réflexion qui me tiennent à coeur.
Il ne s'agit pas, bien entendu, de fondre en un seul régime les régimes qui ont leur spécificité et dont l'identité peut être préservée.
Le rapprochement à faire entre le régime général et les régimes spéciaux est une question d'équité qui doit s'opérer à différents niveaux, non seulement celui de la durée de la cotisation, mais aussi celui du taux de remplacement de certains fonctionnaires afin qu'il soit équivalent, celui du passage progressif à la retraite - qui devrait s'effectuer dans des conditions identiques pour toutes les catégories de salariés -, celui de la possibilité de racheter des annuités - rachat prévu au régime général et non pas dans les régimes spéciaux -, celui de l'étude des conditions de départ anticipé pour cause de pénibilité pour tous les salariés prenant en compte l'allongement de la durée de vie, l'évolution des métiers, mais aussi des conditions psychologiques d'exercice des fonctions et, enfin, celui de la mise en place de puissants dispositifs de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Il est aussi judicieux de rapprocher les revenus sur lesquels cotisent les uns et les autres.
Dans le privé, avec les régimes complémentaires, les cotisations portent sur la totalité du salaire. Aussi paraît-il justifié de faire cotiser les fonctionnaires sur tout ou partie des primes dans un souci d'équité, étant entendu que, dans ce cas, il y aurait lieu d'opérer les correctifs nécessaires pour ne pas créer de disparités entre les fonctionnaires eux-mêmes et les salariés du secteur privé au niveau du taux de remplacement. Plusieurs approches pourraient également être envisagées pour les modalités techniques de mise en oeuvre.
Enfin, pour aplanir les disparités, dans un souci de simplification administrative, un alignement des cotisations, aussi bien dans le privé que dans le public, est-il utopique ? Je ne le pense pas car, d'ores et déjà, les droits du sol ne prévalent plus. L'influence du droit communautaire sur le droit de la fonction publique s'infiltre peu à peu dans le code des pensions.
M. Alain Vasselle. Pas beaucoup !
M. Claude Domeizel. Le règlement communautaire relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté étend aux régimes spéciaux le principe de la protection sociale.
Par ailleurs, l'évolution de la réglementation sera essentiellement due au juge communautaire. En effet, dans sa décision du 22 novembre 1995, la Cour de justice des communautés européennes, tout en confirmant que tous les régimes spéciaux applicables aux fonctionnaires n'entraient pas dans le champ d'application du règlement, a confirmé que cette exclusion était incompatible avec l'obligation posée par l'article 51 du traité de Rome.
Enfin, un autre aspect de l'unicité des droits sociaux vient d'être mis en lumière par le Conseil d'Etat, qui vient d'anticiper, à deux reprises, sur d'éventuels contentieux portés devant la juridiction communautaire, s'agissant notamment des discriminations entre les hommes et les femmes au regard des droits à pension, en matière de bonification de pension pour avantages familiaux.
Sur ce dernier point, pour juguler les effets du choc démographique et les problèmes de financement des retraites, ne faudrait-il pas envisager de ne plus faire financer par les contributions de retraites les prestations pour des motifs familiaux ? Dans un souci de clarification, il paraît en effet indispensable de séparer ce qui doit relever de la retraite et ce qui doit relever de la politique de la famille.
L'allongement de la durée de vie de notre population pose le problème du financement des retraites, mais aussi de la place des personnes âgées dans notre société et de la prise en charge de celles qui deviennent dépendantes.
Ces trois questions sont intimement liées et je voudrais insister, à ce moment de mon intervention, sur celle de la dépendance, qui concerne 1 300 000 personnes en perte d'autonomie.
Si le Sénat est très attaché à ce dossier, nous nous rappelons de votre persévérance, monsieur Fourcade, et de votre combat pour faire adopter la loi que nous connaissons aujourd'hui : une loi qui, mauvaise au départ, se révèle mauvaise à l'arrivée.
Nous avons pu, dans tous les départements et au travers des associations, établir les enseignements de la mise en oeuvre de cette prestation. Elle attire les critiques de tous les acteurs sociaux et de tous les bénéficiaires. Le secteur privé comme le secteur public ne sont pas en reste de doléances.
Cette prestation est un échec. Elle ne touche que 120 000 personnes, alors qu'elles sont 1,3 million à être au moins moyennement dépendantes, et son montant est à la fois insuffisant et inégalitaire puisqu'il est fixé par les conseils généraux.
M. Alain Vasselle. Cela n'a rien à voir !
M. Claude Domeizel. Tout est lié, monsieur Vasselle !
Ainsi, lorsque les situations sont le plus souvent comparées, les montants servis varient d'un département à l'autre. De même, les aides attribuées par les caisses de retraite sont extrêmement hétérogènes.
Aujourd'hui, les perspectives tracées par le Premier ministre nous apparaissent comme une avancée très significative.
M. Alain Vasselle. Tu parles !
M. Claude Domeizel. Il reconnaît un droit objectif. Il préconise l'abandon de la logique d'aide sociale et d'assistance. Il s'engage financièrement aux côtés des départements et des caisses de sécurité sociale, afin que ce droit soit garanti dans le cadre de la solidarité nationale. Il inscrit sa gestion au niveau départemental, dans le respect des compétences des conseils généraux...
M. Alain Vasselle. Tiens donc !
M. Claude Domeizel. ... et afin d'assurer un traitement de proximité des situations rencontrées par les personnes âgées.
Je ne voudrais pas terminer sans souligner l'importance du Conseil d'orientation des retraites, dont le décret portant création a été signé le 10 mai dernier et publié au Journal officiel aujourd'hui.
M. Alain Vasselle. La seule innovation dans la réforme !
M. Claude Domeizel. Mais elle est importante !
M. Alain Vasselle. Tu parles !
M. Claude Domeizel. Permettez-moi de citer Georges Bernanos : « On ne subit pas l'avenir, on le fait. »
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Très bien !
M. Claude Domeizel. L'instauration d'un tel conseil pour organiser, dans la durée, la concertation sur l'avenir des retraites est une proposition innovante, car il manquait dans notre pays un tel organisme.
M. Alain Vasselle. Paroles ! Paroles !
M. Claude Domeizel. Par ses compétences, comme par son autorité, il pourra dire régulièrement aux Français, de façon incontestée, comment vont évoluer leurs retraites et quelles sont les perspectives crédibles des différents régimes.
La mise en place de ce conseil, constitué de représentants des partenaires sociaux, de parlementaires et de personnalités qualifiées, est une nouvelle démonstration de la volonté de prolonger la concertation.
Ecoutez bien, monsieur Vasselle, au vu des missions dont il sera investi - suivi des conséquences des évolutions économiques, sociales ou démographiques sur les régimes de retraites ; veille sur l'équité et la nécessaire solidarité entre les régimes ; force de propositions pour le Gouvernement, même s'il restera, bien sûr, à ce dernier la responsabilité d'agir ou de trancher -, comment peut-on prétendre qu'il s'agisse d'un « comité Théodule », comme l'écrit M. Delaneau ? Je trouve cette attitude qui, finalement, engage la majorité de droite du Sénat bien regrettable face à l'enjeu. Mais c'est une nouvelle démonstration d'une opposition systématique et négative à laquelle le Sénat nous habitués mais qui ne trompe pas l'opinion publique.
Telles sont, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques réflexions que m'ont inspiré les éléments de la question posée par notre collègue Jean-Pierre Fourcade.
Le système de retraite français est un élément essentiel de notre cohésion sociale. Fondé sur la solidarité, il opère de larges redistributions. Il a permis d'assurer aux retraités un niveau de vie équivalent à celui des actifs et de réduire considérablement la pauvreté chez les personnes âgées. Sa consolidation est un objectif majeur pour la société française.
Au nom du groupe socialiste, je remercie le gouvernement d'avoir mis le problème des retraites au coeur de ses préoccupations, d'avoir eu le courage d'annoncer ces mesures et de se donner les moyens de les mettre en oeuvre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais commencer par remercier notre collègue Jean-Pierre Fourcade d'avoir permis ce débat par sa question orale sur les retraites, sujet ô combien d'actualité, qui méritait sans aucun doute d'être abordé par la Haute Assemblée, compte tenu de l'inertie qu'a manifestée le Gouvernement sur ce dossier depuis 1997. Je crois qu'il est temps que nous manions l'aiguillon à l'égard du Gouvernement pour faire bouger les choses. Je ne sais pas, monsieur Fourcade, si nous obtiendrons les résultats que nous espérons, toujours est-il que l'on peut toujours tenter !
Mes chers collègues, après trois années d'hésitation et de tergiversations le Premier ministre a présenté, le 21 mars dernier, « les orientations du Gouvernement sur l'avenir de nos régimes de retraite ».
Nous avons pris acte de la vigoureuse défense par le Premier ministre du système de retraite par répartition, comme si ce dernier était menacé. Or, à ma connaissance, personne n'a songé jusqu'à aujourd'hui à l'attaquer.
L'actuelle opposition nationale a ainsi toujours affirmé son attachement à la répartition, je le rappelle avec force. Les mesures courageuses prises par le Gouvernement de M. Balladur en 1993 témoignaient précisément du souci d'assurer la pérennité de ce mécanisme admirable, symbole de la solidarité entre les générations.
Nous avons, en revanche, pris connaissance avec consternation des « orientations » du Gouvernement : la déclaration tant attendue - dans les deux sens du terme - du Premier ministre ne comporte aucune décision concrète, à l'exception de la création d'un conseil d'orientation des retraites, comme l'a souligné M. Domeizel - ce qui a donné un peu de consistance à son propos ! Trois années de concertation débouchent sur l'annonce d'une nouvelle concertation !
Il est bien beau de défendre, la main sur le coeur et des trémolos dans la voix, le système de retraite par répartition ; il aurait été plus utile de prendre les mesures nécessaires pour que l'avenir de ce système soit effectivement préservé. C'est en réformant notre système de retraite que l'on démontre l'attachement qu'on lui porte et non en le laissant dériver inexorablement.
La déclaration du Premier ministre confirme hélas ! que le Gouvernement a renoncé définitivement à prendre les mesures nécessaires pour assurer la pérennité des régimes par répartition.
En réalité, notre système de retraite n'est pas menacé par l'éventuelle introduction d'un complément de retraite par capitalisation, comme le laisse entendre le Premier ministre ; il l'est par des perspectives démographiques et financières inéluctables.
Les faits sont têtus et doivent être rappelés avec force.
Le rapport de M. Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, sur l'avenir de nos retraites, remis au Premier ministre le 29 avril 1999, a ainsi confirmé les diagnostices formulés à deux reprises déjà, en 1991 et 1995 : en raison du vieillissement de la population française, notre système de retraite, nous le savons tous, sera confronté à un choc financier inéluctable à partir de 2006.
Le nombre de personnes de plus de 60 ans augmenterait de 10 millions à l'horizon 2040 tandis que le nombre d'actifs diminuerait de un million environ ; les plus de 60 ans représenteraient un tiers de la population totale en 2040 contre un cinquième en 1995. Le rapport entre les plus de soixante ans et les 20-59 ans passerait de quatre en 1995 à 7 en 2040.
La conséquence de ce déséquilibre est que, à réglementation inchangée, le maintien de la parité de niveau de vie entre retraités et actifs conduirait à multiplier par 1,55 le taux de cotisation d'équilibre à l'horizon 2040. A législation inchangée, la part de la richesse nationale consacrée aux retraites s'accroîtrait de 30 % vers 2040.
Dans l'hypothèse où la règle actuelle d'indexation des retraites du régime général sur les prix serait maintenue, les charges de retraite des régimes seraient multipliées, en termes réels, par un facteur de 2,8 et progresseraient de 12,1 % du PIB en 1998 à 15,8 % en 2040.
Compte tenu de ces évolutions, le besoin de financement du système de retraite par répartition s'élèverait, en francs constants, à 190 milliards de francs par an en 2020 et à 700 milliards de francs par an en 2040, soit environ quatre points de PIB, avec une hypothèse de chômage de 6 %.
Le rapport de M. Charpin a en outre démontré qu'une évolution plus favorable de la productivité ou de l'emploi ne jouerait qu'un rôle marginal pour l'amélioration de la situation financière des régimes de retraite : avec un taux de chômage de 3 % - c'est-à-dire un taux exceptionnellement bas et favorable - le besoin de financement de l'ensemble du système de retraite ne serait réduit que de 21 % en 2020 et de 13 % en 2040 ; il demeurerait donc, en tout état de cause, de 600 milliards de francs par an à cette date.
Les résultats du rapport Charpin ont sans doute déplu au Gouvernement. Dans son intervention du 21 mars dernier, le Premier ministre s'est ainsi efforcé de relativiser les conclusions de ce rapport. Je le cite : « Des éléments de diagnostic ont été établis par la commission présidée par le commissaire au Plan, M. Jean-Michel Charpin. Des experts s'étaient exprimés avant lui, d'autres l'ont fait depuis. Leurs conclusions parfois diverses soulignent la complexité et la difficulté de l'expertise sur ce sujet. » Une découverte !
Le Premier ministre reconnaît, certes, que « nos régimes de retraite vont connaître, à des degrés divers, des difficultés financières qui trouvent leur source dans les évolutions démographiques ».
Mais c'est aussitôt pour mieux minimiser ces difficultés qui - je cite une nouvelle fois M. le Premier ministre - « doivent toutefois être replacées dans un contexte nouveau, celui d'une croissance forte, et dans la perspective désormais crédible du retour au plein emploi ».
Ce faisant, M. le Premier ministre s'appuie sur les conclusions particulièrement optimistes d'un autre rapport, celui de M. René Teulade, pour qui « la croissance est un vecteur essentiel de la stabilité et de la pérennisation de notre système de retraite par répartition ».
Or M. Teulade a choisi de se placer résolument dans un horizon de court terme, de l'ordre de quatre ou cinq ans - il nous l'a confirmé devant la commission des affaires sociales -, ce qui est pour le moins surprenant lorsqu'on veut aborder « l'avenir des systèmes de retraite » : à un horizon de cinq ans, il n'y a effectivement aucun problème de financement des retraites et chacun peut partager l'optimisme de M. Teulade.
Le rapport de M. Teulade se réfère à une étude du Conseil économique et social en date de juin 1999, intitulée Perspectives socio-démographiques à l'horizon 2020-2040, pour faire valoir qu'un « taux de croissance de 3,5 % par an pendant quarante ans serait nécessaire pour permettre le financement des retraites sans augmentation de la part des retraites dans le PIB ».
Le problème, c'est que ce raisonnement repose sur une erreur de méthode grossière, qui conduit le rapport de M. Teulade à minorer de moitié, soit de plus de 300 milliards de francs par an, la charge future des régimes de retraite.
Cette erreur est apparue de manière flagrante lors des auditions de MM. Teulade et Charpin par la commission des affaires sociales le 9 février dernier.
Les projections citées par M. Teulade « oublient », en effet, que la pension moyenne augmente à long terme au même rythme que les salaires. Car les pensions servies dépendent des salaires perçus par les assurés pendant leur carrière. Chaque génération d'actifs bénéficiant de salaires plus élevés que les générations précédentes, la pension moyenne augmente donc en termes réels d'une année sur l'autre du simple fait du renouvellement des générations de retraités, et cela quel que soit le mode d'indexation des pensions retenu.
Le Premier ministre a donc préféré faire reposer son analyse sur un rapport erroné - celui de M. Teulade - plutôt que sur les travaux sérieux et incontestés de M. Charpin, dont les conclusions étaient évidemment plus embarrassantes pour le Gouvernement puisqu'elles démontraient la nécessité et l'urgence des réformes.
L'objectif du Gouvernement est clair : semer la confusion dans l'esprit des Français en laissant croire qu'il est possible de différer la réforme des retraites. C'est ainsi que l'on ruine en quelques instants les efforts de pédagogie qui avaient été accomplis depuis plusieurs années !
Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le Premier ministre n'ait pas davantage suivi le rapport Charpin, qui recommandait d'engager dès à présent la réforme du système de retraite, avant que le choc démographique ne fasse sentir ses effets.
Comme l'avait souligné fort pertinemment M. Charpin, si l'on décide de ponctionner les revenus des actifs pour rééquilibrer financièrement le système, il n'y a aucune nécessité de le faire aujourd'hui. En clair, si l'on veut atteindre l'équilibre financier par une hausse des cotisations, on peut très bien attendre 2005, sans aucune difficulté.
En revanche, si l'on ne se résigne pas à cette solution, il faut agir très vite. Si l'on veut, par exemple, jouer sur l'âge de la retraite, il faut que l'ajustement soit étalé sur une très longue période pour préserver l'équité entre les générations.
Le principal danger serait précisément de refuser d'affronter le problème en temps utile. On se trouverait alors vers 2010 dans une situation où les arbitrages seraient extrêmement douloureux à prendre. Faute de les avoir anticipés, on risquerait justement de faire porter tout le poids du rééquilibrage des retraites sur un nombre relativement faible de générations qui pourraient alors refuser un effort supplémentaire.
Le titre du rapport d'information que j'avais eu l'honneur de présenter, au nom de la commission des affaires sociales voilà un an, Réforme des retraites : peut-on encore attendre ? résumait à lui seul tout l'enjeu de notre débat.
A cette interrogation que j'avais formulée, le Premier ministre a répondu très clairement : oui, il est non seulement possible mais urgent d'attendre !
Examinons maintenant, point par point, les annonces faites par le Premier ministre.
On observera tout d'abord que l'allongement à quarante annuités de la durée de cotisation dans la fonction publique est seulement suggéré comme l'un des thèmes d'une négociation avec les partenaires sociaux.
Il est assez singulier que le Premier ministre laisse aux fonctionnaires eux-mêmes, par l'intermédiaire de leurs organisations syndicales, le soin de décider de l'allongement de leur durée de cotisation.
Compte tenu des échecs cuisants que vient de connaître le Gouvernement dans sa réforme de Bercy et dans la transposition des 35 heures dans la fonction publique - à moins que M. Sapin ne parvienne à faire évoluer les choses plus favorablement que son prédécesseur - on ne peut qu'être très sceptique sur les chances de succès de cette négociation et souhaiter bonne chance au Gouvernement dans cette entreprise. J'observe d'ailleurs que certaines organisations syndicales et non des moindres - la CGT et FO notamment - ont fait part, dès le lendemain des déclarations du Premier ministre, de leur opposition résolue à toute augmentation de la durée de cotisation.
On remarquera également que la déclaration du Premierr ministre constitue un hommage appuyé à la réforme Balladur de 1993 : non seulement cette dernière n'est pas remise en cause mais le Gouvernement propose de l'étendre en allongeant à quarante années la durée de cotisation pour la fonction publique, comme l'avait d'ailleurs prévu M. Alain Juppé.
La contrepartie de l'allongement de la durée de cotisation pourrait être, selon le Premier ministre, l'intégration d'une partie des primes dans le calcul des retraites. J'observe que cela aurait naturellement pour effet à long terme d'accroître les charges de retraite des régimes concernés.
Je m'étonne que l'allongement de la durée de cotisation ne soit en outre envisagé que pour la seule fonction publique et non pour les autres régimes spéciaux - SNCF, RATP... - pour lesquels, comme l'a indiqué le Premier ministre, « la solidarité nationale doit continuer de s'exercer (...) dans les mêmes conditions qu'actuellement ».
Ces régimes resteront à l'écart de toute réforme puisque, je cite encore une fois le Premier ministre, « il serait illusoire, dangereux et injuste de leur faire supporter un effort de redressement qui serait hors d'atteinte ». S'il y a un point sur lequel je partage l'analyse du Premier ministre, c'est effectivement le caractère « dangereux » pour le Gouvernement d'une réforme des régimes spéciaux.
S'agissant du régime général et des régimes alignés, le Premier ministre souhaite faire du retour à l'emploi, notamment des personnes de plus de 50 ans, une priorité. Comment expliquer, dans ces conditions, que le Gouvernement ait fait paraître, le 10 février dernier un décret définissant « le nouveau cadre de cessation anticipée d'activité des salariés âgés » ?
Alors que le Gouvernement déplore la faiblesse des taux d'activité entre 55 et 60 ans en France, l'Etat va dépenser 20 milliards de francs pour permettre à l'industrie automobile de faire partir quelque 120 000 salariés en préretraite à partir de 55 ans. N'y a-t-il pas là un double langage ? S'agissant du fonds de réserve, malgré des rumeurs persistantes faisant état d'affectation de nouvelles recettes provenant de la cession d'actifs publics, je constate que le Premier ministre n'a pas annoncé de décision nouvelle significative.
Le chiffre de 1 000 milliards de francs en 2020, conçu à l'évidence pour frapper les esprits, est obtenu par une simple extrapolation, pendant les vingt prochaines années, des recettes aujourd'hui affectées au fonds, dans des conditions économiques exceptionnellement favorables.
Ce chiffre peut sembler considérable : il ne représente pourtant que trois années de besoin de financement - c'est-à-dire de déficit prévisionnel - des régimes de retraite en 2020.
Je m'interroge, en outre, sur la façon dont ce fonds pourra être alimenté jusqu'en 2020 alors même que l'ensemble des régimes de retraite devraient voir leur besoin de financement croître fortement à partir de 2010, pour atteindre 700 milliards de francs par an en 2040.
Ainsi, le dossier remis à l'occasion de la conférence de presse du Premier ministre indique, par exemple, que le régime général devrait alimenter le fonds de réserve pour une somme totale de 100 milliards de francs entre 2000 et 2020.
Parallèlement, le même dossier prévoit que le régime général sera déficitaire de 5 milliards de francs à partir de 2010, ce déficit allant croissant jusqu'à atteindre 100 milliards de francs par an en 2020.
Pour la seule période 2010-2020, le besoin de financement cumulé des différents régimes de retraite est évalué, dans les hypothèses économiques les plus favorables, à plus de 1 500 milliards de francs. Entre 1 000 milliards de francs, d'un côté, et 1 500 milliards de francs, de l'autre, il ne faut pas être très savant pour voir que la différence est de 500 milliards de francs !
Soit le fonds de réserve n'atteindra jamais les 1 000 milliards de francs parce qu'il aura été entièrement épuisé avant 2020 pour combler les déficits annuels des différents régimes de retraite, soit il continuera d'être alimenté, mais les déficits accumulés viendront gonfler une nouvelle dette sociale. Quel serait alors le sens d'un fonds de réserve de 1 000 milliards de francs en 2020 si, parallèlement, s'est creusée une dette de 1 000 milliards de francs ?
C'est en fin de compte, un fonds de réserve négatif que vous nous proposez.
Au total, la seule décision annoncée par le Premier ministre est la constitution par voie réglementaire d'un conseil d'orientation des retraites chargé d'« organiser dans la durée la concertation sur l'avenir des retraites ». Ce conseil vient d'ailleurs d'être créé par un décret paru aujourd'hui même.
Si l'on fait le compte, il s'agit donc de la quatrième concertation sur les retraites depuis que ce gouvernement est arrivé au pouvoir !
Le Premier ministre, par lettre en date du 29 mai 1998, avait chargé M. Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, détablir « un diagnostic aussi partagé que possible par les partenaires sociaux et les gestionnaires des différents régimes ».
Après la remise de ce rapport au Premier ministre et le constat de l'échec de ce « diagnostic partagé », une deuxième phase de concertation, de juillet à septembre 1999, a été engagée, sans résultats : Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, s'est bornée à recevoir l'ensemble des confédérations syndicales et patronales.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ce n'est déjà pas mal !
M. Alain Vasselle. Le 27 septembre 1999, lors des journées parlementaires du groupe socialiste, le Premier ministre a annoncé un nouveau report des décisions : « les orientations générales » ne seraient précisées qu'au « début de l'année 2000 ».
Une troisième phase de concertation a donc été lancée, par l'intermédiaire du conseiller social du Premier ministre. Elle s'est poursuivie jusqu'aux jours précédant la déclaration du Premier ministre, toujours sans résultats.
La finalité du conseil d'orientation des retraites est pour le moins ambiguë puisque cet organisme devra « proposer des mesures au Gouvernement » mais qu'il « restera bien sûr de la responsabilité de ce dernier de trancher et d'agir ». Le Gouvernement sera donc libre de suivre ou non les recommandations du conseil.
Je remarque d'ailleurs que c'est une curieuse conception du Parlement que de faire siéger des parlementaires dans un organisme chargé de faire des propositions au Gouvernement tout en tenant parallèlement le Parlement à l'écart du débat sur les retraites.
Je voudrais, à cet égard, remercier le président Fourcade de nous avoir permis, grâce à cette question orale, de débattre de ce sujet essentiel pour l'avenir de notre pays.
Les difficultés que rencontre aujourd'hui le Gouvernement pour trouver des personnes désireuses de siéger au conseil d'orientation des retraites témoignent à l'évidence des interrogations qui pèsent sur l'utilité et l'avenir de cet organisme.
La création d'un tel conseil traduit en réalité l'incapacité du Gouvernement à « trancher et agir » à l'issue d'un processus de consultation engagé pourtant depuis maintenant trois ans. On voit mal, en effet, comment cette instance parviendrait à dégager un consensus qui n'a pas été obtenu durant trois années de concertation.
De concertation en concertation, le Gouvernement donne vraiment le sentiment de vouloir gagner du temps et de se refuser à assumer les risques politiques de décisions difficiles, et pourtant indispensables.
Enfin, je ne peux que regretter que le recours à la capitalisation comme complément de la répartition ait été une nouvelle fois écarté, ce qui prive les Français de la possibilité de se constituer une épargne retraite.
Dans son intervention du 21 mars dernier, le Premier ministre a, une nouvelle fois, voué aux gémonies la capitalisation. Je serais tenté de vous demander, madame la ministre, monsieur le ministre : est-ce le mot ou la chose qui vous fait peur ?
Il convient de cesser d'opposer la répartition et la capitalisation en joutes oratoires forcément stériles. Il serait absurde de considérer que la capitalisation remplacera la répartition, garante de la solidarité entre les générations. L'épargne retraite interviendra en complément de la répartition.
C'est pour cette raison que le Parlement avait pris l'initiative de ce qui est devenu la loi du 25 mars 1997 en créant les plans d'épargne retraite.
Constatant que le Gouvernement ne se résolvait ni à appliquer ni à abroger cette loi, la Haute Assemblée a adopté le 14 octobre dernier une proposition de loi, déposée à l'origine par nos collègues Charles Descours et Jean Arthuis, visant à améliorer la protection sociale par le développement de l'épargne retraite.
L'objectif de ce texte était simple : donner aux quatorze millions de salariés du régime général la possibilité de se constituer un complément de retraite selon un système facultatif, une sortie en rente et une gestion externe par des professionnels.
Ce complément de retraite par capitalisation n'aurait pas fragilisé les régimes de retraite par répartition puisque l'abondement de l'employeur était soumis aux cotisations d'assurance vieillesse - régime de base et régimes complémentaires - et, dans les conditions de droit commun, à la CSG et à la CRDS.
En refusant la création de fonds de retraite pour les salariés, le Gouvernement crée une profonde inégalité entre certaines catégories de Français - les professions indépendantes, les agriculteurs ou les fonctionnaires - qui peuvent disposer d'un complément de retraite par capitalisation, et les quatorze millions de salariés qui ne le peuvent pas.
Le Gouvernement vient d'annoncer le prochain dépôt d'un projet de loi sur l'épargne salariale. L'avant-projet qui est actuellement soumis à concertation s'avère décevant : l'épargne salariale telle que la conçoit le Gouvernement ne saurait se substituer à une véritable épargne retraite, épargne de long et de très long termes.
Pourtant, selon un sondage réalisé par le ministère des finances et dont la presse s'est fait écho ce matin même, 72 % des Français interrogés souhaitent que l'épargne salariale puisse servir à constituer un complément de retraite sous forme de rente. Il y a donc là, je crois, le signe d'une véritable attente de nos concitoyens à l'égard de l'épargne retraite.
S'agissant de l'avenir des retraites, le bilan de ces trois années de Gouvernement est particulièrement accablant : ...
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Bien sûr ! Consternant même !
M. Alain Vasselle. ... aucune décision en matière de répartition, pas davantage en matière de capitalisation !
Cette analyse est sans doute inexacte. Vous avez, en réalité, pris une décision implicite. En matière de retraite, en effet, l'absence de décision est une forme de décision.
C'est ce choix que vous avez fait, et qui consiste à sacrifier les générations futures, condamnées à supporter toute leur vie durant des hausses régulières et répétées des cotisations. En matière de retraite, le temps perdu ne se rattrape jamais !
Vous prenez ainsi, madame la ministre, monsieur le ministre, le risque d'un très grave conflit de générations, qui mettrait en péril la cohésion même de notre société. Ayez au moins le courage de l'assumer, ce courage dont vous n'avez pas su faire preuve jusqu'à présent. (MM. Fourcade et de Montesquiou applaudissent) .
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Quel talent !
M. le président. La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, en interpellant, par la voix de M. Fourcade, le premier ministre sur nos régimes de retraite, la majorité sénatoriale utilise cette question cruciale de l'avenir des retraites pour polémiquer et taxer d'immobilisme un gouvernement dépeint comme étant incapable, parce que rétif à la capitalisation, de mener à leur terme les réformes nécessaires.
A l'autoritarisme et à la précipitation qui caractérisaient, sur le même sujet, le plan Juppé, nous préférons, comme les Français et le monde syndical, la concertation.
Nous sommes conscients que des mesures volontaristes s'imposeront pour garantir et adapter le système français de retraite. Elles s'imposeront aussi pour satisfaire les besoins collectifs nouveaux et assurer la protection sociale des retraités. Elles devront prendre en compte les conséquences de l'allongement de la durée de vie et de la perte d'autonomie.
Pour autant, nous n'entendons pas nous laisser enfermer dans une vision catastrophiste d'une société française vieillissante, responsable de la faillite inévitable de la retraite par répartition, cautionnant de facto l'avènement et la systématisation des fonds de pension.
Nous posons comme préalables la pérennisation et l'amélioration du principe de la répartition.
Bien que la majorité sénatoriale s'en défende, son objectif est non de perfectionner et de développer le champ de la retraite solidaire, mais bel et bien de réduire la part garantie par la collectivité. Une telle attitude équivaut à programmer la diminution du montant des pensions et à rendre plus qu'aléatoire leur taux.
Les marchés financiers seraient les décideurs... Quel progrès social !
Le débat que vous tentez d'engager depuis quelques années, chers collègues, est tronqué.
Non sans arrière-pensées, jouant de l'attachement légitime de l'ensemble de nos concitoyens au système français de protection sociale, vous agitez le choc démographique pour mieux imposer la solution éculée des fonds de pension qui viendraient compléter la répartition.
Vous brandissez haut le principe d'égalité pour mieux opposer les Français, stigmatiser les fonctionnaires, et pouvoir ainsi achever l'uniformisation des situations entre régime public et régime privé en diminuant les droits de tous.
Votre souci n'est pas de dégager des ressources supplémentaires tenant compte de l'évolution des demandes sociales liées à la fin d'activité. Il n'est pas, non plus, d'asseoir la protection sociale en garantissant à tous les salariés un niveau décent de retraite.
Votre objectif, c'est de toucher à l'architecture globale du système de retraite pour tendre vers plus d'individualisation !
Vous comprendrez alors aisément pourquoi aujourd'hui, pas plus qu'hier, nous ne souhaitons nous inscrire dans cette logique, que vous partagez avec le MEDEF.
Celui-ci ne cesse de déclarer que « la retraite à 60 ans a vécu », qu'elle est « devenue impossible à financer ». Il a lourdement pesé pour l'augmentation du nombre d'annuités nécessaires pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Il a même surenchéri en exigeant quarante-cinq annuités, au mépris de certaines données objectives telles que le chômage des jeunes, l'allongement de la durée des études, l'exclusion de plus en plus précoce des salariés « âgés » du marché du travail.
Le MEDEF, en pleine refondation sociale, s'engage désormais en faveur du système de retraite à la carte par points.
A l'évidence, la majorité sénatoriale prête pour le moins une oreille attentive aux propos du MEDEF.
Dans la ligne du rapport Taddei, nous ne sommes pas hostiles à l'introduction d'un choix individuel pour le départ à la retraite, à condition toutefois que cette liberté laissée aux cotisants ne joue que sur la base d'un bon niveau de retraite garanti à tous. Mais c'est loin d'être le cas si l'on abandonne la référence aux meilleures années pour lui préférer un système de points.
Cette solution possède le double « avantage » de ne pas contrer ouvertement et frontalement le système de répartition et de favoriser le développement de l'épargne individuelle, nécessaire pour compléter la retraite de base, réduite a minima.
Comme l'a très justement rappelé le Premier ministre lors de sa déclaration sur les retraites, « dessiner l'avenir de notre système de retraite ne se réduit pas à une série d'options techniques et financières ; c'est d'abord exprimer une vision politique pour notre société ».
Manifestement, nos choix et ceux de la majorité sénatoriale ne sauraient converger. Contrairement à celle-ci, nous croyons aux atouts et aux garanties du système par répartition, qui a fait la preuve de son efficacité, et nous réfutons l'idée selon laquelle les retraités seraient des « nantis ».
Nous croyons aux vertus de la solidarité : entre générations, entre actifs et retraités.
Opposés à la généralisation d'un étage supplémentaire de retraite par capitalisation, nous avons défendu, en octobre dernier, au sein de la Haute Assemblée, une motion contre une proposition de loi d'inspiration libérale. Celle-ci visait tout simplement à instituer des fonds de retraite en réactivant le mécanisme général des fonds de pension à la française institué par la loi Thomas.
Intervenant alors, mon ami Guy Fischer versait à charge des fonds de pension plusieurs griefs. Certains d'entre eux ont, tout récemment, été repris dans le rapport du Bureau international du travail qui récuse le recours à de tels fonds.
Ces fonds, français ou anglo-saxons, dénommés fonds de pension ou fonds d'épargne retraite, ne constituent en rien la solution miracle pour atténuer les problèmes démographiques, la part du PIB prélevée sur les revenus du capital ou sur les cotisations devant aller croissant, sauf à enfermer les retraités dans une plus grande pauvreté.
Par ailleurs, ils ne sauraient être complémentaires du système par répartition ; ils contribuent, au contraire, à siphonner celui-ci en détournant les ressources de la protection sociale.
En outre, et très logiquement, ils jouent contre l'emploi, car il faut assurer une rentabilité financière exorbitante. L'actualité sociale et économique, s'agissant par exemple d'Alcatel et de Michelin, a illustré ces ravages.
Enfin, les fonds de pension sont facteurs d'insécurité et contreviennent, pour cette raison, aux normes internationales fondamentales du travail disposant que le revenu de retraite doit être prévisible et garanti, principe que nous faisons nôtre.
Pour toutes ces raisons, les parlementaires communistes ont accueilli favorablement la réaffirmation par le Gouvernement de son attachement à la retraite par répartition et de son rejet des fonds de pension.
L'ouverture de discussions autour de la notion de pénibilité pour les salariés du privé, la préservation des régimes spéciaux et la création d'un conseil d'orientation des retraites sont autant de signes positifs.
Nous notons avec satisfaction que le débat s'inscrit dans l'« après-Charpin », et non sur la base du diagnostic et des solutions envisagées par ce dernier, qui négligeait de mettre en avant d'autres variables clés de l'équilibre des régimes de retraite : taux de croissance, niveau et qualité de l'emploi et objectif de retour au plein emploi.
Quelques questions, toutefois, demeurent.
S'il semble que le Gouvernement ne reprenne pas à son compte la mesure globale d'allongement de la durée de cotisation proposée par le rapport Charpin, nous sommes plus que réservés quant à l'option envisagée au nom de l'équité entre régimes dans les trois fonctions publiques.
Nous aurions évidemment souhaité que la règle soit celle du retour à trente-sept annuités et demie de cotisation pour tous.
Nous regrettons vivement que l'on ne revienne pas sur les décisions prises depuis 1993 et sur les accords AGIR-ARRCO de 1996, responsables des différences entre les garanties offertes selon que les salariés appartiennent au secteur privé ou au secteur public. Il s'agit, rappelons-nous, de l'accroissement du nombre de trimestres de cotisation requis, de la référence aux vingt-cinq dernières années, et non plus aux dix meilleures années, pour la base de calcul des pensions ou de l'indexation des retraites sur les prix, et non sur les salaires, gage d'évolution des taux de remplacement.
Autres sujets d'inquiétude, madame le ministre, l'alimentation du fonds de réserve et la confusion entre les fonds de pension et la promotion de l'épargne salariale à long terme contenue dans le projet de M. Fabius.
Outre l'évolution dans la nature des relations sociales au sein de l'entreprise, l'épargne salariale risque d'être la source d'un blocage de la progression des salaires réels.
Enfin, un élément central semble oublié pour réellement consolider nos régimes de retraite engarantissant à tous un taux moyen de retraite. Il s'agit, bien sûr, du financement de la protection sociale, qui passe par l'augmentation de la cotisation patronale, mais aussi par l'élargissement de l'assiette aux revenus financiers.
Nous sommes persuadés que vous saurez, madame le ministre, monsieur le ministre, tenir compte de ces remarques et que le Gouvernement saura mener à bien la concertation et les négociations pour aboutir à des mesures socialement justes, comprises et partagées par l'ensemble des Français pour consolider les retraites de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi d'attirer brièvement votre attention, s'il en est besoin, sur les futurs déséquilibres entre les régimes de retraite. Pardonnez-moi quelques redites sans doute, inévitables en l'occurrence.
Toutes les études réalisées à ce jour soulignent l'importance des réformes à venir avant que se fasse sentir le choc démographique. En 1991, le Livre blanc sur les retraites prévoyait déjà que, dans les quarante années, il y aurait six personnes âgées de 60 ans au moins pour dix personnes en âge de travailler. A lui seul, ce ratio explique l'essentiel des difficultés auxquelles les régimes de retraite vont être confrontés dès 2010, date d'arrivée à l'âge de la retraite de la génération du baby-boom.
Si la législation reste inchangée, l'actualisation des hypothèses démographiques - l'allongement de la durée de vie et le vieillissement des générations d'après-guerre - conduira inéluctablement à une dégradation de la situation financière des régimes de retraite. Ce sont les régimes spéciaux de salariés qui risquent de connaître des perspectives plus défavorables que les autres. En effet, l'espérance de vie devrait continuer à augmenter dans les prochaines décennies, pour atteindre, en 2040, 81 ans pour les hommes et 89 ans pour les femmes. Dès lors - même dans un contexte de fécondité, de productivité ou de chômage plus favorable que prévu - seul un déplacement de l'âge de la retraite pourrait freiner la hausse du poids relatif des retraités et des actifs.
Il y a peu de temps encore, le rapport Charpin montrait que les pays proches du nôtre ont réformé leurs systèmes de retraite ou sont en passe de le faire. Toutes ces réformes vont dans le sens d'un report de l'âge de la retraite, ou agissent directement sur les pensions, soit en modérant la hausse des prestations, soit en limitant leur revalorisation. Dans tous les cas, la préparation des réformes a nécessité de larges concertations, des débats publics nourris et fondés sur la mise à disposition d'informations précises tant sur la situation que sur les perspectives des systèmes de retraite.
Face aux écarts entre les régimes du secteur privé et les régimes spéciaux de retraite, le Premier ministre, Lionel Jospin, proposait, dans une déclaration du 21 mars dernier, de développer des fonds de réserve pour placer une partie des gains de la croissance au service des systèmes de retraite qui seront défaillants.
Certes, cette voie a été retenue par de nombreux pays pour consolider les systèmes de retraite publics. Mais elle demeure insufisante si l'on n'engage pas, à court terme, une réforme des régimes spéciaux. Sans réforme, les écarts, et par conséquent l'iniquité, vont s'accroître entre les assurés des régimes spéciaux et les assurés des régimes communs.
Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, ne pourrait-on pas désormais opter, par étapes, pour un alignement progressif de la durée de cotisation à quarante années de cotisation, quel que soit le régime de retraite ? L'erreur politique consisterait à reporter sur les générations futures le poids des ajustements nécessaires, au risque d'aboutir à une situation intenable, voire quasi explosive, qui mettrait en péril l'intégralité du système par répartition fondé sur la solidarité entre les générations. Alors, attention aux lendemains difficiles ! (Applaudissements sur les travées du RDSE ainsi que sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Mesdames, messieurs les sénateurs, avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens à vous dire le plaisir que j'éprouve à me retrouver dans cette enceinte, malgré l'heure tardive, et en compagnie de mon collègue Michel Sapin. Les contraintes du calendrier parlementaire faisaient, en effet, que nous n'étions pas appelés à nous retrouver en séance publique avant l'automne prochain - vous imaginez quel manque c'eût été pour moi ! -, mais M. Fourcade, en posant cette question orale avec débat, nous donne l'occasion, ce dont je le remercie, d'être de nouveau réunis pour parler d'un sujet majeur : l'avenir de ces retraites auxquelles chacun a rappelé ici combien les Français étaient attachés.
Je veux d'abord redire, après l'exposé tout à fait complet de M. Domeizel, quelle est la volonté du Gouvernement et quelle est sa méthode.
La volonté du Gouvernement, vous l'avez compris, est de garantir l'avenir des retraites des Français en consolidant les régimes par répartition. Le Premier ministre l'avait d'ailleurs indiqué à la représentation parlementaire, dès sa déclaration de politique générale, le 19 juin 1997. Dans sa déclaration sur l'avenir des retraites, le 21 mars dernier, qui a donné lieu à une large concertation - mais nous considérons qu'elle était nécessaire - il a défini les orientations que nous mettrons en oeuvre pour atteindre cet objectif.
Le choix de maintenir le système de retraite par répartition est un véritable choix de société.
La répartition est d'abord un choix de solidarité, chacun l'a redit, et encore à l'instant M. Bimbenet, puisqu'elle matérialise le lien qui unit les générations dans notre pays. Les enfants cotisent pour leurs parents et attendent de leurs propres enfants qu'ils assurent leurs retraites. C'est donc une véritable solidarité intergénérationnelle.
La répartition est aussi un choix démocratique puisque la part de la richesse nationale consacrée aux personnes âgées n'est pas renvoyée aux aléas des marchés financiers. Elle se discute au contraire dans les régimes et, en dernière instance, ici, au Parlement. La répartition est aussi le choix de l'efficacité. Ce système a atteint les objectifs qui lui étaient assignés. Le niveau de vie des retraités est, en effet, aujourd'hui égal à celui des actifs, alors même que l'espérance de vie augmente de manière continue.
La répartition est donc notre choix. Pour autant, nous n'avons jamais dissimulé, pas plus d'ailleurs que ne l'a fait le Premier ministre en 1997 ou en mars dernier, les difficultés auxquelles nos régimes vont être confrontés dans les années qui viennent. Je citerai quelques chiffres qui les résument bien, d'autres chiffres ayant été apportés au cours du débat, notamment par M. Fourcade : pour dix personnes d'âge actif, il y a aujourd'hui quatre retraités, et il y en aura cinq en 2020 et sept en 2040.
C'est donc à un véritable défi démographique que sont confrontés nos régimes, qui devront assumer à la fois l'arrivée à l'âge de la retraite à partir de 2005 des générations nombreuses de l'après-guerre et l'allongement constant de l'espérance de vie.
Il est vrai que la baisse massive du chômage permet aujourd'hui d'envisager sérieusement, à terme, un retour au plein emploi. Cette perspective permet d'aborder plus sereinement la question des retraites, mais je le dis, monsieur Vasselle, de manière très claire, après le Premier ministre, nous ne sommes pas de ceux qui prétendent que cette baisse règle à elle seule tous les problèmes. Et rien ne sert de caricaturer les positions sur un sujet aussi compliqué, sur lequel, d'ailleurs, je n'ai pas entendu de votre part beaucoup de propositions !
A l'inverse, il est vain de sombrer dans le catastrophisme, en favorisant une précipitation attachée au spectre de la faillite des régimes, comme vous l'avez fait tout à l'heure. Certes, il faut régler le problème, mais il n'y a pas de fatalité à voir disparaître les régimes par répartition, bien au contraire.
Les orientations du Premier ministre ont été claires.
Nous allons engager des négociations dans chacun des régimes ; nous avons créé et nous allons renforcer le fonds de réserve pour les retraites, et nous avons créé un conseil d'orientation des retraites, pour assurer une vigilance permanente sur l'évolution de nos systèmes de retraite.
Face à la diversité des régimes de retraite, il n'y a pas une solution unique. Chaque régime a ses spécificités et le Gouvernement entend les prendre en compte. Contrairement aux propositions mécanistes de certains, il n'est pas question pour le Gouvernement d'uniformiser tous les régimes. Il est, à cet égard, abusif de comparer les régimes de retraite indépendamment des statuts propres à chaque profession. Il ne serait pas acceptable de faire table rase de l'histoire du contrat social d'un certain nombre d'entreprises, des caractéristiques de chaque métier, particulièrement de leur pénibilité, ou alors il ne faut pas parler de justice, d'équilibre entre les revenus d'activité et les retraites. A partir de ce préalable - le respect de la spécificité de chaque régime - la réforme doit permettre d'introduire plus de justice et d'équité entre les différents régimes, tout en garantissant leur pérennité.
Le Gouvernement a donc choisi une méthode pragmatique : plutôt que d'imposer d'en haut, il préfère engager des négociations dans chaque régime pour élaborer les mesures les mieux à même d'assurer leur avenir tout en préservant leur identité. C'est donc au plus près des réalités que les solutions doivent être recherchées. Je ne parlerai pas de la fonction publique, puisque Michel Sapin interviendra pour expliquer le pacte que le Premier ministre a proposé aux fonctionnaires.
Pour les autres régimes, la question du besoin de financement, à terme, se pose avec moins d'acuité, notamment dans le régime général, dont le déficit prévisionnel en 2020 représente 3,5 points de cotisation. Les premiers déficits n'interviendront que dans dix ans ; l'allongement de la durée de cotisation est en cours pour atteindre quarante ans en 2003.
Cela dit, même si ces déficits sont moins importants et plus éloignés dans le temps, nous devons dès maintenant engager des négociations dans le régime général pour le consolider à l'horizon de 2020 et mieux prendre en compte les attentes des Français : plus de souplesse dans le choix du départ à la retraite, un traitement différencié pour ceux qui ont exercé des travaux pénibles, ceux qui ont commencé à travailler tôt et qui ont des difficultés à s'adapter aux évolutions technologiques. Ces négociations sont déjà engagées entre les partenaires sociaux pour ce qui concerne les régimes complémentaires.
Permettez-moi un aparté sur les préretraites, puisque M. Vasselle s'est interrogé sur la cohérence du Gouvernement lorsqu'il met en place, en février dernier, un nouveau système de départ en préretraite, et qu'il prône, dans le même temps, pour régler le problème des retraites, l'augmentation du taux d'activité des plus de 50 ans.
La cohérence, je vais tenter de vous l'expliquer en prenant l'exemple de l'automobile. En 1997, cela faisait dix-sept ans que l'Etat versait 1 milliard de francs au secteur automobile pour financer les préretraites, et ce quelle que soit la situation des entreprises concernées, qu'elles soient en déficit ou, au contraire, en équilibre ou en situation de profit. En effet, l'habitude avait été prise de voir l'Etat financer les restructurations et la gestion de la pyramide des âges dans le secteur automobile. Ce n'était sain ni pour les entreprises, qui n'anticipaient pas les évolutions, ni, bien sûr, pour les finances publiques, qui n'avaient pas de raison de continuer à assumer un tel financement.
A l'inverse, nous avons, dans notre société, des hommes et des femmes qui ont commencé à travailler tôt, qui ont travaillé dur, qui ont connu des conditions de travail pénibles sur de longues périodes et qui sont aujourd'hui dans l'incapacité, parce que souvent on ne les y a pas préparés, à suivre les évolutions techniques ou qui sont usés par le travail. Nous devons prendre en compte ces situations - c'est cela, la justice - si nous voulons effectivement que l'ensemble des Français adhèrent à la logique de réforme des retraites.
Faire partir plus tôt ceux qui, tout au long de leur vie active, ont travaillé beaucoup et dans des conditions pénibles, et faire en sorte que ce départ, qui facilite le rééquilibrage de la pyramide des âges des entreprises, soit financé à 50 % ou à 60 % par ces dernières, et non pas seulement à 10 % ou à 20 %, comme c'est le cas pour les préretraites traditionnelles : tel est l'objectif de ce décret qui s'appliquera non pas seulement au secteur automobile, mais à tous les secteurs qui souhaiteront que la question soit réglée.
Cela fait partie des réponses différenciées en vue d'une plus grande justice dans la façon de poser le problème des retraites, et cela rend plus facile, me semble-t-il, le traitement de ce problème. En effet, ces salariés qui, en tout état de cause, n'auraient pas pu travailler jusqu'à l'âge de la retraite, seraient encore plus inquiets s'ils devaient envisager de prolonger leur durée de travail. Telle est la cohérence entre ce décret et la réforme des retraites. Nous prévoyons donc des négociations dans chaque régime. La deuxième décision concerne le Conseil d'orientation des retraites. Ce conseil ne décidera certes pas, puisqu'il y a un gouvernement qui négociera, notamment dans la fonction publique, et des partenaires sociaux, qui, au sein de la CNAV, devront se pencher sur le problème du régime général ; mais il devra suivre, comme l'a fait le rapport Charpin, les grandes évolutions de la croissance, de l'emploi, les évolutions démographiques, pour pouvoir, à tout moment, éclairer l'opinion publique dans la plus parfaite transparence sur l'évolution des déficits ou sur le rétablissement de la situation des régimes de retraite au fur et à mesure de l'avancée des négociations.
Par la pluralité des membres qui le composeront - partenaires sociaux, parlementaires, personnalités qualifiées - il assurera un questionnement permanent sur le problème des retraites.
Monsieur Vasselle, je voudrais vous rassurer : si certains considèrent qu'ils ne doivent pas faire partie de ce conseil d'orientation, d'autres, tels des députés de l'opposition, ont cependant d'ores et déjà fait savoir qu'ils souhaitaient y participer, sans doute parce qu'ils considèrent que le problème des retraites mérite qu'on s'y penche sans a priori, avec la volonté d'aboutir.
Avec la création du conseil d'orientation des retraites, nous assistons à la fin d'une certaine opacité entourant ce débat, le rapport Charpin ayant d'ailleurs déjà permis de poser les bases du diagnostic, même si nous avons préféré, au vu des derniers résultats, prendre en compte une hypothèse de chômage plus positive que la sienne. Nous pensons ainsi que la collectivité pourra se réapproprier un sujet qui conditionne tout à fait son avenir.
La troisième décision est le renforcement du fonds de réserve des retraites. Les négociations vont s'engager régime par régime dès maintenant, mais le Gouvernement souhaite prendre ses responsabilités, c'est-à-dire faire en sorte que la solidarité nationale puisse apporter une partie de la réponse - une partie seulement, mais une partie quand même - au problème des retraites. C'est la raison pour laquelle j'avais souhaité, dès l'année dernière, que soit créé, même modestement, ce fonds de réserve des retraites pour montrer pédagogiquement que les premiers excédents, en l'occurrence ceux de la CNAV, pouvaient y être affectés.
Dès 1999, nous avons affecté de nouvelles ressources à ce fonds : les excédents de la CNAV et la moitié des prélèvements de 2 % sur les revenus du patrimoine viennent s'ajouter à l'excédent du FSV. Le fonds de réserve bénéficie également des contributions des caisses d'épargne et de la Caisse des dépôts et consignations.
Grâce à ces sources de financement, le fonds, qui était doté au départ de 2 milliards de francs, atteindra 20 milliards de francs dès cette fin d'année et disposera de 1000 milliards de francs à l'horizon 2020. Je tiens à votre disposition les éléments de calcul, qui n'ont d'ailleurs pas été contestés jusqu'à ce que j'entende M. Vasselle. Il y aura, en 2020, la dotation initiale de 2 milliards de francs, 3 milliards de francs de la Caisse des dépôts et consignations, 16 milliards de francs des caisses d'épargne, 50 milliards de francs des excédents de la CNAV, la moitié des 2 % sur les revenus du patrimoine - 150 milliards de francs - les excédents de la C3S et du FSV - 450 milliards de francs - et les produits financiers - 330 milliards de francs. Voilà qui donne bien les 1 000 milliards de francs que le Premier ministre a annoncés et qui montrent que la collectivité sera ainsi capable de franchir, à l'horizon 2020, la moitié du chemin qu'il restera encore à accomplir entre 2020 et 2040 si les hypothèses qui sont aujourd'hui les nôtres perdurent.
Monsieur de Montesquiou, les retraités agricoles intéressent bien évidemment le Gouvernement, même si l'ensemble du débat sur les retraites ne se résume pas à ce problème. Entre 1998 et 2000, ce sont plus de 5 milliards de francs de mesures d'augmentation des pensions de retraite agricole qui ont été inscrites au budget annexe des prestations sociales agricoles.
Par ailleurs, l'article 114 de la loi de finances pour 2000 prévoit une nouvelle étape de réalisation du plan d'amélioration des retraites agricoles, ces dernières étant majorées de 2 400 francs par an, soit un coût de 1,6 milliard de francs en année pleine.
Le Premier ministre, lors de la table ronde avec les organisations professionnelles agricoles qui s'est tenue en octobre 1999, a annoncé que les chefs d'exploitation et les personnes veuves percevraient, pour une carrière pleine, une retraite au moins égale au montant du minimum vieillesse - nous allons ainsi au-delà même de ce que vous demandiez - et que les conjoints ainsi que les aides familiaux percevraient, toujours pour une carrière pleine, une retraite équivalente au montant du minimum vieillesse du second membre du foyer.
Cela veut dire que le montant de la pension minimum d'un chef d'exploitation justifiant d'une carrière pleine s'élèvera à 50 % du SMIC, c'est-à-dire au même niveau que la retraite d'un salarié rémunéré au SMIC. De ce fait, en 2002, le régime de retraite agricole sera à point avec le régime général.
Nous mettons cette réforme en oeuvre, alors que cela n'avait pas été fait avant. C'est pourquoi le ton de votre propos m'a paru quelque peu excessif, monsieur le sénateur.
J'en arrive à ce qu'il est coutumier, dans notre pays, d'appeler le débat sur les fonds de pension et l'épargne salariale. Ceux qui sont favorables à la retraite par répartition sont, il est vrai, plus nombreux dans la représentation nationale que ceux qui sont favorables à la capitalisation. En tout état de cause, des prélèvements sur l'économie doivent être effectués pour faire face aux évolutions démographiques, et cela quel que soit le système.
Mais il est vrai que, comme l'a rappelé M. Muzeau, dans un cas, ce sont la Bourse ou les marchés financiers qui décident, alors que, dans l'autre, ce sont les partenaires sociaux et le Parlement. Vous l'avez bien compris, c'est ce dernier cas qu'a choisi le Gouvernement.
Substituer la capitalisation à la répartition - je ne dis pas que c'est ce que propose la totalité de la majorité sénatoriale - aboutirait d'ailleurs à cette absurdité de faire payer deux fois la même génération. Ce n'est pas une solution miracle, ce n'est pas une solution indolore, et les études effectuées dans les pays l'ayant utilisée montrent que ces derniers se sont trouvés confrontés aux mêmes difficultés de financement, bien évidemment, mais que, en outre, des inégalités tout à fait considérables entre personnes ont été relevées.
On sait bien, par ailleurs, que la capitalisation individuelle favorise toujours les personnes les plus aisées et reviendrait à instaurer un système à deux vitesses. C'est ainsi que la loi Thomas qui sera abrogée, me semble-t-il, puisque cette abrogation est inscrite dans la loi de modernisation sociale qui sera discutée au mois de juin prochain à l'Assemblée nationale, non seulement remettait en cause des principes de solidarité fondant nos régimes de retraite, mais également menaçait notre système de protection sociale.
En effet, comme vous le savez, les fonds de pensions à l'anglo-saxonne - c'est bien cela qui était intégré dans la loi Thomas - permettaient de ne pas payer de cotisations sociales sur ces fonds de pension - ils vidaient donc en partie le régime général -, de n'appliquer ces fonds de pensions qu'à certaines catégories de salariés, et donc de donner des avantages fiscaux particulièrement aux cadres, c'est-à-dire à ceux qui avaient les revenus les plus élevés, et non pas à l'ensemble des salariés. J'ajoute qu'ils n'étaient pas gérés collectivement et que le choix de l'utilisation de ces fonds n'était pas transparent et donc, pourrait-on dire, pas démocratique. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé d'abroger ce texte tant la philosophie qui était à sa base rendait impossible son amélioration.
Les défenseurs des fonds de pension à l'anglo-saxonne évoquent deux arguments en faveur de ces derniers : la contribution au financement des retraites et le renforcement du financement des entreprises françaises.
Pour ce qui concerne le financement des retraites, nous ne nous résignons pas à un affaiblissement de la répartition. Nous souhaitons au contraire le consolider.
En ce qui concerne le financement de l'économie et la possibilité pour les Français de compléter, s'ils le souhaitent, leur régime de retraite par répartition, le Gouvernement va développer les mécanismes d'épargne salariale de long terme.
De quoi s'agit-il ? Je le dis de la manière la plus simple : aujourd'hui, les salariés qui ont de l'argent ont les moyens de trouver des placements à moyen terme ou à long terme assortis d'avantages fiscaux favorables. Ceux qui ont moins ou beaucoup moins d'argent ont le plus grand mal à trouver aujourd'hui des produits leur permettant effectivement, s'ils le souhaitent, soit de se garantir un capital pour l'avenir - achat d'un logement pour eux ou pour leurs enfants - soit de toucher une rente permettant de compléter leur retraite par répartition.
Nous pensons que cette épargne salariale plus longue, plus durable, plus transparente et plus solidaire, gérée collectivement, doit effectivement laisser le choix au salarié entre une sortie en rente et une sortie en capital permettant, dans le premier cas, de répondre à ce troisième étage de la fusée dont nous avons souvent parlé en évoquant les régimes de retraite, au choix du salarié, avec la liberté pour chacun de rentrer ou de ne pas rentrer dans ce système, et avec une gestion collective.
Par ailleurs - ce n'est pas le moindre des avantages -, ces fonds permettront aux Français de s'approprier une partie de leur entreprise, alors que, aujourd'hui, des fonds de pension anglo-saxons, par des décisions prises à l'extérieur de notre pays, arrivent à prendre la majorité des parts dans certaines entreprises françaises.
Par ailleurs, je pense que la collecte de l'épargne salariale pourra aussi profiter à de petites entreprises, par le biais de l'épargne salariale interentreprises, et permettre ainsi à ces dernières de se développer plus facilement puisque aujourd'hui, où elles ont souvent du mal à se faire entendre du système bancaire.
Il s'agit donc bien d'un système totalement différent de celui des fonds de pension à l'anglo-saxonne, d'un système là aussi fondé sur la justice et la démocratie, qui laissera le choix aux salariés.
J'ajouterai d'un mot que l'ensemble de ces réformes proposées par le Premier ministre doit être complété par une réflexion sur la place des personnes âgées et des retraités dans notre société. M. Vasselle nous a dit tout à l'heure que la réforme de la prestation spécifique dépendance, que M. Domeizel a rappelée à juste titre, n'avait absolument aucun rapport avec les retraites. Or j'ai acquis la conviction profonde, en discutant avec les personnes qui atteignent aujourd'hui l'âge de la retraite, que l'on éprouve une inquiétude d'autant plus forte à l'égard de la retraite que l'on a l'impression que l'on ne sera pas capable de faire face au problème de la dépendance. Quand on est lourdement dépendant, quand on souffre, comme c'est, hélas ! le cas d'un nombre toujours croissant de nos concitoyens, de la maladie d'Alzheimer ou de sénilité précoce, on a besoin d'une aide de la solidarité nationale, car peu de retraités bénéficient de ressources suffisantes pour affronter seuls ces handicaps. C'est la raison pour laquelle il nous semble que l'on ne peut pas évoquer le problème des retraites sans tenir compte de la capacité qu'aura la solidarité nationale, par le biais des collectivités locales et de l'Etat, d'aider l'ensemble de ceux qui en ont besoin, de par leur dépendance physique, psychique ou financière, à conserver le plus longtemps possible une autonomie la plus large possible et d'avoir accès aux soins nécessaires lorsqu'ils sont dans une situation le permettant.
C'est la raison pour laquelle - et là je rejoins totalement le diagnostic de M. Domeizel - le Gouvernement a pris acte aujourd'hui de l'échec que constitue la PSD, que j'avais pourtant - et chacun, notamment M. Fourcade, pourra le reconnaître - essayé de faire fonctionner. D'abord, peu de personnes âgées en bénéficient : 120 000, avez-vous rappelé. Par ailleurs, ses conditions de versement sont bien inférieures aux besoins...
M. Alain Vasselle. Il faut replacer cela dans le contexte initial, madame la ministre !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur Vasselle, puisque vous le souhaitez, je vais vous décrire très clairement le contexte initial : les conseils généraux ont fait un milliard de francs d'économies sur la PSD par rapport à l'ACTP, l'allocation compensatrice pour tierce personne. Par conséquent, s'agissant de la grande réforme sociale qui devait permettre de prendre en compte la dépendance, les personnes âgées sauront que la majorité sénatoriale a fait une économie d'un milliard de francs sur ce que la société pouvait leur apporter !
M. Alain Vasselle. Ce n'était pas l'objectif !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Si vous voulez parler du contexte, le voilà, et ces résultats ne sont d'ailleurs contestés par personne !
M. Alain Vasselle. C'est une caricature !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous souhaitons, pour notre part, que toutes les personnes ayant des problèmes de dépendance puissent effectivement être aidées par la collectivité. C'est à cette préoccupation que nous allons travailler. J'attends le rapport de M. Jean-Pierre Sueur qui me sera rendu dans quelques heures.
Par ailleurs, le Gouvernement a dit très clairement qu'il était attaché à ce que les conseils généraux puissent gérer ce problème de la prestation spécifique dépendance parce que leur proximité, la qualité des interventions, les réseaux qu'ils sont capables de mettre en place autour des personnes âgées, sont irremplaçables et qu'eux seuls peuvent le faire ! Mais le Gouvernement est prêt, comme le Premier ministre l'a dit, à ce que l'Etat prennne sa part financière dans la nécessaire amélioration de la PSD.
Par ailleurs, le Premier ministre a annoncé un plan de médicalisation des établissements sur cinq ans, d'un montant de 6 milliards de francs, et un doublement de l'effort financier de l'Etat pour les services de soins infirmiers à domicile.
J'ajoute que nous financerons aussi mille comité locaux d'information et de coordination gérontologiques, qui doivent permettre de mettre l'ensemble des services et des financeurs autour de la personne âgée et de sa famille. En effet, aujourd'hui, nous le savons, chaque famille connaît des difficultés lorsqu'une personne âgée devient dépendante.
J'en viens à la méthode, et je conclurai sur ce point.
J'ai entendu vos critiques sur le rythme des réformes. Certains voudraient nous imposer la précipitation dans le calendrier. Ils voudraient sans doute que nous ne prenions pas le temps d'écouter les uns et les autres !
S'agissant des retraites, le Gouvernement utilise une méthode qui a fait ses preuves dans d'autres domaines : le Premier ministre l'avait dit, diagnostic, dialogue, décision. (M. Vasselle sourit.) Vous pouvez rire, monsieur Vasselle ! La sécurité sociale est en équilibre, le chômage baisse.
Nous avons beaucoup discuté et nous avons réglé certains contentieux sur les retraites avec l'AGIRC et l'ARRCO, grâce à une négociation de deux ans et demi avec les partenaires sociaux. Je rappelle toutefois que ce problème était sans solution depuis seize ans ! Il est maintenant résolu, grâce à la négociation, et chacun l'a salué. Vous auriez pu le faire aussi !
M. Alain Vasselle. Pour l'instant, vous n'avez rien réglé pour les retraites !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le fait d'avoir, par une pédagogie forte, avancé - c'est le moins que l'on puisse dire ! - dans le débat, le fait d'avoir annoncé les grands axes, comme le Premier ministre l'a fait, le fait d'engager aujourd'hui des négociations, voilà notre méthode. Jusqu'à présent, cela ne nous a pas si mal réussi que cela !
Je comprends bien - vous l'avez d'ailleurs dit, mais peut-être ce mot vous est-il sorti de la bouche - qu'il y a là un risque politique. On a tellement l'impression que certains, dans l'opposition, souhaitent que le Gouvernement trébuche sur cette question ! Mais nous avons en mémoire les manifestations de 1995 et le mépris avec lequel on a montré certains fonctionnaires et certaines catégories du doigt en les stigmatisant. Ce n'est pas notre méthode ! Nous, nous réussirons sur les retraites, comme nous avons réussi dans les autres domaines. Soyez-en assurés, car c'est la seule méthode souhaitable aujourd'hui.
Le Gouvernement, je le dis très simplement, fait confiance aux Français - ce qui n'est peut-être pas votre cas, d'ailleurs - pour comprendre les enjeux du débat sur les retraites, et donc pour s'engager dans cette réforme.
Vous l'avez tous dit, pour les Français, c'est le problème numéro un, puisqu'ils reprennent confiance sur le chômage. Je crois cependant qu'on peut leur faire confiance pour que nous engagions ensemble, à partir d'un diagnostic clair et net, dans chacun des régimes, les nécessaires réformes pour garantir notre système de retraite, sachant par ailleurs que la solidarité nationale apporte un certain nombre d'éléments complémentaires grâce aux fonds de réserve.
J'ajoute que j'ai entendu beaucoup de propos incantatoires - je ne parle pas de M. Fourcade - mais que je n'ai pas entendu de réelles propositions de la part de l'opposition ou de la majorité sénatoriale.
M. Claude Domeizel. Ils n'en ont pas !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vois bien que certains voudraient nous emmener à la faute, je l'ai dit tout à l'heure, mais, les propositions, je ne les entends pas.
J'ai entendu de grands mots, monsieur Vasselle, mais l'exagération des propos n'a jamais fait la qualité des propositions !
M. Alain Vasselle. C'est consternant !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Votre consternation n'a d'égale que le vide de vos propositions : une fois de plus, nous le remarquons.
M. Alain Vasselle. M. Balladur avait engagé des réformes, vous n'avez rien fait ! Ne nous donnez pas de leçon sur ce sujet !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. J'ai entendu tant de leçons de votre part que je me permets de vous en donner une petite !
M. Alain Vasselle. Non ! Je parle des retraites. Ce n'est pas sérieux !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. N'avez-vous pas expliqué que, depuis deux ans et demi, nous ne faisions rien sur le chômage, rien sur la sécurité sociale ?
M. Alain Vasselle. Vous avez perdu beaucoup de crédibilité auprès de l'opinion publique sur les retraites !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Les résultats sont là, et ils seront là, j'en suis convaincue, sur les retraites, ne vous en déplaise, dans les mois qui viennent, car le temps de la concertation et du dialogue est aujourd'hui ouvert. C'est un débat sans doute difficile, mais que nous réglerons comme nous l'avons fait pour le chômage, avec le soutien de nos concitoyens.
A cet égard, je souhaite rappeler - chacun l'a d'ailleurs souligné - que le système par répartition constitue notre patrimoine commun et que notre responsabilité commune est de le préserver des attaques dont il fait parfois l'objet. Certaines idées valent mieux que des polémiques !
J'ajoute qu'on aurait pu espérer qu'un sujet tel que celui-là puisse recueillir un certain consensus ! La retraite figure au rang de ce qui préoccupe le plus les Français et le règlement de ce problème mérite, à mon sens, que l'on se mette autour de la table.
C'est la raison pour laquelle j'ai été étonnée - mais peut-être est-ce, là encore, parce que l'opposition n'a pas de propositions - de voir que le Sénat s'interrogeait sur sa présence au sein du conseil d'orientation des retraites. Il est vrai que, quand on doit sortir de l'invective pour en arriver aux propositions, on trouve en général moins de monde en face de soi !
Cela étant, ce n'est pas là le ton de tous ceux qui se sont exprimés ce soir et j'espère que le conseil d'orientation des retraites, parallèlement aux négociations que nous allons mener, sera le lieu d'un vrai débat démocratique afin, j'en suis sûre, de parvenir aux solutions que les Français attendent. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite, en quelques mots, accompagner la réponse de Mme la ministre à la question qu'à posée M. Fourcade sur ce sujet important des retraites, de leur avenir et de leur évolution, quel que soit le régime auxquel les Français appartiennent.
Je vous remercie d'avoir suscité ce débat, monsieur Foucade, et de me donner ainsi l'occasion de poursuivre dans cet hémicycle le dialogue que nous avons parfois déjà engagé, par exemple au sein de la commission de décentralisation, que j'ai été obligé de quitter un peu précipitamment, ce dont vous voudrez bien m'excuser, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je remercie également tous ceux qui sont intervenus dans ce débat et qui, pour la plupart d'entre eux, ont fait preuve de mesure. Je crois que c'est un sujet qui nécessite beaucoup de mesure et de pondération, même si, monsieur Vasselle, vous n'avez pas toujours été à l'abri d'un discours un peu caricatural.
S'agissant de la question des fonctionnaires et des agents publics, ceux-ci - dois-je le dire ici, car chacun le sait bien - relèvent soit du code des pensions civiles et militaires lorsqu'ils sont fonctionnaires de l'Etat, soit de la CNRACL - la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, que vous connaissez bien, monsieur Fourcade, et qui est fondée sur la répartition - lorsqu'ils sont fonctionnaires des collectivités territoriales, soit du système hospitalier, soit de l'IRCANTEC, l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques.
Ce sujet des retraites est, bien entendu, financièrement important. Chacun a apporté ici un certain nombre d'éléments qui commencent à faire lien entre nous puisque le travail sérieux et pondéré qui a été fait par les uns et par les autres nous permet maintenant de disposer d'un corps commun d'analyses financières qui, au moins sur cet aspect des choses, nous permet de parler le même langage.
Toutefois, si ce sujet des retraites est financièrement important, il est aussi socialement très important car nos concitoyens, quel que soit le régime auquel ils appartiennent, sont attachés à la fois à la sécurité de leur retraite, celle qu'ils perçoivent aujourd'hui quand ils sont retraités ou celle de demain lorsqu'ils sont en activité ou même, éventuellement, en formation, mais aussi au maintien - beaucoup ici ont souhaité le souligner - des dispositifs de solidarité nationale, que ce soit la solidarité par le système de la répartition ou la solidarité par le système des pensions.
Chacun a souhaité montrer en quoi le système par répartition était à la fois efficace économiquement, même s'il est aujourd'hui porteur d'un certain nombre de déséquilibres auxquels il faut savoir s'attaquer, et efficace socialement, parce qu'il exprime, par cette capacité des générations au travail de payer pour les générations à la retraite, le sentiment profond d'une solidarité entre générations.
Mais le système des pensions lui-même est aussi un mécanisme de solidarité, même si ce sont les contribuables d'aujourd'hui, y compris les retraités et les fonctionnaires, qui contribuent à assurer la retraite des retraités de la fonction publique d'aujourd'hui.
C'est donc avec cet esprit que le Gouvernement avance. Au coeur de sa réflexion figurent un certain nombre de principes. Il entend notamment maintenir les mécanismes de solidarité de quelque nature qu'ils soient, qu'il s'agisse des mécanismes de solidarité qui protègent les agents du privé ou des mécanismes de solidarité qui protègent les fonctionnaires.
Certes, il y a aussi les questions de méthode, et Mme la ministre y a fait plus qu'allusion en montrant en quoi celle du Gouvernement et du Premier ministre nous paraissait la seule à être à la fois juste dans le dialogue et efficace dans l'action.
Cette méthode consiste à ne pas séparer le débat sur l'avenir des retraites dans le secteur privé du débat sur l'avenir des retraites dans le secteur public. Il n'y a pas, d'un côté, les retraites d'une catégorie de salariés auxquels il faudrait apporter des solutions et, de l'autre, des mécanismes de retraite pour le secteur public qui seraient complètement différents. Les Français ne veulent pas, dans un domaine comme celui-ci, être saucissonnés et relever de solutions différentes. Il faut parler d'une même voix et si, pour des régimes différents, les solutions peuvent être différentes, l'objectif doit être le même.
Toujours en termes de méthode, il ne faut pas heurter systématiquement car, chacun le sait bien - et plusieurs d'entre vous, notamment vous-même, madame la ministre, ont fait allusion à la situation que nous avons connue en France en 1995 - ce n'est pas en heurtant qu'on avance. En heurtant, on bloque ! Ainsi, avec la méthode qui a été utilisée en 1995, plusieurs années ont été perdues pour le dialogue, rendant impossible l'émergence d'une solution efficace.
Nous souhaitons agir dans la durée, en allant toujours au bout de la concertation, sur la base de discussions concrètes et objectives.
C'est également vrai pour les fonctionnaires. Le décret qui a été publié aujourd'hui même et qui crée le comité d'orientation des retraites prend aussi en compte cette considération que nous devons avoir pour les régimes des fonctionnaires. Ce comité d'orientation, qui doit examiner l'ensemble des régimes, abordera, bien entendu, les questions spécifiques aux fonctionnaires. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai souhaité que des personnalités issues du monde syndical plus particulièrement représentatives des fonctionnaires puissent en faire partie.
J'ai voulu faire en sorte que ces questions soient abordées dans ce contexte global de l'avenir des retraites. Il me paraît en effet très important que, sans remettre en cause la spécificité du régime de la fonction publique, à savoir le principe du financement par l'Etat, la situation des fonctionnaires soit examinée en même temps que celle des autres salariés.
Parallèlement à la mise en place de ce comité d'orientation des retraites, j'ai proposé aux organisations syndicales, qui l'ont accepté lors des entretiens que nous avons eus au moment de ma prise de fonction, de commencer à travailler à la mise à plat de l'ensemble des dossiers et des questions posées. Je leur ai suggéré d'étudier les pistes qui peuvent être esquissées, les orientations qui peuvent être proposées par les uns et par les autres de manière à discuter de tous les sujets.
Il ne s'agit pas, à ce stade, de négociations au sens strict du terme, car il m'est apparu que, dans un premier temps, il convenait que toutes les questions posées par les uns et par les autres puissent être examinées d'une manière plus approfondie qu'elles ne l'ont été jusqu'ici. Ces travaux, qui sont, en quelque sorte, des travaux préparatoires, commenceront avant cet été.
Le Premier ministre a d'ores et déjà évoqué plusieurs pistes de réflexion. Il n'existe pas de solution unique dans ce domaine compte tenu des besoins de financement à l'échéance de 2020, que chacun connaît bien.
La comparaison entre le secteur public et le secteur privé, que l'on fait souvent - et que je fais moi-même fréquemment - est nécessaire, mais elle est beaucoup plus complexe que certains voudraient bien l'affirmer.
Par exemple, il est vrai que les modes de calcul conduisent à des différences apparentes. En moyenne, les salariés du secteur privé perçoivent deux tiers de leur salaire antérieur, alors que les fonctionnaires perçoivent 2 % par an après trente-sept annuités et demie de cotisations, ce qui conduit aux trois quart de ce salaire. C'est une disparité apparente : 66 % d'un côté, 75 % de l'autre ; mais la base n'est pas la même, puisque chacun sait que les rémunérations accessoires ne sont pas prises en compte pour le calcul des retraites.
En réalité, aujourd'hui, le taux de remplacement, c'est-à-dire le rapport entre le montant de la retraite et celui des derniers salaires, est en moyenne équivalent dans le privé et dans le public. Pour l'encadrement, il est même souvent sensiblement inférieur dans le public à ce qu'il est dans le secteur privé.
Les différences de carrière sont également sensibles puisque, actuellement, les fonctionnaires réalisent des carrières d'une durée nettement supérieure à celle des autres salariés : plus de 80 % des fonctionnaires ont effectué des carrières complètes, alors que seulement 40 % des salariés unipensionnés du régime général sont dans cette situation.
Aujourd'hui, plus de 40 % de fonctionnaires partent à la retraite à soixante ans avec une ancienneté supérieure à trente-sept ans et demi.
Je note cependant que, comme dans le secteur privé mais pour des raisons différentes, ces durées se raccourcissent. Les agents entrent souvent après vingt-cinq ans dans l'administration. Les carrières incomplètes sont ainsi maintenant de plus en plus fréquentes. On sait aussi que, pour certains fonctionnaires, les années de formation indispensable à l'exercice dans de bonnes conditions de leur métier ne sont pas prises en compte pour le calcul des droits à pension.
Par ailleurs, la qualification moyenne des agents est plus élevée dans la fonction publique, qui compte 43 % de cadres, compte tenu notamment de la présence importante d'enseignants, alors que le secteur privé n'en compte que 15 %.
On peut, certes, faire des comparaisons entre les deux secteurs, mais en se fondant sur des bases objectives et sans en avoir à l'esprit la seule volonté de stigmatiser les uns par rapport au autres.
Le Premier ministre a donc proposé plusieurs pistes dans ce qu'il a appelé, à juste titre, le « pacte » qu'il convenait de passer avec les intéressés sur les retraites : l'allongement de la durée des cotisations, cohérente avec l'allongement de la durée de vie puisque l'espérance de vie augmente d'un peu plus d'un trimestre par an, ce qui réduirait d'environ 35 milliards de francs le besoin de financement en 2020 ; mais également, et simultanément, la prise en compte de la pénibilité de certaines fonctions, l'adaptation de la base salariale - j'y ai fait allusion - prise en compte pour le calcul des retraites, la diversification des modes de passage de l'activité à la retraite, ou la possibilité pour les fonctionnaires n'ayant pas une durée suffisante d'activité de racheter des annuités.
Nous devons traiter également un autre sujet - M. Domeizel l'a abordé à la fin de son intervention - celui des différences de traitement qui peuvent exister aujourd'hui entre les hommes et les femmes dans les dispositions du code des pensions.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement souhaite, dans ce domaine difficile et délicat, qui nécessitera à la fois un grand sens du dialogue et aussi le sens de la décision, agir et avancer.
C'est pourquoi, me semble-t-il, le procès en immobilisme que l'on voit parfois dresser par-ci par-là, et auquel, monsieur Fourcade, vous n'avez pas échappé, même si vous avez souhaité le mener avec pondération à l'égard du Gouvernement, est aujourd'hui malvenu.
Peut-être - mais quand je dis « peut-être » j'exprime en fait une certitude - n'avons-nous pas le même sens de la réforme. Nous voulons la réforme. Mais, pour nous, une réforme ne se juge pas uniquement à la capacité de faire mal, de heurter, de blesser et, au bout du compte, de mettre beaucoup de monde dans la rue, aboutissant ainsi à bloquer toute évolution. Pour nous, la réforme, c'est le fruit du dialogue, de la discussion, de la concertation, de la volonté, par l'écoute des autres - une écoute qui doit être réciproque - c'est de faire jouer avant toute chose l'intelligence des Français, l'intelligence de ceux qui sont directement concernés et qui souhaitent assurer la sécurité et l'avenir de leurs mécanismes de retraite.
C'est par l'appel à cette intelligence que nous voulons avancer, sans pour autant nous exonérer de ce que nous devrons faire. C'est cela qui caractérise un gouvernement et une majorité décidés. Nous agissons, nous avançons, et nous le faisons à notre manière, qui privilégie le dialogue et la concertatoin, et non pas la confrontation. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...

En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

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DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. Michel Pelchat une proposition de loi relative à l'attribution de la nationalité française aux ressortissants des ex-territoires d'outre-mer ayant combattu dans une unité de l'armée française.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 336, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

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DÉPÔT D'UN RAPPORT

M. le président. J'ai reçu de Mme Anne Heinis un rapport fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la chasse (n° 298, 1999-2000).
Le rapport sera imprimé sous le n° 335 et distribué.

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ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 16 mai 2000 :
A neuf heures trente :
1. Questions orales suivantes :
I. - M. Rémi Herment attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la défense, chargé des anciens combattants, au sujet du stationnement réservé aux invalides de guerre. Le code des pensions militaires d'invalidité dispose en son article L. 322 le droit de stationnement sur l'emplacement réservé aux invalides, intitulé ainsi : « Droit de priorité. » Il ressort que le droit de stationnement concerne les titulaires de la carte d'invalidité, quel qu'en soit le taux, par la mention « station debout pénible », et non seulement pour les détenteurs de carte Grand invalide de guerre - GIG - ou Grand invalide civil - GIC -. Or, malgré cette disposition, il arrive que les invalides de guerre reconnus au taux de 80 %, pour blessures et maladies tropicales, par exemple, malgré l'apposition sur leur carte de la mention « station debout pénible », soient invités par les agents de la force publique à ne pas stationner leur véhicule précisément sur les endroits réservés. Il serait souhaitable que les intéressés puissent posséder une vignette à apposer sur la vitre arrière de leur véhicule, vignette qui serait délivrée sous contrôle des offices départementaux des anciens combattants, disposition qui éviterait, sans doute, les désagréments soulignés. L'intitulé de cette vignette pourrait être : I.G. _ station debout pénible _ article L. 322, suivi du numéro de la carte des ayants droit. Il lui demande donc de bien vouloir lui indiquer ce qu'il est possible de réaliser à cet égard et selon quel calendrier. (N° 785.)
II. - M. Gérard Delfau attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur le profond malaise qu'éprouve le corps des inspecteurs du travail devant l'évolution des conditions d'exercice de leur métier et face au projet de changement de statut prévu par la réforme des services déconcentrés du travail et de l'emploi. S'agissant de leur profession, ils constatent une pression toujours plus grande sur les salariés des entreprises. S'y opposer et faire appliquer les règles du code du travail devient pour eux une mission très difficile. Eux qui exercent une véritable magistrature sociale se voient même, parfois, traînés en justice par un patronat qui n'accepte pas de frein à sa recherche du rendement et de la productivité. Au moment où revient la croissance, ne serait-il pas opportun pour le Gouvernement de rappeler que l'efficacité économique doit se conjuguer avec le respect du personnel ? Quant à la refonte de la grille d'avancement des agents des directions départementales du travail, ne doit-elle pas tenir compte des responsabilités particulières de ce corps placé au coeur des conflits sociaux ? Ils n'ont pas le sentiment que leur fonction spécifique soit reconnue dans la nouvelle organisation. C'est pourquoi il souhaite connaître comment le ministère du travail entend répondre à cette double inquiétude. (N° 778.)
III. - M. Denis Badré appelle l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur les risques pour la santé des populations liés à l'exposition du public aux champs électromagnétiques diffusés par les antennes-relais utilisées pour les téléphones cellulaires.
Il rappelle à cet égard que, jusqu'à quatre mètres, les dispositions générales de l'urbanisme ne peuvent être opposées à une installation.
Le problème est bien réel puisque, par recommandation du 12 juillet 1999, la Commission européenne a pris parti dans le sens d'une limitation de l'exposition du public aux champs électromagnétiques.
Lors de la discussion de cette recommandation devant le Parlement européen, le rapporteur a d'ailleurs proposé plusieurs amendements portant sur les effets potentiellement nocifs des rayonnements, les conditions de mise en oeuvre du principe de précaution, ou la fixation de distances minimales de sécurité.
A l'heure actuelle, la généralisation très rapide du téléphone cellulaire entraîne l'installation de nombreuses antennes-relais à proximité des habitations alors que, par lettre du 2 février 1999, le directeur général de la santé écrivait au directeur de l'habitat et de la construction que « ... si aucune pathologie objective n'a pu être mise en évidence à la suite de l'exposition au long cours du public à ces installations, il ne peut être établi qu'il n'existe aucun risque, compte tenu du développement récent de telles technologies et du manque de recul ».
Il lui demande si elle entend prendre des dispositions concernant le regroupement des antennes-relais des différents opérateurs sur un seul site. Proposer de fixer une distance minimum entre les antennes-relais et les habitations ? Mettre en oeuvre le principe de précaution à travers des valeurs limites d'exposition du public ? (N° 781.)
IV. - M. Georges Mouly appelle l'attention de Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés sur le fait que le projet de loi relatif à la réforme des institutions sociales doit être présenté cette année au Parlement, que ce projet de loi est attendu impatiemment par les partenaires et que le Gouvernement vient de présenter le plan pluriannuel « d'accès en milieu de vie ordinaire des personnes handicapées ». Il souligne la nécessité de permettre aux centres d'aide par le travail, CAT, d'assurer dans les meilleures conditions possibles, non seulement les missions qui leur sont traditionnellement confiées par la loi, mais également d'atteindre les nouveaux objectifs fixés par simple circulaire budgétaire relative à un objectif de placement en milieu ordinaire. Il lui demande dans quelle mesure il lui est possible d'entendre les propositions émanant de la profession relatives à la production sociale, la pluralité des formes d'insertion professionnelle et sociale, la qualité des prestations, et d'envisager toutes mesures tendant à favoriser l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés. (N° 787.)
V. - M. Léon Fatous souhaiterait connaître les intentions de Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés en matière d'équipements techniques hospitaliers.
Il aimerait, en effet, savoir si le centre hospitalier d'Arras sera doté d'un système d'imagerie par résonance magnétique, IRM, fixe dans les prochains mois. (N° 788.)
VI. - M. Patrice Gélard attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale sur la décision de l'inspecteur d'académie de Seine-Maritime de rattacher les écoles du canton de Goderville, qui, jusqu'alors, dépendaient de l'inspection académique de Fécamp, à l'inspection académique d'Yvetot.
Cette mesure tend à accroître les difficultés rencontrées par les enseignants en augmentant la distance entre les écoles et l'inspection académique dont ils dépendent. En effet, ces communes sont toutes plus proches de la ville de Fécamp que de celle d'Yvetot, distante de plus de quarante kilomètres. Alors que la plupart des services de l'Etat ainsi que les collèges et les lycées dont dépendent ces communes sont situés à Fécamp, les écoles maternelles et primaires dépendront d'Yvetot. Cette décision, qui ne peut être justifiée ni par un souci de rationalisation ni de plus grande efficacité, est contraire au principe de proximité du service public.
Il souhaiterait donc connaître les mesures qu'entend adopter le Gouvernement pour remédier à cette décision peu empreinte de bon sens. (N° 777.)
VII. - M. Fernand Demilly appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale sur les SEGPA, les sections d'enseignement général et professionnel adapté, des collèges qui se substituent aux SES, sections d'enseignement spécialisé.
Dans le cadre de la mise en place des SEGPA, le département de la Somme doit entreprendre une importante modification des structures existantes, mais des fermetures et des suppressions de postes et de spécialités ont été annoncées début février, puis gelées provisoirement.
Or, ces mesures ont des conséquences importantes pour les collectivités concernées : sur les transports scolaires, sur la programmation en cours des travaux dans les collèges, sur les travaux réalisés, laissant à penser qu'ils deviennent inutiles, sur la participation des communes, antérieure à cette année, calculée sur les effectifs scolarisés lors des travaux, alors que les élèves ne fréquenteront plus l'établissement.
En conséquence, il lui demande quelles mesures il entend prendre pour éviter de tels errements. (N° 782.)
VIII. - M. Lucien Lanier appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale sur la situation du collège Elsa-Triolet, à Champigny-sur-Marne, qui est depuis 1981 classé « collège sensible » en « zone d'éducation prioritaire », et plus récemment en « zone catégorie 4 violence ».
Or, la rentrée 2000 s'est traduite pour cet établissement par une baisse importante des moyens mis à sa disposition.
Cet exemple ponctuel illustre le cas des collèges en situation similaire.
Ne méritent-ils pas un traitement raisonnable et adapté susceptible d'améliorer les conditions de leur enseignement ? (N° 798.)
IX. - M. Simon Sutour attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur le souhait des élus et de la population que soit réalisée au plus vite la deuxième tranche de travaux sur la deux fois deux voies Nîmes-Alès.
Un premier tronçon Alès-Boucoiran, financé dans le cadre du XIe contrat de plan, a été achevé et mis en service en juin 1998.
Les statistiques sur la sécurité démontrent, au-delà de la volonté affichée de désenclaver le bassin alésien, la pertinence d'un tel investissement. Les accidents sur le tronçon Alès-Boucoiran sont sensiblement moins nombreux que par le passé.
La liaison Boucoiran-Nîmes nécessite donc d'être finalisée au plus vite, et plus particulièrement le tracé Boucoiran-La Calmette, où les accidents sont fréquents.
A cet effet, il paraît judicieux, comme l'attendent les élus locaux et les usagers de cet axe, de mettre rapidement en sécurité les deux principaux carrefours de ce tracé.
Le premier, qui, semble-t-il, est déjà programmé, est l'échangeur nord de La Calmette, qui assurera notamment les dessertes des communes de La Calmette et La Rouvière à l'intersection de la RD 114 et de la RN 106.
Le second, qui constitue le principal accès à la commune de La Calmette par la RD 22, est en cours d'étude ; son financement dans le cadre du XIIe contrat de plan n'est, à ce jour, pas acquis.
Il lui demande de le rassurer quant aux intentions de l'Etat d'intégrer l'aménagement du carrefour de la RD 22 et de la RN 106 dans le tracé Boucoiran-La Calmette, et, enfin, de lui préciser l'échéancier retenu pour les travaux précités, dont l'urgence, motivée par des raisons de sécurité, n'est plus à démontrer. (N° 793.)
X. - M. Ivan Renar attire l'attention de Mme le ministre de la culture et de la communication sur le statut des professeurs d'enseignement artistique dans les écoles d'art. La multiplicité des structures d'enseignement artistique, l'absence de statut conforme aux qualifications de ces personnels, sont responsables d'une grande précarité qui n'est pas de nature à assurer la pérennité de l'enseignement artistique, pourtant de qualité, dans notre pays. Aussi il souhaiterait connaître l'avancement de cette question au sein du ministère de la culture. (N° 792.)
XI. - M. Gérard César attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les mesures fiscales annoncées par le Premier ministre, dans le cadre du « plan tempêtes », en faveur des sylviculteurs sinistrés. En effet, ceux-ci pourront bénéficier de la déduction des charges exceptionnelles dues à la tempête de leurs revenus professionnels. Or, l'interprétation actuellement retenue par Bercy enlève toute pertinence à cette mesure puisque la déduction ne serait permise que pour une seule année et que sur les seuls bénéfices agricoles. Mais cette lecture restrictive aboutit au résultat inverse à celui qui est envisagé car plus un sylviculteur est sinistré, plus il a de pertes et moins il peut déduire de charges.
Aussi il lui demande de bien vouloir lui indiquer si les promesses faites par le Gouvernement seront ou non appliquées. (N° 779.)
XII. - M. Dominique Leclerc souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur l'exclusion des titulaires des bénéfices non commerciaux employant moins de cinq salariés du bénéfice de la baisse de la taxe professionnelle votée dans la loi de finances pour 1999. Cette situation lui paraissant particulièrement inéquitable, il lui demande de bien vouloir lui faire savoir s'il envisage de donner satisfaction à la requête des professions libérales qui vise à obtenir l'abrogation de ce dispositif pénalisant. (N° 784.)
XIII. - M. Jean-Pierre Demerliat souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les conséquences de l'extension de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, aux consommations intermédiaires d'énergie des entreprises.
La création de la TGAP à l'occasion de la loi de finances pour 1999, ainsi que la définition du volet économique d'une véritable politique de lutte contre les pollutions, est en effet un progrès car elle permet non seulement de dissuader les agents d'adopter des comportements jugés à risques pour l'environnement, mais aussi de dégager des ressources budgétaires pour diminuer les prélèvements sur le travail. Toutefois, une extension de cette taxe aux consommations d'énergie pourrait être très préjudiciable à la compétitivité des entreprises de certains secteurs, de l'industrie lourde notamment - papeterie, chimie, etc. -, grosses consommatrices d'énergie.
C'est pourquoi il lui demande de lui indiquer à quel stade en sont aujourd'hui les négociations sur l'extension de la taxe. Il aimerait notamment savoir si l'application d'une écotaxe ne serait pas plus pertinente au niveau de l'Union européenne afin d'éviter des distorsions de concurrence et dans quelle mesure elle devrait prendre en compte la spécificité de certains secteurs de l'industrie en prévoyant des mécanismes d'exemption. (N° 786.)
XIV. - M. Daniel Goulet appelle l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur le problème spécifique rencontré par les entreprises artisanales du bâtiment dans le cadre de l'application de la taxe sur la valeur ajoutée à taux réduit aux travaux dans les logements de plus de deux ans.
En effet, bien que ces professionnels reconnaissent bien volontiers que ce dispositif suscite une certaine relance de l'activité, ils ne sont pas tout à fait satisfaits des modalités de remboursement actuelles.
Comme on pouvait s'y attendre, ce dispositif génère un crédit de TVA, parfois très important, pour ces entreprises artisanales du bâtiment.
Pourtant les artisans relevant du régime du réel normal peuvent au mieux envisager un remboursement trimestriel, alors que ceux qui relèvent du régime du réel simplifié ne pourront obtenir la restitution du crédit de TVA ne résultant pas d'immobilisation qu'après le dépôt de leur déclaration annuelle.
Parce que beaucoup de ces entreprises artisanales du bâtiment ne disposent pas de trésorerie suffisante pour faire face à cette avance, elles se trouvent alors lourdement pénalisées dans leur volonté d'embaucher.
Au moment où s'engagent de nombreux débats sur les recettes fiscales du pays, les artisans du bâtiment s'interrogent... Quand les entreprises artisanales du bâtiment seront-elles autorisées à obtenir le remboursement mensuel de ce crédit de TVA ?
En conséquence, il lui demande de bien vouloir lui faire connaître quelles mesures de remboursement appropriées il envisage de prendre pour remédier à ce problème qui freine les embauches dans le secteur du bâtiment. (N° 791.)
XV. - M. Gérard Cornu attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les conséquences des rassemblements de « raveurs » qui se multiplient dans le département d'Eure-et-Loir, perpétrant des actes de dégradation irréparables. Depuis le début de l'année, quatre manifestations de ce type ont eu lieu dans le département. Dans la nuit du samedi 25 au dimanche 26 mars, 2000 « raveurs » ont investi les bâtiments du Séminaire des barbelés du Coudray et dévasté le musée dédié à la mémoire de l'abbé Franz Stock. Des documents historiques inestimables ont été volés ou saccagés. Les forces de l'ordre n'ont pu intervenir faute de moyens humains. Il lui demande quelles mesures le Gouvernement envisage de prendre pour prévenir ce type d'infractions et empêcher que ces rassemblements « clandestins » ne viennent porter atteinte à la sécurité des biens et des personnes. (N° 783.)
XVI. - M. Xavier Darcos souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les problèmes de la délinquance et de l'insécurité constante qui sévissent à Périgueux, ville dont il est le maire.
Il rappelle que la sécurité des biens et des personnes constitue une garantie constitutionnelle fondamentale visée aux articles 12, 13 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme reprise dans le préambule de la Constitution.
La ville de Périgueux a signé avec l'Etat un contrat local de sécurité dont les effets ne présentent aucun résultat significatif.
Le sentiment d'insécurité est donc profond dans la population et les interventions qu'il a pu faire, en sa qualité de maire, auprès du préfet, du procureur de la République ou du commissaire principal de police de Périgueux ne se sont traduites par aucune amélioration de la sécurité.
Il est donc urgent d'augmenter les effectifs de police à Périgueux et il lui demande de lui faire connaître les mesures qu'il envisage de prendre afin de garantir la protection des administrés de cette ville. (N° 767.)
XVII. - M. Roland Courteau expose à M. le ministre de l'intérieur que la sécurité est un droit fondamental, un droit pour tous, qui doit être garanti, dans les mêmes conditions, quelle que soit la commune ou quel que soit le quartier.
Il se réjouit que le Gouvernement, qui a fait de la sécurité quotidienne la priorité de son action, après l'emploi, ait décidé, pour répondre aux demandes exprimées et faire reculer la délinquance et les incivilités, d'orienter la lutte contre l'insécurité, au plus près du terrain. La réforme engagée, qui se traduit par le développement de la police de proximité, va dans ce sens. L'expérimentation a démontré que c'est, en effet, la meilleure façon de répondre aux besoins des habitants qui attendent de la police qu'elle soit à l'écoute de leurs problèmes, plus visible, et donc plus présente, mieux reconnue et plus efficace.
Par ailleurs, l'objectif d'une police qui ne doit pas seulement réagir, mais anticiper, selon le souhait du Gouvernement, mérite aussi d'être souligné. Pour cela, les contrats locaux de sécurité lancés par le Gouvernement en octobre 1997 constituent un excellent outil de par le partenariat qu'ils impliquent et leur adaptabilité aux situations spécifiques locales. C'est donc vers une profonde transformation de la police nationale que l'on s'oriente, qui va nécessiter formation et moyens supplémentaires.
Plus précisément et concernant la ville de Narbonne dans l'Aude, il lui indique qu'une première série de mesures a été mise en oeuvre, notamment dans les quartiers ouest, répondant aux objectifs du Gouvernement pour le développement d'une police plus proche des habitants.
C'est pourquoi il lui demande, dans ce cadre, de quels moyens en général, et notamment en effectifs, le commissariat de Narbonne pourra disposer, afin d'assurer une présence de la police plus soutenue, y compris nocturne, sur la voie publique.
Par ailleurs, la réforme engagée devant faire l'objet d'une généralisation en trois phases, pour couvrir tout le territoire national en 2002, il lui demande s'il entend agir pour que la situation de Narbonne et de ses quartiers sensibles soit prise en compte dans le cadre de la mise en place de la première phase prévue, d'avril à décembre 2000. (N° 799.)
A seize heures et la nuit :
2. Election d'un juge titulaire à la Haute Cour de justice, en remplacement de M. Michel Duffour.
Le scrutin se déroulera dans la salle des conférences. En application de l'article 2 de l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice, l'élection d'un juge à la Haute Cour de justice est acquise à la majorité absolue des suffrages exprimés.
3. Suite de la discussion du projet de loi (n° 279, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la solidarité et au renouvellement urbains. - Rapport (n° 304, 1999-2000) de M. Louis Althapé, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan. - Avis (n° 307, 1999-2000) de M. Pierre Jarlier, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. - Avis (n° 306, 1999-2000) de M. Jacques Bimbenet, fait au nom de la commission des affaires sociales.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la chasse (n° 298, 1999-2000) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 16 mai 2000, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 16 mai 2000, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

M. Philippe Nogrix a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 317 (1999-2000) de MM. Alain Lambert et Philippe Marini portant création du revenu minimum d'activité.
M. Claude Huriet a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 318 (1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à la création d'une Agence française de sécurité sanitaire environnementale.

COMMISSION DES FINANCES

M. Philippe Marini a été nommé rapporteur du projet de loi n° 321 (1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif aux nouvelles régulations économiques.
M. Denis Badré a été nommé rapporteur du projet de loi n° 330 (1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, portant habilitation du Gouvernement à adopter par ordonnance la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs.
M. Denis Badré a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 313 (1999-2000) de M. Hubert Haenel et plusieurs de ses collègues sénateurs visant à exonérer de TVA les équipements et matériels de lutte contre l'incendie.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Convention de l'OIT traitant des droits de la maternité

815. - 11 mai 2000. - M. Daniel Hoeffel interroge Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur la convention 103 de l'Organisation internationale du travail (OIT) traitant des droits de la maternité. La législation française prévoit seize semaines de congés de maternité et l'interdiction absolue de licenciement des femmes enceintes et en congé maternité. Au nom de l'harmonisation européenne, il semble qu'il soit envisagé de modifier cette législation dans les prochains mois. Cette modification irait dans le sens de l'assouplissement prévu dans la convention 103 de l'OIT et, si elle devait aboutir, elle ferait passer les congés maternité de seize à quatorze semaines. De même, le projet de modification semble revenir sur l'interdiction totale de licenciement en période de congé maternité, en autorisant le licenciement pour des motifs sans lien avec la grossesse. Or, selon les principes fondamentaux et juridiques de l'OIT, une convention de ladite organisation n'est révisée que lorsque les modifications apportées portent à un degré supérieur le contenu de la convention concernée et le niveau de protection des travailleurs. Il lui demande de lui préciser les modifications de la convention 103 de l'OIT qui sont envisagées, ainsi que les raisons qui pourraient justifier de telles modifications.

Application de la TVA à la restauration collective

816. - 11 mai 2000. - M. Christian Demuynck attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les conséquences de l'application d'un taux de TVA sur la restauration collective. Dans une décision récente, le Conseil d'Etat a demandé au ministère de l'économie et des finances d'abroger, dans un délai de six mois, deux décisions ministérielles de 1942 et 1943. Celles-ci exonéraient les cantines d'entreprises et d'administrations de toute taxe sur le chiffre d'affaires, les instructions successives de la direction générale des impôts étendant le bénéfice de ces dispositions à la restauration hospitalière et municipale. Selon une estimation du Syndicat national de la restauration collective, l'application prochaine d'un taux de TVA de 19,6 % induira un surcoût, pour les repas, de l'ordre de 15 à 30 %. A l'évidence, tous les usagers - enfants, salariés, personnes hospitalisées ou en maison de retraite - subiront un préjudice d'autant plus intolérable qu'il contrevient au caractère social de cette restauration. En outre, les communes, concernées en premier lieu, soucieuses de soulager les familles d'une part non négligeable du financement de cette restauration, ne peuvent assumer seules cette nouvelle charge. Pour certaines, fragilisées par un endettement excessif ou en passe de l'être en raison de l'application, hélas prochaine, du texte relatif à la solidarité et au renouvellement urbains, cela posera de graves difficultés. Il lui demande si, dans le cadre du collectif budgétaire, le Gouvernement a prévu une dotation complémentaire en vue d'amortir les effets financièrement désastreux de l'abrogation des décisions de 1942 et 1943 ?

Mise à disposition des crédits prévus par le rapport Mingasson

817. - 11 mai 2000. - M. Rémi Herment, rappelant les efforts importants réalisés depuis de longues années par le conseil général de la Meuse, les collectivités locales et les associations patriotiques dans le domaine de l'entretien du patrimoine militaire et la transmission de la mémoire, interroge M. le secrétaire d'Etat à la défense, chargé des anciens combattants, sur les suites données, en termes de moyens matériels, au rapport Mingasson, lequel annonçait une mise à disposition de 60 millions de francs pour la durée du Plan, traduisant ainsi la volonté de l'Etat d'accompagner ceux qui, sur le terrain, continuent à s'investir à ce niveau et s'interrogent, à juste titre, sur les délais et sur les modalités d'attribution de ces crédits. Il lui demande de bien vouloir lui en faire connaître le calendrier d'application en l'éclairant sur les différents points évoqués.