Séance du 6 décembre 1999






SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Loi de finances pour 2000. - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 1 ).

Emploi et solidarité

I. - EMPLOI (p. 2 )

MM. Joseph Ostermann, rapporteur spécial de la commission des finances ; Louis Souvet, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour le travail et l'emploi ; Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la formation professionnelle ; Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jean-Claude Carle, Dominique Leclerc, Guy Fischer, Georges Mouly, Serge Lagauche, Dominique Larifla.
Mmes Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité ; Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Rejets des crédits.

Article 70 (p. 3 )

Amendements identiques n°s II-10 de la commission des finances et II-2 de la commission des affaires sociales ; amendement n° II-14 de la commission des affaires sociales. - M. le rapporteur spécial, Mmes Annick Bocandé, rapporteur pour avis ; le secrétaire d'Etat. - Retrait des amendements n°s II-10 et II-2 ; adoption de l'amendement n° II-14.
Adoption de l'article modifié.

II. - SANTÉ ET SOLIDARITÉ (p. 4 )

MM. Jacques Oudin, rapporteur spécial de la commission des finances ; Jean Chérioux, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la solidarité ; Louis Boyer, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la santé.

Suspension et reprise de la séance (p. 5 )

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN

M. Claude Huriet, Mme Anne Heinis, M. Lucien Neuwirth, Mme Nicole Borvo, MM. Bernard Cazeau, Jean-Pierre Cantegrit, Dominique Leclerc, Daniel Goulet.
Mmes Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle ; Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale ; MM. Claude Huriet, Jean Chérioux, rapporteur pour avis.

Crédits du titre III (p. 6 )

M. le rapporteur spécial, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat.
Rejet des crédits.

Crédits des titres IV à VI. - Rejet (p. 7 )

Article 70 bis (p. 8 )

M. le rapporteur spécial, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat.
Adoption de l'article.

Education nationale, recherche et technologie

II. - ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (p. 9 )

MM. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial de la commission des finances ; Jacques Valade, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles ; Lucien Neuwirth, Ivan Renar, Georges Othily.

Suspension et reprise de la séance (p. 10 )

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE

MM. Serge Lagauche, André Maman.
MM. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie ; le rapporteur pour avis.

Crédits du titre III. - Rejet (p. 11 )

Crédits du titre IV (p. 12 )

MM. Jacques Valade, le ministre.
Rejet des crédits.

Crédits des titres V et VI (p. 13 )

III. - RECHERCHE ET TECHNOLOGIE (p. 14 )

MM. René Trégouët, rapporteur spécial de la commission des finances ; Pierre Laffitte, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles ; Jean-Marie Rausch, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques ; Lucien Lanier, Ivan Renar, Georges Othily, Serge Lagauche, Albert Vecten.

Suspension et reprise de la séance (p. 15 )

MM. Henri Revol, Pierre Laffitte, Mme Anne Heinis, M. le rapporteur spécial.
MM. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie ; Pierre Laffitte.

Crédits du titre III (p. 16 )

M. André Maman.
Rejet des crédits.

Crédits des titres IV à VI. - Rejet (p. 17 )

3. Dépôt d'une proposition de loi (p. 18 ).

4. Textes soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution (p. 19 ).

5. Ordre du jour (p. 20 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

LOI DE FINANCES POUR 2000

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2000 (n° 88, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale. [Rapport n° 89 (1999-2000).]

Emploi et solidarité

I. - EMPLOI

M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'emploi et la solidarité : I. - Emploi.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à périmètre constant, les crédits inscrits au projet de budget de l'emploi progressent de 2,3 % par rapport à 1999, la croissance moyenne des dépenses de l'Etat étant limitée à 0,9 %.
Je souhaiterais, dès à présent, attirer votre attention sur un point essentiel de ce projet de budget, qui concerne une modification importante de la nomenclature budgétaire.
En effet, les crédits du ministère de l'emploi s'élèvent, dans le projet de loi de finances pour 2000, à 122,06 milliards de francs, alors qu'ils s'établissaient à 162,06 milliards de francs en 1999.
Cette diminution apparente de près de 25 % des crédits résulte du fait que le financement de la « ristourne dégressive » sur les bas salaires n'est plus inscrit au budget de l'emploi dans le projet de loi de finances pour 2000.
Les dépenses engagées à ce titre, soit 39,49 milliards de francs, seront prises en charge, dans le dispositif mis en place par le Gouvernement, par le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, dont la création est prévue par l'article 2 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Une part du produit du droit de consommation sur les tabacs manufacturés devrait alors être affectée à ce nouveau fonds, pour assurer, à même hauteur, le financement de la « ristourne dégressive ».
La nomenclature budgétaire subit ainsi une seconde modification très importante en deux ans, car les crédits finançant cette ristourne étaient inscrits, avant 1999, au budget des charges communes, pour un montant de 43 milliards de francs.
La Cour des comptes avait recommandé cette modification technique dont les effets sont pourtant éminemment politiques. En effet, la prise en compte de ces 40 milliards de francs permettait, selon la Cour des comptes, de disposer d'une vue d'ensemble de l'effort budgétaire consenti en faveur de l'emploi. La Cour des comptes était auparavant contrainte de construire un « budget consolidé de l'emploi » comprenant les crédits de l'emploi proprement dits et ceux du chapitre 44-75 du budget des charges communes. Le financement des allégements de charges sociales par un fonds distinct du budget de l'emploi devrait susciter les mêmes critiques de la part de la Cour des comptes.
Toutefois, je m'interroge sur la sincérité de l'évaluation des crédits de la « ristourne dégressive ».
En effet, en 1998, les crédits destinés au financement de cette disposition fondamentale de la politique de l'emploi, dont les effets ont pu être mesurés en termes de création de vrais emplois, c'est-à-dire d'emplois marchands, avaient été arbitrairement réduits par le Gouvernement, afin de constituer une provision de 3 milliards de francs destinée au financement des 35 heures. Cette ponction avait alors amoindri les crédits affectés au financement de la « ristourne dégressive », rendant, de ce fait, indispensable leur abondement par la loi de finances rectificative pour 1998 à hauteur de 3 milliards de francs.
En 1999, ces crédits avaient progressé, pour atteindre 42,725 milliards de francs, mais ils diminuent de nouveau en 2000, les crédits transférés au fonds de financement des 35 heures s'élevant non pas à 42,725 milliards de francs, mais, comme je l'ai dit, à 39,49 milliards de francs. Cette réduction de crédits de 3,235 milliards de francs n'est pas motivée, à l'exception d'un vague « ajustement aux besoins ». Soit ces crédits ont été « surcalibrés » en 1999, soit ils seront insufffisants en 2000 !
Je souhaiterais maintenant, mes chers collègues, vous faire part des quatre principales observations que m'inspirent les dotations allouées à l'amploi pour 2000.
Première observation : de nombreux dysfonctionnements ont marqué l'exécution du budget de l'emploi.
La Cour des comptes a en effet présenté, dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour 1998, sa première monographie consacrée au budget de l'emploi.
Après avoir rappelé que le budget de l'emploi est désormais le deuxième budget civil de l'Etat après celui de l'enseignement scolaire, ses dotations ayant progressé de plus de 36 % depuis 1994, elle considère que ce budget est soumis à une inertie qui en rend la réorientation difficile.
Elle se montre également sévère s'agissant de l'effort de maîtrise des dotations budgétaires, qu'elle qualifie d'« insuffisant ».
Par ailleurs, son analyse conforte celle que j'avais développée l'année dernière, lorsque j'avais souligné que le financement des priorités gouvernementales était assuré par la réalisation d'économies significatives, baptisées, pour la circonstance, « recentrages ».
Enfin, l'une des conclusions de son rapport insiste sur le fait que « le budget de l'Etat ne retrace qu'une partie des financements publics de la politique de l'emploi et de la formation professionnelle ». Je considère, dès lors, que le projet de budget pour 2000 opère des choix très contestables. C'est le cas, par exemple, de la création de 130 emplois, motivée, d'après le Gouvernement lui-même, par la mise en place de la réduction autoritaire du temps de travail. Non seulement les effectifs budgétaires du ministère continuent de croître, mais la Cour des comptes a également rappelé que la gestion des emplois par le ministère était loin d'être optimale.
En effet, dans un courrier en date du 28 juillet 1998 qui vous était adressé, madame la ministre, le premier président de la Cour des comptes, M. Pierre Joxe, écrivait que « la Cour a relevé que les effectifs dont disposait le ministère étaient éloignés des prévisions et autorisations de la loi de finances initiale. La description des effectifs qui figure en loi de finances initiale ne correspond pas à la réalité ». Il concluait qu' « une amélioration de la gestion prévisionnelle des effectifs est indispensable ».
Dans ces conditions, la création de ces nouveaux emplois me paraît inopportune.
Deuxième observation : le coût du dispositif des emplois-jeunes va croissant.
Les emplois-jeunes constituent l'une des deux priorités du Gouvernement en matière d'emploi, avec la réduction du temps de travail. Or cette priorité est extrêmement onéreuse, et son coût croît régulièrement chaque année.
Ainsi, 21,34 milliards de francs sont inscrits au budget de l'emploi pour 2000 au titre du financement des emplois-jeunes, soit une augmentation de 53,3 % par rapport à 1999.
Je vous rappelle que, à terme, le nombre des emplois-jeunes devrait s'élever à 350 000, soit un coût, en année pleine, de 33,25 milliards de francs. Pourtant, le Gouvernement a fixé à 300 000 le nombre total d'emplois-jeunes en 2000. Pouvez-vous, madame la ministre, nous donner les raisons de cette révision à la baisse de l'une des « mesures phares » du Gouvernement en matière d'emploi ?
En outre, le budget de l'emploi ne regroupe pas l'ensemble des crédits destinés au financement de cedispositif.
En effet, l'éducation nationale a recruté des aides-éducateurs, le ministère de l'intérieur des adjoints de sécurité, et l'outre-mer bénéficie de 11 000 emplois-jeunes. Le coût total des emplois-jeunes en 2000 s'élèvera donc à près de 24 milliards de francs.
Enfin, je vous rappelle que l'avenir de ces jeunes est pour le moins incertain, et qu'il est à craindre qu'un nombre important d'entre eux ne vienne accroître les effectifs des fonctionnaires et, par conséquent, les dépenses du budget général.
La Commission européenne, dans son rapport sur l'emploi, s'est d'ailleurs montrée extrêmement critique sur ce dispositif que le Gouvernement a présenté, au même titre que la réduction autoritaire du temps de travail, comme une « bonne pratique » qu'il s'agit de diffuser. Elle estime ainsi que les emplois-jeunes « ont contribué au recul du chômage des jeunes en 1998 », c'est incontestable, mais que « la survie de ces postes, une fois qu'aura pris fin le soutien financier des pouvoirs publics, dépendra de la capacité du programme à générer des emplois économiquement viables ».
Troisième observation : le financement des 35 heures n'est pas assuré.
Mon rapport comporte des développements assez précis sur ce point. Je me contenterai ici de rappeler les principaux éléments de ce dossier complexe.
Seuls 4,3 milliards de francs sont inscrits au projet de budget de l'emploi pour 2000 au titre du passage aux 35 heures, alors que son coût est estimé à 25 milliards de francs environ pour l'année prochaine.
Le financement des 35 heures est, en effet, une véritable « usine à gaz ». Ses modalités reposent en grande partie sur les dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 et sur un raisonnement postulant le succès du passage aux 35 heures, le dispositif s'autofinançant en partie.
Or le financement du dispositif n'est pas totalement assuré.
Tout d'abord, celui-ci conduit à créer deux nouveaux prélèvements : une contribution sociale sur les entreprises et une « écotaxe ». La fiscalité pesant sur les entreprises restera donc lourde.
Ensuite, il prévoyait de mettre à contribution les organismes de protection sociale, les caisses de sécurité sociale et l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, l'UNEDIC. Or les partenaires sociaux étaient opposés à cette solution. Le Gouvernement, reconnaissant implicitement son erreur, a fini par reculer lors de l'examen du texte à l'Assembléenationale.
L'argument du Gouvernement repose sur des « voeux pieux », c'est-à-dire sur l'hypothèse que les 35 heures seront à l'origine de nombreuses créations d'emplois. Cela permettrait de « recycler » les économies de la sécurité sociale, constituées par les moindres dépenses et par les suppléments de recettes résultant, pour les régimes sociaux, des 35 heures.
On se rend compte que ce « recyclage », parfois aussi appelé « autofinancement », est particulièrement hasardeux. En effet, si les 35 heures ne créent pas d'emplois ou très peu, comme le montre le rapport de notre collègue Joël Bourdin, rédigé au nom de la délégation du Sénat pour la planification, il n'y aura pas d'économies à « recycler », et il faudra trouver le financement ailleurs... C'est finalement ce qui s'est produit, dès avant l'adoption de la loi sur les 35 heures ! De « recyclage » et d'auto-financement, il n'en est plus question.
Le produit de la taxation des heures supplémentaires, ainsi que celui des droits sur les alcools, aujourd'hui affectés au fonds de solidarité vieillesse et à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS, viendront abonder le fonds de financement. Le Gouvernement a renoncé à imposer une contribution à l'UNEDIC et au régime général de sécurité sociale et a préféré priver ce dernier d'une partie de ses ressources...
J'estime que le Sénat ne saurait cautionner un tel « bricolage » qui est, par d'ailleurs, lourd de menaces pour les finances publiques.
Quatrième observation : les gisements d'économies existent dans le budget de l'emploi.
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1998, devant la volonté du Sénat de réaliser des économies budgétaires sur les crédits de l'emploi, vous nous opposiez, madame la ministre, la réponse suivante : « Doit-on faire de même pour l'insertion des publics en difficulté ? » Vous alliez jusqu'à ajouter : « Je ne comprends pas très bien où vous souhaitez réduire les crédits du titre IV. » Merci, madame la ministre, de nous avoir vous-même apporté la réponse !
L'arrêté d'annulation du 2 septembre dernier a, en effet, annulé 3,05 milliards de francs de crédits au titre de l'emploi et de la solidarité, dont 750 millions de francs au détriment du financement de la formation professionnelle, 1,2 milliard de francs au titre des dispositifs d'insertion des publics en difficulté - alors que cet axe est présenté comme l'une des priorités du ministère de l'emploi - et 1,1 milliard de francs sur les crédits destinés à compenser l'exonération des cotisations sociales.
Par ailleurs, les annulations de crédits associées au collectif pour 1999 prévoient d'amputer les crédits de l'emploi de 4,39 milliards de francs, dont 1 milliard de francs au titre des dispositifs d'insertion des publics en difficulté et 1,3 milliard de francs au titre du programme des emplois-jeunes, ces deux dispositifs étant désignés comme des priorités du Gouvernement en matière de politique de l'emploi.
Au total, le budget de l'emploi aura donc été réduit de près de 7,5 milliards de francs en 1999.
Madame la ministre, j'aimerais que vous nous expliquiez comment ce qui était impossible - presque sacrilège - hier est devenu possible aujourd'hui, et ce au détriment du financement des dispositifs prioritaires du Gouvernement.
Parce que le budget de l'emploi est mal géré, parce qu'il est aujourd'hui tronqué, parce qu'il promeut des politiques de type administratif et étatiste, parce qu'il est tout entier subordonné à la mise en oeuvre d'une décision autoritaire, arbitraire et idéologique, je demande au Sénat de rejeter les crédits de l'emploi pour l'année 2000.
M. le président. La parole est à M. Souvet, rapporteur pour avis.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour le travail et l'emploi. Monsieur le président, madame le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'année 1999 devait être l'année de la réforme de l'assiette des cotisations sociales patronales. Il était également prévu que le Gouvernement procède à une grande refonte de la formation professionnelle, dont on pouvait espérer qu'elle permettrait de dégager les moyens financiers nécessaires à la mise en oeuvre d'un projet ambitieux. Enfin, la commission des affaires sociales du Sénat escomptait que seraient adoptées des dispositions particulières permettant d'assurer la professionnalisation des emplois-jeunes, en tenant compte des remarques qu'elle avait formulées à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 1999.
Force est de constater que ce budget de l'emploi et de la formation professionnelle ne répond pas à ces attentes. Il comporte, certes, des dispositions qui vont dans le bon sens : les moyens du service de l'emploi sont renforcés, les contrats aidés font l'objet d'une évaluation et d'adaptations qui s'avéraient nécessaires.
Mais les réponses attendues ne sont pas au rendez-vous. Les effectifs de la formation en alternance stagnent : l'Etat continue à prélever sur le fonds de la formation professionnelle pour compenser des économies budgétaires sur les engagements qui demeurent à sa charge ; près de la moitié des emplois-jeunes ne savent pas quel avenir leur est réservé ; enfin, la grande réforme des cotisations sociales patronales a pris, comme l'a dit M. le rapporteur spécial, la forme d'une « usine à gaz » ayant pour vocation principale d'assurer le financement des 35 heures.
Ces dispositions se traduisent par un profond changement de la nomenclature du budget de l'emploi, marqué par le transfert des allégements de cotisations sociales - c'est la « ristourne dégressive » - et des aides à la réduction du temps de travail à un fonds de financement de la réforme des cotisations patronales créé par l'article 2 du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
En conséquence, les crédits du budget de l'emploi s'élèveront à 122,06 milliards de francs en 2000 contre 119,32 milliards de francs en 1999 à périmètre 2000 constant, c'est-à-dire hors ristourne dégressive, ce qui représente une hausse de 2,3 % des crédits.
On observera qu'à structure constante 1999, c'est-à-dire en ajoutant aux crédits de l'emploi pour 2000 la ristourne dégressive telle que débudgétisée après « ajustement au besoin », le budget de l'emploi est en baisse de 0,3 %. Cela illustre bien les précautions avec lesquelles il convient d'accueillir les données chiffrées - comme toujours, d'ailleurs - et les commentaires qui les accompagnent, qui peuvent être parfois éloignés de la réalité.
Outre cette question de nomenclature, il demeure un problème de lisibilité des crédits consacrés à la réduction du temps de travail. L'intitulé de l'article 10 du chapitre 44-77 - « exonération de cotisations sociales au titre de l'incitation à la réduction du temps de travail » - laisse penser que les 4,3 milliards de francs inscrits sur cette ligne sont destinés à financer les aides incitatives prévues par la loi du 13 juin 1998. Or il n'en est rien : ces crédits serviront, en définitive - vous l'avez admis devant la commission des affaires sociales, madame la ministre - à subventionner le fonds de financement des cotisations patronales de sécurité sociale créé par la loi de financement de la sécurité sociale.
La présentation des crédits se doit d'être claire, mais force est de constater que ce n'est pas toujours le cas.
Par ailleurs, des interrogations subsistent sur le devenir des crédits inscrits en loi de finances pour financer la réduction du temps de travail. Seuls 78 millions de francs ont été consommés sur les 2,8 milliards de francs budgétés en 1998, et au 30 septembre 1999, seuls 706 millions de francs avaient été consommés sur les 3,5 milliards de francs inscrits en loi de finances. L'état des reports de crédits reste donc aujourd'hui peu clair, ce qui est regrettable.
J'observe, à cette occasion, que les faibles taux de consommation des crédits budgétaires prévus pour financer la loi du 13 juin 1998 confirment la modestie des résultats de cette loi et contrastent avec les déclarations du Gouvernement.
Le troisième point caractéristique de ce débat budgétaire réside, à mon sens, dans la confirmation de la volte-face du Gouvernement sur la politique d'allégement des cotisations sociales patronales initiée en 1993, poursuivie en 1995 et délaissée en 1997.
Au printemps 1998, madame la secrétaire d'Etat à la formation professionnelle, vous déclariez au Sénat, lors du débat sur la proposition de loi tendant à alléger les charges sur les bas salaires déposée sur l'initiative de M. Christian Poncelet, notamment, qui était à l'époque président de la commission des finances de notre assemblée : « Le Gouvernement n'a pas souhaité poursuivre cette politique d'allégement des charges entreprise depuis 1993 parce qu'il n'est pas convaincu que le niveau du coût du travail constitue un obstacle à l'emploi, qu'il estime relative l'efficacité de cette politique et que son financement ne lui semble pas assuré. »
A cet égard, la commission des affaires sociales a été très satisfaite d'apprendre que notre collègue député Jean-Claude Boulard se félicitait de ce que « la politique d'allégement des charges sociales engagée soit poursuivie, et même accentuée » en 2000.
Notre conviction est, en effet, que seule cette politique permettra de créer plus d'emplois à l'avenir.
S'agissant du détail des autres mesures budgétaires, j'observe tout d'abord que le nombre d'emplois-jeunes devrait atteindre 236 000 d'ici à la fin de l'année et que 300 000 emplois auront été créés à la fin de l'année 2000, pour un objectif initial de 350 000. Les crédits relatifs à ce dispositif s'élèvent à 21,34 milliards de francs, soit une hausse de 53,3 % par rapport à 1999.
Il doit néanmoins être souligné que le projet de création de 350 000 emplois dans le secteur non marchand semble définitivement abandonné par le Gouvernement.
Les crédits affectés au financement du réseau d'accueil des jeunes progressent de 12 % à structure constante, pour atteindre 467 millions de francs.
Ce réseau joue un rôle central dans la mise en oeuvre du programme d'accompagnement personnalisé vers l'emploi, dit programme TRACE, dont l'objectif est d'accueillir 60 000 jeunes en 2000.
Les actions en faveur des publics en difficulté prennent la forme d'un renforcement des dispositifs adaptés aux publics les plus éloignés du marché du travail - TRACE, contrat emploi consolidé et contrat de qualification adulte - ainsi que celle d'un recentrage des dispositifs traditionnels - contrat emploi-solidarité, contrat initiative-emploi et stage - sur les publics prioritaires.
Ce recentrage a pour objectif d'accroître la part des publics prioritaires dans les contrats nouveaux et en cours, même si l'offre globale de places nouvelles diminue par rapport aux entrées prévues par la loi de finances de 1999, soit 575 000 au lieu de 675 000.
La commission des affaires sociales n'est pas hostile à cet effort d'évaluation et aux redéploiements de crédits, à condition qu'ils permettent la mise en place de dispositifs plus efficaces, ce dont on peut douter, notamment à propos des 35 heures.
En ce qui concerne le nombre des entrées dans le dispositif, on observe ainsi que 155 000 personnes devraient bénéficier d'un contrat initiative-emploi en 2000 contre 180 000 en 1999, soit une diminution de 13,9 %, que 360 000 personnes devraient bénéficier d'un contrat emploi-solidarité contre 425 000 l'année passée, soit une baisse de 15,3 %, alors que le nombre d'entrées en emplois consolidés à l'issue d'un CES devrait rester stable, à hauteur de 60 000.
A propos des dispositifs destinés aux chômeurs de longue durée, la commission des affaires sociales observe que les entrées prévues dans les stages d'insertion et de formation à l'emploi, les SIFE, et les stages d'accès à l'entreprise, les SAE, sont en légère baisse pour 2000, puisque 150 000 personnes devraient en bénéficier contre 175 000 en 1999. Cette évolution se traduit dans les crédits, puisque la dotation budgétaire diminue de 8 % pour s'établir à 2,9 milliards de francs.
Il est à noter que les structures de l'insertion par l'économique bénéficieront de crédits en hausse de 22 % en 2000, pour atteindre 910 millions de francs.
J'évoquerai enfin la subvention de l'Etat à l'ANPE. Elle devrait augmenter de 10,4 % et s'établir à 6,38 milliards de francs, afin de permettre à l'agence de mettre en oeuvre le troisième contrat de progrès qui porte sur les années 1999 à 2003.
Ce troisième contrat aura pour objectif de renforcer la qualité des services rendus aux demandeurs d'emploi et aux entreprises et de poursuivre la modernisation de l'agence, notamment par l'augmentation des effectifs.
Je terminerai en évoquant les dépenses de personnel du ministère, qui augmentent de 5,5 % et s'établissent à 2,5 milliards de francs. Cette augmentation de crédits devrait permettre la création nette de 130 emplois, dont 13 en administration centrale et 117 au sein des services déconcentrés.
S'agissant des orientations de ce projet de budget de l'emploi, la commission des affaires sociales a le sentiment d'une occasion manquée. Alors que la conjoncture permettait enfin de construire une politique de l'emploi moderne préparant l'avenir, il n'est proposé que la mise en oeuvre de promesses qui ne lui paraissent pasraisonnables.
Le Gouvernement se félicite de la baisse du taux de chômage et s'en attribue la paternité, en évoquant notamment les 35 heures. Le taux de chômage devrait effectivement s'établir à 11 % en 1999, et on évoque même des taux de 10,3 % en 2000 et de 9,6 % en 2001.
Pourtant, ces chiffres ne suffisent pas à décerner un satisfecit au Gouvernement, pour au moins deux raisons : la baisse du chômage est largement le fait d'un retour de la croissance générale en Europe et la conséquence des politiques mises en place depuis 1993, et les mesures décidées par l'actuel gouvernement ne paraissent pas avoir eu d'effets notables sur l'évolution de l'emploi dans le secteur marchand.
Le Sénat ayant déjà marqué son désaccord avec la méthode retenue pour réduire la durée du travail et ses regrets devant l'absence de dispositions favorisant une véritable professionnalisation des jeunes, la commission des affaires sociales a très logiquement émis un avis défavorable à l'adoption des crédits consacrés au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle contenus dans le projet de loi de finances pour 2000. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Bocandé, rapporteur pour avis.
Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la formation professionnelle. Monsieur le président, madame le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat budgétaire de l'année dernière avait été marqué par un recentrage des aides publiques à l'alternance.
Un décret du 12 octobre 1999 avait restreint le champ des bénéficiaires de l'aide forfaitaire à l'embauche pour les contrats de qualification aux jeunes les moins qualifiés, alors que l'article 80 du projet de loi de finances pour 1999 avait opéré la même modification pour les contrats d'apprentissage.
Aujourd'hui, et compte tenu de ces dispositions malthusiennes, on observe un léger tassement des crédits consacrés à la formation professionnelle.
Ces crédits s'élèvent à 30,6 milliards de francs, dont 26 milliards de francs pour l'agrégat « participation de l'Etat à la formation professionnelle », soit une baisse de 1,6 %.
Ces données m'amènent à formuler deux remarques sur l'évolution des crédits : ils sont, certes, suffisants pour assurer la reconduction des actions de formation engagées les années précédentes ; toutefois, ils sont loin d'atteindre le niveau qui permettrait de considérer que le développement de la formation professionnelle constitue une priorité du Gouvernement au même titre que les emplois-jeunes ou les 35 heures.
Je nuancerai mon propos en soulignant qu'une nouvelle fois la discussion du budget de la formation professionnelle intervient dans un contexte de réforme annoncée qui gèle pour ainsi dire les initiatives et explique que ce budget se cantonne dans des actions de reconduction.
Quatre directions ont ainsi été esquissées par le Gouvernement à la suite de la publication du Livre blanc intitulé La formation professionnelle, diagnostics, défis et enjeux : la création d'un droit individuel à la formation, la professionnalisation des jeunes, la meilleure prise en compte de l'expérience professionnelle acquise et la clarification du rôle des différents acteurs.
A propos de ce budget, j'observerai que le total des crédits consacrés à l'alternance s'élève à 12,2 milliards de francs, soit une baisse de 2,4 % consécutive au recentrage des primes sur les bas niveaux de qualification opéré par la loi de finances pour 1999.
Les primes relatives aux contrats d'apprentissage baissent de près de 12 % et celles qui sont relatives aux contrats de qualification de 32 %, le montant total de ces diminutions de crédits s'élevant à 660 millions de francs.
L'idée de recentrage supposerait que ces crédits sont réalloués sur des dispositifs prioritaires. Or cela n'est que partiellement le cas puisque, si l'on observe une hausse de 20 % des primes relatives aux contrats de qualification et une hausse de 60 % du montant des exonérations de cotisations sociales de ces mêmes contrats, ces augmentations ne portent que sur 170 millions de francs.
On peut, dans ces conditions, considérer que, sous le vocable de « recentrage », s'opère en fait une économie budgétaire de près de 500 millions de francs, au détriment des formations en alternance.
Ce sentiment est confirmé par l'analyse des flux d'entrée dans les contrats d'alternance. Le nombre des contrats d'apprentissage baisse de 4,3 % à 220 000, et celui des contrats de qualification de 3,8 % à 125 000. Compte tenu de l'augmentation du nombre de contrats de qualification adultes, on observe globalement une baisse de 2,7 % du nombre des contrats en alternance, qui devrait être ramené à 360 000 en 2000.
La commission des affaires sociales ne peut que regretter cette situation, qui contraste avec l'état actuel du marché du travail. Selon le baromètre mensuel La TribuneCrédit Lyonnais du mois de novembre, près des deux tiers - 64 % - de l'échantillon de patrons de PME interrogés affirment rencontrer des difficultés pour embaucher les spécialistes qu'ils recherchent, ce qui est particulièrement préoccupant dans les secteurs des transports, du BTP, de la vente ou de l'industrie.
J'ai le sentiment que la formation professionnelle doit jouer un rôle fondamental dans la réforme nécessaire du fonctionnement du marché du travail et peut constituer la réponse adéquate à ce problème de pénurie de main-d'oeuvre.
Alors que le Gouvernement annonce la discussion prochaine de dispositions législatives courant 2000 et d'un véritable projet de loi en 2001, je souhaite insister sur le fait qu'une des raisons principales qui expliquent le niveau élevé du taux de chômage français réside dans le déficit de formation, c'est-à-dire dans l'inemployabilité.
La commission des affaires sociales souligne que les crédits consacrés aux actions de formation à la charge de l'Etat baissent de 2,8 %, pour s'établir à 5,8 milliards de francs. Par ailleurs, les crédits consacrés aux contrats de plan Etat-région baissent de 2 %.
Au titre des dépenses de rémunération de la formation professionnelle, les crédits affectés au programme national de formation professionnelle sont stabilisés à 926 millions de francs. Ces crédits concernent la rémunération des stagiaires suivant des formations financées par l'Etat.
Par ailleurs, les crédits consacrés au financement de l'allocation formation-reclassement baissent de 7 %. Ces crédits qui devraient atteindre 2,5 milliards de francs sont destinés à rémunérer les demandeurs d'emploi entrant en formation.
On notera également que les crédits relatifs à la dotation de décentralisation concernant la formation professionnelle et l'apprentissage, rassemblés au chapitre 43-6, augmentent de 0,6 % pour atteindre presque 8 milliards de francs en 2000.
Je traiterai brièvement maintenant de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA.
Je rappelle que cette association concourt à la réalisation de la politique de l'Etat en ce qui concerne la formation qualifiante, à l'échelon national et déconcentré, c'est-à-dire qu'elle est partie intégrante du service public de l'emploi. Sa dotation augmente de 5,4 % pour s'établir à 4,7 milliards de francs. Cette augmentation s'inscrit dans le cadre des objectifs définis par le contrat de progrès 1999-2003 qui prévoit une augmentation de l'activité « orientation » de l'AFPA. Il s'agit de faire passer le nombre de personnes orientées de 80 000 à 250 000 en 2003.
L'AFPA doit également mener une action prioritaire en direction des demandeurs d'emploi afin de leur offrir un service personnalisé d'appui à un projet professionnel.
J'en viens à la délicate question des prélèvements opérés par l'Etat sur les fonds de la formation professionnelle.
Déjà, en 1997, l'article 40 de la loi de finances avait institué une contribution exceptionnelle au budget de l'Etat égale à 40 % de la trésorerie nette des fonds de la formation en alternance, soit 1,7 milliard de francs. Par ailleurs, l'article 75 de la loi du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier avait institué une contribution exceptionnelle au budget de l'Etat de 500 millions de francs. La commission des affaires sociales s'était opposée à ces deux prélèvements, au motif que ces détournements, dans l'utilisation des fonds, lui apparaissaient comme préjudiciables aux entreprises.
L'année dernière, le Gouvernement avait décidé à nouveau que 500 millions de francs seraient prélevés sur les fonds de l'AGEFAL, l'Association de gestion du fonds des formations en alternance. Ces fonds devaient faire l'objet d'une utilisation concertée avec les partenaires sociaux, le Gouvernement s'étant engagé à assurer, le cas échéant, la couverture effective des dépenses exposées par les entreprises dans le cadre des contrats en alternance.
Prenant acte de cette garantie et regrettant néanmoins le flou qui entourait le fonctionnement de ce fonds, la commission des affaires sociales avait souhaité faire part de sa réserve, sans toutefois manifester une opposition radicale pour tenir compte de la réforme à venir des modalités de financement de la formation professionnelle et de la garantie apportée par le Gouvernement.
Or, force est de constater que le flou demeure et que les prélèvements exceptionnels sur les fonds de la formation deviennent de plus en plus habituels, comme en témoigne l'article 70 du projet de loi de finances. Cet article tend à centraliser les excédents financiers du capital de temps de formation, le CTF au niveau d'une section particulière créée au sein du fonds national habilité à gérer les excédents financiers du congé individuel de formation, le CIF.
Je rappelle que le CTF a pour objet de permettre aux salariés de suivre au cours de leur vie professionnelle et à leur demande, et pendant leur temps de travail, des actions de formation prévues au plan de formation de l'entreprise, dans le but de se perfectionner, d'élargir ou d'accroître leur qualification. Ce dispositif est financé par 50 % au plus de la participation des entreprises au financement du CIF, à hauteur de 0,2 % du montant des salaires, c'est-à-dire une contribution au plus égale à 0,1 % des salaires.
L'article 70 prévoit d'étendre le champ de compétences du fonds créé par la loi de finances pour 1996 qui, actuellement, gère les excédents financiers des organismes collectant les fonds du CIF, à la gestion des excédents financiers dont disposent les organismes paritaires collecteurs agréés, les OPCA, gérant les contributions des employeurs affectées au financement du CTF.
Cette disposition pourrait être considérée favorablement si la centralisation des disponibilités excédentaires du CTF n'apparaissait pas comme le moyen d'affecter une contribution de 500 millions de francs, versée par le comité paritaire du CIF au budget de l'emploi par voie de fonds de concours, afin de compenser la diminution des crédits destinés au financement de l'indemnité compensatrice forfaitaire à l'apprentissage.
Il s'agit donc, une fois encore, de procéder à un prélèvement exceptionnel sur les fonds de la formation professionnelle.
Dès lors que ces prélèvements présentent un caractère structurel, l'urgence d'une réforme du mode de financement des organismes collecteurs de fonds devient, chaque année, de plus en plus évidente.
La commission des affaires sociales a déjà, à cet égard, marqué sa préférence pour une réduction des cotisations versées par les entreprises.
Pour l'instant, il me semble que nous devrions refuser ce nouveau prélèvement dont le caractère récurrent traduit le penchant du Gouvernement à considérer les fonds collectés par les partenaires sociaux comme une ressource budgétaire parmi d'autres, destiné à financer les priorités du Gouvernement, comme l'a également montré le débat sur le financement des 35 heures à travers le projet de contribution de l'UNEDIC et des régimes de sécurité sociale.
Plus généralement, je crois qu'il convient de nous interroger sur la politique du Gouvernement en matière de formation professionnelle. Stagnation des effectifs dans les dispositifs en alternance, priorité donnée aux emplois-jeunes sur les formations qualifiantes, prélèvements exceptionnels sur les fonds de la formation constituent les traits les plus saillants de cette politique.
Dans ces conditions, l'examen des crédits budgétaires relatifs à la formation professionnelle doit être l'occasion de prendre nos distances avec une politique de l'emploi qui inverse les priorités en favorisant les dispositifs de moyen terme non qualifiants sur la formation et en braquant les partenaires sociaux qui sont pourtant les acteurs déterminants de tout progrès social.
En conséquence, je vous propose, mes chers collègues, de nous rallier, pour les crédits de la formation professionnelle, à l'avis négatif formulé par M. Louis Souvet en ce qui concerne les crédits de l'emploi. Je défendrai, par ailleurs, un amendement de suppression de l'article 70. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Goupe du Rassemblement pour la République, 24 minutes ;
Groupe socialiste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 22 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 16 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 14 minutes.
Madame le ministre, madame le secrétaire d'Etat, permettez-moi de vous rappeler que, en accord avec M. le ministre des relations avec le Parlement, le Gouvernement dispose également d'un temps de parole prédéterminé. Il serait souhaitable, pour le bon déroulement de cette longue semaine budgétaire, que chacun fasse les efforts nécessaires pour respecter le temps de parole qui lui a été attribué.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la discussion budgétaire offre la possibilité d'appréhender dans sa globalité la cohérence d'un projet politique, de débattre de nos divergences, de relayer les attentes et les interrogations de nos concitoyens.
Les chapitres budgétaires consacrés à la politique de l'emploi figurent de nouveau parmi les priorités du Gouvernement, avec plus de 122 milliards de francs, soit une augmentation de 2,3 % pour une progression budgétaire moyenne de 0,9 %.
Nous avons désormais suffisamment de recul pour mieux apprécier la véritable décrue du chômage dans notre pays qui vient d'atteindre son niveau le plus bas depuis février 1993.
Cette réalité, les familles la vivent au quotidien parce que leur enfant trouve un travail, parce que la menace d'un licenciement se fait moins oppressante, parce que les chances de retrouver un emploi pour les chômeurs de longue durée s'accroissent.
Pourtant, l'opposition adopte des discours visant tantôt à attribuer à la seule croissance les raisons de cette amélioration, tantôt à contester l'honnêteté de ces statistiques.
L'adoption du budget pour 2000 nous permettra de poursuivre la mise en oeuvre des réformes, certaines engagées avant 1997, d'autres initiées par le Gouvernement depuis deux ans.
Il s'agit de la réduction du temps de travail et de la réforme des cotisations patronales qui lui est attachée ; de la lutte contre les exclusions ; de la rationalisation des dispositifs de cessation d'activité et de l'amélioration des moyens des structures - publiques ou non - qui ont pour mission d'accompagner les demandeurs d'emploi.
Je commencerai par évoquer le volet consacré aux dotations qui vont faciliter la réduction du temps detravail.
Demeurent inscrits au budget les crédits affectés aux mesures mises en place par la loi Robien, soit 2,72 milliards de francs, et la contribution de 4,3 milliards de francs de l'Etat au nouveau fonds créé dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale afin d'alléger le poids des prélèvements pesant sur les salaires. C'est un des points qui nous oppose à la majorité sénatoriale.
Différents mécanismes d'allégements, principalement créés afin d'encourager l'implantation d'entreprises dans certaines régions sensibles, telles que les départements d'outre-mer, les zones de revitalisation rurale ou urbaine, les zones franches demeurent inscrites au budget de l'emploi.
Ces politiques qui prennent en considération les difficultés spécifiques de certains territoires sont justifiées ; il conviendra cependant, en étroite relation avec les ministères en charge de l'outre-mer, de l'aménagement du territoire et de la ville, d'en évaluer l'impact dans l'ensemble de ses dimensions.
J'en viens aux différents dispositifs consacrés aux personnes qui éprouvent le plus de difficultés pour entrer ou revenir sur le marché de travail.
Les jeunes ont été, jusqu'à une période très récente, une catégorie dramatiquement marquée par le chômage. A ce titre, un chiffre doit nous interpeller : 42 % des contrats aidés les concernent.
La majorité s'était engagée à explorer toutes les pistes afin de lutter contre ce qui ne devrait pas être une fatalité, en permettant à ces jeunes de « mettre le pied à l'étrier », y compris les jeunes diplômés. C'est un des objectifs des emplois-jeunes qui, parallèlement, doivent être positionnés sur des besoins nouveaux peu ou non satisfaits.
Ce programme a permis à plus de 203 000 jeunes de trouver un emploi, de se sentir utiles et de mieux intégrer la société. Les jeunes des quartiers en difficulté représentent aux alentours de 15 % des embauches, et la répartition entre les niveaux de qualification atteste un véritable équilibre.
Ils ont permis à la collectivité de satisfaire de nouvelles aspirations, que ce soit dans l'amélioration du lien social, de la protection de l'environnement ou de l'enrichissement des activités de loisirs. Toutes ces pistes qui, il y a moins de deux ans, donnaient lieu à des commentaires sceptiques, parfois cyniques, participent aujourd'hui à l'amélioration de la vie de nos concitoyens.
Avec une dotation de plus de 21 milliards de francs, le Gouvernement conforte les moyens de ce programme, qui devrait concerner l'année prochaine près de 300 000 jeunes.
La pérennisation de ces emplois est au centre de nos préoccupations. Elle renvoie à plusieurs questions : le financement, bien sûr ; le perfectionnement de la formation, permettant éventuellement de déboucher sur des recrutements définitifs ; l'émergence de nouvelles qualifications pour de nouveaux métiers - je pense notamment à ceux qui se situent dans le champ de la médiation sociale ou de la protection de l'environnement.
Parallèlement, la loi de lutte contre les exclusions a mis en place le programme TRACE, qui permet un accompagnement, sur une période pouvant aller jusqu'à dix-huit mois, des plus marginalisés de nos jeunes, pour lesquels il faut parfois en même temps traiter des problèmes de formation, voire d'illettrisme, de santé, et de socialisation.
La mise en oeuvre de ce programme relève d'une démarche globale avec les jeunes. Elle se heurte parfois à des obstacles institutionnels difficilement compréhensibles. Je pense, en effet, aux réticences qu'ont certains conseils régionaux à s'impliquer - c'est le cas notamment pour le mien, les Pays de la Loire - dès lors qu'il s'agit, par exemple, de mobiliser des fonds pour ce qu'ils estiment être de l'insertion sociale. Quant au fonds d'aide aux jeunes, le FAJ, qui devrait pouvoir être sollicité pour assurer aux jeunes engagés dans un parcours une garantie de ressources, trop de témoignages attestent de la rigidité des critères d'attribution. Ici, l'objectif est d'atteindre près de 45 000 jeunes l'année prochaine.
J'en viens maintenant aux différents contrats aidés. Leur accessibilité avait fait l'objet d'observations de nombreux acteurs de l'insertion, ainsi que de la Cour des comptes, qui dénonçaient le fait que les moins défavorisés concurrençaient les plus en difficulté dans l'accès à ces postes.
Le Gouvernement a entrepris un recentrage de ces dispositifs sur les chômeurs de longue durée, les titulaires de minima sociaux, les handicapés, recentrage qui sera poursuivi dans le cadre du budget 2000.
Le premier pôle demeure les CES avec 360 000 entrées financées par une dotation de plus de 9 milliards de francs. On constate une nette diminution de la part des jeunes dans ce dispositif. En revanche, la forte proportion de femmes - elles sont 62 % - démontrent à quel point elles se heurtent à des difficultés endémiques d'insertion sur le marché du travail. Elles constituent d'ailleurs une majeure partie des travailleurs précaires.
Permettez-moi ici de signaler le problème rencontré par les unions régionales des CIDF, qui sont de plus en plus sollicitées pour conseiller les femmes dans leurs parcours d'insertion professionnelle. Nous souhaitons que soit trouvée une solution aux difficultés de financement à l'échelon régional qui ont surgi après l'adoption de la loi de finances pour 1997.
Le second pôle est constitué par les CIE, pour lesquels l'Etat débloquera plus de 7 milliards de francs et qui devraient permettre l'embauche de 155 000 personnes. A cet égard, les travaux de la mission d'évaluation et de contrôle créée à l'Assemblée naionale ont souligné que ce dispositif permettait, en fait, d'atténuer la sélectivité de l'embauche.
Si ces deux dispositifs connaissent une baisse relative des crédits, les CEC pouvant aller jusqu'à cinq ans connaissent une augmentation. Leur dotation atteint 5,3 milliards de francs, afin d'accueillir 60 000 personnes, la loi sur les exclusions ayant prévu un accès direct et par ailleurs accru la participation de l'Etat pour la prise en charge des personnes les plus en difficulté.
Certains émettent l'idée de faire de ces contrats des CDI. Cette question est pertinente, car il peut s'agir, pour certains, de la seule possibilité d'être maintenus dans un emploi. Mais cette évolution signifie des bouleversements tels, y compris au niveau de nos conceptions de l'insertion, qu'il convient d'y réfléchir avec l'ensemble des acteurs de cette politique.
Les lois sur les emplois-jeunes et la lutte contre les exclusions ont par ailleurs réaménagé les aides apportées aux chômeurs qui veulent créer une entreprise. A l'aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d'entreprise a succédé l'encouragement au développement d'entreprises nouvelles, qui permet l'octroi d'une avance remboursable et un accompagnement pouvant aller jusqu'à trois ans. Les crédits s'élèveront, pour 2000, à 400 millions de francs, afin de toucher près de 10 000 créateurs ou repreneurs d'entreprise.
En dépit de ces deux mesures, madame la ministre, le secteur bancaire demeure particulièrement frileux, comme le rappelait récemment la responsable de l'Association pour le droit à l'initiative économique, et l'Etat pourrait peut-être envisager à la fois de susciter dans ce secteur plus de volontarisme et d'être davantage partie prenante dans ces dispositifs, afin de réduire un incontestable handicap. Il s'agit d'ailleurs d'une des recommandations des lignes directrices pour l'emploi élaborées dans le cadre européen.
Les crédits affectés au reclassement des travailleurs handicapés sont en augmentation de 2,5 %, avec 5,5 milliards de francs, qui permettront l'ouverture de places en ateliers protégés et en centres d'aide par le travail, dont les possibilités d'accueil ont continué d'augmenter depuis 1994, alors que le nombre de places en milieu ordinaire stagnait autour de 12 800.
Les statistiques du ministère de l'emploi publiées à la fin d'octobre dernier relèvent ainsi que le taux d'emploi de personnes handicapées dans les établissements de plus de vingt salariés se situe autour de 4 %. Il reste donc en deçà des 6 % fixés par la loi, y compris dans les grandes entreprises.
A mon sens, ce constat est à mettre au passif des chefs d'entreprise. Comment en effet méconnaître la légitimité et la justesse de la revendication d'un grand nombred'associations de handicapés qui souhaitent une insertion professionnelle en milieu ordinaire, chaque fois que cela est possible ?
Par ailleurs, le projet de budget pour 2000 poursuit l'entreprise de rationalisation des contributions de l'Etat aux formules de cessation anticipée d'activité.
Désormais, on mesure mieux les retombées à moyen terme de ces différents dispositifs : un impact sur l'emploi réel, mais relativement neutre, et un coût financier important faisant peser, dans certains cas, sur la collectivité nationale les stratégies de rajeunissement de la pyramide des âges. Par ailleurs, ces départs anticipés ont des incidences sur les régimes de retraites. Enfin, ils renvoient à la problématique plus générale des départs en masse très tôt de salariés expérimentés de l'entreprise.
Le Gouvernement intervient donc sur plusieurs fronts.
Le premier est le doublement de la contribution Delalande.
Il entend par ailleurs limiter l'accès au Fonds national de l'emploi aux salariés réellement en difficulté, ceux notamment qui ont accompli des tâches pénibles ou qui ont commencé à travailler très tôt. Corrélativement, la participation financière des entreprises sera accrue.
De ce fait, les crédits affectés aux allocations spéciales du Fonds national de l'emploi baissent de 14 %, mais ils représentent tout de même plus de 4 milliards de francs. Ils seront, par exemple, sollicités pour la mise en oeuvre d'accords selon lesquels il serait envisagé qu'un départ d'un salarié de moins de cinquante-sept ans soit intégralement financé par l'entreprise.
De la même façon, la dotation des préretraites progressives est en diminution.
Dernière ligne directrice de ce projet de budget : le renforcement des moyens des organismes chargés de l'accueil et de l'accompagnement des demandeurs d'emploi.
Les crédits affectés aux personnels du ministère sont en hausse pour la troisième année consécutive, avec 2,5 milliards de francs qui permettront de revaloriser les traitements et contribueront à la résorption du travail précaire dans l'administration.
Sur les 130 emplois créés, certains viendront renforcer les équipes sur le terrain et seront chargés notamment du conseil aux partenaires engagés dans un processus de négociation de réduction du temps de travail et du contrôle de la mise en oeuvre des accords.
Ce sont des choix que dénonce l'opposition, généralement peu encline à vouloir améliorer le droit de regard sur ce qui se passe au sein des entreprises. Il n'est toutefois pas inutile de mettre en perspective les 1 200 agents de contrôle dont nous disposons pour les 14 millions de salariés du secteur privé, qui sont le plus souvent dans des entreprises dépourvues d'organisation représentative. A cet égard, je veux saluer l'augmentation des crédits affectés au conseiller du salarié, qui passent à 8,8 millions de francs.
Les actions en matière de santé et de sécurité du travail voient leur dotation passer de plus de 17 millions de francs à 22,3 millions de francs. Elles comprennent les crédits affectés à la médecine du travail, dont il convient d'accentuer les interventions.
L'ANPE bénéficie pour 2000 d'une augmentation importante de ses subventions. Elle pourra ainsi financer les 500 nouveaux emplois prévus pour 2000, en vue d'améliorer les capacités d'accueil, notamment dans le cadre des examens personnalisés proposés aux jeunes, aux chômeurs de longue durée, aux allocataires de minima sociaux qui ont pu souvent ressentir un profond découragement, voire de la colère, lorsqu'ils avaient l'impression que leur situation n'était appréhendée que comme un dossier parmi tant d'autres.
Je profite de cette intervention pour relayer des interrogations sur le transfert des crédits affectés aux centres institutionnels de bilan de compétences vers les dotations à l'ANPE.
M. Jean-Claude Carle. En effet !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Les discussions à l'Assemblée nationale ont été pour vous, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, l'occasion de rappeler que vous n'entendiez pas diminuer la sphère d'intervention des CIBC qui sont associés à la mise en oeuvre du programme « Nouveau départ ». Cependant, on peut légitimement s'interroger sur le devenir des bilans de compétences, en particulier ceux qui sont destinés aux salariés, qui représentent 25 % de leur public.
L'analyse de notre collègue M. Lindeperg est à ce propos particulièrement pertinente. Dès lors que vous avez décidé de faire de la validation des acquis professionnels un des grands axes de la réforme qui sera mise en chantier dès l'année prochaine, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, la place et l'expérience des CIBC ne peuvent qu'être utiles et valorisées.
M. Jean-Claude Carle. Voilà !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Ne serait-il pas possible d'imaginer ici l'évolution des CIBC vers des plates-formes ouvertes, dont les missions seraient complétées et couvriraient les champs de l'orientation et de la formation, des bilans de compétences et de la validation des acquis ?
Les missions locales et les permanences d'accueil, d'information et d'orientation concourent également à la mise en oeuvre de la politique de l'emploi. Elles sont même devenues, depuis la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, les interlocutrices privilégiées des jeunes en difficulté. Je souhaite ici faire écho aux inquiétudes de certaines missions locales, qui avaient pu mettre en place un « guichet emploi » grâce aux dotations en provenance du fonds social européen, mais qui vont en 2000 se trouver face à une période d'incertitude tant que ne sera pas débloquée la nouvelle tranche de crédits en provenance du budget de l'Union européenne. En tant qu'élus locaux, impliqués dans le fonctionnement de ces missions locales, nous souhaiterions qu'une solution soit envisagée.
Le projet de loi de finances permet également de mettre en oeuvre l'engagement pris de doubler en trois ans la capacité d'accueil des structures d'insertion, qui sont, en fait, un des rares lieux où des personnes, parfois fortement marginalisées, renouent avec une activité. Elles peuvent accéder à des passerelles avec le monde du travail. Pour l'année prochaine, cette dotation est en augmentation de 18 % avec 484 millions de francs. Les sénateurs socialistes saluent cette progression, qui traduit la reconnaissance des compétences et de l'efficacité de ces structures.
J'achèverai mon propos en évoquant les crédits de la formation professionnelle, qui interviennent dans un contexte de réforme qui sera amorcée dès l'année prochaine et qui s'attelera notamment à clarifier l'enchevêtrement des circuits de financement de cette politique.
Cette réforme d'ampleur est urgente, car la formation doit faire face à plusieurs défis.
Il s'agit de la lutte contre le chômage, bien sûr, et de la reconversion possible des salariés en cours de carrière. Ainsi que le soulignait Mme Bocandé, dans un contexte de chômage, il n'est pas normal que des secteurs connaissent des difficultés de recrutement. Dans le bassin d'emploi de Saint-Nazaire, par exemple, les entreprises éprouvent les plus grandes difficultés pour trouver des soudeurs qualifiés.
Il s'agit de la santé économique de nos entreprises, dont la compétitivité est conditionnée par la formation non seulement initiale, mais aussi continue de leurs équipes.
Il s'agit du combat pour l'égalité des chances. Ainsi, les différentes réflexions qui ont été menées cette année - je pense au Livre blanc que vous avez présenté, madame la secrétaire d'Etat, ou aux rapports de MM. Barrot et Lindeperg - ont mis en exergue les profondes inégalités qui existent selon que l'on est dans une PME ou une grande entreprise, selon que l'on est cadre ou ouvrier, selon que l'on est un homme ou une femme.
Dans l'attente de cette réforme, le projet de loi de finances prévoit un budget de transition qui prolonge les orientations adoptées en matière d'emploi.
Une attention particulière est ainsi accordée aux publics en difficulté. Elle se manifeste dans le recentrage des dispositifs de formation en alternance que sont les contrats d'apprentissage, les contrats de qualification, pour les jeunes et les adultes. On le retrouve pour les stages d'insertion et de formation à l'emploi et pour les stages d'accès à l'emploi.
Les parlementaires de l'opposition regrettent que l'apprentissage ne soit pas mieux promu. C'est inexact. Toutefois, il ne faut pas ignorer ici un phénomène culturel qui persiste et qui tend à dévaloriser le travail manuel. Sur ce plan, tout le monde a sa part de responsabilité, à commencer par les familles et l'éducation nationale. De plus, chacun sait que les conditions de travail peuvent se révéler particulièrement pénibles et, donc, dissuader les jeunes de s'engager dans des métiers qui, pourtant, recrutent.
Ainsi, les dispositions spécifiques adoptées dans la loi sur les 35 heures en direction de l'artisanat et du BTP démontrent qu'une action conjointe des professionnels et de l'Etat est concevable pour combattre ces désaffections.
L'Association nationale pour la formation professionnelle des adutes, dont la dotation est augmentée de 5,4 %, avec plus de 4,5 milliards de francs, est une pièce maîtresse du dispositif de formation des adultes. Elle poursuit la mise en oeuvre de son deuxième « contrat de progrès », qui s'échelonnera jusqu'en 2003 et qui insiste, par exemple, sur la nécessité de renforcer son travail d'orientation, ses actions prioritaires en faveur des demandeurs d'emplois, et d'avoir une réactivité plus forte par rapport aux besoins des entreprises.
Tout cela ne peut se réaliser qu'à la condition d'un partenariat étroit avec l'ANPE.
Nous aurons prochainement l'occasion d'engager un débat plus approfondi sur la formation professionnelle.
La majorité sénatoriale n'entend pas voter le budget tel que nous le présente le Gouvernement. Elle s'appuie sur son refus de voir se généraliser la réduction du temps de travail et dénonce la logique des emplois-jeunes. Vous expliquerez cela, mes chers collègues, à ceux qui ont trouvé un emploi grâce à ces réformes.
Vous demandez des mesures plus volontaristes en matière d'allégement de cotisations, mais vous refusez la réforme beaucoup plus ambitieuse que nous propose le Gouvernement.
Vous ne nous ferez pas croire que votre opposition ne relève pas d'une tactique politicienne. (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants).
M. Jean Chérioux. Voilà de bien grands mots ! Que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Les sénateurs socialistes approuvent les priorités dégagées dans votre budget, madame la ministre ; c'est pourquoi ils se prononceront en faveur de son adoption. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget dont nous débattons aujourd'hui est l'un des budgets de l'emploi et non le budget de l'emploi. Une partie des crédits de l'emploi était déjà inscrite ; en effet, au budget des charges communes. Vous accentuez leur dispersion en transférant le financement des allégements de charges de la loi de finances à la loi de financement de la sécurité sociale. Cet éparpillement nuit à la transparence et à la lisibilité.
Cette opacité calculée peut également se révéler néfaste pour la politique de l'emploi elle-même. Ainsi, le transfert à l'ANPE de la gestion des financements de l'Etat aux CIBC risque de faire disparaître un service personnalisé, qui a fait ses preuves, au profit d'une prestation standardisée, beaucoup moins efficace.
Si l'on agrège les crédits ainsi dispersés, on constate que le budget de l'emploi est désormais le deuxième budget civil de l'Etat, après celui de l'enseignement scolaire. Il augmente de 2,3 % par rapport à 1999, soit d'un taux bien supérieur au taux d'évolution de 0,9 % du budget général pour 2000.
Les dépenses consacrées à l'emploi ont augmenté de plus de 50 % depuis cinq ans. Certains s'en réjouissent ; pour ma part, je le déplore et je m'en inquiète.
Les prévisions de croissance économique pour 2000 s'échelonnent toutes entre 2,6 % et 3 %, et vous augmentez encore le budget de l'emploi !
Quand il y a une crise économique, vous répondez par l'inflation budgétaire. Quand il y a une croissance économique, vous répondez encore par l'inflation budgétaire ! Où est la logique ? C'est un comportement que les générations futures, qui rembourseront vos dérapages, apprécieront.
Vous augmentez encore et toujours ce qu'on appelle les aides à l'emploi : on connaît leur efficacité contre le chômage. En 1989, l'Etat dépensait environ 80 milliards de francs pour les aides à la création d'emplois. En 1997, le rapport Novelli a évalué ces aides à environ 150 milliards de francs. Entre-temps, le chômage avait augmenté de 1 million de personnes : où est l'efficacité ? Dans les 35 heures d'Aubry 1 ou d'Aubry 2 ? Sûrement pas !
Vous vous réjouissez du chiffre de 120 000 emplois créés par les 35 heures, quand les entreprises en ont créé, à elles seules, et sur la même période, plus de 500 000 !
Le chiffre de 120 000 est d'ailleurs manifestement gonflé. Dans le rapport économique et financier annexé au projet de loi de finances pour 2000, l'INSEE, l'Institut national de la statistique et des études économiques, la direction de la prévision et de la DARES, la direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques, estiment à seulement 40 000 le nombre d'emplois marchands créés par la réduction du temps de travail entre juin 1997 et juin 1999. C'est la preuve que l'emploi ne se décrète pas et qu'avant de redistribuer les richesses il faut d'abord chercher à garantir les conditions favorables à leur création, c'est-à-dire laisser les entreprises faire leur travail.
Ces comparaisons nous rappellent une évidence et nous invitent à une attitude d'humilité : ce sont les entreprises qui, en effet, créent de l'emploi et non pas l'Etat et son Gouvernement. C'est le dynamisme, la souplesse, la capacité d'innovation de nos entreprises, et en particulier de nos PME, qui font la croissance économique.
Et vous, vous vous appliquez à gâcher cette croissance en vous attaquant aux entreprises à coups de taxes et de contraintes !
Vous augmentez les prélèvements sur les entreprises de plus de 30 milliards de francs au moyen de deux nouveaux impôts - l'écotaxe étendue et la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés - et, bien sûr, par la taxation des heures supplémentaires.
Les nouveaux allégements de charges ne compenseront pas la hausse du coût de travail, estimée à plus de 11 % au niveau du SMIC, provoquée par les 35 heures.
Nous sommes les seuls à persister dans la voie de la hausse toujours accrue des prélèvements obligatoires. Nous détenons le record en la matière, avec un taux de 45 %. MM. Schröder, Blair et Clinton l'ont rappelé au Premier ministre lors du récent sommet de Florence.
Madame la ministre, je n'accuse pas le seul gouvernement socialiste ;...
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ah !
M. Jean-Claude Carle. ... nous avons nos propres responsabilités, et je n'avais pas manqué de le signaler en son temps à cette même tribune à M. Jacques Barrot.
Aux taxes nouvelles que je viens de citer, vous ajoutez un carcan supplémentaire ; vous corsetez un peu plus les entreprises en leur imposant autoritairement le moule unique des 35 heures.
Décidément, les socialistes sont vraiment incorrigibles ! Je l'ai dit il y a quelques jours lors du débat sur les 35 heures.
Au nom d'une prétendue éthique républicaine, vous êtes en train de faire la même erreur de lecture que votre collègue M. le ministre de l'éducation nationale. Avec lui, ce ne sont pas les entreprises que le Gouvernement veut enfermer dans un moule unique, ce sont les collégiens et les lycéens. Le résultat n'est pas fameux, en témoignent l'échec scolaire et le taux de chômage des jeunes.
Gageons malheureusement qu'il ne le sera pas davantage avec une loi imposant les 35 heures à toutes les entreprises.
A méconnaître ainsi la réalité, vous laisserez un lourd héritage, car, à vous deux, vous engagez près de la moitié du budget de la nation.
Ne vous en déplaise, madame la ministre, à l'heure de la société de l'information et de l'économie de services, la globalisation et l'instantanéité de l'information exigent des entreprises réactivité et souplesse. Le tissu économique s'est diversifié. Mais rien n'y fait, vous vous obstinez à vouloir faire passer toutes les entreprises sous la même toise. Là où les besoins de chaque entreprise nécessitent du sur-mesure, vous voulez imposer le prêt-à-porter, le même modèle pour tous.
Grâce à l'initiative du président Poncelet, j'ai fait récemment un stage dans une entreprise, une grosse PME de l'Oise. Ce passage n'a fait que confirmer ce que je savais déjà : ce ne sont pas des aides que les employeurs demandent, c'est qu'on les laisse travailler en paix, qu'on cesse de changer les règles tous les mois, qu'on arrête de les matraquer fiscalement ; ce qu'ils demandent, c'est de la souplesse, de la liberté, pour pouvoir réagir au marché et s'adapter à la concurrence.
Vous voulez absolument intervenir ? Eh bien, faites-le, mais convenablement ! Donnez aux collectivités locales compétence pour apporter aux PME en particulier un soutien en matière d'ingénierie, de capital-risque, de transmission ou de reprise d'entreprise plutôt que de multiplier, comme vous le faites aujourd'hui, les subventions à l'emploi dont on connaît les limites !
C'est cela qu'attendent nos entreprises : laissez-les respirer et se développer, et créer ainsi des emplois !
Il n'y a malheureusement pas que les 35 heures qui sont coûteuses et inefficaces : les emplois-jeunes le sont tout autant.
Les dotations qui leur sont consacrées augmentent de 53,3 % par rapport à 1999 pour s'établir à plus de 21 milliards de francs. Si l'on ajoute les emplois-jeunes financés par d'autres ministères, on atteint la somme de 34 milliards de francs.
Non seulement le coût de ces emplois est prohibitif mais leur avenir n'est guère assuré. Près de la moitié des jeunes concernés ignorent ce que deviendra leur emploi à la fin de leur contrat. Seuls 12 % des bénéficiaires d'un emploi-jeune se disent bien informés sur l'avenir de leur activité et de leur travail alors que 46 % d'entre eux jugent cette information très floue.
Le Gouvernement commence enfin à s'en inquiéter. Constatant que les formations assorties peinent à se mettre en route, Claude Allègre a décidé de réduire le recrutement des emplois-jeunes, fixé à 5 000 l'année prochaine ; on est bien loin des 65 000 créés au cours des deux années précédentes !
Les 350 000 emplois prévus pour l'an 2000 sont ramenés à 300 000. Cette lucidité tardive n'efface par votre irresponsabilité initiale : qu'allez-vous faire de tous ces jeunes que vous avez mis sur une voie de garage, tous ces jeunes employés à des tâches sans avenir et insuffisamment formés ?
L'alternative qui se profile pour eux est claire : soit une intégration rampante dans la fonction publique, dont le poids atteint déjà 42 % du budget de la nation, soit, de nouveau, le chômage, un chômage pire que le précédent car ils auront cinq ans de plus.
Votre politique, madame la ministre, n'est pas adaptée. Vous réagissez au chômage en imposant au secteur public et au secteur privé de créer des emplois, l'un avec les emplois-jeunes, l'autre avec les 35 heures. Cet autoritarisme est toujours inefficace à long terme. La meilleure action sur l'emploi, c'est une action indirecte, qui vise à améliorer les conditions de la création d'emploi.
Ces conditions, quelles sont-elles ? J'en citerai quatre.
La première, c'est la stabilité de l'environnement juridique et la modération de la pression fiscale.
Les 35 heures, nous l'avons vu, contredisent directement ces exigences. L'Etat va-t-il enfin accepter de réduire son train de vie, de réduire les dépenses de fonctionnement qui dépassent 42 % du budget, maîtriser l'impôt et réduire le déficit ?
La deuxième condition, c'est une recherche dynamique et des encouragements à l'innovation afin de compenser les coûts salariaux par la création de valeur ajoutée, sinon, nos entreprises seront contraintes, comme c'est déjà trop souvent le cas, à se délocaliser.
Or, pour l'année prochaine, la recherche n'est manifestement pas une priorité budgétaire du Gouvernement puisque le budget de la recherche augmente moins que la moyenne des budgets civils, 1,1 % contre 1,2 %.
La troisième condition, c'est l'adaptation des formations à l'évolution des offres d'emploi et des besoins des entreprises.
Tout le monde le sait : une des causes majeures du niveau élevé du chômage en France, et des jeunes en particulier, réside dans le déficit de formation et l'inadaptation des qualifications.
Le baromètre mensuel La Tribune-Crédit Lyonnais du mois de novembre indique que près de deux tiers - 64 % - de l'échantillon de patrons de petites et moyennes entreprises interrogés affirment rencontrer des difficultés pour embaucher les spécialistes qu'ils recherchent.
Or, là encore, la formation professionnelle n'est pas une priorité du Gouvernement. Les crédits qui lui sont alloués vont diminuer l'année prochaine. Le nombre de contrats en alternance va ainsi baisser de 2,7 %.
Le recentrage des aides à l'apprentissage et aux contrats de qualification vous a permis de faire une économie de 500 millions de francs, que vous vous êtes bien gardé d'affecter au financement d'autres dispositifs de formation.
Enfin, vous recourez une nouvelle fois à un prélèvement de 500 millions de francs sur le capital temps-formation.
La quatrième condition, c'est l'urgente nécessité d'engager une deuxième phase de décentralisation et de confier aux régions, qui ont déjà une grande responsabilité en matière de formation, une compétence plus large en matière de développement économique.
La diversité des situations, la nécessité d'une réactivité toujours plus grande exigent la mise en place de politiques contractuelles fondées sur le partenariat et la proximité. C'est l'inverse de ce que vous nous proposez : vous centralisez, vous uniformisez, vous rigidifiez, vous gâchez la croissance économique.
Le Président de la République s'est dit lui-même préoccupé par le recul des créations d'entreprises dans un contexte de croissance durable : « Il n'est pas acceptable que certaines d'entre elles soient arrêtées net dans leur course, asphyxiées sous le poids des charges, des réglementations, des contrôles. »
Votre politique de l'emploi, madame la ministre, est donc diamétralement opposée à celle que nous suggérons. Le groupe des Républicains et Indépendants ne votera donc pas votre budget. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce budget de l'emploi retient tout particulièrement notre attention, et ce pour deux raisons au moins.
La première est que, tous, nous considérons l'emploi comme la plus impérieuse des priorités politiques. Depuis quelques années, les gouvernements, quels qu'ils soient, ont tous fait de l'emploi - avec plus ou moins de réussite - leur plus ultime priorité. Et, même si bien souvent nous divergeons sur les moyens, madame, je ne peux que me féliciter de ce consensus.
La deuxième raison tient au fait que cet automne parlementaire a été consacré de manière presque exclusive aux questions du travail et de l'emploi, en raison de l'examen de deux projets de loi que vous avez défendus dans ce temps très court ; je veux, bien entendu, parler du projet de loi relatif à la réduction du temps de travail et du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je ne m'attarderai pas sur ces deux sujets, mais il me faut pourtant les évoquer tant il ne faut pas les perdre de vue pour aborder de manière intelligible le présent projet de budget.
Si le Sénat s'est montré favorable à une réduction du temps de travail négocié - j'entends réellement négociée entre les partenaires sociaux, au cas par cas ou par accord de branche - si le Sénat s'est montré favorable à la validation de tous les accords conclus dans le cadre de la première loi à condition, bien évidemment, qu'ils ne soient pas contraires à l'ordre public social absolu, si le Sénat s'est montré favorable à la tenue d'une conférence nationale sur le développement de la négociation collective en partant du principe qu'il revient aux partenaires sociaux de négocier et que, s'ils ne le peuvent pas suffisamment, il ne faut pas les contourner mais leur donner plus de moyens pour le faire, en revanche, il s'est montré résolument défavorable à votre projet de loi qui n'avait de « négocié » que le titre.
Article après article, tout tendait à plus de contrôles, à plus de contraintes pour les entreprises alors que le travail doit aujourd'hui être libéré.
Notre assemblée a également refusé d'accréditer le dispositif éminemment injuste de la taxation des heures supplémentaires, qui figure à l'article 2 de ce projet de loi, dispositif selon lequel les entreprises versent une contribution de 25 % pour les heures supplémentaires effectuées.
Ce dispositif est inique dans la mesure où ces 25 % s'avéreront être une bonification pour le salarié lorsque celui-ci sera passé aux 35 heures alors qu'il ne touchera plus que 15 % lorsqu'il ne bénéficiera pas de la réduction du temps de travail, les 10 % restants alimentant un fonds destiné à financer les 35 heures.
Ce qui est injuste dans ce système, c'est que ceux qui travaillent le plus, ceux qui ne bénéficient pas de la réduction du temps de travail, paieront pour ceux qui y auront déjà été soumis. C'est une drôle de conception de la justice sociale !
Le débat sur le travail et les 35 heures ne s'est malheureusement pas arrêté au cadre de l'examen dudit projet de loi, puisque nous avons dû aborder à nouveau la question de son financement dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
L'article 2 de ce dernier concernait la création du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale.
Là encore, le Sénat s'est vigoureusement opposé à ce système injuste, puisque cet allégement de cotisations partiel n'est qu'une illusion dans la mesure où il ne compense pas l'augmentation mécanique du coût du travail lié à l'équation : 35 heures payée 39, dont l'incidence naturelle est l'augmentation du coût du travail de 11 % sur les bas salaires.
Au-delà du caractère illusoire de ce fonds, c'est également son mode de financement que nous avons rejeté puisque la contribution sociale sur les bénéfices et l'écotaxe nous paraissaient totalement inéquitables dans la mesure où vous repreniez d'une main ce que vous donniez de l'autre.
Ainsi, cet automne a été et sera, puisque nous devrons encore examiner en seconde lecture le projet de loi sur les 35 heures, l'occasion d'un large débat sur l'emploi et sur la politique que vous mettez en oeuvre en la matière.
Cela nous a déjà permis de constater que nous n'avions pas la même conception sur ce qu'il convient d'entreprendre en matière d'emploi dans notre pays. Nous ne pouvions donc être que très sceptiques quant à votre projet pour 2000.
Malheureusement, ce ne sont pas les seuls aspects qui, à l'examen de ce projet de budget, suscitent notre critique. Au moins trois points méritent d'être soulignés.
Le premier concerne l'opacité de la gestion du personnel dans votre ministère. Je note d'ailleurs avec satisfaction une convergence de vue, à cet égard, avec M. le rapporteur spécial, qui a cité la lettre du Premier président de la Cour des comptes à laquelle je souhaitais faire allusion. Je n'insiste donc pas, précisant simplement que je partage totalement ses vues.
Le deuxième point découle naturellement du précédent puisqu'il a trait à la création de cent trente emplois, à propos desquels le Gouvernement indique qu'ils concernent particulièrement les sections d'inspection du travail fortement mobilisées par la mise en oeuvre du dispositif d'aménagement et de réduction du temps de travail. Sur ces cent trente emplois, nous retrouvons en effet quinze inspecteurs du travail et quatre vingt-huit contrôleurs.
Sans même nous prononcer sur le bien-fondé de la création d'emplois visant à contrôler encore un peu plus nos entreprises, et démontrant par ailleurs le caractère inapplicable des 35 heures à l'échelle de notre pays, nous considérons qu'il n'était sans doute pas souhaitable d'alourdir davantage les charges de fonctionnement de votre ministère.
Le troisième et dernier point concerne le coût des emplois-jeunes. Celui-ci figure dans le « bleu » sous la mention, on ne peut plus floue, de « nouveaux services et nouveaux emplois ». En tout cas, cela se traduit par une augmentation cette année de 65 %, soit 21 milliards de francs, alors que ne sont toujours pas créés les 350 000 emplois dans le secteur public que vous aviez annoncés.
Si cet objectif est maintenu, à combien s'élèveront les dépenses de l'Etat pour maintenir le cap de cette politique excessivement onéreuse et dont l'intérêt, en termes de formation, reste à prouver ?
Dois-je rappeler que le ministère de l'éducation nationale, fleuron de cette politique avec 65 000 contrats emplois-jeunes, se désengage d'un dispositif qui démontre son incapacité à offrir une réelle formation professionnelle à ces jeunes ?
Une autre question se pose, qui touche l'éventuelle pérennisation de ces emplois dans le secteur public. Le terme de ces contrats est prévu pour 2002, en pleine campagne présidentielle. Que proposerez-vous alors dans ce climat de surenchère ?
Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons que nous opposer à votre projet de budget, qui, à nos yeux, ne prend pas la direction d'une bonne politique pour l'emploi.
Selon nous, une bonne politique pour l'emploi suppose que soient suivis quatre axes simples mais impérieux.
La baisse des charges, réelle et non feinte, pour les entreprises, notamment sur les bas salaires, constitue le premier axe et nous semble être la réponse la plus efficace face aux problèmes du chômage.
L'année dernière, 62,6 % des Français, considéraient que les cotisations sociales étaient le principal frein à l'embauche dans notre pays. Votre réforme est par trop timide puisque la baisse est feinte. Elle ne compense pas le surcoût du travail lié aux 35 heures.
Le deuxième axe concerne la formation. Dans le cadre de l'évolution du travail et des technologies, la formation professionnelle est un enjeu capital de toute politique de l'emploi.
On ne peut, dès lors, que regretter que l'accent n'ait pas été mis plus nettement sur ce volet et qu'un certain nombre de dispositifs de formation professionnelle voient leurs crédits réduits, en faveur d'autres politiques plus hasardeuses et plus coûteuses.
Les dotations destinées à l'alternance sont en baisse de 3,2 %.
Les effectifs d'entrée en apprentissage sont stables, après deux baisses progressives ces deux dernières années. Mais les effectifs sont encore surévalués compte tenu de la réduction des crédits.
Par ailleurs, si les crédits de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, augmentent de manière significative pour rénover l'offre de formation, il ne doit pas s'agir d'un chèque en blanc. L'association se doit de faire des efforts vigoureux en matière de gestion et d'améliorer significativement la qualité et la diversité de son offre.
L'AFPA devra renforcer son action à l'échelon local et bien sûr, sa coopération avec l'ANPE.
Le troisième axe d'une bonne politique de l'emploi doit être la lutte contre les exclusions. Sur ce point, je ne doute pas de votre volonté et de votre détermination à enrayer le processus inexorable de désocialisation des personnes privées d'emploi. Mais, malgré vos intentions, je ne peux que regretter que rien ne soit plus sérieusement mis en oeuvre en faveur de ces publics prioritaires.
Ainsi, les crédits des contrats initiative emploi diminuent de 26,2 % et ceux des contrats emploi-solidarité de 9 %, tandis que les stages pour chômeurs de longue durée voient leur dotation diminuer de 8,1 %.
Vous avez opté pour les emplois-jeunes. Malheureusement, cette politique se fait au détriment des autres publics prioritaires. Nous le regrettons : l'argent est suffisamment rare pour qu'on veille à ce qu'il soit bien utilisé.
Enfin, une vraie politique de l'emploi se doit de préserver et de promouvoir le paritarisme et le dialogue social. Vous vous félicitez du renouveau du dialogue social lié aux 35 heures. Mais tout montre que celui-ci ne s'est jamais porté aussi mal dans notre pays : le MEDEF a déjà un pied en dehors des organismes sociaux. Les syndicats ne sont pas plus satisfaits du dirigisme dont vous faites montre.
Edmond Maire n'a-t-il pas récemment, à propos des 35 heures, analysé ainsi la situation : « Aujourd'hui, la France recule et l'espoir de voir s'installer dans ce pays des relations économiques et sociales nouvelles s'éloigne. Le Gouvernement et la majorité parlementaire ont réinventé la lutte des classes... »
M. Guy Fischer. C'est plutôt le MEDEF !
Mme Nicole Borvo. Ils n'ont pas besoin de laréinventer !
M. Dominique Leclerc. « ... et gâché de façon absurde les chances de réformes. » Quand c'est Edmond Maire qui le dit, cela signifie bien que la situation est grave !
Voilà les quatre axes qui devraient alimenter et enrichir une vraie politique de l'emploi : la baisse des charges, la formation professionnelle, la lutte contre les exclusions et la défense du paritarisme.
Au lieu de cela, vous préférez les 35 heures et les emplois-jeunes, entraînant la France à contre-courant de nos partenaires et suscitant leurs plus expresses réserves quant à la voie que souhaite tracer seul notre pays.
Mme Nicole Borvo. Demandez aux jeunes ce qu'ils en pensent !
M. Dominique Leclerc. Pour toutes ces raisons, madame la ministre, le groupe du Rassemblement pour la République ne peut que refuser ce budget. (Applaudissement sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant d'étudier les principales lignes budgétaires pour l'an 2000 du ministère de l'emploi et de la solidarité, puis de dresser un bilan du coût des politiques de l'emploi au regard de leur efficacité, je tiens à m'arrêter quelques instants sur le contexte économique et social actuel.
Tous les indicateurs confirment, pour les deux prochaines années, la solidité de la reprise de la croissance économique française. Les effets de cette dynamique sur l'emploi comme sur le moral des Français et des entreprises sont visibles.
Une nouvelle fois, en octobre, le nombre de demandeurs d'emplois a reculé ; la baisse du chômage amorcée depuis plus de deux ans semble s'accélérer et, fait nouveau, concerner toutes les catégories, même les plusfragiles.
Evidemment, les jeunes, dont le taux de chômage a baissé de 25 % en deux ans, en profitent tout particulièrement. Les chômeurs de longue durée, dont le nombre repasse sous la barre du million, sont aussi touchés.
Sensibles à cette décrue du chômage, au record qui est en vue en matière de création d'emplois salariés, les Français sont aujourd'hui optimistes, plus enclins à consommer, mais ils sont aussi conscients, et indignés, des inégalités persistantes dans la répartition des richesses produites, des bénéfices colossaux dégagés par certaines grandes entreprises, plus soucieuses d'asseoir les profits financiers de leurs actionnaires que de mener une politique favorable à l'emploi et à la progression salariale.
Ces embellies du marché de l'emploi, je les attribue, contrairement à certains, non seulement à la conjoncture mais aussi à l'efficacité de la politique volontariste en matière d'emploi - je songe aux 35 heures et aux emplois-jeunes - et de relance de la consommation menée par le Gouvernement. Si l'on peut s'en réjouir et s'il est désormais possible de reparler avec une certaine crédibilité de société de plein emploi, nous avons le devoir de concrétiser cet objectif, d'une part, et de corriger les effets pervers de nouvelles inégalités, de cimenter la cohésion sociale, d'autre part.
Lutter contre la précarité et la misère reste plus que jamais d'actualité.
La persistance et le développement de la précarité au travail et hors du travail ainsi que la flexibilité croissante du marché du travail non seulement justifient que les efforts déjà entrepris soient soutenus mais appellent aussi des mesures urgentes.
Le travail ne protège plus de la pauvreté. Une étude récente du Secours catholique nous rappelle une fois de plus qu'avec l'explosion du temps partiel et des contrats de courte durée on peut être salarié et vivre avec des revenus inférieurs au seuil de pauvreté.
Les décisions prises depuis 1993 par les gestionnaires de l'UNEDIC - durcissement des conditions à remplir pour ouvrir droit à indemnisation, telle la durée d'activité, caractère dégressif de l'allocation chômage - ont largement contribué à exclure du système d'assurance chômage et à paupériser un nombre important de personnes, notamment des jeunes, alternant des contrats précaires et des périodes de chômage. En 1999, la part des chômeurs indemnisés devrait encore diminuer, passant de 41,3 % en 1998 à 41 %, voire moins de 40 % ! Et parmi les chômeurs indemnisés, près de la moitié le sont à des niveaux extrêmement faibles !
Comme chaque année depuis 1997, au moment des choix budgétaires, à la veille des fêtes de Noël, les associations de chômeurs et de personnes vivant dans la précarité se font entendre. Au-delà de la demande d'une prime exceptionnelle de 3 000 francs et d'un relèvement significatif des minima sociaux adressée au Gouvernement - revendication légitime de partage des fruits de la croissance - est posé un problème de fond : celui de la réforme de l'indemnisation chômage. Vous savez fort bien, madame la ministre, qu'un appel pour un Grenelle de l'assurance chômage reçoit un accueil favorable.
Dans le contexte actuel de blocage, où le MEDEF rechigne à ouvrir des négociations en vue de renouveler dans les temps la convention Etat-UNEDIC qui vient à expiration le 31 décembre, et annonce dès à présent son refus de voir reconduire l'ARPE, l'allocation de remplacement pour l'emploi, les conditions ne sont pas remplies pour que le régime d'assurance chômage évolue positivement afin d'assurer à tous une indemnisation décente.
Madame la ministre, je suis conscient que le système d'assurance chômage relève de la compétence exclusive des partenaires sociaux. Toutefois, si nous souhaitons promouvoir demain une aide plus efficace à la réinsertion professionnelle, assurer une meilleure indemnisation et la prise en compte du problème des jeunes de moins de vingt-cinq ans, l'Etat, qui a en charge la solidarité nationale, doit évidemment consacrer plus à la résorption de la fracture sociale mais aussi responsabiliser au maximum les entreprises afin de les dissuader de jouer de la flexibilité et des licenciements comme de simples variables d'ajustement en faisant supporter aux salariés les conséquences de leurs décisions.
Pourquoi ne pas envisager, comme c'est le cas d'ailleurs pour la branche accidents du travail-maladies professionnelles de la sécurité sociale, des cotisations employeur à l'assurance chômage modulées avec un système de bonus-malus, selon le risque chômage que l'entreprise fait courir à la collectivité ?
C'est l'une des dispositions contenues dans la proposition de loi visant à prévenir les licenciements économiques que nous avons déposée.
Il faut enrayer la machine à exclure, imposer dans le domaine de l'emploi la démarche de prévention. Nous tenons beaucoup à l'évolution et au renforcement de la législation en matière de licenciements économiques.
Après ce qu'il est désormais convenu d'appeler « l'affaire Michelin », le Premier ministre a opportunément rappelé que l'Etat n'avait pas à aider les entreprises qui diminuent leurs effectifs alors qu'elles réalisent de substantiels bénéfices.
Se trouvent en ligne de mire, notamment, les dispositifs de préretraites et les allocations spécifiques du fonds national pour l'emploi. Accordées dans le cadre de plans sociaux, ces aides au retrait anticipé d'activité ont, bien souvent, servi à financer à moindre coût par les deniers publics le rajeunissement de la pyramide des âges et les restructurations d'entreprises qui, objectivement, n'étaient pas réellement en difficulté.
Fort justement, le budget de cette année continue d'en tirer les conséquences, puisque les divers articles du chapitre relatif à la promotion de l'emploi et aux adaptations économiques enregistrent une réduction sensible des crédits. Par exemple, l'enveloppe affectée dans ce domaine, qui dépassait 8 milliards de francs il y a deux ans, diminue de 694 millions de francs, pour s'établir à 4,1 milliards de francs en 2000.
Nous apprécions cette démarche qui, de surcroît, s'accompagne de la révision à la hausse des financements tant des entreprises que de l'UNEDIC.
Dans le même ordre d'idée, nous réitérons notre souhait de voir les entreprises davantage associées à l'insertion, à la qualification et à la formation des personnes en difficulté comme de l'ensemble des salariés.
Par ailleurs, la forte proportion d'intérimaires et de salariés en contrats à durée déterminée témoigne du fait que les entreprises, dans certaines branches, sont de plus en plus nombreuses à recourir à ce type d'emplois, de manière non seulement conjoncturelle, mais également structurelle, pour gérer de façon permanente la main-d'oeuvre. Le secteur de l'industrie concentre, à lui seul, plus de la moitié des intérimaires.
A nouveau, en 1998, l'intérim a enregistré une forte hausse de 26,6 %. Selon l'étude de la Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, publiée en novembre dernier, le travail temporaire représente 454 000 emplois en équivalent temps plein. Ainsi, 900 000 personnes se contentent d'un contrat à durée déterminée et, de facto, pour le plus grand nombre, de moyens d'existence réduits, de projet de vie à court terme.
Depuis l'an dernier, les parlementaires communistes vous invitent, madame la ministre, à lutter contre le développement du travail précaire.
Faute de négociations au niveau des branches professionnelles et d'accords responsabilisant les entreprises en pénalisant financièrement le recours excessif et systématique aux emplois précaires, le Premier ministre s'est résolu à accepter que ce sujet fasse l'objet d'une intervention législative.
Nous accueillons très positivement cette décision et espérons que le dispositif retenu, qui pourrait prendre la forme d'une taxe supplémentaire pour les entreprises dépassant un certain seuil d'emplois précaires et d'une limitation des possibilités de reconduction des contrats à courte durée, se révélera être effectivement un instrument incitant les employeurs à recourir à l'emploi stable etcorrectement rémunéré.
Toujours dans le même souci de limiter la flexibilité en s'attachant à la qualité et au contenu des emplois, je tiens à souligner ô combien ! il nous paraissait urgent non seulement de « moraliser », mais aussi de décourager le recours au temps partiel, subi dans plus de 40 % des cas par les salariés. Il est en effet source de nombreux inconvénients du fait des fortes dérives dont il a fait l'objet ces dernières années, sans que pour autant de réelles contreparties soient apportées.
La suppression de l'abattement de 30 % des cotisations patronales décidée lors de la discussion de la seconde loi sur les trente-cinq heures va dans le bon sens.
Les enjeux sont importants. La promotion de l'emploi, la lutte contre les exclusions et les inégalités devant l'emploi doivent rester les priorités du Gouvernement.
Le budget de l'emploi, dont les crédits progressent cette année de 2,3 %, reflète bien la volonté politique de ne pas se satisfaire d'un chômage de masse, même ramené à 11 %. Il illustre aussi clairement certaines des orientations fondamentales de la politique mise en oeuvre depuis 1997, orientations sociales que nous partageons, qu'il s'agisse des trente-cinq heures, des emplois-jeunes, de la lutte contre les exclusions ou de l'action ciblée en faveur des publics les plus éloignés de l'emploi et que nous souhaitons voir parfaire.
Il est toutefois un bémol et de taille : nous continuons à nous interroger sur la pertinence et l'efficacité d'une politique publique pour l'emploi privilégiant l'allégement du coût du travail. Nous regrettons, madame la ministre, cette orientation stratégique qui emporte la préférence de la majorité sénatoriale, laquelle souhaiterait que ce choix soit encore plus amplifié. A notre sens, ces mesures tirent les salaires le plus souvent vers le bas et ne concourent pas à qualifier ces emplois.
Profondément attachés à enrichir le plus possible l'objectif d'emploi de la seconde loi relative à la réduction négociée du temps de travail, nous nous sommes largement exprimés lors des débats sur ce texte. Nous avons fait valoir notre opposition à la nature du financement retenu. Nous avons en vain proposé un financement alternatif et l'extinction de la « ristourne Juppé » débudgétisée pour les entreprises qui ne seraient pas à 35 heures.
En ce qui concerne la conditionnalité des aides à la création d'emplois, le texte a évolué positivement. Plus généralement, nous attendons que le Gouvernement s'engage résolument sur la voie du contrôle des fonds publics en acceptant, dans un souci de transparence et de renforcement de la démocratie, que notre proposition de loi visant à la création d'une commission nationale de contrôle des fonds publics pour l'emploi soit discutée.
J'aborderai maintenant un axe essentiel de ce budget : l'accentuation des actions en faveur des jeunes.
En octobre 1997, le Gouvernement lançait le programme « nouveaux services, nouveaux emplois », réservé au secteur public et associatif, afin de développer des activités nouvelles répondant à des besoins émergents ou non satisfaits et présentant un caractère d'utilité sociale. L'objectif, pour la fin de l'année 2000, de 300 000 emplois pourra être tenu, les crédits nécessaires étant prévus.
Si l'on peut effectivement saluer la montée en charge du dispositif emplois-jeunes, il convient aussi, et surtout, de veiller à sa pérennisation en assurant aux bénéficiaires, dont un sur deux s'interroge sur son avenir professionnel, la possibilité de conserver leur activité et d'accéder à un véritable emploi.
Au lieu de rejeter en bloc la poursuite du développement d'emplois dans le secteur non marchand, comme le voudrait la majorité sénatoriale, alors même que ces métiers correspondent à de vrais besoins, attachons-nous à professionnaliser ces emplois.
Quels sont les taxes de réflexion retenus par le Gouvernement en complément des initiatives et des conventions signées par le ministère de l'éducation nationale, notamment avec le secteur du bâtiment ou des grandes entreprises - Air France, Vivendi - pour procurer à l'ensemble des jeunes concernés de réels débouchés ?
S'agissant du dispositif TRACE, mis en place par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions afin d'assurer un suivi personnalisé des jeunes sans qualification et très désocialisés, de les accompagner en leur permettant d'accéder aux connaissances de base, je prends acte de l'augmentation des crédits de ce programme.
Je constate que le rythme d'entrée dans ce dispositif paraît lent et que des incertitudes demeurent quant aux résultats en termes d'insertion, en raison de la limitation dans le temps de la durée d'accompagnement : dix-huit mois.
Une question cruciale et déterminante pour la resocialisation n'est toujours pas résolue : il s'agit de la garantie de ressources, pourtant nécessaire pour sécuriser le parcours d'insertion.
Madame la ministre, pourquoi ne pas envisager la création d'une allocation d'emploi, une allocation « formation-insertion », pour remédier de façon permanente aux difficultés financières des jeunes qui ne sont ni en stage ni sous contrat de travail ?
En outre, le projet de budget tire toutes les conséquences du recentrage des dispositifs d'aide à l'emploi des publics prioritaires au bénéfice des demandeurs les plus éloignés de l'emploi. L'accent est mis sur les contrats emplois consolidés, avec 60 000 contrats supplémentaires, alors que le nombre d'entrées en contrat emploi-solidarité diminue et qu'il se stabilise pour les contrats initiative-emploi.
Caractérisés tout de même par une forte précarité, ces emplois aidés à durée déterminée « replongent » le plus souvent leurs bénéficiaires dans le chômage.
Toujours pour renforcer l'insertion, traiter individuellement les besoins particuliers et prévenir le chômage de longue durée, l'ANPE voit ses moyens renforcés. Le programme « nouveau-départ » sera assuré, notamment, grâce à la création de cinq cents postes supplémentaires.
Indéniablement, les réformes structurelles emblématiques de la gauche plurielle sont financées. Je regrette toutefois les redéploiements opérés et certains choix budgétaires. Je pense, en particulier, au financement de la politique de formation professionnelle, qui soulève quelques interrogations. Mais vous y apporterez, je crois, une réponse. L'évolution la plus spectaculaire concerne les crédits consacrés à l'apprentissage.
En revanche, les dotations à l'AFPA progressent, ce qui devrait utilement permettre, en période de reprise, de satisfaire les demandes de main-d'oeuvre qualifiée émanant des entreprises. Nous attendons de la réforme annoncée qu'elle permette la formation professionnelle tout au long de la vie, accessible à tous, répondant aux besoins des enteprises comme aux aspirations des salariés, et qu'elle clarifie les responsabilités de chacun.
Mais je pense aussi au reclassement des handicapés, à la question de leur insertion sur le marché de l'emploi qui se révèle être deux fois plus longue que pour unepersonne valide. A l'issue de la troisième semaine nationale pour l'emploi des handicapés organisée par l'Association pour l'insertion professionnelle des handicapés, l'ADAPT, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre afin de favoriser l'embauche des personnes handicapées ?
Après ces quelques réserves, pour conclure par une note plus positive sur le projet de budget que vous nous soumettez, madame la ministre, je saluerai l'effort budgétaire pour améliorer les services de votre ministère.
Contrairement à la majorité sénatoriale, qui justifie son avis défavorable sur le présent projet de budget par trois motifs principaux - le coût croissant des emplois-jeunes, le caractère contraignant de la réduction du temps de travail et son financement, la création de cent trente postes dont quinze inspecteurs et quatre-vingt-huit contrôleurs - je considère qu'il est plus qu'opportun que le nombre de ces personnels aille croissant et que l'on s'attache à résorber l'emploi précaire en améliorant la situation matérielle et les perspectives de carrière, notamment des agents de catégorie C.
Vous l'aurez compris, madame la ministre, nous approuvons votre projet de budget et, par conséquent, nous ne pouvons, pour de multiples raisons, que nous opposer à la position de la majorité du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Mouly.
M. Georges Mouly. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon propos sera bref, car le sujet a déjà été abordé, chiffres à l'appui, que je ne reprendrai pas ou peu. Il sera centré sur les crédits consacrés à la formation professionnelle.
Alors que le Gouvernement, à juste titre, fait de l'emploi une priorité, les crédits de la formation professionnelle, qui sont l'instrument concret, me semble-t-il, d'une demande précisément préalable à l'emploi, sont en baisse par rapport à l'an dernier. Le projet de budget de la formation professionnelle ne se cantonne-t-il pas, en effet, pour l'essentiel, à financer des mesures de reconduction, dans l'attente, me dira-t-on, d'une réforme qui sera sans doute la bienvenue ? Cette réforme, annoncée dapuis quelque deux ans et dont je conviens qu'elle aurait pu être amorcée bien avant, devra voir le jour en 2001. Elle est pourtant urgente, car indispensable.
Notre système de formation professionnelle, peu modifié depuis des années, pour l'essentiel, suscite, à juste titre, de nombreuses réserves, alors que M. Claude Allègre lui-même parle de « l'impérieuse nécessité de la formation professionnelle ».
Tout d'abord, le système reste complexe et l'on pouvait parler de surcroît, il y a peu - c'est peut-être moins le cas aujourd'hui - de l'opacité des financements. A une question posée dans un passé relativement récent, il m'avait alors été répondu que plus de 40 000 organismes étaient déclarés, que seuls quelque 26 400 avaient exercé une activité et que moins de 5 000 seulement avaient déclaré un chiffre d'affaires supérieur à 1 million de francs, représentant cependant 85 % de l'activité totale du marché. Suivaient des précisions quant à la nécessaire transparence du marché. Il y a sans doute toujours là un chantier à poursuivre, en matière de simplification et de transparence.
Peut-on dire que ce système toujours complexe entretient de surcroît des inégalités d'accès à la formation, selon le sexe, l'âge ou le niveau de qualification ? A défaut d'une relation évidente de cause à effet, c'est pour le moins là un constat que l'on fait à regret.
Ces quelques remarques ou observations critiques - je pourrais formuler d'autres considérations, d'importance inégale il est vrai - sont d'autant plus fâcheuses à faire que la formation joue bien évidemment un rôle premier dans la lutte contre le chômage et les exclusions, qui est le point fort de la politique du Gouvernement, puisqu'elle peut permettre à tous d'intégrer le marché du travail, qui est le meilleur vecteur de l'insertion.
Il n'est nullement question, à mes yeux, de critiquer pour l'essentiel le bien-fondé et la réalité des mesures de lutte contre les exclusions, mais l'effort fait par ailleurs, et c'est un exemple, pour les emplois-jeunes ne saurait être assimilé aux efforts nécessaires en faveur des publics en difficulté au regard de leurs difficultés d'intégration professionnelle. C'est tout autre chose, me semble-t-il.
C'est, là encore, une raison forte pour laquelle je déplore la diminution des crédits. Je veux bien penser qu'elle ne traduit pas un désengagement du Gouvernement, contrairement à ce qui a pu être dit. Chacun en convient, l'une des pièces maîtresses de la formation professionnelle, c'est la formation, ou les formations, en alternance. Or les crédits alloués à ce type de formation sont en baisse et les contrats sont en diminution. C'est un autre regret que je formule, mais j'ai cru comprendre tout à l'heure, en entendant M. Fischer, qu'une réponse serait apportée. J'attends.
Le chômage régresse, et chacun ne peut que s'en réjouir, mais, parallèlement et paradoxalement, de nombreux secteurs d'activités - cela a été dit - éprouvent de grandes difficultés à trouver de la main-d'oeuvre. On ne saurait reprocher au Gouvernement actuel le manque d'attrait des jeunes pour certains métiers, pas davantage - je l'ai vécu, cela ne date pas d'aujourd'hui - la sélection par le bas de l'orientation en établissement d'enseignement professionnel. Il en est ainsi depuis des décennies. Sont en cause les gouvernements peut-être, l'éducation nationale et les enseignants certainement, et les parents tout autant.
C'est affaire de culture, me semble-t-il, et le courant sera difficile à remonter. Raison de plus pour qu'un effort tout particulier soit fait - et ce n'est, hélas ! pas le cas - en faveur de l'apprentissage, qu'il s'agisse des contrats de qualification, d'adaptation ou d'orientation. La formation professionnelle, diagnostics, défis et enjeux, tel est le titre du Livre blanc, madame la secrétaire d'Etat, dont nous souhaitons l'exploitation et la mise en oeuvre. Il s'agit d'une attente, ce n'est donc pas, par définition, une réalité à ce jour.
Certes, il convient de se féliciter, par ailleurs, de l'augmentation des crédits en faveur de l'AFPA, l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes. Ses missions de service public permettent à cet organisme de participer activement à la réinsertion professionnelle. Nous en convenons.
L'AFPA prend effectivement le parti de se tenir à la pointe des nouvelles technologies et de l'enseignement à distance. J'ai pu le constater dans mon département. Souhaitons simplement, mais cela n'est pas rien, que l'AFPA connaisse une très bonne gestion.
Au total cependant, et pour conclure ce « survol » trop bref et tellement incomplet - je n'ai pas voulu rappeler les chiffres - ce budget permet, me semble-t-il, la reconduction, je l'ai déjà dit, des actions conduites jusqu'à présent. J'ai le sentiment qu'il s'agit en quelque sorte d'un budget de transition, en attente de réformes souhaitables et souhaitées, en attente d'une politique plus forte de la formation professionnelle. J'en conviens, la chose n'est sans doute pas aisée ; raison de plus, me semble-t-il, pour amorcer sans plus attendre ce chantier.
La reprise de l'activité économique qu'accompagne une pénurie de main-d'oeuvre aurait dû, selon moi, y inciter. Le budget en discussion ne permet pas cette avancée que nous aurions souhaitée. Madame la secrétaire d'Etat, c'est un constat, que je fais à regret, regret qui n'est en rien, je ne crains pas de l'affirmer, la manifestation d'une quelconque et condamnable tactique politicienne dont parlait notre collègue Mme Dieulangard. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le présent projet de budget pour l'emploi s'inscrit dans la continuité des mesures dont la mise en oeuvre a été entamée depuis 1997, qu'il s'agisse, pour l'essentiel, des emplois-jeunes, de la lutte contre les exclusions et des deux lois de réduction du temps de travail. En ce sens, le budget est bien un texte d'exécution, qui donne au Gouvernement et à l'administration les moyens d'application de la politique qui a été déterminée auparavant.
C'est précisément sur les moyens que vous nous proposez pour votre propre administration que mon intervention portera, madame la ministre.
Je voudrais tout d'abord vous féliciter de la poursuite du programme de résorption de l'emploi précaire que vous avez entrepris. Quelque 12,5 millions de francs sont consacrés à cette opération indispensable d'assainissement. Il était en effet paradoxal que se soit ainsi développé au sein de l'administration du travail un nombre important d'emplois précaires : vingt-six postes d'agent administratif de deuxième classe sont créés dans ce cadre, qui font suite aux trente postes de cette année.
Par ailleurs, ce projet de budget prévoit la création de quinze postes d'inspecteur du travail et de quatre-vingt-huit postes de contrôleur du travail.
Là aussi, ces créations font suite à celles de 1998 et 1999, soit déjà un acquis de 195 inspecteurs et contrôleurs du travail. Si je compte bien, nous voilà donc avec 298 membres du corps d'inspection en plus depuis votre prise de responsabilité à ce ministère. C'est un effort tout à fait considérable et sans précédent, qu'il convient de saluer.
Nous devons cependant tenir compte de trois points.
D'abord, nous partons de très loin, puisqu'il n'y a toujours que moins de 1 500 agents de contrôle pour 14 millions de salariés du secteur privé. Tous les inspecteurs et contrôleurs ne sont pas affectés à des tâches d'inspection ; ils peuvent être en poste dans les directions régionales ou départementales du travail.
Ensuite, la procédure de recrutement et de formation est longue. L'ensemble atteint facilement trois ans. Il y a donc un temps de latence réel entre notre vote et la prise de fonction de ces agents.
Enfin, le Parlement est en train d'examiner le second projet de loi relatif à la réduction du temps de travail, un texte important par la teneur de ses dispositions et par le fait qu'il concerne l'ensemble des entreprises et des salariés du secteur privé. Ce texte touche au coeur même de la relation de travail, sa durée et, par ricochet, sa rémunération.
Quelles que soient la bonne foi et la bonne volonté des chefs d'entreprise et des représentants de salariés, ce texte ne manquera pas de susciter des questions sur ses modalités d'application.
A notre grand regret, nous devons aussi craindre que, ici ou là, cette bonne foi et cette bonne volonté ne soient prises en défaut et que des divergences d'interprétation ou des conflits ne surgissent. Nous avons déjà connaissance d'entreprises où, par exemple, l'intégration de telle ou telle pause dans le temps de travail effectif et la suppression des ponts traditionnels par la direction sont sources de graves difficultées.
Il convient de veiller à ce que la réorganisation du travail, qui est bien souvent permise par la réduction du temps de travail, se déroule de manière équilibrée et ne lèse pas les salariés. Nous avons légiféré le plus précisément possible, mais tout ne peut malheureusement être prévu.
Les employeurs et les salariés ont donc besoin de conseils durant la négociation, et la mise en place de la réduction du temps de travail nécessite un contrôle, non seulement lors de la mise en oeuvre, mais aussi dans les modalités d'application au fil du temps.
C'est donc une tâche très importante qui attend les services d'inspection, déjà fort préoccupés par le respect du droit du travail actuel dans les entreprises.
Notre interrogation, madame la ministre, porte donc sur la poursuite de cette politique de renforcement du corps de contrôle. Nous approuvons bien entendu pleinement ce qui a déjà été réalisé en la matière. Nous aimerions d'ailleurs savoir où en sont le recrutement, la formation et les premières affectations des agents recrutés sur les postes qui ont été budgétisés.
Nous souhaitons que cette politique soit poursuivie et amplifiée dans les prochaines années par un plan pluriannuel de recrutement et de formation.
Nous souhaitons aussi que les inspecteurs et les contrôleurs recrutés soient, à l'issue de leur formation, affectés à des tâches effectives de contrôle et réalisent des missions en entreprises, pour y apporter leurs conseils, mais aussi pour sanctionner, lorsqu'il le faut, les chefs d'entreprise qui en prennent à leur aise avec la loi.
Si je puis me permettre cette note d'humour, je dirai que nous sommes persuadés qu'une plus grande présence, une plus grande disponibilité des agents de contrôle aurait un effet bienfaisant sur les relations sociales dans certaines entreprises.
Voilà qui m'amène à une autre question relative à la gestion des personnels de contrôle. Il s'avère, en effet, que le déroulement de carrière des inspecteurs du travail ne leur permet plus, passé un certain échelon, de rester en poste, mais que toute promotion est conditionnée par l'accès à un poste de direction du travail. Cela présente deux inconvénients : un certain nombre d'inspecteurs préféreraient rester en poste et regrettent de devoir en quelque sorte changer de métier ; surtout, sur le plan de l'efficacité, c'est au moment où ces agents sont bien formés et expérimentés, au meilleur de leur efficacité, qu'ils doivent abandonner leur mission. Ce système est parfaitement contre-productif et il nous paraît opportun de réfléchir au moyen d'assouplir ces règles d'évolution decarrière.
Telles sont, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, les éléments que nous souhaitions apporter àl'occasion de ce débat budgétaire.
De grands progrès ont été réalisés depuis deux ans dans le domaine de la gestion des personnels comme en matière de réorganisation de la dépense pour l'emploi. Ces progrès portent leurs premiers fruits, et nous n'en avons que plus de satisfaction à vous renouveler aujourd'hui encore notre total soutien. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Larifla.
M. Dominique Larifla. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, incontestablement, les mesures prises par le Gouvernement portent aujourd'hui leur fruit en métropole. La France retrouve son dynamisme et sa place parmi les grandes puissances de ce monde. Hélas ! en outre-mer, la situation économique et sociale se dégrade de jour en jour, malgré les orientations et les actions fortes du Gouvernement.
En métropole, on assiste à une diminution très nette du nombre de demandeurs d'emploi, alors que la situation de l'outre-mer demeure préoccupante. Le taux de chômage et les indices d'exclusion sont en constante progression : 11,3 % à la Martinique, 5,3 % en Guadeloupe et 4,1 % en Guyane. Le taux du chômage atteint 36 % à la Réunion, 30,5 % à la Martinique, 30 % en Guadeloupe et 25 % en Guyane.
Les départements d'outre-mer restent donc caractérisés par la tendance à la hausse du chômage et par une conjoncture économique défavorable. La situation est dramatique pour les demandeurs d'emploi de longue durée, dont le nombre atteint 109 715 pour l'ensemble des départements d'outre-mer. Les proportions les plus élevées se situent à la Martinique et en Guadeloupe, respectivement 58,4 % et 53,3 %.
A la Réunion, le nombre de RMIstes croît de 6,7 % pour atteindre 58 000. En Guadeloupe, il s'établit à 28 000, soit environ 14 % de la population active. Pour l'ensemble des départements d'outre-mer, on dénombre 118 822 bénéficiaires du RMI, alors que ces départements représentent moins de 3 % de la population française.
L'importance du nombre de personnes qui bénéficient du RMI dans les départements d'outre-mer témoigne de la détérioration de la situation économique et sociale. Elle est le signe de l'existence d'une société duale, distinguant, d'une part, les personnes incluses dans le système productif et, de l'autre, celles qui relèvent du dispositifd'assistance.
En ce qui concerne les agences départementales d'insertion, la loi du 28 juillet 1998 a allégé les procédures administratives. Les allocataires du RMI doivent bénéficier d'un service social et d'un plan d'insertion adaptés à la réalité locale. C'est la condition indispensable d'un accès à l'emploi.
La créance de proratisation est versée au budget des ADI, les agences départementales d'insertion, par le FEDOM, le fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer. Le besoin en logements très sociaux est immense. Le Gouvernement doit à tout prix maintenir, voire amplifier les dotations en faveur de ce secteur. L'égalité sociale passe par l'égalité devant le droit au logement.
La gravité de la situation économique et sociale de l'outre-mer constitue un défi que le Gouvernement a décidé de relever.
Les emplois-jeunes ont permis de limiter le chômage des jeunes. La part de l'outre-mer dans le nombre total des emplois de ce type créés à ce jour est importante, puisqu'elle s'élève à 6,25 %, alors que les DOM ne représentent que 3,5 % de la population nationale âgée de moins de vingt-cinq ans. Malgré cela, le taux de chômage des jeunes reste encore trop élevé.
Les crédits importants inscrits au FEDOM permettront de créer 11 000 emplois-jeunes sur trois ans pour l'ensemble de l'outre-mer. Mais, comme vous le savez, le retard de développement de nos régions, qui a pour conséquence des contraintes financières énormes, et le faible potentiel fiscal local entravent la capacité des communes à signer des contrats emplois-jeunes en nombre suffisant et à soutenir comme il le faudrait l'effort de l'Etat.
Sur le plan des mesures d'aide à l'emploi et à la formation, l'objectif fixé pour les CAE a été atteint, tandis que celui qui est relatif aux CES est déjà dépassé.
Malgré quelques difficultés l'année dernière de mise en oeuvre des contrats d'insertion par l'activité, les CIA, on constate une montée en puissance du dispositif par rapport à l'année précédente. Ainsi, en Guadeloupe, en 1998, 4 006 CIA ont été conclus. En revanche, le nombre de contrats en alternance a diminué de 7 %. Les chefs d'entreprise devraient participer de manière plus active à l'insertion de notre jeunesse dans le monde du travail.
Au total, dans les DOM, les principales mesures des politiques de l'emploi relatives aux contrats aidés et aux actions de formation ont concerné plus de 92 000 bénéficiaires en 1998, au lieu de 75 000 en 1997.
L'emploi est donc la première des priorités gouvernementales pour l'outre-mer. Le projet de budget pour 2000 fixe le montant de la dotation pour l'emploi dans les DOM et à Saint-Pierre-et-Miquelon à 2,1 milliards de francs, soit une augmentation de 16,2 % par rapport à 1999. Ainsi, le FEDOM permettra le financement de 58 000 solutions d'insertion, contre 56 000 en 1999.
En ce qui concerne le logement social, une part des crédits de la créance de proratisation du RMI y est consacrée. Elle s'ajoutera à la ligne budgétaire unique, qui marque une stagnation.
L'effort global de l'Etat pour l'outre-mer, tous ministères confondus, progresse de 2,85 %, passant de 56 milliards de francs à 57,8 milliards de francs. Cette progression est plus que trois fois supérieure à la moyenne nationale. Cet effort consacré à l'outre-mer permettra aux DOM d'afficher des objectifs ambitieux et de dégager véritablement des priorités en termes d'emploi, de logement et d'action sociale et culturelle.
Mais un danger guette aujourd'hui nos sociétés : la tentation de « salarier » l'exclusion.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Très bien !
M. Dominique Larifla. Il faut que les DOM sortent de cette certitude fataliste, car ce consentement tacite mène à une dissociation croissante entre l'économique et le social. Il est temps de se pencher sur un plan de développement économique porteur d'emplois durables et créateur de richesse.
Pour conclure, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, l'emploi et, par conséquent, le développement économique nécessitent plus que jamais un soutien actif et résolu de la puissance publique. Le développement, pour être durable, doit être solidaire. L'emploi est au coeur de votre projet de budget. En tournant la page de la politique de la parité sociale, le Gouvernement s'est fixé pour objectif l'égalité sociale, qui suppose un effort de la nation.
La responsabilité politique, économique et sociale, dont le Gouvernement souhaite qu'elle soit assumée dans chaque DOM, est une des clés du développement de l'outre-mer. Nos territoires sont riches d'une jeunesse nombreuse, dynamique, formée ou en quête de formation diplômante. Cette jeunesse constitue un atout majeur, une chance pour les DOM, et aussi pour la nation.
L'outre-mer reste attentif et ouvert à toute initiative allant dans le sens du progrès. Je voterai ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, Nicole Péry et moi-même avons l'honneur de vous présenter aujourd'hui le projet de budget de l'emploi et de la formation professionnelle pour 2000.
Cette discussion est évidemment indissociable des débats relatifs à la réduction de la durée du travail, au projet de loi de financement de la sécurité sociale et à l'institution d'un nouveau régime d'allégement des cotisations patronales.
Vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, que la politique de l'emploi est au coeur de la stratégie du Gouvernement. Avec ce projet de budget, nous remplissons les engagements qui avaient été pris en ce qui concerne l'emploi. En effet, après l'instauration des emplois-jeunes, des aides à l'innovation technologique et à la création d'entreprise, de l'aide au pouvoir d'achat et à la relance de la consommation et de la croissance, de la réduction de la durée du travail et de la modification du financement des cotisations patronales, nous aurons mis en place l'ensemble des éléments sur lesquels s'était fondé le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale.
Il faut reconnaître que cette politique porte ses fruits, n'en déplaise à certains. En effet, quels que soient les indicateurs du chômage retenus - je rappelle que j'ai réintégré dans les chiffres du chômage publiés l'ensemble de ces indicateurs, notamment celui que l'on appelle le « 1 + 6 », qui permet de prendre aussi en compte les chômeurs ayant travaillé plus d'un mi-temps dans le mois - tous témoignent d'un recul important du chômage.
Si l'on se réfère à l'indicateur le plus connu, on dénombre 470 000 chômeurs de moins par rapport au mois de juin 1997 ; mais, ce qui est plus important et plus intéressant encore, cette évolution est deux fois plus ample sur les seuls dix premiers mois de l'exercice 1999 que pour toute l'année dernière, puisque l'on compte 250 000 chômeurs de moins par rapport au début de l'année. Cela montre que la décrue du chômage s'est nettement accélérée, alors même que le taux de la croissance, comme vous le savez, est de 2,7 %, contre 3,4 % l'année dernière.
Il faut donc croire que d'autres éléments jouent peut-être en dehors de la seule croissance, à laquelle certains souhaiteraient borner leur analyse. Je ne prétends pas, messieurs Ostermann et Souvet, que la croissance n'a joué aucun rôle, puisque nous avons au contraire tout fait pour la relancer. Je rappelle que, dans notre pays, le taux de croissance était en moyenne, sur les quatre dernières années précédant l'installation du gouvernement de Lionel Jospin, inférieur de 0,5 point à la moyenne européenne, alors qu'il lui est aujourd'hui supérieur de 0,5 à 1 point. Nous avons, pour ce faire, relancé la consommation, et donc les revenus de ceux qui en avaient le plus besoin, mais nous avons aussi fait en sorte de ramener la confiance. Celle-ci est revenue, notamment grâce aux emplois-jeunes, qui ont redonné espoir aux familles.
Comme l'ont très bien montré Mme Dieulangard et M. Fischer, c'est tout à la fois le redémarrage de la croissance - fondé d'ailleurs sur la consommation interne, ce qui nous a permis de franchir beaucoup plus facilement le cap des crises asiatique et russe - les résultats de l'instauration des emplois-jeunes et de la politique menée en matière de nouvelles technologies et les premiers effets, que l'on retrouve dans les chiffres, de la réduction du temps de travail qui expliquent la réalité d'aujourd'hui.
M. Ostermann nous a affirmé que la source de cette évolution favorable était la croissance internationale, notamment américaine, qui se situait pourtant au même niveau au cours des quatre années ayant précédé notre arrivée. A l'écouter, on a donc l'impression qu'elle ne diffusait pas en France ses effets bénéfiques quand la droite était au pouvoir mais que, brutalement, c'est cette seule cause qui expliquerait les résultats actuels de notre pays. Je crois pour ma part qu'il est tout aussi erronné d'affirmer que tout est dû à la croissance internationale que de nier l'importance d'un climat favorable pour la création d'emplois, ce que nous n'avons jamais fait. Je pense qu'il faut là aussi procéder à une analyse en se fondant sur les faits, car c'est ainsi que nous pourrons progresser.
Par conséquent, la situation de l'emploi s'améliore de manière certaine dans notre pays, où l'on dénombre 150 000 chômeurs de longue durée de moins sur un an et 25 % de jeunes chômeurs en moins par rapport à juin 1997, ce qui est tout à fait nouveau puisque, depuis la première crise pétrolière, nous n'avions pas connu un tel recul du chômage de longue durée. Ces résultats sont dus, à mon sens, aux effets des politiques volontaristes que nous menons, par le biais notamment de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions et de l'action du service public de l'emploi.
Cela dit, il reste de nombreux chômeurs dans notre pays - ils sont aujourd'hui 2 670 000 - notamment dans certaines régions et dans les DOM, comme M. Larifla nous l'a rappelé à juste raison. Nous savons donc que nous devons continuer avec la même détermination à lutter contre le chômage : c'est tout l'enjeu de la poursuite du mouvement de réduction de la durée du travail et de la mise en place des emplois-jeunes, mais aussi de l'encadrement du temps partiel subi et de la lutte contre l'emploi précaire, que M. Fischer a évoquée ; c'est aussi tout l'enjeu de ce projet de budget, qui porte en germe la réforme des cotisations patronales et la poursuite de la réduction du temps de travail.
Lorsque le marché du travail se dégrade, on peut être contraint de recourir aux aides publiques pour atténuer le choc. Mais lorsque la situation de l'emploi s'améliore, l'enjeu essentiel est de favoriser le retour à l'emploi des personnes qui en sont le plus éloignées. Aujourd'hui, il y a encore 2 670 000 chômeurs, il reste 1 000 000 de personnes victimes du chômage de longue durée - leur nombre a heureusement quelque peu baissé, mais il demeure quand même extrêmement important - et c'est vers eux que nous devons nous tourner en priorité quand la croissance est là, car ce sont eux qui voient passer les trains et qui ont peur de ne pas pouvoir y monter. D'où l'importance, dans ce projet de budget, de la mise en oeuvre de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions.
Parallèlement à cette optimisation des moyens, qui vise à recadrer l'utilisation de ceux-ci au profit de la lutte contre l'exclusion, nous continuons à faire porter notre action sur les leviers du développement de l'emploi, tels que la réduction de la durée du travail.
Je voudrais à cet égard rassurer M. Carle : il n'y a pas de différence entre les chiffres publiés par l'INSEE et par la DARES et ceux que j'ai annoncés. Si les accords sur les 35 heures signés à ce jour par les entreprises prévoient bien la création ou la sauvegarde de 135 000 emplois, dont 85 % de créations d'emplois, il est vrai que, dans leurs études du mois de septembre, la DARES comme l'INSEE considéraient que 40 000 embauches étaient d'ores et déjà réalisées. Mais il n'y a pas là de contradiction entre les chiffres, et nous en sommes d'ailleurs aujourd'hui, je pense, à 70 000 ou 80 000 embauches, chiffre qui continuera de croître avec le temps.
La politique d'allégement des charges sociales vise elle aussi, par le biais d'une réforme des cotisations patronales, à favoriser l'emploi. Avec 122,6 milliards de francs pour 2000, le projet de budget de l'emploi et de la formation professionnelle permet de financer intégralement nos actions prioritaires, sans dépasser un taux de croissance modéré de 2,3 % par rapport à 1999.
En effet, le montant de ces crédits progresse de 2,7 milliards de francs, chiffre qui résulte de la conjonction de 10,4 milliards de francs de dotations complémentaires et de 7,7 milliards de francs d'économies ou d'ajustements à la baisse sur d'autres postes. Comme nous l'avions fait les années précédentes, nous continuons donc à recadrer le budget et à réduire, voire à supprimer les effets d'aubaine, pour orienter les aides de l'Etat vers ceux qui en ont le plus besoin. Quand des entreprises bénéficient de ces aides, des contreparties en matière d'emploi sont prévues.
S'agissant des mesures structurelles de développement de l'emploi, elles absorbent 80 % de la masse financière dévolue aux mesure nouvelles. A l'inverse, et comme l'an dernier, des économies importantes sont réalisées sur les dotations affectées à l'accompagnement des restructurations et au financement des préretraites du Fonds national de l'emploi.
Quant à la démarche de « ciblage » des aides et d'accompagnement des parcours de retour à l'emploi, elle se traduit par 3,7 milliards de francs d'économies sur les dispositifs traditionnels - il s'agit, je le répète, d'obtenir des gains en matière d'efficacités en recentrant ces dispositifs sur les personnes les plus en difficulté, comme pour les CIE et les CES - et par l'affectation de 1,2 milliard de francs de crédits nouveaux aux outils de lutte contre l'exclusion et au renforcement du service public de l'emploi.
Le premier levier pour favoriser le développement de l'emploi est le dispositif des emplois-jeunes. Le bilan est aujourd'hui de 220 000 emplois créés et de 211 000 embauches. Le projet de budget pour 2000 est construit autour d'un objectif de 320 000 à 330 000 emplois créés, et donc d'environ 290 000 jeunes embauchés d'ici à la fin de l'année 2000. Je voudrais dire à ce propos à M. Ostermann que le projet de budget est bien calibré et que les emplois-jeunes sont financés, à hauteur d'un stock moyen d'emplois de 240 000. Il n'y a donc pas de contradiction entre le projet de budget et les objectifs affichés.
J'ajouterai, monsieur Ostermann, que la Commission européenne n'a pas, contrairement à ce que vous avez affirmé, porté un jugement négatif sur les emplois-jeunes. Elle indique notamment que « ces emplois ont contribué au recul du chômage des jeunes », mais que, « cependant, la survie de ces postes, une fois qu'aura pris fin le soutien financier des pouvoirs publics, dépendra de la capacité du programme à générer des emplois économiquement viables ». C'est justement le sujet qui nous occupe aujourd'hui. Sachez, monsieur Ostermann, que mes collègues et moi-même réunirons, à la fin de la semaine, plusieurs milliers de bénéficiaires d'un emploi-jeune et d'employeurs, afin de faire le point sur la professionnalisation et sur la pérennisation de ces emplois. Nous continuerons à avancer dans cette voie.
La deuxième réforme structurelle, qui est double, concerne la réduction du temps de travail et l'allégement des charges pesant sur les bas et les moyens salaires. Son financement reposera, en 2000, sur le fonds de la réforme des cotisations sociales, créé à cet effet dans la loi de financement de la sécurité sociale. La ristourne dégressive qui, finalement, n'aura été intégrée au budget de l'emploi que sur le seul exercice 1999, rejoint donc ce fonds, pour un montant de 39,5 milliards de francs.
M. Ostermann a l'air de contester ces chiffres. Permettez-moi de vous rappeler, monsieur le rapporteur spécial, que, lorsque j'ai pris mes fonctions, en juin 1997, c'était la première année d'application réelle de la ristourne dégressive. Or, si 38 milliards de francs avaient été programmés, il manquait cependant 7 milliards de francs. C'est pour cette seule raison que nous avons été amenés à baisser de 1,33 à 1,3 SMIC l'effet maximum et à trouver des ressources complémentaires.
Quand j'entends l'opposition me dire que la réforme des charges sociales du Gouvernement est un vrai scandale alors qu'elle est financée à 80 % sur cinq ans, alors même que, dès la première année d'application de la ristourne dégressive, il manquait déjà 7 milliards sur 45 milliards de francs, je réponds que chacun doit avoir un peu de mémoire.
Compte tenu des évolutions salariales - la « trappe à bas salaires » sera moins importante et, heureusement, il y aura croissance du pouvoir d'achat - les 39,5 milliards de francs que nous avons prévus correspondent exactement à nos calculs et à ceux de l'INSEE : c'est bien ce dont nous aurons besoin en 2000 pour financer la ristourne dégressive.
Je suis d'ailleurs étonnée de vos critiques sur la transparence car, s'il y avait quelque chose qui n'était pas transparent, c'était bien que nous ne soyons pas capables d'individualiser le fonds de baisse des charges. Or le Gouvernement, en l'occurrence, l'a individualisé à la fois dans ses recettes et dans ses dépenses, et il a prévu, à la demande du groupe communiste, que serait établi et transmis chaque année au Parlement - qui devrait s'en réjouir - un bilan annuel sur l'utilisation de ces fonds et leur contrepartie en matière d'emploi. Là est la véritable transparence budgétaire : il s'agit d'un fonds unique dont nous connaissons et les recettes et les dépenses, ce qui n'était pas le cas auparavant pour la ristourne dégressive.
M. Guy Fischer. Oui, cette transparence était bien nécessaire !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous pourrons ainsi contrôler l'efficacité des fonds publics, ce qui va dans le sens d'une plus grande démocratie.
Cette baisse des charges coûtera 105 milliards de francs à terme, dont 40 milliards sont destinés au coût du passage aux 35 heures avec une aide pérenne de 4 500 francs en moyenne par salarié. Là aussi, on peut raconter ce qu'on veut, mais la vérité c'est que chaque emploi créé par la réduction du temps de travail coûtera au budget de l'Etat, selon la taille de l'entreprise, entre 55 000 et 75 000 francs. C'est, de loin, la mesure la moins coûteuse de toutes les mesures de développement de l'emploi prises par les gouvernements successifs pendant ces vingt dernières années.
Les 65 milliards de francs restants représentent la poursuite du mécanisme d'allégement des charges, qui vise à moins taxer les salaires et à taxer les bénéfices des entreprises polluantes, c'est-à-dire des entreprises capitalistiques.
A MM. Carle et Ostermann, je répondrai à cet égard qu'il y a effectivement création d'emplois nouveaux mais non prélèvements complémentaires nouveaux, puisque ces deux taxes seront prélevées sur les entreprises réalisant des profits, y compris des résultats financiers, et sur les entreprises capitalistiques, qui sont les entreprises les plus polluantes, au profit des entreprises les plus créatrices d'emplois. Il y a donc un redéploiement à l'intérieur d'un prélèvement global identique pour les entreprises. Cela aussi, il faut le souligner !
Quant au coût de l'aide aux 35 heures - 40 milliards de francs en régime de croisière et 17 milliards de francs cette année - il est parfaitement budgété et financé. Je n'ai d'ailleurs pas très bien compris les critiques de M. Ostermann, qui prétend que les crédits sont sous-estimés et qui, en même temps, affirme que les 35 heures n'auront aucun effet. S'il pense qu'ils sont sous-estimés, c'est qu'il pense que les 35 heures créeront encore plus d'emplois que ce que nous avons prévu ! Aujourd'hui, 2 400 000 salariés sont passés aux 35 heures et nous prévoyons qu'ils seront 4 millions en 2000. S'il devait y en avoir plus, monsieur Ostermann, je ne pourrais alors que vous suivre et nous abonderions ces crédits avec grand plaisir, car cela signifierait que notre politique a de meilleurs résultats que prévu.
J'en viens brièvement à l'« usine à gaz » que vous avez dénoncée car, là aussi, il faut être raisonnable. Permettez-moi simplement de vous rappeler que le FSV, le fonds de solidarité vieillesse, créé par M. Baladur, était financé par la taxe sur les alcools, par une partie de la CSG, par des taxes sur les revenus financiers et par la C3S.
Comme « usine à gaz », on fait difficilement mieux ! Or vous n'aviez rien trouvé à redire, à l'époque, au fait que les droits sur les alcools - qui vont aller aujourd'hui pour partie vers la réduction des charges patronales et dont je rappelle qu'ils n'ont pas été augmentés - financent les retraites ! Je ne vois pas en quoi il serait plus contestable que les droits sur les alcools financent les baisses de charges plutôt que le minimum vieillesse !
Ne voulant pas être désagréable aujourd'hui,...
M. Jacques Oudin. Vous ne l'êtes jamais ! (Sourires.)
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... je n'ose vous renvoyer à la proposition de loi que le Sénat a acceptée en première lecture en juin 1998. En effet, en terme d'« usine à gaz »... (Murmures sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) Soit ! Puisque vous le souhaitez, je vais quand même, parce que cela vaut le coup, en dire un petit mot. (Sourires.)
M. Jean Delaneau. Faites-nous plaisir ! (Nouveaux sourires.)
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vais vous faire plaisir : « Pour calculer la baisse des charges, la réduction est applicable pour les gains et rémunérations versés au cours du mois civil inférieurs ou égaux à 169 fois le SMIC, majorés de 40 % dans les entreprises dont le produit des deux proportions suivantes est supérieur à 0,36 : la proportion de salariés disposant d'un revenu mensuel inférieur à 1,33 multiplié par 169 fois le SMIC par rapport au nombre total de salariés, la proportion de travailleurs manuels ou d'ouvriers par rapport au nombre total de salariés. »
M. Jacques Oudin. C'est limpide !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. « Le montant de la réduction, qui ne peut excéder 1 730 francs par mois, est déterminé par ailleurs par un coefficient fixé par décret... »
M. le président. Tout le monde a compris, madame le ministre ! (Sourires.)
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je ne continue pas, parce qu'il y en a quatre pages comme cela. L'« usine à gaz », vous avez donc su la construire beaucoup mieux que nous ! Nous, nous sommes en train de construire une usine à emplois. Voilà notre objectif : créer des emplois.
Par ailleurs, nous avons financé nos priorités et réalisé des économies. Nous avons resserré, par exemple, l'accès au FNE. Il n'y a en effet aucune raison que les entreprises qui enregistrent des résultats financiers fassent supporter le coût de leur restructuration à la collectivité nationale.
J'ai resserré, en 1997, en prenant mes fonctions, l'aide publique aux préretraites du FNE et je l'ai ouverte par ailleurs, dans un nouveau dispositif, aux salariés qui ont commencé à travailler tôt, qui ont accompli des tâches pénibles et qui souhaitent partir plus tôt parce qu'ils sont souvent usés par le travail ou qu'ils n'ont pas pu s'adapter aux nouvelles technologies.
Nous avons également rendu plus coûteux les licenciements des salariés âgés de plus de cinquante ans. Là aussi, nous poursuivons notre logique : l'Etat n'a pas à financer les conséquences sociales des décisions prises par les entreprises.
S'agissant des préretraites progressives, l'économie de 400 millions de francs que nous réalisons cette année est moins le résultat d'une politique volontariste que de la diminution constatée du nombre des personnes concernées. Je tiens à le préciser, puisqu'une remarque a été formulée en la matière.
Le Gouvernement a donc financé ses priorités et réalisé des économies sur les effets d'aubaine, comme d'ailleurs sur un certain nombre de dispositifs qui, en période de croissance, ne se justifient plus comme auparavant.
M. Ostermann nous a dit que notre budget était mal géré. Je tiens à lui rappeler que le Gouvernement a fait de la lutte contre le chômage et l'exclusion sa priorité des priorités. Or la politique menée en 1998, en 1999 et en 2000 avec les emplois-jeunes, la réduction du temps de travail, la lutte contre les exclusions et l'amélioration du service public de l'emploi aura coûté 37,2 milliards de francs, et le budget du ministère du travail en a financé 26,5 milliards de francs par économies, par redéploiements, par réduction des effets d'aubaine.
Que l'on ne me dise pas que, quand on finance les trois quarts d'une politique aussi volontariste par des économies, c'est une mauvaise gestion ! J'aurais d'ailleurs aimé que mes prédécesseurs le fassent avant moi. Cela dit, s'ils l'avaient fait, j'aurais sans doute disposé de moins de moyens pour financer la politique que nous menons. Peut-être faut-il donc, finalement, que je les remercie de ne pas avoir eu la rigueur que nous avons essayé d'avoir !
J'en viens au deuxième axe majeur, après le financement de nos politiques structurelles : il s'agit de la lutte contre les exclusions.
En la matière, nous avons recadré tous les dispositifs. Les contrats emploi-solidarité, dont 57 % étaient occupés par des publics prioritaires en 1997, le sont à 78 % aujourd'hui, et nous parviendrons à 80 % en 2000. Nous recentrons donc bien ces contrats vers leur objectif, qui consiste à offrir des emplois à ceux qui ne trouveraient pas un emploi classique dans le privé ou dans le public.
La situation est la même pour les contrats initiative-emploi. Le gouvernement précédent avait franchi une première étape, c'est vrai, mais j'ai recentré ce dispositif vers les chômeurs de plus de deux ans, qui occupent désormais 42 % des emplois concernés. Je crois que nous allons ainsi dans le bon sens, ce qui nous permet d'aider les plus défavorisés.
Les nouveaux outils de la lutte contre les exclusions sont tous en place. Les contrats emploi consolidés, les CEC, passeront de 50 000 en 1999 à 60 000 en 2000.
A cet égard, M. Larifla a évoqué la situation spécifique des départements d'outre-mer : les retards en matière de formation et les contraintes démographiques expliquent que la situation de l'emploi y reste critique. Le temps qui m'est imparti ne permet guère d'approfondir ce sujet comme il convient. Je rappellerai simplement que la dotation du FEDOM, qui portera désormais les CEC, s'élève en 2000 à 2,1 milliards de francs et permettra de financer 58 000 solutions d'insertion, soit 2000 de plus que cette année.
Le deuxième outil, la réforme de l'insertion par l'activité économique, est entré en vigueur. Le budget pour 2000 fait progresser de 22 % la dotation à ce titre et portera à 12 000 le nombre de places en entreprises d'insertion et à 500 le nombre de postes d'accompagnement dans les entreprises de travail temporaire d'insertion.
Le programme TRACE monte en charge grâce aux efforts conjugués de l'Etat et des collectivités locales. Il a connu un démarrage un peu difficile, parce que nous tenions à le cibler véritablement vers le publics le plus en difficulté et que nous avions besoin de financer avec les régions le partage des emplois des missions locales. Aujourd'hui, cependant, le dispositif est bien cadré : 40 000 jeunes seront pris en charge cette année et 60 000 le seront, comme prévu, en l'an 2000.
Enfin, 15 000 contrats de qualification - Mme Péry en parlera peut-être - sont ou seront financés en 2000.Là aussi, c'est un élément majeur de lutte contre les exclusions.
De la même manière, le dispositif EDEN est maintenant bien en place.
Le troisième et dernier objectif de ce projet de budget est le renforcement des moyens du ministère et du service public de l'emploi, qui accomplit aujourd'hui - et cela a été remarqué au niveau européen - un travail tout à fait exceptionnel d'accueil et de suivi dans la durée des chômeurs de longue durée et des RMIstes. Or je veux souligner, au moment où le chômage de longue durée diminue - 150 000 demandeurs d'emploi de moins - qu'il n'est pas facile de réinsérer des personnes qui sont au chômage depuis longtemps : cela nécessite de l'énergie, du temps et de la patience, car il faut trouver avec chacun le bon itinéraire qui, dans la durée, le mènera à la qualification et à l'emploi. C'est ce que font aujourd'hui les agents de l'ANPE, associés à l'AFPA, et je veux les saluer pour ce travail remarquable, qui donne des résultats et qui redonne espoir à beaucoup de personnes qui, au chômage depuis longtemps, se voient aujourd'hui enfin proposer des solutions.
Nous poursuivons donc le renforcement du budget de l'ANPE avec 500 agents supplémentaires en 2000, après les deux vagues précédentes de 500 créations d'emplois en 1998 et en 1999. La subvention de fonctionnement qui lui sera versée augmente de 10 %, ce qui était nécessaire si l'on compare l'ANPE aux autres offices du travail des pays européens.
L'AFPA verra également sa subvention augmenter de 5 %, Mme Péry en parlera dans quelques instants.
Enfin, l'effort de renforcement du service public de l'emploi concerne aussi les services du ministère, dont les moyens en personnels ne sont pas à la hauteur des missions. M. le Premier ministre a accepté que nous rattrapions le retard, d'abord par un renforcement des emplois budgétaires : 130 postes seront créés dont 121 dans les services déconcentrés, parmi lesquels 90 contrôleurs et 20 inspecteurs du travail. Il s'agit d'un mouvement qui n'avait jamais eu lieu par le passé !
A cet égard, M. Lagauche a insisté sur la nécessité d'un plan pluriannuel. Je rappelle que nous aurons créé, en trois budgets, 45 emplois d'inspecteurs du travail et 230 emplois de contrôleurs du travail, sans oublier la régularisation, en deux ans, de 370 coordonnateurs emploi-formation qui étaient sur des postes précaires.
Ces emplois sont surtout affectés aux sections afin de mieux contrôler la bonne application du code du travail et, notamment, l'hygiène et la sécurité, qui est une des priorités que nous leur avons fixées - mais aussi d'accompagner et d'aider les entreprises dans les négociations, notamment mais pas seulement sur la durée du travail, et de renforcer le contrôle de la formation professionnelle.
Par ailleurs, la poursuite du plan de transformation d'emplois et une nouvelle étape de revalorisation indemnitaire vont permettre d'améliorer la situation matérielle et les perspectives de carrière des agents, notamment de catégories B et C.
Un point n'a pas été abordé jusqu'à présent - sauf par Mme Dieulangard - concernant la faiblesse de la France en matière de développement local.
Dans le domaine du crédit pour les créateurs d'entreprises et du développement d'une épargne locale permettant de favoriser la production et l'emploi localement, nous devons continuer à travailler. C'est d'ailleurs un des sujets de préoccupation de mon ministère actuellement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voià ce que je souhaitais vous dire sur ce projet de budget pour l'emploi. Véritablement, des choix très clairs, étayés par des travaux importants, largement partagés, sur l'évaluation de l'efficacité des aides à l'emploi y sont affichés.
M. Souvet nous dit que le Gouvernement ne mène pas une politique moderne : j'attends toujours de savoir quelle est la politique moderne sur l'emploi que l'oppostion nous propose !
Quant à Mme Dieulangard, elle a raison de souligner que c'est à l'occasion de la discussion budgétaire que l'on voit si un gouvernement a une politique et fait des choix volontaires. Conduire une politique, c'est d'abord transcrire de façon concrète dans le budget la teneur des priorités énoncées dans les discours. Je crois que c'est ce que nous faisons depuis maintenant plus de deux ans.
Le budget tire les conséquences de nos choix et met un accent particulier sur l'emploi et sur la lutte contre les exclusions. Il tient compte du fait que les choix politiques n'ont d'efficacité que dans la mesure où les hommes et les femmes qui les mettent en pratique sont pris en considération, d'où un renforcement des moyens de ce ministère. Pour toutes ces raisons, il me semble répondre à ce qu'attendent aujourd'hui les Français de nous. Aussi, aurais-je souhaité, au moins dans les propos si ce n'était dans les votes, la reconnaissance de cette attente et de cette volonté politique. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Monsieur le président, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le budget de la formation professionnelle que j'ai l'honneur de vous présenter, concourt à la politique de l'emploi du Gouvernement, comme vient de le rappeler Martine Aubry.
Le projet de budget de la formation professionnelle s'élève en 2000 à 33,9 milliards de francs. A structure constante, c'est un budget stable à un point près.
Sans détailler l'ensemble des mesures, je souhaiterais évoquer devant vous quatre points qui, je le sais, provoquent chez les parlementaires des interrogations, comme j'ai pu le mesurer à la lecture de vos courriers et lors de ce débat : les crédits affectés aux formations professionnelles en alternance ; le transfert à l'ANPE des crédits relatifs aux CIBC ; l'augmentation des moyens de l'Association nationale pour la formation des adultes ; le contrôle de la formation professionnelle.
Mme Bocandé, MM. Fischer et Mouly ont déploré la réduction des crédits affectés aux formations en alternance. Je tiens à redire ici brièvement que, du point de vue budgétaire, le recentrage des aides à l'embauche que nous avons décidé en 1999 joue d'une façon mécanique sur le budget 2000, ce qui explique la diminution des crédits alloués à ces primes. Mais, quant à notre volonté politique de soutenir les formations en alternance, nous sommes déterminées, madame Aubry et moi-même, à maintenir l'effort de l'Etat en matière de contrats d'apprentissage et de contrats de qualification.
A cet effet, nous avons souhaité que le nombre d'entrées en contrat d'apprentissage soit maintenu à son niveau de 1999, soit 220 000, et que celui des entrées en contrats de qualification soit porté à 125 000, au lieu de 120 000 en 1999. L'effort budgétaire de l'Etat pour l'alternance s'élève ainsi à plus de 12 milliards de francs, soit un tiers du budget que je présente.
J'ajouterai, pour répondre à certaines interrogations, que la progression des contrats s'est confirmée au cours des dix premiers mois de 1999, malgré le recentrage des primes ; nous notons une augmentation de plus de 2 % pour les contrats d'apprentissage et de 1,5 % pour les contrats de qualification.
Toujours à propos de l'alternance, j'évoquerai - sujet sensible - le transfert de 500 millions de francs qu'opérera en 2000 le comité paritaire du congé individuel de formation, le COPACIF. Cette somme sera affectée, via un fonds de concours, à la couverture des aides à l'embauche relatives au contrat d'apprentissage.
Cette mesure s'inscrit dans un cadre plus général qui prévoit l'extension du champ de compétence du COPACIF au capital de temps de formation. C'est l'objet de l'article 70 du présent projet de loi, qu'un certain nombre d'entre vous ont évoqué et sur lequel je vous apporterai quelques précisions.
Les excédents rattachés au capital de temps de formation et détenus par les organismes collecteurs paritaires, appréciés au 31 décembre 1999, seront versés, selon cet article, au COPACIF et non au Trésor public comme le prévoient actuellement les textes.
Cette disposition a reçu l'accord de l'ensemble des partenaires sociaux. Elle a pour objet, à l'évidence, de mieux répondre aux demandes de congé individuel de formation. En effet, seules 27 600 demandes ont été acceptées en 1998 alors qu'il y en avait eu le double et, c'est vrai, j'ai reçu un courrier très important à ce sujet.
Toutefois, le montant prévisible des excédents du capital de temps de formation est apprécié à ce jour à 1 milliard de francs. C'est ce qui a conduit le Gouvernement à souhaiter qu'une partie de cet excédent soit affectée au budget de la formation professionnelle pour l'apprentissage.
Cette mesure présente un caractère exceptionnel, et j'ai d'ailleurs accepté un amendement de M. Barrot spécifiant l'aspect exceptionnel de cette mesure, car je suis certaine que, lorsque la réforme de la formation professionnelle sera adoptée - et elle le sera à brève échéance - il n'y aura plus d'excédent ni en ce qui concerne le capital temps de formation, ni en ce qui concerne les congés individuels.
Le transfert à l'ANPE des crédits relatifs aux CIBC, autre sujet sensible, ne traduit en rien un doute sur la qualité des prestations assurées par ces derniers. Il s'agit de construire un nouveau partenariat, au service de l'orientation des demandeurs d'emplois, sans que les missions de ces centres soient aucunement remises en cause. D'un point de vue financier, le soutien de l'Etat aux CIBC n'en sera pas modifié. De même, le dialogue institutionnel entre le groupe national de liaison des CIBC et les services de la formation professionnelle ne sera pas affecté par cette présentation budgétaire. Une convention sera conclue pour préserver un accès diversifié des publics et les spécificités des CIBC, notamment les fonctions d'animation et de lieu « ressource ». Je souhaitais ainsi répondre aux interrogations de Mme Dieulangard et de M. Carle.
J'en arrive à l'augmentation des moyens de l'Association nationale pour la formation des adultes.
Le deuxième contrat de progrès couvrant la période 1999-2003 a pour objet d'accroître la performance et l'efficacité de l'AFPA dans sa mission de service public auprès des demandeurs d'emploi et dans la réalisation des objectifs définis par le plan national d'action pour l'emploi, le PNAE, au nombre desquels figure la promotion de l'égalité des chances entre les femmes et les hommes.
L'AFPA devra, dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle, faciliter l'accès aux titres du ministère du travail à travers la validation des acquis professionnels et permettre ainsi des parcours de formation individualisés que plusieurs d'entre vous avaient souhaité. N'oublions pas que nombre d'hommes et de femmes dans la population active française ont un niveau de formation professionnelle initiale inférieur au CAP. Nous nous devons de reconnaître et de valider leurs différentes expériences professionnelles ; nous devons leur offrir de nouveaux parcours de formation. C'est ainsi que nous pourrons construire un droit individuel, transférable et garanti collectivement, lequel est au coeur de la réforme que je vais présenter.
J'ouvre une très brève parenthèse pour répondre à Mme Annick Bocandé dont je partage le constat sur les difficultés actuelles de recrutement dans certaines branches professionnelles. La reprise de la croissance et de la demande intérieure, une prévision parfois insuffisante de la gestion des ressources humaines par les entreprises, voire parfois aussi, reconnaissons-le, les conditions de travail de certains métiers expliquaient en partie ces difficultés. Nous savons très bien que le nombre annuel de jeunes diplômés formés pour ces emplois dans ces branches professionnelles ne répondra pas à la demande, certainement avérée sur le long terme. Pour faire face à ces difficultés de recrutement, nous devrons densifier la formation professionnelle tout au long de la vie, plus qu'elle ne l'est aujourd'hui.
Cette réforme doit répondre, j'en suis persuadée, non seulement à des impératifs de cohésion sociale mais aussi à des nécessités économiques. Il y a donc urgence.
A l'instar de Martine Aubry, je crois au développement local. Je pense que l'échelon régional s'impose comme le niveau de mise en cohérence des actions en matière de formation professionnelle. Les missions de l'AFPA, dont le statut national ne saurait être remis en cause, doivent avoir une forte implication dans les politiques territoriales.
Ces orientations nouvelles supposent des moyens à la hauteur des ambitions affichées. Ce développement, qui était nécessaire, vise à justifier la hausse de 5 % des crédits affectés à l'AFPA, qui atteignent plus de 200 millions de francs. C'est évidemment l'expression d'une volonté politique.
Le quatrième point, le contrôle de la formation professionnelle, a été moins présent aujourd'hui dans ce débat que dans le courrier que vous m'adressez. J'en dirai donc quelques mots.
Le contrôle de caractère administratif et financier porte sur l'ensemble des moyens techniques et pédagogiques, à l'exclusion des qualités pédagogiques mises en oeuvre pour la formation professionnelle. Cette qualité fait l'objet d'un abondant courrier.
Comment y répondre ? L'Etat n'a pas souhaité réglementer le marché de la formation en en limitant l'accès. En revanche, nous accompagnons les démarches « qualité », et je ne peux qu'encourager les entreprises et les organismes de formation à aller dans ce sens. Je pense notamment aux actions engagées par la Fédération de la formation professionnelle à travers l'Office professionnel de qualification des organismes de formation. Je rappelle que, à ce jour cinq cent cinquante organismes sont qualifiés.
L'inspection de la formation professionnelle a connu une période moins favorable depuis 1995, mais cette situation s'expliquait par l'attente du rapprochement de ce corps d'inspection avec l'inspection du travail. C'est maintenant chose faite.
Je terminerai cette intervention en évoquant le calendrier de la mise en oeuvre de la réforme. J'avais adressé à chacun d'entre vous le Livre blanc que nous avions édité, et je remercie les uns et les autres d'avoir rappelé son existence. Martine Aubry et moi-même souhaitons poser les bases de la nouvelle architecture d'un système de formation qui doit être adapté à notre époque. La réforme s'articule autour de quatre axes.
Le premier axe vise à donner toute leur portée aux formations en alternance. L'effort que nous avons fait en nombre de contrats dans le cadre du projet de loi de finances pour 2000 répond à cette exigence. Des dispositions réglementaires et législatives seront prises en 2000, afin d'assurer une meilleure efficacité et une transparence accrue, qui est souvent demandée, du financement de ces politiques d'alternance.
Nous évoquerons à nouveau le sujet de l'apprentissage. Je conduis actuellement une réflexion avec l'ensemble des acteurs, des partenaires sociaux. Comment faire pour que l'affichage des coûts de formation, au niveau des CFA, permette non seulement une meilleure transparence, mais aussi l'attribution à tous les CFA des moyens dont ils ont besoin ? Comment faire pour que la redistribution de la taxe au niveau des financeurs soit moins inégalitaire ? Nous progressons également sur ce sujet.
Le deuxième axe est la prise en compte des acquis de l'expérience dans les parcours professionnels au travers, bien sûr, de la validation de ces acquis, qui est réellement un outil au coeur de la réforme. Cela nécessitera une modification de la loi de 1992 si nous voulons être beaucoup plus ambitieux, et nous le sommes, sur ce sujet. Ces points feront ensuite l'objet de mesures législatives et réglementaires au cours de l'année 2000. J'ai utilisé toute l'année 1999 pour créer des groupes de travail avec les partenaires sociaux ainsi qu'entre tous les ministères concernés. Il s'agit, vous le savez, d'un sujet sensible, notamment avec l'éducation nationale. Mais, là encore, nous avons beaucoup avancé.
Le troisième axe est le développement d'un droit individuel, c'est-à-dire la meilleure façon de répondre à ce qui est aujourd'hui une exigence économique autant que sociale, la meilleure façon aussi de lutter contre les immenses inégalités d'accès à la formation, inégalité que certains d'entre vous ont rappelées.
Vous me permettrez, de cette tribune, d'appeler encore une fois les partenaires sociaux à mieux se saisir de cette proposition. Le Premier ministre, Martine Aubry et moi-même avons souhaité que la formation professionnelle continue à être un élément central du dialogue social. Nous voulons respecter ce paritarisme et ce dialogue social alors que les partenaires sociaux se saisissent d'une façon beaucoup plus dynamique qu'aujourd'hui de la nécessité de construire ce nouveau droit individuel, qui trouvera sa traduction législative lors du premier semestre de 2001.
Le quatrième et dernier axe concerne le rôle des acteurs. Certains d'entre vous ont évoqué l'excellent rapport de M. Gérard Lindeperg. qui a permis, justement, de clarifier la situation, de mettre l'accent sur le territoire régional, qui, selon moi du moins, sera tout à fait approprié - je l'ai dit tout à l'heure - pour renforcer le développement local et les actions de formation professionnelle.
Pour mettre en mouvement l'ensemble de ces axes de réflexion, j'ai souhaité proposer, tant aux régions qu'aux branches professionnelles, des expérimentations sous la forme d'une contractualisation avec mon secrétariat d'Etat. Cette méthode a mis quelque temps à être comprise. Aujourd'hui, c'est chose faite, et je suis en train d'instruire une quinzaine de dossiers, tant avec les régions qu'avec les branches, sur ces expérimentations, prouvant qu'il est possible de traduire les axes que je propose de façon concrète dans l'application de ces politiques.
J'ai déjà signé un protocole d'accord avec la région Centre courant octobre sur la mise en réseau des acteurs, et je m'apprête à en conclure un deuxième avec la région Poitou-Charentes sur l'égalité d'accès à la qualification par la validation des acquis.
Enfin, je rappellerai notre ambition à M. le Premier ministre, Mme Aubry et à moi-même, qui est de faire de ce grand dossier de la formation professionnelle un projet important du Gouvernement pour les deux années à venir. Nous aurons donc d'autres occasions, tant en 2000 qu'en 2001, d'en débattre ensemble dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Mouly applaudit également.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C, et concernant l'emploi et la solidarité : I. - Emploi.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 818 170 062 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas les crédits.)
M. le président. « Titre IV : - 40 753 480 841 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)

ÉTAT C

M. le président. « Titre V. - Autorisations de programme : 64 900 000 francs ;
« Crédits de paiement : 33 900 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre V.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président. « Titre VI. - Autorisations de programme : 498 900 000 francs ;
« Crédits de paiement : 239 540 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre VI.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président. J'appelle en discussion l'article 70, qui est rattaché pour son examen aux crédits affectés à l'emploi.

EMPLOI ET SOLIDARITÉ

Article 70



M. le président.
« Art. 70. - L'article L. 961-13 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ce même fonds national est habilité à gérer les excédents financiers dont disposent les organismes collecteurs paritaires agréés gérant les contributions des employeurs affectées au financement du capital de temps de formation prévues par l'article 78 de la loi n° 95-116 du 4 février 1995 portant diverses dispositions d'ordre social et repris par le 1° de l'article L. 951-1 du présent code. Ces excédents sont appréciés, pour la première année au 31 décembre 1999, et peuvent exceptionnellement concourir aux actions de l'Etat en matière de formation professionnelle. »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° II-10 est présenté par M. Ostermann, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° II-2 est déposé par Mme Bocandé, au nom de la commission des affaires sociales.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
Par amendement n° II-14, M. Ostermann, au nom de la commission des finances, propose, dans la seconde phrase du texte présenté par l'article 70 pour compléter par un nouvel alinéa l'article L. 961-13 du code du travail, de remplacer les mots : « peuvent exceptionnellement concourir aux actions de l'Etat en matière de formation professionnelle » par les mots : « sont affectés au financement du congé individuel de formation mentionné au troisième alinéa de l'article L. 951-1 ».
La parole est à M. le rapporteur spécial, pour défendre les amendements n°s II-10 et II-14.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. L'article 70 du projet de loi de finances pour 2000 est rattaché, pour son examen, au projet de budget de l'emploi.
Cet article tend à centraliser les excédents financiers du capital de temps de formation, le CTF, estimés à 700 millions de francs, au niveau d'une section particulière créée au sein du fonds national habilité à gérer les excédents financiers du congé individuel de formation.
Le CTF est financé sur 50 % au plus de la participation des entreprises au financement du CIF à hauteur de 0,20 % des salaires : la contribution versée par les entreprises au titre du CTF est donc égale au plus à 0,10 % de la masse salariale.
Il convient de préciser que la centralisation des disponibilités excédentaires du CTF permettrait de procéder à l'affectation d'une contribution de 500 millions de francs, versée par le comité paritaire du CIF au budget de l'emploi par voie de fonds de concours, et cela afin de compenser la diminution des crédits destinés au financement de l'indemnité compensatrice forfaitaire à l'apprentissage. Il s'agit donc, une fois encore, de procéder à un prélèvement exceptionnel sur le fonds de la formation professionnelle.
Je rappelle que la commission des finances s'est fixée une doctrine en ce qui concerne de tels prélèvements : s'ils peuvent être, dans certains cas, légitimes, leur caractère systématique, en revanche, est le reflet d'une mauvaise gestion.
Lors du dernier prélèvement de 500 millions de francs réalisé sur les fonds de l'AGEFAL en 1998, la commission des finances avait décidé d'émettre un avis de circonstance autorisant, pour la dernière fois, un tel prélèvement. Je vous propose, dès lors, de mettre cette doctrine en pratique, et de supprimer l'article 70.
Mme le secrétaire d'Etat ayant bien voulu prendre position sur ce dispositif, nous proposons un second amendement qui tend à opérer la centralisation desexcédents du CTF auprès du comité paritaire du congé individuel de formation, mais à refuser le prélèvement de 500 millions de francs au profit du budget de l'Etat en lui préférant une affectation au bénéfice du congé individuel de formation.
Nous aimerions, à ce sujet, entendre Mme le ministre.
M. le président. La parole est à Mme Bocandé, rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement n° II-2.
Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis. Votre commission des affaires sociales avait souhaité déposer un amendement de suppression de cet article 70, comme la commission des finances, afin de manifester son hostilité aux prélèvements opérés par le Gouvernement sur les fonds de la formation professionnelle. Ce faisant, elle n'a évidemment pas souhaité revenir à un état du droit qui serait plus défavorable aux acteurs de la formation professionnelle.
Je rappelle d'ailleurs que, dans leur rapport écrit, vos rapporteurs se sont déclarés prêts à envisager favorablement la centralisation des excédents du CTF, à condition que ces fonds ne fassent pas l'objet d'un prélèvement par l'Etat afin de compenser des économies budgétaires réalisées sur les crédits de la formation professionnelle. Ils avaient évoqué le fait que ces excédents puissent « rester dans le circuit » pour financer, par exemple, le CIF, qui est actuellement soumis à une contrainte financière qui le met dans l'impossibilité de satisfaire toutes les demandes.
Après avoir entendu les explications du Gouvernement, notre rapporteur spécial a souhaité modifier l'amendement de suppression présenté par la commission des finances pour préciser que les excédents du CTF seront affectés au financement du CIF, comme le souhaitent d'ailleurs les partenaires sociaux. Votre commission des affaires sociales ne peut que se rallier à cette solution qu'elle avait elle-même envisagée et souhaite en conséquence retirer son propre amendement de suppression et, bien entendu, entendre les précisions de Mme la ministre.
M. le président. L'amendement n° II-2 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s II-10 et II-14 ?
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Dans mon intervention, j'ai essayé de bien expliquer la logique de l'article 70. Je serai donc brève dans ma réponse.
Je rappelle que les partenaires sociaux sont d'accord avec cet article 70 et que la trésorerie, actuellement évaluée à 1 milliard de francs, repartirait dans le budget de l'Etat à la fin du mois de décembre sans cet article 70.
De plus, compte tenu de l'ampleur de cette trésorerie, il nous a semblé normal cette année, à titre exceptionnel, que la moitié soit reversée pour le CIF, et que l'autre moitié soit consacrée au soutien des politiques de l'alternance. Nous ne pouvons donc que rejeter ces amendements de suppression n°s II-10 et II-14.
Le Gouvernement est également défavorable à l'amendement n° II-14.
M. le président. Monsieur le rapporteur spécial, maintenez-vous vos amendements n°s II-10 et II-14 ?
M. Joseph Ostermann, raporteur spécial. Compte tenu des réponses qui viennent d'être apportées par Mme le secrétaire d'Etat, nous retirons l'amendement n° II-10, mais nous maintenons l'amendement n° II-14.
M. le président. L'amendement n° II-10 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-14, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 70, ainsi modifié.

(L'article 70 est adopté.)
M. le président. Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant l'emploi.

II. - SANTÉ ET SOLIDARITÉ

M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'emploi et la solidarité : II. - Santé et solidarité.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget de la santé et de la solidarité constitue le budget, à la fois, des prestations sociales délivrées par l'Etat, des interventions publiques en matière de politique de santé et du soutien au système de soins.
Comment ce projet de budget remplit-il chacune de ces trois grandes missions ? Avec quels moyens, quelle politique, quelle efficacité ? Telles sont les questions que s'est posée la commission des finances.
Votre budget, madame la secrétaire d'Etat, c'est d'abord des masses financières considérables.
Avec 90,8 milliards de francs, il constitue le sixième budget de l'Etat. Il se compose du budget de la solidarité pour 81,2 milliards de francs et de celui de la santé pour 9,6 milliards de francs.
Votre budget, c'est aussi le reflet de la politique du Gouvernement, qui conduit à une très forte progression des crédits pour 2000 : 10,6 milliards de francs, soit plus de 13 % de hausse par rapport à l'année dernière.
Et vous connaissez l'opinion de la commission des finances sur ce point : la hausse d'un budget ne traduit pas forcément une bonne politique.
Ces crédits permettent de couvrir les dépenses nouvelles résultant de la création de la couverture maladie universelle, des revalorisations de minima sociaux et de l'octroi de moyens de fonctionnement supplémentaires.
En dehors de la couverture maladie universelle, qui coûte à votre budget 7 milliards de francs, les moyens supplémentaires vous permettent donc de financer la lutte contre les exclusions, d'assurer la montée en puissance des agences de sécurité sanitaire et de renforcer les moyens du ministère.
Je ne compte pas détailler un à un les titres et chapitres de ce budget ; Mme la ministre s'en chargera, mes chers collègues, et je vous renvoie pour le reste à la lecture de mon rapport écrit, dans lequel vous trouverez toutes les précisions voulues.
Je présenterai brièvement les crédits en cinq points, avant de formuler mes principales observations.
D'abord, je constate que la hausse des minima sociaux mobilise, à elle seule, 3,2 milliards de francs supplémentaires : 2,3 milliards de francs pour le revenuminimum d'insertion, 780 millions de francs pour l'allocation pour adulte handicapé et 120 millions de francs pour l'allocation de parent isolé.
Ensuite, je remarque qu'il s'agit principalement d'un budget d'intervention, les dépenses du titre IV en constituant plus de 90 %. Celles-ci, en progression de près de 14 %, expliquent l'essentiel de l'augmentation du budget.
Dans le même temps, les moyens des services augmentent de plus de 6,5 %, qui vont pour moitié aux dotations des nouvelles agences de sécurité sanitaire, dans la création desquelles le Sénat a eu un rôle essentiel ; je crois qu'il était souhaitable de le rappeler.
Parallèlement, la tendance à la baisse des dépenses en capital se poursuit, avec une diminution d'un cinquième pour l'an 2000, alors qu'elles avaient déjà diminué d'un quart en 1999 par rapport à 1998. Comme vous le savez, mes chers collègues, cette tendance est générale et se retrouve dans tous les budgets d'équipement que le Gouvernement nous présente.
Enfin, je constate que la progression du budget est très inégalement reproduite selon les agrégats puisque la part relative aux agrégats « offre de soins » et « développement social » dans le budget du ministère diminue, et ce même si l'on retire l'effet de la couverture maladie universelle.
Cette très rapide présentation étant faite, je souhaiterais formuler quatre observations.
La première concerne la couverture maladie universelle. Je vous avais, dans mon avis, dénoncé par avance les conséquences pour le budget de l'Etat de cette réforme, voilà quelques mois.
En effet, le coût pour le budget de la santé en est d'ores et déjà de 7 milliards de francs et le coût net pour l'Etat de plus de 1 milliard de francs. Cette charge est destinée à croître, personne n'en doute.
En effet, votre budget comprend la subvention de l'Etat au fonds de financement. Or cette subvention constitue un solde dépendant d'hypothèses qui, déjà, se révèlent trop optimistes : 6 millions de bénéficiaires dépensant 1 500 francs par an pour leur couverture complémentaire. Je renouvelle donc mes craintes de voir la dépense pour l'Etat croître dans les années à venir, reproduisant les phénomènes déjà constatés pour les autres minima sociaux.
Ma deuxième observation porte justement sur l'augmentation des dépenses de minima sociaux.
En 2000, comme les années précédentes, les augmentations de crédits les plus importantes en volume du budget de la santé et de la solidarité résulteront de la croissance non maîtrisée des dépenses sociales obligatoires.
Le total des crédits consacrés à la couverture maladie universelle, la CMU, à l'allocation de parent isolé, l'API, à l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, et au RMI s'élèvera en 2000 à plus de 72 % de votre budget, madame la secrétaire d'Etat, contre déjà 69 % en 1999.
Un an après le basculement à l'Etat, les dépenses de l'API, qui étaient orientées à la baisse quand la caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, gérait cette allocation, augmentent déjà de 2,8 %.
En dix ans - et, si je retiens une période de dix ans, c'est pour marquer qu'en quelque sorte tous les gouvernements sont « dans le même bain » - les dépenses de l'AAH ont connu 70 % de hausse.
En dix ans aussi, les dépenses du RMI ont été multipliées par trois !
De combien sera la hausse de la subvention pour la CMU l'année prochaine ? C'est une question que je vous pose, madame la secrétaire d'Etat.
Je souhaite fermement critiquer la multiplication de mécanismes à guichets ouverts ne permettant aucun contrôle des dépenses et soumis à de fortes variations.
Il en résulte aussi que, sur un budget de près de 91 milliards de francs, plus de 65,6 milliards de francs sont destinés à des prestations sociales.
Il en résulte encore que, sur 10,6 milliards de francs de crédits supplémentaires, vous n'en avez en réalité que 400 millions, moins de 5 %, pour conduire vos politiques !
Ces évolutions montrent que le contexte de forte croissance économique et de redressement de l'emploi, dont Mme Aubry nous a parlé tout à l'heure, ne profite pas à tous et que cet échec pèse sur votre budget. Il fallait que cela fût dit.
Ma troisième observation porte sur les personnels et plus particulièrement sur les mises à disposition, que je détaille dans mon rapport, auquel je vous invite à vous reporter.
D'abord, je ne manque pas de m'étonner que, au moment même où se mettent en place, avec des moyens importants, des agences spécialisées qui assument plusieurs fonctions essentielles du ministère, le budget de l'emploi et de la solidarité bénéficie de 102 créations d'emploi et de 150 millions de francs de moyens de fonctionnement supplémentaires.
Je ne développerai pas non plus mon commentaire sur la tentation à laquelle vous cédez de faire figurer au titre IV des subventions de fonctionnement, correspondant notamment à la rémunération d'emplois publics permanents, au lieu de les réintégrer au titre III. Cela revient à gonfler de façon quelque peu artificielle des interventions qui n'en sont pas, comme la subvention à un institut de formation du ministère. Dans le même temps, cela revient à minorer les moyens des services. La méthode est habile mais guère orthodoxe quand il s'agit d'améliorer la lisibilité et l'efficacité de la dépense publique.
Enfin, je tiens à dénoncer très vigoureusement la subsistance de 209 postes mis à disposition de l'administration centrale par les organismes de sécurité sociale et les hôpitaux et de 166 postes dans le même cas pour les services déconcentrés, soit, au total, 375 postes. Je répète que cela revient à financer une partie du personnel de l'administration par les cotisations sociales et les dotations hospitalières. Cela ne rend pas sincères les budgets des organismes, et pas plus celui du ministère.
Enfin, cela conduit à des absurdités comme celle qui veut que la direction des hôpitaux, chargée du contrôle de ces derniers, accueille en son sein 75 agents des mêmes hôpitaux. Il est vrai que l'on n'est jamais mieux servi que par soi-même, mais c'est une très mauvaise politique !
Vous avez prévu cette année 10 millions de francs pour résorber en partie cet état de fait. Cela va peut-être dans le bon sens, mais reste encore loin du compte. J'espère vraiment que le budget pour 2001 verra disparaître ces pratiques qui sont particulièrement critiquables. De quel montant de crédits auriez-vous besoin, madame la secrétaire d'Etat, pour régulariser toutes les situations irrégulières que l'on constate dans votre projet de budget ?
Ma quatrième observation est cursive et porte sur quelques évolutions que je ne crois pas opportunes.
Les changements de nomenclature sont encore très importants cette année. Loin de clarifier les lignes budgétaires, ils reviennent à rendre plus délicate l'appréciation des évolutions.
Par ailleurs, il convient de trouver un équilibre entre des lignes trop importantes et d'autres non significatives : la fusion des crédits de la lutte contre l'alcoolisme et le tabac ne permettra plus d'identifier les priorités du Gouvernement en ce domaine. De même, il est toujours impossible d'avoir une vision globale des crédits affectés à la lutte contre le cancer alors même que de lourdes interrogations se multiplient sur cette question. J'avais déjà formulé un diagnostic à ce sujet dans mon rapport spécial sur le cancer, publié en 1998.
Les bourses sont vraiment sacrifiées dans votre projet de budget. Les bourses médicales et paramédicales restent à niveau constant, sans même prendre en considération la hausse du coût de la vie, ou diminuent. De plus, les bourses aux formations sociales diminuent alors même que l'administration déploie des trésors d'ingéniosité pour essayer d'en faire bénéficier le maximum d'étudiants.
Les crédits en faveur des rapatriés diminuent, quant à eux, de 25 %.
Les crédits destinés aux frais de justice sont, comme d'habitude, largement sous-estimés au regard des dépenses des années précédentes.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Ils augmentent pourtant de 13 % !
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Oui, mais le rapport se situe de un à dix entre les inscriptions et les besoins.
Enfin, les dépenses relatives à l'offre de soins restent faibles et elles diminuent même en valeur relative.
L'agrégat relatif à l'offre de soins s'établit ainsi à un peu plus de 1,5 millard de francs pour 2000, soit 1,7 % du budget de la santé et de la solidarité contre 2 % en 1999. Or ces crédits sont stratégiques, parce qu'ils correspondent à la contribution budgétaire de l'Etat aux instruments de régulation des dépenses d'assurance maladie. Je vous livrerai dans un instant les observations de la Cour des comptes à cet égard.
De même, les autorisations de programme demeurent les victimes des budgets successifs puisqu'elles ne représentent plus que 539 millions de francs contre 700 millions de francs en 1999.
Ma dernière observation, la plus importante, concerne l'absence de sincérité de ce projet de budget. Trois éléments viennent sous-estimer les dépenses réelles d'environ 6 milliards de francs. Je l'ai déjà dit à M. Sautter, mais il ne m'a pas répondu sur ce point, qui concerne pourtant directement le ministère des finances.
La première insincérité porte sur 4,7 milliards de francs et concerne la pérennisation de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire. J'en ai fait état dans mon rapport, je n'y reviendrai donc pas.
La seconde source d'insincérité porte sur 1 milliard de francs et rejoint cette question.
Lors de la conférence de la famille, le Premier ministre a annoncé que l'Etat verserait à la CNAF une subvention de 1 milliard de francs couvrant les dépenses qu'elle engage pour le Fonds d'action sociale des travailleurs immigrés et de leurs familles. Vous nous avez répété cet engagement, qui figure également dans le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 1999. Cependant, ce transfert de 1 milliard de francs ne figure pas dans le projet de loi de finances pour 2000. Vous nous avez annoncé devant la commission des finances qu'il figurerait dans le collectif 2000. Cela n'est pas acceptable au regard de l'ordonnance portant loi organique.
La troisième source d'insincérité tient au fait que l'inscription à concurrence de 7 milliards de francs seulement de la subvention de l'Etat au fonds de financement de la CMU est en contradiction avec les prévisions du Gouvernement d'un besoin d'au moins 7,2 milliards de francs et d'une subvention aux régimes spéciaux de 260 millions de francs qui ne figure nulle part dans votre projet de budget.
A cela, enfin, s'ajoute le financement de la prime de Noël aux titulaires du RMI.
Si elle est rétroactive au 1er janvier 1999, elle devrait figurer en loi de finances rectificatives pour 1999. Or, elle n'y figure pas.
Si elle est applicable au 1er janvier 2000, elle devrait figurer dans le projet de loi de finances initial pour 2000. Or, elle n'y figure pas.
Dans ces conditions, la sincérité est sujette à caution.
Ces éléments montrent bien que la sincérité du projet de loi de finances pour 2000 est gravement altérée.
Le Gouvernement reconnaît que des dépenses interviendront en 2000, mais il ne les inscrit pas dans le projet de loi de finances contrairement aux dispositions du quatrième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance portant loi organique du 2 janvier 1959, qui dispose que « la loi de finances de l'année prévoit et autorise, pour chaque année civile, l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. »
Ce sont donc environ 6 milliards de francs qui, d'ores et déjà, devraient s'inscrire dans le projet de loi de finances rectificative pour 2000, auxquels s'ajouteront les sous-estimations devenues habituelles de certains crédits.
Nous ne pouvons donc accepter une opération qui travestit l'autorisation budgétaire et semble montrer le peu de cas que vous faites du Parlement.
Mais je ne voudrais pas achever mon propos en disant que le Sénat, bien entendu, ne peut accepter ces évolutions et ces pratiques budgétaires critiquables, sans me référer à la Cour des comptes. J'ai repris à cet effet ses trois derniers rapports, ceux de 1997, 1998 et 1999.
Dans le rapport de 1997, la conclusion numéro 2 de la Cour des comptes est la suivante : « La clarification des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale reste d'une urgente nécessité. » Est-elle faite ? Je vous pose la question, madame le secrétaire d'Etat.
Dans la conclusion numéro 4, je lis : « La réorganisation du système d'information ne pourra être menée à son terme qu'au prix d'un effort soutenu ». Cet effort est-il vraiment soutenu ? C'est une question que je pose aussi.
Du rapport de 1998, je tirerai trois recommandations.
Premièrement, il faut clarifier le partage des responsabilités. A ce propos, la Cour constate que « de nombreux retards et carences dans la mise en oeuvre des propositions sont le fait de l'Etat, alors même qu'elles ne soulèvent pas d'opposition de sa part ».
Deuxièmement, la Cour préconise d'accélérer la mise en place des dispositifs de maîtrise des dépenses.
Enfin, troisièmement, il faut simplifier et mieux gérer un système que vous vous ingéniez à rendre plus complexe.
Quant au rapport de septembre 1999, je ne citerai que la première conclusion de la conclusion générale, la plus importante, qui a trait aux comptes : « La réforme visant à obtenir, plus rapidement, des comptes plus fiables et en droits constatés est bien engagée mais doit être achevée dans les plus brefs délais. C'est la première priorité, sur laquelle la Cour attire à nouveau l'attention avec la plus grande vigueur. Dans la situation actuelle, il n'est pas possible d'asseoir un diagnostic certain sur l'état des comptes ». C'est la Cour des comptes qui le dit. « Les récentes améliorations ont créé, comme toujours, une hétérogénéité par rapport au passé, rendant la lecture des phénomènes paradoxalement plus difficile. » C'est ce que je disais. « Il importe de dépasser cette situation en achevant la réforme en cours. Cela suppose qu'elle soit considérée par les différentes parties prenantes, les organismes de base, les caisses nationales, le ministère de l'emploi et de la solidarité, comme une priorité de très haut rang, à laquelle il faut, durant deux ou trois ans, consacrer des moyens crédibles, donc nettement accrus. »
Je crois que tout est dit en matière financière et, partant de là, madame la secrétaire d'Etat, la commission des finances invite le Sénat à rejeter les crédits de la santé et de la solidarité pour 2000. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Chérioux, rapporteur pour avis.
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la solidarité. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à structure constante, les crédits relatifs à la solidarité, d'un montant de 81,3 milliards de francs, augmentent de 4,5 %, ce qui traduit la volonté du Gouvernement de donner une priorité aux actions de lutte contre les exclusions et de développement social.
Pour autant, comme l'année dernière, la commission des affaires sociales a estimé que les évolutions nominales des crédits ne pouvaient pas constituer le seul critère d'appréciation de ce projet de budget.
En matière de versement des minima sociaux, de prise en charge des personnes handicapées ou inadaptées, d'hébergement d'urgence des plus démunis, d'insertion des handicapés en milieu ordinaire, les besoins sont immenses. Aucun budget ne saurait jamais suffire à les combler.
C'est pourquoi il est essentiel de juger si, à partir des moyens qui sont alloués à l'effort de solidarité, le Gouvernement ajuste bien sa politique sociale pour le rendre plus efficace.
La commission des affaires sociales a constaté avec satisfaction la continuité de l'effort du Gouvernement pour appliquer la loi d'orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions. Force est de constater néanmoins que les minima sociaux, notamment le RMI, le revenu minimum d'insertion, absorbent la majeure partie des marges de croissance des crédits relatifs à la lutte contre les exclusions.
La mise à jour des crédits du RMI, qui aspire à elle seule 2,3 milliards de francs, contraste avec l'abondement de 266 millions de francs de l'agrégat relatif aux exclusions pour appliquer le programme national. C'est que la « machinerie » du RMI fait preuve d'une étonnante inélasticité au retour de la croissance.
Malgré la baisse du chômage, les effectifs des titulaires du RMI augmentent moins vite mais ne se réduisent pas et, qui plus est, les revalorisations du montant de l'allocation décidées par le Premier ministre induisent une forte progression des crédits alloués.
Le souci de revaloriser les minima sociaux est compréhensible. Une telle revalorisation est même souvent nécessaire. Mais il n'en serait pas moins préférable de considérer le retour de la croissance comme un instrument pour favoriser la réinsertion des titulaires du RMI plutôt que comme une manne à distribuer.
Le retour à la vie active du « noyau dur » des titulaires du RMI de longue durée ne se dessine toujours pas, malgré la mise en place de la loi contre les exclusions.
Il faut prendre garde à ce que les revalorisations du montant des minima sociaux ne deviennent un palliatif commode, mais coûteux, de la faiblesse du dispositif d'insertion ; pis, elles peuvent même parfois devenir un frein à la volonté de réinsertion des intéressés.
Concernant la formation des professions sociales, notre commission a souhaité une meilleure évaluation du coût de la formation des emplois-jeunes de l'éducation nationale. Un diplôme d'éducateur de jeunes enfants sera assurément un atout précieux pour permettre aux jeunes concernés de s'insérer sur le marché du travail à l'expiration de l'aide publique, dans cinq ans. Mais il ne faudrait pas mettre en place une « formation au rabais » qui ruinerait l'effet recherché.
S'agissant des handicapés, notre commission a pris acte avec satisfaction de l'effort exceptionnel engagé sur trois ans en faveur de l'insertion des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail, grâce à une mobilisation des fonds de l'Association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, l'AGEFIPH, financée par les entreprises. Elle a souligné, en revanche, le caractère préoccupant de l'augmentation continue du nombre des bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH.
Parmi les trois explications de cette hausse, l'une est particulièrement inquiétante.
Bien sûr, les personnes handicapées ont eu beaucoup de difficultés, ces dernières années, à entrer sur un marché du travail lui-même déjà plus que saturé ; de plus, en raison de la pyramide des âges, des personnes qui sont entrées dans le dispositif en 1975 continuent d'en bénéficier aujourd'hui.
En revanche, apparaît trop souvent une confusion entre la notion de compensation d'un handicap et le souci, plus ou moins formulé, de pallier l'absence de revenu professionnel. En témoigne le fait que l'instauration du RMI n'a pas eu pour effet de faire basculer certains bénéficiaires de l'AAH dans le champ du RMI, comme on le pensait en 1998. Au contraire, la phase d'instruction du RMI est souvent devenue un facteur déclenchant de l'orientation vers la COTOREP, la commission technique, d'orientation et de reclassement professionnel susceptible d'ouvrir la voie à la perception d'une allocation plus durable et plus protectrice. L'AAH ne devait pas être considérée comme un « RMI consolidé ».
Le phénomène est accentué par le flou dans lequel les COTOREP prennent leurs décisions : on est frappé de constater que près du quart des demandes s'appuient sur des troubles du psychisme et que 22 % de ces demandes soient rejetées, alors que le taux de rejet est de 55 % pour les personnes présentant une déficience de l'appareil locomoteur.
Les COTOREP doivent faire l'objet d'une réforme profonde, permettant d'assurer une véritable logique de réseau et une plus grande cohérence des décisions, dont le caractère médical doit être réaffirmé.
Les disparités de comportement des COTOREP suscitent des effets pervers : plus le taux de chômage est élevé ou plus le pourcentage d'allocataires du RMI est important, plus les COTOREP reconnaissent des taux d'incapacité compris entre 50 et 80 %.
Les COTOREP doivent être recentrées sur leur mission médico-sociale et constater les handicaps irréversibles ou les maladies invalidantes de longue durée. Le réseau doit s'appuyer sur des doctrines et des pratiques homogènes. Il faut également que le passage en COTOREP soit l'occasion d'obtenir l'appui d'une équipe de conseil et de soutien pour l'élaboration d'un véritable projet de vie.
Concernant le secteur social et médico-social, les dépenses ont continué à augmenter modérément au cours de l'année 1998, confirmant ainsi la tendance constatée depuis 1996.
Il reste que la réforme du taux directeur opposable doit être appliquée avec discernement, car il ne doit pas devenir un instrument dont l'utilisation aveugle étranglerait les associations.
En effet, des menaces se profilent. Des facteurs de fond pourraient conduire à entrer dans un nouveau cycle d'expansion de dépenses après 2000. De plus, la commission a estimé que la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail faisait entrer le secteur social et médico-social dans un période d'incertitude.
Réussir le passage aux 35 heures suppose en effet de tenir trois paris.
Le premier concerne la capacité d'anticipation des échéances par les établissements et les associations. En particulier dans les établissements où l'on travaille plus de 37 heures par semaine, l'accord général de modération salariale ne suffira pas pour financer suffisamment d'embauches compensatrices supplémentaires ; ces associations devront impérativement conclure un accord sur la réduction du temps de travail prévoyant des mesures particulières de blocage de la progression des carrières pour franchir le cap.
Deuxième pari : les personnels devront comprendre l'effort de modération salariale qui va leur être demandé, ce qui n'est pas évident si l'on en juge par ce qui se passe dans certains secteurs de l'économie marchande. En cas de dérapage, les financeurs, c'est-à-dire l'Etat, la sécurité sociale ou les départements, seront en première ligne.
Troisième pari : il faut, dans certains cas, réorganiser les équipes et les périodes de permanence pour intégrer les personnels nouvellement embauchés, sans augmenter excessivement les heures supplémentaires et, surtout, sans perturber la vie des personnes prises en charge ou réduire la qualité des services qui leur sont dus.
Par ailleurs, la commission des affaires sociales a regretté que l'encadrement administratif des agréments au titre de l'article 16 de la loi de 1975 ait été appliqué avec une lenteur et une rigidité qui n'ont pas facilité l'action des établissements dans leur démarche complexe de recherche d'un accord. Il a fallu quatre mois pour agréer l'accord du SNAPEI, le syndicat national des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales, et près de neuf mois et de multiples tractations en coulisses pour que l'accord FEHAP - fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif - puisse enfin entrer en vigueur.
La déconcentration de l'instruction des accords d'établissement était nécessaire dès lors que la décision avait été prise suivant laquelle chacun de ces accords devait passer devant la commission nationale d'agrément. Mais, trop souvent, au début de cet automne, les gestionnaires d'associations ont eu le sentiment que les services déconcentrées de l'Etat ne comprenaient pas l'enjeu qui s'attachait à l'agrément des accords avant la date fatidique du 1er janvier 2000.
Il est vrai, madame la secrétaire d'Etat, que Mme Aubry a répondu à l'une des inquiétudes des associations qui se demandaient quel régime allait leur être appliqué entre l'entrée en vigueur des 35 heures et la date effective de l'agrément. Elle a fait état de cette réponse devant notre commission.
Quoi qu'il en soit, même si la procédure d'agrément apporte d'utiles garanties, on pourra regretter qu'elle n'ait pas été mise en oeuvre avec plus de souplesse et de « réactivité » aux besoins des établissements.
Tout se passe comme si les services de l'Etat n'étaient pas capables de faire preuve de cette souplesse et de cette capacité d'adaptation que l'on demande aux entreprises privées pour mettre en oeuvre les 35 heures.
Enfin, des arrêts récents des juges administratifs et judiciaires peuvent générer des coûts inattendus pour les financeurs. Après la question, semble-t-il réglée, de la fixation des horaires d'équivalence pour les heures de permanence nocturne en chambre de veille, se posent celles du statut des foyers à double tarification pour les adultes lourdement handicapés et des règles de prise en charge applicables aux jeunes handicapés maintenus en institut médico-éducatif au-delà de l'âge de vingt ans. Cela fait l'objet d'un amendement désormais fameux.
La réouverture de ces dossiers sensibles ne doit pas donner lieu à des transferts de charge au détriment des collectivités locales.
Parce que ce budget ne semble pas suffisamment préparer l'avenir et qu'il laisse subsister des risques d'aggravation des dépenses, parce que le passage aux 35 heures fait peser des menaces sur le secteur médico-social, la commission des affaires sociales a donné un avis défavorable quant à l'adoption des crédits relatifs à la solidarité dans le projet de budget pour 2000. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Louis Boyer, rapporteur pour avis.
M. Louis Boyer, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la santé. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au sein du budget de l'emploi et de la solidarité, le budget de la santé s'élève, pour 2000, à 4 milliards de francs, en progression de 4,9 % par rapport à 1999.
La principale priorité affichée par le Gouvernement concerne la sécurité et la veille sanitaires. Cela se traduit par le renforcement des moyens mis à la disposition des agences de sécurité sanitaire et de l'Institut de veille institués par la loi, issue d'une initiative sénatoriale, du 1er juillet 1998. Je rappellerai ici que ces institutions ont été créées avec plus de trois mois de retard par rapport aux délais qui avaient été fixés par le législateur.
L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé recevra en 2000 une subvention de l'Etat de 174 millions de francs, soit 55 millions de francs de plus que celle qui avait été accordée en 1999. Il convient d'y ajouter une subvention de 810 000 francs destinée à la recherche : cette subvention est stable en francs courants par rapport à celle qui avait été accordée en 1999.
Les subventions de l'Etat sont désormais très minoritaires dans le financement de l'agence : ainsi, en 1999, sur un budget de fonctionnement de 405 millions de francs, 274 millions de francs, soit les deux tiers, provenaient de ressources propres de l'agence constituées par les diverses taxes et redevances versées par les industriels.
La commission des affaires sociales estime que l'origine des ressources de l'agence n'est désormais plus équilibrée ni adaptée à ses nouvelles missions.
Elle n'est plus équilibrée, car le rapport entre les financements par redevance et les subventions publiques, qui est aujourd'hui de deux tiers un tiers, est désormais trop élevé.
Ce jugement est d'autant plus fondé que les missions de l'agence ont évolué avec la loi du 1er juillet 1998. Il n'est pas juste que seule l'industrie pharmaceutique contribue au financement de l'agence, alors que cette dernière est désormais en charge de tous les produits de santé et des produits cosmétiques.
Le Gouvernement aurait dû nous proposer, par exemple dans le DMOS annexé au projet de loi instituant une couverture maladie universelle, une réforme du financement de l'agence de sécurité sanitaire des produits de santé qui prenne en considération l'évolution de ses missions.
Pareille réforme eût été également nécessaire pour l'agence française de sécurité sanitaire des aliments. En effet, le financement de celle-ci ne repose aujourd'hui, en pratique, que sur des subventions publiques pour sa mission d'évaluation des risques sanitaires des aliments.
Aucune taxe existante n'a été affectée à l'agence, fût-ce en partie, à l'exception des redevances liées à l'activité de l'agence du médicament vétérinaire.
L'agence, pour ses activités non vétérinaires, doit donc négocier l'intégralité de ses ressources avec les administrations centrales, dont on a vu, au cours de la discussion de la proposition de loi relative à la veille et la sécurité sanitaires, que leur première préoccupation n'était pas toujours - et c'est un euphémisme - de favoriser le développement de l'agence.
Il ne serait pas souhaitable non plus que l'agence soit contrainte de « mendier » des ressources auprès des industriels en cherchant à développer une activité de « services rendus ». C'est pourquoi la commission estime que le Gouvernement aurait dû, dès cette année, réaffecter des taxes existantes au fonctionnement de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments.
En outre, en 1999, la part de la subvention du ministère de la santé dans le budget de l'agence a représenté seulement 4,8 % de son budget, part qui nous paraît trop faible pour que le ministère de la santé puisse s'imposer, si nécessaire, face aux autres ministères de tutelle.
Il faut, en effet, tenir compte des 182 millions de francs inscrits au budget de l'agriculture pour financer les missions d'appui scientifique et technique et les programmes de recherche.
Troisième institution créée par la loi du 1er juillet 1998, l'Institut de veille sanitaire avait été doté, en loi de finances pour 1999, de 62,6 millions de francs. Il a en outre reçu, au titre de conventions conclues avec différents ministères et les institutions européennes, 24,5 millions de francs, auxquels il faut ajouter 17 millions de francs au titre d'exercices antérieurs, soit un budget de fonctionnement total de 105 millions de francs.
Nous voudrions, madame la secrétaire d'Etat, souligner l'insuffisante application de la loi du 1er juillet 1998. En effet, les textes réglementaires concernant les dispositifs médicaux, les réactifs de laboratoire, les tissus et cellules, les produits thérapeutiques annexes, ainsi que les textes réglementaires sur l'Etablissement français du sang n'ont toujours pas été publiés plus d'un an après la promulgation de la loi. Ce délai peut être considéré comme trop long, s'agissant de mesures de sécurité sanitaire.
Nous souhaiterions aussi savoir, madame la secrétaire d'Etat, quand interviendra le décret transférant à l'agence les laboratoires actuellement rattachés à d'autres ministères, notamment au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
J'en viens à la prévention.
Ce qu'il est désormais convenu d'appeler « la lutte contre les pratiques addictives », la lutte contre le sida et la prévention constituent traditionnellement un poste important du budget de la santé.
Il faut souligner que, cette année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale a prévu une débudgétisation de 100 millions de francs en faisant supporter à l'assurance maladie, plutôt qu'à l'Etat, l'intégralité des dépenses des centres de dépistage anonyme et gratuit, des centres de planification ou d'éducation familiale, ainsi que les dépenses de désintoxication des toxicomanes réalisées avec hébergement dans les établissements de santé.
Je tiens à souligner aussi les modifications de nomenclature budgétaires intervenues cette année, et qui ont eu pour objet de rassembler au sein d'un même chapitre - le chapitre 47-15 - les crédits de la lutte contre la toxicomanie et ceux de la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme.
Il devient désormais très difficile d'y voir clair, ce chapitre ne comportant que deux articles respectivement consacrés aux dépenses déconcentrées et aux dépenses non déconcentrées.
L'absence de clarté de cette politique ne se traduit pas uniquement sur le plan financier, l'idée d'une politique de lutte contre « toutes les dépendances » étant de nature à entraîner la confusion entre produits licites et illicites.
S'agissant, enfin, de l'offre de soins, je souhaite évoquer les crédits destinés à favoriser l'adaptation de l'offre hospitalière, affectés à l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, et au Fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, le FIMHO.
Les ressources du budget de l'ANAES proviennent, pour l'instant, d'une subvention de l'Etat et d'une subvention de l'assurance maladie. En 1999, elles ont représenté respectivement 28,9 millions de francs et 57,9 millions de francs. Pour 2000, la subvention de l'Etat progresse dans le projet de loi de finances de 16 millions de francs.
La commission des affaires sociales regrette, à l'occasion de l'examen de ce projet de budget, le retard pris pour le démarrage des procédures d'accréditation des établissements de santé.
Certes, l'agence, dont le travail d'évaluation avait été apprécié, s'est vu confier, au fil des ans, des missions de plus en plus nombreuses qu'il lui semble difficile d'assumer. Il en est ainsi, notamment, des compétences que lui avaient confiées les ordonnances du 24 avril 1996 en matière d'évaluation des dispositifs médicaux. Ces compétences seront d'ailleurs transférées à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé à compter de la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale.
Mais l'ordonnance a aussi prévu que tous les établissements de santé devront être soumis à la procédure d'accréditation avant la fin de l'année 2000. Ce calendrier ne pourra très vraisemblablement pas être respecté, le conseil d'accréditation de l'agence n'ayant été nommé qu'à l'automne 1999 et le nombre d'établissements soumis à la procédure étant très insuffisant.
Le budget de la santé comprend aussi, au chapitre 66-22, la subvention annuelle au Fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, créé en 1998 pour accorder des aides à l'investissement aux établissements de santé qui présentent des projets de restructuration. Il avait été doté, en 1999, de 250 millions de francs d'autorisations de programme et de 150 millions de francs de crédits de paiement.
Pour 2000, le présent projet de loi de finances ouvre une enveloppe de 200 millions de francs en autorisations de programme et de 265 millions de francs en crédits de paiement. Cette augmentation des crédits de paiement résulte du retard pris au cours des années précédentes dans l'instruction des dossiers et la délivrance des subventions.
Dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes a établi un bilan très critique du fonctionnement de ce fonds, pourtant institué en loi de finances.
Elle critique, notamment, la procédure de sélection des dossiers. Ainsi, elle note qu'en 1998 l'instruction des dossiers a pris un grand retard, qui s'est traduit par un faible taux de consommation des crédits. Elle souligne qu'une forte proportion des dossiers sélectionnés par les agences régionales de l'hospitalisation, les ARH, n'étaient pas éligibles au FIMHO. C'était le cas, en 1998, de 40 % des dossiers présentés.
Les critiques adressées au FIMHO sont d'autant plus graves que ce fonds rassemble désormais l'intégralité des subventions d'Etat aux équipements hospitaliers. En outre, l'extinction des subventions d'Etat intervient au moment où les établissements de santé devront financer de nombreux investissements de sécurité, notamment à l'occasion de leur préparation à l'accréditation.
Je souhaiterais également savoir, madame la secrétaire d'Etat, si l'Etat aidera les établissements de santé à financer les surcoûts résultant de la prochaine application de la loi sur les 35 heures.
Pour toutes ces raisons - absence de réforme du financement des agences de sécurité sanitaire, confusion des genres dans la politique de lutte contre les dépendances et retards dans la politique d'accréditation et de restructuration de l'offre hospitalière - la commission des affaires sociales a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la santé pour 2000. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quinze heures quinze, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant l'emploi et la solidarité : II. - Santé et solidarité.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 35 minutes ;
Groupe socialiste, 22 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 41 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 13 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Madame le secrétaire d'Etat, lorsque, le 24 novembre dernier, vous avez, avec Mme Aubry, présenté votre projet de budget devant la commission des affaires sociales du Sénat, vous avez évoqué, en matière de santé, trois priorités que vous souhaitiez affirmer cette année, parmi lesquelles le renforcement de la sécurité sanitaire et des politiques de santé publique.
Mon intervention portera exclusivement sur ces deux volets de votre politique.
Je m'intéresserai tout d'abord au renforcement des politiques de santé publique, puis à la sécurité sanitaire, domaine auquel je porte, vous le comprendrez, une vigilance toute particulière.
S'agissant du renforcement des politiques de santé publique, je constate qu'au-delà de l'effet d'annonce cette priorité a un contenu, à vrai dire, bien léger.
Certes, des crédits sont censés répondre aux fléaux que constituent l'hépatite C, le sida, le tabagisme, l'alcoolisme et la toxicomanie.
Mais, en matière de santé publique - je le dis chaque année - on manque d'un objectif clair, s'appuyant sur des données épidémiologiques indiscutables, à savoir faire reculer la mortalité prématurée évitable, comme on manque d'une stratégie s'inscrivant nécessairement dans la durée.
Tel paraissait être d'ailleurs l'objectif de l'article 20 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, qui visait à mettre en place des programmes de dépistage et de lutte contre les maladies aux conséquences mortelles évitables.
Un an plus tard, nous attendons toujours les textes d'application et la liste des maladies qui seraient concernées. En cette matière, comme dans d'autres, les déclarations d'intention ne sauraient suffire.
Je citerai un exemple particulièrement éloquent : le cancer colorectal tue chaque année entre 15 000 et 16 000 Français, et seulement 3 % des explorations endoscopiques du côlon et du rectum permettent d'en faire le diagnostic. Depuis 1993, neuf enquêtes épidémiologiques, en France et à l'étranger, ont démontré que l'utilisation d'un test, l'Hemoccult II, tous les deux ans au-delà de cinquante ans, permet de réduire de 30 % à 44 % une telle mortalité.
La conférence de consensus organisée par l'ANAES sur cette question a d'ailleurs mis en évidence que « le test Hemoccult II a une sensibilité et une spécificité acceptables dans le cadre d'un programme de dépistage réalisé dans de bonnes conditions : il permet de dépister environ 50 % des cancers et 20 % des adénomes de plus de 1 centimère. »
Ce dépistage permettrait, en outre, de réduire significativement le nombre de coloscopies pratiquées dans notre pays, dont la pratique n'est pas anodine et dont le rendement est faible. De nombreux médecins ont alerté les pouvoirs publics et l'opinion sur cette question ; selon eux, 3 000 décès au moins pourraient être évités chaque année si ce dépistage était institué.
Or, malgré les engagements pris l'an dernier visant à étendre le dépistage du cancer du côlon, aucun texte d'application, décret ou arrêté, n'est publié à ce jour. Les deux premiers textes sont annoncés pour publication au cours du dernier trimestre 1999. Nous sommes déjà le 6 décembre ; pourriez-vous, madame le secrétaire d'Etat, nous apporter davantage de précisions quant à leur date de parution ?
L'exemple du dépistage du cancer colorectal n'est pas - hélas ! - le seul qui montre le décalage entre les paroles et les actes, entre les déclarations d'intention et la réalité des faits.
En matière de santé publique, c'est inacceptable. Et l'on est amené à s'interroger sur l'utilité de créer des structures au nom de la démocratie sanitaire, telles que le Haut comité de santé publique ou les conférences régionales et nationales de santé, si leurs propositions restent lettre morte.
Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité a annoncé qu'un débat d'orientation sur la santé publique se tiendrait au printemps.
Un débat supplémentaire chaque année risque d'être un débat pour rien. Les choix de santé publique ne peuvent en effet se traduire que par des engagements pluriannuels, répondant à des objectifs précis et pour lequels des données épidémiologiques permettent d'évaluer les actions et d'en mesurer les effets.
Parmi les causes de iatrogénies qu'il définit comme « toute pathologie d'origine médicale », le Haut comité de santé publique souligne d'ailleurs les conséquences d'une absence ou d'un report de décision de soins sur la santé de nos concitoyens.
Une autre priorité de votre action pour 2000, madame le secrétaire d'Etat, porte sur le renforcement de la sécurité sanitaire.
Mme le ministre a annoncé, je la cite, que la montée en charge des agences de sécurité sanitaire était assurée. J'aimerais revenir plus en détails sur leur financement et sur leur fonctionnement.
En ce qui concerne le financement, vous avez mentionné en commission un chiffre global de 495 millions de francs, en augmentation de 157 millions de francs, ces crédits couvrant l'ensemble des agences, c'est-à-dire pas uniquement celles qui ont été créées pas la loi du 1er juillet 1998. Les chiffres concernent donc l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'AFSSAPS ; l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA ; l'Institut de veille sanitaire, l'IVS ; l'Agence française du sang, l'AFS, qui deviendra, au 1er janvier 2000, l'Etablissement français du sang ; l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES ; l'Office de protection contre les rayonnements ionisants, l'OPRI, et l'établissement français des greffes, l'EFG.
Je ne conteste pas l'effort entrepris par l'Etat pour doter ces structures de moyens supplémentaires. Je note toutefois que l'effort portant sur les seules agences créées par la loi du 1er juillet 1998 se monte à 108 millions de francs.
Je m'interroge sur l'adéquation entre les missions nouvelles que l'on souhaite confier notamment à l'AFSSAPS et à l'AFSSA et le montant des crédits qui leur sont affectés.
En ce qui concerne l'AFSSAPS, je note ainsi que, si l'Etat prévoit en 2000 de lui verser une subvention de 174 millions de francs, en augmentation de 55 millions de francs par rapport à 1999, l'agence, quant à elle, a prévu un budget de fonctionnement de 405 millions de francs, dont les deux tiers proviendront de taxes et de redevances versés par les industriels.
Faisant miennes les observations formulées ce matin par l'excellent rapporteur de la commission des affaires sociales, je m'interroge sur le ratio entre le financement public et privé, dont je considère comme lui qu'il est déséquilibré. Seule l'industrie pharmaceutique contribue massivement au financement de l'agence, alors même que les nouvelles mission de celle-ci couvrent bien plus largement tous les produits de santé et les produits cosmétiques. Il paraît nécessaire et urgent de mettre en place une autre répartition du financement.
Dois-je vous rappeler, madame le secrétaire d'Etat, que lorsque l'Agence du médicament avait été créée, l'équilibre qui avait été considéré comme pertinent était de 60-40 ? Nous constatons, au fil des années, que cet équilibre est compromis et nous nous demandons pourquoi.
Si l'AFSSAPS dépend trop, pour son financement, d'un seul secteur industriel avec, de la part de certains, une suspicion, à mes yeux, non fondée quant aux conséquences sur l'indépendance même des décisions de l'agence, l'AFSSA, quant à elle, à l'exception des redevances liées à l'activité de l'Agence du médicament vétérinaire, ne doit ses moyens financiers qu'à la puissance publique. Encore doit-elle les négocier, comme cela a été rappelé par M. Louis Boyer, auprès de trois ministère différents : santé, agriculture, économie et finances. Il y a, là encore, tout lieu de craindre que ce financement, au gré des arbitrages des uns et des autres, ne permette par une action pérenne de cette agence dont le devenir, comme vous le savez, me donne, ainsi qu'à d'autres, quelques soucis.
Je remarque également que, pour l'année 2000, le financement de l'AFSSA par le ministère de l'agriculture fait l'objet de subventions, bien distinctes et que les activités de l'ex-CNEVA, le Centre national d'études vétérinaires et alimentaires, sont présentées indépendamment des activités nouvelles de l'agence. Il faut espérer que cette présentation comptable n'est que temporaire et qu'elle ne témoigne pas d'une volonté de conserver des structures qui doivent désormais faire partie d'un ensemble.
En outre, alors même que le législateur a créé ces agences dans un souci de contribuer au renforcement de la sécurité sanitaire de nos concitoyens, alors même que l'impératif de santé publique doit y être prédominant, il voit, et avec inquiétude, la part de la subvention du ministère de la santé dans le budget de l'AFSSA s'élever à seulement 4,8 % du budget total. Connaissant les pesanteurs auxquelles le législateur s'est déjà heurté maintes fois, comment être assuré que le ministre en charge de la santé et, par là même, garant de la santé publique, sera toujours entendu ?
En 1999, l'institut de veille sanitaire recevra une dotation de 101 millions de francs. Son budget de fonctionnement pour 1999 atteignait 105 millions de francs, dont 62,6 millions de francs provenaient de l'Etat. Cela laisse présager la poursuite de la montée en charge de cet institut.
Pour conclure sur ce point, je voudrais rappeler qu'au cours des débats qui ont précédé l'adoption de la loi du 1er juillet 1998 j'ai, à plusieurs reprises, évoqué la question du financement et constamment réaffirmé que cette réforme ne pouvait pas se faire à moyens financiers constants. En effet, l'exigence de sécurité sanitaire nécessite que les agences disposent des moyens de remplir correctement leurs missions. La volonté politique doit se retrouver dans la réalité des budgets mis en oeuvre et dans leur lisibilité. La présentation actuelle ne permet pas, en effet, de connaître précisément les moyens financiers dont disposent les agences, ni l'origine des financements ni, à plus forte raison, leur évolution dans le temps.
S'agissant de l'ANAES, je souligne la nécessité de poursuivre les efforts entrepris. Grâce à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, l'ANAES a été recentrée sur ses deux missions de base, l'accréditation et l'évaluation en santé. L'ANAES a été chargée de la mise en place des références médicales opposables. Or les délais d'attente dans ce domaine se sont considérablement allongés, pour atteindre parfois plus de dix-huit mois. Sachant l'importance de ces règles pour améliorer les pratiques médicales, il y a lieu de renforcer les moyens de l'ANAES dans ce domaine.
Quant au fonctionnement des agences, je voudrais revenir sur le rôle de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments dans ce que les médias ont baptisé la « guerre du boeuf ».
Comme je l'ai exprimé publiquement déjà, j'ai apprécié les capacités d'expertise de l'agence dans ce domaine. Chacun a pu en juger.
Mais je déplore, une fois encore, la manière dont le Gouvernement a géré cette crise. En refusant d'accorder à l'agence un pouvoir de décision en matière de gestion du risque, contrairement à l'Allemagne, en faisant du ministre de l'agriculture le pilote de ce dossier difficile, on a donné à penser que la priorité de santé publique n'était pas l'objectif premier.
La gestion de la crise a fragilisé l'agence. Votre ministère, madame le secrétaire d'Etat, a été le grand absent de ce conflit. Je ne peux que le déplorer, vous aussi, peut-être.
Je ne voudrais pas terminer ce tour d'horizon sur l'application de la loi du 1er juillet 1998 sans évoquer deux points qui, chacun à leur manière, illustrent la difficulté de l'administration à tenir compte de la volonté du législateur.
Il s'agit, d'abord, du retard inadmissible dans la parution des textes d'application. Certes, les décrets constitutifs, après plus de neuf mois d'attente, ont fini par voir le jour, mais la loi du 1er juillet 1998 comporte également des dispositions réglementaires applicables à différents produits de santé, tels que les dispositifs médicaux à risque particulier, les produits cosmétiques, les réactifs, les produits thérapeutiques annexes, etc., pour lesquelles aucun décret d'application n'est encore paru. Plus de quatorze articles de cette loi restent ainsi en attente. C'est profondément regrettable.
Il serait judicieux d'affecter en priorité les nouveaux effectifs de votre ministère à la préparation des décrets d'application en souffrance.
Concernant également l'augmentation de l'encadrement de votre ministère, je souhaiterais que vous me précisiez, parmi ces nouveaux postes, combien seront affectés au renforcement des moyens d'inspection des services extérieurs de l'Etat, qui ont aussi leur rôle à jouer dans la mission de contrôle de la sécurité sanitaire. Je pense en particulier à la nécessité de renforcer le nombre de postes de médecin et de pharmacien inspecteur de la santé publique, dont les missions sont essentielles et les effectifs chroniquement insuffisants.
Ma deuxième remarque portera sur la mise en place du comité national de sécurité sanitaire. Créé sur l'initiative de nos collègues députés, ce comité avait pour but, selon le rapporteur à l'Assemblée nationale, M. Alain Calmat, de permettre « de confronter régulièrement les informations disponibles sur les risques sanitaires et les situations épidémiologiques et de coordonner l'intervention des trois structures ». Ce comité, suivant le souhait même du législateur, doit être une structure légère, coordonnant les actions des uns et des autres ; il n'a, en aucun cas, reçu pour mission de procéder à un travail d'évaluation, qui est par ailleurs déjà entrepris au sein des agences.
Quelle n'a pas été ma surprise d'apprendre que ce comité a décidé de créer des groupes de travail dont les avis et rapports sont attendus dans six mois ! L'un de ces groupes a pour tâche de travailler sur l'évaluation des risques sanitaires faibles, tels que les expositions à la dioxine qui apparaissent parmi les priorités de l'Institut de veille sanitaire.
Le dévoiement des missions du comité national de sécurité sanitaire me semble contraire à la volonté de lisibilité et de cohérence qui avait présidé à l'élaboration de la loi tout au long des travaux préparatoires.
Madame le secrétaire d'Etat, telles sont les interrogations, les réserves et les critiques que j'ai voulu exprimer au nom du groupe de l'Union centriste. Elles sont suffisamment graves et sérieuses pour que, suivant l'avis de la commission des affaires sociales, nous rejetions les crédits de votre ministère. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je limiterai mon propos aux restructurations hospitalières, en particulier au rôle de ce que j'appelle l'« hôpital général de proximité » et aux difficultés qu'il rencontre.
La grande réforme initiée par les ordonnances de 1996 avait donné l'espoir que les restructurations se réaliseraient dans un cadre intégrant simultanément les notions de services rendus à la population, d'égalité d'accès aux soins de qualité et de maîtrise des coûts.
Qu'en est-il aujourd'hui ?
Les expériences sont variées, les résultats très inégaux. Certaines mutations bien préparées, conduites par des hommes et des femmes de qualité, réussissent. D'autres butent sur de grandes difficultés d'ordre divers.
A cet égard, M. le rapporteur pour avis a relevé, à la suite de la Cour des comptes, le bilan très critique du fonctionnement du Fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, qui rassemble désormais l'intégralité des subventions d'Etat aux équipements hospitaliers.
La procédure de sélection des dossiers et leur instruction ont pris un grand retard, ce qui s'est traduit par un faible taux de consommation des crédits.
On peut s'interroger légitimement sur les raisons, alors que les besoins existent.
Le précédent directeur de la santé ne disait-il pas lui-même, quand il a renoncé à ce poste, qu'il avait dû « mener son action à la direction générale de la santé (...) au prix de grosses difficultés dues à l'organisation administrative du ministère, organisation qui ne permet pas toujours d'oeuvrer aussi vite et aussi efficacement qu'il le faudrait ». Dur constat !
Il est également regrettable que les procédures d'accréditation des établissements de santé aient pris du retard. Cela est très dommageable car elles permettraient de « donner au public des informations plus fiables que celles qui résultent du classement dans la presse ». Grâce à la constitution de vraies communautés d'établissements et aux contrats d'objectifs avec les agences régionales de l'hospitalisation, on pourrait sans doute éviter de fermer des services ou des établissements « à l'aveugle ».
J'en reviens à l'hôpital général de proximité, ce mal-aimé des théoriciens, pourtant plébiscité par les populations, aussi bien dans les sondages que par les manifestations de masse qui ont lieu chaque fois qu'un établissement est discrédité et menacé ou en cas de fermeture, celle-ci étant ressentie comme une véritable amputation.
S'agissant de discrédit, dans l'union hospitalière que je préside, vingt et un établissements - grands et petits - injustement attaqués dans la presse ont porté plainte et ont gagné très récemment devant le tribunal, l'hebdomadaire concerné ayant été condamné à de lourdes amendes. Dont acte. Mais on ne le sait pas suffisamment.
Par ailleurs, j'ai peine à croire que l'on fera systématiquement des économies en regroupant dans des hôpitaux plus lointains et plus spécialisés, donc plus chers, les patients des services fermés, d'autant que ces hôpitaux d'accueil manquent aussi, la plupart du temps, d'anesthésistes, d'obstétriciens et de chirurgiens. Il faudra bien embaucher et la difficulté sera la même puisque, nous le savons bien, au niveau national l'écart se creuse entre les postes à pourvoir et les postulants.
Ne serait-il pas temps d'examiner le problème en face, ainsi que les séries de mesures susceptibles de combler ce déficit dramatique ? Il faudrait rééquilibrer un besoin de postes sans cesse amplifié par l'inflation d'exigences réglementaires et une désaffection de plus en plus marquée pour ces métiers, due à la fois à des problèmes de rémunération, de temps de garde mal payés et, il faut bien le dire, d'inquiétude devant une opinion qui pousse à traduire les médecins devant les tribunaux comme de vils délinquants.
Ce que j'appelle l'« hôpital général de proximité », car il n'y a pas de terminologie officielle, comporte au moins les trois services actifs - chirurgie, obstétrique et anesthésie - auxquels il faut bien sûr adjoindre un serviced'urgences.
S'agissant des urgences, tout a été dit, mais seules ont été retenues les études des grands professeurs de l'université, qui n'ont jamais travaillé qu'en CHU, centre hospitalier et universitaire, et ne conçoivent guère que l'on puisse être soigné ailleurs. Mais que feront-ils si leurs services sont submergés par une population nouvelle qui ne relève pas de leur indéniable et haute compétence ? Je précise que cette question a été posée récemment dans un journal par le directeur des urgences d'un CHU de Basse-Normandie. Comme on ne dénombre qu'un CHU dans cette région, on le situera facilement ! (Sourires.)
Oui, nous avons besoin de médecins performants, de spécialistes éminents, de plateaux techniques sophistiqués, de chercheurs de haut niveau, mais il est bien évident qu'il faut une hiérarchie des soins et des compétences, reposant sur une complémentarité des établissements, en fonction de la gravité des états ou des interventions. Or, c'est ce qui est bafoué, chaque fois que les mutations nécessaires sont imposées d'en haut, de façon parfois abusive ou mal préparée. J'en ai, hélas ! un exemple criant dans mon département de la Manche.
En fait, madame le secrétaire d'Etat, ce que la population veut pour ses hôpitaux généraux de proximité est simple : un accueil humain et compétent - ce qui pose notamment le problème du tri et de l'organisation des urgences - des premiers secours bien organisés et rapides - ce qui suppose une coordination entres services - et des soins de base relativement proches, tout au moins facilement accessibles.
Contrairement à ce que l'on dit, la population n'est nullement hostile au fait d'aller dans un hôpital plus éloigné, si besoin est. Bien au contraire, c'est pour elle une garantie de qualité et de sécurité des soins.
L'hôpital général de proximité, quant à lui, travaille en réseau depuis déjà bien longtemps, car il connaît ses propres limites. Qu'il soit nécessaire d'améliorer ou de transformer nombre d'entre eux, certes, mais je ne suis pas la seule à estimer qu'il est possible d'allier exigence de qualité et exigence de proximité pour une part de dépenses raisonnables.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Excellent !
Mme Anne Heinis. Je rappelle que les trois quarts de la population passent par des hôpitaux généraux publics ou privés de tous niveaux, pour seulement un quart de la dépense hospitalière, et qu'ils assurent, au sein de l'hôpital public, 60 % des actes de médecine, de chirurgie et d'obstétrique ; c'est dire l'importance de leur rôle.
Ce sont les chiffres qui nous avaient été communiqués par les services du ministère lorsque j'étais au Haut conseil de la réforme hospitalière, voilà cinq ans environ. Ils n'ont guère dû changer.
Il faut cesser de faire croire et de proclamer que la sécurité sanitaire dépend uniquement de la sophistication des plateaux techniques, parce que c'est un argument facile qui s'appuie sur la peur. En réalité, la qualité des soins dépend du nombre et de la compétence des médecins, ainsi que de la bonne organisation des réseaux qui doivent prendre en compte aussi bien le secteur public que le secteur privé.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Très bien !
Mme Anne Heinis. Cela figure d'ailleurs dans les nouveaux textes.
Le problème fondamental des hôpitaux généraux de proximité, c'est le recrutement médical et infirmier, en nombre et en formations adaptés aux besoins, ce qui nous ramène bien sûr au problème que je viens d'évoquer et à la réforme des études médicales, dont je vais dire un mot.
Nous sommes dans une spirale infernale dont le rythme s'est accéléré depuis la réforme de M. Ralite, à l'époque ministre de la santé, instituant l'internat qualifiant et supprimant les CES, qui étaient les sources des recrutements de nos hôpitaux généraux de proximité, en particulier pour les services actifs de chirurgie, obstétrique, anesthésie.
Il faut reconnaître que le processus avait déjà été entamé avec la baisse programmée du nombre des internes en formation, et sans lesquels nos hôpitaux ne pourraient pas fonctionner. Et bien que ce soit clairement prévisible - je me souviens d'avoir fait une étude avec le médecin de mon hôpital et la région de Basse-Normandie ; on connaissait les chiffres - jamais aucun gouvernement n'a programmé un système de remplacement adapté avec le personnel nécessaire. Ce fut le premier coup meurtrier porté à l'hôpital général de proximité.
Alors qu'il faudrait former de nouvelles générations d'internes en nombre suffisant, sans oublier les internistes et les urgentistes - j'ai entendu maintes fois qu'on les réclamait - spécialités encore quasi inexistantes en tant que telles, les instructions actuelles limitent de façon draconienne le nombre des internes dans les spécialités dont nous avons besoin : obstétrique et anesthésie, voire - et ce sont les instructions dans ma région - quand elles ne les diminuent pas, pour la chirurgie, alors que l'on manque cruellement de personnels dans ces disciplines. Etrange façon de régler les problèmes, sauf s'il y a derrière une volonté cachée de fermer des services, ce qui m'apparaît hélas ! de plus en plus clairement.
En matière de formation, ce n'est pas de sciences humaines dont nous avons besoin en priorité dans les études médicales. Elles n'enseignent pas l'art du comportement en face de l'autre. En matière médicale, et les médecins me l'ont répété, c'est de formation au lit du malade dont nous avons besoin, là où se passe une bonne partie de l'apprentissage du diagnostic qui, hélàs ! est de plus en plus défaillant, ce qui entraîne la multiplication des examens.
Pour des raisons de coût mal étudiées à l'époque, comme on ne pouvait pas faire baisser autoritairement le nombre des malades, il avait été tout simplement décidé de réduire le nombre des médecins, afin d'abaisser les coûts. C'est simple, mais il fallait y penser ! Cependant, il s'agit tout de même là d'un étrange raccourci, qui fait que nous occupons le douzième rang mondial en matière de santé. Ce n'est tout de même pas très brillant, et cela devrait nous amener à nous interroger sur la pertinence de notre politique. La maîtrise médicalisée des dépenses de santé, l'aménagement du territoire, dont le maillage en réseau des hôpitaux est un élément fort, et les aspirations de la population ne sont pas antinomiques. C'est la façon dont on aborde ces questions qui les rend antinomiques.
En effet, nous sommes obsédés par des solutions techniques à caractère universel qui ne permettent aucune adaptation aux besoins du terrain, alors même que, précisément, cette adaptation constitue l'une des clés à la fois d'un aménagement opérationnel du territoire et d'un bon service de santé. On brandit comme un drapeau le grand concept de l'égalité d'accès aux soins pour tous, mais on organise insidieusement un système qui aggrave la situation de toute une partie de la population, déjà handicapée par son éloignement des infrastructures. Si par malheur, après étude, il apparaît qu'il est impossible de faire autrement que fermer l'hôpital, parce que cela peut également arriver, que l'on ait au moins le courage de le dire, mais que l'on n'explique pas aux gens, sans la moindre vergogne, que c'est pour leur sécurité, et que l'on organise au moins des relais entre l'hôpital et les territoires concernés. Ce n'est pas le cas, et cela m'inquiète.
On sait très bien, par exemple, qu'il y a environ 10 % d'accouchements à risque, que l'on sait maintenant détecter, et 10 % de cas graves, dans le flot des urgences, qui nécessitent une intervention chirurgicale immédiate. Ne vaudrait-il pas mieux mettre sur pied un tri de bonne qualité, qui serait effectué par des médecins expérimentés dans les hôpitaux généraux de proximité, dont le coût de fonctionnement est quand même beaucoup moins élevé, afin de transférer dans de bonnes conditions les patients relevant de services spécialisés, bien équipés sur le plan technique ?
Mais cela pose, là encore, le problème de la mise en place de réseaux bien conçus et celui de la formation d'urgentiste, que l'on évacue. Si j'insiste sur ce dernier point, c'est parce que nous connaissons bien ce problème dans ma région, où l'on va probablement fermer l'hôpital, au motif qu'il manque un urgentiste. Mais un tel poste est très difficile à pourvoir, et c'est pourquoi je suis très sensibilisée à ce problème.
On comprend bien que l'approche que je défends va totalement à l'encontre de la politique actuelle, qui s'appuie exclusivement sur une approche bien trop strictement administrative et macro-économique. Celle-ci est certes nécessaire en tant que moyen de mesure et élément de stratégie générale, mais elle ne suffit pas. L'homme souffrant a besoin, plus encore que les autres, de proximité, y compris sur le plan social.
La sécurité sanitaire, comme la sécurité tout court d'ailleurs, le bien-être de la population, comme ses moyens d'existence, relèvent d'une autre approche, complémentaire de la première, et imposent l'étude réelle des besoins et des solutions possibles, des contraintes et des coûts réels, qui ne doivent pas être occultés simplement parce qu'ils nous dérangent.
Mes chers collègues, ce que j'ai voulu faire, c'est plaider pour l'homme souffrant, l'homme en détresse qui a peur de la maladie et de la mort, mais qui affronte aussi les difficultés de l'existence, le chômage et la détresse sociale, qui sont au coeur de toutes les exclusions.
Aussi, pour conclure, poserai-je une question : comment peut-on espérer avoir une vision claire des coûts et de leur influence sur l'équilibre des comptes de la sécurité sociale si l'on mélange le financement de celle-ci avec celui du passage aux 35 heures ?
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Très bien ! Très bonne question !
Mme Anne Heinis. Le débat est plus que jamais faussé, ce qui permet, en toute impunité, de supprimer ce qui dérange, au nom bien sûr de l'égalité d'accès aux soins, de la sécurité et de la maîtrise des coûts, qui, en l'occurrence, ont plutôt bon dos. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, permettez-moi d'aborder les problèmes dans un ordre chronologique. Je commencerai bien entendu par la contraception.
Le débat sur cette question vient d'être relancé par la récente décision de Mme Ségolène Royal. A chacun son style ; je crois être fondé à penser, eu égard à certaines réactions, que la concertation préalable avec les associations de parents d'élèves et les associations familiales n'a peut-être pas été assez complète,...
M. Claude Huriet. Il n'y en a pas eu du tout !
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Lucien Neuwirth. ... ce qui est dommage sur un tel sujet, qui concerne au premier chef familles et éducateurs.
Cependant, et c'est une évidence, mieux vaut, pour une adolescente, recourir à une contraception d'urgence plutôt que de débuter sa vie de femme par un avortement qui, quelles que soient les conditions dans lesquelles l'acte est effectué, ne manque pas de provoquer une profond traumatisme, et, quelquefois, de laisser des traces indélébiles.
Depuis des années, j'ai l'impression de prêcher dans le désert en demandant que l'information sur la contraception soit poursuivie à l'intention des nouvelles générations : c'est un silence assourdissant, mes chers collègues, qui me répond. A ce sujet, qu'est devenu le Conseil supérieur de l'information sur la contraception, où était représenté l'ensemble des syndicats et des associations familiales ? Grâce à cet organisme, nous pouvions faire passer les messages dans le langage qui était compris par les différentes catégories d'enfants concernées. Par ailleurs, le planning familial est-il suffisamment soutenu dans l'accomplissement de ses missions ?
De la même façon, une sorte de complicité du silence s'était établie autour de la pilule du lendemain, sorte de « roue de secours » de la contraception, qui, néanmoins, relève de la politique contraceptive.
Je ne peux pas non plus passer sous silence le fait qu'il existe un problème de coût : en effet, un certain nombre de produits mieux dosés, plus adaptés, ne sont pas remboursables. Je sais que, de même, d'autres méthodes contraceptives moins astreignantes - vaccinations, implants, etc. - pourraient être développées par l'industrie pharmaceutique. De plus, nous avons la certitude que ces nouvelles méthodes sont attendues par le marché immense des pays à démographie galopante, laquelle va de pair, hélas ! avec une mortalité féminine considérable. Savez-vous, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, que dans ces pays une femme meurt toutes les trois minutes en avortant ou en accouchant ? Est-il vraiment impossible, en élargissant le débat, d'engager des discussions sur le fond avec les laboratoires et l'industrie pharmaceutique ?
Voilà pour la contraception.
J'évoquerai aussi, à l'occasion de cette discussion budgétaire, les soins palliatifs. Mon intervention - vous m'en excuserez, madame la secrétaire d'Etat - se présentera essentiellement sous forme interrogative.
En effet, au cours de votre présentation devant la commission des crédits consacrés à la santé, vous n'avez pas prononcé les mots : « soins palliatifs ». Dois-je comprendre qu'aucun crédit budgétaire n'est destiné à améliorer la prise en charge sanitaire des personnes en fin de vie ou à former les professionnels de santé dans ce domaine ?
L'annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale n'a malheureusement pas été plus explicite : elle mentionne en effet seulement que « le dispositif de prise en charge à domicile des personnes en fin de vie sera renforcé ». Soit ! Mais de quel dispositif s'agit-il ? Comment ? Avec quels crédits ? Que se passera-t-il à l'hôpital ? Par ailleurs, est-il vraiment impossible de reconsidérer la situation des associations de soins et de services à domicile, qui risque de devenir critique ?
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. Absolument ! C'est un véritable problème !
M. Lucien Neuwirth. Pour 1999, un financement de 180 millions de francs a été dégagé pour soutenir le développement des soins palliatifs ; il devrait y avoir, à la fin de l'année, au moins une équipe mobile ou une unité de soins palliatifs dans tous les départements - je m'en félicite - à l'exception, hélas ! de la Guyane et de la Guadeloupe. Mais ce n'est pas suffisant.
De même, en 1999, le fonds national d'action sanitaire et social de l'assurance maladie a débloqué 50 millions de francs, qui seront consacrés à la formation des bénévoles et à l'accompagnement. A ce sujet, où en est la procédure d'agrément des associations ?
J'avais proposé, lors de la discussion de la loi du 9 juin 1999, que ce financement soit pérenne et que l'assurance maladie finance chaque année ce type d'actions au profit d'associations agréées de bénévoles. Je regrette que cette disposition n'ait pas été acceptée par le Gouvernement, alors qu'elle avait été adoptée à l'unanimité par la commission des affaires sociales du Sénat. Quels crédits seront, cette année, consacrés par l'assurance maladie à la formation des bénévoles, et où en est la procédure d'agrément des associations ?
Par ailleurs, je voudrais savoir, madame la secrétaire d'Etat, quand seront pris les décrets d'application de la loi du 9 juin 1999. Je suis en effet saisi de nombreuses demandes de personnes qui savent que le Parlement a voté la création d'un congé d'accompagnement et qui voudraient pouvoir en bénéficier, et je suis contraint de leur répondre qu'il faut attendre la parution des décrets. Sur un tel sujet, j'estime que celle-ci ne devrait pas trop tarder.
Je voudrais aussi savoir si le projet de loi de modernisation du système de santé, que vous nous avez annoncé pour le printemps, comprendra des dispositions relatives à l'hospitalisation à domicile, et si le verrou que constitue le fameux « taux de change » sera enfin levé pour les soins palliatifs ou, pour le moins, adapté aux réalités du moment.
Enfin, en matière de prise en charge de la douleur, je voudrais connaître le nombre de postes de praticien hospitalier « fléché douleur » qui seront ouverts cette année.
J'ai aussi le plaisir de vous annoncer que j'ai participé mercredi 1er décembre, au Parlement européen, à la réunion de l'intergroupe « europe contre la douleur », qui compte des représentants de tous les groupes et qui prépare une résolution afin de désigner la lutte contre la douleur comme une priorité de santé publique en Europe.
J'ose espérer que la France, qui prendra prochainement la présidence de l'Union européenne, saura démontrer que, dans le domaine de la lutte contre la douleur, elle veut se hisser au rang que nous souhaitons unanimement lui voir occuper : le premier.
Relancer, pour l'établir d'une façon permanente, l'information sur la contraception pour les nouvelles générations, tenir les engagements de votre prédécesseur s'agissant du plan de trois ans de lutte contre la douleur, dynamiser le processus de soins palliatifs, voilà, madame la secrétaire d'Etat, trois lignes forces qui, toutes, vont dans la même direction : celle d'une vision humaniste d'une même qualité de vie, de la naissance à la fin de cette vie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Unioncentriste.).
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce projet de budget de la santé et de la solidarité est très particulier. Pour presque la moitié de son montant, qui atteint 90,8 milliards de francs, il témoigne de l'effort spécifique de l'Etat en faveur des laissés-pour-compte de ce que j'appelle la solidarité nationale, et particulièrement de ceux qui en sont exclus depuis longtemps parce qu'ils sont exclus du droit au travail.
Aussi, madame la secrétaire d'Etat, nous proposez-vous un projet de budget en progression de 13 %, parce qu'il inclut les 7 milliards de francs de contribution de l'Etat au financement de la couverture maladie universelle. A périmètre égal, cette progression est de 5 % par rapport à 1999. Nous ne pouvons que saluer et soutenir l'effort fait dans un certain nombre de directions, notamment en ce qui concerne la sécurité sanitaire, même si l'intervention privée est trop importante - ce qui, soit dit au passage, m'avait amené à m'abstenir lors du vote de la loi portant création des agences - la lutte contre le tabagisme, l'alcoolisme et la toxicomanie, la lutte contre la maltraitance des enfants, l'éducation à la santé et le renforcement des interventions en faveur de la reconnaissance des droits des femmes.
A ce propos, je souhaite que les 100 millions de francs inscrits à ce titre au projet de budget pour 2000 témoignent de la priorité donnée par le Gouvernement à la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines et à l'affirmation des droits de celles-ci, s'agissant notamment de l'accès à la contraception, que M. Neuwirth vient d'évoquer, et de l'IVG.
Il est bon, à mes yeux, que le Gouvernement s'engage à présenter, en annexe de la loi de finances, un état retraçant l'ensemble des crédits des différents ministères en faveur des droits des femmes, rendant ainsi plus lisibles les politiques menées en ce domaine. Cela répond à un besoin.
En même temps, je ne peux que déplorer la persistance de difficultés majeures pour un nombre trop important de nos concitoyens.
Le nombre de RMIstes continue d'augmenter, même si l'on observe un ralentissement.
Le nombre de personnes vivant de minima sociaux, c'est-à-dire au-dessous du seuil de pauvreté, n'a pas diminué et, au-dessus de ce seuil de pauvreté de 3 800 francs par mois, il y a les salariés précaires !
Cela me conduit à formuler deux remarques concernant l'action de l'Etat et la politique du Gouvernement.
La première, c'est qu'il y a urgence à répondre durablement, par l'emploi, par la protection sociale, par la lutte contre la précarité, aux besoins de nos concitoyens.
C'est ce que nos concitoyens attendent d'une politique de gauche, madame la secrétaire d'Etat, et c'est ce qu'ils expriment dans les enquêtes ou dans la rue quand ils réclament une politique plus à gauche !
Comment s'en étonner quand coexistent records boursiers, profits des entreprises supérieurs à 2 000 milliards de francs et licenciements massifs, précarité, qui produisent chômage de masse et exclusions ?
Qui plus est, les entreprises supportent de moins en moins le poids du chômage. En effet, comme chacun sait, seulement quatre chômeurs sur six sont indemnisés.
Comme le disait mon ami Guy Fisher, ce matin, il est vraiment urgent de s'attaquer à une réforme en profondeur de l'assurance chômage pour responsabiliser les entreprises, au regard tant de la réparation provisoire que du retour à l'emploi.
Est-ce à dire que l'Etat ne peut pas faire un peu plus, tout de suite, pour les plus démunis ?
Cela me conduit à formuler ma seconde remarque : le maintien de la croissance, les rentrées fiscales supplémentaires, le « mieux » économique ne font que rendre plus insupportables encore les inégalités croissantes et les exclusions.
Aussi les revalorisations prévues des minima sociaux ne me paraissent-elles pas à la hauteur, même si les efforts consentis en matière de cumul de revenu salarié et de RMI depuis l'an dernier sont positifs. L'augmentation est en effet de 1,2 % pour le RMI et l'AAH, soit 0,2 % hors inflation. Il convient aussi de rappeler que le RMI sera de 2 530 francs l'année prochaine, soit une augmentation de 30 francs.
La revendication des chômeurs d'une prime de Noël de 3 000 francs s'en trouve d'autant plus justifiée. Nous souhaitons, vous le savez, qu'elle fasse l'objet d'un collectif budgétaire.
Une augmentation plus substantielle des minima sociaux serait le signe que les fruits de la reprise économique profitent d'abord à la justice sociale.
Cette revalorisation des minima sociaux devrait se conjuguer avec un accroissement des moyens attribués aux structures qui les mettent en oeuvre, comme les caisses d'allocations familiales, les CAF.
En effet, c'est un nombre croissant de bénéficiaires que doivent traiter les CAF, et ce avec des moyens humains et matériels insuffisants.
Les CAF, malheureusement, font vivre de nombreuses familles, en leur fournissant parfois jusqu'à 80 % de leur budget. C'est dire à quel point les retards de versement, qui peuvent atteindre plusieurs mois, peuvent avoir des conséquences dramatiques pour les familles et conduire à des comportements qui rendent plus difficiles encore les conditions de travail des personnels.
Je réitère donc ma demande, madame la secrétaire d'Etat, que l'on dote très rapidement les CAF de moyens et de ressources suffisants.
Je souhaite maintenant faire quelques commentaires sur d'autres aspects de ce budget.
Les crédits de la CMU s'élèvent à 7 milliards de francs, soit les deux tiers de la progression totale du budget. En même temps, ces 7 milliards de francs - selon les prévisions, ce devait être 7,2 milliards de francs - correspondent, pour la majeure partie, à un transfert de dépenses existantes. L'intervention nouvelle de l'Etat est donc, en fait, cette année de 1,5 milliard de francs.
Aujourd'hui, je me dois d'exprimer quelques craintes quant à l'application de la CMU, déjà bridée, avant même d'avoir vu le jour, par une logique de limitation des remboursements, de paniers de soins indépassables en matière de remboursement, comme l'ont exigé la CNAM et les partenaires complémentaires, limitation que le Gouvernement a acceptée, si j'en juge par les décrets.
Les conditions très restrictives pour les étrangers - que le Conseil d'Etat ne fait pas siennes - et pour les étudiants, si j'en crois toujours les décrets d'application, vont dans le même sens.
Par ailleurs, les effets de seuil résultant du plafond de 3 500 francs, que nous avions estimé trop bas, ont pour résultat d'exclure un grand nombre de personnes du dispositif et de les faire retomber dans la démarche stigmatisante du recours à l'aide sociale.
On ne peut pas se contenter de recommander au personnel médical et social de traiter ces cas avec bienveillance, il est nécessaire d'instaurer, par exemple, une cotisation sociale sur les revenus financiers des entreprises, qui permettrait de dégager des moyens, notamment pour ces salariés précaires à peine mieux lotis que les personnes qui sont en dessous du seuil de 3 500 francs.
La volonté affirmée par le Gouvernement de pénaliser les entreprises qui recourent indûment au travail précaire va évidemment dans ce sens.
J'ajoute que la mise en application de la loi au 1er janvier suppose également que l'on donne les moyens nécessaires aux différents centres de la CNAM, qui verront augmenter leur charge de travail alors que nombre d'entre eux sont déjà asphyxiés.
Les personnels ont exprimé, à ce sujet, de fortes inquiétudes, auxquelles le Gouvernement devra répondre rapidement. En effet, l'on peut se demander si les 1 400 postes dont la création a été confirmée lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale seront suffisants pour faire face aux besoins existants et nouveaux.
Je dirai quelques mots sur la politique du Gouvernement en matière de lutte contre la toxicomanie.
L'approche globale, fondée sur les comportements plus que sur les produits consommés, est intéressante, et j'apprécie les efforts budgétaires en faveur de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, la MILDT, et du développement du dispositif actuel des programmes d'échanges de seringues et des lieux d'accueil des toxicomanes.
Mais cette politique de réduction des risques ne peut exempter l'Etat d'un effort important en matière de prise en charge médico-sociale, encore très insuffisante en France. Il est également nécessaire de développer fortement une politique de prévention et de recherche à la hauteur de la gravité du problème.
S'agissant de la lutte contre le sida et les maladies sexuellement transmissibles, les crédits restent stables et d'ailleurs quelque peu opaques puisque globalisés, ce qui empêche de distinguer entre maladies transmissibles, hépatite C, etc.
Si les thérapies font que l'on meurt moins du sida - c'est heureux ! - les cas de sida continuent de progresser, en France, de 3 % cette année.
En outre, les personnes touchées par la maladie sont dans une situation de « grande vulnérabilité » comme le montre une étude de l'association AIDES publiée au mois d'octobre et selon laquelle les trois quarts des personnes séropositives qui fréquentent l'association ont un revenu inférieur à 4 000 francs par mois, 6 % n'ont aucun revenu, 25 % ont moins de 3 000 francs par mois et près de 50 % touchent à peine les minima sociaux.
Pourtant, la gravité de la situation justifierait que l'on redouble d'efforts, d'autant que - je tiens à le préciser - au niveau mondial, le sida n'a jamais autant tué qu'en 1999. Selon le directeur de l'ONUSIDA, le sida est devenu la menace numéro un pour le développement de nombreux pays, car 70 % à 80 % des malades vivent dans les pays du Sud.
Votre prédécesseur s'est honoré en appelant à la solidarité internationale contre ce fléau, madame la secrétaire d'Etat. Selon nous, la France ne doit pas hésiter à donner l'exemple en ce domaine.
Dans notre pays, la prise en charge médicale et sociale des malades du sida nécessite des améliorations profondes et rapides. La grille de l'allocation aux adultes handicapés, qui n'a pas évolué depuis une dizaine d'années, semble trop rigide pour les malades frappés par cette maladie. Elle devrait leur permettre un retour progressif à l'emploi, par une modulation de l'aide en fonction des possibilités offertes, la plupart d'entre eux souhaitant retrouver un travail, sans toujours y parvenir.
S'agissant de la lutte contre le saturnisme, les mesures actuelles semblent trop limitées aux pathologies déclarées. La présence de plomb dans le sang concerne, au-delà des cas les plus dramatiques, comme ceux des enfants, que j'ai eu, hélas ! à connaître en tant qu'élue parisienne, un éventail important de la population, contaminée notamment par l'eau issue des canalisations en plomb et par l'environnement. C'est un véritable problème de santé publique.
Il faudrait procéder à des investigations plus larges - c'est possible et pas très coûteux - permettant une réelle prévention, plutôt que d'attendre que les pathologies se déclarent.
Permettez-moi d'ailleurs, au travers de cet exemple, de regretter l'absence de moyens supplémentaires pour la sécurité sanitaire environnementale, alors qu'un rapport parlementaire souligne les insuffisances en la matière et que, parallèlement, des crédits supplémentaires sont accordés aux agences sanitaires.
Permettez-moi de saisir aussi l'occasion de l'examen de ce budget, dont les crédits consacrés à l'organisation hospitalière, en diminution, n'ont pas toujours été bien utilisés jusqu'à présent puisqu'ils ont surtout servi à des fermetures de lits, pour souligner, une nouvelle fois, la nécessité de repenser l'offre de soins hospitaliers.
Déjà, au mois de juin dernier, un article de l'union hospitalière de la région d'Ile-de-France, l'UHRIF, relevait que « les hôpitaux soumis à la contrainte financière n'ont pas pu faire face, en matière d'urgence notamment ».
Quant à la Fédération des médecins de France, la FMF, elle vient de dénoncer le fait que la revalorisation des cotisations CNRACL ne soit pas financée.
C'est cette contrainte financière qui est également dénoncée par les personnels actuellement en grève dans les hôpitaux parisiens. Vous le savez, cette grève risque de s'étendre parce que les personnels en ont assez. Les établissements franciliens enregistrent en effet une très faible augmentation de leur taux - 1,25 % - qui, compte tenu de l'inflation et des facteurs salariaux, se traduit par une diminution des moyens dont disposent les médecins pour traiter leurs malades.
Du fait de ces mesures, les hôpitaux, qui doivent faire face tous les jours à des situations de précarité, sont au bord de l'asphysie. Les objectifs de fermeture décidés par le schéma régional d'organisation sanitaire et sociale, le SROSS, ne font qu'aggraver les problèmes en déplaçant les malades, comme à l'hôpital Saint-Antoine, lui aussi en grève.
Outre les questions de l'indispensable démocratie sanitaire, dont nous avons, à de nombreuses reprises, souligné l'importance, et des moyens humains et matériels à débloquer, il me semble également essentiel de relever les effets pervers du mode d'évaluation de l'activité hospitalière, notamment sur les établissements qui proposent des traitements hautement spécialisés, comme c'est le cas à Paris.
En effet, ces traitements ne sont pas comptabilisés à leur valeur et risquent de conduire à des décisions purement comptables de fermeture de services, alors que les malades ont besoin de ces soins. Ce risque existe aussi, selon moi, avec la tarification à la pathologie, dont la généralisation ne devrait pas être décidée sans une très sérieuse évaluation de l'expérimentation décidée ce printemps.
Nous apprécions, par ailleurs, l'augmentation de 3,2 % du financement des centres d'hébergement et de réadaptation sociale, les CHRS, qui permettra la création de 500 places et de centres d'accueil de 100 places.
J'aimerais cependant attirer votre attention, madame la secrétaire d'Etat, même si cela n'est pas directement lié au débat budgétaire, sur l'inquiétude des 20 000 cadres du secteur social et médico-social, face au refus que vous avez opposé à la demande d'agrément de l'avenant n° 265 qui a été signé par les partenaires sociaux.
La signature de cet avenant rendrait effective une amélioration sensible des conditions d'exercice professionnel de ces catégories, au-delà du seul respect des salaires, et contribuerait à remédier à une situation préjudiciable aux associations, qui rencontrent des difficultés grandissantes, vous le savez, à recruter des cadres.
Concernant la prévention, je tiens à souligner que le manque de médecins du travail, de médecins scolaires et de personnels médicaux reste préoccupant.
La décision prise par Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire, que M. Neuwirth a opportunément rappelée, de donner aux infirmières scolaires la difficile mission de répondre à la détresse des jeunes filles face à des grossesses non désirées - décision que je considère comme positive, faute de mieux - ne fait qu'éclairer le besoin urgent de disposer des personnels compétents en nombre suffisant. C'est loin d'être le cas, vous le savez, et je ne manquerai pas de le rappeler à Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.
Pour conclure, j'indique que, bien entendu, nous ne partageons pas les critiques de la majorité sénatoriale, qui s'est opposée à la couverture maladie universelle, aux emplois-jeunes, qui critique « la croissance non maîtrisée des dépenses sociales », traque les abus de RMI et déplore la création d'emplois publics.
Sous les réserves que j'ai émises, votre budget, madame la secrétaire d'Etat, est néanmoins encourageant et nous ne suivrons donc pas l'avis de la commission : nous voterons le projet de budget de la santé et de la solidarité pour 2000. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de budget de la santé et de la solidarité pour 2000 progresse de 13,3 %, contre 3,1 % en 1998 et 4,5 % en 1999. Je tenais à le saluer d'emblée, puisque la progression est constante.
Cette année, le total du budget s'élève à 90,81 milliards de francs, contre 76,7 milliards de francs en 1999. Cela illustre les priorités fixées depuis deux ans par le Gouvernement et réaffirmées cette année dans le domaine de la lutte contre les exclusions, dans le domaine de la protection des populations les plus fragiles et dans le domaine de la sécurité sanitaire.
Cette progression résulte en partie des modifications de structures importantes apportées à ce budget. Je pense, bien sûr, à l'inscription de la subvention de l'Etat au fonds de financement de la couverture maladie universelle, qui s'élève à 7 milliards de francs pour la partie protection complémentaire.
Vous connaissez notre attachement à cette grande réforme sociale, qui va permettre à plus de 6 millions de Français de ne plus renoncer à se faire soigner et à quelque 700 000 d'entre eux de bénéficier d'une prestation de sécurité sociale de base.
Certes, il convient de préciser que cette dépense nouvelle n'est couverte par le budget que pour 1,4 milliard de francs, le reste provenant du retour de la dotation globale de décentralisation départementale et de la participation des organismes de protection complémentaire. Il n'en reste pas moins que la progression réelle du budget est de 5 milliards de francs, soit une augmentation de 6,2 %, ce qui est loin d'être négligeable.
Je vais maintenant m'attacher au trois grandes priorités bien lisibles de ce budget.
Le première concerne plus particulièrement la partie consacrée à la solidarité, notamment à la lutte contre les exclusions et à la protection des populations les plus fragiles.
Comme vous le rappelez, madame la secrétaire d'Etat, pour les personnes les plus démunies, des préalables doivent être levés avant de s'engager dans une démarche de retour à l'emploi. Une telle action relève de votre budget, qui bénéficie à ce titre de moyens supplémentaires.
Ces préalables sont de deux ordres.
Le premier découle des engagements du programme de la loi contre les exclusions de mars 1998, notamment en matière d'accompagnement social individualisé et d'hébergement d'urgence, avec le fonds d'aide aux jeunes et le programme TRACE.
A cet égard, le financement des centres d'hébergement et de réinsertion sociale permettra de mettre en place, cette année, cinq cents places supplémentaires, et les capacités d'accueil des centres de formation des travailleurs sociaux ont été développées.
A cette occasion, je me permets d'affirmer ma satisfaction au sujet de l'affectation des crédits consacrés aux subventions d'investissement social, qui sont ciblés sur les thèmes prioritaires des volets sociaux des prochains contrats de plan Etat-région et que nous relaierons bientôt, je l'espère.
Le second préalable prend en compte l'ajustement des dotations des minima sociaux financés sur ce budget : pour le RMI, l'augmentation est de 2,3 milliards de francs, les crédits atteignant 28,7 milliards de francs.
Cette importante augmentation traduit la revalorisation de l'allocation de 3 % en 2000 ainsi que l'effet de la revalorisation des minima intervenue en 1999 et la montée en charge des mesures d'intéressement à la reprise de l'emploi, avec la possibilité de cumuler la prestation et des revenus.
A propos du RMI, je voudrais répondre à ceux qui contestent inlassablement la portée du « I » de RMI...
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. Eh oui !
M. Bernard Cazeau. ... et mettre l'accent sur une évolution intéressante concernant l'insertion. En effet, selon une enquête récente, un tiers des allocataires sortent du dispositif après six mois, et la moitié après un an. Certes, il s'agit très souvent, d'après les statistiques, d'individus âgés de moins de vingt-neuf ans, mais le fait mérite d'être souligné.
Il me paraît également nécessaire d'associer le travail important des départements dans la part prise dansl'insertion de ces publics.
Le problème reste la chronicité importante de certains RMIstes de longue durée - ceux que vous appelez, monsieur le rapporteur pour avis, « le noyau dur » -,...
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. Eh oui !
M. Bernard Cazeau. ... qui ont du mal, malgré un accompagnement social individualisé fort, à se réinsérer dans l'emploi.
Les crédits de l'allocation aux adultes handicapés connaîtront un accroissement de 781 millions de francs, soit une progression, cette année, de 3 %, portant la dotation à 25,55 milliards de francs.
A ce sujet, je salue votre volonté, madame la secrétaire d'Etat, ainsi que celle de Mme Martine Aubry, de poursuivre l'intégration des personnes handicapées dans la société à tous les âges et dans toutes les situations, plus particulièrement, d'ailleurs, pour ceux qui présentent les handicaps les plus pénalisants.
Tous budgets confondus, des actions nouvelles pour 1,1 milliard de francs seront mises en place en 2000 pour toutes les formes de handicap, que ce soit à travers la prise en charge par les CAT, les MAS, les FDT, sans compter les handicaps spécifiques, tels que ceux qui concernent les autistes et les traumatisés crâniens, ou que ce soit à travers l'intégration des handicapés dans le milieu scolaire, dans le monde du travail ou dans l'autonomie de vie à domicile.
Bref, c'est la poursuite d'un plan pluriannuel 1999-2003 qui, à terme, doit aboutir à la création de 16 500 places nouvelles dans les établissement spécialisés.
Cependant, malgré des efforts notables dans la politique en faveur des handicapés, certains progrès restent à accomplir en ce qui concerne tant l'intégration en milieu de vie ordinaire que la prise en charge des personnes handicapées vieillissantes.
A cet égard, la réforme de la loi de 1975 est devenue urgente afin de répondre aux besoins nouveaux.
La deuxième grande priorité de ce budget concerne la sécurité sanitaire et le renforcement des politiques de santé. Il s'agit là de deux priorités bien lisibles. En effet, le poste « santé », qui regroupe les agences sanitaires et la santé publique, s'élève à 4 milliards de francs, soit une hausse de 4,9 % par rapport à l'année dernière.
Nous nous attacherons successivement, à travers ces deux priorités, aux agences de sécurité sanitaire et à quelques éléments spécifiques de la politique de santé publique.
Avec un budget de 495,3 millions de francs, soit 156 millions de francs supplémentaires, on assiste à une véritable montée en charge des agences de sécurité sanitaire.
Les trois agences nouvellement créées, à savoir l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments et l'Institut de veille sanitaire, se répartissent ainsi 300 millions de francs.
D'aucuns feront la fine bouche en critiquant l'origine et la répartition de leurs ressources. Il n'en reste pas moins que les 109 millions de francs de crédits nouveaux devraient leur donner une véritable bouffée d'oxygène.
Les crédits restants sont affectés aux établissements préexistants, tels que l'OPRI, l'Etablissement français des greffes et l'Etablissement français du sang, ainsi qu'à l'ANAES qui, grâce à 16,2 millions de francs supplémentaires, pourra, nous l'espérons très fortement, atteindre sa vitesse de croisière.
Concernant les politiques de santé publique, les orientations tournées vers la prévention sont non seulement renforcées - 149 millions de francs soit prévus à cet effet - mais aussi clarifiées grâce à un effort de ciblage et de cohérence en faveur des différentes interventions.
Notons, dans la lutte contre les fléaux sanitaires, une augmentation des crédits de 6,3 % pour la lutte contre les pratiques addictives, dont 2 millions de francs pour la formation au sevrage tabagique et 5 millions de francs pour la prévention de l'alcoolisme, tandis que la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie reçoit une subvention nouvelle d'un montant de 81,1 millions de francs.
Notons ensuite la réaffirmation de la dimension régionale, à travers la dotation supplémentaire aux observatoires régionaux et un crédit complémentaire de 3,2 millions de francs pour les politiques régionales de la santé.
Notons enfin la volonté de modernisation des offres de soins, qui doit passer par l'amélioration des crédits affectés au fonctionnement des ARH et au travail qu'elles font sur les SROS ainsi que la montée en charge des crédits en faveur du FIMHO, le Fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux : 200 millions de francs d'autorisations de programme et 265 millions de francs de crédits de paiement, soit une augmentation de 115 millions de francs, sont prévus. Cette augmentation est notamment destinée à prendre en compte le retard pris dans la montée en charge du FIMHO. En effet, les crédits ne sont pas consommés au rythme où ils devraient l'être, puisqu'une grande partie des dossiers présentés par les ARH ne sont pas recevables.
En vue de remédier à cette situation non satisfaisante, il pourrait être opportun de prendre en compte les recommandations faites par la Cour des comptes à cet égard et d'améliorer le fonctionnement de la procédure instituée pour la sélection des dossiers.
Globalement, on peut cependant se féliciter que le Gouvernement axe les orientations de notre système de santé vers une approche plus préventive que curative.
La troisième grande priorité concerne le renforcement des moyens humains du ministère.
Il s'agit d'une priorité constante. Comme pour le secteur de l'emploi, le budget de la santé et de la solidarité pour 2000 poursuit et amplifie les mesures obtenues en 1998 et 1999.
Outre la hausse très notable des crédits, madame la secrétaire d'Etat, ce budget apporte une autre satisfaction. Au-delà de la seule logique de moyens, il a le mérite de s'inscrire également dans une logique d'objectifs, traduisant une politique cohérente de santé publique.
Nous voterons donc les crédits qui vous sont attribués pour 2000.
Avant de terminer, je souhaiterais attirer votre attention sur deux points.
Le premier concerne la couverture maladie universelle : il ne s'agit pas ici de refaire le débat, mais de répondre à deux questions. D'une part, s'agissant de la critique d'atermoiement faite au Gouvernement sur la parution des décrets d'application, pouvez-vous nous préciser, madame, le calendrier de sa mise en oeuvre, dans le cas, bien sûr, où elle serait retardée ? D'autre part, serait-il possible d'obtenir des précisions sur le contenu du panier de soins, en ce qui concerne plus particulièrement l'optique et les prothèses dentaires ? En effet, les niveaux prévus à ce jour nous paraissent notablement insuffisants.
Le second point sur lequel je souhaite attirer votre attention, madame la secrétaire d'Etat, a trait à la mise en place de la nouvelle tarification des établissements accueillant des personnes âgées, qui doit substituer au mécanisme précédent une tarification prenant en compte le degré de dépendance des personnes âgées hébergées. Si elle a le mérite d'instaurer une vérité des coûts, de définir qui finance quoi, d'insister sur l'exigence de qualité dans l'accueil et la prise en charge des personnes âgées, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter, elle n'est pas sans poser des problèmes, dont certains sont peu acceptables.
Faute d'un financement adéquat, il en résulte un renchérissement des coûts. Mais, ce qui est plus grave, c'est que la vérité des coûts se traduit dans ces établissements par des augmentations substantielles de frais à la charge des résidents ou de leur famille.
Ainsi, d'après les premières simulations réalisées dans mon département, mais qui tendent à se vérifier dans bien d'autres, il en résulterait, en moyenne, une charge supplémentaire de 50 francs par jour, soit 1 500 à 2 000 francs par mois pour les personnes les plus handicapées. En outre, et toujours aux termes de ces simulations, il apparaît que les personnes les moins dépendantes paieront moins, autrement dit, les personnes en meilleure santé seront favorisées par rapport aux personnes lourdement dépendantes.
Cette situation quelque peu complexe, madame la secrétaire d'Etat, mériterait d'être réétudiée et clarifiée. Nous espérons que ce sera le cas dans les mois qui viennent.
M. le président. La parole est à M. Cantegrit.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget de la santé et de la solidarité me donne l'opportunité de vous entretenir de la couverture sociale des 1 800 000 Français qui vivent hors de nos frontières et dont je suis un des représentants.
Je ferai très rapidement un bref rappel historique de cette couverture sociale, notamment en ce qui concerne l'assurance maladie et les accidents du travail.
La commission Bettencourt, qui porte le nom de notre ancien collègue, s'était penchée, dès 1976, à la demande des entreprises françaises envoyant du personnel à l'étranger, sur une couverture sociale étatisée en leur faveur. De ces travaux auxquels j'avais participé, est issue la loi du 31 décembre 1976 instaurant une couverture maladie-maternité, accidents du travail et maladies professionnelles au bénéfice des salariés expatriés.
Elu sénateur en 1977, j'ai proposé et obtenu l'extension de cette couverture sociale aux non-salariés et aux pensionnés français. Ce texte avait été adopté à l'unanimité par le Sénat.
Le 13 juillet 1984, M. Bérégovoy, alors ministre des affaires sociales, a étendu par un texte, dont j'avais été le rapporteur, cette couverture sociale à tous les Français expatriés. Aux termes de ce texte, la caisse de sécurité sociale des Français de l'étranger devenait autonome et était dotée d'un conseil d'administration comprenant vingt et un membres, dont dix-huit membres élus par le Conseil supérieur des Français de l'étranger - expression du suffrage universel direct de nos compatriotes - deux membres représentant le MEDEF et un la Mutualité française. La tutelle est également représentée au sein de ce conseil d'administration, madame le secrétaire d'Etat, puisque y siègent des représentants de votre ministère et de ceux du budget et des affaires étrangères, ainsi que des représentants de la caisse d'assurance vieillesse et du personnel.
Si le Conseil supérieur des Français de l'étranger avait été retenu comme corps électoral, c'est parce que, à l'époque, une étude avait montré qu'organiser des élections dans les cent quarante pays où sont installés les assujettis était tout à fait impossible. La loi Bérégovoy en avait décidé ainsi.
Depuis cette époque, mes chers collègues, de nombreux amendements sont venus améliorer les textes en vigueur.
Quelle est, madame le secrétaire d'Etat, après vingt-et-un ans d'existence, la situation de cette caisse de sécurité sociale des Français à l'étranger ?
J'ai l'honneur de présider cette caisse, dont le conseil d'administration est actuellement réuni à son siège social. Je l'ai quitté il y a très peu de temps et je le regagnerai après cette intervention.
Cent vingt mille Français sont couverts dans le monde par cette caisse de sécurité sociale. Ses finances sont saines et elle a la réputation de répondre rapidement aux besoins des expatriés. Elle doit faire face à la concurrence redoutable d'organismes privés, qu'ils soient français ou étrangers, le plus souvent des compagnies d'assurance.
Il s'agit d'un régime volontaire, c'est-à-dire non obligatoire, qui offre donc aux représentants de nos entreprises françaises à l'étranger, à la carte, un système de couverture sociale, qui n'est pas celui de la sécurité sociale mais qui peut leur convenir.
Au point où nous en sommes, madame le secrétaire d'Etat, tout est-il parfait au sein de cette caisse de sécurité sociale des Français de l'étranger ?
Eh bien, je vous répondrai par la négative, car un débat récurrent déjà ancien agite son conseil d'administration, et plus largement le Conseil supérieur des Français de l'étranger, qui est l'organisme consultatif de nos compatriotes expatriés ainsi que les associations représentatives de ces derniers.
Ce débat, il faut que nous tentions, madame le secrétaire d'Etat, de le trancher.
Deux thèses s'affrontent.
La première est celle de la majorité du conseil d'administration de la caisse et du Conseil supérieur des Français de l'étranger. Elle rappelle que la caisse des Français de l'étranger est une caisse d'assurance volontaire, soumise à la concurrence redoutable d'organismes privés, qu'elle doit assurer son équilibre, qu'elle ne bénéficie d'aucune aide de l'Etat, et qu'elle a fait dans le passé un effort important pour instaurer plus de justice sociale.
Elle rappelle également que, à deux reprises, elle a diminué le taux de ses cotisations, ce qui est rare en matière de sécurité sociale, qu'elle a étendu sa couverture aux non-salariés et aux pensionnés, deux régimes fortement déficitaires, que la loi Bérégovoy a créé deux catégories de cotisants, l'une cotisant au plafond de la sécurité sociale, l'autre aux deux tiers de ce plafond ; enfin, qu'un nouveau texte a créé une troisième catégorie de cotisants ne cotisant qu'à la moitié du plafond de la sécurité sociale.
En outre, au sein de cette caisse, a été créé un fonds d'action sanitaire et sociale qui aide beaucoup de gens en difficulté, et un certain nombre de mesures importantes ont été prises au bénéfice de nos compatriotes résidant dans des pays en proie à des guerres civiles ; je pense notamment à l'Afrique, et plus particulièrement au Zaïre et au Congo, mais aussi, plus récemment, à la Bosnie.
J'ajoute que, pendant deux ans, la caisse a accompagné la dévaluation du franc CFA au profit de nos compatriotes vivant dans les zones concernées.
En bref, la petite caisse des Français de l'étranger ne peut pas couvrir toute la misère des Français de l'étranger, et ce n'est pas sa vocation. D'ailleurs, madame le secrétaire d'Etat, ma collègue Mme Cerisier-ben Guiga, s'est vu confier par Mme Aubry une mission consistant à examiner la situation de nos compatriotes en extrême difficulté. Telle est la première thèse.
La seconde thèse est celle de la minorité du conseil d'administration de la caisse et du Conseil supérieur des Français de l'étranger. Aux termes de celle-ci tout cela n'est pas suffisant, et elle préconise de créer une quatrième catégorie de cotisants, de déplafonner la première catégorie qui cotise au plafond de la sécurité sociale, de puiser dans les réserves techniques qui sont constituées pour les accidents du travail et les maladies professionnelles et de faire appel à l'aide de l'Etat. En bref, la caisse devrait s'ouvrir aux plus défavorisés, et si elle devenait déficitaire - ce qui n'est pas son cas depuis sa création - après tout, cela ne serait pas un drame !
Alors, madame le secrétaire d'Etat, permettez-moi de vous rappeler ce que votre ministère a fait, avec raison, pour essayer de cerner la situation précise de cette caisse.
Nous avons d'abord eu droit à un audit de l'inspection générale du ministère des affaires sociales du mois de juin et au mois de décembre 1998. Quelles sont ses conclusions ?
Je cite son rapport : « Ces évaluations conduisent la mission de l'IGAS à conclure sur ce point que les réserves techniques sont à leur niveau actuel, à la fois nécessaires et suffisantes, et qu'elles ne doivent en aucun cas servir à gager des dépenses nouvelles de la caisse. La prudence s'impose quant à une utilisation éventuelle des cotisations, s'agissant d'une caisse où l'affiliation n'est pas obligatoire. Une telle mesure risquerait à terme de compromettre l'équilibre de la caisse, voire sa pérennité - il s'agit de son ouverture à une catégorie de cotisant beaucoup plus large. Elle aurait des conséquences sociales défavorables, spécialement pour les cotisations de troisième catégorie et pour les pensionnés.
« Sur l'idée que les adhérents de la troisième catégorie, ceux qui cotisent à la moitié du plafond de la sécurité sociale, sont moins consommateurs de soins, les tendances actuelles observées sont plutôt contraires.
« La caisse des Français de l'étranger est une caisse de taille modeste, mais qui gère de façon autonome des contraintes importantes et inhabituelles.
« La caisse doit faire face aux conséquences de son autonomie.
« La caisse est financée par ses propres cotisations à l'exclusion de tout lien financier avec d'autres régimes d'assurance maladie et doit assurer seule l'équilibre de ses dépenses et de ses recettes, alors même que la permanence de ses adhérents n'est pas garantie.
« Malgré cette fragilité constitutive, la caisse des Français de l'étranger a su évoluer de façon positive tout en favorisant, par solidarité interne, l'accès de catégories de Français expatriés plus nombreuses et moins favorisées. »
En résumé, madame le secrétaire d'Etat, vous le voyez, ce rapport conclut qu'une grande prudence doit être observée au sujet de cette caisse d'importance moyenne soumise à des risques importants qui peuvent la désé-quilibrer.
La caisse des Français de l'étranger - à son grand bonheur ! - vient de bénéficier d'un contrôle approfondi du CODEC de Seine-et-Marne, le comité départemental d'examen des comptes des organismes de sécurité sociale, auquel s'étaient joints les services financiers du ministère du budget. Ce contrôle s'est déroulé du mois de juin au mois de septembre 1999.
Que dit le rapport du CODEC dont nous venons d'avoir connaissance ? « La caisse des Français de l'étranger depuis sa création présente un bilan positif. Cette caisse autonome de sécurité sociale demeure dans l'obligation de préserver son équilibre financier, parce qu'elle ne bénéficie pas des aides compensatoires de l'Etat. »
L'IGAS précise : « Un agent chargé de la communication serait nécessaire pour l'enjeu qui est le sien. »
Le CODEC de Seine-et-Marne affirme que « la tenue de la comptabilité est assurée de façon globalement satisfaisante ». L'IGAS dit : « La gestion financière et de trésorerie réalisée n'appelle pas de commentaire particulier » et elle conclut en émettant un avis favorable avec recommandations sur l'approbation des comptes qui sont présentés par l'organisme.
Autrement dit, madame le secrétaire d'Etat, le contrôle du CODEC vient confirmer en de très nombreux points les conclusions du rapport de l'inspection générale du ministère des affaires sociales.
A la suite de ce rapport du CODEC, vos services ont demandé à la caisse des Français de l'étranger des précisions complémentaires sur les différentes branches et sur l'équilibre des comptes.
Notre direction a répondu aux questions qui lui ont été posées.
Vous avez ensuite souhaité que nous fassions vérifier par un actuaire d'une compagnie d'assurance les réserves de notre caisse de sécurité sociale. Nous vous avons demandé, madame, de nous fournir une liste d'actuaires. Vos services l'ont fait et nous avons choisi le premier de la liste, à qui nous avons confié une mission. Il a rendu son rapport il y a quelques jours.
Que dit cet actuaire dans son rapport ? « Les entreprises d'assurance se protègent contre les conséquences de catastrophes par les réassurances. La réassurance n'étant pas prévue pour les caisses de sécurité sociale, la caisse des Français de l'étranger devrait faire face, seule, aux conséquences de tels événements. »
Cet état des lieux montre que les règles de fonctionnement de la caisse des Français de l'étranger ne sont pas adaptées sur ce point.
Au terme du rapport que l'actuaire présentera demain devant le conseil d'administration, « il ressort de l'examen que le niveau des réserves de la caisse des Français de l'étranger est insuffisant, compte tenu, d'une part, des engagements qu'elle a contractés, et, d'autre part, des contraintes de fonctionnement qui lui sont imposées. »
Je constate donc, madame le secrétaire d'Etat, que, contrairement à ce qui a été dit par certains, les réserves de la caisse des Français de l'étranger, pour faire face aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, pour faire face à des explosions sur des plates-formes pétrolières sont insuffisantes. Imaginez l'ampleur des responsabilités de notre caisse quand des accidents d'une telle gravité se produisent !
Je vous interroge donc aujourd'hui, madame le secrétaire d'Etat : ce débat récurrent entre la première thèse et la seconde, que je vous ai exposé, doit-il continuer ? Pour une caisse qui est soumise à une concurrence vis-à-vis d'organismes privés, franchement, je ne le pense pas.
Personne ne le conteste, tous les rapports indiquent que la caisse des Français de l'étranger est soumise à une concurrence redoutable de la part d'organismes privés qui, bien entendu, ne sont pas là pour nous faire des cadeaux.
Mme Aubry a exprimé, à plusieurs reprises, ici même, au Sénat, le souhait que l'équilibre de la caisse soit respecté. Elle m'a indiqué que nous n'avions pas à attendre d'aide particulière de l'Etat en ce domaine. Dès lors, madame le secrétaire d'Etat, devons-nous rester figés ? Nous le pourrions, compte tenu des rapports qui viennent d'être élaborés.
Mais j'ai interrogé hier soir les membres de la majorité de mon conseil d'administration. Je leur ai fait part de tous les contrôles qui sont intervenus ainsi que de tous les audits dont nous avions pu avoir connaissance. Et je suis en mesure de vous dire aujourd'hui que, comme dans le passé - je vous ai donné la liste des avancées en matière sociale qui ont été réalisées au sein de cette caisse - ils ne sont pas figés.
Le président que je suis ne l'est pas davantage. Je l'avais réaffirmé lors de la suspension de la rétroactivité en 1998.
Il est donc temps, madame le secrétaire d'Etat, et c'est la proposition que je présenterai demain au conseil d'administration de la caisse des Français de l'étranger, d'élargir la troisième catégorie de cotisants qui paient actuellement leur quote-part à concurrence de 50 % du plafond de la sécurité sociale à de nouveaux cotisants qui cotiseraient à 40 % du plafond de la sécurité sociale si leurs revenus sont inférieurs au tiers dudit plafond, c'est-à-dire sont à peu près à un tiers en dessous du SMIC.
Si le conseil suit ma proposition, ce sera une avancée importante vis-à-vis de nos compatriotes français. Nous avons fait nos calculs et je suis en mesure de vous dire qu'avec cette proposition notre caisse serait juste en équilibre. Elle n'enregistrerait plus le moindre excédent.
Il va donc falloir que nous renforcions les contrôles sur des branches déficitaires, comme celle des non-salariés. Il faudra aussi que vos services nous aident pour réaliser ces contrôles.
Mais, madame le secrétaire d'Etat, si nous arrivons à mettre ce système au point, nous parviendrons à maintenir à nos compatriotes français qui vivent à l'étranger, qu'ils travaillent pour de grandes entreprises ou pour de petites et moyennes entreprises, une couverture sociale sans déplafonner les cotisations de ceux qui appartiennent à la première catégorie. Nous le ferons également pour nos compatriotes qui sont installés à titre individuel.
Vous savez comme moi le rôle qu'ils jouent les uns et les autres pour notre pays, pour l'exportation de la France. Si nous réussissons, nous repartirons de l'avant. C'est le souhait que j'exprime devant vous aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, chers collègues, tout observateur qui se limiterait à un examen rapide des évolutions nominales des crédits de votre ministère ne pourrait que se réjouir de la forte progression de ce budget, et ce, d'autant plus que, s'articulant autour de deux volets, l'un relatif au développement social, l'autre à l'intégration et à la lutte contre l'exclusion, il pourrait penser que ce budget affiche une réelle volonté gouvernementale de combattre l'exclusion.
Cependant, en observant le contenu de ce budget, on s'aperçoit que ce dernier reste, en réalité, très ciblé. En effet, la hausse des crédits est due principalement à la mise en place de la couverture maladie universelle.
Or, permettez-moi de le redire, madame la secrétaire d'Etat, la CMU, avec l'effet de seuil totalement inégalitaire qu'elle instaure, laissera de côté des personnes, pour quelques centaines de francs. Elle plongera ces personnes dans une exclusion réelle, puisque celles-ci ne pourront plus bénéficier des aides, notamment médicales, précises et adaptées auxquelles elles pouvaient prétendre jusqu'à présent.
Il est vrai cependant que vous allez revaloriser les minima sociaux.
En revanche, en matière de prise en charge des personnes handicapées ou inadaptées, d'hébergement d'urgence des plus démunis, d'insertion des handicapés en milieu ordinaire, domaines où les besoins sont énormes, force est de constater que, malheureusement, le présent budget ne suffira pas.
Je ne retiendrai, à ce titre, qu'un exemple, celui des personnes handicapées, bien qu'il ait déjà été abordé par notre collègue M. Cazeau.
En effet, dans ce domaine, si les perspectives budgétaires pour 2000 sont plutôt encourageantes, il n'en demeure pas moins que bien des problèmes restent posés.
Ces personnes connaissent de réelles difficultés quant à leurs ressources, à leur prise en charge et à leur intégration en milieu ordinaire. Pourtant, vous les avez exclues dans leur grande majorité du bénéfice de la CMU, parce qu'elles perçoivent l'allocation aux adultes handicapés et que, dépassant de peu le seuil couperet que j'évoquais il y a un instant, elles en seront privées.
Croyez-vous vraiment pouvoir désormais convaincre ces personnes de votre volonté de résoudre les difficultés auxquelles elles sont confrontées ? Moi, j'en doute, d'autant plus que vous avez encore repoussé, comme vous l'aviez fait en 1998, la réforme de la loi de 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales, réforme que votre Gouvernement avait promis d'engager dès 1997.
La rénovation de cette loi devient urgente car ce texte permettrait de répondre aux besoins des personnes handicapées et de soulager l'anxiété de leurs familles.
J'aimerais à présent éclaicir avec vous un point sur lequel je vous avais posé une question écrite qui est malheureusement restée sans réponse : celui de la confusion qui règne actuellement entre les personnes handicapées et les personnes en situation précaire.
Il semble que, pour ces personnes marginalisées en raison d'une perte de revenu ou de logement, la réponse sociale emprunte aujourd'hui les mêmes circuits que ceux qui sont prévus pour les personnes handicapées. Ainsi ces personnes en difficulté sont-elles de plus en plus nombreuses à être reconnues par la COTOREP en tant que travailleurs handicapés. Il en est de même pour le versement de l'AAH qui est accordée de plus en plus fréquemment à des chômeurs de longue durée ou à des personnes en difficulté qui ne souffrent pourtant pas d'un handicap physique ou mental.
Cette confusion, qui n'est pas sans conséquence sur le budget de l'Etat, est particulièrement préjudiciable pour les personnes handicapées. ll serait donc souhaitable d'éviter cet amalgame, de prendre les mesures nécessaires pour clarifier l'attribution des aides qui leur sont destinées et d'adopter des mesures spécifiques pour apporter des solutions aux problèmes des personnes en situation précaire.
Un autre problème se pose : celui du vieillissement des personnes handicapées.
Le handicap ne disparaît pas avec l'âge, bien au contraire. Pourant, dès que les personnes handicapées atteignent l'âge de soixante ans, la plupart d'entre elles cessent de bénéficier de l'aide sociale aux personnes handicapées pour relever de l'aide sociale aux personnes âgées. Ce changement n'est pas anodin, qu'il s'agisse notamment de la rente de survie et de l'obligation alimentaire. C'est pourquoi il est urgent, comme vous le réclament tout les mouvements associatifs, d'élaborer des mesures qui répondent aux attentes tant des personnes âgées que des personnes handicapées âgées.
Afin d'éviter toute discrimination entre ces personnes, ne pourriez-vous envisager de moderniser le dispositif d'aide sociale aux personnes âgées, tout en préservant celui qui s'applique aux personnes handicapées ?
Enfin, pour terminer mon propos, je m'attarderai un instant sur la scolarisation des enfants et des adolescents handicapés, qui, malgré les vingt mesures annoncées par Ségolène Royal, ne bénéficient pas tous de ce qui leur est essentiel.
En effet, les structures d'accueil de ces enfants et les moyens de transport et de locomotion sont insuffisants.
En matière de soutien scolaire, ces enfants, plus encore que les autres, ont besoin d'équipements, notamment informatiques, spécifiques. On en est loin ! Or, vous le savez, la scolarisation de ces enfants, si elle était améliorée, permettrait d'accroître de manière considérable leurs chances d'insertion professionnelle et sociale.
Aussi pouvez-vous nous donner des précisions sur les échéances de financement de ces projets en liaison avec le ministère de l'éducation nationale ?
Madame la secrétaire d'Etat, dans beaucoup trop de cas encore, les familles des personnes handicapées ont le sentiment d'être dans des situations de non-droit, notamment, je vous l'ai dit, quand leur enfant ne peut être scolarisé en milieu ordinaire, quand un adolescent n'a jamais bénéficié de l'enseignement d'un instituteur ou quand le statut d'une personne âgée proche reste incertain.
Toutes mes interrogations, vous le comprendrez, correspondent à des situations pénibles pour les familles et attendent des réponses concrètes qui, si elles ne peuvent être immédiates, méritent néanmoins votre attention. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Goulet.
M. Daniel Goulet. Monsieur le président, mesdames les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, c'est en ma qualité de président de la commission de l'alimentation du Conseil de l'Europe que j'interviens aujourd'hui dans ce budget de la santé pour aborder la question de l'alimentation, question d'actualité, s'il en est une, brûlante, mais aussi permanente.
Mon intervention pourrait se résumer en deux phrases, deux expressions qui ne sont pas que boutades : « On creuse sa tombe avec sa fourchette. » et : « L'alimentation est notre première médecine. » En effet, la politique de la santé et celle de l'alimentation sont indéfectiblement liées.
S'agissant de la politique de la prévention, votre budget, madame le secrétaire d'Etat, est en augmentation très sensible - titre IV, chapitres 10 et 20 - ce qui est une bonne nouvelle, bien que le détail des actions ne précise pas quels fonds seront affectés à la politique d'éducation en matière d'alimentation ; je veux parler d'éducation nationale pour les jeunes, mais aussi de la campagne d'information et d'éducation pour le grand public.
En cette matière, les études sont multiples et vont toutes dans le même sens. Il en est ainsi pour les aliments fonctionnels. Les actes du colloque sur les aliments fonctionnels, organisé récemment par le Conseil de l'Europe, nous fournissent des renseignements très éclairants. On dispose aujourd'hui de données précises concernant l'impact de l'alimentation sur la santé.
Chaque année, des dizaines de milliers de personnes meurent d'un cancer. On estime que de 30 % à 40 % de ces décès auraient pu être évités grâce à des mesures diététiques. De même, des dizaines de milliers de personnes meurent des suites de maladies coronariennes et des dizaines de milliers d'autres de maladies cardio-vasculaires. On assure que 30 % de ces décès auraient pu être également évités au moyen de mesures diététiques.
Par ailleurs, on enregistre une augmentation du nombre de cas de surpoids ou d'obésité. Entre 1980 et 1993, le pourcentage d'obèses est passé de 39 % à 56 % pour les hommes et de 32 % à 46 % pour les femmes. Plus grave encore, le pourcentage d'enfants et d'adolescents qui sont menacés par des surcharges pondérales est en progression. L'obésité est donc un facteur de risques supplémentaires pour plusieurs maladies.
Tout cela rend l'alimentation importante et incite tout particulièrement à s'intéresser aux messages liant alimentation et santé.
Les messages liés à la santé doivent être en accord avec les conseils, généralement acceptés, concernant l'alimentation saine et avec les lignes directrices en matière de diététique. Ces messages ont d'ailleurs fait l'objet de très sérieuses publications, comme, par exemple, le Guide national de l'alimentation au Royaume-Uni. Je pense que nous pourrions faire aussi bien en France.
L'ingestion d'un produit qui prétend faire baisser les taux de cholestérol ou préserver la bonne santé de votre coeur ne servira à rien si, par ailleurs, votre régime comporte de nombreux aliments à forte teneur en matières grasses et en sel.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. C'est vrai !
M. Daniel Goulet. Ce qui est inquiétant, c'est qu'à force de mettre en avant les effets bénéfiques que tel ou tel aliment peut avoir sur la santé les gens risquent d'oublier les mesures simples qui permettent de rester en bonne santé : en fait, il suffit d'avoir un régime équilibré et de bonnes habitudes alimentaires.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Et faire de l'exercice aussi !
M. Daniel Goulet. Si l'on met en avant les effets positifs des produits alimentaires sur la santé, effets qui pourraient presque tous être obtenus au moyen d'un régime sain et équilibré, et que ces promesses ne sont pas contrôlées ni replacées dans le contexte de la vie réelle, il est à craindre qu'à trop vouloir améliorer leur état physique les consommateurs n'en viennent à compromettre leur propre santé et celle de l'économie nationale, en accroissant les dépenses du système de santé.
De la même façon, le président d'une commission en charge de l'alimentation de 41 pays d'Europe devrait se féliciter de la création de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Pourtant, la création et le fonctionnement de cette agence me laissent perplexe et interrogatif. Nous en avons eu la démonstration toutrécemment.
En effet, à l'heure de la grande Europe, cette Agence nationale était-elle nécessaire ou répondait-elle à un besoin politique face aux interrogations et aux inquiétudes de la population en proie à la crise de la dioxine et de la sécurité alimentaire en général ?
Mon interrogation porte sur les moyens de contrôler non pas les acteurs, mais les structures mises en place.
En effet, en matière de sécurité alimentaire, de très nombreux organismes sont chargés d'études et de travaux en tous genres.
Comment collationnez-vous les résultats de ces travaux et des recherches ?
Comment coordonnez-vous les différents intervenants et organismes en charge, de façon totale ou partielle, de cette question ?
Comment se fait l'articulation entre le ministère de la santé et celui de l'agriculture ?
Comment allez vous concilier les travaux de l'Agence française avec ceux de l'Agence européenne préparée par M. Prodi et ceux de l'Agence mondiale, dont la création est envisagée ?
Madame le secrétaire d'Etat, la seule chose qui importe est, pour moi comme pour nos concitoyens, la sécurité des aliments.
La seule préoccupation du législateur, comme celle du Gouvernement, est d'organiser non pas des structures de réflexion, encore moins des structures qui réglementent, mais des structures de contrôles efficaces et des structures capables de sanctioner non pas à l'échelle nationale, mais à l'échelle d'une Europe qui compte déjà, dans son Conseil, quarante et un pays.
Certes, cette Europe n'est pas celle qui est rèvée et prônée par M. Attali. C'est celle qui existe déjà et qui travaille au sein de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
L'essentiel, madame le secrétaire d'Etat, est le contrôle. Les réglementations sont bien assez nombreuses. De plus, dans certains pays, pourtant membres de l'Union, leur application est sujette à quelques variations qui ne manquent pas de nous interpeller.
Ainsi, en Grèce - je l'ai vérifié - l'associé majoritaire d'un élevage de porcs - élevage qui n'est en rien comparable en qualité à ceux qui existent dans une région que je connais bien - est aussi le vétérinaire qui délivre les autorisations sanitaires !
C'est donc vers l'éducation et le contrôle qu'il faut plus particulièrement diriger vos actions et, cette fois, la formule suivante n'a jamais trouvé meilleure application : il vaut mieux prévenir que guérir. Tout naturellement, chacun de nous pense alors aux personnes en particulier, mais rien n'interdit de penser également aux comptes, et plus précisément à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Péry, secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite vous présenter ce projet de budget en quelques points synthétiques.
Je commencerai par vous faire part de ma satisfaction devant son augmentation de 24,27 %, qui marque une réelle volonté de l'ensemble du Gouvernement de faire progresser l'égalité entre les hommes et les femmes.
En 1999, ce budget avait déjà progressé fortement. En effet, aux 80 millions de francs de la loi de finances - qui marquaient déjà, je le rappelle, une augmentation de 11,5 % par rapport à l'année précédente - se seront ajoutés 20 millions de francs de crédits de communication du ministère de l'emploi et de la solidarité pour financer la prochaine campagne sur la contraception.
Cette année, les 100 millions de francs de crédits d'intervention pour 2000 consolident cette progression budgétaire.
Ce budget d'intervention en faveur de l'égalité hommes-femmes sera triplé par l'intervention du fonds social européen. En effet, les politiques qui visent à garantir l'égalité entre les hommes et les femmes, et à favoriser l'insertion des femmes dans le monde du travail, sont éligibles au FSE. Le partenariat que j'ai engagé avec l'ensemble des ministères concernés va donc nous permettre de mobiliser 200 millions de francs du fonds social européen et ainsi de tripler le budget propre aux droits des femmes. C'est une avancée d'autant plus significative que nous ne disposions que de 4 millions de francs en 1999.
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2000, l'Assemblée nationale a adopté un amendement destiné à créer une nouvelle annexe budgétaire. Ce « jaune » permettra de mettre en évidence l'ensemble des crédits destinés à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes. J'espère que vous soutiendrez cette transparence budgétaire.
Schématiquement, le budget relatif aux droits des femmes se construit autour de trois axes.
Le premier axe est celui de l'accès aux droits, qui mobilise environ la moitié du budget. Il recouvre l'information des femmes, notamment en matière de santé et de contraception, la lutte contre les exclusions et la participation des femmes à tous les domaines de la vie sociale. Cette mission est essentiellement assurée par le secteur associatif pour le compte de l'Etat.
Le Centre national d'information et de documentation des femmes et des familles, ainsi que les centres départementaux qui assurent cette mission pour le compte de l'Etat, font l'objet d'une évaluation par l'inspection générale des affaires sociales. En effet, je souhaite évaluer les niveaux les plus adéquats, les plus efficaces pour permettre cette action des associations aux niveaux départemental, régional et national.
Le deuxième axe concerne l'égalité professionnelle, la formation, l'insertion dans le monde du travail, et, pour ce poste très important, je mobilise 40 % du budget.
L'augmentation des crédits permettra en particulier de développer les contrats d'égalité avec les entreprises les plus innovantes, d'accompagner les femmes créatrices d'entreprise ou d'aider celles qui ont des difficultés particulières d'insertion.
Enfin, le troisième axe, qui mobilise 10 % des crédits restants, concerne les violences. Le nombre de femmes battues, qui est de 2 millions, fait de ce sujet, qui reste très tabou, un véritable problème social. Au-delà du budget d'intervention, les crédits d'études du ministère seront mobilisés pour financer une grande enquête sur les violences auprès de 7 000 femmes, dans l'Hexagone et dans les départements d'outre-mer, enquête qui permettra de mesurer l'ampleur du phénomène et les circonstances de ces violences afin de mieux les combattre.
Telles sont les grandes lignes du budget relatif aux droits des femmes, tel qu'il apparaît dans le cadre du projet de loi de finances pour 2000. Il traduit notre volonté de construire des actions concrètes par une approche transversale globale de l'égalité entre les hommes et les femmes. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Gillot, secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous m'autoriserez à intervenir un peu plus longuement que ma collègue Nicole Péry, car outre la présentation du budget à laquelle je vais me livrer, je vais tenter de répondre à vos questions de la manière la plus exhaustive possible.
J'ai donc l'honneur de présenter à votre Haute Assemblée, en mon nom et au nom de Martine Aubry, les crédits de la santé et de la solidarité pour l'année 2000.
Je tiens, avant tout, à rappeler que ce budget complexe porte les priorités de l'action de l'Etat dans les domaines de la lutte contre l'exclusion, de la protection des populations les plus fragiles, de la santé publique et de la sécurité sanitaire.
L'ampleur de la progression de ce budget - 13,3 %, soit 90,8 milliards de francs en l'an 2000 - illustre avec force la place centrale de ces domaines parmi les priorités du Gouvernement, comme de nombreux orateurs l'ont relevé, même s'il faut, bien entendu, faire la part de l'extension de périmètre qui résulte de l'inscription, pour 7 milliards de francs, de la subvention de l'Etat au fonds de financement de la CMU.
A propos de cette dernière, il faudrait que vous vous mettiez d'accord, messieurs. Ainsi, certains d'entre vous en critiquent le coût trop élevé - M. le rapporteur spécial craint même que ses crédits n'augmentent encore en 2001 d'une manière non contrôlée - alors que d'autres, comme M. Leclerc, nous reprochent des seuils trop bas, qui excluent un nombre important de personnes dont ils estiment les revenus éligibles à une prise en charge des soins par la solidarité nationale.
En fait, comme vous le savez, le seuil d'accès à la CMU résulte d'une appréciation délicate du niveau de pauvreté, qui a fait l'objet d'un long débat. Je ne pense pas qu'il faille regretter que l'AAH se situe au-delà de ce seuil.
D'une façon générale, les personnes isolées titulaires de minima sociaux ne sont pas dans le périmètre de la CMU.
Cela étant, votre remarque est opportune, monsieur le sénateur. Il faudra surveiller les conditions dans lesquelles les personnes handicapées ou les personnes âgées en établissement, par exemple, pourraient avoir à souffrir de ce seuil. Cet aspect du problème sera pris en compte lors de la mise en oeuvre de la CMU, qui fera l'objet d'un bilan à la fin de l'année 2000.
Au-delà de cette dépense, le budget de la santé et de la solidarité enregistre une hausse de 3,64 milliards de francs, soit un taux de progression de 4,5 %, ce qui porte à 9,7 % en deux ans la croissance à structure constante.
Cette croissance est justifiée par les grandes priorités que nous poursuivons pour la troisième année, à savoir : financer les dispositifs de lutte contre les exclusions conformément aux aménagements pris en 1998 ; assurer la montée en charge des agences de sécurité sanitaire et améliorer l'efficacité des politiques de santé publique ; enfin, renforcer les moyens du ministère.
L'effort budgétaire consacré à ces priorités est d'autant plus remarquable que le propre de ce budget est qu'il n'offre pas de marges de redéploiement. Contrairement au budget de l'emploi, qui réinvestit sur les grandes politiques structurelles de développement de l'emploi les dividendes de la croissance, le budget de la solidarité ne peut donner lieu à des économies. Au contraire, le contexte économique favorable auquel nous participons renforce les attentes de ceux qui restent sur le bord du chemin et qui regardent passer, avec beaucoup de frustration, le convoi de ceux qui prospèrent.
C'est ainsi que, sur les 3,64 milliards de francs de progression des crédits hors CMU que j'évoquais, 3,2 milliards de francs sont préemptés par l'évolution des trois minima sociaux portés par le budget de la solidarité, à savoir le RMI, l'allocation de parent isolé et l'allocation aux adultes handicapés. Nous verrons que l'amélioration de la situation économique commence à infléchir la tendance. Il reste, vous en conviendrez, que la marge nécessaire au financement des priorités nouvelles est étroite.
J'en viens au budget de la solidarité, dont la masse est considérable avec 81,3 milliards de francs, dont 58,6 milliards de francs pour le RMI, l'API et l'AAH.
Parmi les priorités de ce budget figurent les engagements du programme de lutte contre les exclusions associé à la loi du 29 juillet 1998.
Tous ces engagements sont honorés, qu'il s'agisse de l'accompagnement social individualisé, du renforcement des dispositifs de veille sociale et d'hébergement, de l'extension des capacités des centres de formation de travailleurs sociaux ou de l'abondement des fonds d'aide aux jeunes en accompagnement du programme TRACE.
Ces dispositifs sont fortement articulés avec la politique de l'emploi : ils se situent en amont de la démarche de retour à l'emploi, qui est au coeur des dispositifs issus de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions. En effet, pour les personnes les plus démunies, pour les jeunes très désocialisés, il faut surmonter bien des préalables avant de pouvoir s'engager dans un parcours de retour ou d'accès à l'emploi durable.
Le rôle des dispositifs de lutte contre l'exclusion portés par le budget de la solidarité est d'abord d'agir, très en amont, contre la formation des exclusions, par le soutien à la parentalité, la protection des droits de l'enfant et par le renforcement de l'appareil de formation des travailleurs.
Ces dispositifs ont ensuite pour rôle de lever les verrous sociaux, familiaux et individuels qui font obstacle à l'entrée dans un parcours d'insertion.
Pour l'hébergement des personnes en déshérence, l'objectif est certes d'accroître mais aussi de diversifier l'offre et les modalités d'accueil pour les adapter à des besoins eux-mêmes divers et pour en faire un lieu de passage vers la réinsertion et le logement autonome plutôt qu'un lieu de stigmatisation. Cet effort d'adaptation de l'offre d'hébergement est profondément inscrit dans l'esprit et la lettre de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, et nous y travaillons en permanence en liaison avec M. Besson.
Il faut mentionner le rôle de l'accompagnement social individualisé, l'ASI, et saluer au passage le travail remarquable des associations qui s'y consacrent. L'ASI permet de débloquer des situations individuelles et sociales difficiles et de remettre en selle les personnes en difficulté : 340 millions de francs de moyens supplémentaires cumulés en deux ans y ont été consacrés.
Troisième outil pour lever les obstacles à l'insertion, les fonds d'aide aux jeunes, qui apportent aux jeunes en grande difficulté l'aide matérielle nécessaire pour faire la soudure entre les stages et les contrats qui ponctuent leur parcours d'insertion ; 60 millions de francs supplémentaires leur sont apportés par le budget 2000.
Enfin, il revient à l'Etat, responsable aux côtés des départements du volet insertion du revenu minimum d'insertion, le fameux « I » du RMI, de renforcer l'incitation à la reprise d'activité des bénéficiaires de l'allocation, comme l'a justement rappelé M. Cazeau. A cet effet, la loi relative à la lutte contre les exclusions a ouvert la possibilité de cumuler la prestation et les revenus d'activité pendant un an, intégralement, puis partiellement. On estime à 16 % en métropole la part des allocataires qui bénéficient de cet « intéressement ».
Cela m'amène à préciser mon propos initial sur l'évolution des effectifs du RMI. L'année s'est conclue par une hausse de 3,8 % en métropole et de 4,1 % y compris les départements d'outre-mer ; c'est la moins forte augmentation observée depuis la mise en place du RMI, monsieur Chérioux.
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. C'est normal, en période d'expansion !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Pour la première fois, les entrées ont baissé en métropole de 4,4 %, alors quelles augmentaient de 6 % en 1997 ; les sorties, en revanche, se maintiennent à un tiers des effectifs, du moins en métropole.
L'amélioration profite d'abord aux jeunes allocataires, dont le nombre a baissé pour la première fois en 1998 : de 1,5 % pour les 25-29 ans et de 3,7 % pour les moins de vingt-cinq ans. Le premier semestre 1999 confirme ces évolutions.
Les crédits de l'exercice 1999 sont donc de 28,2 milliards de francs et intègrent également le coût du cumul, désormais possible, du RMI avec l'allocation pour jeune enfant versée pendant la grossesse, ainsi que les majorations pour âge des allocations familiales, disposition qui résulte d'une décision de la conférence de la famille de 1998, je vous le rappelle. La dotation 2000 marque donc, par rapport à cette base, une hausse de 500 millions de francs fondée sur une prévision réaliste d'accélération des effets de la baisse du chômage conjugués à la mobilisation active des dispositifs de la politique de l'emploi en faveur des allocataires du RMI.
Le Gouvernement poursuit donc son action déterminée en ce qui concerne les minima sociaux.
Ainsi, alors que nous étions en train de discuter de ce budget, Mme Aubry vient d'annoncer que le Gouvernement a décidé d'abandonner les dettes fiscales pour tous les bénéficiaires de minima sociaux et les personnes en situation d'urgence.
Par ailleurs, il est apparu nécessaire d'améliorer la situation des personnes qui n'ont pas encore pu bénéficier de la croissance parce qu'elles étaient trop éloignées de l'emploi et qui continuent, pour un temps, de dépendre, pour leur existence, des minima sociaux. C'est ainsi que le ministère de l'emploi et de la solidarité a annoncé une série de mesures en faveur des plus démunis, parmi lesquelles l'attribution d'une prime particulière de fin d'année d'au moins 1 000 francs et la hausse de 2 % au 1er janvier 2000 du RMI et de l'ASS.
Cette prime particulière sera attribuée aux bénéficiaires du RMI, de l'allocation spéciale de solidarité et de l'allocation d'insertion. Elle sera modulable en fonction de la composition de la famille. Les personnes isolées percevront 1 000 francs, les personnes avec enfant et les couples 1 500 francs et les couples avec deux enfants 2 100. Cette allocation spéciale touchera 1 600 000 foyers, a indiqué Mme Aubry. Le coût pour l'Etat de ces mesures hors effacement des dettes fiscales est évalué à 2,7 milliards de francs.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Où est-ce inscrit ?
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. C'est une annonce que je fais à cette tribune. M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. Cela ne suffit pas ! Et la procédure budgétaire ?
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Cette annonce vient d'être faite par Mme Aubry, au nom du Gouvernement. Il me paraissait important de la porter à la connaissance de la Haute Assemblée compte tenu des préocccupations qui ont été exprimées au sujet des personnes en situation précaire et difficile, notamment sur le devenir des minima sociaux.
M. Claude Huriet. Madame le secrétaire d'Etat, me permettez-vous de vous interrompre ?
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Bien volontiers.
M. le président. La parole est à M. Huriet, avec l'autorisation de Mme le secrétaire d'Etat.
M. Claude Huriet. Je vous remercie, madame le secrétaire d'Etat.
Je vous donne acte de l'annonce que vous venez de faire, mais pouvez-vous nous préciser si cette bonne nouvelle pour ceux qui bénéficient des minima sociaux aura ou non des conséquences sur les conditions d'accès à la couverture maladie universelle ?
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Très bonnequestion !
M. le président. Madame le secrétaire d'Etat, veuillez poursuivre, je vous prie.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Monsieur Huriet, cela n'a pas encore été porté à ma connaissance. Toutefois, les seuils d'accès à la couverture maladie universelle sont fondés sur des calculs effectués à partir du seuil de pauvreté. Ainsi, pour les personnes qui bénéficient des minima sociaux mais dont les revenus dépassent ce seuil, il est évident que cette mesure n'aura pasd'incidence.
J'ai dit précédemment que les personnes isolées vivant des minima sociaux ne seront pas prises en charge par la couverture maladie universelle, puisque leurs revenus dépassent le seuil fixé pour celle-ci.
En tout cas, pour l'instant, que je sache, il n'est pas question de modifier le seuil d'accès à la CMU.
Je tiens à souligner à l'intention de M. Cantegrit l'intérêt que porte le Gouvernement aux Français de l'étranger et à leur protection sociale.
Le Gouvernement étudie actuellement une réforme du régime volontaire maladie de la caisse des français de l'étranger pour en faciliter l'accès aux Français expatriés plus démunis que les cotisants actuels. Cette ouverture du régime devra, bien entendu, se faire dans le respect de l'équilibre financier de la caisse.
En ce qui concerne la CMU, sa mise en oeuvre devrait être de peu de conséquence sur l'assurance volontaire de la CFE puisque les deux champs d'application sontdifférents. Des instructions complémentaires seront prochainement données par circulaire lorsque le dispositif d'application de la CMU sera définitivement connu. Cependant, le travail effectué par M. Cantegrit sera utile à notre réflexion et nous ne manquerons pas d'accorder une attention particulière aux précisions qu'il a portées à notre connaissance.
M. André Maman. Très bien !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. La protection et l'intégration des populations étrangères est aussi un axe fort du budget de la solidarité, qui participe de l'esprit de la lutte contre les exclusions.
Tout d'abord, vous aurez noté l'orientation nouvelle donnée aux crédits d'aide médicale du fait de la mise en place de la CMU.
Une fois le relais pris par la CMU, des crédits demeurent nécessaires pour assurer la prise en charge médicale des étrangers en situation irrégulière ou bénéficiant de courtes autorisations de séjour, celle des Français non résidents, ainsi que celle des ressortissants étrangers accueillis en France pour des raisons humanitaires.
Le besoin à ce titre a été évalué à 400 millions de francs. Nous avons cependant maintenu une dotation de 495 millions de francs, de façon à faciliter l'apurement des dettes antérieures de l'aide médicale.
Je mentionne aussi, pour m'en féliciter, la consolidation du financement des soins dans les centres de rétention administrative.
Il faut également souligner l'effort réalisé dans ce projet de budget pour accroître de cent vingt places les capacités des centres d'accueil des réfugiés et demandeurs d'asile, et pour augmenter les crédits de l'allocation d'insertion versée aux demandeurs d'asile dans l'attente des décisions de l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Enfin, le projet de budget pour 2000 met en place des crédits d'investissement pour l'aménagement d'aires de stationnement pour les gens du voyage, qui viendront appuyer les efforts nécessaires des collectivités locales en ce sens.
L'effort de solidarité se déploie également en faveur des rapatriés, puisque le budget de la solidarité abrite le volet social et culturel de la politique en faveur des rapatriés.
Parmi ces mesures, il convient de citer les dispositifs spécifiques d'insertion dans l'emploi des Français rapatriés d'origine nord-africaine et de leurs familles, mis en place sous forme d'un plan d'action, en application de la loi du 11 juin 1994.
Outre ces mesures en faveur de l'emploi, une rente viagère sera versée aux harkis, avec effet au 1er janvier 1999. Les conditions d'attribution de cette rente seront prochainement définies, et le plan d'action sera reconduit jusqu'au 31 décembre 2000 par un amendement du Gouvernement au projet de loi de finances rectificative pour 1999.
Les mesures qui se rapportent à l'emploi et à la formation sont améliorées et également reconduites jusqu'au 31 décembre 2000 par la circulaire du 31 mai 1999.
Par ailleurs, le décret du 4 juin 1999 a mis en place un nouveau dispositif d'aide aux rapatriés réinstallés dans une profession non salariée, placé sous la responsabilité d'une commission nationale de désendettement présidée par un magistrat de la Cour des comptes et qui comprend une représentation des rapatriés. Ce sont 1 940 demandes qui ont été déposées et qui sont actuellement en cours d'examen.
J'en viens maintenant à la politique en faveur des personnes handicapées, qui occupe une place centrale dans le budget de la solidarité et dans les préoccupations de nombre d'entre vous.
Cette politique se veut globale et cohérente, attentive à tous les aspects de la vie des personnes handicapées, qu'il s'agisse de l'éducation, de l'emploi ou de la vie sociale. Elle vise à favoriser prioritairement leur intégration, par application de tous les dispositifs de droit commun, en milieu de vie ordinaire, puisque telle est la demande le plus fréquemment exprimée aujourd'hui par les personnes handicapées ou leur famille.
C'est pourquoi, sans opposer en aucune manière l'intégration des personnes handicapées dans le milieu de vie ordinaire et la prise en charge en institutions spécialisées, qui sont et resteront parfois indispensables, les objectifs prioritaires que Martine Aubry et moi-même fixons à notre politique sont : la socialisation et l'intégration des jeunes handicapés, l'accompagnement des personnes handicapées dans leur vie quotidienne et la formation et l'insertion professionnelles.
Ces orientations s'inscrivent dans le cadre d'une politique d'ensemble qui est le plus souvent interministérielle.
Il faut raisonner en termes de complémentarité et de continuité, s'efforcer d'assouplir et de diversifier les modes d'intervention des établissements et des services, de les coordonner, de décloisonner les institutions entre elles comme par rapport au milieu ordinaire. Cette coordination des interventions et des structures est une nécessité qui guide les travaux préparant la réforme de la loi d'orientation de 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales.
J'en profite pour rassurer M. Leclerc, qui m'a interpellée sur cette question : la révision de la loi de 1975 qu'il appelait de ses voeux est engagée puisqu'une mission parlementaire a été confiée au député Pascal Terrasse sur ce sujet. J'ai d'ailleurs eu à plusieurs reprises, au cours du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, l'occasion d'indiquer que le travail de coopération que je mène à cet égard avec la mission parlementaire, mais aussi avec les associations et les représentants du monde handicapé trouvera son aboutissement dans des dispositifs législatifs qui seront proposés à vos délibérations dans le courant du second semestre de l'année 2000.
Il faut, bien entendu, faire une lecture coordonnée de la loi de financement de la sécurité sociale et de la loi de finances pour prendre la mesure de l'action entreprise en ce sens. Au demeurant, dans leurs interventions, Mme Heinis, MM. Huriet et Neuwirth ainsi que Mme Borvo ont bien établi cette liaison entre les textes, en exprimant leurs préoccupations sur la politique de santé publique et en formulant des suggestions.
Pour m'en tenir au budget qui nous occupe aujourd'hui, je souhaite mettre d'abord en exergue l'effort particulier que nous avons voulu consacrer, d'une part, au développement des aides techniques et, d'autre part, au renforcement des COTOREP.
S'agissant des aides techniques, il est essentiel d'offrir aux personnes handicapées qui souhaitent et peuvent rester dans leur milieu de vie des moyens de compensation fonctionnelle de leur handicap.
Des expérimentations ont été conduites avec le soutien des pouvoirs publics sur quatre sites pilotes. L'évaluation dont nous disposons aujourd'hui a montré l'intérêt qu'il y aurait à généraliser cette formule, et c'est ce que nous allons entreprendre. Une mesure nouvelle de 15 millions de francs a été dégagée pour ce faire dans le projet de budget pour 2000. Cet effort pourrait être amplifié par la contribution des caisses de sécurité sociale et des conseils généraux qui accepteraient de s'y associer.
Ainsi, nous pourrons disposer d'un centre d'expérimentation dans chaque région de France, en évaluer le fonctionnement, puis « modéliser » ce dispositif de manière à finalement « mailler » le territoire afin de répondre aux attentes des personnes handicapées.
Pour ce qui est des COTOREP, le rapport remis en 1998 par l'IGF et l'IGAS a confirmé l'existence de dysfonctionnements dans leur organisation et dans leur gestion, et il en a clairement pointé les causes : l'absence de pilotage réel des commissions et l'insuffisance de leurs moyens. Une remise à niveau s'imposait donc. Les inscriptions budgétaires dans le projet de loi de finances pour 2000 en sont la traduction forte, ce qui devrait satisfaire M. Chérioux, qui m'a précisément interpellée sur cette question.
Le projet de budget pour 2000 continue parallèlement, bien entendu, à décliner le programme pluriannuel de création de places pour adultes lourdement handicapés arrêté par le Premier ministre le 8 avril 1998 pour la période 1999-2003. Il respecte la programmation prévue avec 2 000 places de CAT et 500 places en atelier protégé. Le programme de création de places en maison d'accueil spécialisée et en foyer à double tarification - 1 100 places pour la tranche 2000 - est, quant à lui, porté par les crédits d'assurance maladie et prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour 230 millions de francs.
Il faut aussi mentionner l'ajustement des crédits de l'allocation aux adultes handicapés, avec une progression de 781 millions de francs, ce qui porte la dotation à 27,55 milliards de francs, sur la base d'un taux de progression en volume et en valeur de 3 %, puisque tel est le niveau sur lequel se stabilise l'évolution de l'AAH.
Je souhaite répondre brièvement à M. Cazeau, qui a exprimé son inquiétude sur le devenir des personnes âgées dépendantes, auquel nous sommes nous-mêmes très attentifs. Lorsque le maintien à domicile est devenu impossible, il faut permettre un hébergement en établissement de qualité pour personnes âgées. Tel est le but de la réforme de la tarification.
Nous savons que cette réforme suscite des interrogations, malgré l'oeuvre pédagogique de la mission d'appui conduite par M. Jean-René Brunetière.
Des mesures seront prises pour éviter tout ressaut tarifaire pour les personnes déjà hébergées. Il faut parvenir, dans la plupart des cas, à un équilibre satisfaisant entre les réductions des tarifs d'hébergement et la création des tarifs dépendance.
Pour ce faire, nous allons tirer parti des simulations chiffrées et des constats réalisés par la mission d'appui avec les professionnels pour ajuster un certain nombre de paramètres et mutualiser une part des frais liés à la dépendance, avant même que la réforme n'entre effectivement en vigueur dans les établissements. Il y sera procédé dans les meilleurs délais, afin de permettre la signature dès 2000 de conventions tripartites dans les nombreux établissements où les besoins sont urgents quant à l'amélioration de la prise en charge et de la qualité des prestations que cette réforme leur apportera.
Enfin, les données chiffrées recueillies par la mission nous donnent les moyens de préparer une programmation, sur la période 2001-2005, des crédits nouveaux que l'assurance maladie consacrera à la médicalisation des établissements.
Il faut souligner que, d'ores et déjà, pour 2000, les moyens nouveaux progressent de 50 % par rapport à 1999.
Je ne voudrais pas terminer mon propos sur le projet de budget de la solidarité sans évoquer deux sujets qui, bien que très différents, touchent néanmoins à la vie des structures associatives concourant fortement à la conduite des politiques d'action sociale de l'Etat.
Il s'agit, d'une part, de la problématique de la réduction de la durée du travail dans le secteur sanitaire, social et médico-social et, d'autre part, du sujet jusqu'ici récurrent des dettes de l'Etat vis-à-vis des organismes d'accueil des objecteurs de conscience.
S'agissant de ce dernier point, nous nous sommes donné les moyens d'apurer complètement les dettes de l'Etat dans des délais très brefs puisqu'une partie est en train ou sur le point d'être réglée grâce à l'ouverture de 86 millions de francs dans le décret d'avances du 2 septembre dernier, et que, par ailleurs, la dotation dans le budget 2000 est maintenue au niveau de 1999, soit 106 millions de francs, c'est-à-dire un montant supérieur de 45 millions de francs environ aux besoins prévisibles de l'exercice, ce qui permettra de solder totalement la dette de l'Etat.
Quant à la mise en oeuvre de la nouvelle durée légale du travail, c'est évidemment un sujet essentiel pour un secteur associatif qui est clairement dans le champ de la nouvelle législation sur les 35 heures mais qui, largement financé sur fonds publics et tenu à de hautes exigences de qualité de service, est confronté à des sujétions particulières.
Lorsqu'elle en parlait l'an dernier, Martine Aubry indiquait qu'elle y voyait une chance pour un secteur qui avait souvent donné la preuve de sa capacité d'adaptation. Et, de fait, le secteur s'est fortement mobilisé. Ainsi, 1 400 accords sont aujourd'hui enregistrés, qui concernent une multiplicité d'établissements dans les secteurs du handicap, de l'aide sociale à l'enfance, des maisons de retraite et des établissements sanitaires.
Après avis favorable de la Commission nationale d'agrément, Mme Aubry a agréé plusieurs accords collectifs nationaux dans ce champ, notamment un accord de branche étendu au niveau de l'UNIFED, les accords des centres de lutte contre le cancer, de la Croix-Rouge, de la convention du 15 mars 1966 et, tout récemment, de la convention FEHAP du 31 octobre 1951.
Nous sommes à présent dans la phase d'instruction des accords locaux, soumis aux autorités qui, sur le terrain - DDASS, conseils généraux, agences régionales de l'hospitalisation - autorisent et financent les établissements.
C'est à ce niveau que pourront être appréciés, de manière partenariale, la réalité des efforts de solidarité financière et le souci de la qualité du service rendu qu'ont manifestés les partenaires sociaux dans leurs accords nationaux.
Pour autant, il ne pourrait être question de définir un scénario unique de la réduction de temps de travail dans ce champ. L'hétérogénéité de celui-ci, l'importance des temps partiels - ces derniers concernent 40 % des emplois - la variété des activités, des métiers, des modes d'organisation, la diversité des conventions collectives excluaient toute démarche mécanique et réductrice des différences ou négatrice des réalités.
Les accords agréés sont équilibrés à la fois par rapport aux aides prévues par la première loi et au regard des contreparties salariales importantes que, au nom de l'esprit de solidarité qui anime ces professionnels dans leur action, ceux-ci ont acceptées. J'ajoute que l'équilibre des accords sera facilité par les dispositions de la seconde loi sur les allégements de charges sociales sur les bas salaires dans un secteur qui compte une proportion importante de salariés concernés.
Je ne doute pas que ce secteur réduira sa durée de travail et créera des emplois en respectant les contraintes posées en termes de financement comme de maintien de la qualité du service rendu.
Vous le savez, les accords locaux sont instruits par les services déconcentrés, qui recueillent l'avis des financeurs. En tout état de cause, les délais nécessaires à l'agrément de ces accords ne seront pas préjudiciables aux salariés de ce secteur ni à l'équilibre financier des établissements qui les emploient, d'une part, parce que les aides applicables seront celles en vigueur à la date de la signature de l'accord - soit le taux le plus élevé puisque beaucoup d'entre eux ont été signés avant le 30 juin de cette année, quand bien même les accords nationaux n'étaient pas encore signés - d'autre part, parce qu'un amendement au projet de loi sur la réduction du temps de travail exonère de la contribution de 10 % sur les heures supplémentaires les établissements qui ont signé un accord mais qui sont dans l'attente d'une décision d'agrément pour le début de l'an 2000.
Il n'y a donc pas de raison de s'inquiéter : les choses doivent avancer au rythme que permet le travail en partenariat dans les services déconcentrés.
A ce stade de mon intervention, je répondrai à Mme Borvo, qui s'est inquiétée de la situation des caisses d'allocation familiales et des caisses primaires d'assurance maladie.
Les CAF de la région parisienne ont été confrontées, l'été dernier, à des difficultés liées à la mise en oeuvre d'un nouveau système informatique, qui était déjà implanté dans les CAF de province. Le passage au nouveau système a été rendu difficile par les spécificités du système informatique antérieur de l'Ile-de-France, différent de celui du reste de la France. Ce passage était nécessaire avant le 31 décembre 1999, pour éviter d'avoir à transposer au 1er janvier 2000.
Les directeurs des CAF d'Ile-de-France ont procédé à des redéploiements internes afin de renforcer temporairement les services concernés.
Par ailleurs, avec l'aide de la CNAF, des techniciens chargés de ces prestations sont venus de différentes caisses de province pour résorber au plus vite les retards qui avaient été pris.
Tout est maintenant en bonne voie pour rentrer dans l'ordre. La plus grande attention a été portée à la situation difficile de certains allocataires pour que leurs dossiers soient traités au plus vite.
Concernant les caisses primaires d'assurance maladie, la situation est différente. L'inquiétude portait sur la mise en oeuvre de la CMU et sur les négociations relatives à la réduction du temps de travail.
La CNAM a été autorisée à créer 1 400 postes. Elle va donc maintenant procéder à ces recrutements puis à la formation de ces personnels nouveaux, ainsi qu'à laréorganisation des services. Mais il s'agit là, je vous le rappelle, d'une responsabilité qu'assument complètement les responsables de la CNAF et de la CNAM. C'est l'une des conséquences du paritarisme, que nous respectons avec une grande conviction.
J'aborderai maintenant le budget de la santé, qui est caractérisé, en 2000, par plusieurs évolutions marquantes.
La première et la plus évidente est son taux de croissance de 5 %, taux qui est supérieur à celui du budget global santé-solidarité. Encore ce taux de croissance est-il minoré par plusieurs transferts externes d'un montant total de 184 millions de francs, sur le détail desquels je reviendrai dans un instant. A structure constante, la progression réelle, de 1999 à 2000, est de 10 %, ce qui est considérable.
Vous le savez comme moi, le budget de la santé publique n'est qu'un élément finalement modeste - son montant s'élève tout de même à 4 milliards de francs - de l'ensemble de la politique de santé, qui repose sur les politiques structurelles traduites depuis deux ans, bientôt trois, dans les lois de financement de la sécurité sociale.
Mais, avec ses 4 milliards de francs, ce budget est bien sûr essentiel, compte tenu des actions qu'il permet de financer, mais aussi, et surtout, parce qu'il permet à des besoins de santé qui émergent du terrain d'être transformés en choix de santé publique.
Ces choix de santé publique sont bien lisibles dans le projet de budget pour 2000.
Il faut d'abord rappeler que la santé est un enjeu de la lutte contre les exclusions et qu'une place importante a été faite, à concurrence de 250 millions de francs au total, aux programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins, les PRAPS, dans le budget de 1999, qui leur avait affecté 194 millions de francs de mesures nouvelles.
Des moyens nouveaux sont dégagés pour renforcer les moyens affectés aux programmes régionaux de santé, pour conforter le financement du réseau des centres d'éducation pour la santé, pour accroître la portée des interventions en matière de prévention du suicide et de traitement des délinquants sexuels, ainsi que pour la mise en place du dépistage organisé des cancers.
J'ai bien noté la préoccupation de M. Huriet à cet égard.
Lors de l'adoption de la loi de financement de la sécurité sociale de 1999, le législateur a introduit, dans le code de la santé publique, un article permettant d'organiser la lutte contre les maladies aux conséquences mortelles évitables, en proposant à la plus grande partie possible de la population concernée l'accessibilité et l'égalité d'accès à un dépistage de qualité respectant l'éthique et la justice sanitaire. Cet article confie à l'Etat la responsabilité de la mise en oeuvre du dépistage, qui repose sur le principe de la gratuité des actes techniques.
Le Gouvernement n'a pas sous-estimé la complexité de la mise en place du dispositif législatif et l'importance des problèmes soulevés pour la première fois à cette échelle. C'est pourquoi un important travail de concertation et de mobilisation des acteurs a été accompli. Cinq groupes de travail nationaux ont été constitués.
Quatre groupes thématiques sont chargés d'élaborer les référentiels techniques assurant la qualité et l'accessibilité du dépistage à propos de trois cancers - ceux du sein, du colon et du col de l'utérus - ainsi que les instruments nécessaires à la formation et à l'information des professionnels concernés. Ces référentiels sont, vous le savez, en voie de finalisation.
Un cinquième groupe travaille sur l'organisation opérationnelle du programme, l'élaboration du texte conventionnel, l'adaptation de la nomenclature des actes professionnels, la résolution des questions relatives au fichier permettant la gestion du système, tout en respectant l'anonymat et la confidentialité nécessaires, et l'organisation, à l'échelon régional et départemental, du pilotage et de la mise en oeuvre concrète des programmes.
Cet important dispositif justifie la mise en place progressive des mesures, car il s'agit de respecter les acquis dans le domaine du dépistage du cancer du sein. Trente-deux départements regroupant 45 % de la population féminine concernée offrent déjà un programme organisé pour le dépistage du cancer du sein et il a fallu surmonter de nombreuses difficultés matérielles, professionnelles, vous le savez bien.
Le dépistage du cancer du col de l'utérus par le frottis cervical, à l'exception de quatre sites expérimentaux, relève aujourd'hui de la pratique courante des médecins.
Le dépistage du cancer colorectal est aujourd'hui expérimenté dans deux départements, dans la perspective de sa généralisation éventuelle au vu des résultats. Mais c'est une procédure qui n'est pas sans poser de problème.
L'ambition de la politique entreprise est donc d'assurer une couverture quasi universelle de la population par ce dispositif. Toutefois, la montée en charge est assez lente et elle justifie que des précautions soient prises, aussi bien dans les procédures que dans les pratiques de mise en oeuvre.
J'ai également été interpellée à propos des soins palliatifs et du plan pluriannuel de lutte contre la douleur. Il est vrai qu'il n'existe pas de chapitre particulier dans l'exposé du budget qui vous a été remis. Mais le plan pluriannuel de lutte contre la douleur se poursuit avec la même intensité que précédemment ; j'y apporte ma détermination. Il en va de même pour les soins palliatifs.
Comme vous le savez, monsieur Neuwirth, en matière d'accès aux soins palliatifs, la loi du 9 juin 1999 prévoyait trois textes d'application ; je me permettrai de vous les rappeler.
Il s'agit, d'abord, du décret d'applications de l'article L. 162-1-10 du code de la sécurité sociale, qui prévoit un contrat type entre les organismes d'assurance maladie et les professionnels. Les mesures réglementaires, qui sont en cours de rédaction, viseront à permettre la participation et la rémunération de tous les acteurs de santé sans exclusive, à la condition qu'ils puissent respecter l'obligation légale de continuité et d'interdisciplinarité, à domicile comme en établissement.
Il s'agit, ensuite, du décret d'application de l'article 10 qui prévoit un contrat type portant sur les conditions d'intervention des associations de bénévoles dans les établissements de santé publics et privés et dans les établissements sociaux et médico-sociaux.
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. M. Neuwirth le sait très bien, madame le secrétaire d'Etat ! Il est l'auteur de ce texte !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Oui, mais je me permets de le rappeler, afin que cela figure au compte rendu intégral des débats ! Ainsi, les lecteurs assidus du Journal officiel y trouveront et la question de M. Neuwirth et la réponse du ministre concerné.
Ce texte, qui devrait être publié à la fin de l'année, doit faciliter les interventions des bénévoles qui accompagnent les personnes en fin de vie dans les établissements, en complémentarité et sans interférence avec les soins qui leur sont prodigués.
La publication du décret devant déterminer, en tant que de besoin, les modalités du congé d'accompagnement paraît encore prématurée à ce jour. Il semble en effet opportun d'observer le niveau auquel se situeraient d'éventuelles difficultés, afin d'apporter, le moment venu, une réponse d'ordre réglementaire.
Plusieurs initiatives parlementaires visent actuellement à définir des congés d'opportunité ou des congés de convenance pour satisfaire à des besoins familiaux. Il serait intéressant de globaliser ces différentes demandes, de façon que la procédure réglementaire reprenne l'ensemble de ces dispositions.
M. Jean Chérioux, raporteur pour avis. Madame le secrétaire d'Etat, me permettez-vous de vous interrompre ?
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je vous en prie, monsieur Chérioux !
M. le président. La parole est à M. Chérioux, rapporteur pour avis, avec l'autorisation de Mme le secrétaire d'Etat.
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. J'avoue que je suis quelque peu étonné, madame le secrétaire d'Etat. Vous parlez de travaux actuels, mais la loi a été votée !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Effectivement !
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. Dès lors, je ne comprends pas pourquoi elle n'est pas mise en oeuvre immédiatement ! Je vous rappelle que M. Neuwirth était l'auteur et le rapporteur de ce texte ! Pour quelle raison les décrets d'application de cette loi ne sont-ils pas publiés ? Vous faites état de travaux parlementaires. Il s'agit peut-être de l'Assemblée nationale, du Sénat, peu importe ! Pour le moment, cette loi existe, et il faut s'y tenir !
M. le président. Madame le secrétaire d'Etat, veuillez poursuivre, je vous prie.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je reprends le fil de mon explication, monsieur Chérioux. Je rassurais M. Neuwirth sur la détermination du Gouvernement à mettre en oeuvre la loi visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs du 9 juin 1999 et j'indiquais les raisons pour lesquelles les trois décrets d'application étaient encore en attente : les deux premiers sont en cours de rédaction et ils seront publiés incessamment ; le troisième nécessite une évaluation globale des demandes concernant des congés d'opportunité ou des congés de convenance pour des raisons familiales.
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. La loi est votée !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. On a vu des lois pour lesquelles les délais de publication des décrets d'application étaient très longs ! En l'espèce, ils sont tout à fait raisonnables : j'espère que les décrets d'application seront publiés d'ici à la fin de l'année ou au tout début de l'année prochaine.
En tout état de cause, la promotion et le développement des soins palliatifs restent une priorité du Gouvernement, mais cette dernière doit s'exprimer, d'une part, au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, dans lequel ont été inscrits 75 millions de francs au titre de la deuxième tranche du plan pluriannuel - ces crédits seront intégrés dans les enveloppes régionales déléguées aux agences régionales de l'hospitalisation pour être distribuées par celles-ci aux établissements de santé mettant en oeuvre des actions dans ce domaine - et, d'autre part, dans les programmes de formation continue des médecins.
L'enjeu n'est donc pas strictement budgétaire, monsieur le rapporteur pour avis. Le Gouvernement veillera néanmoins à ce que ces actions soient promues et favorisées.
Une attention particulière est également portée à l'évaluation et à la gestion des risques sanitaires liés à l'environnement et aux milieux de vie. Je reviendrai dans un instant sur l'Institut de veille sanitaire, qui en est une pièce maîtresse.
Sans être exhaustive, je citerai deux mesures nouvelles notables : le renforcement des moyens des observatoires régionaux de santé, soit plus de 2 millions de francs ; par ailleurs, l'Institut de veille sanitaire aura les moyens de financer plus amplement les prestations et la mise en place du dispositif de gestion des risques liés à l'amiante - 12 millions de francs sont prévus à cet effet - ce qui traduit une attention soutenue du Gouvernement.
Les enjeux de santé prennent, de plus en plus, une dimension internationale. Il importe que la France joue pleinement son rôle et réponde aux attentes qui s'adressent à elle. Tel est l'objet de l'augmentation de 2 millions de francs des crédits alloués à l'OMS et, surtout, de l'abondement de 16 millions de francs du Fonds de solidarité thérapeutique internationale, ce qui porte ses moyens à 42 millions de francs, 21 millions de francs provenant du secteur de la santé et les 21 autres millions de francs du secteur de la coopération.
Cela permettra au fonds de lancer une série de programmes de prévention et de soins, notamment pour les femmes enceintes et les mères de jeunes enfants dans les pays d'Afrique les plus touchés, hélas ! par le sida.
La lutte contre les pratiques addictives et les maladies infectieuses reçoit des moyens supplémentaires considérables, pour atteindre 867 millions de francs en l'an 2000.
Un volume important de moyens budgétaires nouveaux - 51,3 millions de francs - vient abonder ces dispositifs de prévention et de prise en charge globale des comportements liés à la prise de drogues licites ou illicites, dont la lutte contre le sida avait montré la voie, ou les réorienter sur les cibles les plus urgentes. Cette priorité donnée à la prévention n'a pas échappé à la sagacité de vos rapporteurs et je les en remercie.
Au-delà des 16 millions de francs dont j'ai parlé pour le FSTI, le projet de budget pour 2000 apporte des crédits supplémentaires pour poursuivre le programme de lutte contre l'hépatite C - 15 millions de francs - la lutte contre la résistance aux antibiotiques - 1 million de francs - la lutte contre le tabagisme - 2 millions de francs ; la dotation des centres de cure ambulatoire en alcoologie - 5 millions de francs ; enfin, 10,8 millions de francs permettront d'assurer, sur les crédits de la Direction générale de la santé, les actions de réduction des risques du programme triennal de lutte contre les drogues et la toxicomanie.
Plusieurs d'entre vous ont fait allusion à la contraception et à l'information sur la maîtrise de la fécondité. Bien évidemment, madame Borvo, monsieur Neuwirth, il s'agit là de préoccupations majeures du Gouvernement.
Le comité de pilotage que Mme Aubry a réuni avec les associations et les partenaires concernés pour mettre au point une campagne d'information sur la contraception montre bien l'intérêt, mais aussi la difficulté de diffuser de nouveau une information qui, effectivement avait été laissée à l'abandon depuis de nombreuses années, vous avez eu raison de le dire.
Les chiffres qui sont portés à notre connaissance à la suite de différentes études montrent qu'il est indispensable de reprendre une information très précise, très ciblée...
M. Lucien Neuwirth. Et permanente !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. ... et permanente, en direction des jeunes générations, je vous l'accorde tout à fait.
La contraception d'urgence, dont on a annoncé la mise à disposition dans les collèges et les lycées par le biais des infirmières scolaires, a ramené la question sur le devant de l'actualité. Il est vrai qu'il s'agit d'une grande avancée médicale : le produit est bien toléré, son utilisation est simple et le fait qu'il soit en vente libre dans les pharmacies donne aux femmes une plus grande chance de réussite. Cela étant, c'est une méthode de rattrapage qui, bien évidemment, doit s'intégrer dans une politique de prévention globale des grossesses non désirées.
Pour ce qui est de la délivrance du produit dans les collèges et dans les lycées, un climat de confiance et un dialogue avec les jeunes filles concernées est indispensable.
M. Lucien Neuwirth. Manque de concertationpréalable !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, la concertation a été menée dans le cadre du comité de pilotage et les différents groupes se positionnent maintenant les uns par rapport aux autres.
Toute mobilisation médiatique n'est pas inutile, me semble-t-il, car cela permet de mener plus loin cette concertation que vous appelez de vos voeux.
Il faut enfin préciser que ces apports de crédits nouveaux ont été également permis par un travail de reclassement plus rationnel des financements entre l'Etat et l'assurance maladie, dont vous avez vu l'effet dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il s'agit, d'une part, du transfert à l'assurance maladie des 15 % résiduels de financement par l'Etat du dépistage dans les centres de dépistage anonyme et gratuit, d'autre part, de l'abandon du principe du remboursement aux hôpitaux des frais de cure des toxicomanes hospitalisés.
Par ailleurs, ma détermination m'incite à agir en faveur de la nécessaire politique de nutrition évoquée par M. Goulet. Chacun doit pouvoir, en effet, savoir se nourrir correctement et, surtout, ne pas nuire à sa santé en mangeant n'importe comment.
La nutrition est un déterminant de santé puissant et la France portera ce thème dans le cadre de sa présidence de l'Union européenne, durant le second semestre de l'année 2000.
Le financement de la montée en charge des agences de sécurité sanitaire était certainement l'un des enjeux clés du projet de budget pour 2000, ce que M. Louis Boyer, en tant que rapporteur pour avis, n'a pas manqué de souligner.
En 2000, 495 millions de francs, c'est-à-dire 156,6 millions de francs de plus qu'en 1999, seront affectés aux sept établissements nationaux généralement désignés depuis la loi du 1er juillet 1998 sous le nom d'« agences de sécurité sanitaire ».
Quatre d'entre eux ont été créés ou transformés par cette loi. Il s'agit de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, dont la compétence inclut, au-delà du médicament, les dispositifs médicaux et les cosmétiques ; de l'Agence française de sécurité sanitaire alimentaire, cofinancée par les trois ministères de tutelle pour les missions nouvelles qui lui sont conférées par la loi ; de l'Institut de veille sanitaire et de l'Agence du sang qui est appelée à se transformer, le 1er janvier 2000, en Etablissement français du sang.
Les trois autres établissements, créés antérieurement à la loi de 1998, n'ont pas pour autant terminé leur montée en charge, notamment l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, dont le plan de charge en matière d'accréditation doit se développer rapidement, la procédure, totalement nouvelle dans notre pays, ayant nécessité un temps d'appropriation par les acteurs.
L'Office de protection contre les rayonnements ionisants, l'OPRI, est aussi confronté à de lourdes adaptations imposées, notamment, par des directives communautaires.
Seul l'Etablissement français des greffes est aujourd'hui proche d'un niveau de croisière, si tant est que cette notion ait un sens dans le paysage extrêmement exigeant et évolutif de la sécurité sanitaire.
Sans détailler ici les montants de crédits supplémentaires affectés à chacune des agences, ce que j'ai déjà eu l'occasion de faire en commission, je voudrais, pour illustrer les ordres de grandeur, préciser que 125 millions de francs sont affectés aux quatre agences issues de la loi de 1998, soit une hausse de 55 % du niveau de ces subventions par rapport à 1999. Leur ampleur s'explique aussi par le choix de ne pas multiplier les taxes prélevées sur les secteurs de production placés sous le contrôle des agences. Ayant fait ce choix, l'Etat prend ses responsabilités budgétaires.
Monsieur Huriet, telle est la réponse à votre question : nous avons tiré les conséquences de ce choix, qui ne devrait pas vous choquer, en mettant en place les crédits nécessaires à la montée en charge des agences. Ce financement entre donc en effet dans les discussions budgétaires normales : négocier, ce n'est pas mendier. Nous avons fait la preuve que l'Etat est responsable et sait mettre en place les moyens adaptés aux besoins et à la montée en puissance de ces agences, même lorsque trois ministères sont concernés, comme c'est le cas pour l'Agence française de sécurité sanitaire alimentaire.
J'ajoute que l'ensemble de ce dispositif est coordonné par le comité national de sécurité sanitaire, désormais opérationnel, et que je réunis tous les trois mois.
Ce comité s'est réuni en octobre dernier. Il a présenté un bilan des alertes et des crises sanitaires des six derniers mois, en particulier à l'occasion de l'éclipse et de l'épidémie de légionellose, ainsi que la démarche en cours pour les encéphalites suraiguës transmissibles à l'homme.
Conformément à ses missions, ce comité se réunit, travaille et mène une réflexion en mutualisant les différentes réflexions des acteurs et des experts convoqués devant lui.
C'est dans ce cadre qu'a été proposée la mise en place de trois groupes de travail, présidés par des experts reconnus, chargés de travailler sur les facteurs de décision dans les différents organismes, l'estimation quantitative et qualitative des risques et les priorités de sécurité sanitaire.
Il s'agit bien de réfléchir et de coordonner l'action des différentes agences et non pas d'alourdir le fonctionnement de ce comité, ce qui serait source d'inefficacité pour un véritable lieu de réflexion et de proposition comme celui-là.
Concernant le principe de précaution, s'il revient aux scientifiques d'évaluer les risques, en revanche, la décision, c'est-à-dire la gestion du risque, revient aux pouvoirs publics, au Gouvernement, comme on l'a vu pour la levée de l'embargo de la viande bovine. Le dossier a été géré de manière interministérielle, sous la responsabilité du Premier ministre, et si c'est le ministre de l'agriculture qui a été le porte-parole de la France à Bruxelles, c'est parce que tel est l'usage.
Ces questions, en effet, sont traitées par le ministère de l'agriculture et par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. En l'occurrence, M. le Premier ministre a tenu à ce que les préoccupations de santé publique soient véritablement intégrées dans la réflexion et les exigences portées par la France. C'est ce qui m'a conduite à accompagner Jean Glavany à plusieurs reprises dans ces commissions, à la grande surprise, je dois le dire, des acteurs présents qui n'avaient jamais vu un ministre de la santé venir parler de ces questions. D'ailleurs, la manière dont la France les a abordées, a fait évoluer de façon tout à fait positive et novatrice la réflexion collective au sein de la Communauté européenne.
Le dernier domaine couvert par le budget de la santé est celui de l'offre de soins, dénomination qui donne sa logique à un contenu malgré tout diversifié.
Sous cet agrégat sont en effet regroupés les crédits affectés au fonctionnement des agences régionales de l'hospitalisation, à la formation des professions paramédicales, à l'organisation des systèmes de santé dans les territoires d'outre-mer ainsi que les crédits de subventions aux investissements hospitaliers.
Le fonctionnement des agences régionales de l'hospitalisation est désormais stabilisé. Je vous remercie, monsieur Cazeau, de l'avoir relevé.
Les schémas régionaux d'organisation sanitaire de deuxième génération sont désormais presque tous opérationnels.
La formation des professions médicales et paramédicales, heureusement regroupée avec les bourses d'études dans la nouvelle nomenclature, prolonge également le niveau des dotations 1999, tant pour les écoles de sage-femmes et d'infirmiers - 256 millions de francs - que pour la formation extrahospitalière des étudiants - 250 millions de francs - et l'année-recherche des internes.
Je m'arrête un instant sur les territoires d'outre-mer, pour souligner les efforts mis en oeuvre pour régler un certain nombre de situations difficiles, tant dans le budget 2000 - il s'agit de la revalorisation du minimum vieillesse et des crédits d'action sociale pour les personnes handicapées à Wallis-et-Futuna - qu'en gestion 1999, avec l'apurement d'une tranche de dettes de 17,4 millions de francs au profit du système de santé de Wallis-et-Futuna, un apport de 5 millions de francs à la convention en cours avec le Polynésie française pour amorcer une aide au logement mise en place sur le territoire, et enfin 10 millions de francs pour abonder la convention d'action sociale à Mayotte.
Le dernier domaine relevant de l'offre de soins est celui des investissements hospitaliers. Ils se répartissent entre un chapitre qui, à l'avenir, ne devrait plus porter que les opérations non finançables par nature sur l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, notamment outre-mer, et un chapitre constitué par le fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, le FIMHO.
Créé en 1998, le FIMHO poursuit sa montée en charge à un rythme commandé par le respect scrupuleux de l'éligibilité au regard de critères de sélection stricts des opérations. Ces critères sont stricts, car il me semble essentiel de préserver la fonction impartie au FIMHO, qui est d'appuyer la logique de restructuration de l'offre de soins, en faisant jouer au financement de l'Etat un rôle de complément et de levier là où il est nécessaire, et là seulement.
Le budget 2000 accompagne cette montée en charge avec un nouvel apport de 200 millions de francs d'autorisations de programme, qui porte à 265 millions de francs, soit 115 millions de francs de plus qu'en 1999, le besoin de crédits de paiement en 2000.
Mme Heinis a formulé quelques propositions concernant la réforme des études médicales et la démographie médicale. Elle a longuement parlé des hôpitaux de proximité et de l'importance d'assurer des soins de qualité par des professionnels reconnus.
J'aimerais vous rappeler les différentes mesures qui ont été prises depuis deux ans dans ce domaine, même si elles concernent davantage le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.
Ainsi, l'augmentation du numerus clausus, qui passe de 3 700 en 1999 à 3 850 pour 2000, devrait apporter des réponses en termes de démographie médicale. Pour tenir compte des pénuries hospitalières, trois disciplines, l'anesthésie, l'obstétrique et la pédiatrie, ont été individualisées afin d'orienter les internes et de répondre aux besoins constatés.
Pour les praticiens hospitaliers, l'harmonisation des carrières à temps plein et des carrières à temps partiel est en cours, ainsi que la mise en oeuvre du périmètre de sécurité après une garde, la prime pour l'exercice dans plusieurs établissements, l'amélioration de la situation sociale, l'amélioration du statut des praticiens adjoints contractuels, la revalorisation du statut des urgentistes et la création de trente postes d'urgentistes en 1999, de cent en 2000 et de cent en 2001.
Je souhaite conclure en évoquant le renforcement des moyens en personnel de l'administration sanitaire et sociale, sans m'attarder, parce que Martine Aubry l'a fait ce matin en vous exposant en détail la stratégie qui la guide en la matière.
Monsieur Oudin, l'une des raisons du rejet du budget de la solidarité serait, pour vous, le recours à des agents mis à disposition par des organismes tiers, notamment par des hôpitaux. Vous savez mieux que personne que cette situation n'est pas nouvelle, tout simplement parce que cette administration a connu, jusqu'à notre arrivée, une dégradation de ses moyens humains qui a conduit à ce recours à des formes, il est vrai, irrégulières de recrutement. Cependant, je récuse vivement votre assertion selon laquelle, s'agissant des hôpitaux, on n'est jamais mieux servi que par soi-même, ce qui laisse à penser que ce ministère fait bon marché de la déontologie.
Cette situation est donc installée depuis longtemps, et je ne doute pas que vous l'avez dénoncée auprès des ministres précédents.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Absolument !
M. Jean Chérioux. rapporteur pour avis. Nous, nous savons reconnaître nos erreurs !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je ne sais si vous l'avez fait avec la même force, mais les résultats n'étaient pas concrets.
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. C'est ce que nous déplorions !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. En revanche - et c'est nouveau - nous nous donnons aujourd'hui les moyens d'y remédier.
Vous critiquez les créations d'emplois budgétaires, alors qu'ils constituent le moyen le plus sain de répondre à la charge accrue des services. Or, contrairement à ce que l'on pourrait déduire de votre analyse, la mise en place des agences de sécurité sanitaire n'exonère nullement les services de l'Etat de la gestion des risques sur le terrain.
Quant aux mises à disposition héritées du passé, nous mettons en place dans le budget 2000, et c'est la première fois, un crédit de rémunération de 10 millions de francs destiné à régulariser ces personnels. Il est évident que ce n'est pas suffisant pour cette année, mais c'est un premier pas significatif qui marque bien la détermination de Mme Aubry et de moi-même à poursuivre cet effort dans les budgets à venir. Je pensais que vous pourriez nous en donner acte. Je suis quelque peu déçue, mais je ne désespère pas !
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. C'est un trop petit pas !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Soyez assurés que nous en ferons un autre l'année prochaine !
Comme Martine Aubry, je suis convaincue de la nécessité absolue, pour un ministère qui porte une part essentielle des grands projets du Gouvernement, de veiller à donner les moyens nécessaires à l'administration pour mener à bien ces projets et leur faire produire les effets que chacun en attend.
Les moyens qui conviennent, ce sont des emplois budgétaires en plus. Le Premier ministre en a reconnu la nécessité. C'est ainsi que le projet de budget pour 2000 permet une augmentation nette de 100 emplois, 137 en réel, à raison de 53 en administration centrale et de 84 dans les services déconcentrés, notamment pour renforcer les corps techniques, qui sont les chevilles ouvrières des services en matières d'inspection et d'expertise.
En 2000, seront donc créés vingt et un emplois d'inspecteur des affaires sanitaires et sociales, vingt-deux emplois de médecin inspecteur et huit emplois d'infirmier, dix emplois de pharmacien inspecteur, dix emplois d'ingénieur de génie sanitaire et huit emplois de technicien sanitaire pour la filière santé-environnement.
C'est aussi une meilleure adaptation des emplois aux métiers, par la requalification des emplois, et plus de fluidité.
C'est, enfin, avec 32,2 millions de francs, après les 33,5 millions de francs obtenus l'an dernier, plus de reconnaissance, en termes de rémunération indemnitaire, de la charge de travail supportée et des résultats accomplis.
Ces orientations, simples à dire, difficiles à obtenir, trouvent une traduction forte dans le budget pour 2000. Je sais que beaucoup d'entre vous qui côtoient fréquemment l'administration sanitaire et sociale s'en réjouissent également. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant l'emploi et la solidarité : II. - Santé et solidarité.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 348 539 873 francs. »

M. Jacques Oudin, raporteur spécial. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Tout à l'heure, à la fin de mon exposé, j'ai indiqué que, à l'issue de l'examen de l'ensemble des crédits du ministère de l'emploi et de la solidarité, la commission des finances proposait au Sénat de rejeter lesdits crédits.
Mme le secrétaire vient de me répondre sur les mises à disposition des agents par la sécurité sociale, les caisses ou les hôpitaux au ministère, c'est-à-dire 375 agents. Pourquoi, m'a-t-elle dit, est-ce la première fois que vous posez cette question ? Je tiens à préciser que ce n'est pas la première fois et que je formule cette remarque depuis que je rapporte ce budget. Ces situations me paraissent totalement anormales et irrégulières au regard de la compensation. En effet, vous surdotez les hôpitaux qui transfèrent des postes à votre administration alors que, vous le savez, celle-ci est systématiquement condamnée par les instances qui sont amenées à juger ces litiges.
Par ailleurs, même si vous faites un petit pas en inscrivant 10 millions de francs, l'ensemble du dispositif n'est pas satisfaisant. Le fait qu'un organisme contrôlé mette des personnes à la disposition de l'organisme chargé de le contrôler fausse toute logique du contrôle. Vous n'ignorez pas la déontologie qui prévaut dans l'administration et selon laquelle le fonctionnaire qui contrôle un secteur ne doit pas être détaché dans ce même secteur. Vous, vous faites l'inverse : vous prenez une personne dans le secteur contrôlé pour la mettre dans l'organisme contrôleur.
Si j'avais à rapporter les crédits du ministère de l'industrie, madame le secrétaire d'Etat, je dirais la même chose. En effet, EDF met à la disposition de la direction générale de l'électricité des personnes qui la contrôlent. Je dirais la même chose de l'aviation civile, Air France mettant à disposition de l'administration des personnes qui contrôlent Air France. Au bout du compte, cela aboutit à des situations comme celle qu'a connue le Crédit lyonnais.
Je déposerai bientôt une proposition de loi visant à interdire toute mise à disposition. Ainsi, nous reviendrons à la situation qui prévalait avant 1984. C'est en effet le gouvernement socialiste de l'époque qui a autorisé l'extension des mises à disposition, avec un principe de compensation à titre exceptionnel, et une loi de 1992 a étendu ces facilités. Tout cela n'est pas normal. Comme je rapporte le budget de votre ministère, c'est votre ministère que je critique.
Je vous ai interrogé sur le coût de la régularisation de ces 375 emplois. Vous m'avez répondu : nous avons fait un pas en inscrivant 10 millions de francs. Cela, je le sais.
Ce que je ne sais pas, c'est combien il faudra l'année prochaine pour régulariser l'ensemble des personnels concernés. Et ne me dites pas que c'est impossible : on a vu les centaines de millions de francs qui ont été mis dans d'autres actions. Cela signifie que, à vos yeux, la régularisation n'est pas la priorité. Voilà ce qui nous sépare !
En revanche, vous ne m'avez pas répondu sur d'autres points. Si nombre de mes collègues ont reçu des réponses, tel n'est hélas ! pas mon cas. S'agissant des 4,7 milliards de francs de l'allocation de rentrée scolaire, je n'ai pas reçu de réponse. Sur le milliard du FASTIF, je n'ai pas reçu de réponse.
Quant aux différences d'évaluation du coût de la CMU, je n'ai pas reçu de réponse ou, plutôt, vous avez précisé que 1 400 personnes vont être recrutées. Lorsque nous avions examiné le texte relatif à la CMU, j'avais indiqué que ce dispositif aurait un coût en termes de personnels. Il m'avait alors été répondu que tel ne serait pas le cas. Or, nous le constatons aujourd'hui, il faut recruter 1 400 personnes à ce titre.
Par ailleurs, vous avez dit que le coût du plan de Mme Aubry s'élèvera à 2,7 milliards de francs, qui seront probablement inscrits dans le collectif. Nous en prenons acte. Toutefois, nous constatons que cette annonce intervient après le dépôt de ce texte. Nous espérons que la situation sera régularisée pendant l'examen de celui-ci.
A la fin de mon intervention, j'ai cité les observations de la Cour des comptes qui concernaient plus directement votre ministère. Je vous ai alors demandé de quelle manière vous aviez mis en oeuvre ces observations, qu'il s'agisse de la clarification des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, de la réorganisation des systèmes d'information, de la clarification du partage des responsabilités, des réformes des méthodes comptables pour aboutir à une plus grande fiabilité. C'est le rapport de septembre 1999.
Il s'agit là de quelques exemples parmi les questions que vous ai posées et sur lesquelles je n'ai pas eu de réponse. C'est pourquoi je confirme que la commission des finances propose au Sénat de rejeter l'ensemble des crédits du ministère de l'emploi et de la solidarité.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. La question des mises à disposition et de la compensation nous préoccupe. D'ailleurs, Mme Aubry a saisi le Premier ministre voilà quelques mois sur cette question et nous réfléchissons pour y apporter des solutions durables et définitives. Simplement, je vous interroge, monsieur le rapporteur spécial : où recruter les contrôleurs sinon dans les établissements contrôlés ? En effet, c'est là que l'on trouve les meilleurs spécialistes de la question. Peut-être devrions-nous élaborer des dispositifs empêchant le retour de ces personnels dans leurs corps d'origine, par exemple. Il faut réfléchir autrement qu'en termes de sanctions aussi fortes que celles que vous annoncez. En effet, ceux qui contrôlent les établissements et procèdent aux évaluations doivent être compétents et expérimentés. Toutefois, je le reconnais, la question mérite une réflexion approfondie.
J'en viens à l'allocation de rentrée scolaire et au FASTIF. Depuis deux ans, le budget de la branche famille bénéficie d'un certain nombre de clarifications, afin que ce budget prenne en charge les prestations familiales qui concernent la politique familiale.
En 1999, l'allocation de parent isolé a été reprise par le budget de l'Etat, afin qu'un minima social ne soit pas pris sur le budget de la branche famille. En 2000, c'est le FASTIF qui sera pris en charge par le budget de l'Etat ; il ne sera donc plus à la charge de la branche famille.
En ce qui concerne les 4,7 milliards de francs au titre de l'allocation de rentrée scolaire, il s'agit d'un supplément puisque, dans le budget de la branche famille, la prestation de rentrée scolaire figure déjà à hauteur de près de 400 francs par enfant concerné. Chaque année, une décision intervenait dans le courant de l'été pour l'augmenter - et l'augmenter de manière importante ces trois dernières années - un rectificatif étant porté au collectif budgétaire de l'année en cours.
Il nous a donc paru que cette procédure méritait d'être clarifiée, d'autant que le Premier ministre s'est engagé à ce que l'allocation de rentrée scolaire soit maintenant régulièrement portée à 1 600 francs. Par ailleurs, dorénavant elle sera versée y compris aux familles avec un seul enfant. En outre, certains, dont je suis - et dont j'étais lorsque je rapportais ce projet de budget - considéraient que cette allocation devrait être modulée en fonction de l'âge et des coûts réels de scolarité de l'enfant.
Il était donc nécessaire que l'allocation de rentrée scolaire devienne une véritable prestation familiale. Nous nous sommes engagés dans cette voie en prévoyant une compensation du budget de l'Etat au budget de la famille à hauteur de la prise en charge du FASTIF et de la récupération de l'excédent de recettes de la branche famille. Nous poursuivrons en ce sens dans les années à venir afin que l'allocation de rentrée scolaire devienne une prestation familiale inscrite dans le budget de la branche famille.
Concernant les 1 400 personnes recrutées par la CNAM pour faire face au surcroît d'activités lié à la mise en oeuvre de la CMU, cela va effectivement avoir un coût. Toutefois, un problème de calendrier se pose dans cette opération. Normalement, l'informatisation et la carte Vitale auraient dû intervenir au début de l'année 2000, ce qui aurait permis aux caisses primaires d'assurance maladie de réaliser des gains de productivité et de faire des économies en termes de fonctionnement.
Cela n'a pas été possible pour des raisons diverses, mais interviendra avec un certain décalage. Cette autorisation de créations de poste est donc une anticipation, qui pourra être récupérée ensuite par les caisses d'assurance maladie en fonction des gains de productivité qu'elles pourront faire dans la mise en oeuvre de l'informatisation et de la réorganisation du travail et par le départ à la retraite d'un certain nombre de fonctionnaires. Par conséquent, nous verrons dans la durée comment cette gestion de personnel sera absorbée par le budget concerné.
Voilà ce que je pouvais vous répondre s'agissant des questions que vous m'aviez posées et auxquelles je n'avais pas répondu.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président. « Titre IV : 10 222 434 346 francs. »

Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)

ÉTAT C

M. le président. « Titre V. - Autorisations de programme : 96 000 000 francs ;
« Crédits de paiement : 46 800 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement figurant au titre V.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président. « Titre VI. - Autorisations de programme : 452 160 000 francs ;
« Crédits de paiement : 113 660 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement figurant au titre VI. »

(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président. J'appelle en discussion l'article 70 bis , qui est rattaché pour son examen aux crédits affectés à la santé et à la solidarité.

Article 70 bis



M. le président.
« Art. 70 bis . - Le Gouvernement présente chaque année, en annexe à la loi de finances, un état retraçant les crédits qui concourent aux actions en faveur des droits des femmes. »
Sur l'article, la parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Cet article 70 bis est un état qui doit retracer les crédits en faveur des droits de la femme.
A l'Assemblée nationale, lors de la discussion des crédits de budget de la santé et de la solidarité, Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits de la femme et à la formation professionnelle, a émis le voeu que : « l'an prochain, un "jaune" budgétaire puisse présenter l'ensemble des crédits » relatifs aux droits de la femme. Répondant sur le champ au souhait de Mme le secrétaire d'Etat, le rapporteur spécial des crédits de la santé, notre collègue Gilbert Mitterrand, a déposé un amendement visant à insérer un article additionnel ainsi rédigé : « Le Gouvernement présente chaque année, en annexe du projet de loi de finances, un état retraçant les crédits qui concourent aux actions en faveur du droit des femmes. »
Sur le fond, je n'émets aucune objection. Cependant, je m'interroge sur la méthode employée, qui est curieuse. En effet, le Gouvernement a besoin d'un amendement parlementaire pour assurer une information qu'il n'aurait tenu qu'à lui de fournir à la représentation nationale sans qu'il ait été besoin de créer un « jaune » supplémentaire.
Je ne m'interroge pas non plus sur le caractère catégoriel de ce type de document. En dépit de tout le respect qui leur est dû, les femmes constitueraient ainsi un public particulier bénéficiant d'un document budgétaire particulier. On pourrait imaginer un « jaune » pour la toxicomanie, le cancer, le tabac, le sida, l'alcool, les handicapés, les personnes âgées, etc.
Avec ce dispositif et ce type de présentation budgétaire, à quoi arriverons-nous ? En l'occurrence, je me réfère à la mémoire de ceux qui sont sénateurs depuis de nombreuses années. Voilà quelque vingt ans, dans le cadre de l'élaboration des documents et des débats budgétaires, nous préparions ce que l'on appelait un « blanc » qui visait à retracer l'ensemble des crédits de chaque ministère en fonction des actions, et non des titres. Les actions étaient déterminées en fonction des cibles que le ministère cherchait à atteindre et derrière chaque action il y avait le recensement de tous les crédits, les indices de performance, l'analyse des objectifs et des cheminements utilisés pour atteindre ces objectifs.
Ces « blancs » budgétaires, ce que l'on appelait à l'époque « la rationalisation des choix budgétaires », la RCB, ont été peu à peu abandonnés. On les voit maintenant réapparaître cible après cible, sous la forme de « jaunes » budgétaires. En termes de méthode de présentation de la loi de finances, il est, bien entendu, intéressant qu'un « jaune » récapitule certains crédits, mais il n'y a pas de raison que l'ensemble des crédits du ministère ne soient pas récapitulés et étudiés de cette façon, qui permet d'apporter des informations claires aux parlementaires. Chacun sait en effet que rien n'est plus illisible qu'un « bleu » budgétaire.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je suis favorable à votre proposition, monsieur le rapporteur spécial, mais permettez-moi un trait d'humour : je n'entrerai pas dans votre logique, qui tendrait à donner à penser que les femmes sont des fléaux ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) Les femmes sont des hommes comme les autres. (Sourires.)
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. J'ai dit qu'elles avaient droit au respect !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. En effet, mais vous avez dit que nous aurions bientôt un « jaune » sur la toxicomanie, etc.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. En suivant la logique de la procédure !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Précisément, mais permettez-moi de poursuivre mon raisonnement.
La logique de la procédure me conduit à vous dire qu'il n'est pas inutile, à un moment où le débat public a porté une attention particulière à la place des femmes dans notre société, de savoir comment elles sont traitées dans le budget de l'Etat.
M. le président. Nous aimons bien les femmes, et nous les voulons en bonne santé. A cet égard, vous venez de nous faire la démonstration, madame le secrétaire d'Etat, qu'il est possible de parler plus d'une heure devant la Haute Assemblée ! (Sourires.)
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 70 bis.

(L'article 70 bis est adopté.)
M. le président. Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant la santé et la solidarité.

ÉDUCATION NATIONALE, RECHERCHE
ET TECHNOLOGIE

II. - ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : II. - Enseignement supérieur.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est donc la cinquième fois que j'ai l'honneur de rapporter les crédits de ce ministère pour l'enseignement supérieur.
Ce projet de budget pour 2000 est placé sous le signe de l'adaptation de l'enseignement supérieur aux problèmes du troisième millénaire. C'est en partant de ce même point de vue que je m'efforcerai, au nom de la commission des finances, de présenter un certain nombre d'appréciations et d'observations.
Tout d'abord, présentons très rapidement ce projet de budget : il est en croissance, et il affirme très nettement les trois priorités essentielles que vous avez définies, monsieur le ministre, pour la politique de l'enseignement supérieur.
Les crédits inscrits à ce projet de budget atteignent 52,462 milliards de francs, soit une progression de 2,63 % par rapport à l'année précédente, les crédits de personnel augmentant pour leur part de 4,55 %. L'ampleur de l'effort financier de la collectivité nationale sera mieux mis en lumière si l'on tient compte des crédits alloués à l'enseignement supérieur dispersés dans les budgets des autres ministères. A cette fin, je présente de manière un peu plus approfondie que les années précédentes, dans mon rapport, le projet de budget coordonné de l'enseignement supérieur.
On a dénombré, lors de la dernière rentrée, 20 000 étudiants de moins qu'en 1998, pour un effectif total de 1 530 000. C'est la troisième année consécutive que l'on enregistre une baisse de celui-ci.
Quant aux personnels, ils sont au nombre de 138 772, dont 81 000 emplois d'enseignant-chercheur. Cette année encore, le projet de budget est marqué par une croissance importante des effectifs, puisque sont créés 800 postes d'enseignant-chercheur, auxquels il convient d'ajouter 400 postes libérés par le financement sur le chapitre 31-96 du recrutement des ATER, les attachés temporaires d'enseignement et de recherche, et 500 postes d'IATOS - ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service.
Cette présentation extrêmement succincte de votre projet de budget fait apparaître, monsieur le ministre, trois priorités que vous affirmez souvent et qui, d'ailleurs, recueillent notre accord.
La première concerne le plan social étudiant. A cet égard, les crédits pour 2000 traduisent véritablement le franchissement d'une étape supplémentaire et importante dans sa mise en place. Nous approuvons les orientations de ce plan social étudiant, qui, sans tomber dans les excès et la rigidité d'un éventuel statut de l'étudiant, visent à améliorer la situation de celui-ci en termes d'aides directes et indirectes, de logement, de transport et de restauration. Il apportera aussi un perfectionnement du système d'attribution des bourses, tout en maintenant les mécanismes de l'aide personnalisée au logement, l'APL, ou de l'allocation de logement sociale, l'ALS, qui visent à permettre aux étudiants de se loger dans des conditions plus satisfaisantes. Au total, l'ensemble de l'action sociale en faveur des étudiants représente 9,6 % des crédits, soit une progression de 8 %, chiffre tout à fait significatif.
En ce qui concerne les bourses, 36 000 étudiants en bénéficient, et les crédits qui leur sont affectés augmentent de plus de 677 millions de francs. L'objectif de faire profiter 30 % des étudiants d'un soutien financier devrait donc être atteint dans les prochaines années.
En résumé, les orientations du plan social étudiant sont tout à fait cohérentes et leur mise en oeuvre se poursuit avec détermination.
De même s'amorce - et c'est la deuxième priorité - la mise en place du programme dit « U3M », « Université du troisième millénaire ». Les premières tranches de crédits sont disponibles, et l'accent est mis sur le qualitatif, mais aussi sur l'indispensable sécurité des universités et des structures d'accueil des étudiants. Nous assistons donc, avant même que la négociation soit terminée - je reviendrai d'ailleurs sur ce point - aux premières étapes de l'application du programme « Université du troisième millénaire ».
La troisième priorité touche au renforcement de l'encadrement pédagogique et de la recherche, qui résulte de l'effet conjugué de la baisse des effectifs de l'enseignement supérieur et de l'effort, poursuivi depuis plusieurs années maintenant, de renforcement des effectifs d'enseignants et de chercheurs.
En conclusion, ce projet de budget fait l'objet de développements beaucoup plus importants dans le rapport écrit de la commission des finances, mais il me semblait nécessaire de résumer devant vous, mes chers collègues, les principaux points abordés dans celui-ci.
Je voudrais maintenant, monsieur le ministre, vous faire part d'un certain nombre d'observations sur quelques problèmes majeurs nous conduisant à nous interroger sur la capacité d'adaptation au troisième millénaire de l'appareil de formation et de recherche français.
Ma première observation portera sur les structures pédagogiques.
Une nouvelle fois, - c'était déjà le cas l'an dernier - nous nous trouvons un peu désorientés, si j'ose dire, et nous nous demandons où en est exactement la mise en oeuvre des différentes réformes engagées.
S'agissant tout d'abord du premier cycle, l'application des dispositions prévues par l'arrêté de 1997, notamment la semestrialité et la phase d'observation et de réorientation, sera-t-elle poursuivie et généralisée ? Quels sont vos projets concernant ce premier cycle ? En effet, le taux d'échec en premier cycle continue de nous inspirer une vive inquiétude, d'autant que des statistiques montrent que, par exemple, la proportion de bacheliers scientifiques est en régression, ce qui laisse augurer une évolution difficile des premiers cycles de l'enseignement supérieur au cours de la décennie à venir.
Par ailleurs, nous approuvons la mise en place de la licence professionnelle, mais sera-t-elle étendue à l'ensemble du territoire français ?
En ce qui concerne enfin le statut des grandes écoles et leurs relations avec les universités, nous ne savons toujours pas précisément - j'avais déjà soulevé cette question les années précédentes - quels sont les objectifs visés. A-t-on renoncé à procéder à une réforme ? Nous aimerions obtenir des éclaircissements sur ce point, monsieur le ministre, à l'occasion de ce débat budgétaire.
Ma deuxième observation concerne la mise en place du programme « Université du troisième millénaire ».
On pourrait bien évidemment nous objecter que la conception générale de ce plan a été arrêtée et que les objectifs ont été définis, mais que les projets doivent maintenant être intégrés à la négociation, région par région, des contrats de plan « enseignement et recherche », et qu'il est donc trop tôt pour débattre des orientations, des montants financiers ou des questions de localisation géographique ou de ventilation entre les diverses disciplines. Nous nous attendons à cette réponse, et c'est pourquoi la commission des finances a souhaité vous mettre en garde, monsieur le ministre, non pas contre l'idée que, pour les sept ans à venir, soit la durée du plan, l'accent doit être mis sur l'aspect qualitatif - chacun le comprend bien - mais contre un certain nombre de difficultés que vous risquez de rencontrer.
Tout d'abord, s'agissant de la négociation avec les régions, il est certain que les crédits importants affectés à la sécurité motivent beaucoup moins celles-ci que les crédits alloués à l'extension ou à la création des universités.
Par ailleurs, vous n'avez toujours pas réglé le problème de l'assujettissement à la TVA des fonds de concours apportés par les différentes collectivités locales. J'avais déjà soulevé cette question les années précédentes, mais c'est toujours la même circulaire qui s'applique, et cela risque de dissuader les collectivités locales de contribuer à la réalisation des projets.
En résumé, j'y insiste, il nous apparaît que des difficultés pourraient surgir dans les négociations avec les régions à propos de la conception des projets retenus et de leur mode de financement dans l'optique du plan U3M.
Ma troisième observation touche à la restructuration du site de Jussieu.
A ce propos, à chaque fois qu'une enquête est menée, le calendrier change, les coûts sont réévalués, et jamais dans le sens d'une réduction. Selon le rapport qui nous a été présenté par votre ministère, il semble que l'ensemble de cette restructuration durerait jusqu'en 2003 et que son coût s'élèverait à environ 3,87 milliards de francs. Or, ayant lu par ailleurs que ce coût atteindrait plutôt 5 milliards de francs, nous aimerions avoir la certitude que cette opération ne perturbera pas la mise en oeuvre du plan U3M. (M. le ministre acquiesce.)
Monsieur le ministre, vous semblez me signifier que ce ne sera pas le cas, et que la restructuration de Jussieu fera l'objet d'un financement particulier. Je m'en réjouis, car les choses seront donc claires, à moins que l'enveloppe des crédits destinés à financer le plan U3M n'ait été amputée par avance, alors qu'il est nécessaire, compte tenu du passé, qu'un effort soit consenti dans l'optique de celui-ci pour la requalification des universités de la région d'Ile-de-France.
A plusieurs reprises, devant la commission et ici même, devant la Haute Assemblée, vous avez indiqué que les modalités de l'opération de Jussieu ne pouvaient pas être complètement cernées, que le Gouvernement avait la volonté de mener à bien cette restructuration, mais que, tant qu'on ne pouvait pas mesurer précisément l'incidence d'un éventuel transfert partiel sur Tolbiac de certaines unités, on ne pouvait fixer de manière ferme ni le calendrier ni les coûts.
Qu'en est-il aujourd'hui, en cette fin d'année 1999, de l'opération de restructuration de Jussieu ?
Notre quatrième observation porte sur les bibliothèques universitaires, sur lesquelles, à la demande du Sénat, nous avons réalisé une mission spécifique. Je dois d'ailleurs dire que nous avons été très bien accueillis par vos collaborateurs, ainsi que par l'ensemble desdites bibliothèques.
Nous avons formulé un certain nombre de remarques, de demandes, de souhaits concernant le renforcement des capacités d'accueil des bibliothèques universitaires, la mise en place du système universitaire de documentation, le recours aux technologies nouvelles, l'extension des horaires d'ouverture, la bonne relation entre les bibliothèques universitaires et les bibliothèques locales, l'augmentation en nombre des personnels et l'amélioration de leur formation.
Pour le dire très franchement, comme nous l'avons ressenti, notre rapport n'a pas trouvé beaucoup d'écho auprès du ministre et de ses services. Est-il tombé aux oubliettes ou des conséquences positives en seront-elles tirées ?
Nous avons observé que, dans le budget pour 2000, 15 millions de francs supplémentaires étaient affectés aux bibliothèques universitaires et 80 postes nouveaux étaient créés. C'est bien, mais nous avons quelque peu le sentiment que ce n'est pas tout à fait à la hauteur des nécessités de la modernisation.
Le système de documentation, qui - ce n'est pas à vous que nous l'apprendrons ! - est un élément essentiel de la pédagogie et de la recherche, n'est pas suffisamment mis en valeur.
De la même façon, nous nous interrogeons sur la place des bibliothèques universitaires dans le prochain plan « Université du 3e millénaire ». Nous nous étions dit que les crédits qui devaient être affectés aux bibliothèques universitaires pendant toute la période de ce plan devraient être de l'ordre de 10 %. Qu'en est-il ?
Nous nous inquiétons véritablement, car nous avons constaté un retard important de nos universités sur les universités étrangères en matière de politique documentaire. C'est l'un de leurs handicaps et ce sera l'une de leurs difficultés, demain, à s'adapter aux nécessités du troisième millénaire.
Notre dernière observation porte sur la rationalisa-tion de la gestion des crédits que nous souhaitons voir engagée.
Une fois encore, nous sommes dans une année de croissance des crédits et, favorable que nous sommes au développement de l'enseignement supérieur et à l'amélioration de sa qualité, nous pourrions tout naturellement nous dire que, au fond, la solution, c'est toujours plus de crédits. Eh bien, ce n'est pas ce que nous disons, ce n'est pas ce que dit aujourd'hui la commission des finances.
A nos yeux, il est indispensable de poursuivre un important effort de rationalisation de la gestion des crédits, c'est-à-dire d'entreprendre des efforts d'économie, de redéploiement du personnel, de négociation avec l'ensemble des universités, dans des mécanismes respectant leur autonomie, dans des mécanismes de contractualisation, par exemple pour améliorer la gestion des heures supplémentaires, sujet dont nous ne débattrons certainement pas cette année, mais qui était tout de même une entreprise importante et difficile.
Alors que les effectifs d'étudiants baissent et que toutes les perspectives sur les dix années à venir montrent qu'il continuera à en aller ainsi, il convient aujourd'hui, après un effort de renforcement de l'encadrement, d'entreprendre un effort supplémentaire de rationalisation de la gestion des crédits.
Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, les analyses qui ont été faites par la commission des finances et par son rapporteur spécial. C'est au vu de ces analyses qu'ils sont conduits à vous proposer le rejet des crédits du ministère de l'éducation nationale pour la section de l'enseignement supérieur. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Avec 52,4 milliards de francs de crédits prévus pour 2000, l'enseignement supérieur apparaît, cette année encore, monsieur le ministre, comme le parent pauvre de votre très vaste département ministériel.
Cette pauvreté résulte moins de la progression des crédits, que M. Lachenaud a évoquée, et qui atteint 2,6 %, que de l'absence de transfert budgétaire entre l'enseignement scolaire, qui, lui, bénéficie d'une rente démographique, et l'enseignement supérieur, qui doit aujourd'hui impérativement réussir sa démocratisation sur le plan qualitatif.
Plus que l'évolution des crédits, c'est l'absence d'un grand projet mobilisateur qui a retenu notre attention : l'ouverture modeste à l'international, l'alignement des diplômes sur le modèle européen, la modernisation de nos campus, la formation continue, les bourses de mérite supplémentaires, etc., ne peuvent être interprétés comme un projet cohérent et ambitieux pour l'enseignement supérieur.
Au-delà de ce manque de souffle, trop peu d'initiatives ont par ailleurs été engagées pour lutter contre l'échec en premier cycle, qui a été évoqué, pour remédier à la mauvaise orientation des étudiants - je vais y revenir - et à l'inadaptation de trop nombreuses formations et pour conserver à la recherche universitaire son rôle essentiel.
La progression des crédits est la plus faible depuis 1995 et doit être rapportée à l'augmentation de 3,4 % des moyens de l'enseignement scolaire. Cette faible progression se répercute automatiquement sur les emplois qui seront créés en 2000 : 1 200 enseignants chercheurs, au lieu de 1 500 en 1999 ; 500 emplois IATOS, ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service, contre 800 en 1999, dont 80 pour les bibliothèques, ainsi que l'a souligné M. le rapporteur spécial, contre 150 en 1999. Trop de bibliothèques universitaires sont aujourd'hui littéralement sinistrées.
Cette évolution des crédits budgétaires intervient alors que s'amorce une baisse non négligeable des effectifs étudiants.
Lors de la dernière rentrée, notre système universitaire a accueilli quelque 2 100 000 étudiants, soit 13 000 de moins qu'en 1998. On a cependant observé une certaine progression des effectifs dans les filières sélectives, ce dont il convient de se féliciter. Cette décrue démographique devrait s'accélérer à moyen terme.
Plus préoccupantes apparaissent, pour la commission, les inscriptions massives en STAPS, sciences et techniques des activités physiques et sportives, au nombre de 38 000 à la rentrée de 1999, étant rappelé que le professorat d'éducation physique n'offre qu'un millier de postes chaque année. 38 000 inscriptions pour un millier de postes ! Un élargissement des débouchés de la filière sportive s'impose à l'évidence. Mais ne vaudrait-il pas mieux réguler en amont ?
S'agissant des disciplines scientifiques, qui nous sont familières, monsieur le ministre, la désaffection des bacheliers à l'égard des diplômes d'études universitaires générales, les DEUG, se traduit depuis deux ans par une baisse de 10 000 étudiants. Une rénovation de ces DEUG a été expérimentée, l'an dernier, dans six universités. Ces efforts sont, à mon sens, insuffisants et une réflexion plus large sur l'avenir de la filière scientifique s'impose à l'évidence.
Je voudrais, ensuite, souligner la portée limitée de certaines des réformes que vous avez engagées.
Votre souci de développer le rôle international de l'enseignement supérieur est évidemment légitime, et on ne peut qu'y être favorable. L'agence Edufrance, quis'appuie déjà sur un réseau de quatre-vingts établissements, a notamment signé un protocole de coopération destiné à accueillir plusieurs milliers d'étudiants chinois pour les trois ans à venir, mais ses moyens, tant en personnels qu'en crédits de fonctionnement, ne sont pas à la hauteur de ses ambitions.
Vous rentrez d'un important voyage en Inde, monsieur le ministre : quels moyens nouveaux entendez-vous donner à l'agence Edufrance ?
D'une manière plus générale, on peut constater que la France perd du terrain sur le marché de l'accueil des étudiants étrangers : ils constituaient 8,5 % de la population des universités françaises en 1998, contre 13 % en 1985.
Afin de remédier à cette situation, un rapport d'information de l'Assemblée nationale propose d'accroître l'autonomie des universités en ce domaine. Ce rapport préconise également une mesure, à mon sens discutable, qui conduirait à ne plus considérer une bonne maîtrise de la langue française comme un préalable à la poursuite d'études dans notre pays.
Je crois qu'il convient aussi de relativiser la réalité de ce marché mondial de l'enseignement supérieur que vous vous plaisez à souligner, monsieur le ministre, même si les universités anglo-saxonnes s'installent désormais dans certains pays européens, comme l'Italie, la Grèce et, éventuellement, la France.
La réalité montre que la mobilité étudiante internationale est davantage déterminée par les accords entre établissements et les affinités culturelles et historiques que par une comparaison entre les offres universitaires, selon les règles strictes du marché. Il conviendrait sans doute que nos universités soient plus autonomes pour proposer des offres de formations spécifiques qui seraient évaluées par des organismes indépendants et internationaux. Nous en sommes encore loin.
S'agissant de la mise en place d'un espace universitaire européen, celui-ci doit se traduire par une architecture commune pour les formations et les diplômes, fondée sur deux cursus, avant et après la licence, le second cursus devant conduire au mastère et au doctorat.
Le mastère a enfin vu le jour et ses modalités ont été précisées par le décret du 30 août 1999 : ce grade sera conféré à tout titulaire d'un diplôme européen ou français faisant l'objet d'une habilitation à bac + 5.
Dans le même temps, il nous faut constater que le rapprochement des grandes écoles et de l'Université, prôné par le rapport Attali, devient une réalité ; des synergies s'établissent d'ores et déjà en matière de recherche. Les grandes écoles, qui contrairement à des idées reçues font de la recherche, et depuis longtemps, se rapprochent des laboratoires universitaires.
Des regroupements entre grandes écoles et universités sont ainsi intervenus à Tours, Nantes, Belfort, mais aussi à Bordeaux, ce dont il convient de se féliciter.
Cette volonté de rapprochement se retrouve au niveau du recrutement des grandes écoles, qui tend désormais à se diversifier en première année ou au cours de la scolarité : aujourd'hui, 52 % des ingénieurs ne sont plus issus des classes préparatoires.
La professionnalisation des cursus universitaires constitue par ailleurs une priorité pour notre enseignement supérieur ; elle a suscité de nombreuses initiatives, dans le passé, dans quelques universités.
A cet égard, il convient de saluer la naissance de la nouvelle licence professionnelle, qui répond aux objectifs du cursus pré-licence.
Cette licence s'adresse aux titulaires de DEUG, de brevet de technicien supérieur, BTS, ou de diplôme universitaire de technologie, DUT, se destinant à une insertion professionnelle relativement rapide et sera définie en liaison avec les milieux professionnels. Des incertitudes subsistent cependant, monsieur le ministre, sur une éventuelle sélection à l'entrée, compte tenu des débouchés professionnels nécessairement limités, sur les moyens qui seront consacrés à ce nouveau diplôme, sur sa vocation, sur la répartition des enseignements théoriques et pratiques. Pourriez-vous, monsieur le ministre, éclairer le Sénat sur tous ces points ?
L'avenir de la filière technologique, et notamment des instituts universitaires de technologie, les IUT, apparaît, en revanche, moins clair.
La commission est attentive aux inquiétudes exprimées par les directeurs d'IUT : une menace pèserait - ce n'est pas nouveau - sur leur autonomie au sein des universités, la réduction du volume des heures complémentaires - c'est plus grave - est de nature à porter atteinte à l'ancadrement des élèves et des incertitudes subsistent sur le rôle des instituts dans la délivrance des nouvelles licences professionnelles et sur leur articulation avec les nouveaux cursus européens.
La commission tient à rappeler son attachement aux IUT, qui ont fait la preuve de leur efficacité et de leur caractère démocratique, en dépit d'une sélection parfois critiquée. Les IUT ont su mêler la tradition et un enseignement appliqué ; ils jouent par ailleurs un rôle capital dans l'aménagement du territoire. Les sénateurs y sont tout particulièrement attachés.
Pour en terminer avec ce « volet professionnalisant », je voudrais souligner que l'université n'a pas encore accordé la part qui revient à la formation continue diplômante : force est de constater que l'université est bien loin de bénéficier de la manne financière supposée de la formation continue.
J'aborderai, en dernier lieu, le plan social étudiant et le programme U3M. Comme nous l'avons déjà constaté l'an dernier, le plan social étudiant a une portée modeste : revaloriser les taux des bourses de 15 % en quatre ans et étendre ces aides à 30 % des étudiants.
La rentrée de 1999 a vu la création d'une bourse de premier cycle destinée à remédier aux situations de perte brutale de bourse sur critères sociaux. Par ailleurs, 200 bourses supplémentaires de mérite seront attribuées : leur montant sera majoré de 5 francs pour faciliter, semble-t-il, le paiement par trimestre ou par mois. Je n'aurai pas le mauvais esprit de commenter une telle majoration...
Je rappellerai que 410 000 étudiants bénéficiaient d'une bourse lors de la précedente année universitaire et qu'un peu plus de 7 milliards de francs étaient consacrés au paiement de ces bourses ; 677 millions de francs s'y ajouteront à la rentrée 2000.
Sur un plan plus général, la commission des affaires culturelles regrette qu'aucune réflexion n'ait été engagée pour réduire la part trop importante des aides indirectes accordées aux étudiants sans conditions de ressources, et pour définir un statut spécifique aux étudiants, permettant à ces derniers de choisir une formule d'autonomie.
Il nous faut enfin évoquer le plan U3M. Ce plan doit prolonger le schéma Université 2000 ; il s'inscrit dans un contexte de baisse démographique et dans une approche plus qualitative.
Cela étant, je fais miennes les observations qui ont été présentées par M. le rapporteur spécial. Je ne rappellerai que les grandes lignes du plan U3M : création de départements d'IUT sur des sites existants, mise en place de 70 plates-formes technologiques, rattrapage des retards de constructions universitaires, développement d'un volet « vie étudiante », déconcentration des grands établissements, implantation de six nouvelles universités de technologie, accueil d'étudiants étrangers, effort particulier - qui a été souligné - en faveur de l'Ile-de-France et de Paris-Centre.
Sur ce dernier point, il convient de rappeler que le désamiantage du campus de Jussieu - nous en avons déjà parlé et nous savons l'un et l'autre quelles sont nos positions sur ce sujet - a été évalué à 3,8 milliards de francs, et que le projet de loi de finances pour 2000 prévoit 600 millions de francs pour assurer la montée en charge de ce chantier coûteux.
La commission des affaires culturelles insiste surtout sur le coût incertain du plan U3M et sur le nouvel appel qui sera fait aux collectivités locales pour son financement : d'après le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire de juillet 1999, la part de l'Etat pour l'exécution du volet enseignement supérieur et recherche des prochains contrats de Plan serait de 15 milliards de francs, ce chiffrage devant être affiné après négociation avec les régions.
Selon certaines indications, le coût du plan U3M pourrait représenter plus de 38 milliards de francs, dont 14 milliards de francs pour l'Etat au titre de sa part dans les contrats de plan.
Vous serait-il possible, monsieur le ministre - c'est une demande qui émane de l'ensemble des groupes représentés au sein de la commission des affaires culturelles - d'apporter des précisions sur le coût de ce programme et sur la contribution totale et détaillée qui sera demandée aux régions, celles-ci n'ayant guère de liberté pour remettre en cause les priorités d'U3M ?
Pourriez-vous également fournir des indications sur les orientations du plan U3M, à la suite de la publication du rapport d'étape de son comité stratégique ? Ces orientations sont à l'évidence susceptibles d'avoir des incidences sur le rôle des premiers cycles et sur le maillage universitaire du territoire, questions auxquelles la commission des affaires culturelles accorde un intérêt tout particulier.
Sous réserve de ces observations, la commission des affaires culturelles, au nom de laquelle je m'exprime, compte tenu de la modestie des moyens annoncés, de l'absence de transfert interne au sein de ce budget et d'une définition insuffisante des objectifs, a donné un avis défavorable à l'adoption des crédits de l'enseignement supérieur pour 2000.
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 18 minutes ;
Groupe socialiste : 16 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 14 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 12 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 11 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth. Monsieur le ministre, mon propos sera bref mais précis. Ainsi que vous ne pouvez l'ignorer, le Parlement - c'est-à-dire l'Assemblée nationale et le Sénat - a voté à l'unanimité, ce qui est assez rare par les temps qui courent, deux lois : la première concernait la prise en charge de la douleur, la seconde, les soins palliatifs et la fin de vie.
Je commencerai par la première. Il fallait changer les mentalités puisque, comme vous le savez, la douleur s'était banalisée dans notre pays. Il était habituel de dire à un homme qui souffrait : « Mon pauvre monsieur, vous souffrez, mais c'est normal de souffrir avec ce que vous avez ». A partir du moment où l'on avait prononcé ces mots fatals - « c'est normal de souffir » - on laissait souffrir.
Aujourd'hui, après l'adoption de cette loi de progrès, la douleur est prise en charge. Mais la formation des médecins est essentielle dans ce domaine et votre prédécesseur avait décidé de créer, dans le cadre d'une formation continue - ce qui est une bonne chose en matière médicale - deux séminaires obligatoires concernant la formation à la douleur et - suite normale - les soins palliatifs.
Or nous nous sommes très rapidement rendu compte que la mise en place de ces séminaires obligatoires prenait énormément de temps et que cette formation n'était pas dispensée dans toutes les UER de médecine.
En outre, cette situation s'est accompagnée d'un autre phénomène : l'attitude du corps médical face à la morphine. De peur qu'un brave homme ou une brave femme susceptible de décéder dans les deux ou trois mois ne devienne toxicomane avant son décès, on ne lui administrait pas de morphine !
Mais l'on s'est rendu compte, à la lumière de ce qui se fait dans les pays étrangers et des sondages réalisés à la demande de la commission, que c'était une absurdité. Les morphiniques ont donc de nouveau été utilisés pour empêcher les gens de souffrir. En conséquence, les études médicales s'agissant de la prise en charge de la douleur ont été modifiées en ce sens.
En juin dernier, un autre projet de loi a été adopté, qui visait à rendre possible l'accès aux soins palliatifs pour tout malade.
Là encore, nous nous sommes heurtés à des mentalités quelque peu figées et une formation spécifique des médecins s'imposait. Ce n'est pas à vous, monsieur le ministre, que j'expliquerai que, dans nos mentalités occidentales, la mort est considérée comme un concept que l'on repousse, et dont ne ne parle pas ; surtout, un certain nombre de médecins estimaient que la mort était leur échec personnel.
Nous souhaitons donc, monsieur le ministre - et les associations et le corps médical qui se préoccupent de ces problèmes sont unanimes sur ce point - que, compte tenu de la nécessité des soins palliatifs et d'un accompagnement de la fin de la vie avec prise en charge de la douleur, ce qui, dans une société telle que la nôtre, est tout à fait légitime, vous veilliez vraiment par vous-même - nous savons que vous ne manquez pas d'autorité ! - à ce qu'un enseignement spécifique soit dispensé dans nos UER de médecine en application de ces deux lois que j'ai rappelées.
En effet, il nous est apparu que la mise en place de ces enseignements se faisait avec une ardeur que je ne qualifierai pas de dynamique. Nous comptons donc sur vous, monsieur le ministre, pour accompagner la mise en oeuvre de ces deux lois adoptées à l'unanimité par le Parlement. (M. Louis Boyer applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen du projet de budget de l'enseignement supérieur se déroule cette année dans un contexte fort différent de celui des années précédentes, marqué en particulier par une diminution du nombre d'inscrits dans les disciplines scientifiques dites « lourdes ».
Ce phénomène est encore limité mais il nous faut en connaître les causes, afin d'en tirer un certain nombre d'enseignements pour les décisions à prendre dans les années à venir.
C'est dans ce contexte que le budget progresse, mais moins qu'en 1998 et en 1999.
L'enseignement supérieur, comme l'enseignement scolaire, ne bénéficie pas, à hauteur de ses besoins, des bénéfices de la croissance enregistrée cette année.
En dépit des efforts réalisés par la majorité plurielle et par votre ministère concernant l'aide aux étudiants, la sélection sociale reste une réalité de l'université.
Le montant des bourses augmente de 677 millions de francs ; le taux des aides est également revu à la hausse.
Pour autant, nous sommes encore loin de la pleine application du plan social étudiant.
De trop nombreuses universités pratiquent pour les étudiants non boursiers des droits d'inscription, voire des frais annexes à ces droits d'un montant exorbitant. C'est là une manière pour elles de pallier leur manque de trésorerie. Je pense que, partout où tel est le cas, le ministère se doit d'intervenir.
Je note par ailleurs que le droit au logement des étudiants se heurte, dans certaines régions, à des difficultés insurmontables. En région parisienne, le coût de la construction au mètre carré empêche la réalisation de logements neufs. Paris est la « lanterne rouge » en matière de capacités d'accueil en logement étudiant avec 2 000 chambres pour 330 000 inscrits.
La part allouée au logement dans le projet de budget croît de 2,4 %. Comment penser que cette augmentation sera de nature à combler les retards pris ?
La santé des étudiants est un autre dossier important et inquiétant que j'aborde chaque fois que l'occasion m'en est donnée. Cette année encore, aucune mesure budgétaire, à l'exception de la création de quelque vingt postes d'infirmères, ne prend en compte ce problème, qui reste pourtant un enjeu de santé publique pour notre jeunesse sur laquelle devraient porter par définition en priorité les efforts de prévention.
Dans un appel récent, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche déclarait : « Le budget donne la priorité à l'amélioration du cadre de vie et du travail des étudiants qui exige aussi un effort national de rénovation-modernisation des établissements. »
La période de moindre flux des étudiants ne devrait-elle par être l'occasion pour nous, l'urgence passée, d'engager une réflexion sur la qualité de notre enseignement supérieur au rang de laquelle je range cette rénovation des établissements ?
Le plan U3M se veut ambitieux ; pour autant, la capacité des conseil régionaux à le financer reste déterminante. L'Etat prévoit une intervention de l'ordre de 14 milliards de francs pour la réalisation de ce plan qui devrait couvrir les années 2000-2006 ; cette année, 4 milliards de francs sont inscrits. C'est bien, mais cela ne répond néanmoins que partiellement aux besoins de financement des régions pour U3M, évalués à plus de 40 milliards de francs.
Les retards pris d'ores et déjà par certaines d'entre elles ne risquent-ils pas de s'accumuler ? Quelle sera la nature de l'intervention de l'Etat afin d'assurer, en matière d'équipements universitaires, une égalité de traitement sur l'ensemble de notre territoire ?
Au-delà des nouveaux équipements eux-mêmes, il convient de tout mettre en oeuvre pour assurer, dans les structures existantes, un meilleur accueil des étudiants.
Cette préoccupation, je le sais, est aussi la vôtre, monsieur le ministre, comme en témoigne l'augmentation de 20 % des budgets de maintenance des équipements universitaires. Il nous faut faire vite. Bien souvent, l'aspect de nos universités, leur mauvais entretien contribuent à ces sentiments à la fois de lassitude, mais aussi de manque de considération que peuvent éprouver les étudiants et l'ensemble de la communauté universitaire.
Cette question m'amène tout naturellement à évoquer le manque de personnel IATOS. Avec moins de quatre cents postes prévus dans le projet de budget 2000, les conditions de travail des personnels, l'entretien des bâtiments universitaires, l'accueil des étudiants, l'humanisation de l'université, resteront encore des objectifs à atteindre à l'horizon indéfini.
Je prendrai un exemple concret, monsieur le ministre, celui de l'université des sciences et des technologies de Lille - Lille I - avec laquelle j'ai des liens particuliers du fait de mes responsabilités de vice-président du conseil régional du Nord - Pas-de-Calais.
Lors de sa dernière réunion, le conseil d'administration a constaté plusieurs éléments préoccupants. En premier lieu, il a constaté que la diminution des effectifs des étudiants se répercute rapidement sur les emplois IATOS et les crédits de fonctionnement pédagogique alors même que cette baisse devrait être l'occasion d'une modification des pratiques pédagogiques - groupes plus petits, individualisation plus poussée, tutorat... - qui nécessiterait une implication plus forte de la part des personnels non enseignants.
Ensuite, plus globalement, il conviendrait de procéder à la diversification des missions de l'enseignement supérieur, de répondre aux attentes de la société en termes de créations d'activités nouvelles, d'introduction des nouvelles technologies de l'information et de la communication, de développement de l'enseignement à distance, qui nécessitent des spécialités nouvelles et un nombre d'emploi IATOS suffisant.
Enfin, le modèle de répartition des moyens ne prend pas en compte certaines spécificités des établissements, qui conduisent à des besoins plus prononcés. En ce qui concerne l'université des sciences et des technologies de Lille, par exemple, il s'agit de l'existence d'un campus.
Le faible soutien régional des organismes de la recherche fait reposer sur les universités l'essentiel de l'effort de recherche.
De ce fait, l'écart entre les besoins en emplois tels qu'ils sont calculés et le potentiel de l'établissement n'est qu'un indicateur partiel des besoins réels. Ainsi, pour Lille I, deux emplois ont été créés cette année, alors qu'il faudrait quarante ans pour résorber le retard, voire plus puisque les besoins sont largement sous-estimés. L'ensemble des universités du Nord - Pas-de-Calais est dans une situation identique.
La stagnation des moyens financiers alloués aux universités, voire leur diminution comme c'est le cas pour l'université des sciences et des technologies de Lille, place ces institutions dans une situation extrêmement difficile. Elles ne peuvent faire face à leurs missions. Leurs capacités d'innovation sont freinées.
Moins que d'une énième réforme, monsieur le ministre, notre système universitaire a besoin d'être tout entier réorienté vers un objectif : la qualité. C'est parce que cet objectif fait défaut que les étudiants perdent tout intérêt en l'université.
Après avoir abordé la vie étudiante, les conditions d'accueil des étudiants, j'en viens aux études, qui doivent être l'élément essentiel de nos préoccupations.
L'emploi, notamment l'emploi public - mais ce n'est pas propre à votre ministère - est le grand laissé-pour-compte des budgets pour 2000 !
Pour l'enseignement supérieur, le solde d'emplois est négatif : 1 674 suppressions de postes contractuels contre 1 668 créations. De plus, parmi les 1 196 postes d'enseignants créés, 400 sont des postes d'attachés temporaires d'enseignement et de recherche, c'est-à-dire des emplois précaires.
Un effort particulier dans le recrutement des enseignants aurait permis, compte tenu de la baisse du nombre des inscrits à l'université, un meilleur taux d'encadrement des étudiants et, parallèlement, une amélioration de la qualité de l'enseignement. Ce n'est pas l'orientation prise. Je le regrette.
Voici un exemple précis : chacun s'accorde à reconnaître la faiblesse de notre enseignement en ce qui concerne l'apprentissage des langues étrangères. Or, parmi vos compétences, figure, monsieur le ministre, la construction d'un « Espace européen de l'enseignement supérieur ».
Pourtant, parallèlement, quelque 1 674 postes de lecteurs et de maîtres de langues sont supprimés. Une telle suppression permettra-t-elle d'améliorer le niveau de nos étudiants dans une, voire dans plusieurs langues étrangères ?
Une meilleure connaissance des langues de nos voisins est indispensable, si l'on veut l'harmonisation.
L'effort consenti l'an dernier en faveur des bibliothèques universitaires n'est pas reconduit : seulement 80 postes de personnels de bibliothèques sont créés contre 150 l'an dernier.
Peut-être le moment est-il venu, monsieur le ministre, de conduire une réflexion d'ensemble sur le devenir de notre système universitaire.
Je me borne à évoquer l'échec à l'université, dans les premiers cycles notamment. Il frappe au premier chef les jeunes étudiants issus de milieux défavorisés.
Je ne traiterai pas davantage du taux de passage dans les troisièmes cycles et vers la recherche où, là encore, les étudiants n'accèdent pas à ces filières dans l'égalité.
Le sport à l'université, l'accès des étudiants à la culture et à l'enseignement artistique figurent également parmi les thèmes qui, faute de moyens suffisants et parfois de réflexion ou à cause d'une certaine lourdeur d'intervention, restent à l'abandon.
L'enseignement, notamment l'enseignement supérieur, ne doit pas être rangé au rang d'une dépense.
Nous pensons qu'il s'agit d'un investissement pour l'avenir de notre pays mais également pour l'avenir de milliers de jeunes qui, dans une période de mutations rapides, doivent trouver à l'université, au lycée, à l'école, les instruments d'une meilleure assise dans le monde et dans notre société.
Peut-être l'amélioration des chiffres du chômage participe-t-elle de cette régression des inscriptions à l'université. Mais est-elle seule en cause ?
Dans ces temps de barbarie ordinaire, où l'on a parfois l'impression de tâter l'avenir avec une canne blanche, l'université doit tenir toute sa place. L'augmentation du niveau de formation est encore aujourd'hui le meilleur cheminement vers la démocratie, la citoyenneté, la culture et la connaissance.
Associons les étudiants, associons les enseignants, associons nos concitoyens à la préparation de l'université du troisième millénaire.
Certes, le projet de budget que nous examinons marque quelques efforts en faveur du plan social en faveur des étudiants, mais combien de travaux accumulent encore trop de retards.
Avec mes amis du groupe communiste républicain et citoyen, je peux estimer que le projet de budget de l'enseignement supérieur n'est pas à la hauteur des enjeux du siècle à venir. Pour ces raisons, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget de l'enseignement supérieur pour l'an 2000 s'élève à 52,4 milliards de francs, soit une progression de 2,63 %. Il s'articule autour de trois axes majeurs : l'amélioration des moyens de fonctionnement, la mise en oeuvre du plan U3M et la poursuite des efforts en faveur du plan social étudiant.
Je souhaiterais souligner importance de ces trois priorités pour l'université des Antilles et de la Guyane, qui n'est pas sans connaître de graves difficultés.
S'agissant tout d'abord des moyens humains, l'université a besoin d'un grand nombre d'enseignants-chercheurs et, surtout, d'un grand nombre de personnels administratifs.
Monsieur le ministre, vous n'êtes pas sans savoir que les personnels non-enseignants de l'académie de la Guyane ont récemment arrêté le travail pour réclamer la création de 200 postes supplémentaires. A ce jour, qu'en est-il ?
Cette revendication peut vous paraître excessive alors qu'elle n'est, en fait, que le triste reflet d'une situation déplorable. En effet, d'après le recensement de 1999, la Guyane est le département français qui a connu la plus importante augmentation démographique. Et, du fait de la jeunesse de la population, le nombre des étudiants inscrits à l'université ne cesse de croître dans des proportions conséquentes. Or, jamais les effectifs des personnels ATOSS n'ont suivi.
Est-il par ailleurs acceptable, monsieur le ministre, que les agents de votre ministère résidant en Guyane ne perçoivent leur salaire que selon le bon vouloir des fonctionnaires de l'éducation nationale de Fort-de-France ? Je vous sais imprégné de « décentralisme », sinon de décentralisation : pouvez-vous me dire si en 2000 les fonctionnaires de Guyane auront satisfaction et pourront être payés par un service dépendant de l'éducation nationale, installé en Guyane ?
S'agissant, ensuite, de la mise en oeuvre du plan U 3 M, l'université des Antilles et de la Guyane a besoin d'un véritable soutien pour chacun des sites universitaires.
Pour la Guyane, il s'agit de mettre en place un projet concerté de développement de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ce dernier doit passer par la définition de filières et de contenus en vue de favoriser l'émergence d'un corps de jeunes Guyanais compétents et diplômés, par l'amélioration des conditions de vie et de travail des usagers du campus, notamment, l'installation de laboratoires de recherche, et par une meilleure articulation entre l'université et les groupes de recherche implantés en Guyane.
Pour la Martinique, il convient de dégager les moyens nécessaires pour que l'enseignement scientifique puisse se développer dans le cadre défini par les assises de l'université.
Pour la Guadeloupe, il faut procéder d'urgence à la réhabilitation et à la reconstruction des bâtiments du campus de Fouillole, dont la vétusté inquiète, non sans raison, les membres de la communauté universitaire.
S'agissant enfin du plan social étudiant, l'université des Antilles et de la Guyane a besoin de moyens importants pour réussir dans le contexte économique difficile des départements d'outre-mer.
Récemment, les étudiants de Guyane ont provoqué une grève dure, qui a gêné la libre circulation de la population. Ils ont eu raison de manifester leur mécontentement, car il n'est plus possible de faire fonctionner une université qui se trouve dans un état de délabrement insupportable.
Le manque de postes est par ailleurs flagrant, il se fait de plus en plus sentir et il est extrêmement urgent que vous me répondiez à propos de la création de huit postes permanents d'enseignants-chercheurs pour l'enseignement supérieur.
Pouvez-vous en outre confirmer, monsieur le ministre, que l'UFR de droit et des sciences économiques de Guyane pourra disposer dans l'immédiat de deux postes de maîtres de conférences en droit public et de deux postes de maître de conférences en droit privé ?
Je souhaiterais maintenant aborder un sujet qui me tient particulièrement à coeur - à vous aussi - et qui, je l'espère, devrait bientôt se concrétiser : la création d'une université autonome en Guyane.
La restructuration de l'enseignement supérieur dans ce département d'outre-mer est une nécessité absolue. Nous nous devons d'offrir à tous nos étudiants la possibilité de poursuivre leurs études dans les meilleures conditions. Or, aujourd'hui, les jeunes Guyanais titulaires d'un DEUG et désireux d'obtenir une licence dans les filières classiques sont contraints de partir pour les Antilles ou pour la métropole.
L'instauration d'une telle structure permettra de combler les lacunes de l'enseignement supérieur en Guyane et d'insuffler une nouvelle dynamique au système éducatif dans son ensemble.
En effet, l'université devra non seulement accueillir les étudiants, mais également être conçue comme un espace de formation ouvert au plus grand nombre. Dans un monde en pleine mutation, il faudra apprendre aux étudiants à entreprendre et promouvoir leur esprit d'investigation. Il sera également nécessaire d'offrir à l'enseignement supérieur en Guyane de nouvelles perspectives, telles que les nouvelles technologies de l'information et de la communication, les activités liées à la biodiversité ou encore la participation des chercheurs à la formation universitaire.
La mise en place d'une telle structure est ardue, j'en ai conscience. L'application de la législation actuelle, la loi sur l'enseignement supérieur de 1984, ne permet pas de résoudre toutes les difficultés auxquelles est confrontée quotidiennement la composante universitaire guyanaise, qui ne peut exister véritablement ni offrir aux étudiants l'accès à un enseignement supérieur auquel ils ont droit.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples.
D'un point de vue institutionnel, la réalisation des perspectives de développement devrait, dans la situation actuelle, recueillir la faveur du conseil d'administration de l'université des Antilles et de la Guyane. Or les décisions de ce conseil sont indexées sur la quantité d'étudiants présents dans les différentes composantes. Il est inacceptable qu'à l'avenir les conditions d'évolution ou de fonctionnement de la structure guyanaise soient suspendues au vote des représentants des structures antillaises, qui constituent plus de 80 % du conseil d'administration de l'université des Antilles et de la Guyane.
La gestion administrative et financière du dispositif guyanais est entièrement assumée par les responsables de services présents en Guadeloupe, alors que les crédits de fonctionnement ou d'investissement proviennent principalement des collectivités locales guyanaises. Cette non-souveraineté des structures universitaires guyanaises entraîne des conséquences regrettables. Elle suscite un malaise politique local et un sentiment d'absence de reconnaissance et de confiance chez les responsables universitaires locaux. Elle nécessite des procédures lourdes et lentes pour effectuer une simple dépense.
D'un point de vue technique, il est inconcevable de gérer un site à 2 000 kilomètres de distance. Aussi est-il impératif que la Guyane soit dotée d'un véritable service technique avec les moyens nécessaires en compétences humaines et en moyens financiers.
Enfin, d'un point de vue pédagogique, tous les diplômes accessibles en suivant les enseignements en Guyane doivent faire l'objet d'une demande d'habilitation de la part des enseignants présents en Guyane. Le contenu des matières, les sujets d'examen, les corrections ne peuvent pas raisonnablement être identiques dès lors que les enseignements relatifs à un diplôme sont dispensés par des enseignants différents et sur un site différent.
Le développement de l'enseignement supérieur en Guyane se heurte donc à d'importantes difficultés, à des difficultés parfois insurmontables. La situation actuelle est inadaptée du fait de l'éclatement sur trois régions à la fois éloignées et différentes. Et la loi de 1984 ne permet pas de mettre en oeuvre toutes les perspectives de développement qui sont devenues peu à peu pour la population guyanaise des exigences légitimes.
Aussi n'existe-t-il pas, à mon sens, d'autre solution que la création de l'université de Guyane. Ce procédé a d'ailleurs été adopté récemment pour reconsidérer le devenir de l'université française du Pacifique par la création de l'université de Nouméa et de l'université de Papeete.
A l'aube du xxie siècle, l'heure est non plus aux bilans mais à la préparation de centaines d'étudiants venus trouver dans l'enseignement supérieur en Guyane les outils nécessaires pour bâtir leur dessein professionnel. Monsieur le ministre, donnez-nous les moyens d'élaborer ce vaste projet qui engagera l'avenir de la Guyane et de ceux qui la composent.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean Faure.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant l'enseignement supérieur.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, nous sommes dans un contexte de baisse des effectifs étudiants et, parallèlement, de hausse du budget consacré à l'enseignement supérieur, ce qui permet d'oeuvrer pour une transformation qualitative du système, notamment par la progression du taux d'encadrement des étudiants.
En augmentation de 2,6 %, le budget de l'enseignement supérieur pour 2000 confirme les orientations, définies en 1998, de modernisation et de poursuite de la démocratisation de notre système d'enseignement supérieur.
Il s'articule autour de trois priorités : la montée en charge du plan social étudiant, la mise en oeuvre du programme Université pour le troisième millénaire et l'amélioration des moyens des établissements, en particulier dans le domaine des emplois.
Outre les mesures de revalorisation des carrières, près de 1 300 emplois nouveaux sont prévus : 796 postes d'enseignants-chercheurs, dont 35 % de professeurs et 65 % de maîtres de conférence, et 400 attachés temporaires d'enseignement et de recherche ; 514 postesd'IATOS sont créés, répartis pour l'essentiel en personnel de recherche et de formation - 257 postes - et en personnels administratifs - 115 postes.
En ce qui concerne le plan social étudiant amorcé dans la loi de finances de 1999, les crédits de l'aide sociale augmentent de 8 % et ceux qui sont destinés aux bourses de 9,5 %, ces derniers atteignant un montant de 7,8 milliards de francs.
Cette hausse permettra d'élargir le nombre des étudiants aidés, grâce à un relèvement des plafonds de ressources pour les bénéficiaires, à l'instauration d'une bourse « à taux zéro » sous forme d'exonérations de droits d'inscriptions et de sécurité sociale et d'une bourse de premier cycle. Au total, 36 000 étudiants supplémentaires seront soutenus en 2000, l'objectif étant d'atteindre 30 % de boursiers sur quatre ans.
Par ailleurs, le plan social étudiant s'attache à améliorer le cadre de vie des étudiants, ce qui n'avait pas été possible jusqu'alors, les universités devant relever le défi de la massification.
Cette amélioration passe évidemment par le logement, les transports, mais aussi et surtout par la santé.
Les difficultés au quotidien de certains étudiants, spécialement des plus démunis, qui peuvent être liées à une mauvaise hygiène de vie, au stress, ou à la solitude, doivent être prises en compte à travers une véritable politique de prévention et de surveillance médicale. Or, depuis 1995, les crédits alloués à la médecine universitaire n'ont pas connu de réelle augmentation, hormis la création de postes d'infirmiers, au nombre de 20 cette année, comme pour l'année passée. Un texte refondant les missions des services de médecine préventive et de promotion de la santé était pourtant prévu pour la fin de l'année 1998.
Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale l'état d'avancement de ce texte ? Cette redéfinition des missions de la médecine universitaire s'accompagnera-t-elle d'un réel effort budgétaire dans les prochains projets de lois de finances ?
Deuxième priorité de ce budget : la poursuite du programme Université pour le 3e millénaire lancé l'an dernier.
Pour l'année 2000, près de 4 milliards de francs en autorisations de programmes permettront des opérations de mise en sécurité et de réhabilitation des locaux universitaires, de construction et de restructuration.
Ils serviront également à financer des opérations spécifiques comme la continuation du désamiantage de Jussieu, la rénovation du Muséum d'histoire naturelle ou la construction du musée des arts et civilisations.
Certaines régions rechignent à participer au financement du volet de restructurations et de mise en sécurité des établissements du plan U3M. Pourtant, la présence d'un pôle universitaire constitue une richesse pour une région, que ce soit en termes de maintien des populations, de développement économique ou de la vie intellectuelle et culturelle. L'entretien des universités est tout aussi important et bénéfique pour les collectivités locales que leur création. Il me semble donc tout à fait logique qu'elles participent financièrement au plan U3M. Un éventuel manque de motivation en ce domaine serait tout à fait regrettable pour le développement régional.
Sans négliger les mesures très positives de ce plan, j'aimerais vous faire part, monsieur le ministre, de mon inquiétude concernant la situation des bibliothèques universitaires.
Si l'effort budgétaire en leur faveur s'est accru au cours des trois dernières années, et en dépit de 15 millions de francs de mesures nouvelles et de la création de quatre-vingts emplois de personnels de bibliothèque cette année, la modernisation des bibliothèques, priorité forte du plan U3M, exigera un renforcement important des moyens en raison des carences du plan U 2000 en ce domaine.
Entre 1991 et la fin 2000, moins de 300 000 mètres carrés de bibliothèques auront été construits, alors que la construction de 500 000 mètres carrés supplémentaires est nécessaire pour atteindre le ratio de 1 mètre carré par étudiant, sans parler des besoins en matière de mise en sécurité et de modernisation.
Dans le même temps, le développement des ressources documentaires doit être intensifié.
Le taux d'acquisition de 0,6 volume par étudiant et par an est très insuffisant, d'autant plus que les ressources électroniques vont constituer un poste de dépenses supplémentaire appelé à progresser dans les années à venir. L'ensemble des crédits de fonctionnement affectés aux bibliothèques équivaut à 500 francs par étudiant et par an : ce chiffre devrait être doublé pour atteindre un équipement satisfaisant.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Très juste !
M. Serge Lagauche. Nous sommes là en présence d'un enjeu essentiel pour notre enseignement et notre recherche. L'accès à l'information ne doit pas être, en effet, une source d'inégalités supplémentaires.
Notre attention doit aussi se porter sur la mise en réseau des établissements et des bibliothèques, car nombre de délocalisations souffrent de la limitation de leurs fonds documentaires. A ce propos, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer l'état d'avancement de la réflexion sur la bibliothèque numérique ?
Plus largement, le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication induit forcément un décloisonnement et une meilleure cohérence de notre système d'enseignement supérieur. Le mode de fonctionnement pour l'avenir, c'est le réseau : il est indispensable pour développer des cursus d'enseignement communs, des synergies entre universités, grandes écoles, centres de recherche et entreprises. Il s'agit, parallèlement, de faire émerger de plus amples coopérations régionales ou interrégionales pour valoriser la complémentarité des sites.
Le réseau nous permettra également d'avancer vers la formation permanente, autre défi que notre système d'enseignement devra relever.
D'ailleurs, le mouvement est déjà engagé depuis le premier appel à projet de votre ministère, en 1997, pour le développement de la formation continue à l'université.
Actuellement, vingt-trois universités sont ouvertes toute l'année et proposent leurs diplômes aussi bien en formation initiale qu'en formation continue. C'est un bon début, mais c'est vers la formation tout au long de la vie que nous devons aller.
Ce thème m'est cher car son développement constitue une étape supplémentaire dans la démocratisation de l'accès au savoir. C'est la possibilité d'apprendre en continu, d'évoluer dans sa formation et sa carrière professionnelle. C'est bénéficier, au minimum, d'une deuxième chance, alors qu'aujourd'hui, bien souvent, tout est joué avec la formation initiale. Mais cela implique une vraie reconnaissance des acquis professionnels et un fort développement de l'enseignement à distance par le biais des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Le centre national d'enseignement à distance s'est engagé dans cette voie en réalisant des outilstélématiques pour l'information et l'orientation de ses usagers.
Enfin, j'aborderai la nécessaire ouverture sur l'international de notre système d'enseignement supérieur.
La conférence de Bologne, en juin dernier, a abouti à l'adoption d'une déclaration commune pour la construction d'un espace européen de l'enseignement supérieur fondé sur une harmonisation des diplômes, une mobilité et une coopération accrues des étudiants, des enseignants et des chercheurs en Europe. Là encore, nous sommes sur la bonne voie.
Toutefois, j'exprimerai une réserve, monsieur le ministre. Elle concerne la faiblesse de l'enseignement des langues étrangères à l'université. C'est un réel handicap, non seulement par rapport à nos homologues européens, mais aussi par rapport aux étudiants des grandes écoles françaises. L'enseignement des langues à la faculté doit être pleinement intégré à toutes les formations et à tous les diplômes, d'autant qu'elles sont une véritable richesse culturelle de connaissance et d'ouverture sur les autres.
Quant on pratique la langue de son interlocuteur, n'est-ce pas déjà mieux le connaître, mieux le comprendre ? Et cela ne signifie pas pour autant renoncer à la promotion de la langue française.
Monsieur le ministre, votre budget obtiendra le plein soutien du groupe socialiste, car il permet la poursuite et la consolidation des projets et des réformes déjà engagés. C'est un bon budget pour une bonne politique de l'enseignement supérieur. Aussi, son rejet par nos collègues de la majorité sénatoriale me paraît difficilement soutenable dans la mesure où ils jugent positivement ses grandes orientations, tout particulièrement le plan social étudiant et l'adaptation de notre système d'enseignement supérieur au contexte européen.
Bien sûr, les nouveaux enjeux sont colossaux, en cette période d'évolution rapide des techniques et des savoirs ; c'est pourquoi l'effort budgétaire en faveur de l'enseignement supérieur est tout à fait justifié. Il doit être continu et même amplifié pour répondre, le mieux possible aux exigences de modernisation et de compétitivité de notre système d'enseignement supérieur.
M. le président. La parole est à M. Maman.
M. André Maman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce budget, qui s'inscrit dans un contexte de stabilisation des effectifs étudiants, avec une faible diminution d'environ 20 000 sur 2 millions d'étudiants, s'élève à 52,46 milliards de francs en crédits de paiement et dépenses ordinaires, ce qui correspond à une augmentation de 2,6 % par rapport à la loi de finances initiale de 1999.
Cette progression, si elle reste supérieure à celle de l'ensemble des budgets civils de l'Etat, estimée à 0,9 %, demeure largement inférieure à celle de 5,5 % qui était enregistrée l'année dernière.
Il s'agit donc là d'un budget de gestion des actions déjà entreprises, qui innove peu et qui ne contient aucune des réformes d'envergure dont notre système d'enseignement supérieur a tellement besoin, depuis de nombreuses années.
Ce budget n'offre aucune vision prospective à moyen et long termes et il est dénué de perspectives stratégiques. Il ne traduit aucune volonté d'engager la grande réforme globale dont notre université a tant besoin.
J'ajoute, monsieur le ministre, que les quelques modestes réformes que vous avez engagées accusent au mieux un retard, au pire un abandon. Quoi qu'il en soit, elles sont toujours sources de dysfonctionnements. En somme, vous ne faites que gérer les affaires courantes.
En premier lieu, le document budgétaire qui nous est proposé comporte une nouveauté : pour la première fois, en effet, la représentation nationale bénéficie d'un nouvel instrument d'appréciation de la politique en matière d'enseignement supérieur, grâce au budget coordonné de l'enseignement supérieur, le BCES. Celui-ci est censé récapituler toutes les formations post-baccalauréat qui ne dépendent pas directement du ministère de l'éducation nationale. On peut citer, parmi les établissements les plus renommés, l'Ecole polytechnique ou l'ENA.
Or, si ce document offre une meilleure visibilité du système d'enseignement supérieur français, il est regrettable que certains ministères, comme celui de la fonction publique, ne jouent pas le jeu : en effet, ce ministère n'intègre dans le BCES ni les instituts régionaux d'administration ni l'ENA.
Toutefois, globalement, il s'agit d'un budget aussi triste que le rapport émanant de l'inspection générale qui vient d'être remis à Mme Ségolène Royal et selon lequel notre système éducatif forme aujourd'hui des enfants sans parole, des enfants qui ne savent plus lire ni écrire. Ils ne savent plus parler, ils ne savent même plus communiquer, constate ce rapport.
Si les crédits consacrés à l'action sociale sont en hausse, ils ne permettent pas de donner un réel essor au plan social étudiant, qui demeure limité. En effet, contrairement aux ambitions de départ, il n'a que peu de rapports avec le statut social de l'étudiant. Il ne réforme pas le système existant et consiste uniquement dans une augmentation des aides aux étudiants.
Je ne suis pas le seul à dénoncer cet état de fait. Récemment, le conseil d'administration du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires a rejeté le budget de l'enseignement supérieur, dénonçant un saupoudrage des aides. Depuis deux ans, monsieur le ministre, vous n'avez cessé de différer les quelques mesures novatrices du plan. Aujourd'hui, vous en payez les conséquences.
Seule l'amélioration de notre système de bourses me paraît devoir être portée à votre crédit. Du point de vue social, ce budget présente une augmentation notable de 9,5 %, qui devrait permettre de revaloriser le montant des bourses, notamment grâce au relèvement des plafonds de ressources ouvrant droit à une aide et à la mise en place des bourses de premier cycle, ainsi qu'à la possibilité, par le biais d'aides d'urgence, de venir en aide en cours d'année à des étudiants confrontés à des difficultés imprévues.
Il s'agit incontestablement d'un point positif, et j'espère que vos collègues du Gouvernement sauront s'en inspirer lorsque nous évoquerons le système des bourses allouées aux jeunes Français étudiant dans les 440 écoles françaises accréditées à l'étranger, où les frais d'écolage sont bien plus importants que dans l'Hexagone. Le sénateur représentant les Français établis hors de France que je suis y veillera attentivement.
Pour le reste, le bilan est extrêmement peu encourageant.
Je ne vois aucune initiative destinée à ouvrir l'enseignement supérieur sur le monde, je ne distingue aucun écho des suggestions formulées par M. Jacques Attali dans son rapport de mai 1998 sur « le modèle européen de l'enseignement supérieur ». Dans ce rapport, ce dernier affirmait clairement qu'il ne pourrait y avoir d'Europe de l'emploi sans Europe de l'éducation, ce qui me paraît évident.
En juin dernier, s'est tenue à Bologne, en Italie, une conférence réunissant vingt-neuf Etats. A cette occasion, les représentants de ces Etats ont plaidé pour la définition d'un système de diplômes lisibles et comparables, pour l'organisation des études autour de deux cycles principaux, pour l'établissement d'un système de crédits, afin de faciliter la mobilité des étudiants et des chercheurs et, enfin, pour le développement de la dimension européenne dans les programmes.
Dans votre projet de budget, monsieur le ministre, on ne retrouve rien de tout cela. On ne perçoit que la gestion prudente d'un système sclérosé et largement déficient.
En matière d'emploi, les créations de postes paraissent insuffisantes pour compenser la disparition de 1 600 emplois. Or il aurait été judicieux de profiter de la marge de manoeuvre induite par la stabilisation des effectifs universitaires.
J'ajoute que la création de ces postes est, en partie, financée par la suppression de 40 % des heures complémentaires. C'est une bien curieuse méthode lorsqu'on sait que ces heures se révèlent très utiles dans les formations à caractère professionnel. Elles permettent, en effet, de recruter des chargés d'enseignement vacataires parmi les cadres supérieurs et elles contribuent à assurer des stages aux étudiants. En vérité, elles sont un élément important pour nouer des contacts avec l'entreprise et faciliter l'embauche des étudiants. Ainsi, en supprimant ces heures, vous hypothéquez les possibilités d'insertion professionnelle des étudiants.
Vous négligez les classes préparatoires, qui attendent une réforme. Vous avez simplement concentré votre action sur les rémunérations des enseignants, en diminuant de 17 % le paiement des heures supplémentaires, et cela pour une seule raison : financer les emplois-jeunes !
Dans cette opération, ce sont les enseignants des classes préparatoires qui ont payé le plus lourd tribut, car ils ont un horaire de base plus réduit que les professeurs des collèges et lycées.
De plus, vous n'avez pas tenu parole : rien n'est prévu dans ce projet de budget pour la nouvelle indemnité destinée à tenir compte de l'investissement personnel des enseignants des classes préparatoires, indemnité dont vous aviez pourtant annoncé l'instauration.
L'université d'aujourd'hui n'est plus simplement un lieu de culture, monsieur le ministre. Elle est aussi un lieu d'emploi, de recherche, de rencontres et d'ouverture sur le monde. L'université, plus que jamais, a besoin de liberté, d'autonomie et d'exigence. Or rien dans votre projet de budget ne la destine à détenir tout cela.
Les moyens mis en oeuvre pour encourager et favoriser les échanges entre le monde universitaire et celui des entreprises sont bien minces. Certes, le Conseil national de l'enseignement supérieur vient de donner son feu vert à la licence professionnelle. Il s'agit là d'une bonne, je dirai même d'une excellente initiative, mais il est regrettable qu'elle ne concerne qu'un nombre limité d'univer-sités.
Nous avons, en ce domaine, un grand retard à rattraper par rapport à nos voisins européens. En Grande-Bretagne, de même qu'aux Etats-Unis, pays que vous connaissez si bien, il n'est pas rare de voir des entreprises privées se présenter comme des « sponsors », des parrains des universités.
La France est encore loin de ce système, prisonnière de ses vieux réflexes et d'une mentalité jugeant incompatibles le monde de l'université et celui de l'entreprise, considérant les liaisons entre l'un et l'autre comme dangereuses, voire sulfureuses.
Le manque d'ambition de ce budget, et de la politique dont il n'est que la traduction chiffrée, est choquant parce que jamais le système éducatif français n'a eu autant besoin de réformes de fond, dans le secondaire comme dans le supérieur.
Or, que faites-vous, monsieur le ministre ? Vous refusez d'apporter des changements à un système en difficulté, vous n'admettez même pas d'entendre le mot « sélection ». Si ce mot fait vraiment peur, accepterez-vous plus aisément qu'on parle d'orientation à l'entrée des universités, une orientation bien faite, bien organisée, démocratique, permettant aux étudiants de prendre la voie qui leur convient, selon leurs capacités et leurs motivations ?
On a évoqué tout à l'heure une filière où il y avait 36 000 étudiants mais qui n'offre que mille emplois au terme du cursus. Il est scandaleux de laisser faire cela.
Combien de nos étudiants se dirigent, par manque de conseils préalables et d'orientation, laquelle devrait commencer dès la classe de seconde, vers des filières où ils sont voués à l'échec ?
Vous laissez s'installer - je devrais même dire que vous gérez - un système fondé sur la sélection par l'échec. Je rappelle ce chiffre terrifiant : un étudiant sur deux sort de l'université sans aucun diplôme. Quel effroyable gâchis ! Que de carrières brisées ! Que de destins écrasés !
Le premier cycle universitaire est le cimetière des illusions d'une jeunesse que l'on croit flatter en la laissant livrée à elle-même et en refusant de l'orienter dans un monde de plus en plus complexe.
J'ajoute que, si les frais de scolarité exigés des étudiants n'augmentent pas sensiblement, comme c'est le cas dans la quasi-totalité des pays du monde, que vous visitez souvent, notre système universitaire connaîtra un déclin inéluctable.
En effet, si les frais de scolarité dépendaient du niveau de ressources des étudiants, cela permettrait d'accorder des bourses plus importantes à ceux qui en ont besoin. Aucun étudiant ne serait exclu de l'enseignement supérieur pour des raisons financières. On verrait vraiment jouer là l'égalité des chances et la solidarité.
Avec EduFrance, dont on a beaucoup parlé, vous avez voulu voir grand, accueillir des centaines de milliers d'étudiants étrangers en France. Nous vous avons approuvé parce que l'existence d'une telle structure est effectivement très importante pour notre pays. C'est pourquoi nous voulons vraiment jouer le jeu avec vous. Hélas ! si l'initiative est bonne, les moyens matériels et financiers font cruellement défaut. On peut noter le manque de cohérence du dispositif actuel d'accueil, en raison de la dispersion des acteurs, de l'absence d'évaluation et du manque de lisibilité des cursus universitaires.
Il faudrait clarifier les missions d'EduFrance et accroître ses moyens, tout en poursuivant l'harmonisation des cursus universitaires.
Allez-vous, monsieur le ministre, mettre en oeuvre certaines de ces propositions ? Si oui, lesquelles et avec quels moyens ?
Toute la question est celle de l'aptitude de la France à « vendre » son enseignement supérieur et à se placer en concurrente sérieuse vis-à-vis des universités anglo-saxonnes.
La troisième priorité de votre projet de budget, monsieur le ministre, porte sur l'amélioration des moyens de fonctionnement des universités et des bibliothèques.J'estime, à cet égard, que les bibliothèques font l'objet d'un effort tout à fait insuffisant au regard de l'état déplorable dans lequel elles se trouvent aujourd'hui.
Vous savez très bien, monsieur le ministre, que dans les universités anglo-saxonnes la bibliothèque est le centre du campus. Plus la bibliothèque est importante, plus elle reste ouverte longtemps - et beaucoup, aux Etats-Unis, le sont vingt-quatre heures sur vingt-quatre - plus le travail des étudiants est productif.
Les crédits de fonctionnement des bibliothèques augmentent de 15 millions de francs : 10 millions de francs correspondent à des mesures nouvelles ; les 5 millions de francs restant résultent, pour une part, de transferts de crédits au sein du ministère et proviennent, pour une autre part, du ministère de la culture.
La France accuse un retard considérable en matière de bibliothèques universitaires. La durée moyenne d'ouverture hebdomadaire de ces bibliothèques est de cinquante-quatre heures ! C'est inacceptable ! De tels horaires ne permettent pas aux étudiants dont les moyens sont limités de travailler, de préparer leurs examens, de se documenter.
Qu'allez-vous faire, monsieur le ministre, pour donner aux bibliothèques universitaires la place majeure qu'elles doivent occuper dans notre enseignement supérieur ?
Quand on se déplace dans le monde, on perçoit de mieux en mieux combien l'avenir d'un pays dépend de ses universités. N'est-il pas évident qu'un pays qui réussit a de grandes universités ? Je pense évidemment aux Etats-Unis, mais il y en a d'autres qui ont compris que les universités sont importantes : l'Australie, par exemple, un pays que vous connaissez aussi, monsieur le ministre.
Vous entendez poursuivre le plan U3M et le désamiantage du campus de Jussieu. Comme l'ont indiqué éloquemment les rapporteurs, il serait intéressant de connaître les prévisions du coût total de ce plan, ainsi que la contribution qui sera demandée aux régions.
Si j'ajoute à cela un budget de la recherche en trompe-l'oeil et des choix très contestables en matière d'équipement - je pense ici à l'abandon du projet SOLEIL, décision prise pendant l'été, sans aucune concertation et contre l'avis des experts - vous comprendrez, monsieur le ministre, que l'incroyable décalage entre les ambitions affichées et les moyens mis en oeuvre pour y parvenir m'interdise de voter ce projet de budget qui, soyez-en sûr, provoquera une grande déception chez tous les acteurs du monde de l'enseignement supérieur français.
Le groupe de l'Union centriste ne peut voter un budget aussi peu tourné vers l'avenir, qui néglige les grandes priorités de l'université de demain. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout ce qui est excessif est insignifiant.
Je voudrais faire revenir le débat sur un objectif qui est important et qui devrait nous unir : le développement de notre enseignement supérieur. Pour cela, je rappellerai d'abord quelques faits avant de m'efforcer de dessiner une ligne qui, je l'espère, ne sera pas une ligne brisée.
C'est vrai, monsieur Maman, je voyage beaucoup. Je suis donc très attentif à ce qui se passe à l'étranger. Eh bien, je vous recommande, mesdames, messieurs les sénateurs, la lecture de ce document qui émane de l'OCDE. (M. le ministre brandit un document.) Il y est notamment indiqué que, en matière d'investissement pour le savoir, par tête d'habitant, la France se situe au deuxième rang dans le monde. Et figurez-vous que ce ne sont pas les Etats-Unis qui occupent le premier rang : c'est la Suède, juste au-dessus de nous. Les Etats-Unis sont très loin ! Je vous donne d'ailleurs le classement : Suède, France, Danemark, Finlande, Norvège, Canada, Grande-Bretagne, Etats-Unis, la moyenne des pays de l'Union européenne, etc.
Bien sûr, vous avez le droit de juger la qualité de notre enseignement supérieur et celle de notre recherche mais, globalement, ce n'est pas un problème budgétaire, monsieur Maman. Ce n'est pas là que se fait la différence.
D'ailleurs, je pourrai dire tout à l'heure la même chose à propos du nombre de chercheurs rapporté au nombre d'habitants. Ce rapport est, aux Etats-Unis, d'un tiers inférieur à ce qu'il est en France.
Le problème se situe donc non au niveau du budget mais à celui de l'organisation.
Cette organisation, quelle est-elle ? Monsieur Maman, je sais que vous connaissez l'enseignement supérieur américain, mais je ne sais pas si vous connaissez l'enseignement supérieur français.
Or l'enseignement supérieur français a fait des progrès considérables en quinze ans ; il est même l'un des meilleurs du monde. Il a réussi ce à quoi aucun autre système éducatif n'était parvenu jusqu'ici : il a su accueillir en trente ans sept fois plus d'étudiants et, dans le même temps, améliorer sa qualité. La Grande-Bretagne connaît de grandes difficultés, à cet égard ; quant à la Chine, n'en parlons pas.
Quand j'étais encore sur les bancs de l'école, je peux vous dire que mes professeurs de sciences étaient totalement inconnus sur la scène internationale. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. L'enseignement scientifique qui est prodigué dans toutes les universités françaises est de renommée mondiale.
Cet enseignement supérieur français doit donc être respecté et défendu. Je reconnais volontiers que notre système éducatif souffre de certaines faiblesses, mais l'enseignement supérieur n'est pas du nombre. Nos grandes écoles ont évolué, les passerelles se sont développées. La ligne générale que suit notre enseignement résulte d'un consensus. J'ai eu l'occasion de critiquer la politique de M. Bayrou sur l'enseignement scolaire, mais pas sur l'enseignement supérieur car, depuis un certain nombre d'années, ce dernier fait l'objet d'une réelle continuité. Souvenez-vous : « Un million d'étudiants, n'est-ce pas trop ? ». Voilà ce qui faisait débat. Nous avons aujourd'hui deux millions d'étudiants. Cela me rappelle d'autre débats, d'autres empoignades qui ont dû animer des hémicycles tels que celui-ci, quand, pendant la Révolution française, on se battait pour savoir s'il y aurait 15 % ou 20 % de Français sachant lire.
Encore une fois, la France doit être fière de son enseignement supérieur et doit l'aider à se transformer encore. Il mérite de faire l'objet d'un consensus entre la droite et la gauche. Il ne s'agit pas de l'affaiblir par des critiques non justifiées.
D'ailleurs, confrontée à la politique du Gouvernement en matière d'enseignement supérieur, l'opposition, qui n'est pas dite « plurielle », car elle est multiple, se contredit.
J'ai d'abord entendu M. Lachenaud faire un excellent exposé dans lequel il a soutenu que nous ne faisions pas assez d'économies. J'ai ensuite entendu M. Valade faire un moins excellent exposé selon lequel nous ne dépensions pas assez. Messieurs de l'opposition, organisez donc des réunions intergroupes pour vous mettre d'accord sur les critiques ! (Sourires.)
M. Philippe Marini. Lecture sélective !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Ma stratégie budgétaire est claire. Je pense être l'un des ministres qui a fait le plus pour supprimer les dépenses inutiles dans l'éducation nationale ; nous aurons l'occasion de le constater vendredi. Quand il faut de l'argent, il faut de l'argent. Quand on peut faire mieux pour moins, on fait mieux avec moins !
Attention aux chiffres. Un tassement des crédits de paiement, d'un côté - dû au fait que nous sommes dans la première année des contrats de plan - les actualisations de crédits de personnels et de pensions, de l'autre, font diverger les taux de progression et masquent les évolutions réelles. En réalité, les taux d'encadrement - c'est ce qui importe - continuent d'augmenter, les crédits de fonctionnement croissent et la capacité d'investissement également. Autrement dit, la différence entre le budget pour 2000 et le budget de l'année dernière est un trompe-l'oeil si on l'examine dans la continuité des crédits d'investissement.
Mais je ne vais pas détailler mon budget, et me contenterai de tracer les grandes lignes de la politique qui est menée, pour répondre ensuite à toutes les questions que vous avez posées. D'un mot, cependant, je constate d'emblée que nous sommes tous aussi fautifs, vous comme nous, et que le manque d'informations est évident sur un certain nombre de points.

Je commencerai pas les emplois. Nous avons créé 4 500 emplois qui sont effectivement pourvus, ce qui constitue un changement radical par rapport à la période antérieure à 1997. En effet, le système de recrutement dans l'enseignement supérieur faisait qu'on ne pourvoyait pas les emplois. A ce sujet, monsieur Maman, je n'ai pas noté que vous votiez contre ces budgets. Et pourtant, année après année, on votait des créations d'emplois que l'on recyclait en quelque sorte parce qu'ils n'étaient pas pourvus. Depuis que je suis au ministère, 4 000 à 4 500 personnes sont recrutées, chaque année, dans l'enseignement supérieur, ce qui représente exactement la moitié des 9 000 thèses produites également chaque année. Je ne pense pas que nous puissions aller très au-delà, sinon n'importe qui deviendrait professeur d'université !
Actuellement donc, la politique de recrutement du Gouvernement est massive. Elle offre une opportunité considérable aux jeunes. Cela ne veut pas dire pour autant que, qualitativement, discipline par discipline, nous ayons exactement le recrutement que nous voulons, car certaines disciplines connnaissent des manques et d'autres des surnombres.
Nous créons également cette année 1 200 postes d'enseignants chercheurs et 500 IATOS.
J'ai entendu tout à l'heure des remarques sur la santé. Certes, l'effort pour la santé est insuffisant ; il est, d'ailleurs, toujours insuffisant. Mais si nous ne créeons pas beaucoup de postes d'infirmières, songez qu'il n'y avait pas eu de création de ce type dans l'enseignement supérieur depuis plusieurs décennies ! Alors, peut-être que l'on n'en crée pas assez aujourd'hui, mais on n'en a vraiment pas créé assez par le passé !
Donc, soyons un petit peu équitables.
En ce qui concerne le plan social étudiant, je suis obligé de vous faire remarquer, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il bénéficie de 600 millions de francs supplémentaires - ce n'est pas une paille, tout de même ! - sans compter les mesures en faveur du logement étudiant inscrites dans le plan U3M.
Le logement étudiant en France n'est pas ce que vous avez décrit, sauf dans les grandes villes où la situation n'est pas bonne. Ailleurs en France, la situation est sans commune mesure avec celle que nous avons trouvée, quand nous sommes arrivés au ministère de l'éducation nationale, Lionel Jospin et moi, en 1990. Le nombre de logements étudiants dans le plan Université 2000 a été multiplié par quatre. Peut-être n'est-ce pas encore suffisant, et nous allons faire davantage, mais les chiffres sont là !
Quant au problème de la répartition des bourses, je voudrais rappeler qu'il a quand même fallu attendre ce gouvernement pour voir la création de bourses au mérite. C'est-à-dire que les élèves venant de familles modestes mais ayant obtenu une mention « bien » ou « très bien » au baccalauréat sont intégralement pris en charge par la République, soit 200 cette année plus 200 supplémentaires, ce qui fait 400 étudiants boursiers au mérite. D'ailleurs, la presse s'en est fait l'écho. Nous rétablissons le concours des bourses d'autrefois, qui a permis à un fils d'instituteur d'être Président de la République, et qui avait été supprimé. Il est normal de le rétablir, car ces enfants de familles modestes, on ne les retrouvait ni dans les grandes écoles ni dans l'élite du pays, faute de moyens financiers, mais pas faute de moyens intellectuels. Il s'agit là d'une aide sociale modernisée.
Une partie importante des bourses sera destinée aux études à l'étranger, car je me suis donné pour objectif que, d'ici à cinq ans, tout diplômé français ait passé au moins six mois dans une université européenne. Pour ce faire, il nous faut rénover le système des bourses. Voilà pour le plan étudiant.
Voyons maintenant la politique contractuelle : elle est rénovée.
Certaines des critiques que j'ai entendues aujoud'hui ne s'adressent pas à moi, car les universités sont désormais autonomes, notamment dans leur gestion, et je suis un ardent partisan de cette autonomie. C'est dans ce cadre que nous avons développé et rénové la politique contractuelle, qui se conjugue avec le développement de la formation continue diplômante. Cette dernière, certes, n'est pas suffisante mais le nombre des diplômes en formation continue a été multiplié cette seule année par deux. A défaut d'être suffisant, c'est déjà un progrès !
Nous avons intégré les nouvelles technologies dans l'enseignement et, comme il a été dit, nous avons commencé, dans le premier cycle, un travail en petits groupes, d'abord, dans six universités, puis, depuis cette année, dans douze. Là encore, nous progressons.
Permettez-moi quelques réflexions sur l'harmonisation européenne. Monsieur Maman, en vous écoutant tout à l'heure, je me pinçais presque pour y croire. Mais l'harmonisation européenne, c'est moi qui l'ai faite ! C'est moi qui ai organisé le colloque de la Sorbonne, c'est moi qui ai inspiré celui de Bologne. Alors, si je n'applique pas ce que je promeus, c'est à croire que je suis tombé sur la tête ! (Sourires.)
Le 3, 5, 8, c'est nous qui l'avons fait, et les Français ont été leaders dans cette affaire.
Alors, non, monsieur Maman, je ne peux pas vous suivre.
Mais vous n'êtes peut-être pas au courant : il n'y a plus que trois grades dans l'enseignement français : la licence, le mastaire et la thèse. Pour la première fois cette année, les grandes écoles décernent le grade de mastaire et pour la première fois aussi un concours d'entrée à l'Ecole polytechnique sera ouvert aux élèves des universités, sur titre et sur dossier et après un entretien. La passerelle entre les grandes écoles et les universités existe, chacun restant par ailleurs lui-même, le tout dans une harmonisation européenne qui peut être lue dans toutes les parties du globe : que vous soyez en pré-licence, en mastaire ou bien dans la préparation d'une thèse, vous pouvez venir en France.
D'ailleurs, les résultats ne se sont pas fait attendre. Aussi, cette année, le nombre d'étudiants en provenance d'Asie du Sud-Est a augmenté de 45 %. Quand je suis arrivé au ministère, il y avait cinquante étudiants indiens ; cette année, ils seront deux cent cinquante. Ce n'est pas le Pérou, mais c'est un facteur 5 et, l'an prochain, ils seront six cents.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Et les Péruviens ? (Rires.)
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Interrogez-moi plutôt sur les Brésiliens, car, là, nous sommes en augmentation. (Nouveaux rires.)
Ce 3, 5, 8 a permis, pour la première fois, j'y insiste, que nos grandes écoles décernent un grade et ne soient pas « en l'air » dans le système international comme par le passé. Mais elles sont entrées dans ce système en restant elles-mêmes, car il n'est pas question de les intégrer dans quoi que ce soit.
Cette réforme permet également de mettre en place la licence professionnalisée. Je peux vous dire que le succès est tel que nous allons être submergés par les demandes, et ce dès la première année.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial, et M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Aussi, cette année, aurons-nous une grande réunion pour harmoniser l'ensemble des formations professionnalisantes - BTS, IUT, licence professionnalisée, IUP et grandes écoles - afin d'avoir un schéma d'ensemble qui soit cohérent.
Nous sommes donc à la tête de l'harmonisation européenne. Je le disais, nous avons organisé le colloque de la Sorbonne ; nous avons inspiré celui de Bologne ; nous avons demandé que l'harmonisation soit élargie aux pays de l'Est et non pas restreinte aux seuls pays de l'Union. C'est pourquoi le prochain colloque se tiendra à Prague. Nous travaillons maintenant sur la mobilité des professeurs, afin de leur permettre d'être mobiles de manière permanente, sans être hors des règles de sécurité sociale ou de retraite.
Quant à Edufrance, nous faisons plus que doubler ses moyens. Cette agence ne demande pas davantage, sinon, ce que nous ferons dans l'année, la mise en place d'un fonds de placement pour permettre aux étudiants étrangers d'emprunter lorsqu'ils viennent faire leurs études en France. Ce n'est pas simple à mettre en oeuvre car ces étudiants repartent dans leur pays à la fin de leurs études. La question du remboursement se pose. Aussi, je ne peux pas vous dire que c'est fait. Le principe est adopté mais, sur le plan technique, la mise en oeuvre n'est pas aisée, même avec Internet.
En ce qui concerne Edufrance, je voudrais vous donner des chiffres car, excusez-moi de vous le dire, ceux que vous avez cités, monsieur Renar, ne sont pas exacts.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. C'est normal, il n'a pas l'information !
M. Ivan Renar. Je n'ai pas un cabinet de haute valeur, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Les chiffres que vous avez cités étant faux, je suis donc obligé de les rectifier.
Mme Hélène Luc. Donnez-nous les bons chiffres, monsieur le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. D'abord, Jussieu fait partie de U3M, mais est hors contrat de plan.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Heureusement !
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. On attendait que vous le disiez !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Ensuite, les travaux de mise en sécurité - 3 milliards de francs - sont hors contrats de plan. Les régions ne seront donc pas concernées par les problèmes en la matière.
En outre, le musée des Arts premiers est également hors contrats de plan.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Tout de même !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Enfin, la rénovation du Muséum national d'histoire naturelle est, elle aussi, hors contrats de plan.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Que reste-t-il donc dans les contrats de plan ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. La part de l'Etat pour U3M, dans les contrats de plan, s'élèvera à 18,3 milliards de francs et nous savons, parce que les négociations ont eu lieu, que la part des régions sera équivalente, voire légèrement supérieure.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Eh oui !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Par conséquent, cela signifie que l'ensemble du plan U3M s'élèvera à deux fois quelque 18 milliards de francs plus 7 milliards de francs, soit environ 43 milliards de francs.
Voilà huit ans, lorsque j'étais conseiller spécial de Lionel Jospin et que j'ai annoncé que l'on allait faire un plan pour les universités, j'ai provoqué l'hilarité générale des présidents d'université ; l'un d'eux m'avait même répondu que l'on n'avait pas vu un sac de ciment sur un campus depuis quinze ans !
M. André Maman. Il ne faut pas exagérer !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Néanmoins, le plan Université 2000 a remis les choses en place. Son application s'est d'ailleurs poursuivie après le changement de majorité.
Nous poursuivons l'effort à l'heure actuelle. Nos universités disposeront de locaux dignes de leur mission au terme du plan U3M. J'indiquerai lundi prochain les grandes lignes de ce plan afin de vous montrer que la situation a beaucoup progressé.
M. Jacques Valade, rapporteur spécial. Trop tard !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je ne vais pas vous parler de U3M pendant une heure car vous seriez fatigués et l'examen du projet de budget de la recherche et de la technologie interviendrait très tard.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Nous sommes infatigables !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Certes, mais vous seriez peut-être lassés par mon discours.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Pas du tout !
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Vous le savez, monsieur le ministre, nous vous écoutons avec plaisir !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. C'est gentil ! Alors, vous devriez voter mon budget. (Sourires.)
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Ah non !
M. André Maman. On n'ira pas jusque-là !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Enfin, j'évoquerai l'enseignement continu et l'enseignement à distance.
S'agissant de l'enseignement continu, nous avons fait, l'année dernière, un premier appel d'offres. Treize universités sont restées ouvertes douze mois sur douze et ont délivré tous leurs diplômes en formation continue. Cette année, nous avons lancé un nouvel appel d'offres et vingt-trois universités seront concernées.
Quant à l'enseignement à distance, j'aurai l'occasion d'en parler car nous sommes en train de faire un consortium qui regroupera le Conservatoire national des arts et métiers, le Centre national d'enseignement à distance, le Centre national de documentation pédagogique et la Fédération d'enseignement universitaire à distance. Il constituera le troisième opérateur d'enseignement à distance du monde.
Vous pourrez le constater, nous ferons un effort particulier dans ce secteur au cours des mois à venir. L'enseignement à distance, c'est en effet l'avenir et il faut donc faire davantage. Nous nous sommes lancés dans ce système.
Maintenant, je vais m'efforcer de répondre aux différentes questions. Je les ai reclassées mais je vous prie de m'excuser si, en répondant successivement, cela donne l'impression d'un catalogue un peu désordonné.
S'agissant des premiers cycles, je voudrais d'abord tuer une légende qui court partout.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. La légende des cycles ! (Sourires.)
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Les classes préparatoires, après une scolarité de trois ans, permettent à 80 % de leurs élèves d'intégrer une grande école. Le taux de réussite est donc de 80 %. Les universités, qui n'ont pas de sélection à leur entrée, obtiennent sur trois ans un taux de réussite de 65 %. Un système qui n'a pas de sélection à son entrée et qui permet à 65 % des étudiants de réussir n'est pas mauvais. Nous ne sommes plus dans la situation que nous avons connue à une certaine époque.
M. André Maman. Et 35 % sont abandonnés !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Non, monsieur Maman, ils ne sont pas abandonnés. Il n'y a pas de sélection. Si vous étiez en Grande-Bretagne, vous vous promèneriez pendant un an avant d'entrer à l'université. C'est comme cela que le Premier ministre britannique, en étant barman au Sofitel, a appris le français.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Ça lui sert maintenant !
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. C'est l'internationale socialiste ! (Sourires.)
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Excusez-moi, mais à partir du moment où il n'y a pas de sélection à l'entrée de l'université, ce taux d'échec n'est plus ce qu'il était autrefois. Dans les expériences qui ont été faites avec un encadrement en petits groupes, le taux d'échec diminue encore. A l'heure actuelle, vous ne pouvez pas critiquer le premier cycle sur ce point. Vous pouvez le critiquer - je vais vous donner des armes - mais cela concerne aussi mes prédécesseurs. Le problème numéro un, c'est le non-contrôle des filières.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Voilà !
M. André Maman. Effectivement !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. En effet, là se pose un problème.
Je vous donne une information : cette année, la filière des sciences et techniques des activités physiques et sportives, STAPS, est certes encore trop importante, mais elle décroît, contrairement à ce qui a été dit. (M. le rapporteur pour avis est dubitatif.)
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Enfin, la sagesse !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Vous n'avez pas les chiffres, je vous les donne !
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Heureusement qu'il y a la présente discussion. Enfin, nous les avons !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Vous pensez, monsieur Valade, que je vous cache des chiffres ? Mais ils sont publiés !
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Nous avons un peu de difficulté à les obtenir, monsieur le ministre !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Ce n'est pas vrai ! Vous n'avez qu'à m'écrire. La preuve, je vous les donne !
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Je vous laisse à vos certitudes !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je reconnais que, sur le plan de l'information, il y a problème par rapport au débat.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Un vrai problème !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Mais je ne veux pas que l'on croie qu'on cache les chiffres.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Je pourrais vous citer quelques réponses que vous-même et vos collaborateurs avez bien voulu formuler au questionnaire sur le présent projet de budget de l'enseignement supérieur !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je n'avais pas alors les données relatives aux inscriptions de cette année.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Comment pouvons-nous faire du bon travail dans ces conditions ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je ne vous reproche rien !
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Je cite les chiffres de vos services, monsieur le ministre !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je vous donne aujourd'hui les chiffres exacts. Au moment du débat à l'Assemblée nationale, qui se situait quinze jours après la rentrée, je n'avais pas les statistiques. Je les ai maintenant et cela me permet de vous dire qu'il y a un tassement s'agissant des STAPS. Je n'ai pas dit que nous avions résolu le problème !
En revanche, des filières intitulées « communication et culture » continuent de croître. Puis il y a la filière psychologie. Là, un problème de répartition se pose et c'est un domaine dans lequel il faut progresser.
Je prendrai un autre exemple : les filières de lettres et sciences humaines. Il s'agit de « tuyaux ». Vous entrez en premier cycle et vous continuez en ayant uniquement des cours de la spécialité dans laquelle vous êtes entré. Vous pouvez mettre un semestre d'orientation ; celui de M. Bayrou, je vous le dis franchement, ne sert à peu près à rien, parce qu'on ne peut pas se réorienter brutalement de psychologie en lettres, ou vice versa.
Le véritable problème, c'est que ces études de lettres devraient avoir un socle beaucoup plus large, permettant l'orientation. On va essayer d'y remédier. Ce n'est pas simple. En effet, les personnes qui ont créé quarante-deux filières séparées en lettres et sciences humaines ont quelque intérêt dans ce domaine. Donc, il faut faire bouger les choses.
S'agissant des relations entre les universités et les grandes écoles, je pense vous avoir répondu, monsieur Lachenaud.
S'agissant des heures complémentaires, c'est encore un secteur à propos duquel l'opposition devrait se mettre au fait. En effet, M. Lachenaud a considéré que j'étais un peu laxiste, alors que MM. Valade et Maman ont estimé que j'avais supprimé ces heures dans les IUT, ce qui, à leurs yeux, est une catastrophe.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Diminuées !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Nous essayons de faire au mieux dans ce domaine.
J'en viens aux bibliothèques. On a réalisé le plan Miquel, ce qui est déjà bien. J'ai d'ores et déjà à peu près toutes les remontées du plan U3M. Cela vous satisfera, messieurs, puisque les investissements en faveur des bibliothèques représenteront probablement entre 10 % et 15 %. Donc, on avance dans ce domaine.
Maintenant, je vous livre une information sur la bibliothèque numérique. De telles bibliothèques sont pro parte une illusion. En effet, les supports informatiques sont moins résistants que les microfilms ou le papier. Or, dans une bibliothèque, plus de 90 % des ouvrages ne sont jamais lus. Si vous stockez l'ensemble des livres sous forme informatique, il faut les recopier tous les six ou sept ans et le prix de revient est considérable. C'est pourquoi la Library of Congress ou la British Library ne font pas de stockage numérique actuellement. Le jour où l'on aura trouvé des supports irréprochables pendant trente ans ou quarante ans ou que l'on peut recopier facilement, on pourra créer une bibliothèque numérique.
En revanche, il est possible d'établir un catalogue numérique. Les bibliothèques universitaires en ont fait un. A ce propos, nous allons signer une série d'accords avec la Library of Congress et la Bristish Library pour favoriser les échanges de livres.
M. Neuwirth m'avait interrogé sur le traitement de la douleur. Je lui répondrai par écrit. Nous avons pris des mesures dans ce domaine.
Monsieur Othily, je suis très attentif au programme relatif à la Guyane et aux DOM-TOM. Nous avons lancé un plan spécial de rattrapage scolaire pour les DOM-TOM. Le problème est, en Guyane, particulièrement difficile à résoudre, le nombre d'étudiants étant peu élevé : comment faire fonctionner un IUFM pour former des enseignants dans le premier et le second cycle ? De toute manière, un chargé de mission, M. Alain Nemoz, va être nommé et des moyens supplémentaires lui seront octroyés dès le mois de janvier. La dotation de l'université des Antilles-Guyane, bien qu'excédentaire, a été maintenue à 20 millions de francs et onze postes d'IATOS et treize postes d'enseignants leur ont été affectés cette année.
Je suis donc tout à fait ouvert s'agissant de la Guyane. Le plan U3M prévoit d'ailleurs la création d'un centre de recherche commun avec les Brésiliens. Cela étant, on ne peut pas aller plus vite que la musique ! Je suis favorable à l'installation, à terme, d'une université autonome en Guyane, comme à Papeete et à Nouméa. Il n'y a aucune opposition de principe de la part du Gouvernement, mais il faut attendre que les conditions soient réunies et que les étudiants soient assez nombreux. Précipiter les choses ne rendrait pas service à la Guyane.
Je crois avoir répondu, mesdames, messieurs les sénateurs, à toutes vos questions.
M. André Maman. Et les frais de scolarité ? Et la sélection ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Vous êtes partisan du modèle américain, monsieur Maman, mais pas moi ! Je suis fondamentalement opposé à ce que les frais d'inscription financent la plus grande partie des coûts de fonctionnement de l'enseignement supérieur dans notre pays.
Mme Hélène Luc et M. Yvan Renar. Très bien !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. En France - cela fait partie du welfare state - l'enseignement est gratuit et public. Tant que je serai ministre, cela ne changera pas.
Mme Hélène Luc. Il a raison !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Ce point est fondamental.
A l'heure actuelle, des universités américaines tentent de s'implanter chez nous.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Oui !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Si nous les laissions faire, nous serions rapidement envahis. Par conséquent, sur ce sujet, aucune discussion n'est possible.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis, et Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. L'un des fondements de la République dans ce pays, c'est l'enseignement gratuit donné à ceux qui sont capables d'en tirer profit, et revenir sur ce principe signifierait à mon sens changer de régime. Je n'importerai pas le système américain. C'est clair ! Je le connais aussi bien que vous, monsieur Maman, mais dans l'ensemble de l'Europe, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, l'enseignement est gratuit : c'est la philosophie européenne. Outre-Atlantique, une autre philosophie prévaut, à laquelle je ne suis pas favorable. Je vous le dis tout net, et c'est un point très important à mes yeux !
Vous avez en outre évoqué la sélection à l'entrée de l'université. Je croyais que M. Bayrou avait réglé le problème, mais je veux bien en débattre.
C'est à l'université que la sélection est la plus forte,...
M. André Maman. Par l'échec !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. ... et non pas dans les grandes écoles ! Une fois que l'on est parvenu à entrer dans une grande école, on en sort diplômé. Mais à l'université, chaque année est sélective, chaque année des étudiants échouent. Par conséquent, la situation en France est la suivante : il existe le système des grandes écoles, que, de vous à moi, je trouve extraordinairement scolaire, avec un examen formel, etc., et, parallèlement, une autre voie, l'université, qui offre à ceux qui n'ont pas été suffisamment travailleurs ou brillants dans l'enseignement secondaire une deuxième chance. Mais encore faut-il qu'ils passent le cap du premier cycle ! La sélection existe donc aussi à l'université, simplement elle ne s'opère pas à l'entrée.
En tout état de cause, cette possibilité de choisir me semble très importante. Le problème est ailleurs : il s'agit plutôt de savoir si l'on doit laisser une université accueillir trois fois plus d'étudiants que ses moyens ne le lui permettent. C'est donc une question d'adéquation aux capacités d'accueil. En effet, un certain nombre d'universités - c'est leur faute, et non pas celle du Gouvernement - essaient d'attirer plus d'étudiants qu'elles ne peuvent en accueillir, afin d'obtenir des moyens supplémentaires. Je ne pense pas que ce soit une bonne solution. Là est le vrai problème.
Cela étant dit, je le répète, les questions relatives à la sélection à l'université et aux droits d'inscription sont fondamentales et mettent en cause des valeurs essentielles du système éducatif européen, à propos desquelles ma position n'est pas près d'évoluer, ni celle du Gouvernement, je vous le dis tout de suite !
Mme Hélène Luc. Vous avez raison ! Pas sur tout, mais là-dessus, oui !
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : II. - Enseignement supérieur.

*
* *
ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 516 104 326 francs. »

Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président. « Titre IV : 49 704 374 francs. »

Je vais mettre aux voix les crédits figurant au titre IV.
M. Jacques Valade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. Monsieur le ministre, je souhaite revenir sur certains de vos propos, car je ne voudrais pas vous laisser penser un seul instant qu'il puisse exister un désaccord entre M. le rapporteur spécial et moi-même.
Vous avez suggéré à la majorité sénatoriale d'organiser quelques réunions supplémentaires de son intergroupe. Je puis vous rassurer sur ce point : nous tenons nos réunions en temps et en heure utiles. Par conséquent, nous ne changerons pas leur rythme.
De toute façon, ce serait inutile, car même si M. Lachenaud et moi-même nous sommes exprimés de manière un peu différente, le résultat est le même puisque la commission des finances et la commission des affaires culturelles, ainsi que le Sénat, ont repoussé votre projet de budget.
Par ailleurs, je voudrais expliquer pour quelles raisons je vais voter contre les crédits de l'enseignement supérieur, quel que soit le titre concerné. Nous avons émis quelques observations et d'autres intervenants que les rapporteurs se sont exprimés. Vous avez répondu, monsieur le ministre, à votre rythme, selon votre méthode, qui est à la fois sympathique et, essentiellement, très sincère ; je vous donne bien volontiers acte de cette sincérité. Mais il se trouve que nous sommes tous les deux des spécialistes de sciences expérimentales ; par conséquent, nous sommes soumis aux contingences de la matière, et je serais tenté de dire que vous l'êtes davantage que moi... En sciences expérimentales, le raisonnement n'est donc pas toujours totalement rigoureux, et il m'a semblé déceler dans vos démonstrations une certaine improvisation qui s'écartait un peu de l'esprit cartésien, sans amoindrir le capital de sympathie dont vous disposez, notamment au Sénat.
Quelque peu excité, au début de votre intervention, par les propos de notre collègue André Maman (Sourires), vous avez dit que tout ce qui est excessif est dérisoire. Je relève que vous avez fait référence à un ancien ministre de l'éducation nationale, Lionel Jospin, à l'exceptionnel conseiller spécial qui était alors à ses côtés (Nouveaux sourires), et que vous avez estimé que, au fond, M. Bayrou n'avait pas été si mauvais que cela ! Puis, Claude Allègre est arrivé, et a accompli toute une série de choses qui, jusqu'alors, n'avaient pas été faites. A la limite, je serais tenté de vous en donner acte !
Mais, ce que je ne vous pardonnerai pas - si vous me permettez cette expression - c'est de faire coïncider l'an I de l'enseignement supérieur et le début des efforts qui ont pu être faits dans ce domaine avec l'arrivée de Lionel Jospin et de son conseiller spécial rue de Grenelle.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Non ! Je n'ai pas dit cela !
M. Jacques Valade. C'est ce que vous avez dit !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Non !
M. Jacques Valade. Je n'ai pas d'amour-propre d'auteur, mais il n'en demeure pas moins que, après 1968, toute une série de ministres de l'éducation nationale ont consacré leurs efforts, avec plus ou moins de bonheur et plus ou moins de talent, à l'université française. Je tenais à faire cette mise au point.
Quoi qu'il en soit, s'agissant notamment de la professionnalisation, de la licence professionnelle ou de la possibilité désormais offerte d'établir des comparaisons, au sein de l'Europe mais également en dehors de celle-ci, grâce aux différents niveaux rendus plus cohérents, nous ne rejetons pas bêtement et systématiquement votre argumentation.
Cependant, je le répète, le fait que, d'une part, malgré l'augmentation des crédits de l'enseignement supérieur, aucune redistribution des crédits ne soit opérée au sein de l'enveloppe globale de l'éducation nationale entre enseignement scolaire et enseignement supérieur et, d'autre part, qu'aucun grand projet ne soit annoncé pour l'enseignement supérieur - pourtant, Dieu sait si vous aimez manipuler les idées ! - me confirme dans ma résolution - et c'est ici à titre personnel que j'interviens - de voter contre vos crédits. (M. Philippe Marini applaudit.)
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je ne crois nullement que l'enseignement supérieur français ait commencé avec l'arrivée de Lionel Jospin à l'éducation nationale ! J'ai simplement dit que la ligne qui avait été esquissée à cette époque avait été suivie par son successeur. Maintenant, si vous voulez que nous revenions sur l'histoire de l'éducation nationale, je peux évoquer quelques grands moments ; il y a eu la création des IUT par Christian Fouchet et qui fut à mon avis un grand moment pour l'éducation nationale ; il y a eu la suppression des facultés par Edgar Faure, accompagnée, il est vrai, de nombreuses autres mesures plus discutables. Je connais donc bien cette histoire.
Cela étant, nous, Français, avons une spécialité, qui est de dénigrer nos propres efforts, jusqu'au moment où nous gagnons la Coupe du monde de football. (Sourires.) Aimé Jacquet a été la victime de ce travers. J'affirme que notre enseignement supérieur français, grandes écoles et universités confondues, n'est pas en position de faiblesse dans la compétition mondiale. Il manque certes de moyens, ou plutôt il en manquait, car, peu à peu, nous lui en donnons, mais le corps d'enseignement supérieur français a déjà fait des efforts considérables, et, en ces matières, j'estime qu'il faut être modéré.
Ainsi, vous parlez, monsieur Valade, de grands projets. Mais parvenir à une harmonisation à l'échelle mondiale et à une réduction du nombre de chômeurs en France, n'est-ce pas le seul grand projet qui vaille ? Le reste ne compte guère.
D'ailleurs, je ne crois pas aux grandes envolées dans ce domaine, je vous le dis clairement. Je crois au travail accompli tous les jours, petit à petit, acte après acte, au plus près du terrain. C'est à cela que je crois, et non pas aux grandes perspectives générales. Nos bases sont correctes, il faut simplement définir une cohérence, et c'est ce que je m'efforce de faire. C'est tout ! Vous pouvez estimer que cela n'est pas flamboyant, mais j'assume pleinement cette démarche.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire récemment à la télévision s'agissant d'un autre sujet politique, il est des problèmes à propos desquels il n'est pas bon que nous nous divisions ; nous devons au contraire avancer ensemble.
Pour conclure, mon cher collègue - je m'adresse ici au professeur que vous êtes - il eût été cohérent avec vos arguments de proposer non pas de ne pas voter les crédits de ce projet de budget, mais de les augmenter de 3 % par rapport à la proposition initiale du Gouvernement.
M. Philippe Marini. Nous n'en avons pas le droit, monsieur le ministre !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.
Mme Hélène Luc. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)

ÉTAT C

M. le président. « Titre V. - Autorisations de programme : 700 000 000 francs ;

« Crédits de paiement : 210 000 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement figurant au titre V.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président. « Titre VI. - Autorisations de programme : 5 201 060 000 francs ;
« Crédits de paiement : 3 141 260 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement figurant au titre VI.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président. Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant l'enseignement supérieur.

III. - RECHERCHE ET TECHNOLOGIE

M. le président. Le Sénat va poursuivre l'examen des dispositions du projet de loi concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : III. - Recherche et technologie.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. René Trégouët, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est la première fois, depuis que je rapporte ce budget, que je demande le rejet de ses crédits.
Je veux ainsi non pas manifester une réprobation totale à l'égard de son évolution pour l'an 2000 ou envers la politique de la recherche qui est menée, mais tirer solennellement une sonnette d'alarme.
Mon insatisfaction est motivée davantage par une profonde inquiétude pour l'avenir de la recherche française que par une condamnation de principe de tous les choix qui sont faits, et je pense qu'il est bien de dire avec humilité, en cet instant, que je n'ai aucune certitude de détenir la vérité en ce domaine.
Je veux donc, malgré mon vote négatif, me montrer nuancé et ouvrir, à l'occasion de ce débat, un véritable dialogue avec vous, monsieur le ministre.
La décision de la commission des finances de rejeter les crédits de la recherche pour l'an 2000 tient davantage à l'évolution globale insuffisante de ce budget qu'à l'orientation de ses priorités. Elle met en cause plus le processus que le contenu des décisions qui sont prises.
Nous rejetons ces crédits pour deux raisons principales.
D'une part, ils ne sont pas à la hauteur des enjeux et des besoins de la recherche française.
D'autre part, nous ne sommes pas pleinement satisfaits de la façon dont les décisions sont prises et exécutées.
Tout d'abord, le montant des crédits de la recherche en 2000 n'est pas à la hauteur des enjeux et des besoins de notre recherche, disais-je.
Je note, dans mon rapport écrit, qu'il est même en contradiction avec les ambitions du Gouvernement affichées par le comité interministériel de la recherche du 15 juillet 1998. Le compte rendu de ce comité affirmait en effet que la France devait se donner les moyens d'adapter son dispositif public de recherche pour être capable de relever les défis du siècle prochain.
Or, que constate-t-on ? Le taux de progression du budget civil de recherche et de développement, qui passe de 53,9 milliards à 54,6 milliards de francs, est de 1,3 %. Il est donc à peine supérieur à celui de l'ensemble des dépenses civiles de l'Etat, qui est de 1,2 %. Il leur est même inférieur en ce qui concerne les autorisations de programme.
Au sein du budget civil de recherche et de développement technologique, le BCRD, votre propre budget, monsieur le ministre, progresse, à structure constante, de 1,1 % pour le total des dépenses ordinaires et des crédits de paiement, qui avoisinent 40 milliards de francs. Certes, on peut considérer que le verre est à moitié plein, puisque c'est un peu plus que l'inflation. Je considère, pour ma part, qu'il est à moitié vide, car c'est moins que la croissance de l'économie et beaucoup moins que celle des budgets de certains autres départements ministériels.
En revanche, l'accroissement de 3,6 %, à structure constante, des autorisations de programme est un élément positif.
Force est de reconnaître, cependant, que la recherche est loin de faire l'objet de la priorité budgétaire qu'elle mérite. Il n'est que de comparer la progression de ses crédits à l'augmentation de ceux de l'environnement, de l'emploi ou de la justice, par exemple.
Cette progression n'est pas à la hauteur des enjeux et des besoins de notre recherche.
Les enjeux, je le rappelle brièvement, ne sont pas seulement scientifiques. Ils sont aussi culturels, stratégiques, s'agissant, par exemple, de notre défense, de l'accès à l'espace. Ils sont, enfin, économiques.
Il est prouvé que la recherche est un des moteurs de la croissance et de la création d'emplois. Les dépenses publiques de recherche sont donc les moins stériles d'entre toutes ; elles engendrent, à terme, des recettes fiscales et des rentrées de cotisations sociales.
C'est pour cette raison que la commission des finances souhaite les voir augmenter, alors qu'elle est favorable, dans l'ensemble, à une réduction des dépenses des administrations.
Notre recherche doit relever deux défis majeurs, celui de la compétitivité et celui de l'emploi scientifique.
Défi de la compétitivité, dans un monde où, comme le souligne un récent rapport du Commissariat au Plan, les activités de recherche n'échappent pas à la mondialisation. Elles peuvent être délocalisées et les risques de « fuite des cerveaux » sont réels.
Défi de l'emploi scientifique, avec une accélération des départs à la retraite, qui vont atteindre leur maximum de 2006 à 2012. D'ici à l'année 2012, s'agissant des enseignants chercheurs, les deux tiers des professeurs et 35 % des maîtres de conférence de l'enseignement supérieur auront atteint l'âge de soixante-cinq ans.
Globalement, notre effort de recherche, considéré dans le moyen terme et par comparaison avec d'autres pays, ne semble pas pouvoir nous permettre de relever ces défis dans les meilleures conditions.
La part dans notre PIB de nos dépenses de recherche diminue depuis 1993, qu'il s'agisse des recherches exécutées sur notre territoire ou de celles que nous finançons en France et à l'étranger. Dans le même temps, les Etats-Unis et le Japon ont accentué leur effort. Les indicateurs de l'OCDE - je vous renvoie, mes chers collègues, à mon rapport écrit - nous placent en queue du peloton de tête des principaux pays industrialisés pour les ratios concernant la dépense intérieure de recherche par habitant ou le nombre de chercheurs par rapport à la population active.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Non, c'est faux. Je ne peux vous laisser dire cela !
M. René Trégouët, rapporteur spécial. Tout à l'heure, vous pourrez me répondre, monsieur le ministre, et je reprendrai, pour ma part, les termes précis qui figurent dans mon rapport.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. J'ai un document sous les yeux ; il est à la disposition de tout le monde. On ne peut pas faire de la politique en citant des chiffres faux !
M. René Trégouët, rapporteur spécial. Monsieur le ministre, je suis à la tribune et je n'ai pas, moi, votre document sous les yeux. Mais j'ai l'humilité de vous dire que je vérifierai et que, si j'ai fait une erreur, ce sera l'honneur du parlementaire que je suis de le reconnaître.
Cela étant, j'ai peut-être une autre lecture que vous des mêmes tableaux. En effet, je me méfie beaucoup des statistiques. Il faut faire très attention à l'angle sous lequel on les regarde.
Tout à l'heure, nous y reviendrons ; je vous répondrai précisément en vous donnant la référence exacte.
La part des brevets français dans le monde diminue - cela aussi, vous pouvez le contester, monsieur le ministre ! - ainsi d'ailleurs que celle de l'Europe, ce qui n'est pas une consolation, notamment en ce qui concerne les technologies clés.
A l'insuffisance, traditionnelle, de la valorisation de notre potentiel de recherche, qui reste, dans l'ensemble, remarquable, s'ajoutent des retards préoccupants dans des domaines comme les sciences du vivant ou les nouvelles technologies de l'information et de la communication, dont les perspectives de développement sont pourtant particulièrement prometteuses.
Dans ces conditions, la progression, médiocre, de ce budget n'offre pas de marges de manoeuvre suffisantes pour concilier, dans de bonnes conditions, le rattrapage de nos retards, l'accompagnement de l'émergence de disciplines nouvelles, comme la bio-informatique ou la microbiologie, et le maintien des acquis dans nos pôles d'excellence.
A cet égard, la remise en cause, pour des raisons d'ordre plus strictement budgétaire que d'opportunité, de certains investissements, comme le remplacement du navire porte-engin Nadir de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, l'IFREMER, ou le synchrotron SOLEIL me semblent regrettables.
La situation du Commissariat à l'énergie atomique me préoccupe également. Certes, un effort de rebudgétisation de sa dotation d'investissement a été fait, mais ses dépenses ont diminué de 100 millions de francs en 1999. Il n'est pas satisfaisant que le financement de ses dépenses ordinaires nécessite la vente de « bijoux de famille », autrement dit la cession d'actifs de CEA-Industrie. Ne pourrait-on pas mettre à disposition du CEA, en loi de finances initiale, les 100 millions de francs approvisionnés au titre de la scission de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire ?
M. Philipppe Marini. C'est un minimum !
M. René Trégouët, rapporteur spécial. L'océanographie et le nucléaire sont des domaines d'excellence française. Un synchrotron est un instrument de recherche pluridisciplinaire irremplaçable, utilisé par toutes sortes d'usagers, y compris des PME et des thésards.
Certes, il faut faire des choix, certes, le poids des très grands équipements est lourd, et celui des salaires des chercheurs encore plus. Mais il ne faudrait pas qu'une certaine pénurie budgétaire laisse à penser que les arbitrages sont effectués en fonction d'oppositions sommaires entre très grands équipements et laboratoires, par exemple, ou entre CNRS et universités.
Toutes les composantes de la recherche française sont, en réalité, nécessaires et étroitement imbriquées, et leur équilibre est délicat.
Il convient de réfléchir à la répartition entre les équipements réalisés, selon leur dimension et leur coût, au niveau soit européen, soit national, soit régional.
Concernant les ressources humaines, la faiblesse des mesures nouvelles pour 2000 a suscité une « vive inquiétude » de la part du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, et le Commissariat général du Plan a évoqué « le vieillissement inquiétant de la recherche publique française ».
J'avoue, compte tenu de la complexité du problème, liée, notamment, à la diversité des situations des organismes, ne pas disposer en cet instant des éléments qui me permettraient d'apprécier si la pause prévue, l'an prochain, dans l'effort de recrutement des chercheurs est ou non justifiée.
Un effort d'anticipation - j'y reviendrai - est à tout le moins indispensable, et il faut lisser les évolutions des effectifs pour préserver l'excellence de notre recherche.
Certes, la rigidité des grands organismes et des cloisonnements disciplinaires peut être invoquée, mais ne faudrait-il pas, monsieur le ministre, faire de l'augmentation du budget une incitation aux réformes de structure plutôt que faire de la réforme des structures un préalable à l'augmentation du budget ?
M. André Maman. Très bien !
M. René Trégouët, rapporteur spécial. J'en viens maintenant à l'examen des priorités de ce budget, qui, je vous l'ai dit, me paraissent, dans l'ensemble, correctement orientées.
D'un point de vue thématique, elles ont été affirmées par le comité interministériel du 1er juin dernier.
Elles privilégient, tout d'abord, les sciences du vivant, et plus particulièrement la biologie et la génomique, ainsi que les nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Ces deux premières priorités me semblent incontestables, étant donné, à la fois, le potentiel de valorisation, en termes de croissance et d'emplois, de ces disciplines et le retard que nous y accusons.
Sont également distingués les transports et le cadre de vie, l'énergie.
En matière spatiale, priorité est donnée à l'espace « utile », et je voudrais, dans ce domaine, souligner l'intérêt du programme européen Galiléo de positionnement par satellite.
Mais, s'agissant de l'étude de la planète et de l'environnement ou de la relance de la recherche en sciences humaines et sociales, dont les champs d'investigation sont très vastes, pourriez-vous nous préciser, Monsieur le ministre, comment les actions menées seront ciblées ?
Seront par ailleurs favorisés la recherche universitaire, notamment à travers le plan U3M et les contrats de plan Etat-régions, et la recherche technologique, au moyen du FRT, le fonds de la recherche et de la technologie. Mais, s'agissant de la valorisation de la recherche, les moyens de l'ANVAR, l'Agence nationale de valorisation de la recherche, qui n'est pas, il est vrai, sous votre tutelle, n'augmentent pas.
D'un point de vue méthodologique, j'approuve l'accent mis, d'une part, sur la coordination des moyens, notamment par le biais des actions concertées incitatives et des réseaux de recherche technologique, et, d'autre part, sur la mobilité des chercheurs. S'agissant plus particulièrement des relations avec les entreprises et de la valorisation des travaux des chercheurs du secteur public, les dispositions prévues par la loi sur l'innovation et la recherche sont excellentes.
Concernant, enfin, vos priorités budgétaires, l'augmentation des moyens des deux fonds d'intervention du ministère, le fonds national de la science, d'une part, et le fonds de la recherche technologique, d'autre part, est spectaculaire. Les autorisations de programme de ces deux fonds, dont le total dépasse 1,5 milliard de francs, progressent, en effet, de plus de 35 %.
Je comprends votre volonté de favoriser, par l'octroi de subventions de ces deux fonds, les disciplines nouvelles et les jeunes chercheurs, ainsi que le rattrapage de notre retard dans certains domaines comme les sciences du vivant et les technologies de l'information, je le disais voilà quelques instants.
Je souhaite seulement que ces deux fonds constituent des instruments de coordination des efforts plus que de contournement des grands organismes.
Je m'interroge, à ce sujet, sur la faiblesse de l'augmentation des crédits de certains d'entre eux, comme l'INSERM, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, ou l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, dans des secteurs pourtant prioritaires des deux fonds en 1999.
La stimulation de la recherche universitaire et la restauration des moyens des laboratoires des organismes de recherche me paraissent les bienvenues.
Je souhaite simplement que le financement des activités de nos laboratoires de recherche, dans lequel les entreprises pourraient davantage s'impliquer, ne s'effectue pas au détriment de celui des très grands équipements indispensables, que les laboratoires utilisent et qui relèvent surtout, dans le contexte français, du budget de l'Etat.
Bien entendu, il faut, autant que possible, faire appel à des coopérations internationales pour limiter certaines dépenses d'investissement, mais sans que cela ne lèse la satisfaction des besoins légitimes de nos chercheurs.
Je pense que vos priorités, monsieur le ministre, gagneraient à s'inscrire dans une politique de la recherche plus prospective, plus transparente et mieux évaluée. Les trois aspects sont liés.
La prospective doit permettre de mieux instruire les dossiers, de mieux préparer les décisions, en y associant, le plus en amont possible, tous les intéressés, chercheurs et parlementaires compris. Elle doit permettre d'aller au-delà de la programmation des grands équipements pour élaborer une stratégie à long terme de la recherche. Elle est absolument indispensable en matière d'emplois scientifiques, compte tenu du choc démographique que va subir la recherche française, qui constitue une occasion unique de rénovation et de remodelage disciplinaire.
Le manque de transparence de la politique, notamment budgétaire, de la recherche, est lié au caractère complexe et peu lisible de son dispositif. Il nécessite un effort d'autant plus soutenu d'explication et de communication. Une plus grande sincérité budgétaire est souhaitable - je vous renvoie, sur ce point, aux observations de la Cour des comptes - ainsi qu'un suivi des dépenses des fonds de la science et de la technologie, compte tenu, notamment, des précédents rencontrés en matière de gestion du FRT.
S'agissant, enfin, de l'évaluation de la politique de la recherche, dans son ensemble, par domaines particuliers, ou par organismes, elle doit porter sur les choix eux-mêmes et pas seulement sur l'exécution ou les résultats des décisions. Le Parlement doit, naturellement, y être associé et disposer de ses propres moyens d'appréciation. L'évaluation doit être objective, rigoureuse et contradictoire, ce qui suppose de faire appel à des experts à la fois indépendants - donc, en partie, étrangers - compétents et en nombre suffisant. Tous les intéressés doivent pouvoir s'exprimer et être non seulement entendus mais aussi écoutés.
Le dispositif actuel est trop foisonnant et il faut, sans doute, fusionner certains organismes.
Par leur composition en partie représentative de la communauté des chercheurs, le conseil supérieur de la recherche et de la technologie et le comité national de la recherche scientifique constituent cependant des exemples particulièrement intéressants.
Sans doute faudrait-il créer une sorte de forum permanent où puissent dialoguer des représentants de l'administration, du Parlement et de la recherche publique et privée.
Dans cette attente d'une recherche plus transparente et mieux évaluée et, surtout, en raison de l'insuffisance de la progression de ce budget, face à ses enjeux, dans l'espoir de contribuer, par cette décision, à le voir augmenter de façon significative l'an prochain, votre commission des finances vous demande, mes chers collègues, de rejeter les crédits de la recherche pour l'an 2000. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Laffitte, rapporteur pour avis.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis quatorze ans maintenant, je rapporte pour avis le budget de la recherche, en prenant bien soin de ne pas trop parler chiffre, mais plutôt des problèmes qui me paraissent essentiels, c'est-à-dire les structures, leur évolution et la façon dont le système français de recherche s'adapte et contribue au développement économique de la nation.
Je commencerai par vous livrer quelques données qui n'ont pas encore été évoquées par mes prédécesseurs à cette tribune, et notamment le volume considérable que représente aujourd'hui le financement de la recherche par la Commission européenne. Les chiffres commencent à s'apparenter à des chiffres de caractère national. En effet, le cinquième programme cadre de recherche et développement, PCRD, par exemple, représente quelque 98 milliards de francs de financement sur quatre ans, soit près de 25 milliards par an, ce qui n'est pas négligeable ! Il convient donc de veiller à ce que ces 25 milliards de francs par an correspondent bien à des actions menées à l'échelon européen et ne dupliquant pas des programmes spécifiquement nationaux. Il s'agit, par exemple, du programme « mobilité des chercheurs ou des ingénieurs » - qui devrait d'ailleurs être fortement augmenté - de façon à bâtir un espace européen de la recherche.
De même, l'Europe doit se préoccuper des grands équipements. Actuellement, les plus grands équipements ne sont pas financés par la Communauté européenne : qu'il s'agisse du CERN - organisation européenne pour la recherche nucléaire - du synchrotron de Grenoble, ou d'autres opérations, y compris le futur synchrotron dont il a été beaucoup question, mais qui n'est pas financé par la Communauté européenne. Cela n'est pas normal, ce n'est pas admissible ! Les grands équipements et leur fonctionnement doivent être financés par la Communauté européenne parce que ce sont des opérations européennes.
Aux Etats-Unis, par exemple, les grands équipements sont financés par le gouvernement fédéral et non par les Etats de la fédération. Je ne milite pas ici pour une fédération européenne ; je me contente de citer un exemple dont l'Europe pourrait s'inspirer pour bâtir un espace européen de la recherche. Le principe de la subsidiarité s'appliquerait pour tout ce qui concerne, par exemple, le financement de la recherche, des PME, qui nécessite des connaissances précises de proximité.
J'étais à Bruxelles voilà quinze jours. J'ai pu constater que, sur ce point, les idées évoluent et je me plais à souligner qu'elles évoluent en partie grâce à des initiatives françaises qui sont maintenant relayées par les initiatives franco-allemandes et belges. Le commissaire Busquin partage d'ailleurs ces idées, que, tous ensemble, nous devons continuer à promouvoir.
Le second point que j'évoquerai, c'est l'importance croissante des financements par les régions, qui est d'ailleurs bien moindre en France que dans d'autres pays.
Je rappelle qu'en Allemagne le seul Land de Bavière a des projets considérables puisqu'il consacre près de 10 milliards de francs pour la seule année 2000 à ce qu'il appelle « l'Offensive high tech » de Bavière ; c'est plus, et de loin, que ce que les contrats Etat-région apportent en France pour des projets aussi pointus. Cela veut bien dire que, d'une certaine façon, le budget qui nous est soumis, bien qu'il soit postérieur aux assises nationales de la recherche et au vote de la loi sur l'innovation qui a apporté un souffle nouveau - et je crois que le Sénat peut se féliciter d'y avoir contribué - devrait être examiné en tenant compte de ces éléments spécifiques.
Encore une fois, je ne parlerai pas du volume budgétaire. J'évoquerai simplement certains aspects, notamment ceux qui concernent le développement économique lié à la matière grise, le développement de la recherche, le transfert de la technologie, le développement d'incubateurs. Ils sont une priorité absolue, que le ministre a fortement poussée, en faveur de laquelle il a sans doute la volonté - pourra-t-il le confirmer ? - de réorienter une partie de ses financements.
Des domaines stratégiques ont été sélectionnés ; sont-ils suffisamment financés ? Je souhaiterais sur ce point recevoir des apaisements.
Monsieur le ministre, vous avez du souffle, vous ne craignez pas de bousculer les traditions, d'être dans certains cas impopulaire, mais je n'ai pas le sentiment que vous ayez véritablement mis « tout le paquet », comme on dit familièrement, pour obtenir des moyens supplémentaires, pour obtenir les moyens de vos ambitions, dont nous connaissons tous la direction, car vous les avez affichées ici à diverses reprises.
Mon collègue M. Trégouët vient de juger très positives les priorités que vous avez indiquées. Je n'aurais garde d'avoir un avis différent. Je partage cette opinion positive sur les priorités que vous retenez. Mais, monsieur le ministre, ces priorités doivent être concrétisées, notamment pour l'Institut national de recherche en informatique et en automatique, l'INRIA.
Monsieur le ministre, si j'en avais eu la possibilité, j'aurais déposé un amendement visant à la création de cinquante emplois à l'INRIA. Mais je n'en ai pas la possibilité car, sous la Ve République, un article de la Constitution et, qui plus est, un article du règlement du Sénat m'en empêchent !
Il en est de même de l'intérêt qu'il y aurait à développer de grandes recherches dans le domaine crucial de la création de produits multimédias ; le contenu des autoroutes de l'information est au moins aussi important, voire dix fois plus en termes de chiffre d'affaires futur, que la création de ces autoroutes.
En Europe, les organismes privés investissent des centaines de milliards de francs dans ce secteur. Il faudrait au moins que l'Etat y consacre une partie de ses investissements pour que l'ensemble des chercheurs, privés ou publics, dans le domaine des sciences de l'homme ou des sciences sociales, soient incités à créer des produits multimédias dans des secteurs variés, culturels, liés à la santé, au télé-enseignement, etc.
Au terme de ces quelques réflexions, je précise que la commission des affaires culturelles approuve les directions qui ont été retenues, mais préfère s'en remettre à la sagesse du Sénat sur ce projet de budget de la recherche pour l'an 2000. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE ainsi que sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Rausch, rapporteur pour avis.
M. Jean-Marie Rausch, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. René Trégouët, rapporteur spécial de la commision des finances, a évoqué tout à l'heure, comme c'est son rôle, les données financières du projet de budget que je ne rappellerai donc pas, me bornant à préciser que le budget civil de recherche et de développement technologique s'élève à 54,6 milliards de francs, ce qui représente une faible hausse de 1,3 % par rapport à l'an dernier.
J'évoquerai très rapidement trois évolutions positives de notre système de recherche dont on a déjà parlé ainsi que trois interrogations persistantes de la commission des affaires économiques.
Le premier motif de satisfaction est le soutien, par l'Etat, des disciplines d'avenir comme les biotechnologies ou les technologies de l'information, et ce, au moyen de deux fonds d'intervention nationaux : le FNS, le Fonds national des sciences, et le FRT, le Fonds de la recherche technologique. La transparence sur l'utilisation de ces crédits me semble toutefois devoir être améliorée, car les fonds ne doivent pas devenir un instrument de « contournement » des établissements de recherche.
Le deuxième motif de satisfaction est la réorientation des crédits d'intervention de la recherche vers les petites et moyennes entreprises, désormais les premières bénéficiaires du crédit d'impôt recherche, ainsi que du Fonds de la recherche technologique.
Le troisième motif de satisfaction est la relance de l'objectif de valorisation de la recherche française et des mesures incitatives à l'essaimage, c'est-à-dire à la création d'entreprises innovantes par les chercheurs, notamment par la loi du 12 juillet 1999 relative à la recherche et à l'innovation que le Sénat à d'ailleurs soutenue.
Je relève que 200 millions de francs de crédits ont été réservés dans votre budget à la création d'incubateurs et de fonds d'amorçage auprès des établissements de recherche, universités et écoles.
La commission soutient cette logique, où l'argent public, qui s'additionne à des fonds privés, a un fort effet de levier. La proposition de loi de MM. Raffarin et Grignon vise d'ailleurs à la voir dupliquer, au-delà de la recherche, sur des thématiques plus générales, dans une logique de développement territorial. C'est en effet l'accompagnement de la création et le premier tour de table financier qui sont les maillons faibles du processus de création d'entreprises en France.
Je présenterai maintenant trois interrogations fortes et persistantes en matière de politique de la recherche.
En premier lieu, les perspectives de l'emploi au sein des établissements de recherche ne semblent pas bien tracées. Or l'âge moyen des personnels de recherche publique est de quarante-sept ans, et la tranche des cinquante-soixante ans représente un tiers des effectifs du CNRS. Les départs massifs dans les années à venir peuvent constituer une opportunité historique de renouvellement, mais ils sont aussi un facteur de risque de déperdition du potentiel scientifique.
En deuxième lieu, la commission s'interroge sur les résultats obtenus par les instances de conseil et d'évaluation de la recherche, dont la mise en place avait été annoncée - en grande pompe - l'an passé. Le Conseil national de la science, en particulier, remplit-il vraiment son office ?
En troisième lieu, enfin, la commission regrette l'abandon du volontarisme politique en matière d'aménagement du territoire, qu'accompagne d'ailleurs un abandon de la politique des très grands équipements structurants.
Alors que d'aucuns craignent une récession scientifique de notre pays, liée au manque de certains équipements de grande ampleur - on pense au synchrotron Soleil - nous redoutons, quant à nous, l'impact territorial de l'abandon des grands équipements.
Les orientations du projet de schéma des services collectifs de la recherche ne sont guère prometteuses, puisque ce schéma est essentiellement conçu comme un document d'accompagnement du plan U3M, sans volet recherche autonome, à part une incitation à la mise en réseau de l'existant !
Je vous pose la question, monsieur le ministre : la régionalisation de la « matière grise » est-elle encore un objectif du Gouvernement ?
Pour ces motifs, la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs à la recherche dans le projet de la loi de finances pour 2000. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 22 minutes ;
Groupe socialiste, 17 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 11 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 20 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 19 minutes ;
Groupe communiste, républicain et citoyen, 5 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Lanier.
M. Lucien Lanier. Monsieur le ministre, en octobre dernier, soucieux d'informer les sénateurs, et nous vous en remercions, sur la politique de la recherche, vous annonciez deux objectifs ambitieux : redonner à la recherche française une place de premier plan dans tous les domaines, et faire de la recherche un moteur de l'économie et de la lutte contre le chômage.
Qui ne souscrirait à une telle ambition, créatrice d'un consensus toujours difficile, voire impossible à réunir en matière de recherche scientifique et technique, qui se situe, par la force des choses, au carrefour des intérêts et des sentiments ? C'est bien là qu'apparaît, reconnaissons-le très honnêtement, la complexité de votre tâche, autant que la bonne volonté du chercheur que vous êtes vous-même.
Vous ajoutiez, en effet, dans votre exposé d'information, que l'ambition annoncée passe par des stratégies et des mesures concrètes.
Les stratégies, c'est bien la politique de la recherche. Les mesures concrètes, ce sont les moyens dont dispose cette politique au sens le plus noble du terme, c'est-à-dire le budget qui vous est imparti.
Nous voilà donc au coeur du sujet. Car la progression des crédits de la recherche n'est pas, de toute évidence, à la hauteur des ambitions que vous souhaitez et que vous annoncez.
Les ambitions sont louables, les moyens décevants !
Depuis des années, nous observons un tassement des crédits de la recherche, tendance que ne démentit pas, cette année encore, la présentation de votre budget. Force est de constater, comme l'indique le rapporteur spécial, notre excellent collègue M. René Trégouët, que ce budget ne constitue pas une priorité nationale. Au regard du budget général, la recherche n'occupe pas la place privilégiée qui lui revient en tant que facteur déterminant de notre développement économique, culturel et social. Bref, le dispositif public de recherche, dans son état, est-il capable de relever les défis du XXIe siècle ?
La stabilité des moyens en volume, comparativement au budget de 1999, semble apporter une réponse négative à cette question. Vous déclariez récemment vous-même, monsieur le ministre, devant l'Assemblée nationale, que « s'agissant de la création d'entreprises innovantes, nous sommes le pays industrialisé le plus en retard ». La France se classe en effet en queue du peloton, comme l'a dit notre rapporteur spécial, ce qui n'est guère rassurant pour l'avenir, qu'il s'agisse du dépôt des brevets, dont le recul inquiétant paraît s'accélérer, de la part mondiale de la France dans les technologies clefs, qui régresse de 2,5 % par an.
Cela est préoccupant au moment même où la recherche s'insère dans la compétition mondiale et que nous devons dans le même temps maintenir notre excellence scientifique, mais également assurer sa valorisation.
Toutes vos analyses, monsieur le ministre, montrent que le dilemme ne vous a pas échappé. Avez-vous d'autres moyens de répondre à ce dilemme que de vous « attaquer » - le terme est vôtre - à la structure interne du budget de la recherche, c'est-à-dire, disons-le clairement, à déshabiller Paul pour habiller Jacques.
Loin de nous l'idée de vous en faire le reproche car, les choses étant ce qu'elles sont, vous faites avec ce que vous avez et vous justifiez votre attitude par des raisons qui ne sont pas dénuées de fondement.
J'évoquerai les trois raisons principales.
Tout d'abord, le budget de la recherche n'est pas seulement une affaire de gros sous, vous avez raison. L'augmenter massivement sans modification des structures n'aboutirait qu'à confirmer une situation figée depuis quinze ans.
Ensuite, il faut réduire de façon drastique le poids des grands équipements afin d'assurer une priorité aux équipes de jeunes chercheurs des laboratoires.
Enfin, désormais, les équipements lourds seront assurés dans le cadre d'une coopération multinationale européenne, meilleur moyen, pensez-vous à juste titre, pour aller de l'avant dans la construction d'une communauté scientifique européenne.
L'ensemble de ces mesures s'inscrit dans une logique intellectuellement satisfaisante, mais à une condition : qu'elles puissent s'adapter avec prudence à l'évolution générale de la recherche, sans que soit mis en péril, faute de nuances suffisantes, le potentiel des acquis culturels et structurels de la recherche nationale.
Vous savez mieux que quiconque que toute rupture de rythme par trop brutale dans le fil d'une recherche constitue une épreuve très difficile à surmonter et parfois fatale.
Réduire dans le budget le poids des équipements très lourds est, à l'évidence, une nécessité si l'on veut que la recherche épouse son temps. Mais la stagnation du budget qui nous est présenté vous ôte toutes marges de manoeuvre capables de nuancer, de « lisser » la logique de votre politique.
Il vous faut faire des choix tranchants, dans certains cas au détriment de la continuité qui sensibilise profondément la recherche scientifique.
Ainsi, vous voulez réduire la rigidité, et peut-être aussi, dans votre esprit, la superbe des grands organismes afin de « redéployer la recherche vers les champs nouveaux du savoir ». Mais vous ne pouvez le faire sans dégâts.
Je citerai à titre d'exemple les nombreux problèmes qui se posent au Commissariat à l'énergie atomique, qui, déjà, dans le passé récent, a subi les à-coups d'une évolution d'abord positive, ensuite négative. L'établissement a dû réduire de 100 millions de francs des dépenses pourtant essentielles eu égard à l'avenir énergétique de notre pays, autant qu'au niveau de ses recherches et de sa technologie. Je pense, entre autres, aux piles à combustibles.
Certes, des mesures nouvelles sont prévues, mais une part concerne les compensations du surcoût de la scission entre le Commissariat à l'énergie atomique et l'Institut de protection et de sécurité nucléaire. Certes, vous ajustez les crédits de personnel, mais les subventions d'investissement ne progressent pas, ce qui va nuire à la coopération indispensable de cet organisme avec l'université etl'industrie.
Monsieur le ministre, vous savez pertinemment que le CEA est responsable de recherches qui ont été à la source de progrès techniques considérables, plus particulièrement de notre avancée dans la discipline de l'atome et de l'énergie nucléaire. Cette avancée a permis, personne n'a pu le contester, de valoriser au mieux ces recherches, économiquement et socialement.
Sans faire aucun procès d'intention, ce dont je me garderai d'ailleurs à votre égard, je me demande si la place offerte au CEA dans votre projet de budget ne serait pas l'ébauche de la reconnaissance, voire de l'appui donné à certaines tendances qui, pour des raisons plus sentimentales que scientifiques, sont a priori et sans nuance hostiles à l'application civile du nucléaire.
M. Jacques Valade. Absolument !
M. Philippe Marini. On peut le craindre !
M. Lucien Lanier. Il en est de même pour d'autres grands organismes, et la question peut se poser de savoir si le nécessaire assouplissement de leur structures trop rigides, nous le reconnaissons, ne mène pas, subrepticement, à leur affaiblissement.
Au centre des grands équipements, la question des synchrotons de troisième génération se situe vraiment au carrefour des intérêts et de sentiments ; elle a suscité et soulève encore polémiques et passions.
Vous l'abordez avec des arguments propres à convaincre : la France ne pourrait seule s'en offrir la réalisation que réclame pourtant l'intersyndicale nationale recherche et enseignement supérieur, autant que les grandes régions françaises, pour des raisons à la fois scientifiques et économiques, les unes complémentaires des autres, ce qui donne à réfléchir.
L'aspect financier est évident : 16 milliards de francs pour l'ensemble université-recherche, 2 milliards de francs pour le projet de synchroton soleil. Votre budget n'y suffit pas, même avec le concours que vous proposent certaines régions.
Conscient que ce projet s'avère indispensable, plutôt que d'y renoncer, ce qui aurait été la pire des solutions, vous avez sagement recherché la coopération européenne et décidé que tous les grands équipements seraient désormais construits dans le cadre multinational européen, faisant valoir qu'une telle solution incitait, de manière irréversible, à l'élaboration d'une communauté scientifique européenne.
Croyez bien, monsieur le ministre, que nous sommes parfaitement conscients qu'on ne peut renforcer l'Union européenne sans renforcer l'Europe scientifique. Votre politique y trouve sa logique.
C'est donc surtout le processus de votre politique qui nous émeut, nous autant que la communauté scientifique, processus qui vous a conduit, après avoir informé, certes, mais sans grande concertation réelle et suffisante, à coopérer avec le gouvernement anglais et la fondation caritative Wellcome Trust , pour la construction du projet anglais Diamond, synchroton de troisième génération.
Vous nous dites que soleil et diamond sont deux projets « quasiment identiques ». Quasiment, oui, puisqu'au dire de certains diamond fournirait trois fois moins de rayonnement que soleil.
Sans entrer dans ces considérations purement techniques, avez-vous pensé au coup sévère que l'abandon du projet soleil portera à la recherche française en chimie, en biologie et pour l'étude de l'infiniment petit, sans compter les conséquences économiques et sociales, ne serait-ce que pour l'emploi, qui nous concerne au premier chef ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Cent cinquante personnes !
M. Lucien Lanier. Vous nous dites que la France est bien dotée, à Orsay, à Saclay, à Grenoble et d'ailleurs, d'instruments dont la saturation est loin d'être atteinte, peut-être, mais d'instruments qui, en vieillissant - et ils vieillissent vite - répondront de moins en moins à l'évolution de la troisième génération et nous laisseront largement tributaires d'un pays étranger jusqu'alors très jaloux de son excellence scientifique.
La coopération européenne, oui ! mais dans la prudente mesure où elle préserve les intérêts de la recherche française en un domaine de pointe, C'est pourquoi, répondant à votre détermination de faire en sorte que tous les investissements lourds ne soient qu'européens, et nous y souscrivons, nos excellents collègues MM. Valade et Legendre vous ont clairement demandé, à cette tribune, de définir une politique de recherche nationale qui ne soit pas seulement traitée, pour des raisons budgétaires, à court terme. Ne pensez-vous pas qu'un grand débat parlementaire s'imposerait à cet égard ?
En conclusion, monsieur le ministre, je dirai que ce ne sont pas globalement les orientations de votre politique de la recherche que nous critiquons, mais que c'est davantage les moyens dont vous disposez qui nous inquiètent. Ils vous obligent à des choix drastiques, dont certains risquent d'hypothéquer, de manière irréversible, l'avenir de l'excellence scientifique française, de sa valorisation et de son impact économique et social.
Le général de Gaulle, avec une sûre intuition, avait consacré la recherche comme une priorité nationale. Il lui en donnait les moyens par l'organisation spécifique d'un grand ministère de la recherche, par des budgets, chaque année adaptés aux besoins réels, concertés et réfléchis. Nous en avons longtemps récolté les fruits.
Aujourd'hui, la récolte tend à s'amenuiser, le système à vieillir, les bons cerveaux à déserter. Le « navire recherche » court sur son aire, moteurs au ralenti. Les exigences du court terme estompent l'indispensable prospective.
Vos efforts, monsieur le ministre, - que nous reconnaissons - en sont compromis. Votre budget n'est pas à la hauteur de vos ambitions.
C'est pourquoi nous rejoindrons les conclusions de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu des pauvres petites cinq minutes qui me sont imparties, mon intervention ne sera, en quelque sorte, qu'un cri.
Je souhaiterais d'emblée vous faire part de notre inquiétude, qui est partagée par l'ensemble de la communauté scientifique, quant à l'évolution du budget, mais également pour ce qui relève des orientations de notre politique de recherche.
Dans un monde en mutation rapide, qui peut dire ce que seront les besoins de notre pays dans dix ans ? Aussi, la France se doit d'adapter et de promouvoir son dispositif public de recherche.
Or, le budget de la recherche civile n'augmente pas en volume.
Le niveau des autorisations de programme des établissements publics à caractère scientifique et technique est inférieur à celui de 1993.
La part de la recherche-développement dans le PIB ne cesse de décroître alors que celle de nos concurrents augmente.
Les deux augmentations budgétaires effectivement remarquables, l'une pour le Fonds national de la science, et l'autre pour le fonds national de la recherche et de la technologie, vont à des actions pilotées directement par le ministère de la recherche et de la technologie.
Le taux de croissance limité de l'emploi scientifique nous éloigne de la mise en place d'une loi de programmation de l'emploi scientifique.
Si cette tendance devait perdurer, le CNRS, pour ne citer que lui, perdrait près d'un cinquième de ses équipes de recherche permanente.
Au même moment, de jeunes docteurs quittent notre pays faute d'emplois dans nos laboratoires publics ouprivés.
Au moins pouvait-on penser que ce qui n'irait pas à l'emploi scientifique irait aux équipements, voire aux grands équipements.
Il n'en est rien ! C'est ainsi que nombreux sont ceux, membres de la communauté scientifique ou élus, à estimer que l'abandon du projet soleil apparaîtra très vite comme une erreur.
L'équipement d'Orsay est vétuste. N'était-il pas temps de doter notre pays d'un outil adapté, indispensable à la recherche fondamentale, comme à la recherche appliquée ?
Les coopérations européennes en matière scientifique doivent-elles donc obérer toute perspective d'équipements, voire de recherche nationale en la matière, encore que, pour pouvoir coopérer à l'échelle internationale, il faut avoir de solides bases nationales.
La dimension européenne d'un tel projet me semble évidente, mais pourquoi pas l'initier en France, comme ce fut le cas pour Airbus et Ariane ?
Par ailleurs, la question du bien-fondé ou non de ce projet n'était-elle pas importante au point de justifier amplement un débat devant la représentation nationale ?
Dans le domaine de la recherche, plus que dans tout autre, le débat contradictoire est une nécessité pour faire avancer les choses. Je dis cela non pas tant par goût de la palabre, ou de la diatribe, que parce que l'élaboration démocratique de décision est la clé de son efficacité.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Non !
M. Ivan Renar. Je n'ai pas parlé de référendum, monsieur le ministre, j'ai parlé d'« élaboration démocratique » de la décision.
En attendant, il y a un malaise dans les deux chambres du Parlement et dans la communauté scientifique. De fait, il est très difficile d'admettre qu'une décision politique condamne un projet dont le bien-fondé scientifique et économique a été, tout au long de sa conduite, soumis à l'évaluation de la communauté scientifique et dont lesdites évaluations ont toutes été positives.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur Renar, l'engagement de ce projet n'a jamais été décidé par personne ! Il n'en a jamais été débattu, vous entendez ! Jamais, y compris par les précédents gouvernements.
M. Ivan Renar. C'est bien pour cela que j'ai toujours demandé, monsieur le ministre, qu'un débat ait lieu ici, en commission et en séance publique.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Les débats auraient dû avoir lieu au moment où les problèmes budgétaires se posaient, et pas seulement pour ce système, pour les précédents aussi, sous les gouvernements antérieurs.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Renar !
M. Ivan Renar. Permettez-moi d'ajouter quelques mots sur la culture scientifique.
L'actualité parfois douloureuse de cette fin de siècle nous rappelle l'impérieux besoin de favoriser tous les rapprochements possibles entre les citoyens et la science. N'est-ce pas aussi l'ambition d'une grande politique publique de la recherche ?
La « mise en culture » de la science n'est pourtant pas chose aisée. En témoigne, par exemple, le cas du Forum des sciences, situé à Villeneuve-d'Ascq dans le Nord.
Fruit d'une volonté commune des collectivités, principalement du conseil régional du Nord - Pas-de-Calais, et de l'Etat dans les années quatre-vingt, le Centre doit aujourd'hui faire face à de très graves difficultés en raison du retrait de l'Etat de toute participation aux frais de fonctionnement.
Pourtant, les publics et les besoins sont là bien réels. Le Centre présente un bilan tout à fait passionnant compte tenu de ses moyens, mais le risque est, à terme, qu'il ne devienne une coquille vide. Le rapport de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale que vous avez diligenté, monsieur le ministre, a clairement mis en évidence la responsabilité toute particulière de l'Etat dans les difficultés actuelles, Etat qui s'est déchargé sur les collectivités, en particulier sur le conseil régional. Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour assurer l'avenir du plus grand centre de culture scientifique au nord de Paris et respecter la parole donnée ?
Dans un autre domaine, vous avez trouvé en nous, monsieur le ministre, lors de l'examen de la loi sur l'innovation par exemple, des interlocuteurs sensibles à une certaine idée de la recherche publique dans notre pays, sensibles encore aux questions de l'innovation, et nous l'avons prouvé.
Pour autant, nous sommes à présent inquiets des orientations prises pour le devenir de notre recherche publique.
Le dispositif de recherche fondamentale dans tout le champ de la connaissance est une des missions essentielles du service public.
Pouvons-nous prendre le risque de voir disparaître de nos laboratoires des domaines qui n'ont pas d'application industrielle immédiate ?
Quelles sont les dispositions prises pour faire participer l'industrie au financement de la recherche ? Notre proposition de remplacer le crédit d'impôt-recherche par un impôt libératoire a-t-elle des chances d'être entendue ?
De la même manière, les formations doctorales devraient être reconnues dans les conventions collectives, ce qui favoriserait, dans leur recherche d'emploi, chacun des jeunes docteurs des universités.
Soucieux du développement de notre recherche publique, soucieux de la préservation et du développement de notre recherche fondamentale, soucieux encore d'orienter, au service de notre pays tout entier, les travaux de nos laboratoires, je ne puis qu'exprimer les plus grandes réserves sur le projet du budget de la recherche qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget civil de la recherche et du développement technologique, qui englobe l'ensemble des activités scientifiques et technologiques, atteint cette année 54 milliards de francs. Les dépenses en capital s'élèvent en autorisations deprogramme à 22 milliards de francs. Ce projet de budget est donc caractérisé par le renforcement de la capacité du ministère, la restauration des moyens des laboratoires de recherche, la stimulation de la recherche universitaire et la réaffirmation du soutien à l'innovation technologique.
Trois motifs de satisfaction doivent être relevés.
D'abord, il est satisfaisant de constater le soutien de l'Etat en faveur des disciplines d'avenir telles que les biotechnologies et les technologies de l'information.
Ensuite, on peut se réjouir de la réorientation de certains soutiens publics vers les PME, qui figurent parmi les principales bénéficiaires du crédit d'impôt-recherche.
Enfin, des crédits sont consacrés à l'incitation à la constitution de fonds d'amorçage, destinés à favoriser l'essaimage et la création d'entreprises à partir des établissements de recherche, ainsi que la création d'entreprises innovantes.
S'agissant de la recherche spatiale, il n'est en rien étonnant que le sénateur de la Guyane interroge le ministre compétent dans ce domaine.
En effet, la Guyane est particulièrement concernée puisque la base de lancement de la fusée Ariane se trouve à Kourou.
Le centre spatial guyanais et le centre national d'études spatiales sont aujourd'hui totalement axés sur le programme Ariane, dont le premier lancement eut lieu le 24 décembre 1979, événement dont le vingtième anniversaire sera célébré, je pense, avec la dignité qui s'impose.
A l'aube du prochain millénaire, l'espace n'est plus pour l'homme uniquement un lieu d'exploration et d'expériences. Il est devenu, ces dernières années, une composante essentielle de son univers quotidien.
Il est donc nécessaire de réorienter la politique spatiale française, notamment en concentrant les moyens budgétaires sur les applications terrestres.
La mise en oeuvre de nouveaux systèmes de télécommunications spatiales exige d'importants programmes de recherche, notamment dans le domaine des logiciels, dont le financement ne peut être assuré par les opérateurs privés.
Cette année, la dotation du centre national d'études spatiales, hors crédits de la défense, s'élève dans le projet de loi de finances pour 2000, en dépenses ordinaires et crédits de paiement, à 7 milliards de francs, ce qui représente une baisse de 9 %.
Si la dotation de fonctionnement reste, quant à elle, identique à celle de l'année dernière, soit 915 millions de francs, la dotation du CNES est tout à fait insuffisante et elle oblige ce dernier à opérer des transferts du budget d'investissement vers celui de fonctionnement.
Cette baisse de 160 millions de francs est certes symbolique mais néanmoins réelle.
La France doit garder une très grande ambition spatiale, car elle est le moteur spatial de l'Europe. Nous devrons donc consentir un effort industriel considérable pour faire baisser nos prix.
Je pense qu'il serait souhaitable de recentrer les missions du CNES autour de ses activités de recherche et d'innovation, qui ne peuvent faire l'objet d'une délégation à aucun autre secteur. Je suis également favorable à ce que le CNES maintienne ses compétences de maître d'ouvrage pour les projets complexes innovants.
Il serait souhaitable que le CNES cherche des partenariats publics au-delà du seul secteur spatial. Il conviendrait donc de généraliser l'expérience d'association du ministère des transports au programme Galileo.
Le CNES doit continuer à évoluer, mais dans un contexte européen et international. A cet égard, les coopérations internationales, comme celles qui sont conduites avec la NASA pour le programme martien doivent être poursuivies et encouragées.
Par ailleurs, je pense qu'il faut davantage aider le développement des technologies spatiales. En effet, cela constitue un enjeu géopolitique majeur. Aujourd'hui, les satellites, dont les performances ont été considérablement améliorées, ont pris une place privilégiée dans les télécommunications mondiales, que ce soit pour la télévision ou pour le téléphone mobile.
Enfin, il ne faut pas sous-estimer l'accélération de la concurrence qui est en train de naître avec la construction de nouvelles bases spatiales un peu partout de par le monde.
Au Guyana, à côté de la Guyane française, les Américains sont en train d'étudier sérieusement la possibilité d'installer une rampe de lancement. Avec la plate-forme de Sea Launch dans le Pacifique et la base d'Alcantara, au Brésil, la Guyane est presque cernée !
Dans ce contexte, la France risque de perdre des marchés, notamment pour ce qui concerne le lancement des micro-satellites. En effet, les coûts de lancement seront sûrement moins élevés ailleurs. Comment la France peut-elle faire face à cette nouvelle concurrence ? Par quels moyens peut-on rendre notre industrie spatiale plus compétitive face à ses concurrents étrangers ?
Vous comprenez certainement notre inquiétude, monsieur le ministre, car l'avenir du développement économique de la France et de la Guyane dépend de la réponse à ces questions. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les données chiffrées du budget civil de recherche et développement, que les orateurs précédents n'ont pas manqué d'évoquer. J'insisterai, en revanche, sur la démarche que sous-tend ce budget, et que certains d'entre nous font mine de ne pas comprendre.
Ce budget, comme le précédent, est un budget de transition.
Vous avez décidé, monsieur le ministre, de rompre avec la pratique de reconduction systématique des crédits pour les institutions en place tant que ne serait pas opérationnelle une réforme de leurs structures.
Rien ne sert, en effet, de débloquer des fonds qui entretiennent la dérive budgétaire de certains établissements de recherche. Nos collègues de la majorité, sur ce point, ne peuvent qu'approuver : cela correspond à un souci de bonne gestion de l'argent public.
De même, pour dynamiser les laboratoires et les équipes de recherche, vous avez décidé de rompre avec la politique de grands équipements suivie jusqu'à présent et qui asphyxiait les laboratoires en grevant leurs ressources.
Une solution qui permet à la fois de redresser la situation et de renforcer la communauté scientifique européenne - ce qui est loin d'être négligeable - consiste à faire en sorte que les très grands équipements soient réalisés dans le cadre européen.
C'est pourquoi le Gouvernement s'est engagé dans un partenariat avec le Gouvernement du Royaume-Uni et la fondation caritative Welcome Trust pour la construction d'un synchrotron de troisième génération.
La France disposant déjà du grand synchrotron européen ESRF à Grenoble et du synchrotron LURE à Orsay, qui ne sont d'ailleurs pas utilisés à plein, il n'est pas illogique que le prochain synchrotron soit implanté en Grande-Bretagne, pays qui est dépourvu, à l'heure actuelle, d'un tel équipement.
Le projet de budget pour 2000 opère également un renforcement des fonds d'intervention du ministère qui sont affectés aux disciplines et aux actions définies comme prioritaires pour l'avenir de notre recherche.
Le Fonds national de la science, le FNS, créé l'année dernière, permet de développer des projets réclamant la coopération de plusieurs établissements en sciences de la vie, sciences pour l'ingénieur, chimie, sciences humaines et sociales.
Les autorisations de programme du FNS bénéficient d'une augmentation de 40 % et passent donc de 500 millions de francs dans la loi de finances initiale pour 1999 à 700 millions de francs. Ses crédits de paiement augmentent, quant à eux, de 77 %, soit 565 millions de francs au lieu de 318 millions.
De son côté, le Fonds de la recherche technologique, le FRT, voit ses autorisations de programme progresser de 35 % pour atteindre 905 millions de francs. Quant aux crédits de paiement, s'ils sont en diminution, cela résulte de la régulation d'engagements antérieurs.
A travers le FRT, il s'agit de renforcer non seulement le secteur des nouvelles technologies de l'information et de la communication, mais aussi la création d'entreprises technologiques innovantes et d'incubateurs.
Parallèlement, il faut noter la décision, annoncée vendredi dernier par le Premier ministre, de débloquer 1 milliard de francs supplémentaires sur cinq ans pour la recherche sur le génome humain. Cette somme sera affectée à un nouveau réseau associant laboratoires publics et entreprises privées, qui se mettra en place dès le début de l'année prochaine.
Dans ces conditions, je ne pense pas que l'on puisse soutenir que le Gouvernement ne se donne pas les moyens de ses priorités en matière de recherche.
Par ailleurs, on ne peut que se féliciter de l'accent mis sur la recherche universitaire, dont les crédits augmentent de 3,1 %. L'université constitue une composante essentielle de notre recherche puisqu'elle forme les jeunes chercheurs de demain et contribue, pour une grande part, à la recherche fondamentale.
Ainsi, une mesure nouvelle de 25 millions de francs est prévue pour les activités de recherche de l'enseignement supérieur. Le plan d'accueil des post-doctorants étrangers est conforté avec cent soixante bénéficiaires supplémentaires. Enfin, figurent au budget le renforcement des moyens des écoles françaises à l'étranger et la création de dix emplois de chercheur à l'Ecole française d'Extrême-Orient.
J'en viens maintenant à la coopération avec les pays du Sud en matière de recherche et développement. Elle doit figurer au titre des priorités de notre action de solidarité avec le monde en développement.
Grâce à ses accords de partenariat avec la plupart des instituts français de recherche - CNRS, INRA, IFREMER, CEMAGREF, CIRAD, etc. - et de nombreuses universités - universités de Provence, Montpellier I, Paris VI -, l'Institut de recherche pour le développement, l'IRD, joue un rôle central dans notre politique de coopération scientifique et technique avec les pays endéveloppement et émergents. Il contribue à la formation et à la consolidation des communautés scientifiques et des capacités d'expertise de ces pays.
Dernièrement, l'IRD a connu une restructuration portant notamment sur l'amélioration de l'évaluation des procédures de recherche, le développement de l'activité d'expertise collégiale et la réaffirmation de sa vocation de développement et de dialogue avec les pays du Sud.
Dans ce contexte, ce qui différencie et légitime l'IRD, c'est la mobilité de ses chercheurs, garantie par ses capacités en matière d'expatriation ; or le poste budgétaire correspondant est en déficit depuis plusieurs années.
L'institut est donc obligé d'effectuer des prélèvements sur réserves, alors même que vous lui demandez, monsieur le ministre, d'augmenter le nombre de ses agents expatriés. Actuellement, 40 % de ses agents travaillent hors de la métropole, et l'IRD est présent dans vingt-six pays, situés essentiellement dans la zone intertropicale, en général dans des structures partenaires, universités ou centres de recherche.
J'aimerais donc que vous nous rassuriez sur les capacités d'expatriation de l'IRD pour l'avenir.
Enfin, j'insisterai sur le rôle d'expertise dévolu aux chercheurs, rôle nécessairement amené à se développer dans un futur imminent, compte tenu de l'évolution rapide des techniques et de leur importance croissante dans notre vie quotidienne.
En effet, l'attente de nos concitoyens en matière de compréhension des mutations de notre société et en matière d'éthique est forte. La mise en avant du principe de précaution par la France dans ses relations commerciales, la montée de boucliers contre les OGM ou les récentes manifestations liées à la conférence de l'OMC à Seattle le confirment.
Les situations de crise ne doivent cependant pas être le cadre privilégié d'expression de cette expertise, sinon celle-ci restera d'une fiabilité limitée et sera immanquablement contestée. Elle doit être reconnue comme un champ de recherches pluridisciplinaires à part entière.
Des formes nouvelles de dialogue entre citoyens et experts scientifiques doivent être instaurées, afin de favoriser l'appropriation de la science par le public et de développer un climat de confiance entre science et société.
La conférence des citoyens, organisée pour la première fois en 1998, sur l'utilisation des OGM peut être l'une de ces formes, d'autant que les avis rédigés par le panel de citoyens, grâce à la pluralité et à la clarté des débats, ont été marqués par une grande qualité et par leur pertinence.
Il ne faudrait pas, en effet, que les citoyens n'aient pas accès à la compréhension des thèmes scientifiques d'avenir pour notre société, faute d'une réelle diffusion de la culture scientifique et technologique, et qu'ils n'aient aucune prise sur eux.
Monsieur le ministre, le groupe socialiste soutient pleinement votre budget, qui traduit en moyens les objectifs et les orientations d'une politique ambitieuse pour notre recherche.
D'ailleurs, au sein de la commission des affaires culturelles, nos collègues de la majorité, avant de s'en remettre à la sagesse du Sénat, n'ont pas manqué d'exprimer leur accord avec vos axes stratégiques d'action et la réorientation d'un budget qui avait dangereusement dérivé. Au demeurant, notre collègue M. Laffitte l'a lui-mêmeindiqué.
Ils ont aussi jugé positivement le soutien aux disciplines d'avenir et aux laboratoires, la réorientation des crédits d'intervention vers les PME et la forte relance de la valorisation de notre recherche.
Alors, pourquoi, mes chers collègues, ne pas voter ce budget ?
M. le président. La parole est à M. Vecten.
M. Albert Vecten. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, afin de développer et de soutenir l'effort d'innovation, le Gouvernement a affirmé la volonté de multiplier les échanges entre le monde de la recherche et les entreprises, notamment par la constitution de structures professionnelles de valorisation.
Cette volonté s'est traduite par l'adoption de la loi sur l'innovation et la recherche du 12 juillet 1999. Comme vous vous en souvenez sans aucun doute, monsieur le ministre, j'ai soutenu ce texte, qui me paraissait correspondre à un besoin urgent.
En effet, le retard pris par notre pays en matière de valorisation de la recherche publique est devenu inquiétant. Non que nous ne disposions, en France, d'une recherche publique de grande qualité, bien au contraire, mais il existe dans notre pays un vrai décalage entre la qualité de la recherche scientifique publique et la faiblesse du transfert d'innovation vers le monde de l'entreprise.
Il nous appartenait donc d'y remédier, notre rôle de législateur étant d'offrir un cadre simple, souple et efficace pour permettre une coopération active entre la recherche publique et le monde économique.
Votre loi « innovation et recherche » s'inscrit dans cette ambition et apporte une réponse indispensable à nos attentes. Ces attentes, ce sont notamment celles des collectivités locales, qui, depuis la décentralisation, s'investissent de plus en plus dans ce domaine de la recherche, même s'il ne s'agit pas d'une de leurs compétences premières.
Quel est l'objectif des collectivités locales à cet égard ?
A terme, c'est bien sûr de contribuer par cette voie au développement économique, et donc à la création d'emplois. Pour ce faire, il est essentiel que les collectivités puissent travailler en partenariat étroit avec les universités et les grands organismes de recherche afin de valoriser les résultats de leurs travaux. De ce point de vue, très concrètement, la possibilité de créer des structures dédiées aux moyens affectés à des thématiques bien identifiées, avec des perspectives de débouchés économiques réels, est essentielle.
Pour illustrer mon propos, monsieur le ministre, je prendrai l'exemple d'une initiative particulière que nous avons lancée dans la Marne.
Comme vous le savez, notre région Champagne-Ardenne se caractérise et se distingue par la force remarquable de son bassin de production agricole et viticole. L'excellence que nous avons pu atteindre dans le domaine du champagne ou dans la production de plantes de grandes cultures n'est cependant pas définitivement acquise.
Ainsi, le secteur céréalier, qui utilise plus de 56 % de nos terres arables, a été fortement ébranlé tant par la vive concurrence sur les marchés mondiaux que par les deux réformes consécutives de la politique agricole commune.
Dès les premiers signes de ce bouleversement, que nous pressentions, nous avons pris en main notre destin en recherchant de nouveaux débouchés, hors des voies conventionnelles, saturées.
Les discussions engagées aujourd'hui à Bruxelles ou à Seattle, les évolutions du commerce mondial vers un libre-échange qui implique une concurrence de plus en plus acharnée ne peuvent que nous conforter dans ce choix.
Depuis dix ans déjà, les collectivités territoriales de Champagne-Ardenne se sont donc mobilisées pour créer une association dénommée « Europol'Agro », dont l'objet est de développer une recherche finalisée débouchant sur de nouvelles valorisations de nos « agroressources », notamment dans le secteur non alimentaire : nouveaux matériaux, détergents, cosmétiques ou spécialités pharmaceutiques.
La dynamique créée par Europol'Agro a favorisé l'émergence de programmes reposant sur le volontariat des équipes de l'université de Champagne-Ardenne ou des grands organismes de recherche présents à Reims, tels que l'INRA.
Hier utopies pour certains, ces nouvelles applications sont aujourd'hui une réalité dans notre département puisque deux PME d'une dizaine de personnes chacune produisent différentes spécialités pour la cosmétique ou le secteur de la santé humaine à partir d'agroressources locales.
Car telle est bien notre ambition : que les résultats de cette recherche suscitent la création d'entreprises innovantes, sources d'emplois et de valeur ajoutée.
Mais il nous faut poursuivre et même aller plus loin, car d'autres pays sont sur les mêmes créneaux.
L'engagement financier de l'Etat et des collectivités locales lors de ce dernier contrat de plan Etat-région a déjà permis de mobiliser plus de 70 millions de francs pour financer des programmes de recherche.
Près d'une soixantaine de doctorants ont déjà été financés par le conseil général, qui alloue pour ce faire une enveloppe annuelle complémentaire de plus de 6 millions de francs.
Des investissements structurants en bâtiment et en matériel ont permis à nos équipes de disposer d'un environnement très favorable.
Les équipes de recherche mises en place ces dernières années forment un dispositif cohérent qui nous permet de disposer de compétences très intéressantes, mais qu'il conviendrait de compléter dans deux disciplines, la glycochimie et la physicochimie, pour aboutir à de plus nombreux résultats.
Aujourd'hui, pour aller plus loin, il nous faut franchir avec l'université de Reims Champagne-Ardenne et l'INRA une nouvelle étape.
Notre projet concret est donc la constitution d'un pôle de glycochimie réunissant sur un même site une équipe de quatre à cinq chimistes encadrés par un chercheur expérimenté et une équipe de deux ou trois physicochimistes qui testeront les aptitudes des molécules élaborées par les chimistes.
Comme vous le voyez, nos besoins sont, me semble-t-il, très raisonnables, car nous aurons la sagesse de cultiver le travail en réseau avec les laboratoires abordant les mêmes thèmes.
Cependant, si ces thématiques ont reçu l'aval d'éminents experts scientifiques, nous rencontrons des difficultés pour la mise en place de ce pôle.
Les collectivités locales, en premier lieu le conseil général de la Marne, sont prêtes à mobiliser des moyens financiers. Mais les moyens humains complémentaires passent par un fléchage de postes auprès de l'université et de l'INRA pour lequel votre appui est nécessaire.
Je sais, monsieur le ministre, que vous avez engagé une politique pour renforcer le recrutement de chercheurs dans les prochaines années. Je pense que notre région, qui a été précurseur en ce domaine, mérite aujourd'hui un soutien particulier.
Par ailleurs, votre loi du 12 juillet 1999 a suscité pour nous beaucoup d'espoirs, car certaines de ses dispositions pourraient constituer le complément indispensable aux postes universitaires fléchés.
Nous souhaitons, pour constituer ce pôle de glycochimie qui nous fait défaut, nous appuyer sur le dispositf prévu par l'article 1er de cette loi que je cite : « En vue de la valorisation des résultats de la recherche dans leur domaine d'activité, les établissements publics à caractère scientifique et technologique peuvent, par convention et pour une durée limitée, avec information de l'instance scientifique compétente, fournir à des entreprises ou à des personnes physiques des moyens de fonctionnement, notamment en mettant à leur disposition des locaux, des équipements et des matériels.
« Ces activités peuvent être gérées par des services d'activité industrielles et commerciales. Et ces services peuvent recruter des agents non titulaires par des contrats de droit public à durée déterminée ou indéterminée. »
Simplement, comme vous le savez aussi, la mise en oeuvre de ce dispositif est subordonnée à la parution d'au moins trois décrets d'application. Or, en matière de recherche, si nous voulons obtenir des résultats d'ici deux à cinq ans, nous devons nous hâter afin de ne pas perdre l'avance que nous avons pu prendre.
Je demande donc, monsieur le ministre, à pouvoir bénéficier du soutien concret des services de votre ministère, pour que notre région, son université, associée à l'INRA, puissent mettre en place rapidement ce pôle de glycochimie, en s'appuyant directement sur le dispositif prévu dans votre loi, et ce sans avoir à attendre les décrets d'application.
Avec ce soutien, nous pourrions une nouvelle fois faire ensemble figure de précurseurs. Dans le domaine de la recherche, c'est là un atout déterminant !
Par avance, je vous remercie de votre appui.
Monsieur le ministre, je vous invite aussi à venir dans notre région, à Reims, tout particulièrement pour vous rendre compte de ce que nous avons déjà réalisé et voir ce qu'il nous reste encore à entreprendre. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le président, je souhaite une brève suspension de séance.
M. le président. Le Sénat va, naturellement, accéder à cette demande.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue le mardi 7 décembre 1999 à zéro heures cinq, est reprise à zéro heure dix.)

M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. Revol.
M. Henri Revol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant été chargé par l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiqueset technologiques d'un rapport sur la politique spatiale française, je souhaiterais obtenir quelques éclaircissements et, surtout, un engagement au sujet du budget du Centre national d'études spatiales, le CNES.
La subvention d'investissement accordée au CNES dans le cadre du projet de loi de finances pour l'an 2000 est de 8 060 millions de francs, soit une diminution de 160 millions de francs par rapport à l'exercice 1999.
Je le rappelle, cette subvention d'investissement avait été de 8 350 millions de francs en 1996 et en 1997, de 8 150 millions de francs en 1998 et de 8 220 millions de francs en 1999.
Elle a donc subi une diminution de 200 millions de francs en 1998, puis une augmentation de 70 millions de francs en 1999 - elle n'a pas permis toutefois de retrouver le niveau de 1996 et de 1997 - et vous la réduisez à nouveau, de 160 millions de francs, cette fois.
Vous le savez, monsieur le ministre, il est impossible que la politique spatiale française, compte tenu de l'incontournable dimension pluriannuelle des programmes, soit menée efficacement dans un tel contexte d'oscillation budgétaire. (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
Monsieur le ministre, je reprends les chiffres de vos propres documents budgétaires !
Les restrictions budgétaires pénalisent excessivement le CNES. Elles vont à l'encontre du choix de rigueur qui avait été fait pour la résorption des arriérés de contribution à l'European Space Regency, l'ESA. Enfin, elle ne sont pas favorables à l'exécution des programmes spatiaux. Elles pénalient le CNES avec excès, compte tenu de la qualité de cet organisme et du rôle qu'il joue dans la politique spatiale française et européenne, à plusieurs niveaux.
Pour ce qui est des réalisations technologiques, le CNES a démontré ses qualités. Le succès de la famille des lanceurs Ariane, qui garantit l'indépendance de l'accès à l'espace et permet, en outre, de dominer le secteur économique du transport spatial, en est une preuve. A la veille du premier lancement commercial d'Ariane 5, on ne peut que saluer ce succès.
Le CNES est également le seul dépositaire, en France et en Europe, de la technique des ballons stratosphériques, un moyen d'observation peu coûteux et permettant d'étudier l'astronomie, les plasmas spatiaux, la physique du globe et, surtout, l'atmosphère. Le programme français est, en importance, le deuxième au monde après celui des Etats-Unis.
Enfin, dans un souci d'optimisation technologique et économique, le CNES a mis en place une filière de micro-satellites et mini-satellites qui permet de compléter les grands programmes traditionnels par la réalisation rapide et à moindre frais de missions scientifiques. Ces micro-satellites et mini-satellites ont déjà trouvé des applications telles que Jason 1-Proteus, qui prendra le relais du satellite d'océanographie Topex-Poseidon, ou telles que la mission Piccasso-Cena d'étude climatique menée en coopération avec les Etats-Unis.
En matière de stratégie économique, le CNES a anticipé avec succès les transferts, que vous-même préconisez aujourd'hui, vers le secteur industriel, tant par la création d'Arianespace que par le soutien de multiples start up. Il a, par ailleurs, établi un protocole de partenariat avec Alcatel pour le projet Skybridge de constellation de satellites en orbite basse, qui permettra un accès rapide à Internet ainsi qu'à différents services interactifs tels le télétravail ou le téléenseignement. Des partenariats ont également été établis avec des groupes industriels tels que Rhône-Poulenc ou Vivendi.
Enfin, vous ne pouvez ignorer les engagements qu'a pris cet organisme depuis quelques années pour rendre ses activités plus cohérentes et plus compétitives.
Le plan stratégique avait, dès 1996, identifié cinquante actions destinées à concrétiser une volonté novatrice dans des directions telles que le partenariat avec l'industrie ou la constitution de groupes stratégiques communs avec les autres puissances spatiales.
Le plan statégique de 1999 s'inscrit dans la continuité de cet esprit de rénovation de l'établissement et d'ouverture vers la communauté scientifique, le grand public et, bien sûr, le monde économique.
Il est parfaitement cohérent avec les dix engagements contenus dans le contrat quadriennal d'objectifs que le CNES va bientôt signer avec votre ministère.
Ne vous semble-t-il pas légitime que, lorsqu'un organisme s'engage à respecter des obligations pendant plusieurs années consécutives, son ministre de tutelle s'engage, lui aussi, à assurer à celui-ci une certaine lisibilité budgétaire ?
Les restrictions budgétaires pour 2000 ont un deuxième aspect néfaste : elles remettent en cause la résorption de l'arriéré de contributions du CNES à l'Agence spatiale européenne.
A la fin de l'exercice 1995, le CNES avait constaté que les engagements qu'il avait contractés vis-à-vis de ses fournisseurs, dont l'ESA, European Space Agency, ne pouvaient être honorés en raison de l'insuffisance des crédits de paiement dont il disposait.
Il avait alors appliqué rigoureusement un plan de retour à l'équilibre des comptes.
Les déficits constitués dans le cadre des activités conduites par le CNES pour son propre compte ont été annulés dès la fin de l'exercice 1997, notamment grâce à l'adoption, dès 1996, de principes de gestion privilégiant le suivi des crédits de paiement, et par une politique de réduction des engagements juridiques et de régulation de ceux-ci selon la disponibilité des moyens de paiement.
Les arriérés de contribution du CNES à l'égard de l'ESA, qui s'élevaient à 1 734 millions de francs au 31 décembre 1995, doivent être ramenés à 478 millions de francs à la fin de 1999.
Pour l'an 2000, le CNES prévoyait de rembourser 307 millions de francs, dont 150 millions de francs au titre des services votés inscrits en loi de finances initiale et 157 millions de francs au titre de la mise en oeuvre en 2000 du dispositif de blocage de fonds décidé au Conseil de l'ESA tenu à Bruxelles en 1998 à l'échelon ministériel.
Or, vous le savez bien, monsieur le ministre, compte tenu de la diminution de 160 millions de francs de sa subvention d'investissement, le CNES sera obligatoirement conduit à réduire de 100 millions de francs le remboursement de ses arriérés de contribution, ce qui est totalement contraire à l'esprit de rigueur qui avait prévalu ces dernières années.
Enfin, la troisième conséquence négative de la réduction du budget du CNES est la fragilisation des programmes spatiaux.
Dans un premier temps, le CNES devra différer et largement réaménager le projet COROT, qui devait permettre d'étudier la sismologie stellaire et de rechercher des planètes extrasolaires. Outre son intérêt scientifique évident, COROT présente l'avantage de s'intégrer dans le programmede mini-satellites utilisant deux plates-formes récurrentes de la filière Proteus, filière destinée à adapter des plates-formes standardisées aux besoins du marché. Il est donc regrettable de ne pouvoir mettre en oeuvre le projet COROT tel qu'il était prévu.
Vous me rétorquerez, monsieur le ministre, que le CNES aurait pu procéder à d'autres arbitrages, mais reconnaissez que sa marge de manoeuvre était bien réduite, compte tenu notamment des engagements pris auprès d'autres pays ou de groupes industriels privés pour la réalisation d'importants programmes pluriannuels.
Plus généralement, vous devez reconnaître que l'ensemble des programmes spatiaux ne peut être que fragilisé par les oscillations budgétaires.
S'il est évident que les projets destinés à améliorer la compétitivité du lanceur Ariane 5 - je pense à Ariane 5 Plus, Ariane 5 Evolution - ne doivent subir aucun retard provenant de restrictions budgétaires, il faut également être conscient de la stabilité financière indispensable aux autres programmes, qu'ils soient réalisés par le CNES seul ou dans le cadre d'une collaboration européenne. Je citerai notamment l'intéressante filière des micro-satellites et mini-satellites, les programmes Stentor et Artes 3 dans les télécommunications, Meteosat de Seconde Génération et Metop pour la météorologie, la constellation Pléiade de petits satellites pour l'imagerie civile et militaire et, bien entendu, le projet Galileo, indispensable à l'indépendance européenne dans le domaine de la navigation par satellites.
Vous savez que tous ces programmes, dont vous n'avez d'ailleurs jamais nié l'utilité, sont par définition, compte tenu de leur coût et des développements scientifiques et techniques qu'ils supposent, des programmes pluriannuels. L'instabilité budgétaire, la variation des crédits alloués d'une année à l'autre les met en péril.
Monsieur le ministre, je ne vous pousse pas à la dépense - d'ailleurs, je ne le pourrais pas ; mon collègue Pierre Laffitte a exposé tout à l'heure les pouvoirs du Parlement en cette matière - mais je vous réclame la constance. Je vous demande non pas d'augmenter substantiellement le budget du CNES, mais seulement de vous engager à garantir sa stabilité, condition sine qua non des succès de la politique spatiale française et européenne. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le ministre, si je m'exprime de nouveau à cette tribune, c'est parce que je voudrais, à titre personnel, insister avec beaucoup de force sur quelques points que j'ai déjà évoqués.
Tout d'abord, je souhaiterais - je ne peux pas le demander officiellement - que l'on aide l'INRIA, l'Institut national de recherche en informatique et en automatique, qui a démontré plus que toute autre structure, et c'est ce qui justifie cette citation particulière, qu'il générait des créations d'emploi à partir de scientifiques. En effet, les différentes start up qui sont issues de l'INRIA représentent un potentiel considérable en termes de revenus fiscaux, de créations d'emploi et de développement de la recherche. Le nombre d'ingénieurs qui travaillent au sein de ces entreprises est très largement supérieur à celui des personnels financés par l'Etat.
Pour appuyer le développement de la politique d'innovation à laquelle nous tenons tous, qu'il s'agisse de la droite, de la gauche, du centre et, surtout, de tous ceux qui veulent que notre pays réussisse et soit l'un des plus dynamiques au monde, il est essentiel de donner une cinquantaine de postes à l'INRIA. Sur les 50 000 postes de chercheur du secteur public, cela devrait être possible, compte tenu, notamment, du grand nombre de chercheurs qui désormais partent à la retraite. Monsieur le ministre, nous vous demandons de prendre cette décision.
Par ailleurs, et c'est le deuxième élément sur lequel je voudrais insister, il conviendrait de lancer un programme interministériel pour une politique de création de contenus multimédia destinés à être injectés dans les réseaux terrestres ou satellitaires, à savoir tout ce qui est en train de se développer en matière d'Internet à grand débit. En Europe, sont actuellement prévus des centaines de milliards de francs pour les infrastructures. Qu'il s'agisse des anciens opérateurs nationaux, d'autres opérateurs qui s'intègrent à eux ou des Américains, les financements sont considérables.
Je ne doute pas que, d'une certaine façon, les grands entrepreneurs comme Hachette, Havas ou Bertelsmann se préoccupent, en liaison avec des opérateurs de télévision, de la préparation de ces contenus. Mais ce sont des éditeurs, et non des auteurs. Les auteurs, ce sont les petites équipes qui, dans nos universités, au sein de centres de recherche ou dans de petites entreprises privées, sont susceptibles de créer des produits multimédia, dans le domaine médical, en matière de formation à distance, dans le domaine de la culture, des arts, etc.
Il y a là une opportunité extraordinaire de faire travailler ensemble la moitié de nos universitaires et de nos chercheurs dans plusieurs domaines des sciences humaines, des arts, de la littérature ou de la sociologie, avec des informaticiens et des ingénieurs pour créer une dynamique dans ce qui représentera le plus grand moteur de créations d'emploi.
Enfin, troisième point sur lequel je me permettrai d'insister, je souhaite, monsieur le ministre, que vous poursuiviez l'action que vous avez commencée à l'échelon de l'Europe. Comme j'ai pu le constater, le personnel des commissions concernées à Bruxelles et les commissaires sont beaucoup plus ouverts. Ils ne sont plus dominateurs et n'ont plus le sentiment de détenir seuls la connaissance. Il faut que nous continuions, que vous continuiez, monsieur le ministre, que chacun continue à les inciter à faire des efforts, par exemple, pour développer à nouveau des infrastructures adaptées aux nouvelles technologies. Il s'agira d'infrastructures communautaires qu'ils financeront et qui seront réparties dans les différents pays, y compris en France, notamment des centres de ressources multimédia ou des centres d'études spécialisées, par exemple dans le domaine de la sécurité alimentaire.
Il faut véritablement imposer à la Commission de concevoir des grands projets qui, inscrits ou non dans le cinquième PCRD, le programme civil de recherche et de développement, financent à la fois des investissements et des participations aux dépenses de fonctionnement. Ainsi, l'espace européen sera financé par l'Europe, alors que, pour le moment, il n'est financé que par certaines nations.
Par ailleurs, il faut aussi mener une action afin de promouvoir les projets EUREKA - European research coordination agence - qui sont d'origine française ou franco-allemande. En effet, dans ce domaine, on constate actuellement une érosion. Or les industriels et les laboratoires considèrent que les procédures EUREKA génèrent beaucoup moins de pertes de temps ou de substance et de red tape, comme disent les Américains, c'est-à-dire de bureaucratie, laquelle est, en l'occurrence, tout à fait inutile.
Telles sont, monsieur le ministre, les souhaits que je voulais formuler et sur lesquels je tenais à insister vivement. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de revenir un instant sur les dotations du Commissariat à l'énergie atomique, qu'ont déjà évoquées nos rapporteurs au cours de leurs interventions.
Ce sujet est loin d'être anecdotique. En effet, cet établissement représente une carte maîtresse pour l'avenir nucléaire de notre pays, et les questions dont je vais faire état ont été soulevées, lors du débat budgétaire à l'Assemblée nationale, par tous les groupes politiques - sauf un ! - ainsi que par le rapporteur spécial de la commission des finances et par le rapporteur pour avis de la commission de la production et des échanges.
En effet, alors que les crédits d'investissement alloués à cet établissement ont presque totalement été débudgétisés en 1997 - ce qui, bien sûr, a fragilisé durablement son équilibre financier - le projet de loi de finances pour 2000 me semble porter un nouveau mauvais coup au CEA.
Tout d'abord, le « maintien » apparent de la subvention de l'Etat est assez largement illusoire, puisque celle-ci avait été diminuée de 300 millions de francs en 1999 et que le bouclage du budget pour ce même exercice du CEA se révélera, de ce fait, acrobatique, voire impossible, malgré une ponction supplémentaire de 160 millions de francs opérée sur les industriels et une réduction du programme d'investissement à hauteur de 100 millions de francs. Par conséquent, l'impasse s'élève à 40 millions de francs pour 1999.
Pour 2000, les perspectives ne sont guère réjouissantes, car si l'on analyse le projet de budget notifié par la tutelle à l'établissement, on s'aperçoit que l'impasse pourrait même atteindre, à ma connaissance, près de 246 millions de francs, pour un budget total de 11,1 milliards de francs.
L'« équilibre » de ce budget repose sur des bases plutôt fragiles.
Pour ce qui concerne les ressources, 50 millions de francs sont censés provenir du Fonds de la recherche technologique et du Fonds national de la science qui procèdent - on le sait - par appels à propositions. Alors, monsieur le ministre, si l'on est tellement sûr que ces crédits iront au CEA, pourquoi ne pas les avoir inclus directement dans la dotation inscrite au budget de l'Etat au titre de cet organisme...
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. C'est exactement l'inverse !
Mme Anne Heinis. Pas tout à fait !
... au lieu de les intégrer à la ligne budgétaire du Fonds de la recherche technologique ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Mais non ! La différence, c'est qu'ils sont en compétition avec d'autres !
Mme Anne Heinis. S'agissant toujours des ressources, 21 millions de francs proviendraient en outre d'un emprunt à CEA Industrie, qui financerait ce dernier par la vente partielle du capital de certaines filiales. Est-il raisonnable de céder ce que M. le rapporteur spécial a appelé des « bijoux de famille » pour couvrir les frais de fonctionnement du CEA ?
Enfin, 165 millions de francs supplémentaires devraient être trouvés auprès des industriels, qui financent déjà à près de 40 % le CEA - ce qui représente une proportion inégalée à l'étranger, qui va donc encore augmenter. Malgré l'excellence des travaux du CEA, il est probable que ces industriels ne manqueront pas de trouver la pilule bien amère, puisqu'on leur a déjà joué, si j'ose dire, la même musique l'an dernier !
Pour ce qui concerne les dépenses, le projet de budget est construit sur une hypothèse de gel des salaires et ne prend pas en compte le coût de la mise en place des 35 heures. Par ailleurs - c'est un autre point important - la taxation introduite par l'article 24 du projet de loi de finances pour 2000 pourrait coûter entre 10 millions et 130 millions de francs supplémentaires au CEA, selon la valeur du coefficient multiplicateur, qui sera comprise entre un et quatre, à la discrétion du Gouvernement, ce qui pourrait d'ailleurs apparaître comme allant à l'encontre des prérogatives constitutionnelles duParlement.
Je crains donc que le CEA ne puisse respecter son programme d'investissement et poursuivre, notamment,l'indispensable processus d'assainissement de ses centres civils.
La situation est préoccupante. Or, monsieur le ministre, 100 millions de francs sont inscrits au chapitre 45-10 du ministère de l'industrie à l'article 50, qui correspondent à la provision pour frais de scission de l'IPSN et du CEA. Ne serait-il pas opportun de les intégrer à la dotation du CEA, au chapitre 45-10, article 40, et de régler la question du financement des frais éventuels de scission entre l'IPSN et le CEA dans le collectif budgétaire, puisque l'on ne sait pas encore exactement quand cela se fera ? Cette proposition est d'ailleurs avancée par M. Jean Clouet, rapporteur spécial des crédits de l'industrie, dans son rapport. Peut-être cela pourrait-il représenter un début de solution.
Monsieur le ministre, que pensez-vous de cette proposition ? Je serais heureuse de connaître votre point de vue sur ce sujet. Pouvez-vous nous dire comment vous comptez régler les problèmes qui se posent pour assurer l'avenir du CEA ?
Enfin, dernière question que je poserai également à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie, puisque vous exercez une tutelle commune, pouvez-vous également nous dire quand sera prise la décision de lancement du nouveau réacteur EPR ? Je crains, si nous devions attendre jusqu'à mai 2002, que la France ne laisse passer sa chance. (Applaudissement sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René Trégouët, rapporteur spécial. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteurspécial.
M. René Trégouët, rapporteur spécial. Lors de mon intervention au nom de la commission des finances, quand j'ai dit que « les indicateurs de l'OCDE nous placent en queue du peloton de tête des principaux pays industrialisés pour les ratios concernant la dépense intérieure de recherche par habitant ou le nombre de chercheurs par rapport à la population active », vous m'avez vivement interrompu, monsieur le ministre, en m'objectant que les bases sur lesquelles je me fondais étaient fausses.
Je tiens à remplir avec rigueur ma tâche de rapporteur, et, bien entendu, je me réfère aux sources les plus authentiques, puisque je m'appuie sur un document officiel, un document législatif, à savoir le « jaune ».
Il y est indiqué très clairement que si la dépense intérieure de recherche et développement par habitant est de 100 en France, elle est de 167 aux Etats-Unis, de 150 au Japon et de 107 en Allemagne. Quant au nombre de chercheurs ramené au chiffre de la population active, le ratio est de 6,1 en France, de 7,4 aux Etats-Unis et de 9,2 au Japon.
Je tenais à être précis, car je ne veux pas que l'on puisse dire que nous avons cité de faux chiffres.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Tout d'abord, je donne acte à M. le rapporteur spécial de ses précisions. Le document dont je dispose provient de l'OCDE, mais puisque celui de M. Trégouët émane du Gouvernement, j'assume la responsabilité d'une erreur éventuelle. Il n'en reste pas moins qu'il faudra tirer les choses au clair sur le fond, car le problème n'est pas sans intérêt, en particulier en ce qui concerne les chercheurs. Quoi qu'il en soit, je demande à M. Trégouët de bien vouloir m'excuser.
Cela étant, monsieur le rapporteur spécial, j'ai bien pris note de votre déception et de vos inquiétudes, mais il s'agit ici d'un débat politique, et je voudrais tout de même rappeler quelques chiffres.
Vous vous dites déçu que l'on ne consacre pas davantage de crédits à la recherche, mais, en 1994, ceux-ci étaient en recul de 1,9 % ; or vous aviez voté le projet de budget. En 1995, la diminution était de 1,8 %, et vous aviez, là encore, voté le projet de budget. En 1996, le recul atteignait 3,4 %, et, une fois de plus, vous aviez voté le projet de budget.
En revanche, le présent projet de budget prévoit non pas une réduction, mais une croissance des crédits de la recherche, à hauteur de 1,3 %. Je pense donc, que, en ce qui concerne la question budgétaire, il faut être équitable. Je sais qu'il est de tradition, dans l'opposition comme dans la majorité, d'avoir beaucoup d'idées et d'ambition lorsque l'on n'est plus au Gouvernement. Mais, quand on exerce des responsabilités gouvernementales, il faut assumer ses choix. C'est ce que je fais, et je maintiens ce que j'ai dit : s'agissant de la recherche, le problème le plus urgent n'est pas celui du montant du budget global, c'est celui de la répartition des crédits. A titre de comparaison, si la Grande-Bretagne obtient des résultats très supérieurs aux nôtres en matière de recherche, ses dépenses dans ce domaine sont très inférieures aux nôtres, tous les documents en attestent. On voit donc bien que la question de fond ne tient pas à l'importance des crédits.
En effet, une autre urgence s'impose à nous : depuis un certain nombre d'années, le budget de la recherche a dérivé, faute d'une politique budgétaire cohérente. Il est donc impératif de faire en sorte - que la richesse de la science française alimente notre économie. Dans tous les pays modernes, aujourd'hui, c'est la recherche qui dynamise l'économie, mais ce n'est pas vrai chez nous, en tout cas pas suffisamment, bien que la situation commence à évoluer quelque peu.
Dans quelle situation nous trouvions-nous jusqu'à présent ? Les fonds publics étaient principalement affectés aux grandes entreprises, la mobilité des chercheurs en direction du monde économique était résiduelle, et les relations entre laboratoires et entreprises étaient encore empreintes de méfiance.
Face à ce constat, qu'avons-nous fait ? Tout d'abord, le financement a été réorienté, au profit des PME et des PMI, et le Fonds de la recherche et de la technologie, qui allouait plusieurs centaines de millions de francs par an aux grandes entreprises, ne leur a versé en 1998 que 93 millions de francs. Par ailleurs, nous avons reconstitué l'outil d'intervention, qui s'était érodé au cours du temps, mais qui, en deux ans, a vu ses crédits passer de 412 millions de francs à environ 900 millions de francs. Enfin, nous avons créé des réseaux de recherche et de développement technologique. A cet égard, un orateur a évoqué tout à l'heure les piles à combustible. Si le CEA détient une position dominante dans ce domaine, c'est grâce au réseau correspondant.
Mais il y a mieux encore. Par cette méthode, au lieu de donner des subventions aux grands groupes, nous avons mobilisé leur argent. Peugeot et Renault financent ainsi le réseau « pile à combustible », et, de même, de grandes sociétés financent les réseaux « génoplante » ou « génome humain ». Cela a permis de lancer un certain nombre de programmes relatifs à la génomique, aux recherches sur les matériaux et aux sciences et technologies de l'information et de la communication. Nous avons consacré en outre 600 millions de francs au développement du capital-risque, auxquels se sont ajoutés 300 millions de francs provenant du fonds d'intervention européen.
Enfin, nous avons créé des « incubateurs d'entreprises », et instauré un concours visant à encourager la création d'entreprises innovantes par les jeunes chercheurs. A cet égard, l'observatoire sur la création d'entreprises innovantes, qui avait été installé par Dominique Strauss-Kahn, nous indique que la France est enfin en train de rattraper son retard. Cette action, qui constitue notre première priorité, n'avait pas été engagée auparavant, excusez-moi de le souligner.
Par ailleurs, il nous fallait garantir la qualité de la science française. Certes, il est très facile, pour un ministre de la recherche et de la technologie, de se gargariser de la qualité de la recherche française. Cette recherche est de bonne qualité, c'est vrai, mais non pas de très bonne qualité eu égard à l'investissement consenti. Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer le nombre de prix Nobel obtenus respectivement par la France et par ses principaux concurrents.
Cela signifie donc que des progrès peuvent être réalisés. Nous venons de mener une enquête à partir des citations en index sur vingt ans, et il apparaît que la recherche française est de très bonne qualité dans deux domaines, à savoir les mathématiques et les sciences de la terre. Pour les autres secteurs, la situation est beaucoup plus variable. Notre recherche pourrait donc être plus performante, et c'est le résultat que nous chercherons à atteindre.
A l'heure actuelle, notre appareil de recherche vieillit - le rapport du commissariat général du Plan le montre - et les jeunes n'ont pas la possibilité de choisir eux-mêmes leurs sujets de recherche. La preuve nous en a été donnée par le lancement du programme pour la création d'équipes de recherche : 2000 jeunes ont demandé à créer leur équipe, alors que les grands mandarins, les chefs des laboratoires me disaient qu'une telle initiative était inutile, parce que le système actuel était satisfaisant. Cette action a permis de créer cent équipes nouvelles.
En outre, les grands organismes tendent à être conservateurs. Par exemple, le CNRS, notre principal organisme de recherche, ne compte pas de département des sciences de l'information et de la communication. Personne au monde ne peut le croire !
Jusqu'à présent, la biologie n'a été une priorité que dans les discours. Pour la première fois, cette année, le nombre de postes de chercheurs en biologie créés au CNRS va dépasser les cent. Je le répète, nos organismes sont auto-reproductifs.
Notre recherche est encore trop éloignée de l'Université. Le dernier week-end, je participais à la réunion du G8 pour la recherche, en Grande-Bretagne. L'unanimité s'est faite, des Etats-Unis au Japon, en passant par le Canada, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la Russie, pour dire que le système le plus rentable, en recherche, c'est l'association péri-universitaire.
Des études quantitatives sont faites, aux Etats-Unis, entre laboratoires nationaux et universités : le facteur de rentabilité est de un à trois. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui, lorsqu'il y a, autour des universités, des organismes de recherche, des entreprises qui se créent, le transfert des informations vers les jeunes se fait.
Qu'avons nous fait ? Nous avons créé deux fondsd'intervention, suivant en cela l'exemple du premier gouvernement du général de Gaulle, et pour les mêmes raisons, parce que les organismes n'avançaient pas.
Dire que le fonds d'intervention est entre les mains du ministre, c'est ridicule. Ce sont les comités scientifiques, qui distribuent les crédits, comme au CNRS ou ailleurs.
Mais l'avantage accordé à certaines disciplines est effectivement planifié d'en-haut. Tel est le cas des sciences du vivant, qui, cette année, si l'on ajoute au budget les sommes qu'investiront les grandes entreprises, se verront octroyer plus d'un milliard de francs.
S'agissant des sciences de l'information et de la communication, je dis tout de suite à mon ami Pierre Laffitte que le problème des cinquante chercheursde l'INRIA n'en est plus un.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. Merci !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. J'y reviendrai tout à l'heure plus en détail.
Nous mettrons en place, dans le courant de l'année, le rapprochement entre universités et organismes dans le cadre de la réforme du CNRS, avec une mobilité des chercheurs tous azimuts.
Par amendement à l'Assemblée nationale, en première lecture, nous avons demandé une provision de 15 millions de francs pour commencer la mise en oeuvre de l'allégement des horaires d'enseignement des jeunes maîtres de conférence, afin de leur permettre de faire de la recherche.
Les crédits des laboratoires de recherche vont augmenter cette année. Vous avez lu dans la presse que j'ai demandé aux organismes de diriger 200 millions de francs qui étaient destinés aux gros équipements vers les laboratoires de recherche. De plus, je vous annonce que, dans le collectif budgétaire, nous allons abonder cette somme de 100 millions de francs supplémentaires pour commencer le plan d'équipement.
Oui, le choix, ce sont les laboratoires, ce sont les jeunes, c'est l'imagination, c'est l'innovation !
Maintenant, parlons des gros équipements.
Au Conseil européen de la semaine dernière, tout le monde s'est accordé pour dire que les grands équipements devraient être européens. Je vais vous donner des chiffres, et vous aurez ainsi immédiatement la réponse concernant le projet SOLEIL.
La France dépense par habitant 50 % de plus, la Grande-Bretagne 45 % de plus et l'Allemagne 50 % de plus que les Etats-Unis pour les gros équipements.
Cette technique des « Horace et des Curiace », qui consiste à nous diviser, fait que nous sommes tous affaiblis face au géant américain. Nous dépensons tous des sommes considérables pour avoir de gros équipements.
Prenons l'exemple du LURE. On y trouve des gens très agités et très actifs politiquement qui y travaillent 2 000 heures par an, alors que tous les équipements européens fonctionnent 5 500 heures par an. Voilà la différence entre un équipement national et un équipement européen ! Le Gouvernement a donc fait un choix : les équipements doivent être européens.
Je le répète, la décision n'a pas été prise en catimini. La première fois où l'on nous a présenté le projet SOLEIL, nous avons répondu : si c'est un projet européen, trouvez des partenaires, mettez-le où vous voulez, nous sommes d'accord. Le projet n'est jamais arrivé au stade européen, parce que les chercheurs concepteurs du projet ne voulaient pas qu'il soit européen, parce qu'ils refusaient la coopération avec l'Allemagne et la Suisse. Pourquoi ? les informations que je vous ai données vous permettent de trouver la réponse vous-même.
Quant au fond, faut-il refaire un autre synchrotron, alors que la France a déjà le plus gros synchroton du monde, qu'elle est le pays qui dépense le plus en fonctionnement pour les synchrotrons - près de 300 millions de francs de fonctionnement ?
Doit-on faire un synchroton en France ou, dans le cadre d'équipements européens, fabriquer un nouvel instrument original, une résonance magnétique nucléaire à 2 gigahertz, qui permettra d'étudier la structure des molécules jusqu'à 30 000 ou 40 000 de masse sans être obligé de les cristalliser ?
Depuis des années, les gros équipements sont décidés, dans ce pays, sans comparaison ; on pousse à la roue et, un jour, ils sont lancés ! Il y a une pression forte en faveur des gros équipements qui fait qu'ils sont finalement construits. Il en va de même pour les missions spatiales : il n'y a pas de discussion, pas de comparaison. Or, il n'y a pas de choix budgétaire sans une comparaison, sans le choix entre telle ou telle solution. C'est pourquoi je suis personnellement un grand partisan du système du Plan, qui, malheureusement, a été abandonné. Ce n'est plus à la mode !
Cette année, les très gros équipements représentent 4,5 milliards de francs. La moitié de l'augmentation du budget va servir à honorer des engagements liés à ces gros équipements.
Croyez-vous que je vais continuer à laisser un organisme comme le CNRS dépenser 85 % de ses crédits dans les salaires et seulement 15 % dans les frais de fonctionnement et d'équipement sans réagir ?
Ce n'est pas moi qui suis à l'origine de ces déséquilibres budgétaires ; je les ai trouvés à mon arrivée. Selon le rapport du Commissariat du Plan, il serait souhaitable que le CNRS soit à 50 % de salaires et 50 % de fonctionnement, comme le Max Planck Institut. C'est facile à dire. J'ai pris mon téléphone et j'ai demandé à M. Charpin s'il voulait prendre ma place pour savoir comment il allait faire.
Il y a quelques années, le CEA a pris des mesures sacrément rudes : il a mis les chercheurs à la retraite à soixante ans. Faut-il mettre les chercheurs à la retraite à soixante ans pour abaisser leur nombre ? De plus, on ne peut pas me demander, dans le même temps, decontinuer à embaucher pour compenser en totalité les départs en retraite. Cela, je ne sais pas faire ! Comment équilibrer en vidant le seau si je continue à le remplir ?
Le problème de l'emploi scientifique est très sérieux. Il est traité au travers du renouvellement des 3 % et du recrutement de 4 000 enseignants chercheurs, avec des procédures de mobilité : mobilité vers l'industrie, mobilité vers l'université, échanges, la véritable synergie avec l'industrie étant celle des gens qui bougent avec leur know how pour créer.
C'est une politique différente de celle qui a été menée jusqu'ici. Parce que ce sont de grands Européens, je ne veux pas priver les Français de grands équipements.
Le bateau sera construit grâce à une coopération inédite avec les militaires et grâce à une coopération européenne. Il sera extrêmement bien équipé.
Il y aura d'autres projets. En ce moment, le CEA propose de fabriquer un réacteur propre, et donc d'étudier de manière systématique comment on peut brûler les déchets avec des sources à neutrons de grande intensité par spallation. Sans doute faudra-t-il que cet appareil soit européen ; nous recherchons un partenariat pour le faire.
Quand l'Europe est forte, elle fait mieux que les Américains. C'est le cas du CERN, pour les crédits duquel je n'ai pas lesiné. Unissons-nous donc sur le plan européen !
C'est vrai, la position française est maintenant celle que tout le monde a adoptée. Mais je suis bien obligé de dire que, la première fois qu'elle a été exposée, tel n'était pas le cas : la France faisait scandale !
Nous allons effectivement réaliser des grands équipements communs et, d'abord, apporter la réponse sur Internet 2. Nous avons le réseau Renater II. Nous allons faire un réseau européen à deux gigabits par seconde sur toute l'Europe parce que c'est la priorité numéro un.
Nous allons aider à la fabrication de procédés multimédias et, d'abord, de ce procédé essentiel qu'est la traduction automatique en numérique pour les films, qui permet de passer tous les films dans toutes les langues en modifiant la forme de la bouche en fonction des langues. C'est essentiel si nous voulons que notre industrie cinématographique puisse être exportée dans le monde entier.
Nous allons accorder plus de moyens à la mobilité des chercheurs et des étudiants. Actuellement, on dénombre 200 000 chercheurs étudiants ; l'objectif que va fixer la présidence française en Europe est qu'il y ait 4 millions d'étudiants qui soient touchés par les procédures de mobilité européenne.
Gros équipements, mobilité, revues européennes, échanges européens, banques de données européennes, banques de mobilité pour étudiants, etc. : c'est vrai, il y a un changement en Europe, et c'est vrai que le commissaire Busquin est décidé à faire bouger les choses. Enfin, dirai-je !
Vous avez été nombreux à parler du CEA. Il est vrai qu'un gros organisme a toujours un gros lobbying ! C'est la règle. (Sourires.)
Si je ne donne pas des budgets directement au CEA, c'est pour respecter la règle de la compétitivité. Chaque fois, on met en péril la recherche sur l'énergie, ai-je entendu. Non, le CEA fait de la recherche en climatologie, en astrophysique, en biologie, et, en biologie, les laboratoires du CEA ont, par chercheur, 2,5 fois plus que les laboratoires du CNRS dans les mêmes domaines.
Donc, quand je dis que le CEA doit aller, comme les autres, en compétition devant des comités où l'on évalue les projets et les équipes, je ne fais que faire ce que l'on fait partout en matière scientifique. Aux Etats-Unis, la question ne se poserait même pas !
Le CEA récupérera son argent soit dans les réseaux technologiques, soit dans les actions concertées incitatives, mais sur une base compétitive, sur une base qui ne lui est pas assurée.
Donc, personne n'apprécie plus que moi le CEA.
Si l'on ne touche pas à l'option nucléaire - ce n'est même pas à l'ordre du jour au sein du Gouvernement - il suffit de lire mes déclarations pour voir que je n'y suis pas pour rien.
Cela étant, le CEA doit, comme les autres organismes, comme l'INRA, comme l'IRD, comme le CNRS, être soumis à une procédure compétitive, avec des appels d'offres. D'ailleurs, les équipes du CEA, qui sont de bonnes équipes, récupèrent de l'argent. Je pense même qu'elles récupéreront plus que les 100 millions de francs que je leur ai retirés, 100 millions qui, soit dit en passant, représentent 0,5 % du budget, car le budget total du CEA, avec la partie militaire, c'est 18 milliards de francs.
Quant au CNES, il n'est pas du tout en péril. Le CNES a fait de grosses erreurs de gestion, mais la situation est en partie rétablie. Par ailleurs, l'ESA, vous le savez, n'a pas dépensé son budget l'année dernière. Il y a donc un problème comptable de remboursement à ce titre. Et si j'ai, effectivement, serré quelque peu la vis, c'est parce que je veux améliorer la gestion du CNES.
Il est capital d'améliorer la compétitivité d'Ariane. Sinon, après nous être beaucoup autosatisfaits des lancements réussis d'Ariane, nous aurions des lendemains qui déchantent ! Mais pour ce faire, il faut améliorer la compétitivité du CNES, et cela passe par une meilleure gestion.
J'ai donc choisi comme méthode - dans trois ou quatre ans, vous pourrez me critiquer si je n'ai pas réussi - de serrer un peu les boulons. En effet, la technique consistant à dire : « pour que vous gériez mieux, je continue à augmenter votre budget » n'a jamais marché. Je le sais car j'ai quand même géré pas mal de choses dans ma vie...
S'agissant du parc du Nord, monsieur Renar, nous sommes prêts à discuter. Des erreurs de gestion ont été commises, qui ont provoqué des réactions non pas de ma part, mais de l'administration. Je suis prêt à engager une discussion avec les élus sur ce problème.
Vous avez également soulevé le problème des relations science et société. Je vous apporterai deux précisions. D'abord, nous créons au sein du ministère une mission spéciale « information scientifique et technique » dont Mme Dominique Ferriot sera la directrice. Ensuite, la France a invité les pays de l'ASEAN, plus l'Inde, ainsi que les pays membres de l'Union et les pays futurs adhérents, à une conférence qui se tiendra au mois de septembre 2001 sur le thème « science et société ». En outre - vous en avez la primeur - je souhaite associer le Parlement à l'organisation de cette conférence. Je prendrai donc contact avec le président de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, interlocuteur normal, pour étudier comment associer le Parlement à cette initiative.
Par ailleurs, s'agissant des obligations de service faites aux enseignants du supérieur, figureront désormais annuellement cinq heures de cours qui seront dues soit pour l'enseignement des professeurs d'enseignement secondaire, soit pour des conférences publiques.
Je tiens vraiment à sensibiliser, à défaut d'éduquer, le public sur les principaux problèmes qui se posent aujourd'hui. Sinon, il nous sera difficile de défendre la science face aux réactions hostiles qui surgiront un peu partout.
M. Vecten m'a interrogé sur l'aménagement du territoire et M. Rausch est également intéressé par ce sujet.
U 3 M comprend effectivement la recherche. Une discussion va donc normalement s'ouvrir sur l'aménagement du territoire quant à la recherche, puisque c'est une priorité.
J'en viens à l'INRIA. Monsieur Lafitte, je vais d'emblée vous faire une confidence pour vous avouer que c'est à la suite d'une inattention de ma part - dont je prends la responsabilité - que ces cinquante postes n'ont pas figuré dans le projet de budget initial.
Je vous le dis publiquement, mon intention est de doubler le nombre des chercheurs de l'INRIA en quatre ans. C'est notre stratégie. Simplement, nous avons rencontré des petits problèmes pratiques, parce que l'INRIA souhaite certains postes de chercheurs, mais préfère des contractuels pour d'autres, en raison de leur important turn over.
En outre, le problème qui se pose - et l'INRIA en est d'accord - est l'extension de son champ d'intervention, non pas que l'on élimine les mathématiques appliquées - c'est très bien, les mathématiques appliquées ! - mais que l'on élargisse du côté des techniques de la télécommunication pour pallier le fait que le CNET est devenu un laboratoire de recherches lié à une entreprise. Des discussions étaient engagées, le budget était en cours d'élaboration et il y a eu une erreur d'inattention. Mais soyez sans crainte sur ce sujet.
Pour l'INSERM, le problème est différent. L'année dernière, j'avais fortement augmenté son budget, employant une tactique que l'on m'avait recommandée en me disant que, pour modifier les structures, il fallait donner un peu plus d'argent. Eh bien, la preuve du contraire a été faite : l'INSERM n'a pas évolué. Cette année, j'ai appliqué la tactique inverse : j'ai serré la vis, on verra si l'INSERM se réforme, ne serait-ce qu'un peu. Il est en train de le faire, M. Griscelli fait d'ailleurs preuve de beaucoup de détermination.
J'en viens à la procédure EUREKA. Monsieur Laffitte, nous lui avons consacré 30 millions de francs en 1998, 50 millions de francs en 1999, et 50 millions de francs en 2000. C'est une très bonne procédure, mais nous avons besoin maintenant de la revivifier, car la Commission européenne ne l'a pas extraordinairement favorisée, c'est une litote.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. Dans le cadre de l'office parlementaire, je fais une étude pour revivifier EUREKA et nous avons déjà eu des contacts très positifs avec nos amis espagnols, allemands et néerlandais sur ce point.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Il n'y a donc pas de difficulté sur ce point.
En ce qui concerne le problème du CEA et du budget de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire, on fera quelque chose, mais je ne vais pas changer de ligne par rapport à ce que je vous ai dit.
S'agissant maintenant du multimédia, je vous ai déjà répondu tout à l'heure lors de l'examen du projet de budget de l'enseignement supérieur, mais j'aurai l'occasion de vous en dire plus au début de l'année 2000 sur notre action en ce domaine. Je vous donne des réponses partielles en attendant.
A la suite du rapport de Jean-Claude Rissel, qui vient de recevoir la médaille d'or du CNRS, nous avons décidé de créer un réseau arts, sciences et technologies, dont l'une des têtes de réseau sera à la Villette, d'autres étant à Marseille, à Grenoble, ou encore à Rennes pour les images.
Nous voulons vraiment encourager la création artistique assistée par ordinateur. C'est un premier point.
Deuxièmement, les contacts avec les groupes industriels français sont très avancés pour instaurer une coordination française en matière de logiciels éducatifs. En outre, dans le cadre du plan U 3 M et de l'installation des centres nationaux de recherche technologique, un centre national de recherche technologique sera créé à Poitiers, dans l'enceinte du Futuroscope, sur les logiciels éducatifs.
Enfin, nous allons créer des banques de données à l'attention de nos professeurs : si l'on veut réformer l'enseignement secondaire, il faut bien leur fournir des documents !
Je ne vous livre donc que quelques idées quelque peu débridées sur ce sujet, et ce volontairement, car j'aurai l'occasion de m'exprimer bientôt plus longuement sur ce chapitre.
Pour conclure, ma stratégie, un peu rude, n'est pas simple. Il serait beaucoup plus facile pour moi de laisser les choses se faire homothétiquement, comme ce fut le cas pendant des années. Moi, j'ai opéré un autre choix, celui d'essayer de redonner à la France une place non pas moyenne mais au plus près du sommet.
En consacrant près de 500 millions de francs par an à la génomique, ce qui nous permettra de nous doter des séquenseurs les plus modernes et de multiplier les possibilités de séquensage de la France par un facteur cinq ou dix dans les deux ans à venir, nous voulons redonner à la France la première place qu'elle a occupée au début des actions, entre Daniel Cohen et Jean Weissenbach, et qu'elle a perdue. Le génome humain, c'est une idée française de Jean Dausset. Les Français ont fait une percée sur le plan technique, mais nous n'avons pas persévéré.
Je considère que nous devons être parmi les premiers. Nous sommes bien placés sur le plan international en matière de création de langages informatiques. Nous sommes parmi les meilleurs dans ce domaine, mais nous avons là encore laissé partir les principaux créateurs.
Vous parliez du problème international demain : je vais aux Etats-Unis. Je vais rencontrer au MIT les « post-doc » français, pour tenter d'en ramener quelques-uns en France. Je m'y rends avec le directeur général del'INSERM, avec le directeur des sciences de la vie du CNRS, avec le directeur scientifique de la Fondation Curie pour essayer, avec Pierre Tambourin, directeur du génopole d'Evry, de les convaincre.
Nous ne sommes pas décidés à céder le moindre pouce de terrain, sur aucun de ces chapitres, mais cela exige que nous fassions des choix. Nous devons rompre avec la logique d'homothétie. Même si l'on augmentait le budget de 5 % sur un exercice, cela ne changerait pas les équilibres au sein du budget.
Le CNRS, sur ses 13 milliards de francs de budget, consacre 11 milliards de francs - je dis bien 11 milliards de francs ! - à la gestion des personnels. Faut-il, pour équilibrer ce budget, ajouter 6 milliards de francs ou même 8 milliards de francs pour financer les autres dépenses du CNRS ? Tout le monde nous traiterait de fous si nous faisions cela. Il y a une autre tactique, mais elle n'est pas facile.
Nous avons décidé de faire ce que personne n'a fait depuis des années, au lieu de prononcer des discours du type : « La grande priorité doit être la biologie. » Vous le savez, M. Giscard d'Estaing avait confié un rapport à François Jacob, François Gros et Leroy. La biologie devait être la priorité : les programmes n'ont pas été augmentés d'un sou. La priorité a continué d'être la physique lourde. Bien sûr, quand on redéploie des crédits, la physique lourde proteste ! Quelqu'un a dit que l'on déshabille Pierre, etc. Non, nous faisons des choix !
Aujourd'hui, je prends des risques avec M. Pierre-Gilles de Gennes et M. Charpak, et j'affirme que l'avenir n'est pas dans la physique lourde. Les découvertes sont dans la physique légère, dans la biologie, dans la chimie, dans les matériaux, dans les sciences de l'information et de la communication, dans la protection de la planète. C'est dans ces secteurs que les progrès sont à faire et c'est là que nous mettons nos priorités. Evidemment, nous sommes obligés de redéployer.
Je voudrais, pour terminer, faire une comparaison en prenant l'exemple du synchrotron. Je l'ai déjà dit, le synchrotron français est utilisé 2 000 heures par an ; le synchrotron européen à Grenoble, l'est 5 000 heures. C'est le même prix de revient : 100 millions de francs de frais de fonctionnement chaque fois. Quand nous avons fait la pile à haut flux à Grenoble, la même équipe - ce sont les mêmes, ceux d'Orsay - a protesté : « Comment Grenoble, il nous faut... » Les gouvernements de l'époque ont cédé : on a donc fait une pile à neutrons à Saclay, qui s'appelle ORPHEE.
Il y a quelques mois, on est venu me voir pour me dire : « Il n'y a pas assez de clients, il va falloir fermer ORPHEE. » On avait payé orphee et il aurait fallu le fermer ! J'ai dit : « Non ! on ne va pas fermer ORPHEE, on va l'européaniser. »
J'ai donc pris mon bâton de pèlerin. Je suis allé voir les Espagnols, les Portugais, pour leur demander de travailler avec nous.
Par ailleurs, le Gouvernement français va mettre un peu d'argent pour donner l'accès à ORPHEE aux pays d'Europe centrale et orientale, les PECO, qui vont adhérer à l'Union européenne. Ces pays ne sont pas riches et nous paierons leurs physiciens et leurs biologistes.
Voilà ce que l'on fait. Notre politique est cohérente.
Pourquoi les équipements européens ne seraient-ils pas sur notre territoire ?, m'a-t-on demandé. Je serai évidemment ravi si la France accueillait tous les équipements européens, mais certains finiraient pas se poser des questions !
Le CERN est, pour les trois quarts, sur le territoire français. L'Agence européenne est à Paris. Le synchrotron européen est à Grenoble. La pile à haut flux est à Grenoble également. Il faudra bien un jour admettre que, lorsqu'on parle de l'Europe, il n'y a pas que la France. Il n'en demeure pas moins que, pour ma part, je suis partisan du fait que la France fasse beaucoup de choses.
Je tiens à ajouter que le fait qu'un synchrotron franco-britannique soit implanté sur le territoire britannique fait beaucoup plus pour l'Europe que de longs discours.
Interrogez les Britanniques ! Les deux scientifiques britanniques qui sont membres du Conseil national de la science ont affirmé que cette implantation arrime les Britanniques à l'Europe. Eux qui croient que leur science est supérieure à celle de tous les autres pays, ils s'engagent dans une coopération avec des Français sur leur territoire, c'est là une action extrêmement utile.
Vous constaterez d'ailleurs, dans dix ans, que tout le monde sera content d'avoir fait un synchrotron franco-britannique.
Maintenant, comme nous avançons - nous avons mis en place le comité européen des grands équipements, qui s'est déjà réuni - s'il s'avère qu'il faut d'autres synchrotrons en Europe, on en construira d'autres, en France ou ailleurs. Est-ce que ce sera dans la vallée de Chevreuse ? C'est une autre affaire ! En effet, j'ai cru comprendre que beaucoup de régions se porteraient candidates. On verra bien !
Est-ce que ce sera une super résonance magnétique à 2 gigahertz ? On verra ce qu'il faut construire, mais on le fera sur la base d'un projet scientifique.
Lorsque le CERN construit un équipement, par exemple le super collider , il le fait pour des recherches précises. C'est pour un projet scientifiques donné que le Gouvernement accorde une certaine somme.
Telle est la politique du Gouvernement par rapport aux grands équipements. (M. Laffitte applaudit.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C et concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : III. - Recherche et technologie.

*
* *
ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 234 455 000 francs. »

Je vais mettre aux voix les crédits inscrits au titre III.
M. André Maman. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Maman.
M. André Maman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce budget est en parfaite contradiction avec les ambitions affichées par le Gouvernement. Il ne laisse aucune marge de manoeuvre pour mettre en place des réformes, maintes fois annoncées et toujours retardées.
Mes inquiétudes se fondent non pas sur la modestie des crédits consacrés à la recherche, mais plutôt sur l'incohérence des choix opérés.
En effet, cela a été dit durant la discussion générale, l'abandon de certains grands équipements risque de pénaliser la France, face à la concurrence internationale. Les crédits dégagés ne profitent même pas aux laboratoires dont vous jugez, monsieur le ministre, l'action prioritaire.
Vous nous avez soumis, lors de la dernière session, un projet de loi relatif à la recherche et à l'innovation. Le Sénat a largement contribué à améliorer ce texte, qu'il considérait comme très utile pour le développement de la croissance. Nous avions cru comprendre que votre volonté était inaltérable et que le Gouvernement était résolu à faire de ce secteur une priorité nationale.
Ce budget ne traduit en aucune manière cette volonté, il la réduit comme une peau de chagrin.
Vous savez, comme moi, que seule l'innovation est garante de la compétitivité et de la rentabilité. Le lien entre innovation et croissance passe donc par la recherche. La France est en train de prendre du retard. La recherche ne doit plus être uniquement dépendante des organismes publics.
Il faut resserrer encore les liens entre le monde industriel et les milieux scientifiques, pour valoriser les résultats de la recherche. Cela permettra notamment d'éviter la fuite des cerveaux et de faire revenir en France un certain nombre d'entre eux en leur offrant les conditions de recherche et aussi les conditions de vie qui pourraient les convaincre de quitter les pays où ils sont installés.
Il ne suffit pas d'envoyer un groupe de personnes aux Etats-Unis pour convaincre ces jeunes gens de revenir, il faudrait établir une politique très précise sur la façon de les convaincre de rentrer en France. Nous avons besoin d'eux.
Nous sommes persuadés que 30 % d'entre eux pourraient rentrer si on leur offrait les conditions nécessaires. Il y a un effort énorme à faire, et je ne suis pas sûr qu'il ait été engagé.
Enfin, sans une fiscalité adaptée et attractive, l'objectif de croissance ne sera pas tenu.
Compte tenu de ces observations, mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même ne pourrons voter ce projet de budget.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président. « Titre IV : 578 104 000 francs. »

Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)

ÉTAT C

M. le président. « Titre V. - Autorisations de programme : 7 000 000 francs ;
« Crédits de paiement : 3 500 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement figurant au titre V.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président. « Titre VI. - Autorisations de programme : 13 458 250 000 francs ;
« Crédits de paiement : 11 555 951 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement figurant au titre VI.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président. Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant la recherche et la technologie.

3

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de MM. Xavier Darcos, Philippe Arnaud, Nicolas About, Pierre André, José Balarello, Bernard Barraux, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Jean Bizet, Paul Blanc, James Bordas, Didier Borotra, Mme Paulette Brisepierre, MM. Louis de Broissia, Michel Caldaguès, Auguste Cazalet, Gérard César, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Gérard Cornu, Philippe Darniche, Désiré Debavelaere, Jacques Delong, Fernand Demilly, Christian Demuynck, Michel Doublet, Xaxier Dugoin, André Dulait, Jean-Léonce Dupont, Hubert Durand-Chastel, Michel Esneu, Hubert Falco, Bernard Fournier, Alfred Foy, Jean François-Poncet, Yann Gaillard, Jean-Claude Gaudin, Patrice Gélard, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Francis Giraud, Adrien Gouteyron, Francis Grignon, Georges Gruillot, Emmanuel Hamel, Marcel Henry, Pierre Hérisson, Daniel Hoeffel, Jean-Paul Hugot, Claude Huriet, Roger Husson, Pierre Jarlier, André Jourdain, Lucien Lanier, Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, Edmond Lauret, René-Georges Laurin, Dominique Leclerc, Jacques Legendre, Jean-François Le Grand, Guy Lemaire, Roland du Luart, Kléber Malécot, André Maman, Philippe Marini, Pierre Martin, Paul Masson, Serge Mathieu, Lucette Michaux-Chevry, Jean-Luc Miraux, Georges Mouly, Bernard Murat, Philippe Nachbar, Paul Natali, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Lylian Payet, Michel Pelchat, Jean Pépin, Jacques Peyrat, Jean-Marie Poirier, Victor Reux, Charles Revet, Henri de Richemont, Philippe Richert, Yves Rispat, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Michel Souplet, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, René Trégouët, François Trucy, Maurice Ulrich, Jacques Valade, André Vallet, Xavier de Villepin et Serge Vinçon une proposition de loi tendant à améliorer le contrôle de légalité des actes des collectivités locales.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 114, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

4

TEXTES SOUSMIS EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil relatif à la conclusion de l'accord sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et la Républiquetunisienne concernant le régime à l'importation dans la Communauté d'huile d'olive originaire de Tunisie, fixant les règles générales d'importation et abrogeant le règlement (CE) n° 906/98 (Procédure d'urgence).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1356 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil portant attribution d'une aide financière exceptionnelle de la Communauté au Kosovo.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1357 et distribué.

5

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mardi 7 décembre 1999, à dix heures trente, à quinze heures et le soir :
Suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2000, adopté par l'Assemblée nationale (n°s 88 et 89, 1999-2000).
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Deuxième partie. - Moyens des services et dispositions spéciales.
Charges communes (et article 67).
Comptes spéciaux du Trésor (art. 44, 44 bis, 45 à 50).
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra, rapporteur spécial (charges communes, rapport n° 89, annexe n° 7) ;
M. Paul Loridant, rapporteur spécial (comptes spéciaux du Trésor, rapport n° 89, annexe n° 45).
Budget annexe des Monnaies et médailles.
Mme Maryse Bergé-Lavigne, rapporteur spécial (rapport n° 89, annexe n° 41).
Economie, finances et industrie :
I. - Economie, finances et industrie (et consommation) (et art. 68).
M. Bernard Angels, rapporteur spécial (rapport n° 89, annexe n° 11) ;
Mme Odette Terrade, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan (consommation et concurrence, avis n° 91, tome IX).
II. - Industrie (et poste).
M. Jean Clouet, rapporteur spécial (rapport n° 89, annexe n° 12) ;
M. Francis Grignon, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan (industrie, avis n° 91, tome V) ;
M. Jean Besson, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan (énergie, avis n° 91, tome VI) ;
M. Pierre Hérisson, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan (technologies de l'information et poste, avis n° 91, tome XXI).
III. - Petites et moyennes entreprises, commerce et artisanat (et art. 69, 69 bis, 69 ter et 69 quater).
M. René Ballayer, rapporteur spécial (rapport n° 89, annexe n° 13) ;
M. Jean-Jacques Robert, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan (avis n° 91, tome VIII).
- Commerce extérieur.
M. Marc Massion, rapporteur spécial (rapport n° 89, annexe n° 14) ;
M. Michel Souplet, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan (avis n° 91, tome X).

Délai limite pour les inscriptions de parole dans les discussions précédant l'examen des crédits de chaque ministère

Le délai limite pour les inscriptions de parole dans les discussions précédant l'examen des crédits de chaque ministère est fixé à la veille du jour prévu pour la discussion, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements aux crédits budgétaires pour le projet de loi de finances pour 2000.
Le délai limite pour le dépôt des amendements aux divers crédits budgétaires et articles rattachés du projet de loi de finances pour 2000 est fixé à la veille du jour prévu pour la discussion, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements aux articles de la deuxième partie, non joints à l'examen des crédits du projet de loi de finances pour 2000.
Le délai limite pour le dépôt des amendements aux articles de la deuxième partie, non joints à l'examen des crédits du projet de loi de finances pour 2000, est fixé au vendredi 10 décembre 1999, à seize heures.
Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, modifiant le code général des collectivités territoriales et relatif à la prise en compte du recensement général de population de 1999 pour la répartition des dotations de l'Etat aux collectivités locales (n° 56, 1999-2000).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : jeudi 9 décembre 1999, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : jeudi 9 décembre 1999, à seize heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à une heure vingt.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Création de bureaux de tabac dans les petites communes

674. - 6 décembre 1999. - M. Jean-Pierre Demerliat souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les difficultés rencontrées par les communes ou les particuliers pour obtenir l'autorisation d'ouvrir un bureau de tabac dans les petites communes. Il est parfaitement conscient des dangers que peut occasionner l'abus du tabac sur la santé mais il sait aussi que si les habitants d'une petite commune n'ont pas la possibilité de se procurer leur « drogue » chez eux, ils iront faire l'ensemble de leurs achats dans une ville plus grande, ce qui aura pour conséquence de faire péricliter les commerces des toutes petites communes et accentuera le phénomène de désertification des zones rurales.