Séance du 23 novembre 1999






CONFÉRENCE MINISTÉRIELLE
DE L'ORGANISATION MONDIALE
DU COMMERCE

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce à Seattle.
Mes chers collègues, compte tenu de l'importance du débat que nous allons avoir et aussi du nombre et de la qualité des intervenants - le représentant du Gouvernement, deux présidents de commission, dix-neuf orateurs pour plus de trois heures - je vous propose, si nous n'avons pas terminé à treize heures, de reprendre notre débat à seize heures, pour l'achever aux alentours de dix-sept heures.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais vous présenter, au nom du Gouvernement, les perspectives des prochaines négociations commerciales multilatérales et les objectifs de notre pays et de ses partenaires européens.
Je suis très heureux de venir devant vous aujourd'hui, car ce débat nous permettra d'établir une analyse plus précise de la situation, moins d'une semaine avant la conférence de Seattle.
Je le suis d'autant plus que vous avez déjà effectué un travail important sur les prochaines négociations à l'occasion du rapport de M. Michel Souplet sur trois propositions de résolution qui furent présentées, réunies et adoptées par la commission des affaires économiques et du Plan.
Le souhait du Sénat d'être associé à cette négociation, souhait qui se concrétisera d'ailleurs par la présence de membres de la Haute Assemblée au sein de la délégation française, rejoint le désir du Gouvernement, manifesté depuis plusieurs mois, d'aborder ces négociations dans la transparence, à l'égard des élus comme de la société civile.
Nous croyons en effet qu'à l'ampleur des enjeux de la mondialisation, qui concerne chacun de nos concitoyens, doivent correspondre, de la part des gouvernements, des méthodes nouvelles de consultation et d'information, pour que les positions prises par notre pays ne reflètent pas seulement les convictions de quelques-uns mais expriment les intérêts de tous.
Avant d'aborder la négociation proprement dite, permettez-moi d'éclairer deux aspects généraux du fonctionnement et du rôle de l'Organisation mondiale du commerce sur les plans institutionnel et économique.
Le premier volet est le rôle institutionnel de l'OMC.
Sur le plan institutionnel, il faut bien comprendre que l'OM n'est pas une organisation supranationale, elle est une organisation interétatique, respectueuse de la souveraineté et fonctionnant sur le modèle du contrat social, un contrat social international.
Les règles issues de l'OMC sont le fruit de la volonté des Etats : ce qu'ils n'acceptent pas n'a pas force de droit. L'OMC n'impose aucun engagement, sinon celui de respecter ses engagements librement consentis.
Même lorsqu'il s'agit de fixer les règles d'ouverture commerciale, grâce à l'OMC, nous pouvons nous accorder sur des concessions équilibrées. Dans tous les domaines, nous pouvons donc considérer que l'existence de l'OMC nous permet, selon le mot célèbre, de substituer « à la liberté qui opprime, la règle qui libère ».
Le fonctionnement contractuel de l'OMC appelle naturellement une fonction juridictionnelle pour régler les différends dans l'application des clauses du contrat.
Des critiques se sont exprimées sur le caractère interne, « endogène », de l'ORD, l'Organe de règlement des différends, qui, étant dans l'OMC, serait à la fois juge et partie.
Certains évoquent, par souci de cohérence des institutions internationales, un recours des décisions de l'Organe de règlement des différends auprès de la Cour internationale de justice.
Permettez-moi de remarquer que seulement un tiers des membres de l'Organisation des Nations unies a accepté que leurs différends soient normalement soumis à la Cour internationale de justice, alors que les 134 membres de l'OMC reconnaissent la juridiction de l'ORD.
En termes d'efficacité et de légitimité, l'avantage est clairement en faveur de l'OMC.
Je me suis déjà exprimé sur les évolutions que doit connaître l'ORD en termes de transparence, d'accès au droit pour les pays pauvres, d'évolution du système des sanctions, qui doit concilier efficacité et justice. Il n'est en effet pas normal que des secteurs, des entreprises et, en définitive, des hommes et des femmes subissent les conséquences de litiges auxquels ils n'étaient nullement parties. Le recours à des compensations, voire à des astreintes, me semble devoir être étudié.
D'une manière plus générale, je voudrais souligner que l'existence de l'ORD ne doit pas nous conduire à un gouvernement économique des juges sur le plan international.
C'est pourquoi les Etats, certes instruits par la jurisprudence de l'ORD, doivent réexaminer périodiquement le cadre normatif sur lequel les juges s'appuient. C'est d'ailleurs une des activités fondamentales de l'OMC que de revisiter ses propres règles.
En bref, la critique externe de l'OMC est stimulante, mais c'est de l'intérieur de l'OMC que l'on pourra vraiment faire progresser la régulation économique dont nous avons besoin.
J'en arrive au second volet, le rôle économique de l'OMC. Là s'opposent une thèse et une antithèse.
La thèse est celle de la théorie économique, confirmée par beaucoup d'observations concrètes.
En s'engageant dans l'échange international, qui permet d'accroître la taille du marché, un pays produira plus, avec une meilleure productivité et avec des coûts plus faibles. Dans le même temps, les consommateurs bénéficient d'une gamme plus large de biens, à des prix moins élevés.
Des études récentes réalisées dans un grand nombre de pays ont montré que les économies ouvertes bénéficiaient d'un taux de croissance supérieur à celui des économies fermées.
L'antithèse considère que la logique du marché ne doit pas être la logique de la vie : c'est la différence entre l'économie de marché et la société de marché.
L'homme ne peut en effet être réduit à une pure dimension d'agent économique, voulant toujours plus de production ou de consommation.
A l'individualisme du marché, on oppose à juste titre l'existence de communautés de vie et de traditions, propres à chaque pays, qui ne doivent pas se dissoudre dans la globalisation et l'uniformisation.
Comment résoudre cette contradiction ? Comment trouver une synthèse entre ces points de vue ?
Il faut se souvenir que les théories du libre-échange sont nées avec la révolution industrielle et correspondent bien à la nature des objets techniques : un bien industriel, une machine sophistiquée par exemple, n'exprime pas une tradition, n'est pas issu d'une culture spécifique à un pays.
Pour ce type de biens, la libéralisation, la spécialisation, les économies d'échelle sont globalement positifs. Et l'on peut en dire de même pour certains services, comme les services financiers.
Mais, pour d'autres biens, les biens culturels, les services publics, l'agriculture également, le raisonnement froidement économique ne peut s'appliquer sans restrictions.
Je ne dis pas qu'il doit être totalement rejeté : personne ne peut être sérieusement partisan d'une autarcie totale en matière culturelle ou agricole. Mais, dans ces domaines, il faut trouver un équilibre entre le respect des identités et l'ouverture raisonnable aux échanges.
C'est ce qui inspire la position du Gouvernement dans les négociations de l'OMC : libéraliser de manière équitable ce qui peut l'être et protéger en même temps nos valeurs, notre organisation sociale, l'équilibre de notre territoire, dans la perspective d'un monde de diversité, d'un monde multipolaire.
M. Emmanuel Hamel. Protégez-les avec fermeté !
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. Le reste est question de moyens, qui peuvent être divers. A l'OMC, nous parlons d'agriculture, mais nous n'y négocions pas sur la culture : chaque domaine a sa spécificité.
Je tenais à rappeler ces considérations générales qui me semblent importantes pour comprendre la logique du fonctionnement de l'OMC.
J'en viens maintenant à la préparation de Seattle. A quelques jours de la conférence, la situation se caractérise par une forte incertitude. Le processus qui s'est engagé au début du mois de septembre ne permet pas de déterminer avec précision le contenu d'une plate-forme commune. Plus précisément, nous attendons aujourd'hui encore le premier texte opérationnel qui devra servir de base à nos travaux à Seattle.
Beaucoup d'entre vous pourraient considérer cette situation - assez inédite à la veille d'une grande conférence internationale - comme un signe de faiblesse de l'OMC. Je crois qu'il s'agit de l'effet conjoint de causes diverses.
L'OMC a changé cette année de directeur général à l'issue d'un processus de décision qui a été difficile, comme vous le savez.
L'administration américaine se trouve en année pré-électorale, dépourvue du Fast-track, même si cette dernière n'est pas nécessaire au lancement de négociations, et soumise à un jeu complexe à l'égard du Congrès : tous ces facteurs n'ont pas contribué à permettre aux Etats-Unis d'assurer aussi efficacement que l'on aurait pu le souhaiter les responsabilités de pays d'accueil et de président de la Conférence ministérielle.
Enfin, l'OMC est réellement devenue, comme je l'ai dit, une Organisation démocratique au sein de laquelle quelques-uns ne peuvent décider pour tous. Cela ne renforce pas l'efficacité immédiate de l'organisation, mais établit, au contraire, sa légitimité, que je crois tout aussi indispensable pour une organisation internationale.
Il s'ensuit que la réunion de Seattle aura à répondre, avec succès, je l'espère, à un défi inédit : non pas seulement boucler les derniers détails d'une négociation, mais en établir l'équilibre lui-même. Il est donc probable que les Etats et les ministres aient à travailler sur place sur les grands chapitres du cycle, parallèlement à la conférence générale proprement dite.
Quels sont les points de vue en présence ?
Les pays en développement ont fait de la question de la mise en oeuvre des accords de l'Uruguay un préalable au lancement du prochain cycle. Ils considèrent qu'ils n'ont pas retiré du cycle de l'Uruguay les avantages qu'ils étaient en droit d'attendre. Ils estiment avoir été contraints de signer des accords à la négociation desquels ils n'avaient pas été suffisamment associés.
En réalité, ces reproches ne sont pas tous fondés. Certains pays, on peut le comprendre, font porter à l'OMC, comme vecteur de la libéralisation, une responsabilité dans l'émergence de la crise asiatique ou, plus généralement, dans la persistance du mal-développement. C'est un peu le sens des conclusions des travaux du G 77 qui s'est réuni l'automne dernier à Marrakech.
Je crois que ces difficultés ont bien d'autres causes, des causes financières et monétaires, à l'égard desquelles l'OMC n'a que peu de contrôle, ainsi que des causes internes liées au rythme sans doute trop lent des réformes politiques et juridiques qui doivent accompagner la modernisation de l'économie. Là aussi, l'OMC n'a que peu de prise. C'est sans doute dans une meilleure coordination de toutes les institutions internationales que nous devrons, dans l'avenir, chercher des remèdes.
Même si nous ne devons pas avoir mauvaise conscience, car l'Europe en particulier a respecté ses engagements de Marrakech, nous devons être attentifs aux demandes des pays en développement. Nous sommes ouverts à certaines de leurs revendications et nous sommes prêts à des décisions immédiates à Seattle, en particulier en faveur des pays les moins avancés.
L'OMC met en oeuvre un traitement spécial et différencié au bénéfice des pays en développement. La plupart des accords prévoient la possibilité de périodes de transition. Nous devons en parallèle faire un effort particulier d'assistance technique pour permettre aux pays en développement de remplir leurs engagements et de tirer tous les bénéfices de leur participation au système multilatéral.
Nous devons dans le même temps être attentifs à ne pas rouvrir les accords de Marrakech et les équilibres atteints à cette occasion. Les pays émergents ont bénéficié des accords de Marrakech. La part des pays en développement dans les échanges mondiaux est passée de 12 % à 20 % entre 1970 et 1998. Mais les disparités restent fortes. La libéralisation des échanges doit bénéficier à tous. Tel est l'objectif que défend l'Union européenne à l'OMC.
La question de la différenciation entre les pays en développement méritera d'être traitée dans le cadre du prochain cycle. Il importe que les pays les moins avancés aient un traitement plus favorable - c'est une des propositions de l'Union européenne pour Seattle - et que les pays émergents avancés contribuent davantage au système multilatéral. Beaucoup d'entre eux conservent des barrières douanières élevées qui pénalisent les pays moins intégrés dans l'échange international.
Le groupe de Cairns, de son côté, non sans le soutien implicite des Etats-Unis, a tenté d'imposer un préalable agricole à toute discussion générale avec l'Union européenne. L'Australie et la Nouvelle-Zélande, en particulier, ont à la fois exigé de fixer dès Seattle les points d'arrivée de la négociation agricole et refusé de progresser sur les autres sujets de la négociation.
L'Union européenne, appuyée par différents partenaires, dont le Japon et la Corée, s'est refusée à cette négociation agricole et à cette prise en otage de l'ensemble du cycle.
L'Europe rappelle que l'objectif doit rester, à Seattle, de s'entendre sur une programme de négociation et non de traiter au fond des différents sujets.
Les Etats membres de l'Union européenne sont solidaires sur cette ligne. Les résultats du Conseil de Berlin d'avril dernier et les conclusions du Conseil « affaires générales » du 26 octobre, rappelées lors du Conseil du 15 novembre, sont la base de la position communautaire.
L'Union européenne est prête à reprendre les négociations sur l'agriculture, conformément aux engagements pris à Marrakech. Nos préoccupations relatives aux sujets agricoles non commerciaux - le développement rural, l'environnement, la sécurité alimentaire, par exemple - devront être prises en compte dans la négociation.
L'idée de la multifonctionnalité de l'agriculture synthétise bien nos objectifs. Nous considérons, en effet, que l'agriculture ne peut, comme certains le souhaitent, être banalisée car son rôle social et environnemental est spécifique.
Nous ne pouvons admettre que, dans le domaine agricole, une libéralisation sans limites aboutisse à ce que, emportés dans la course à la productivité, des agriculteurs de moins en moins nombreux s'épuisent dans une guerre des prix qui ne profitera qu'à quelques multinationales de l'agro-industrie.
Cette position de la France et de l'Europe en faveur de la multifonctionnalité de l'agriculture, de son rôle productif mais aussi de son caractère structurant pour l'ensemble de la société, n'est pas issue de la seule définition de nos intérêts. Ce que nous défendons ici, c'est un modèle équilibré, c'est la protection des spécificités nationales, qui correspondent aux intérêts des agriculteurs du monde entier, y compris de ceux des pays les moins développés.
Par rapport aux Etats-Unis, dont les ambitions sont limitées à un cycle étroit, l'Union européenne continue à militer en faveur d'une approche globale de la négociation et d'un engagement unique.
Le débat actuel sur le projet de déclaration de Seattle confirme que la globalité est seule de nature à équilibrer les intérêts de tous les membres de l'OMC.
L'approche américaine, centrée sur la libéralisation de l'agriculture, des services et de certains secteurs industriels prédéterminés dans l'enceinte de l'APEC, n'est évidemment pas à même de satisfaire les demandes des pays en développement, ni, bien sûr, celles de l'Union européenne.
Elle n'est pas davantage susceptible de répondre aux ambitions de l'Union européenne dans la recherche d'un équilibre entre la dynamique de l'ouverture, d'une part, et l'exigence de régulation du système commercial international, d'autre part.
La France et l'Union européenne ont aussi mis l'accent sur la nécessité de renforcer le système commercial.
Le lancement de négociations sur des principes de base relatifs à l'investissement direct étranger, à la concurrence et à la transparence dans les marchés publics peut constituer une première étape de cet approfondissement des règles multilatérales.
Beaucoup de pays considèrent que ces sujets servent de prétexte à l'Europe pour « charger la barque » et retarder la conclusion du cycle. Nous devons leur montrer que ces thèmes sont, au contraire, dans l'intérêt de tous.
Avec des règles meilleures sur les marchés publics, les pays peuvent lutter contre la corruption et faire jouer, pour une bonne gestion des finances publiques, les offres nationales et étrangères. Avec des règles sur l'investissement, les Etats pourront attirer des capitaux en leur offrant un cadre juridique stable et équitable. Avec des règles sur la concurrence, ils pourront mieux lutter contre l'emprise des grandes firmes multinationales.
Ces progrès du droit économique international sont nécessaires, mais ne pourront être que graduels. C'est sur le long terme que l'OMC pourra contribuer à établir des disciplines librement consenties, complètes et efficaces dans ces domaines.
Nous souhaitons que la conférence de Seattle, sous une forme que la négociation devra déterminer, constitue une étape importante pour faire progresser ces sujets.
L'OMC doit aussi répondre aux préoccupations des opinions publiques sur les thèmes de la sécurité des aliments, des questions sanitaires, de l'environnement. La question du boeuf aux hormones ou le commerce transfrontalier des organismes génétiquement modifiés appellent incontestablement des clarifications.
Dans ces questions d'environnement, nous devons chercher un juste milieu entre deux extrêmes : légiférer sur l'environnement à l'OMC, dont ce n'est pas le rôle, et, à l'opposé, se désintéresser du sujet. Ce que nous proposons, c'est que le comité de l'environnement de l'OMC fasse beaucoup plus rapidement qu'aujourd'hui des propositions aux ministres pour clarifier l'articulation entre les règles commerciales et les accords multilatéraux sur l'environnement et entre le travail de l'OMC et celui d'autres institutions comme l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO, ou l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS.
Cette meilleure cohérence du système international doit permettre d'améliorer les réponses que nous pouvons apporter aux problèmes transversaux : le développement durable, la lutte contre les inégalités et le besoin d'équité, les problèmes de santé publique ou le respect des normes sociales fondamentales. Certains de ces sujets ne peuvent être abordés que conjointement par des organisations internationales comme le Fonds monétaire international, le FMI, et la Banque mondiale.
C'est aussi le cas pour les normes sociales : nous plaidons pour l'établissement d'un forum conjoint et permanent entre l'OMC et l'Organisation internationale du travail, l'OIT. Nous sommes convaincus que des progrès ne pourront être réalisés que sur la base d'une collaboration effective entre les deux organisations, la définition des normes devant, bien entendu, continuer à incomber à l'OIT.
Sur les politiques économiques et la gouvernance dans les pays en développement, nous avons engagé l'OMC dans un programme de coopération avec les institutions de Bretton Woods dans le cadre de la politique plus générale menée par Christian Sautter en faveur du renforcement de leur rôle régulateur.
Sur la santé, l'OMC et l'OMS doivent procéder à une identification des questions de santé publique liées au commerce. Les deux organisations tiendront une session de travail conjointe le 1er décembre à Seattle sur ces questions et auront l'occasion de présenter publiquement leur programme de coopération.
S'agissant de la diversité culturelle, enfin, l'impulsion de la France a permis l'adoption à l'UNESCO, par cinquante-huit ministres, d'une déclaration sur la spécificité de la culture.
La globalité à laquelle nous sommes attachés pour le prochain cycle de Seattle n'est donc pas seulement la clé d'une négociation purement commerciale. Elle doit répondre aux questions qui préoccupent les pays en développement et les opinions publiques. Elle vise à renforcer la capacité des Etats à maîtriser les conséquences de la mondialisation. Elle est l'occasion d'amorcer une réflexion qui s'impose sur l'avenir du système international.
L'OMC, tout le monde le reconnaît, n'est pas responsable d'une mondialisation qui, si nous savons la maîtriser, est un atout pour la croissance économique et le développement.
Mais cette organisation, dont la France et l'Union européenne ont souhaité la création, est perfectible. Elle doit servir davantage à la régulation. En l'absence de règles, et comme l'a déclaré le Premier ministre, la loi de la jungle l'emporterait.
L'OMC doit s'ouvrir davantage aux préoccupations des citoyens et à la demande de transparence de la société civile. Elle doit faire la preuve qu'elle est capable de répondre aux attentes de tous ses membres.
L'accord entre les Etats-Unis et la Chine adresse un signal positif pour l'OMC, à la veille de Seattle. L'Union européenne, qui soutient cette adhésion, devra s'assurer que les bases en sont conformes à ses intérêts.
Au total, ce développement récent témoigne de l'attractivité de l'OMC en renforçant son universalité. Plus de trente pays sont engagés actuellement dans des processus d'adhésion, parmi lesquels la Russie et l'Arabie Saoudite.
En attendant Seattle, l'Union européenne devra donc continuer à travailler pour un accord sur un agenda large. Pendant la conférence, elle recherchera un ensemble de décisions équilibrées.
Le Gouvernement sera, à Seattle, en contact permanent avec les parlementaires présents, bien entendu.
Nous abordons cette conférence avec calme et détermination. Notre ligne doit être d'obtenir une déclaration opérationnelle qui ouvre, ou laisse ouvertes, les options auxquelles nous tenons. L'exercice ne sera pas aisé, car l'OMC décide sur la base d'un consensus entre 135 membres souverains.
Nous avons beaucoup à gagner à une reprise des négociations. Si nous avons à répondre à des questions difficiles, nous disposons de la durée : la conférence de Seattle doit marquer le démarrage d'un prochain cycle. Seattle sera donc le point de départ d'un travail de négociation qui se poursuivra pendant plusieurs années et que nous mènerons avec la même résolution et le même souci de transparence qui nous ont guidés jusqu'ici. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques et du Plan.
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans un article du mois de juillet, Jacques Attali demandait que l'on en finisse avec l'OMC, et c'est par milliers que des représentants des organisations non gouvernementales fustigeront dans quelques jours, dans les rues de Seattle, l'Organisation mondiale du commerce et le cycle de négociations qu'elle s'apprête à lancer.
Faut-il donc vouer l'OMC et le round du Millénaire aux gémonies ? Personnellement, je ne le crois pas, ni vous non plus, monsieur le secrétaire d'Etat, si je vous ai bien suivi.
Certes, on peut s'interroger. Le moment est-il bien choisi pour lancer un nouveau cycle ? N'aurait-il pas fallu, au préalable, faire le bilan du précédent ? Je comprends que l'on en débattre.
Il reste que la France et l'Union européenne ont deux bonnes raisons de ne pas s'en prendre de façon idéologique à l'Organisation mondiale du commerce. La premièr est économique, la seconde politique.
Le verdict de l'économie est clair, en tout cas à mes yeux, même si je sais qu'il arrive qu'on le conteste, vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat.
Pourquoi le verdict de l'économie est-il clair ? Parce que la France et l'Europe doivent l'essentiel de leur prospérité, depuis la Deuxième Guerre mondiale, au développement des échanges internationaux.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. C'est vrai !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Les chiffres sont sans ambiguïté : depuis la fin des années cinquante, c'est-à-dire depuis le début des cycles du GATT, les échanges mondiaux ont été multipliés par dix-sept, la production mondiale par quatre et le revenu par habitant de la planète par deux. Cela signifie clairement que c'est le commerce international qui a tiré et qui tire la croissance, celle de l'économie mondiale et, plus encore, celle de l'Europe et de la France. Les échanges internationaux sont le moteur de l'économie, et non l'inverse.
Ce disant, bien entendu, je n'oublie pas le cortège des tragédies dont le libre-échange est responsable, notamment en France : le textile, la chaussure, les chantiers navals, la sidérurgie. Dans mon département comme dans bien d'autres, j'ai vu les dégâts !
Mais, lorsqu'on fait le bilan, que constate-t-on ? On constate que la Communauté européenne, avec 20 % des exportations mondiales contre 16 % pour les Etats-Unis et 11 % pour le Japon, s'est hissée au premier rang des puissances commerciales de la planète. On constate que la France, sans renoncer à ses valeurs, s'est solidement installée au quatrième rang des grands exportateurs mondiaux, et même au troisième rang pour les exportations de services. On constate que 5 millions d'individus, soit 22 % de sa population active, doivent leur emploi à l'activité exportatrice de nos entreprises. Le chômage continue de nous assiéger, c'est vrai, mais chacun sait qu'il a, pour l'essentiel, des causes structurelles internes, auxquelles il faudra bien, tôt ou tard, s'attaquer.
Arrêtons donc de conspuer le libre-échange, dont nos entreprises sont les premières bénéficiaires ! Constatons que la France est devenue structurellement exportatrice, structurellement compétitive, et que les partisans du repli et les nostalgiques du protectionnisme font fausse route.
Voilà une première raison, économique, de ne pas aborder à reculons la négociation qui va s'ouvrir.
Il y en a une seconde, qui est politique. L'OMC, mes chers collègues, n'est pas seulement chargée de promouvoir le libre-échange ; elle a pour mission d'en être le régulateur et l'arbitre. Or, l'intérêt de l'Europe et de la France est de voir les échanges internationaux encadrés par des règles claires et contraignantes. Le grand progrès de l'OMC par rapport au GATT est de comporter une procédure obligatoire de règlement des conflits commerciaux.
L'Europe n'a rien à gagner à la loi du plus fort, à la loi de la jungle. Une Communauté de quinze pays, au sein de laquelle les décisions sont lentes et difficiles à prendre, est congénitalement mal armée face aux pressions unilatérales d'un pays comme les Etats-Unis. La sagesse nous commande d'opter pour des procédures multilatérales qui s'imposent à tous les pays et qui les placent tous à égalité.
N'oublions pas que c'est l'Europe, et non les Etats-Unis, qui a fait naître l'OMC. Bien des différends nous opposent et nous opposeront à cette organisation ; il demeure que l'Europe et l'OMC ont partie liée.
Soyons donc positifs et offensifs dans notre approche du cycle du Millénaire ! Ce qui ne signifie pas, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il faille être complaisant ou naïf, bien au contraire.
La première des naïvetés consisterait à être dupe de l'ambiguïté américaine. Je m'étonne, à cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous n'ayez pas relevé l'incertitude fondamentale qui pèse sur la position des Etats-Unis. Le président et son administration veulent que le cycle du millénaire s'ouvre à Seattle et progresse, ensuite, le plus rapidement possible. Mais ils ont besoin, pour négocier, d'un mandat que le Congrès leur a jusqu'ici refusé. Négocier avec les Etats-Unis sans que la procédure dite du fast track ait été votée serait une grave erreur. C'est un véritable piège dans lequel il ne faut pas tomber. Le Congrès serait alors libre, en effet, de remettre en cause les résultats de la négociation, après sa conclusion, obligeant le président à revenir devant ses partenaires étrangers pour leur arracher une nouvelle série de concessions.
Le cycle du Millénaire peut, certes, s'ouvrir pour la forme dans quelques jours ; mais il ne peut s'agir que d'un prologue. Les négociations sérieuses devront attendre que le prochain occupant de la Maison-Blanche ait obtenu du Congrès les pouvoirs obstinément refusés au président Clinton. On me permettra d'ajouter que le rejet par le Congrès des Etats-Unis du traité sur l'interdiction des essais nucléaires ne peut que nous inciter à la plus grande fermeté sur ce point. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Une fermeté, monsieur le secrétaire d'Etat, qui s'imposera tout autant sur d'autres points essentiels, que vous avez d'ailleurs relevés.
Le plus important concerne sans doute l'esprit même de l'exercice qui va débuter. Pour l'Europe et pour la France, il doit s'agir d'une négociation d'un nouveau type, différente des précédentes, parce que les temps ont fondamentalement changé.
L'agriculture ne peut plus être considérée, ainsi qu'elle l'a été jusqu'ici, comme exclusivement productrice de denrées alimentaires. Son caractère multifonctionnel doit être explicitement reconnu. Sans une agriculture vivante, il n'y a, en Europe, ni paysages, ni aménagement du territoire, ni équilibre entre l'espace urbain et l'espace rural, un équilibre pourtant vital pour des sociétés confrontées, dans leurs banlieues, à d'angoissants défis sociaux.
En défendant la politique agricole commune, monsieur le secrétaire d'Etat, vous défendrez beaucoup plus que des intérêts ; vous défendrez un modèle de civilisation auquel il ne peut pas être question de renoncer.
Il en va de même - est-il besoin de le souligner ? - de la culture, parce qu'elle touche à l'identité même de notre pays et qu'on ne saurait la livrer à une logique mercantile ou financière.
Agriculture et culture nous opposent aux Etats-Unis. L'environnement et la prise en compte de normes sociales nous opposeront, sachons-le, au tiers monde, qui y voit une forme déguisée de protectionnisme.
Autant dire, monsieur le secrétaire d'Etat, que la négociation sera longue, agitée et qu'elle n'aura évidemment d'intérêt pour nous, vous l'avez dit, que si elle est globale et équilibrée.
Elle devra, bien entendu, prendre en compte les intérêts légitimes - ils ne le sont pas tous ! - des pays en voie de développement, y compris ceux de la Chine, dont l'adhésion désormais probable à l'OMC conférera, à l'évidence, à la négociation une portée sensiblement accrue.
Pour l'Europe, la partie sera difficile. La Communauté devra veiller à ne pas se laisser isoler. Elle devra surtout maintenir entre ses membres, dont les intérêts et les sensibilités, nous le savons bien, sont souvent divergents, une cohésion sans faille. Ce sera peut-être l'essentiel, monsieur le secrétaire d'Etat, de votre tâche.
Si elle y parvient, le cycle du Millénaire, au lieu d'engendrer les catastrophes que certains annoncent, pourrait, au contraire, inaugurer une ère nouvelle, où liberté et réglementation des échanges s'équilibreraient dans le cadre de procédures contraignantes et d'arbitrages impartiaux. Un objectif aussi ambitieux est-il atteignable ? C'est loin d'être certain. Mais ce qui est évident, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est qu'il est dans l'intérêt de l'Europe et de la France d'y travailler sans faiblesse. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales qui doit être lancé lors de la toute prochaine conférence ministérielle de l'OMC revêt une importance que nous savons tous considérable.
C'est pourquoi mes premiers mots seront pour remercier la conférence des présidents du Sénat et le Gouvernement d'avoir accepté la suggestion que j'avais formulée d'organiser ce débat devant la Haute Assemblée à la veille de l'ouverture de la conférence de Seattle.
Car il va de soi que le Parlement doit être en mesure de s'exprimer sur une échéance aussi importante, comme il devra, demain, être tenu précisément informé et régulièrement consulté, monsieur le secrétaire d'Etat, sur le déroulement de ce cycle du Millénaire.
Je me contenterai, ce matin, de formuler deux séries d'observations de portée générale sur les enjeux de ces nouvelles négociations commerciales internationales, avant de vous poser, monsieur le secrétaire d'Etat, quelques questions précises, avec l'espoir que vos réponses seront de nature à mieux éclairer le Sénat.
La conférence de Seattle exige une attention et une vigilance toutes particulières. Elle ne justifie pas pour autant - mon collègue et ami Jean François-Poncet l'a dit - un alarmisme excessif, ni des discours hostiles à l'Organisation mondiale du commerce elle-même ou prônant un refus de participer à des négociations où nous devons, au contraire, faire entendre notre choix haut et fort pour mieux défendre nos intérêts.
C'est précisément parce que la mondialisation suscite, légitimement, beaucoup de préoccupations et de critiques que la communauté internationale dans son ensemble doit l'entourer de règles plus précises et plus équitables.
C'est parce que le développement du commerce international a été et demeure le moteur et le stimulant de la croissance mondiale que ces négociations doivent être entreprises et les réactions frileuses écartées.
C'est parce que la France est la quatrième puissance commerciale mondiale et le troisième exportateur de services que la politique de la « chaise vide » desservirait gravement nos propres intérêts.
L'Organisation mondiale du commerce a été précisément conçue pour mettre en place un système de règles et de transparence dans les échanges entre les nations et pour éviter les excès redoutés de la dérégulation. L'OMC, rappelons-le, est la première institution internationale qui dispose d'un véritable pouvoir d'arbitrage entre les intérêts contradictoires des nations. Et il n'est pas sans intérêt de souligner que les Etats-Unis, en adoptant la mise en place de ce règlement, ont accepté là ce qu'ils ont systématiquement refusé pour toute autre juridiction internationale.
Ne confondons donc pas le danger et le remède qui lui est apporté. Il est légitime de vouloir corriger les excès potentiels d'une mondialisation galopante. Mais c'est précisément l'OMC qui constitue l'instrument le plus adapté pour y parvenir.
Dans ce cadre, le cycle du Millénaire revêtira une importance exceptionnelle. Ces nouvelles négociations multilatérales sont singulières par rapport aux nombreux rounds qui les ont précédées - non pas forcément plus importantes, car je crois que le cycle de l'Uruguay, qui a débouché sur les accords de Marrakech et sur la création de l'OMC, est celui qui a provoqué les changements les plus forts.
Toutefois, ces négociations seront différentes au moins à deux titres.
D'abord, parce qu'elles sont aujourd'hui appelées à s'étendre à des sujets - et la France le veut ainsi - comme les normes environnementales, sociales et alimentaires, encore plus sensibles pour les opinions publiques, et qui revêtent, de ce fait, une importance politique encore accrue.
Ensuite, parce que les pays en développement détiennent aujourd'hui une place numériquement prépondérante parmi les 134 membres que compte l'OMC ; les négociations doivent, dès lors, être plus équilibrées et ne peuvent plus se limiter à un dialogue, ou à un affrontement, entre Européens et Américains.
Comment analyser, dans ces conditions, les enjeux réels du prochain cycle de négociations pour notre pays et pour l'Union européenne dans son ensemble ?
Je crois tout d'abord que l'objectif majeur de cette négociation devra être de convaincre nos peuples du bien-fondé d'une libéralisation équitable et maîtrisée des échanges. Cela suppose une approche à la fois plus humaine et ambitieuse de ce cycle du Millénaire. Cela justifie l'approche large, défendue par l'Union européenne, d'un cycle complet de négociations. Il est nécessaire qu'y soient discutés non seulement les questions relatives à l'agriculture et aux services, mais aussi les nouveaux sujets nécessaires à une meilleure maîtrise du phénomène de mondialisation : normes fondamentales du travail, liens entre commerce et environnement, questions de sécurité alimentaire. Il faudra aussi préserver et promouvoir la diversité culturelle, en particulier lorsque sera abordée - il faudra bien le faire, monsieur le secrétaire d'Etat - la définition d'un accord multilatéral relatif aux investissements.
Cette approche large des négociations justifie aussi l'exigence européenne d'un cycle global et d'un engagement unique, refusant tout accord partiel avant la fin des négociations. Cette approche est en effet seule gage d'équilibre : le compromis est nécesssaire, et seule cette globalité permet le pilotage politique indispensable pour que les différentes parties obtiennent des résultats de la négociation des bénéfices comparables et équilibrés.
Un autre objectif de ce nouveau cycle devra être, à mes yeux, de tenter de conforter le mécanisme de règlement des différends. L'Organe de règlement des différends constitue une avancée du droit, illustrée par le caractère équilibré de ses décisions. C'est ainsi que les Etats-Unis ont été, en septembre dernier, mis en demeure de modifier leur dispositif fiscal d'aide aux entreprises américaines à l'exportation. Il reste que le système, hybride dès lors que l'OMC ne dispose pas de bras séculier pour contraindre les Etats responsables, demeure perfectible. Il faut donc saisir l'opportunité qui s'offre d'améliorer le mécanisme de règlement des différends, en particulier en professionnalisant le recrutement des juges que constituent les « panélistes » et en renforçant la transparence du système.
Par-delà ces données générales, j'évoquerai, monsieur le secrétaire d'Etat, quelques questions ponctuelles ; les réponses qui y seront apportées conditionneront demain le déroulement des négociations puis la mise en oeuvre des résultats du cycle du Millénaire.
Pouvez-vous d'abord nous donner des précisions, point que M. Jean François-Poncet a rappelé, sur les positions de l'administration américaine ? En particulier, le fait que le président Clinton n'ait pas obtenu du Congrès la procédure de ratification simplifiée que constitue le fast track ne risque-t-il pas de réduire, au cours du prochain cycle, les capacités de négociation américaines ?
Où en est-on, par ailleurs, à la suite du récent accord sino-américain, quant aux perspectives d'adhésion de la Chine à l'OMC ? Si elle est la dernière-née des grandes institutions internationales, l'OMC, pour être un arbitre incontestable, doit pouvoir s'imposer à tous. Il me paraît donc souhaitable qu'une puissance comme la Chine ne reste pas en dehors de l'organisation.
Troisième question : dans quelle mesure les futures négociations de l'OMC pourront-elles influer sur les relations priviligiées - je le souligne - entre les pays d'Afrique, des Caraïbes, du Pacifique et de l'Union européenne, relations dont les dispositions - celles de la convention de Lomé - sont actuellement en cours de renouvellement ? Plus généralement, dans quelle mesure le cycle du Millénaire permettra-t-il aux pays en voie de développement de trouver leur place sur la scène commerciale internationale ?
Mon dernier appel concernera, monsieur le secrétaire d'Etat, l'indispensable association du Parlement au déroulement des prochaines négociations. Une meilleure information des parlementaires sur les grandes négociations internationales est, dans un monde de plus en plus « global », devenue une nécessité. Il ne s'agit pas en l'occurrence, pour le Sénat ou l'Assemblée nationale, d'empiéter sur les pouvoirs de l'exécutif. Il s'agit, dans l'intérêt de tous, de permettre aux parlementaires de jouer pleinement leur rôle d'information, d'explication et de sensibilisation auprès de nos concitoyens qui seront directement concernés par les résultats des prochaines négociations. Ne l'oublions pas : la force diplomatique et la marge de manoeuvre dans les négociations dépendront, de plus en plus, dans l'avenir, du soutien des opinions publiques.
Ainsi seulement parviendra-t-on, par-delà l'OMC, à promouvoir l'approche humaine de la mondialisation qui est indispensable. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le développement du commerce international, l'extension du marché à l'ensemble de la planète et les révolutions technologiques bouleversent la configuration du capitalisme et les formes traditionnelles d'intervention des Etats pour l'encadrer. Si la richesse globale progresse grâce à l'essor du commerce mondial, les acteurs économiques changent de dimension, en particulier face aux Etats nations qui perdent régulièrement leur influence.
Les inégalités entre les pays et au sein même des Etats se creusent sans que nous sachions toujours trouver les outils nécessaires satisfaisant à la fois la solidarité et l'efficacité économique.
Les nouvelles tensions qui apparaissent, les nouvelles situations conflictuelles ou les nouvelles contradictions que nous devons résoudre deviennent globales et plus lourdes de conséquences pour nos avenirs puisqu'elles se généralisent à l'ensemble de notre planète. C'est sans doute pourquoi les problèmes de l'environnement et le principe de précaution prennent maintenant une place si importante. Et plus le monde se globalise, plus il a besoin de règles. Plus la mondialisation se renforce, plus ses règles doivent s'appliquer à tous.
Aussi, la tendance à l'intervention minimale propre à l'idéologie néolibérale ne peut que renforcer le marché par rapport à une société démocratique et conduit à un individualisme destructeur des valeurs de vie en commun, de liberté et de cohésion. Les Etats nations se replient sur eux-mêmes ou disparaissent, faute d'être autre chose qu'une coquille vide incapable de répondre aux phénomènes qui dépassent les frontières nationales. C'est ici que la construction européenne prend toute sa dimension.
Nous refusons le choix d'une France recroquevillée sur son passé et frileuse de l'avenir. Nous refusons le choix d'une France rapetissée, réduite au souvenir d'elle-même. Nous refusons le choix d'une France monégasque. Jamais notre pays n'est aussi grand que lorsqu'il choisit le chemin de l'universalité. Nous voulons la France de Jaurès et de Briand. Nous voulons la France de René Cassin et de Jean Monnet, actrice de l'Europe, inscrite dans le monde, promotrice de la solidarité.
Ceux qui endorment aujourd'hui les Français avec la belle légende d'Astérix et Obélix n'oublient qu'une chose : ils n'ont pas la potion magique et, surtout, ils ne sont pas tombés dedans quand ils étaient petits.
M. Emmanuel Hamel. C'est une question de volonté !
M. Jacques Bellanger. Si le somnifère agissait, le conte de fées deviendrait un cauchemar au réveil. La France et l'Europe ont besoin de leur commerce extérieur, ne serait-ce que pour revenir au plein emploi.
Nous ne serons donc pas de ceux qui montrent du doigt l'OMC pour en faire la responsable de la mondialisation.
Messieurs les souverainistes, vous faites sur ce point le poirier : la tête en bas, les pieds en l'air !
M. Emmanuel Hamel. C'est une injure à l'avenir de la France !
M. Jacques Bellanger. Lorsque M. Abitbol affirme que les décisions de l'OMC sont à 90 % en faveur des Etats-Unis, il a tout faux !
M. Emmanuel Hamel. L'injure n'est pas un argument !
M. Jacques Bellanger. Les Etats-Unis ont perdu neuf procédures et en ont gagné onze ; l'Union européenne en a perdu cinq et remporté huit. En outre, si elle était confirmée en appel, il faudrait rajouter aux procédures perdues par les Etats-Unis celle des « FSC », les dispositifs fiscaux américains d'aide à exportation, et ce n'est pas une petite petite affaire !
Souvenons-nous : après la guerre, le GATT devient le pilier commercial du système d'économie libérale de Bretton Woods. Il enregistre une multitude d'accords souvent bilatéraux, parfois multilatéraux, de secteur ou géographique. Petit à petit, se dégage une forme de jurisprudence, de démarches et d'approche générale débouchant sur les conclusions de l'Uruguay round et l'accord de Marrakech créant l'OMC. Ainsi se constitue l'embryon d'une réglementation commerciale internationale qui va prendre un essor imprévu du fait de la volonté d'universalité de l'OMC et de l'existence en son sein d'un système impliquant le retrait des mesures reconnues comme illégales ou, à défaut, le paiement de compensations ou même de sanctions par les parties qui enfreindraient les règles.
Nous disposons aujourd'hui d'un outil qui peut apparaître comme un prélude à un nouvel ordre juridique mondial en matière de commerce international. Ses normes sont-elles satisfaisantes ? C'est une autre histoire, et nous y reviendrons, mais, face à la jungle du « tout est permis » et du non-contrôle, du libéralisme sauvage, nous disposons d'un instrument de régulation de la mondialisation. Loin de le condamner dans son principe, nous entendons situer notre combat en son sein pour une plus grande justice, pour une plus grande équité et une meilleure solidarité.
Organiser les règles d'échange des marchandises, c'est d'abord les définir, les caractériser, voire les différencier.
Nous refusons l'uniformisation et la marchandisation des sociétés. Les oeuvres de l'esprit et les cultures ne sont pas des marchandises. Les vecteurs matériels qui les supportent et les transmettent doivent donc faire l'objet d'un traitement particulier et je laisserai à ma collègue Danièle Pourtaud le soin d'intervenir sur ce sujet.
La santé n'est pas une marchandise.
Le travail n'est pas une marchandise.
La définition des droits en ces domaines et le respect de normes minimales sociales et sanitaires doivent générer des règles spécifiques. Nous devons aussi prendre en compte l'état de développement de nombreux pays.
Ces normes particulières doivent s'accompagner d'un devoir de solidarité et de la définition d'étapes. Nous voulons le commerce et l'aide, et non pas le commerce sans l'aide.
Nous proposons l'ouverture commerciale aux pays les moins avancés et une aide généreuse, comme en témoigne l'initiative du Conseil européen de Cologne sur l'annulation de la dette des pays les plus pauvres.
Nous souhaitons que les pays riches suivent l'exemple de l'Union européenne et que l'accord de Seattle, s'il y en a un, garantisse l'accès au marché en exemption des droits au plus tard à la fin du nouveau cycle de négociations pour la plupart des produits exportés pour les pays les moins développés.
Cette proposition peut être considérée comme une étape vers la libéralisation multilatérale. Elle doit donc être complétée par la mise sur pied d'intégrations régionales permettant à ces pays de développer leur marché intérieur et leurs exportations sur des bases compétitives, afin de rendre ces pays plus indépendants et plus aptes à défendre leur propre position. La compatibilité entre régionalisme et multilatéralisme doit être assurée.
L'environnement non plus n'est pas une marchandise. Mais nous avons un petit acquis d'avance puisque, contrairement aux normes fondamentales du travail, la nécessité de liens entre le commerce et l'environnement a été reconnue. Le principe de précaution figure même, timidement, dans deux accords de l'OMC.
Il nous faut toutefois constater que l'OMC a plutôt tendance à considérer les réglementations nationales de l'environnement comme des formes déguisées de protectionnisme et à ne pas prendre en considération les grands principes de Rio. Il y a donc encore beaucoup à faire en ce domaine.
De plus, les initiatives récentes visant à établir un droit à polluer négociable et donc - pourquoi pas ? - une bourse des droits à polluer ont des aspects profondément choquants.
Nous nous félicitons de la décision prise par le Gouvernement conduit par Lionel Jospin de s'opposer à l'accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI, qui était par trop favorable aux multinationales. Il leur donnait le droit de porter plainte contre les pratiques qu'elles jugeaient discriminatoires des Etats, et ces mêmes Etats n'obtenaient pas les garanties nécessaires pour préserver leur capacité réglementaire, notamment en matière sociale. Bref, c'était un mauvais accord dans un cadre inadapté, et un accord d'ailleurs contesté aussi par les pays en voie de développement.
Ce n'est pas le principe de l'accord qui a été rejeté. Ce sont ses modalités inadmissibles et inapplicables. Il est donc souhaitable de définir de nouvelles règles multilatérales concernant l'investissement.
Ces règles doivent assurer la stabilité de l'investissement direct étranger dans le monde, définir strictement les critères de développement durable applicables aux différents types d'investissement, préserver, dans le cadre défini, les capacités des pays d'accueil en matière réglementaire et être prises dans une instance où les pays en voie de développement sont représentés. L'OMC me paraît souhaitable.
Il restera ensuite à définir l'outil en charge de la régularisation concrète des investissements. La logique conduirait à profiter de l'expérience acquise à l'OMC.
Nous avons plusieurs fois souligné qu'une des forces de l'OMC était son système de règlement des conflits composé d'une première instance, les groupes spéciaux ou panels, et d'une seconde instance d'appel. Nous souhaitons toutefois formuler sur ce point deux remarques et recueillir l'avis du Gouvernement.
Avant la création de l'OMC en 1995, les négociations commerciales se passaient dans une confidentialité organisée. Les progrès accomplis par l'OMC sont incontestables, mais ils restent trop limités aux gouvernements, et sans doute même à certains gouvernements.
Nous souhaitons pour notre part rendre l'OMC plus citoyenne, ce qui signifie que la société civile et en particulier les ONG puissent faire valoir leur point de vue au cours des négociations sans que le caractère intergouvernemental de l'OMC soit remis en cause. Nous espérons ainsi introduire dans le processus de décision les notions de droit et de protection des consommateurs.
Nous souhaitons également que l'accès au recours des pays les moins développés soit facilité.
Nous sommes en train de voir apparaître, à partir des règlements des différents conflits, une véritable jurisprudence en matière de commerce international. Le Gouvernement partage-t-il ce sentiment et en est-il satisfait ? Comment peut-on concilier la nature consensuelle de l'OMC et la construction, à partir de ses instances, d'un début de droit international en matière de commerce ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, les enjeux de la conférence de Seattle sont d'une grande importance. Sur la route du monde futur, nous sommes à la croisée, du moins à une croisée des chemins. Il est de notre intérêt, de l'intérêt de l'Union européenne, qu'un accord puisse être trouvé et, bien entendu, d'abord sur l'ordre du jour et son contenu.
Nous avons développé notre conception d'une mondialisation maîtrisée avec une OMC qui est l'instrument d'une véritable régularisation du commerce international. Nous savons qu'à Seattle les divergences seront sérieuses. Les Etats-Unis ont aussi des intérêts à préserver, et c'est bien naturel. Mais les conditions politiques prévalant dans ce pays adossées à un calendrier électoral leur feront préférer un débat très encadré dans un délai très restreint.
Les pays en voie de développement, faute d'un vrai bilan des accords de Marrakech, souhaitent limiter les ambitions des négociateurs et obtenir des résultats concrets immédiats. Nous ne pourrons pas concéder des remises en cause fondamentales de nos positions.
Faute de compromis acceptable, ne conviendrait-il pas alors de laisser « du temps au temps » ? Nous serons ainsi en plein accord avec le Premier ministre lorsqu'il déclare : « Rien n'est acquis quand tout n'est pas acquis. » (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Souplet.
M. Michel Souplet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après avoir entendu nos deux présidents de commission, MM. Jean François-Poncet et Xavier de Villepin, je crois que nous aurions pu arrêter là le débat, car ils ont tout dit, ou du moins ils ont exprimé ce que pense la très large majorité des sénateurs.
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est vrai !
M. Michel Souplet. Au nom du groupe de l'Union centriste, je voudrais toutefois dire que je me réjouis qu'un tel débat ait lieu au sein de la Haute Assemblée et que l'on reconnaisse, enfin, l'importance de l'avis du Parlement. Car il ne faut pas oublier que les décisions qui seront prises lors du prochain cycle de négociations auront d'inévitables implications sur la législation française.
J'ai noté d'ailleurs avec satisfaction votre affirmation, monsieur le secrétaire d'Etat, lors du dernier débat sur l'OMC à l'Assemblée nationale, selon laquelle le Gouvernement tiendrait informé régulièrement le Parlement de l'avancée des discussions de Genève. Je souhaite qu'en plus de l'information le Gouvernement tienne compte de la volonté du Parlement et de ses propositions.
Nous avons entendu de tout sur l'OMC et sur ses prétendus méfaits à l'approche des prochaines négociations du nouveau cycle du Millénium. Je constate néanmoins que le Gouvernement a aujourd'hui une approche plus réaliste qu'il n'a pu l'avoir auparavant. Quelques électrons libres - et c'est tant mieux s'ils sont libres - continuent de fustiger cette organisation qui, je vous le rappelle, doit sa mise en place non pas aux Etats-Unis, mais à l'insistance de la France en particulier. Au contraire, cette puissance, qui nous donnera bien du fil à retordre, aurait souhaité conserver seule cet accord provisoire qu'était le GATT.
J'observe également que l'on ne peut porter notre discussion autour des seuls Etats-Unis, bien au contraire. Cela s'explique par les récents différends que nous avons eus avec eux. Je pense, par exemple, au commerce de la banane.
A ce propos, j'ai toujours été surpris qu'un pays qui ne produit pas de bananes se batte avec autant d'énergie, essentiellement pour les intérêts commerciaux de grands groupes internationaux à dominante américaine. Ce fut le cas du boeuf aux hormones, du boycott de certains produits français, des surtaxes infligées sur certains produits.
Pourtant, on sait que l'Union européenne a remporté plus de « panels » qu'elle n'en a perdus. A cet égard, puisque l'un des nouveaux sujets que l'Union souhaiterait aborder lors du prochain cycle est la concurrence, il me semble souhaitable de porter notre attention sur une éventuelle réforme du système des sanctions.
En effet, lorsqu'un Etat se sent victime de barrières à l'entrée de la part d'un autre Etat, il peut saisir l'organe de règlement des différends, sorte de système juridictionnel de l'OMC qui statue et constate ou non l'existence d'une violation des obligations prévues par les accords de l'OMC. Or, dans le cas où l'Etat mis en cause ne révise pas sa position, l'Etat victime est autorisé à prendre des mesures de rétorsion, d'où la mise en place de barrières à l'entrée légitimes. On assiste donc, comme l'écrivait Mme Frison-Roche dans un quotidien du soir, à un système hybride, entre le pur rapport de forces et un système de droit où la victime ne disposerait pas de la sanction.
Quelles en sont les conséquences ?
Dans l'affaire du maintien de l'interdiction d'importation du boeuf aux hormones produit par les Américains, ce ne sont pas les producteurs qui ont bénéficié de la barrière à l'entrée qui sont pénalisés ; ce sont les producteurs de roquefort, de foie gras...
Je cite Mme Frison-Roche : « ... ainsi, les producteurs de roquefort voient leur possibilité d'exportation obérée pour sanctionner un comportement qui a bénéficié aux producteurs européens de boeuf. Le sens commun mais aussi le coeur des règles qui légitiment une répression ont du mal à l'admettre. Dans le contexte du droit pénal, on pourrait dire que cela n'est pas juste. » Il est donc important que le sujet soit abordé lors du prochain cycle afin de penser à une réforme du système des sanctions.
Pour clore le débat sur le rôle des Etats-Unis - et Dieu sait si c'est une obsession pour chacun, tous courants politiques confondus - on ne peut que s'étonner de leur attitude isolationniste et protectionniste alors que, selon les dernières estimations de l'OCDE, publiées la semaine dernière, la reprise de l'économie mondiale se confirme et devrait se poursuivre, cela grâce à la vigueur inattendue de la croissance américaine associée à une reprise plus forte que prévue au Japon ainsi qu'en Corée et à une légère amélioration des perspectives en Europe. On n'ose pas imaginer quelle aurait été leur attitude dans un contexte économique moins favorable pour eux !
Cependant, il ne faut pas oublier que les Américains raisonnent dans un contexte de future campagne électorale et n'évaluent donc pas de la même façon que nous la part des risques et la part des opportunités dans les sujets que l'Union européenne veut mettre sur la table des négociations. Mais cela ne serait peut-être pas seulement le fait de l'administration américaine, car nous sommes dans un état d'esprit constructif, à la différence du Congrès, qui, lui, serait agressif, qui n'a d'ailleurs pas donné de mandat de négociation globale à l'administration américaine ; cela vous a été rappelé à deux reprises à l'instant, monsieur le secrétaire d'Etat.
Quels sont donc les points de discorde ? Alors que les Etats-Unis veulent négocier secteur par secteur, l'Union européenne et la France, en particulier, sont favorables à un cycle global de négociations, au terme duquel aucun accord sectoriel ne serait possible avant la conclusion d'un accord global. Comme le souligne le Premier ministre, « rien n'est acquis tant que tout n'est pas acquis ». Sur ce point, il n'y a aucune divergence entre le chef de l'Etat et le chef du Gouvernement.
Par ailleurs, les Américains ne veulent s'en tenir qu'au built-in-agenda, c'est-à-dire à l'agenda incorporé de Marrackech, qui ne comprend que les services et l'agriculture. Lors de la dernière conférence ministérielle à Singapour, de nombreux pays ont souhaité l'inscription de nouveaux sujets à l'agenda du prochain cycle et l'Union européenne soutient cette demande. Elle est claire sur ce point et souhaite que les membres de l'OMC parviennent à s'accorder sur un ordre du jour élargi.
Elle juge ainsi indispensable que soient discutés des droits de douane sur les produits industriels, de la protection de la propriété intellectuelle - j'y reviendrai tout à l'heure, car ce sera l'occasion d'insister sur la nécessaire protection des indications géographiques ; mon collègue Jean Huchon ne m'en voudra pas trop si je déborde légèrement sur le volet agricole -...
M. Jean Huchon. Si ! (Sourires.)
M. Michel Souplet. ... des marchés publics, des obstacles techniques aux échanges, ainsi que de « nouveaux sujets » que l'on doit lier au commerce international, tels que les normes fondamentales du travail, l'environnement, la sécurité alimentaire, l'investissement et le droit de la concurrence.
Je ne reprendrai pas tous les thèmes ; je dirai simplement que des droits de douane, s'ils sont l'un des obstacles à de meilleurs échanges commerciaux, ne sont plus ceux qui provoquent les plus grandes distorsions. Ce à quoi l'Union européenne doit s'attaquer, c'est à des mesures moins transparentes auxquelles certains pays ont recours pour maintenir leur marché fermé et protéger leurs entreprises, moins compétitives, de la pression de l'étranger.
Ainsi, ce nouveau cycle doit aboutir à l'élaboration de règles garantissant l'application transparente du droit de la concurrence par tous les pays. En effet, on ne peut plus permettre aux grosses entreprises de s'adonner à des pratiques discriminatoires ; je pense notamment aux ententes à l'importation, pratiques qui restreignent fortement l'accès aux marchés.
Dans les sujets déjà abordés lors du dernier cycle, il y a aussi le droit de la propriété intellectuelle. Le traité de Marrakech comprend un accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, dit ADPIC. Celui-ci concerne tous les produits, qu'ils soient naturels ou manufacturés, agricoles ou industriels, avec une protection renforcée pour les vins et spiritueux.
Cet accord constitue une avancée majeure dans la protection internationale des droits de propriété intellectuelle qu'il s'agisse des droits d'auteur, des marques, des indications géographiques, des dessins et modèles, des brevets, etc.
Un apport de cet accord est de définir à l'échelon international l'indication géographique et de permettre de fédérer 135 pays autour de cette définition. L'indication géographique « sert à identifier un produit comme étant originaire du territoire d'un Etat membre, d'une région ou d'une localité de ce territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique ».
Le principe majeur de cette protection générale est d'éviter la tromperie ou la confusion que pourrait provoquer chez le consommateur une utilisation incorrecte ou indue d'une indication géographique ou d'une concurrence déloyale.
Pour ce qui concerne particulièrement les vins et spiritueux, et qui touche particulièrement la France, il existe une protection additionnelle dite « objective », c'est-à-dire qu'il n'est pas nécessaire de prouver une tromperie au consommateur ou un acte de concurrence déloyale.
Cependant, la protection des indications géographiques connaît des limites du fait de l'existence d'exceptions telles que, notamment, les noms d'appellation considérés comme génériques ou semi-génériques, comme le « chablis californien », ou le « champagne canadien ».
Sous prétexte que les accords ADPIC ne prévoient pas une obligation d'aboutir, certains Etats tardent à négocier. Le rendez-vous de Seattle doit être l'occasion de relancer ce débat. L'Union européenne doit être offensive : une protection internationale plus efficace des indications géographiques renforcera la compétitivité des exportations agro-alimentaires, tout en valorisant une agriculture de haute qualité.
Dans les thèmes souhaités par l'Union européenne figure la prise en compte des craintes éprouvées par nos concitoyens sur les effets de la globalisation, des craintes relatives à l'environnement et à la protection des consommateurs. Pour ce qui concerne la protection des consommateurs, je pense notamment au principe de précaution consacré par la conférence de Rio et relevant de conventions internationales. Or ce principe n'est pas spécifiquement mis en oeuvre par les règles de commerce international et il faut donc d'urgence inciter à une adaptation de l'accord sanitaire et phyto-sanitaire.
L'OMC autorise ses membres à prendre les mesures sanitaires et phyto-sanitaires qu'ils jugent nécessaires pour protéger la santé et le bien-être de leurs concitoyens. Le traité d'Amsterdam a consacré la protection des consommateurs comme l'un des objectifs fondamentaux de l'Union européenne. Celle-ci doit donc tout mettre en oeuvre pour que la discussion internationale établisse des méthodes communes d'évaluation des risques et définisse des règles pour renforcer et appliquer le principe de précaution.
Par ailleurs, le cycle doit être bénéfique à l'environnement.
Un récent rapport de l'OMC, daté du 14 octobre dernier, fait état pour la première fois des conséquences négatives que peut avoir le commerce sur l'environnement. Les généralisations manichéennes sont autant le fait du milieu des affaires que celui des militants écologistes : le commerce est déclaré soit bon, soit mauvais pour l'environnement alors que, dans la réalité, la vérité est à mi-chemin des deux affirmations.
On doit avoir en tête que le commerce, l'environnement et le développement ont des relations triangulaires, les deux premiers éléments s'épaulant mutuellement en faveur du développement durable. Pour ce faire, il sera nécessaire de passer en revue des préoccupations actuelles relevant de domaines aussi divers que le changement climatique, la biodiversité et, ce qui préocuppe particulièrement l'Union européenne, la compatibilité de l'éco-étiquetage avec les règles de l'OMC.
Enfin, et ce n'est pas parce que je l'évoque en dernier que c'est un sujet qui m'importe moins, je souscris à la volonté de l'Union européenne de mieux intégrer les pays en développement. Ceux-ci n'ont pas la capacité compétitive d'accéder au marché mondial et, contrairement aux arguments du groupe de Cairns et des Etats-Unis, la libéralisation des échanges n'est pas favorable aux producteurs et aux économistes de ces pays. Bien que les pays en voie de développement représentent 20 % environ des produits manufacturés dans le monde, la plupart savent depuis longtemps les rôles seconds qu'on leur fait jouer sur la scène économique mondiale.
C'est pourquoi je souscris à la volonté de l'Union européenne de prendre en compte l'ensemble des besoins et des préoccupations spécifiques de ces pays au travers de ce que l'Union européenne appelle « le programme de développement de l'OMC ». Ce programme propose notamment la franchise de droits pour les pays les moins avancés, les PMA, la négociation de droits systématiques plutôt que limités à certains secteurs.
En effet, les négociations doivent porter sur tous les secteurs présentant un intérêt pour les pays en développement et, dans les nouveaux domaines tels que l'investissement et la concurrence, elles doivent également prendre en compte les problèmes liés au développement. En d'autres termes, j'affirme que la question du développement dans la libéralisation du commerce est un des thèmes récurrents des négociations.
Puisque j'évoque une meilleure intégration des pays en développement, parmi les thèmes que l'on doit lier au commerce international, figure également celui des normes fondamentales du travail. C'est un sujet délicat, car on sait bien que les pays en développement pratiquent ce que nous appelons un « dumping social », notamment au travers du travail des enfants. Nos pays industrialisés ne peuvent pas l'accepter pour des raisons simplement morales. Cependant, les pays en développement ne souhaitent pas que la question des normes sociales soit soulevée à Seattle. En effet, ils considèrent que c'est porter atteinte à leur avantage comparatif, et l'on ne sait jamais si ces normes sont évoquées par les pays industrialisés par souci moral ou bien pour justifier des pratiques protectionnistes.
L'Union européenne, quant à elle, souhaite promouvoir les normes fondamentales du travail définies par les conventions de l'organisation internationale du travail, l'OIT sur le travail des enfants, le travail forcé, la liberté d'association, la non-discrimination, normes qui sont la garantie d'une distribution équitable des bénéfices de la croissance et d'une amélioration des conditions sociales. C'est pourquoi elle insiste pour que l'OIT obtienne le statut d'observateur à l'OMC.
« Mondialisation, globalisation... peu importe le nom que l'on invoque et que l'on utilise por effrayer nos concitoyens et diaboliser l'OMC. Il faut dire que le contexte s'y prête, et l'on a observé une forte effervescence sur les affaires agricoles et sanitaires, notamment en France dernièrement.
On en connaît bien l'origine : les affaires de la vache folle, de la dioxine... Certains semblent oublier que nous évoluons dans un monde caractérisé par l'interdépendance économique et qu'il n'est pas de l'intérêt de la France ni de l'Union européenne de pratiquer la « chaise vide » - M. de Villepin l'a souligné précédemment - voire de sembler aveugles à certains moments de notre existence.
Cependant, il ne faut pas non plus avoir l'autre vision manichéenne du libre-échange, souvent considéré comme synonyme de loi de la jungle.
Si l'Union européenne a pris l'initiative de faire campagne pour l'ouverture d'un nouveau cycle de négociations commerciales dès 1997, c'est qu'elle estime que le système d'échanges multilatéral doit être mieux organisé et plus libéralisé pour répondre à la globalisation grandissante de l'activité économique. Je cite, en effet : « Un cycle global, offrant un ensemble équilibré d'avantages pour tous les membres de l'OMC, pourra concilier les demandes antagonistes de croissance économique, d'intégration plus poussée des pays en développement, de protection de l'environnement et de développement social, et renforcera davantage un système d'échanges basé sur des règles. Poursuivre l'un de ces objectifs au détriment des autres conduira inévitablement à une approche déséquilibrée ».
Le commerce stimule la croissance économique, laquelle crée des emplois. Sur les cinq dernières années de l'Uruguay round, la richesse mondiale a augmenté de 3 % par an, en grande partie grâce à une croissance du commerce international. Il ne faut pas oublier qu'en France un emploi sur quatre dépend directement ou indirectement du commerce extérieur.
L'Union européenne doit être ferme dans ses positions. Elle doit se faire des alliés dans toutes les régions du globe. Elle doit être le fer de lance de la mise en place d'un monde nouveau.
Avant de conclure, je voudrais formuler trois remarques complémentaires.
Premièrement, nous sommes des libéraux, mais parfaitement conscients que le « tout-libéralisme », c'est la loi de la jungle ! Nous assistons actuellement à ce phénomène au niveau des monopoles de fait de groupes multinationaux de la distribution.
La loi de la jungle, c'est la mort du plus faible ; c'est une conception de la liberté que nous rejetons.
Deuxièmement, dans le domaine agricole, l'Europe a accepté deux réformes de la PAC qui ont conduit à une meilleure maîtrise du marché, à une plus grande qualité des produits et à une amélioration évidente de l'environnement. Ce furent des contraintes coûteuses pour les agriculteurs de l'Europe. Qu'ont fait les Etats-Unis pour essayer, dans la même période, de se rapprocher de nous ?
Dans les négociations à venir, il conviendra d'intégrer le résultat des deux réformes de la PAC comme un à-valoir important apporté dans la balance.
Enfin, troisièmement, nous venons d'assister à un revirement extraordinaire de la position de la Chine, qui, à terme, rejoindrait l'OMC. Personnellement, si je m'en réjouis, je n'exclus pas l'émergence de difficultés nouvelles et importantes inhérentes au poids d'un pays détenant à lui seul le cinquième de la population et un potentiel de production considérable.
En conclusion, je dirai qu'il est du devoir de l'Organisation mondiale du commerce de redorer son blason et de restaurer sa légitimité. A travers le monde, le libre-échange est contesté et l'Organisation rendue responsable des maux de la mondialisation. Elle doit reconnaître la nécessité d'introduire des changements, elle doit s'ouvrir davantage et, au passage, devenir plus transparente.
Le Parlement, c'est la voix du peuple et le Gouvernement ne doit pas l'ignorer.
Que serait la France, aujourd'hui, s'il n'y avait pas eu l'Europe ? Que serait-elle, demain, s'il n'y avait pas une ouverture plus grande sur le monde ?
Je défends cependant la légitimité de l'OMC et, comme son nouveau directeur général, Mike Moore, je pose la question : comment l'absence de règles pourrait-elle rendre la mondialisation plus acceptable et à qui pourraient s'adresser les petits et les faibles avec l'espoir d'être entendus ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les propos que je m'apprête à tenir, au nom du groupe des Républicains et Indépendants, s'inscrivent tout à fait dans la ligne tracée, à la fois par le président Jean François-Poncet et par le président Xavier de Villepin.
Les enjeux de la conférence de Seattle nous concernent en effet directement. De toute évidence, il ne s'agit pas de renoncer aux bienfaits du commerce international comme le disait M. François-Poncet, soyons positifs sans être naïfs. N'oublions pas que, derrière le « tout commerce » de Montesquieu, il y a aussi un violent rapport de force ; soyons-y attentifs.
Monsieur le secrétaire d'Etat, trois enjeux principaux me semblent présider à cette discussion : élargir la négociation ; résister à l'offensive américaine ; enfin, définir la vision française de la mondialisation.
Elargir la négociation : sur ce sujet bien des choses ont déjà été dites. Certes, ne limitons pas à l'agriculture et aux services les sujets inscrits aux débats de Seattle. De toute évidence, doivent figurer également les normes sociales et environnementales. C'est une question majeure pour les relations économiques internes à l'Europe. Il est clair que les limites à la course effrénée à la compétitivité et à la productivité sont, d'une part, les normes sociales, d'autre part les normes environnementales. Dans nos économies, on ne peut parler de compétitivité sans intégrer les charges liées à celle-ci.
Si les choses sont évidentes pour l'espace européen, pour les pays en voie de développement, on ne peut se satisfaire de la vision d'un développement d'où seraient absents le droit à des statut sociaux respectables ou le droit à la sécurité alimentaire.
Quelle est cette vision stratégique des Etats-Unis qui consisterait, d'une part, à diminuer les aides au développement et, d'autre part, à vouloir sous-estimer les aspects social et environnemental dans le monde en développement ? La conquête de liberté de ces pays ne passe-t-elle pas aussi par des statuts sociaux et par des normes environnementales ? Cette notion américaine de la qualité sélective est choquante. Elargissons donc la négociation !
En deuxième lieu, résistons à l'offensive américaine contre la PAC.
Il est évident que les accords négociés à Berlin, sous l'autorité du Président de la République, sont pour nous importants puisqu'ils posent des grands principes auxquels nous sommes attachés.
Les Etats-Unis, eux, ont toujours la même obsession : ils distribuent 8 milliards de dollars à leurs fermiers et, parallèlement, demandent à l'Europe de baisser ses subventions à l'agriculture ! Derrière cette stratégie de l'alignement systématique, on voit bien leur volonté de faire baisser les cours mondiaux.
Si l'on considère qu'il faut faire pression sur le commerce des matières premières pour faire baisser les prix, que devient notre élevage, que devient notre production de fromages si riche en diversité ?
M. Ladislas Poniatowski. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. Il est clair que la ressource tirée de l'agriculture ne peut être fondée sur cette seule loi du prix mondial le plus bas. Pensons au rôle structurant de notre territoire que joue l'agriculture et aux activités économiques qu'elle génère !
Je n'ajouterai pas d'autres considérations sur ce sujet, M. François-Poncet, président de la commission des affaires économiques, ayant tout dit en indiquant qu'il s'agissait d'un modèle de civilisation.
N'oublions pas non plus notre combat pour la qualité. Il va de soi que la reconnaissance, notamment des signes de qualité, c'est la reconnaissance des forces de l'agriculture française.
Il importe donc d'élargir les négociations, de résister à l'offensive américaine contre la PAC, mais aussi - et ce sera le troisième point de mon intervention - de définir la vision française de la mondialisation. Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne vois pas, aujourd'hui, dans les réflexions gouvernementales, quelle est la vision de la France sur la mondialisation. Or, sans vision, on ne peut maîtriser la situation !
Pour beaucoup de Français, cette mondialisation est à la fois un espoir et un choc. Le visiteur qui se promène dans les rues de Pékin et qui découvre que l'on peut y installer, en quelques mois, cinquante McDonald's, s'interroge : comment est-il possible que cette société multiséculaire, avec sa langue hermétique, se laisse ainsi pénétrer ? Ce n'est pas le Poitou qui pourra résister si Pékin s'agenouille ! (Sourires.)
Au fond, cette mondialisation nous préoccupe beaucoup. Mais quelles sont nos ripostes ? Quel est le message de la France face à cette mondialisation ? Ce message, nous le trouverons dans notre histoire et aussi chez nos penseurs. Jean Baudrillard disait : Le mondial et l'universel ne vont pas de pair, ils seraient plutôt exclusifs l'un de l'autre. C'est ce message de l'universel qui est la vraie réponse à la mondialisation, parce la conquête de l'universel se réalise non pas par l'uniformisation, mais par la singularité. Telle doit être la réponse française !
Que signifie, concrètement, la recherche d'un message français qui soit un message d'identité et d'ouverture ? Cela veut dire qu'il nous faut effectuer trois choix.
Tout d'abord, nous devons choisir la diversité culturelle contre l'uniformisation. Il est évident que la banalisation aboutit à la stérilité de la France ; je ne développerai pas ce sujet, mon collègue Ladislas Poniatowski y fera allusion tout à l'heure, au nom de notre groupe. Défendons cette diversité culturelle !
Défendons, ensuite, une éthique des nouvelles technologies ! Leur formidable développement représente, certes, des avantages, mais aussi des risques.
On voit bien cette logique qui s'installe et que je pourrais qualifier, schématiquement, de logique du « con-con » : du concept au consommateur, directement, en supprimant toutes les médiations, tous les intermédiaires. S'agissant de la production, instituons les magasins d'usine ! Pour l'enseignement à distance, dispensons-le sans professeurs ! Plus l'intervention humaine disparaîtrait et plus on serait moderne. Sont-ce là les schémas de l'avenir qui nous sont proposés ?
Pour lutter contre cette fracture technologique qui nous menace, il faut injecter en permanence de l'éthique humaine dans ces dispositifs.
M. François Trucy. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. Tel est l'un des messages français ! Nous qui avons le sens du droit et la modernité, faisons en sorte qu'une éthique des nouvelles technologies permette d'anticiper cette nouvelle fracture technologique, fracture non seulement sociale, mais également internationale.
Enfin, outre la diversité culturelle et l'éthique des nouvelles technologies, il nous faudra effectuer un troisième choix : la valorisation des structures à taille humaine.
Aujourd'hui, partout dans le monde s'affirme le fait PME : il n'est pas un seul gouvernement qui ne pense pas que l'avenir de l'emploi dans son pays repose sur le développement des PME. Pourtant, si, à l'heure actuelle, le fait PME est reconnu mondialement, il est terriblement menacé par le gigantisme et les concentrations. Il convient donc d'assurer une protection mondiale du fait PME, qui est lui-même un fait mondial.
Faisons en sorte que les logiques de la concentration trouvent des limites par des dispositifs antitrusts. Tant qu'à prendre modèle sur les Etats-Unis, appliquons une disposition qui introduise des limites au gigantisme et à la concentration, afin de valoriser les structures à taille humaine.
Si les structures à taille humaine, si les organisations économiques et sociales à taille humaine sont partout remises en cause, il est évident que tout ce qui fait la France sera remis en cause, parce que, par définition, la France est porteuse de structures à taille humaine. Veillons à ce que le gigantisme ne nous affaiblisse pas et que l'on trouve cette approche humaine dont parlait tout à l'heure M. de Villepin.
C'est sans doute au travers de cet humanisme libéral que la France doit reconquérir ce message de l'universel, qui aura une dimension internationale et qui sera différent du message de la mondialisation.
Pour la France, il ne peut être question d'avoir une autre vision que celle qui passe par l'acceptation de l'autre, mais qui, en aucune façon, n'oblige au renoncement de soi-même. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à quelques jours de la conférence de Seattle, les orientations qui ont été prises ces dernières semaines par le Gouvernement ne sont rien d'autre qu'un catalogue de bonnes intentions destiné à rassurer ceux qui s'inquiètent, à juste titre, en France, en Europe et chez nombre de nos partenaires francophones, de la dérive mondialiste.
Evidemment, ces négociations auraient pu se dérouler, comme les précédentes, dans l'indifférence générale, si des crises financières répétées - comme celles d'Asie du Sud-Est ou de Russie - si le déferlement de l'américanisation, si la dépossession rampante des souverainetés nationales et si le mépris de la santé de l'humanité, pour le seul profit de quelques multinationales, n'avaient accéléré la prise de conscience des peuples qui souffrent de ces maux.
En conséquence, mes propos s'orienteront autour de plusieurs constats pour déboucher sur un appel au sursaut national par une politique française clairement affichée de la « chaise vide » à Seattle.
Sur la forme, mon premier constat est, avant tout, celui de l'incompréhension et de la consternation.
En effet, la réunion de cette conférence internationale n'est rien d'autre qu'une convocation, qu'un « diktat » des Etats-Unis sur leur territoire, dans la ville de Boeing et de Microsoft, avec comme objectif unique d'asseoir toujours davantage leur suprématie, sous couvert d'une mondialisation synonyme de colonisation et de vassalisation. En réalité, mes chers collègues, quelle est donc l'urgence de s'y précipiter, alors que chacun sait que les accords de Marrakech sont loin d'être tous entrés en vigueur et que ceux qui le sont n'ont fait l'objet d'aucune évaluation, en particulier auprès des pays de l'Est ?
Il est temps d'affirmer clairement la nécessité de dénoncer les ravages de la mondialisation et de défendre nos intérêts nationaux contre l'agressivité avec laquelle les autorités américaines entendent gouverner le monde.
Chacun sait bien, en effet, que la négociation se terminera, comme par le passé, à leur profit. Mieux vaudrait freiner le mouvement que l'accélérer ! L'Union européenne accepte de répondre à cette convocation, parce que cet engagement figure dans les accords de Marrakech. Mais y figuraient également le boeuf aux hormones et la banane jamaïcaine, que, sous la pression de l'opinion publique, l'Union européenne a rejetés !
L'urgence est non pas de faire céder les derniers garde-fous, mais, bien au contraire, de préserver toutes les civilisations du globe et de combattre les iniquités économiques et sociales qu'engendrent de tels accords.
Enfin, c'est non pas la France, quatrième puissance commerciale mondiale et troisième exportateur de services, qui participera à ces discussions, mais l'Union européenne, par la voix - comble de l'ironie ! - d'un de nos compatriotes. Ainsi, la nation qui représente plus de quarante-cinq Etats francophones s'en remet totalement à lui, qui n'aura de comptes à rendre ni au Parlement français ni aux citoyens français, mais seulement à la Commission.
Les Américains doivent admettre qu'outre l'agriculture et les services d'autre sujets doivent être inclus dans les négociations pour que l'OMC joue un rôle dans la résolution des problèmes surgissant dans une économie mondialisée.
Que devons-nous attendre du représentant américain aux négociations, Charlene Barshefsky, qui a averti que l'Europe, déjà premier importateur mondial, serait sous forte pression américaine et asiatique à Seattle pour abandonner ses subventions agricoles et ses aides à l'exportation ? Sachant qu'un agriculteur américain touche, en moyenne, deux fois plus d'aides et de crédits à l'exportation qu'un agriculteur européen, les agriculteurs français s'opposent catégoriquement à toute renonciation en ce sens.
Les sacrifices qui leur ont été imposés par l'Agenda 2000 et la réforme de la PAC de 1992 doivent donc impérativement constituer une limite à ne pas dépasser et non pas être le point de départ de négociations en matière de prix et de maîtrise des productions agricoles.
Pour faire entendre notre voix - ce qui ne sera pas le cas - nous aurions dû combattre ceux qui s'opposent à notre démarche, trouver des alliés et tisser des partenariats solides et durables pour faire front à l'OMC sur des dossiers et dans des secteurs où les Etats-Unis, puis la Chine, joueront simultanément le rôle de meneurs et d'arbitres.
Un seul exemple suffit : au nom de quel principe de « libre-échange » les entreprises textiles et de maroquinerie - je connais le cas dans mon département - qui n'ont rien à y voir, devraient-elles être sanctionnées et pénalisées par une « liste noire » de représailles commerciales américaines dans un conflit qui leur est étranger et qui oppose, depuis des années, l'Union européenne aux Etats-Unis dans la « guerre de la banane » ?
Il ne suffit pas, mes chers collègues, à l'épreuve de l'histoire, de se souvenir de celui qui a dit « non ». Il importe d'agir par des actes symboliques et efficaces pour éviter de passer le reste de son temps à dire « amen » à tout.
Je persiste à penser qu'il est toujours possible, pour un pays comme le nôtre, de s'affirmer en toute souveraineté, de bâtir des partenariats solides par un « espace économique francophone » fort, avec les pays d'Europe centrale et orientale, les pays en voie de développement désabusés par la pente néfaste de l'ultralibéralisme destructeur pour leur économie et leur société, de même qu'il est possible à nos concitoyens de s'opposer à une mondialisation incontrôlée, intolérable et inacceptable qui condamne les modèles régionaux et les identités nationales.
Je m'oppose ici à ceux qui pensent haut et clair, à Matignon, à Bruxelles, à Washington, et demain à Seattle, qu'une libéralisation plus poussée et le développement des échanges dans le cadre de l'OMC pourraient stimuler la croissance. Ce qui est bon pour les Américains ne l'est pas obligatoirement pour les Européens et les Français.
Pour conclure, mes chers collègues, je poserai une seule question aux membres du Gouvernement et de notre assemblée : Pourquoi faut-il participer à un sommet et faire le voyage de Seattle où l'ordre du jour est imposé par les Etats-Unis qui privilégient leurs propres dossiers ?
M. Jacques Bellanger. C'est faux !
M. Philippe Darniche. Par conséquent, je demande solennellement ici, d'abord, l'établissement d'un bilan détaillé des cinq années d'application des accords de Marrakech, afin de tirer les leçons de la superpuissance américaine en matière de libéralisation agricole, ensuite, l'affirmation du refus de tout mandat global sur la libéralisation indifférenciée des services, enfin, et surtout, le report de la négociation.
En effet, ce sommet de Seattle, qui succède au cycle de l'Uruguay et marque le lancement d'un cycle nouveau, celui du « Millénaire », doit devenir non pas celui de l'endormissement, mais bien celui du réveil des nations européennes et des souverainetés face à la domination américaine. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.)
M. Emmanuel Hamel. Et bruxelloise !
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, aucune négociation commerciale multilatérale n'a soulevé, jusque dans l'opinion publique, autant de questions, de polémiques, d'inquiétudes et d'espoirs que le cycle de discussions au sein de l'OMC qui s'ouvrira dans quelques jours à Seattle.
C'est donc avec une attention extrême que nous prenons part à cet ultime débat, qui achève, pour nous, un travail préparatoire déjà entamé au sein de la délégation pour l'Union européenne, que j'ai l'honneur de présider.
Face à l'ampleur des sujets abordés et à la mesure des enjeux, nous ne pouvions envisager que le Sénat demeure à l'écart de la préparation de ce grand rendez-vous. Toutefois, en accord avec la commission des affaires économiques, nous avons choisi de concentrer notre réflexion sur les « nouveaux sujets » qui figureront peut-être, avec l'accord de nos partenaires, à l'ordre du jour de la conférence.
Il ne faut pas y voir pour autant un quelconque désintérêt de notre part pour les questions agricoles, qui seront, quoi qu'il arrive, au coeur des futures discussions ; cela répond à un simple souci d'efficacité et de bonne répartition des rôles.
Tout d'abord, il me paraît important de souligner combien la création de l'OMC a constitué un progrès réel dans l'organisation et la régulation du commerce international ; MM. de Villepin et François-Poncet l'ont fort bien indiqué.
En effet, quel projet pouvait être plus ambitieux que celui qui consiste à réunir autour d'une même table la quasi-totalité des pays de la planète pour élaborer ensemble, par consensus, les règles régissant les échanges mondiaux afin de promouvoir le développement économique et la prospérité de tous les partenaires ?
Dans un monde de plus en plus gouverné par les flux financiers et commerciaux, qui peut refuser l'idée selon laquelle il faut fixer en commun des règles transparentes et fiables ? Comment ne pas se réjouir que l'on permette aux entreprises et aux acteurs économiques d'opérer dans un cadre défini, sans crainte d'un revirement brutal de la politique commerciale de tel ou tel Etat ?
Bien sûr, je n'aurai pas la naïveté de croire que le tableau est aussi idéal. Nous savons bien que l'égalité théorique des partenaires ne résiste pas à la réalité des rapports de forces.
C'est pourquoi notre délégation s'est déclarée avec force en faveur de l'orientation retenue par l'Union européenne pour faire de l'intégration des pays en développement dans le commerce international le point central et prioritaire de cette négociation.
Il est incontestable que l'écart s'est encore creusé entre pays riches et pays pauvres depuis la création de l'OMC. On peut comprendre que les économies en devenir se soient estimées lésées par une institution qui leur semble faite pour les pays industrialisés.
Or, détenant la majorité au sein de l'OMC, les pays en développement constituent, cette fois, une force nouvelle, avec laquelle il faudra compter, dans la négociation qui va s'ouvrir.
En disposant d'une tribune, ils éviteront que ce nouveau cycle ne soit une réédition du dialogue réducteur Europe-Etats-Unis, que l'on a tant critiqué durant le cycle d'Uruguay.
Pour autant, il est essentiel que l'Union européenne parle d'une seule voix à Seattle, et c'est avec satisfaction et soulagement que nous avons accueilli l'annonce de la définition d'une position commune aux Quinze. L'ambition affichée par les Etats membres pour cette grande échéance aurait en effet été gravement atteinte si les dernières divergences n'avaient pu être surmontées. Comment en effet espérer convaincre nos partenaires du bien-fondé d'un ordre du jour élargi si nous avions nous-mêmes été dans l'incapacité de nous entendre ?
Toutefois, et c'est souvent le cas lorsqu'on élabore un compromis, la rédaction finale n'a pas toujours la précision et l'exigence souhaitées par ses initiateurs. En l'occurrence, la France - mais pas la France seule - s'est trouvée à la pointe sur deux dossiers difficiles sur lesquels j'aimerais m'arrêter un instant.
Le premier d'entre eux - et ce sujet est définitivement devenu le cheval de bataille français - c'est l'exception culturelle, la diversité culturelle devrais-je peut-être dire aujourd'hui puisque c'est la terminologie qui figure désormais dans la déclaration européenne. Lors de sa récente audition devant la délégation du Sénat pour l'Union européenne, M. Moscovici nous a assuré que cette nouvelle formulation n'était que l'expression plus consensuelle d'une même réalité.
Nous n'avons pas été entièrement convaincus par cet argument. Le sentiment unanime a été de considérer que la « promotion de la diversité culturelle » constitue un net recul par rapport à ce que la France avait obtenu à l'issue des accords de Marrakech en voyant consacrée l'exception culturelle.
Notre souhait est qu'il soit clairement affirmé que les oeuvres de l'esprit ne peuvent être assimilées aux marchandises et qu'elles doivent être, de ce fait même, exclues des négociations, et ce dans tous les volets de celles-ci, en particulier si devait être engagée l'élaboration d'un accord multilatéral relatif aux investissements.
Nous n'avons pas oublié les avatars de l'accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI, qui, avant d'être ajourné dans l'attente de la future négociation de Seattle, avait provoqué de grandes inquiétudes, notamment auprès des professionnels du monde de l'audiovisuel en raison des risques qu'il pouvait présenter pour le financement d'oeuvres culturelles. Nous attendons donc la même vigilance de l'Union européenne lorsque ce sujet sera abordé.
Ce faisant, il n'est pas question, pour nous, d'émettre des réserves sur le bien-fondé de l'établissement d'un cadre multilatéral relatif aux investissements.
Bien au contraire, j'y vois l'intérêt de fixer les règles permettant d'assurer à l'apporteur de capitaux un climat stable et prévisible, sécurisant l'investissement direct à l'étranger, notamment dans les pays en développement qui en sont trop rarement les destinataires.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Hubert Haenel. Le second point dur de la négociation à Quinze a été l'opportunité de définir des normes sociales minimales que s'engageraient à respecter les différents partenaires à l'OMC. Je rappelle que cet « élément social » avait déjà été abordé lors d'une précédente conférence de l'OMC, à Singapour. Il s'était alors heurté à la résistance des pays en voie de développement face à ce qu'ils considéraient - faut-il dire totalement à tort ? - comme une menace protectionniste des pays industrialisés.
Cette question, d'une grande complexité, soulève de très nombreuses interrogations.
Les solutions de compromis trouvées à Quinze consistent à proposer à nos partenaires l'instauration d'un forum permanent entre l'Organisation mondiale du commerce et l'Organisation internationale du travail, l'OIT, chargé « de promouvoir une meilleure compréhension » de ces questions et de conduire « un dialogue de substance » entre toutes les parties intéressées. On notera au passage le flou de cette déclaration.
Pensez-vous vraiment, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette nouvelle manière de dire les choses ait quelque chance de faire progresser la situation dans le monde du travail ? Il avait déjà été décidé, à Singapour, une coopération entre l'OMC et l'OIT sur ce thème, sans qu'il en résulte de réalisation concrète. Je n'ai pas le sentiment d'une réelle différence entre ces deux approches. Mais peut-être pourrez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous apporter les apaisements nécessaires.
Je n'ai pas l'intention d'évoquer devant vous l'ensemble du champ possible de la future négociation, même si de nombreux aspects ont retenu notre attention, par exemple la confirmation du principe de précaution ou les engagements de respect de l'environnement dans la perspective d'oeuvrer pour la promotion d'un développement durable.
Je souhaiterais toutefois insister sur un point auquel nous avons été très sensibles lors de nos travaux au sein de la délégation du Sénat pour l'Union européenne : la propriété intellectuelle.
En dépit des progrès acquis à Marrakech, de nombreux domaines restent encore insuffisamment protégés. Je pense, ici, à la reconnaissance des appellations d'origine.
Notre délégation a été unanime pour souhaiter que l'Europe obtienne, durant les négociations, la reconnaissance de ses produits, qui sont fréquemment copiés ou dont les noms sont usurpés par les producteurs d'autres pays partenaires.
C'est la même préoccupation que nous avons exprimée à l'unanimité voilà quelques semaines, lors de l'examen des conditions d'entrée en vigueur de l'accord commercial conclu avec l'Afrique du Sud, par lequel l'Union européenne risque d'accorder à cet Etat des conditions d'échange très favorables, y compris dans le secteur du vin, sans avoir obtenu en contrepartie d'engagements fermes sur le respect des appellations d'origine de certains alcools spécifiquement produits sur son territoire : porto, sherry, ouzo, grappa...
Avant de conclure, j'aimerais, monsieur le secrétaire d'Etat, vous poser une question et vous présenter une requête, qui va tout à fait dans le sens des propos déjà tenus par M. de Villepin.
La question est d'actualité : nous avons appris récemment la signature d'un accord entre la Chine et les Etats-Unis qui préfigurerait, a-t-on dit, l'entrée imminente de ce nouveau partenaire au sein de l'OMC. Qu'en est-il exactement ? Je sais que vous avez déjà abordé ce sujet dans votre discours liminaire, monsieur le secrétaire d'Etat, mais il serait intéressant pour le Sénat que vous le développiez davantage.
Ma requête est la suivante : j'ai parlé tout à l'heure de cet échange à trois partenaires - Europe, Etats-Unis et pays en développement - qui constitue probablement la caractéristique première de ce « cycle du Millénaire ».
Cependant cette observation n'est peut-être pas tout à fait exacte. Un quatrième interlocuteur est aujourd'hui présent. Il s'agit des opinions publiques qui se sentent directement concernées par les conséquences qu'auront les négociations dans leur vie quotidienne : sur la qualité de l'environnement, sur la sécurité de l'alimentation, sur le respect de l'identité culturelle...
Nos concitoyens - comme les nationaux de nos Etats partenaires - veulent être tenus informés de l'évolution de ces négociations, et c'est bien légitime.
C'est pourquoi je souhaite que le Gouvernement puisse nous rendre compte avec régularité des développements de ces discussions durant les trois années - et peut-être davantage encore si, comme je l'espère, l'OMC fait preuve d'ambition dans la fixation de ses objectifs - que durera le cycle du Millénaire. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans une semaine, les représentants des 135 pays membres de l'Organisation mondiale du commerce se réuniront à Seattle pour lancer un nouveau cycle de négociations multilatérales.
L'accord de Marrakech, signé le 15 avril 1994, prévoyait, en effet, avant janvier 2000, une reprise des négociations sur les questions relevant notamment de l'agriculture et des services.
A l'inverse des Etats-Unis qui souhaitent limiter l'ordre du jour de l'OMC à ce programme dit incorporé, l'Union européenne propose de le compléter par de nouveaux sujets tels que l'investissement, l'industrie, les marchés publics, le droit de la concurrence, l'environnement et les normes sociales.
Autant dire que le calendrier et le contenu de la conférence ministérielle, présidée, je le rappelle, par les Etats-Unis, sous le haut patronage de Boeing et Microsoft, seront en grande partie déterminés par les deux premières puissances commerciales : les Etats-Unis et l'Europe. Les pays en voie de développement, auxquels on prétend vouloir accorder une place plus importante, risquent, en réalité, d'être ramenés à un rôle d'alibi ou de faire-valoir, au profit de tels ou tels intérêts, dans la perspective d'une confrontation entre pays riches dont ils n'ont à attendre aucun avantage.
Malgré les dissensions qui apparaissent d'ores et déjà entre les Etats-Unis et l'Union européenne, il existe un consensus général sur le principe d'une libéralisation accrue des échanges commerciaux, censée favoriser le développement et la croissance économique.
Si telle est la réalité, pourquoi, de part et d'autre de l'Atlantique, refuse-t-on de procéder, comme nous ne cessons de le demander, à un audit global sur les accords de Marrakech et les conséquences de la mondialisation libérale ?
Si, effectivement, la libre concurrence était la seule source de richesse et de bien-être, au profit de l'humanité, comment expliquer la montée de ce puissant mouvement populaire de résistance à la mondialisation capitaliste ?
Quelques chiffres valent mieux que de longs discours. Ainsi, en quarante ans, alors que le commerce mondial n'a cessé de s'accélérer, l'écart de revenu entre les 5 % des personnes les plus riches de la planète et les 5 % les plus pauvres a plus que doublé. Les trois personnes les plus riches du monde ont accumulé une fortune supérieure au PIB total des quarante-huit pays les plus pauvres. De 750 millions à 900 millions de personnes sont sous-employées et plus d'un habitant sur six ne mange pas à sa faim. Dans le même temps, les places boursières explosent et - on le constate chaque jour - réalisent des records en matière de transactions.
Dès lors, une question simple se pose : pourquoi le développement des échanges au lieu de profiter au progrès humain engendre-t-il, au contraire, un accroissement des inégalités entre pays riches et pays pauvres ?
Pis, les zones de misère s'élargissent au Sud, alors que des pans entiers de nos économies du Nord disparaissent, laissant place à un tissu social et territorial déstructuré, à un chômage de masse qui touche toutes les couches de la société et à un environnement profondément dégradé.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen ont récemment déposé sur le bureau du Sénat une proposition de résolution sur l'OMC, dans laquelle ils demandent à la Commission européenne de réaliser un tel bilan et de ne prendre aucun engagement tant que celui-ci ne sera pas achevé. Cette idée - je m'en félicite - a été réintroduite, bien que de façon atténuée, dans la résolution qui a été adoptée par la commission des affaires économiques le 10 novembre dernier.
De même, nous pensons qu'une profonde transformation et une démocratisation de l'OMC sont indispensables. D'abord, dans ses objectifs : les principes de coopération, de solidarité et de partage juste et équilibré des richesses doivent prévaloir sur la logique de mise en concurrence des économies nationales. Ensuite, dans son mode de fonctionnement : les pays du Sud doivent être en mesure de faire valoir leurs exigences, de même que l'OMC doit s'ouvrir aux syndicats, aux organisations non gouvernementales, au monde associatif, à ce que l'on appelle plus largement la société civile. Enfin, dans sa procédure juridique : l'organe de règlement des différends devrait reposer sur des critères de transparence, de justice, d'égalité de traitement et prendre en compte les aspects sociaux, environnementaux et sanitaires des sujets qu'il traite. Nous proposons que l'ORD devienne un organisme paritaire composé des responsables nationaux, des représentants des salariés, des agriculteurs, des associations de défense des consommateurs et de protection de l'environnement.
Notre groupe défend depuis plusieurs années une autre proposition : la taxation des mouvements de capitaux spéculatifs à l'échelon mondial - la taxe Tobin - dont le produit serait réaffecté à l'aide au développement des pays les plus pauvres. La France s'honorerait, je le pense, en défendant cette noble cause, dans le cadre d'une instance internationale dont la vocation est, dit-on, de réguler l'économie mondiale.
Force est de constater que le mandat confié au commissaire européen, M. Pascal Lamy, est loin de répondre à nos attentes. Il est en effet traversé d'une contradiction fondamentale entre, d'une part, la volonté de relayer les aspirations des populations sur la qualité de l'environnement, la sécurité sanitaire et alimentaire, la sécurité d'emploi et de formation et, d'autre part, la recherche frénétique de nouveaux marchés pour satisfaire les multinationales implantées en Europe.
Si elle présente l'avantage d'un certain consensus apparent entre les Quinze, cette orientation contradictoire contribue, selon nous, à rendre peu lisible et finalement peu crédible le message de l'Europe qui pousse au libéralisme et à l'accélération de l'ouverture des marchés, mais pose des questions légitimes sans formuler des propositions précises, résolument offensives.
Ce double visage de l'Europe montre que la mobilisation des citoyens européens - salariés du public et du privé, chômeurs, artistes, agriculteurs et consommateurs - contre la « marchandisation du monde » a ouvert une brèche dans la toute-puissance du capital.
La victoire sur l'AMI, l'Accord multilatéral sur l'investissement, dont la signature aurait signifié la soumission définitive des politiques nationales aux marchés financiers, constitue un point d'appui pour renforcer et poursuivre le combat contre le libéralisme.
Quant au volet agricole du mandat européen, loin de nous rassurer, il nous préoccupe, tant il semble prêter le flanc aux velléités des Etats-Unis.
Les accords de Berlin de mars 1999 sur la politique agricole commune, la PAC, anticipent sur les négociations de l'OMC et, d'une certaine manière, font le jeu des Américains.
Que sont ces accords, sinon l'acceptation d'un alignement progressif des prix garantis communautaires sur les cours mondiaux, la diminution des aides publiques à l'agriculture et la mise en cause de la préférence communautaire ? Ce sont là autant de concessions faites aux Américains, avant même le début de toute négociation !
Si l'enjeu est de sauvegarder la PAC, il s'agit cependant d'une PAC diminuée, affaiblie, privilégiant la conquête des marchés extérieurs au détriment de l'emploi agricole, de l'aménagement du territoire, de la préservation des ressources naturelles et de la qualité des produits.
L'Europe sort également affaiblie par deux décisions récentes de l'OMC consécutives aux conflits de la banane et du boeuf aux hormones.
Les nouvelles propositions de la Commission européenne pour réformer le marché de la banane et les accords préférentiels avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique constituent un triste aveu d'impuissance face à l'hégémonisme américain.
Enfin, s'agissant du conflit qui oppose les Etats-Unis et l'Europe sur le boeuf hormoné, comment l'Union européenne peut-elle, de façon crédible, invoquer le principe de précaution, lorsqu'on constate qu'au sein même de l'Europe ce principe est sacrifié puisqu'il sera désormais autorisé de mettre en vente la viande bovine britannique dont personne, à ce jour, ne peut affirmer qu'elle ne comporte aucun risque pour la santé des consommateurs ?
Tout au contraire, il est nécessaire de rester ferme sur les questions touchant à la sécurité sanitaire et alimentaire à l'heure où l'émergence des biotechnologies, notamment les OGM, organismes génétiquement modifiés, recèle des enjeux futurs lourds de danger pour l'humanité si les finalités ne sont pas inversées.
C'est pourquoi il nous semble essentiel d'assortir le principe de précaution du principe de l'inversion de la charge de la preuve par lequel c'est au producteur, et non plus au consommateur, de justifier que son produit est sain et de qualité. Sans cela, le principe de précaution, mes chers collègues, sera vide de sens et demeurera illusoire.
On le voit, l'Europe peut s'appuyer sur les aspirations convergentes des consommateurs, du monde paysan, des pays à forte tradition rurale pour contrarier les desseins des firmes américaines qui entendent définir le mode de vie de chaque citoyen du monde en ayant la maîtrise totale de l'arme alimentaire, de l'élaboration biologique des cultures jusqu'au contrôle des industries agroalimentaires.
En conclusion, je dirai, à l'adresse du gouvernement français, qu'il ne peut suffire d'accompagner ou de réguler au mieux la libéralisation, qui porte en elle-même la négation des valeurs sociales, environnementales que nous prétendons défendre. De même, je pense qu'aujourd'hui il ne peut suffire, pour contenir le flux du libéralisme, d'échafauder des digues qui seraient autant de lignes Maginot.
Les parlementaires communistes ont le sentiment, tout au contraire, que plus que jamais la voie est ouverte pour inverser la marche du monde, rythmée par les firmes multinationales et par les marchés financiers, et pour promouvoir un modèle de développement tout à la fois durable, juste, partagé et respectueux des droits de tous les citoyens.
Pour cela, face à la mondialisation du capital, il est indispensable qu'une « internationale des citoyens » voie le jour à l'aube du prochain millénaire. Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen y prendront toute leur part. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à la veille des négociations commerciales multilatérales dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, les Européens se présentent unis à Seattle. Nous ne pouvons que nous en réjouir, au vu des nombreux enjeux commerciaux et sociétaux qui y seront traités.
Les sujets de division entre les 134 membres de l'OMC sont pourtant nombreux : polémiques sur les OGM, remise en cause des subventions agricoles, contentieux sur la banane, exception culturelle... autant de sujets qui ont été abordés par mes prédécesseurs à cette tribune.
L'enjeu tient surtout à l'importance vitale que représentent la sécurité, la précaution alimentaire et les normes sociales et environnementales. Ce rendez-vous donnera ainsi une chance unique aux Quinze d'exposer un consensus politique fort, face à la crainte d'une mondialisation incontrôlée que nous partageons tous ici et ailleurs.
Le postulat selon lequel « plus il y aura de commerce, et plus il y aura de croissance et de richesse pour tous » apparaît en effet quelque peu dépassé, bien que défendu en d'autres temps par certains. Aujourd'hui, au contraire, le libre-échange profite essentiellement aux plus forts et affaiblit les plus démunis. La spirale du surendettement en Afrique, les ravages de la crise financière en Asie, les fermetures d'usines et les délocalisations nous le prouvent au quotidien.
Ainsi, l'intégration des pays les plus pauvres dans le concert économique mondial s'exprime par une volonté très forte d'assainissement des règles du jeu commercial planétaire.
Si nous voulons que la mondialisation profite à tous, elle doit bien sûr se concevoir à travers la régulation des échanges. Or, en l'état actuel des choses, l'OMC est bien le seul lieu de concertation et de proposition, si imparfait soit-il. Même si certains peuvent le regretter, ce fait est indéniable.
L'OMC, qui tient sa légitimité de son universalisme, se doit donc d'être le lieu d'un nouveau « contrat social » international qu'il nous reste à définir entre partenaires libres et égaux.
C'est en cela que les négociations du cycle du Millénaire doivent contribuer à l'instauration de règles communes équitables, visant à empêcher les entreprises transnationales d'édicter en toute impunité les règles internationales des transactions commerciales.
Ainsi, au moment où la globalisation de l'économie semblait inéluctablement s'imposer à tous, des divergences d'intérêts grandissantes s'expriment au grand jour. Si l'on peut regretter la forme parfois violente que prend le mécontentement des uns ou des autres, il est indéniable qu'il en résulte une lassitude de plus en plus grande face aux excès d'un ultra-libéralisme débridé.
De là est née l'idée d'un contrôle démocratique des marchés financiers à travers la promotion de la « taxe Tobin ».
De ce fait, le front anti-OMC grandit et se prépare à une mobilisation, me semble-t-il sans précédent, visant à obtenir un moratoire sur le round de négociation commerciale.
Cette mobilisation des ONG anti-OMC pèsera lourd dans les débats, j'en suis certain, monsieur le secrétaire d'Etat. Dès lors, il convient d'associer davantage le monde associatif à ces négociations, tout en défendant fermement le rôle des organisations intergouvernementales par essence destinées à réguler les rapports de force mondiaux.
Comme vous l'avez récemment souligné, monsieur le secrétaire d'Etat, « l'OMC ne doit être ni diabolisée ni idéalisée ». Bien au contraire, il importe de combattre toute forme de protectionnisme déguisé qui se ferait aux dépens des « laissés-pour-compte » des réseaux financiers et commerciaux.
Cela est particulièrement vrai à l'extérieur de nos frontières, dans la confrontation commerciale transatlantique vers laquelle nous poussent certains groupes de pression américains. Mais c'est peut-être vrai aussi dans l'Hexagone, où la précarité envahit nos rues.
De la validité des engagements qui seront pris à Seattle dépendra l'avenir de notre concertation sociale. Afin de combattre une « marchandisation » galopante de la planète qui se ferait à nos dépens, notre aptitude au dialogue entre partenaires sociaux et acteurs économiques doit l'emporter sur toute considération purement mercantiliste.
L'enjeu de Seattle est de taille : il s'agit d'assurer le maintien d'un multilatéralisme alliant solidarité internationale et régulation du marché. Ainsi, notre message doit être clair pour s'inscrire précisément contre toute forme d'unilatéralisme latent.
Il importe de défendre un modèle de société fondé sur le postulat d'une économie au service du politique. L'approche globale soutenue par les Européens devra tenir compte d'une régulation des échanges, certes nécessaire à la croissance, mais également perçue comme porteuse de progrès sociaux et de diversité culturelle.
A cet effet, l'équilibre de la société dépendra de la cohésion entre la France et ses partenaires européens. Ceux-ci doivent se défendre face à des groupes dont les intérêts et la vocation se situent à l'opposé des principes qui sont les nôtres en matière de marché et de société.
Dès lors, il importe de réclamer avec fermeté la constitution d'un forum permanent de travail conjoint entre l'OMC et l'OIT. Ce lien entre normes sociales et commerce s'inscrit dans une cohésion communautaire forte autour du respect de clauses sociales universelles.
Notre action vigilante doit ainsi se tourner en priorité vers les pays en voie de développement dont l'intégration dans le concert économique mondial passe par la conciliation entre développement durable et commerce international.
Les pays du groupe des 77 ont d'ailleurs d'ores et déjà formulé des propositions concrètes, qu'il s'agira de défendre avec vigueur contre l'inévitable tentative américaine de limiter le débat au seul accès au marché.
Comment ne pas voir dans ces comportements déjà perceptibles un retour du protectionnisme, tendant à favoriser l'exportation massive de produits américains vers les marchés émergents ?
La maîtrise du cycle large qui s'ouvre à Seattle soulève plusieurs contradictions qu'il importe de clarifier, au moment où l'opinion publique est de plus en plus sceptique sur les vertus du libre-échangisme.
Il est contradictoire d'opposer strictement aide au développement et libéralisation des échanges. Une récente étude du PNUD, le programme des Nations unies pour le développement, tend d'ailleurs à montrer la nécessité d'ouvrir les économies des pays les plus pauvres. Je vous renvoie à cet égard à l'excellent rapport parlementaire rédigé par Béatrice Marre.
Au-delà d'un bras de fer annoncé entre Etats-Unis et Europe, il importe également de garantir aux pays tiers des débouchés commerciaux et culturels nouveaux. Il en va d'une notion élémentaire d'égalité et de solidarité internationale.
Face à la tentation d'un repli identitaire et d'un retour du conservatisme, les négociations de Seattle posent, d'emblée, le problème de clivages sectoriels persistants. La position minimaliste des grands pays agricoles exportateurs du groupe de Cairns apparaît, dans ces conditions, quelque peu irréconciliable avec le développement d'une agriculture maîtrisée, ardemment souhaitée par les Européens.
Par ailleurs, en privilégiant l'éthique et le recours à des règles minimales, les Quinze espèrent englober ce qu'il est convenu d'appeler les « nouveaux sujets de régulation ».
De ce fait, le contrôle démocratique des débats doit accélérer la prise de conscience de nouvelles dimensions dans les relations internationales.
La relance d'une nouvelle forme de dialogue Nord-Sud doit préfigurer l'émergence d'une société ouverte qui tiendrait compte à la fois de préoccupations économiques, environnementales, sociales et culturelles.
Je suis convaincu que le dialogue est possible entre pays développés et ceux qui aspirent à le devenir.
Il conviendra donc, pour la délégation de la commission conduite par Pascal Lamy, d'exposer une détermination sans faille envers ces valeurs que nous croyons universelles. Je pense à la reconnaissance de normes sociales fondamentales, au droit à une alimentation saine et à la défense de notre spécificité agricole.
Nous attendons des négociations du cycle du Millénaire de nouvelles règles en matière de concurrence, de marchés publics et d'environnement, qui doivent s'inscrire, comme le souhait en a été exprimé tout à l'heure, dans la préservation de l'exception culturelle et audiovisuelle.
Notre préoccupation concerne aussi les futures interactions entre les règles de l'OMC et les accords multilatéraux sur l'environnement afin de concilier principes environnementaux fondamentaux et développement commercial, à l'image de la lutte contre la corruption qui, associée à la sécurité des investissements directs étrangers, témoigne d'une ambition nouvelle.
Monsieur le secrétaire d'Etat, si l'on peut légitimement se réjouir de la présence d'un représentant du continent africain au sein de la direction de l'OMC, comment ne pas percevoir dans la nomination du Néo-Zélandais Mike Moore un avant-goût amer de ce que pourrait être l'intransigeance américaine.
Cela étant, je me félicite de voir que le Gouvernement a souhaité associer les parlementaires au rude combat en faveur de l'affirmation des valeurs humanistes fondamentales au sein d'une économie globalisée mais, je l'espère, régulée. Vous imaginez - vous le savez mieux que quiconque ! - que, pour ce faire, vous aurez le soutien des radicaux de gauche. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, vouloir définir aujourd'hui l'enjeu de l'ordre du jour de Seattle est incontestablement un véritable programme en soi.
Dès le départ, nous devrons tous être imprégnés de cette volonté offensive, qui doit trancher avec les débats de 1992. Un récent déplacement à Washington avec M. le ministre de l'agriculture et de la pêche me conduit à conserver à la fois espoirs pour certains éléments et fortes inquiétudes pour d'autres.
Aujourd'hui, je n'évoquerai que les questions liées à l'agriculture et au monde rural et je ferai quelques commentaires sur l'évolution à moyen terme, en espérant une meilleure compréhension - elle est nécessaire - entre l'Europe et les Etats-Unis.
Il ne faut pas non plus oublier, ne nous le cachons pas, les malentendus actuels qui subsistent sur un certain nombre d'éléments tels que la banane, les organismes génétiquement modifiés, les hormones, etc.
Peut-être est-ce sur l'analyse de ces contradictions et de ces malentendus que nous devrons, ensemble, préparer ce débat devant l'OMC ?
Rappelons tout d'abord qu'il est de notre intérêt, à la suite des accords de Berlin - qui sont exceptionnels et qui ont énormément choqué les Etats-Unis - de débattre des questions agricoles sur le fond et dans la durée. Ne tombons pas dans le piège de la précipitation, où les Américains voudraient nous entraîner !
Nous devrons tenir compte de deux éléments : tout d'abord, l'évolution interne européenne, qui est un élément fort ; ensuite, l'évolution des Etats-Unis dans le domaine de la politique agricole. Aujourd'hui, en effet, le clignotant est au rouge et nous devrions peut-être les montrer du doigt.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Jean-Marc Pastor. Sur le plan européen, depuis sept ans, rappelons-le, nous n'avons pas cessé de respecter les accords de Marrakech. C'est un de nos atout forts dans ce débat !
Par ailleurs, les réformes successives de la PAC nous ont fait passer d'une agriculture productiviste à une agriculture plus axée sur la qualité : entreprises et consommateurs, aujourd'hui, sont de plus en plus attentifs à la qualité des produits que nous leur offrons.
Rappelons également, dans un esprit offensif, qu'en cumulant l'Agenda 2000 et la PAC 92 les baisses de prix atteignent, dans le secteur agricole, 32 % pour les viandes bovines et 50 % pour les céréales. Cela montre bien que nous avons appliqué les accords de Marrakech !
A cela s'ajoute un découplage accru par une forte réduction du budget européen à l'exportation, qui est passé à 7 % en 1999 alors qu'il dépassait 30 % en 1991.
Rappelons aussi que, pour diminuer la production et l'encombrement du marché, la Communauté européenne a accepté des sacrifices énormes puisque la prochaine PAC nous fera passer à 10 % de jachère, contre 5 % seulement à l'heure actuelle.
Rappelons encore le rôle spécifique de l'agriculture en faveur de l'emploi en milieu rural - et c'est là un élément qui ne se maîtrise pas à travers les prix - mais aussi en faveur de l'environnement ou de la qualité des aliments, autant de points qui devront être débattus à Seattle même si, comme j'ai pu le constater il y a quelques jours, les Etats-Unis ne le souhaitent pas.
M. Raymond Courrière. C'est exact !
M. Jean-Marc Pastor. La Communauté européenne propose un ensemble de dispositifs dans le secteur des services non marchands, favorisant ainsi un tissu social différent. C'est notre conception de la société qu'il va falloir « vendre » dans un débat qui se prolongera sans aucun doute pendant plusieurs mois, et certainement encore après l'élection présidentielle américaine.
C'est ce concept de société et de vie qu'il nous faudra défendre face à des systèmes certes respectacles mais fondés sur d'autres principes - je fais allusion aux schémas américains, australiens, argentins ou même canadiens - et qui s'opposent à notre logique et à l'introduction d'éléments non marchands dans le débat.
Nos choix, nous les faisons pour faire face à l'exode rural. Aussi serait-il absurde de prétendre ou de laisser croire, comme certains l'ont fait, que la solution réside dans la suppression des aides publiques.
Un autre aspect doit être pointé du doigt : l'évolution de la politique américaine dans ce domaine. Les rois du libéralisme ont connu, mes chers collègues, un échec cuisant dans le secteur agricole, où les forces du marché libre non soutenu ont entraîné à la faillite près de 25 % des exploitations, emportant avec elles banques et entreprises.
Aussi, depuis 1997, ils ont changé leur fusil d'épaule, et les aides accrues de l'administration américaine à ses agriculteurs perturbent actuellement la concurrence mondiale. Le soutien à l'agriculture aux Etats-Unis est ainsi passé de 7 milliards de dollars en 1997 à 22 milliards de dollars en 1999. L'aide alimentaire, soutien illégal déguisé au commerce extérieur, a été multipliée par cinq pendant ces mêmes deux ans - je doute que la pauvreté, pourtant grandissante dans ce monde, ait suivi la même progression ! - et le Congrès américain poursuit dans cette voie en accordant des garanties généreuses à l'exportation. Tout cela, il faudra le dénoncer !
Aujourd'hui, nous devons dire avec force que c'est bien l'agriculteur américain qui est le plus subventionné au monde : en 1999, il aura perçu en moyenne 9 500 dollars de soutien, alors que l'agriculteur européen recevait, pour sa part, 5 300 dollars.
Même si nous devons respecter les choix politiques internes américains, nous devons également demander, à Seattle, la transparence dans ce domaine. Il faut que tout soit mis d'emblée sur la table des négociations.
Sachons également tirer les conséquences de nos querelles et de nos divergences. Je pense notamment à la banane, où nous avons un intérêt économique direct.
La Communauté européenne présente des propositions claires dans ce domaine, car il est possible de respecter à la fois les accords de Lomé avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et les accords de l'OMC en veillant à un certain nombre d'équilibres vis-à-vis des distributeurs - je dis bien des distributeurs, et non des producteurs - d'Amérique latine et des Etats-Unis.
S'agissant du boeuf aux hormones, il faut incontestablement poursuivre les études, car la terrible crise du sang contaminé est une expérience française qu'il ne faut pas renouveler. Comme pour les OGM, nous devons faire preuve d'une très grande prudence et, en cas de différend, faire appel aux scientifiques. Malheureusement, ces derniers n'ont pas tous les mêmes critères d'analyse. Nous devrons donc, à Seattle, nous mettre d'accord sur un cahier des charges et sur des seuils communs afin que tout le monde puisse parler le même langage.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Jean-Marc Pastor. Si nous ne faisons pas cette démarche en liaison étroite avec la Food and Drug Administration, la FDA, nous ne parviendrons jamais à nous comprendre.
Dans le domaine des OGM, même si certains le pensent, il n'y a pas de conflit officiel avec les Etats-Unis. Le marché est ouvert, le consommateur décide et choisit. En la matière, il faut cependant maintenir la transparence grâce à l'étiquetage pour que le consommateur européen puisse choisir tout en respectant l'environnement.
La proposition française de création d'une agence sanitaire européenne, reprise récemment par le président de la commission, M. Prodi, mérite d'être soutenue à cet égard. Mais comment renforcer le dispositif international dans le domaine de la protection ? Cette question fondamentale devra être discutée à Seattle. Le principe de précaution est, en effet, au coeur d'un débat nouveau qu'il conviendra d'aborder dans le respect des règles du commerce, mais aussi en fonction des normes sanitaires et environnementales.
Tous ces volets nouveaux devront être abordés lors du débat de 1999-2000, même si nous savons que tous les partenaires ne sont pas obligatoirement favorables à cette approche. Mais nous ne pouvons nous permettre d'aborder la seule question des prix !
Que dire de plus du marché agricole si ce n'est que la comparaison des budgets européen et américain en la matière fait apparaître que le premier consacre globalement 40 milliards d'euros ou de dollars au soutien de ses agriculteurs tandis que le second y consacre près de 60 milliards de dollars ? Au demeurant, il est difficile d'effectuer une vraie comparaison, ce qui rend nécessaire la transparence des Etats dans ce domaine.
Pour que le débat soit serein, il faut impérativement faire l'inventaire du nouveau schéma d'aide alimentaire, car c'est aujourd'hui un instrument déguisé qui permet aux Etats-Unis de mieux pénétrer certains marchés mondiaux.
Le montant des importations européennes et françaises en témoigne très largement, nous sommes, à l'inverse du marché américain, très ouverts alors que les Etats-Unis ne le sont que sur les produits où ils sont très compétitifs. Dois-je rappeler les droits qui frappent les fromages - 170 % ! -, le beurre - 137 % ! - ou le sucre - 130 % ?
Pour ce qui est du soutien interne, Seattle devra s'adapter aux demandes nouvelles des consommateurs et de l'opinion publique dans le domaine de l'environnement, de la sécurité alimentaire, de l'acte social à proprement parler. C'est ce que nous appelons, en Europe et en France, la multifonctionnalité, élément non marchand qu'il faudra bien aborder à Seattle. Des conclusions de ce débat naîtra une orientation qui nous permettra d'éviter ou non la déperdition rurale.
Les accords de Berlin représentent un atout fort et incontestable de l'unicité européenne, mais nos opinions publiques ont des attentes nouvelles et nous devons y répondre. Au-demeurant, j'avoue franchement que j'ai le sentiment que l'opinion américaine, depuis quelques mois, est en train d'évoluer dans ce domaine et qu'elle peut devenir demain un des nos principaux alliés dans le débat mondial.
La vraie réponse face aux inquiétudes à l'égard de la mondialisation ne peut toutefois se confondre avec l'uniformisation, même si, contrairement à ce qui s'était passé en 1992, la France et l'Europe aborderont cette année le débat en alliés pour faire valoir leur modèle de société. Tous ensemble, ici, nous formulons le voeu que ce mode de vie et de société sera défendu au niveau mondial ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Huchon.
M. Jean Huchon. Monsieur le président, mes chers collègues, après l'exposé de M. le secrétaire d'Etat et les interventions des deux présidents de commission, MM. François-Poncet et de Villepin, je suis tenté de dire qu'il n'y a plus grand-chose à dire. Aussi ma modeste participation se limitera-t-elle à l'évocation partielle de certains problèmes.
Nous attendons tous, quelquefois avec anxiété, l'issue de ces éventuels accords qui vont conditionner l'équilibre du commerce international pour les années à venir.
Nous parlons tous de la nouvelle situation - d'ailleurs pas si nouvelle qu'on veut bien le dire ! - dénommée « mondialisation ». C'est sans doute inévitable, inexorable, car les moyens de communication, d'information et de transport sont devenus si efficaces, sur notre planète, que ce qui se passe sur un continent provoque presque immédiatement une réaction dans l'ensemble des nations et sur leur économie.
D'aucuns prétendent que cette situation nouvelle doit être vécue sans crainte et que nous devons en tirer de nombreux avantages. C'est mon avis. Hélas ! les faits sont moins faciles à vivre, et, à titre personnel, sur le terrain, je dois supporter les conséquences de cette mondialisation, qui, pour l'instant, « massacre » tout de même l'acte de production en Europe.
En effet, comment prétendre que l'on peut produire sans aller rapidement à la faillite quand on est en situation de concurrence directe, sans barrière, avec des économies où le coût salarial est quasi nul, la protection sociale inexistante et le système fiscal avantageux ?
Je suis dans une région où l'activité industrielle repose essentiellement sur la fabrication de la chaussure et de l'habillement. Depuis plusieurs années, nous assistons à une diminution permanente du nombre des salariés et à des fermetures dramatiques. Encore aujourd'hui, ponctuellement, ce sont près de 1 000 salariés constituant l'effectif de l'entreprise GEP - La Fourmi qui sont menacés par le dépôt de bilan et peut-être même par la liquidation sous les coups de la pantoufle chinoise et de la chaussure taïwanaise.
J'ai beaucoup de mal - c'est d'ailleurs une mission impossible - à faire comprendre aux salariés de cette entreprise que la mondialisation est une bonne chose.
En effet, devant de tels exemples, il est difficile de penser que l'OMC puisse véhiculer autre chose que des catastrophes ! C'est pourtant mon avis : la mondialisation peut être une bonne chose, à condition de ne pas être la jungle du libre-échange. Et c'est précisément le rôle des négociateurs de Seattle que d'arriver à des situations équilibrées où chacun retrouve son compte.
Mon rôle, après l'intervention de Michel Souplet, est de traiter des problèmes agricoles, qui sont au coeur des négociations de l'OMC.
L'agriculture européenne, dans sa diversité, est totalement intégrée dans une économie organisée, avec des contraintes salariales, sociales et fiscales que nous connaissons et qui n'ont, bien sûr, rien à voir avec ce qui est vécu et pratiqué dans la plupart des pays de notre planète. Grâce à l'Europe agricole, nos avons réussi à nous garder de nombreux périls.
L'agriculture vit donc les mêmes difficultés que les industries de main-d'oeuvre, et les exemples sont nombreux où éclate l'impossibilité de survivre pour nos économies occidentales devant les chiffres et les prix qu'autorise l'exploitation de nombre de pays sous-développés.
A titre d'exemple, il y a quelques semaines, je participais, dans le cadre d'une mission sénatoriale, à un voyage d'étude en Amérique du Sud. Nous avons en permanence subi les assauts verbaux des dirigeants politiques et des professionnels argentins désireux de nous exporter la viande bovine dont leurs entreprises et leur pampa regorgent !
M. Gérard César. Tout à fait.
M. Jean Huchon. Mais à quel prix ? Un dollar le kilo, soit trois fois moins cher qu'en France, où les producteurs ont pourtant peine à vivre et doivent être artificiellement aidés. Il suffit d'ouvrir les frontières à ces viandes argentines pour ruiner définitivement les éleveurs français.
Cet exemple démontre la difficulté de l'exercice et la vigilance dont nos négociateurs devront faire preuve avec nos partenaires, et spécialement avec les Etats-Unis, qui abordent les négociations dans un climat agressif et évidemment électoraliste.
Il est d'ailleurs à craindre que l'exécutif américain ne soit pas en mesure ou ne fasse en sorte de ne pas être en mesure de signer un accord avant janvier 2002. En effet, il ne disposera pas d'un mandat de négociation du Congrès, car ce dernier ne votera pas un fast track avant les élections présidentielle et législatives de 2002. Toutefois, les Américains ne manqueront pas d'essayer d'obtenir de l'Union européenne des avancées qu'eux-mêmes ne voudront pas faire.
Il ne faut à aucun prix que les négociations sur l'OMC soient l'occasion d'un démantèlement de la construction européenne menée depuis quarante ans.
A ce titre, il est bon de rappeler les objectifs de départ de l'Europe agricole, qui sont toujours d'actualité, à savoir assurer la sécurité alimentaire des pays membres, respecter la préférence communautaire à l'intérieur de l'Union européenne, assurer un revenu aux agriculteurs et aménager une vocation exportatrice à l'Europe agricole.
Ces objectifs ont été progressivement atteints, mais il est bien évident que l'entrée dans la mondialisation peut tout déstabiliser. En effet, nos partenaires mondiaux n'ont jamais accepté le fait européen, qui, depuis quarante ans, a démontré son efficacité. Le cheminement a peut-être été difficile, mais les faits sont là : l'Europe existe.
Par ailleurs, l'Europe a déjà fait preuve de courage et de discipline en réformant progressivement les règles de la politique agricole commune à deux reprises. Les négociateurs européens ne partent pas de rien et ils devront, au préalable, faire état de ce qui a déjà été fait pour pouvoir discuter avec leurs interlocuteurs. Les réformes successives de la PAC ont déjà imposé des adaptations que nos partenaires d'outre-Atlantique n'ont pas imitées.
Le volet agricole devra recouvrir l'ensemble de la production agricole, Le volet céréalier, qui est simple et ne comporte presque qu'un seul produit, homogène, facile à conserver et à transporter, ne doit pas faire oublier le reste du panel agricole, beaucoup plus compliqué à traiter : viandes, lait, fruits et légumes, etc.
La réforme de la PAC et les accords de Berlin doivent donc servir de base à la négociation. A partir de ce socle, il faut obtenir un accord global. Un bilan soigneusement élaboré doit être établi en exigeant la bonne foi.
Les aides à l'agriculture accordées en Europe et contestées par nos partenaires de négociation, spécialement les Etats-Unis, ne doivent pas nous traumatiser. Nous devons faire la lumière sur le système d'aide massivement pratiqué outre-Atlantique - mon ami Jean-Marc Pastor vient de l'évoquer - les Américains ne manquant jamais de nous reprocher ce que nous faisons dans ce domaine en feignant pudiquement d'ignorer ce qu'ils accordent aux farmers du Middle West.
Dans ce domaine, l'Europe doit avoir une attitude offensive et faire preuve d'une vigilance rigoureuse ; cela devrait nous permettre d'exiger un certain nombre d'éléments fondamentaux pour que l'OMC débouche sur un accord équilibré.
Tout d'abord, il faut assurer la réciprocité des exigences sur deux points importants : d'une part, les problèmes sanitaires et la qualité des produits ; d'autre part, les problèmes de l'environnement et de la qualité de la vie.
Sur le plan sanitaire, nous ne devons pas être naïfs. Pourquoi accepter l'importation de produits sans les contrôler compte tenu des exigences sanitaires et techniques que nous imposons aux producteurs français et européens ? C'est un sujet sur lequel il y a beaucoup à dire et qui demanderait un plus long développement que ne le permet ce débat.
Disons simplement - tous les orateurs l'ont souligné - que les incertitudes scientifiques sont particulièrement gênantes : nous en avons fait et nous en faisons encore l'expérience avec l'ESB et le problème de la viande aux anabolisants.
Il faut que le grand principe de « précaution » - le terme est admirable - soit juridiquement et scientifiquement clarifié, afin qu'on ne vive plus les péripéties actuelles. Des règles simples et précises, établies et acceptées par tous, doivent permettre d'éviter tout accident, que ce soit pour la viande, les animaux vivants, les fruits et les légumes, etc.
Les Etats-Unis, spécialistes des procédures de contrôle à l'importation et des quarantaines largement utilisées, doivent comprendre que la réciprocité doit être la règle.
Les négociations de l'OMC devront également inclure un volet environnemental dans le cadre d'accords multilatéraux. Il est souhaitable, par exemple, de clarifier les exigences liées aux méthodes de fabrication et aux règles d'étiquetage des produits.
Le volet social ne doit pas être oublié, tout le monde l'a dit. C'est l'occasion de tenter - y parviendrons-nous peut-être - de traiter le formidable problème des inégalités. Il s'agit, en réalité, de l'intégration des pays en voie de développement dans l'économie mondiale, en les faisant participer de façon plus active au système commercial multilatéral.
Cest pays sont de plus en plus producteurs, mais ils jouent toujours un rôle secondaire, c'est-à-dire un rôle d'exploités, sur la scène économique mondiale. Cette situation est injuste et l'impact de leur marginalisation se ressent partout. Le progrès économique ne peut qu'être un facteur important de l'amélioration sociale dans le monde et un point clé du développement durable.
Il faut également faire des avancées dans le domaine des droits de l'homme, de la primauté du droit et du respect des normes du droit fondamental au travail. Je pense tout particulièrement au travail des enfants, au travail carcéral, au travail forcé, ou encore à l'absence du droit d'association et de négociation collective.
Il faut que les accords futurs fixent des règles de commerce qui permettent l'accès au marché de tous les opérateurs et que soit mis en place un système de contrôle des pratiques anticoncurrentielles internationales. Je veux parler des cartels mondiaux et des organismes à position dominante et fortement concentrés, comme la grande distribution, qui est maintenant largement mondialisée. Ces contrôles font défaut actuellement, et c'est une situation qui nuit aux pays les plus faibles.
Il n'est pas question, comme cela a déjà été dit, de faire en sorte que l'OMC devienne une autorité mondiale. Elle n'en a ni la vocation ni les moyens. C'est simplement un cadre dans lequel doivent fonctionner des politiques de concurrence équilibrée.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi de dire, après bien d'autres, que notre souhait le plus vif est que ces négociations se réalisent dans la plus grande transparence.
Elles vont être longues, voire difficiles. Nous sommes des parlementaires sérieux ; nous demandons à être informés des étapes qui vont être franchies et des obstacles qui vont se lever. Nous pensons être de bons relais auprès de nos concitoyens. Or, vous aurez besoin de l'appui de l'opinion publique.
Au moment où vont s'ouvrir ces pourparlers, qui provoquent le doute chez les uns et l'espoir chez les autres, je veux être résolument optimiste. Je ne peux m'empêcher de rappeler la citation de Montesquieu tirée de L'Esprit des lois et reprise récemment dans un grand quotidien du soir : « Le commerce guérit des préjugés destructeurs ; et c'est presque une règle générale que partout où il y a des moeurs douces, il y a du commerce ; et que partout où il y a du commerce, il y a des moeurs douces. » (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, alors que les négociations de Seattle vont s'ouvrir dans quelques jours, un premier constat s'impose : rarement un débat public n'aura été entaché d'autant de préjugés et d'idées fausses.
Je m'efforcerai donc, si vous le permettez, dans un premier temps, de préciser des thèmes aujourd'hui récurrents dans le débat public mais très largement galvaudés : la mondialisation, d'abord, l'Organisation mondiale du commerce, ensuite.
Je développerai, enfin, un point qui m'apparaît particulièrement fondamental, tant le sort qui lui sera réservé à Seattle déterminera la place et les prétentions de notre pays à l'aube du troisième millénaire. Je veux parler de la propriété intellectuelle, ferment de notre identité et de notre culture, qui doit être défendue avec une vigueur inégale.
Première idée fausse : la mondialisation est une réalité.
La mondialisation, voilà un terme à la mode ! Il ne se passe pas un jour sans que ce concept soit mentionné dans toutes les sphères, privées comme publiques, par tous les responsables politiques, de droite comme de gauche. La mondialisation, je suis tenté de dire que voilà la nouvelle idéologie du xxie siècle ! Il y a ceux qui sont pour, il y a ceux qui sont contre. Que l'on s'y oppose ou qu'on la loue, c'est bien la référence absolue, indispensable. Et, pourtant, que recouvre ce concept, employé par tous, mais défini par personne ?
La mondialisation fait référence à l'échange généralisé entre les différentes parties de la planète. Elle implique, à terme, l'émergence d'un « village global ». Elle suppose la disparition des frontières, elle postule l'uniformisation des modes de vie et de pensée.
Il n'y a pas de vision plus erronée de l'environnement international. Il n'y a pas de perception plus fausse de la réalité des échanges.
La mondialisation est un leurre. Elle procède d'une simplification outrancière et erronée de l'environnement international.
Jamais les divergences économiques, sociales et politiques entre les Etats n'ont été aussi grandes : l'extrême pauvreté côtoie l'extrême richesse. Le commerce ne profite pas à tous les pays dans la même mesure. Il met en jeu des Etats qui n'ont pas atteint, loin s'en faut, le même niveau de développement économique. Jamais les revendications identitaires n'ont été aussi fortes et aussi exacerbées. La montée des intégrismes, les guerres ethniques, la défense des exceptions culturelles... Vous voyez, mes chers collègues, que le monde n'est pas unifié et n'est pas en voie de l'être !
La mondialisation est un terme qui devrait être banni. Ce à quoi nous sommes confrontés, c'est à l'interdépendance croissante des économies, dans un contexte de libéralisation accrue des échanges.
Seconde idée fausse : l'Organisation mondiale du commerce serait le cheval de Troie des prétentions hégémoniques américaines.
Rien n'est plus erroné ! Une telle affirmation traduit une incapacité totale à saisir la nature profonde de l'OMC, ses fonctions, ses mécanismes fondamentaux. Une telle affirmation traduit une méconnaissance du sujet, une méconnaissance coupable pour un responsable politique. Que les Etats-Unis et l'Europe se livrent une guerre commerciale terrible, c'est un fait. Qu'il nous appartienne d'être extrêmement vigilants et inflexibles pour défendre nos intérêts vitaux, c'est incontestable.
Mais l'OMC n'est pas l'instrument de domination des Etats-Unis. Au contraire, seule l'OMC peut substituer aux rapports de force le primat de la règle de droit. Seule l'OMC peut discipliner les Etats en exigeant d'eux le respect des règles de droit commerciales qu'ils ont librement négociées et acceptées.
Plusieurs d'entre vous y ont fait allusion : l'analyse minutieuse de toutes les décisions rendues par l'organe de règlement des différends de l'OMC montre, contrairement aux idées reçues, que les Etats-Unis ont non seulement été plus souvent mis en cause que l'Union européenne, mais ont fait aussi l'objet de plus de condamnations.
De ce point de vue, la dernière décision rendue par l'ORD le 17 septembre 1999 est particulièrement significative. Elle met en cause les pratiques fiscales américaines à l'exportation. L'enjeu est autrement plus important que pour les affaires de la banane et des hormones, qui, réunies, ne touchent que 1 % à 2 % du commerce entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Les pratiques fiscales américaines représentent en effet, chaque année, une aide directe de 2 milliards de dollars aux exportateurs américains. Le préjudice subi par les Etats-Unis risque donc d'être considérable en cas de confirmation de la décision par l'organe d'appel de l'OMC.
L'OMC est bien une instance impartiale, et c'est cette impartialité qui fait toute sa crédibilité. Dans un contexte de libéralisation sans précédent des échanges, alors que la compétition entre les Etats n'a jamais été aussi exacerbée, les anti-OMC font preuve d'ignorance et d'aveuglement. Ils doivent savoir que le désordre mène à l'anarchisme. L'anarchisme engendre malheureusement très souvent la violence. La violence conduit presque toujours à l'appauvrissement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, alors que les négociations qui s'ouvrent à Seattle vont toucher aux intérêts vitaux de notre pays, il importe, face à nos principaux partenaires commerciaux, d'être particulièrement vigilants et pugnaces si nous ne voulons pas brader nos intérêts. La défense de notre conception du droit d'auteur illustre avec force tout l'enjeu des négociations de Seattle.
Si l'enjeu est considérable, alors que les progrès des technologies modernes et l'apparition de nouveaux modes de circulation et d'exploitation du savoir amènent les Etats à se doter de législations nouvelles, il est surtout éminemment symbolique : derrière le choix du système de protection de la propriété littéraire et artistique, c'est la question du rôle de l'OMC à l'aube du troisième millénaire qui est posée.
L'OMC doit-elle seulement s'efforcer de promouvoir un commerce débarrassé de toute entrave et soumis aux seules lois du marché, ou bien doit-elle veiller aussi à encourager le respect des identités et des différences, et donc promouvoir une libéralisation plus humaine des échanges ?
Cela pose à nouveau avec force le problème de la protection de la propriété littéraire et artistique, alors que l'on s'oriente de plus en plus vers des économies de l'immatériel, tant la création est appelée à jouer un rôle essentiel.
Deux grandes conceptions du droit d'auteur existent. La conception française, largement inspirée par le droit romain, d'essence civiliste, qui privilégie la gestion collective et droit moral, et la conception anglo-saxonne, qui se fonde sur le copyright.
Ces deux conceptions du droit d'auteur restent fondamentalement opposées. Privilégier l'approche française sur le système américain du copyright est primordial dans la mesure où elle protège plus efficacement les droits des créateurs.
La conclusion de l'accord sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce a été considérée comme un succès remarquable. Pourtant, cet accord n'édicte pas à proprement parler de normes nouvelles sur ce point précis, se contentant de renvoyer aux conventions internationales en vigueur, notamment la convention de Paris sur la propriété industrielle et les marques, adoptée le 14 juillet 1967, et la convention de Berne sur les droits d'auteur, adoptée le 24 juillet 1971.
L'Union européenne doit se montrer beaucoup plus exigeante que les Etats-Unis, notamment en matière de respect des droits moraux. Les Etats-Unis, on le sait, s'opposent à l'élaboration de règles nouvelles, soucieux de ne pas avoir à modifier leur législation nationale. Il faut adopter une position résolument offensive.
Les approches juridiques divergent profondément. La conception européenne du droit d'auteur met l'accent sur la protection de la personnalité de l'auteur, témoignant de la « supériorité du droit moral » sur les droits pécuniaires. L'oeuvre est considérée comme un prolongement de la personnalité de l'auteur, lui conférant deux séries de prérogatives : droits pécuniaires, dont le principal est droit de reproduction, et le droit moral, qui implique le droit au respect de l'oeuvre et le droit au nom. Dans le système du copyright, en revanche, on est en présence d'une tout autre philosophie. L'oeuvre étant radicalement détachée de la personne physique, elle acquiert une autonomie juridique absolue. Il en résulte que, appréciée comme un produit, elle peut mener une existence économique libre. De fait, elle peut faire l'objet d'un transfert sans aucune réservation, restriction ou limitation. Le droit d'auteur est essentiellement conçu comme une prérogative économique : il s'agit du droit pécuniaire d'autoriser ou non la reproduction. Le système du copyright tend par conséquent à investir l'employeur des droits sur l'oeuvre, et ce à titre originaire, qu'il s'agisse d'une personne morale ou non. Cela, nous ne pouvons l'accepter.
Veiller à ne pas évincer l'auteur de son oeuvre est une priorité, alors qu'il est de plus en plus soumis aux pressions des producteurs, diffuseurs et concepteurs. Ces derniers, qui s'apprêtent à envahir l'espace culturel de la planète avec leurs produits, considèrent en effet l'auteur comme un obstacle à la rentabilité et au développement de leurs commerces.
Monsieur le secrétaire d'Etat, à Seattle, il faut donc faire prévaloir la conception française du droit d'auteur, plus favorable au créateur ; celle-ci repose sur le droit moral et sur la gestion collective.
Seul le droit moral confère une protection renforcée à l'auteur. L'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle de 1992, qui leur reconnaît un droit à l'intégrité de l'oeuvre, précise en effet que le droit moral est « inaliénable ». En l'absence de droit moral, l'oeuvre peut être défigurée, mutilée, transformée à l'idée du marchand, sans que l'auteur ait la possibilité d'intervenir.
Les sociétés de gestion collective désignent tout organisme dont le seul but ou l'un des buts principaux consiste à gérer ou à administrer des droits d'auteur ou des droits voisins du droit d'auteur.
Parfois mise en cause, la gestion collective reste pourtant un système irremplaçable, seul à même de préserver efficacement les intérêts du créateur et de l'auteur. Il est bien évident en effet que, si l'auteur conservait l'exercice de ses droits, il serait plus exposé aux pressions des exploitants, soucieux d'obtenir de lui la cession de ses droits. Assurer un exercice efficace de la gestion collective vise donc fondamentalement à protéger l'auteur. L'affaiblissement de la gestion collective entraînerait celui de la protection des ayants droit. Comment, en effet, les sociétés d'auteurs pourraient-elles efficacement défendre les droits des auteurs à l'égard des usagers de leurs oeuvres, si ces mêmes usagers pouvaient obtenir directement des auteurs individuellement des conditions d'utilisation de leurs oeuvres que les sociétés d'auteurs leur refusent ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, excusez-moi d'insister sur ce point, mais il s'agit d'un enjeu fondamental. Tout glissement vers un passage du droit romain au système du copyright doit être absolument évité, à Seattle et dans les mois qui suivront. Ce ne sera pas chose aisée, ni pour vous, ni pour le commissaire européen chargé de défendre les intérêts de Bruxelles.
Au-delà des lobbies professionnels qui, mus par des considérations économiques, cherchent à faire valoir une telle orientation, les interventions des Etats-Unis sur la scène internationale vont également dans cette direction. L'influence considérable de ce pays auprès des organisations internationales pousse à promouvoir l'application du copyright auprès des pays non encore signataires de la convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques, au détriment de la gestion collective.
Les négociations entreprises à l'occasion de l'Uruguay round remettent en cause pour l'instant toute possibilité de faire prévaloir au plan international la conception française du droit d'auteur. Les Etats ne sont pas encore parvenus à s'accorder sur le droit moral. L'article 6 bis de la convention de Berne a été exclu purement et simplement de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Il reconnaît pourtant les droits extrapatrimoniaux des auteurs et créateurs. Une telle exclusion constituerait une grande concession de la Communauté européenne aux Etats-Unis, désarmant l'auteur au bénéfice de l'industrie. Elle marquerait une orientation vers un droit d'auteur d'entreprise, à l'opposé de notre conception traditionnelle.
Face à l'intensification des échanges et aux nouvelles technologies des réseaux, la France a réaffirmé clairement sa position : les oeuvres ne sont pas des marchandises et la création n'est pas seulement l'acte économique de production d'un bien. Les développements potentiels de la société de l'information ne pourront être effectifs sans des contenus de qualité, ce qui suppose que les titulaires de droits y trouvent leur compte. L'information libre de droit sur les réseaux est un leurre dangereux. Pour soutenir la création française, il faut donc veiller à ce que les auteurs et les titulaires de droit soient efficacement protégés, afin que prévale la conception humaniste et personnaliste française de la création.
Il faut donc interdire toute réglementation ou tout accord autorisant, sous couvert d'un libéralisme commercial sauvage, à piller nos répertoires dans un seul but de profit.
La tâche qui vous attend, monsieur le secrétaire d'Etat, ne se limitera pas à un travail de trois ou quatre jours, je veux dire simplement à Seattle. C'est une tâche de trois années qui va commencer le 1er janvier à Genève, et elle sera particulièrement rude ! Vous aurez, en tous les cas, le devoir de défendre notre identité et notre culture. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je me réjouis de l'organisation devant la Haute Assemblée d'un débat consacré à l'ouverture, très proche désormais, d'un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales.
C'est avec la plus grande attention que nous avons suivi le déroulement des discussions préliminaires, tant avec les Etats membres de l'Union européenne qu'avec nos partenaires extérieurs, et nous sommes conscients de l'ampleur et de la complexité de la tâche qui nous attend à Seattle.
A l'instar de mes collègues, j'ai pris connaissance, avec satisfaction et soulagement, de la concrétisation d'une position commune européenne sur l'orientation qu'il conviendrait de donner à cette négociation.
Je garde également l'espoir d'une plus grande sensibilité de nos partenaires quant au bien-fondé de l'ouverture d'un large champ de négociations pour ce cycle du Millénaire, c'est-à-dire sortir de l'agenda intégré, même si nous savons combien la bataille risque d'être rude.
Il est, en outre, un point qui m'inquiète fort et que j'aimerais évoquer dès maintenant sur un sujet tout à fait connexe à celui qui nous réunit ce matin. Nous venons d'apprendre la signature d'un accord entre la Chine et les Etats-Unis qui, si j'en crois les commentateurs, signifierait l'imminence de l'adhésion de ce pays à l'OMC après des années d'âpres discussions préparatoires.
Je suis quelque peu inquiet quant à l'effet d'annonce que les Etats-Unis viennent de réaliser à travers cet accord bilatéral. S'il se révèle que nous sommes là dans le cadre d'une procédure classique d'adhésion, c'est-à-dire d'une négociation bilatérale, qui devra ensuite être déclinée avec les principaux pays de l'OMC, je crains que les Etats-Unis n'utilisent la médiatisation de cet accord pour influencer ce nouveau partenaire dans le cadre des futures négociations multilatérales.
On veut voir aussi, bien sûr, dans cet accord le signe des progrès accomplis par la Chine dans la voie du libéralisme et de l'ouverture économique, et j'adhère à l'idée que l'OMC gagnera en crédibilité en accueillant ce nouveau membre, partenaire essentiel dans l'équilibre mondial de demain.
Rappelons, il n'est pas inutile de le faire, que la Chine est la dixième puissance économique mondiale et qu'elle représente le plus grand marché du monde par le nombre de ses consommateurs.
Aussi, j'aimerais savoir, monsieur le secrétaire d'Etat, quel est votre sentiment sur cet événement considérable et connaître les suites qui, à votre connaissance, devraient lui être réservées.
Je n'ai pas l'ambition d'être exhaustif sur le contenu de ce que pourrait être la négociation de Seattle dans la perspective retenue par l'Union européenne, et je me bornerai à évoquer les trois ou quatre points qui me tiennent particulièrement à coeur, même si mon propos vous semblera de ce fait parfois décousu.
Nous sommes tous très conscients que la réussite de cette négociation suppose une réelle participation des pays en développement au dialogue traditionnel Europe - Etats-Unis pratiqué jusqu'alors. Lorsque l'on compare l'évolution économique des hémisphères Sud et Nord - la récente conférence de la CNUCED à Genève est là pour nous le rappeler -, comment ne pas être consterné par le fossé qui continue de se creuser entre ces deux mondes ? Comment ignorer, au-delà des considérations humanitaires que nous partageons tous, les dangers dont il est porteur pour la stabilité mondiale ?
Bien sûr, quelques économies émergentes sont parvenues à tirer partie de la mondialisation, mais la plus grande part des pays en développement, notamment dans la zone ACP, ont continué de s'appauvrir.
Je souhaite ardemment que le souci exprimé par l'Union européenne de placer l'intégration des pays en voie de développement dans le commerce international au premier rang des priorités soit pargagé par nos partenaires. Je suis convaincu que ceux qui rejettent l'idée même d'un nouveau cycle, au nom de la préservation des pays en retard de développement, effectuent un contresens et que la négociation de Seattle peut être une véritable occasion de corriger, dans une direction favorable, l'évolution des échanges commerciaux et des flux financiers.
Elle doit également rouvrir le dossier relatif à la protection des acquisitions intellectuelles. Je dois vous avouer combien je suis attaché à la défense de la propriété intellectuelle, qui me paraît encore trop insuffisamment protégée, en dépit de l'entrée en vigueur de l'ADPIC obtenu à Marrakech. Il est indispensable que la négociation de Seattle aborde la question des brevets, les inégalités relatives aux conditions d'enregistrement, de reconnaissance et de protection nous pénalisant trop souvent, et ce d'autant plus que 50 % du commerce mondial portera désormais sur des produits protégés par des brevets !
Je ferai une observation similaire concernant la reconnaissance du principe de précaution, qui n'a pour l'heure fait l'objet d'aucune transcription en droit international ou communautaire. J'attends - ou plus exactement nous attendons tous, avec impatience les conclusions d'un rapport commandé par M. le Premier ministre auprès des professeurs Kourilsky et Viney.
Ce concept, formalisé à l'origine pour prendre en compte des considérations liées à l'environnement, a désormais essaimé dans tous les secteurs, notamment dans l'alimentaire, et rend indispensable une définition commune qui soit connue et respectée par tous les partenaires.
Il convient d'appliquer le principe de précaution avec précaution, oserai-je dire, et de l'assortir d'un certain nombre de corollaires pour encadrer sa mise en oeuvre : adaptabilité, proportionnalité, voire compensation. Si l'on ne procède pas ainsi, le risque est évident de passer du principe de précaution au principe de suspicion et, enfin, au principe de l'inaction.
Vous me permettrez un commentaire sur le volet agricole pour considérer l'importance qu'il revêt pour la France.
Premier pays exportateur de produits agricoles transformés, la France a, depuis quelques années, suscité de violentes réactions des Etats-Unis, qui, au travers du FAIR Act de 1996, ont assigné à leur agriculture la mission de reconquérir des parts de marché et ainsi replacé les Etats-Unis au tout premier rang du commerce agroalimentaire mondial. Il conviendra donc de clarifier les mesures de soutien outre-Atlantique, que ce soit l'aide alimentaire, les subventions à l'exportation ou le monopole de certaines sociétés d'Etat à l'exportation, tout cela pour assurer une transparence totale entre pays.
Il importera de défendre un modèle agricole européen d'agriculture compétitive, diversifiée et multifonctionnelle assurant le développement de l'ensemble de nos territoires et de ne considérer en aucun cas le secteur de l'agriculture et de la pêche comme une monnaie d'échange.
Enfin, concernant le Codex Alimentarius, je me devais de faire part de mes inquiétudes quant à l'éventualité d'une prise en compte excessive, à mes yeux, de contingences non scientifiques dans la définition de certaines normes alimentaires.
Le rôle croissant de cette organisation internationale au sein des négociations de l'OMC exige de la part de la France et de l'Europe, d'une part, une présence plus active près de cette instance, de la part tant des administrations que des organisations professionnelles, d'autre part, une extrême vigilance dans la définition des critères à prendre en compte pour la définition des normes alimentaires. N'oublions pas, en effet, que les échanges internationaux de produits alimentaires se chiffrent annuellement entre 350 milliards de dollars et 400 milliards de dollars.
Si nous pouvons nous attendre à un cycle de négociations très dur avec des chances de succès aléatoires, il est un point qui me paraît un bon présage pour le déroulement des futures discussions : c'est le fait que, cette fois, il a été confié à la Commission une mission définie, délimitée, propre à encadrer de manière claire son mandat.
J'y suis particulièrement sensible, car je dois avouer que je conserve un très mauvais souvenir des accords des Blair House en 1992, accords au cours desquels les initiatives de la Commission, en excédant les prérogatives qui étaient siennes, ont induit certaines conséquences proprement catastrophiques.
L'une d'elles, qu'il ne faut pas oublier, est que nous importons désormais 76 % des besoins alimentaires de la filière animale en protéines végétales, ce qui nous place dans une situation de dépendance tout à fait déplorable, tant sur le plan économique que sur le plan sanitaire au travers de la traçabilité des productions.
Enfin, je ne voudrais pas conclure mon propos sans exprimer ma satisfaction de voir les parlementaires associés, en tant qu'observateurs, à cette négociation.
J'y vois le signe d'une volonté de transparence et le souci d'informer, notamment par notre entremise, nos concitoyens qui, d'une manière inconnue jusqu'alors, portent à cette négociation un intérêt grandissant et se sentent partie prenante à ce grand projet, même si certaines réactions de rejet peuvent sembler excessives.
Je souhaite que notre débat d'aujourd'hui contribue aussi à leur information, apaise les craintes qui pourraient être infondées, mais nous éclaire également sur les véritables enjeux de cette conférence historique.
Si je suis favorable au fait de donner au public l'information à laquelle il peut légitimement prétendre, vous me trouverez réservé sur l'oreille - oserai-je dire trop complaisante ? - accordée aux ONG. J'ai lu que 800 ONG seraient présentes en qualité d'observateurs à Seattle, dont 40 % d'origine américaine. Vous ne m'empêcherez pas d'y voir là un risque de lobbying ...
M. Emmanuel Hamel. ... de pressions. Parlez français !
M. Jean Bizet. ... peu compatible avec le souci de transparence que les différents partenaires veulent donner pour la première fois, et je m'en réjouis, à cette « négociation du Millénaire ». (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je trouve très bien que, comme l'année dernière pour l'AMI, le Sénat tienne ce débat sur l'OMC. J'interviens, sans bien sûr l'isoler de l'ensemble des questions de société, sur la culture, qui, dans les dernières négociations commerciales internationales, a joué un grand rôle et a réussi des percées dans la prise en considération de sa spécificité.
La culture n'est pas une marchandise comme les autres. Une poétesse russe a utilisé une métaphore sur cette spécificité, à laquelle on ne touche pas sans blesser la société et les individualités, le statut de l'esprit, la civilisation. C'est comme une fable que La Fontaine aurait intitulé : « La chaussure et l'Art ».
Le matériau des chaussures, le cuir, peut-être estimé, il est fini. Le matériau d'une oeuvre d'art, l'esprit, ne peut être estimé ; il est infini. Il n'existe pas de chaussures pour toujours. Chaque vers de Sapho est donné une fois pour toutes. Des chaussures incomprises, cela n'existe pas, tandis que des vers incompris, ô combien !
Cela dit, ceux pour qui tout cela n'est que babiole continuent leur offensive, et dans plusieurs réunions sur la culture, l'Europe et la mondialisation, je les ai souvent entendu dire que le marché était naturel comme la marée et que les nouvelles technologies étaient naturelles comme la gravitation universelle.
Nous serions ainsi contemporains d'un monde où les moteurs naturels, fatalement fatals, de la vie culturelle, de la vie tout court, seraient le marché et la technologie inventés, je le rappelle, par l'homme et la femme pour s'en servir et où les êtres humains ne seraient que des éléments subsidiaires, des invités de raccroc.
Le GATT à l'origine, l'AMI, le NTM, la convergence ont, tour à tour, voulu asseoir « comminatoirement » une république mercantile universelle sans qu'il y ait, face à elle, une république démocratique universelle. La société serait surpeuplée d'impératifs financiers et dépeuplée de trop de droits de l'homme.
Les artistes n'ont pas cédé et se sont rassemblés pour refuser tout à la fois la fuite en avant, le repli identitaire et l'impuissance démissionnaire. Ils pensaient qu'un peuple qui abandonne son imaginaire aux grandes affaires se condamne à des libertés précaires, comme le disait, dès le 17 novembre 1987, la déclaration des droits de la culture ratifiée devant un Zénith des états généraux de la culture aux 6 000 participants.
Pendant que d'autres noircissaient du papier, les artistes éclairaient du papier en commençant à écrire une alternative. Leur mouvement puissant, et le contenu de ce mouvement, repris par François Mitterrand et le gouvernement Balladur, aboutissait à l'exception culturelle ; repris par Lionel Jospin, faisait capoter l'AMI ; repris par le Premier ministre et Jacques Chirac, faisait retirer le NTM ; repris par Catherine Trautmann, battait à la conférence de Birmingham l'idée grossière de la convergence qui veut que, le transporteur étant le même, les transportés aient le même statut. Vous savez, vous prenez votre voiture, votre femme vous y rejoint et, selon cette théorie, elle... deviendrait un homme. (Sourires.)
Et voilà l'OMC dont, sans illusion, nous n'attendons - je parle toujours de la culture - que ce que nous y mettrons.
Je souhaite avancer quatre idées.
La première : sous les formes les plus variées, les artistes et les passeurs de culture ont multiplié les actions dont l'ampleur a conduit les relais gouvernementaux et européens à continuer d'agir comme en témoigne, pour la culture, l'esprit du mandat de la Commission européenne donné à Pascal Lamy. Pour dire vrai, je l'aurais voulu plus net en reprenant la notion d'exception culturelle. Et je pense qu'à Seattle la délégation gouvernementale française doit être activement vigilante et exigeante, d'autant qu'il y a ces incertitudes dont vous avez parlé, monsieur le secrétaire d'Etat.
Mais je veux dire un mot, précisément, des actions des artistes et de ceux qui les soutiennent.
Ces derniers six mois, nous avons eu - et j'ai participé à toutes - l'organisation d'une conférence internationale par les Verts européens à Bruxelles les 27 et 28 mai, une conférence de l'UNESCO sur l'exception culturelle les 14 et 15 juin, une conférence des états généraux de la culture en Avignon le 26 juillet et, cet automne - j'en oublie ! - l'assemblée - avec présence de l'OMC, de la Commission européenne et des Américains - de l'ARP à Beaune, en Bourgogne, les 22 et 23 octobre, la table ronde des cinquante-huit ministres de la culture à l'UNESCO le 2 novembre, le forum du cinéma européen au Parlement européen à Strasbourg le 16 novembre, le forum mondial des cinémas à Bastia ce dernier 20 novembre, sur l'initiative de la société des réalisateurs de films, où se sont retrouvées et se sont mises d'accord les associations de cinéastes de vingt-trois pays.
Je terminerai par le texte de Marie-Claude Tjibaou et Paul Vergès, publié dans Le Monde du 14 novembre, qui osent - comme ils disent avec modestie - lancer de deux îles de l'océan Indien et de l'océan Pacifique un appel pour la sauvegarde de la diversité culturelle.
J'interprète ce texte venu du Sud comme un souhait que se tienne, à l'image du « Rio de l'environnement » de juin 1992, un rassemblement mondial de la culture. Et mon ardent désir est que, pour fin 2000-début 2001, le Premier ministre décide, au moment où s'ouvre à Seattle la troisième conférence de l'OMC, décide, oui, comme une symbolique se souvenant de l'avenir, que Paris sera le lieu de ce rassemblement jamais réalisé où toutes les cultures de la « pomme ronde », comme disait Claudel parlant de notre planète, feraient le plus beau et le plus grand bouquet composé des cultures, ce qui n'est pas contradictoire avec l'idée que je partage fort de traiter des conditions de la diversité culturelle à l'UNESCO et non à l'OMC.
Deuxième idée : chacun l'a noté, l'expression « diversité culturelle » remplace dans les textes officiels l'« exception culturelle ».
Je vois bien la stratégie : c'est le pluralisme culturel qui est à maintenir et à épanouir. Mais l'exception culturelle ne doit pas être mise de côté ni à la retraite. D'abord, parce qu'elle est symbolique : voilà six ans qu'elle nourrit nos actions, six ans qu'elle est une pratique dont nous devons nous féliciter. Elle est la traduction de cette idée de Michel Torga : « L'universel, c'est le local sans les murs. »
Mais elle est plus encore. Elle est l'ébauche d'un espace public où le marché, pour être présent, n'est pas autoritairement roi. Le Premier ministre, récemment, déclarait reconnaître l'économie de marché, mais pas la société de marché. Précisément, pour que cette société de marché ne soit pas reine en culture, il faut l'exception culturelle à l'économie de marché.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Jack Ralite. C'est un éclat d'avenir que je sens sourdre aussi dans le domaine sportif et dans le domaine du vivant. C'est la naissance d'une responsabilité publique en culture, à tous les échelons de la société, et peu importent les chemins qui y ont mené : comme à la marelle, on va toujours vers le ciel à cloche-pied !
D'ailleurs, il n'y aura pas de diversité culturelle sans exception culturelle. Je sais bien que nous ne sommes pas à une séance du dictionnaire de l'Académie, mais quand on dit : « Je vous aime » à une femme, on lui dit qu'elle est une exception. Lui dire qu'elle est un élément de la diversité féminine, c'est en deçà du coeur ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
Mme Hélène Luc. C'est bien vrai !
M. Jack Ralite. Je veux ici féliciter Mme Trautmann, ministre de la culture, qui ne cesse de montrer l'incontournable liaison entre les deux expressions, comme elle l'a encore fait samedi dernier à Bastia.
Troisième idée : à Seattle, nous voulons préserver l'existant, les acquis du GATT, comme on dit, et éviter les risques de contournement.
Il y a en effet un contournement principal, les nouvelles technologies, qui se présentent sous la forme du commerce électronique.
J'ai été frappé, à la réunion de l'ARP à Beaune, quand Jack Valenti, le patron du cinéma américain, est intervenu. Il a dit à peu près ceci : « Sur ce qui existe, nous arriverons, je crois, à nous entendre, mais cela n'est pas le plus important. L'essentiel sur quoi nous allons concentrer nos efforts, ce sont les nouvelles technologies. »
Je crois que les Américains se préparent à nous présenter une démarche du type régulation a minima pour ce qui existe et pas de régulation du tout pour le nouveau.
Sur cette question, il faut organiser la parade à partir, premièrement, des acquis du GATT - les services audiovisuels ne se différenciaient pas selon la nature du transporteur ; deuxièmement, de l'accord sur les télécommunications de base adopté en 1997 par l'OMC ; troisièmement, du rejet de la convergence à la conférence européenne de Birmingham le 18 avril 1999.
Il faut aussi, et dans un même mouvement, poser beaucoup plus fort et au niveau suffisant, sans doute sans fascination mais surtout sans frilosité, les questions posées par les nouvelles technologies. Et c'est valable pour notre pays, qui est en train de corriger son engagement retardataire, et pour l'Europe qui fait d'autant moins qu'elle en parle plus et qui devrait consacrer beaucoup plus de moyens - je cite un chiffre à la hauteur des exigences : 1 % du PIB - à l'audiovisuel, aux logiciels et à l'informatique.
Selon Jack Valenti, il faut aussi, en rapport avec ces nouvelles technologies, mettre en avant la piraterie ; c'est un vrai problème ! Mais, à Bastia par exemple, les représentants du cinéma américain ont voté contre les conclusions pour le pluralisme culturel, au nom de la liberté de leur cinéma, qui possède en Europe 85 % des programmes.
Oui, il y a des pirates et il faut les combattre, mais il y a aussi des corsaires dont nous devons nous méfier, notamment sur les questions de l'investissement et sur les questions de subventions, qui sont deux autres manières de contourner les idées qui nous sont chères.
Pour conclure sur cette troisième idée, je dirai que j'attends beaucoup d'une initiative internationale des Etats généraux de la culture qui auront lieu en l'an 2000 sur le thème : la culture, l'humanité et les nouvelles technologies, avec l'objectif de civiliser ces nouveaux mondes issus de l'oeuvre civilisatrice et de faire valoir que le droit d'auteur, le droit moral et patrimonial, droit de l'homme fondamental, est parfaitement compatible avec les nouvelles technologies.
Je finis sur la quatrième idée. Toujours du point de vue de la culture, certaines questions avancées par les artistes, longtemps presque seuls, sont aujourd'hui portées dans des secteurs de la vie différents par d'autres citoyens, organisés ou non. Je pense notamment aux membres des ONG, aux agriculteurs, avec la confédération paysanne, aux salariés, avec l'association pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens, l'ATTAC. Si leurs expressions vont dans le même sens, elles sont forcément diversifiées. Ils ont intérêt à se rencontrer et, par exemple, après Seattle, nous tiendrons à Aubervilliers un banquet des états généraux de la culture réunissant paysans, artistes et salariés.
Il y a là une richesse du mouvement à dimension internationale qui veut que l'OMC soit un construit social avec des régulations humaines et non un mécanotechnico-financier avec une autorégulation vaine.
Permettez-moi, pour clore ce propos, de recourir à deux personnalités aujourd'hui disparues. D'abord, Maurice Schumann : « La seule faute que le destin ne pardonne pas au peuple est l'imprudence de mépriser les rêves. » Ensuite, Federico Fellini : « Ce qui est le plus important pour l'homme d'aujourd'hui, c'est de tenir bon, de ne pas laisser aller la tête sous l'eau, mais surtout de savoir regarder au-delà du tunnel, en inventant, si besoin est, un but de salut par notre imagination, notre volonté et, surtout, par notre confiance. Je crois que, vue sous cet angle, l'activité des artistes est aujourd'hui indispensable. »
C'est de tout cela qu'à Seattle je témoignerai. (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Paul Girod.)

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD