Séance du 15 juin 1999






SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Dépôt d'un rapport du Gouvernement (p. 1 ).

3. Fin de mission d'un sénateur (p. 2 ).

4. Fonctionnement des assemblées parlementaires. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p. 3 ).
Discussion générale : MM. Henri Revol, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale ; Ivan Renar, Franck Sérusclat.
Clôture de la discussion générale.

Articles 1er à 3. - Adoption (p. 4 )

Adoption de la proposition de loi.

5. Disparition de la gynécologie médicale. - Discussion d'une question orale avec débat (p. 5 ).
Mme Nicole Borvo, auteur de la question ; MM. Jean Boyer, Guy Lemaire, Mmes Odette Terrade, Dinah Derycke, M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.
Clôture du débat.

Suspension et reprise de la séance (p. 6 )

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN

6. Conférence des présidents (p. 7 ).

7. Présomption d'innocence et droits des victimes. - Discussion d'un projet de loi (p. 8 ).
Discussion générale : Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. Charles Jolibois, rapporteur de la commission des lois ; Louis de Broissia, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles.

Rappel au règlement (p. 9 )

MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le président.

Discussion générale (suite) (p. 10 )

MM. Christian Bonnet, Hubert Haenel, Robert Bret, Michel Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, Bernard Plasait, Alain Peyrefitte, Jean-Jacques Hyest, Jean-Michel Baylet.
Clôture de la discussion générale.
MM. le président, Jacques Larché, président de la commission des lois ; Mme le garde des sceaux.
MM. le rapporteur pour avis, le président.
Mme le garde des sceaux.
Renvoi de la suite de la discussion.

Suspension et reprise de la séance (p. 11 )

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE

8. Famille. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p. 12 ).
Discussion générale : MM. Jean-Louis Lorrain, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale ; Jean Chérioux, Bernard Seillier, Guy Fischer.

Suspension et reprise de la séance (p. 13 )

MM. Gilbert Chabroux, Jacques Machet, Henri de Raincourt, Alain Vasselle, Bernard Murat, le secrétaire d'Etat.
Clôture de la discussion générale.

Question préalable (p. 14 )

Motion n° 1 de M. Estier. - Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Alain Gournac, le rapporteur, Mme Nicole Borvo. - Rejet.

Article 1er. - Adoption (p. 15 )

Article 2 (p. 16 )

MM. le secrétaire d'Etat, Michel Mercier, au nom de la commission des finances.
Irrecevabilité de l'article.

Article 3 (p. 17 )

MM. André Jourdain, le secrétaire d'Etat, Michel Mercier, au nom de la commission des finances.
Irrecevabilité de l'article.

Articles 4 et 5. - Irrecevabilité (p. 18 )

Articles 6 à 10. - Adoption (p. 19 )

Article 11 (p. 20 )

MM. Alain Gournac, le secrétaire d'Etat.
Adoption de l'article.

Articles 12 et 13. - Irrecevabilité (p. 21 )

Article 14. - Adoption (p. 22 )

Article 15. - Irrecevabilité (p. 23 )

Articles 16 et 17. - Adoption (p. 24 )

Articles 18 à 20. - Irrecevabilité (p. 25 )

Articles 21 et 22. - Adoption (p. 26 )

Vote sur l'ensemble (p. 27 )

MM. Guy Vissac, Philippe Nogrix.
Adoption de la proposition de loi.

9. Transmission d'un projet de loi constitutionnelle (p. 28 ).

10. Transmission de projets de loi (p. 29 ).

11. Dépôt de propositions de loi (p. 30 ).

12. Transmission d'une proposition de loi (p. 31 ).

13. Textes soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution (p. 32 ).

14. Dépôt d'un rapport (p. 33 ).

15. Ordre du jour (p. 34 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport pour le débat d'orientation budgétaire.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.

3

FIN DE MISSION D'UN SÉNATEUR

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une lettre lui annonçant la fin, le 10 juin 1999, de la mission temporaire confiée à M. Claude Lise, sénateur de la Martinique, auprès du secrétaire d'Etat à l'outre-mer, dans le cadre des dispositions de l'article LO 144 du code électoral.

Acte est donné de cette communication.

4

FONCTIONNEMENT
DES ASSEMBLÉES PARLEMENTAIRES

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 409, 1998-1999) de M. Henri Revol, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur :
- la proposition de loi (n° 436, 1997-1998) de Mme Hélène Luc, MM. Ivan Renar, Jack Ralite, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mmes Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Jean Derian, Michel Duffour, Guy Fischer, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Louis Minetti, Robert Pagès et Mme Odette Terrade tendant à améliorer la représentation parlementaire au sein de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ;
- la proposition de loi (n° 235, 1998-1999) de MM. Henri Revol, Marcel Deneux, Charles Descours, Pierre Laffitte et Franck Sérusclat tendant à modifier l'article 6 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant d'examiner le contenu de la proposition de loi présentée par la commission des affaires économiques, permettez-moi de rappeler brièvement l'origine, le rôle et le mode de financement de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
L'office est né en 1983, sur l'initiative du Parlement : sa création a été décidée à l'unanimité par l'Assemblée nationale et par le Sénat pour doter le législateur d'un outil indépendant d'évaluation scientifique.
A cette époque, en effet, l'importance et la complexité des choix scientifiques et technologiques en matière spatiale, de télécommunications ou de nucléaire ont fait naître le besoin d'une évaluation parlementaire, indépendante des choix du Gouvernement en matière de politique scientifique et technologique.
Dès 1972 était d'ailleurs créé, dans ce but, un office des choix technologiques auprès du Parlement américain, l' Office of technology assessment - l'OTA - qui a servi de modèle, ce mouvement s'étendant progressivement à l'Europe entière, jusqu'au Parlement européen, qui est désormais doté d'une structure équivalente.
En France, c'est la loi du 8 juillet 1983 qui a créé l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en lui donnant pour mission « d'informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin, notamment, d'éclairer ses décisions ».
A cet effet, il « recueille des informations, met en oeuvre des programmes d'études et procède à des évaluations ».
L'office est composé de huit députés et de huit sénateurs désignés de façon à assurer, au sein de chaque assemblée, une représentation proportionnelle des groupes politiques.
Pour chaque titulaire, un suppléant est désigné. Mis en place pour voter en cas d'absence du membre titulaire, et ce sur le modèle des commissions mixtes paritaires, les membres suppléants ont, en réalité, pour le reste, les mêmes pouvoirs que les membres titulaires et peuvent en particulier être nommés rapporteur. Le droit de vote est d'ailleurs peu fréquemment exercé à l'office, dont les décisions - l'histoire le montre ! - sont souvent consensuelles et sont prises à l'unanimité.
Le texte de la loi de 1983 précise que le président et le vice-président de la délégation n'appartiennent pas à la même assemblée. L'usage veut que la présidence soit assurée, de façon alternative, par un député et par un sénateur, pour des périodes successives de trois ans calquées sur les renouvellements partiels du Sénat.
Le législateur de 1983 a été soucieux de respecter l'équilibre entre la délégation et les commissions permanentes.
Aussi l'office ne peut-il s'autosaisir et doit être sollicité soit par le bureau de l'une ou l'autre assemblée - sur l'initiative du bureau lui-même ou à la demande d'un président de groupe ou soixante députés ou quarante sénateurs - soit par une commission spéciale ou permanente.
Ce mode de saisine respecte les rôles respectifs des commissions et de la délégation et permet une bonne coordination de leurs travaux. Il a d'ailleurs servi de référence lors de l'adoption, en 1996, des lois créant l'Office d'évaluation des politiques publiques et l'Office d'évaluation de la législation, ainsi que, plus récemment, lors de la discussion du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, en ce qui concerne la future délégation à l'aménagement du territoire.
Les sujets abordés par l'office se répartissent à peu près également entre quatre grands thèmes : l'énergie, l'environnement, les nouvelles technologies et les sciences de la vie. Je ne détaillerai pas, bien entendu, la liste impressionnante des rapports rédigés par l'office, ni celle des saisines en cours, mais je tiens à soulilgner qu'il lui ont permis d'acquérir peu à peu, sur certains sujets, une renommée internationale qui a fait de la délégation un vecteur du rayonnement scientifique du Parlement en France, en Europe et dans le monde.
L'office est d'ailleurs assisté, en vertu de la loi de 1983, d'un conseil scientifique constitué de quinze personnalités de haut niveau choisies en raison de leurs compétences dans diverses disciplines scientifiques.
A l'heure où les choix scientifiques paraissent de plus en plus cruciaux, mais également de plus en plus obscurs à nombre de nos concitoyens, la délégation a aussi développé sa fonction d'intermédiaire entre la science et la société, notamment par l'organisation d'auditions thématiques ouvertes au public portant, par exemple, sur la politique spatiale, le nucléaire, les nouvelles technologies de l'information ou les organismes génétiquement modifiés.
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a donc rempli, j'ai la faiblesse de le penser, la mission d'évaluation indépendante, au service du Parlement, que lui avait confiée le législateur en 1983. C'est pourquoi je me permets, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce petit rappel en forme d'hommage à tous ceux, au premier rang desquels se trouvent mes collègues membres de l'office, qui ont contribué à son succès.
La commission des affaires économiques a examiné deux propositions de loi tendant, toutes deux, à modifier la composition de l'office pour en accroître le pluralisme : la proposition de loi n° 436, déposée en mai 1998 par Mme Hélène Luc et plusieurs de ses collègues, tendant à améliorer la représentation parlementaire au sein de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, et la proposition de loi n° 235, que j'ai déposée avec nos collègues Marcel Deneux, Charles Descours, Pierre Laffitte et Franck Sérusclat, membres de l'office, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
La commission a conclu à l'adoption de la proposition de loi dans la rédaction qu'elle vous soumet aujourd'hui, qui reprend la proposition de loi n° 235, moyennant une modification de son article 2.
Estimant que « le pluralisme n'est pas actuellement totalement respecté » à l'office « puisque, par exemple, le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat n'est pas présent au sein de cet organisme », la proposition de loi de Mme Hélène Luc et de plusieurs de ses collègues tend à augmenter le nombre des membres « afin de permettre une amélioration de la représentation des groupes politiques en son sein ».
La solution proposée visait à faire passer la délégation à dix députés et dix sénateurs, au lieu de huit députés et huit sénateurs actuellement, auxquels s'ajouterait un nombre équivalent de suppléants dans chaque assemblée. La délégation comporterait donc quarante membres au total, contre trente-deux aujourd'hui, soit vingt députés et vingt sénateurs. Cet accroissement du nombre de membres permettait une meilleure représentation des groupes aux effectifs les moins nombreux.
J'ai pu constater l'existence d'un large accord sur l'objectif, que je partage, d'accroître le pluralisme, donc la représentativité, de l'office, au service de son indépendance.
La proposition de loi n° 235, que j'ai déposée avec plusieurs de nos collègues membres de l'office, a d'ailleurs, en partie, le même objet. Elle s'attache, en outre, à accompagner la réalisation de cet objectif d'une représentation des différents groupes la plus fidèle possible à leur poids au sein de chaque assemblée et à améliorer le texte de loi en vigueur pour le rendre plus cohérent avec le mode de fonctionnement réel de l'office.
Le texte adopté par la commission, qui reprend la proposition de loi n° 235, prévoit, dans l'article 1er, de supprimer la distinction entre membres titulaires et membres suppléants puisque, comme je l'ai indiqué, il n'y a, dans la pratique, aucune distinction, hormis les votes, qui interviennent très rarement, entre les titulaires et les suppléants. Cette suppression permet d'appliquer à une assiette élargie le mode de calcul proportionnel et d'accroître ainsi automatiquement la représentation des groupes les moins nombreux au sein de la délégation.
En outre, en portant de 16 à 18 le nombre des membres de chaque assemblée au sein de l'office, l'équilibre entre les groupes aux effectifs les plus nombreux et ceux dont les effectifs sont moins nombreux est plus fidèle à leur poids respectif au sein de chaque assemblée.
L'article 1er tend également à inscrire dans le droit une pratique selon laquelle le bureau constitué après chaque renouvellement, c'est-à-dire soit après un renouvellement partiel du Sénat, soit après un renouvellement de l'Assemblée nationale, reste en fonction jusqu'au renouvellement suivant.
Cet article tend, par ailleurs, à remplacer le titre de vice-président par celui de premier vice-président, pour mieux mettre en évidence la place du principal représentant de l'assemblée à laquelle n'appartient pas le président. A ce propos, je souligne l'importance du rôle du président, bien sûr, mais aussi du vice-président, qui représente l'office dans différentes instances.
L'article 2 de la proposition de loi de la commission reporte, pour assurer la continuité de l'office et notamment des saisines en cours, à octobre 2001 l'entrée en vigueur de la loi, afin que les membres titulaires et suppléants de la délégation en exercice restent en fonction jusqu'à cette date. Le texte de loi n'entrerait donc en vigueur pour les deux assemblées qu'à ce moment, ce qui permettra en outre une synchronisation entre l'Assemblée nationale et le Sénat pour le passage de seize à dix-huit membres.
Enfin, l'article 3 vise à porter à vingt-quatre, contre quinze actuellement, le nombre des membres du conseil scientifique chargé d'assister l'office. En effet, la limitation à quinze membres ne permet pas la représentation des diverses disciplines scientifiques qui sont très nombreuses et dont il est souhaitable que s'entoure l'office. Cet accroissement permettra d'augmenter la variété des spécialités représentées au sein du conseil scientifique et de couvrir ainsi le spectre le plus large possible de disciplines.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je demande donc à notre assemblée, au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, d'adopter la proposition de loi dans la rédaction qu'elle vous soumet aujourd'hui. (Applaudissements.)
M. le président. Monsieur le rapporteur, permettez-moi de dire combien les travaux de l'office sont appréciés par l'ensemble de nos collègues pour leur qualité et le suivi d'un certain nombre de dossiers. Je pense, par exemple, au dossier de l'énergie, notamment de l'énergie nucléaire, par lequel l'office s'est particulièrement distingué au cours de ces dernières années.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la proposition de loi présentée par M. Henri Revol, actuel président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, et quatre de ses collègues, représentant la quasi-totalité des groupes parlementaires du Sénat, et qui a pour objet d'améliorer la représentation des députés et des sénateurs au sein de cette délégation parlementaire, est une initiative pertinente, qui recueille le soutien entier du Gouvernement.
L'évaluation est au coeur, en effet, de la démarche législative.
Entre le contrôle, vérification de régularité, et l'expertise, analyse technique, l'évaluation intègre une part de jugement, comporte une analyse des moyens requis, voire, quand elle s'exerce a posteriori, une appréciation des résultats et de leur efficacité.
Le législateur de 1983, qui a créé, dans le scepticisme, rappelons-le, la délégation parlementaire dénommée « Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques », n'a pas choisi la voie de la facilité lorsqu'il s'est placé dans une démarche a priori , dans un domaine jusque-là monopolisé par l'expertise technique et dans une matière, la science et la technologie, où le Parlement était singulièrement et anormalement absent.
Face à un environnement d'une technicité croissante, il était temps que le Parlement se dote d'un instrument lui permettant d'évaluer les conséquences des progrès ou des choix scientifiques et technologiques.
Le bilan aujourd'hui, plus de quinze ans après sa création, est éloquent.
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques est devenu un outil irremplaçable permettant au Parlement de mieux apprécier, en toute indépendance du Gouvernement, les grandes orientations de la politique scientifique et technologique, d'anticiper les conséquences du progrès technique et de réaliser un suivi de certains grands programmes technologiques ou industriels, comme la sécurité et la sûreté des installations nucléaires. Les questions de santé, comme l'amiante, ou les liens entre la santé et l'environnement l'ont également retenu, et dès 1992, avec le rapport de votre collègue M. Franck Sérusclat, il se préoccupait d'éthique biomédicale.
Dès 1990, l'office s'est penché sur les applications des biotechnologies à l'industrie agroalimentaire - nous sommes dans le vif de l'actualité - étude actualisée par le rapport, consacré plus spécifiquement aux OGM, les organismes génétiquement modifiés, de M. Jean-Yves Le Déaut, en juin 1998.
Sur son modèle, deux autres offices, consacrés l'un à l'évaluation de la législation, l'autre à l'évaluation des politiques publiques, ont été créés par deux lois du 14 juin 1996.
L'office est ainsi devenu un instrument efficace au service de l'information du Parlement dans le domaine scientifique, technologique ou industriel. Plusieurs lois prévoient soit son information, soit sa participation dans la désignation de représentants du Parlement au sein de diverses instances, soit encore sa représentation au sein du conseil d'administration de différents organismes.
C'est ainsi qu'en application de l'article 21 de la loi du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, votre collègue M. Claude Huriet et le député M. Alain Claeys ont procédé à une remarquable évaluation de l'application de cette loi, en février dernier. Elle éclairera la mise à jour, pas commode, au premier semestre 2000, de la législation française sur la bioéthique, laquelle a inspiré tant la Convention européenne sur les droits de l'homme et la biomédecine d'Oviedo, signée en 1996, que la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme de 1998.
L'office parlementaire est donc devenu un interlocuteur reconnu par l'ensemble de la communauté scientifique et éducative et il entretient des liens continus avec elle, approfondissant ainsi le dialogue entre monde politique et monde scientifique.
Avec six commissions permanentes, trois délégations parlementaires - à l'Union européenne, pour les problèmes démographiques, pour la planification - trois offices parlementaires, et compte tenu des larges pouvoirs d'investigation et d'information du Parlement, on peut considérer que les parlementaires disposent aujourd'hui des moyens d'information et d'expertise nécessaires à l'exercice de leurs missions.
Image du bicamérisme, ces délégations parlementaires fonctionnent sur le principe de la parité. Elles sont composées d'autant de députés que de sénateurs et gérées alternativement, vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, par l'une puis l'autre assemblée. De nombreux rapports de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ont ainsi été cosignés par un membre de chaque assemblée.
Pourtant, l'étroitesse de leur composition - huit titulaires et huit suppléants dans chaque assemblée, à l'image des commissions mixtes paritaires - fait que le groupe parlementaire communiste républicain et citoyen du Sénat et le groupe RCV de l'Assemblée nationale n'y disposent de représentants qu'en puisant sur le « contingent » des groupes socialistes de chaque assemblée.
Or, les dispositions du paragraphe II de l'article 6 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires précisent que la composition de la délégation doit assurer « une représentation proportionnelle des groupes politiques », ce qui n'est donc pas exactement le cas.
Cette imperfection de la représentation des groupes parlementaires a donc conduit le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat à alerter votre assemblée en déposant une première proposition de loi, le 19 mai 1998. Celle que nous examinons aujourd'hui en reprend l'objectif, tout en proposant de nouvelles modalités.
La proposition de loi, plus audacieuse, porte la composition de l'office à dix-huit parlementaires, en abolissant la distinction, peu opérationnelle et, à vrai dire, tombée en désuétude, entre « titulaires » et « suppléants », les uns et les autres se voyant dans les faits confier les mêmes tâches en qualité de rapporteur d'une étude.
Par ailleurs, elle crée, de manière opportune, un poste de vice-président, qui animera le réseau européen de concertation et d'échanges d'informations avec les structures comparables des autres parlements européens, l' European parliamentary technology assessment.
Afin de permettre la représentation de nouvelles disciplines scientifiques, elle porte, enfin, de quinze à vingt-quatre le nombre de membres du conseil scientifique chargé d'assister l'office.
Le Gouvernement a donc considéré très favorablement - je l'ai dit d'emblée - la proposition de loi et les modifications qui y ont été apportées par votre commission des affaires économiques.
En améliorant la représentation parlementaire de l'office, elle contribue à son meilleur fonctionnement.
Cette application du principe d'équilibre entre les différents groupes parlementaires de la majorité comme de l'opposition gagnerait sans doute à être étendue à d'autres procédures parlementaires.
S'agissant toutefois d'une modification de la composition d'une délégation parlementaire, et afin de respecter l'esprit de la séparation des pouvoirs, le Gouvernement s'en remettra à la sagesse du Sénat sur les conclusions de votre commission des affaires économiques relatives aux propositions de loi qui lui étaient soumises. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'objet des propositions de loi que nous examinons aujourd'hui est le fruit d'un assez large consensus et s'inscrit pleinement dans l'idée que nous nous faisons du rôle du Parlement.
En 1983, par la volonté unanime des deux chambres du Parlement, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques voyait le jour.
Nous connaissons tous la place prise aujourd'hui au niveau tant national qu'international de cette quasi-institution, son rôle éminent dans l'interface entre, d'une part, le monde scientifique en charge de la recherche et de la science et, d'autre part, la sphère du politique amenée à prendre un certain nombre de décisions ayant nombre d'incidences pour la science elle-même.
De cette notoriété, mais pas seulement d'elle, des exigences de la science, de la complexité des choix à effectuer et, enfin, de la multiplicité des champs et des disciplines scientifiques découlent aujourd'hui les deux propositions de loi que nous examinons.
Ces deux textes ont en commun de prévoir le renforcement de la représentation parlementaire au sein de l'office, et nous nous en félicitons. En effet, c'est aussi le résultat d'années d'efforts de notre part, le pluralisme n'étant assuré, M. le secrétaire d'Etat l'a rappelé, que par délégation et par un geste d'amabilité du groupe socialiste.
Mais, je le reconnais, la proposition de loi présentée par le rapporteur M. Revol va plus loin que celle que nous avions déposée initialement, en prévoyant, notamment, un accroissement du nombre de membres du conseil scientifique chargé d'assister l'office, en portant ce nombre à vingt-quatre, contre quinze actuellement.
Il s'agit là d'avancées réelles, pour la science mais aussi pour la représentation parlementaire, et nous nous en félicitons.
De fait, la place prise aujourd'hui par la science, les évolutions de notre société toujours plus technique, plus scientifique, avec toujours plus le risque de dérives « scientistes », nous amènent à reconsidérer les clivages politiques ordinaires afin de donner à chacun, et de manière démocratique, le rôle qui lui revient.
Il y va, pour employer un mot à la mode, d'un pluralisme fondamental qui permet d'enrichir et de conforter, nous n'en doutons pas, les décisions prises par le Parlement dans les champs du scientifique et du technologique.
L'évaluation des choix scientifiques et technologiques pour notre pays justifie quant à elle, au regard de la complexité grandissante de la science et des technologies ainsi que de l'éclatement des disciplines, un accroissement important du nombre des membres du conseil scientifique.
Procédant à ces choix décisifs pour l'office, je souhaiterais rappeler l'attachement de notre groupe à quelques principes, au moment où un certain nombre de décisions politiques sont en cours d'élaboration dans le domaine de la recherche scientifique.
Doter notre pays et sa représentation nationale d'instruments nécessaires à une meilleure compréhension des décisions prises ne doit en rien exclure la communauté scientifique elle-même des choix scientifiques, notamment de la réflexion et des responsabilités qui lui incombent en matière de politique de recherche.
Pour la science - mais c'est aussi vrai pour bien des champs de la connaissance, de la culture et du savoir - l'apport de tous est plus que jamais indispensable.
La démocratie, la citoyenneté, la participation de chacun doivent irriguer l'ensemble des activités de notre société, dans un équilibre permettant d'éviter certaines dérives où les hommes et les femmes n'auraient plus de place.
Nous sommes aujourd'hui appelés, en tant que parlementaires mais aussi individuellement, à faire des choix dont les conséquences sont parfois tout juste esquissées.
Nous vivons dans un monde où l'esprit est touché par les mutations techniques, comme le corps est bouleversé par les mutations biotechnologiques. Avec les autoroutes de l'information, la révolution numérique et les réalités virtuelles, tout ce qui a fait l'homme est affecté dans toutes ses dimensions : mémoire, représentation du monde, imaginaire.
Sans vouloir arbitrer un débat, qui serait myope, entre technophiles et technophobes. Il est vrai que se pose le problème de la maîtrise éthique, esthétique et sociale de ces processus inédits, et qu'il faut veiller à ce que l'homme reste au centre de tout.
Les évolutions de la connaissance génétique, les évolutions biomédicale, la société de l'information, les politiques énergétiques sont des dossiers, pour n'en citer que quelques-uns, en constante évolution et qui appellent un renouvellement continu de la réflexion, en même temps qu'un travail approfondi de l'office.
Le texte qui résultera des propositions que nous examinons permettra à l'office - nous n'en doutons pas - d'être l'instrument toujours mieux adapté à l'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
C'est donc sans réserve aucune que nous voterons le dispositif législatif qui nous est proposé par la commission des affaires économiques. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il m'a semblé pertinent d'évoquer devant vous une expérience personnelle, celle de ma rencontre avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Après des débuts cahotants - à la suite de sa création, en 1983, peu nombreux étaient les sénateurs, voire les députés, à le connaître - l'office a pris maintenant une place incontournable, grâce en particulier au rôle joué par deux de ses présidents, MM. Le Déaut et Revol. Il est aujourd'hui vraiment le lieu où sont posées les questions fondamentales pour l'évolution d'une société.
Je ne reviendrai pas sur le texte qui a été présenté par M. le rapporteur et auquel j'ai donné mon accord en le cosignant ; je souhaiterais simplement faire part au Sénat de quelques réflexions plus personnelles résultant des activités que j'ai pu exercer, des recherches que j'ai pu effectuer et même des découvertes particulièrement utiles à ma formation de parlementaire que j'ai pu faire à l'occasion de mes travaux au sein de l'office.
Sans entrer dans le détail de ces travaux, je soulignerai simplement que, une fois un rapport accepté, des possibilités étonnantes existent : non seulement des possibilités matérielles et financières, mais aussi des possibilités, que l'on garde trop secrètes, à mon avis, liées au travail effectué par les administrateurs. En effet, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, les parlementaires membres de l'office sont aidés par une cohorte étonnante d'administrateurs, dont on n'a le droit de souligner ni le rôle particulièrement nécessaire en matière d'organisation - je pense à cet égard aux déplacements et aux conditions matérielles de travail - ni surtout la capacité extraordinaire d'adaptation à un sujet qui, a priori , n'est pas forcément de leurs compétences initiales. Je souhaiterais donc que l'on puisse réellement associer aux travaux des parlementaires le nom et le rôle des administrateurs, à moins que ceux-ci ne souhaitent garder une certaine distance, ce qui n'est pas impossible. J'avoue en tout cas être souvent gêné que leur rôle ne soit pas reconnu. En effet, les travaux que j'ai eu la chance de voir acceptés par l'office m'ont permis d'acquérir des connaissances et une relative maîtrise dans certains domaines. Je tenais aujourd'hui à souligner, à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi, la grande qualité matérielle du travail au sein de l'office.
Un autre élément particulier m'a aussi apporté de très grandes satisfactions : l'office, composé d'un ensemble d'hommes issus d'horizons politiquement différents, est un lieu de débat tout à fait original marqué par la volonté très manifeste et très efficace de présenter non pas une position politique précise mais les éléments permettant aux parlementaires de choisir leur position en connaissance de cause. Tous les rapporteurs, quels qu'ils soient, ont toujours eu l'audace d'exprimer les avis des uns et des autres sur les sujets les plus controversés, notamment sur ceux qui ont trait aux droits de l'homme, et en particulier sur tout ce que l'on baptise du nom d'« éthique », sans trop savoir quel sens on donne à ce mot.
Par conséquent, l'office est marqué par le souci de réunir dans les rapports des informations contradictoires de façon à permettre ensuite aux parlementaires de se décider en fonction d'options politiques parlementaires.
Telles sont les deux caractéristiques de l'office que je souhaitais souligner en m'associant à la fois à la présentation du rapporteur, M. Revol, et à l'analyse de M. le secrétaire d'Etat.
J'ajouterai une seule question : que se passerait-il en cas de dissolution ? Ce cas n'a en effet pas été prévu par le texte qui nous est présenté.
Tel est l'hommage que je souhaitais rendre à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - Le paragraphe II de l'article 6 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, est ainsi rédigé :
« II. - La délégation est composée de dix-huit députés et dix-huit sénateurs désignés de façon à assurer, au sein de chaque assemblée, une représentation proportionnelle des groupes politiques. Les députés sont désignés au début de chaque législature pour la durée de celle-ci. Les sénateurs sont désignés après chaque renouvellement partiel du Sénat.
« Après chacun de ses renouvellements, la délégation élit son président et son premier vice-président qui ne peuvent appartenir à la même assemblée. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Articles 2 et 3

M. le président. « Art. 2. - La date d'entrée en vigueur de la présente loi est fixée au 1er octobre 2001. » - (Adopté.)
« Art. 3. - La première phrase du paragraphe III de l'article 6 ter de l'ordonnance n° 58-1100 est ainsi rédigée :
« La délégation est assistée d'un Conseil scientifique composé de vingt-quatre personnalités choisies en raison de leurs compétences dans les domaines des sciences et de la technologie. » - (Adopté.)

Intitulé

M. le président. La commission propose de rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi :
« Proposition de loi tendant à modifier l'article 6 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ».
Il n'y a pas d'opposition ?...
L'intitulé est ainsi rédigé.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des affaires économiques sur les propositions de loi n° 436 (1997-1998) et n° 235 (1998-1999).

(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, nous pouvons nous réjouir, pour l'office, de cette unanimité...
Mme Hélène Luc. C'est une très bonne chose !
M. le président. ... et remercier les auteurs des propositions de loi ainsi que M. le rapporteur.

5

disparition
de la gynécologie médicale

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 13 de Mme Nicole Borvo à M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale sur la disparition de la gynécologie médicale.
La parole est à Mme Borvo, auteur de la question.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pourquoi organiser maintenant ce débat sur l'avenir de la gynécologie médicale ?
La question ne date pas d'aujourd'hui : depuis plus d'un an, de nombreux et surtout, dirais-je, de nombreuses parlementaires ont interrogé le Gouvernement, et vous avez eu, monsieur le secrétaire d'Etat, l'occasion de répondre.
La gynécologie médicale, spécialité propre à la France, pratiquée par environ 2 000 médecins spécialistes de ville qui revendiquent plus de six millions de patientes régulières, est menacée, et ce pour deux raisons : l'une tient à la suppression de cette spécialité médicale pour cause d'harmonisation européenne ; l'autre tient à la tendance forte, depuis les ordonnances Juppé, à faire du médecin généraliste un passage obligé avant toute consultation d'un spécialiste.
Aux inquiétudes exprimées, vous avez répondu que, d'une part, les gynécologues obstétriciens - filière unique de formation, à l'heure actuelle - ont toute possibilité de s'orienter vers la gynécologie médicale, ce que certains d'entre eux font d'ailleurs, et que, d'autre part, les médecins généralistes, qui ont la possibilité d'acquérir une formation spécialisée, sont tout à fait aptes à pratiquer la gynécologie médicale.
S'agit-il donc alors d'un débat de spécialistes, d'une querelle corporatiste ? Je ne le pense pas, et c'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que ce débat soit ouvert.
Certes, j'ai été sensibilisée au problème, comme d'autres, par les praticiens et par le comité de défense de la gynécologie médicale qu'ils ont constitué ; mais ce qui m'intéresse en l'occurrence, ce sont les femmes. En effet, 150 000 femmes ont signé une pétition, et il y a là, à mon sens, l'expression d'une forte revendication féminine, une question de société en quelque sorte.
J'apprécie que le Sénat et le Gouvernement aient accepté ce débat. La Haute Assemblée est bien peu féminisée, certes ! Mais la majorité sénatoriale ne cesse de revendiquer sa place comme lieu de réflexion. Nous avons eu ici des débats utiles sur la sécurité sanitaire, sur la drogue, sur les soins palliatifs. Celui d'aujourd'hui a donc tout à fait sa raison d'être.
Débat de société, l'avenir de la gynécologie médicale l'est à double titre. En effet, la création de cette spécialité de la médecine française, en 1966, est liée au mouvement pour le planning familial.
Le fait que 87 % des praticiens soient des femmes et que l'évolution de leur exercice professionnel en ait fait des spécialistes du suivi global des problèmes de santé spécifiques des femmes manifeste que leur existence et leur succcès sont très liés aux luttes des femmes de ces trente dernières années.
Comment ignorer que cette spécialité a largement contribué à la reconnaissance du droit à la contraception, puis à la diffusion de celle-ci, à sortir l'interruption volontaire de grossesse de la clandestinité ou à prendre en compte les troubles de la sexualité ?
Par ailleurs, les consultations de gynécologie médicale ont sans aucun doute largement contribué à la prévention et au dépistage précoce. C'est le cas pour les maladies sexuellement transmissibles et leurs conséquences lourdes, pour le dépistage des cancers du col de l'utérus et du sein, pour les traitements hormonaux et pour la prise en charge des troubles de la post-cinquantaine.
Comment ne pas attribuer au rôle de prévention des gynécologiques médicaux le fait que le nombre des cancers du col de l'utérus - 6 000 environ il y a vingt ans - ait pu être réduit à 1 600 environ actuellement ?
On constate d'ailleurs, dans l'enquête réalisée par la SOFRES pour le comité de défense de la gynécologie médicale, que, pour 93 % des femmes interrogées, le dépistage des cancers féminins est le premier motif de consultation.
De même, on peut attribuer au développement de la prévention, auquel les gynécologues médicaux ont principalement contribué, le fait que les interventions chirurgicales mutilantes physiquement et psychologiquement soient évitées. Par exemple, dans les pays anglo-saxons, qui ne connaissent pas cette spécialité, 30 à 46 % des femmes ont subi une hystérectomie à cinquante ans, contre 14 % des femmes à la fin de leur vie, en France.
J'ajoute que, selon l'Agence internationale pour la recherche sur le cancer, les femmes françaises ont un taux de survie à un cancer du sein nettement supérieur à celui des autres femmes de l'Union européenne.
Ces chiffres sont assez évocateurs. Le suivi gynécologique régulier des femmes par un spécialiste est loin d'être un luxe superflu.
Pourtant, sous couvert d'harmonisation sur le plan européen d'appellations et de conditions d'exercice de certaines spécialités médicales, afin d'assurer, par le biais de la reconnaissance mutuelle des diplômes européens, la liberté d'établissement de professionnels de santé dans l'ensemble des Etats membres, le certificat d'études spéciales de gynécologie médicale, exception propre à notre pays, a été supprimé en 1986.
A moyen terme, puisque cette spécialité a été rayée du cursus universitaire, la gynécologie médicale disparaîtra de façon certaine. Je donnerai quelques chiffres : actuellement, les gynécologues médicaux sont environ 2 000 en France. Il est prévu qu'ils ne soient plus que 1 000 en 2015 et seulement 500 en 2020.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne vous reproche pas d'avoir supprimé la gynécologie médicale, nous savons tous que cette décision a été prise en 1986 par Mme Barzach. Je m'inquiète simplement que le Gouvernement s'accommode de la disparition de la pratique de la gynécologie médicale et continue de s'abriter derrière les contraintes européennes pour justifier la démarche initiale, qualifiée, à tort me semble-t-il, d'incontournable.
La directive européenne de 1993 envisage la reconnaissance mutuelle par les Etats membres des diplômes, certificats et autres titres ouvrant l'accès à l'exercice de la médecine. Elle ne fait pas obstacle à l'existence, en France, d'une spécialité de gynécologie médicale distincte de la spécialité de gynécologie-obstétrique.
Juridiquement, il n'y avait pas matière à harmoniser, à arrêter certains « critères minimaux » de formation, d'enseignement, puisque la gynécologie médicale est une spécialité spécifiquement française et non une spécialité commune aux Etats membres.
La directive européenne n'empêche pas l'existence et la reconnaissance, en France, d'autres spécialités, quitte à ce que les professionnels concernés n'aient pas la possibilité d'exercer hors du territoire national.
Rien, aujourd'hui, ne semble donc justifier le refus de revenir à une double filière de formation, si ce n'est une interprétation restrictive du droit européen, de la démarche d'harmonisation qui, selon nous, doit être synonyme de coordination et non d'uniformisation.
Pourquoi ne pas faire le choix de défendre cette spécificité française et de la promouvoir en Europe, puisqu'elle a largement fait la preuve de son efficacité en termes de santé publique et que d'autres, en Europe, nous l'envient ?
Vous dites, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il n'est pas dans l'intention du Gouvernement de supprimer la pratique de la gynécologie médicale. Soit ! Mais elle ne sera plus pratiquée par des gynécologues médicaux formés spécifiquement à la prévention et aux soins de tous les problèmes gynécologiques des femmes pendant toute leur vie !
Depuis la disparition de la spécialité de gynécologie, un seul diplôme valide une seule et même spécialité, classée chirurgicale : la gynécologie obstétricale, beaucoup plus tournée vers les accouchements à risque, la chirurgie gynécologique et la procréation assistée.
Il ne s'agit pas d'opposer les formations et, n'en n'ayant pas la compétence, je me garderai bien d'émettre un avis technique. Sans aucun doute les deux spécialités se complètent-elles.
Ce qui est, en revanche, prouvé, c'est que, d'une part, le nombre total de gynécologues formés est en diminution - 80 par an actuellement contre 130 gynécologues médicaux et 130 gynécologues-obstétriciens il y a dix ans - et que, d'autre part, seuls 20 % à 30 % de ceux qui sont formés choisissent la gynécologie médicale.
La réforme des études médicales envisagée prévoit aussi l'intervention des médecins généralistes, formés en peu de temps - trois mois - pour assurer la surveillance des grossesses, la contraception, le dépistage et les traitements de la ménopause.
Bien entendu, un certain nombre de généralistes assument depuis longtemps la gynécologie et il n'est pas question de leur dénier cette compétence. Toutefois, ces derniers ont fait ce choix délibérément et continuent de se former. Mais, pour la plupart, ils n'auront ni le temps ni l'envie de prendre en charge une consultation aussi intime.
En outre, nombreuses seront les femmes qui, par pudeur notamment, ne souhaiteront pas consulter leur médecin de famille ou un généraliste pour la gynécologie.
Ecoutons-les : sans ambiguïté, les femmes témoignent qu'elles tiennent à leurs spécialistes. L'enquête réalisée par le comité de défense que j'ai cité tout à l'heure, mais aussi le sondage de la SOFRES pour la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale, vont dans le même sens. Si, aujourd'hui, 60 % des femmes interrogées voient leur gynécologue une fois par an, demain, seule une femme sur cinq, si ces spécialistes n'existent plus en tant que tels et si les généralistes viennent à remplacer les gynécologues, continuera à se faire suivre régulièrement ; 80 % consulteront moins souvent, et 57 % ne consulteront qu'en cas de problème.
Indiscutablement, le remplacement des gynécologues médicaux par les généralistes et les gynécologues-obstétriciens ne va pas de soi.
Vous vous êtes engagé, monsieur le secrétaire d'Etat, dans deux domaines qui relèvent très précisément de la consultation gynécologique : le dépistage du cancer du sein et la relance de la contraception. Je vous en sais gré, bien évidemment, mais ce système n'est pas encore au point.
Les gynécologues médicaux sont précisément à même de contribuer à ces objectifs. Je ne crois pas, au moment où les hôpitaux de proximité et les centres de santé sont, hélas ! en cause, qu'il soit bienvenu de sous-estimer le rôle irremplaçable qu'ils peuvent jouer, eux qui ont la confiance des femmes, dans ces objectifs de santé publique.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pourquoi ne pas s'engager à maintenir la qualité des soins gynécologiques en formant à nouveau de vrais gynécologues médicaux ?
Vous êtes conscient de la pénurie de spécialistes en gynécologie, puisque vous prévoyez d'augmenter le nombre d'étudiants dans la filière gynécologie-obstétrique dans le cursus de l'internat. Toutefois, cela ne semble en rien régler le problème.
Pour les raisons que je viens d'évoquer, face à l'impérieuse nécessité d'apporter une réponse adaptée aux besoins des femmes, on ne peut compter sur la défection d'un certain nombre de gynécologues-obstétriciens qui pourraient choisir la gynécologie médicale.
Des gynécologues médicaux doivent continuer à être formés. Pourquoi ne pas envisager, dans le cadre de la réforme des études médicales, de rétablir la spécificité de la gynécologie médicale comme une spécialité à part entière, sanctionnée par un titre spécifique ? Elle pourrait demeurer dans la filière de gynécologie-obstétrique, où une formation de base à cette discipline serait suivie d'une formation spécifique de gynécologie-obstétrique, oncologie et chirurgie, ou encore de gynécologie médicale et médecine de reproduction, débouchant sur deux DES, comme le préconise, par exemple, la fédération nationale des collèges de gynécologie médicale.
Une autre solution est possible avec la formation d'une nouvelle filière spécifique à la gynécologie médicale.
Je l'ai dit, monsieur le secrétaire d'Etat, une deuxième raison montre que ce débat est sérieux : le Gouvernement s'attache à assurer à tous les Français l'accès aux droits fondamentaux ; or le droit à la santé, comme chacun sait, est un droit essentiel. Chacun doit pouvoir accéder à des soins de qualité, à la prévention, mais doit aussi demeurer libre de choisir son médecin.
Intervenant dans le cadre de la discussion du projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle, j'ai eu l'occasion de rappeler combien nous étions hostiles à la généralisation du médecin référent et aux filières de soins initiées par le plan Juppé.
Le contrat de fidélité qu'aura signé une femme avec son médecin référent restreindra sa liberté de consulter directement en gynécologie.
Le « plan stratégique » préconisé par la CNAM ne peut que nous inquiéter davantage.
Certes, à l'heure actuelle, toutes les femmes ne consultent pas régulièrement un gynécologue. Mais elles sont environ 60 % à le faire une fois par an, et cette consultation est en progression indiscutable. On ne peut la dissocier de l'existence de gynécologues médicaux de ville !
Si la généralisation du médecin référent a pour effet de différer cette consultation ou de l'encadrer, elle aura des conséquences négatives et sélectives.
En effet, la prise en charge par la sécurité sociale sera conditionnée au passage par le médecin référent, qui décidera ou non de proposer une consultation gynécologique, ou à la mise en place de dépistages organisés, à condition de s'y soumettre et qui, de toute façon, ne peuvent prendre en compte l'ensemble des problèmes de santé suivis par les gynécologues. En revanche, la consultation gynécologique directe sera mal ou ne sera pas remboursée, et donc réservée à un petit nombre. Les exemples chez nos voisins européens qui pratiquent peu ou prou ce système nous montrent que ce n'est pas le chemin à suivre.
Quelles garanties pouvez-vous apporter, monsieur le secrétaire d'Etat, pour qu'en aucun cas les femmes ne soient obligées de passer par un généraliste référent avant d'accéder à son gynécologue ?
Les décisions que nous prendrons en la matière ne manqueront pas de conditionner le type de médecine et de système de soins que nous choisirons effectivement pour demain. Je crois savoir, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous avez mis en place une commission chargée d'étudier ce problème. Je souhaite vous dire, pour terminer mon propos, qu'il s'agit là non pas d'un problème de spécialistes et de professionnels, mais d'une question de société pour laquelle il importe de prendre une décision politique. (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 22 minutes ;
Groupe socialite, 18 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 8 minutes.
La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le secrétaire d'Etat, mon intervention sera en harmonie parfaite avec celle de Mme Borvo. Je suis donc un peu confus de vous l'imposer une nouvelle fois ! Je tiens cependant à dire combien ce dossier est important, puisqu'il trouve par définition des dénominateurs communs.
La gynécologie médicale est une spécialité propre à notre pays. Créée en 1965, cette spécialité, que tous nos voisins européens nous envient, a permis d'obtenir des résultats sanitaires remarquables.
Depuis trente ans, le dépistage et la prévention des cancers féminins ont été très nettement améliorés : chez les femmes régulièrement suivies, le nombre des cancers du col de l'utérus est passé de près de 6 000 en 1975 à 1 600 en 1995 ; la mortalité par cancer du sein chez les femmes de cinquante à soixante-neuf ans a été abaissée de 20 % à 30 %.
De très bons résultats ont été également obtenus dans la prévention des maladies sexuellement transmissibles, des infections, de l'hystérectomie et des ostéoporoses.
Enfin, la gynécologie médicale a contribué à la diminution des interventions mutilantes, des stérilités et des interruptions volontaires de grossesse.
Mais, au nom de l'uniformisation européenne, cette spécialité a été supprimée en 1986. Depuis treize ans, on n'enseigne plus la gynécologie médicale et il n'y aura quasiment plus un seul gynécologue médical dans vingt-cinq ans. Aujourd'hui, au nombre de 1 920, dont 87 % de femmes - c'est à souligner -, ces spécialistes ne seront plus que 1 000 en 2015 et 500 en 2020.
Pouvez-vous nous préciser, monsieur le secrétaire d'Etat, en quoi le droit européen impose la suppression de la spécialité de gynécologie médicale ?
Cette disparition pose plusieurs questions auxquelles il n'a pas encore été répondu de manière satisfaisante.
Le succès de la gynécologie médicale tient, en effet, tout autant à une formation spécifique qu'aux relations de confiance qui s'établissent entre médecin et patient.
Qui prendra la relève des gynécologues médicaux actuels ? A qui sera désormais dispensée la formation de gynécologie médicale, et le sera-t-elle effectivement ?
De nombreuses questions écrites vous ont été adressées, monsieur le secrétaire d'Etat, dont la mienne en date du 20 mai dernier. Jusqu'à présent, vos réponses restent imprécises sur différents points.
Le nombre de places dans la spécialité de gynécologie-obstétrique passerait de 111 cette année à 200 l'année prochaine. Selon vous, « l'expérience montrerait que les femmes spécialistes en gynécologie-obstétrique s'orienteraient plutôt vers la gynécologie médicale ». Vous en déduisez que la moitié au moins de ceux qui sont ainsi formés par l'internat choisiraient la gynécologie médicale, soit une centaine l'année prochaine.
Pouvez-vous nous certifier ces chiffres, monsieur le secrétaire d'Etat ? On constate en effet que les internes de la spécialité se destinent en fait aujourd'hui, pour la plupart, à la chirurgie.
Vous nous avez également indiqué que les gynécologues médicaux et les obstétriciens ont établi un plan de formation en quatre ans. Ce plan comprendrait une base chirurgicale et une base obstétricale d'un an chacune, puis deux ans de formation laissée au choix de l'interne.
Or, depuis la suppression de la spécialité de gynécologie médicale en 1986, les obstétriciens devaient théoriquement être formés à la gynécologie médicale, mais cette formation n'a jamais été asssurée.
Pouvez-vous nous assurer, monsieur le secrétaire d'Etat, que la nouvelle formation prévue ne subira pas le même sort que la précédente ?
S'il y a un nombre insuffisant de gynécologues-obstétriciens, les médecins généralistes seront conduits à prendre la relève. Qu'en sera-t-il de leur formation à la gynécologie médicale ?
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, vous ne donnez guère de poids au facteur subjectif, auquel nous attachons, nous, un très grand prix.
Si 60 % des femmes s'imposent aujourd'hui un suivi gynécologique régulier, c'est en grande partie grâce à la confiance qu'elles ont acquise au fil du temps en leur médecin.
Les femmes choisissent leur gynécologue pour sa compétence, bien sûr, mais aussi pour se confier, parler de leurs problèmes intimes et oser se faire examiner sans trop de gêne.
Comment allez-vous faire pour que ce lien de confiance essentiel s'instaure entre médecins généralistes et patientes ?
Selon un sondage SOFRES réalisé en janvier 1998 - Mme Borvo l'a dit tout à l'heure - 67 % des femmes ne veulent pas consulter un généraliste pour des problèmes gynécologiques. Ce sont autant de femmes qui risquent de renoncer à se faire suivre régulièrement.
Si les femmes n'ont plus la liberté de choisir leur médecin dans ce domaine délicat, nombre d'entre elles risquent de ne plus consulter.
Etant donné les résultats atteints en termes de prévention sanitaire, la réforme de la gynécologie médicale représente, on le voit, un « enjeu de santé publique considérable ».
C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants, au nom duquel je m'exprime, vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous apporter des précisions sur les quatre points que je vous ai indiqués et que je me permets de réitérer.
Premièrement, en quoi le droit européen impose-t-il la suppression de la spécialité de gynécologie médicale ?
Deuxièmement, comment allez-vous maintenir un nombre suffisant de médecins spécialisés en gynécologie médicale ?
Troisièmement, quelle formation leur sera dispensée ?
Quatrièmement, quelle réponse apportez-vous au problème de la confiance entre médecin et patiente ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Lemaire.
M. Guy Lemaire. Monsieur le secrétaire d'Etat, mon intervention au nom du groupe du Rassemblement pour la République s'inscrit, vous vous en doutez, dans le droit fil des interventions précédentes. Mais ce qui nous intéresse, au-delà du constat, qui est le même pour tous, ce sont les solutions que vous allez apporter à ce problème important.
Ainsi qu'il a été rappelé, en vertu d'une législation européenne de 1986, les certificats d'études spéciaux, qui constituaient une filière autre que l'internat pour devenir spécialiste en médecine, ont été supprimés. Celui de la gynécologie médicale en faisait partie.
Comment ne pas regretter que, sous prétexte que les autres pays européens ne formaient pas à cette spécialité, on ait renoncé à l'enseigner en France, plutôt que d'essayer de convaincre nos voisins de son importance ?
Quelles en sont aujourd'hui les conséquences ?
Il reste, à ce jour, un peu moins de deux mille gynécologues médicaux, qui auront tous pris leur retraite d'ici à vingt-cinq ans ; je devrais d'ailleurs dire « toutes », car la profession est très largement féminisée.
Ce constat ne peut qu'être angoissant pour les millions de femmes qui sont suivies par ces médecins et qui s'interrogent sur ce qui leur sera proposé, passé ce délai, pour continuer à bénéficier de soins gynécologiques préventifs, pour elles mais aussi pour leurs filles.
On peut, certes, s'interroger sur les raisons de l'attachement des Françaises à cette spécialité, mais ce qui est certain, c'est qu'elles refusent à juste titre d'y renoncer - on l'a dit - tant ce type d'examen permet de sauver des vies humaines.
En effet, les conséquences positives du développement de ces consultations sont, entre autres, une très importante amélioration de la prévention, les gynécologues médicaux dispensant essentiellement une médecine préventive : prévention des avortements par le conseil en contraception ; prévention des cancers du col de l'utérus et du sein ; prévention des infections, et donc, à terme, d'interventions chirurgicales comme l'hystérectomie ; prévention des effets secondaires de la ménopause.
Il n'est pas besoin de dire l'importance de la prévention, qui a permis, grâce au dépistage précoce, de faire passer le nombre des cancers du col de l'utérus invasifs de 5 992, en 1975, à 1 632 en 1995 et d'abaisser de 20 % à 30 % la mortalité par cancer du sein de la femme de plus de cinquante ans.
La prévention est également source d'économies puisqu'elle évite des interventions ultérieures bien plus lourdes avec des équipes spécialisées et des plateaux techniques fort coûteux.
Il serait regrettable que cette approche médicale soit remplacée, à terme, par une approche chirurgicale.
J'en veux pour preuve - ce rapprochement n'a rien de péjoratif pour les chirurgiens - que, si 14 % des femmes françaises n'ont plus d'utérus après cinquante ans, la proportion varie de 30 % à 46 % dans les autres pays européens, où il n'y a pas de gynécologie médicale.
Face à ce constat, qui démontre l'efficacité de la gynécologie médicale, il paraît fort logique que les Françaises soient attachées à son maintien.
La spécialité étant amenée à disparaître, quelles sont les solutions de remplacement que vous proposez, monsieur le secrétaire d'Etat, en réponse à l'angoisse des Françaises ?
Tout d'abord, certains journaux se sont fait l'écho de vos propositions selon lesquelles les médecins généralistes pourraient suivre les femmes après une formation complémentaire en gynécologie médicale de trois mois. On n'ose y croire !
Réduire trois ans de formation à la spécialité de gynécologie médicale à trois mois de stage ne semble pas très sérieux et, en tout cas, pas très efficace. Palper un sein à la recherche d'un nodule ou pratiquer une biopsie après un frottis douteux ne s'improvise pas ! Disant cela, je ne vise pas les compétences d'un certain nombre de généralistes dans ce domaine, mais les généralistes, nous le savons tous, sont déjà fort occupés par ailleurs.
En outre, il est hasardeux de penser que les femmes qui ont pris l'habitude, pour des raisons personnelles, peut-être pour des questions de susceptibilité, d'être soignées par un gynécologue, accepteront volontiers d'aller confier sans réticence leurs problèmes intimes à un médecin généraliste.
Enfin, les médecins généralistes ont-ils envie de prendre en charge le suivi gynécologique de leurs patientes ? Le résultat le plus probable risque d'être une baisse notable de la qualité et de la quantité des actes de prévention.
L'autre solution proposée serait la prise en charge de cette prévention par les gynécologues-obstétriciens. Qui peut le plus peut le moins, effectivement !
Mais, outre le fait que, dès à présent, il y a une pénurie de jeunes médecins s'engageant dans cette spécialité, étant donné les contraintes qui pèsent sur elle et que nous connaissons - fréquentes astreintes et gardes de nuit, responsabilités accrues, etc. - il semble que très peu, parmi eux, considèrent la gynécologie médicale comme une voie intéressante. Certains la considèrent même avec un certain ostracisme, au regard des autres spécialités.
Vous avez déclaré, monsieur le secrétaire d'Etat, que, depuis quelques années, la moitié des internes en gynécologie-obstétrique étaient des femmes et que l'expérience montrait que les femmes spécialistes en gynécologie-obstétrique s'orientaient vers la gynécologie médicale.
J'espère que l'avenir vous donnera raison, mais il semble hasardeux, à l'heure actuelle, de compter sur cette seule hypothèse pour résoudre les difficultés auxquelles nous allons être confrontés.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les femmes ont un énorme besoin d'être rassurées et d'être convaincues que la disparition, aujourd'hui programmée, des gynécologues médicaux ne sonnera pas le glas d'une médecine préventive qui a fait ses preuves et qui est indispensable à une politique de santé réussie. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon amie Nicole Borvo l'a dit il y a quelques instants, à ce jour plus de 150 000 femmes ont signé la pétition lancée par le comité de défense de la gynécologie médicale contre la disparition programmée de cette spécialité, qui a largement contribué, depuis vingt ans, à améliorer la santé des femmes et à éviter certaines maladies et interventions chirurgicales ô combien mutilantes.
Cette spécialité propre à la France, que nombre de pays européens nous envient, n'est plus enseignée depuis 1986.
Sous couvert d'harmonisation européenne, on ne forme plus, actuellement, de gynécologues médicaux, que pourtant les femmes plébiscitent, tant leurs consultations sont adaptées à leur intimité, à leurs besoins spécifiques d'écoute, de prévention et de soins, et ce à toutes les périodes de leur vie et non pas seulement au moment de la grossesse ou de l'accouchement.
La gynécologie médicale est devenue une matière théorique, enseignée aux gynécologues-obstétriciens, dont je ne mets pas en doute les compétences. Mais, indiscutablement, l'approche clinique est bien différente, car fondée essentiellement sur l'obstétrique et la chirurgie. Cette valorisation de l'acte technique se fait parfois au détriment de ce que vous appelez « l'acte intellectuel », c'est-à-dire la consultation personnalisée, centrée sur l'écoute et le dialogue avec le patient. C'est pourtant ce que désirent les femmes !
Au cours de la conférence de presse organisée au Sénat, le 5 mai dernier, sur l'initiative de mon amie Marie-Claude Beaudeau, nous avons toutes et tous pris la mesure du caractère préjudiciable des réformes sur la santé des femmes.
Actuellement, 30 % des étudiants en gynécologie-obstétrique s'installent en gynécologie médicale. Pourtant, la gynécologie médicale est une spécialité à part entière. Elle ne peut vivre, comme vous semblez le proposer, monsieur le secrétaire d'Etat, de la défection de l'obstétrique. Les femmes ne peuvent se résoudre à ce que l'ensemble des compétences des gynécologues de ville soient prises en compte par les médecins généralistes.
Sauf à accepter un recul de la prévention et des dépistages des cancers féminins ou des maladies sexuellement transmissibles, ne pas réactiver la médecine gynécologique serait une régression importante, et ce à l'heure où le Gouvernement s'engage pour permettre à chacun d'accéder à des soins de qualité.
Ce serait aussi un coup porté aux droits des femmes, qui voient dans cette spécialité un acquis pour leur santé, au même titre que le droit à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'espère que le Gouvernement tiendra compte des inquiétudes exprimées et que, demain, un compromis pourra être trouvé pour qu'à nouveau on forme des gynécologues médicaux de qualité.
Enfin, dans ce domaine où le lien de confiance est primordial, vous conviendrez qu'il est inconcevable de dénier aux femmes toute liberté de consulter le médecin de leur choix et de porter atteinte au droit d'accéder directement à la consultation gynécologique.
Pourtant, ces garanties élémentaires d'une médecine de qualité et d'une politique de prévention efficace sont mises à mal par la généralisation du médecin référent.
Face à cette seconde inquiétude, je souhaite que le Gouvernement m'explique comment le libre accès au médecin gynécologue sera garanti en première intention puisque, par essence même, la convention prévoit que l'accès au spécialiste se fait en concertation avec le généraliste.
Sur l'ensemble de ces préoccupations, les femmes sont attentives aux réponses apportées par le Gouvernement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la gynécologie médicale - tous les orateurs l'ont rappelé - est une pratique jeune puisqu'elle a environ trente ans. Elle s'est toutefois intégrée à la vie des femmes au point de devenir une évidence, un droit complètement acquis et dûment associé au combat féministe des années soixante-dix.
Dès lors, il était normal que l'annonce d'une disparition progressive, mais probable, des gynécologues médicaux suscite une telle réaction de la part des femmes. Elles ont pensé à leurs filles, à leurs petites-filles ; elles ont eu le désagréable sentiment d'un retour en arrière.
Sur le terrain du droit des femmes, rien n'est, hélas ! jamais complètement gagné, rien n'est jamais complètement acquis.
Inquiète de ce constat, je vous avais posé, monsieur le secrétaire d'Etat, une question orale au mois de novembre dernier. J'y rappelais l'importance de la gynécologie médicale, et d'abord pour les patientes. Le lien qu'elles tissent avec leur praticien pourrait difficilement être remplacé par des consultations à l'hôpital ou avec le médecin de famille. Il ne s'agit pas là, j'y insiste, d'un caprice féminin. La réalité est autre. Pour des raisons profondes tenant au rapport qu'elles entretiennent avec leur propre corps dans ce qu'il a de plus intime, de nombreuses femmes ne souhaitent pas être suivies par leur généraliste sur le plan gynécologique.
L'une d'elles me confiait récemment qu'il lui était impossible de s'adresser, pour ces questions, à son médecin traitant, qui la suivait depuis l'enfance : la relation entre cette jeune femme et ce médecin renvoyait à l'image paternelle. Elle ne voulait pas non plus être suivie par le gynécologue-obstétricien qui l'avait assistée, avec compétence, pendant sa grossesse et lors de son accouchement, car elle gardait le sentiment d'avoir été regardée non plus comme un individu à part entière mais davantage comme une porteuse d'enfant, je dirai même - elle a employé le mot - comme un ventre.
En revanche, avec sa gynécologue médicale, elle peut aussi évoquer des questions intimes relatives à la sexualité, à la contraception et aux conséquences mêmes de la maternité sur son corps.
Dans ma région, j'anime une association d'information sur les droits des femmes et je peux attester que ces réactions sont communes à de très nombreuses femmes, quel que soit leur âge.
Dans cette question posée au mois de novembre dernier, j'insistais également sur l'importance de la gynécologie médicale au regard de la santé : recul des cancers féminins par une meilleure prévention, prise en charge des ménopauses, et tout cela sans plateau technique lourd, c'est-à-dire à moindre coût pour la sécurité sociale.
Il apparaît également aujourd'hui que, grâce à la gynécologie médicale, qui a vivement promu le principe de conservation, de nombreuses hystérectomies ont été évitées et que la chirurgie endoscopique s'est développée. Les chiffres européens sont, à cet égard, révélateurs : mieux vaut être une femme de cinquante ans en France qu'en Grande-Bretagne.
La réponse, que vous avez bien voulu faire apporter par votre collègue M. Jacques Dondoux, a permis de clarifier certains points à la fin du mois de novembre dernier. Visiblement, cela n'a pas permis d'apaiser le conflit, et je me félicite que la question orale avec débat de Mme Borvo puisse, peut-être, mettre un terme à la polémique.
Cette polémique porte, d'abord, sur l'enseignement de la gynécologie médicale.
La situation actuelle voit des internes occupés successivement par la chirurgie endoscopique, l'obstétrique et la périnatalité. Ces internes n'ont plus le temps d'apprendre la gynécologie médicale, car ils sont souvent de garde, ou en salle d'opération.
L'enseignement de la gynécologie médicale s'est donc progressivement perdu, si bien que l'on se rend aujourd'hui compte que l'on ne trouve plus suffisamment de remplaçants en gynécologie médicale.
Alors, monsieur le secrétaire d'Etat, que proposez-vous de faire pour remédier à cette situation, les certificats d'études spéciales ayant été supprimés en 1982 ? Mes collègues ont évoqué les questions du droit européen, je n'y reviendrai pas.
Il est proposé de créer un internat spécifique en gynécologie obstétrique : quelle sera la place réservée, précisément, à l'enseignement de la gynécologie médicale, à l'intérieur de ces quatre ans de formation ?
Il me semble absolument nécessaire que la voie unique de l'internat en gynécologie-obstétrique comporte un enseignement sérieux, important, de gynécologie médicale et prépare correctement ceux qui souhaitent s'y dédier.
Un groupe de travail réunissant vos services, la Société française de gynécologie, présidée par Mme Clara Pelissier, et la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale, présidée par M. Serfaty, avait esquissé, au mois d'avril, une plate-forme d'accord autour de quatre points. Cette plate-forme a été présentée lors des Assises françaises de gynécologie à Marseille, les 27, 28 et 29 mai dernier.
La première des propositions de cette plate-forme est de créer une voie unique d'enseignement de la gynécologie, un internat de gynécologie-obstétrique - qui, après deux ans d'enseignement commun, se scindera en deux branches distinctes pour l'enseignement de la pratique : la gynécologie-obstétrique, avec la périnatalité, la gynécologie chirurgicale et oncologique ; la gynécologie médicale et la médecine de la reproduction. Cette seconde branche devrait dispenser, pendant deux ans, un enseignement approfondi des pratiques de la gynécologie médicale et permettre une véritable spécialisation des étudiants dans ce domaine.
Cet enseignement - c'est la seconde proposition de cette plate-forme - pourrait être assuré à la fois par les enseignants hospitalo-universitaires et par les praticiens hospitaliers.
Ces derniers, les attachés des hôpitaux, ainsi que certaines personnalités reconnues des collèges de gynécologie médicale, pourraient être chargés d'enseignement. Cela permettrait aux internes de recevoir une formation pratique mieux adaptée à leur spécialisation et les inciterait à assister et à participer aux consultations. Cela serait aussi une reconnaissance des collèges de gynécologie médicale, qui se sont particulièrement illustrés dans la poursuite de la formation en gynécologie médicale après que le certificat a été supprimé en 1984 et qui sont aujourd'hui, en quelque sorte, le fer de lance de la gynécologie médicale européenne.
Je souhaiterais connaître, monsieur le secrétaire d'Etat, votre avis sur ce point. Je voudrais également savoir comment vous comptez précisément différencier, à leur sortie de l'internat, ceux qui se seront formés pratiquement en gynécologie médicale. Seront-ils des gynécologues-obstétriciens médicaux ou des gynécologues médicaux ? Quel titre, quel diplôme les caractérisera ?
Mon second souci porte sur le nombre d'internes que vous comptez former en gynécologie-obstétrique et, partant, en gynécologie médicale.
Vous avez annoncé le chiffre de 200 étudiants, dont la moitié, selon vous, s'orienteront vers la gynécologie médicale.
Vos calculs semblent rapidement faits, permettez-moi de le souligner, puisque vous retenez le nombre de femmes étudiantes et, par une équation assez simple, en déduisez qu'elles s'orienteront toutes vers la gynécologie médicale ! Je ne peux évidemment pas souscrire ce genre de raisonnement.
Les spécialistes considèrent quant à eux qu'un tiers seulement des internes choisiront cette spécialité. Si l'on retient cette dernière hypothèse, on reste, avec 70 gynécologues formés à la gynécologie médicale, assez loin des 130 spécialistes formés par année avant 1986 et nécessaires aujourd'hui.
Le second volet de la polémique a porté sur les filières de santé.
Evidemment, cette interrogation mérite de votre part une réponse et un engagement clair. L'accès direct aux gynécologues, comme aux pédiatres d'ailleurs, doit être garanti. Je sais que le Gouvernement n'a jamais évoqué la possibilité d'un passage obligatoire par le médecin référent ; mais, sur ce point, la rumeur court, enfle, et il est souhaitable, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous y mettiez fin.
Je voudrais, en dernier lieu, évoquer la part que pourront prendre les médecins généralistes dans le dépistage des cancers féminins.
Il me semble que, sur ce point, les positions se sont radicalisées alors qu'elles sont tout à fait conciliables.
Je ne vois pas en quoi une palpation des seins par le médecin de famille ou le généraliste porterait préjudice à l'activité des gynécologues médicaux, qui resteront de toute façon les spécialistes de la femme. Au contraire, une meilleure formation et une attention accrue des généralistes à ces questions pourraient permettre une prévention encore meilleure.
Cela ne veut pas dire qu'il faille réserver le médecin généraliste aux femmes en situation précaire, qui, comme certaines de vos déclarations semblaient le faire croire, monsieur le secrétaire d'Etat, ne pourraient pas se permettre de consulter un spécialiste, créant ainsi une inégalité de soins. Il faut, bien au contraire, les inviter à trouver le chemin du cabinet de gynécologie médicale. La plupart de ces praticiens sont conventionnés, et la couverture maladie universelle permettra sans doute de lever les dernières barrières pécuniaires.
Mais, vous le savez bien, monsieur le secrétaire d'Etat, pour les personnes en grande difficulté, le problème n'est pas que pécuniaire. Certaines de ces personnes rejettent parfois totalement leur corps, voire le maltraitent. Cette dimension est aujourd'hui d'ailleurs souvent prise en compte dans les actions de formation en direction des femmes, notamment des femmes en situation de grande précarité, où l'on tente de réconcilier ces femmes avec leur propre corps.
Les barrières ne sont donc pas que pécuniaires, et cette question ne devra pas être éludée, pour que la CMU produise, là aussi, son plein effet.
Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous puissiez clairement nous dire que la formation qui sera donnée aux généralistes pour le dépistage des cancers féminins ne vise en aucune façon à ce que ceux-ci se substituent aux gynécologues médicaux.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ce sont là beaucoup d'interrogations et de demandes qui rejoignent celles des orateurs qui m'ont précédée à cette tribune.
Je suis consciente de l'échauffement des esprits et je le trouve regrettable, lorsque l'on sait que le monde de la gynécologie n'a jusqu'à présent pas souffert de ses multiples facettes, mais a su au contraire travailler de concert avec les différentes spécialités.
Ce débat aurait pu être évité si une meilleure communication avait été développée. Je connais votre engagement, monsieur le secrétaire d'Etat, et je ne vous ferai pas de procès d'intention. Vous n'êtes pas de ceux qui s'attaquent aux droits des femmes ou essaient de les battre en brèche, bien au contraire ! Mais le temps est venu de lever tout malentendu sur une question qui, on l'a rappelé, dépasse de beaucoup l'ordre médical stricto sensu et devient aujourd'hui un problème de société. C'est aussi un problème des droits des femmes, et je suis sûre, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous y serez extrêmement sensible. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la succession de vos questions. Je m'efforcerai de lever une fois de plus un certain nombre de malentendus, puis de répondre plus précisément à chacun d'entre vous.
Vous craignez, madame Borvo, ainsi que vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs, de voir disparaître les gynécologues médicaux, qui sont actuellement au nombre de 1 800 environ et qui accomplissent un travail de prévention, d'écoute, de diagnostic et de traitement très apprécié et dont je me réjouis une fois de plus.
Tous les chiffres que vous avez cités les uns et les autres, notamment M. Lemaire et M. Jean Boyer, sont justes. Ils reflètent des améliorations dont celui qui est provisoirement en charge de la santé publique se félicite. Bien sûr, ces chiffres sont dus aussi à une meilleure sensibilisation des femmes et à l'amélioration des techniques.
Ces 1 800 gynécologues médicaux sont des médecins généralistes formés, avant 1984, à la gynécologie médicale en trois ans par un CES, un certificat d'études spéciales. L'ensemble des CES ont été supprimés en 1986 au profit d'une formation unique des spécialités médicales passant par l'internat.
Puis-je le repéter ? Si nous ressuscitions les CES d'un coup de baguette magique, la formation en trois ans qu'ils comporteraient ne donnerait le droit à aucun - ou à aucune ! - de ces médecins gynécologues médicaux de circuler à travers l'Europe. La directive européenne précisait simplement - elle n'avait pas d'autre but et n'entraînait pas directement d'autre décision ou adaptation de notre part - que la spécialité d'obstétrique-gynécologie était enseignée en Europe en cinq ans. C'est la vie ! Et il est préférable d'être formé en cinq ans qu'en trois ans.
Si donc nous décidions de rétablir un CES pour cette spécialité - vous comprenez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il faudrait le faire également pour d'autres spécialités, qui monteraient au créneau avec autant de détermination que vous ! - il faudrait alors mettre en place des CES en nombre respectable. Or, aucun de ceux qui suivraient cette formation, en tout cas pour la gynécologie médicale, ne pourrait exercer et s'installer en Europe, ailleurs qu'en France. Nous serions le seul pays à accepter qu'ils exercent leur spécialité.
Votre lecture de la directive européenne n'est donc pas la bonne, même si cette directive n'enjoignait pas, évidemment, d'adopter la voie de l'internat.
La France est aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, le seul pays au monde où existent deux voies de formation de spécialité, ce qui n'est pas supportable. Il faut que l'on raisonne, certes, en fonction de la spécialité de gynécologie médicale, mais également en fonction de la situation des autres pays. Ne m'accusez donc de rien, je ne suis coupable de rien !
Ces dispositions répondaient et répondent toujours, passant par l'internat, à la demande de la discipline de gynéco-obstétrique, qui souhaite préserver son unité.
Là aussi, je me permets d'insister : la discipline qui ne comporte pas seulement des gynécologues médicaux, souhaite conserver son unité. Est-ce juste ou n'est-ce pas juste ? Il faudrait se poser la question en prenant en considération également d'autres spécialités.
Personnellement, cela me semble plutôt juste. A défaut, nous ferions « éclater » toutes les disciplines et nous serions obligés de sous-spécialiser de larges champs de disciplines.
Dans le groupe de travail, ceux qui travaillent dans cette discipline, que vous avez d'ailleurs cités et qui sont là tout à fait représentés, souhaitent conserver son unité. Je le répète, à la demande de l'Europe, les directives s'imposent à nous pour la reconnaissance mutuelle des diplômes et pour la libre circulation.
Voilà ce que le droit européen nous impose ! C'est tout !
Pour répondre précisément aux questions qui ont été posées par de nombreux orateurs, je dirai qu'il s'agit d'un diplôme polyvalent de gynéco-obstétrique préparé en cinq ans et reconnu par l'Europe.
Personnellement, je suis favorable au maintien de la gynécologie médicale, je le redis devant vous avec détermination.
Pour assurer le renouvellement des gynécologues, nous avons d'ailleurs, les premiers, décidé d'individualiser la filière de gynécologie-obstétrique après le concours de l'internat et d'augmenter le nombre des étudiants : 30 de plus que l'année dernière, soit 111 pour les années 1999 à 2000.
J'entends dire que le nombre de praticiens ne serait pas suffisant dans cette spécialité. Je veux bien ! Mais je vais être obligé d'entendre aussi qu'il en est de même dans toutes les spécialités ! Or pardonnez-moi de vous rappeler non seulement l'existence du numerus clausus , mais également la nécessité de maîtriser les dépenses de santé - il faut appeler un chat un chat ! -, qui ne concernent pas uniquement la discipline qui fait l'objet de notre présent débat. C'est valable pour l'ensemble des disciplines !
Cette année, nous avons accompli un effort puisque nous avons créé 200 postes supplémentaires. Cela n'a pas été facile. Mais ce n'est jamais facile, car, à terme, il faut bien entendu prendre en compte l'ensemble de la démographie médicale.
Nous nous sommes engagés à augmenter encore ce nombre dans les années à venir, pour parvenir à environ 200 internes formés. Si cela n'est pas suffisant, nous reverrons les chiffres ; mais nous les ajusterons à la marge, car nous ne pouvons pas, pour cette spécialité, nous laisser dériver vers une trop grande abondance de médecins. Plus de 50 % de ces étudiants - je ne pense pas me tromper beaucoup sur ce pourcentage - sont des femmes qui se destinent déjà à l'exercice de la gynécologie médicale.
Nous formerons environ 100 gynécologues médicaux, contre 130 avec les CES. Aucune disparition de la gynécologie médicale n'est donc programmée.
Si vous réussissez à me convaincre - et si je parviens moi-même à convaincre tous mes partenaires - que ce nombre n'est pas suffisant, nous en formerons davantage. Mais soyez bien conscients qu'il s'agit non pas d'une spécialité, mais de l'ensemble des spécialités et, au-delà, de l'avenir de la démographie médicale. Pardonnez-moi, mais, encore une fois, j'en suis comptable !
Il a été dit que les internes seraient mal formés à la gynécologie médicale. Ce n'est pas faux. Nous examinons en ce moment même une nouvelle formation théorique à la gynécologie avec les représentants de cette spécialité. Tout le monde est d'accord - je le dis à Mme Derycke en particulier - pour dispenser un enseignement plus poussé. La nouvelle maquette sera prête en septembre 1999, du moins je le souhaite.
Nous avons constitué un groupe de travail composé de représentants de la gynécologie médicale : Mme Clara Pélissier, présidente du collège de gynécologie médicale, M. David Serfaty, président du Syndicat de la gynécologie médicale, M. Maria, représentant des gynécologues-obstétriciens, et Mme Janière, représentante du comité de défense de la gynécologie.
Nous avons décidé d'y adjoindre des représentants du monde de la santé et de l'éducation nationale.
Je suis convaincu que les travaux de ce groupe nous permettront d'atteindre presque tous les objectifs que vous visez.
Je le répète devant vous, la diminution très progressive et dès maintenant prévisible des gynécologues médicaux issus du CES - vous avez cité les chiffres de 1 500 en 2010 et de 1 000 en 2020 - sera compensée par de telles mesures.
Les gynécologues médicaux demandent un diplôme particulier reconnaissant leur orientation médicale au sein de la gynécologie-obstétrique. Ce n'est pas impossible. Nous travaillons, et j'espère que nous parviendrons à un accord, à la modification de l'intitulé du DES, qui pourrait devenir : « gynéco-obstétrique et gynécologie médicales ». Sur la plaque, les choses seraient ainsi biens claires pour les femmes. Nous devons, bien sûr, en discuter avec l'éducation nationale.
Je partage votre sentiment sur la nécessité de pouvoir consulter le médecin de son choix, en particulier le gynécologue médical pour les femmes.
Nous pourrions aussi - c'est l'un des choix que le groupe de travail nous présentera dans quelques semaines - individualiser deux options dans ce diplôme polyvalent, et 100 femmes - 100 j'espère - auront donc un diplôme identifiable de gynécologie médicale.
Pour en terminer avec les chiffres, l'un d'eux est particulièrement frappant, et je m'en réjouis pour mon pays, tout en souhaitant que les autres nous imitent : le taux d'hystérectomie atteint 15 % en France alors qu'aux Pays-Bas, dont on vante très souvent le système d'accès aux soins, il est de 40 %, ce qui est quand même considérable. Avant de critiquer notre système, on devrait d'abord regarder ceux des autres, qui sont plus critiquables ! MM. Jean Boyer et Guy Lemaire ont eu tout à fait raison de le souligner, en Allemagne et en Grande-Bretagne les taux sont de 20 % à 30 %.
Selon Mme Terrade, 30 % des gynécologues se consacrent à la gynécologie médicale à l'issue de l'internat. Je crois, madame le sénateur, qu'il faut tenir compte de ce que font par la suite ces professionnels. En effet, à cause de problèmes de garde, d'installation, et d'autres raisons que l'on peut comprendre, ces femmes et ces quelques hommes se consacrent moins à la gynécologie médicale au sortir de l'internat : dix ans plus tard, le pourcentage est en fait de 50 %. C'est à ce terme qu'il faut peut-être ajuster les chiffres, car, comme vous l'avez souligné les uns et les autres, même si l'on souhaite pratiquer l'obstétrique, à quarante-cinq ans, cette pratique est très contraignante, notamment en raison des gardes.
Par conséquent, d'ici à cinq ans, cette filière comptera 57 % de femmes - je réponds toujours à Mme Terrade - mais des hommes veulent également faire de la gynécologie médicale, et il n'est bien entendu pas question de les en empêcher.
S'agissant maintenant du médecin référent, je vous rappelle que ce dispositif n'est imposé à personne, qu'il a été mis en place conventionnellement entre les partenaires et que je n'ai nullement l'intention - ni d'ailleurs la possibilité - de m'y opposer.
On peut discuter sur les chiffres pour savoir si ce sont 10 % ou 15 % des médecins qui sont intéressés dans les diverses régions ; nous verrons bien. En tout cas, le choix du médecin référent n'étant imposé à personne, à tout moment une femme est libre de consulter son gynécologue médical.
Deux voies seraient possibles, et nous travaillons sur ce point avec le groupe idoine.
Soit la femme s'inscrit chez un médecin référent, et elle doit préciser avec lui qu'elle sera libre de consulter, sans autre formalité, son médecin gynécologue. Pourquoi pas ? Ce n'est pas dans les textes, mais on pourrait introduire une disposition à cet effet. Tout cela sera envisagé par le groupe de travail. Ce sont des propositions que, éventuellement, nous pourrons faire aux partenaires conventionnels ; je ne peux rien faire d'autre aux termes de la loi.
Soit la femme ne s'inscrit pas chez un médecin référent - en effet rien ne l'y oblige, sauf la perspective d'avantages, comme le tiers-payant ; c'est à la femme de peser le pour et le contre dans cette affaire et à nous de bien l'informer, pour qu'elle se décide en connaissance de cause. Dans ce cas, cette femme se retrouve dans la même situation que chacun de nous, à savoir qu'elle est libre de consulter tous les spécialistes qu'elle voudra. Soyons bien clairs sur ce point, même si le dispositif n'est pas encore complètement abouti.
Permettez-moi de vous poser une question, au risque de susciter des réactions : que va-t-on faire pour le pédiatre, pour l'ophtalmologue... ?
Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas la même chose !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Il faut prendre en compte au moins ces deux disciplines, qui posent - ou qui poseraient, je dois parler avec prudence - des problèmes particuliers face au médecin référent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyons clairs - c'est bien ce que vous m'avez demandé ! - si ces trois spécialités sont exclues du champ de la réforme, nous ôtons une partie de sa substance au système du médecin référent. Encore une fois, je ne suis pas en mesure d'agir, car il s'agit de conventions entre les partenaires sociaux. Mais nous devons y réfléchir ensemble.
Je partage entièrement votre sentiment sur la nécessité du libre choix et ce lien très particulier établi entre la femme et son gynécologue médical.
Mme Hélène Luc. Mais alors ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Lorsque l'on n'est pas d'accord, il ne suffit pas de demander : « Mais alors ? » Il nous appartient de mener une réflexion ensemble, et c'est la raison pour laquelle un groupe de travail a été constitué.
Certes, le sujet n'est pas simple.
Vous êtes attachée, madame, je le sais, à la démocratie sanitaire afin que, sur tout notre territoire, nous puissions les uns et les autres, et pas seulement dans cette discipline, accéder au meilleur médecin, celui de son choix, et surtout à la meilleure prise en charge. Vous savez donc qu'il faut considérer le problème dans son ensemble et pas seulement sous l'angle de la gynécologie médicale.
Cependant, encore une fois, je partage vos appréciations sur le caractère particulier de la démarche de la patiente et du lien de confiance dans cette spécialité, ainsi que sur la nécessité d'un examen approfondi qu'en général - mais il y a des exceptions heureuses - la consultation d'un médecin généraliste, pour toutes sortes de raisons tenant à la formation, au temps disponible, etc., ne permet pas.
C'est un problème particulier, mais nous allons le régler.
Mme Derycke estime par ailleurs, et j'en suis d'accord, qu'il nous fallait adopter pour les femmes les plus défavorisées une démarche particulière. En effet, elles ne consultent pas le plus spontanément un gynécologue médical et elles ont échappé, avec le système précédent, qui n'était pas parfait, au dépistage. Je ne dis pas que le système que nous proposons sera parfait. Je crois que la prise en charge du dépistage du cancer sera en tout cas meilleure. Nous voulons que le dépistage, des cancers féminins en particulier, vise le plus de monde possible.
Dans le schéma que nous proposons, nous avons demandé non seulement aux gynécologues médicaux, mais aussi aux médecins généralistes, de prendre en charge l'ensemble du dépistage.
Comme tous les orateurs, Mme Derycke, MM. Boyer et Lemaire, Mme Terrade, nous souhaitons une plus grande efficacité de ces campagnes de dépistage, car nous n'acceptons pas une inégalité d'accès non seulement à ce dépistage, mais plus généralement aux soins. Nous devons donc impliquer les généralistes dans la pratique des gestes de dépistage des cancers féminins. C'est pourquoi nous voulons qu'ils reçoivent une formation dans ce domaine, ce qui n'est pas assez le cas aujourd'hui.
Nous souhaitons que les médecins généralistes aient une formation plus précise également dans bien d'autres domaines, et c'est pourquoi, dès que ce sera possible, nous réformerons profondément le système de formation initiale comme le système de formation continue. Etant donné que nous sommes sur le point d'y parvenir, je ne m'avancerai pas trop.
Cela ne signifie pas pour autant que les généralistes doivent remplacer à terme les gynécologues ! Il s'agit seulement d'assurer une meilleure formation des généralistes, ce que personne ne désapprouvera, je pense.
Nous restons ouverts à la discussion et nous sommes d'accord, madame Derycke, avec la plate-forme que vous avez évoquée. Nous en avons discuté tous ensemble la semaine dernière.
Nous approuvons également les enseignements que vous avez tous cités et le fait que les collèges de gynécologie médicale soient impliqués. Mais cette dernière proposition concernant aussi l'éducation nationale - notre système est ainsi en France, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays - le ministère concerné a été contacté. Il est également d'accord.
Enfin, nous aurons à régler le problème du diplôme.
J'ai indiqué aux membres de ce groupe de travail, dont je vous ai communiqué la composition, que, s'ils souhaitent qu'on leur adjoigne d'autres experts, s'ils souhaitent rencontrer des spécialistes venus d'Europe ou d'ailleurs, nous en sommes d'accord.
Nous avons fixé deux étapes de travail.
Nous souhaitons recevoir les premières propositions en juillet, le reste du travail devant être terminé à la rentrée.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je le répète encore une fois, je ne suis aucunement gêné par le grand nombre de questions écrites ou orales qui me sont adressées et auxquelles je suis heureux de répondre, mais ce qui me navre c'est de voir combien la communication est défaillante.
J'ai déjà dit plusieurs fois que, dans le cadre de la liberté de mouvements qui m'est impartie, je souhaitais le maintien d'une seule filière de formation, évidemment l'internat, avec la garantie d'une formation suffisante renforcée par des stages.
Cela pose en effet le problème des hôpitaux généraux : comment assurer la formation de gynécologie médicale dans les hôpitaux généraux ? Cette question a été posée au groupe de travail car, si nous envisageons une filière de deux ans qui prenne véritablement en compte la gynécologie médicale et que les formateurs fasse défaut, nous aurons fait « chou blanc ». Je ne le souhaite pas ; il faut donc réfléchir à tout cela.
En tout cas, nous ne souhaitons pas - le Gouvernement, Mme Martine Aubry ni moi-même - que la spécialité de gynécologie médicale disparaisse dans notre pays, même s'il est le seul à la conserver. Pour cela, il faut procéder à des adaptations et, apparemment, celles que nous proposions ne vous ont pas paru suffisantes et n'ont pas tari le flot de protestations qui m'ont été adressées, soit par lettre, soit de vive voix, car je reçois très souvent des femmes - pas seulement des femmes d'ailleurs - qui sont très intéressées par cette question.
Je suis d'accord avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour souligner l'importance de cette intimité qui se créée entre le gynécologue médical et ses patientes.
Par ailleurs, les chiffres que nous avons obtenus dans cette discipline sont le meilleur des encouragements et nous allons encore progresser grâce aux propositions du groupe de travail.
Ainsi, dans quelques semaines, nous disposerons de propositions extrêmement solides portant sur la filière de formation, sur le titre de la spécialité, sur la manière d'accéder aux meilleurs services dans les CHU et dans les hôpitaux généraux, pour une bonne formation, tout cela étant compatible avec la circulation de nos excellents gynécologues médicaux dans les quatorze autres pays de l'Union européenne. (Applaudissements.)
M. Emmanuel Hamel. Consultez les sénateurs ! Ceux, du moins, qui sont compétents !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je viens de le faire, monsieur Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Au sein du groupe de travail !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Mais vous serez le bienvenu dans le groupe de travail !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
L'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux. Nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures vingt, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

6

CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS

M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat :

Mercredi 16 juin 1999 :

Ordre du jour prioritaire

A dix heures trente, à quinze heures et le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (n° 291, 1998-1999).

Jeudi 17 juin 1999 :

Ordre du jour prioritaire

A neuf heures trente, à quinze heures et, éventuellement, la nuit :
Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (n° 291, 1998-1999).

Mardi 22 juin 1999 :

A dix heures :

Ordre du jour prioritaire

1° Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, portant création de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (n° 358, 1998-1999).
La conférence des présidents a fixé au lundi 21 juin 1999, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi.
2° Nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, tendant à limiter les licenciements des salariés de plus de cinquante ans (n° 390, 1998-1999).
La conférence des présidents a fixé au lundi 21 juin 1999, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de loi.
3° Nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, modifiant l'ordonnance n° 82-283 du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances (n° 402, 1998-1999).
La conférence des présidents a fixé au lundi 21 juin 1999, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi.
A seize heures et le soir :

Ordre du jour prioritaire

4° Sous réserve de sa transmission, projet de loi de règlement du budget de 1997 (AN, n° 1277).
La conférence des présidents a fixé au lundi 21 juin 1999, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi.
5° Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, d'orientation budgétaire.
La conférence des présidents a fixé :
_ à soixante minutes le temps réservé au président et au rapporteur général de la commission des finances ;
_ à dix minutes le temps réservé à chacun des présidents des autres commissions permanentes intéressées ;
_ à quatre heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le lundi 21 juin 1999.

Ordre du jour complémentaire

6° Conclusions de la commission des affaires économiques et du Plan sur la proposition de loi (n° 394 rectifié, 1998-1999) de MM. Roland du Luart, Gérard Larcher, Philippe Adnot et plusieurs de leurs collègues, portant diverses mesures d'urgence relatives à la chasse (n° 408, 1998-1999).
La conférence des présidents a fixé au lundi 21 juin 1999, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ces conclusions.

Mercredi 23 juin 1999 :

Ordre du jour prioritaire

A quinze heures et, éventuellement, le soir :
Projet de loi relatif à l'élection des sénateurs (n° 260, 1998-1999).
La conférence des présidents a fixé :
_ au mardi 22 juin 1999, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi ;
_ à quatre heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le mardi 22 juin 1999.

Jeudi 24 juin 1999 :

A neuf heures trente :

Ordre du jour prioritaire

1° Suite du projet de loi relatif à l'élection des sénateurs.
A quinze heures :
2° Questions d'actualité au Gouvernement.
L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant onze heures.

Ordre du jour prioritaire

3° Suite de l'ordre du jour du matin.
4° Eventuellement, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.

Mardi 29 juin 1999 :

A neuf heures trente :
1° Dix-neuf questions orales sans débat :
L'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement.
_ n° 461 de M. Jean-Marc Pastor à Mme le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat (règles relatives à la fermeture hebdomadaire des commerces et à la vente du pain) ;
_ n° 495 de M. Franck Sérusclat à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement (retrait du permis de conduire aux cyclistes ayant commis des infractions au code de la route) ;
_ n° 528 de M. Dominique Leclerc à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (réactualisation de la liste des produits inscrits au tarif interministériel des prestations sociales) ;
_ n° 544 de M. Michel Doublet à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité (fonctionnement de la régie des eaux de la Charente-Maritime) ;
_ n° 548 de M. Jean-Pierre Fourcade à M. le secrétaire d'Etat au budget (application de l'article 47 de la loi de finances rectificative pour 1998) ;
_ n° 549 de M. Jean Bizet à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement (fiscalité de l'énergie) ;
_ n° 550 de M. Jean-Patrick Courtois à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement (aménagement de la route Centre-Europe-Atlantique) ;
_ n° 551 de M. Nicolas About à M. le secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants (projet de fermeture de la maison de retraite de Ville-Lebrun) ;
_ n° 552 de M. Marcel-Pierre Cléach à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice (construction de la maison d'arrêt du Mans) ;
_ n° 553 de Mme Dinah Derycke à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement (formation pratique au secourisme et permis de conduire) ;
_ n° 554 de M. Thierry Foucaud à M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale (traitement des patients dialysés en Haute-Normandie) ;
_ n° 555 de M. Alain Vasselle à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement (gestion des déchets) ;
_ n° 556 de M. Gérard César à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement (épandage des boues) ;
_ n° 557 de M. Ivan Renar à Mme le ministre de la culture et de la communication (situation des personnels du ministère de la culture) ;
_ n° 558 de M. Michel Souplet transmise à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie (parution des décrets d'application de la loi sur l'air et biocarburants) ;
_ n° 559 de M. Léon Fatous à M. le secrétaire d'Etat au logement (lutte contre l'insalubrité des logements) ;
_ n° 560 de M. Philippe Madrelle à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement (création d'une voie de contournement par l'ouest de l'agglomération bordelaise) ;
_ n° 562 de M. James Bordas transmise à M. le ministre des affaires étrangères (suspension des procédures d'adoption d'enfants avec le Vietnam) ;
_ n° 564 de Mme Hélène Luc transmise à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie (implantation d'une usine Renault à Choisy-le-Roi).
A seize heures quinze et, éventuellement, le soir :
2° Discours de fin de session du président du Sénat.

Ordre du jour prioritaire

3° Nouvelle lecture, sous réserve de sa transmission, du projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle (AN, n° 1677).
4° Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, sur l'innovation et la recherche (n° 404, 1998-1999).
La conférence des présidents a fixé au lundi 28 juin 1999, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi.

Mercredi 30 juin 1999 :

Ordre du jour prioritaire

A neuf heures trente, à quinze heures et, éventuellement, le soir :
1° Proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au statut de la magistrature (n° 417, 1998-1999).
La conférence des présidents a fixé au mardi 29 juin 1999, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de loi organique.
2° Nouvelle lecture, sous réserve de sa transmission, de la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité (AN, n° 1587).
La conférence des présidents a fixé au mardi 29 juin 1999, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de loi.
3° Deuxième lecture du projet de loi organique, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice (n° 255, 1998-1999).
4° Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice (n° 256, 1998-1999).
La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l'objet d'une discussion générale commune.
La conférence des présidents a, par ailleurs, fixé au mardi 29 juin 1999, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ces deux projets de loi.
Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...
Y a-t-il des observations à l'égard des propositions de la conférence des présidents concernant l'ordre du jour complémentaire ?...
Ces propositions sont adoptées.

7

PRÉSOMPTION D'INNOCENCE
ET DROITS DES VICTIMES

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 291, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. [Rapport n° 419 (1998-1999) et avis n° 412 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite profiter de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui pour vous rappeler le calendrier de la réforme globale de la justice dans laquelle ce texte s'inscrit.
Cette réforme porte sur trois points.
D'abord, elle a pour objectif de rendre la justice plus proche des citoyens. A ce titre, la loi sur l'accès au droit, votée le 18 décembre 1998, va permettre de renforcer la justice de proximité et de mieux adapter ce service public aux besoins de nos concitoyens.
Un décret réformant la procédure civile, publié le 28 décembre 1998, permettra, lui aussi, d'accélérer la justice civile, celle qui concerne l'essentiel des litiges entre particuliers.
Par ailleurs, la semaine dernière, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité, de façon définitive et en termes conformes, le projet de loi renforçant l'efficacité de la procédure pénale, qui avait été également voté à l'unanimité par le Sénat, le mois précédent.
Ensuite, cette réforme a pour objet de rendre notre justice plus respectueuse des libertés. Le projet qui nous réunit aujourd'hui est au coeur de cette préoccupation et constitue le texte clé de ce volet de la réforme.
Enfin, cette dernière vise à garantir l'impartialité de la justice, à faire en sorte que soient conciliées l'indépendance et la responsabilité.
Ce troisième volet de la réforme comprend, en premier lieu, le projet de loi constitutionnel sur le Conseil supérieur de la magistrature, voté en termes conformes par les deux assemblées depuis le 18 novembre 1998. Dès que le Congrès l'aura adopté, les lois organiques d'application pourront être déposées au Parlement.
Il comprend, en second lieu, le projet de loi sur les relations entre le parquet et la Chancellerie, qui sera débattu en première lecture à l'Assemblée nationale dès le 22 juin prochain et qui vous sera soumis à l'automne.
Ainsi, à peine plus de dix-huit mois après l'annonce de la réforme de la justice, je constate que le Parlement est soit saisi des textes y afférents, soit les a déjà partiellement ou totalement adoptés. Aucun retard n'est enregistré dans la mise en oeuvre de cette très importante réforme voulue par le Gouvernement. Celui-ci a donc tenu ses engagements en termes de calendrier.
Le texte dont vous êtes aujourd'hui saisis s'inspire très largement des travaux qui ont été conduits ces dernières années.
Je souhaite ici rendre hommage au travail important réalisé par la commission présidée par le Premier président de la Cour de cassation, M. Truche, commission installée par M. le Président de la République et qui lui a rendu son rapport en juillet 1997.
Le Sénat, de son côté, a conduit, à plusieurs reprises, des réflexions sur cet important sujet de la présomption d'innocence. Je pense notamment aux travaux conduits par votre rapporteur, M. Jolibois, dans le cadre de la mission d'information « Justice et transparence », dont les conclusions ont, bien sûr, été examinées avec attention par le Gouvernement lorsqu'il a élaboré le présent projet de loi. Certaines des dispositions de ce projet de loi, vous le noterez, sont très directement issues des travaux du Sénat.
Je veux également souligner que les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de la réforme qui vous est soumise aujourd'hui ont déjà été mis en place, ce qui est sans précédent dans le domaine de la justice.
Qu'elles sont les principales caractéristiques de cette réforme ?
C'est avant tout une réforme pour les justiciables, pour tous les justiciables.
En effet, l'apport principal de ce texte consiste à rendre notre justice pénale plus respectueuse des libertés, plus proche des citoyens, plus humaine et plus soucieuse de leurs préoccupations, qu'ils soient victimes ou auteurs d'infractions.
Les victimes ont trop longtemps été les oubliés du procès pénal. Agir plus nettement en leur faveur, c'est aussi agir en faveur de nos concitoyens les plus démunis.
La réforme concerne également les personnes suspectées, poursuivies ou mises en cause au cours d'une procédure pénale, et dont la situation doit être améliorée, dans le respect des principes directeurs dégagés par la convention européenne des droits de l'homme.
Cette partie de la réforme concerne, là encore, de très nombreuses personnes. Je rappelle au Sénat que plus de 300 000 personnes sont placées chaque année en garde à vue, que plus de 60 000 sont mises en examen et que plus de 30 000 d'entre elles sont placées en détention provisoire.
Cette réforme touche tous les aspects de la procédure pénale.
Elle touche, bien sûr, l'instruction, qui concerne les affaires les plus importantes, même s'il est vrai que l'instruction, en termes quantitatifs, représente seulement 8 % des affaires dont sont saisies les juridictions.
Mais cette réforme touche également les autres aspects de la procédure pénale : la citation directe, la convocation à délai rapproché, la comparution immédiate, qui représentent 92 % des saisines des juridictions.
Ces dernières procédures visent essentiellement la petite et la moyenne délinquance.
La présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue, le renforcement des droits de la défense à l'audience, les dispositions sur le droit des victimes et la communication s'appliquent à toutes les affaires, et donc à toutes les personnes concernées par la procédure pénale, que ces affaires impliquent ou non l'intervention d'un juge d'instruction.
Je souligne également que cette réforme maintient la procédure actuelle tout en améliorant les droits de la défense.
On voit périodiquement ressurgir le débat sur la question de savoir si nous n'aurions pas intérêt, en France, a adopter la procédure accusatoire, qui est appliquée dans les pays anglo-saxons. Je ne propose pas ce choix parce que la procédure accusatoire me paraît comporter un risque d'inégalité et d'injustice : elle favorise le fort au préjudice du faible, elle accentue les différences sociales et culturelle en ce qu'elle tend à avantager la personne qui a la possibilité de rémunérer un ou plusieurs très bons avocats.
Le système que nous connaissons est meilleur au regard tant de l'efficacité que des libertés individuelles. Je préfère, je le dis clairement, un juge indépendant, qui instruit à charge et à décharge, à des policiers qui exécutent seuls, sans contrôle judiciaire, la plus large part des investigations.
C'est pourquoi le présent projet de loi fait le choix assumé de maintenir le juge d'instruction. J'ai d'ailleurs décidé de lui donner des moyens renforcés, comme le montre la création récente des pôles financiers, destinés à mieux lutter contre la délinquance économique et financière. Je sais que la commission et son rapporteur partagent cette conviction, et je m'en réjouis.
Le projet qui vous est présenté est un texte d'équilibre.
Equilibre, d'abord, entre les droits de l'accusé et ceux de la victime. Il n'y a rien de contradictoire à renforcer les uns et les autres ; il y a là, au contraire, deux objectifs complémentaires.
Equilibre, ensuite, entre l'efficacité de l'enquête et les droits des parties. Le renforcement des droits de la défense ne doit compromettre ni l'efficacité des investigations ni la nécessité de la répression.
Equilibre, enfin, entre la liberté d'expression et le respect de la présomption d'innocence. L'amélioration de la protection de la réputation des personnes mises en cause, quel que soit le stade de la procédure pénale, est nécessaire. Il convient donc de réprimer les atteintes à la dignité humaine. Mais cela ne doit en aucune façon porter atteinte à la liberté de la presse.
Comme l'a plusieurs fois rappelé le Premier ministre, notamment lors de ses voeux à la presse au mois de janvier dernier, aucune mesure conduisant à une limitation de la liberté d'expression ne sera retenue par le Gouvernement.
C'est pourquoi la proposition formulée par la commission Truche visant à interdire la publication du nom des personnes mises en cause n'a pas été reprise. Le choix du Gouvernement est celui du respect de l'information, tout en protégeant la présomption d'innocence par plus de publicité et en sanctionnant, bien entendu, les dérives.
Avant d'aborder la présentation du projet de loi, je souhaite rendre un hommage particulier au travail réalisé par M. Jolibois, rapporteur de la commission des lois. Je tiens également à remercier le président Jacques Larché, qui a conduit pendant plus de trois jours les débats, qui ont été très riches, au sein de votre commission des lois.
Je désire aussi souligner l'esprit constructif avec lequel votre commission aborde ce texte. J'en veux pour preuve les déclarations publiques de M. Jacques Larché - auxquelles je souscris - dans lesquelles il indique que, sur ce texte, un accord avec l'Assemblée nationale aurait lieu d'être recherché.
Je vous ferai part de l'opinion du Gouvernement sur les principaux amendements adoptés par votre commission au fur et à mesure de l'examen des dispositions du projet de loi.
J'en viens maintenant à la présentation du projet de loi.
Ce texte comporte deux chapitres : le premier sur la protection de la présomption d'innocence, le second sur les droits des victimes.
S'agissant du chapitre relatif à la protection de la présomption d'innocence, l'énoncé de ce principe et de ses conséquences sera désormais inscrit en tête du code de procédure pénale. Il s'agit, en effet, d'un principe cardinal de notre droit et de notre procédure.
L'Assemblée nationale a largement remanié, vous le savez, le texte relatif à cette disposition, pour qu'il soit fait référence aux nombreux principes directeurs du procès pénal.
Ensuite, le projet de loi prévoit quatre grandes séries de dispositions : le renforcement des droits de la défense et le respect du contradictoire ; le renforcement des garanties judiciaires en matière de détention provisoire ; le droit à être jugé dans un délai raisonnable ; enfin, la limitation des atteintes à la réputation des personnes.
En ce qui concerne tout d'abord le renforcement des droits de la défense et le respect du contradictoire, le projet de loi prévoit l'intervention de l'avocat au cours de la garde à vue dès la première heure de la mesure, sauf dans les cas de criminalité ou de délinquance organisée. Je rappelle qu'actuellement moins de 10 % des personnes gardées à vue peuvent s'entretenir avec un avocat.
Je me félicite du fait que, sur ce point essentiel, votre commission vous propose de reprendre les solutions prévues par le projet de loi en intégrant les modifications apportées par l'Assemblée nationale, qui ont recueilli mon accord. Il s'agit, bien évidemment, d'un point extrêmement important.
Par ailleurs, le texte tend à étendre les droits des parties au cours de l'instruction. Celles-ci pourront ainsi demander au juge tous les actes qu'elles estiment nécessaires, et non plus uniquement certains actes limitativement énumérés. Leur avocat pourra également demander à ce que certains des actes requis soient effectués en sa présence.
Enfin, le projet de loi a pour objet d'améliorer la procédure du témoin assisté, qui permet à une personne faisant l'objet d'une accusation de bénéficier des droits de la défense sans être mise en examen. Il s'agit là, à l'évidence, de l'une des dispositions majeures de ce texte. Nous connaissons, en effet, l'opprobre qui s'attache à la mise en examen. C'est pourtant, actuellement, le seul moyen de faire bénéficier la personne suspectée des droits de la défense. Le projet de loi permettra désormais de donner à une personne accusée le droit de se défendre, sans pour autant la désigner à l'opinion publique.
Sur ce point important, la commission des lois du Sénat propose d'étendre le champ d'application de la procédure du témoin assisté. Je suis favorable à cette extension, mais je suis réservée sur la partie de l'amendement qui fait obligation au juge d'entendre une personne comme témoin assisté à sa seule demande. J'y reviendrai au cours de la discussion des articles et je vous dirai pourquoi je vous proposerai une rédaction alternative.
Je suis également réservée sur la proposition de la commission tendant à limiter la mise en examen aux hypothèses dans lesquelles il existe des indices « graves et concordants ».
Je rappelle que les textes actuels exigent simplement des « indices » de culpabilité, sans les qualifier, indices qui constituent le « seuil plancher » à partir duquel la mise en examen est possible je dis bien : « possible ». Les « indices graves de concordants », définissent, quant à eux, aux termes de l'article 105 du code de procédure pénale, le « seuil plafond » à partir duquel la mise en examen est obligatoire. A l'heure actuelle, dès lors qu'il y a des indices graves et concordants, la mise en examen est obligatoire.
Je ne peux pas, par conséquent, accepter que le seuil plafond actuel devienne le seuil plancher. En retenant, comme il est proposé, les « indices graves et concordants » aussi bien pour l'obligation que pour la possibilité de mise en examen, on risque de paralyser l'action des juges d'instruction dans un très grand nombre de dossiers.
En revanche, je tiens à dire que je partage totalement votre objectif de limitation de la mise en examen au cas où elle est nécessaire. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement sur ce point, qui pourrait, je le pense - en tout cas, je l'espère - constituer un compromis.
J'en viens à l'amendement de votre commission sur la mise en examen par lettre recommandée, amendement qui appelle des observations.
Je reconnais qu'il est possible d'améliorer cette procédure, et la proposition de votre commission va dans le bon sens. Néanmoins, je souhaite attirer votre attention sur le fait que cette procédure s'adresse essentiellement à une catégorie de mis en examen : ceux qui ne sont pas placés en garde à vue et ceux qui ne sont pas déférés au juge d'instruction. Pour ces derniers, la notification de la mise en examen immédiatement et sans préavis demeure.
D'ailleurs, mettre quelqu'un en garde à vue ou le déférer au juge d'instruction est l'alerte la plus immédiate. Mais je m'en expliquerai plus avant lors de la discussion de l'amendement. Je trouve intéressante l'idée de l'alerte pour les personnes qui ne sont pas placées en garde à vue ou déférées au juge d'instruction.
Enfin, le projet de loi tend à donner la possibilité aux avocats de poser directement des questions aux témoins au cours de l'audience, ce qui n'est pas possible actuellement. Je tiens à souligner que cette avancée concerne tous les procès, que le tribunal ait été saisi directement par le parquet par citation ou en comparution immédiate, ou qu'il soit saisi par un juge d'instruction.
Telles sont les garanties supplémentaires données à la défense.
J'en viens aux importantes dispositions du chapitre II, qui concernent la détention provisoire.
Le texte qui vous est soumis prévoit la création d'un juge de la détention provisoire, juge expérimenté, impartial et objectif, à qui est confiée la responsabilité de décider des placements en détention provisoire. En effet, sur une décision aussi grave, deux regards valent mieux qu'un seul.
Je me félicite que cette partie essentielle de la réforme ait été acceptée par votre commission, sous réserve de certaines adaptations qui, si elles n'emportent pas toujours mon adhésion, ne me paraissent pas remettre en cause la logique du projet de loi.
Néanmoins, je suis réservée sur deux dispositions introduites par votre commission : l'obligation de motivation et d'organiser un débat contradictoire quand le juge de la détention n'envisage pas le placement en détention. Le principe de notre procédure pénale est la liberté. Aucune contrainte ne doit limiter ce principe.
J'en viens aux conditions de placement en détention provisoire et à la durée de la détention.
Le projet de loi a pour objet de limiter les conditions de placement en détention provisoire en matière correctionnelle, ainsi que la durée de la détention provisoire en matière correctionnelle et en matière criminelle. Il convient de distinguer la question des seuils au-delà desquels la détention provisoire devient possible de la question des délais.
Votre commission propose, en matière correctionnelle, un seuil unique de trois ans, qui, je le reconnais, a le mérite de la simplicité. Toutefois, je ne peux donner mon accord à cette proposition, qui affaiblit la répression dans de nombreux domaines sensibles ; j'aurai l'occasion de revenir sur ce point.
Le projet de loi tend à modifier, par ailleurs, les règles relatives à la durée de la détention provisoire.
Votre commission suggère de modifier ces dispositions sur plusieurs points. Elle réduit les cas dans lesquels il n'existerait pas de délai butoir, en supprimant l'hypothèse de la commission rogatoire internationale et celle de la pluralité de crimes. En contrepartie, elle donne à la chambre d'accusation la possibilité, à l'issue de ces délais butoirs, de prolonger elle-même la détention.
Je ne suis pas convaincue, je l'avoue, par ce dispositif, qui me semble apporter des complications inutiles à notre procédure pénale. Il me paraît important de maintenir la possibilité d'une détention plus longue lorsque l'instruction, du fait de la multiplicité des faits, nécessite des investigations complexes.
C'est le cas, notamment, des crimes multiples : on peut penser à ces viols et assassinats commis en 1996 sur quatre jeunes filles, ou encore à la série de crimes qui ont été commis récemment dans l'est de Paris. Ces faits, qui sont d'une gravité particulière, ne peuvent pas être correctement instruits dans les délais retenus par votre commission. Il serait tout à fait dommageable, vous en conviendrez, pour une juste application de la loi pénale, de dissocier ces faits. Ils doivent faire partie de la même procédure d'instruction. Mais nous y reviendrons lors de l'examen des articles.
De même, il me paraît fondamental de conserver une possibilité de détention plus longue lorsque des commissions rogatoires sont en cours. Je pense, en particulier, aux affaires de terrorisme ou à des dossiers compliqués de délinquance économique et financière ayant des ramifications internationales.
J'en viens maintenant à la question de l'indemnisation des détentions provisoires et des frais engagés. Il s'agit là d'un sujet extrêmement important puisqu'il arrive que l'on mette en détention provisoire des personnes qui sont ensuite relaxées ou qui font l'objet d'un non-lieu.
Le projet de loi tend donc à améliorer l'indemnisation des détentions provisoires injustifiées, en instaurant une réparation intégrale de tous les chefs de préjudice, à la suite d'une décision motivée prise au cours d'un débat public.
L'Assemblée nationale a modifié le texte initial du projet de loi afin d'affirmer le caractère automatique de cette réparation, sauf dans certaines hypothèses exceptionnelles, dont la liste - il faut le dire - n'était pas facile à dresser. Votre commission propose, avec sagesse, de réécrire cette liste d'exceptions d'une façon qui me paraît juridiquement plus précise et plus exacte.
La troisième disposition importante du projet de loi concerne le droit à être jugé dans un délai raisonnable. Il s'agit, là encore, de l'une des questions qui préoccupent le plus nos concitoyens. Lorsqu'on est mis en cause dans une procédure judiciaire, il est nécessaire que celle-ci puisse être conclue le plus rapidement possible.
Le projet de loi tend donc à renforcer le droit à être jugé dans un délai raisonnable, en instituant un contrôle de la durée des enquêtes, par le président du tribunal, et des instructions, par la chambre d'accusation et son président, à la demande des personnes suspectées ou mises en examen.
Ces dispositions, très importantes, permettent d'être averti de la durée prévisible de l'enquête ou de l'instruction au moment où celle-ci démarre. Si cette durée doit être prolongée, cela donne lieu à une explication, voire à un recours, selon les procédures que je viens d'indiquer.
Je me félicite de voir que votre commission accepte ces dispositions, tout en déposant des amendements qui en renforcent la cohérence.
J'en viens aux atteintes à la réputation des personnes.
Le projet de loi permet de mieux limiter, de mieux prévenir, de mieux réparer ou de mieux réprimer les atteintes à la réputation d'une personne qui résultent de sa mise en cause au cours d'une procédure judiciaire.
Pour les cas les plus graves, ceux dans lesquels l'atteinte à la présomption d'innocence est la plus patente et la plus inadmissible, le projet de loi crée deux nouveaux délits punis de 100 000 francs d'amende : celui de publication de l'image d'une personne menottée ou entravée et celui de réalisation ou diffusion de sondages sur la culpabilité ou la peine d'une personne poursuivie.
Le projet de loi consacre, par ailleurs, dans le code de procédure pénale, la pratique des communiqués du procureur de la République permettant les « mises au point », à condition qu'elles présentent un caractère objectif et non pas des appréciations subjectives sur le déroulement de l'affaire.
Dans le même esprit, le projet de loi institue de nombreuses « fenêtres de publicité », lors du contrôle de la durée de l'enquête, du placement en détention et en cas d'audience devant la chambre d'accusation, permettant ainsi, à la demande de l'intéressé, un débat public sur les charges. Sur cette question, je dois dire que le Gouvernement s'est très directement inspiré des conclusions du rapport du Sénat Justice et transparence , que j'ai cité tout à l'heure et dont M. Jolibois avait été le rapporteur.
Le projet de loi améliore les dispositions prévoyant que le juge d'instruction ou le tribunal correctionnel doit publier un communiqué en cas de non-lieu ou de relaxe.
Il précise, en outre, que toute mesure utile doit être prise, dans des conditions compatibles avec les exigences de sécurité, pour éviter qu'une personne menottée ou entravée - hypothèse dont le caractère exceptionnel est rappelé par la loi - ne soit photographiée ou ne fasse l'objet d'un enregistrement audiovisuel.
Le projet de loi améliore, enfin, les dispositions sur le droit de réponse, en allongeant les délais, notamment dans le domaine de l'audiovisuel.
La commission des lois ainsi que la commission des affaires culturelles ont déposé un certain nombre d'amendements sur ces dispositions.
Je suis favorable à certains amendements de votre commission des lois, notamment celui qui vise à rétablir, parmi les exceptions aux « fenêtres de publicité », l'hypothèse du risque pour le bon déroulement de la procédure.
En revanche, d'autres amendements déposés par la commission soulèvent, selon moi, d'importants problèmes, sur lesquels je reviendrai en détail lorsqu'ils viendront en discussion. En particulier, je ne crois pas qu'il faille limiter les communiqués du procureur de la République aux seuls objectifs d'assurer le respect de la présomption d'innocence ou de rectifier des informations inexactes. De tels communiqués doivent être possibles, comme cela se fait déjà en pratique, pour prévenir les troubles causés à l'ordre public.
Surtout, je ne suis pas favorable à l'amendement qui vise à étendre les dispositions de l'article 9-1 du code civil. Le texte actuel a été adopté par le Sénat en 1993. (M. Dreyfus-Schmidt fait un signe de dénégation.) Sa rédaction participe d'un véritable équilibre entre le respect de la présomption d'innocence et la liberté de la presse, équilibre que le Gouvernement ne souhaite par voir remis en cause. Je rappelle d'ailleurs que des amendements analogues avaient été déposés à l'Assemblée nationale et que je les ai repoussés.
Le deuxième chapitre a trait aux droits des victimes.
Les victimes ont effectivement trop souvent été les parents pauvres du procès pénal. Certes, d'importants progrès ont été réalisés ces dernières années. Récemment, la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs a donné des droits concrets et significatifs aux victimes de ces infractions, notamment lorsque lesdites victimes sont mineures.
Par ailleurs, j'ai adressé, le 12 juillet 1998, à l'ensemble des juridictions, une circulaire prescrivant de façon précise les actions qu'il convenait de mener en faveur des victimes.
Enfin, le Premier ministre a demandé à Mme Marie-Noëlle Lienemann un rapport relatif à la coordination des actions en faveur de l'aide aux victimes. Ce rapport a été remis à M. Jospin le 26 mars dernier, et a été examiné lors du conseil de sécurité intérieur du 19 avril, à la suite duquel ont été prises les décisions suivantes.
Un plan d'action sur trois ans sera élaboré pour améliorer l'accueil, l'information et l'accompagnement des victimes et de leur famille au sein de l'ensemble des services de l'Etat.
Un conseil national de l'aide aux victimes va être créé. Le décret qui institue ce conseil sera publié prochainement.
Une meilleure articulation avec le réseau associatif devra être assurée. Ce réseau associatif s'est développé notamment depuis le début des années quatre-vingt, à la suite des initiatives qui ont été prises dans ce domaine par M. Robert Badinter. Il convient maintenant de consacrer dans la loi l'ensemble de ces actions, qui sont en effet très salutaires et qui nous permettent d'être plus attentifs aux droits des victimes.
J'examinerai d'abord les dispositions qui permettent aux victimes d'être mieux entendues, défendues, et indemnisées.
D'une façon générale, il est rappelé, en tête du code de procédure pénale, le principe selon lequel l'autorité judiciaire doit veiller à la garantie des droits des victimes tout au long de la procédure.
Le projet de loi consacre dans la loi le rôle joué par les associations d'aide aux victimes. Plus de cent cinquante associations d'aide aux victimes, parmi lesquelles l'INAVEM, que beaucoup d'entre vous connaissent, sont actuellement des interlocuteurs privilégiés des juridictions et ont passé des conventions avec le ministère de la justice. C'est cette réalité judiciaire, aujourd'hui totalement ignorée du code de procédure pénale et pourtant si importante dans la pratique, que le projet de loi légitime et renforce.
Le projet de loi procède, par ailleurs, à trois modifications permettant d'éviter aux victimes de se déplacer lors du procès, ce qui est important pour beaucoup d'entre elles. En effet, il leur donne la possibilité de se constituer partie civile par lettre, pour demander des dommages et intérêts, quel que soit le montant de la demande, par télécopie ou encore dès le stade de l'enquête de police. Ces dispositions, qui peuvent paraître techniques, sont, pour les victimes, très importantes et changent beaucoup de choses dans la vie quotidienne.
Dans le même esprit, le projet de loi donne au tribunal correctionnel la possibilité, après avoir condamné le prévenu, de renvoyer à une audience ultérieure l'examen des demandes de la victime, afin de permettre à cette dernière de fournir des justificatifs et de lui éviter d'avoir à engager un second procès devant le juge civil. Ce sera un motif très important d'accélération de l'indemnisation des victimes.
J'en viens à la protection de la dignité des victimes.
Le texte crée deux nouveaux délits punis de 100 000 francs d'amende : le premier en cas de publication de l'image d'une victime dans des conditions qui portent atteinte à sa dignité ; le second en cas de publication de l'identité d'une victime mineure. La première infraction répond à une nécessité incontestable que l'actualité récente a mise en évidence.
En effet, vous vous en souvenez peut-être, à la suite de la publication par un hebdomadaire de la photographie d'une victime de l'attentat terroriste à la station Saint-Michel du RER, dans des conditions qui portaient gravement atteinte à la dignité de cette personne, des poursuites ont été engagées et elles ont été annulées par la cour d'appel de Paris.
La cour d'appel a considéré que le texte répressif était trop imprécis, et par là même contraire à la Convention européenne des droits de l'homme. C'est la raison pour laquelle il faut définir de façon plus précise la nouvelle infraction pour éviter une telle critique.
L'Assemblée nationale a, par ailleurs, adopté d'autres dispositions qui viennent renforcer les droits des victimes, en favorisant notamment l'information de ces dernières. Pour la plupart, ces dispositions inscrivent dans la loi certaines pratiques judiciaires que préconisait la circulaire que j'ai adressée, en juillet 1998, aux juridictions.
Après avoir présenté les principales dispositions du projet de loi, je souhaite souligner un dernier point : la question des moyens et de la carte judiciaire.
Pour réussir cette réforme, il faut, bien sûr, des moyens, des moyens importants, notamment en ce qui concerne la création du juge de la détention provisoire.
Je rappelle ma position, que j'ai clairement indiquée lors de mon arrivée à la Chancellerie : je ne proposerai pas de réforme qui ne soit pas assortie des moyens correspondants.
C'est le cas du texte que nous examinons aujourd'hui. Les lois de finances pour 1998 et 1999 ont respectivement permis la création de soixante-dix et de cent quarante postes de magistrats. C'est un effort considérable, sans précédent depuis dix ans.
Parmi ces postes figurent, bien évidemment, ceux dont la création est rendue nécessaire pour la réforme dont nous débattons. Par une circulaire du 19 mars 1999, j'ai déjà procédé à la localisation de soixante postes budgétaires dans la perspective de la mise en place du juge de la détention. Il faudra, bien sûr, en inscrire d'autres dans le budget 2000. Mais, en tout cas, soixante postes sont déjà affectés sur la petite centaine de postes qui devrait être nécessaire.
Je souhaite avoir, dans ce domaine, une démarche pragmatique. En effet, les tribunaux de grande instance sont divers dans leur taille et dans leur activité.
Les vingt-deux décisions de détention provisoire prises par le tribunal de grande instance de Guéret ne peuvent donner lieu à une même réponse que les 2 150 décisions prises par le tribunal de grande instance de Paris ou les 209 décisions rendues par le tribunal de grande instance d'Avignon.
Il est par conséquent nécessaire de trouver des solutions multiples et adaptées à la réalité. Il n'est pas possible de répondre, sur tout le territoire, par une solution unique.
Trois hypothèses sont, à cet égard, concevables.
J'ai d'ores et déjà écarté un premier scénario qui aurait consisté à nommer et à créer un emploi de juge de la détention provisoire dans les 187 tribunaux de grande instance. L'activité de l'instruction à Morlaix, Cambrai ou Lure ne nécessite pas la présence d'un juge de la détention à temps plein.
Un deuxième scénario conduit à raisonner à l'échelon des cours d'appel. Certaines d'entre elles, comme celles de Limoges ou de Bourges, comportent un nombre important de petits tribunaux de grande instance à une ou deux chambres. Il est possible d'envisager que des magistrats placés auprès des chefs de cour puissent, par délégation des chefs de cour, venir compléter les juridictions au moment du jugement des affaires, quand le nombre de magistrats n'ayant pas connu de l'affaire n'est pas suffisant. C'est évidemment un problème. Au sein de ces juridictions, le juge qui aura décidé de la mise en détention provisoire ne pourra en effet participer à la formation de jugement. C'est pourquoi nous envisageons la solution du juge délégué par le président, ou la présidente de la cour d'appel.
De plus, une disposition prévue dans le projet de loi, voté par le Parlement et en cours de publication, sur l'efficacité de la procédure pénale devrait permettre de délocaliser certaines affaires sur l'initiative des chefs de cour, quand le tribunal n'est pas en capacité de les juger.
Nous avons donc là deux instruments de souplesse pour répondre à ce problème.
Enfin, dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, à plus long terme, des aménagements pourront être mis en place. Vous le savez, mais je suis prête à y revenir dans le débat, là aussi j'ai adopté une démarche pragmatique.
Je terminerai par le très important amendement déposé par la commission des lois, sur l'initiative de son rapporteur M. Jolibois, qui vise à instituer un recours contre les décisions des cours d'assises.
Je voudrais dire de nouveau - car ce n'est pas la première fois que je m'exprime sur ce point - que je comprends et partage totalement les motivations de cet amendement. Je suis en effet favorable à l'institution d'un tel recours, et c'est pourquoi j'ai demandé à la Chancellerie de travailler depuis plusieurs mois sur cette question. Elle a été soulevée par les députés lors de l'examen du présent projet de loi en première lecture. Je leur ai alors tenu le même langage qu'aujourd'hui.
Tout d'abord, tenter de résoudre le problème par le biais d'un amendement soulève des difficultés importantes. Il convient de faire un choix parmi les différents types de recours envisageables. Votre commission a fait le choix d'une forme d'appel « tournant ». Pourquoi pas ? Mais une fois ce choix fait, les modifications à apporter aux dispositions du code de procédure pénale pour permettre un tel recours sont multiples et délicates.
Or ces conditions ne sont évidemment pas toutes précisées dans cet amendement : je ne crois d'ailleurs pas que votre commission ou votre rapporteur prétendent qu'elles le sont. Par ailleurs, je ne pense pas que l'on puisse adopter une telle réforme au détour d'amendements sur un texte qui concerne un autre sujet. Cette réforme nécessite concertation, réflexion et un travail technique important. Enfin, il convient de connaître le coût d'une telle réforme. Or, on ne peut pas le connaître sans savoir quelles dispositions seront retenues. Encore une fois, je ne souhaite pas donner mon accord au principe d'une réforme sans avoir l'assurance que les moyens nécessaires seront dégagés. Si j'ai pu obtenir ceux qu'exige la présente réforme dès le budget de cette année et dans le budget de l'an prochain, je ne dispose pas aujourd'hui des moyens de réformer la cour d'assises.
Il appartient au Gouvernement de faire des choix et d'établir des priorités. La réforme de la détention provisoire est grande consommatrice de moyens. Le Gouvernement a fait un choix : celui qui vous est présenté par le texte dont nous débattons aujourd'hui. Priorité est donc donnée à la réforme de la détention provisoire.
Voilà pourquoi je ne peux pas être favorable à cet amendement. Je crois devoir le considérer comme un amendement d'appel, dont je partage l'objectif, mais, je le souligne, celui-ci ne pourra pas être atteint à brève échéance.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Dans quel délai ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ce projet de loi dénote un véritable changement de perspective dans l'appréhension des principes généraux de la procédure pénale.
Il tend à rendre chacun des acteurs du procès pénal plus responsable, pour mieux concilier les libertés individuelles et les nécessités de la répression, pour mieux concilier la protection de la présomption d'innocence et le respect de la liberté d'expression.
Je suis persuadée que notre discussion sur ce texte nous donnera l'occasion de progresser sur le chemin de cette réforme à l'évidence ambitieuse, qui devrait constituer un élément important pour permettre à l'opinion publique de retrouver encore davantage confiance dans notre justice. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - MM. Fauchon et Ceccaldi-Raynaud applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte porte un très beau titre : « Projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes ».
Peut-être ce titre n'est-il pas véritablement annonciateur du texte, qui vise à une réforme du code de procédure pénale inspirée par la nécessité de respecter la présomption d'innocence.
Ce projet de loi a essentiellement pour objet de renforcer les droits de la défense et de la personne gardée à vue pendant la première phase de l'enquête préliminaire, c'est-à-dire la phase policière.
Surtout, le projet de loi présente une solution innovante pour tenter d'apaiser les critiques régulièrement formulées contre l'abus de la détention provisoire et le fait que cette dernière puisse être ordonnée par un juge qui instruit le dossier. Pour cela, il est proposé de retirer au juge d'instruction le pouvoir de l'ordonner pour le donner à un juge de plus haut rang dans la hiérarchie, qui pourra la prononcer à la demande du juge d'instruction.
La détention provisoire inutile ou, pis, la détention provisoire d'un innocent doit être écartée dans toute la mesure du possible. Si elle se produit, elle sera indemnisée. Le projet de loi tente d'encadrer cette pratique contestable dans de nombreux cas.
Le projet de loi aborde avec une trop grande réserve, à mon avis, le véritable sujet du projet de loi que son titre laissait espérer. Sur ce point, le gouvernement actuel ne fait pas mieux que les gouvernements qui l'ont précédé, quels qu'ils soient. Peu de mesures sont prises s'agissant des rapports de la justice avec les médias, ce qui n'est pas pour nous étonner. La réforme véritable sur ce point est-elle possible ? Je le crois, mais elle est périlleuse pour celui qui l'entreprend. Tous ceux qui s'expriment sur le sujet ont fait preuve d'une très grande hardiesse de parole suivie d'une troublante inaction.
Enfin, le projet de loi aborde avec efficacité, dans un troisième volet, d'une manière heureuse, le droit des victimes de l'infraction. Ce chapitre donne tout son équilibre au projet de loi grâce à son souci des victimes de l'infraction, lesquelles ne peuvent être oubliées lorsque l'on rappelle, à bon escient, les « droits de l'homme » de celui qui la commet.
Ainsi, le projet de loi prolonge une action déjà engagée pour améliorer le sort des victimes sur plusieurs plans : l'indemnisation des victimes, l'action des associations pour les secourir, leur information, la simplification de la mise en oeuvre judiciaire des réclamations.
L'Assemblée nationale a largement contribué à donner de l'élan à l'action du Gouvernement, sans pour autant détruire la trame du projet de loi ni en corriger les quelques insuffisances. Elle a renforcé le contrôle des mesures de garde à vue et les droits de la défense. Elle a également consacré le statut du témoin assisté, qui a vocation à permettre la diminution des mises en examen intempestives, voire systématiques, et confirmé le droit à être jugé dans un délai raisonnable.
Enfin, l'Assemblée nationale a amorcé un débat sur les rapports entre la presse et la présomption d'innocence, débat qu'elle a subtilement laissé s'évanouir sans le concrétiser par de véritables amendements, ce que nous regrettons. Le débat est toujours chaleureux sur ce sujet, mais les textes efficaces sont toujours l'Arlésienne du droit pénal de la communication.
Le travail de l'Assemblée nationale a enrichi ce texte sans en détruire l'architecture. Il a repris l'essentiel des décisions de la commission Truche, dont le travail remarquable avait été mis en oeuvre sur l'initiative du Président de la République. Dans ce travail, le Sénat a pu légitimement retrouver avec fierté une partie des conclusions du rapport de sa commission des lois sur la présomption d'innocence et le secret de l'instruction - c'est un sujet ô combien d'actualité - publié sous le titre Justice et transparence.
Ainsi, le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale est porteur de beaucoup d'idées et surtout d'espérances en provenance de maintes directions, parfois contradictoires.
La commission des lois a poursuivi plusieurs objectifs : renforcer dans le texte les propositions qu'elle avait, l'une des premières, rendues publiques ; apporter quelques solutions hardies, par exemple dans le domaine tant attendu de l'appel des arrêts de la cour d'assises ; toujours avoir présentes à l'esprit les conclusions d'un travail effectué sur les moyens de la justice par une commission que j'ai eu l'honneur de présider et dont notre excellent collègue Pierre Fauchon était rapporteur. Rien ne serait pire qu'un texte nouveau qui serait condamné à l'inefficacité faute de moyens raisonnables accordés pour le mettre en oeuvre.
C'est pourquoi la commission des lois a été animée du souci d'une double cohérence.
Tout d'abord, pour que le texte soit vraiment utile, il ne faut pas briser les chances de son insertion harmonieuse dans le code de procédure pénale tel qu'il est actuellement, issu d'une longue histoire, enraciné dans notre culture judiciaire.
Il ne s'agit pas d'une réforme du code de procédure pénale complète, avec la mise à plat de tous les problèmes, comme cela a été fait, dans cette assemblée, lors du vote d'un nouveau code pénal, dont j'ai eu l'honneur d'être pour partie le rapporteur.
Il ne fallait donc pas que des amendements, qui sont par ailleurs souvent excellents, correspondent à une « autre méthode » d'instruction, à une autre conception de procédure, et viennent changer la règle du jeu, qui reste celle du code actuel, avec ses ombres, mais aussi avec ses mérites, d'ailleurs reconnus dans de nombreux pays étrangers qui s'en inspirent encore.
Par ailleurs - c'est la seconde cohérence - il fallait respecter l'architecture du texte du Gouvernement, tout en renforçant ses points forts, et ne jamais oublier ce que la commission des lois a dit dans son rapport sur les moyens de la justice, résumant les travaux de la mission d'information sur ce même thème.
La justice est, à l'heure actuelle, marquée par un manque de moyens chronique. Toute réforme généreuse, tout progrès, même brillant ou ingénieux, peut se briser par défaut de moyens sérieux pour les réaliser. Le mal est alors pis qu'avant l'administration du remède.
Voilà pourquoi, d'une certaine manière, la commission des lois a dû contenir ses ambitions. Toutefois, elle n'a pas hésité, selon son habitude, à proposer des innovations d'importance.
Après avoir constaté le caractère parfois partiel de la réforme, elle a choisi de ne pas s'appesantir sur les frustrations liées à l'attente d'une grande réforme qui n'est pas venue, mais de saluer les améliorations du projet de loi, si possible de les renforcer, dans la mesure d'ailleurs où la plupart d'entre elles figuraient dans les conclusions des travaux que la commission des lois du Sénat a menés, en 1995, sur la présomption d'innocence.
Dans cet esprit, elle souhaite votre accord, mes chers collègues, pour élargir davantage le statut du témoin assisté - à nos yeux, c'est la condition de la limitation du nombre des mises en examen - et pour modifier les conditions de la mise en examen, là encore pour en réduire le nombre. Il faudra que le juge d'instruction s'assure qu'il existe contre la personne qu'il veut mettre en examen des indices graves et concordants.
La commission des lois vous propose, mes chers collègues, de supprimer la dénomination de « juge de la détention », car tous les juges ont vocation à être des juges des libertés, au sens de l'article 66 de la Constitution.
La commission des lois institue un débat contradictoire, puis une ordonnance motivée, pour la plus dramatique des décisions, qui consiste à priver un homme de sa liberté. N'était-ce pas normal que, dans ce cas-là, il y ait des motifs ?
Par une intervention précise tant sur les seuils requis pour la mise en détention provisoire que sur les durées de cette mesure, la commission espère diminuer le nombre actuel des détentions provisoires et supprimer les renouvellements routiniers. Toutefois, elle conserve des soupapes de sécurité en vue d'éviter que le respect des libertés individuelles ne mette en péril une société que les actes irréfléchis, les actes coupables ou barbares font trembler. C'est la chambre d'accusation qui jouera ce rôle indispensable.
La commission des lois n'a pas hésité à vous suggérer quelques mesures pour renforcer la mise en oeuvre des droits des victimes, mes chers collègues.
Enfin, elle a voulu vous soumettre quelques amendements pour que le titre superbe de ce projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence recouvre de manière plus concrète le volet correspondant aux rapports des médias avec la justice.
Elle a saisi l'heureuse innovation contenue dans le projet de loi initial visant à permettre au président d'une cour de suspendre une mesure trop écrasante pour la liberté de la presse - c'est le référé du président - pour proposer de jumeler cette réforme de procédure protectrice de la presse avec l'extension des cas d'ouverture du référé de l'article 9-1 du code civil sur la présomption d'innocence. Cet article, tel qu'il est aujourd'hui rédigé, laisse en dehors de son champ d'application les victimes du non-respect de leur présomption d'innocence, et cela dans les cas les plus choquants.
Soucieuse et consciente qu'il est dans la tradition de la Haute Assemblée de défendre un absolu respect de la liberté de la presse, liberté qui ne souffre pas d'exception, la commission des lois propose au Sénat de « rapatrier » dans la loi de 1881 les dispositions que le projet de loi prévoyait de transférer dans le code pénal.
La loi de 1881 se doit d'être parfaitement lisible. C'est une des chartes de la liberté.
Nous savons, parce qu'ils nous l'ont dit, que les représentants syndicaux des entreprises de presse ne sont pas favorables à la création d'un ordre ou à la régulation professionnelle de leurs activités. Il faudra que leur réflexion continue : certes, nous souhaitons que la loi de 1881 reste lisible, et la globalité de son contenu pénal ou civil en est une garantie. Mais, à cent vingt ans bientôt, c'est une dame âgée très respectable ! Elle mérite une réflexion pour son adaptabilité à l'an 2000 et surtout aux techniques nouvelles qui peuvent mettre en péril le bien le plus précieux des humbles comme des grands, le respect de la réputation avant toute condamnation.
Vous le comprenez, la gravité de l'objet de ce projet de loi et l'importance des dérives constatées en matière de respect de la présomption d'innocence exigeaient un renforcement rapide des droits de la défense.
Quelle que soit l'analyse que nous faisons des causes de l'augmentation de la criminalité, il est important que soient renforcées les garanties que la procédure doit donner à ceux que l'on prive de leur liberté ou dont on annonce publiquement la culpabilité possible. Il était nécessaire de faciliter au maximum - et concrètement - l'exercice du droit des victimes à réparation.
La commission des lois espère que vous approuverez les modifications qu'elle vous proposera, à l'issue d'un débat dense, qui devrait dépasser les clivages politiques s'agissant d'un texte fondamental situé au coeur du fonctionnement de notre démocratie puisqu'il concerne la liberté et la réputation des citoyens. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la commission des affaires culturelles a souhaité présenter un avis sur les dispositions qui figurent au chapitre IV du titre Ier et au chapitre Ier du titre II du projet de loi portant protection de la présomption d'innocence. Ces dispositions modifiant - M. le rapporteur vient de le dire - le droit de la presse et le droit de la communication audiovisuelle, il nous a semblé utile et pertinent de faire entendre au Sénat la petite musique de notre commission sur ce dossier, capital à nos yeux.
Je dois noter, pour commencer, que les relations entre la justice et la presse ne seront sans doute jamais faciles sur le terrain du traitement des affaires pénales. Le législatif est dans son rôle aujourd'hui comme vous l'êtes, madame le ministre, au titre de l'exécutif, lorsque doit être arbitré le dialogue nécessaire et toujours délicat entre les mal nommés troisième et quatrième pouvoirs.
Cependant, les méthodes de la justice et de la presse diffèrent : formalisme de procédure destiné à permettre de faire naître la vérité au plus près d'un côté, grande liberté d'action de l'autre. Les objectifs diffèrent aussi : rendre la justice et contribuer au fonctionnement de l'état de droit pour la justice, animer l'espace public démocratique et intéresser les lecteurs pour la presse ou l'audiovisuel.
Avec la place croissante des affaires pénales dans la presse et les stratégies diverses parfois développées en direction de la presse par le monde judiciaire, il ne faut pas se le dissimuler, les contradictions ont tendance à s'accentuer. J'oserai dire que le secret de l'instruction demeure mais que l'instruction ne reste pas secrète ; c'est un paradoxe compliqué dans lequel nous devons aujourd'hui naviguer au plus près.
Les conséquences en sont connues. La présomption d'innocence proclamée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 est trop souvent bafouée, reconnaissons-le, et à cela s'ajoutent les problèmes que le traitement médiatique des affaires pénales pose parfois au regard des droits des victimes et du respect qui leur est dû.
Il était donc, madame le ministre, incontestablement justifié de rechercher une délimitation plus claire du rôle, des responsabilités et des limites respectives de la presse et de la justice, pour m'en tenir, toujours, aux articles qui concernent la commission des affaires culturelles. Vous l'avez tenté, madame la ministre, et nous vous en complimentons ; vous n'y êtes cependant pas vraiment parvenue à nos yeux, et nous le regrettons ; nous vous proposerons donc notre propre réflexion, remplissant ainsi notre rôle de législateur, et le rapporteur éminent de la commission des lois vient de dire la difficulté de la tâche.
Remarquons tout d'abord que la liberté de l'information, une référence pour nous totalement incontournable, n'est pas évoquée dans ce texte, sinon peut-être, et de manière trop allusive, à l'article 24, qui ouvre la possibilité de faire appel d'une décision de référé limitant « la diffusion de l'information ». C'est un peu court !
Qu'il me soit permis de rappeler que la loi du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale comportait, elle, un titre V intitulé « Du respect de la présomption d'innocence et des garanties de la liberté de l'information ». La différence avec votre projet de loi est symptomatique et, à nos yeux, regrettable, mais nous pourrons la corriger.
Symptomatique de quoi, et regrettable pourquoi ? Avant de détailler mon analyse, je tiens à écarter tout malentendu : votre projet de loi, madame le garde des sceaux, n'est, bien entendu, ni liberticide, ni dangereux, ni inquiétant. Il procède d'excellents sentiments, que je tiens à saluer : il y a de l'humanisme dans ce texte - nous en sommes tous convaincus - mais l'ensemble reste vague, flou, peu cohérent et amorce, sans que vous vous en soyez probablement rendu compte, une évolution regrettable au regard de principes très cruciaux de notre système de libertés publiques et des textes qui les entérinent : je veux naturellement parler de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais je vais y revenir dans quelques instants.
Votre projet de loi est, à nos yeux, bien pauvre. En effet, ce qui vous a tenu lieu d'inspiration, c'est, d'une part, le souvenir d'incidents souvent isolés mais pas forcément très significatifs dans les pratiques de la presse en matière de traitement des affaires judiciaires - le port des menottes par un guide de haute montagne, par exemple, qui a été largement diffusé - et, d'autre part, le « pillage » - je n'ai pas trouvé d'autre expression, c'est pourquoi je l'ai employée au sein de la commission des affaires culturelles - de la loi du 29 juillet 1881.
Le chapitre Ier du titre II a été largement bâti, avec l'actif relais de l'Assemblée nationale, grâce au transfert dans le code pénal d'un certain nombre de dispositions qui figurent actuellement dans la loi de 1881, au mépris, selon nous, ou au moins en méconnaissance de la signification emblématique de ce grand texte fondateur.
C'est ainsi que l'article 26 du projet de loi transpose purement et simplement la substance des troisième et quatrième alinéas de l'article 38 et de l'article 39 quinquies de la loi de 1881.
De même, l'article 27 ter reprend les dispositions des articles 39 bis et 39 ter de la même loi.
Pourquoi ces transferts ? Croyez-vous, madame le ministre, que le régime dérogatoire de la répression pénale des infractions de presse créé par le législateur de 1881 accorde aux médias des avantages excessifs ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui !
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Posons la question clairement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'y réponds clairement !
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Souhaitons-nous entamer le démantèlement de ces avantages ? Disons-le alors clairement ! J'ai toutefois cru comprendre que M. le Premier ministre avait affiché une position contraire.
Pour ma part, je tiens à affirmer le très fort attachement de la commission des affaires culturelles au bloc juridique que constitue le droit de la presse en France. Le caractère dérogatoire de ce droit, et spécialement du droit pénal de la presse, est une tradition de la démocratie française qui a sa raison d'être et de perdurer. S'il encourage des abus, il appartient au juge, qui est le véritable régulateur de la liberté de l'information d'après la loi de 1881, d'y mettre bon ordre. Or, oserai-je vous le dire, madame le ministre - mais je tiendrais les mêmes propos à Mme le ministre de la culture et de la communication -, la presse française n'est pas médiocre : il suffit pour s'en rendre compte de se promener un peu partout en Europe et dans le monde.
Le juge joue ce rôle de régulateur sans complaisance. Vous savez bien, d'ailleurs, que le juge d'instruction est aujourd'hui un interlocuteur très présent dans les agendas des directeurs de publication ! Lors d'un récent colloque sur les relations entre la presse et la justice, M. Colombani, directeur du journal Le Monde , ne se présentait-il pas comme le journaliste le plus inculpé de France ?
M. Jean-Jacques Hyest. L'inculpation n'existe plus !
M. Louis de Broissia. rapporteur pour avis. Mais je m'aperçois que j'ai commencé ma plaidoirie...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quel beau mot !
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. ... en faveur de l'intégrité de la loi de 1881 avant même d'avoir terminé l'analyse critique du projet de loi.
Son inspiration, pauvre à mes yeux, serait pardonnable si quelques défauts de cohérence assez gênants sur le plan des principes ne s'y ajoutaient de surcroît.
Je m'explique. Les dispositions concernant l'information articulent trois notions deux à deux : la présomption d'innocence et la liberté de l'information d'une part, les droits des victimes d'infractions pénales et cette même liberté de l'information de l'autre. Mais une quatrième notion, la dignité de la personne humaine, s'est glissée, inopinément mais de façon opportune.
Prenons l'exemple du port des menottes, déjà cité tout à l'heure. Vous avez dit, dans des déclarations publiques - et je partage votre avis - qu'il portait gravement atteinte à la dignité de la personne. Il porte certes plus atteinte à la dignité de la personne qu'à la présomption d'innocence, mais on pourrait dire aussi que la détention préventive porte carrément atteinte à la présomption d'innocence et que la photographie du préfet Bonnet derrière les barreaux de la Santé - et, à cet égard, j'ai déjà réagi publiquement - porte gravement atteinte à la présomption d'innocence de toute personne qui demeure présumée innocente !
M. Jean Chérioux. Tout à fait !
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Or seule la protection de l'image des personnes présumées innocentes, c'est-à-dire non condamnées, est prévue par le projet de loi, en son article 22.
Après une première condamnation, même non définitive, la représentation devient possible alors que l'appel et la cassation sont encore possibles. La focalisation du texte sur la présomption d'innocence vous a ainsi conduite, madame le ministre, avec l'Assemblée nationale, à élaborer un dispositif qui m'apparaît critiquable au regard du respect de la dignité humaine.
Je note qu'il me faudra m'en tenir ici à la critique. La commission des affaires culturelles n'aurait en effet pu présenter des propositions dans ce domaine qu'en modifiant l'objet du projet de loi, ce qui l'aurait conduite à quitter le terrain de la saisine pour avis et à aborder - ce qu'elle ne saurait faire ! - les domaines de compétence de la commission des lois, ce qui n'était naturellement pas opportun.
Nous en resterons donc à notre objectif spécifique, la conciliation de la liberté d'expression, de la présomption d'innocence et des droits des victimes.
L'article 26, qui régit la publication d'images de victimes de crimes ou de délits, me fournit une bonne transition entre la question du rôle de la dignité humaine dans le projet de loi et celle de la conciliation entre la liberté d'expression et les droits des victimes.
Je voudrais faire une simple remarque à cet égard. La publication de l'image des victimes pose problème au regard des atteintes qu'elle peut porter à la dignité et aux droits de la personne et non en fonction de la nature de l'événement - crime, délit, catastrophe ou guerre - qui a fait de quelqu'un une victime. Or le projet de loi ne protège que les victimes de crimes et de délits. Souvenons-nous, par exemple, de cette petite fille morte en Colombie sous les yeux des médias, en direct sur nos écrans : était-elle protégée dans sa dignité de personne humaine ?
Cet article pérennise ainsi, puisqu'il précise légèrement la portée d'une disposition qui figure actuellement dans la loi de 1881, une discrimination entre des catégories de personnes identiquement dignes d'intérêt et de protection, en même temps qu'il inflige à la liberté de l'information des restrictions plus sévères que le texte qu'il remplace. Mais j'y reviendrai dans la discussion des articles, en présentant une proposition que notre commission a adoptée sur cet article 26.
J'en arrive maintenant à la conciliation des principes de liberté de l'information, de présomption d'innocence et de protection des victimes.
Je crois qu'il faut placer - et j'ai été heureux d'entendre à cet égard M. le rapporteur ; mais je ne doutais point qu'il puisse en être autrement - la liberté de l'information au centre des questions posées par le projet de loi dans ce domaine. La liberté de l'information est en effet la synthèse, toujours délicate mais moderne, de plusieurs libertés traditionnelles : la liberté d'expression, la liberté de la presse, la liberté d'opinion. Elle comporte des droits, des implications et des limites qu'il appartient au législateur de fixer en fonction de divers impératifs, parmi lesquels figurent en bonne place les objectifs énumérés par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Je citerai en particulier, à cet égard, la protection des droits d'autrui et la garantie de l'impartialité du pouvoir judiciaire, qui sont les objectifs mêmes du principe de la présomption d'innocence.
Voyez, madame le ministre, comme les choses sont bien faites ! La liberté de l'information enveloppe donc la protection de la présomption d'innocence ; il n'y a pas entre elles d'inéluctable contradiction, contrairement à ce que voudrait une conception qui fait de la présomption d'innocence un droit absolu, un des plus éminents droits de l'homme moderne.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Un droit supérieur !
M. Jean Chérioux. L'information n'est pas le commentaire !
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Je crois deviner que cette conception extrême de la présomption d'innocence, sans doute un peu trop marquée par la conjoncture, a largement inspiré le Gouvernement dans l'élaboration du projet de loi. Mais je ne reviens pas sur les inspirations humanistes du texte, que je partage.
Nous estimons, enfin, que la conciliation de la présomption d'innocence, des droits des victimes et de la liberté de l'information passe par la mise en oeuvre du principe de la liberté de l'information dans son acception la plus large, et donc la mieux définie, la mieux délimitée.
C'est à partir d'une compréhension exacte de la signification de cette liberté qu'il convient d'examiner les relations de la presse et de la justice. C'est ce que nous avons essayé de faire.
Nous avons adopté un grand nombre d'amendements en commission des affaires culturelles. Nous avons, en particulier, adopté - je m'en réjouis - des dispositions tendant à rétablir l'égalité des citoyens devant les différentes catégories de médias.
Il nous apparaît en effet que le texte a été finement ciselé pour ce qui concerne la presse écrite et qu'il demeure volontairement flou pour les médias audiovisuels. (Mme le ministre fait un signe de dénégation.)
Mais si, madame : si le délai de demande d'exercice du droit de réponse passe de huit jours à un mois en matière de communication audiovisuelle, je rappelle qu'il est toujours d'un an pour la presse écrite. Pourquoi une telle différence ? Nous proposons donc de rétablir l'équité dans ce monde de la communication moderne.
Pour terminer, je veux remercier mes collègues de la commission des affaires culturelles qui m'ont suivi dans mes propositions - même si l'adoption des amendements n'a pas toujours été facile - M. le président Gouteyron et M. le rapporteur de la commission des lois, qui a bien voulu déjà m'entendre. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 26 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.

Rappel au règlement



M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, la semaine dernière, la conférence des présidents avait fixé à trois heures la durée globale du temps dont disposeraient, dans la présente discussion générale, les orateurs des divers groupes, ce qui donnait trente-sept minutes au groupe socialiste.
Tout à l'heure, après que vous en avez donné lecture, le Sénat a approuvé les propositions de la conférence des présidents de ce matin. J'ai été particulièrement attentif à vos propos : il n'a pas été fait mention de la durée du débat. La décision prise ce matin concernant cette durée n'a donc pas été approuvée par le Sénat.
Je dois dire qu'il est extrêmement désagréable pour ceux d'entre nous qui ont préparé leur intervention en fonction du temps de parole qui leur avait été indiqué la semaine dernière d'apprendre à cette heure-ci, et à ce moment du débat, que leur temps de parole est de beaucoup réduit.
En conséquence, monsieur le président, puisque la décision arrêtée ce matin n'a pas été approuvée par le Sénat, je vous demande de vous en tenir à ce qui avait été décidé et publié la semaine dernière. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Mon cher collègue, vous qui, pendant une douzaine d'années au moins, avez exercé les fonctions de vice-président, connaissez aussi bien que moi les décisions que peut être amenée à prendre la conférence des présidents.
Il se trouve que, compte tenu des exigences du calendrier que le Gouvernement souhaite voir respecté d'ici à la fin de la session, le 30 juin, la conférence des présidents a décidé ce matin de ramener de trois heures à deux heures la durée globale des temps de parole dans la discussion générale. Les groupes, monsieur Dreyfus-Schmidt, en ont été informés par lettre.
Vous le savez, la durée des débats est de la compétence de la conférence des présidents et non pas du seul et modeste président de séance que je suis présentement, malgré tout le désir que j'aurais de vous être agréable et, connaissant votre talent, tout le plaisir que j'aurais à vous écouter.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le Gouvernement était prêt à travailler vendredi, monsieur le président !
M. le président. Nous allons donc poursuivre notre débat comme je viens de l'indiquer, en appliquant strictement le règlement, monsieur Dreyfus-Schmidt.

Discussion générale (suite)



M. le président.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Madame le garde des sceaux, à considérer le titre : « Projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes », qui oserait ne pas souscrire à une aussi louable intention, singulièrement en un temps où, au mépris d'un secret qui n'existe plus qu'à l'état de souvenir, sont trop souvent, à travers des mises en examen, jetés en pâture à l'opinion publique les noms de personnes lavées de tout soupçon au terme de la procédure ?
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Christian Bonnet. La brutalité de l'annonce, le vide qui se crée autour des intéressés constituent pour des innocents une blessure que rien ne saurait effacer.
Les collectivités locales sont devenues autant de secteurs à risques.
Et si ont pu se faire jour, ici et là, des débordements hautement condamnables qui favorisent, dans l'inconscient collectif, des amalgames dangereux pour la démocratie, élus ou fonctionnaires sont, dans trop de cas, victimes de l'excès de zèle de certains magistrats.
Ce n'est pas sans effet pervers : les plus entreprenants sont tentés de se protéger de tous côtés, de reporter les dossiers, d'ergoter sur les procédures, de retenir systématiquement, pour l'attribution des marchés, le moins-disant, fût-il le plus fragile économiquement, afin d'être, le cas échéant, les « mieux-disant juridiques ».
Oserai-je dire que, si certains élus ou certains fonctionnaires parfois s'égarent - la sanction devrait alors revêtir un caractère plus rapide et plus exemplaire que ce n'est souvent le cas - certains magistrats sont bien loin de la vie réelle, qui n'hésitent pas à « casser » un homme lorsque la barre transversale d'un but de football blesse accidentellement un joueur sur le stade municipal ?
Aussi, à bien des égards, votre projet, madame la ministre, vient-il à son heure et convient-il de le saluer in globo !
Il est toutefois un aspect auquel mes responsabilités passées m'interdisent de donner mon accord : la présence d'un avocat dès le début de la garde à vue, dont le problème me semble bien plutôt lié aux conditions matérielles qui y président trop souvent.
S'agissant de la présence immédiate de l'avocat, il convient de se poser trois questions très simples : est-elle nécessaire sur le plan des droits de l'homme ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui !
M. Christian Bonnet. Est-elle opportune sur le plan de la recherche de la vérité ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Oui !
M. Christian Bonnet. Est-elle possible sur le plan matériel ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Oui !
M. Christian Bonnet. D'abord, est-elle nécessaire ?
Force est de constater que ni en Belgique, ni en Suisse, ni en Allemagne, un entretien avec un avocat n'est possible pendant la garde à vue.
Force est d'admettre que si, en principe, en Grande-Bretagne, toute personne gardée à vue peut communiquer avec son avocat à tout moment, la police peut aussi interdire tout contact pendant les trente-six premières heures s'il existe un risque que le défenseur entre en contact avec des complices ou des témoins. On reconnaît bien là le pragmatisme de nos voisins d'outre-Manche !
En Italie, l'article 350 du code de procédure pénale autorise les policiers, sur les lieux d'une infraction ou dans l'instant des faits, à obtenir, hors la présence de l'avocat, des renseignements utiles pour la poursuite immédiate de l'affaire.
Et l'on chercherait en vain, dans le droit européen, une quelconque obligation quant à la présence d'un avocat dès le début de la garde à vue. La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme n'en fait nulle mention en son article 6. Quant à la Cour de Strasbourg, elle n'a jamais, dans un arrêt, avancé que l'avocat devait immédiatement apparaître.
La disposition figurant dans le projet de loi amorcerait au demeurant, madame le garde des sceaux, un glissement très net de notre système procédural vers un modèle quasiment accusatoire, alors même que ceux qui, dans des pays amis, le vivent au quotidien se plaisent souvent à souligner les avantages du nôtre.
Celui-ci, au demeurant, ne participe-t-il pas aujourd'hui de l'une et l'autre de ces philosophies ? Les Français ne sont-ils pas, d'ailleurs, dit-on, friands de cohabitation, et notre système de protection sociale ne revient-il pas à marier la philosophie de Bismarck à celle de Beveridge ?
Au fil des années, des évolutions se sont fait jour, qui ont consisté en la possibilité de faire prévenir un proche par téléphone - la police prend elle-même l'initiative lorsqu'un adolescent est en cause - en l'examen par un médecin, en l'entretien avec un avocat à la vingtième heure.
Quant à l'autorité judiciaire, elle exerce, conformément à l'article 41, troisième alinéa, du code de procédure pénale, son contrôle sur les gardes à vue. Ainsi les droits de la défense ont-ils atteint en France un niveau que l'on peut considérer comme élevé.
Compte tenu de tous ces éléments, à la question de savoir si la présence de l'avocat est nécessaire dans l'immédiateté, la réponse est non.
Deuxième question : cette présence est-elle opportune ?
Là, plus encore, la réponse apparaît négative.
Cette présence immédiate annihilerait les effets positifs très souvent obtenus pour la manifestation de la vérité par la seule vertu de ce que l'on serait tenté d'appeler « l'effet de surprise », découlant de ce placement nécessaire à l'enquête.
Que peut faire, en effet, un conseil dès la première heure ? Il ne peut prendre connaissance du dossier. Il ne défend pas un client devant un juge, client qui ne fait d'ailleurs pas, en cet instant, l'objet de poursuites.
Dès lors, que peut-il faire, sinon conseiller à la ou aux personnes gardées à vue de ne pas compromettre l'avenir en répondant trop volontiers aux questions dont elle sera l'objet ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas besoin de le lui dire !
M. Christian Bonnet. L'efficacité de l'enquête doit être préservée, dans le respect des droits de la défense, mais tout autant de ceux des victimes, entre lesquels un équilibre a été trouvé depuis 1993. (M. Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Je sais que vous souffrez, monsieur Dreyfus-Schmidt. Je souffrirai peut-être en vous entendant, mais ce sera avec beaucoup de plaisir. (Sourires.)
L'on ne saurait méconnaître les deux risques majeurs de l'évolution projetée, et d'abord celui de la démotivation d'enquêteurs blessés par la suspicion autant qu'entravés dans leur action, d'autant que, dans les pays où l'immédiateté existe, la loi prévoit de sanctionner sévèrement, hormis les cas de silence, les obstacles ou les mensonges du suspect comme entraves à l'enquête, ce que votre projet ne prévoit nullement.
Charles Ceccaldi-Raynaud. L'avocat est un auxiliaire de la justice !
M. Christian Bonnet. Le second risque est celui d'un impact négatif sur une opinion publique qui, de plus en plus inquiète de la montée des violences, accueillerait, sur le point dont s'agit, le texte nous venant de l'Assemblée nationale comme une concession particulièrement malvenue aux malfrats de toute espèce, paradoxe dans un projet qui entend renforcer les droits des victimes !
Troisième question : cette présence de l'avocat dès le premier instant est-elle seulement possible dans les faits ?
Le moins que l'on puisse dire est qu'il y a doute.
Bien des avocats ont à l'esprit le cas de ceux qui, en province, ou tout simplement aux abords des grandes villes, se trouvent à des lieues du local où commence la garde à vue.
Le délai de garde à vue court à partir du moment où la personne ne peut plus librement aller et venir. Or, certaines investigations sont bien souvent nécessaires sur-le-champ : des constatations, des examens de caractère technique, tels des prélèvements de traces de poudre sur une personne. Devraient-elles alors, au mépris de l'efficacité de l'enquête, être différées, au risque de se priver des possibilités offertes par le développement de la police scientifique et technique ?
Comment se résoudra concrètement, sur le terrain, le conflit de priorités entre la nécessité de procéder à certaines vérifications et celle qui vise à permettre à l'avocat de s'entretenir avec la personne gardée à vue ?
Comment faire face dans le cas de la garde à vue simultanée de plusieurs personnes ?
Et que dire du problème d'égalité entre justiciables, les uns paumés - veuillez excuser ce terme familier - et les autres relevant d'une structure dotée de réseaux d'assistance et de conseil ?
M. Hubert Haenel. C'est vrai !
M. Christian Bonnet. Les premiers n'auront pour tout recours que l'appel à un avocat de permanence délégué par son barreau, alors que les seconds disposeront de conseils attitrés à même d'intervenir sur-le-champ.
Ecrire un texte est chose aisée, le voter tout autant, l'appliquer peut se révéler problématique.
Vous êtes hostile, à juste titre, madame la ministre, au libéralisme à tout va dans le domaine économique. Permettez à un homme, recru, hélas ! d'expérience, de l'être tout autant au libéralisme à tout va sur le plan pénal, dans une société en proie au vandalisme et à une violence grandissante.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Bravo !
M. Christian Bonnet. Car si, dans le premier cas, il s'agit d'un problème de niveau de vie, c'est la vie même, et la vie d'innocents, qui, dans le second, peut se trouver en cause. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hubert Haenel. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, s'il est convenu de rappeler que ce texte tendant à renforcer la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes s'inscrit dans la droite ligne de l'initiative prise par le Président de la République en décembre 1996 et en janvier 1997, et de certaines propositions contenues dans le rapport de la commission présidée par Pierre Truche, il ne permet cependant pas d'atteindre les objectifs visés. Pourquoi ? Parce que, comme toutes les tentatives, le plus souvent avortées d'ailleurs, et ce sous tous les gouvernements, qu'ils soient de gauche ou de droite, ce texte maintient en vie un système obsolète, que d'aucuns ont même qualifié de « moribond ».
Cette énième tentative relève, malgré toutes les bonnes intentions des uns et des autres, de ce que d'aucuns ont appelé « l'acharnement thérapeutique ». Toutefois - je le dis d'emblée, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur - le texte que nous propose M. Jolibois, même s'il ne franchit pas complètement le pas, me convient, nous convient, parce qu'il va nettement plus loin que le texte du Gouvernement, corrigé par l'Assemblée nationale.
Où voulez-vous en venir, madame la ministre, sans nécessairement le dire ? Et nous, où voudrions-nous en venir, sans oser le faire ? Du passé, oserons-nous faire table rase ? Telles me paraissent être les premières questions de fond que nous devrions nous poser. Encore faudrait-il cependant avoir une vision d'ensemble de la justice, comme celle qui a conduit aux grandes réformes du début de la Ve République.
Or cette réforme, même si elle améliore le dispositif existant, comme toutes les autres, ne procède pas toujours d'un corps de doctrine, d'une vision de la justice pénale.
Quelle est en effet notre vision, votre vision de la justice pénale ?
Qu'est-ce qu'une infraction ? Quel est le sens d'une peine ? Quels sont les droits de la société, de la victime, du délinquant ?
Quelle place doit revenir à l'Etat ?
Quelles missions et quelle place pour la justice, la police et la gendarmerie ? Quelles relations doivent s'établir entre elles pour lutter contre toutes les formes de délinquance moderne ?
Quelle est la nature de l'action publique ?
Qui est légitime pour la conduire et quelles responsabilités sont engagées ? Quel rôle et quel statut pour le ministère public ? Quel rôle et quelle place pour l'avocat ?
Autant de questions de fond qui se posent et auxquelles nous répondons toujours au coup par coup, au gré des événements et de l'opinion dominante des groupes de pression de toute nature, en fonction du contexte politique du moment, dont nous aurons dans les heures et les jours qui viennent la parfaite illustration ici même.
Le contexte politique ? Osons le camper pour mettre en lumière les ambiguïtés des uns et des autres.
Par exemple, ce texte témoignerait-il, comme l'écrivait dans Les Echos , le 8 mars dernier, la secrétaire générale de l'Union syndicale des magistrats, de « la défiance des politiques à l'égard des juges » et ajouterai-je, réciproquement ? C'est le refrain dominant dans la magistrature. Il est parfois fondé.
Par ailleurs, les organisations professionnelles de magistrats sont majoritairement contre les dispositions proposées, les avocats insatisfaits, les policiers contre, les gendarmes silencieux mais n'en pensant pas moins, les politiques ne veulent pas ou n'osent pas bouleverser le système en vigueur de peur de se retrouver cloués au pilori par une presse aux aguets. Tout cela pour souligner, madame la ministre, que le chemin que vous avez choisi est semé d'embûches.
Le principal reproche affiché par de nombreux magistrats, policiers et gendarmes est - M. Bonnet l'a dit à sa façon - celui-ci : est-il opportun et responsable, au moment où l'insécurité fait rage, où la corruption à l'échelle européenne et mondiale mine les démocraties, de « désarmer l'Etat » ? Selon la plupart de ces professionnels, le présent projet de loi affaiblirait l'ensemble du dispositif de lutte contre toutes les formes actuelles de délinquance.
Il est vrai qu'à sa lecture on a le sentiment de passer d'une logique de « sécurité » à une logique mettant sensiblement l'accent sur les droits de la défense.
Au même moment, à propos d'un autre texte - celui qui est relatif au ministère public - on s'interroge : qui défendra l'intérêt général et le bien commun ? Qui aura le pouvoir d'engager les poursuites et au nom de quelle légitimité, dans le respect de quelle déontologie ? Quelle responsabilité pourra être engagée et devant qui ?
Il me semble qu'à ce stade des réformes il y aurait lieu, avant de légiférer, afin de bien fixer les idées et mettre au point un corps de doctrine, de se poser systématiquement à propos de ceux qui exercent un pouvoir ou accomplissent une fonction dans le domaine judiciaire, quatre séries de questions fondamentales : quelle légitimité ? quels règles ou code déontologique ? quelle responsabilité et devant qui ? qui contrôle qui ?
Ces questions sont déjà présentes, mais le plus souvent de façon brouillonne, dans le débat public en ce qui concerne la classe politique. Elles doivent l'être aussi pour d'autres autorités, pouvoirs ou fonctions : pour les policiers, les gendarmes, pour les avocats, pour les magistrats, qu'ils soient membres du ministère public, juges du siège, notamment juges d'instruction, des enfants, juges d'application des peines, membres d'une formation de jugement correctionnel ou d'une chambre d'accusation.
Il ne doit plus y avoir dans notre pays de sanctuaire ; toute autorité, y compris judiciaire, doit être réellement responsable.
A ce stade, il conviendrait tout d'abord de clarifier le rôle des uns et des autres, de tous ceux dont la présence dans l'enquête, l'instruction, le procès, contribue par leurs pouvoirs, statuts, l'esprit qui les anime, à donner plus ou moins de consistance au principe de la présomption d'innocence et au respect des droits fondamentaux, de la société, de la victime et de l'auteur présumé de l'infraction. Ce que je crains, c'est que la partie au procès la moins bien représentée et défendue soit bientôt, de plus en plus, la société, l'intérêt général, le bien commun, l'état de droit.
Ensuite, il y aurait lieu de clarifier et d'organiser les relations entre la police judiciaire et l'autorité judiciaire, l'avocat, la presse. Certes, ces relations sont complexes, trop souvent ambiguës, qu'elles soient bilatérales ou multilatérales, par exemple police judiciaire-presse, presse-avocat, avocat-magistrats, magistrats-presse Il y a, en effet, beaucoup de configurations possibles. Ce sociogramme fait l'opinion, qui, elle-même, foule aux pieds les grands principes que nous voulons défendre. C'est à ce stade que la personne innocente est broyée.
Tant que nous n'aurons pas tenté de remettre un peu d'ordre, au sens propre et au sens figuré du terme, dans ces relations, nous n'aurons pas réglé grand-chose.
Si la peine de mort a été heureusement supprimée, reste une peine plus insidieuse, tout aussi irréparable, qui meurtrit, blesse, traumatise, qui ne tue pas mais qui mutile, qui marque pour toujours du sceau du soupçon, tâche indélébile, celui qui a injustement été arrêté, mis en garde à vue, présenté au parquet, puis au juge d'instruction, mis en examen, mis en détention provisoire.
L'aveu reste la reine des preuves.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Hubert Haenel. Un interrogatoire un peu rude, parfois musclé,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voilà ! Ecoutez-le !
M. Hubert Haenel. ... qu'il soit le fait d'un policier, d'un gendarme ou d'un juge d'instruction, une garde à vue puis une mise en examen et un mandat de dépôt dont la publicité est orchestrée, parfois même distillée, sont autant de moyens d'obtenir cet aveu qui permet ensuite de « construire » un procès-verbal d'enquête, un réquisitoire, une ordonnance de renvoi, en toute bonne conscience.
C'est souvent à ce stade que se forge l'erreur judiciaire. Les présidents d'assises, les présidents de correctionnelle, le reconnaissent, les avocats aussi. Un dossier mal ficelé parce que mal instruit, le plus souvent à charge, rarement à décharge, crée le malaise à l'audience correctionnelle et, à plus forte raison, devant un jury d'assisses.
Pour remédier à cette situation, il y aurait lieu d'afficher les règles déontologiques des différents acteurs de l'enquête, de l'instruction ou du procès, d'organiser, le cas échéant, leur mise en cause devant un organisme au statut clairement identifié et au fonctionnement insoupçonnable.
Les magistrats relèvent du conseil supérieur de la magistrature, dont les pouvoirs doivent être renforcés et la compostion laïcisée, les avocats de leur ordre, le barreau, et du procureur de la République. Un dépoussiérage dans ce domaine des us et coutumes pourrait utilement être envisagé.
Pour les officiers de police judiciaire, ce n'est pas aussi clair, puisqu'ils relèvent à la fois de l'autorité hiérarchique administrative, qui peut les sanctionner indépendamment, et parfois contradictoirement de la position de l'autorité judiciaire et de celle-ci, qui est chargée de les diriger - procureurs de la République et juges d'instruction - de les habiliter - procureurs généraux - et de les contrôler - chambres d'accusation.
Deux mesures me paraissent de nature à remédier à cette situation si l'on ne veut pas - je crois que c'est un sentiment quasi unanime ici - le rattachement pur et simple de la police judiciaire au ministère de la justice :...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Hubert Haenel. ... d'une part, créer une inspection générale de la police judiciaire placée sous l'autorité du ministre de la justice - c'est une recommandation du rapport de la commission d'enquête que j'ai présidée, dont Jean Arthuis était le rapporteur et qui a été adoptée à l'unanimité, il y a déjà quelques années de cela - d'autre part, décider que tant que l'autorité judiciaire ne s'est pas prononcée définitivement sur une « bavure » commise par un officier de police judiciaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, il ne peut être statué définitivement, par le ministère de rattachement - intérieur ou défense - sur la situation administrative du fonctionnaire ou du militaire en cause.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. « Définitivement » ?...
M. Hubert Haenel. Absolument ! Cela reviendrait à poser le principe qu'en ce qui concerne un mandataire de justice, le judiciaire - le pénal en l'occurrence - tienne le disciplinaire en l'état.
Les atteintes à la présomption d'innocence tiennent moins au fait du porté à la connaissance de l'opinion publique par voie de presse que de la présentation parfois tronquée, orientée, malveillante qui en est faite, notamment par le biais des enquêtes parallèles effectuées sans aucune garantie déontologique par certains journalistes. Il ne s'agit pas de les interdire, elles sont parfois nécessaires. Il s'agit seulement de faire respecter quelques grands principes, comme celui de la présomption d'innocence, qui nous réunit aujourd'hui.
Pour remédier à cette situation, il me semble que nos réflexions pourraient partir de deux principes : l'enquête préliminaire, la garde à vue, la perquisition, relèvent du secret absolu, pour la présentation au parquet, puis au juge d'instruction ; la levée du secret serait organisée au cours d'un débat contradictoire devant un juge. C'est ce que d'aucuns appellent des « fenêtres » d'instruction. Les manquements à ces obligations seraient assortis de santions sévères pour tous ceux qui violeraient le secret, donc porteraient atteinte à la présomption d'innocence.
C'est pourquoi aussi, même si cette réforme est imparfaite, l'institution du juge de la détention, que la commission des lois nous propose de ne pas dénommer finalement, me paraît une mesure tout à fait intéressante. Elle va permettre une pose, le temps d'arrêt, de réflexion, la distance et le recul indispensables, la sérénité nécessaire au discernement dans cet engrenage infernal, pour gagner, ou ne pas perdre de temps dans la course qui part de l'arrestation et conduit à la détention en passant par l'interpellation, la perquisition, la garde à vue et ses contrôles : deux fois une demi-heure, présentation au procureur de la République, au juge d'instruction, notamment.
Toutefois, madame la ministre, mes chers collègues, il y a, dans le partage du secret et, parfois même, sa violation, un personnage qui ne figure nulle part dans la procédure pénale, mais qui est pourtant omniprésent dans l'enquête policière - on l'a vu encore dernièrement - et même l'instruction : c'est le ministre de l'intérieur et son cabinet.
Cette présence, la presse s'en fait l'écho tous les jours, nous l'admettons. Ne nous étonnons pas alors si certaines affaires sont gérées politiquement - ce n'est pas d'aujourd'hui - non plus depuis le ministère de la justice, mais depuis le ministère de l'intérieur.
Ainsi, le dénouement tout aussi inattendu qu'étrange de l'assassinat du préfet Erignac est la parfaite illustration de l'ambiguïté des relations entre la police judiciaire, son ministre de tutelle administrative, l'intérieur, et son autorité d'emploi, la justice.
Ce problème récurrent est au coeur de la question du secret de l'enquête et de l'instruction, donc de la présomption d'innocence.
Le champagne sablé au ministère de l'intérieur aurait dû être, pour le ministère de la justice, en tout cas pour les magistrats insulaires ou parisiens, une provocation, voire une gifle.
La question fondamentale qui se pose, et que je pose régulièrement depuis que je suis sénateur est la suivante : le ministre de l'intérieur et son cabinet ont-ils accès aux procès-verbaux d'enquête judiciaire diligentée sur ordre du procureur de la République ou sur commission rogatoire d'un juge d'instruction, couverts par le secret absolu garanti par le code de procédure pénale ? Si oui, sur quelle base législative ou réglementaire ont-ils connaissance de procès-verbaux, de procédures judiciaires ?
Je voudrais, madame la ministre, qu'une fois pour toutes vous disiez au Sénat quel texte autorise le ministère de l'intérieur à entrer dans le secret d'une enquête ou d'une instruction. Quel texte l'autorise à gérer une enquête ou une instruction et à dévoiler et commenter les résultats de celle-ci ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Le pouvoir hiérarchique !
M. Hubert Haenel. C'est à démontrer, cher maître !
Après tout, on pourrait imaginer que le ministre de l'intérieur ait un droit de regard, comme l'a avoué récemment et publiquement l'ancien ministre de l'intérieur M. Philippe Marchand. Mais qu'au moins ce soit clair, visible, lisible et contrôlé.
Ce type de pratique relève du même esprit que ce qui se faisait avant la réglementation et le contrôle des écoutes téléphoniques et du secret défense.
J'ajoute, comme preuve de ces pratiques, que tous les anciens ministres de la justice, auditionnés après avoir prêté serment devant la commission de contrôle sur le fonctionnement de la justice, ont déclaré qu'ils apprenaient par un coup de fil de leur collègue de l'intérieur, sur le réseau interministériel, les résultats d'une enquête de police judiciaire ou d'une commission rogatoire... bien avant qu'ils n'en soient eux-mêmes informés par la voie normale, celle des procureurs et des procureurs généraux.
Le Premier ministre, M. Jospin, dit et répète : « La justice est devenue indépendante. » Le ministère de la justice s'interdit, et je vous crois, d'intervenir dans les affaires, d'avoir un droit de regard sur les investigations menées par les mandataires de justice que sont les officiers de police judiciaire, ce que je considère d'ailleurs comme parfaitement légitime si la mise en oeuvre de ce droit de regard est transparente et contrôlée.
Qu'il en soit ainsi, en ce qui vous concerne, madame la ministre, je n'en doute pas ; mais il n'en est pas de même en ce qui concerne le ministère de l'intérieur, qui prend votre relais sous le manteau du secret de ses interventions. Cette réforme et celle du ministère public seraient donc l'apparence, l'affichage, mais la réalité serait tout autre.
Soucieux que le Parlement soit informé sur la portée de telles pratiques, j'ai récemment posé une question écrite dont la réponse est parue au Journal officiel ; je la tiens à votre disposition.
J'ai demandé au ministre de l'intérieur si les pratiques dénoncées par l'un de ses prédécesseurs, M. Marchand, étaient toujours en vigueur dans son ministère. Il m'a été répondu de façon lapidaire, et je dois ajouter, inconvenante, par les phrases suivantes, qualifiées par les hauts magistrats auxquels j'ai communiqué la réponse et par certains préfets de « monument d'hypocrisie » : « L'article 11 du code de procédure pénale fixe le principe du secret de l'instruction judiciaire. Ce secret s'applique à la phase de l'instruction préparatoire et aux enquêtes qui la précèdent. A ce titre, seules ont à en connaître les personnes qui concourent à cette procédure, à savoir le parquet, le juge d'instruction et l'avocat de la défense. » Point. Y a rien à voir, passez votre chemin !
Après tout, si le ministère de la justice, donc l'Etat, le pouvoir politique légitime et responsable devant le peuple souverain est de plus en plus absent de la mise en oeuvre et du contrôle de l'action publique, je conçois que, sur beaucoup de bancs de l'Assemblée nationale et du Sénat, à gauche, à droite et au centre, on trouve que si le ministère de l'intérieur occupe la place laissée vide par celui de la justice, c'est finalement aussi bien et peut-être mieux.
Le ministère de l'intérieur, aux yeux de beaucoup, est plus sûr que celui de la justice. On me le dit tous les jours quand j'essaie parfois de plaider pour la justice.
Il me semble donc, madame la ministre, qu'un grand texte sur la police judiciaire s'impose pour qu'on y voie clair, pour qu'on en finisse avec ces ambiguïtés et ces non-dits.
Si nous creusons un peu le sujet, nous voyons que les difficultés et les problèmes sont d'ampleur. Ce texte contribuera certes à renforcer la présomption d'innocence et les droits des victimes. Mais les réponses qu'il apporte ne sont pas toujours à la hauteur des questions posées, tout simplement parce que nous ne rompons pas avec une logique surannée et avec les us et les coutumes qui se sont greffés sur elle. J'y reviendrai lors de la discussion des amendements que j'ai déposés. Certains visent d'abord à obtenir une réponse publique et officielle sur certaines questions. Ils visent également à fournir l'occasion à la commission des lois de nous indiquer le chemin sur lequel on peut s'engager ou pas.
Je dirai tout d'abord quelques mots sur la garde à vue.
La garde à vue est au coeur du problème de la présomption d'innocence, puisqu'elle précède souvent la mise en examen et parfois la détention provisoire. Ce n'est pas une mesure exceptionnelle, mes chers collègues, puisqu'on a dénombré 382 228 mesures de garde à vue.
La décision de mise en garde à vue est un pouvoir propre de l'officier de police judiciaire.
Après l'officier de police judiciaire, policier ou gendarme, le second personnage de la garde à vue, qui est censé la contrôler, c'est le procureur de la République. Je reviendrai sur ce sujet au cours de l'examen des amendements.
Vous avez considéré, en réponse à des questions écrites, comme une mission essentielle pour les magistrats de contrôler la garde à vue. Ils s'en acquittent avec conscience. Mais beaucoup vous diront qu'ils n'ont ni les moyens ni le temps. Je reviendrai sur ce point.
Le troisième personnage de la garde à vue, c'est l'avocat. Il interviendra désormais dès la première heure. Je proposerai pour ma part qu'il s'agisse d'un avocat de garde, ou de service, désigné selon un tour fixé par le bâtonnier. Ainsi, si mon amendement est adopté, les truands mis en examen ne pourront plus consulter leur petit carton sur eux pour avertir tel avocat de leur connaissance et mettre l'enquête à bas. Cet avocat désigné durant la garde à vue ne pourra en aucun cas devenir, dans le procès qui suivra, conseil de la personne qu'il aura assistée. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Une telle mesure contribuerait à écarter des doutes, à mettre fin à l'ambiguïté qui pèse sur la nature de la présence de l'avocat durant la garde à vue.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est contraire à leur statut !
M. Hubert Haenel. Je n'évoque l'instruction que pour dire que le moment est venu que la décision de mise en examen soit prise par ordonnance motivée et susceptible d'appel. En effet, avec la mise en examen, le diable est lâché et, dès lors, malgré tout ce que l'on peut dire, on ne peut plus rien maîtriser, contrôler.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons passer de longues heures à discuter sur ce texte, qui a au moins le mérite de poser, même s'il ne les règle pas toutes, quelques bonnes questions.
Certains amendements vous fourniront l'occasion, du moins je l'espère, madame la ministre, de vous positionner sur des sujets de fond.
Pour ce qui nous concerne, le texte de la commission des lois nous convient globalement, et je souligne, une fois encore, l'excellent travail de notre collègue M. Jolibois et de la commission des lois.
La balle est maintenant dans votre camp, madame la ministre.
Un texte de cette nature et de cette importance ne peut être calé, figé une fois pour toutes par l'examen en conseil des ministres et par les quelques amendements octroyés à la majorité de l'Assemblée nationale.
Votre attitude à l'égard des amendements de la commission des lois illustrera votre ouverture et votre réalisme. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le présent projet de loi, qui vise à renforcer la présomption d'innocence et les droits des victimes, constitue un volet important de la réforme gouvernementale de la justice, un volet qui nous engage sur la voie d'une justice plus respectueuse des libertés individuelles. Il s'agit d'une étape nécessaire, bien que difficile à franchir dans les faits.
Concilier les droits de la personne, la nécessaire répression et les droits des victimes, tout en respectant le principe de la présomption d'innocence, n'est en effet pas chose aisée.
Vous vous y attelez avec les mesures que vous nous proposez aujourd'hui, madame la garde des sceaux, et nous les soutiendrons.
Le texte marque incontestablement des avancées pour la défense, en matière de détention provisoire et de présomption d'innocence, ainsi que pour les victimes.
Toutefois, on peut regretter que la réforme de la justice se fasse de façon fragmentée. Il aurait été préférable de procéder à une refonte de l'ensemble de notre procédure pénale, permettant au législateur et au justiciable d'avoir une vision globale des modifications de notre législation, en la matière.
Il faut en effet admettre que les réformes successives de notre procédure pénale - et nous en avons compté une par an sur dix ans - n'ont pas contribué à éclairer les lanternes de qui que ce soit ni à regagner la confiance des citoyens dans leur justice.
C'est ainsi par exemple qu'aujourd'hui, et c'est très révélateur, on nous propose de voter de nouveau des dispositions contenues dans la loi du 4 janvier 1993 et abrogées cette même année 1993 par la loi du 24 août, sous une autre majorité, d'ailleurs davantage animée par un esprit de revanche politique que par le souci d'améliorer notre procédure pénale.
La loi du 24 août 1993 avait supprimé le peu d'avancées que contenait la loi de janvier 1993. Or, quelques années plus tard, il est intéressant de noter le changement d'attitude de la droite en la matière : au vu des débats à l'Assemblée nationale, elle est aujourd'hui plus laxiste que la gauche.
Aujourd'hui même, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous proposez par amendements des mesures, dont certaines nous agréent, et que vous condamniez hier, lorsque vous étiez au Gouvernement.
Pour notre part, nous estimons qu'il faut saisir l'occasion qui nous est donnée pour enfin modifier en conséquence notre code de procédure pénale, en évitant l'écueil du simple « dépoussiérage ».
Cela pose toutefois avec force la question des moyens, sans lesquels tout changement reste impossible.
Garantir le respect total des libertés individuelles et la présomption d'innocence nécessite une réforme du régime de la garde à vue et de la détention provisoire.
Bien qu'entourée légalement, la garde à vue est, par essence, une mesure attentatoire, tant à la liberté fondamentale d'aller et de venir, qu'à la présomption d'innocence.
Aussi considérons-nous les dispositions du texte tel qu'il a été amendé par l'Assemblée nationale comme constituant un changement positif par rapport à la législation en vigueur.
Dans notre procédure pénale, l'intervention de l'avocat dès le début de la garde à vue va enfin devenir une réalité.
Il s'agit d'une avancée réelle que nous demandons depuis de longues années et qui, malgré son intégration dans la loi du 4 janvier 1993, a finalement été supprimée avant même son entrée en vigueur, sous le gouvernement Balladur, on se le rappelle.
Il ne subsistait dès lors de cette loi que l'intervention de l'avocat à partir de la vingtième heure qui, comme chacun le sait, n'est pas une avancée spectaculaire, puisque les gardes à vue se terminent en général avant cette vingtième heure.
Aujourd'hui, il est enfin temps de considérer la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue - sous la forme d'un entretien préalable et confidentiel sur les droits dont bénéficie la personne retenue - comme une garantie primordiale et comme la mise en conformité de la France avec ses partenaires européens en matière de garantie des droits des citoyens face à la police.
De plus, si la garde à vue fait l'objet d'une prolongation, la personne retenue peut demander à s'entretenir avec un avocat à l'issue de la douzième heure de cette prolongation dans les mêmes conditions de confidentialité, ce que nous approuvons pleinement.
L'Assemblée nationale a introduit dans cette partie du texte divers articles qui nous agréent.
La détention provisoire est un autre instrument de notre procédure pénale en totale contradiction avec les libertés individuelles et le principe de la présomption d'innocence.
Aussi le projet de loi s'attache-t-il à encadrer plus spécialement la détention provisoire pour la rendre plus exceptionnelle, notamment en instituant un juge de la détention et en limitant les conditions et la durée de la détention provisoire.
Il s'agit ici non pas d'une réforme d'ensemble de la détention provisoire, mais d'un renforcement des garanties entourant cette procédure.
Actuellement, force est de constater que la concentration des pouvoirs dans les mains du juge d'instruction - accusation, enquête, jugement - permet à ce dernier d'orienter les poursuites comme il le souhaite et de peser ainsi sur l'issue du procès de façon disproportionnée.
Cette situation entraîne une confusion des rôles et elle est en porte-à-faux par rapport au principe de la séparation des fonctions d'investigation.
Il était temps de s'attaquer à la question de la détention provisoire dont, depuis un siècle, chacun dénonce, toutes tendances confondues, les excès et les conséquences désastreuses sur les individus.
L'article 10 du projet de loi créé donc un juge de la détention provisoire, distinct du juge d'instruction.
Cette mesure n'est pas sans nous poser quelques problèmes.
Tout comme le juge d'instruction, le juge de la détention reste un « juge unique » qui prendra sa décision seul, sans pour autant connaître le dossier de l'intéressé aussi bien que le juge instructeur.
Dès lors, quel est l'intérêt d'une telle modification ? Quel est le but recherché ?
Méfions-nous que cette démarche ne soit pas comprise comme une récusation du juge d'instruction qui, ces dernières années, a mis en examen certaines personnes du monde politique. C'est la défiance des Français à l'égard de la justice et du politique qui risquerait de s'accentuer.
Il ne faudrait pas que le projet de loi avec, d'un côté, la diminution des pouvoirs du juge qui instruit et, de l'autre, une presse sous « liberté surveillée », ne soit perçu dans l'opinion publique comme un instrument servant à étouffer les délits en col blanc.
Nous sommes, quant à nous, opposés par principe au juge unique, de quelque matière que ce soit, notamment en matière pénale.
Nous prônons de longue date, comme vous le savez, la formation collégiale pour ordonner ou prolonger la mise en détention provisoire d'une personne, pour examiner les demandes de mise en liberté, pour ordonner un contrôle judiciaire.
Une telle réforme impliquerait évidemment des moyens qui ne sont pour le moment pas mobilisés.
Le Gouvernement le sait. Soucieux de mettre en place une réforme réaliste et applicable, il ne souhaite pas aller vers la collégialité. C'est regrettable.
Si le projet de loi limite les conditions de recours à la détention provisoire et sa durée, en revanche, s'agissant des seuils, il reste timoré.
Aujourd'hui, pourtant, il est plus que jamais indispensable de réduire dans nos prisons le nombre de détentions provisoires. Nous tenons en ce domaine un triste record au plan européen, difficile à assumer pour la France, pays des droits de l'homme.
Certes, les seuils ne sont pas les seules raisons du nombre trop élevé de prévenus. Il faut noter également l'engorgement chronique de la justice et des cabinets des juges d'instruction.
S'agissant du statut de « témoin assisté », créé par la loi du 24 août 1993, il permet à l'intéressé d'être entendu par le juge, en présence de son avocat, et d'avoir accès au dossier.
Actuellement limitée aux personnes visées nommément dans une plainte avec constitution de partie civile ou dans un réquisitoire du parquet, cette possibilité est, avec le présent texte, étendue aux personnes mises en cause par des témoins ou par une victime qui ne s'est pas constituée partie civile.
Le but, certes louable, ainsi recherché est de limiter le nombre de mises en examen, qui sont perçues par l'opinion publique comme une précondamnation portant atteinte, par définition, à la présomption d'innocence.
Mais la mise en examen, se faisant plus rare, ne risque-t-elle pas d'être considérée comme un degré supplémentaire de culpabilité, ce qui irait dans le sens opposé au but recherché quant au renforcement de la présomption d'innocence ?
Ce serait d'autant plus vrai si l'on acceptait, comme le propose la commission des lois, d'élargir encore le champ d'application du statut de témoin assisté.
J'en viens à présent à la difficile conciliation de la présomption d'innocence avec la liberté d'expression, d'information.
Nous nous trouvons en présence de deux principes de valeur constitutionnelle, contraires dans leur conception et dans leurs conséquences. Combiner ces deux libertés n'est pas chose aisée.
Pourtant, l'individu mis en examen qui prétend être victime d'une atteinte à la présomption d'innocence n'est pas sans moyen de défense puisqu'il est protégé par la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, et par le code civil.
Si l'on peut se défendre légalement contre l'atteinte à la présomption d'innocence et obtenir réparation du dommage causé, en revanche, comment pourrait-on lutter contre l'opacité et la non-information lorsque la liberté d'expression, de communication et d'information aura été en droit et en fait anéantie ?
Que resterait-il de la démocratie si la liberté d'expression était supprimée au profit de la seule présomption d'innocence ou si elle était considérée comme de valeur moindre ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Robert Bret. Il ne saurait être question, à notre avis, au nom de la présomption d'innocence, de rogner sur la liberté d'expression, car, sans celle-ci, certains événements ne seraient pas sortis au grand jour et le public n'en aurait rien su, ce qui, dans une démocratie, pose problème.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est vrai !
M. Robert Bret. Or, depuis vingt-cinq ans, le champ des restrictions apportées à la liberté de la presse s'est élargi.
Aujourd'hui encore, comme l'a rappelé M. de Broissia, le présent texte ôte des dispositions de la loi du 29 juillet 1981 pour les intégrer dans le code pénal : cela aboutit à soumettre les journalistes au régime de droit commun, au même titre que des délinquants ordinaires.
Pour renforcer la présomption d'innocence, d'autres solutions peuvent être recherchées, notamment en direction d'un renforcement du droit de réponse.
Par ailleurs, l'innocence établie mérite autant de place que la « culpabilité présumée ». Il faut en conséquence accorder plus de place dans la presse au non-lieu, à la relaxe, à l'aquittement, pour faire connaître ces décisions.
En conclusion - j'ai en effet déjà dépassé mon temps de parole - nous sommes favorables à l'ensemble des dispositions contenues dans le projet de loi, dont une partie provient d'ailleurs d'amendements des groupes de la majorité plurielle adoptés à l'Assemblée nationale.
Lors de la discussion des articles, nous ferons pour notre part des propositions d'amendements pour contribuer à améliorer encore le texte.
Mais, compte tenu de la diversité des amendements déposés, dont certains nous paraissent non seulement hors sujet mais surtout dangereux pour la démocratie et les libertés, nous attendrons la fin des débats pour nous prononcer sur l'ensemble du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur celles du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quel beau et ambitieux projet de loi vous nous proposez, madame la garde des sceaux !
Il tend à renforcer la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Pour ce faire, il contient des modifications importantes ou des innovations en ce qui concerne la garde à vue, la procédure d'instruction - mis en examen, témoin assisté, témoin - les droits des parties au cours de l'audience de jugement, la détention provisoire, ses conditions, sa durée ou son indemnisation, le droit à être jugé dans un délai raisonnable, la communication, les relations de la presse, tant avec les présumés innocents qu'avec les victimes, les associations auxiliaires de la justice, l'indemnisation des victimes d'infraction...
Oui, c'est un grand chantier que le Gouvernement a ainsi ouvert au Parlement.
Tellement grand, en vérité, que j'ai quelques doutes sur la possibilité d'enfermer le débat dans le délai prévu a priori par la conférence des présidents du Sénat.
Il nous faut examiner chacun des quarante articles que comporte le projet de loi après son passage à l'Assemblée nationale et, bien sûr - c'est là le rôle du bicamérisme - proposer toutes les améliorations possibles. Et nous devons dire qu'il nous apparaît qu'il y en a beaucoup... Sur la forme comme sur le fond, que j'aurai dû, hélas ! me répéter - il vaut mieux se répéter que se contredire - pendant une vie parlementaire déjà longue.
Nul plus que moi n'est convaincu que le régime parlementaire est le moins mauvais de tous.
Nul n'est plus convaincu non plus de la nécessité de changer enfin les conditions, qui sont mauvaises, du travail parlementaire.
Je continue et continuerai, je pense, jusqu'à ma mort, à, comme disait Martin Luther King, « faire un rêve ».
Je rêve que les commissions se voient laisser le temps de procéder à toutes auditions utiles et d'examiner de manière approfondie non seulement les projets de loi, mais aussi les amendements extérieurs ; cela ne pourrait que faire gagner du temps en séance publique !
Je rêve qu'aucun projet de loi ne puisse être inscrit à l'ordre du jour - sauf, bien entendu, mauvaise volonté, difficile à concevoir, de l'une des assemblées, par exemple du Sénat - sans que le rapport correspondant ne soit mis en distribution quinze jours, sinon un mois avant, et non la veille ou le jour même - contînt-il 390 pages ! - de manière que chaque sénatrice et chaque sénateur puisse en prendre connaissance et assister en connaissance de cause au débat...
Je rêve que, dans l'assemblée saisie en second, les mêmes rapports se contentent d'être complémentaires à celui de l'assemblée saisie en premier, ce qui, à coup sûr, en réduirait l'épaisseur...
Bien sûr, mon rêve porte aussi sur la mise en place hardie d'une procédure pénale accusatoire, dans laquelle le juge d'instruction disparaîtrait et le juge tiendrait la balance égale entre la défense et un ministère public rejoignant le parquet, dont l'a seule éloigné une erreur du menuisier, laquelle serait enfin réparée...
Je sais bien, madame le garde des sceaux, qu'en ce qui vous concerne vous n'êtes pas d'accord avec les conclusions de la commission Delmas-Marty, qui paraissent pourtant à beaucoup d'entre nous ce qui a été fait de mieux, de plus approfondi, de plus sérieux et de plus prometteur en la matière. Il faudra bien que nous ayons ensemble à ce sujet une discussion approfondie et qu'elle soit tranchée.
Je rêve aussi - lorsque j'ai préparé cette intervention, je n'avais évidemment pu lire le rapport de la commission - d'une remise en chantier complète et systématique du code de procédure pénale, comme le Parlement a su le faire, sur l'initiative de Robert Badinter, pour le vieux code pénal.
Dans son rapport écrit, M. le rapporteur affirme que la commission des lois est disponible pour engager ce travail et y consacrer le temps qu'il faudra pour redonner à la procédure pénale la cohérence nécessaire à son fonctionnement. Je ne sais pas ce que la commission a attendu jusqu'à présent pour le faire, mais je lui en donne acte, et nous suivrons ses initiatives avec intérêt.
Mais, pour l'instant, cessons de rêver.
Dans cette discussion générale, il me revient de dégager des principes et d'en tirer quelques conséquences à propos : de la garde à vue et de la détention provisoire ; du point de savoir si le secret de l'instruction doit ou non toujours être recherché, et dans quelle mesure ; du rôle du juge d'instruction, après que le nouveau juge de la détention sera entré en fonction, et peu importe son nom - qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse ! - ; des dispositions relatives à la presse ; enfin, des droits des victimes.
Garde à vue, détention provisoire, secret de l'instruction ou non, ces matières sont évidemment dominées par les deux principes constitutionnels, reconnus par les pactes internationaux, que sont la présomption d'innocence et les droits de la défense.
Beaucoup interprètent mal la présomption d'innocence telle qu'elle a été évoquée par l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Avec cet article, et sur la proposition d'Adrien Duport, a été coulée dans le bronze la philosophie pénale de Beccaria.
J'en cite les termes : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement reprimée par la loi. »
Cela ne condamne évidemment pas toute arrestation de quelqu'un qui n'est pas encore jugé.
Cela signifie seulement, mais sûrement, premièrement, qu'un homme qui n'a pas encore été jugé ne peut être arrêté que lorsque cela est « indispensable » ; deuxièmement, que, lorsque cela est indispensable, la seule rigueur tolérable est celle qui est « nécessaire pour s'assurer » de « la personne ».
La loi doit donc déterminer avec précision les cas où une détention provisoire - et la garde à vue n'est rien d'autre - est « indispensable ».
La gravité de l'infraction reprochée - mais pas forcément commise - doit-elle être prise en compte ? La notion de « trouble à l'ordre public », notion imprécise s'il en est, ne doit-elle pas, comme nous le pensons, être bannie comme elle l'est dans la plupart des législations étrangères ?
Je n'ai le temps que d'évoquer ces questions primordiales, renvoyant donc à la discussion des articles l'exposé plus approfondi de nos convictions.
La détention provisoire, au sens large du terme, ne pouvant intervenir que lorsqu'elle est « indispensable », doit donc durer le moins possible. Aussi l'instruction doit-elle aussi, tout en étant complète, être rapide, ce qui pose bien sûr la question des moyens de la justice, du nombre des magistrats et de la conscience qui doit être la leur de leur responsabilité.
Du fait des conditions matérielles de la garde à vue comme de l'incarcération, force est de constater qu'il existe en la matière une « rigueur » qui n'est aucunement « nécessaire pour s'assurer de » la « personne ».
Ces conditions doivent donc être, autant qu'il est possible, améliorées.
En attendant, elles constituent une raison de plus pour que la détention provisoire soit, lorsqu'elle est indispensable, écourtée au maximum. La moindre des choses est que celui dont il ne sera finalement pas démontré qu'il était coupable et qui n'en aura pas moins fait de la détention provisoire et subi un préjudice voire la collectivité réparer ce préjudice, le réparer intégralement, ce à quoi tend, à juste titre, votre projet, madame la ministre, tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale.
Enfin, et afin de préserver la présomption d'innocence de beaucoup, et particulièrement de beaucoup d'élus locaux, il importe que la loi reconnaisse qu'elle est si nombreuse - lois proprement dites, décrets, arrêtés, circulaires - qu'un honnête homme est en droit d'en ignorer certaines dispositions.
Il est temps aussi, surtout maintenant que figure dans le code pénal le délit de mise en danger délibérée d'autrui, qu'en disparaissent les délits involontaires, si contraires aux principes proclamés dans le code pénal lui-même : « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Tout à fait !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En ce qui concerne plus particulièrement la garde à vue, elle n'était rien d'autre à l'origine que le temps nécessaire aux gendarmes et aux policiers, dans le respect de l' habeas corpus, pour conduire la personne arrêtée devant un juge.
La réduction des temps de transport aurait dû entraîner celle de la garde à vue. C'est le contraire qui s'est produit, parce qu'elle est devenue le moyen d'interroger les suspects sans la présence de ce gêneur, entre-temps introduit dans le cabinet du juge d'instruction, et qui s'appelle l'avocat.
L'actualité de tous les jours et la jurisprudence apportent trop d'accusations ou de preuves de « bavures » pour qu'il ne soit pas temps de mettre un terme aussi bien aux accusations qu'aux bavures elles-mêmes, en permettant au moins la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue, avec possibilité d'un entretien entre la personne et l'avocat au moment choisi par eux.
Depuis finalement peu de temps, la durée de la garde à vue a été prolongée et le moment de la possibilité d'un entretien avec un avocat retardé, dans de plus en plus de cas, au motif que... « l'affaire est grave. »
Or, premièrement, il s'agit là d'un renforcement d'une « rigueur » qui n'est nullement « nécessaire pour s'assurer de » la « personne » ; deuxièmement, beaucoup oublient hélas ! que les personnes gardées à vue peuvent être innocentes et que plus l'affaire est grave plus les droits de la défense doivent être préservés !
J'en arrive à mes réflexions sur l'irritant et difficile problème que posent, d'une part, le principe du secret de l'enquête et de l'instruction et, d'autre part, le fait qu'il n'est quasiment plus respecté sans que ceux qui le violent puissent être sanctionnés.
A l'évidence, le fondement de ce secret de l'enquête et de l'instruction est non seulement qu'elles puissent se dérouler sereinement et efficacement mais aussi de protéger la présomption d'innocence de celui qui en fait l'objet.
Malheureusement, le même secret permet aussi que des enquêtes ou des instructions soient menées sans fin ou pas menées du tout, ce qui dans les deux cas aboutit à l'étouffement de l'affaire.
Cela se produit, certes, dans des cas rares mais qui frappent d'autant plus l'opinion que ce sont en général non des « misérables » mais des « puissants » qui bénéficient de cette déviation. La solution ? Une solution possible - il convient d'être modeste - consisterait peut-être à maintenir, en l'assurant, le secret sous les quatre réserves suivantes.
Première réserve : plus de secret, dans tous les cas, au-delà d'un certain délai.
Deuxième réserve : pas de secret en cas de crimes ou délits flagrants.
Peut-être également une différence pourrait-elle être faite selon qu'il n'existe que des indices et qu'est utilisée la procédure, à juste titre généralisée par le projet, du témoin assisté, auquel cas le secret serait de rigueur, ou qu'il existe des indices graves et concordants, auquel cas le secret serait levé.
C'est dans cet esprit que, en 1993, le 2 juin pour être précis - il y a donc six ans - nous avions, par voie d'amendement, proposé une distinction entre « mise en examen » et « mise en cause ». La « mise en examen » que nous proposions alors n'exigeait que des indices. C'est aussi l'époque où nous affirmions, sans être entendus, qu'il ne faudrait pas deux jours pour qu'à juste titre, dans l'opinion, la nouvelle « mise en examen » ait tous les inconvénients alors dénoncés de « l'inculpation », le seul changement de nom ne trompant personne.
Troisième réserve : il pourrait également ne pas ou ne plus y avoir de secret de l'instruction si la personne faisant l'objet de l'enquête ou de l'instruction en déliait spontanément et librement ceux qui y sont astreints.
Enfin, quatrième réserve : le secret est d'ores et déjà levé pour ce qui se dit lors des débats contradictoires et publics, tant devant le juge de la détention provisoire - la « fenêtre » est créée par le projet - que devant la chambre d'accusation - la « fenêtre » est agrandie par le projet.
En revanche, il ne nous semble pas qu'il soit judicieux d'autoriser le procureur de la République, non seulement à faire des communiqués, mais également à tenir des conférences de presse : le droit, si l'on peut dire, lui était reconnu pour les premiers par une circulaire de 1958 - confirmée d'ailleurs implicitement mais nécessairement par une autre de 1985, je dois le reconnaîre - dont nous avons toujours dit qu'elle était illégale parce que précisément contraire à l'article 11 et au secret de l'enquête et de l'instruction, circulaire qui, en revanche, interdisait formellement les conférences de presse.
Ce n'est pas judicieux parce que le procureur de la République n'est pas neutre ; il est un accusateur. S'il est besoin d'un communiqué, mieux vaudrait que l'une des parties, y compris le procureur de la République, puisse demander de le faire à un magistrat, par exemple au juge pour l'instant appelé « de la détention ».
Il n'a par ailleurs échappé à personne que certains procureurs - entre autres magistrats - rares, bien sûr, mais qui existent, ont une tendance à succomber à une médiatisation contraire à leur devoir de réserve ; cette faiblesse ne doit pas être encouragée.
MM. Emmanuel Hamel et Jean Chérioux. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En outre - j'en arrive au rôle du juge d'instruction - alors qu'est mis en place un juge de la détention, il est évidemment nécessaire de laisser au premier, pour seule tâche, d'instruire à charge et à décharge.
De même que ce serait maintenant le juge de la détention qui statuerait en matière de détention provisoire, de même c'est, à notre avis, à ce dernier et non plus au juge d'instruction à placer une personne mise en examen sous contrôle judiciaire.
Il devrait en être de même, nous semble-t-il, de la révocation éventuelle du contrôle judiciaire sous réserve, sauf à faire du non-respect du contrôle judiciaire un délit sui generis , d'une part, que celui dont on révoque le contrôle judiciaire ne puisse se retrouver en prison si la peine qu'il encourt ne permet pas en elle-même de recourir à la détention provisoire, d'autre part, que, dans le cas contraire, la durée de la détention provisoire qu'il effectuera au total ne dépasse pas la durée maximale prévue en fonction de la peine qu'il encourt.
De même, il n'appartient pas au juge d'instruction de prononcer lui-même des amendes à l'encontre des témoins qui, délibérément, ne comparaîtraient pas ou refuseraient de comparaître devant lui.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas son rôle, c'est celui du seul tribunal.
C'est pourquoi nous proposons de lui donner compétence en la matière.
Je formulerai maintenant quelques réflexions sur les dispositions du présent texte relatives à la presse.
Quelques interdictions qui figurent dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et quelques nouvelles - les unes et les autres souvent destinées à protéger les victimes - seraient transférées dans le code pénal.
Nous pensons qu'en l'état actuel des choses ce n'est pas souhaitable, et nous partageons, sur ce point précis, l'avis de la commission des affaires culturelles à laquelle nous appartenons.
Tant que la totalité des pénalités ne figurent pas dans le seul code pénal - ce qui est, bien entendu, l'idéal auquel nous devons tendre - il y a lieu de garder sa cohésion à la loi sur la liberté de la presse et d'y inclure toutes les infractions existant en la matière non pas parce que nous tenons pour des raisons subjectives ou professionnelles, comme l'a déclaré tout à l'heure M. le rapporteur, à un corpus, mais simplement parce que, dans la mesure où toutes les pénalités figurent jusqu'à présent dans la loi de 1881, il ne serait pas de bonne règle d'en insérer certaines qui sont toujours régies par cette loi dans le code pénal.
En revanche, - et je m'adresse à M. de Broissia, qui a oublié l'une des décisions de la commission des affaires culturelles - lorsque le délit est non pas un délit de presse mais un délit général - par exemple la réalisation de certains sondages, la peine doit figurer non pas dans la loi de 1881 mais - et c'est la teneur de l'amendement que nous continuons à attendre, comme la commission l'a décidé - dans le code pénal.
A défaut de transférer les infractions sur la presse dans la loi relative à la liberté de la presse, il conviendrait au moins d'inscrire dans cette dernière une référence aux nouveaux articles du code pénal.
Plus fondamentalement, le délai de prescription de trois mois, spécial aux infractions de presse, doit maintenant, à défaut de rejoindre immédiatement le droit commun, être allongé.
Non seulement ce délai constitue, parmi d'autres, une « chausse-trappe », qui empêche des victimes d'obtenir réparation - n'oublions pas que cette loi porte sur les « droits des victimes » - mais, en plus, il ne tient pas compte du rythme de la vie moderne et de notre justice.
Nous proposerons que, dans un premier temps, le délai de prescription en matière de presse soit porté à un an.
Qu'il me soit permis de rappeler que c'est le délai au terme duquel une simple contravention se trouve prescrite.
Enfin - et sur ce point, madame le garde des sceaux, nous ne comprenons pas votre attitude ! -, nous continuerons à demander, comme nous le faisons depuis des années, que l'article 9-1 du code civil, - qui permet d'obtenir en référé insertion d'une rectification ou diffusion d'un communiqué aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, ouvre cette possibilité à toute personne, et pas seulement, comme aujourd'hui, à « une personne placée en garde à vue, mise en examen ou faisant l'objet d'une citation à comparaître en justice ». En effet, le plus grave n'est-il pas de présenter comme étant coupable d'infraction celui qui n'a même pas maille à partir avec la justice ? La réponse nous semble évidente.
Cette ineptie - passez-moi l'expression ! - se trouve sous cette forme dans le code civil depuis la loi du 24 août 1993, loi que nous n'avons pas nous-même votée, en dépit de nos efforts et, je dois le dire, en dépit de l'accord qu'à l'époque nous avions obtenu de la commission des lois du Sénat d'abord, du Sénat ensuite. Le Sénat lui-même s'était alors, en effet, opposé à la volonté de M. Toubon et à celle de l'Assemblée nationale de l'époque pour demander que la protection qui est accordée à ceux qui ont maille à partir avec la justice le soit plus encore à ceux qui n'ont rien à voir avec elle.
Excusez-moi de m'emporter un peu, de me passionner, madame le garde des sceaux, mais j'aimerais tellement vous convaincre !
M. Emmanuel Hamel. Votre passion vous honore !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Merci, mon cher collègue. Venant d'un passionné comme vous, votre compliment me comble.
J'ai déjà, chemin faisant - je viens de le faire à propos de la presse, évoqué les droits des victimes.
Ceux-ci sont reconnus depuis un certain nombre de lois, qui sont d'ailleurs mentionnées dans l'excellent rapport de notre collègue Charles Jolibois, à savoir les lois de 1985, 1986 et 1990, c'est-à-dire, pour les deux premières, depuis le ministère de notre collègue Robert Badinter, qui avait créé une commission à cette fin, également citée dans le rapport.
Nombre de droits nouveaux sont reconnus à juste titre aux victimes dans le projet qui nous est soumis, dont certains sur l'initiative de députés.
Je citerai diverses obligations qui sont tout à fait bienvenues.
La première est l'obligation pour les policiers de recevoir les plaintes des victimes. Cela a l'air simple, paraît même aller sans dire. Mais ce qui va sans dire va encore mieux en le disant si l'on ne veut plus voir de victimes dont, au commissariat de police, il aura été refusé d'enregistrer la plainte. C'est donc une obligation bienvenue.
Est également bienvenue l'obligation pour les procureurs de faire connaître aux victimes la date de l'audience. Cela me paraît un minimum. Il faudrait de même que les procureurs soient obligés de répondre aux lettres des plaignants et, plus généralement, des justiciables.
Enfin, je citerai encore comme bienvenue l'obligation pour les juridictions d'indiquer aux victimes l'existence de la commission d'indemnisation des victimes.
En revanche - et vous savez, madame le garde des sceaux, que je ne suis ici pas du tout d'accord avec vous - autoriser les constitutions de partie civile pour réclamer des sommes illimitées soit par déclaration au procès-verbal de police, soit par lettre ou, ce qui revient au même, par télécopie, sans obligation de comparaître, n'est pas une mesure protectrice des victimes, au contraire.
La réparation d'un préjudice important suppose une connaissance de ce que sont la loi et la jurisprudence.
Il vaut donc mieux que les victimes soient présentes pour, éventuellement, se faire expliquer par le tribunal en quoi leur demande est insuffisante. Elles ignorent ce qu'est une IPP, une ITT, un pretium doloris, un damnum juventutis. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Quelle culture !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non, c'est de l'expérience professionnelle !
M. Christian Bonnet. Si, quand même !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le damnum juventutis, c'est évidemment, vous l'avez traduit, le préjudice particulier qui est causé à un jeune qui ne peut plus, par exemple, pratiquer tel sport.
M. Pierre Fauchon. On l'avait compris !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne le dis pas pour ceux qui m'avaient compris. Je le précise à l'intention de ceux qui n'auraient pas compris, ce qui est leur droit !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il vaudrait mieux d'ailleurs, même si nous ne le proposons pas pour l'instant, parce que nous n'avons pas voulu aller à contre-courant de la position que vous avez prise, madame la garde des sceaux puisque les plus démunies des victimes peuvent bénéficier de l'aide juridictionnelle et parce que nous ne voyons pas d'inconvénient à ce que toutes les victimes aient droit à un avocat d'office, qu'il redevienne obligatoire - car cela a été il n'y a pas si longtemps - d'avoir recours à un avocat dont c'est le métier de savoir ce qui peut être réclamé et comment doit être constitué un dossier de demande de dommages-intérêts.
Voilà. Je m'en suis tenu à l'essentiel, pour ne pas dépasser mon temps de parole, sur un rythme plus rapide que je l'eus souhaité, pour être entendu autant que je l'aurais aimé...
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Vous le fûtes ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je le répète, les problèmes à régler pour protéger réellement la présomption d'innocence sont nombreux et délicats. Leur examen, c'est indéniable, demande de la réflexion, des débats, du temps.
J'ajoute qu'il serait souhaitable que la procédure pénale ne soit pas remise systématiquement en chantier à chaque alternance.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour cela, il n'y a qu'une solution : que la prochaine alternance soit la plus éloignée possible. (Rires sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Louis de Broissia rapporteur pour avis. La plus rapprochée possible !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Car s'opposeront toujours, je le crains, ceux qui, avec Goethe, et avec tel de nos collègues... que, je n'aperçois plus...
M. le président. Il est là !
Monsieur Bonnet, c'est pour vous !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... préfèrent une injustice au désordre et ceux - dont nous sommes, je n'ai pas besoin de le dire - qui préfèrent, avec Voltaire, entre autres, laisser échapper un coupable que condamner un innocent. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Pierre Fauchon. Relisez Goethe ! Il faut rétablir la vérité de Goethe !
M. le président. J'observe que M. Dreyfus-Schmidt a scrupuleusement respecté son temps de parole.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, je devrai, quant à moi, bénéficier d'un temps de parole supplémentaire, afin de rétablir l'honorabilité de Goethe ! (Sourires.)
Madame la ministre, mes chers collègues, nous voici donc de nouveau confrontés au problème de la présomption d'innocence.
Il n'en est guère de plus difficiles parce qu'il oppose, dans le champ clos de nos consciences, des intérêts essentiels et cependant incommensurables : la dignité, la liberté de l'homme, d'une part, et l'état de droit, voire la sécurité de la société, d'autre part.
Le conflit est au paroxysme lors de la mise en détention provisoire : traumatisme que l'on ne peut envisager sans effroi puisqu'il atteint du même coup l'être physique et l'être moral ; notre liberté et notre réputation se trouvent abolies ou ruinées en un moment et, en un certain sens, à jamais.
Notre groupe approuve donc qu'une telle question soit sans cesse remise sur le métier du législateur et que celui-ci soit convié par le garde des sceaux, et par le chef de l'Etat, à s'interroger sur la possibilité d'améliorer une loi qui, depuis la suppression de la peine de mort, est peut-être la plus importante de toutes.
La réduction cruelle des temps de parole ne me permet pas d'embrasser les questions posées dans leur diversité. Même si M. le rapporteur a mené cet exercice avec beaucoup de conscience, je regrette, en particulier, de ne pouvoir évoquer la question des moyens, madame le garde des sceaux, qui se pose de manière par trop évidente et par trop douloureuse. Vous avez parlé de créations d'emplois, mais celles-ci ne devraient-elles pas, en priorité, combler les insuffisances actuelles, si souvent criantes ?
Je m'en tiendrai à trois brèves observations.
Je tire les deux premières de la prise en considération des deux conditions essentielles de toute bonne justice, qu'il faut sans cesse rappeler, comme nous l'avons fait la semaine dernière. Ces conditions peuvent être alternatives dans les affaires mineures, mais elles doivent absolument être cumulées dans les plus importantes : pluralité des juges et possibilité de recours.
Est-il cohérent, tout d'abord, que tant de décisions de justice, au pénal comme au civil, ne puissent être rendues que par un tribunal collégial parce que leurs enjeux sont graves, quand la plus grave, peut-être, et la plus irrémédiable des décisions, la mise en détention, peut être rendue par un homme seul, et souvent très seul ? Cela n'est ni cohérent ni supportable.
Qu'on ne nous dise pas qu'il s'agit d'une détention « provisoire », alors qu'il y a quelque chose de définitif et d'irrémédiable dans le fait même de l'incarcération, dès le premier instant de celle-ci.
Qu'on ne nous dise pas que la plupart des détentions ne posent guère de problèmes parce qu'elles correspondent à des circonstances qui ne laissent guère de place au doute, car on ne saurait se contenter de la loi des grands nombres lorsque la personne humaine, dans ce qu'elle a de plus sacré, est en cause.
C'est pourquoi, ne croyant pas que l'on résolve, du moins suffisamment, le problème du juge unique par le dédoublement de ce juge, ce que prévoit ce projet de loi, il me paraît nécessaire que la décision de la détention provisoire puisse être déférée à une autorité collégiale avant même de prendre effet, c'est-à-dire par un appel à très bref délai devant la chambre d'accusation, appel ayant évidemment un caractère suspensif. J'ai déposé un amendement en ce sens.
L'absence de recours dans le domaine de la criminalité soumise aux cours d'assises est un autre sujet de scandale auquel nous n'avons pas le droit de nous habituer.
La question est rendue plus difficile par le fait que nul n'ose mettre en cause le système du jury, encore que diverses circonstances rendent ce système très contestable : suppression de la peine de mort, consécration de l'indépendance de la magistrature, pratique généralisée - et dont on parle trop peu - de la correctionnalisation.
Quoi qu'il en soit, on voit mal comment faire appel d'un jury à un autre, fût-il un peu plus nombreux, c'est-à-dire du peuple au même peuple, de l'intime conviction de quelques-uns pris au hasard à l'intime conviction de quelques autres pris eux aussi au hasard.
Et cependant, la décision fatale, celle qui porte sur le principe même de la culpabilité, ne saurait rester sans recours.
Une solution au moins provisoire pourrait consister à donner une seconde chance au condamné, comme le propose notre rapporteur, sans prétendre faire de cette seconde chance un appel au sens plein du terme, puisque cela supposerait motivation des arrêts et hiérarchie des juridictions.
Dans cet esprit, qui est plus humanitaire que juridique, le droit au recours ne devrait appartenir qu'au condamné, à la victime éventuellement, en cas de relaxe, mais non au ministère public, car il ne faut pas que la société joue « au chat et à la souris » avec ses enfants.
Et puis l'idée de la condamnation d'un innocent - je vais revenir à Goethe - n'est-elle pas infiniment moins supportable que celle de voir un coupable échapper à la condamnation, d'autant que, en toute hypothèse, les accusés des affaires criminelles ont toujours subi une longue détention préventive ?
Que M. Dreyfus-Schmidt me permette de lui signaler que, lorsque Goethe a dit qu'il valait mieux une injustice qu'un désordre, il s'agissait d'éviter un lynchage, qui aurait été un désordre, sur une personne qui était certes présumée coupable, mais qui n'en devait pas moins échapper à ce lynchage.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ma citation reste exacte !
M. Pierre Fauchon. Encore faut-il traduire comme il convient ! En la circonstance « injustice » signifie : justice non rendue.
Ma dernière réflexion dépassera le cadre de notre sujet, et il me semble qu'il faut le dépasser pour ne pas donner à croire que nous nous soucions beaucoup plus de la protection des innocents, dans les cas fort rares où ils sont menacés, que de la protection des victimes, dans les cas de plus en plus nombreux où la société ne se soucie pas suffisamment de leur sort. Je parle ici des victimes potentielles de l'insécurité, c'est-à-dire de tout un chacun.
Il ne faudrait pas, j'insiste sur ce point, que nos débats soient interprétés comme un signal de défiance à l'égard des juges d'instruction, des officiers de police judiciaire, des agents de la sécurité publique, qui sont déjà aux prises avec une ambiance générale de tolérance, la multiplication - souvent paralysante - des précautions et formalités que l'on exige d'eux, pour ne pas parler du peu de considération dont ils jouissent.
Le respect de la présomption d'innocence est sans doute essentiel. Du moins peut-on dire que nous progressons dans ce domaine. En revanche, la protection de la sécurité publique, de la paix publique, de la convivialité publique, reste insuffisante face à des atteintes qui ne cessent de se multiplier et de s'aggraver.
On parlait autrefois des « gardiens de la paix » : belle formule !
Où en sommes-nous dans tant d'espaces publics, de quartiers populaires, d'écoles, où l'insécurité ne cesse de progresser ? Nous apprenons aujourd'hui par la presse que ce fut le principal souci des électeurs dimanche dernier.
Je conclurai par un voeu : puisse la protection de l'innocence particulière de quelques-uns ne pas nous faire oublier celle de tous ceux dont la sécurité est quotidiennement menacée, notamment des personnes âgées, des enfants, des faibles qui sont, eux aussi, eux surtout, des innocents ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la loi. » Ainsi posée par l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la présomption d'innocence est, depuis, largement consacrée, tant par le pacte des Nations unies relatif aux droits civils et politiques que par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En droit interne, l'article 9-1, premier alinéa, du code civil dispose désormais : « Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence. » Parallèlement, l'article 11 du code de procédure pénale assure le secret de l'enquête et de l'instruction. Par conséquent, le secret de l'enquête et de l'instruction est censé assurer la réalité de la présomption d'innocence.
Et pourtant, nous avons tous présents à l'esprit de nombreux exemples de présumés innocents désignés à la vindicte populaire, broyés par un déballage médiatique sordide. Dans certains cas, de véritables drames humains se sont ensuivis. En vérité, les exemples sont légion !
L'inculpation a disparu, pour céder la place à la mise en examen : changement de mots sans efficacité véritable...
La présomption est sans doute de prétendre apporter une solution juridique à un problème de société. Les mises en examen sont annoncées à grand fracas, comme les inculpations l'étaient naguère.
La seule question est alors de savoir s'il faut juguler cette presse par qui le scandale arrive. Mais ce serait une atteinte à une liberté fondamentale, comme l'a fort bien indiqué notre excellent collègue Louis de Brossia, atteinte qui manquerait d'ailleurs son but.
Rien n'empêcherait les organes de presse de révéler que Durand-Dupont a été placé dans un fourgon de police sur la voie publique ou qu'il a été vu pénétrant dans un palais de justice. Le remède serait donc pire que le mal, car les allusions succéderaient alors aux affirmations, les interprétations aux révélations, les approximations aux certitudes.
Un désordre social plus grand en résulterait car, en l'absence d'information certaine, le public croirait à une incitation des services de police et des autorités judiciaires.
Il faut donc se résoudre à une certaine publicité des informations judiciaires, et il est dès lors préférable de l'organiser, ce que fait globalement le présent projet de loi, dont le détail a été remarquablement exposé et analysé par le rapporteur de la commission des lois, notre excellent collègue Charles Jolibois.
Néanmoins, à partir du moment où une certaine transparence de la procédure est instituée, la présomption d'innocence ne devient-elle pas intenable ? L'interrogation est d'autant plus forte qu'existent des présomptions, légales ou jurisprudentielles, qui combattent très sérieusement la présomption d'innocence.
Il convient, en effet, de ne pas oublier la nécessité de charges suffisantes pour que la mise en examen soit prononcée. Or la Cour de cassation a fait, par les arrêts Cisse, du 4 janvier 1990, et Rondet, du 6 mars 1990, de ces charges « des indices sérieux » ou « des indices graves et concordants de culpabilité », sans avoir à craindre apparemment la censure de la Cour européenne des droits de l'homme, puisque celle-ci, par un arrêt du 25 août 1987, a admis qu'un état de suspicion ne portait pas atteinte à la présomption d'innocence.
J'ajoute, s'agissant des présomptions de fait, qu'il est impensable que celui dont la mise en examen a été révélée, à la suite d'un meurtre avoué et perpétré devant plusieurs témoins, soit présumé innocent ! Et, puisque la présomption joue jusqu'au jugement pénal définitif, il me paraît tout aussi impensable que le même, estimant trop lourde la condamnation prononcée contre lui, demeure présumé innocent après avoir formé un pourvoi en cassation !
On est là au coeur du problème. Comment concilier l'accusation qu'implique nécessairement la mise en examen - car on ne voit pas comment pourrait être mis en examen un citoyen exempt de tout reproche - et l'affirmation de son innocence ?
La question peut être prise dans tous les sens, elle ne reçoit pas de réponse satisfaisante. Il n'est quand même pas possible de renoncer à poursuivre des coupables potentiels pour préserver la présomption d'innoncence ! Qu'on le veuille ou non, la mise en examen est la notification d'une suspicion !
Alors, oui, madame le garde des sceaux, il faut veiller à limiter les abus, et cela aux différents stades de la procédure.
Limiter la mise en examen aux personnes contre lesquelles il existe des indices graves et concordants donnant à penser qu'elles ont commis une infraction, comme le propose notre commission des lois, me paraît indispensable.
Préalablement, il peut paraître utile de mieux contrôler la garde à vue. Il est indéniable que certaines se déroulent dans des conditions inacceptables. Encore faut-il observer que l'inacceptable, au demeurant marginal, est le fait de fonctionnaires trop zélés, qui doivent être sanctionnés.
Mais je ne crois pas qu'il faille pour autant prendre des mesures qui seraient illusoires. Nos collègues députés ont introduit un article additionnel avant l'article 2, qui prévoit que le contrôle du procureur de la République sur les gardes à vue se traduira par au moins une visite trimestrielle des locaux de gardes à vue. Soit ! Mais, s'il s'agit d'une simple inspection immobilière, celle-ci sera de bien peu d'effet.
De même, vous reprenez une idée qui vous est chère : l'intervention de l'avocat dès la première heure de garde à vue. Je ne reprendrai pas les arguments développés par notre éminent collègue Christian Bonnet, que je partage totalement.
Par ailleurs, votre projet de loi, madame la ministre, comporte des dispositions tendant à réformer, une fois encore, le régime de la détention provisoire, ainsi que les délais de procédure.
Cela me paraît tout à fait souhaitable et je forme le voeu que l'objectif soit atteint. Toutefois, j'observe que ce texte ne va pas au bout de ses ambitions, et ce particulièrement pour des raisons financières. Sur ce point, je partage pleinement les interrogations de la commission des lois sur l'ampleur des moyens nécessaires à la mise en oeuvre de ce projet de loi.
La création d'un juge unique, magistrat du siège expérimenté, certes, mais seul juge de la détention provisoire, est la manifestation de cette absence de moyens. Comment ne pas préférer la collégialité pour une mesure par excellence attentatoire à la présomption d'innocence ?
Vous souhaitez renforcer les droits de la défense. Bien sûr, je suis tout à fait d'accord. Mais votre prédécesseur avait engagé, en la matière, la vraie réforme : la création d'un double degré de juridiction en matière criminelle.
Victime des aléas politiques, la navette de ce texte avait été interrompue et nous avons été un certain nombre, ici même, à vous demander de poursuivre cette réforme. Vous ne l'avez pas fait !
Je me réjouis toutefois de la très heureuse initiative de la commission des lois d'instaurer un recours contre les arrêts rendus par les cours d'assises. Cette disposition me paraît essentielle, et j'ai cru vous entendre répondre tout à l'heure par un « oui, mais... »
Les droits de la défense passent par des garanties procédurales renforcées, vérité de toujours. Je conclurai par le mot du professeur Ihering, grand juriste allemand du siècle dernier, pour qui « la procédure est l'ennemie jurée de l'arbitraire et la soeur jumelle de la liberté. » (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Peyrefitte. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Alain Peyrefitte. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi concerne non seulement la protection de la présomption d'innocence, mais également la liberté d'expression. Il institue une censure des images soit des personnes suspectées, soit des victimes. Il accentue une judiciarisation et une pénalisation des affaires de presse. Il tend à transformer la presse en bouc émissaire, comme étant le grand responsable des atteintes à la présomption d'innocence.
Je voudrais montrer que le problème posé n'est nullement réglé et que la manière dont on l'aborde porte atteinte à la liberté d'expression, qui est l'un des fondements de notre République.
Je formulerai une observation préalable : on ne peut pas décemment statuer sur les problèmes de presse sans demander leur avis aux représentants de la presse, de même qu'on ne peut pas statuer sur les problèmes de médecine sans demander leur avis aux médecins. Or c'est le cas !
Justement, la presse et l'édition ont de plus en plus maille à partir avec la justice. On sanctionne les journalistes pour recel de documents et violation du secret de l'instruction. On perquisitionne au domicile des auteurs. On place en garde à vue des journalistes, de façon arbitraire. On censure la couverture des livres. On impose des astreintes ruineuses pour les maisons d'édition. On se permet des procès d'intention avant même que le livre soit publié, voire avant même qu'il soit écrit. On condamne la parution d'un livre qui dit la vérité médicale et on ne condamne pas quatorze ans de mensonges médicaux.
Et c'est au moment où les éditeurs de journaux et de livres, où les auteurs et les journalistes se plaignent de la pénalisation croissante des affaires d'information, que ce projet de réforme de la justice veut pénaliser davantage les médias.
Vous me direz peut-être, madame le garde des sceaux, que l'opposition est toujours libérale et que le Gouvernement est toujours restrictif. Mais, jamais, sous la Ve République, aucun Gouvernement n'avait osé avancer des dispositions aussi restrictives que votre projet de loi.
Ce texte institue des dispositions attentatoires à la liberté d'expression dans deux domaines : d'abord, la censure des images des suspects menottés et des « victimes » ; ensuite, l'information pendant la procédure.
Le projet de loi interdit les images des personnes menottées ou entravées. L'image du guide montagnard menotté était, selon l'exposé des motifs du projet de loi, choquante et bafouait la présomption d'innocence. Or le guide montagnard déclarait avoir souffert non pas de la publication de la photographie, mais du fait d'avoir été menotté comme un bandit dangereux. Sa femme a eu l'occasion d'expliquer publiquement qu'elle avait dit à leurs enfants : « Vous allez regarder la télévision, même si vous n'en avez pas envie, car je veux que vous voyiez comment la justice traite votre papa. »
Il a une autre manière de régler cette question des menottes que d'assortir de sanctions pénales la représentation d'une réalité qui dérange,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est de ne pas mettre de menottes !
M. Alain Peyrefitte ... ce qui revient à casser le thermomètre pour ne pas voir la fièvre. Il suffit d'éviter que ne soient délivrés systématiquement des mandats d'amener,...
M. Gérard Braun. Tout à fait !
M. Alain Peyrefitte. ... avec leur cortège de contraintes par corps et d'humiliations.
Mais votre projet de loi a présenté comme une « avancée formidable » la possibilité donnée à la police de prendre toutes mesures pour éviter qu'une personne menottée soit photographiée. Ce qui serait souhaitable, ce serait non pas de censurer des images de personnes « menottées », mais de ne pas menotter les suspects qui ne représentent pas une menace, c'est-à-dire 90 % d'entre eux.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et les autres ?
M. Alain Peyrefitte. Par ailleurs, sont visés par le projet de loi les photographies, dessins, figurations de tout crime ou délit lorsque cette reproduction porte atteinte à la dignité de la victime - il s'agit de l'article 26 du projet de loi.
Cette disposition est bien plus large que ne l'était l'ancienne mesure de l'article 38. Elle est très confuse. La notion de dignité est relative et subjective ; elle laisse une grande part à l'arbitraire.
Le parquet, les nombreuses associations de victimes, dont les droits se voient renforcés, vont pouvoir ainsi interdire la représentation des mauvais traitements subis.
S'il s'agit de répondre à la demande d'une victime ou d'un prévenu, ou selon la sensibilité du parquet, nous risquons alors d'être non plus dans l'intérêt général mais dans l'intérêt privé, et en plein arbitraire, sans la moindre visibilité.
Le projet de loi institue également des amendes de 100 000 francs, infligées pour la diffusion d'images violentes. Mais où commence la violence ?
En outre, ces dispositions doivent être inscrites - M. Dreyfus-Schmidt y a fait allusion tout à l'heure, me semble-t-il - dans le code pénal. Elles cesseront d'être placées sous le parapluie protecteur de la loi de 1881, loi fondamentale, et fondatrice de la liberté de la presse, et qui est l'un des piliers de la République. Cette évolution est une régression.
Avec de pareilles dispositions, combien d'articles ou de photos qui ont déjà été publiés n'auraient pas pu l'être, comme les photos des attentats terroristes dans le métro, ou celles des victimes d'exactions au Kosovo, ou celle de la fameuse Madone algérienne ? Elles pourraient désormais être condamnées sous prétexte de violence ou de respect des victimes.
Le deuxième domaine d'interdiction concerne l'information du public pendant l'instruction.
Mme le garde des sceaux, vous disiez, l'an dernier, à l'occasion du colloque annuel « Presse et Liberté », que j'ai l'honneur de présider et que vous honoriez de votre présence : « Il est illusoire de compter sur le secret de l'instruction dans la mesure où tous les acteurs du système judiciaire n'y sont pas tenus. Il serait donc préférable, comme le préconise le rapport Truche, d'organiser des fenêtres de publicité de l'instruction, des moments de débat contradictoire qui permettront de rendre publics les soupçons qui pèsent sur toute personne, de manière à lui permettre de se défendre. »
Ce que vous nommez « fenêtre de publicité », il vaudrait mieux l'appeler « meurtrière dans un bunker ». Tout débat contradictoire serait subordonné à la décision du président du tribunal et à des conditions qui le rendent quasiment impossible. Le projet de loi prévoit la substitution du parquet à l'actuel droit de réponse. Autrement dit, c'est tout un appareil répressif qui est proposé.
La seule personne légalement autorisée à parler - M. Dreyfus-Schmidt a relevé, à juste titre, ce paradoxe - c'est l'accusateur public : le parquet, qui pourra communiquer. Il est pour le moins surprenant que l'information, faite en principe pour réparer l'atteinte à la présomption d'innocence, soit laissée à l'arbitraire de l'accusation.
M. Hubert Haenel. C'est vrai !
M. Alain Peyrefitte. Naturellement, cette disposition fait peser sur la presse la responsabilité de l'atteinte à la réputation, en cas de non-lieu. C'est bien connu : « La presse est responsable puisque cela aurait dû rester secret ». Et pourtant, madame le garde des sceaux, vous aviez reconnu, voilà un an, que « le secret de l'instruction trouve sa source profonde non pas dans le souci de respecter la présomption d'innocence, mais dans le principe inhérent à la procédure inquisitoire du secret. »
Vous aviez une magnifique occasion, étant donné l'évolution des esprits et des situations, de remplacer notre procédure inquisitoire et secrète par la procédure accusatoire et contradictoire. Vous aviez aussi l'occasion de remplacer le juge « d'instruction » par un simple juge « de l'instruction ». Cette occasion, nous regrettons que vous ne l'ayez pas saisie.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous non plus !
M. Alain Peyrefitte. Depuis vingt ans, les esprits ont mûri !
Toute une « sur-pénalité » vise à empêcher les médias d'accomplir leur travail. Comme si les médias étaient seuls responsables de divulguer l'instruction !
Il est déraisonnable d'autoriser officiellement le parquet et les avocats à communiquer tout au long de la période d'instruction et d'interdire dans le même temps à la presse de parler. Nous savons pertinemment que des magistrats instructeurs, ou leurs greffiers, donnent à des journalistes amis des informations par téléphone - et je sais de quoi je parle ! - ou même leur adressent par fax des pièces de la procédure, supposée secrète.
La protection de la présomption d'innocence ne doit pas nous faire oublier... la présomption d'innocence des journalistes. Le respect des droits des victimes ne doit pas consister à transformer en victime... la liberté de la presse.
Le renforcement du débat contradictoire permettrait, en repoussant la mise en examen, d'instaurer, par la procédure très judicieuse du témoin assisté,...
M. Charles Jolibois, rapporteur. Enfin !
M. Alain Peyrefitte. ... un débat qui donnerait à la personne mise en cause accès au dossier. Il permettrait également une information équilibrée à charge et à décharge, qui respecterait ainsi les principes fondamentaux nécessaires à la tenue d'un procès équitable et à une information impartiale.
C'est en incitant la presse à prendre en considération les deux thèses opposées que l'on assurera le respect des droits de la défense tout en la libérant du plus grand mal qui la guette : le panurgisme de la pensée unique.
Votre projet de loi m'inquiète pour une autre raison, madame le garde des sceaux. Il faut des garanties pour le droit d'informer ; or votre projet de loi malmène ce droit en faisant pencher le fléau de la balance beaucoup trop à l'encontre de la liberté d'expression.
La première de toutes les garanties souhaitables serait que l'on intègre dans la loi de 1881 les principes de la convention européenne des droits de l'homme, dont la France, sous l'impulsion de René Cassin, avait pris l'initiative. Il n'est pas acceptable que les jugements rendus à Paris le soient sur la base de principes beaucoup moins protecteurs de la liberté d'expression. Vous auriez pu prendre l'initiative de cette harmonisation pour éviter l'humiliation de voir les arrêts des cours françaises cassés par la Cour de Strasbourg.
Il serait utile aussi de rapatrier dans cette loi de 1881, protectrice de la presse, des articles du code pénal qui devraient y figurer. Or, vous faites l'inverse !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Pas nous !
M. Alain Peyrefitte. Vous retirez du cadre de la loi de 1881 des dispositions comme l'article 38, pour les intégrer dans le code pénal.
On devrait enfin faire entrer dans la loi de 1881 des adaptations nécessaires au nouveau paysage audiovisuel. Le président de l'Assemblée nationale, M. Laurent Fabius, l'avait suggéré l'année dernière, alors qu'il n'était pas dans l'opposition. C'est une suggestion très utile qui devrait être suivie d'effet.
En somme, il faudrait dépénaliser les affaires d'information. Une société de dialogue, une société démocratique, une société ouverte, transparente comme celle que nous voulons être, devrait se permettre de ne juger qu'au civil, et même de désencombrer les tribunaux en utilisant des structures alternatives à la justice, comme la médiation. Le journal Le Monde et la chaîne France 2 ont donné l'exemple du bon usage du médiateur. (M. le président de la commission des lois rit.) Cet exemple doit être suivi, comme le montre l'exemple anglais pour ce qui est du droit de réponse.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Plaisanterie !
M. Alain Peyrefitte. La seconde garantie souhaitable, c'est qu'il n'y ait plus de référé sans possibilité d'appel, car la sanction immédiate est ruineuse pour l'information. Les journalistes et les auteurs se dressent légitimement contre cette sorte d'urgence inquisitoriale, notamment sous la forme policière des perquisitions qui ne respectent pas le principe de la protection des sources.
La réforme de la procédure pénale reste donc encore à faire. Elle devient plus nécessaire que jamais. Si l'on veut briser ce que l'on peut appeler « le cirque médiatico-judiciaire », il faudra retarder la mise en examen. Il faudra, selon la procédure du témoin assisté, organiser pour la presse un premier contact sur l'affaire au cours d'un débat contradictoire, à charge et à décharge.
On éviterait ainsi de clouer au pilori une personne accusée, dès sa mise en examen. On éviterait de défendre uniquement contre les fuites de la presse ce secret de l'instruction, devenu illusoire puisque les magistrats et les avocats peuvent parler dans le même temps.
M. Emmanuel Hamel. Hélas !
M. Alain Peyrefitte. On organiserait ainsi des conditions d'information, sinon plus objectives puisque l'objectivité n'est probablement pas de ce monde, du moins pluralistes. Le pluralisme est finalement la seule garantie réelle de l'objectivité.
La justice gagnera à ne pas se laisser entraîner à la répression vis-à-vis de la presse et de l'édition, mais à ménager ses grands alliés pour la manifestation de la vérité : les journaux et les livres.
Alors, madame le garde des sceaux, n'attachez pas votre nom à un recul de la liberté d'expression en France ! Acceptez ceux de nos amendements qui veulent la protéger. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants).
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Emmanuel Hamel. C'est dur de parler après Alain Peyrefitte ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest. D'autant plus dur que M. Peyrefitte est un éminent Seine-et-Marnais ! (Nouveaux sourires.)
M. Emmanuel Hamel. Et académicien !
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je parlerais moins de la liberté de la presse que des problèmes situés au coeur du dossier qui nous est présenté !
En effet, madame le garde des sceaux, ce projet de loi vise à réformer certaines lacunes graves de notre système judiciaire dont, hélas ! la plus véritablement préoccupante - le droit d'être jugé dans un délai raisonnable - n'est pas abordée.
En tout premier lieu, loin de ces dossiers qui font les délices des médias parce qu'ils visent des personnalités politiques, des personnalités des affaires ou, maintenant, hélas ! de la haute administration, la justice « ordinaire » est, pour beaucoup de nos concitoyens, toujours inefficace, lente et parfois arbitraire.
La plupart des affaires pénales ne font l'objet ni d'instruction ni même de plainte parfois, et, selon l'encombrement des parquets et des rôles, selon que l'on comparaît à Marseille ou à Fontainebleau, on n'est pas jugé de la même manière.
M. Alain Peyrefitte. Hélas !
M. Jean-Jacques Hyest. On pourrait d'ailleurs dire Fontainebleau ou Melun, ce serait encore différent !
Madame le garde des sceaux, certes, nous avons soutenu toutes les réformes engagées dans le domaine de la petite délinquance pour éviter les courtes peines de prison et pour favoriser les solutions de médiation et les alternatives à l'incarcération ; c'est aussi bien souvent que les victimes étaient oubliées du procès pénal.
Nous allons inévitablement - j'allais dire « une fois de plus » - revoir toutes les phases et rencontrer tous les acteurs du processus pénal, depuis la garde à vue, l'instruction et son caractère secret, avec la mise en examen et la détention provisoire.
Vous avez rappelé, madame le garde des sceaux, les principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la Convention européenne : présomption d'innocence et jugement dans un délai raisonnable. Mais on pourrait aussi ajouter à cette liste le principe du contradictoire, l'information et la garantie du droit des parties, qui ne sont toujours pas respectés, en particulier pendant la phase d'instruction. Plusieurs réformes ont déjà été engagées sans grands résultats, sans doute à cause des moyens - nous y reviendrons - et aussi, il faut bien le dire, à cause de notre culture judiciaire.
Faudrait-il, comme certains rapports qui ont été évoqués l'avaient proposé, abandonner la procédure inquisitoire au profit d'une procédure accusatoire dont les modèles anglo-saxons - vous l'avez souligné, madame le garde des sceaux, et je partage votre point de vue - ne sont pas sans défaut ni très respectueux du principe de l'égalité devant la loi ?
Le projet de loi, dans son premier volet, après beaucoup d'autres tentatives, prévoit donc de modifier le régime de la garde à vue et les responsabilités du juge d'instruction. Il vise à limiter la durée de la détention provisoire et propose en outre certaines timides dispositions pour renforcer le droit à être jugé dans un délai raisonnable.
Il tente une fois de plus de concilier les principes de la liberté de la presse et de la présomption d'innocence. C'est un vieux débat, et l'on a vu la vivacité des réactions quand on aborde ces problèmes !
Je pense d'ailleurs qu'il faut toucher à la loi de 1881 avec précaution - mais j'en dirai deux mots en conclusion.
Le deuxième volet du texte doit être approuvé. Il vise à simplifier certaines procédures, afin d'assouplir les conditions d'accès de la partie civile au procès pénal, et à aménager le dispositif d'aide aux victimes.
Mais, comme je le disais en préambule, le grand accusé de la procédure pénale demeure, pour beaucoup, l'instruction et le juge d'instruction. M. Peyrefitte rappelait tout à l'heure que c'était le juge de l'instruction, mais il s'agissait en fait du juge chargé de l'instruction, à savoir un juge du siège que l'on chargeait pour un délai déterminé de l'instruction. Mais ce juge, par une curieuse évolution, est devenu un spécialiste et, spécialité aidant, on en a fait un juge particulier. Responsable de la mise en examen, le juge d'instruction n'est pourtant à l'origine - on oublie de le dire - que d'une très faible proportion des mises en détention provisoire.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Il a raison !
M. Jean-Jacques Hyest. Ce juge est devenu soit le héros qui n'hésite pas à mettre en détention provisoire les plus puissants - et, quelquefois, il s'en félicite - ou à bouleverser même les règles de saisine par le parquet - on a en vu quelques exemples - soit l'inquisiteur implacable qui utilise tous les moyens pour faire avouer le coupable, oubliant que, en tant que juge, il doit instruire à charge et à décharge. A cet égard, c'est peut-être symbolique, mais inscrire dans le code de procédure pénale que le juge instruit à charge et à décharge me paraît important.
Rappelons également que, si le secret de l'instruction est aujourd'hui synonyme de préservation de la présomption d'innocence, à l'origine, il était le symbole du pouvoir sans contrepoids du juge et du parquet. D'ailleurs, souvenons-nous, pour parler de la presse que, si certains n'avaient pas violé le secret de l'instruction, beaucoup d'affaires en cours et de condamnations graves nous seraient restées inconnues.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. Quant au renforcement des droits de la défense, madame le garde des sceaux, le projet de loi prévoit l'assistance d'un avocat dès la première heure de la garde à vue, dans la ligne d'ailleurs de la loi du 4 janvier 1993. Nous avons donc déjà eu ce débat sur le rôle de l'avocat lors de la garde à vue. Cette réforme risque de poser un certain nombre de problèmes, notamment pour les barreaux eux-mêmes, chargés d'organiser matériellement l'exercice par les avocats de cette nécessaire défense. Il en sera ainsi notamment quand le lieu de la garde à vue sera très éloigné. D'ailleurs, même aujourd'hui, la présence d'un avocat à la vingtième heure de la garde à vue pose des problèmes pour les barreaux.
Mais surtout, il convient que la garde à vue se passe dans des conditions de dignité et de sécurité qui doivent être réellement contrôlées par le parquet. Est-ce le cas partout et toujours ? Je dis non !
En ce qui concerne l'instruction, si l'on oublie que la plupart des mises en examen et des mises en détention provisoire résultent des réquisitions du parquet, que le juge d'instruction a souvent beaucoup de peine à contrecarrer - mais cela nous renvoie à un débat futur sur le rôle du ministère public - et si le nombre de mises en détention provisoire a depuis les dernières réformes baissé, vous avez cherché, madame le garde des sceaux, une nouvelle solution au problème de la mise en détention lors de l'instruction.
Si, comme continue à le souhaiter la commission des lois du Sénat, une instruction collégiale serait la meilleure solution à ce problème, après d'autres tentatives, vous proposez que le juge d'instruction soit dessaisi de cette responsabilité au profit d'un autre juge du siège.
Cela pose le problème de la carte judiciaire. Il faudra donc prévoir des juges car, sinon, nombre de petites juridictions ne pourront fonctionner.
Cela pose aussi le problème de l'utilité de la chambre d'accusation, souvent dit chambre de confirmation, et du peu de succès du référé liberté instauré par la loi du 4 janvier 1993.
Confier à un juge unique, déjà surchargé, la décision dans ce domaine risque d'être sans effet réel, parce que, bien souvent, il suivra les motivations de son collègue, et cela risquera de désorganiser un peu plus la vie des juridictions.
Autant il paraît judicieux de confier à un autre juge cette décision de mise en détention lorsque cette dernière résulte des investigations du juge d'instruction, autant il me paraît vain de croire en une quelconque efficacité du projet de loi sur ce point.
En effet, si l'on doit approuver certaines des propositions que vous faites, madame le garde des sceaux, notamment en ce qui concerne l'extension du statut de témoin assisté, renforcé par la commission des lois, le véritable scandale de notre procédure pénale résulte moins de la mise en détention provisoire que de la durée de cette dernière.
Après l'Assemblée nationale, le Sénat, j'en suis sûr, ira plus loin que ce projet de loi, pour mieux encadrer les délais d'instruction et ne réserver la détention provisoire qu'aux cas où elle est absolument nécessaire. Elle doit devenir l'exception, notamment en matière correctionnelle.
En effet, madame le garde des sceaux, la situation des juridictions est telle que le juge d'instruction n'est pas en mesure de suivre réellement ses dossiers. A tout prendre, affectez les magistrats à qui vous voulez confier la mise en détention provisoire à l'instruction dans les juridictions les plus sinistrées. Et donnons à la chambre d'accusation l'obligation réelle de contrôler l'instruction, pour éviter qu'un détenu ne moisisse pendant des mois en l'attente d'un acte d'instruction ou, bien entendu, de jugement. C'est en effet aussi une cause importante, voire la plus importante, des cas de maintien en détention provisoire.
Remédier à l'inquiétant allongement de la durée des procédures d'instruction devrait être la priorité de l'action du ministère de la justice, avec des strictes mesures pour les expertises, les commissions rogatoires et tout ce qui encadre ces procédures.
Bien entendu - et je ferai des propositions dans ce sens - un autre moyen efficace de faire du juge d'instruction celui qui instruit à charge et à décharge est le renforcement des droits à l'information des parties et le principe du contradictoire, atténuant aussi le caractère inquisitoire de la procédure sans nuire à l'efficacité de l'instruction. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, puisque la conférence des présidents a décidé tout à l'heure de réduire les temps de parole et que le mien est, en conséquence, presque achevé, je vais maintenant conclure.
Songeant à l'histoire législative récente, depuis les réformes initiées en matière de procédure pénale par Robert Badinter - que tous ses successeurs ont essayé de poursuivre, mais ils ont, hélas ! échoué - il nous faut sans doute faire preuve de réalisme et ne pas systématiquement remettre en cause la place reconnue au juge d'instruction en matière d'efficacité et d'indépendance. Un magistrat ne devrait-il pas, avant tout, être un défenseur des libertés, ce qui ne saurait être une nouvelle spécialité ?
C'est donc un jugement nuancé et mitigé qui doit être apporté sur ce projet de loi même s'il apporte de nombreuses modifications au code de procédure pénale, il n'est que partiel, comme l'a souligné M. le rapporteur dans son excellent rapport.
M. Emmanuel Hamel. Un rapporteur fait toujours un excellent rapport ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest. Non ! Mais quand il n'est pas bon, on ne le dit pas ! (Nouveaux sourires.)
Quoi qu'il en soit, un vêtement usé, à force d'être rapiécé, risque de tomber définitivement en lambeaux, ce que ni vous ni nous ne souhaitons ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, parce que plus de 350 000 personnes sont placées en garde à vue chaque année,...
M. Hubert Haenel. Même 380 000 !
M. Jean-Michel Baylet. Qui peut le plus peut le moins !
... parce que 60 000 personnes sont mises en examen ou encore parce que 20 000 prévenus sont incarcérés, le présent projet de loi est, bien sûr, d'une portée considérable. Son intérêt est général.
Si nous sommes dans un Etat de droit, où confondre la coupable est une exigence ; nous sommes aussi, heureusement ! le pays de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, où la protection des droits de la personne et de sa dignité ne s'arrête aux portes de la détention, quelles que soient la forme et la durée de celle-ci.
En 1997, le Premier ministre s'était engagé à réformer le système judiciaire pour le rendre plus efficace, plus rapide, plus proche des citoyens et plus attentif aux libertés. C'est sous l'angle de ces libertés que se situe le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes que vous nous présentez aujourd'hui, madame le garde des sceaux.
Comme vous le savez, les radicaux de gauche se sont attelés très tôt à cette question puisqu'ils ont déposé l'année dernière, à l'Assemblée nationale, une proposition de loi tendant à limiter la détention provisoire et visant, plus précisément, à autoriser la présence d'un avocat dès la première heure de garde à vue, à prévoir la possibilité de placer la personne mise en examen assignée à résidence sous surveillance électronique - et le Sénat, en particulier le président du groupe du RDSE, a beaucoup travaillé sur ce sujet - mais aussi à relever les seuils de peines encourues au-delà desquels est possible la mise en détention provisoire ou encore à limiter la détention provisoire en matière délictuelle et criminelle.
Ce texte avait suscité de vifs débats, mais la majorité des députés l'avait approuvé le 3 avril 1998. Hélas ! il est tombé aux oubliettes à défaut d'avoir été inscrit à l'ordre du jour du Sénat. Je le regrette, bien que le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui relativise ma déception puisqu'un certain nombre de points auxquels nous tenions y figurent. Il participe en tout cas d'un même esprit, puisqu'il s'agit, pour une large part, de mettre fin aux abus de la détention provisoire. Je ne puis que m'en réjouir et vous en remercier, madame la ministre.
En effet, le présent projet de loi marque de réelles avancées. Elles ne sont certes pas toujours, je le sais, bien accueillies par les magistrats, mais une réforme est toujours empreinte d'hostilités. C'est inévitable, mais si l'on se place du côté du justiciable ordinaire, ce texte comporte d'importants progrès et il sera toujours temps de résoudre ses difficultés d'application.
L'une des mesures les plus spectaculaires qu'il contient est, bien entendu, la création d'un juge de la détention provisoire compétent pour ordonner ou prolonger cette détention. Alors qu'environ 30 000 personnes sont placées chaque année en détention provisoire, le juge d'instruction est aujourd'hui seul compétent pour ordonner la détention d'une personne mise en examen. En instituant une collégialité à deux parties, je pense que les droits de la défense seront mieux garantis.
Je voudrais toutefois exprimer un regret, certes d'ordre sémantique, mais fortement symbolique. Les radicaux de gauche considèrent qu'il aurait été préférable d'intituler le juge de la détention « juge des libertés », puisqu'il dispose de deux options, la mise en détention certes, mais aussi la remise en liberté.
On nous a opposé le fait que tous les juges étaient juges des libertés, et même des libertés publiques, et donc que notre voeu était sans objet. On aurait toutefois pu s'accorder sur la forme « juge de la détention et des libertés », car le choix du seul terme de détention sous-tend une orientation répressive ou tout au moins privative en situation, pourtant, d'alternative.
Par ailleurs, je voudrais préciser que cette disposition ne sera bien évidemment un progrès que si les moyens de la justice suivent car, ces dernières années, plusieurs textes sur cette question n'ont pu être appliqués faute de moyens. Je pense à la loi du 10 décembre 1985 instituant en substance une chambre d'instruction composée de trois magistrats, à la loi du 30 décembre 1987 qui abrogeait la précédente pour créer une chambre des demandes de mise en détention provisoire, ou encore à la loi du 4 janvier 1993 qui prévoyait que le contentieux de la détention provisoire serait confié à un organe collégial mais qui n'a pas connu meilleur sort.
La question des moyens est donc essentielle.
Le budget de la justice pour 1999 avait visiblement ce texte en perspective, puisque plusieurs postes de magistrats ont été budgétisés, ce dont nous pouvons nous réjouir. On peut espérer, pour 2000, une nouvelle progression des dotations accordées à la justice ! A l'heure du débat d'orientation budgétaire, peut-être aurez-vous, madame la ministre, quelques précisions à nous apporter sur ce thème ?
Le projet de loi, qui prévoit par ailleurs une modification des seuils à partir desquels la détention provisoire peut être ordonnée à l'encontre d'une personne mise en examen, suscite un autre point de désaccord entre nous.
A l'occasion de l'examen de la proposition de loi déposée par les radicaux de gauche sur la détention provisoire, les députés avaient accepté un relèvement des seuils des peines encourues au-delà desquels est possible la mise en détention provisoire : ces seuils avaient été portés à trois ans au lieu d'un an pour les délits contre les personnes et à cinq ans au lieu de deux pour les délits contre les biens.
On se souvient, madame la ministre, que vous aviez jugé excessive l'élévation des seuils proposés, et c'est donc tout logiquement que l'article 15 du projet de loi a ramené les seuils respectivement à deux et trois ans. Il me semblait pourtant, j'y insiste, que les précédents seuils étaient mieux à même de limiter les détentions provisoires abusives. En effet, nous examinons ce texte sous l'angle des libertés, et cette mesure y participe.
Quant à la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue, elle constitue une mesure exemplaire et fondamentale sur le plan du respect des libertés et des droits de la personne. Le principe en avait été adopté l'année dernière, et je me réjouis de le retrouver dans le présent texte.
Cette mesure a toutefois un corollaire : une grande partie des personnes placées en garde à vue recourent à l'aide juridictionnelle, et il sera donc nécessaire de revoir les moyens à la hausse en ce domaine.
Je constate enfin avec satisfaction que le texte reprend une idée qui nous est chère, celle de l'indemnisation des frais exposés par les personnes relaxées ou acquittées. Sur les 30 000 personnes mises en détention provisoire chaque année, entre 1 500 et 2 000 font l'objet d'un non-lieu ou d'une relaxe. Or à peine une vingtaine de personnes sont indemnisées, alors que le préjudice, nous le savons, peut être très important en fonction de la durée de la détention. Il l'est même dès la première heure, pour des raisons qui n'échappent à personne.
Dans l'intérêt des justiciables, et particulièrement des plus démunis d'entre eux, il serait équitable d'obtenir un dédommagement des frais de défense.
Comme vous l'avez très justement souligné, madame la ministre, il ne peut pas y avoir d'un côté un renforcement des droits de l'accusé s'il n'est pas assorti de l'autre côté d'un renforcement des droits de la victime. Toutes les mesures du projet de loi visant à renforcer les droits de la victime contribueront, je n'en doute pas, à mieux considérer et à mieux informer les victimes.
Mes chers collègues, le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes a suscité de nombreuses réflexions, particulièrement au sein de la magistrature.
Quelles que soient les difficultés que cette profession a soulignées, il faut bien constater que le présent texte engage un meilleur respect des libertés, ce qui est tout à fait souhaitable et nécessaire dans un Etat de droit digne de ce nom.
Que l'on soit accusé ou victime, on peut imaginer combien l'immersion dans la machine judiciaire, particulièrement sous son angle pénal, peut être pénible et redoutable. Offrir des garanties aux uns et aux autres, protéger leur dignité semble naturel, pourvu que l'on soit animé de sentiments humanistes et républicains. (Applaudissements sur les travées du RDSE, sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La discussion générale est close. A ce stade du débat, je souhaite interroger M. le président de la commission des lois. En effet, je sais que la commission a encore beaucoup d'amendements à examiner. Par ailleurs, le conseil des ministres se réunit demain matin.
Dans ces conditions, à quelle heure pourrions-nous reprendre nos travaux en séance publique demain matin ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, la commission doit encore examiner 202 amendements. Nous nous réunirons demain matin dès neuf heures ; mais je ne peux absolument pas préjuger le temps qui nous sera nécessaire. D'après ce que j'ai pu constater en en prenant rapidement connaissance, certains de ces amendements sont importants et mériteront discussion. Nous n'aurons donc sans doute pas terminé nos travaux avant onze heures.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pourquoi la commission ne se réunit-elle pas ce soir ?
M. Jacques Larché, président de la commission. Parce qu'elle n'en a pas ainsi décidé !
M. le président. Et parce que l'ordre du jour de la séance publique prévoit l'examen d'un autre texte ce soir !
Madame le garde des sceaux, je me tourne donc vers vous : si la séance publique est fixée demain matin à onze heures trente, cela vous laisse le temps, j'imagine, d'assister au conseil des ministres puis de rejoindre le Sénat !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, j'avais pris mes dispositions pour ne pas assister, le cas échéant, au conseil des ministres.
M. Emmanuel Hamel. Il ne faut pas le priver de votre présence, madame !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je suis donc tout à fait disponible.
Dans ces conditions, monsieur le président, ne fixez pas la reprise de la séance publique à onze heures trente alors que M. Larché vient de nous dire que la commission des lois aurait achevé des travaux à onze heures ! Pour ma part, je pourrai être présente à onze heures, et même avant. Je ne souhaiterais pas, en effet, que nous prenions du retard dans l'examen de ce texte, sur lequel de nombreux amendements ont été déposés.
M. le président. Madame le garde des sceaux, nous ne voudrions pas vous faire attendre au cabinet des ministres alors que la commission des lois siégerait encore !
M. Henri de Raincourt. C'est bien normal !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le cabinet des ministres n'est pas un local de garde à vue ! (Sourires.)
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je veux préciser à Mme le garde des sceaux - mais elle le sait bien ! - que la commission des lois n'a aucunement l'intention de retarder l'examen de ce texte. J'en veux pour preuve que, jeudi dernier, alors que nous aurions pu souhaiter assister à l'examen en séance publique du projet de loi relatif aux commissaires-priseurs, sur lequel nous avions beaucoup travaillé, la commission s'est réunie toute la journée.
M. le président. Nous décidons donc que le Sénat se réunira en séance publique demain matin, à onze heures. Ainsi, Mme le garde des sceaux pourra assister au conseil des ministres tandis que la commission des lois, quant à elle, disposera de deux heures pour examiner les amendements qu'elle n'a pas encore examinés.
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Monsieur le président, je souhaite bénéficier de la présomption d'honnêteté !
M. Dreyfus-Schmidt a dit que j'aurais fait un oubli.
Je précise que, sur l'article 22, des propositions ont été présentées par la commission des affaires culturelles, propositions que je défendrai, demain matin, en ma qualité de rapporteur pour avis, devant la commission des lois.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, j'ai l'habitude de rapporter très honnêtement les décisions de la commission. Je vous demande de me donner acte qu'il n'y a pas eu d'oubli de ma part.
M. le président. Monsieur de Broissia, c'est moi qui vous donne acte de cette mise au point. Ne provoquez pas M. Dreyfus-Schmidt... (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je n'ai jamais mis en cause M. de Broissia. Oublier n'est pas malhonnête !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je répondrai brièvement aux orateurs, car nous aurons évidemment tout loisir, lors de la discussion des articles, de revenir sur les dispositions de ce texte.
Je tiens d'abord à noter que presque personne n'a contesté l'intérêt et la nécessité de ce projet de loi. Vous avez tous dit votre accord pour garantir davantage la présomption d'innocence et les droits des victimes, ce dont je me réjouis.
Bien sûr, des regrets, des critiques ont été exprimé. Je n'en suis pas étonnée, car c'est le propre d'un débat démocratique sur un texte de cette nature, un texte d'équilibre, qui cherche à concilier des principes difficilement conciliables, voire contradictoires : les droits de l'accusé et ceux des victimes ; l'efficacité de l'enquête et les droits des parties ; la liberté d'expression et le respect de la présomption d'innocence, deux principes constitutionnels d'égale valeur. Selon le côté où l'on penche, on peut dire que cela est trop ou que cela n'est pas assez.
En tout cas, je suis heureuse de constater que les critiques entre le pour et le contre s'équilibrent.
M. Pierre Fauchon. Se neutralisent !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Plusieurs orateurs ont regretté que je n'aie pas pris le parti d'une réforme globale du code de procédure pénale.
J'y ai réfléchi, bien entendu ; mais on m'a rappelé que la réforme du code pénal avait demandé une dizaine d'années. Fallait-il encore attendre dix, douze, voire quinze ans avant de mettre en oeuvre ces dispositions, dont certaines me paraissent tout de même assez urgentes ?
J'ai donc choisi d'intégrer cette réforme dans une réforme globale qui, je pense, apportera une réelle amélioration au fonctionnement de notre justice et, en effet, de me concentrer sur des dispositions qui me paraissaient particulièrement importantes et urgentes : la détention provisoire, les mesures de contrainte, le principe du débat contradictoire et les délais d'instruction et de jugement car ce sont, je crois, les défauts les plus importants auxquels nous devons essayer de remédier.
Quant à la réforme de la cour d'assises - je me suis exprimée sur ce sujet tout à l'heure - elle fera l'objet d'un autre texte. J'espère pouvoir également mener à bien cette réforme très importante.
Je voudrais remercier M. Jolibois des appréciations qu'il a portées sur ce texte. Je suis sensible au fait qu'il ait lui aussi considéré que le maintien de la procédure pénale actuelle était au fond une garantie. Je reviendrai sur ce point en répondant à ceux qui ont exprimé l'opinion contraire.
A M. de Broissia, je répondrai que le souci de la liberté de la presse ne m'a jamais quittée. C'est la raison pour laquelle j'ai limité à quatre incriminations nouvelles, de surcroît très précisément définies, les faits qui portent atteinte à la présomption d'innocence, en réalité à la dignité des personnes. Ces incriminations sont, certes, insérées dans le code pénal, mais nous précisons qu'elles bénéficient des garanties que donne la loi sur la presse, notamment en matière de prescription.
Par ailleurs, je le souligne, j'ai refusé d'inclure certaines dispositions dans ce texte précisément pour préserver la liberté d'expression. Certaines de ces dispositions sont demandées ici - sur l'article 9-1, n'est-ce pas ? Mais pas par vous, monsieur de Broissia ! Je n'ai pas choisi de revenir à la rédaction de la loi de janvier 1993 pour des raisons sur lesquelles je m'expliquerai plus longuement au cours du débat ; mais je vous assure d'ores et déjà que j'ai, sur ce point, une position très cohérente.
M. Bonnet a exprimé son inquiétude s'agissant de la présence de l'avocat à la première heure de garde à vue.
D'abord, nous avons prévu des exceptions à ce principe, notamment pour les affaires de terrorisme et pour la délinquance organisée. Dans les cas qui préoccupent M. Bonnet, l'avocat ne pourra pas être présent dès la première heure. Cela m'est reproché par beaucoup de personnes qui auraient souhaité que nous allions plus loin. Mais nous ne pouvons pas courir le risque qu'il puisse y avoir, par cet intermédiaire, des communications qui soient préjudiciables à l'enquête.
Je voudrais dire à M. Haenel que son souci du contrôle de la police judiciaire est tout à fait légitime et que je le partage. J'ai prévu, dans le projet de loi sur l'action publique, qui viendra en discussion devant votre assemblée à l'automne et qui sera examiné la semaine prochaine par l'Assemblée nationale, des dispositions précises pour aboutir au résultat recherché de façon pragmatique, et non pas en posant le problème du rattachement. Nous pourrons naturellement débattre de tout cela. Je pense que nous pourrons obtenir des résultats tout à fait tangibles en matière de contrôle.
S'agissant des juges d'instruction, je crois qu'il faut être prudent s'agissant de la motivation et de l'appel de la mise en examen. Je sais bien que certains juges d'instruction préconisent la mise en place d'un tel système c'est une question sur laquelle je me suis longuement penchée mais je crois qu'il faut faire attention au préjugement, auquel aboutirait une mise en examen qui serait motivée et qui serait confirmée après avoir fait l'objet d'un appel. Une intention louable peut quelquefois produire des effets inverses au résultat visé ! C'est la raison pour laquelle je n'ai pas accepté ces propositions.
S'agissant de la détention provisoire, M. Bret a exprimé à nouveau sa position sur la collégialité.
Un tel dispositif serait peut-être préférable, mais je souhaite quant à moi engager des réformes dont je suis sûre que j'aurai les moyens de les faire appliquer. En effet, des réformes de la détention provisoire ont déjà achoppé sur cette question de la collégialité. En tout cas, j'estime que deux juges valent mieux qu'un ; c'est déjà un début de collégialité que d'avoir un double regard sur la décision de mise en examen.
M. Robert Bret. Il en manque un !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Oui, mais je crois sincèrement qu'il faut se fixer des priorités.
De surcroît, cette réforme n'implique en aucun cas une défiance vis-à-vis des juges d'instruction. Je ne cesse au contraire de répéter que je veux les maintenir, et c'est pour cela que je refuse de basculer dans la procédure accusatoire et que, par ailleurs, je leur donne des moyens supplémentaires pour travailler. Je vous renvoie d'ailleurs aux pôles financiers qui sont désormais en place à Paris, à Bastia et à Marseille ; d'autres suivront, naturellement.
M. Dreyfus-Schmidt nous a fait, en un temps record, un plaidoyer passionné pour ses idées, que nous connaissons.
Accusatoire ? Inquisitoire ? Je vous ai dit pourquoi j'avais choisi, moi, de ne pas changer notre procédure. Je considère qu'il y a dans la procédure accusatoire des risques réels de privilégier en réalité ceux qui ont les moyens de s'offrir les services d'un ou de plusieurs bons avocats.
De surcroît, je souligne qu'il n'y a pas de modèle unique et pur, nulle part. Dans tous les pays, ce sont des systèmes mixtes, précisément parce qu'on a vu les limites de l'accusatoire là où c'était ce modèle qui prédominait, comme nous avons, nous, vu les limites de l'inquisitoire chez nous.
Au demeurant, nous introduisons beaucoup d'accusatoire dans notre procédure - notamment les droits de la défense -, dans ce texte sans basculer pour autant dans la procédure accusatoire proprement dite.
Je signale que, au Royaume-Uni, on en revient beaucoup de l'accusatoire, et je ne compte plus les articles de presse, depuis un an et demi, sur le ton : « Ah ! si nous avions un juge d'instruction à la française pour limiter les abus que l'on constate de plus en plus dans la police ! ».
Je ne reviens pas sur l'article 9-1 ; je m'en expliquerai plus longuement à l'occasion de la discussion des articles.
Sur les conditions de la détention provisoire, vous avez raison, la politique pénitentiaire que je mène vise à séparer les personnes détenues à titre provisoire des condamnés. J'ai créé, cette année, les deux premiers centres pour peines aménagées, pour, progressivement, réserver les maisons d'arrêt aux détenus à titre provisoire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et la garde à vue ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'y viens.
La garde à vue est une mesure de police contrôlée par le parquet. Il est en effet nécessaire, et cela a déjà été fait à Paris, d'améliorer les conditions matérielles de la garde à vue. J'en arrive à M. Fauchon.
S'agissant de la collégialité et de la détention provisoire, j'ai déjà répondu ; je n'insiste donc pas.
S'agissant de l'appel des décisions criminelles, les observations de M. Fauchon confortent celles que j'ai moi-même présentées dans mon intervention liminaire. Je le répète, nous travaillons à un système d'appel tournant, que nous devons mettre au point dans le détail. Je souhaite le soumettre à une très large concertation, y compris, et avant quiconque, des parlementaires qui sont principalement intéressés par ce sujet.
J'en arrive aux questions de M. Plasait.
Je comprends ses interrogations ; elles montrent à quel point la recherche d'un équilibre n'est pas facile. C'est l'objectif du texte, et je me réjouis que M. Plasait le partage.
A M. Peyrefitte, je dirai d'abord qu'il est en effet impossible de légiférer sur la presse sans consulter les responsables et acteurs de ce secteur. Je l'ai fait en recevant des journalistes, des patrons de presse, des syndicalistes, etc. Je l'ai fait de façon très assidue, monsieur Peyrefitte. Je me suis même rendue, puisque vous m'y aviez invitée, en 1998, au colloque que vous organisez chaque année sur la presse et les libertés. J'aurais été ravie d'y participer cette année, si vous m'aviez invitée. Ainsi, j'aurais pu être interrogée et répondre !
M. Alain Peyrefitte. Je vous ai invitée !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Non, et je le regrette, car j'aurais pu répondre aux critiques formulées sur ce projet de loi.
Vous dites que mon projet de loi est, de tous les temps, le plus attentatoire à la liberté de la presse. Je m'étonne d'une telle affirmation. Quelle accusation !
Vous devriez relire de près le texte. Estimez-vous la définition des incriminations trop vague ? Au contraire, ces définitions sont extrêmement précises, et elles sont limitées à quatre.
Regrettez-vous le fait que je n'ai pas retenu la responsabilité des personnes morales, principe prévu par la commission Truche ? J'imagine que non !
Regrettez-vous l'introduction de la suspension de l'exécution provisoire d'une décision de référé portant atteinte à la liberté de l'information ? Cette disposition n'a pas été beaucoup soulignée dans les débats tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Pourtant, elle figure dans le texte pour éviter, justement, que, par une décision de référé, il ne puisse être porté atteinte à la survie économique d'une publication.
Regrettez-vous le principe de la publicité introduite à tous les stades de la procédure, qui permet une information contradictoire de chacun, et au premier chef de la presse ?
Lors des consultations auxquelles j'ai procédé auprès des professionnels, je dois le dire, aucun n'a porté ces appréciations. C'est vrai, les professionnels s'inquiètent du fait qu'il existe une tendance, comme c'est le cas dans tous les pays, à des condamnations plus fréquentes, à une élévation du niveau des amendes ; mais je n'ai entendu personne porter les appréciations que vous avez portées vous-même. Permettez-moi de vous le dire, j'ai trouvé votre ton parfaitement excessif et outrancier.
Vous prétendez que, sous la Ve République, n'a jamais existé un texte aussi attentatoire aux libertés. Peut-être était-ce parce que, en d'autres temps, on se débrouillait par d'autres moyens pour verrouiller l'information directement, par l'entremise notamment de l'action des ministres de l'information !
A M. Hyest, je dirai qu'il a raison : non seulement les citoyens ont le droit à être bien jugés, mais ils ont le droit de l'être dans des délais raisonnables ; il n'est pas admissible que des soupçons pèsent des années durant, surtout lorsque des instructions se traduisent, in fine, par un non-lieu, ce qui, véritablement, confine à un déni de justice.
Je vous présente précisément un texte qui prévoit l'obligation, aussi bien pour le juge d'instruction que pour le parquet, quand il mène des enquêtes préliminaires, d'indiquer à l'avance la durée prévisible, ainsi qu'un système de recours si cette durée devait être dépassée.
Enfin, je veux remercier Jean-Michel Baylet pour l'appréciation positive qu'il a porté sur ce projet de loi, spécialement en ce qui concerne la détention provisoire, qui est un souci qu'il exprime depuis longtemps.
Le texte qui vous est présenté, je dois le dire, a été irrigué par la proposition de loi déposée par votre groupe, celui des radicaux, à l'Assemblée nationale. Il est vrai qu'en ce qui concerne les seuils interdisant la détention provisoire, nous ne sommes pas allés aussi loin que le prévoyait la proposition de loi - nous aurons l'occasion d'y revenir dans le débat - mais, pratiquement, toutes les autres dispositions ont été reprises. Je crois en effet que c'était une excellente proposition.
La question des moyens, vous l'avez compris, est évidement un souci pour moi et, d'ailleurs, une réalité puisque, heureusement, je dispose de ces moyens supplémentaires que je tâche d'affecter au mieux. Je ne prétends pas, en deux ans, en trois ans ou même en quatre ans, rattraper des retards qui datent de plusieurs décennies. Mais je crois que commence à poindre une amélioration, y compris sur le terrain, dans les juridictions. En tout cas, les magistrats commencent à le dire ; ce doit donc commencer à être la réalité ! (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, la suite de ce débat est renvoyée à demain.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; exceptionnellement, nous les reprendrons à vingt et une heure trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heure trente, sous la présidence de M. Jacques Valade.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

8

FAMILLE

Adoption des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 410, 1998-1999) de M. Jean-Louis Lorrain, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur la proposition de loi (n° 396, 1998-1999) de MM. Jean Arthuis, Guy Cabanel, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan relative à la famille.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lieu privilégié de l'éducation des enfants et de la solidarité entre les générations, la famille est l'une des valeurs essentielles sur lesquelles est fondée notre société. C'est sur elle que repose l'avenir de la nation.
Notre pays a toujours souligné l'attachement qu'il portait à la famille. Le préambule de la constitution du 27 octobre 1946 affirme ainsi que « la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. » Il précise en outre que la nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. »
La famille n'est pas simplement une affaire privée, elle est aussi une affaire publique. Elle a besoin d'être soutenue par une politique familiale volontariste, dont témoigne par exemple, la loi famille de 1994.
Force est pourtant de constater que le Gouvernement auquel nous avons affaire n'a pas toujours fait de la politique familiale l'une de ses priorités. Depuis son arrivée au pouvoir, en juin 1997, ce gouvernement a au contraire multiplié les mesures défavorables aux familles.
Il a certes renoncé à la mise sous conditions de ressources des allocations familiales, qui constituait une erreur majeure. Mais ce recul s'est accompagné d'une nouvelle mesure très critiquable : la diminution brutale du quotient familial.
Le bilan de ces allers et retours est accablant pour les familles. Ainsi, en 1999, leur situation restera plus défavorable qu'elle ne l'était en 1997, avant la mise sous conditions de ressources des allocations familiales. Beaucoup de familles auront perdu les allocations familiales en 1998 et verront leur impôt sur le revenu augmenter en 1999. Enfin, dans un contexte de prétendue stabilisation des prélèvements obligatoires, seules les familles subiront une augmentation de leur charge fiscale.
J'ajoute que la réduction de l'allocation de garde d'enfant à domicile, l'AGED, votée par l'Assemblée nationale dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, a rendu plus difficile, pour bien des familles, la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.
Comme l'a montré notre collègue M. Jacques Machet lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, le Gouvernement mène en réalité une politique familiale en trompe-l'oeil qui consiste essentiellement à reprendre d'une main ce qu'il donne de l'autre.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 a été à cet égard très révélatrice : malgré le retour à l'excédent de la branche famille, les rares mesures positives ont été financées par de nouvelles économies réalisées au détriment des familles, telles que le recul des majorations pour âge des allocations familiales et la très faible revalorisation des prestations familiales en 1999.
Au moment même où la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité vient fragiliser l'institution familiale, notre pays manque à l'évidence d'une politique familiale à la hauteur des enjeux.
Pourtant, l'évolution de notre situation démographique justifie les efforts accomplis dans le cadre de la politique familiale.
S'il est naturellement toujours hasardeux d'établir une corrélation entre politique familiale et situation démographique d'un pays, il faut cependant souligner que la France connaît aujourd'hui une situation démographique plus favorable que celle de ses principaux partenaires.
Selon le bilan démographique de l'INSEE pour 1998, le nombre de naissances a augmenté de nouveau en 1998, avec 740 300 nouveau-nés, soit 1,9 % de plus qu'en 1997. Ce chiffre est à peu près égal au nombre de naissances enregistré vingt ans plus tôt, en 1978 : 737 100. Par ailleurs, le nombre absolu des moins de vingt ans se stabilise enfin, après vingt-quatre ans de baisse ininterrompue.
L'indicateur conjoncturel de fécondité, qui remonte à 1,75 enfant par femme en 1998, est le plus élevé de ces sept dernières années. La France figure désormais parmi les pays de l'Union européenne ayant les indicateurs conjoncturels de fécondité les plus élevés.
Les Françaises nées avant le début des années soixante sont parmi les plus fécondes de l'Union européenne, après les Irlandaises. Ainsi, les femmes de la génération 1958 ont assuré leur remplacement bien avant la fin de leur vie féconde en ayant eu, en moyenne, 2,08 enfants chacune à trente-neuf ans, soit autant que les femmes de la génération 1948 au même âge, alors qu'à vingt-six ans elles présentaient un retard de 0,22 enfant.
Le rattrapage reste possible pour les générations du début des années soixante, qui auront certainement plus de deux enfants en moyenne. Pour les plus jeunes, il est encore trop tôt pour conclure.
La commission des affaires sociales considère que ces éléments positifs ne sont pas sans lien avec les efforts importants que notre pays a accomplis en matière de politique familiale.
Ces efforts doivent maintenant être confirmés. Tel est précisément l'objet de la présente proposition de loi, déposée le 2 juin dernier par les quatre présidents des groupes de la majorité sénatoriale, MM. Arthuis, Cabanel, de Raincourt et de Rohan.
Cette ambitieuse proposition de loi vise à donner une nouvelle impulsion à la politique familiale.
Elle répond ainsi au souhait exprimé par le Président de la République, le 31 mai dernier, de « replacer la famille au premier rang des priorités », de voir la France se doter « d'une nouvelle ambition familiale » et redonner « souffle et vigueur à sa politique de la famille, une politique qui doit se traduire non par une redistribution entre familles, mais par un accroissement régulier des ressources que la nation leur consacre ».
A l'occasion de cette déclaration, un certain nombre de mesures concrètes ont été évoquées par le Président de la République. Elles figurent dans la proposition de loi.
Cette proposition de loi répond à trois exigences : permettre aux parents de concilier vie professionnelle et vie familiale ; assurer le renouvellement des générations en aidant les familles à réaliser leur désir d'avoir un deuxième ou un troisième enfant ; permettre aux familles de jouer pleinement leur rôle d'éducation des enfants en revalorisant la fonction parentale.
Après avoir réaffirmé, dans l'article 1er, la place essentielle que joue la famille dans notre société, la proposition de loi s'organise autour de six axes.
Il s'agit, en premier lieu, d'encourager l'accueil du deuxième et du troisième enfant.
La proposition de loi met ainsi l'accent sur la nécessité de ne plus faire porter exclusivement l'effort de la politique familiale sur le troisième enfant. Elle vise à encourager également l'accueil du deuxième enfant, dont le coût pèse considérablement sur le niveau de vie des familles et auquel ces dernières tendent aujourd'hui à renoncer.
L'article 2 de la proposition de loi prévoit la création d'une allocation universelle d'accueil de l'enfant versée sans conditions de ressources à toutes les familles, à partir du deuxième enfant, et dont l'objectif est de compenser le surcoût de la venue de l'enfant.
Cette prestation serait versée dès la naissance et pendant les dix premiers mois de l'enfant, pour un montant de 1 000 francs par mois pour le deuxième enfant et de 2 000 francs par mois pour le troisième et les suivants.
Cette prestation pourrait se cumuler à l'allocation parentale d'éducation et se substituerait à l'allocation pour jeune enfant pendant les dix premiers mois de l'enfant.
Le deuxième axe de la proposition de loi vise à faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.
Les articles 3, 4 et 5 prévoient un retour aux conditions d'attribution de l'allocation de garde d'enfant à domicile, l'AGED, antérieures à la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998. L'AGED serait désormais attribuée sans conditions de ressources et son montant permettrait la prise en charge intégrale des cotisations sociales payées pour l'emploi d'une personne qui garde l'enfant à domicile.
L'article 6 crée une réduction d'impôt spécifique pour la garde d'un enfant à domicile. Cette réduction d'impôt correspondrait à 50 % des sommes versées pour la garde de l'enfant, plafonnées à 45 000 francs. Elle serait naturellement cumulable avec la réduction d'impôt qui existe déjà pour l'emploi d'une personne à domicile et qui est plafonnée au même montant.
Les articles 7 et 8 prévoient la création d'un congé de solidarité familiale. D'une durée d'un an maximum, ce congé de six mois minimum constituerait un droit pour toute personne qui en ferait la demande pour motif familial dûment justifié.
Ce congé pourrait être accordé, par exemple, pour motifs médicaux, en cas d'échec scolaire des enfants, de séparation ou de divorce du couple, de soutien aux personnes âgées.
L'article 9 prévoit une extension jusqu'au sixième anniversaire de l'enfant du droit au temps partiel, qui est aujourd'hui limité au troisième anniversaire de l'enfant.
Afin d'inciter les pères à jouer un rôle plus actif dans la vie de la famille et l'éducation des enfants, les articles 10 et 11 majorent les droits à congés familiaux offerts aux deux parents de la moitié du temps de congé pris par les pères, dans la limite d'un an.
L'article 12 prévoit que les recrutements auxquels procéderont les entreprises pour remplacer les salariés bénéficiant d'un congé de solidarité familiale donneront lieu à une exonération de charges sociales. Selon les auteurs de la proposition de loi, cette exonération serait de 1 000 francs par mois, soit 12 000 francs par an.
L'article 13 prévoit par ailleurs que les fonds d'action sociale des caisses d'allocations familiales bénéficient d'une dotation de l'Etat, fixée chaque année en loi de finances et destinée à soutenir la mise en oeuvre d'accords d'entreprise permettant d'améliorer la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, en particulier la création de crèches d'entreprises.
Le troisième axe de la proposition de loi vise à généraliser l'allégement et l'enrichissement des rythmes scolaires.
L'article 14 prévoit la généralisation, dans les établissements de l'enseignement primaire, de l'allégement et de l'enrichissement de ces rythmes sur la base d'une semaine de cinq jours, en réservant une demi-journée quotidienne aux disciplines dites de la sensibilité : éveil à la nature, travaux manuels, sports, activités artistiques.
Le quatrième axe de cette proposition de loi tend à aider les jeunes adultes.
L'article 15 instaure un prêt à taux zéro pour les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans afin de les aider à la réalisation d'un projet professionnel. Ce prêt serait accordé par les établissements de crédit auxquels la Caisse nationale des allocations familiales verserait une subvention destinée à compenser l'absence d'intérêt.
Ce prêt serait attribué pour financer un cursus d'études ou de formation, un projet professionnel ou une création d'entreprise. Son montant maximal serait de 24 000 francs par an, remboursable avec un différé de trois à cinq ans.
Quant à l'article 16, il facilite la transmission anticipée du patrimoine. Il prévoit une exonération fiscale particulière en cas de donation des grands-parents à leurs petits-enfants âgés de seize à trente ans, sous la forme d'un abattement de 200 000 francs sur la part de chacun des petits-enfants pour la perception des droits de mutation à titre gratuit.
Le cinquième axe de la proposition de loi vise à compenser l'effort financier des familles.
L'article 17 revient sur l'abaissement du plafond du quotient familial voté par l'Assemblée nationale dans la loi de finances pour 1999. Il prévoit par conséquent que la réduction d'impôt résultant de l'application du quotient familial ne peut excéder 16 380 francs contre 11 000 francs aujourd'hui.
Les articles 18 et 19 visent à garantir l'évolution des prestations familiales.
L'article 18 procède au rattrapage de revalorisation des prestations familiales au titre de l'année 1999. En effet, celles-ci n'ont été revalorisées que de 0,71 % au 1er janvier 1999 alors que les retraites ont été parallèlement revalorisées de 1,2 %, soit l'équivalent de l'évolution prévisionnelle des prix. L'article 18 prévoit par conséquent une revalorisation supplémentaire des prestations familiales à hauteur de 0,49 % en 1999.
L'article 19 pose quant à lui pour principe que les prestations familiales seront revalorisées chaque année à un taux qui ne peut être inférieur au taux de revalorisation des retraites du régime général.
Le sixième axe de la proposition de loi tend à garantir les ressources de la branche famille.
L'article 20 reconduit pour cinq ans, du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2003, une disposition qui figure dans la loi « famille » de 1994 et qui est relative à la garantie des ressources dont bénéficie la branche famille. Chaque année, les ressources de cette branche doivent être au moins égales à ce qu'elles auraient été à la fin de l'année en cas de maintien des dispositions législatives et réglementaires applicables le 1er janvier 1993.
L'article 21 prévoit que la majoration de l'allocation de rentrée scolaire, décidée chaque année par le Gouvernement, ne peut être mise à la charge de la branche famille. Cet article réaffirme donc le principe selon lequel la majoration de cette allocation doit être intégralement financée par le budget de l'Etat qui rembourse son montant à la branche famille.
Enfin, l'article 22 constitue le gage financier de la proposition de loi ; il prévoit que les pertes de recettes pour l'Etat résultant de la présente proposition de loi seront compensées par une augmentation à due concurrence des droits sur le tabac.
Par la diversité des thèmes abordés et l'ampleur des mesures proposées, cette proposition de loi se veut à l'évidence un projet cohérent, ambitieux et porteur d'espoir pour les familles.
Il n'est pas abusif de dire que ce texte s'apparente par bien des aspects à une « nouvelle loi famille ».
Tout cela a naturellement un coût, estimé par les auteurs de la proposition de loi à 8,8 milliards de francs par an. Ce coût se partagerait entre 2,2 milliards de francs de dépenses supplémentaires pour la branche famille et 6,6 milliards de francs d'allégements fiscaux supportés par le budget de l'Etat.
La commission considère que le coût réel de cette proposition de loi pour la branche famille est difficile à évaluer. Le chiffrage du coût de l'allocation universelle d'accueil de l'enfant est en effet délicat en raison de la difficulté à prendre en compte de manière statistique le rang des enfants.
La commission observe cependant que les dépenses supplémentaires résultant pour la branche famille de la présente proposition de loi devraient pouvoir être amorties par les excédents de cette branche tels qu'ils apparaissent dans les comptes prévisionnels annexés à la loi de financement de la sécurité sociale.
L'amélioration de la situation financière de la branche famille - elle devrait connaître des excédents croissants dans les prochaines années : 2,3 milliards de francs en 1999, 4,8 milliards de francs en 2000 et 8,3 milliards de francs en 2001 - permettra en effet de dégager les marges de manoeuvre nécessaires au financement de l'« ardente obligation » que constitue une politique familiale ambitieuse.
La présente proposition de loi garantit en quelque sorte que ces excédents bénéficieront bien aux familles.
S'agissant des conséquences pour le budget de l'Etat des dispositions contenues dans la proposition de loi, votre commission juge indispensable que les diminutions de recettes fiscales soient compensées par des économies sur les dépenses.
La commission souhaite enfin réaffirmer solennellement qu'il est des coûts que notre pays se doit d'assumer. La politique familiale n'est pas un coût pour la collectivité, c'est un investissement indispensable pour l'avenir de la nation.
MM. Henri de Raincourt et Jean Chérioux. C'est vrai !
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Convaincue que ce texte constituait, tel qu'il est, une avancée considérable pour les familles, la commission n'a apporté à la proposition de loi que des modifications mineures tendant à rectifier des erreurs matérielles ou à améliorer la rédaction de certaines dispositions.
Elle vous suggère d'adopter la proposition de loi dans le texte résultant de ses conclusions. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes ici pour examiner une proposition de loi déposée par la majorité sénatoriale et relative à la famille.
Chacun se réjouira du fait que la représentation nationale s'intéresse à la famille, car celle-ci constitue une référence centrale pour nos concitoyens, une réalité à laquelle ils sont particulièrement attachés, comme l'on dit.
M. Alain Gournac. Qu'est-ce à dire ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Bien vivre en famille, tel est légitimement le premier souhait exprimé par les Français.
Au-delà des aspirations de chacun, nous savons tous que la famille joue un rôle essentiel dans la société. Elle permet à l'enfant de se construire affectivement et intellectuellement. C'est l'endroit privilégié où il peut trouver les repères et les valeurs qui l'aident à se construire. La famille est un lieu d'apprentissage du respect de l'autre et de découverte de la société. Elle est un espace de solidarité. Même s'il faut se garder de toute idéalisation - la famille peut aussi être un lieu de violence -, nous savons bien que la vie serait bien plus difficile, le lien social plus distendu s'il n'y avait pas l'heureuse présence des familles.
M. Alain Gournac et Jacques Machet. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Ça commence bien !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Attendez, cela n'est qu'un début !
M. Henri de Raincourt. C'est un bon échauffement !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. C'est dans cet esprit que le Gouvernement a fait de la politique de la famille une de ses priorités.
M. Jean Chérioux. On ne s'en est pas aperçu !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Le 12 juin dernier, à la conférence de la famille, le Premier ministre a engagé une démarche résolue en faveur des familles dans le triple objectif de conforter les parents dans leur fonction éducative, de faciliter la vie quotidienne des familles et de faire évoluer notre système de prestations sociales dans le sens d'une plus grande justice sociale.
Tous les engagements pris à la conférence de la famille ont été tenus, qu'il s'agisse, par exemple, du retour à l'universalité des allocations familiales - monsieur le rapporteur, vous venez d'en témoigner -, de l'extension de l'allocation de rentrée scolaire, de la généralisation des prestations familiales pour tous les enfants à charge de moins de vingt ans, de l'accroissement du budget du FNAS de la CNAF pour améliorer la prestation crèche et alléger la charge des communes pauvres. Il faut remarquer, il est vrai, que le refus - incompréhensible - du patronat et d'un syndicat a conduit à différer la mise en oeuvre de cette dernière mesure. J'espère que cette situation sera corrigée sans retard ; mais elle ne dépend pas du Gouvernement.
Au 1er juillet, la première étape de l'alignement en trois ans de l'allocation logement sur l'APL sera réalisée et nous continuerons en 2000 et 2001. Des moyens nouveaux importants sont mis en place dans les budgets des CAF et dans le budget de l'Etat pour développer, de façon très partenariale, un réseau d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents.
La délégation interministérielle à la famille - dont je salue le délégué ici présent -, chargée d'animer et de coordonner l'action des pouvoirs publics en ce qui concerne la politique de la famille et de permettre ainsi qu'elle s'inscrive dans la durée, a été créée conformément aux souhaits du mouvement familial et s'est rapidement mise au travail, avec tous les ministères concernés, sur cinq axes prioritaires : l'appui à la fonction parentale, l'articulation de la vie familiale et de la vie professionnelle, les jeunes, le logement et les solidarités intergénérationnelles.
Tout cela sera débattu début juillet, à l'occasion de la conférence de la famille 1999 et donnera lieu à des décisions qui trouveront leur traduction concrète notamment dans le PLFSS et le PLF présentés au Parlement à l'automne prochain.
Comme vous le verrez plus clairement encore dans les toutes prochaines semaines, nous travaillons avec le souci non de gérer des effets d'annonces, mais de construire une action cohérente, durable, qui réponde aux préoccupations concrètes des familles, en respectant les rythmes et les procédures fixés par nos institutions.
Que penser, dès lors, de cette proposition de loi débattue à la va-vite en commission, inscrite précipitamment à l'ordre du jour de votre assemblée, sans souci de la charge du travail parlementaire ? (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Philippe Nogrix. Le Gouvernement a donné l'exemple avec l'aménagement du territoire, l'intercommunalité...
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. C'est la séance réservée à l'ordre du jour fixé par chaque assemblée !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je vous en donne acte, monsieur Delaneau.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, justement, que penser de la nature du débat de ce soir, lorsqu'on sait que votre commission s'est saisie de ce projet de loi quelques jours à peine après son dépôt et qu'au cours de la même séance de commission vous avez désigné votre rapporteur et débattu du rapport ?
M. Henri de Raincourt. C'est qu'il est très fort !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Félicitations pour cette célérité !
Que penser encore lorsque l'on sait qu'entre le dépôt de la proposition de loi et le débat de ce soir en séance publique moins de quinze jours se sont écoulés ?
M. Jean Chérioux. Efficacité sénatoriale bien connue !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Exact, vous êtes au-dessous de votre réputation, c'est sûr !
Il n'appartient pas au Gouvernement de plaider le renvoi en commission, bien entendu. Mais, que chacun le sache sur ces bancs, si une majorité se dégageait pour le suggérer, le Gouvernement ne s'y opposerait pas ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Vous avez vu comme en termes galants ces choses-là sont dites !
Pour en venir au fond, je m'arrêterai un instant sur certaines caractéristiques générales, car elles révèlent l'état d'esprit de la majorité sénatoriale et, de ce fait, elles intéressent les Français.
Je m'étonne ainsi que ce texte fasse si peu de cas des besoins des familles. En mettant, à juste titre, l'accent sur l'enjeu que représente l'accueil de l'enfant à sa naissance, ce texte souligne en même temps que l'aide à « l'accueil du premier enfant ne saurait être une priorité de la politique familiale », comme si un jeune couple qui se pose la question du premier enfant n'était confronté à aucune difficulté et pouvait être ignoré.
C'est moins les besoins des familles que l'équilibre démographique qui préoccupe les auteurs des textes.
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas vrai du tout !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Ce n'est pas notre approche.
Pour nous, la priorité de la politique familiale, c'est de répondre aux préoccupations concrètes des familles : avoir les moyens de se loger, pouvoir s'occuper de son enfant sans renoncer à son travail... C'est de cette façon qu'on permettra à chaque femme et à chaque homme d'avoir le nombre d'enfants qu'il souhaite. C'est un débat de fond. Nous n'avons pas d'objectif démographique. Nous avons l'ambition de donner à chacun les moyens de construire la famille dont il rêve, dans le respect de la diversité des projets familiaux.
M. Louis Boyer. Y compris aux homosexuels ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Pourquoi pas ? Mais nous ne sommes pas allés jusque-là !
Il est significatif d'ailleurs que ce texte ne fasse aucune référence au logement, comme si ce n'était pas un besoin prioritaire des familles et un levier d'action centrale de toute politique familiale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez très bien que le logement, pour les jeunes en particulier, s'il était plus facilement accessible, leur permettrait de s'émanciper beaucoup plus vite de la famille et de créer cette famille que vous souhaitez et que je souhaite avec vous.
Quelles sont les raisons qui poussent des couples à avoir des enfants, en dehors des raisons d'ordre privé, sur lesquelles le législateur n'a, fort heureusement, aucun pouvoir ? Je vous renvoie à une étude de l'INSEE publiée ces derniers jours et qui relève que, parmi les raisons d'avoir « peu ou pas d'enfants » - c'est une expression de l'INSEE - seule la crainte face à l'avenir est jugée très importante par plus de la moitié des personnes, soit 55 %.
Lorsque la question est posée aux futurs parents de savoir quels sont les préalables qu'ils fixent à la paternité et à la maternité, hommes et femmes invoquent, après les caractéristiques psychologiques, la stabilité de leur situation professionnelle ; 72 % des futures mères de moins de vingt-cinq ans jugent « très important » pour une femme le fait d'avoir un travail stable avant d'avoir un premier enfant - et l'INSEE n'est pas un organisme que l'on peut taxer de partialité ; 61 % de l'ensemble des mères partagent ce point de vue. Il va presque sans dire que les hommes considèrent à 79 % leur propre situation comme le préalable indispensable à l'arrivée d'un enfant.
Comment mieux dire que les comportements en matière de fécondité sont liés, d'une part, au souhait personnel des femmes d'avoir le nombre d'enfants leur permettant de poursuivre leur activité professionnelle et, d'autre part, à la représentation de l'avenir que se font les ménages, notamment au regard de l'emploi ?
Je crains que le parti pris par la proposition de loi qui vous est soumise ce soir ne réponde pas au problème posé par nos concitoyens.
Le parti pris de ce texte est en effet de privilégier les aides financières indifférenciées, de prôner la disparition des conditions de ressources plutôt que le renforcement des services concrets qui peuvent aider les familles.
La garde des enfants est abordée à travers l'allocation de garde d'enfants à domicile, l'AGED, qui concerne, mesdames, messieurs les sénateurs, 2 % à 3 % des familles.
M. Guy Fischer. Les privilégiés ! (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux. Tout de suite les grands mots !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Mais l'action en faveur des assistantes maternelles est ignorée.
M. Guy Fischer. C'est vrai !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Cette proposition de loi contredit même parfois très directement les aspirations profondes de nos concitoyens.
Même si le titre II, je le reconnais, monsieur le rapporteur, s'intitule : « Conciliation entre vie familiale et vie professionnelle », l'approche proposée, notamment dans le titre Ier, marquerait un recul lourd par rapport à notre bataille, si essentielle, pour l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Le texte renforce, en effet, l'incitation à l'arrêt complet de l'activité, à travers la majoration proposée de l'APE, avec toutes les difficultés qu'implique la reprise du travail, au bout de trois ans, dans un environnement professionnel qui a souvent été bouleversé. Et l'on sait très bien que cette disposition touche quasi exclusivement - à 99 % les femmes.
M. Jean Chérioux. Elles ne s'en plaignent pas. De plus, ne les obligeons pas !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Ensuite, vous les obligeriez, monsieur Chérioux !
M. Jean Chérioux. Oh non !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Par cette mesure, vous acculez les femmes à un choix impossible entre l'emploi et l'enfant. C'est tout le contraire de notre démarche, qui vise à reconnaître conjointement le droit de chacun, homme et femme, à l'activité et au développement professionnels et l'importance de la fonction parentale partagée entre le père et la mère.
C'est le sens de notre double action pour le développement des services d'accueil de la petite enfance et pour une meilleure articulation des temps familiaux et professionnels. C'est un des objectifs de notre démarche de réduction du temps de travail. Et j'espère, dès lors, que tous les défenseurs de la famille se retrouveront pour soutenir la deuxième loi sur le temps de travail.
M. Henri de Raincourt. Ce n'est pas certain !
M. Guy Fischer. Cela, on l'attend !
M. Jean Chérioux. Le temps de travail, c'est lapanacée !
M. le président. Mes chers collègues, ne répondez pas aux provocations de M. le secrétaire d'Etat !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Sur ce terrain de l'organisation des temps, je dois noter, il est vrai, que le texte qui nous est présenté aborde quelques sujets qui méritent attention : la possibilité de s'absenter lorsqu'un enfant a un problème grave ou pour soutenir un parent âgé est une réelle aspiration de nos concitoyens et donc une question qu'il nous faut prendre en compte.
M. Alain Gournac. Tiens !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Mais la méthode proposée dans ce texte est irréaliste.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Oui, c'est sûr !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Comment comptabiliser, par exemple, les congés pris tout au long de la vie professionnelle, au moment où la mobilité devient la règle générale ? Ce point doit d'abord être pris en compte dans la négociation collective sur le temps de travail, à laquelle, vous le savez, le Gouvernement attache une particulière importance, et je crois qu'il faut, en particulier, s'appuyer, dans ce domaine, sur toutes les possibilités qu'ouvre l'épargne-temps, qui doit être utilisée dans l'intérêt des salariés, et en particulier de leur vie familiale.
Le droit au temps partiel pour des parents est une idée féconde, aux modalités de mise en oeuvre de laquelle il nous faut réfléchir. Mais pourquoi l'arrêter aux six ans de l'enfant ? Surtout, pourquoi faudrait-il indemniser les entreprises qui mettent en place des dispositifs permettant l'articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale ? Ce doit être la règle commune ! L'entreprise doit prendre en compte les exigences de la société et, en particulier, l'exigence tout à fait indispensable de consolider les familles.
Le prêt à taux zéro pour les jeunes est aussi une idée qui mérite examen. Mais elle n'est opératoire que si on trouve des modalités originales de remboursement. Surtout, elle doit s'inscrire dans une politique d'ensemble vis-à-vis des jeunes.
Mais ce ne sont pas ces points particuliers qui font l'ossature de ce texte, qui est surtout le texte du retour en arrière et de l'injustice sociale.
Retour en arrière sur la garde au domicile du parent. Pourtant, était-il normal que la collectivité accorde, pour ce mode de garde, près de 100 000 francs d'aide annuelle, alors que l'aide totale pour les crèches était de l'ordre de 50 000 francs et ne dépassait pas 30 000 francs pour les assistantes maternelles ?
M. Jean Chérioux. C'est réservé à l'enfant !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Serait-ce une mesure juste de rétablir cette disposition, alors que, selon les statistiques de la caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, les ressources moyennes mensuelles des bénéficiaires de l'AGED dépassent 31 000 francs tandis que les ressources des usagers des crèches ou des assistantes maternelles sont inférieures à 17 000 francs ?
Retour au passé, c'est aussi l'objectif de ce texte en ce qui concerne le plafond du quotient familial. On sait pourtant que cette mesure ne touche qu'un très petit nombre de familles, celles qui ont les revenus les plusélevés.
M. Alain Vasselle. Ce ne serait que justice !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Le rapport Thélot, que vous invoquez, le soulignait lui-même : le plafond de 11 000 francs ne serait atteint que par les familles dont le salaire mensuel serait supérieur à 38 600 francs, si elles ont deux enfants. S'il rappelait qu' « en principe le quotient familial relève de l'équité fiscale », il soulignait en même temps qu'une partie pouvait « être interprétée comme une aide à la famille » et que c'étaient les foyers à revenu le plus élevé qui en bénéficiaient.
Mme Gisèle Printz. Voilà !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Retour en arrière, injustice sociale, approche passéiste de la politique familiale, méconnaissance des besoins des familles, tel est, en définitive, le sens du texte qui vous est présenté.
De plus, son financement n'est pas assuré. Son coût est sous-évalué : par exemple, l'allocation universelle d'accueil de l'enfant coûterait, au minimum, 4,2 milliards de francs, et non 800 millions de francs comme il est indiqué dans l'exposé des motifs de la proposition de loi qui a été déposée. Où trouver les recettes nécessaires au financement de votre projet, mesdames, messieurs les sénateurs ?
Je m'étonne de l'approximation budgétaire de cette proposition de loi, alors qu'à écouter le Sénat toute nouvelle détérioration des comptes de la sécurité sociale est à proscrire.
Je m'étonne que le rapporteur, M. Lorrain, ait changé d'approche budgétaire en deux semaines.
Mme Gisèle Printz. En effet !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Tout à fait !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Lors du débat sur le projet de loi portant création de la CMU, la couverture maladie universelle, M. le rapporteur expliquait en effet que « mettre fin à l'exclusion des soins » est « certes un objectif légitime et indiscutable, mais cela coûte cher, très cher » et, craignait-il, « beaucoup plus cher qu'il n'a été dit ».
M. Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Il concluait son intervention - excellente ! - en soutenant le projet sénatorial permettant selon lui de « tempérer les effets pervers de la CMU », « tant dans ses conséquences pour les finances publiques que quant aux inégalités qu'il aurait engendrées ».
Que faut-il penser ce soir, monsieur le rapporteur ? Que les conséquences ne sont à redouter pour les finances publiques que lorsqu'il s'agit des plus pauvres, mais que de telles préventions disparaissent lorsque le rétablissement de prestations pour les 2 % de familles les plus aisées est en jeu ? Ou faut-il considérer - je préfère pour ma part, cette interprétation - que ce texte est venu trop vite en discussion pour refléter fidèlement la pensée de votre assemblée ?
Pour sa part, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement ne peut adhérer, sur la forme comme sur le fond, à une initiative qui reste non financée et très éloignée des préoccupations des familles. Il vous appelle en conséquence à rejeter le texte qui vous est soumis ce soir. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Marques de déception sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 31 minutes ;
Groupe socialiste : 26 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 9 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, « la famille est une des valeurs essentielles sur lesquelles est fondée notre société. C'est sur elle que repose l'avenir de la nation. » C'est ce que proclame d'emblée l'article 1er de la présente proposition de loi et, pour vous avoir entendu tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, je crois que vous souscrivez à cette affirmation.
Néanmoins, depuis 1981, je n'ai eu de cesse de dénoncer l'absence de politique familiale des gouvernements de gauche ; je parle d'une politique familiale digne de ce nom, car une politique familiale ne peut être que globale, ce que la proposition de loi rappelle dans le deuxième alinéa de l'article 1er.
Ce que vous appelez une politique familiale, nous l'avons constaté en vous écoutant, n'est en fait qu'une politique sociale redistributive. Nous ne contestons pas la valeur de celle-ci, mais elle est insuffisante et ne répond pas aux besoins de la famille pour assurer son épanouissement et son développement.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean Chérioux. C'est d'ailleurs la position prise par le Conseil économique et social en 1991. M. Hubert Brin, actuel président de l'Union nationale des associations familiales, l'UNAF, proclamait dans son avis que la politique familiale ne peut être qu'une politique globale. Les politiques économique, sociale et culturelle doivent donc tenir compte équitablement, en permanence, des réalités et des intérêts familiaux.
Ce rapport insistait notamment sur le fait qu'une politique familiale doit concerner toutes les familles, même si des modalités d'application différenciées peuvent répondre à certaines spécificités, et qu'elle doit aller bien au-delà de la seule compensation des charges familiales. Elle doit par exemple permettre aux parents de concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale.
Mais vous et votre gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat, au fond, et je le regrette, vous n'aimez pas la famille. Si vous l'aimiez, vous ne mettriez pas en oeuvre une politique essentiellement axée sur le niveau des ressources. Or, vous êtes encore comme hanté, nous l'avons constaté tout à l'heure, par la crainte que des familles insuffisamment modestes à vos yeux puissent bénéficier d'aides qui vous semblent indues.
Si vous aimiez la famille, vous n'auriez pas prix récemment des mesures qui en remettent en cause les fondements mêmes.
Aussi, vous ne vous en étonnerez pas, je me réjouis de l'initiative des présidents des groupes de la majorité sénatoriale.
En effet, même dans l'opposition, nous n'abandonnons pas la famille, qui demeure notre principale priorité. Vous nous avez même fortement encouragés en prenant les mesures que mon collègue Alain Vasselle détaillera tout à l'heure. Une politique de la famille ne se fait pas contre ou même sans la famille, elle se bâtit avec elle et pour elle.
Cela peut paraître bien simple, et pourtant il s'agit de l'essentiel, à côté de quoi nos présidents de groupe ont eu la sagesse de ne pas passer.
Une proposition de loi sur la famille doit s'inscrire, aujourd'hui, dans une conception dynamique et moderne de la famille, elle doit tenir compte en particulier des aspirations nouvelles des femmes. Il ne s'agit pas de réduire le choix de celles-ci à la simple alternative, comme vous le disiez tout à l'heure, entre travail et foyer ! Le rôle des politiques est non pas d'imposer un choix, mais d'offrir le maximum de possibilités pour que ce choix s'effectue en pleine liberté. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.)
Ce texte répond à cette définition.
Tout d'abord, il est responsable, car il tient compte de la situation inquiétante de la natalité dans notre pays. Je sais hélas ! monsieur le secrétaire d'Etat, que ce n'est pas votre affaire, mais c'est tout de même un problème pour notre pays. Les auteurs de la proposition de loi s'efforcent d'y apporter des éléments de solution.
Quelle France voulons-nous pour nos enfants ? Il serait suicidaire de ne pas se préoccuper de notre avenir.
Ensuite, ce texte est raisonnable, car il rejette résolument le recours à l'assistance généralisée. Il ne suffit pas, comme vous l'avanciez tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, de mettre en place des cellules d'écoute pour pallier le désengagement de certaines familles. Ce qu'il faut, c'est donner des moyens à la famille, sans pour autant se substituer à elle.
Enfin, les dispositions prévues par cette proposition de loi ne devraient pas vous étonner ou vous choquer, puisqu'elles s'inscrivent dans la droite ligne de la loi du 25 juillet 1994 que nous avions adoptée ici et qui était une véritable « loi-programme », dont toutes les dispositions n'avaient hélas ! pu être mises en oeuvre.
Cette loi avait néanmoins permis, rappelons-le, d'améliorer la situation de près de 1 500 000 familles, pour le bonheur des enfants et de leurs parents.
Sur le fond, notre texte rétablit le montant de l'AGED au niveau que fixait la loi de 1994 : c'est de nouveau l'intégralité des cotisations sociales qui serait désormais prise en charge. De même, il permet de nouveau à un grand nombre de familles de bénéficier d'une déduction fiscale totale comme le prévoyait la loi de 1994, puisqu'il institue une déduction supplémentaire plafonnée à 50 % des sommes consacrées à la garde d'un enfant à domicile - il y a là seulement une légère différence avec la loi de 1994 - dans la limite de 45 000 francs.
Nous espérons ainsi revenir sur les situations que vous avez créées, à savoir le retour forcé au foyer de femmes ne pouvant plus assumer la charge des salaires d'une garde d'enfant et, que vous le vouliez ou non, le travail au noir.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous êtes certainement favorable aux droits des femmes ; vous l'avez d'ailleurs affirmé tout à l'heure. Dès lors, vous ne pouvez être contre la conciliation de leur vie professionnelle avec leur vie familiale. Or, vous le savez comme moi, il est impossible, en particulier à des femmes cadres, de réussir cette harmonie sans recourir à une garde d'enfants à domicile en raison des contraintes de leur vie professionnelle. C'est de cette possibilité que vous les avez privées !
Suivant la logique de la loi de 1994, qui tendait, dans son titre II, à concilier la vie professionnelle et la vie familiale des parents, nous proposons la création d'un congé de solidarité familiale et la généralisation du temps partiel « choisi ».
J'insiste, monsieur le secrétaire d'Etat, sur ce dernier terme, car vous laissez toujours entendre que le travail à temps partiel est une situation subie en raison des difficultés du marché de l'emploi,...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Parce que c'est très souvent le cas !
M. Jean Chérioux. ... alors que, bien souvent, il est une solution choisie par les parents qui souhaitent concilier leur activité professionnelle et leur vie familiale.
M. Philippe Arnaud. Très bien !
M. Jean Chérioux. De surcroît, plutôt que d'imposer autoritairement à l'ensemble des salariés de notre pays de travailler 35 heures sans tenir compte des situations individuelles de chacun, il serait bien plus profitable d'accorder davantage de liberté à ceux pour qui une réduction du temps de travail correspond à un vrai choix personnel de vie. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
La loi de 1994, répondant à un souci majeur des associations familiales, instituait notamment un relèvement progressif des limites d'âge d'accès aux prestations familiales de dix-huit à vingt ans, puis à vingt-deux ans. Hélas ! nous n'avons pas eu le temps d'aller jusque-là.
Ce qui est proposé aujourd'hui, c'est notamment la mise en place d'un prêt à taux zéro pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans. Je crois d'ailleurs, avoir compris monsieur le secrétaire d'Etat, que vous considériez cela comme une bonne solution.
Evidemment, il s'agit d'une politique ambitieuse, qui nécessite des moyens financiers importants. C'est pour cette raison que la loi de 1994 avait créé une garantie des ressources de la CNAF pendant les cinq ans suivant son adoption. Il est proposé aujourd'hui de reconduire cette mesure pour une nouvelle période de cinq ans, jusqu'en 2003, afin d'assurer le financement de la politique familiale dans les années à venir.
Bien entendu, monsieur le secrétaire d'Etat, vous n'allez pas manquer de nous accuser - vous ne vous en êtes d'ailleurs pas privé tout à l'heure - de mener une politique à crédit, comme vous nous aviez déjà accusé de le faire à l'occasion de la loi de 1994.
Il est vrai que le coût total de ces mesures - celles de 1994 - s'est révélé supérieur à celui qui était prévu initialement. Cette loi devait avoir un coût total estimé de 9,3 milliards de francs à la fin de l'année 1998 ; le chiffre final est proche de 15,7 milliards de francs. Mais, en fait, cette politique a été victime de son succès : il y a eu un rush des femmes vers l'APE, ce qui prouvait bien que celle-ci répondait aux besoins et aux attentes de la population.
De cela, monsieur le secrétaire d'Etat, vous ne pouvez vous enorgueillir, étant donné le peu de succès remporté par les emplois-jeunes et les 35 heures, mesures fort coûteuses pour un bénéfice qui se fait beaucoup attendre !
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Jean Chérioux. L'origine de ces dérapages tient essentiellement à l'accueil rencontré par l'APE, qui a séduit nettement plus de bénéficiaires que ce qui était initialement prévu : sur les 6,4 milliards de francs de surcoût en 1998, 5,7 milliards de francs sont imputables à l'APE.
Cependant, dans son rapport de septembre 1997, la Cour des comptes a souligné qu'il en avait résulté, en compensation, un allégement des charges de l'UNEDIC.
Il est étonnant que cet aspect des choses vous ait échappé, alors que vous essayez par des moyens autrement plus coûteux, et malheureusement inefficaces, de réduire les chiffres du chômage.
Par ailleurs, il ne faut pas non plus perdre de vue que ces déficits que vous avez dénoncés ont été largement organisés par le pillage systématique de la branche famille avant 1994.
M. Alain Vasselle. Eh oui !
M. Jean Chérioux. Celle-ci, avant cette date, a connu des excédents réguliers, qui ont bien souvent permis de financer les déficits des autres branches : 3,5 milliards de francs d'excédents en 1989 ; 3,8 milliards en 1990 ; 4,6 milliards en 1991 ; 6,8 milliards en 1992 ; 10,7 milliards en 1993.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Jean Chérioux. Ce sont donc près de 30 milliards de francs d'excédents cumulés qui se sont dilués dans les comptes du régime général de la sécurité sociale au détriment de la branche familiale.
Heureusement, une autre loi, publiée le même jour que la « loi famille », le 25 juillet 1994, a institué la séparation financière des branches de la sécurité sociale, mettant fin aux prélèvements de toutes sortes effectués aux dépens de la branche famille, qui a, hélas !, rencontré ses premières difficultés à partir de cette époque.
Or, des excédents de la branche famille étant de nouveau annoncés par la commission des comptes de la sécurité sociale, pour un montant proche de 2,3 milliards de francs, vous faites fi, monsieur le secrétaire d'Etat, de l'autonomie financière légale des branches. Vous vous empressez de compenser les déficits de l'assurance maladie par les excédents de la branche famille afin d'améliorer l'apparence des comptes sociaux que vous n'avez pas su maîtriser, malgré les incessantes leçons que vous donnez sur l'excellence de votre méthode.
S'agissant du financement de la présente proposition de loi, il est vrai que les dispositions de l'ordonnance de 1959 nous contraignent à prévoir un gage pour en assurer la recevabilité. Mais nous pensons qu'il vous serait aisé de trouver d'autres sources de financement, si cela se révélait nécessaire, en plus des excédents de la branche famille, ne serait-ce qu'une partie des sommes que vous affectez à une « loi 35 heures » bien peu productive d'emplois et qui va contraindre le Gouvernement à lever des impôts supplémentaires sur les entreprises (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste) et celles que vous consacrez à une « loi emplois-jeunes » dont on n'entend déjà presque plus parler.
M. Josselin de Rohan. Et c'est tant mieux !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. C'est parce qu'elle marche !
M. Jean Chérioux. Heureusement, la majorité sénatoriale voit les choses autrement. Ce qu'elle veut, c'est assurer l'avenir, encourager nos enfants et nos familles.
En apportant à la politique familiale de nouveaux moyens financiers, nous entendons dynamiser l'emploi, stimuler la consommation et investir dans la jeunesse de demain.
C'est pourquoi, les présidents des quatre groupes de la majorité sénatoriale ont pris l'initiative de ce texte. C'est pourquoi le groupe RPR, auquel j'ai l'honneur d'appartenir, entend voter cette proposition de loi en suivant les conclusions de notre excellent rapporteur, Jean-Louis Lorrain. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
Monsieur le secrétaire d'Etat, si vous aimez véritablement les familles, comme vous l'avez laissé entendre tout à l'heure, si le Gouvernement veut vraiment leur apporter son soutien, il ne doit pas les faire attendre plus longtemps, surtout après avoir manifesté autant d'empressement pour soutenir et adopter un certain texte que je n'ai pas besoin de décrire davantage. (Applaudissements sur les travées du groupe du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Guy Fischer. Ah ! le PACS ! La voilà la raison !
M. Alain Gournac. Bravo, Jean ! Quel dynamisme !
M. Alain Vasselle. Quel punch !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Cette pointe de perfidie à la fin !
M. le président. La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la famille fait partie, dans notre société, de ces réalités qui nous semblent évidentes. Chacun affirme vouloir la protéger, sans d'ailleurs trop se soucier de chercher les moyens les plus opportuns, tellement, au fond de soi, réside une forme de certitude qui assurerait à la famille une sorte d'immortalité susceptible de supporter toutes les agressions, sans jamais en être ébranlée.
Ainsi a-t-on entendu des plaidoyers vigoureux en faveur du PACS ou du concubinage homosexuel, promu à la dignité du code civil, de la part de ceux qui prétendaient simultanément ne porter aucun préjudice à la cellule familiale et qui, au fond, aiment sincèrement la famille, au point de vivre eux-mêmes selon les exigences les plus classiques de l'amour familial.
La famille paraît être une valeur tellement universelle qu'il semble possible de nier l'unicité de son modèle, faisant alors de l'accident et de la pathologie une fatalité, et donc une quasi-norme, dont on s'efforce ensuite de panser les plaies trop visibles socialement, sans jamais oser étudier les chemins de la prévention.
Telle est en effet, apparemment, la situation dans des sociétés qui, ayant longuement cultivé les valeurs de l'amour familial, ont fini par oublier, en cette fin de siècle, que leur pérennité n'était pas une donnée naturelle garantie et que tous les environnements, tous les comportements ne se valaient pas pour permettre à la famille d'exister et de se développer.
Il est vrai que nombreuses sont les familles qui, dans la dignité et sans bruit, vivent comme tout naturellement un amour conforme à la sagesse des siècles, c'est-à-dire délibérément choisi et aspirant donc à l'unicité et à la pérennité, malgré un environnement peu favorable, quelles que puissent être, sur le chemin, les difficultés rencontrées. Elles sont même la majorité.
Cependant, nous ne pouvons pas, s'agissant d'humanité, nous contenter d'un bonheur statistique. Trop de drames, de suicides, de misères sont engendrés par les blessures familiales pour qu'on se contente de dire qu'elles ne représenteraient que tel ou tel pourcentage des familles recensées. Il faut essayer de prévenir ces accidents et, pour cela, aider les familles à être et à devenir ce qu'elles doivent être pour être heureuses.
Comment le faire quand la philosophie juridique dominante se refuse à choisir entre les comportements pour orienter ne serait-ce que l'éducation première des enfants et des adolescents ?
La simple sagesse suggère déjà que la stabilité du milieu affectif est préférable pour l'enfant si l'on veut minimiser les risques de traumatismes affectifs et les sous-développements dont on ne mesurera jamais complètement la portée, faute de pouvoir procéder à la contre-épreuve.
Combien de drames résultent d'une vie sexuelle prématurée, sans aucune éducation à la reponsabilité de la relation ?
Mme Nicole Borvo. Qu'est-ce que cela vient faire ?
M. Bernard Seillier. Dans des familles où, apparemment, toutes les conditions sont réunies pour développer un climat affectif ou éducatif conforme à ce que l'on pourrait théoriquement conseiller, on observe aussi des échecs et des souffrances graves.
Tout cela ne justifie pas un pluralisme sans réserve face aux comportements sexuels et éducatifs. Et pourant, on semble paralysé devant ce type de problèmes. On en reste à la dimension financière de la politique familiale, nécessaire, importante, mais pas suffisante.
Il est étonnant qu'au plan politique on accepte sans difficulté les jugements de valeur pour classer les régimes politiques les uns par rapport aux autres selon le critère de la démocratie, alors qu'en matière d'éthique familiale il paraît incongru, dans nos sociétés, de privilégier des comportements plus favorables que d'autres.
Face à ces paradoxes déroutants, et aussi pour minimiser la souffrance des uns et des autres, enfants, adolescents ou adultes, on pense peut-être qu'en relativisant les exigences on évitera les pathologies, comme si celles-ci venaient d'un idéal trop élevé, alors que c'est l'inverse qui est vrai.
On pense peut-être aussi que la liberté impose cet état d'indifférence en attendant le jour mythique où un consensus pourrait se réaliser. Les anciens savaient fort bien qu'une règle de droit ne peut pas rencontrer l'unanimité. Mais la sagesse de l'expérience avait conduit à accepter cet Etat modeste qui voulait qu'on fixe pour règle commune celle qui s'était révélée à l'usage comme le plus favorable au bien commun. Rien de tel aujourd'hui. Oserait-on même mettre en évidence, comme on le fait pour l'alcool ou le tabac, les conséquences néfastes pour les enfants de tel ou tel comportement irresponsable des parents, ou de tel ou tel principe éducatif erroné ?
Le mot « famille », par sa globalité même, est peut-être la cause de cet obscurcissement des jugements de valeur sur ce qui la concerne. Qu'à cela ne tienne : distinguons en son sein les différentes relations, car c'est bien d'elles qu'il s'agit.
Examinons les différents stades qui conduisent l'enfant à son autonomie par rapport à ses parents, sans d'ailleurs la postuler prématurément. C'est peut-être le problème le plus fondamental autour duquel gravitie toute la problématique familiale : conduire le nouveau-né à l'exercice responsable de la liberté de l'adulte.
Examinons concrètement les jeux variés de responsabilité des conjoints l'un par rapport à l'autre et à l'égard des enfants, depuis leur engagement matrimonial initial jusqu'à leur vieillesse pour voir comment la société à laquelle ils participent peut les aider à construire leur existence ou au contraire les pénaliser.
Etudions les relations réciproques de droits et de devoirs entre les familles et les institutions pour développer une connaissance objective de la réalité familiale en lien avec l'avenir de la société et fonder une politique globale qui ne sépare pas le bien familial et le bien social, car les deux sont interdépendants.
Je crois que la situation de ceux qui vivent dans la misère peut nous mettre sur la voie des valeurs authentiques de la famille. Nous avons beaucoup à apprendre de ceux pour qui le droit de vivre en famille est souvent une ambition fondamentale mais tellement fragile du fait même de notre propre législation, jusqu'à devenir parfois un rêve impossible à réaliser.
Il nous faudra peut-être faire ce détour pour retrouver le sens des valeurs familiales.
Le texte qu'il nous est donné d'étudier ce soir constitue une étape sûrement importante sur ce chemin. Mais gardons présents à la conscience tous les domaines où il faudra aussi nécessairement agir un jour si l'on veut encore pouvoir parler d'humanisme à propos de nos sociétés. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.) M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à la veille d'une conférence de la famille, certainement ulcérés par les récents débats relatifs au pacte civil de solidarité, dont on dit qu'il fragiliserait l'institution familiale...
M. Jean Chérioux. Parce que c'est le cas !
M. Guy Fischer. ... et auquel M. Chérioux a fait allusion dans sa conclusion,...)
MM. Alain Gournac et Alain Vasselle. A juste titre !
M. Guy Fischer. ... désireux surtout de relayer les propos de M. le Président de la République, qui a souhaité replacer la famille au premier rang des priorités,...
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Henri de Raincourt. Il a raison !
M. Guy Fischer. ... les quatre présidents de groupe de la majorité sénatoriale ont déposé précipitamment la présente proposition de loi.
Sur la forme, tout d'abord, permettez-moi, mes chers collègues, de déplorer que cette proposition de loi, qui a pour ambition d'être une nouvelle « loi famille », n'ait fait l'objet d'aucune audition au sein de la commission des affaires sociales...
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. C'est faux !
M. Guy Fischer. ... qu'à la hâte, presque à la hussarde... (Vives protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Ce n'est pas vrai !
M. Guy Fischer. Il n'y a que la vérité qui vous fait réagir !
M. le président. Monsieur Fischer, ne vous laissez pas interrompre ! Poursuivez !
M. Guy Fischer. Il m'en faut plus, vous savez ! (Exclamations sur les mêmes travées.)
C'est à la hâte, dis-je, que vous avez arraché son inscription à l'ordre du jour de notre assemblée. Sénateur depuis quatre ans, cela ne fait que quatre ans, c'est la première fois que je vais organiser une discussion sur une proposition de loi dans des conditions aussi déplorables !
M. Alain Vasselle. Quatre ans, c'est peu !
M. Guy Fischer. Erigés en hérauts de la « famille honorable », vous nous proposez d'examiner en séance de nuit une trentaine d'articles, tous idéologiquement très marqués, pour, paraît-il, améliorer le sort des familles.
En fait, vous tentez de réorienter la politique familiale en faveur d'un petit nombre : les familles « traditionnelles », nombreuses et aisées de préférence ! (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Bernard Murat. C'est faux !
M. Louis Boyer. Vous préférez les familles homosexuelles ! Chacun ses goûts !
Mme Nicole Borvo. Ce que vous dites est honteux !
M. Guy Fischer. Je préfère ne pas relever !
Pour traiter de cette question essentielle de l'évolution de notre société, de la cellule familiale qui demeure un lieu privilégié de construction, de structuration tant sociale qu'affective de l'individu, d'éducation et parfois aussi un lieu d'extrême violence, je regrette vivement que la droite, pourtant si attachée à ce thème, ne nous ait pas offert la possibilité d'un grand débat dégagé de toute tactique politicienne et de quelconque arrière-pensée.
Sur le fond, pourquoi faire le choix d'ignorer les réalités de notre temps, de ne pas prendre la dimension de l'évolution des comportements sociaux ?
M. Robert Bret. Ils en sont incapables !
M. Guy Fischer. Ne vous en déplaise, tous les couples ne choisissent pas le mariage ! Les recompositions familiales sont multiples.
Autre trait de la mutation de la famille que vous négligez, la généralisation, d'une part, des couples bi-actifs découlant des nécessités économiques, mais aussi de l'accession à l'autonomie des femmes, et, d'autre part, du modèle de la famille de deux enfants, de la famille monoparentale.
Le fait qu'actuellement les familles nombreuses soient de plus en plus rares semble vous être insupportable : 8 % des femmes nées en 1950 ont eu quatre enfants, conte 25 % de celles qui sont nées en 1930. Pourtant, ce sont essentiellement sur ces familles que vous centrez votre action !
La politique « volontariste » proposée reste ciblée sur les deuxième et troisième enfants et sur les suivants. Outre le fait que cette démarche laisse de côté un grand nombre de familles, le grief fait en d'autres temps à M. Jospin lorsqu'il a décidé de mettre sous condition de ressources les allocations familiales, portant ainsi atteinte au principe d'universalité, reste entier.
En effet, dès l'article 2 de cette proposition de loi, la contradiction apparaît : vous prétendez décider de mesures applicables sans discrimination à toutes les familles, alors que l'allocation universelle d'accueil de l'enfant sera uniquement versée au deuxième enfant, avec une prime au troisième !
Dès l'exposé des motifs, les constats à dessein orientés vicient les choix ultérieurs.
Considérant à tort qu'il est extrêmement rare que des couples renoncent au projet d'avoir leur premier enfant pour des raisons financières, vous en déduisez que l'aide à l'accueil du premier enfant ne saurait être une priorité de la politique familiale.
Décidément, votre conception de la famille est radicalement opposée à la nôtre. (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Ça, c'est vrai !
M. Francis Giraud. Radicalement, en effet !
M. Guy Fischer. Les quatre rapports remis au Gouvernement avant la conférence de la famille de juin dernier ont permis de faire émerger une idée forte à laquelle le groupe communiste républicain et citoyen est très attaché : c'est l'enfant qui fait la famille.
La politique familiale doit permettre de compenser les charges et alléger les contraintes découlant de la venue de l'enfant.
De plus, la priorité doit aussi être de garantir à tous les enfants un niveau de vie minimal, des droits réels à l'éducation, à la santé, aux loisirs.
Il est incontestable que certains couples retardent aujourd'hui la venue du premier enfant. Tout le monde ne construit pas la famille de son choix au moment voulu ; un décalage demeure entre le désir d'enfant et le taux de natalité. Nous savons que c'est la crainte de l'avenir qui justifie de tels comportements.
Depuis de nombreuses années, lorsque nous débattons notamment du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le groupe communiste républicain et citoyen renouvelle sa demande de voir attribuer des allocations familiales, « droit de l'enfant », dès le premier enfant et jusqu'au dernier.
Messieurs, en ne marquant aucun intérêt pour le premier enfant, vous ne favorisez pas le début de la constitution de la cellule familiale ; vous réduisez la portée universelle de la politique familiale.
L'objet de votre proposition de loi est uniquement nataliste. Soit ! Mais d'autres aspects, pourtant indispensables pour la globalité et l'efficacité de la politique familiale, manquent cruellement. La politique familiale doit aussi être un facteur de justice sociale.
Selon l'Institut national d'études démographiques, l'INED, les incidences du niveau de prestations sur le taux de natalité sont infimes. D'autres facteurs expliquent la stagnation du taux de natalité : le recul de la première naissance, le travail des femmes, mais aussi, et surtout, la situation économique. Il s'agit là d'aspects essentiels que vous occultez ou que vous traitez sélectivement.
A aucun moment, le texte proposé ne fait référence au réexamen de la politique du logement pour répondre aux besoins des familles. Le problème de l'éducation est abordé, mais uniquement sous l'angle des rythmes scolaires !
La prise en compte de la dimension familiale dans la politique de l'emploi n'est pas envisagée ; vous passez sous silence les effets bénéfiques de la réduction du temps de travail. (M. Gournac s'exclame.) Plus grave encore, vous proposez de développer un peu plus le temps partiel...
M. Jean Chérioux. Il est choisi !
M. Guy Fischer. ... en étendant ce « droit » jusqu'au sixième anniversaire de l'enfant.
Permettez-moi de rappeler que le nombre de femmes qui exercent une activité à temps partiel est en constante augmentation, alors que ce temps partiel est de moins en moins choisi, monsieur Chérioux !
Imposé, il contraint les femmes à supporter des horaires atypiques, imprévisibles, difficilement conciliables avec le suivi et l'éducation des enfants.
M. Alain Gournac. Que fait le Gouvernement ?
M. Guy Fischer. Vous êtes loin des réalités, monsieur Gournac ! Vous méconnaissez ce monde-là !
M. Alain Gournac. Ça, c'est sûr !
M. Guy Fischer. Pourtant, vous souhaitez conforter, à juste titre d'ailleurs, le rôle éducatif des familles !
S'agissant de l'allocation parentale d'éducation, l'APE, votre appréciation ne varie pas : c'est un succès ! Toutefois, toutes les études montrent que, pour les mères qui connaissent de réelles difficultés d'insertion et qui, faute de moyens ou de mode de garde adaptés, ont été contraintes de choisir l'APE, cette mesure se révèle être une cause d'éloignement durable du marché de l'emploi. Si, pour certaines mères, l'APE apparaît comme une alternative satisfaisante, l'objet de cette mesure coûteuse est d'inciter les femmes à retourner au foyer !
Pour concilier vie professionnelle et vie familiale, les dispositions proposées sont parcellaires, destinées à un petit nombre de familles.
Vous privilégiez un mode de garde, la garde à domicile, au mépris de la liberté de choix de chaque parent d'adopter celui qui lui convient. Vous ne prévoyez rien pour diversifier, améliorer les modes d'accueil des jeunes enfants, facteur bien souvent décisif dans la socialisation de l'enfant.
En ce qui concerne l'AGED, vous proposez un retour aux conditions d'attribution en vigueur avant 1998, c'est-à-dire sans condition de ressources, et la prise en charge intégrale par l'AGED des cotisations sociales dues pour l'emploi de la personne.
Enfin, vous créez une réduction d'impôt spécifique pour la garde d'un enfant à domicile, garde à domicile présentée comme une panacée.
M. Jean Chérioux. Elle est importante pour les cadres !
M. Guy Fischer. Nous avons soutenu la volonté du Gouvernement de réduire les avantages exorbitants de cette allocation dans le souci de rétablir une certaine égalité entre les familles, l'effort des familles modestes étant aujourd'hui supérieur à celui des familles fortunées.
L'option choisie ne peut nous convenir ; elle est discriminatoire !
En fait, pour l'essentiel, vous préconisez des mesures fiscales. Vous défaites avec plaisir tout ce que l'actuel gouvernement a eu raison d'entreprendre. Je pense, bien sûr, à l'abaissement du plafond du quotient familial.
Vous ne tirez aucun enseignement de l'application de la loi « famille » de 1994 (M. Chérioux s'exclame) qui, je vous le rappelle, se limitait à compenser les charges familiales et qui, suite à la montée en puissance de plusieurs de ces mesures, a contribué aux dérapages de la branche famille.
M. Jean Chérioux. Elle a été un grand succès !
M. Guy Fischer. Suite à la conférence de la famille de l'an dernier, le Gouvernement s'est engagé dans la définition d'une autre politique familiale globale...
M. Jean Chérioux. Hélas !
M. Guy Fischer. ... plus lisible, plus juste pour les familles les plus défavorisées. Nous pensons cependant que celle-ci doit être encore améliorée. (Ah ! sur les travées du Rassemblement pour la République.)
M. Alain Gournac. Ça, c'est bien !
M. Guy Fischer. Sur certains points, je souhaiterais donc que le Gouvernement aille plus loin, notamment en ce qui concerne les jeunes adultes - Nicole Borvo y reviendra tout à l'heure.
Conscient du fait que vous cherchez avant tout, au travers de ce texte dont la plupart des dispositions sont inacceptables, à améliorer non pas le sort de toutes les familles, mais uniquement celui de quelques-unes, et surtout à polémiquer sur le thème de la famille, le groupe communiste républicain et citoyen, étranger à votre démarche, ne s'inscrira pas dans ce débat. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. Mes chers collègues, à la demande de M. le secrétaire d'Etat, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures quarante, est reprise à vingt-deux heures cinquante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous avons découvert, voilà une semaine, le texte de la proposition de loi relative à la famille présentée par les présidents des quatre groupes de la majorité sénatoriale.
La commission des affaires sociales a modifié son ordre du jour pour examiner mercredi dernier ce texte, dont nous discutons cette nuit dans cette enceinte.
Nous avons découvert cette proposition de loi, mais nous ne sommes pas pour autant étonnés par le texte ou par le calendrier : nous avions relevé les propos tenus par M. le Président de la République le 31 mai dernier ! (Sourires sur les travées socialistes.) Profitant de la remise de la médaille de la famille française, M. Chirac a exprimé le souhait de replacer la famille au premier rang des priorités, comme si le Gouvernement ne le faisait pas !
M. Pierre Fauchon. C'est le cas de le dire !
M. Alain Gournac. Très bien...
M. Jean Arthuis. C'est justement parce qu'il ne le fait pas !
M. Gilbert Chabroux. Du 31 mai au 2 juin, date du dépôt de ce texte, le laps de temps a été très court : trois jours ! Et on peut se demander qui, du Président de la République ou des groupes de la majorité sénatoriale, a eu l'initiative de cette proposition de loi ! (Exclamations sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux. Voilà qui est intéressant !
M. Philippe Richert. Une proposition de loi présidentielle !
M. Philippe Nogrix. C'est la grande famille !
M. Gilbert Chabroux. Qui est le législateur ? Nous ne sommes pas étonnés, mais on peut s'interroger sur cette façon de procéder, sachant qu'en novembre dernier, conformément aux ordonnances Juppé, nous avons débattu du projet de financement de la sécurité sociale, et donc de la branche famille, pour 1999 et que nous aurons à nouveau un débat sur ce sujet à l'automne prochain, sachant aussi que nous avons eu à discuter, dans l'intervalle, du projet de loi de finances pour 1999 et que la majorité sénatoriale a voté sans état d'âme des réductions drastiques de crédits dans des secteurs qui participent étroitement à la politique familiale.
M. Guy Fischer. Elle en a encore proposé d'autres !
M. Gilbert Chabroux. Personne n'a oublié les coupes budgétaires que vous avez pratiquées : 26 milliards de francs en tout ! Faut-il rappeler les secteurs qui ont été sacrifiés ?
Mme Dinah Derycke et M. Guy Fischer. Oui !
M. Gilbert Chabroux. Le logement social (Oui ! sur les travées socialistes) , avec la réduction des allocations personnalisées au logement versées aux ménages les plus modestes,...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Voilà !
M. Gilbert Chabroux. ... l'éducation, avec la suppression de postes d'enseignants, y compris dans les zones d'éducation prioritaires (Oui ! sur les travées socialistes), la non-revalorisation des bourses des collèges,...
M. Jean-Guy Branger. Non !
M. Gilbert Chabroux. ... la suppression de 11 000 bourses de lycées et des fonds sociaux collégiens et lycéens, l'emploi, avec la diminution de plus de 10 milliards de francs de crédits, le refus de créer 50 000 emplois-jeunes et la suppression des crédits consacrés au financement de la réduction du temps de travail ! (Oui ! sur les travées de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Cela coûte trop cher !
M. Gilbert Chabroux. Il faut encore citer la santé et la solidarité, la culture, la jeunesse et les sports, la politique de la ville. Quand on sait combien ces secteurs participent à une véritable politique familiale, on peut s'interroger sur la pertinence et la cohérence des positions et des intentions de la majorité sénatoriale ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
De même, quand on sait quelle réaction a suscité l'annonce d'un déficit minime de la sécurité sociale - 0,03 % du budget -...
M. Alain Gournac. Dans l'autre sens !
M. Henri de Raincourt. Bérégovoy !
M. Gilbert Chabroux. ... alors que les gouvernements de droite avaient laissé dériver les comptes, y compris ceux de la branche famille qui accusaient un déficit de plus de 13 milliards de francs en 1997 et de 12 milliards de francs en 1998 avant toute mesure nouvelle,...
M. Henri de Raincourt. Eh bien...
M. Gilbert Chabroux. ... comment peut-on, dans de telles conditions, dans l'improvisation et la précipitation, présenter un plan qui se traduirait, entre autres, par 32 milliards de francs d'allégements de la fiscalité ?
Le rapporteur de cette proposition de loi, M. Jean-Louis Lorrain, nous a dit très prudemment, en commission des affaires sociales que les mesures proposées auraient un coût supérieur à celui qui a été estimé par les auteurs de la proposition de loi, soit 8,8 milliards de francs en année pleine.
Nous n'avons pas de peine à le croire ! Nous savons bien que les dépenses ont été sous-estimées !
On peut donc s'interroger sur les intentions qui ont présidé au dépôt de ce texte. S'agit-il d'une opération politique ? (Non ! sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.) Idéologique ? (Non ! sur les mêmes travées.)
Considérons que, ce qui compte, c'est l'effet d'annonce. (Exclamations sur les mêmes travées.)
M. Henri de Raincourt. Là, vous êtes les rois !
M. Alain Gournac. Ça, c'est vrai !
M. Gilbert Chabroux. Le credo qu'entonne la droite et que nous avons entendu ce soir - « Famille, je vous aime » -...
M. Alain Gournac. Ah oui ! C'est vrai !
M. Gilbert Chabroux. ... fait fi du financement ! La loi de 1994 a bien été financée à crédit !
M. Jean Chérioux. Elle était excellente !
M. Bernard Murat. Quand on aime, on ne compte pas !
M. Gilbert Chabroux. La droite veut sans doute un débat, un débat de plus, sur la famille, alors que se prépare la prochaine conférence nationale de la famille.
M. Jean Chérioux. On sait comment cela se passe !
M. Gilbert Chabroux. Faut-il redire que la famille n'est ni de droite ni de gauche, qu'elle appartient à elle-même et à tous les Français et qu'il serait indécent de la brandir comme un étendard ?
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Très bien !
M. Gilbert Chabroux. Nous sommes tous d'accord pour reconnaître, comme le disait Lionel Jospin lors de l'ouverture de la conférence de la famille, le 12 juin 1998,...
M. Alain Gournac. Il a dit, mais qu'a-t-il fait ?
M. Gilbert Chabroux. ... que jamais sans doute la présence de la famille dans notre société n'a été aussi essentielle.
M. Alain Gournac. Qu'a-t-il fait ?
M. Gilbert Chabroux. Vous le savez bien, et je vais le rappeler.
M. Alain Gournac. Nous attendons !
M. Gilbert Chabroux. La question se pose donc : pourquoi cette proposition de loi ?
Il est vrai qu'elle s'inscrit dans une tradition, une continuité,..
M. Bernard Murat. Ah, voilà !
M. Gilbert Chabroux. ... une persévérance à droite.
M. Jean Chérioux. C'est notre droit !
M. Gilbert Chabroux. Elle reprend des thèmes qui ont inspiré d'autres textes ou qui les prolongent.
M. Jean Chérioux. Et alors ? Ce n'est pas étonnant !
M. Gilbert Chabroux. Je les cite : favoriser la natalité - nous avons encore le souvenir des propositions de Mme Codaccioni -...
M. Jean Chérioux. Et pourquoi pas ?
M. Gilbert Chabroux. ... favoriser les couples mariés, français de surcroît - c'était la proposition Pascallon, de Saint-Sernin et Wiltzer à l'Assemblée nationale en 1993 -...
M. Alain Vasselle. Ce n'est pas une tare !
M. Gilbert Chabroux. ... modifier dans un sens privatiste les modes de garde des enfants au détriment des structures collectives, selon les mêmes auteurs,...
M. Alain Vasselle. Pas du tout !
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas « au détriment », c'est en plus !
M. Gilbert Chabroux. ... diminuer les charges des entreprises, notamment par la compensation de leur effort familial, inciter les mères à se retirer du marché du travail, selon la proposition Saint-Sernin.
Et même Mme Simone Veil...
M. Jean Chérioux. Simone Veil ? Elle a osé ?
M. Gilbert Chabroux. ... déclarait, en juin 1994, devant le Sénat - vous y étiez, mes chers collègues -...
M. James Bordas. C'est de l'histoire ancienne !
M. Gilbert Chabroux. ... « Oui, l'allocation parentale d'éducation, nous l'espérons, aura un effet bénéfique sur l'emploi, que nous avons chiffré à 50 000 emplois à temps plein. »
M. Jean Chérioux. Cela a été le cas, et cela a été une bonne chose !
M. Gilbert Chabroux. On retrouve tous ces thèmes dans le texte qui nous est présenté.
M. Jean Chérioux. Et c'est très bien !
M. Gilbert Chabroux. La famille, le travail,...
Un sénateur socialiste. ... la patrie !...
M. Gilbert Chabroux. ... la natalité, les cotisations sociales, la fiscalité.
M. Alain Vasselle. Excellent !
M. Gilbert Chabroux. La première mesure a trait à la natalité.
M. Alain Gournac. Et alors ?
M. Gilbert Chabroux. Une allocation universelle d'accueil serait créée sans condition de ressources pour le deuxième enfant ainsi que pour le troisième et les suivants.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Gilbert Chabroux. Une allocation universelle sans condition de ressources ? La forme est redondante, mais on comprend mieux le sens ! Il s'agirait de mettre en place une politique nataliste fondée sur des allocations. (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. Et alors ?
M. Jean Chérioux. Cela vous gêne ?
M. Gilbert Chabroux. Il est étonnant, monsieur Chérioux, de constater que le premier enfant...
M. Alain Vasselle. Lisez le rapport Charpin !
M. Gilbert Chabroux. ... ne fait l'objet d'aucune attention. Il est passé sous silence !
M. André Maman. Mais non ! On l'aime beaucoup !
M. Gilbert Chabroux. On nous dit, avec beaucoup de légèreté ou de désinvolture, qu'« il est extrêmement rare que des couples renoncent au projet d'avoir leur premier enfant pour des raisons financières... »
M. Jean Chérioux. C'est une évidence !
M. Gilbert Chabroux. ... et que « l'aide à l'accueil au premier enfant ne saurait donc être une priorité de politique familiale ».
M. Jean Chérioux. C'est l'évidence !
Mme Nicole Borvo. C'est complètement faux !
M. Guy Fischer. C'est de plus en plus faux !
M. Gilbert Chabroux. Monsieur Chérioux, si l'on voulait faire une politique nataliste, il faudrait s'intéresser de plus près au premier enfant ! Tout le monde sait qu'il y a une élévation de l'âge moyen des mères à la naissance de leur premier enfant. Cet âge se situe maintenant autour de vingt-six ans...
Mme Nicole Borvo. Vingt-huit ans !
M. Gilbert Chabroux. ... et l'on peut prévoir, de ce fait, une augmentation du nombre de femmes qui resteront demain sans descendance...
M. Alain Vasselle. Grâce au PACS !
M. Gilbert Chabroux. ... car le risque de rester involontairement infécond augmente lentement mais sûrement entre vingt et trente ans, et beaucoup plus rapidement après.
De toute façon, l'incitation nataliste des prestations familiales n'est absolument pas convaincante, quels que soient la période ou le pays considérés. Même le baby-boom de l'après-guerre - qui commence en fait en 1942 - apparaît beaucoup plus comme une singularité démographique que comme le fruit d'une volonté politique. Il y a eu essentiellement un effet de rattrapage des naissances qui n'avaient pas eu lieu pendant la guerre ainsi qu'un effet d'avancement dans la constitution des familles lié à un rajeunissement de l'âge au mariage.
Le deuxième axe de la proposition de loi concerne « les nouvelles aspirations des femmes », « la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ».
On y trouve, entre autres, l'allocation de garde d'enfant à domicile, qui serait rétablie au niveau fixé par la loi « famille » de 1994, le retour à un plafond de déduction fiscale de 45 000 francs, la compensation de l'effort familial des entreprises.
Je le répète, nous ne sommes pas surpris : nous sommes dans la droite ligne des politiques de droite. (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux. Et alors ? Les Français en ont assez de la politique de gauche !
M. Alain Gournac. Oui, assez !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. On l'a bien vu dimanche !
M. Gilbert Chabroux. Il n'y a rien, par exemple, sur les modes de garde collectifs, les crèches, les haltes-garderies, alors que l'AGED profite à 66 000 familles, à 90 000 enfants sur 4 400 000 enfants de moins de six ans et 2 200 000 enfants de moins de trois ans.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. Gilbert Chabroux. Nous savons bien que la garde à domicile est le mode de garde le plus lourd financièrement, et vous voudriez qu'il soit le plus aidé, alors qu'il n'est accessible qu'à un petit nombre de familles ! (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Alain Vasselle. C'est le plus efficace !
M. Alain Gournac. Surtout pour l'enfant !
M. Gilbert Chabroux. La Cour des comptes avait dénoncé cette forme de privilège dans son rapport de 1997, et le Gouvernement avait ramené à une plus juste proportion le taux de la prise en charge pour se rapprocher du niveau des aides apportées par les autres dispositifs existants.
Il me semble intéressant et édifiant de rapprocher, pour mieux les opposer, l'AGED et l'allocation parentale d'éducation.
Elles auraient ceci de commun qu'elles seraient majorées, l'une comme l'autre, de l'allocation universelle d'accueil de l'enfant. Cependant, dans un cas, l'AGED permet aux femmes de « faire carrière », comme cela est dit dans l'exposé des motifs, ou - je cite encore - « d'accepter les charges liées à des fonctions d'encadrement ou de direction ».
M. Jean Chérioux. Oui ! Pourquoi pas ?
M. Gilbert Chabroux. Ce serait la condition essentielle de l'accession des femmes à des postes de responsabilité.
M. Alain Vasselle. L'une des conditions !
M. Jean Chérioux. Cela peut jouer !
Mme Nicole Borvo. Cela se voit !
M. Gilbert Chabroux. Je lis... je cite !
M. Bernard Murat. Lisez, lisez !
M. Gilbert Chabroux. Dans l'autre cas, avec l'allocation parentale d'éducation, il s'agit de retirer encore plus de femmes du marché du travail.
M. Jean Chérioux. Non, ce n'est pas cela du tout !
M. Gilbert Chabroux. Mme Simone Veil disait...
M. Alain Gournac. Encore elle ? Vous l'avez déjà dit !
M. Gilbert Chabroux. Eh bien, je me répète !
M. Jean Chérioux. Elle n'est pas là pour se défendre !
M. Gilbert Chabroux. Mais elle s'exprimait ici même !
M. Jean Chérioux. Elle n'est plus là pour vous répondre !
M. Gilbert Chabroux. Mme Simone Veil disait : « L'extension de l'APE va conduire, en effet, certains parents à diminuer ou à suspendre leur activité professionnelle. » Or le texte que vous nous présentez propose une nouvelle extension.
M. Jean Chérioux. C'est très bien !
M. Gilbert Chabroux. Mesure-t-on bien toutes les conséquences qui pourraient en découler ?
Une étude a montré que l'extension de l'APE en 1994 a eu un effet notable sur le marché du travail : 65 000 femmes - et non pas 50 000 - s'en sont retirées pour élever leur deuxième enfant.
M. Alain Vasselle. C'était donc une bonne mesure pour l'emploi !
M. Jean Chérioux. Elles ne s'en plaignent pas !
M. Henri de Raincourt. C'est mieux que les emplois-jeunes !
M. Gilbert Chabroux. Les femmes qui sont sorties de la sphère du travail présentent un profil particulier.
M. Alain Vasselle. Comme par hasard !
M. Henri de Raincourt. Elles sont riches et bien portantes !
M. Gilbert Chabroux. Avant de bénéficier de l'APE, elles occupaient souvent des emplois précaires. Or, si ces femmes trouvent un intérêt immédiat - pas uniquement monétaire - à suspendre leur activité, qu'en sera-t-il lorsque l'enfant aura atteint l'âge de trois ans ?
M. Jean Chérioux. Elles en feront un autre !
M. Gilbert Chabroux. Cette question ne se pose pas uniquement aux femmes qui ont des difficultés d'insertion professionnelle : elle concerne aussi, certes à un degré moindre, celles qui ont quitté un emploi stable.
Plus généralement, on sait le risque que fait courir sur la carrière professionnelle un arrêt prolongé de l'activité.
De la même manière, peut-on croire que, dans le cas de familles en grave difficulté, en situation précaire, un congé de solidarité familiale permettra de résoudre les problèmes d'échec scolaire, de drogue, de violence ? N'y a-t-il pas là un risque d'accentuer encore les difficultés pour un certain nombre de familles ?
Comme les démographes pour ce qui concerne la natalité, il faut être prudent lorsqu'on évoque les aspects économiques liés à la famille.
M. Alain Gournac. Décidément, vous n'aimez pas la famille !
M. Gilbert Chabroux. Béatrice Majnoni d'Intignano, auteur d'un rapport publié récemment, L'égalité entre femmes et hommes, aspects économiques , y faisait ressortir que, « contrairement aux idées reçues, le travail des femmes ne contribue pas au chômage, ne favorise pas la dénatalité et ne nuit pas à l'éducation des enfants. »
Mme Dinah Derycke. Voilà !
M. Jean Chérioux. C'est à prouver !
M. Gilbert Chabroux. Contrairement à ce que croient les auteurs du texte qui nous est présenté,...
M. Henri de Raincourt. Pas du tout !
M. Gilbert Chabroux. ... la politique familiale ne saurait se résumer et se limiter à de simples prestations financières, surtout lorsqu'elles sont destinées, comme l'AGED ou les mesures de défiscalisation, à un petit nombre de familles. La politique familiale doit servir les intérêts généraux, ceux de toute une population et non ceux d'une partie de celle-ci.
Il faut tenir compte des changements et bouleversements qui affectent les familles.
Toujours selon ce rapport, « l'institution familiale n'est plus une entité monolithique et unique ; elle recouvre une véritable diversité, une véritable multiplicité. »
A cet égard, les familles divorcées, recomposées, monoparentales, font partie intégrante de notre société.
M. Jean-Guy Branger. C'est vrai !
M. Alain Gournac. Heureusement !
M. Gilbert Chabroux. Il est impératif de renforcer la politique de solidarité à l'égard des familles les plus démunies sans pour autant négliger les autres. (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Ça, c'est bien !
M. Jean Chérioux. Enfin une bonne parole !
M. Gilbert Chabroux. Si nous sommes d'accord, je continue !
Il faut plus de redistributivité en direction des familles en grande difficulté, qui sont, pour la plupart, des familles monoparentales et des familles pauvres et nombreuses.
M. Bernard Murat. Et les familles normales ?
M. Gilbert Chabroux. La moitié des familles monoparentales ayant deux enfants et plus ainsi que la moitié des familles de quatre enfants et plus se situent parmi les familles les plus démunies ; il faut les aider à sortir d'une sorte de fatalité de la pauvreté.
M. Henri de Raincourt. Bien sûr !
M. Gilbert Chabroux. Or, rien n'est dit à leur sujet dans votre texte.
Il faut sans aucun doute faire évoluer le système d'aide dans le sens d'une plus grande justice sociale.
M. Alain Gournac. Ah !
M. Gilbert Chabroux. Certaines aides sont, pour nombre de familles, essentielles. On peut citer l'exemple de l'allocation de rentrée scolaire, très attendue par les parents : la droite ne permettait pas aux familles ayant un enfant d'en bénéficier même si elles satisfaisaient aux critères financiers ; mais les choses ont heureusement changé et, dès septembre 1997, l'allocation de rentrée scolaire a été portée de 420 francs à 1 600 francs.
De même, les jeunes adultes qui ne disposent pas de revenus propres peuvent ouvrir jusqu'à l'âge de vingt ans le droit aux allocations familiales de leurs parents, que ces derniers soient chômeurs, étudiants ou stagiaires.
Il faut aussi faciliter la vie quotidienne des familles et tenir compte, comme le fait le Gouvernement, de tout un environnement. C'est là un des aspects les plus marquants d'une véritable politique familiale qui doit être une politique transversale.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Bien sûr !
M. Gilbert Chabroux. Le problème de l'emploi est crucial. Il faut faire disparaître la peur du lendemain, dissiper le spectre du chômage pour les parents et les enfants qu'ils voudraient avoir. A cet égard, la diminution des chiffres du chômage...
M. Michel Mercier. Les chiffres seulement !
Mme Dinah Derycke. Vous êtes de mauvaise foi !
M. Gilbert Chabroux. ... - 285 000 chômeurs en moins de deux ans - est très encourageante.
M. Alain Gournac. Le mammouth !
M. Jean Chérioux. Et qu'avons-nous fait de 1986 à 1988 d'après vous ?
M. Gilbert Chabroux. Les emplois-jeunes jouent aussi leur rôle ; ils permettent de redonner confiance et espoir à des dizaines de milliers de jeunes qui peuvent ainsi commencer à s'installer dans la vie. Il faut aller plus loin et améliorer les conditions de travail des salariés, comme le permet la loi sur la réduction du temps de travail.
M. Henri de Raincourt. Payée par les impôts !
M. Alain Gournac. Belle réussite !
M. Gilbert Chabroux. Du temps de travail en moins, cela peut être du temps en plus consacré à la famille.
Faciliter la vie quotidienne, c'est aussi apporter des réponses au problème du logement. C'est d'abord permettre l'accès au logement.
C'est aussi permettre l'amélioration des conditions de logement, l'obtention d'un logement plus grand quand la famille s'agrandit. On sait là aussi ce qui a été fait en deux ans par le Gouvernement,...
M. Jean Chérioux. Quoi ?
M. Alain Gournac. Rien !
M. Gilbert Chabroux. ... en particulier avec la majoration de l'aide au logement familial.
La vie quotidienne, c'est également le problème de la garde des enfants, des équipements collectifs, les crèches, les haltes-garderies. Des efforts doivent être faits par les collectivités locales avec l'aide des caisses d'allocations familiales.
M. Jean Chérioux. Elles n'en peuvent plus !
M. Henri de Raincourt. Elles ne vous ont pas attendu !
M. Alain Gournac. On n'a pas attendu la gauche !
M. Gilbert Chabroux. Le budget de l'action sociale de la Caisse nationale d'allocations familiales s'est sensiblement accru : 8 % de plus cette année, soit 1 milliard de francs supplémentaires. Cela traduit la volonté d'aider les parents dans leur fonction parentale, avec le financement d'un réseau d'appui, d'écoute et de soutien aux parents et des actions permettant une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie familiale. Je veux saluer à cet égard le travail qui a été conduit par la délégation interministérielle à la famille.
Lors du débat de novembre dernier, j'avais demandé que les excédents qui pourraient être dégagés par la branche famille viennent renforcer ce budget social et faire bouger le curseur dans le sens d'un rapport plus favorable à l'action sociale.
Actuellement, le montant des prestations familiales, d'une part, et celui de l'action sociale, d'autre part, sont dans un rapport de l'ordre de 95 à 5. Ce n'est pas satistaisant. Mais il s'agit là d'autres orientations que celles que vous développez.
M. Jean-Louis Lorrain. Ça, c'est sûr !
M. Gilbert Chabroux. Les contrats éducatifs locaux et les contrats « temps libre » qui sont proposés aussi par le Gouvernement et par les caisses d'allocations familiales doivent également apporter une aide sensible aux enfants et aux familles.
Il faudrait parler aussi des avancées que représentent pour de nombreuses familles des textes comme la loi d'orientation de prévention et de lutte contre les exclusions et, tout récemment, le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle, que vous n'avez pas voté.
M. Jean Delaneau, président de la commission. On en a voté un !
M. Henri de Raincourt. On l'a amélioré.
M. Jean Chérioux. Oui, on l'a amélioré, c'est autre chose !
M. Gilbert Chabroux. Il y aurait encore beaucoup à dire sur les dispositions qui ont été prises, mais j'arrêterai là (Ah ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants) car nous ne sommes pas, la gauche et la droite, dans la même logique.
M. Henri de Raincourt. Ça, c'est vrai !
M. Jean Chérioux. C'est vrai, et nous nous en réjouissons !
M. Gilbert Chabroux. Encore faudrait-il qu'il y ait, à droite, une logique et la volonté d'aller au-delà d'un effet d'annonce ! En effet, il ne suffit pas de dire : « Familles, je vous aime ».
M. Jean Chérioux. On l'a prouvé !
M. Gilbert Chabroux. Notre rôle à tous est de prendre la mesure de la réalité de notre pays, de tenir compte de la diversité, de la multiplicité des familles, et de l'intérêt général. Si nous ne devons négliger aucune famille - et j'y insiste - la justice nous commande d'aider d'abord celles qui sont dans le besoin...
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Gilbert Chabroux. ... et de créer partout dans notre pays un environnement favorable à l'épanouissement des familles, de toutes les familles.
M. Henri de Raincourt. Très bien ! Nous sommes tous d'accord !
M. Gilbert Chabroux. Cela suppose que l'on agisse dans tous les domaines...
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Gilbert Chabroux. ... et non pas que l'on prenne des dispositions financières et fiscales qui ne profitent qu'à un petit nombre de familles.
M. Jean Chérioux. Evidemment, les autres ne paient pas d'impôts ! On ne peut concéder d'avantages fiscaux qu'à celles qui paient des impôts !
M. Gilbert Chabroux. Vous avez choisi une catégorie de familles, on pourrait dire une classe,...
M. Alain Vasselle. Vous, vous les avez exclues !
M. Gilbert Chabroux. ... et vous voulez faire une loi pour accorder des avantages particuliers à cette petite minorité.
M. Louis Moinard. Ce n'est pas vrai !
M. Gilbert Chabroux. Cette démarche est inacceptable et nous ne pouvons donc pas entrer dans la discussion des articles d'un tel texte. C'est ce que dira Marie-Madeleine Dieulangard pour le groupe des sénateurs socialistes en présentant une motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, enfin une proposition de loi pour la famille !
Rapporteur au nom de la commission des affaires sociales sur la famille dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, je suis profondément attaché à la valeur de la famille, chacun ici le sait.
Alors que la précarité est devenue malheureusement une constante de notre société, la famille constitue en effet un lieu d'amour privilégié, véritable refuge face aux difficultés de la vie.
La famille est également le lieu de la transmission des valeurs et elle a également vocation à apporter à l'enfant la sécurité matérielle et affective indispensable à son épanouissement, à l'aider à grandir, à prendre confiance, à s'affirmer, à construire sa personnalité.
J'entends souvent dire que l'on élève les enfants. Eh bien, non, on aide les enfants à s'élever !
M. Jean Arthuis. Très bien !
M. Jacques Machet. La famille doit encore aider l'enfant à faire l'apprentissage du partage et du respect de l'autre, ainsi que l'initier au service et à l'écoute des autres.
La famille est amour : elle apporte la chaleur indispensable à l'homme.
Pour autant, la famille a besoin d'être soutenue. Elle dispose d'une forme de droit de créance sur la société.
En tant que rapporteur, j'ai eu l'occasion à plusieurs reprises de déplorer l'absence de grandes initiatives en faveur de la famille depuis les élections législatives de 1997.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Jacques Machet. La seule mesure favorable n'est-elle pas le rétablissement de l'universalité des allocations familiales, par le même gouvernement qui l'avait supprimée un an plus tôt ?
M. Michel Mercier. Eh oui !
M. Jacques Machet. Il est bon que la Haute Assemblée et sa majorité puissent exprimer leurs propres propositions en faveur des familles, dont la branche au sein de la sécurité sociale devrait être durablement excédentaire ces prochaines années.
Au-delà de la critique, nous devons évidemment être positifs et apporter notre contribution au débat engagé depuis plusieurs années, dans la continuité de la loi Veil de 1994 et du sommet de la famille de 1996.
La famille a besoin d'un environnement juridique favorisant son développement. C'est l'ambition du texte que nous examinons aujourd'hui. Je tiens donc à féliciter les présidents des groupes de la majorité sénatoriale et, en particulier, le président de la concertation, Jean Arthuis,...
M. Michel Mercier. Bravo !
M. Jacques Machet. ... d'avoir pris l'initiative de déposer cette proposition de loi, qui témoigne d'une véritable ambition familiale.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Guy Fischer. Vous ne pouvez même pas la financer !
M. Jacques Machet. Pour s'épanouir, pour se développer, les familles ont tout d'abord besoin d'un système de prestations sociales efficace et diversifié. Favoriser la natalité dès le premier enfant, améliorer l'accueil dans les crèches et le mécanisme de l'AGED, mieux concilier la vie familiale et professionnelle, tels sont quelques-uns des objectifs de la proposition de loi qui nous est présentée et auxquels je souscris tout à fait.
L'une des priorités de la politique familiale doit être, sans aucun doute, l'amélioration des dispositifs permettant aux parents de mieux concilier l'exercice d'une activité professionnelle et la vie familiale.
Ainsi, il faudrait assouplir et améliorer les règles relatives au travail à temps partiel et au congé parental, ce que prévoit la présente proposition de loi. De façon générale, le recours au temps partiel reste encore insuffisant en France par rapport à la plupart de nos voisins européens.
Le nouveau souffle dont la politique de la famille a impérativement besoin passe sans doute par une augmentation de l'effort financier au niveau de la sécurité sociale mais aussi par une certaine responsabilisation des familles ! Dans un monde qui change, l'Etat ne peut pas durablement répondre à l'ensemble des besoins de la société.
La politique que nous appelons de nos voeux doit comporter également une profonde réforme fiscale : il s'agit tout d'abord de revenir sur des mesures néfastes, dont le responsable est ce gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat. Ces mesures ont suscité beaucoup d'incompréhension parmi les nombreuses familles injustement pénalisées, alors qu'elles contribuent pleinement au renouvellement des générations dans un contexte économique et social difficile.
A ce jour, et depuis juin 1997, les seules dispositions fiscales significatives prises concernant les familles leur sont nettement défavorables, qu'il s'agisse de la baisse de moitié du plafond de réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile, du plafonnement de la demi-part attribuée aux personnes ayant élevé seules leurs enfants ou de la réforme du quotient familial.
Pourtant, la fiscalité pourrait être un outil très efficient, afin de redonner confiance aux familles françaises et de redresser durablement le taux de natalité de notre pays.
Je prendrai à cet égard deux exemples : l'impôt sur le revenu et la déduction des salaires et des charges versés par la famille pour la garde d'enfant à domicile.
En premier lieu, s'agissant de la taxation du revenu, le quotient familial doit pouvoir pleinement exercer ses effets : la solidarité de l'ensemble des citoyens vis-à-vis de ceux qui contribuent à préparer l'avenir du pays est à ce prix !
Il semble bien que le Gouvernement ait choisi comme axe de sa politique familiale la surtaxation des familles plus ou moins aisées, sans pour autant garantir d'utiliser les sommes ainsi obtenues en faveur des foyers modestes.
M. Pierre Fauchon. Et voilà !
M. Jacques Machet. N'oublions pas, par ailleurs, une autre décision qui a également pénalisé les familles : il s'agit de la remise en cause de la réduction sur cinq ans du barème de l'impôt sur le revenu et du rétablissement de la décote, décote qui, rappelons-le, ne tient pas compte de la situation familiale.
M. Jean Arthuis. Absolument !
M. Jacques Machet. Il convient d'améliorer les dispositifs fiscaux permettant aux familles de mieux assumer les charges de garde d'enfant. Lors de l'examen du budget pour 1998, mon groupe, l'Union centriste, s'était opposé à la remise en cause partielle de la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile et j'en étais le rapporteur. Cette mesure s'ajoutait à la réduction généralisée de l'AGED, dont j'avais personnellement dénoncé les effets pervers. Le service à domicile constitue pourtant un formidable vivier d'emplois.
M. Michel Mercier. Tout à fait !
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Jacques Machet. Toute mesure restrictive, sous couvert de justice sociale, touche durement les familles de cadres avec enfants et réduit d'autant les possibilités d'embauche.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Jacques Machet. Une telle politique est donc défavorable à la fois à la natalité et à l'emploi.
Selon nous, il est urgent de rétablir le dispositif antérieur de réduction d'impôt dans le cas d'emploi d'une garde d'enfant. C'est l'objet de l'article 6 de la proposition de loi, qui fixe à 45 000 francs le plafond de déduction en faveur des familles, soit 50 % des dépenses effectivement engagées, au lieu de 22 500 francs actuellement, n'est-ce pas, monsieur le rapporteur ? C'est un progrès très appréciable pour les familles, dont le coût budgétaire serait limité même en intégrant le relèvement de l'AGED.
En conclusion, la majorité sénatoriale et, en son sein, l'Union centriste, souhaite donc que l'on inverse les priorités de la politique sociale de notre pays.
Loin de favoriser des solutions d'inspiration étatiste, nous pensons que le progrès, dans la société française - progrès économique, social, culturel et moral - passe par la famille, cette famille qui est au-delà des clivages sociaux ou ethniques notre grande préoccupation, alors que beaucoup de facteurs se conjuguent malheureusement dans le sens de son affaiblissement, voire de sa désagrégation.
La proposition de loi examinée ce soir est une étape dans le sens des réformes que nous souhaitons de tout coeur, aux côtés des associations et des familles de France.
Je tiens à cet égard à féliciter notre rapporteur, mon collègue et ami Jean-Louis Lorrain, ainsi que M. Delaneau, pour leur excellent travail au sein de notre commission des affaires sociales.
Le groupe de l'Union centriste soutient avec conviction la proposition de loi sur la famille ; il votera donc ce texte présenté par la majorité sénatoriale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après avoir entendu un certain nombre d'orateurs s'exprimer à cette tribune, il me semble que nous pouvons dresser un constat : nous sommes d'accord pour considérer que la famille est la cellule de base qui a traversé les siècles, qu'elle est le premier cercle de décision, mais aussi et malheureusement quelquefois le premier cercle de démission ou d'exclusion et que, pour ces raisons, la famille mérite toute l'attention de la nation.
Le constat est le même sur toutes les travées de notre assemblée. Je considère donc que certains jugements qui ont été portés à l'instant sur cette proposition de loi, dont je suis l'un des auteurs, sont excessifs tant sur le fond que sur la forme.
Certains se sont étonnés du fait que le Président de la République, s'exprimant sur la réalité familiale, aurait inspiré le texte qui est soumis à notre réflexion. Je pose la question : est-il interdit au Président de la République d'avoir des idées sur la question ?
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Qui mieux que lui incarne l'unité de la nation ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Sur un autre plan, le calendrier, je concède à nos collègues que nous aurions peut-être pu faire mieux. (Ah ! sur les travées socialistes.) Mais, disant cela, je voudrais qu'ils acceptent aussi de considérer que, de notre point de vue, il n'était pas pensable que cette session s'achevât sans qu'un débat sur la famille soit organisé dans cette enceinte. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
En raison de l'ampleur de ce texte, qui n'était pas si facile que cela à préparer, la contrainte réglementaire ne nous laissait donc que cette séance mensuelle réservée à l'ordre du jour fixé par le Sénat.
Nous pensions déposer ce texte depuis longtemps, et nous nous excusons auprès de nos collègues de n'avoir pas pu le faire plus tôt. Reconnaissez cependant que nous avons fait preuve aujourd'hui, me semble-t-il, avec mes collègues présidents de groupe, de beaucoup de considération à l'égard des membres de notre assemblée, en particulier de nos collègues de l'opposition. En effet, si nous discutons de ce texte en séance de nuit, c'est parce que nous avons accepté de discuter, ce matin, de deux propositions de loi, l'une de Mme Luc et l'autre de M. Revol, et d'entamer l'examen, cet après-midi, du projet de loi sur la présomption d'innocence.
Il me semble que, là encore, nous avons manifesté notre volonté de conciliation, et à l'égard du Sénat et à l'égard du Gouvernement. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Philippe Nogrix. Il fallait le dire !
M. Henri de Raincourt. Pourquoi devions-nous engager un débat sur la politique familiale ? Ce n'est pas d'aujourd'hui que date son évolution.
On en connaît les causes ! Il s'agit, d'abord, de l'absence de vitalité démographique.
Par ailleurs, la cellule familiale a connu des transformations profondes, qui ont remis en cause les représentations sur lesquelles s'était construite la politique familiale.
Nous ne portons pas de jugement de valeur sur cette évolution. Comme d'autres, nous en prenons acte. Nous sommes donc quelque peu lassés que certains nous cantonnent dans une vision de la famille qui, pour être sans doute idéale et bien équilibrée, ne correspond pas à la réalité d'aujourd'hui dans notre pays.
Personne, ni à gauche ni à droite, n'a le monopole de l'évolution de la cellule familiale. Et nous n'acceptons pas le procès en sorcellerie, ou en idéologie, qui nous est intenté sans cesse. Cela nous agace ! (Très bien et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Le déclin démographique actuel, la crise de l'éducation, la mobilité géographique, les difficultés liées à l'exclusion donnent à nouveau toute sa signification à une politique familiale rénovée et susceptible de s'adapter à cette situation.
Or - et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous voulions marquer notre position avant la fin de cette session - nous considérons que notre pays - singulièrement depuis deux ans - ne s'est pas engagé dans cette voie. Pis : la conception qui est véhiculée au travers de la politique gouvernementale n'embrasse pas de notre point de vue l'ensemble des situations.
Je citerai quelques exemples : la mise sous condition de ressources des allocations familiales en 1998, avec les oppositions - nombreuses - qui se sont manifestées, puis le retour à l'universalité en 1999.
Sur ce point comme sur d'autres, le Gouvernement nous donne l'illusion du mouvement. Au nom de sa fameuse méthode, il commande de nombreux rapports, il met en place des cellules de réflexion et de coordination, comme la mission interministérielle de la famille, il organise des colloques et des conférences. Mais nous considérons que les mesures prises ne sont en aucune manière à la hauteur de cette agitation. (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Le Gouvernement n'a pas hésité à s'attaquer aux deux fondements sur lesquels repose notre politique familiale depuis 1945 : l'universalité des allocations familiales et le quotient familial.
M. Alain Vasselle. Eh oui !
M. Henri de Raincourt. Ainsi, il contribue à diluer la politique familiale au sein des politiques sociales, ce qui est une erreur fondamentale.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Henri de Raincourt. Les prestations versées sous condition de ressources ont pris progressivement une part croissante dans l'ensemble des prestations familiales et représentent aujourd'hui près de la moitié de celles-ci.
M. Alain Vasselle. Très juste !
M. Henri de Raincourt. Le Gouvernement poursuit cette socialisation de la politique familiale. La réduction d'un tiers du plafond du quotient familial et la diminution des aides pour la garde à domicile en témoignent.
Mes chers collègues, nous le savons, les familles à revenus moyens ont aujourd'hui un niveau de vie moindre que les célibataires ou les couples sans enfant de même niveau de salaire. (Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
Or, de deux couples de cadres moyens, l'un sans enfant, l'autre avec trois enfants, il est injuste que le deuxième ait un niveau de vie plus faible que le premier alors qu'il assure, en plus de son travail, la lourde charge d'élever des enfants qui, à terme, assureront l'avenir du pays, notamment en participant au paiement des retraites, des personnes sans enfants également.
Subordonner toujours davantage la politique familiale à la politique sociale, c'est, de notre point de vue, remettre en cause la reconnaissance par l'Etat de l'utilité de toutes les familles, quelles que soient leurs conditions de vie.
Considérer les allocations familiales comme un privilège au-delà d'un certain revenu, puis réduire le plafond du quotient familial reviennent en réalité à dénier à l'ensemble des familles une utilité naturelle au service de l'ensemble du corps social.
Le Gouvernement contribue ainsi à saper un peu plus le fondement de notre politique familiale. Les mesures prises sont souvent caractérisées par un saupoudrage. Le cap n'est plus fixé. La finalité n'est plus affirmée ni reconnue. C'est pour sortir de cette fâcheuse évolution que nous avons voulu, avant la fin de cette session, au travers de cette proposition de loi, réaffirmer des principes et leur donner corps.
Certes, notre texte n'est pas parfait. Nous le reconnaissons, car nous sommes des personnes assez modestes ; en tout cas, nous savons que tout est perfectible.
Notre proposition de loi trace - tel est son objectif - des perspectives claires : elle se prononce en faveur d'un effort réel pour l'accueil des deuxième et troisième enfants, d'une présence parentale accrue auprès de l'enfant et d'une aide aux grands enfants, ces derniers entrant de plus en plus tard dans la vie active.
Par conséquent, notre texte entend répondre aux enjeux actuels, sans remettre en question la liberté de chacun, comme je l'ai encore entendu ce soir.
Le développement de l'exclusion marque les limites d'une politique de redistribution abstraite et anonyme. Les solidarités collectives, aussi utiles soient-elles, ne peuvent répondre à toutes les situations.
Elles ne peuvent en tout cas se substituer à la solidarité familiale. Personne, quelle que soit la bonne volonté des pouvoirs publics, ne pourra remplacer les parents dans leur rôle éducatif, ni même les grands-parents.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. Eh oui !
M. Henri de Raincourt. Lorsque le lien familial se relâche, c'est l'exclusion qui progresse.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Henri de Raincourt. C'est pourquoi nous proposons, par exemple, la création d'un congé de solidarité familiale.
Subordonnée à la politique sociale, la politique familiale est aussi subordonnée à la politique financière. Plutôt que d'une politique familiale, c'est d'ailleurs d'une gestion beaucoup trop bureaucratique des contraintes financières dont il faudrait parler.
Le Gouvernement a présenté à plusieurs reprises sa politique familiale sous l'angle de l'amélioration ou de l'extension des prestations. Je ne lui en tiens pas rigueur, bien sûr. Mais il eût été plus conforme à la réalité de le faire en indiquant qu'il les finançait sur le dos des familles elles-mêmes. Il a repris d'une main ce qu'il a donné de l'autre !
M. Pierre Fauchon. C'est tout le temps comme cela !
M. Henri de Raincourt. Le rétablissement des allocations familiales a été financé par un abaissement du plafond du quotient familial, l'extension des allocations familiales par une économie sur celles-ci.
M. Jean-Claude Carle. C'est exact !
M. Henri de Raincourt. Ainsi, nous le savons, les allocations familiales ont été rétablies pour les quelque 400 000 familles qui en avaient été privées en 1998, mais la loi de finances pour 1999 a abaissé d'un tiers le plafond du quotient familial, augmentant d'un seul coup de 4 milliards de francs les impôts qui pèsent sur les familles : 500 000 familles verront leur impôt augmenter de 6 200 francs par an en moyenne et 400 000 d'entre elles seront ainsi perdantes.
M. Alain Vasselle. C'est déjà fait !
M. Henri de Raincourt. De même, l'allocation de rentrée scolaire est désormais versée aux familles d'un seul enfant et l'âge limite d'ouverture du droit aux prestations familiales a été relevé de dix-neuf à vingt ans pour les jeunes inactifs, et c'est bien. Mais ces mesures sont financées grâce au report des majorations pour âge des allocations familiales qui a permis d'économiser un milliard de francs.
Si l'on fait le bilan financier des dispositions adoptées lors de la conférence sur la famille du mois de juin 1998, le résultat est négatif : près de 4 milliards de francs ont été retirés aux familles de France.
Notre proposition de loi marque - on ne peut pas nous reprocher le contraire - une priorité financière claire en faveur de la politique familiale. Elle pose le principe d'une revalorisation accrue des prestations familiales ; elle crée une allocation d'accueil de l'enfant ; elle reconduit pour cinq ans la garantie de ressources de la branche famille.
La France - nous sommes sans doute d'accord sur ce point - a besoin d'une politique familiale audacieuse. Certes, les changements connus par l'institution familiale ont peu à peu modifié le statut social et politique de la famille dans notre société et rendu sans doute plus difficile la définition d'une politique cohérente, susceptible de répondre au plus grand nombre de situations possible. Là encore, nous essayons de coller à la réalité sans porter de jugement de valeur.
Pour autant, notre pays ne renouvelle plus ses générations. L'exclusion et l'essor de la délinquance témoignent de l'importance du rôle de la famille dans l'éducation et la solidarité. C'est sur ces tendances lourdes de notre société qu'il convient de refonder une politique familiale authentique.
Cette proposition de loi correspond à des lignes directrices claires : un effort financier renforcé et une réaffirmation forte de notre attachement à cette cellule indispensable à la vie de la nation. Aucune réforme importante de notre société, en particulier celle de notre système éducatif, ne pourra être entreprise, et a fortiori réussie, sans cette volonté partagée de réaffirmer le rôle de la famille.
Tel est le sens du texte que nous avons déposé, mes collègues et moi, et qui ne mérite ni d'être tourné en dérision ni d'être considéré comme une panacée. Il s'agit simplement d'une contribution à un retour en grâce d'une politique familiale que nous voulons généreuse, dynamique, ouverte, et qui sera la marque de la reconnaissance que la nation se doit de témoigner à toutes les familles de France.
C'est la raison pour laquelle je tiens à remercier du fond du coeur la commission des affaires sociales, ainsi que son président et son rapporteur, d'avoir accepté de travailler dans les conditions qui ont été celles de la préparation de ce débat. Je suis convaincu que ce texte tel qu'il sortira des travaux du Sénat constituera un nouveau pas en avant en direction des familles de France. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, parce que la famille est au coeur de son organisation sociale, la France a toujours reconnu la nécessité de mettre en place et de conduire une politique familiale ambitieuse. L'attachement qu'elle porte à la famille est affirmé dans le préambule de la Constitution de 1946 : « La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. »
A la même époque, Ambroise Croizat, ministre communiste,...
M. Guy Fischer. Eh oui !
M. Alain Vasselle. ... déclarait, lors du débat du 6 août 1946 : « C'est une vérité évidente qu'un plan de sécurité sociale ne peut être efficace sans un redressement de la natalité » - j'ai bien dit de la natalité -...
M. Guy Fischer. En 1946 !
M. Alain Vasselle. « ... sans un effort de tous les instants pour donner au pays une jeunesse vigoureuse et nombreuse. »
Monsieur Fischer, constatez avec moi - et vous aussi, monsieur Chabroux - que le gouvernement actuel tourne bien le dos à cette déclaration...
M. Jean Chérioux. Tout à fait !
M. Alain Vasselle. Je vous invite à lire la bible sur laquelle vous vous êtes appuyés pendant longtemps pour la politique familiale ! Vous avez bien changé, et les temps aussi !
Cellule de base qui cimente notre société, la famille demeure le niveau le plus épanouissant et le plus structurant pour le développement de l'enfant. Car c'est bien lui qui devrait être au coeur de nos préoccupations.
Permettez-moi de paraphraser Aragon, comme ce fut déjà fait dans cet hémicycle à d'autres moments et pour d'autres débats : « La femme est l'avenir de l'homme ». Personne ne songerait à le contester. Mais l'enfant est l'avenir de l'être humain. Et pour que cet avenir soit le plus accueillant possible, rien ne vaut la famille, comme le disait notre collègue M. Machet.
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Alain Vasselle. Il est urgent, et nous l'avons rappelé à maintes reprises, d'offrir un cadre protecteur à celle-ci. En 1994, nous avions proposé, comme l'a rappelé M. Jean Chérioux, une politique ambitieuse et constructive, que vous avez tout simplement détruite.
Pourtant, le défi du xxie siècle reste le renouvellement des générations, que notre pays n'assure pas aujourd'hui avec 1,8 jeune enfant par femme alors qu'il en faudrait 2,1. La lecture du rapport Charpin est édifiante de ce point de vue.
Nous aurons plus que jamais besoin de la famille, d'une famille reconnue et forte, capable de remplir son rôle incontournable auprès de l'individu. Sans elle, il sera impossible de relever ce défi, puisque c'est en elle que réside l'avenir de la nation.
Mais la famille a évolué. Aussi ne suggérons-nous pas un modèle unique. Multiples sont les besoins de la famille. C'est pourquoi nous proposons, ce jour, une politique familiale globale, responsabilisante et généreuse, une politique qui tente de pallier les effets pervers induits par les mesures que votre Gouvernement a prises, monsieur le ministre, depuis deux ans.
Depuis 1981, on a pu mesurer l'absence de politique familiale qui caractérisait les gouvernements de gauche. La gauche a d'ailleurs été singulièrement absente du débat qui a précédé l'adoption de la loi « famille » du 25 juillet 1994. Aujourd'hui, si l'on dresse un rapide bilan des actions que vous avez menées, on s'aperçoit que la politique du Gouvernement est avant tout sociale - notre collègue M. de Raincourt nous l'a rappelé par un exemple éclairé - catégorielle et comptable ; elle n'est en aucun cas une véritable politique familiale.
Vous avez tout d'abord décidé, en juin 1997, de mettre les allocations familiales sous condition de ressources. Cette décision, qui avait été prise par le Gouvernement sans la moindre concertation - monsieur Chabroux, on peut parler d'absence de concertation aujourd'hui - avec les partenaires sociaux et le mouvement familial, remettait en cause l'universalité des allocations familiales, principe essentiel de la politique familiale de la France et qui fait de nous un pays exemplaire aux yeux de nos partenaires européens.
M. Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. Alain Vasselle. Cette mesure à courte vue, dont la seule finalité était le souci de réaliser des économies, ne répondait pas aux fins de solidarité et de justice qui la justifiaient, selon le Gouvernement - et Mme Aubry à l'époque - puisque la mise sous condition de ressources des allocations familiales n'a entraîné finalement aucune redistribution en faveur des familles modestes. Le geste était purement comptable. Etrange conception de la solidarité qui consiste à déshabiller Pierre pour habiller Paul !
L'Observatoire français des conjonctures économiques souligne en 1997, dans son étude consacrée au plafonnement des allocations familiales, « qu'il n'est ni socialement responsable ni intellectuellement sérieux d'opposer l'aide nécessaire aux familles démunies et le traitement équitable des familles plus à l'aise. Si la société estime qu'il faut accroître les aides aux familles pauvres, les dépenses supplémentaires doivent être financées par l'ensemble des contribuables et non spécifiquement par les familles moyennes ou aisées. » M. de Raincourt l'a dit avant moi avec autant de pertinence.
Mais, à côté de la volonté affichée de faire des économies et de réduire le déficit de la branche famille, qui n'était que transitoire du fait du trop grand succès de la loi « famille », laquelle répondait véritablement aux aspirations des Français et surtout des Françaises, le Gouvernement obéissait à des impératifs idéologiques. En effet, si l'on additionne, depuis 1967, ainsi que le faisait l'UNAF, excédents et déficits, la branche famille reste largement excédentaire. Notre collègue M. Chérioux en a fait l'historique.
Ainsi, l'économie due à la mise sous condition de ressources n'a été que de 3,8 milliards de francs en 1998, compte tenu de l'entrée en vigueur tardive de cette mesure, et la situation de la branche famille était appelée à se rétablir une fois la loi « famille » intégralement appliquée.
Dès lors, on pouvait légitimement s'interroger sur la nécessité de décider l'abandon de l'universalité des allocations familiales, mesure visant seulement à écarter des bénéfices de la politique familiale les familles soi-disant riches. Or il n'y a ni familles riches ni familles pauvres - je le prouverai plus avant avec des exemples de niveaux de vie - il n'y a que des enfants que la nation doit accueillir le mieux possible, sans considération de leurs origines sociales.
Certes, vous êtes revenus sur ce choix politique socialement dangereux en reconnaissant votre erreur sous la pression, d'ailleurs, en partie du parti communiste. Mais cet aller-retour est symptomatique d'une politique en trompe-l'oeil totalement incohérente. Le rétablissement de l'universalité des allocations familiales a démontré que la mise sous condition de ressources était une erreur absolue et a confirmé le bien-fondé des avertissements lancés par notre Haute Assemblée lors des débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998.
Si l'on dresse le bilan de cet aller-retour, on en constate les effets désastreux. La mise sous condition de ressources s'est traduite par la perte des allocations pour 351 000 familles, soit 7,8 % de l'ensemble des familles bénéficiaires, et par une diminution de leur montant pour 35 000 familles, dont les revenus n'étaient que très légèrement supérieurs aux plafonds.
De plus, le coût de la gestion de cette mesure pour les caisses d'allocations familiales a été estimé à 8 millions de francs. Mes chers collègues, on aurait vraiment pu se passer de cette dépense inutile pour revenir, l'année d'après, à des dispositions autres que la mise sous conditions de ressources des allocations familiales. Les caisses d'allocations familiales auraient pu en faire l'économie !
Il ressort de ce bilan que cette mesure socialement désastreuse était inefficace économiquement, d'une part, et que, d'autre part, sa suppression n'a pas signifié pour autant un simple retour pour les familles à la situation antérieure à 1998 puisque le Gouvernement a trouvé une nouvelle forme de pénalisation des familles par la diminution du plafond du quotient familial.
Hélas ! votre gouvernement a persévéré dans l'erreur.
Présentée comme la compensation indispensable du rétablissement de l'universalité des allocations familiales, votre gouvernement a décidé la diminution du plafond du quotient familial, qui a entraîné une augmentation d'impôt - comme le disait tout à l'heure M. de Raincourt - pour 650 000 familles et qui constitue un nouveau recul dans la politique familiale.
Comme le précise l'exposé des motifs de la présente proposition de loi, le mécanisme du quotient familial permet « de compenser l'impact entraîné par l'éducation d'un enfant sur le niveau de vie des ménages, et d'évaluer ainsi leur revenu réel pour que l'impôt sur le revenu soit calculé en fonction de leurs véritables facultés contributives ».
En effet, le système fiscal du quotient familial n'apporte pas une aide spécifique aux familles avec enfants ; il veille à ce que l'impôt pèse du même poids sur des familles de taille différente, mais de niveau de vie équivalent.
M. Jean Chérioux. Exactement !
M. Alain Vasselle. Abaisser le plafond du quotient familial revient à taxer plus certaines familles nombreuses que les couples et les célibataires de même niveau de vie.
M. Jean Chérioux. Exactement !
M. Alain Vasselle. Ainsi, les couples dont le total des salaires mensuels nets va de 20 000 francs à 40 000 francs perdent environ 18 % de revenu par unité de consommation en ayant un enfant, 28 % en ayant deux enfants, 30 % à 35 % en ayant trois enfants, enfin, 40 % à 45 % en ayant cinq enfants. C'est dire si les familles qui ont fait le choix d'avoir plusieurs enfants - dont il faudra payer les études et qui restent de plus en plus tardivement à la maison - ne peuvent être considérées comme riches, sauf exceptions.
L'abaissement du plafond, auparavant de 16 380 francs, à 11 000 francs est donc une réforme injuste. A revenu primaire identique, comme je viens de vous l'indiquer, les familles ont toujours un niveau de vie inférieur à celui des couples sans enfant et des célibataires.
Or c'est le premier objet de la politique familiale que d'assurer aux familles qui ont fait le choix d'avoir des enfants un niveau de vie assez comparable aux personnes sans enfant. C'est la logique de la solidarité horizontale et c'est à ce principe fondamental que le Gouvernement a porté atteinte. Mais tel n'est pas, je le sais bien, votre souci, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues de gauche, l'idéologie l'emportant toujours sur la raison et le bon sens.
Ce n'est pas l'enfant qui est au coeur de vos préoccupations, c'est la lutte des classes ; comme si vous vouliez assurer la revanche d'une classe sociale sur une autre, faire payer à tout prix celles et ceux qui réussissent, sans politique de redistribution par ailleurs. Tel est bien notre objectif.
Brochant le tout, le Gouvernement n'en est pas resté là. En effet, la diminution de moitié de l'AGED, mise en oeuvre par votre gouvernement en 1997, constitue une régression pour les femmes qui travaillent et favorise le développement du travail au noir.
La même année, vous allez encore plus loin en abaissant de moitié la déduction fiscale pour l'emploi d'une garde d'enfant.
L'embauche d'une garde à domicile permet aux femmes actives de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. Elle facilite en outre la vie des parents dont les horaires sont incompatibles avec ceux des crèches, que vous vantez tant. Il est surprenant, pour ne pas dire aberrant, qu'un gouvernement se disant soucieux de garantir l'égalité entre hommes et femmes s'en prenne à un système généreux qui favorise l'activité professionnelle des femmes et permet à ces dernières d'accéder à des fonctions de responsabilité.
La parité - on peut en parler ! -, n'est sans doute dans votre esprit qu'une préoccupation de politique purement politicienne.
Depuis son intervention, l'AGED a permis - cela a été rappelé tout à l'heure par d'autres orateurs -, la création de 40 000 emplois, selon un rythme de création de 7 000 emplois nouveaux chaque année. Le fait de lui porter atteinte, conjugué à la diminution du plafond de la déduction fiscale pour les emplois à domicile, contribue à saper un système efficace, aux conséquences positives sur l'emploi. Car l'AGED, c'était aussi et surtout une mesure pour l'emploi.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre gouvernement se dit attaché à la lutte contre le chômage, et pourtant vous ne vous êtes guère soucié des personnes qui ont été licenciées à la suite des mesures que vous avez prises. Pis encore, votre politique, en favorisant le développement du travail au noir, remet en cause l'assainissement du marché de l'aide à domicile.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Scandaleux !
M. Alain Vasselle. Je voudrais, monsieur le secrétaire d'Etat, vous poser une question essentielle : appliquerez-vous dans tous ses termes l'article 22 de la loi famille, qui concerne le relèvement des limites d'âge pour le bénéfice des prestations familiales au plus tard le 30 décembre 1999 ? Ces mesures sont nécessaires pour les familles qui ont de grands enfants. Mais, à elles seules, elles ne suffiront pas. J'attends avec intérêt la réponse que vous m'apporterez.
Il faut résolument donner un nouveau souffle à la politique familiale, ce que propose le texte présenté par les quatre présidents des groupes de la majorité sénatoriale. Les mesures prévues par ce dispositif législatif complet répondent aux attentes des familles. Elles permettront de corriger les erreurs pénalisantes commises par le Gouvernement et d'enrayer ainsi l'érosion de la confiance des Français dans l'avenir de leur pays.
Parce que la solidité et la pérennité de notre société dépendent directement de la solidité de la cellule familiale, nous devons préparer l'avenir de notre pays en votant cette proposition de loi, et nous pourrons être fiers alors d'avoir rempli notre rôle de législateur. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour paraphraser un de nos augustes prédécesseurs, je dirai : qu'est-ce que la famille ? Tout ! Qu'a-t-elle été jusqu'à présent au sein de la politique sociale du gouvernement Jospin ? Rien. Que demande-t-elle ? A y devenir quelque chose.
M. Gilbert Chabroux. Vous ne faites pas dans la nuance !
M. Bernard Murat. Si chacun d'entre nous dans cet hémicycle, mon cher collègue, met l'amour et l'éducation de ses enfants au centre de ses priorités, il est clair - ce soir, vous l'avez confirmé - que, pour la gauche et la droite, ce n'est pas la même chose...
M. Jean Chérioux. Heureusement !
M. Gilbert Chabroux. Ça, on l'a vu dimanche !
M. Henri de Raincourt. Parlons-en !
M. Alain Gournac. Pas de panique !
M. Bernard Murat. ... et que cela ne se traduit pas de la même façon par rapport au sujet qui nous réunit ce soir, la famille.
M. Alain Gournac. Et pour Cohn-Bendit ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Au moins, il est marrant et intelligent, ce qui n'est pas le cas de tout le monde !
M. Bernard Murat. Monsieur le secrétaire d'Etat, puis-je poursuivre ?
M. le président. Mes chers collègues, M. Murat a la parole, et lui seul.
M. Bernard Murat. Je vous remercie, monsieur le président.
Il existe bien deux philosophies de la famille en France.
La première, la vôtre, prône une prise en charge de l'enfant par l'Etat, parce qu'elle considère que la famille n'est plus capable de remplir sa mission éducative. A terme, cette jeunesse devient totalement assistée, déresponsabilisée, « socialisée », comme disent mes collègues MM. Fischer et Chabroux. Oui, le projet de la gauche, c'est bien quelque part de socialiser, voire de collectiviser nos enfants.
Mme Nicole Borvo. Les socialiser, c'est bien !
M. Bernard Murat. La seconde philosophie, la nôtre, est inscrite, elle, dans une véritable approche humaniste. En effet, la famille constitue pour nous la cellule de base de notre société, cette entité au sein de laquelle l'enfant va s'épanouir, harmonieusement, tout en conjuguant l'éducation familiale, l'instruction et l'apprentissage de la vie, et cela dans le respect des droits et des devoirs de chacun.
Ainsi, l'école retrouve sa mission d'éducation en complément des expériences de la vie familiale. Les enseignants ne se substituent pas aux parents, mais travaillent en partenariat avec eux, dans l'intérêt de l'enfant. Et n'oublions pas l'apport considérable que peuvent représenter les grands-parents dans l'épanouissement de l'enfant !
Au regard de la politique sociale du gouvernement actuel, le Président de la République a souhaité que « la France se dote d'une nouvelle ambition familiale, qu'elle redonne souffle et vigueur à sa politique familiale. »
C'est pourquoi je tiens à saluer l'initiative de nos présidents de groupe, ainsi que le travail de la commission et de notre collègue Jean-Louis Lorrain, qui nous donnent ce soir la possibilité de répondre à cette attente de nos concitoyens.
Selon l'article 16, alinéa 3, de la Déclaration universelle des droits de l'homme, « la famille est l'élément naturel et fondamental de la société et de l'Etat... ».
La famille est essentielle à l'épanouissement de l'enfant ; elle est essentielle à la cohésion nationale. C'est le creuset fondamental pour le développement harmonieux de la société. C'est un lieu privilégié pour l'apprentissage de la vie et l'exercice de la citoyenneté.
La Convention européenne des droits de l'homme, quant à elle, assure la protection du droit au respect de la vie familiale.
Ainsi, au sujet du regroupement familial, en 1987, la Cour européenne affirmait que, « pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale ».
Par conséquent, il est indispensable de favoriser ces moments de vie commune. Nous devons aider les parents à concilier vie professionnelle et vie familiale.
Nous avons tous à l'esprit les exemples inacceptables d'enfants laissés, dès leur plus jeune âge, dans les drames de la rue et qui glissent rapidement de l'incivilité à la petite, puis à la grande délinquance.
Oui, j'affirme que la petite délinquance, la délinquance de mineurs, est d'abord l'échec d'une politique ne donnant pas aux familles la possibilité d'élever leurs enfants ni les moyens de pourvoir à leur éducation.
M. Alain Vasselle. C'est vrai !
M. Bernard Murat. C'est tout un système qui s'effondre. A force de vouloir, pour des raisons électoralistes, réduire les déficits, d'une part, augmenter les aides discriminatoires, d'autre part, on crée dans notre pays ce sentiment d'insécurité. (Mme Marie-Madeleine Dieulangard s'exclame.)
Il n'est pas un jour, madame - et c'est certainement la même chose chez vous - où, dans ma ville de Brive, je n'entende mes concitoyens se plaindre de ceux qu'un des vôtres nommait des « sauvageons ».
Des parents responsables s'efforcent d'offrir à leurs enfants, en se débattant jour après jour dans de nombreuses difficultés, une vraie éducation. Ils sont déstabilisés parce que confrontés à des mineurs qui pourrissent la vie des quartiers en toute impunité et donnent le mauvais exemple à leurs enfants.
Tout le monde revendique la défense de la famille, à gauche comme à droite. Mais revendiquer la défense de la famille, cela veut dire aussi mettre ses actes en accord avec ses paroles. La politique, ce sont d'abord des actes. Or je constate, à grand regret, que le Gouvernement n'a pensé qu'à sanctionner fiscalement les familles.
Pour preuve, je ne retiendrai que deux exemples : la mise sous condition de ressources des allocations familiales et l'abaissement du plafond du quotient familial. D'un point de vue financier, ces deux mesures n'étaient pas véritablement nécessaires, mais elles constituaient avant tout des mesures de nature idéologique visant à écarter certaines familles du bénéfice de la politique familiale.
Dans les faits, la première s'est traduite par la perte des allocations familiales pour 350 000 familles et par la diminution de leur montant pour 35 000 autres. La seconde a entraîné une augmentation de l'impôt sur le revenu pour 500 000 familles.
Au cours de la campagne pour les élections européennes, nous avons beaucoup entendu le Gouvernement parler d'une Europe socialiste. En réalité, nous nous retrouvons avec une Europe de droite...
En France, il avait été prévu en 1994 que les allocations familiales seraient prolongées jusqu'à vingt-deux ans. Or vous souhaitez revenir sur cette mesure.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. En effet !
M. Bernard Murat. Prenons l'exemple de nos amis européens : les jeunes Allemands, Autrichiens, Belges, Luxembourgeois ou Néerlandais bénéficient des allocations jusqu'à vingt-cinq ans. La France a-t-elle des raisons particulières de moins bien traiter sa jeunesse que ses partenaires européens ?
Décidément, oui, c'est vrai, la gauche se méfie de la famille !
Elle a raison car, dans une famille épanouie, qui apporte le bonheur et protège l'enfant, cette socialisation, cette collectivisation ne prend pas racine. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Ce n'est pas sérieux !
M. Bernard Murat. Ainsi, au lieu de fragiliser les familles, vous auriez pu vous intéresser à leur pouvoir d'achat, à leurs conditions de logement, aux aides aux études, à la santé scolaire, à l'aide aux structures périscolaires, au salaire parental, et j'en passe...
Sur tout cela, rien dans vos projets !
Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'est-ce que les familles françaises et, par la même occasion, les familles qui vivent en France ont à attendre du gouvernement socialiste ? Sa politique familiale constitue une déstabilisation de la famille telle que nous la concevons.
Pour que la famille soit aidée de manière pérenne, les présidents de groupe de la majorité sénatoriale ont déposé cette proposition de loi, qui tend à permettre aux familles de retrouver enfin leur juste place au sein de la politique sociale de notre nation.
S'appuyant sur les résultats positifs de la loi Famille de 1994, elle vise à favoriser l'épanouissement de la famille en prenant en compte trois exigences : permettre aux femmes de concilier vie familiale et vie professionnelle, susciter un printemps démographique par une augmentation du taux de natalité et donner les moyens aux parents de remplir leur rôle éducatif.
Toutes les mesures proposées mériteraient d'être saluées. Ce sont là autant de propositions qui favorisent la famille et que votre Gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat, n'a pas formulées.
Pour ma part, je souhaiterais m'arrêter quelques instants sur l'allocation parentale d'éducation.
Cette prestation bénéficiait à 500 000 familles au 30 juin 1998, ce qui prouve son succès.
La proposition de loi étend jusqu'au sixième anniversaire de l'enfant les dispositions concernant le congé parental à temps partiel créé en 1994. En effet, grâce à cette prestation, les parents peuvent véritablement organiser leur vie familiale pour élever leurs enfants, les préparer dans les meilleures conditions à affronter leur adolescence et poser les bases solides de leur vie d'homme.
En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, je crois utile de rappeler que le rôle d'un Etat moderne est d'aider et de favoriser les familles dans leur mission éducative.
Lorsque le lien familial s'affaiblit, c'est l'exclusion et la délinquance qui progressent. Aussi, j'espère que le Gouvernement aura la sagesse de donner aux parents les moyens d'éduquer leurs enfants. Ce serait, monsieur le secrétaire d'Etat, le meilleur investissement pour l'avenir de notre pays et sa démographie, et une solution - enfin une vraie solution - de nature à porter remède à la délinquance des mineurs.
Comme nous le rappelle le Président de la République, « fonder une famille, la faire grandir, la fortifier, c'est la première aspiration de l'homme, sa première liberté ».
Cette proposition de loi encourage l'exercice de cette liberté fondamentale en proposant une véritable politique de la famille digne de ce nom. C'est pourquoi je salue la qualité des réformes proposées et je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout, ou presque, a été dit et, pardonnez-moi de le signaler, répété... avec talent certes, mais répété.
Il est vrai, et j'accepte ce constat, qu'il y aura donc deux politiques de la famille : une politique de gauche et une politique de droite. Je les résume - l'occasion vient de m'en être fournie par le dernier orateur.
Il faut une politique de l'éducation. Eh bien, la gauche choisit de soutenir l'éducation et de transformer le milieu scolaire. Elle s'efforce, dans les zones en difficulté, d'augmenter les effectifs d'enseignants.
Vous choisissez d'aider la famille. Mais nous choisissons tous d'aider la famille, même si les moyens que nous y affectons sont un peu différents !
La famille doit disposer d'un logement. Eh bien, nous décidons d'accorder des aides au logement et de développer la construction pour fournir un logement aux jeunes.
M. Murat a aussi évoqué longuement la délinquance, problème qui ne relève pas exclusivement de la politique familiale, mais qui peut effectivement toucher la progéniture de certaines familles défavorisées. Eh bien nous, nous choisissons d'appréhender ce problème au plus près, avec des dispositifs comme la loi contre les exclusions ou la couverture maladie universelle. Vous, vous choisissez d'aider la famille.
Je pourrais multiplier les exemples. Il y a donc bien, entre nous, une différence politique, dont je prends acte.
Bien entendu, cela ne signifie pas que la gauche ne veut pas aider la famille. Nous plaçons tous de grandes phrases au début de chacun de nos discours pour dire combien cette cellule est essentielle au développement des enfants et des adolescents. C'est, bien sûr, au sein de la famille que se concrétisent les rapports indispensables entre les parents et les enfants.
Nous sommes donc évidemment d'accord sur l'importance de la famille dans notre société. D'ailleurs, l'existence d'un délégué interministériel à la famille montre que, au sein du Gouvernement, un travail est mené sur ce thème.
La conférence nationale pour la famille, à laquelle vous avez tous fait allusion, est également là pour orienter notre réflexion à ce sujet.
Et ne dites pas que les promesses qui y sont faites ne sont pas tenues. Elles le sont : j'ai dressé la liste des mesures que nous avons prises. Bien entendu, moi aussi, je souhaite que nous puissions faire davantage.
Pardonnez-moi, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, mais je crois pouvoir déceler dans votre vision de la famille, comme dans vos propositions, une volonté de retour en arrière. N'en va-t-il pas ainsi avec l'AGED et d'autres mesures que vous voulez rétablir ?
Nous avons une vision plus prospective. Comme on dit dans ces cas-là : l'histoire tranchera ! Je n'aurai pas la cruauté de vous rappeler qu'elle a tranché récemment. (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Pierre Fauchon. Elle peut mal trancher !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Elle a tranché, dans notre pays, pas plus tard que dimanche dernier !
M. Alain Gournac. Cinquante-trois pour cent d'abstention !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Mais peut-être ai-je mal lu les chiffres ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Pierre Fauchon. C'est la démographie qui tranche et qui fait l'histoire !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, la démographie, c'est le goût d'avoir des enfants et de développer une famille. Pour cela, dans notre pays, il faut faire plus pour les familles défavorisées,...
Plusieurs sénateurs du RPR. Pour toutes les familles !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat... donner du travail à ceux qui n'en on pas, offrir un environnement différent. Voilà ce qui pourrait avoir une incidence sur la démographie. Si l'on ne lutte pas contre les freins essentiels à l'épanouissement de la famille, si l'on multiplie les obstacles en matière d'éducation, de logement et de travail, nous ne remporterons, ni vous ni nous, aucun succès à cet égard.
Vous voulez, par cette proposition de loi - et je reconnais votre constance - qu'on revienne à un certain nombre de mesures qui avaient été « effacées » par le Gouvernement, celui-ci en ayant proposé d'autres. Nous ne le souhaitons pas. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

Question préalable



M. le président.
Je suis saisi, par M. Estier, Mme Dieulangard, M. Chabroux et les membres du groupe socialiste et apparentés, d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur les conclusions de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi de MM. Jean Arthuis, Guy Cabanel, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan relative à la famille (n° 410, 1998-1999). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole est à Mme Dieulangard, auteur de la motion.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, si le groupe socialiste a déposé une question préalable sur cette proposition de loi, ce n'est assurément pas pour éluder un débat qui a trait à l'une de ses priorités, la famille.
Mon ami Gilbert Chabroux a eu l'occasion d'évoquer avec force les différentes initiatives qu'a prises le Gouvernement à cet égard.
Je rappellerai, pour ma part, les principes et les exigences qui guident nos choix en la matière.
La politique familiale doit s'adapter à l'évolution de notre société, et nous ne voulons pas privilégier un modèle familial particulier, ce qui ne semble pas être le cas des auteurs de cette proposition de loi.
Les nouvelles orientations doivent parallèlement intégrer, messieurs de la majorité sénatoriale, un impératif de justice sociale et de solidarité. Elles appellent donc nécessairement des stratégies concertées portant sur l'ensemble des politiques publiques, au premier rang desquelles la politique de l'emploi, celle du logement, celle de l'éducation et, de façon transversale, la politique de la ville.
Ces orientations ne peuvent se concevoir que dans le cadre d'une étroite concertation avec les associations familiales, qui atteint son point d'orgue, chaque année, lors de la conférence de la famille.
C'est pourquoi le dépôt de cette proposition voilà quinze jours, à laquelle la droite sénatoriale entend conférer une force symbolique incontestable - j'en veux pour preuve la cosignature des quatre présidents des groupes qui la composent -, et l'organisation de ce débat avant même que ne se réunisse la conférence de la famille ont de quoi laisser perplexe et surprendre, sauf à considérer ce texte comme un contre-feu au PACS : piètre contre-feu !
N'est-ce pas vous-mêmes, chers collègues de la majorité sénatoriale, qui avez institué cette rencontre annuelle dans le cadre de la « loi famille » de 1994 ?
Faut-il en déduire que vos propositions peuvent aisément faire l'impasse sur les discussions que mèneront les associations familiales et le Gouvernement le mois prochain ?
Je vous croyais plus attachés à la concertation démocratique et plus soucieux du respect des dispositions législatives dont vous avez l'initiative !
M. Alain Gournac. Pour les allocations familiales, il n'y a pas eu de concertation !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Ainsi, je vous le rappelle, la modification du régime du quotient familial, adoptée par le Parlement l'année dernière, avait été préalablement discutée lors de cette conférence, et les associations familiales, à l'exception de Familles de France, avaient donné leur aval à cette modification.
M. Alain Vasselle. Elles n'avaient pas le choix !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Par ailleurs, nous nous interrogeons quant à la stratégie que vous avez choisie.
En effet, sauf à considérer que votre texte a vocation à devenir une nouvelle loi-cadre pour la famille, ce qui à l'évidence ne peut être le cas au regard des conditions de sa discussion et d'un contenu empilant des mesures financières, force est de constater que cette proposition de loi « préempte » largement les deux étapes fondamentales de notre travail parlementaire que sont la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances.
Il en est ainsi de la création d'une allocation universelle d'accueil de l'enfant, qui touche à la loi de financement de la sécurité sociale.
Votre proposition tendant à restaurer l'exonération à 100 % des charges sociales d'un emploi de garde à domicile et d'en transférer la prise en charge sur la CNAF n'entre-t-elle pas, de même, dans le cadre de cette loi dès lors qu'elle aura de lourdes conséquences sur l'équilibre de la branche famille ?
Cette remarque vaut également pour les articles relatifs à la revalorisation des allocations familiales et aux ressources de la branche famille.
Votre proposition tend, par ailleurs, à réformer des mécanismes dont seule une loi de finances peut traiter, et vous semblez ne pas vous préoccuper des objections qui ne peuvent manquer de vous être opposées au titre de l'article 40 de notre Constitution.
Il s'agit, tout d'abord, du quotient familial que vous proposez de porter à 16 380 francs après que la loi de finances pour 1999 l'a abaissé à 11 000 francs.
M. Alain Vasselle. C'était une erreur !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Il s'agit également des modifications que vous apportez au régime de transmission du patrimoine entre grands-parents et petits-enfants.
En globalisant les incidences financières du plan quinquennal que vous nous proposez, l'engagement des fonds publics s'élèverait à environ 30 milliards de francs. Vous gagez cette dépense, de manière tout à fait traditionnelle, grâce à la taxe additionnelle sur le tabac et vous concentrez l'essentiel de ce plan - 80 % - sur des allégements fiscaux.
Je ne m'attarderai pas sur la joute oratoire qui a opposé récemment MM. Bayrou et Sarkozy à propos des promesses de réduction d'impôt non tenues. Elle a suffisamment fait couler d'encre et mis en évidence le triste sort que vous réserviez à vos engagements électoraux.
Je veux toutefois faire un parallèle avec notre récent débat sur la CMU, au cours duquel certains parlementaires de l'opposition ont critiqué le coût de cette avancée historique en matière de protection sociale.
Or, aujourd'hui, vous n'hésitez pas à engager les finances publiques pour près de 30 milliards de francs sur cinq ans.
Ne seriez-vous pas tentés de réitérer la fâcheuse expérience de la « loi famille » de 1994, dont le financement n'avait pas été assuré et qui a plongé cette branche dans des déficits importants - 13 milliards de francs en 1997 - dont elle commence à peine à se remettre ?
J'en viens maintenant au fond de certaines de vos propositions.
S'il fallait dégager un fil conducteur entre l'ensemble de ces dispositions, je dirais qu'elles sont étonnamment parcellaires et ne s'adressent qu'à une catégorie bien spécifique de familles.
Vous expédiez ainsi rapidement le débat concernant l'arrivée du premier enfant en affirmant que ce « ne saurait être une priorité de politique familiale puisque les couples ne renonceraient pas à avoir un premier enfant pour des raisons financières ».
Tout est dit, chers collègues ! Votre préoccupation se limite à la seule dimension nataliste de l'arrivée de ce premier enfant puisque vous ne vous posez à aucun moment la question des conditions d'accueil et d'éducation de cet enfant ni celle des difficultés éventuelles auxquelles seraient confrontés ses parents.
Qu'y a-t-il de commun entre les difficultés d'un couple de « smicards » et celles d'un couple de cadres lors de l'arrivée d'un premier enfant ?
Sur le principe même et les modalités de création d'une allocation universelle, nous observons un flou total, peut-être volontaire, sur le cumul, possible ou non, entre les allocations familiales traditionnelles et votre allocation universelle jusqu'au dixième mois de l'enfant. Il s'agit là d'une imprécision notable et dommageable.
Par ailleurs, votre exposé des motifs fait mention du cumul possible de cette allocation universelle et de l'APE, pouvant s'élever à environ 4 000 francs pour deux enfants et à environ 5 000 francs pour trois enfants. Même si ce texte ne veut pas faire référence ouvertement à un salaire maternel, cela y ressemble fort.
Nous n'oublions pas que, il n'y a pas si longtemps, les parlementaires de droite multipliaient les propositions de loi tendant à instaurer un tel salaire : pas moins de huit propositions de loi entre juin 1993 et janvier 1994 à l'Assemblée nationale !
M. Alain Gournac. Et alors ?
M. Bernard Murat. En quoi cela est-il choquant ?
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Vous nous soumettez également des propositions tendant à concilier vie familiale et vie professionnelle, notamment en direction des femmes qui souhaitent, selon votre expression, « faire carrière ».
Je relève qu'au seuil de l'an 2000 l'opposition semble enfin prendre acte d'une réalité bien tangible : nos concitoyennes n'envisagent plus de se projeter dans l'avenir sans exercer une activité professionnelle. Celle-ci contribue à forger une identité, à garantir une certaine autonomie ; elle favorise une évolution positive des relations au sein du couple. Mais elle est également dictée par des impératifs économiques.
Ainsi, vous dites vouloir encourager le temps partiel choisi en prolongeant au-delà de trois ans la période durant laquelle le ou la salariée peut faire valoir ce droit à l'égard de son employeur.
Or vous faites totalement l'impasse sur ce qu'est aujourd'hui le temps partiel. Celui-ci a, certes, connu une forte croissance et concerne aujourd'hui plus de 17 % des salariés, en grande majorité des femmes. Mais plus de 43 % des intéressés déclarent vouloir travailler plus.
Cette organisation du travail s'est implantée dans des secteurs comme le commerce, les entreprises de nettoyage, où les salaires sont bas, où les rythmes et les horaires de travail sont soumis à une instabilité chronique qui rend particulièrement difficile la conciliation de la vie familiale avec la vie professionnelle.
Pour ce qui est du travail à temps partiel véritablement choisi, il faut être conscient qu'il se développe dans des milieux de travail relativement protégés comme les fonctions publiques.
Dois-je rappeler que, lors de la discussion des dispositions tendant à moraliser le recours au temps partiel, la majorité de cette assemblée s'était prononcée contre la requalification des contrats en cas de recours abusif et répété aux heures complémentaires ? Tout au plus avait-elle accepté la proposition du Gouvernement tendant à limiter l'amplitude de la journée et à réglementer les pauses.
Vous abordez naturellement la question primordiale de la garde des enfants. Mais l'angle par lequel vous l'appréhendez est à ce point restreint que cela en devient presque caricatural.
Les aménagements que vous envisagez ne concernent, en effet, que la garde d'enfants au domicile des parents. L'AGED est perçue comme l'unique réponse pertinente aux horaires débridés et flexibles que devraient subir les femmes qui aspirent à une promotion professionnelle.
M. Alain Vasselle. C'est une bonne mesure !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. En proposant de restaurer les conditions de déduction fiscale et l'ancien régime de prise en charge des cotisations sociales par l'AGED, vous polarisez l'effort de la collectivité sur les ménages les plus aisés ; cela a déjà été dit par plusieurs orateurs. Les différentes études sur les modes de garde ont révélé que le cumul de ces deux mécanismes entraînait une prise en charge de 80 % du coût d'un tel emploi.
Votre proposition de loi renforce donc la dérive à laquelle s'est attaqué le gouvernement de Lionel Jospin, dérive qui aboutit à ce que le taux d'effort des familles les plus modestes est largement supérieur à celui des familles les plus aisées.
M. Alain Vasselle. C'est faux !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je suis désolée, lisez les statistiques et vous verrez que ce n'est pas faux du tout !
Votre parti pris appelle plusieurs remarques.
Tout d'abord, les emplois de garde à domicile se sont développés en marge de tout encadrement ; une enquête de la Caisse nationale des allocations familiales a démontré que les femmes qui assumaient ces emplois étaient très souvent sollicitées pour assurer aussi les tâches ménagères.
Il convient donc de franchir une nouvelle étape en termes de professionnalisation, à l'image de ce qui a été fait pour les assistantes maternelles. Or je ne décèle à aucun endroit une volonté de votre part d'aller en ce sens.
Ensuite, vous n'abordez à aucun moment la question cruciale de l'amélioration du réseau des crèches collectives.
Sans vouloir trancher le débat entre garde individuelle ou garde collective, les parents doivent avoir le choix. Les professionnels de la petite enfance reconnaissent l'importance de ces équipements pour la socialisation des petits, la mixité sociale, ainsi que pour le soutien et les conseils en direction des parents. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Vous n'êtes pas d'accord, vous l'avez dit ! Laissez-moi parler à mon tour !
Enfin, permettez-moi de vous faire part de quelques témoignages recueillis tout récemment. J'ai eu, en effet, l'occasion de soumettre vos propositions à de jeunes femmes qui exercent ce qu'il est convenu d'appeler des postes « à responsabilités », tout en ayant des enfants.
Elles se sont toutes étonnées de voir que vous calquiez votre idée de la réussite et de la promotion professionnelle sur un modèle bien masculin qui veut que la démonstration de ses compétence et la reconnaissance par ses pairs passent par la multiplication des heures supplémentaires et les rentrées tardives à la maison.
Ces femmes s'impliquent autant que leurs collègues masculins, mais elles supportent difficilement les vaines discussions qui prolongent inutilement les réunions... Elles ne rentrent certes pas à quinze heures de déjeuners d'affaires, parce qu'elles savent devoir quitter le bureau vers dix-huit heures pour aller chercher les enfants...
A l'appui de leurs réflexions, j'ajouterai que les négociations qui se déroulent actuellement sur le passage aux 35 heures ont révélé la forte aspiration des cadres à bénéficier de cette réduction du temps de travail, notamment pour consacrer plus de temps à leurs enfants et pour mieux équilibrer le partage des tâches au sein de leur couple.
Il faut souhaiter que ce temps libéré puisse être largement disponible pour le salarié et non pas utilisable pour les seuls besoins de l'entreprise.
La preuve est faite qu'un profond et salutaire changement de mentalités est en train de se produire chez ces salariés, que vous ne prenez absolument pas en compte dans vos rélexions.
Je conclurai en relevant que vous ne vous penchez absolument pas sur le devenir du congé parental d'éducation et pas davantage sur l'allocation parentale d'éducation. Nous disposons aujourd'hui d'études sur les premières leçons à tirer de ces dispositifs ; mon collègue Gilbert Chabroux en a d'ailleurs fait état.
Dans 99 % des cas, ce sont les mères qui interrompent leur travail pour prendre ce congé, notamment parce que ce sont elles qui ont, le plus souvent, des conditions de travail difficiles et de faibles salaires.
Or le retour à l'emploi de ces femmes est parsemé d'obstacles, soit parce qu'elles étaient inscrites auparavant à l'ANPE, ce qui les a éloignées davantage encore du monde du travail, soit parce qu'il leur est difficile de retrouver des fonctions identiques dans leur entreprise.
Notre collègue Dominique Gillot a évoqué des pistes de rélexion en vue de remédier à ces effets pervers, afin notamment de ne pas totalement rompre les liens avec le monde du travail, dans le cadre d'une formation continue, par exemple.
C'est cette même préoccupation qui a animé le Gouvernement lorsqu'il a instauré la possibilité de cumuler, sous certaines conditions, l'allocation de parent isolé avec un emploi.
Mes chers collègues, on s'est beaucoup interrogé sur le point de savoir s'il y avait une politique familiale de gauche et une politique familiale de droite. Votre initiative, ce soir, est une illustration, parmi d'autres, qu'une différence existe bien.
MM. Alain Vasselle et Alain Gournac. Heureusement !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. L'examen de votre proposition de loi, outre les lacunes qu'il fait apparaître, nous apporte l'éclatante démonstration que vous n'entendez pas légiférer pour l'ensemble des familles.
M. Alain Vasselle. C'est totalement faux !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Il est clair que l'équité et la justice ne sont pas des valeurs que vous entendez promouvoir dans le cadre d'une politique familiale pour le xxie siècle.
Les sénateurs socialistes ont déposé une question préalable, car ils pensent que votre proposition de loi incomplète, non financée et inéquitable,...
M. Alain Vasselle. C'est votre politique familiale qui est sélective, ce n'est pas la nôtre !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. ... ne peut donner lieu à un débat parlementaire sur un enjeu aussi important. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Gournac, contre la motion.
M. Alain Gournac. Alors que le Gouvernement que vous soutenez mène, depuis son arrivée au pouvoir, une politique en défaveur des familles, il est pour le moins étonnant que vous vous opposiez à la tentative de reconstruction de la politique familiale de notre pays proposée par les quatre présidents de groupes de la majorité sénatoriale.
Vous affirmez qu'une politique familiale doit servir les intérêts généraux de toute une population et non d'une partie de celle-ci. Cela est complètement contradictoire avec les mesures prises depuis deux ans par votre majorité, qui s'est acharnée à stigmatiser une partie des familles prétendument aisées, sans pour autant que cela ait profité aux familles plus défavorisées.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Alain Gournac. Pour nous, une politique familiale doit se traduire par un soutien de la nation tout entière envers l'ensemble des familles et non conduire à en dresser certaines contre les autres, comme vous le faites.
M. Alain Vasselle. Exactement !
M. Alain Gournac. Or la même année, en 1998, vous avez placé sous condition de ressources les allocations familiales et réduit de moitié les aides liées à la garde d'enfants à domicile, réduisant le pouvoir d'achat de certaines familles de plus de 20 %.
La politique familiale ne doit pas, effectivement, ne servir qu'une partie de la population. Mais elle ne doit pas non plus s'acharner systématiquement sur celle-ci. Je crois bien que vous êtes tombés dans cet excès.
Bien évidemment, une politique familiale ne peut se résumer à des besoins financiers. On ne fait pas des enfants pour des questions matérielles ! En revanche, comme l'a souligné mon collègue Alain Vasselle, on peut renoncer à avoir des enfants pour des raisons financières.
Bien entendu, il faut tenir compte de tout un environnement, dont vous citez certains éléments : emploi, logement, services publics, système scolaire.
Cependant, je dois constater que, là non plus, le Gouvernement que vous soutenez ne s'illustre pas par des résultats très brillants.
Par exemple, des lois coûteuses et laborieuses - emplois-jeunes, 35 heures - se succèdent avec de bien maigres résultats au regard des sommes englouties.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Alain Gournac. Par ailleurs, après de tonitruantes annonces de réformes, M. Allègre s'étant heurté à la toute puissance du mammouth, il s'est enfermé, prudent, dans un silence assourdissant. (Rires.)
Quant à vos considérations sur le fait que nous serions directement dans le champ de discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, elles ne peuvent nous être opposées.
Il y a urgence, mes chers collègues !
Les familles ne peuvent plus attendre un hypothétique revirement de votre politique. Loin d'être inutile, cette proposition de loi illustre notre volonté de prendre date, de leur redonner espoir, de leur exprimer notre soutien, face à une politique incohérente qu'elles ne peuvent ni comprendre ni accepter.
Pour toutes ces raisons, les quatre groupes de la majorité sénatoriale voteront contre la motion tendant à opposer la question préalable présentée par Mme Dieulangard et les membres du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Il me paraît un peu abusif de prétendre, comme le font les auteurs de cette motion, que ce débat est précipité. Le temps a, certes, été compté à notre commission pour examiner un texte d'une telle ampleur. Mais c'est une « fenêtre » qu'il nous a été permis d'occuper. M. le secrétaire d'Etat lui-même disait que, s'il avait beaucoup plus de temps, cela lui permettrait de placer de nombreux textes qui lui tiennent à coeur.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Bien sûr !
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Ces derniers temps, certains textes ont été examinés dans la précipitation !
Néanmoins, le travail a été fructueux et, contrairement à ce que j'ai pu entendre, j'ai pu avoir des contacts avec les responsables du mouvement familial.
Ce matin encore, à l'occasion d'auditions, j'ai rencontré le président de l'Union nationale des associations familiales.
J'ai également pu m'entretenir longuement, par téléphone, avec la nouvelle présidente de la Caisse nationale d'assurance familiale. A aucun moment, je n'ai rencontré d'hostilité ou d'ironie, comme ce fut le cas ce soir.
Permettez-moi une digression, monsieur le secrétaire d'Etat. Je fais partie du baby-boom. Ce soir, je me suis fait traiter, en quelque sorte, de « singularité démographique ». Cela relève de la meilleure boutade d'une émission télévisée du samedi soir. Mais c'est un peu triste.
Il est important que le Sénat puisse adopter, avant la fin de la présente session, une proposition de loi aussi fondamentale pour l'avenir de notre pays et pour la cohésion de notre société.
Contrairement à ce qu'affirment les auteurs de la motion tendant à apposer la question préalable, cette proposition de loi est destinée à toutes les familles, quels que soient leur composition ou leur milieu social.
Ce texte tend à supprimer la condition de ressources pour l'octroi de certaines prestations et à créer une allocation universelle d'accueil de l'enfant dont bénéficieront toutes les familles dès la naissance du deuxième enfant. Aucune disposition du texte n'est réservée à un type particulier de familles je crois que nous devons insister sur ce point.
Je reconnais que cette proposition de loi obéit à une logique différente de celle qui guide la politique menée par l'actuel gouvernement et qui vise, précisément, à exclure certaines familles du bénéfice des prestations familiales.
Il est vrai qu'il existe des confusions importantes, et cela a été relevé par certains orateurs : confusion entre politique familiale et politique sociale, confusion entre justice sociale et égalitarisme.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Je considère, comme les auteurs de la motion, qu'une politique familiale doit être globale. L'article 1er de la proposition de loi dispose d'ailleurs que la politique familiale doit prendre en compte tous les aspects de la vie familiale. Ainsi, la proposition de loi ne se limite pas à des considérations financières : elle comprend des dispositions importantes concernant la création d'un congé de solidarité familiale, l'extension du droit au travail à temps partiel, la valorisation du rôle des pères et les rythmes scolaires.
En ce qui concerne les propos malicieux sur les propositions ou les attitudes qui auraient pu être les nôtres lors du débat sur la loi portant création de la couverture maladie universelle, je signale qu'il existe une grande différence en matière de financement : d'un côté, nous avons le financement d'une politique d'aide sociale, d'une politique de solidarité que nous acceptons ; de l'autre, nous nous inscrivons véritablement dans une politique d'investissement à long terme dans les hommes, qui, eux, seront productifs dans le futur, ce qui est tout à fait différent.
Naturellement, d'autres aspects auraient pu être abordés. Je pense, notamment, aux questions relatives au droit de la famille. Notre débat de ce soir n'est, en fait, qu'une étape d'un développement plus important.
Je pense aussi à des travaux que mène actuellement Mme le garde des sceaux et à l'occasion desquels nous avons dit qu'il serait nécessaire de développer un code de la « parentalité ». Bien sûr, il n'était pas de la compétence de la commission des affaires sociales de développer ce type de sujets.
A l'évidence, ce texte a vocation à s'enrichir au cours d'une navette éventuelle et nous examinerons avec attention les ajouts qui pourraient y être apportés.
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable, que nous invitons nos collègues à repousser. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Je ne veux pas allonger inutilement cette discussion, mais, après avoir annoncé que les membres du groupe communiste républicain et citoyen voteront la motion tendant à opposer la question préalable, déposée par le groupe socialiste,...
M. Alain Gournac. Quelle surprise !
Mme Nicole Borvo. ... j'aimerais vous dire, chers collègues, que, non, il n'y a pas de défenseurs attitrés, naturels, en quelque sorte, de la famille en butte à d'autres qui n'en auraient cure, voire pis, comme je l'ai entendu. De même, il n'y a pas non plus de valeur intrinsèque de la famille en dehors des valeurs de la société. Il y a des familles qui transmettent la violence, la haine, le racisme, etc ; il y a des parents, et pas des plus défavorisés, qui vont frapper des enseignants dans les écoles. (Murmures sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicain et Indépendants.) Je suis désolée, mais il faut bien dire les choses comme elles sont !
Mme Gisèle Printz. C'est vrai !
Mme Nicole Borvo. Sinon, vous vous érigez en défenseurs de la famille, mais une famille...
M. Alain Gournac. Ce n'est pas le problème !
Mme Nicole Borvo. ... qui n'aurait rien à voir avec la société.
En revanche, il y a des conceptions différentes de la politique familiale à mettre en oeuvre, de la politique à mener à l'égard des enfants et de leur famille parce que, c'est certain, les enfants ont droit à une famille ; vous, vous vous préoccupez de démographie - vous avez raison - et de natalité, comme c'est légitime ; moi, je me préoccupe de l'enfant, de la justice sociale, et je pense que cela a des effets sur la natalité bien que cela n'ait rien de mécanique.
Il ne suffit pas, monsieur Vasselle, de faire référence à Ambroise Croizat pour que nous puissions nous mettre d'accord.
Vous avez reproché au Gouvernement les mesures passées, pour exemple la mise sous condition de ressources temporaire des allocations familiales. Comme vous le savez, nous étions contre, et nous l'avons dit. Mais vous vous empressez d'ajouter des mesures qui favorisent - cela a été dit, et je ne m'étends donc pas sur ce point - certaines catégories de familles.
Et vous oubliez bien vite que c'est vous qui avez mis sous condition de ressources l'allocation pour jeune enfant...
M. Gilbert Chabroux. Absolument !
Mme Nicole Borvo. ... et que, plus généralement, M. Juppé envisageait la mise sous condition de ressources ou la fiscalisation des allocations familiales. (Mme Printz applaudit.)
M. Guy Fischer. Eh oui !
Mme Nicole Borvo. La précédente majorité a été condamnée par le Conseil d'Etat faute d'avoir revalorisé les allocations familiales pendant la période 1993-1996, comme la loi l'imposait. (Exclamations sur les travées de l'Union centriste.)
La « grande loi famille » de Mme Veil n'a en rien permis de répondre aux problèmes rendus urgents par la dégradation de l'emploi et la montée de la précarité.
On l'a dit, vous voulez favoriser tels types de garde d'enfant plutôt que d'autres. Vous enlevez donc la possibilité de choix.
Un sénateur de l'Union centriste. Ce n'est pas vrai !
Mme Nicole Borvo. Pour vous, qui voulez être de toutes les libertés de choix, cela me paraît mauvais.
Permettez-moi de vous dire que vous avez gouverné souvent depuis 1945 et que la natalité n'en a pas été favorisée pour autant. (M. Alain Gournac s'exclame.)
Mme Gisèle Printz. Voilà !
Mme Nicole Borvo. Les politiques familiales des autres pays européens sont différentes : certaines sont plus favorables, et elles n'ont pas pour autant d'effet automatique sur la natalité et la fécondité. Vous le savez très bien, et il faut donc avoir un minimum de bonne foi en la matière.
M. Alain Gournac. Mieux vaut ne rien faire ! (Rires.)
Mme Nicole Borvo. Pour mettre en oeuvre une politique familiale, il faut savoir intégrer les problèmes réels auxquels sont confrontés les parents et les parents potentiels. Cela a déjà été dit, et je ne développerai donc pas ce point.
Je crois justement que vous ne prenez pas en compte la réalité de ces problèmes que sont l'emploi, la crise, le logement, l'éducation, l'accès à la culture et aux loisirs. Pour moi, la politique familiale doit participer à une politique de progrès social parce que le premier objectif est celui du droit de l'enfant à un minimum d'égalité. C'est la raison pour laquelle je me préoccupe de chaque enfant, et du premier, d'abord.
Vous vous souciez d'une minorité de familles, ce qui - permettez-moi de vous le dire - ne peut avoir d'effet réel sur la natalité compte tenu de leur faible nombre. Il est vraiment malvenu de dire que vous vous préoccupez de natalité alors que d'autres ne se soucieraient que de justice sociale, comme si c'était un défaut.
Nous apprécions que le Gouvernement soit revenu sur la mise sous condition de ressources des allocations familiales - comme vous l'avez indiqué précédemment, nous avons contribué à ce que tel soit le cas - et qu'il ait abaissé le plafond du quotient familial.
M. le président. Madame, il vous faut conclure.
Mme Nicole Borvo. Je ne reviendrai pas sur les différentes mesures qui ont été prises. Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement s'engage davantage et que les objectifs affichés soient suivis de mesures concrètes... (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. Merci, madame !
Mme Nicole Borvo. Nous voudrions un vrai débat sur la famille et non un texte commandé par des impératifs politiciens.
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
Mme Nicole Borvo. Bien évidemment, ce débat est lié aux questions plus globales du financement des prestations sociales. Or, de ce point de vue, permettez-moi de vous le dire, vous souhaitez toujours plus de restrictions des politiques et des prestations sociales. Nous verrons donc au moment du débat sur le financement de la sécurité sociale comment vous vous comporterez.
En attendant, je voterai, pour les raisons qui ont été dites, la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable, repoussée par la commission.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet de la proposition de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous abordons la discussion des articles. (Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen et ceux du groupe socialiste quittent l'hémicycle.)

TITRE PRÉLIMINAIRE

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - La famille est une des valeurs essentielles sur lesquelles est fondée la société. C'est sur elle que repose l'avenir de la nation.
« A ce titre, la politique familiale doit prendre en compte tous les aspects de la vie familiale. »
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

TITRE Ier

AMÉLIORATION DE L'ACCUEIL
DES JEUNES ENFANTS

Chapitre Ier

L'allocation universelle d'accueil de l'enfant

Article 2



M. le président.
« Art. 2. - Il est rétabli dans le titre III du livre V du code de la sécurité sociale un chapitre III ainsi rédigé :

« Chapitre III

« Allocation universelle d'accueil de l'enfant

« Art. L. 533-1. - Une allocation universelle d'accueil de l'enfant est attribuée sans conditions de ressources pour le deuxième enfant à charge, pendant les dix mois suivant sa naissance.
« Art. L. 533-2. - Une allocation universelle majorée est attribuée sans conditions de ressources pour le troisième enfant à charge et les enfants suivants, pendant les dix mois suivant leur naissance.
« Art. L. 533-3. - Ces allocations ne peuvent se cumuler avec l'allocation pour jeune enfant. Leur montant est fixé par décret. »
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement invoque l'article 40 sur cet article... ce qui ne vous étonnera sans doute guère.
M. le président. Monsieur Michel Mercier, l'article 40 de la Constitution est-il applicable ?
M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. La commission des finances est d'avis que l'article 40 s'applique, monsieur le président.
M. le président. L'article 40 étant applicable, l'article 2 n'est pas recevable.

Chapitre II

Allocation de garde d'enfant à domicile

Article 3



M. le président.
« Art. 3. - A l'article L. 842-1 du code de la sécurité sociale, après les mots : "Une allocation de garde d'enfant à domicile est attribuée" sont insérés les mots : "sans condition de ressources". »
Sur l'article, la parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je constate que l'opposition a déserté cet hémicycle, ce qui, sur le plan démocratique, me paraît mauvais.
Il est intéressant et même symbolique que, en ce jour où l'Assemblée nationale vient d'adopter en deuxième lecture le PACS, le Sénat examine une proposition de loi sur la famille. Deux conceptions très différentes sont respectivement représentées ici et à l'Assemblée nationale.
L'article 3 permettrait de relancer le développement des emplois à domicile, qui avait été constaté à la suite de l'adoption de la loi de 1994. Cela ayant déjà été dit par certains de mes collègues, je n'insisterai pas plus sur ce point. Je ferai simplement l'observation suivante, monsieur le secrétaire d'Etat : alors que, dans le cadre des 35 heures, un emploi coûte à l'Etat 159 000 francs pour une entreprise de cent personnes réduisant sa durée de travail de 10 % et créant 6 % d'emplois, et qu'un emploi-jeune coûte 90 000 francs, il me paraît anormal de s'opposer aux propositions faites à l'article 3 ainsi qu'à l'article 6 de la proposition de loi. Ces dispositions permettraient en effet de créer des emplois, notamment des emplois féminins : ce sont des femmes qui occuperont ces postes de gardes d'enfants à domicile. Vous refusez donc des emplois féminins, ce dont je ne peux être que choqué ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. J'invoque l'article 40 de la Constitution.
M. le président. Monsieur Michel Mercier, la commission des finances estime-t-elle applicable l'article 40 de la Constitution ?
M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances. Oui, monsieur le président.
M. le président. L'article 40 étant applicable, l'article 3 n'est pas recevable.

Article 4



M. le président.
« Art. 4. - Au I de l'article L. 842-2 du code de la sécurité sociale, les mots : "Le montant de l'allocation est égal à une fraction, fixée par décret, du montant des cotisations", sont remplacés par les mots : "Le montant de l'allocation est égal à celui des cotisations". »
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. J'invoque l'article 40 de la Constitution.
M. le président. Monsieur Michel Mercier, l'article 40 de la Constitution est-il applicable ?
M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances. Il l'est, monsieur le président.
M. le président. L'article 40 étant applicable, l'article 4 n'est pas recevable.

Article 5

M. le président. « Art. 5. - Le II de l'article L. 842-2 du code de la sécurité sociale est abrogé. »
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. J'invoque l'article 40 de la Constitution.
M. le président. Monsieur Michel Mercier, la commission des finances estime-t-elle applicable l'article 40 de la Constitution ?
M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances. Oui, monsieur le président.
M. le président. L'article 40 étant applicable, l'article 5 n'est pas recevable.

Chapitre III

Majoration de la réduction d'impôt
pour la garde d'enfant à domicile

Article 6



M. le président.
« Art. 6. - Dans le II de la section V du chapitre Ier du titre Ier du code général des impôts, il est rétabli un 20° ainsi rédigé :
« 20° Réduction d'impôt accordée au titre des sommes versées pour l'emploi d'une garde d'enfant à domicile, à une association agréée ou à un organisme habilité ou conventionné ayant le même objet.
« Art. 200 bis. - 1° Lorsqu'elles n'entrent pas en compte pour l'évaluation des revenus des différentes catégories, ouvrent droit à une réduction d'impôt sur le revenu les sommes versées pour l'emploi d'un salarié employé à la résidence, située en France, du contribuable afin d'assurer la garde d'un enfant de moins de six ans, ainsi que les sommes versées aux mêmes fins soit à une association, soit à une entreprise agréée par l'Etat, soit à un organisme à but non lucratif, conventionné par un organisme de sécurité sociale, ayant pour objet la fourniture de services de garde d'enfant à domicile.
« La réduction d'impôt est égale à 50 % du montant des dépenses effectivement supportées dans la limite de 45 000 francs.
« La réduction d'impôt est accordée sur présentation des pièces justifiant du paiement des salaires et des cotisations sociales, de l'identité du bénéficiaire, de la nature et du montant des prestations payées à l'association, l'entreprise ou l'organisme défini au premier alinéa.
« Les dispositions du 5 du I de l'article 197 sont applicables.
« 2° Les personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal en France ne bénéficient pas de la réduction d'impôt ». - (Adopté.)

TITRE II

CONCILIATION ENTRE VIE FAMILIALE
ET VIE PROFESSIONNELLE

Chapitre Ier

Congé de solidarité familiale

Article 7

M. le président. « Art. 7. - L'intitulé de la section V du chapitre II du titre II du livre Ier du code du travail est ainsi rédigé : " Protection de la maternité, éducation des enfants et solidarité familiale". » - (Adopté.)

Article 8

M. le président. « Art. 8. - Il est inséré après l'article L. 122-28-10 du code du travail, un article L. 122-28-11 ainsi rédigé :
« Art. L. 122-28-11. - Tout salarié qui justifie d'une ancienneté minimale d'un an a le droit de bénéficier d'un congé de solidarité familiale durant lequel le contrat de travail est suspendu.
« La demande de congé de solidarité familiale est justifiée par des difficultés graves et transitoires rencontrées par la famille proche du salarié, qu'il s'agisse des ascendants, descendants ou de son conjoint.
« Le congé est accordé pour une durée minimale de six mois, renouvelable une fois, dans la limite d'un an.
« La durée du congé de solidarité familiale est prise en compte pour moitié dans la détermination des avantages liés à l'ancienneté. Le salarié conserve en outre le bénéfice de tous les avantages qu'il avait acquis avant le début de ce congé.
« A l'issue du congé de solidarité familiale, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente.
« Les conditions d'exercice de ce droit à congé sont fixées par voie d'accord collectif. A défaut d'accord, ces modalités sont celles qu'un décret en Conseil d'Etat fixe, dans des conditions répondant à la fois aux aspirations des familles et aux besoins du fonctionnement des entreprises. » - (Adopté.)

Chapitre II

Extension du temps partiel choisi

Article 9

M. le président. « Art. 9. - La première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 122-28-1 du code du travail est remplacée par deux phrases ainsi rédigées :
« Le congé parental prend fin au plus tard au troisième anniversaire de l'enfant ou, en cas d'adoption d'un enfant de moins de trois ans, à l'expiration d'un délai de trois ans à compter de l'arrivée au foyer de l'enfant. La période d'activité à temps partiel prend fin au plus tard au sixième anniversaire de l'enfant ou, en cas d'adoption d'un enfant de moins de trois ans, à l'expiration d'un délai de six ans à compter de l'arrivée au foyer de l'enfant. » - (Adopté.)

Chapitre III

Valorisation du rôle des pères

Article 10

M. le président. « Art. 10. - Après le deuxième alinéa de l'article L. 122-28-1 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les droits à congé parental ou à une période d'activité à temps partiel ouverts par le premier alinéa du présent article sont majorés de la moitié du temps du congé ou d'activité à temps partiel pris par le père ou le père adoptif de l'enfant. Cette majoration ne peut excéder un an. » - (Adopté.)

Article 11



M. le président.
« Art. 11. - Il est inséré, après l'article L. 122-28-10 du code du travail, un article L. 122-28-12 ainsi rédigé :
« Art. L. 122-28-12 . - Les droits à congé de solidarité familiale cumulés des deux parents ou des deux parents adoptifs, d'un enfant sont majorés de la moitié du temps de congé de solidarité familiale pris par le père ou le père adoptif pour s'occuper de cet enfant. »
Sur l'article, la parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. A mon tour, observant les travées désertes du groupe socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen, je voudrais souligner que, ce soir, la démocratie s'exprime de façon particulière !
S'agissant des articles 10 et 11, je répéterai le propos que j'ai tenu en commission des affaires sociales : il est essentiel de reconnaître le rôle important qu'a à jouer le père au sein de la famille.
Sans vouloir minimiser le rôle de la mère dans la famille, il me paraît nécessaire de donner au père la possibilité d'accompagner un enfant au moment où ce dernier rencontre des difficultés, scolaires ou autres. Ainsi, par exemple, lors d'une cure de désintoxication, l'enfant a besoin d'être soutenu par son père ou par sa mère.
Je me félicite donc que la proposition de loi reconnaisse le rôle important du père dans ces moments difficiles de la vie. Si ce n'est pas la seule solution, c'est certainement l'une des solutions.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Monsieur Gournac, je partage avec vous ce sentiment d'un équilibre nécessaire. Votre propos sur le rôle du père est tout à fait juste. Mais cette question est horriblement compliquée !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 11.

(L'article 11 est adopté.)

Chapitre IV

Compensation de l'effort familial des entreprises

Article 12



M. le président.
« Art. 12. - Il est inséré, après l'article L. 122-28-10 du code du travail, un article L. 122-28-13 ainsi rédigé :
« Art. L. 122-18-13. - Les recrutements auxquels procéderont les entreprises pour remplacer les salariés bénéficiant d'un congé de solidarité familiale donneront lieu à une exonération de charges sociales, dans des conditions fixées par décret. »
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. J'invoque l'article 40 de la Constitution.
M. le président. Monsieur Michel Mercier, l'article 40 est-il applicable ?
M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances. Il l'est, monsieur le président.
M. le président. En conséquence, l'article 12 n'est pas recevable.

Article 13

M. le président. « Art. 13. - Les fonds d'action sociale des caisses d'allocations familiales soutiennent la mise en oeuvre d'accords d'entreprise permettant d'améliorer la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle des salariés, et particulièrement la création de crèches d'entreprises. Ils bénéficient à cette fin d'une dotation de l'Etat fixée chaque année dans la loi de finances. »
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement invoque l'article 40 de la Constitution.
M. le président. Monsieur Michel Mercier, l'article 40 est-il applicable ?
M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances. Il l'est, monsieur le président.
M. le président. L'article 40 de la Constitution étant applicable, l'article 13 n'est pas recevable.

TITRE III

RYTHMES SCOLAIRES

Article 14



M. le président.
« Art. 14. - L'allégement et l'enrichissement des rythmes scolaires, sur la base d'une semaine de cinq jours, en réservant une demi-journée quotidienne aux disciplines de la sensibilité, seront généralisés, dans les établissements de l'enseignement primaire, en concertation avec les personnels enseignants de ces étabissements, progressivement d'ici cinq ans.
« Les zones d'éducation prioritaires bénéficieront en premier lieu de cette réforme des rythmes scolaires.
« Un rapport de suivi de la mise en oeuvre de ce plan quinquennal sera présenté au Parlement chaque années. » - (Adopté.)

TITRE IV

L'AIDE AUX JEUNES ADULTES

Chapitre Ier

Prêt à taux zéro pour les jeunes adultes

Article 15



M. le président.
« Art. 15. - Le titre IV du livre V du code de la sécurité sociale est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :

« Chapitre IV

« Aide à la réalisation d'un projet professionnel

« Art. L. 544-1. - Il est créé une aide à la réalisation d'un projet professionel destinée aux jeunes adultes de dix-huit à vingt-cinq ans. Cette aide est mise en place par les établissements de crédit conventionnés à cet effet sous forme d'avance remboursable ne portant pas intérêt. La Caisse nationale des allocations familiales verse une subvention aux établissements de crédit destinée à compenser l'absence d'intérêt.
« Art. L. 544-2. - Cette aide est attribuée, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, pour financer les opérations suivantes :
« - cursus d'études ou de formation ;
« - projet professionnel ;
« - création d'entreprise. »
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement invoque l'article 40 de la Constitution.
M. le président. Monsieur Michel Mercier, l'article 40 de la Constitution est-il applicable ?
M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances. Il l'est, monsieur le président.
M. le président. L'article 40 de la Constitution étant applicable, l'article 15 n'est pas recevable.

Chapitre II

Accélération de la transmission anticipée
du patrimoine

Article 16



M. le président.
« Art. 16. - Après le premier alinéa de l'article 790 B du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour la perception des droits de mutation à titre gratuit entre vifs, il est effectué un abattement de 200 000 francs sur la part de chacun des petits-enfants, lorsque ceux-ci sont âgés de seize à trente ans. » - (Adopté.)

TITRE V

LA COMPENSATION DE L'EFFORT
FINANCIER DES FAMILLES

Chapitre Ier

Amélioration du mécanisme du quotient familial

Article 17

M. le président. « Art. 17. - Dans le premier alinéa du 2 de l'article 197 du code général des impôts, les mots : "la réduction d'impôt résultant de l'application du quotient familial ne peut excéder 11 000 francs" sont remplacés par les mots : "la réduction d'impôt résultant de l'application du quotient familial ne peut excéder 16 380 francs. » - (Adopté.)

Chapitre II

Revalorisation des prestations familiales

Article 18



M. le président.
« Art. 18. - Pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre 1999, les bases mensuelles de calcul des prestations familiales mentionnées à l'article L. 551-1 du code de la sécurité sociale sont revalorisées de 1,2 %. »
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement invoque l'article 40 de la Constitution.
M. le président. Monsieur Michel Mercier, l'article 40 de la Constitution est-il applicable ?
M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances. Il l'est, monsieur le président.
M. le président. L'article 40 de la Constitution étant applicable, l'article 18 n'est pas recevable.

Article 19

M. le président. « Art. 19. - Les bases mensuelles de calcul des prestations familiales mentionnées à l'article L. 551-1 du code de la sécurité sociale sont revalorisées chaque année d'un taux qui ne peut être inférieur au taux de revalorisation des pensions de retraite du régime général. »
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement invoque l'article 40 de la Constitution.
M. le président. Monsieur Michel Mercier, l'article 40 de la Constitution est-il applicable ?
M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances. Il l'est, monsieur le président.
M. le président. L'article 40 de la Constitution étant applicable, l'article 9 n'est pas recevable.

TITRE VI

DISPOSITIONS FINANCIÈRES

Chapitre Ier

Reconduction de la garantie de ressources
de la branche famille

Article 20

M. le président. « Art. 20. - Les ressources de la Caisse nationale des allocations familiales sont au moins égales chaque année, pour la période du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2003, au montant qu'elles auraient atteint à la fin de l'année considérée en cas de maintien des dispositions législatives et réglementaires applicables le 1er janvier 1993, au taux, à l'assiette et au champ d'application des cotisations et contributions énumérées à l'article L. 241-6 du code de la sécurité sociale. »
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement invoque l'article 40 de la Constitution.
M. le président. Monsieur Michel Mercier, l'article 40 de la Constitution est-il applicable ?
M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances. Il l'est, monsieur le président.
M. le président. L'article 40 de la Constitution étant applicable, l'article 20 n'est pas recevable.

Chapitre II

Financement de la majoration
de l'allocation de rentrée scolaire

Article 21



M. le président.
« Art. 21. - Aucune majoration de l'allocation de rentrée scolaire mentionnée aux articles L. 543-1 et L. 755-22 du code de la sécurité sociale ne peut être mise à la charge de la Caisse nationale des allocations familiales. » - (Adopté.)

Chapitre III

Compensation financière

Article 22

M. le président. « Art. 22. - Les pertes de recettes pour l'Etat résultant de l'adoption de la présente loi sont compensées par une augmentation à due concurrence des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. » - (Adopté.)

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi n° 396 (1998-1999), je donne la parole à M. Vissac, pour explication de vote.
M. Guy Vissac. Monsieur le secrétaire d'Etat, les quatre groupes de la majorité sénatoriale vous ont proposé une réponse globale et cohérente aux difficultés rencontrées par les familles, dans la droite ligne de la loi du 25 juillet 1994.
La proposition de loi que nous avons examinée est d'autant plus opportune qu'elle vient réparer les conséquences désastreuses de la politique familiale menée par le Gouvernement depuis deux ans.
Comment ne pas regretter, alors, le peu d'écoute que vous avez accordée à notre Haute Assemblée en opposant systématiquement l'article 40 à de nombreuses dispositions de cette proposition de loi ?
Vous semblez vouloir persévérer dans vos errements du passé et opter pour une politique sociale à vocation redistributrice, ignorant les véritables besoins des familles.
Cependant, en refusant de suivre nos propositions, vous repoussez une fois encore leur espoir de voir enfin menée une véritable politique en faveur des familles. En les désespérant, vous désespérez l'avenir. En refusant d'investir en elles, en ne voyant que le coût brut de ces mesures, vous niez leur vocation fondatrice de la nation.
Bien entendu, le groupe du RPR votera le texte tel qu'il résulte des débats de notre Haute Assemblée, dans la rédaction proposée par notre commission des affaires sociales. Je tiens à saluer, à cet égard, la qualité du travail de cette dernière, et tout particulièrement à remercier son rapporteur, qui a défendu avec conviction la proposition de loi issue de l'ensemble de notre majorité sénatoriale pour une véritable politique familiale. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, trois éléments démontraient la volonté des auteurs de cette proposition de loi de reconnaître les nouvelles habitudes de notre société et de répondre à ses attentes de solidarité, c'est-à-dire de s'ancrer dans la société d'aujourd'hui et non pas dans celle d'hier.
Le premier de ces éléments, c'était l'affirmation du rôle du père, qui vient d'être évoqué. Ce point crucial apparaît aujourd'hui dans toutes les réflexions sur la restauration du lien social, dont le relâchement nous inquiète tous. La présence du père auprès de la famille doit, en effet, être facilitée dans les moments nécessaires au maintien de l'équilibre familial.
Le deuxième élément de modernité, c'était la capacité qu'offrait cette proposition de loi aux grands enfants de s'assumer, de prendre leur autonomie en contractant un prêt sans intérêts, ce qui les responsabilisait et permettait de soulager ainsi le budget familial.
Enfin, le troisième élément d'actualité résidait dans la solidarité intergénérationnelle. Nous reconnaissions que la société patrimoniale a changé et que les grands-parents peuvent, aujourd'hui mieux qu'hier, contribuer à soulager leurs enfants dans leur rôle de parents en aidant leurs petits-enfants.
Je conclurai, monsieur le secrétaire d'Etat, en revenant sur votre vision des rêves des couples d'aujourd'hui et sur leur désir d'enfants. Je ne partage pas du tout votre analyse ! En effet, de nombreuses enquêtes montrent que les couples désirent très souvent deux ou trois enfants mais n'en ont qu'un parce qu'ils n'ont pas les moyens d'obtenir un logement plus grand et d'assumer leurs responsabilités éducatives. (Exclamations sur les travées socialistes.) C'est bien pourquoi l'allocation universelle dès le deuxième enfant, renforcée pour le troisième, se justifiait largement.
J'aurais donc aimé voter sans retenue cette proposition de loi, et je remercie notre collègue Jean-Louis Lorrain de la qualité du rapport qu'il nous a présenté ainsi que les auteurs de ce texte, qui était attendu par les familles. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi n° 396 (1998-1999).

(La proposition de loi est adoptée.)

9

TRANSMISSION D'UN PROJET
DE LOI CONSTITUTIONNELLE

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 425, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

10

TRANSMISSION DE PROJETS DE LOI

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant ratification des ordonnances n° 98-522 du 24 juin 1998, n° 98-731 du 20 août 1998, n° 98-773 du 2 septembre 1998 prises en application de la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 420, distribué et renvoyé à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant ratification des ordonnances n° 98-580 du 8 juillet 1998, n° 98-582 du 8 juillet 1998, n° 98-728 du 20 août 1998, n° 98-729 du 20 août 1998, n° 98-730 du 20 août 1998, n° 98-732 du 20 août 1998, n° 98-774 du 2 septembre 1998 prises en application de la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 421, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant ratification des ordonnances n° 98-524 du 24 juin 1998, n° 98-525 du 24 juin 1998, n° 98-581 du 8 juillet 1998, n° 98-775 du 2 septembre 1998 prises en application de la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 422, distribué et renvoyé à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant ratification des ordonnances n° 98-520 du 24 juin 1998, n° 98-521 du 24 juin 1998, n° 98-523 du 24 juin 1998, n° 98-526 dy 24 juin 1998, n° 98-776 du 2 septembre 1998, n° 98-777 du 2 septembre 1998 prises en application de la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 423, distribué et renvoyé à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 424, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

11

DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI

M. le président. J'ai reçu de MM. Marcel Henry, Philippe Arnaud, Denis Badré, René Ballayer, Michel Bécot, Mme Annick Bocandé, MM. André Bohl, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, André Diligent, André Dulait, Jean Faure, Serge Franchis, Yves Fréville, Rémi Herment, Claude Huriet, Jean-Jacques Hyest, Alain Lambert, Jean-Louis Lorrain, Kléber Malécot, André Maman, Louis Mercier, Louis Moinard, René Monory, Philippe Nogrix, Jean-Marie Poirier, Victor Reux et Michel Souplet une proposition de loi tendant à modifier certaines dispositions de l'article 2 de la loi n° 79-1113 du 22 décembre 1979 relative à Mayotte afin de prévoir la consultation de la population de cette collectivité territoriale sur le choix de son statut définitif dans la République.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 426, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de MM. Bernard Fournier, Pierre André, Mme Paulette Brisepierre, MM. Robert Calmejane, Auguste Cazalet, Jean Chérioux, Gérard Cornu, Désiré Debavelaere, Jacques Delong, Christian Demuynck, Charles Descours, Michel Doublet, Xavier Dugoin, Hilaire Flandre, Alain Gérard, François Gerbaud, Francis Giraud, Daniel Goulet, Georges Gruillot, André Jourdain, Christian de La Malène, Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, René-Georges Laurin, Jean-François Le Grand, Bernard Murat, Paul Natali, Mme Nelly Olin et M. Jacques Peyrat une proposition de loi tendant à permettre la création de « Chartes de participation » dans les collectivités territoriales et à déterminer les modalités de l'intéressement des agents de ces collectivités.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 428, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

12

TRANSMISSION D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au pacte civil de solidarité.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 429, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.13

TEXTES SOUMIS EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
- Avant-projet de budget. - Rectificatif n° 1/99. - Section III. - Commission.
Ce texte sera imprimé sous le n° E 1253, annexe 6, et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un accord entre la Communauté européenne et la République démocratique populaire Lao sur le commerce des produits textiles.
Ce texte sera imprimé sous le n° E 1265 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil suspendant certaines concessions agricoles en faveur de la Turquie et abrogeant le règlement n° 1506/98.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1266 et distribué.

14

DÉPÔT D'UN RAPPORT

M. le président. J'ai reçu de M. Paul Girod un rapport fait au nom de la commisssion des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur :
- le projet de loi relatif à l'élection des sénateurs (n° 260, 1998-1999) ;
- la proposition de loi de MM. Henri de Raincourt, Jean Arthuis, Josselin de Rohan, Gérard Larcher, Christian Bonnet, Patrice Gélard, Paul Girod, Jean-Jacques Hyest et Jacques Larché modifiant le mode d'élection des sénateurs (n° 230, 1998-1999) ;
- la proposition de loi de MM. Guy Allouche, Claude Estier et des membres du groupe socialiste et apparentés tendant à modifier le tableau n° 6, annexé à l'article L. 279 du code électoral fixant le nombre de sénateurs représentant les départements, ainsi que le tableau n° 5 annexé à l'article LO 276 du code électoral relatif à la répartition des sièges de sénateurs entre les séries (n° 460, 1997-1998) ;
- la proposition de loi de MM. Guy Allouche, Claude Estier et des membres du groupe socialiste et apparentés modifiant des dispositions du code électoral relatives à l'élection des sénateurs (n° 458, 1997-1998) ;
- la proposition de loi de M. Jean-Michel Baylet et Mme Joëlle Dusseau relative au mode d'élection des sénateurs (n° 209, 1997-1998) ;
- et la proposition de loi de Mme Hélène Luc, MM. Michel Duffour, Robert Pagès, Jean Derian, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mmes Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Guy Fischer, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Louis Minetti, Jack Ralite, Ivan Renar, Mme Odette Terrade et M. Paul Vergès relative à l'élection sénatoriale (n° 152, 1997-1998).

Le rapport sera imprimé sous le n° 427 et distribué.

15

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 16 juin 1999, à onze heures, à quinze heures et le soir :
Suite de la discussion du projet de loi n° 291 (1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.
Rapport n° 419 (1998-1999) de M. Charles Jolibois, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Avis n° 412 (1998-1999) de M. Louis de Broissia, fait au nom de la commission des affaires culturelles.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.

Délai limite pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

Projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, portant création de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (n° 358, 1998-1999) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 21 juin 1999, à dix-sept heures ;
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, tendant à limiter les licenciements des salariés de plus de cinquante ans (n° 390, 1998-1999) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 21 juin 1999, à dix-sept heures ;
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, modifiant l'ordonnance n° 82-283 du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances (n° 402, 1998-1999) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 21 juin 1999, à dix-sept heures.
Sous réserve de sa transmission, projet de loi de règlement du budget 1997 (AN, n° 1277) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 21 juin 1999, à dix-sept heures.
Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, d'orientation budgétaire :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 21 juin 1999, à dix-sept heures.
Conclusions de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi portant diverses mesures d'urgence à la chasse (n° 408, 1998-1999) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 21 juin 1999, à dix-sept heures ;
Projet de loi relatif à l'élection des sénateurs (n° 260, 1998-1999) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 22 juin 1999, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 22 juin 1999, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 16 juin 1999, à une heure cinq.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





ERRATUM
Au compte rendu intégral de la séance du 8 juin 1999
RÉFÉRÉ DEVANT LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

Page 3758, 1re colonne, dans le texte proposé par l'amendement n° 41 modifiant l'article 16, de la quatrième ligne à la septième ligne :
Au lieu de : « "... décision attaquée" par les mots : "le juge des référés, saisi d'une demande de suspension de la décision attaquée, y fait droit" et les mots : "la juridiction". »
Lire : « "... décision attaquée" sont remplacés par les mots : "le juge des référés, saisi d'une demande de suspension de la décision attaquée, y fait droit" par les mots : la juridiction". »

ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SÉANCES DU SÉNAT
établi par le Sénat dans sa séance du mardi 15 juin 1999
à la suite des conclusions de la conférence des présidents

Mercredi 16 juin 1999, à 10 h 30, à 15 heures et le soir :

Ordre du jour prioritaire

Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (n° 291, 1998-1999).

Jeudi 17 juin 1999,
à 9 h 30, à 15 heures et, éventuellement, la nuit :

Ordre du jour prioritaire

Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (n° 291, 1998-1999).

Mardi 22 juin 1999 :

A 10 heures :

Ordre du jour prioritaire

1° Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, portant création de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (n° 358, 1998-1999).
(La conférence des présidents a fixé au lundi 21 juin 1999, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi.)
2° Nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, tendant à limiter les licenciements des salariés de plus de cinquante ans (n° 390, 1998-1999).
(La conférence des présidents a fixé au lundi 21 juin 1999, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de loi.)
3° Nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, modifiant l'ordonnance n° 82-283 du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances (n° 402, 1998-1999).
(La conférence des présidents a fixé au lundi 21 juin 1999, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi.)
A 16 heures et le soir :

Ordre du jour prioritaire

4° Sous réserve de sa transmission, projet de loi de règlement du budget 1997 (AN, n° 1277).
(La conférence des présidents a fixé au lundi 21 juin 1999, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi.)
5° Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, d'orientation budgétaire.
(La conférence des présidents a fixé :
- à soixante minutes le temps réservé au président et au rapporteur général de la commission des finances ;

- à dix minutes le temps réservé à chacun des présidents des autres commissions permanentes intéressées ;

- à quatre heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 21 juin 1999.)

Ordre du jour complémentaire

6° Conclusions de la commission des affaires économiques et du Plan sur la proposition de loi (n° 394 rectifié, 1998-1999) de MM. Roland du Luart, Gérard Larcher, Philippe Adnot et plusieurs de leurs collègues portant diverses mesures d'urgence relatives à la chasse (n° 408, 1998-1999).
(La conférence des présidents a fixé au lundi 21 juin 1999, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ces conclusions.)

Mercredi 23 juin 1999,
à 15 heures et, éventuellement, le soir :

Ordre du jour prioritaire

Projet de loi relatif à l'élection des sénateurs (n° 260, 1998-1999).
(La conférence des présidents a fixé :
- au mardi 22 juin 1999, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi ;

- à quatre heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 22 juin 1999.)

Jeudi 24 juin 1999 :

A 9 h 30 :

Ordre du jour prioritaire

1° Suite du projet de loi relatif à l'élection des sénateurs.
A 15 heures :
2° Questions d'actualité au Gouvernement.
(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures.)

Ordre du jour prioritaire

3° Suite de l'ordre du jour du matin.
4° Eventuellement, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.
Mardi 29 juin 1999 :
A 9 h 30 :
1° Dix-neuf questions orales sans débat (l'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement) :
- n° 461 de M. Jean-Marc Pastor à Mme le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat (Règles relatives à la fermeture hebdomadaire des commerces et à la vente du pain) ;

- n° 495 de M. Franck Sérusclat à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement (Retrait du permis de conduire aux cyclistes ayant commis des infractions au code de la route) ;

- n° 528 de M. Dominique Leclerc à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Réactualisation de la liste des produits inscrits au tarif interministériel des prestations sociales) ;

- n° 544 de M. Michel Doublet à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité (Fonctionnement de la régie des eaux de la Charente-Maritime) ;

- n° 548 de M. Jean-Pierre Fourcade à M. le secrétaire d'Etat au budget (Application de l'article 47 de la loi de finances rectificative pour 1998) ;

- n° 549 de M. Jean Bizet à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement (Fiscalité de l'énergie) ;

- n° 550 de M. Jean-Patrick Courtois à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement (Aménagement de la route Centre Europe-Atlantique) ;

- n° 551 de M. Nicolas About à M. le secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants (Projet de fermeture de la maison de retraite de Ville-Lebrun) ;

- n° 552 de M. Marcel-Pierre Cléach à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice (Construction de la maison d'arrêt du Mans) ;

- n° 553 de Mme Dinah Derycke à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement (Formation pratique au secourisme et permis de conduire) ;

- n° 554 de M. Thierry Foucaud à M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale (Traitement des patients dialysés en Haute-Normandie) ;

- n° 555 de M. Alain Vasselle à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement (Gestion des déchets) ;

- n° 556 de M. Gérard César à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement (Epandage des boues) ;

- n° 557 de M. Ivan Renar à Mme le ministre de la culture et de la communication (Situation des personnels du ministère de la culture) ;

- n° 558 de M. Michel Souplet à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie (Parution des décrets d'application de la loi sur l'air et biocarburants) ;

- n° 559 de M. Léon Fatous à M. le secrétaire d'Etat au logement (Lutte contre l'insalubrité des logements) ;

- n° 560 de M. Philippe Madrelle à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement (Création d'une voie de contournement par l'ouest de l'agglomération bordelaise) ;

- n° 562 de M. James Bordas transmise à M. le ministre des affaires étrangères (Suspension des procédures d'adoption d'enfants avec le Vietnam) ;

- n° 564 de Mme Hélène Luc transmise à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie (Implantation d'une usine Renault à Choisy-le-Roi).

A 16 h 15 et, éventuellement, le soir :
2° Discours de fin de session du président du Sénat.

Ordre du jour prioritaire

3° Nouvelle lecture, sous réserve de sa transmission, du projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle (AN, n° 1677).
4° Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, sur l'innovation et la recherche (n° 404, 1998-1999).
(La conférence des présidents a fixé au lundi 28 juin 1999, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi).

Mercredi 30 juin 1999 :

Ordre du jour prioritaire

A 9 h 30, à 15 heures et, éventuellement, le soir :
1° Proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au statut de la magistrature (n° 417, 1998-1999).
(La conférence des présidents a fixé au mardi 29 juin 1999, à 11 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de loi organique.)
2° Nouvelle lecture, sous réserve de sa transmission, de la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité (AN, n° 1587).
(La conférence des présidents a fixé au mardi 29 juin 1999, à 11 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de loi.)
3° Deuxième lecture du projet de loi organique, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice (n° 255, 1998-1999).
4° Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice (n° 256, 1998-1999).
(La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l'objet d'une discussion générale commune.
La conférence des présidents a, par ailleurs, fixé au mardi 29 juin 1999, à 11 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ces deux projets de loi.)



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Modalités de recrutement dans la gendarmerie

566. - 14 juin 1999. - M. Jean Clouet attire l'attention de M. le ministre de la défense sur la nécessité que les décisions administratives, notamment celles qui concernent les personnes, soient claires et motivées. Tel ne semble pas être le cas dans la gendarmerie nationale au niveau du recrutement. Un candidat au concours d'admission, n'ayant pas réussi lors de sa première tentative, a été informé qu'il ne pourrait plus « être autorisé à présenter une nouvelle candidature » et que cette exclusion qui « résulte de dispositions réglementaires ne peut connaître aucune dérogation ». Il lui demande quelles sont ces mesures ? Quelles sont ces dispositions réglementaire ? C'est le bannissement à vie sans phrases. Ayant eu connaissance de la lettre du ministre, il lui a paru nécessaire d'obtenir, auprès de lui, les précisions dont le défaut lui paraissait choquant. Le ministre lui a fait parvenir une lettre, non datée, qui levait l'interdiction mais maintenait la nécessité de remplir « les conditions réglementaires », ce qui est bien normal, sous réserve que l'on veuille bien les faire connaître. On demeure donc dans une regrettable opacité, le tout étant couronné par la réponse des services de recrutement au malheureux candidat : « Nous n'avons pas connaissance de la position du ministre ». Cette aventure, outre qu'elle a traumatisé un jeune plein de bonne volonté, lui interdisant tout espoir d'accomplir sa vocation, paraît révéler des pratiques administratives qu'on croyait disparues. Espérons qu'elles ne subsistent que dans la gendarmerie et qu'elles ne vont pas tarder à disparaître.

Population et dotations aux collectivités locales

567. - 14 juin 1999. - M. Pierre Jarlier attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les incidences du recensement en cours de la population sur le montant des dotations attribuées par l'Etat aux collectivités locales. Le Gouvernement devrait en effet prendre un décret déterminant la population légale de chaque collectivité locale au début de l'an 2000, et d'ores et déjà il apparaît dans les premières estimations que de très nombreuses communes rurales et, par voie de conséquence, certains départements ruraux ont connu une forte baisse de leur population depuis 1990. C'est le cas du Cantal dont le nombre d'habitants aurait chuté d'au moins 8 % et de certaines de ses collectivités locales dont la baisse de la démographie risque d'atteindre jusqu'à 25 %. Ce nouveau constat de dépopulation est de nature à provoquer une réduction très sensible des contributions de l'Etat au budget de ces collectivités, notamment une forte baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) dont plusieurs critères de calcul sont directement liés à la population. De ce fait, ces départements et ces communes qui assument aujourd'hui des charges croissantes dans leur action sociale quotidienne ou dans leur mission de gestion des équipements et services publics de leur compétence (notamment dans le domaine de la sécurité des personnes ou de l'environnement) subiront une perte de ressources particulièrement préjudiciable. Il souhaiterait donc savoir dans quel délai exact le recensement de 1999 devrait être pris en compte dans le calcul des dotations de l'Etat aux collectivités et, par ailleurs, quelles mesures concrètes le Gouvernement entend prendre afin d'atténuer les effets de l'exode rural sur le montant de ses dotations dans le cadre de l'enveloppe normée.