Séance du 1er avril 1999






SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Protocole relatif aux privilèges et immunités d'Europol. - Adoption d'un projet de loi (p. 1 ).
Discussion générale : MM. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur ; Paul Masson, rapporteur de la commission des affaires étrangères ; Mme Danielle Bidard-Reydet.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l'article unique du projet de loi.

3. Renforcement et simplification de la coopération intercommunale. - Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p. 2 ).
Discussion générale : MM. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur ; Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois ; Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des finances ; Jacques Larché, président de la commission des lois ; Jean-Claude Peyronnet.

Suspension et reprise de la séance (p. 3 )

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

4. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire d'Arménie (p. 4 ).

5. Questions d'actualité au Gouvernement (p. 5 ).
M. le président.

VOLET DIPLOMATIQUE DE LA CRISE AU KOSOVO (p. 6 )

MM. Xavier de Villepin, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

VOLET HUMANITAIRE DE LA CRISE AU KOSOVO (p. 7 )

MM. Bernard Plasait, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

VOLET HUMANITAIRE DE LA CRISE AU KOSOVO (p. 8 )

MM. Claude Estier, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

VOLET MILITAIRE DE LA CRISE AU KOSOVO (p. 9 )

MM. Jacques Legendre, Alain Richard, ministre de la défense.

VOLET DIPLOMATIQUE DE LA CRISE AU KOSOVO (p. 10 )

MM. Jean-Luc Bécart, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

CENTRE D'INFORMATION CIVIQUE (p. 11 )

MM. Paul Girod, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

RÉORGANISATION DU SYSTÈME HOSPITALIER EN VENDÉE (p. 12 )

M. Philippe Darniche, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

HAUSSE DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
ET DÉPENSES PUBLIQUES EN L'AN 2000 (p. 13 )

MM. Francis Grignon, Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

ACCIDENT DU TUNNEL DU MONT-BLANC (p. 14 )

MM. Jean-Claude Carle, Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

CONCENTRATION DES CAPITAUX
DANS LE MILIEU DU FOOTBALL PROFESSIONNEL (p. 15 )

M. Jean-Pierre Demerliat, Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports.

RÉVISION DU TAUX DE CROISSANCE POUR 1999 (p. 16 )

MM. Guy Vissac, Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

Suspension et reprise de la séance (p. 17 )

6. Candidatures à une commission mixte paritaire (p. 18 ).

7. Renforcement et simplication de la coopération intercommunale. - Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p. 19 ).
Discussion générale (suite) : MM. Paul Girod, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur ; Yves Fréville.

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD

MM. Joël Bourdin, Philippe Darniche, Jean-Patrick Courtois, Robert Bret, Louis Souvet, Philippe Arnaud, Claude Saunier, Gérard Delfau, Thierry Foucaud, Pierre Mauroy, Jacques Peyrat.
Renvoi de la suite de la discussion.

8. Nomination de membres d'une commission mixte paritaire (p. 20 ).

9. Polices municipales. - Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire (p. 21 ).
Discussion générale : MM. Jean-Paul Delevoye, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire ; Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur ; Michel Duffour.
Clôture de la discussion générale.

Texte élaboré par la commission mixte paritaire (p. 22 )

M. le rapporteur.

Vote sur l'ensemble (p. 23 )

MM. Jean-Claude Peyronnet, Daniel Hoeffel.
Adoption du projet de loi.

10. Dépôt d'une proposition de loi (p. 24 ).

11. Retrait d'une proposition de loi (p. 25 ).

12. Ordre du jour (p. 26 ).




COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

PROTOCOLE RELATIF AUX PRIVILÈGES
ET IMMUNITÉS D'EUROPOL

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 229, 1998-1999) autorisant la ratification du protocole établissant, sur la base de l'article K 3 du traité sur l'Union européenne et de l'article 41, paragraphe 3, de la convention Europol, les privilèges et immunités d'Europol, des membres de ses organes, de ses directeurs adjoints et de ses agents (Rapport n° 282 [1998-1999]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui au vote de votre assemblée un projet de loi relatif à l'Office européen de police, Europol. Ce projet de loi autorise la ratification du protocole concernant les privilèges et immunités d'Europol, des membres de ses organes, de ses directeurs adjoints et de ses agents, signé à Bruxelles le 19 juin 1997.
La convention portant création d'Europol, adoptée par l'Union sous présidence française, est entrée en vigueur le 1er octobre 1998, marquant une étape significative dans le développement de la coopération policière entre les Etats membres de l'Union européenne.
Les Etats signataires du traité sur l'Union européenne ont souhaité créer une structure commune pour faire face aux nouvelles formes de criminalité internationale, notamment aux trafics internationaux de drogue.
Sa mise en oeuvre reste subordonnée à l'entrée en vigueur de plusieurs protocoles cités dans l'article 45, parmi lesquels figure le protocole sur les privilèges et immunités.
Ce dernier protocole a maintenant été ratifié par tous les Etats membres, à l'exception de la France et de l'Italie.
Toutefois, il convient de noter que l'unité « Drogues Europol », précurseur d'Europol, fonctionne depuis 1993 comme équipe non opérationnelle chargée de l'échange et de l'analyse d'informations et de renseignements. Ses compétences ont aussi été étendues au fil des années, anticipant sur la mise en place d'Europol. Elles ont permis d'atteindre des résultats somme toute satisfaisants, comme l'a d'ailleurs indiqué dans son rapport Paul Masson.
Ainsi, l'unité facilite les échanges d'informations sur le blanchiment de l'argent, les réseaux d'immigration illégale, le trafic de voitures volées et la traite des êtres humains. D'importantes initiatives ont aussi été prises pour faciliter la mise en oeuvre de la convention Europol, qui entraînera un accroissement de la coopération européenne dans ce domaine.
Europol sera, pour l'essentiel, une structure intergouvernementale de collecte, d'analyse et d'échange d'informations entre les services répressifs des Etats membres. Son caractère intergouvernemental est garanti par la répartition des rôles entre les agents de l'Office et les officiers de liaison, qui représentent leur unité nationale au sein de l'Office. Surtout, Europol, placé sous l'autorité de son directeur, fonctionnera sous le contrôle de son conseil d'administation, composé d'un représentant de chaque Etat membre. Enfin, tout différend relatif à l'interprétation ou à l'application de la convention doit, dans un premier temps, être examiné au sein du Conseil statuant à l'unanimité, en vue de parvenir à une solution.
Outre la mise en commun d'informations collectées par les services répressifs des Etats membres, l'apport le plus novateur d'Europol est la notion d'analyse criminelle à l'échelon européen. Les analystes de l'Office traiteront les informations ainsi réunies de façon à améliorer l'efficacité des enquêtes qui s'étendent au-delà des frontières nationales. Les résultats d'analyse seront mis à la disposition des services répressifs nationaux. Ceux-ci disposeront ainsi de toutes les informations leur permettant de démanteler, en coopération avec les polices d'autres Etats membres, des filières internationales de trafic de stupéfiants ou d'immigration clandestine.
Le rôle d'Europol dans le développement de la coopération policière a été consolidé par le traité d'Amsterdam, qui prévoit que le Conseil doit, dans les cinq ans suivant son entrée en vigueur, encourager la coopération par l'intermédiaire d'Europol. Dans ce dessein, Europol doit apporter son appui à la mise en oeuvre d'enquêtes et d'actions opérationnelles menées par des équipes conjointes des Etats membres. Il faudra, dans le même délai, permettre à Europol de demander aux autorités compétentes des Etats membres de coordonner leurs enquêtes dans des affaires précises.
Quant au protocole dont il est question aujourd'hui, il prévoit différentes mesures visant à garantir la protection des activités d'Europol et de ses agents, à savoir une immunité de juridiction et une exemption de perquisition, saisie, réquisition, confiscation et de toute autre forme de contrainte pour l'Office, l'inviolabilité des archives d'Europol ainsi que de tous les papiers et autres matériels officiels des agents d'Europol, l'exonération d'impôts et de droits dans le cadre des fonctions officielles de l'Office, des immunités de juridiction pour toutes les paroles prononcées ou écrites et pour les actes accomplis dans l'exercice de fonctions officielles, l'exonération de l'impôt sur le revenu relatif aux traitements et émoluments versés par Europol, sous réserve de l'application du taux effectif et dans la mesure où ces revenus sont soumis à un impôt au profit d'Europol ; cette exonération ne vise pas les pensions et retraites versées aux anciens membres du personnel d'Europol et à leurs ayants droit, mais est-il utile que je le précise ?
Le protocole prévoit par ailleurs une procédure de levée des immunités et de règlement des différends. Une évaluation des conditions de son application, sous la supervision du conseil d'administration d'Europol, est prévue dans les deux années qui suivront son entrée en vigueur.
Ainsi, le protocole s'inscrit dans le cadre des textes de même nature visant d'autres organisations internationales, notamment le texte concernant Interpol.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle le protocole concernant les privilèges et immunités d'Europol, des membres de ses organes, de ses directeurs adjoints et de ses agents, signé à Bruxelles le 19 juin 1997, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le dispositif d'un accord qui vient de nous être présenté dans ses détails.
Certains pourraient penser que c'est à une formalité que nous sommes conviés aujourd'hui, en application des dispositions de l'article 41, paragraphe 3, de la convention Europol. Toutefois, l'Office mérite autre chose qu'une formalité, dans son texte comme dans son contexte. C'est pourquoi je saisirai l'occasion de cette ratification, qui ouvre enfin la voie au fonctionnement effectif d'Europol, pour relever quelques points qui peuvent poser interrogation et sur lesquels, monsieur le ministre, vous pourrez peut-être nous répondre dans un instant.
Observons - mais cela est assez connu - les très longs délais qu'il fallut pour aboutir à la fin d'un processus extrêmement lent et difficile, puisque aussi bien près de dix ans se sont écoulés depuis le début des premières négociations, en 1991.
A mon avis, ces longs délais tiennent, pour une part, aux habitudes diplomatiques, que nous connaissons bien, mais peut-être aussi, au fond, aux divergences de vue qu'il y eut toujours, dans cette affaire, entre, d'un côté, l'Allemagne et les Pays-Bas, qui sont, par tradition, toujours portés à mettre en place une organisation supranationale dotée de compétences opérationnelles et intégrées dans le cadre communautaire et, de l'autre - c'était la trame de la négociation - la France et le Royaume-Uni, qui, eux, sont partisans d'une coopération intergouvernementale fondée sur le seul échange d'informations.
On pourrait y voir les tenants d'une tradition policière qui remonte à l'expression d'un pouvoir centralisé fort et les habitués d'une police fédérale qui travaille en démultiplication, et qui sont, bien entendu, partisans d'un pouvoir fédéral. C'est cette ligne de force qui, pendant longtemps, a conduit les partisans des deux thèses à discuter et à chercher la voie d'équilibre entre l'une et l'autre des positions.
La conception franco-britannique l'emporta finalement : Europol a pour mission principale de favoriser l'échange d'informations entre les polices des Etats membres, tandis que les pouvoirs d'enquête demeurent de la stricte compétence des services nationaux.
C'est là un point important, mes chers collègues. En effet, on a trop souvent tendance à penser qu'Europol est un système qui coiffe les polices nationales et qui, en quelque sorte, précède une future intégration. Je laisse à l'histoire le soin de déterminer l'évolution qui se fera dans tel ou tel sens - peut-être celui-là ! - dans dix ou vingt ans. Pour l'instant, le cadre juridique d'Europol implique l'information, l'échange des données sur les bandes organisées qu'ont les polices des Etats membres.
Vous avez cité l'unité « Drogues Europol » et ses résultats, monsieur le ministre. Ils ne sont pas minces, ils sont même intéressants. C'est effectivement là, sous l'aspect spécifique de la lutte contre la drogue, une démarche qui peut préfigurer ce que peut être l'activité étendue d'Europol dans cet esprit d'information.
J'en viens aux quatre questions que je souhaite aborder à cette occasion, monsieur le ministre.
Tout d'abord, nous sommes nombreux à considérer que l'influence française au sein d'Europol est modeste, pour ne pas dire insuffisante.
A cet égard, j'ai commis une analyse sur la capacité qu'a le ministère de l'intérieur dans sa globalité, bien sûr ! - à assumer des tâches européennes en formant des fonctionnaires aptes à répondre aux conditions un peu spécifiques d'une organisation internationale. Ce rapport a été une contribution modeste à la recherche pouvant conduire à avoir, au sein de votre maison, une optique plus efficace et plus tournée vers la pénétration des organisations internationales.
Europol est le prototype même du système - j'espère, monsieur le ministre, que vous nous direz que cela va changer, avec le relais d'un directeur adjoint - où, jusqu'à présent, la position de notre pays est sans aucune commune mesure avec les charges financières qu'implique notre participation à cet organisme international, avec la place que nous occupons, avec le rôle que nous jouons dans la lutte contre les turpitudes du monde moderne et avec les responsabilités que nous assumons, sur le plan international à cet égard.
Ma deuxième interrogation porte sur les modalités de contrôle d'Europol. En effet, actuellement, Europol est un dispositif qui semble être doté de beaucoup de choses sauf d'un contrôle institutionnel.
Le contrôle du directeur d'Europol, c'est-à-dire le chef des polices, qui a pour objet, à travers un espace européen, de déterminer les conditions dans lesquelles une information est distribuée à d'autres, notamment aux polices nationales, s'effectue par le biais du conseil d'administration.
Chacun sait ce qu'est un conseil d'administration. C'est essentiellement formel. La subtilité, je dirai la délicatesse de certaines procédures de traitement de l'information au travers d'un dispositif européen ne peut pas être toujours bien perçue par un conseil d'administration qui se réunit de façon formelle deux fois par an et qui a tendance à avaliser, de façon tout à fait naturelle, les propositions préparées par l'administration du directeur et soumises par le directeur à partir d'un ordre du jour arrêté par le directeur.
Tout cela est léger. Il faut qu'il y ait autre chose qui supervise l'action de l'ensemble, que ce soit le directeur ou le conseil.
Sur ce sujet, le débat est ouvert. Il y a la position de la France, qui souhaite avoir une autorité administrative indépendante, et celle de l'Allemagne, qui souhaite avoir un organisme de caractère juridictionnel. Je n'entre pas dans le détail. Peut-être M. le ministre pourra-t-il nous éclairer sur le compromis qui peut se dessiner.
La troisième incertitude est liée à l'extension des compétences d'Europol après l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, ce qui ne saurait tarder. La faculté que le Conseil de l'Union européenne pourrait notamment reconnaître à Europol de demander aux autorités nationales de mener et de coordonner des enquêtes dans des affaires précises ne revient-elle pas à conférer à Europol un pouvoir d'injonction, si je puis dire, vis-à-vis des Etats membres ?
Une telle évolution ne serait certes pas conforme à l'esprit initial du traité. Ceux qui se sont intéressés à cette affaire depuis longtemps le savent. Cette évolution est toutefois rendue possible par l'application du traité d'Amsterdam, qui peut donner à Europol, par le jeu même des accords que nous avons ratifiés, une perspective qui n'était pas celle qui était initialement prévue.
J'en arrive à ma dernière question, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, à savoir la nécessaire coordination d'Europol avec les autres instances de coopération policière, qui mériterait une attention vigilante. En effet, outre Europol et Interpol, que vous avez cités, il y a aussi le système d'information Schengen.
Ma conclusion, mes chers collègues, sera simple : le renforcement de la coopération policière européenne est une priorité, surtout dans le contexte dans lequel nous vivons, où les différents réseaux de criminalité se jouent, on le sait bien. des frontières.
La mise en place effective d'Europol, que permettra la ratification du protocole relatif aux privilèges et immunités de cette organisation, constitue un jalon utile, certes quelque peu formel mais absolument incontournable, dans l'effort d'une coordination, nécessaire et souhaitée par tous, entre toutes les polices européennes.
C'est pourquoi, malgré les quelques points d'incertitude que j'ai exposés à l'occasion de ce rapport, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées invite le Sénat, par ma voix, à adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'expérience nous montre l'importance d'une coopération européenne et internationale forte en matière de lutte contre le crime organisé. N'évalue-t-on pas à 500 milliards de dollars par an les sommes que ces activités de grande délinquance représentent ?
C'est cette coopération qu'affirme vouloir développer Europol, organisme policier qui crée, entre autres, des équipes communes d'enquêteurs - policiers, gendarmes, douaniers - et demande aux polices nationales d'enquêter sur des affaires concernant plusieurs pays.
Il s'agit aujourd'hui non pas de ratifier Europol, mais de voter sur un projet de loi prévoyant que cet organisme bénéficie, entre autres, d'une quasi-immunité diplomatique, de l'inviolabilité de ses archives, d'une immunité de juridiction ainsi que d'exemptions de perquisition, saisie, réquisition, confiscation et toute autre forme de contrainte.
Autant nous voulons contribuer au renforcement de la lutte contre le crime, autant nous voulons attirer l'attention sur certains risques liés à l'absence de contrôle démocratique.
Monsieur le ministre, le texte du protocole suscite beaucoup d'interrogations. Les premières portent sur les contrôles à instituer. Le Parlement européen, dans une résolution de 1997 portant sur la réalisation de la collaboration dans les domaines de la justice et de l'intérieur, critiquait ce qu'il qualifiait, à l'époque, de « création d'un espace sans droit inacceptable ». Monsieur le ministre, quel est votre sentiment sur cette appréciation ?
Dans son rapport écrit, M. le rapporteur doute - il vient de le rappeler - que le conseil d'administration d'Europol « puisse exercer un réel contrôle sur le directeur général et ses adjoints, dont les propositions risquent fort d'être entérinées par l'autorité politique sans un examen suffisant ».
Il nous semble que le législateur s'en remet, de fait, beaucoup trop au pouvoir exécutif et, finalement, aux administrations et aux bureaucraties, qui sont ainsi déconnectées de tout contrôle.
Le protocole, dans son article 3, prévoit l'inviolabilité des archives d'Europol. Que penser de l'établissement d'un système informatisé fondé, d'une part, sur un fichier de victimes, de suspects et de coupables, et, d'autre part, sur des critères « permettant d'établir l'identité, et notamment les signes physiques particuliers, objectifs et inaltérables » ?
Nous partageons, avec d'autres, le souci du nécessaire respect des droits individuels au regard de la collecte, du stockage, de l'utilisation et de la transmission des données. D'ailleurs, dès 1997, la commission Meijers, qui est une ONG, et qui est composée notamment de juristes de droit international et de droit pénal, avait critiqué le manque de contrôle parlementaire et juridique, le régime des immunités et l'opacité totale qui régnerait autour d'Europol.
On peut d'ailleurs s'interroger sur la réelle portée de l'article 8 du protocole, relatif au régime des immunités.
Dans l'état actuel des choses, il sera très difficile de savoir quels critères de travail auront été réellement retenus et par quels moyens les informations auront pu être recueillies. Le texte actuel ne fait que renforcer, me semble-t-il, l'opacité déjà soulignée.
Au moment où grandissent des exigences légitimes de transparence et de contrôle démocratique - je pense notamment, en l'occurrence, au nécessaire contrôle judiciaire des investigations policières - il serait incompréhensible d'augmenter encore l'opacité.
Parce que nous voulons à la fois assurer une lutte efficace contre le crime et une protection des libertés individuelles et collectives, nous vous soumettons, monsieur le ministre, plusieurs propositions.
Ne serait-il pas possible d'obtenir que les représentants des pays membres du conseil d'administration d'Europol puissent approuver les résolutions de celui-ci que s'ils obtiennent un accord de leur parlement national ? C'est déjà le cas d'un pays de l'Union européenne.
Cela n'exclut pas, bien sûr, un autre contrôle d'une autorité indépendante du type de la commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL.
Ne serait-il pas utile de favoriser la coopération entre parlements de nos différents pays sur ce sujet ? Je pense ainsi à l'éventuelle mise en place d'une commission interparlementaire contribuant à un contrôle plus efficace en la matière.
Compte tenu du fait que le texte pose de nombreuses questions qu'il faudrait éclairer, et à ce stade de la discussion, le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - Est autorisée la ratification du protocole établissant, sur la base de l'article K. 3 du traité sur l'Union européenne et de l'article 41, paragraphe 3, de la convention Europol, les privilèges et immunités d'Europol, des membres de ses organes, de ses directeurs adjoints et de ses agents, fait à Bruxelles le 19 juin 1997, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

3

RENFORCEMENT ET SIMPLIFICATION
DE LA COOPÉRATION INTERCOMMUNALE

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 220, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale. [Rapport n° 281 (1998-1999) et avis n° 283 (1998-1999)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi sur l'organisation urbaine et la simplification de la coopération intercommunale vient devant le Parlement, après une longue phase de préparation et de concertation à laquelle certains d'entre vous ont été associés.
Avant même d'être adopté par le conseil des ministres du 28 octobre 1998, un avant-projet a été présenté au comité des finances locales ainsi qu'aux associations d'élus locaux et il a fait l'objet d'une longue concertation au milieu de l'année dernière.
Ce projet de loi est un texte d'apparence modeste, mais qui comprend des dispositions pratiques, porteuses d'effets importants à moyen et long terme. C'est, en effet, une nouvelle étape de la décentralisation visant à mobiliser des moyens accrus au niveau de décision le plus pertinent, afin d'assurer le développement du territoire et de réduire les inégalités sociales, tout en respectant, bien entendu, la libre décision des communes et les rythmes adaptés à chaque situation locale.
Je souhaite que nous ayons, comme à l'Assemblée nationale, un débat de fond sur l'intercommunalité, afin d'aboutir à un texte qui connaisse un vrais succès dans son application, sur l'initiative des élus, car c'est de cela qu'il s'agit.
La forte identité de l'institution communale n'a pas empêché la création de nombreuses structures de coopération à fiscalité propre depuis 1992, sur la base de la loi du 6 février 1992 d'orientation pour l'administration territoriale de la République. On compte ainsi, au 1er janvier 1999, 1 679 établissements publics à fiscalité propre, regroupant près de 34,5 millions d'habitants et 18 876 communes, soit la moitié des communes de France.
Cette relance de la solidarité entre les communes est venue heureusement compléter la coopération syndicale, laquelle remonte à la loi du 22 mars 1890 qui a institué le syndicat intercommunal à vocation unique. Nos communes, qui puisent leur permanence dans l'histoire, ont su depuis longtemps se regrouper, d'abord pour gérer des services spécialisés, ensuite, et de plus en plus, pour orienter le développement local.
Ce succès masque toutefois des déséquilibres. Des régions entières, et surtout les villes, sont restées à l'écart du mouvement. La répartition géographique est encore inégale. On relève depuis deux ans un fléchissement de la progression du nombre d'établissements publics de coopération intercommunale créés : 131 créations en 1997 et 103 en 1998, contre 211 en 1996, et davantage encore les années précédentes. Il est vrai que le mouvement a naturellement tendance à s'amortir. L'intercommunalité dans la période récente a surtout profité aux petites unités et au milieu rural. Aux districts et aux communautés urbaines ne sont venues s'ajouter que cinq communautés de villes et le partage de la richesse, à travers la taxe professionnelle unique, n'a pas rencontré le succès espéré, il faut bien le dire.
Les moyens institutionnels et financiers de l'intercommunalité paraissent aujourd'hui insuffisants, il convient de le reconnaître.
Alors même que les charges financières des agglomérations s'accroissent, celles-ci éprouvent les plus grandes difficultés à développer les ressources. Les disparités de taux de taxe professionnelle au sein d'une même agglomération et les inégalités cumulatives que cette situation génère accentuent les déséquilibres existants. Ces inégalités témoignent de l'absence de solidarité au sein de territoires qui devraient au contraire avoir pour objectif de rechercher et d'organiser leurs complémentarités.
Sur le plan institutionnel, on ne peut pas non plus considérer que le fait urbain bénéficie d'une reconnaissance satisfaisante. Au côté des syndicats, les formules de coopération à fiscalité propre prennent ainsi souvent en charge la gestion de services d'intérêt communautaire soit du fait de la volonté du législateur - c'est le cas de certaines communautés urbaines et des syndicats d'agglomération nouvelle - soit en raison de la volonté des communes qui les composent.
La distinction entre la coopération urbaine et rurale s'est perdue au fil du temps. La communauté de communes, qui est la formule de coopération intercommunale à fiscalité propre la plus souple, est certes utilisée, surtout en milieu rural, mais elle l'est aussi en milieu urbain. Je pense à la ville de Marseille et aux communes périphériques.
De même, il existe des districts en milieu rural. La communauté de villes, dotée de compétences plus intégrées et d'outils fiscaux plus puissants, reste une formule exceptionnelle. Cela doit nous faire réfléchir, mesdames, messieurs les sénateurs, parce qu'il est évident que les formules trop étudiées, trop encadrées ne connaissent que rarement le succès. Les élus locaux entendent avoir leur mot à dire sur les formes d'organisation de la coopération intercommunale.
La communauté urbaine, formule très intégrée sur le plan des compétences, est peu à peu détournée de sa vocation initiale du fait d'une dotation globale de fonctionnement très incitative et d'un seuil démographique de création trop bas.
Partant de ces constats, le projet de loi poursuit quatre objectifs : développer l'intercommunalité en milieu urbain tout en la consolidant en milieu rural ; promouvoir la taxe professionnelle unique ; simplifier les outils mis à la disposition des élus locaux ; renforcer la démocratie des structures intercommunales.
Le premier objectif est à la fois de repenser notre organisation urbaine et de sauvergarder nos communes rurales.
Le projet de loi vise à rendre plus cohérente la situation confuse que je décrivais. Le Gouvernement vous propose une architecture de l'intercommunalité simplifiée autour de trois grandes formes, alors qu'il en existe huit actuellement, avec des communautés urbaines pour les agglomérations de plus de 500 000 habitants, des communautés d'agglomération pour les agglomérations de plus de 50 000 habitants et des communautés de communes.
Le fait urbain - et sa traduction, l'agglomération - est devenu aujourd'hui un trait dominant de la société française. Jusqu'en 1931, la majorité de notre population vivait encore dans les communes rurales de moins de 2 000 habitants. A l'heure actuelle, les trois quarts des Français vivent dans des aires urbaines. La crise sociale, le chômage, l'insécurité, les déséquilibres économiques et les fractures sociales, culturelles et scolaires se concentrent, il faut bien le dire, dans les agglomérations. Certains quartiers se sont ainsi transformés, au fil des ans, en quasi-ghettos où la montée des communautarismes bat en brèche l'expression des valeurs républicaines.
Ainsi s'édifie sous nos yeux un modèle de société inégalitaire qui est aux antipodes de ces valeurs. La ségrégation spatiale redouble la ségrégation sociale, et c'est le projet de citoyenneté, censé fonder notre République, qui, de plus en plus, est menacé de tourner à vide.
Il faut donc se donner tous les moyens de lutter sur le long terme contre l' apartheid social, et, puisque celui-ci revêt de plus en plus la forme d'un apartheid spatial, il faut repenser notre organisation urbaine, afin de défendre à l'échelon pertinent le modèle de citoyenneté auquel nous sommes attachés.
A la réalité physique des agglomérations, de leurs villes-centres, de leurs communes périphériques, de leurs cités agrégées au fil de la croissance urbaine, ne correspond plus aujourd'hui, il faut bien le dire, aucune entité politique et juridique capable de prendre les décisions qui engagent le long terme : nouvelle répartition de l'habitat, remodelage des banlieues, dédensification de certains quartiers par la destruction des barres et des tours, reconstitution du tissu urbain, politiques ciblées de formation et d'emploi, plans de circulation et de transports publics. L'agglomération est, de toute évidence, le niveau le plus pertinent pour la définition et la mise en oeuvre d'une politique de la ville efficace sur le long terme.
Le projet de loi vise à forger l'outil nécessaire.
Il s'agit de structurer les agglomérations comptant plus de 50 000 habitants autour d'une ville-centre de 15 000 habitants au moins, pour créer une nouvelle sorte d'établissements publics : la communauté d'agglomération, dotée obligatoirement d'une taxe professionnelle unique.
Pour créer ces nouveaux espaces de solidarité, il faut, bien sûr, fixer des compétences et des périmètres. A un noyau dur de compétences - développement économique et aménagement de l'espace, habitat, politique de la ville, organisation des transports - pourront s'ajouter au moins trois autres : assainissement et qualité de l'eau, collecte et traitement des déchets, gestion d'équipements collectifs.
Quant au périmètre, il est assez logique de le faire coïncider avec celui de l'aire urbaine au sens de l'INSEE, soit un espace comptant au moins 5 000 emplois et où au moins 40 % de la population résidente a un emploi. Les seuils ont été fixés pour déterminer cent quarante et une aires urbaines qui concentrent 75 % de la taxe professionnelle et 70 % de la taxe d'habitation. Mais la loi n'imposera pas cette notion d'aire urbaine et il appartiendra aux élus et au préfet de discuter les périmètres pertinents.
La création des communautés d'agglomération va de pair avec le relèvement du seuil de création des communautés urbaines, désormais fixé à 500 000 habitants au lieu de 20 000 ; comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, c'est le bon sens même.
Il ne convient cependant pas d'opposer le rural et l'urbain.
L'un et l'autre ont leurs problèmes, qui requièrent des traitements adaptés, des solutions spécifiques. Si les fractures au sein des agglomérations doivent être prises en compte, car il en va de la cohésion sociale de notre pays, je n'en suis pas moins attentif aux espaces ruraux. Ils doivent être structurés autour d'un bourg-centre ou d'une petite ville. Il leur faut trouver la bonne taille pour être capable d'investir : dans le domaine des services de base aux habitants, ainsi en matière d'eau, d'assainissement, de déchets ; dans celui du développement économique et du soutien à la création d'emplois ou encore en matière d'aménagement de l'espace.
Il s'agit aussi de mettre en commun des moyens de fonctionnement que n'ont pas les communes de très petite taille. Les sénateurs sont bien placés pour le savoir. Les maires dépourvus de moyens doivent pouvoir trouver un appui auprès des bourgs et des petites villes pour résoudre leurs problèmes, de plus en plus complexes, dont provient une partie du malaise que ressentent certains d'entre eux.
J'en suis persuadé : l'intercommunalité constitue le seul avenir de nos communes rurales. Pour ma part, je suis très attaché au devenir de ces dernières, car je sais que l'une de nos forces par rapport à nos voisins européens est justement l'étendue de son territoire.
La recomposition de l'intercommunalité urbaine permet ainsi à la communautés de communes de retrouver sa vocation initiale.
Elle redevient, comme cela était prévu en 1992, la structure institutionnelle tournée d'abord vers le milieu rural et adaptée à une intercommunalité de petite taille.
Elle s'affirme ensuite comme la structure intercommunale de référence pour les communes qui souhaitent organiser leur coopération avec prudence et progressivité. Elle sera ainsi la structure d'accueil des districts et des communautés de villes qui ne pourront ou ne voudront devenir une communauté d'agglomération.
Et vous savez que le financement de la dotation globale de fonctionnement des communautés d'agglomération se fera à part, sur des ressources nouvelles et non sur la base actuelle de la DGF, notamment celle qui est réservée aux commuautés de communes.
C'est en cela, et j'y insiste parce que ce n'est pas toujours bien compris, que le projet de loi concourt à une logique de développement et d'aménagement du territoire qui ne se fait pas au détriment du monde rural, qui n'oppose pas l'urbain et le rural car il distingue les sources de financement et il permet le développement harmonieux de l'intercommunalité, aussi bien dans le milieu rural que dans le milieu urbain.
J'en viens au deuxième objectif : il s'agit d'encourager la taxe professionnelle unique, la TPU. C'est un objectif de bon sens et je suis persuadé que je n'aurai pas besoin de faire un gros effort pour vous convaincre.
En effet, il n'y a pas de solidarité territoriale sans mutualisation des ressources.
La loi doit offrir les moyens de lutter contre un certain campanilisme, c'est-à-dire contre le repli sur elles-mêmes des communes riches ou qui, simplement, se croient favorisées, à tort ou à raison, et souvent à tort, bref contre le refus des règles de solidarité qui, seules, peuvent permettre une vie démocratique et civilisée.
Je sais qu'il faut convaincre les citoyens, et d'abord les élus, que la mise en commun des resources et, à terme, une certaine mixité sociale, comportent beaucoup moins d'inconvénients que le développement de la ségrégation urbaine, qui est la mère de toutes les violences. Nous pouvons faire progresser cet objectif en faisant appel au bon sens, à l'esprit républicain, au souci de l'intérêt général.
C'est pourquoi les communautés d'agglomération comme les nouvelles communautés urbaines doivent obligatoirement bâtir leur projet commun à partir de la taxe professionnelle unique d'agglomération. Par amendement, l'Assemblée nationale en a fait le régime fiscal de plein droit pour tous les groupements de plus de 500 000 habitants : communautés urbaines et districts existants ainsi que communautés de communes existantes ou à venir.
Les agglomérations sont en effet plus particulièrement confrontées au problème de la grande dispersion des taux entre communes. Je vous le disais à l'instant : la taxe professionnelle unique reste trop peu répandue, puisque seuls cent groupements l'ont adoptée, ce qui équivaut à près de 7 % du produit total de taxe professionnelle. C'est peu. La réforme de la taxe professionnelle adoptée en loi de finances n'a en rien réglé ce sujet. En matière de développement économique et d'aménagement du territoire, le partage volontaire de la taxe professionnelle sera plus efficace que sa nationalisation, qui avait été prônée en 1995 par le Conseil national des impôts.
L'unification de la taxe professionnelle doit être progressive, et s'effectuer sur douze ans, c'est-à-dire la durée de deux mandats, si les conseils municipaux le décident.
Pour réussir le passage à la taxe professionnelle unique, il est indispensable de garantir la sécurité budgétaire des communautés d'agglomération et des communautés urbaines nouvelles.
Comment y parvenir ? Le choix s'est porté sur un mécanisme de fiscalité additionnelle qualifié de « fiscalité mixte », qui figurait déjà dans le projet préparé par M. Perben en 1997, dont celui que je vous propose reprend une grande partie des orientations.
Contre l'avis du Gouvernement, l'Assemblée nationale a levé l'encadrement qui visait à limiter cette possibilité aux cas de déséquilibres budgétaires liés à des pertes de taxe professionnelle. Les députés ont fait valoir que le développement des services collectifs et la gestion d'équipements confiés aux communautés urbaines et aux communautés d'agglomération concernaient toute la population.
Le projet vise également à permettre une déliaison des taux entre la taxe professionnelle et les « impôts ménages ». Ces derniers doivent en effet pouvoir diminuer, là où ils sont très élevés, sans que le groupement perde des ressources de taxe professionnelle, comme on a pu le constater ces dernières années. Il serait en effet paradoxal que le transfert de certaines charges communales ne puisse pas, si l'occasion se présente, se traduire par une moindre pression fiscale sur les ménages.
L'Assemblée nationale, contre l'avis du Gouvernement, a étendu ces nouvelles libertés fiscales aux communautés de communes adoptant la taxe professionnelle unique. Nous aurons à en débattre.
Enfin, la péréquation volontaire des charges et des ressources sera sans doute plus difficile à réaliser en Ile-de-France, notamment dans la partie la plus densément peuplée de l'aglomération, même si des projets y ont déjà vu le jour. C'est pourquoi il est prévu de renforcer le mécanisme du fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, qui organise un prélèvement sur les recettes des communes les plus riches en taxe professionnelle et une redistribution aux communes à faible potentiel fiscal et aux charges, notamment sociales, élevées.
Il reste que ces deux mesures fiscales ne sauraient être suffisantes sans qu'une DGF fortement incitative complète l'effort des communes.
Les communautés d'agglomération qui seront créées d'ici au 1er janvier 2005 bénéficieront d'une dotaton globale de fonctionnement fixée à 250 francs par habitant, soit plus du double de celle qui est accordée aujourd'hui aux communautés de villes. L'objectif du projet de loi s'inscrit dans la durée : à horizon de cinq ans, il s'agit d'atteindre 40 % de la cible potentielle, soit une bonne cinquantaine de communautés d'agglomération, sans que soit remis en cause par ailleurs le financement des créations de groupements issus de la loi de 1992. Le coût de la réforme créant les communautés d'agglomération est estimé à 2,5 milliards de francs sur cinq ans, soit 500 millions de francs par an en moyenne. C'est là le financement spécifique dont je vous parlais tout à l'heure.
Le projet de loi prévoit que ce financement est assuré par un prélèvement sur les recettes de l'Etat et non à partir de l'enveloppe de dotation globale de fonctionnement. Ainsi le partage entre la DGF réservée auc communautés de communes et celle qui est réservée aux dotations de solidarité allouées aux communes - DSU et DSR - sera-t-il plus facile. Ainsi, surtout, l'intercommunalité en milieu rural pourra-t-elle être encore mieux soutenue, le comité des finances locales pouvant faire progresser la dotation moyenne.
Je sais que vous souhaitez une réduction plus importante des écarts. Votre volonté n'est pas passé inaperçue lorsque j'ai eu l'occasion d'exposer le projet devant vos commissions.
Vous le savez, le Gouvernement a accepté de relever à 150 francs par habitant la DGF attribuée aux communautés de communes d'au moins 3 500 habitants qui, sans atteindre le seuil des 50 000 habitants, ont néanmoins la taille et les compétences pour fournir les services nécessaires à notre temps et ont adopté la taxe professionnelle. Ne pas exiger de telles compétences serait en effet favoriser une intercommunalité d'aubaine. Nous devons au contraire promouvoir des structures viables et suffisamment intégrées pour permettre un réel aménagement du territoire et des politiques efficaces pour lutter contre la désertification du tissu rural.
A cet égard, le plancher de 3 500 habitants répond à une forte logique si nous voulons atteindre cet objectif.
S'agissant du montant de la dotation, aller beaucoup plus loin que 150 francs - et je me tourne particulièrement vers MM. les rapporteurs - pourrait menacer les équilibres de la répartition de la DGF que j'évoquais et compromettre notamment la progression de la dotation de solidarité rurale. Je leur demande d'y réfléchir.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Avec M. Hoeffel, nous sommes l'équilibre même !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je connais, monsieur le rapporteur pour avis, votre souci de l'équilibre et donc votre capacité à mettre le curseur au bon endroit ; je vous fais confiance.
Le troisième objectif du projet de loi, c'est la simplification des outils mis à disposition des élus locaux.
C'est un projet qui améliore la décentralisation par le nombre de dispositions tendant à simplifier et à rationaliser les règles d'organisation et de fonctionnement des groupements. Nombreuses sont celles qui avaient été préparées par M. Perben en 1997 et que le Gouvernement a bien volontiers reprises, tant elles allaient dans le bon sens.
Il s'agit de rendre les règles de l'intercommunalité plus lisibles pour les élus et pour les citoyens. D'abord, il convenait de simplifier le code général des collectivités locales, dont 71 articles sont supprimés. Ensuite, il fallait harmoniser les règles de création et de dissolution, celles des majorités qualifiées et celles qui portent sur la désignation des délégués, leur statut et la durée de leurs mandats. Ces règles seront, le plus souvent possible, communes aux trois formes d'intercommunalité. Ce sera une simplification considérable.
Je l'ai déjà dit, ce projet de loi réduit le nombre de catégories juridiques à fiscalité propre à trois grandes formes : les communautés de communes, les communautés d'agglomération et les communautés urbaines. Grâce à des amendements adoptés à l'Assemblée nationale, les SAN, syndicats d'agglomérations nouvelles, pourront en effet être aisément transformés en communautés d'agglomération, aujourd'hui ou à l'achèvement de leur mission.
Enfin, diverses dispositions encouragent à limiter les superpositions de périmètres et de compétences entre les syndicats et les groupements à fiscalité propre, source de complexité et, parfois, d'opacité pour les citoyens.
Le quatrième objectif du projet de loi, c'est le renforcement de la démocratie et de la transparence dans le fonctionnement des structures intercommunales.
La plupart d'entre vous sont, comme moi, très attachés aux libertés communales et à ce que la coopération soit librement décidée.
Si le projet est volontariste, il repose aussi sur le volontariat et sur le contrôle démocratique. Il est en cela très respectueux des principes de la décentralisation.
La création autoritaire de communautés d'agglomération me semblerait remettre en cause les principes d'une décentralisation qui implique la responsabilité.
Le projet de loi prévoit seulement la possibilité pour le préfet de proposer des périmètres cohérents et d'être l'initiateur de projets de regroupements. Mais ces derniers resteront décidés par les conseils municipaux, selon les règles de majorité qualifiée déjà instituées en 1992.
M. Jean-Pierre Plancarde. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Chacun a compris que l'élection au suffrage universel des délégués communautaires n'était pas à l'ordre du jour.
Ce serait mettre la charrue devant les boeufs et ériger les établissements publics de coopération en collectivités territoriales avant même qu'une véritable communauté d'intérêts soit réalisée. Comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, et je le répète ici même au Sénat : le mieux est souvent l'ennemi du bien. Ce serait se donner une contrainte qui risquerait de rebuter le volontariat et de porter ainsi préjudice à l'ensemble du projet.
L'Assemblée nationale a souhaité que, pour les seules communautés urbaines, les conseillers communautaires soient distingués parmi les candidats aux conseils municipaux lors des élections municipales. Il est vrai que les communautés urbaines, structures très intégrées et dotées d'une forte identité, se prêtent mieux à cette transparence. En aucune façon cette disposition ne menace l'existence des communes, qu'il convient au contraire de préserver.
Pour les autres catégories, tâchons plutôt d'introduire davantage de démocratie et de transparence.
Ainsi, il est prévu de ne déléguer dans les structures intercommunales que les conseillers municipaux. Cette exigence pourrait d'ailleurs être étendue, si le Parlement le souhaitait, aux syndicats intercommunaux. Vous admettrez que la gestion et le coût des compétences exercées par ces syndicats, considérables en matière d'assainissement, d'eau, de déchets ou de transports, ne connaissent pas toujours, aujourd'hui, le contrôle démocratique nécessaire.
Le texte prévoit d'autres mesures permettant un fonctionnement plus transparent des structures intercommunales et un renforcement de la participation et de l'information des habitants, par la création de comités consultatifs et par l'organisation systématique de débats. Je suis prêt à examiner avec vous tout ce qui pourrait encore développer la démocratie locale.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les dispositions que le Gouvernement soumet à la représentation nationale.
C'est une réforme d'ampleur de la coopération intercommunale qui, je pense, peut rassembler une large majorité au Parlement, avant d'être appliquée, dans les villes et les campagnes, par les élus de toutes les rives républicaines.
Je sais que, grâce à la grande expérience de ces sujets qu'ont vos rapporteurs, MM. Daniel Hoeffel et Michel Mercier, le Sénat saura apporter à ce texte toute l'autorité dont il sait faire preuve en matière de décentralisation.
L'intercommunalité disposera désormais de formules mieux ciblées et mieux adaptées au développement local et à la diversité des territoires. Les communautés de communes, les communautés d'agglomération et les communautés urbaines correspondent, en effet, à des niveaux d'intégration et de compétences qui tiennent compte des particularités économiques, humaines, spatiales et physiques de notre pays.
Cette réforme est inspirée du double souci de faire vivre la démocratie locale et de redonner du souffle à la décentralisation, laquelle, vous le comprenez aisément, doit répondre aux besoins de notre temps pour trouver toute sa légitimité.
C'est donc un grand acte de confiance, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous accomplissons à l'égard des élus locaux à travers ce projet de loi et un grand acte de foi dans les vertus de la décentralisation. J'espère que vous saurez le reconnaître. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur le projet de loi relatif à l'intercommunalité a lieu à un moment où, dans le pays, des voix s'élèvent pour évoquer la nécessité de rationaliser les structures territoriales françaises, à commencer par l'échelon communal. Ce débat a lieu aussi à un moment où il faut constater qu'il existe en Europe, s'agissant des collectivités territoriales, une spécificité française qui est caractérisée par une très grande diversité et par un émiettement communal.
Concilier la recherche d'une plus grande efficacité dans la gestion des collectivités locales avec le respect de cette exception française sur ce plan aussi, tel est le but recherché par cette nouvelle et nécessaire étape.
Je ne reviendrai pas sur l'historique ; la lecture du rapport écrit de la commission des lois pourra utilement compléter votre information à cet égard. Je mentionnerai simplement six caractéristiques du présent projet de loi, qu'il est nécessaire de connaître avant d'aborder le débat de fond.
Premièrement, toutes les initiatives gouvernementales qui ont été prises au cours des dernières décennies ont été orientées essentiellement vers l'intercommunalité et non vers les fusions, à une exception près bien connue : celle de la loi de 1971.
Deuxièmement, le libre choix a toujours été privilégié par rapport à la contrainte, sauf dans la loi de 1966 relative à la création des premières communautés urbaines.
Troisièmement, la stimulation financière a été un facteur d'incitation fort, mais l'expérience montre que la solidité des structures intercommunales dépend d'abord de la capacité de fédérer les communes autour d'un projet.
Quatrièmement, le développement intercommunal à la carte a abouti à une superposition de structures et à une complexité de la nouvelle carte intercommunale. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, il existe huit catégories différentes de structures.
Cinquièmement, malgré cette complexité, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ont connu un réel développement dans notre pays, en particulier depuis six ans, puisque, aujourd'hui, ils regroupent environ 19 000 communes et 33 millions d'habitants.
Enfin, sixièmement, le succès de l'intercommunalité a été, peut-être paradoxalement, plus réel dans les zones rurales que dans beaucoup de zones urbaines, alors que la nécessité d'une coopération intercommunale se révèle aussi grande en milieu urbain qu'en milieu rural.
Aujourd'hui, sur cet arrière-plan, il est nécessaire d'essayer de simplifier, de rationaliser, d'accentuer la solidarité, de privilégier l'intercommunalité de projet par rapport à l'intercommunalité circonstancielle,...
M. Pierre Fauchon. Très juste !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ... mais - et ce sera important tout au long de ce débat - en dégageant les moyens financiers en fonction de toutes ces caractéristiques.
C'est dans cet esprit que le Gouvernement a déposé son projet de loi. C'est dans cet esprit également que la commission des lois, à travers un groupe de travail présidé par notre collègue M. Delevoye, a formulé, en 1996 et en 1997, un certain nombre de propositions en liaison étroite avec le ministre de l'époque, M. Dominique Perben.
De ce groupe de travail ont été dégagées trois grandes propositions. Elles visent à réduire le nombre des structures, à créer un tronc commun de règles applicables à toutes les structures dans le code général des collectivités territoriales et, enfin, à favoriser l'intercommunalité de projet.
C'est dans ce cadre que s'inscrit votre projet de loi, monsieur le ministre, projet à propos duquel j'évoquerai rapidement six caractéristiques majeures.
La première concerne la structuration de l'intercommunalité.
Les districts et les communautés de villes sont appelés à disparaître. Sont créés trois niveaux de communautés : les communautés de communes, qui ont vocation à constituer prioritairement des regroupements de moins de 50 000 habitants, les communautés d'agglomération avec plus de 50 000 habitants et les communautés urbaines nouvelles à partir de 500 000 habitants. Les syndicats intercommunaux à vocation multiple, SIVOM, et les syndicats intercommunaux à vocation unique, SIVU, sont maintenus, car ils peuvent être considérés souvent comme étant un stade de préparation à l'esprit intercommunal et, parfois aussi, comme étant susceptibles d'apporter une réponse concrète et efficace à des problèmes spécifiques.
A ce propos, on peut se poser une question : était-il nécessaire de prévoir trois catégories de communautés dans ce texte ? Deux n'auraient-elles pas été suffisantes ? Je pense aux communautés de communes et, pour les formules plus élaborées, aux communautés urbaines. Des raisons d'ordre financier n'ont probablement pas été totalement étrangères à ce choix !
M. Jacques Peyrat. C'est bien évident !
M. Louis Souvet. Quel euphémisme !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Compte tenu des contraintes budgétaires qui n'épargnent aucun gouvernement, un minimum de compréhension s'avère nécessaire.
Dans cet ensemble structurel, la grande novation est représentée par les communautés d'agglomération. Le seuil minimal est fixé à 50 000 habitants, à condition que la ville-centre compte 15 000 habitants et plus. La commission des lois propose un assouplissement à cette règle.
Par ailleurs, les communautés d'agglomération doivent être d'un seul tenant et homogènes. Encore faut-il, sur ce plan aussi, tenir compte de la réalité du terrain, qui est diverse d'une région et d'une zone géographique à une autre.
La deuxième caractéristique est le grand problème de l'option entre volontariat, libre choix ou contrainte. Il s'agit d'un véritable débat de fond,...
M. Jacques Peyrat. Oui !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ... que nous aurons probablement à engager au cours de cette discussion.
Ce qui est prévu pour les trois catégories de communautés, c'est que le préfet ait un pouvoir d'initiative dans la création, outre son pouvoir d'appréciation sur le périmètre ; ce qui est aussi prévu, c'est que la solidarité ne soit pas mise en échec par l'existence d'un certain nombre d'enclaves à l'intérieur d'un périmètre. La commission des lois formule trois observations à ce propos.
D'abord, elle dit « oui » au pouvoir d'initiative du préfet, mais elle demande qu'il y ait un avis obligatoire de la commission départementale de coopération intercommunale, qui, à ce propos, pourrait sans dommage subir une cure de jouvence et à qui l'on pourrait donner une impulsion nouvelle pour qu'elle joue effectivement le rôle correspondant à l'esprit dans lequel elle a été créée.
Ensuite, si la commission des lois est favorable à l'absence d'enclave à l'intérieur d'un périmètre, elle est cependant opposée à l'extension du périmètre sans accord exprès des communes concernées. Cela pourrait éviter un certain nombre d'extensions de circonstance, sans que je me sente obligé de donner à ce terme la définition que chacun pourra formuler lui-même.
Enfin, la commission des lois estime que l'adhésion à un établissement public de coopération intercommunale doit non pas se faire par défaut, c'est-à-dire en l'absence d'une réponse, mais faire l'objet d'un acte de volonté. Une absence de réponse n'est pas suffisante pour donner l'élan et le contenu à un groupement intercommunal.
La troisième caractéristique est le problème important des compétences.
Il est prévu dans le projet de loi quatre compétences obligatoires et deux compétences optionnelles au départ pour les communautés d'agglomération. L'objectif est incontestablement judicieux.
Mais la commission se demande si six compétences dès le départ ne représentent pas un dispositif trop lourd et si cela ne risque pas d'être dissuasif pour la création d'un certain nombre de structures intercommunales.
Elle propose donc, sans remettre en cause l'objectif de ces compétences, qu'il puisse y avoir une dévolution progressive des compétences pendant la période d'unification des taux de la taxe professionnelle.
L'objectif visé est le même, monsieur le ministre, mais la voie nous paraît plus sûre pour permettre à un maximum de vocations intercommunales de se dégager dès le départ.
La commission estime, en outre, qu'un certain nombre de compétences mériteraient d'être revues en fonction des expériences qui ont été réalisées sur le terrain.
Ainsi, pour ce qui concerne les ordures ménagères, elle opère une distinction entre la collecte, d'une part, et le traitement, d'autre part, les périmètres retenus pour ces deux actions ne coïncidant pas, bien souvent.
Elle estime également qu'en matière d'eau et d'assainissement il existe, à l'échelon départemental, un certain nombre de syndicats qui fonctionnent bien, ...
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ... qui répondent à ce que l'on attend et qui mériteraient d'être préservés.
La commission, par ailleurs, n'a pas très bien compris ce que signifiait la « compétence énergétique », et elle propose, à cet égard, d'alléger la liste des compétences proposées.
M. Dominique Braye. Qui l'a compris ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Enfin, en ce qui concerne la politique de la ville et l'action sociale, il nous paraît souhaitable de favoriser une bonne harmonisation des compétences avec l'échelon départemental, la clarification des compétences étant pour vous, monsieur le ministre, comme pour le Sénat, un objectif permanent.
La quatrième caractéristique touche à la démocratie et à la transparence.
Il est évidemment nécessaire d'améliorer au maximum l'information : l'information entre les structures intercommunales et les conseils municipaux, mais aussi l'information entre les EPCI et la population.
Nous sommes également favorables au fait que, désormais, le choix des délégués intercommunaux se limitera aux seuls conseillers municipaux élus. C'est un élément de légitimité auquel il faut adhérer, mais là se pose le problème que vous avez soulevé, monsieur le ministre, sur l'élection ou non des délégués intercommunaux au suffrage universel.
A titre personnel, je suis persuadé que ce sera probablement une évolution réaliste pour l'avenir mais, dans l'immédiat - nous sommes totalement d'accord avec votre vision des choses - il y a un risque de rivalité entre une structure communale élue au suffrage universel et une structure intercommunale élue au suffrage universel, ...
M. Louis Souvet. Ce sera pareil dans le futur !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ... ce qui serait une entrave et un obstacle au développement de l'intercommunalité.
L'Assemblée nationale a fait, à propos des communautés urbaines, une proposition consistant à prédésigner, sur la liste des conseillers municipaux, les personnes qui siégeraient au conseil de la communauté urbaine.
C'est une proposition ingénieuse, mais les applications pratiques s'avéreront excessivement difficiles sauf si, au cours du débat, une réponse peut être apportée quant à la mise en oeuvre de cette mesure. A défaut, la commission des lois propose d'en revenir au projet de loi initial.
La cinquième caractéristique concerne les finances. Je serai bref sur ce point puisque c'est notre collègue M. Michel Mercier qui l'abordera, mais la commission des lois se devait d'évoquer le sujet.
Deux incitations sont prévues : l'une fiscale, par l'intermédiaire de la taxe professionnelle unique, assortie d'une fiscalité additionnelle et d'une déliaison des taux, l'autre financière, par le biais des dotations globales de fonctionnement soumises à trois niveaux chiffrés différents selon la nature des communautés prévues.
A ce propos, la commission estime souhaitable que l'écart de montant de la DGF entre les communautés de communes et les communautés d'agglomération soit resserré. En effet, un écart trop grand risquerait de donner le sentiment que nous voulons traiter de façon trop différente l'intercommunalité en milieu rural et les autres intercommunalités en sachant, en particulier, que les communautés d'agglomération doivent créer une symbiose entre la ville centre et les zones rurales environnantes. Tout ce qui ira dans le sens d'une réduction de cet écart, si cela se situe dans des proportions raisonnables - et qui pourrait prétendre que la commission des finances ne l'est pas ? - ira dans le bon sens.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Nous nous interrogeons aussi sur l'avenir de la DGF intercommunale dans l'ensemble de la DGF. Nous nous posons également la question de l'avenir de la dotation de compensation de la taxe professionnelle, DCTP, qui joue le rôle de variable d'ajustement depuis des années. Je ne suis pas certain que l'abondement actuellement prévu par le projet de loi pour financer la réforme soit de nature à préserver les missions qui doivent incomber depuis l'origine à la DCTP.
A propos des finances, je livrerai une dernière observation d'ordre général. Nous ne sous-estimons pas les contraintes budgétaires, monsieur le ministre. Il faut avoir conscience du fait que tout élargissement du financement par de multiples assouplissements de seuils rendrait impossible le respect d'autres engagements financiers dans le cadre du même texte.
Puisse ce texte, y compris dans les amendements qui lui seront apportés, faire en sorte que toutes les missions incombant à la DGF soient respectées.
Comment ne pas évoquer en cet instant les craintes qui peuvent naître dans les milieux économiques quant à une superposition de fiscalité locale.
A cela, je répondrai que les élus locaux ont montré leur sens des responsabilités et que nous sommes certains que leur sens du devoir saura éviter que la fiscalité locale ne constitue une entrave au développement économique.
Enfin, je terminerai mon intervention en évoquant la simplification en général.
La simplification est un objectif...
M. Christian Bonnet. Jamais atteint ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. C'est un objectif jamais atteint, et ce depuis longtemps ! (Nouveaux sourires.)
La simplification figure dans l'intitulé du projet de loi ; c'est une aspiration généralement éprouvée.
Puissent les textes qui sortiront de nos débats - et cela ne dépend pas que du Gouvernement ; cela dépend aussi de nous tous - préserver l'objectif global de simplification.
Il n'est probablement pas inutile, en guise d'introduction, que tous, nous nous assignions cet objectif. Je suis persuadé que chacun, pour sa part, veillera à y apporter sa contribution.
En conclusion, je dirai que l'intercommunalité est un objectif indispensable. Le projet de loi qui nous est présenté va globalement dans la bonne direction, et les modifications qui vous sont suggérées par la commission des lois amélioreront encore le texte à travers des propositions plus réalistes, plus attractives et plus simples.
Monsieur le ministre, la commission des lois a la volonté d'être constructive dans ce débat. A ce propos, je me devais tout de même de souligner qu'il est regrettable que la procédure d'urgence réduise les possibilités de navette, qui sont toujours un facteur d'amélioration et de perfectionnement.
Toutefois, nous gardons l'espoir qu'un accord pourra intervenir à l'issue de cette discussion pour qu'une nouvelle étape constructive soit franchie sur la longue voie d'une simplification et d'une meilleure efficacité des structures territoriales françaises. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d'abord, au nom de la commission des finances, remercier la commission des lois et son rapporteur, M. Hoeffel, d'avoir aussi largement et aussi pleinement associé la commission des finances à l'étude de ce texte et à la préparation de sa discussion.
Merci, monsieur le rapporteur, d'avoir laissé à la commission des finances jouer pleinement son rôle. Merci également d'avoir su le faire dans un esprit de bonne entente et de bonne coopération, ce qui nous a permis de bien préparer la discussion de ce texte important.
Le projet de loi que nous soumet le Gouvernement constitue, en effet, une étape marquante de la construction de la coopération intercommunale ; c'est sa première caractéristique.
C'est aussi un texte qui sera marqué du sceau du réalisme et qui verra souvent son ambition limitée par le financement budgétaire.
Nous aborderons la discussion des dispositions techniques et financières de ce texte avec le même souci de réalisme que le Gouvernement.
Il est vrai que ce projet constitue une étape dans l'édification de la coopération intercommunale, en s'appuyant sur une construction institutionnelle classique mais en prévoyant - c'est là, me semble-t-il, le point essentiel - une intégration financière qui doit suivre l'intégration des compétences.
Il s'agit d'une architecture institutionnelle classique, M. Daniel Hoeffel vient de le démontrer, parce qu'elle s'appuie sur deux institutions : l'une est destinée au monde rural, ce sont les communautés de communes, et l'autre s'adresse au monde urbain. Mais votre architecture, monsieur le ministre, tient compte des réalités financières. C'est la raison pour laquelle vous n'avez pas retenu la communauté urbaine comme structure de droit commun dans le domaine urbain et que vous nous proposez, à ce titre, la communauté d'agglomération.
En effet, les communautés urbaines constituent en quelque sorte, dans votre texte, une catégorie spéciale. Nous le comprenons, car les réalités spécifiques aux grandes agglomérations peuvent conduire à cela. Mais plus encore que ces réalités spécifiques, ce sont probablement les réalités financières qui justifient essentiellement la constitution d'une catégorie relativement fermée et restreinte.
La commission des finances estime que, dès lors qu'il s'agit de vraies restrictions financières qui s'imposent à tous, il convient de bien encadrer cette catégorie spécifique, tout en veillant à ce qu'elle ne déborde pas financièrement sur les autres catégories de groupements de communes.
Toutefois, ce qui constitue la nouveauté du texte qui nous est soumis, c'est l'idée selon laquelle l'intégration financière doit accompagner la mise en commun des compétences. Il s'agit là d'un apport important et intéressant.
La taxe professionnelle unique ou d'agglomération devient ainsi l'impôt de l'intercommunalité.
Nous ne pouvons qu'être d'accord avec cette idée, mais, là encore, la réalité nous montrera très vite les limites de cette réforme.
La taxe professionnelle unique sera le régime fiscal de droit pour toutes les communautés d'agglomération et pour les nouvelles communautés urbaines. Les autres communautés urbaines et tous les groupements de plus 500 000 habitants sont fortement incités à recourir à la taxe professionnelle unique puisqu'il faudra qu'une décision négative prise à la majorité qualifiée des conseils de ces groupements s'y oppose pour que ce régime ne devienne pas leur régime fiscal.
Le Gouvernement essaie, en outre, de faciliter l'accès à la taxe professionnelle unique en allongeant la période d'unification des taux et en restreignant les capacités pour les groupements à recourir à la taxe professionnelle de zone. Cela devrait les conduire tout naturellement à mettre en place la taxe professionnelle unique.
Enfin, le Gouvernement a accepté que les communautés de communes à taxe professionnelle unique se voient attribuer une DGF moyenne supérieure à celle des autres communautés de communes.
On voit bien là l'affirmation d'un principe sur lequel on a beaucoup travaillé au cours des années passées, celui de la spécialisation de l'impôt : la taxe professionnelle, c'est l'impôt économique, et l'impôt de l'agglomération a aussi un rôle économique. Il y a là une belle construction, mais cette construction trouve au moins deux grandes limites.
Une première limite tient à l'incertitude quant au rendement de la taxe professionnelle. Cette incertitude tient elle-même à l'inconvénient qu'il y a pour le Gouvernement et pour nous tous de mener deux réformes à la fois : d'une part, la réduction de la taxe professionnelle, qui est intéressante et dont on peut comprendre la logique par la diminution de la part salaires ; d'autre part, la transformation de la taxe professionnelle en impôt de l'intercommunalité. L'addition de ces deux réformes présente quelques difficultés, d'autant que les compensations prévues seront au franc le franc la première année, mais évolueront ensuite indépendamment de la conjoncture économique.
Cette incertitude est renforcée par la crainte que peut susciter le fait de mettre les groupements de communes les plus intégrés face à un seul contribuable. C'est d'autant plus dangereux que la taxe professionnelle unique s'ajoute, pour la plupart des groupements intégrés, à la compétence en matière de transport, compétence financée par le versement transport acquitté par les entreprises. Les groupements très intégrés, jouissant de compétences lourdes, n'auraient ainsi en face d'eux que le contribuable économique.
Face à cette relative incertitude, la belle idée intellectuelle de spécialisation de l'impôt doit reculer. Cette réalité a conduit le Gouvernement et l'Assemblée nationale, lors de l'examen de ce projet en première lecture, à s'orienter vers ce que l'on a appelé la fiscalité mixte, dont l'objectif est de permettre aux groupements financés par la taxe professionnelle unique d'utiliser les trois autres taxes locales.
Ce recours à la fiscalité mixte apparaît comme un secours providentiel, certes, mais qui fait appel à la responsabilité des élus si l'on veut éviter la surfiscalisation locale.
C'est le même appel à la responsabilité des élus que réalise en quelque sorte, de façon très technique, ce que l'on appelle la « déliaison » des taux des impôts entre eux.
Il est bien certain que, si l'on fait de la taxe professionnelle d'agglomération l'impôt du groupement, on ne peut pas faire dépendre le montant de l'impôt du groupement de décisions des communes membres et qu'il faut accepter la « déliaison » des taux, au moins lorsque les communes membres baisseront le taux de leur impôt.
Il convient de souligner que ces dispositions fiscales conduisent finalement à un véritable appel à la responsabilité des élus locaux. C'est, d'un certain point de vue, un approfondissement de la décentralisation auquel nous ne pouvons que souscrire.
Si l'échafaudage édifié par ce projet de loi quant à l'organisation institutionnelle et fiscale nous paraît entrer tout à fait dans la ligne des textes précédents, comme avec ceux-ci, nous nous heurtons aux difficultés du financement par l'Etat de l'intercommunalité. Ces difficultés sont celles que rencontrent tous les gouvernements, et nous les étudierons de façon ouverte et responsable.
La dotation globale de fonctionnement est le mode de financement normal par l'Etat des collectivités territoriales et de leurs groupements. C'est donc autour de cette dotation globale de fonctionnement qu'il nous faut appréhender ce financement.
Je voudrais tout d'abord rappeler une réalité, et examiner quels espoirs on peut tout de même nourrir s'agissant de ce financement de l'intercommunalité.
La réalité, c'est que la dotation globale de fonctionnement constitue une enveloppe financière fermée et que ce que l'on donne aux uns, c'est très naturellement ce que l'on enlève aux autres. En outre, les règles qui régissent l'évolution du montant de la dotation globale de fonctionnement sont étroitement liées à la fois à l'évolution des prix et à celle de la croissance. Tout cela enferme et le Gouvernement et le Parlement dans un système très contraint, où les marges de manoeuvre sont des plus faibles.
C'est donc en ayant pleinement conscience de cette réalité que je voudrais présenter les dispositions que contient le projet de loi que nous soumet le Gouvernement. C'est parce que ce système est soumis à de sévères contraintes que le Gouvernement nous propose, en quelque sorte, de « décoincer » les mécanismes de comparaison qui déterminent la répartition de la DGF allouée aux groupements.
Deux mécanismes très techniques, sur lesquels nous reviendrons, commandent la répartition de la DGF entre les groupements.
Le premier, c'est ce que l'on appelle le coefficient d'intégration fiscale. Nous aurions d'ailleurs souhaité, sur ce point, que l'on mette plutôt en place un coefficient d'intégration budgétaire, mais je reconnais les difficultés techniques de l'entreprise. Ce coefficient d'intégration fiscale doit servir à mesurer exactement le financement des compétences transférées par les communes au groupement. Si l'on veut éviter tout regroupement « d'aubaine », toute recherche artificielle de versements de DGF, et continuer à servir aux communes une DGF qui s'accroît, il faut un coefficient d'intégration fiscale qui soit le plus exact possible.
Nous sommes prêts à suivre le Gouvernement sur ce point s'il est lui-même prêt à aller jusqu'au bout de son idée. Nous aurons, là encore, monsieur le ministre, l'occasion d'en reparler.
La garantie de la dotation globale de fonctionnement est ramenée à 80 % pour tous les groupements. Je dois le dire, c'est une bonne chose, car c'est la seule façon de faire en sorte que les mécanismes de répartition liés au potentiel fiscal et à l'intégration puissent jouer. Toute garantie à 100 % de la DGF pour les groupements conduit à vitrifier les situations : un tel maintien des droits acquis ne conduit pas à un progrès de l'intercommunalité.
Un espoir, cependant, dans cette situation extrêmement bloquée : je veux parler du financement partiel de la dotation d'intercommunalité des communautés d'agglomération.
Nous reconnaissons tout à fait, monsieur le ministre, l'effort que vous avez dû fournir pour obtenir du Gouvernement un prélèvement sur recettes de 500 millions de francs par an afin de financer la dotation des communautés d'agglomération.
Nous savons aussi que, si le succès suit vos espérances - et, sur ce point, elles sont aussi les nôtres - ces 500 millions serviront à financer, en partie, les dotations des nouvelles communautés d'agglomération et la partie supplémentaire de DGF pour les groupements qui se transformeront. Mais, vous le savez comme nous, ce sera insuffisant. C'est pourquoi vous avez prévu d'aller chercher dans la dotation de compensation de la taxe professionnelle le financement manquant. Vous allez donc puiser dans une ressource communale les crédits nécessaires pour éviter que le financement des communautés d'agglomération ne conduise à une baisse de la DGF des communes.
Il existe là une réelle difficulté que nous devons essayer d'examiner ensemble. C'est la raison pour laquelle la commission des finances estime qu'il faut limiter dans le temps le recours à la dotation de compensation de la taxe professionnelle afin qu'on puisse remettre celle-ci à plat lorsque le contrat de solidarité et de croissance que le Gouvernement a conclu l'an dernier avec les collectivités territoriales arrivera à échéance.
Mais cette réalité concernant la dotation globale de fonctionnement justifie-t-elle une intercommunalité à deux ou trois vitesses ? Les communautés urbaines perçoivent, en effet, un peu plus de 450 francs de DGF en moyenne par habitant, contre 250 francs pour les communautés d'agglomération, 123 francs pour les communautés de communes à taxe professionnelle unique et maintenant 150 francs pour les communautés de communes à taxe professionnelle unique de plus de 3 500 habitants et exerçant certaines compétences.
Si nous pensons qu'il est normal que le financement par l'Etat de l'intercommunalité en milieu urbain soit différent de celui de l'intercommunalité en milieu rural, nous estimons qu'un tel écart ne se justifie pas.
M. Louis Souvet. Très bien !
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Aussi la commission des finances proposera-t-elle de réduire de façon responsable cet écart, c'est-à-dire sans mettre en cause l'équilibre général de la DGF mais en utilisant simplement les marges de manoeuvre dégagées, dans la DGF des groupements, par la transformation de communautés de communes existantes en communautés d'agglomération afin de porter, au minimum, à 175 francs la dotation moyenne par habitant des communautés de communes à taxe professionnelle unique.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, comme tout projet, comporte un certain nombre de dispositions diverses dont nous aurons à débattre.
Pour ce qui concerne les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, nous avons bien compris qu'il s'agissait, en quelque sorte, d'un accord intérimaire, avant la réforme prévue de ces fonds sur lesquels la loi de finances pour 1999 oblige le Gouvernement à déposer, à l'automne, un rapport devant le Parlement.
S'agissant du fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, nous avons également compris que vous souhaitiez, en créant un deuxième prélèvement, favoriser la coopération intercommunale entre les communes d'Ile-de-France. Sur ce dernier point, nous présenterons au Sénat un système un peu plus équilibré que celui qui ressort de la première lecture à l'Assemblée nationale.
Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, ce projet de loi, qui s'inscrit pleinement dans ce qu'on peut appeler aujourd'hui « la tradition française de la construction de l'intercommunalité », apporte un certain nombre d'innovations, surtout dans le domaine de l'intégration financière à travers la taxe professionnelle unique.
Dès lors que les dispositions proposées reposent sur l'adhésion volontaire des élus municipaux et des conseils des groupements et qu'elles vont dans le sens d'une plus grande responsabilisation des élus, donc d'un approfondissement de la décentralisation, elles apparaissent comme devoir être accueillies dans notre droit positif.
La commission des finances, en remerciant encore la commission des lois de l'honneur qu'elle lui a fait en l'associant à son travail, est d'avis d'engager la Haute Assemblée à étudier le texte qui lui est proposé de façon ouverte, sur les bases que je viens de rappeler. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en entendant les excellents rapports qui viennent de nous être présentés par nos collègues MM. Daniel Hoeffel et Michel Mercier, excellence dont nul ne sera surpris, je suis persuadé que chacun, s'il en était besoin, aura saisi l'importance particulière que présente, aux yeux du Sénat, ce projet de loi relatif à l'intercommunalité. Cette importance me fait regretter, une fois de plus, la procédure retenue par le Gouvernement pour l'examen de ce texte.
Monsieur le ministre, vous avez décrété l'urgence. Or, cette urgence ne repose sur aucun motif de fond. Au nom de la commission des lois tout entière, j'ai demandé, en conférence des présidents, que le Gouvernement veuille bien modifier sa conception première mais je me suis heurté à une fin de non-recevoir.
J'indique, une fois de plus, que décréter l'urgence ne conduit pas obligatoirement à accélérer les débats.
Dans le domaine dont nous débattons aujourd'hui, l'inconvénient de cette procédure, qui ne me paraît donc pas justifiée, aurait pu être atténué si le Gouvernement avait songé - l'idée lui a échappé - à soumettre ce texte en premier lieu au Sénat et non à l'Assemblée nationale. Compte tenu de la compétence qui est la nôtre en ce domaine, nous aurions peut-être pu éviter que quelques erreurs techniques ne soient commises lors de la lecture par l'Assemblée nationale, erreurs sur lesquelles il faudra revenir, ce qui ne facilitera pas notre tâche.
De toute manière, il serait indispensable que, sur un texte de cette nature, circule entre les deux chambres une information réciproque qui aurait pu être d'une grande utilité. Compte tenu des nombreuses divergences qui subsistent par rapport au texte de l'Assemblée nationale, le travail en commission mixte paritaire s'annonce considérable et difficile. Rien ne nous permet de dire que nous pourrons parvenir à un accord.
La lettre des textes a été parfaitement analysée. Des correctifs sont toujours possibles. Nous en proposons dans le domaine de la réglementation et dans celui des dispositions financières. Nous verrons ce qu'il en est au cours de nos débats et de la suite de la procédure. Mais laissons de côté ce que je me permets d'appeler des détails, mais qui, hélas ! n'en sont pas.
Trois questions essentielles paraissent se poser. Tout d'abord, certains d'entre nous, moi-même en particulier, s'interrogent sur le véritable état d'esprit qui a présidé à l'élaboration de ces dispositions.
Ensuite, il est évident que de nombreuses questions se posent quant à la pertinence des procédures retenues pour la mise en place des futures intercommunalités.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Enfin, la définition des compétences paraît d'une imprécision telle que le transfert de l'une d'entre elles peut entraîner une dépossession quasi totale de la collectivité de base.
Revenons, tout d'abord, sur la finalité. Ce texte, qui pourrait sembler d'apparence technique et qui s'inscrit dans une certaine tradition, est un texte politique...
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... au sens noble du terme et, tout comme le Gouvernement, semble-t-il, nous le prenons pour tel. Nous sommes donc, sur ce point au moins, en plein accord avec lui.
En effet, la structure territoriale de la France, telle qu'elle existe, est ancrée dans notre tradition et dans notre culture. N'oublions jamais que le mérite essentiel du nombre, jugé trop important par certains, des communes est de générer un corps de 500 000 hommes et femmes et de 36 000 maires qui acceptent - et la chose est suffisamment rare pour être soulignée - de s'occuper des affaires de leurs concitoyens.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Regrouper les structures, soit ! Mais le texte proposé conduira presque inévitablement à terme à un regroupement généralisé à l'échelle du territoire. Est-ce cela que l'on veut ?
Dans le même temps, en a-t-on bien pesé toutes les conséquences, ne serait-ce que dans le domaine de la libre volonté, de la libre détermination de ceux qui acceptent de s'occuper des affaires des autres ? Compte tenu des contraintes qui pèsent sur eux, à quel résultat aboutira-t-on si l'on vide de leur substance les affaires communales ?
N'oublions pas ce qui a été accompli en matière d'équipements et d'action sociale par les communes dans le cadre de leur autonomie actuelle. Et veillons, je le répète, à ne pas aboutir, au travers de la mise en commun des efforts, à un fléchissement qui serait à la fois légitime et dangereux de l'intérêt qui se manifeste actuellement pour l'action communale.
Cette véritable réécriture de la carte territoriale française, qui va la décider ?
Dans le projet actuel, un rôle déterminant est reconnu aux représentants de l'Etat. Une telle capacité d'action, compte tenu de ses conséquences, est difficilement acceptable, et ce d'autant plus qu'une telle décision, prise, en substance, par le préfet, est génératrice de transferts de compétences extrêmement importants. J'ai déjà indiqué le caractère très imprécis de la définition de certaines d'entre elles.
Cependant, une question doit d'ores et déjà être posée : compte tenu de l'ampleur des transferts qui vont être réalisés, si une décision est imposée à une commune contre sa volonté, n'organise-t-on pas, en fait, une atteinte directe et inconstitutionnelle au principe fondamental de libre administration des collectivités territoriales ?
En conclusion, il est clair, mes chers collègues, qu'il est de notre devoir de nous montrer extrêmement attentifs à ce qui nous est proposé.
Le nombre des amendements extérieurs à ses propres travaux que la commission des lois se dispose à examiner montre l'intérêt que ce texte a suscité sur les différentes travées de la Haute Assemblée.
Nous ne refusons pas une évolution sans doute nécessaire, mais nous veillerons à ce que les caractéristiques à nos yeux essentielles de notre vie locale ne s'en trouvent pas fondamentalement bouleversées. Dans une époque où l'on dit à l'envi qu'il existe une véritable fragilisation de l'esprit démocratique, nous ne pouvons prendre le risque de porter atteinte à ce qui constitue un élément fondamental de notre vie démocratique. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 60 minutes ;
Groupe socialiste, 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 39 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 36 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le ministre, le texte que vous nous présentez est très attendu. J'ajouterai que si, par moment, il est forcément d'une grande technicité, en particulier en matière fiscale, son architecture est pourtant simple et claire. On sent bien que, pour le préparer, vous n'avez pas cru bon d'avoir recours aux génies éthérés qui peuplent un grand organisme prétendument chargé d'aménager notre territoire. (Sourires.) En effet, il est bien difficile de ne pas établir la comparaison avec le volet territorial, pour s'en tenir à ce seul volet, du projet de loi dont nous avons poursuivi la discussion la nuit dernière.
De votre côté, c'est limpide et simplifié, comme il était demandé par tous et ainsi que le projet de M. Perben, dont vous retenez bien des aspects, avait commencé à le faire. De l'autre côté, c'est flou et incertain. De votre côté, on trouve une architecture des pouvoirs locaux de la République ordonnée, hiérarchisée, avec des chiffres et des seuils. Je ne reviens pas sur les trois niveaux qui ont été largement développés. On peut, bien sûr, contester ces chiffres, discuter des seuils. Nous-mêmes, constatant que certains départements pourraient ne pas bénéficier même d'une seule communauté d'agglomération en raison de leur faible densité de population, nous proposerons un amendement prévoyant une mesure dérogatoire.
Mais enfin, tout cela est cohérent et vous fixez fermement le cadre administratif dans lequel vivent, nous dit-on, 80 % de la population - c'est bien l'objet principal de votre projet de loi - sur 20 % du territoire. De l'autre côté, on organise dans 80 % du territoire à partir de pays dont on ne sait toujours pas s'ils seront des ectoplasmes - finalement, c'est sans doute l'hypothèse la plus vraisemblable - ou s'ils seront, comme certains l'ont imaginé, malgré leur dénégation, des structures administratives nouvelles ou « émergentes », comme ils disent.
Mais quel « projet » pour ces pays ? L'expression est à la mode, mais il ne suffit pas d'avoir sans cesse le mot à la bouche pour créer la chose ; on peut réellement douter de la pertinence de nombre de ces pays regroupant cent, deux cents communes, voire davantage, sur un territoire peu peuplé. Quel projet global - je parle bien d'un projet global - peut-on avoir dans ces cas-là autre que de satisfaire la frustration de tel élu en mal de présidence de conseil général ?
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis, et M. Jean-Patrick Courtois. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. De votre côté, on parle de niveau de peuplement, de mode de désignation, de compétences, de collaboration, de concertation entre les différents niveaux d'administration locale. Vous avez pris la précaution d'écouter les élus locaux autant que nationaux, de tenir compte des travaux antérieurs, aussi bien ceux de M. Perben que ceux du Sénat. En plaisantant, je vous dirai : merci, monsieur le ministre, d'être revenu à Balzac ou, peut-être mieux, à Flaubert, après ce détour vers la littérature ésotérique. (Sourires.)
Ma critique de fond, pour être, je crois, majeure, ne vous concerne pas. En fait, si vous organisez les territoires urbains - car c'est bien l'objet de votre projet de loi, comme l'intitulé initial le prouve et malgré la relative ruralisation opérée par l'Assemblée nationale - c'est qu'il fallait bien le faire. Vous avez raison d'agir. Mais si nous en sommes là, n'est-ce pas le résultat d'une politique du laisser-faire, de l'économie de marché sans entrave, ou presque, qui a conduit, par facilité, à toujours plus de concentration des activités et donc des hommes, sans se soucier des surcoûts collectifs induits ?
Un sénateur socialiste. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. Ce laisser-faire, on le justifie - les mêmes que tout à l'heure le justifient - après coup, en feignant d'en avoir été les organisateurs, alors qu'ils ne prennent acte que d'une situation de fait, résultat de leurs propres carences et impuissance.
En d'autres termes, on parle de l'aménagement du territoire depuis quarante ans au moins, mais en fait, en cette fin de siècle, on ne parle plus du tout de la même chose que dans les années soixante. Jadis, on s'essayait, même, avec beaucoup d'utopie, à organiser l'ensemble du territoire, ce qui voulait dire développer la vie partout, et donc mieux répartir les activités et les hommes.
M. Dominique Braye. Changer la vie !
M. Jean-Claude Peyronnet. C'est très antérieur !
Aujourd'hui, on prend acte de l'afflux des populations depuis cinquante ans dans les villes, afflux que l'on n'a en aucune façon freiné, ni d'ailleurs accéléré, mais pas plus organisé, ce qui, en fin de compte, est le signe manifeste de l'échec.
Les choses en sont donc là, et je n'ai nulle nostalgie. Mais enfin, lequel de nos gouvernants influents dira un jour que la civilisation urbaine est à un tournant et que, s'il est avéré qu'au fil des millénaires la ville a toujours apporté la lumière et le progrès, il n'est plus sûr du tout qu'il en soit ainsi en ce qui concerne les grandes conurbations dans lesquelles les inconvénients l'emportent désormais à l'évidence sur les avantages, ici et ailleurs ? (Applaudissements sur plusieurs travées socialistes.)
De là découle la justification d'un type d'organisation à la française autour de la ville ou de l'agglomération moyenne - de 50 000 à 400 000 habitants - qui, je le crois, est profondément d'avenir et qu'il est donc essentiel de conforter ; votre projet de loi y contribue. C'est un type d'organisation dans lequel la prétendue opposition entre urbain et rural est en voie de dépassement, si ce n'est déjà fait, du fait de l'interpénétration étroite des populations en raison de leur lieu de travail, qui est souvent urbain, et de leur lieu de résidence, qui est souvent rural.
M. Dominique Braye. Périurbain, et non rural !
M. Jean-Claude Peyronnet. Ces « rurbains », comme on dit parfois, veulent disposer à la campagne, ce qui n'est pas sans soulever des problèmes, du maximum de services de type urbain. Il existe donc, malgré les conflits conjoncturels, une évidente communauté d'intérêts entre la ville et son plat pays ; ils se confortent l'un l'autre, les modes de vie s'uniformisent et les aspirations s'égalisent.
Monsieur le ministre, votre texte, avec son innovation que sont les communautés d'agglomération, qui vise à reconnaître et à renforcer les agglomérations moyennes, sur un spectre de population assez large, répond, me semble-t-il, à cette réalité de notre temps et à cette spécificité française dont il faut faire une chance et qui est, hors l'exception francilienne, l'absence de mégalopole. Peut-être n'est-il pas encore trop tard pour sauver ce modèle que seule peut permettre la mise en oeuvre harmonieuse d'une partie importante de notre territoire, un territoire vaste qui est, vous l'avez dit vous-même, notre chance de demain. Dommage que l'autre texte considère le reste du territoire précisément comme un reste, un solde encombrant qui risque de devenir un vaste conservatoire. Mais, je l'ai dit, ce n'était pas vraiment votre sujet.
Je sais bien cependant que le fait de définir des structures, de mettre sur pied des constructions administratives ne suffit pas à permettre le développement et à résoudre les problèmes sociaux ou d'équipement, même s'il peut y contribuer. Il y faudra beaucoup plus, il y faudrait beaucoup plus, et d'abord une volonté politique forte. Je souhaite que le Gouvernement l'affirme et se donne les moyens de la mettre en oeuvre.
J'ai dit tout le bien que je pense de votre projet de loi. Cela ne va pas jusqu'à l'admiration inconditionnelle et béate. Quelques ajustements seraient sûrement nécessaires. J'en ai déjà cité quelques-uns. J'ai par ailleurs lu les excellents rapports de nos collègues MM. Daniel Hoeffel et Michel Mercier. A priori , nous ne sommes pas complètement hostiles à certaines remarques et propositions.
Nous devons veiller à ne pas casser ce qui existe, qui a fait ses preuves et qui fonctionne. C'était vrai hier pour les départements face à l'offensive des prétendus progressistes. C'est tout aussi vrai aujourd'hui s'agissant des formes de coopérations de services. Il faut trouver les moyens d'éviter qu'un transfert automatique des compétences d'une partie des communes, d'un syndicat par exemple, vers une communauté d'agglomération ne laisse le syndicat dépouillé et les autres communes qui le composent nues et crues !
Nous ne sommes pas opposés à positiver par un vote explicite toute adhésion à une forme ou à une autre de coopération. Une adhésion par défaut laisserait très mal augurer de la suite ; les communes ne coopèrent pas entre elles de façon efficace si elles traînent les pieds.
MM. Gérard Delfau et Dominique Braye. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. Voilà pourquoi l'obligation de continuité territoriale pose aussi problème, et ce pour les mêmes raisons que précédemment - il faut une adhésion à un projet - et pour des raisons de fond qui tiennent tout simplement aux libertés communales proclamées par la grande loi fondatrice de 1982, qui tiennent peut-être aussi, dans certains cas, à leur existence même. Nous sommes nombreux sur ces travées à être très attachés à l'existence des communes. Notre volonté est grande de ne pas les contraindre,...
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
M. Jean-Claude Peyronnet. ... même si je sais bien qu'il est souvent insupportable d'accepter qu'une commune prétendument riche refuse de coopérer avec d'autres communes moins favorisées. Il y a là un vrai débat.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. M. Hoeffel a évoqué la progressivité des transferts de compétences. Dans son rapport écrit, il souligne que sa principale crainte tient à l'insuffisance possible des ressources nécessaires à l'absorption de toutes les compétences prévues, et donc au danger d'augmentation inconsidérée de la pression fiscale. Je crois que la question peut être posée en gardant aussi à l'esprit un autre élément, à savoir la réticence de nombre de communes à se défaire de certaines de leurs compétences ou d'un nombre d'entre elles qui leur paraîtrait trop important. On ne doit donc pas perdre de vue qu'une trop grande précipitation pourrait avoir un effet contraire à celui qui est recherché, et finalement freiner le développement de l'intercommunalité.
M. Hoeffel a également insisté sur le rôle, qu'il souhaite renforcé, de la CDCI, la commission départementale de coopération intercommunale. Votre texte, monsieur le ministre, renforce singulièrement le fonctionnement démocratique des organismes de coopération, ne serait-ce que par l'obligation de rapport devant les conseils municipaux. Il me semble que l'avis sollicité de la CDCI, composée d'élus, va dans le même sens sans entraver les prérogatives du préfet.
Enfin, dans un tout autre domaine, le montant de la DGF attribué, avec votre appui, aux communautés de communes - certains de mes collègues reviendront sur ce point - nous semble bien faible et insuffisamment incitatif. On m'objectera que c'est dans le milieu rural que la coopération intercommunale a, de très loin, été la plus active depuis 1992 : cela fonctionne tout seul, en quelque sorte. Certes, mais combien y a-t-il eu de communautés d'aubaine ?
M. Jean-Pierre Plancade. C'est vrai !
M. Jean-Claude Peyronnet. Vous voulez lutter contre ces communautés d'aubaine et vous avez parfaitement raison. Si l'on veut donc inciter à une vraie coopération, avec les contraintes de compétences que vous imposez très justement, je crois qu'un petit effort au niveau de la DGF serait nécessaire.
Je terminerai par une interrogation de fond. Votre construction, que M. le rapporteur pour avis a bien soulignée, et de façon brillante, est fondée globalement sur l'incitation, les contraintes que l'on trouve dans le texte qui résulte des travaux de l'Assemblée nationale ayant plutôt été ajoutées par nos collègues députés. Ces incitations ont un préalable et un moteur, une sorte de levier : la TPU, la taxe professionnelle unique. C'est bien et, là encore, c'est simple et clair. Mais que se passera-t-il si la taxe professionnelle continue d'évoluer vers sa disparition ? J'ai un peu de mal à imaginer comment se passeraient les choses avec une TPU virtuelle remplacée par une compensation d'Etat.
Monsieur le ministre, sur tous ces points qui méritent des débats approfondis, nous attendons en particulier vos explications avant de nous prononcer. Cependant, vous l'avez compris, ces ajustements souhaitables ne sauraient remettre en cause une adhésion très forte au texte que vous venez de présenter devant nous. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste. - M. Braye applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, à la demande du Gouvernement, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

4

SOUHAITS DE BIENVENUE À
UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE D'ARMÉNIE

M. le président. Mes chers collègues, il m'est particulièrement agréable de saluer la présence, dans nos tribunes officielles, d'une délégation de parlementaires d'Arménie, conduite par M. Khosrov Haroutunian, président de l'Assemblée nationale, et qui séjourne en France à l'invitation de la Haute Assemblée de la République française. (Mmes et MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
Cette visite s'inscrit dans le cadre des relations interparlementaires qui, depuis plusieurs années, connaissent une particulière vitalité, grâce, notamment, à l'action conduite par le groupe sénatorial d'amitié que préside notre collègue Jacques Oudin.
Je forme des voeux sincères pour que la venue de nos collègues arméniens renforce la coopération entre nos deux assemblées et ouvre, dans les heures troublées que nous traversons, des perspectives de paix et d'amitié dans le monde en général, et en particulier entre le peuple français et le peuple arménien, auquel tant de liens nous unissent.
Qu'ils veuillent bien agréer nos souhaits de très cordiale bienvenue, ici, au Sénat, où nous sommes heureux de les accueillir. (Nouveaux applaudissements.)

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QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, comme vous le savez, j'ai été reçu ce matin par le Premier ministre pour faire le point sur la situation au Kosovo. A l'issue de cet entretien, il m'a demandé de vous présenter ses excuses pour son absence aux questions d'actualité au Gouvernement, car, en ce moment même, il participe aux obsèques de notre regretté collègue Michel Crépeau, à La Rochelle.
Au nom du Sénat, je tiens à faire part de notre sympathie attristée à tous les proches de Michel Crépeau, à son épouse et à toute la famille radicale.
Par ailleurs, en ce qui concerne la crise du Kosovo, M. le Premier ministre a bien voulu m'assurer qu'il se rendrait prochainement au Sénat pour nous tenir informés de l'évolution de la situation dans cette région européenne.
Je rappelle enfin que, conformément à la règle posée par la conférence des présidents, l'auteur de chaque question et le ministre qui y répond disposent chacun de deux minutes trente. Chaque intervenant aura à coeur de respecter le temps imparti, afin que tous puissent bénéficier de la retransmission télévisée de nos débats.

VOLET DIPLOMATIQUE DE LA CRISE AU KOSOVO

M. le président. La parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et porte sur les perspectives de règlement politique de la crise au Kosovo.
Je fais partie de ceux - et ils sont nombreux dans cet hémicycle - qui estiment que, lorsqu'une action militaire est engagée, notre premier souci doit être de soutenir nos soldats dans la délicate mission qui leur a été confiée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées du RDSE et sur les travées socialistes.)
Je leur ai rendu visite hier, au côté du ministre de la défense, que je tiens à remercier. Nous nous sommes rendus sur la base d'Istrana et sur le porte-avions Foch. Je veux donc, plus fortement encore, saluer aujourd'hui leur courage et leur compétence. Ils méritent notre soutien !
Mais nous devons aussi tout mettre en oeuvre, parallèlement aux opérations militaires en cours, pour préparer le règlement politique qui apportera seul, tôt ou tard, une solution durable à la crise actuelle.
Comme on pouvait le craindre, le Premier ministre russe, M. Primakov, n'a pu obtenir mardi, à Belgrade, une base acceptable pour une telle solution politique. Je ne crois pas que le rôle constructif que peut jouer la Russie pour faire pression sur M. Milosevic soit pour autant terminé. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous donner votre sentiment sur ce point ?
D'autres initiatives diplomatiques peuvent-elles, à vos yeux, être entreprises - et avec quelques chances de succès - dans les circonstances présentes ? Les Nations unies vous paraissent-elles en mesure de reprendre l'initiative ? Une réunion du groupe de contact peut-elle être envisagée ?
Restent deux éléments d'appréciation complémentaires de ces perspectives politiques, sur lesquels je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous vous exprimiez devant le Sénat.
En termes d'opportunité, d'abord, estimez-vous que de telles initiatives sont envisageables en l'état, ou supposent-elles nécessairement au préalable l'arrêt des exactions et un cessez-le-feu immédiat sur le terrain ?
Sur le fond des choses, ensuite, et compte tenu de la répression qui s'est abattue sur le Kosovo - y compris sur ses dirigeants modérés - estimez-vous que les conclusions de Rambouillet peuvent encore constituer une base de règlement crédible pour parvenir à la solution politique que nous espérons tous ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, on ne répétera jamais assez que, si nous avons dû en venir aux actions militaires qui sont en cours en ce moment, c'est parce que, pendant des mois et des mois, pour ne pas dire pendant des années, tout ce qui était politiquement ou diplomatiquement possible a été tenté pour asseoir la coexistence des Serbes, des Kosovars et des autres minorités du Kosovo sur une base qui permette de sortir du cycle sans fin des tragédies.
Naturellement, tout a été tenté, on l'a vu et on s'en souvient ici, par de nombreux pays européens - dont la France et la Grande-Bretagne, mais aussi par beaucoup d'autres, y compris la Russie - dont on a oublié jusqu'au travail et qui avaient pourtant tout tenté.
C'est vraiment parce qu'à un moment donné il fallait conjurer une escalade plus importante et tenter d'éviter les drames qui se produisent aujourd'hui - et qui se seraient produits de toute façon, comme ils s'étaient produits il y a un an, comme ils s'étaient produits l'été dernier et à l'automne, voilà peu de mois encore - que nous avons dû nous résoudre à employer, à un moment donné, des moyens différents pour essayer de briser cette machine de répression qui, depuis des années et des années, a provoqué ce que l'on sait dans l'ex-Yougoslavie. Il faut le rappeler sans arrêt, parce que c'est le cadre de toute cette action.
Au moment où nous en sommes, le travail destiné à essayer de porter un coup décisif à ce système, à cette machine de répression, est en cours. Mais ce n'est pas sur ce point que vous m'interrogez.
Je peux vous dire que les contacts sont maintenus et qu'ils sont quotidiens entre tous les membres du groupe de contact, y compris la Russie, même si elle n'est pas dans la même posture que les autres par rapport aux actions militaires. Cela signifie, en pratique, que, presque tous les deux jours, le Président de la République a M. Eltsine ou M. Primakov au téléphone, que j'ai mon collègue russe au téléphone tous les jours, que nous réfléchissons et que nous travaillons ensemble. Les membres du groupe de contact se parlent tous les jours, ainsi que les autres Européens, et nous avons par ailleurs des contacts réguliers avec les pays voisins.
Cela étant, pour préparer l'étape suivante, qui viendra forcément à un moment ou à un autre, il y a un certain nombre d'éléments sur lesquels on ne peut pas transiger : il faut un arrêt immédiat de toutes les formes de répression et d'exactions, il faut que tout ce qui est entrepris pour terroriser les populations du Kosovo s'arrête, il faudrait au minimum que les forces serbes et yougoslaves soient ramenées au niveau qui avait été fixé en octobre dernier, et que cet engagement soit pris sans condition. Ce n'est pas un élément de négociation, c'est une exigence immédiate, impérative, non négociable.
Si nous étions dans cette situation, nous pourrions, en effet, reprendre la recherche d'une solution politique.
Enfin, monsieur le sénateur, je ne veux pas répondre définitivement aujourd'hui - c'est encore trop tôt - à votre dernière question, qui est peut-être la plus importante. Je rappelle que les accords de Rambouillet, qui avaient tenté de bâtir une autonomie substantielle pour les Kosovars et les autres minorités du Kosovo dans le cadre d'une souveraineté yougoslave maintenue, supposaient tout de même un minimum sinon de confiance, du moins de capacité à faire fonctionner ensemble ce qui restait une structure fédérale. Or chaque jour qui passe, même s'il ne faut pas ajouter foi à toutes les informations qui circulent, rend ce contexte plus précaire. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)

VOLET HUMANITAIRE DE LA CRISE AU KOSOVO

M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur de président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et concerne les conséquences humanitaires du conflit au Kosovo.

Monsieur le ministre, hier midi, les informations disponibles faisaient état de plus de 180 000 réfugiés parvenus en Albanie, en Macédoine et au Monténégro, et la situation s'est encore dégradée depuis.
On estime que 4 000 réfugiés franchissent chaque heure les frontières de ces trois pays : 180 000 hier, 250 000 aujourd'hui, 500 000 peut-être dans les jours qui viennent. Des femmes, des enfants, des personnes âgées sont chassés de leur pays et arrivent dans des pays qui n'ont pas la capacité de les accueillir. L'Albanie, par exemple, ne dispose pas des structures sanitaires adéquates.
Au Kosovo même, la famine menace. Selon le Programme alimentaire mondial, elle pourrait commencer à faire des ravages dans dix à quinze jours si aucune aide d'envergure n'est apportée d'ici là.
A cettre tragédie humaine nous devons apporter une réponse forte et immédiate.
En toute logique, au moment même où la France et ses alliés engageaient les frappes aériennes, a forcément été prévu un plan d'aide humanitaire aux populations qui seraient alors victimes de l'accélération de l'offensive serbe au Kosovo.
Nous ne pouvons imaginer qu'un tel plan n'ait été préalablement établi, tant le phénomène des réfugiés que nous constatons était prévisible.
C'est la raison pour laquelle le groupe des Républicains et Indépendants souhaiterait, monsieur le ministre, que vous nous dévoiliez aujourd'hui la nature et les modalités de ce plan d'aide humanitaire que la France a prévu, en concertation avec ses partenaires européens notamment.
Ce plan d'aide envisage-t-il, par exemple, un pont aérien pour acheminer sur place l'aide alimentaire et sanitaire ?
Quels types de soins, de matériels, compte-t-on apporter aux réfugiés ? L'envoi d'hôpitaux de campagne est-il étudié ? Projette-t-on d'envoyer des moyens humains sur place, comme du personnel médical, des sapeurs-pompiers ou des spécialistes de l'équipement ?
Voilà, monsieur le ministre, les questions concrètes auxquelles le Gouvernement doit répondre, afin que le sentiment de totale improvisation qu'a pu laisser planer le déplacement précipité, ces dernières heures, de Mme Bonino dans la région soit dissipé et, plus encore, que l'aide humanitaire soit à la hauteur du drame vécu par les réfugiés du Kosovo. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, je ferai d'abord la même remarque que dans ma réponse précédente : la question des réfugiés du Kosovo se pose depuis longtemps. C'est même la raison pour laquelle il y a tant de réfugiés kosovars en Allemagne, en Suisse et dans d'autres pays d'Europe. Nous avons déjà eu à faire face à des vagues de réfugiés au cours de l'année passée. En effet, ce drame, qui a pris aujourd'hui une ampleur encore plus grande, encore plus visible, était commencé depuis longtemps. Il fallait mettre un terme à tout cela.
Pour ce qui est des chiffres, mieux vaut se référer à ceux du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, qu'à ceux qui émanent de sources variées, car ils sont parfois des plus fantaisistes. Selon le HCR donc, depuis la fin des pourparlers de Rambouillet et jusqu'à maintenant, il y a eu 85 000 réfugiés supplémentaires en Albanie, 14 500 en Macédoine et 20 000 au Monténégro, sans compter les déplacements considérables de populations depuis le début de la crise.
Naturellement, nous ne menons pas uniquement une action propre, même si nous voulons faire le maximum à ce titre ; nous agissons aussi avec tous nos partenaires européens.
Nous avons demandé que la coordination européenne soit plus intense. M. Fischer a proposé une conférence que nous avons acceptée tout de suite.
Nous travaillons en relation étroite, par ailleurs, avec le Haut-commissariat aux réfugiés.
En Albanie, une mission franco-germano-italienne est en train d'évaluer les besoins supplémentaires.
M. le Premier ministre a demandé à M. Josselin de se rendre en Albanie et en Macédoine, M. Josselin est parti aujourd'hui.
L'Union européenne a déjà débloqué 2 millions d'euros d'aides d'urgence pour la Macédoine et 10 millions d'euros supplémentaires pour faire face à l'ensemble de la crise humanitaire.
Une mission conjointe de Mme Bonino et d'un ministre allemand a été prévue en Macédoine et en Albanie.
Quant à la réunion de la présidence allemande, dont je viens de parler, elle a lieu aujourd'hui même. Elle associe, outre les organismes que j'ai cités, l'organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'OSCE, et les pays de la région.
Selon les indications que nous avons, il ne se pose, à l'heure actuelle, aucun problème d'acheminement de l'aide. Tous les moyens logistiques sont mis en oeuvre. La France a mis à la disposition de l'ensemble des programmes d'aide dix avions qui peuvent faire la navette en permanence.
Il ne se pose pas non plus de problème de quantité.
En fait, il se pose simplement, sur place, un problème de coordination et de choix des emplacements les plus adéquats compte tenu de l'avenir.
Ainsi que M. le Premier ministre l'a rappelé, l'un des éléments importants, dans cette lutte que nous avons entamée, c'est la réaffirmation du droit absolu de ces réfugiés à rentrer chez eux. Il faut absolument refuser que notre action s'inscrive dans un plan consistant à les faire partir sans espoir de retour. Cela a, bien sûr, des conséquences sur la façon de les héberger, de les traiter et de localiser les secours.
M. le Premier ministre a arrêté un programme supplémentaire de 75 millions de francs, qui s'ajoutent à notre contribution à l'ensemble des programmes européens.
Pour le reste, nous ferons le point au retour de M. Josselin et après la conférence qui a lieu en Allemagne aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

VOLET HUMANITAIRE DE LA CRISE AU KOSOVO

M. le président. La parole est à M. Estier.

M. Claude Estier. Les questions sur la situation au Kosovo étant nombreuses, aujourd'hui, il est inévitable qu'elles se recoupent plus ou moins.
Plus que sur le bilan d'une semaine de frappes aériennes sur la Serbie - il est peut-être encore trop tôt pour l'établir de façon précise -, ma question portera sur les aspects humanitaires de la situation.
Je suis de ceux - mes amis partagent ce sentiment - qui sont convaincus que ce n'est pas l'intervention armée de l'OTAN qui a provoqué une épuration ethnique que le dictateur Milosevic avait depuis longtemps programmée - elle était même déjà mise en oeuvre - comme il l'avait d'ailleurs fait en Bosnie.
Si l'on en croit une information donnée, hier, par le ministre allemand de la défense, M. Scharping, des camps de concentration auraient même été installés au Kosovo. Peut-être pourrez-vous le confirmer, monsieur le ministre.
Il reste que l'exode massif de populations kosovares albanophones vers le Monténégro, la Macédoine et surtout l'Albanie - exode qui, j'y insiste, avait commencé bien avant le début des frappes de l'OTAN - pose à ces pays des problèmes qu'ils n'ont absolument pas les moyens de surmonter.
Le Haut-commissariat aux réfugiés, malgré le dévouement inlassable de ses représentants, ne peut faire face seul, surtout si, comme on peut le craindre, cet exode doit se prolonger.
Le Premier ministre a fait état, dès hier, des actions déjà engagées par la France soit sur le plan national, soit dans le cadre d'une coordination européenne.
Vous venez de rappeler, monsieur le ministre, que le ministre de la coopération, M. Josselin, se trouve aujourd'hui à Tirana et qu'il doit se rendre également à Skopje.
Nous avons appris aussi qu'aujourd'hui se tient à Bonn une réunion a laquelle participent les ministres des huit pays voisins de la Yougoslavie.
En réponse à la question précédente, vous venez de donner un certain nombre d'indications sur ce que peut être l'aide apportée aujourd'hui à ces populations plongées dans le plus grand désarroi.
La représentation nationale est toutefois désireuse d'obtenir le maximum de détails sur les actions envisagées ou déjà engagées, sur leur nature, leur localisation, leur programmation dans le temps mais aussi dans l'espace. La question se pose en effet de savoir si les populations qui sont aujourd'hui en Albanie, par exemple, doivent rester là ou si l'on envisage de les faire passer dans des pays voisins.
Nous souhaitions également avoir des précisions - mais vous venez de nous les donner - sur le nombre de réfugiés recensés à ce jour, car les chiffres les plus contradictoires circulent, vous l'avez dit.
Si la France a raison de participer au combat contre Milosevic, elle se doit d'être au premier rang pour ce qui est de l'aide qui doit être apportée aux victimes de son régime sanguinaire. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. La parole est M. le ministre.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Monsieur Estier, en matière d'aide, je l'ai dit, la France prend toute sa part et cherche à être le plus efficace possible. Si nous avons demandé à M. Josselin de se rendre sur place, c'est, précisément, pour compléter les évaluations que nous avons déjà de par nos contacts avec nos partenaires européens et avec le HCR.
Je le répète, c'est plutôt aux chiffres du HCR qu'il faut se fier, et non pas à ceux des autres organismes, dont ce n'est pas la véritable vocation de dénombrer les réfugiés.
Si nous travaillons ainsi, c'est parce que nous voulons parvenir à une situation qui soit le plus compatible possible avec les moyens, les responsabilités et les demandes de l'Albanie, de la Macédoine et du Monténégro - ce n'est pas tout à fait sur le même plan - mais aussi des pays européens qui peuvent également être des pays d'accueil ou qui l'ont déjà beaucoup été - j'ai cité l'Allemagne et la Suisse, je pourrais, naturellement, citer l'Italie. Nous voulons arriver à une approche globale.
Le problème posé est non pas celui des moyens mais celui de la coordination de l'action des organismes, afin qu'ils travaillent ensemble au lieu de se concurrencer de façon stérile.
Toute cette action doit être placée sous le signe du refus absolu de la politique qui consiste à terroriser des populations. Il faut donc installer ces populations et les aider dans des endroits qui préfigurent leur retour le plus proche possible, car ce sera naturellement l'un des éléments de tout règlement politique lorsqu'on en reviendra à ce niveau.
En tout cas, je puis vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous faisons absolument tout ce qui est en notre pouvoir pour atténuer les souffrances des populations. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union centriste.)

VOLET MILITAIRE DE LA CRISE AU KOSOVO

M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Ma question s'adresse à M. le ministre de la défense.
On me permettra, tout d'abord, de réaffirmer, au nom du groupe du Rassemblement pour la République, tout notre soutien et toute notre solidarité à l'égard de nos soldats, de nos aviateurs et de nos marins engagés dans le conflit du Kosovo. Qu'ils soient assurés de notre reconnaissance et de notre admiration. Ils exercent leur mission au nom de la France et pour le respect des droits de l'homme.
MM. Jacques Chaumont et Jacques Machet. Très bien !
M. Jacques Legendre. Depuis lundi, les forces de l'OTAN sont engagées dans les deux premières phases d'une action visant à réduire le potentiel militaire de l'armée serbe au Kosovo.
Au bout d'une semaine, peut-on évaluer, monsieur le ministre, l'impact et l'efficacité de ces opérations d'envergure, et peut-on même parler de réussite ?
Comment la France envisage-t-elle la suite de cet engagement puisqu'il semble que cette crise s'inscrive dans la durée ? Pouvez-vous d'ores et déjà répondre aux interrogations et parfois, disons-le, aux inquiétudes des Français concernant le déroulement des opérations à venir ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord vous dire l'importance de l'expression, par les parlementaires - c'était le cas de ceux qui m'accompagnaient, hier, auprès des unités - du soutien et de la solidarité morale de l'ensemble des pouvoirs publics et de notre démocratie vis-à-vis des militaires français qui sont engagés dans cette action aux côtés de leurs camarades des autres nations européennes et des Etats-Unis.
Notre action développe une cohérence dont l'objectif, vous l'avez rappelé, est d'affaiblir et de limiter la capacité du potentiel militaire et répressif de l'autorité yougoslave.
Cette action se déroule avec des moyens aériens diversifiés, répartis entre les alliés, et qui offrent une réponse rapide à la crise devant laquelle nous étions, chacun de nous ayant pu vérifier avec certitude que l'épuration ethnique, l'éviction par la force et par la terreur des populations albanophones du Kosovo étaient engagées.
Nous avons bien fait d'agir sans attendre, à partir du moment où les diplomates ont constaté le refus délibéré de l'autorité yougoslave d'arriver à un compromis. Différer plus longtemps l'engagement de l'action aurait simplement fait apparaître les premiers massacres avant l'action militaire, mais n'aurait pas changé la réalité.
Le potentiel militaire yougoslave a déjà été affaibli et, jour après jour, lorsque, comme nous de notre côté, M. Milosevic et ses chefs militaires font leur briefing pour évaluer ce qui se passe, ils constatent qu'une partie de leurs moyens, une partie de leur potentiel, ont été éliminés.
Il faut que nous gardions le sens du temps, le sens de la détermination, pour faire en sorte que cette autorité, très largement assise sur la force depuis des années et des années, mesure les conséquences du maintien de sa positions actuelle.
En revanche, nous le savons, ces frappes, cette action par voie aérienne, ne ralentissent que faiblement l'action policière, l'action des milices, soutenus certes par l'armée, mais une armée qui est au milieu de la population du Kosovo en mouvement.
Nous savons donc que les actions d'éviction par la violence des habitants d'une partie du Kosovo ne peuvent pas être arrêtées immédiatement au moyen des frappes aériennes. Simplement, quand j'entends faire ce constat, je constate aussi qu'aucune autre proposition n'est faite pour empêcher ces actions d'éviction plus rapidement.
Ce sont les gouvernements unanimes, ce sont les autorités politiques de l'Alliance, et pas une technocratie militaire en apesanteur, qui ont fait le choix des cibles, le choix des objectifs.
Aujourd'hui, ce choix est centré sur les unités militaires en action au Kosovo. L'action est toujours menée avec le souci de préserver la population, ce qui nous conduit, chaque jour ou chaque nuit, à différer certains tirs pour ne pas faire courir de risques aux civils innocents.
Cette action devra cependant se poursuivre pour amener l'autorité yougoslave à constater que la voie de la violence et de la répression dans laquelle elle s'est engagée est une impasse. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du RDSE, ainsi que sur certaines travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)

VOLET DIPLOMATIQUE DE LA CRISE AU KOSOVO

M. le président. La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, si mes collègues et moi-même sommes d'accord pour reconnaître les efforts diplomatiques que le Gouvernement a déployés pour éviter que la violence ne s'emballe, si nous sommes d'accord pour refuser de rester passifs devant les agissements de Miloscevic, principal responsable de cette crise et des exactions criminelles dont les Kosovars sont victimes, si nous sommes, bien évidemment, nous aussi, par la pensée, près de nos soldats engagés, nous ne pouvons pas être d'accord sur les moyens et sur la politique employés pour résoudre cette crise.
L'inquiétude grandit, car personne ne sait où tout cela va mener.
Les bombardements de l'OTAN, sans mandat de l'ONU - dangereux précédent ! - devaient servir à affaiblir Milosevic, à le contraindre à négocier et à éviter massacres et catastrophe humanitaire au Kosovo. C'est, logiquement, le contraire qui se produit.
M. Yann Gaillard. Que faites-vous au Gouvernement ?
M. Jean-Luc Bécart. Conforté dans son rôle de « dictateur-martyr » de la cause serbe, Milosevic refuse de céder d'un pouce. La violence appelant la violence, les premières bombes de l'OTAN rendant furieuses police et milices serbes, le désastre humanitaire, l'exode, l'horreur règnent au Kosovo.
Et maintenant, que va-t-il se passer ?
La logique du « shérif américain », la « frappamania », va-t-elle continuer de prévaloir, les bombardements vont-ils se poursuivre des semaines, des mois, des années durant, comme en Irak, pour le plus grand confort politique de Saddam Hussein et le plus grand malheur du peuple irakien ?
Une autre logique, plus politique, va-t-elle pouvoir se frayer un chemin ? C'est un chemin étroit et difficile. Mais c'est sur ce chemin que nous avions vu, voilà quelques semaines, la diplomatie française et une mission d'observation de l'OSCE entreprendre sur le terrain du bon travail préventif, amorce d'une présence d'interposition.
Le déploiement d'une telle force d'interposition sous mandat de l'ONU, couplé à l'arrêt des bombardements de l'OTAN, devient une exigence partagée par un nombre croissant de Français, comme l'a rappelé, hier, notre collègue Hélène Luc à M. le Premier ministre.
En ces moments dramatiques, qui appellent, bien sûr, une aide humanitaire forte, notre pays ne devrait-il pas être l'initiateur d'une conférence européenne ouverte sous l'autorité de l'OSCE et de l'élaboration d'un plan de paix à l'ONU sous l'égide du Conseil de sécurité pour qu'à terme les Yougoslaves puissent se réconcilier avec eux-mêmes ou, pour le moins, puissent coexister ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Plusieurs sénateurs du RPR. C'est M. Gayssot qui va répondre ? (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, je rappellerai tout d'abord que les trois résolutions du Conseil de sécurité qui avaient été votées l'automne dernier l'avaient été sous l'empire du chapitre VII. Certes, elles n'étaient pas aussi détaillées que la France aurait pu le souhaiter à l'époque quant à la mise en oeuvre, mais elles étaient extrêmement exigeantes par rapport aux autorités yougoslaves sur l'arrêt de la répression, le retrait des troupes, l'engagement sincère dans la recherche d'une solution politique. Jamais ces exigences n'ont été satisfaites.
Je rappellerai ensuite que, deux jours après le début des frappes aériennes, la Russie a introduit un projet de résolution au Conseil de sécurité pour l'arrêt immédiat de celles-ci ; le Conseil de sécurité a rejeté ce texte par douze voix sur quinze.
A un moment donné, même si ce n'est pas sous une forme aussi complète que nous l'aurions souhaité pour des raisons de principe, le Conseil de sécurité de l'ONU a donc été saisi de cette affaire.
Pour avoir naturellement vécu à chaque étape les efforts qui ont été déployés pour aboutir à une solution qui aurait permis d'éviter d'avoir à en passer par ce que nous connaissons aujourd'hui, je voudrais porter témoignage que les autorités yougoslaves, non seulement n'ont pas saisi les occasions qui étaient proposées, mais ont combattu méthodiquement tout compromis à tout moment ; il a semblé que, pour eux, le compromis, la solution politique que nous avions élaborée au sein du groupe de contact, c'était la pire des menaces.
Voilà ce qui a du être malheureusement constaté au bout du compte, après que de nombreux délais avaient été donnés à la demande des Européens, mais aussi des Américains, qui ne se sont pas séparés de nous sur ce point.
Toute recherche de solution politique est bonne, que ce soit dans le cadre de l'ONU, de l'OSCE, dont vous avez parlé, de l'Union européenne, ou du groupe de contact qui a toujours sa légitimité, mais à condition que l'initiative politique puisse commencer par obtenir l'arrêt des exactions et l'arrêt des méthodes visant à terroriser les populations.
Il n'y a pas d'initiative politique utile, valable, sur laquelle on puisse travailler, consistant à rassembler des gens qui mènent une politique pacifique, qui sont d'accord entre eux, si, dans le même temps, les autorités de Belgrade poursuivent la politique qui est la leur aujourd'hui.
La bonne initiative politique est celle qui réussira à peser sur ce comportement que nous voyons encore au Kosovo, après qu'il s'est malheureusement illustré depuis des années dans l'ex-Yougoslavie, ce à quoi nous voulons mettre un terme. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE et de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)

CENTRE D'INFORMATION CIVIQUE

M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Avant d'aborder ma question, je voudrais dire le respect que nous devons avoir toutes et tous pour ceux qui, à tous les niveaux de l'Etat, ont en ce moment en charge, individuellement ou collectivement - individuellement de toute façon au niveau de leur conscience personnelle - la conduite des affaires de notre pays face à la crise qui vient de s'ouvrir.
Ma question s'adressait à M. le Premier ministre. Les membres du groupe du RDSE comprennent plus que tout autre - M. Crépeau était très proche d'un certain nombre d'entre nous - les raisons pour lesquelles M. le Premier ministre n'est pas présent parmi nous aujourd'hui.
Pendant des décennies, les campagnes répétées du centre d'information civique, le CIC, destinées aussi bien à amener nos concitoyens à prendre conscience de leur devoir de membre du peuple souverain, en général, qu'à attirer leur attention sur l'utilité, pour ne pas dire la nécessité, de voter aux consultations électorales qui se profilaient de mois en mois, ont rythmé notre vie politique.
Sans aucunement méconnaître les difficultés internes qui ont, d'après mes informations, fortement réduit l'activité réelle de ce centre, la disparition d'un organisme indépendant et objectif en la matière pose un certain nombre de questions.
En effet, voir, comme cela a été le cas ces derniers temps - je vise en particulier la campagne d'inscriptions sur les listes électorales de décembre 1998, qui a été conçue et diffusée par le ministère de l'intérieur - l'engagement de la machine d'Etat, donc gouvernementale, dans une action de ce genre peut légitimement apparaître à certains comme orientée ou, à tout le moins, potentiellement orientable.
Il n'est pas inutile de rappeler que le CIC assurait également une formation dans les écoles et éditait de nombreuses notes, publications et argumentaires sur le fonctionnement et le rôle de nos institutions.
La reprise de ces dernières activités dans le cadre auquel je faisais allusion ne pourrait qu'augmenter la confusion.
Par ailleurs, au sein du CIC, cohabitaient un certain nombre de cellules d'études, dont, par exemple, le Comité national de liaison défense-armée-nation qui en était un comité spécialisé au même titre que le Conseil national de la consommation.
Privé de moyens à la suite de négociations qui ont échoué avec le service d'information du Gouvernement, la mort du CIC semble programmée à court ou à moyen terme et l'assèchement des cellules de réflexion dont je vous parlais causerait un dommage complémentaire.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, me dire comment vous envisagez d'aider soit à la restauration du CIC, soit à l'émergence d'une nouvelle structure tout aussi indépendante du pouvoir politique ?
L'approche des élections européennes, pour lesquelles nous craignons tous que l'abstention ne soit trop forte, ne fait qu'augmenter l'urgence d'une prise de position en ce domaine. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. L'arrêt du versement de la subvention annuelle au Centre d'information civique est intervenu à la suite d'un contrôle exercé sur le Service d'information du Gouvernement par la Cour des comptes et des observations exprimées par le contrôleur financier auprès des services du Premier ministre.
Les critiques portaient, notamment, sur la situation très préoccupante des finances et des activités du centre d'information civique. Elles concluaient à la nécessité de procéder à un réexamen des relations juridiques et financières entre le centre d'information civique et le service d'information du Gouvernement avant tout nouvel engagement financier de l'Etat.
Ce réexamen a conduit le service d'information du Gouvernement à suggérer au centre d'information civique de modifier ses statuts pour permettre à de nouveaux partenaires, notamment associatifs, de relayer ses actions.
Il s'agissait d'intensifier les rapports développés par le centre d'information civique en démultipliant des actions de proximité pour toucher des publics variés avec des moyens adaptés.
Par ailleurs, il s'agissait de nommer un comptable public comme trésorier de l'association, ce qui peut paraître une exigence légitime.
Quant aux actions d'information menées par l'Etat à l'occasion de la campagne d'inscription sur les listes électorales ou en vue des élections européennes - notamment à destination des ressortissants communautaires - je vous ferai simplement observer, monsieur le sénateur, que ce sont celles non pas du Gouvernement, mais de l'Etat, qui a devoir de neutralité et qui peut s'en acquitter, me semble-t-il, aussi bien que le centre d'information civique lui-même. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

RÉORGANISATION DU SYSTÈME HOSPITALIER EN VENDÉE

M. le président. La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, mes chers collègues, le Kosovo mobilise toute notre attention et notre énergie. Vous ne m'en voudrez pas cependant si, après les questions prioritaires posées par l'ensemble de mes collègues, j'en reviens à un sujet beaucoup plus local.
Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. Elle entend mettre clairement en évidence les profondes inquiétudes de nos concitoyens au sujet de la carte sanitaire.
Les deux lois de 1970 et de 1991 ont le même objectif - que nous partageons tous - celui de poursuivre une juste répartition territoriale de l'offre de soins et une bonne adaptation des équipements hospitaliers aux besoins des populations, et au plus proche des populations.
Hélas ! sur le terrain, des conflits ou des incohérences jalonnent cette refonte en profondeur. L'hôpital est bien souvent, dans les petites villes, le premier employeur. Nous entendons tous, ici, défendre l'emploi partout, a fortiori lorsqu'il s'agit d'emplois liés à la santé.
C'est la raison pour laquelle nombre d'élus et d'administrés se mobilisent contre des fermetures annoncées, contre des réorganisations parfois inadaptées qui conduisent à la régression de la couverture sanitaire.
Alors même que de nombreux services publics sont réduits ou fermés en secteur rural, comment imaginer que le plus indispensable d'entre eux, l'hôpital, soit réorganisé au détriment de la population qui, pour sa part, revendique légitimement le maintien des soins de proximité ?
La révision des schémas régionaux d'organisation sanitaire de 1998 et la restructuration pour les cinq prochaines années du tissu hospitalier en Vendée, mon département, est au coeur de ma question.
En Vendée, madame la ministre, les élus, les médecins, les syndicats et la population rejettent la proposition du directeur de l'agence hospitalière concernant l'hôpital de Luçon. Les discussions préalables nous avaient rassurées. Or, ces derniers mois, on nous impose au bout du compte un résultat inacceptable : celui d'une rigidité trop normative.
Il est envisagé de fermer la maternité et de la remplacer par un centre de périnatalité, alors que l'objectif minimum de 300 accouchements par an pour le maintien du service est dépassé. Le service mobile d'urgence et de réanimation local, le SMUR, doit disparaître pour devenir une simple antenne locale du service d'aide médicale urgente, le SAMU, et du SMUR de la Roche-sur-Yon. Enfin, le bloc opératoire devra être fermé la nuit : c'est la mort programmée de l'hôpital de Luçon !
Cela fait beaucoup pour un établissement situé en secteur rural, desservant six cantons et une population de plus de 50 000 habitants, hôpital dont personne ne se plaint, et dont les services sont reconnus pour leur compétence et leur efficacité.
Que comptez-vous faire, madame la ministre ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, comme vous l'avez indiqué, la révision des schémas régionaux d'organisation de la santé vise à la fois à améliorer la qualité et la sécurité des soins pour nos concitoyens et aussi - il faut le dire, car on ne peut pas poursuivre ensemble des objectifs sans être clair - à obtenir une organisation optimale des ressources de la nation. On ne peut pas en même temps demander l'équilibre des comptes de la sécurité sociale et ne pas accepter qu'un certain nombre de décisions soient prises.
Dans cette logique, les directeurs des agences régionales d'hospitalisation, les ARH, travaillent depuis un an et demi maintenant à la réalisation de ces schémas régionaux.
En Vendée comme ailleurs, la direction de l'ARH a proposé aux établissements publics et privés une charte destinée à se mettre d'accord sur la façon dont nous allions réfléchir ensemble.
Quatre groupes de travail ont été mis en place. L'ensemble des élus ont été effectivement consultés. D'ailleurs, des accords très importants ont été conclus en Vendée sur la réorganisation de la psychiatrie, sur la création de lits supplémentaires dans le département, sur le regroupement des plateaux techniques et sur le principe de ne pas procéder à des suppressions des sites d'urgence, par rapport à ce qui avait été préalablement proposé.
J'en viens aux problèmes de Luçon, et notamment de sa maternité.
Aujourd'hui, nous nous heurtons à une double difficulté et je le dis très simplement devant vous, monsieur le sénateur ; entre, d'un côté, la qualité et la sécurité et, de l'autre, la proximité, je choisirai toujours la qualité et la sécurité.
Cette année, nous avons été conduits à fermer 330 établissements. Ces fermetures ont toutes fait l'objet d'une concertation. Si vous laissez de côté Pithiviers et Bitche, où la fermeture est intervenue dans le mois où nous sommes arrivés, toutes les autres fermetures ont été effectuées en étroite concertation et sans difficulté, parce que la population et les élus ont compris le bien-fondé des décisions que nous avons prises.
En ce qui concerne Luçon, vous le savez bien, d'ailleurs, on se heurte à des difficultés rémanentes pour recruter du personnel médical : aujourd'hui, on compte un unique anesthésiste pour l'ensemble de l'établissement, qui assure une rotation, et un pédiatre qui n'effectue que trois vacations par semaine, alors même que de nombreuses maternités voisines de Luçon sont accessibles aux populations en moins de trente minutes - Fontenay, La Roche-sur-Yon, Les Sables-d'Olonne - ce qui explique d'ailleurs qu'il y a à peine plus de trois cents accouchements aujourd'hui à Luçon, car chacun sait que des risques existent.
Si nous résolvons ces problèmes, la maternité de Luçon pourra continuer à fonctionner. Mais ce n'est pas le cas aujourd'hui et, encore une fois, pour moi, la qualité et la sécurité doivent primer ; je pense que vous pouvez nous rejoindre sur ce point.
Nous continuons le travail. Hier, le directeur de l'ARH a écrit à l'ensemble des élus pour traiter ce problème particulièrement : ou bien nous trouvons une solution, ou bien nous mettrons en place un centre avancé d'accès de périnatalité à Luçon.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)

HAUSSE DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
ET DÉPENSES PUBLIQUES EN L'AN 2000

M. le président. La parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, devant la gravité de la situation internationale, je suis à mon tour un peu gêné de poser une question sur l'économie et conséquemment sur l'emploi ; mais enfin, le train des problèmes quotidiens reste, et c'est une question qui s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
La semaine dernière, nous apprenions que la pression fiscale et les prélèvements obligatoires en général, dans ce pays, étaient restés en 1998 à un niveau beaucoup trop élevé par rapport à nos principaux partenaires européens, soit 46,1 % de la production nationale.
Certes, vous n'êtes pas responsables de tout. (Si ? sur les travées du RPR.) Ce que nous reprochons au Gouvernement, c'est d'avoir haut et fort, et à plusieurs reprises, annoncé à nos concitoyens une baisse des impôts et des taxes.
Lors du dernier débat budgétaire, le Sénat avait pourtant attiré fortement votre attention sur l'insuffisante baisse des dépenses publiques, et il avait vigoureusement critiqué l'absence d'une réduction significative des prélèvements obligatoires. Pourquoi avoir annulé la baisse de l'impôt sur le revenu engagée par le précédent gouvernement ?
M. Claude Estier. Et la TVA ?
M. Christian Demuynck. C'est une très bonne question !
M. Francis Grignon. Pourquoi avoir prélevé 80 milliards de francs d'impôt supplémentaire entre juin 1997 et décembre 1998 ? (Murmures approbateurs sur les travées du RPR.)
Non ! monsieur le secrétaire d'Etat, tout cela n'est pas crédible. Quand allez-vous enfin engager la politique annoncée de diminution des dépenses publiques et des impôts...
M. Dominique Braye. Jamais !
M. Francis Grignon. ... tant attendue par nos entreprises et par nos citoyens ? (Vives exclamations et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, M. Dominique Strauss-Kahn assistant aux obsèques de Michel Crépeau, je répondrai à sa place.
Vous avez mentionné un niveau de prélèvements obligatoires de 46,1 %. Il s'agit du rapport, pour 1998, entre les impôts et les cotisations sociales, d'une part, et la production annuelle, d'autre part.
Permettez-moi de vous rappeler, très courtoisement, qu'en 1993 ce taux était de 43,9 %. Mais peut-être direz-vous que 1993 était, comme 1997, une année ambiguë ! (Protestations sur les travées du RPR.)
Entre 1994 et 1996, la responsabilité politique me semble tout à fait claire.
M. Dominique Braye. Vous n'avez pas tenu vos promesses !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Que ces chiffres vous gênent, messieurs les sénateurs de l'opposition, je le regrette ! (Nouvelles protestations sur les travées du RPR.)
M. le président. Je vous en prie, messieurs !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. En 1994, le taux était de 44,1 %, et il atteignait 45,7 % en 1996.
M. Dominique Braye. Et en 1991 ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. La hausse de 1,5 point représente 120 milliards de francs de prélèvements supplémentaires effectués sur les entreprises, mais aussi et surtout sur les ménages.
Chacun garde présent à l'esprit les deux points de TVA de l'été 1995 ! (Applaudissements sur les travées socialistes. - Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Lambert. Vous les avez conservés !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je voudrais simplement ajouter une remarque en ce qui concerne l'année 1998.
M. Dominique Braye. Répondez à la question !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. La question est très claire ; la réponse l'est aussi ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
En 1998, les masses prévues d'impôts et de cotisations sociales ont été exactement celles dont nous avions débattu au cours de l'automne 1997.
M. Dominique Braye. Et vos promesses ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Ce qui a changé, c'est le dénominateur, la production intérieure brute, qui, en raison d'une moindre hausse des prix, est moins élevée. (Vives exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean Chérioux. Mauvaises prévisions, mauvais budget !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur Grignon, nous pouvons tous nous féliciter que la hausse des prix ait été plus faible. C'est autant de pouvoir d'achat supplémentaire pour nos concitoyens. Il s'agit d'un élément de dynamisme de la croissance française, qui la différencie de celle d'un certain nombre de pays étrangers. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Par conséquent, en ce qui concerne les prélèvements obligatoires, la hausse enregistrée de 1993 à 1997 est interrompue et, à compter de l'an 2000, vous verrez ces prélèvements obligatoires diminuer, comme le Gouvernement s'y est engagé. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Vives protestations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Dominique Braye. Pourquoi pas cette année ?

ACCIDENT DU TUNNEL DU MONT-BLANC

M. le président. La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Pour la troisième fois en quelques semaines, Chamonix et la vallée du Mont-Blanc sont endeuillés par un drame. En saluant la mémoire des victimes, je veux assurer leurs familles de notre profonde compassion.
Je veux également témoigner de notre soutien aux sauveteurs - pompiers, gendarmes, agents de sécurité - et aux élus, au premier rang desquels M. le maire de Chamonix, Michel Charlet. Tous font face avec compétence et courage aux épreuves terribles qu'endure la vallée.
Monsieur le ministre, l'heure est à la recherche, non pas de boucs émissaires, mais de solutions pour que pareille catastrophe ne se reproduise plus jamais.
Lors de sa visite en Haute-Savoie - à laquelle il n'a d'ailleurs pas jugé utile d'associer les parlementaires de notre département - le Premier ministre s'est contenté d'annoncer un plan franco-italien de sécurité sous les tunnels.
Nous n'en attendions pas moins du Gouvernement, mais n'est-il pas plus urgent de traiter d'abord le problème de la saturation du trafic routier dans les Alpes françaises ?
Le problème n'est pas nouveau : depuis 1970, le trafic de marchandises a été multiplié par cinq et, aujourd'hui, plus de 35 millions de tonnes de marchandises transitent entre la France et l'Italie.
L'essentiel de ce trafic est supporté par la route. A lui seul, le tunnel du Mont-Blanc en absorbe le tiers.
Monsieur le ministre, ce n'est pas l'effort des collectivités locales qui est en cause : avec treize pompiers professionnels, je vois difficilement comment une petite commune de 10 000 habitants comme Chamonix pourrait faire plus. Non ! c'est la politique de l'Etat en matière de transports qui pose question.
Au nom de mes collègues parlementaires Michel Meylan, Pierre Hérisson et Jean-Paul Amoudry, j'émets le souhait que le Gouvernement précise sa position et s'engage au-delà de vagues promesses.
Lors du sommet franco-italien de Chambéry, en 1997, le projet d'autoroute ferroviaire Lyon-Turin avait été retenu comme une priorité au titre des grands travaux européens. Depuis, nous n'entendons plus parler du ferroutage. Quelles mesures allez-vous prendre pour en accélérer la réalisation ?
A plus brève échéance, qu'attendez-vous pour donner la priorité à la réalisation du plan autoroutier, retardée sous la pression de vos alliés « Verts » ? Je pense notamment à l'achèvement de l'A 41, qui permettrait de répartir de manière plus fluide le trafic de poids lourds entre les deux voies du Mont-Blanc et du Fréjus.
Certes, la réalisation de ce plan pèse sur les finances publiques, mais beaucoup moins que le trou financier du Crédit lyonnais...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Et les dividendes versés aux actionnaires des sociétés d'autoroutes ?
M. Jean-Claude Carle. ... qui a englouti l'équivalent de plusieurs années d'équipements routiers ou ferroviaires.
C'est ce que réclament les habitants et les élus de la vallée. Ils sont conscients que l'Italie est le premier de nos partenaires économiques, mais ils n'acceptent plus la menace pour l'environnement et le danger quotidien liés à la saturation du trafic routier du tunnel du Mont-Blanc. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre (Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
M. Christian de La Malène. On ne croyait pas vous voir aujourd'hui, monsieur le ministre !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc. Comme vous, je pense que l'on ne peut pas l'évoquer sans avoir une pensée pour les victimes de cette tragédie et sans témoigner, comme l'a fait, lundi dernier, M. le Premier ministre, de la solidarité et de la compassion du Gouvernement, des élus et du pays tout entier aux familles si cruellement frappées.
M'étant rendu sur place le soir même de la catastrophe et étant resté de nombreuses heures aux côtés des secouristes, je puis témoigner du courage et du dévouement de tous ceux qui ont agi pour porter secours aux victimes.
Mais j'en viens plus précisément aux questions que vous avez posées.
M. le ministre de l'intérieur et moi-même avons immédiatement lancé une enquête administrative et technique, parallèlement à l'enquête judiciaire, de sorte que l'on comprenne ce qui s'est passé et que l'on puisse également tirer des enseignements et formuler des propositions en fonction des éléments dont nous disposerons. Nous avons demandé à disposer des premiers éléments d'information dès le 9 avril prochain.
Sans attendre ces conclusions, M. le Premier ministre a fait une déclaration et ne s'est pas contenté de dire ce que vous avez rapporté. Vous ne l'avez pas bien entendu !
M. Jean-Claude Carle. Nous n'étions pas invités !
Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Peut-être que vous n'y étiez pas, en effet. Profitez donc de ma réponse pour savoir ce que M. le Premier ministre a dit !
Il a déclaré, d'une part, que nous engagions - à l'échelle du pays tout entier - une expertise pour établir un diagnostic de tous les tunnels routiers de plus d'un kilomètre afin de connaître exactement les conditions de sécurité...
M. Jacques Mahéas. Tout le monde a entendu cela !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. ... et, d'autre part, qu'il s'agissait de donner la priorité au transport ferroviaire et combiné.
Vous m'avez souvent entendu le dire ici, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis maintenant presque deux ans, et vous m'entendrez peut-être encore quelques temps le dire (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.) , le Gouvernement met en oeuvre une politique destinée à développer la complémentarité entre les différents modes de transport. Cela implique d'importants efforts en faveur du rail, de la voie d'eau, du transport combiné qui, trop longtemps, a souffert d'une absence de volonté dans notre pays.
Cette politique ambitieuse est conforme aux décisions de développer la part du transport par rail dans le massif alpin.
Pour ce qui est de l'autoroute A 41, ce projet n'est pas remis en cause. Comme vous le savez, il a été déclaré d'utilité publique, mais il s'avère que l'assise juridique de la concession est incertaine au regard des normes actuelles au plan européen, et vous en connaissez les raisons. J'ai donc interrogé le Conseil d'Etat. J'attends sa réponse car c'est de cette réponse que dépendront les conditions de la réalisation de cette infrastructure. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac. N'attendez pas trop !

CONCENTRATION DES CAPITAUX
DANS LE MILIEU DU FOOTBALL PROFESSIONNEL

M. le président. La parole est à M. Demerliat.
M. Jean-Pierre Demerliat. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la jeunesse et des sports et concerne certaines dérives affairistes que l'on peut constater dans le domaine sportif.
La compétition au niveau du football professionnel européen et français génère aujourd'hui une forme d'activité économique à laquelle s'appliquent purement et simplement les règles de la concurrence commerciale et financière. Cette dérive met d'ores et déjà gravement en péril l'éthique sportive et la régularité des compétitions, caractéristiques qui en sont l'essence même.
En effet, de grands groupes de communication - Canal + et Pathé pour la France - des équipementiers internationaux, tels que Adidas et Nike, des banques d'affaires, investissent des sommes vertigineuses ; certains d'entre eux faisant, au niveau européen, main basse simultanément sur plusieurs clubs susceptibles de se rencontrer dans la même compétition.
Chez nous, Canal + a investi dans le PSG et le Servette de Genève. Le risque potentiel de rencontres, en France même et dans le même championnat, de clubs ayant les mêmes actionnaires est donc réel.
On est en présence d'un véritable bouleversement dans les structures sportives et, partant, dans la pratique même du sport. D'ores et déjà, les plus grands clubs français, ceux qui sont contrôlés par des trusts financiers - OM par Adidas, PSG par Canal +, Strasbourg par IMG Fance, Lyon par Pathé, etc. - se regroupent hors des structures officielles de la ligue nationale pour promouvoir une évolution purement capitalistique du football français et imposer une cotation en bourse.
Il y a là un problème stratégique, politique, éthique et sportif.
Je vous demande donc, madame la ministre, quelles mesures vous entendez prendre et quelles mesures entend prendre le Gouvernement pour s'opposer, au nom de l'éthique sportive, à la dérive actuelle d'un sport professionnel, le football, qui devient une industrie du spectacle régie par les seules règles du commerce et du droit des sociétés.
Quel sera donc, à cet égard, le message de la France lors des assises européennes du sport, à Olympie, en mai prochain ? (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur, je partage votre inquiétude sur la situation d'une partie du sport professionnel, notamment du plus populaire, le football.
En effet, quelques groupes financiers audiovisuels français et étrangers - on peut citer aussi Murdoch ou Kirch - exercent une pression très forte pour essayer de casser la cohésion fédérale du mouvement sportif français.
Il y a les dérives que vous avez citées, mais il en est d'autres, comme l'achat de joueurs de dix ans, de quinze ans. On peut dire qu'il s'agit là d'un esclavage de luxe en quelque sorte, mais dont les victimes sont des enfants.
Le prochain projet de loi sur le sport, qui sera examiné au dernier trimestre de 1999, permettra d'ouvrir le statut des clubs en F1, avec redistribution de dividendes, mais avec interdiction qu'un groupe possède plusieurs clubs et interdiction des cotations en bourse parce que, comme le dit si bien Michel Platini, les compétitions ne peuvent pas se faire à la lumière du CAC 40. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Bien sûr, les propositions françaises ne trouveront leur pleine efficacité que si elles sont portées au-delà de l'Union européenne.
Je rappelle que la conférence de Vienne des chefs d'Etat et de gouvernement avait mandaté l'Europe pour sauvegarder l'esprit sportif et le rôle social du sport. C'est donc ces propositions que je vais porter, avec d'autres collègues européens, à la réunion du 31 mai. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)

RÉVISION DU TAUX DE CROISSANCE POUR 1999

M. le président. La parole est à M. Vissac.
M. Guy Vissac. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et porte sur l'annonce des nouvelles prévisions économiques du Gouvernement.
Voilà seulement quatre mois, le Sénat, notamment par la voix du président de notre groupe, M. Josselin de Rohan, et de mon collègue, M. Philippe Marini, mettait en garde le Gouvernement sur les conséquences de son excès d'optimisme.
M. Jacques Mahéas. C'était la même chose l'année dernière !
M. Guy Vissac. La prévision - ou plutôt le pari - sur lequel reposait votre budget pour 1999 était de 2,7 % de croissance. Aujourd'hui, vous nous annoncez une fourchette de 2,2 % à 2,5 %, donnant ainsi acte au Sénat de la justesse de son analyse, et ce malgré la fin de non-recevoir que vous opposiez à nos avertissements. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Ces nouvelles prévisions reposent sur l'hypothèse d'école selon laquelle l'environnement international et celui de la zone euro vont cesser de se dégrader. Le Gouvernement nous dit à présent que tout devrait aller mieux au deuxième semestre. Or, les plus récentes prévisions de l'INSEE indiquent que l'amélioration annoncée est, hélas ! contredite par une dégradation observable.
« Les faits sont têtus », monsieur le secrétaire d'Etat, et ces prévisions modifient vos marges de manoeuvre, les recettes de la croissance n'étant pas au rendez-vous. Face à cette situation, quelle option allez-vous privilégier ?
Allez-vous encore resserrer un étau fiscal qui étouffe les énergies individuelles et fait figurer notre pays au triste palmarès des plus imposés d'Europe ? L'augmentation constante de la dépense publique est une tentation et le meilleur moyen de la faire cesser est de ne pas y succomber !
Allez-vous revenir sur certaines de vos promesses coûteuses, comme la réduction autoritaire et uniforme du temps de travail ? Allez-vous vous engager fermement sur la voie de la réduction des déficits afin que nos enfants ne soient pas astreints à régler une dette qu'ils n'ont pas eux-mêmes contractée ? Sans quoi, pour reprendre la phrase de Clemenceau, notre pays continuera à planter plus d'impôts pour récolter davantage de fonctionnaires.
Monsieur le secrétaire d'Etat, en finances publiques, les paris sont hasardeux. Il ne s'agit pas de théologie ; nous, en Auvergne, les compatriotes de Blaise Pascal, nous sommes bien placés pour le savoir !
Pourriez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, dire clairement aux Français qui nous écoutent quelle voie le Gouvernement entend emprunter ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, comme il est rituel en cette saison, la direction de la prévision du ministère des finances a publié des perspectives de croissance pour les années 1999 et 2000.
Pour l'année 1999, la prévision que nous faisons se situe effectivement entre 2,2 % et 2,5 %, alors que nous avons établi le budget, chacun s'en souvient, sur une perspective de croissance de 2,7 %.
M. Alain Lambert. Malgré ce qu'on vous a dit au Sénat !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le président de la commission des finances, nous avons beaucoup débattu de ce sujet.
Je voudrais mentionner brièvement deux éléments de confiance.
M. Alain Vasselle. Vous êtes toujours confiants !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Depuis l'été 1997, ce n'est plus la demande extérieure qui tire l'économie française ; c'est, pour l'essentiel, la demande intérieure, en particulier la consommation des ménages, elle-même bénéficiaire de gains de pouvoir d'achat exceptionnels parce que l'emploi se développe. (Vives exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Dominique Braye. Le pouvoir d'achat des emplois-jeunes !
M. Jean-Claude Carle. On n'a pas les mêmes chiffres !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. L'année 1998 est une année reccord puisque 400 000 emplois ont été créés. D'un mois sur l'autre, il peut y avoir des variations, mais il est clair que le pouvoir d'achat des Français a crû de façon exceptionnelle (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)...
M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues, un peu de silence ! Seul M. le secrétaire d'Etat a la parole.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. ... et que la hausse des prix, chacun l'a reconnu, est plus faible que prévu. Donc, la consommation des ménages est forte.
Le logement connaît une des meilleures années de la décennie (Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.), ...
M. Dominique Braye. Tout va très bien, madame la marquise !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. ... en particulier grâce aux mesures fiscales qui ont été adoptées à l'occasion du budget pour 1999, et l'investissement des entreprises, qui a connu un moment d'hésitation durant le trou d'air de l'automne, est reparti d'après les dernières enquêtes sérieuses dont on dispose.
M. Dominique Braye. Bref, tout a repris !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Voilà pour le premier élément de confiance qui nous permet d'espérer une croissance entre 2,2 et 2,5 %.
M. Alain Gournac. Poisson d'avril !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le second élément de confiance réside dans la comparaison de notre taux de croissance - et vous y avez très justement fait allusion - avec les taux de croissance allemand ou italien - 1,5 %.
M. le président. Concluez, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je conclus, monsieur le président !
En 1999, puis en 2000, nous aurons un des plus beaux taux de croissance de l'Union européenne (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.), ... et je m'arrêterai sur cette note de satisfaction ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas. Taisez-vous les sauvageons !
Mme Hélène Luc. Ils ne sont pas sérieux !
M. Henri de Richemont. Mieux vaut être « sauvageons » que « godillots » !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, avant d'aborder la suite de l'ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

6

CANDIDATURES A` UNE COMMISSION
MIXTE PARITAIRE

M. le président. J'informe le Sénat que la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale m'a fait connaître qu'elle a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la sécurité routière.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l'article 9 du règlement.

7

RENFORCEMENT ET SIMPLIFICATION
DE LA COOPÉRATION INTERCOMMUNALE

Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le ministre, avant d'entrer dans le vif de notre débat, je souhaite m'attarder un instant sur les conditions dans lesquelles ce projet de loi - capital, convenons-en - nous parvient : une fois encore, et alors qu'il vient de faire de même avec l'aménagement du territoire, lequel est d'ailleurs fort voisin de l'intercommunalité, le Gouvernement a déclaré l'urgence sur un projet de loi.
Je ne suis pas le premier, monsieur le ministre, à regretter cet état de fait ; le président de la commission des lois s'en est déjà ouvert à vous lors de votre audition. Cette habitude, qui commence à devenir fâcheuse, peut, sur des sujets comme celui-là, se révéler dangereuse.
Est-il franchement sérieux qu'un texte qui contient plus de 90 articles, qui a suscité le dépôt de plus de 500 amendements, ne fasse l'objet que d'une lecture unique ?
Vous avez justifié, monsieur le ministre, la déclaration d'urgence de votre projet de loi par le fait que celui-ci reprenait pour partie celui de votre prédécesseur, lequel avait fait l'objet d'une large concertation et que vous souhaitiez par ailleurs qu'il soit adopté avant la fin de l'année.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le sénateur ?
M. Paul Girod. Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. En effet, monsieur le sénateur, il m'est apparu que, si l'on voulait permettre aux collectivités locales d'utiliser judicieusement la manne des 500 millions de francs prévue en l'an 2000, il fallait leur donner le temps d'opérer quelques simulations avant de prendre un certain nombre de décisions ; je pense notamment aux décisions de transformation qui sont permises par le projet de loi.
Si l'on veut véritablement qu'avant la fin de l'année de telles décisions puissent être prises, il y a réellement urgence. C'est un second argument qui s'ajoute au premier.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le ministre, j'ai évoqué les deux arguments.
Vous avez repris une partie des idées de votre prédécesseur et nous en sommes tous ravis. Mais, que je sache, les idées de M. Perben n'ont jamais fait l'objet d'un quelconque examen par notre assemblée. Ne nous sont parvenues que des rumeurs, mais aucune information officielle.
Bien sûr, nous sommes favorables à toute forme de concertation, notamment lorsqu'il s'agit de prendre, au préalable, la mesure de ce que ressentent nos concitoyens pour imprégner nos travaux. Cela dit, peut-on y être aussi favorable lorsqu'il s'agit, par la suite, d'invoquer ladite concertation pour raccourcir les débats ? Ma réponse est clairement négative, car qui dit concertation ne dit pas première lecture !
En ce qui concerne votre souhait de voir le texte adopté avant la fin de l'année, permettez-moi de vous dire que l'argument me semble faible, puisqu'il aurait pu être satisfait sans qu'il soit nécessaire de recourir à la procédure d'urgence.
Ainsi, sur un texte dont l'urgence est peut-être encore pire - je pense au PACS - l'Assemblée nationale délibère aujourd'hui, en deuxième lecture, alors que nous avons examiné ce projet voilà moins de dix jours. Le retour au Sénat, après une navette, du texte sur l'intercommunalité ne nous aurait nullement conduits à des échéances telles que celles que vous avez évoquées en filigrane.
Vous savez que le Sénat, qui est, par sa nature constitutionnelle, l'assemblée le plus au fait des problèmes de gestion des collectivités territoriales, aborde ce débat dans un esprit largement constructif.
Nous pensons que, pour légiférer en dernier ressort, si cela doit être le cas - et je ne le souhaite pas - l'Assemblée nationale a absolument besoin de connaître les apports et les réflexions du Sénat.
Monsieur le ministre, puis-je me permettre de vous rappeler que la convocation d'une commission mixte paritaire avant une nouvelle navette n'est nullement obligatoire et que le Gouvernement, à l'éclairage de ce qu'auront été les débats, peut parfaitement laisser une nouvelle navette se dérouler ? A mon avis, ce faisant, il s'honorerait.
Monsieur le président, je referme là une parenthèse que je regrette d'avoir eu à ouvrir et j'en viens au fond du débat.
J'indiquais à l'instant, monsieur le ministre, que l'aménagement du territoire et l'intercommunalité étaient liés, voire étroitement liés. Permettez-moi de préciser ma pensée sur ce point.
Ces deux thèmes sont effectivement tellement proches que, dans l'esprit de nos collègues, ils ne font quasiment qu'un seul sujet. Je crains qu'il n'en soit malheureusement pas de même en ce qui concerne les membres du Gouvernement. Je ne vous cache pas que cette constatation m'inquiète quelque peu.
Avant-hier, Mme Voynet a reconnu devant nous que le texte de M. Chevènement ne traitait pas de l'agglomération tout à fait de la même manière que le sien. Elle nous a appris que l'examen consécutif des deux textes relevait en réalité d'une coïncidence. Curieuse conception de l'art de gouverner, permettez-moi de vous le dire !
Afin de ne pas placer le Gouvernement en porte-à-faux, les membres du groupe socialiste ont été contraints de s'abstenir sur un amendement de notre collègue M. Hoeffel, aujourd'hui rapporteur du texte sur l'intercommunalité, dont ils reconnaissaient pourtant la valeur, craignant que pour une même entité les deux textes n'en arrivent à des définitions différentes. Nous voilà tout de même devant une situation un peu paradoxale !
Mme Voynet a pourtant tenté de nous persuader qu'il n'existait pas d'incohérence entre ces deux projets de loi. Chacun a pu mesurer néanmoins, lorsqu'il s'est agi de déterminer les seuils contenus dans le projet de loi d'aménagement du territoire, que la solution n'apparaîtrait qu'au cours du présent débat. Bel exemple de coordination, permettez-moi de vous le dire de nouveau !
Au demeurant, monsieur le ministre, c'est une démarche louable que d'opérer en faveur de la simplification intercommunale.
Votre projet de loi comporte beaucoup de dispositions allant dans ce sens, et nous sommes nombreux ici à nous en réjouir. En effet, il est légitime d'aspirer à plus de transparence dans le fonctionnement des établissements publics de coopération intercommunale.
Pourtant, au regard de ces objectifs de simplicité et de transparence, la présence au sein du texte que nous examinons de certaines dispositions contraignantes me semble inconvenante.
J'ai consulté le dictionnaire de l'Académie française afin de connaître avec précision le sens du mot « coopération ». Ethymologiquement, ce terme vient du latin cooperari, qui signifie : « faire quelque chose conjointement avec quelqu'un ». Par coopérer, il faut par conséquent entendre « concourir à une oeuvre ou à une action commune ». Lorsque le mot « coopération » est employé en matière économique, il signifie « oeuvre collective fondée sur l'association dans le travail ». C'est réellement dans cet esprit de communauté d'association qu'ont été créées et existent aujourd'hui les structures de coopération intercommunale, qu'elles soient anciennes ou plus modernes.
Malheureusement, je crains, monsieur le ministre, que votre texte ne prenne pas vraiment en compte cet aspect volontariste. Or la réussite d'une entité intercommunale dépend vraiment de la volonté d'adhésion des communes concernées.
A cet égard, les majorités qualifiées prévues me semblent - mais peut-être mon opinion est-elle déviante ? - insuffisantes.
Je rappelle en effet, et cela est important, que le risque est de voir des communes associées au sein d'un établissement public de coopération intercommunale alors même qu'elles auront rejeté l'offre d'association.
Qu'il faille en passer par là dans certaines hypothèses, soit. Mais, à mon sens, ce cas ne peut et ne doit être qu'exceptionnel, car aucune coopération ne saurait être efficace si elle intervient sous la contrainte.
Vous avez cité, monsieur le ministre, le taux de 50 % de communes adhérant à ce jour à un organe de coopération à fiscalité propre. Le département de l'Aisne, que je représente ici avec d'éminents collègues, s'enorgueillit du fait que 85 % de ses communes se trouvent dans cette situation. C'est la conséquence du fait que, aucun schéma contraignant n'ayant été adopté, la création des structures s'y est faite dans une totale liberté et le plus souvent sur des projets communs réels.
C'est pourquoi j'accueille avec beaucoup de scepticisme les missions que le Gouvernement souhaite désormais confier au préfet en matière d'intercommunalité. Que le représentant de l'Etat soit à l'initiative de certaines créations, pourquoi pas ? Une telle démarche peut se révéler intéressante si elle revient à apporter une forme d'assistance ou de conseil aux communes concernées par cette éventuelle structure.
En revanche, que le préfet dispose d'un pouvoir discrétionnaire en ce domaine, c'est remettre en cause la légitimité des élus et, surtout, vider de son sens le terme « coopération », qu'il faudrait, à ce moment-là, remplacer par l'expression « association forcée ». Et je pèse mes mots, monsieur le ministre !
Les commissions départementales de coopération intercommunale ont un rôle à jouer. La commission des lois du Sénat en a tenu compte en prévoyant qu'elles auraient un avis à émettre lorsque la fixation du périmètre de l'EPCI serait diligentée par l'Etat.
Je souhaite que nous allions plus loin et que nous exigions que cet avis soit conforme, de façon que l'initiative d'Etat ne puisse être exercée en contradiction avec les orientations souhaitées par les élus locaux, seuls responsables devant la population.
Cette disposition, qui figure à l'article 21, n'est pas la seule à susciter des inquiétudes. Ce même article, monsieur le ministre, n'exclut pas, en fait, qu'une commune déjà membre d'un EPCI à fiscalité propre puisse être intégrée contre son gré dans un nouvel établissement, et ce alors même, d'une part, que l'article 18 interdit à une commune d'appartenir à plus d'un EPCI à fiscalité propre à la fois et, d'autre part, que le départ de cette commune risque de déséquilibrer ou de détruire la construction commune préalablement réalisée avec d'autres collectivités, dont on la contraint de divorcer.
Pour être franc, mes craintes ne se limitent pas aux incohérences que je viens d'évoquer. Elles sont parfois plus profondes.
Si les communautés d'agglomération devaient être amenées à rencontrer un réel succès, la création de ces nouvelles structures entraînerait presque automatiquement des conséquences néfastes à l'encontre des structures de taille plus modeste.
Comment en effet ne pas craindre l'attraction résultant de la création d'une communauté d'agglomération sur les communes périphériques ? Je redis que ces dernières, qui adhèrent quelquefois d'ores et déjà à une communauté de communes, vont voir par leur migration détruire tout un équilibre local péniblement construit depuis ces dernières années. Il y a là un point important sur lequel je me permets d'insister.
La loi d'orientation de 1992 avait créé la communauté de villes. Ainsi que notre rapporteur l'a rappelé, cette structure n'a suscité que peu d'engouement, essentiellement en raison des contraintes juridiques qui en accompagnaient la constitution.
Le Gouvernement nous propose de la supprimer pour y substituer une communauté d'agglomération, en espérant qu'elle rencontrera plus de succès. Cependant, si nous adoptions l'article 1er sans modification, nous refuserions d'office que certains départements voient naître cette nouvelle structure en raison de l'absence en leur sein d'une commune-centre de plus de 150 000 habitants. C'est un des aspects négatifs du texte. L'autre aspect est que certaines villes têtes de vrais bassins de vie - de vrais « pays », au sens du texte qui est par ailleurs en discussion - ne pourront avoir accès à cette amélioration, et cela faute de banlieue ! Au moment où les banlieues posent les problèmes que l'on sait, c'est tout de même un comble !
Or c'est ce manque de souplesse qui a tué dans l'oeuf les communautés de villes. Prenons garde à ne pas rééditer la même erreur !
Ce manque de souplesse se manifeste également dans la dévolution des compétences confiées aux communautés d'agglomération. Le système progressif qui est suggéré par notre rapporteur me semble beaucoup plus près de la réalité.
Cette question des compétences renforce mon hostilité à un rôle excessif du préfet. Force est en effet de noter à la fois leur étendue et leur flou.
Je ne prendrai qu'un exemple, celui du réseau routier, qui doit être d'« intérêt communautaire ». Qui sera juge final de cet intérêt ? Et quelles seront les voies de recours en cas de contestation ? Et quid des communes déjà regroupées pour leur voirie au sein de SIVOM ou de SIVU, ce qui aboutit à une double délégation de compétences ? J'aimerais beaucoup obtenir des réponses claires à ces questions.
Pour ce qui concerne la désignation des délégués des communautés urbaines, disons-le franchement, le texte tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale est inapplicable.
Je comprends le souhait exprimé par l'Assemblée nationale : instaurer plus de démocratie. Mais le système du petit signet sur les bulletins de vote me semble aventureux, d'autant que, si chaque liste met tous les signets en tête de liste, on se retrouvera, une fois les conseils municipaux élus, à n'avoir que des conseillers municipaux destinés à siéger au sein de l'instance intercommunale. Comment fera-t-on le tri ? Où est la transparence ? Tout cela est un peu étonnant !
Bien sûr, je comprends qu'il s'agit d'introduire plus de transparence dans des instances qui ont une autorité fiscale, mais je crois qu'il est encore trop tôt pour procéder ainsi.
Mes chers collègues, nous mesurons quotidiennement les difficultés liées au processus même de la décentralisation, qui est néanmoins indispensable ; n'allons pas troubler complètement les images en cours de route ! Des confusions existent d'ores et déjà dans l'esprit de nombreux électeurs au sujet des compétences exercées par les collectivités décentralisées. Nous sommes en train de les empiler comme si nous confectionnions un mille-feuilles, le ministre de l'intérieur tenant le rôle du pâtissier et nous celui du gâte-sauce ! (Sourires.) Je ne suis pas certain que ce soit la voie sur laquelle nous devions nous orienter si nous voulons être constructifs.
Il reste que l'applicabilité de l'ensemble du texte repose sur une profonde modification des règles fiscales. Bien entendu, nous touchons là à l'essentiel.
La taxe professionnelle unique constitue vraisemblablement un moyen efficace d'atteindre les objectifs que vous visez, monsieur le ministre, surtout dans les agglomérations denses.
Cependant, est-il raisonnable de faire de cet impôt, que d'autres textes commencent tout doucement à vider de sa substance, surtout au détriment des futures implantations - qui n'auront pas, en particulier, de référence « main-d'oeuvre » - le pivot, sinon le but réel, de la réforme ? Nous retrouvons là une de ces incohérences de conception dont j'ai relevé l'existence au début de mon propos.
Pour autant, le mode de prélèvement devra requérir une adhésion pleine et entière des entités concernées.
A cet égard, je partage l'avis de la commission des finances quant au caratère prématuré de la date choisie pour l'instauration du régime de droit, surtout avec l'influence excessive du préfet, que j'ai dénoncée tout à l'heure.
La présence de ces dispositions fiscales m'incite à rappeler une nouvelle fois que le succès de l'intercommunalité réside dans l'acquiescement des élus au projet de réforme. Les mesures proposées ne pourront être mises en place que progressivement, et avec l'assentiment de chacun.
S'agissant de la DGF, je me réjouis que soit révisé le mode de calcul du coefficient d'intégration fiscale pour chasser l'intercommunalité d'aubaine au profit de l'intercommunalité de projet - sur ce point, je n'ai jamais varié - d'autant que l'Assemblée nationale a tenu compte des délégations de second ordre, de nature opérationnelle, à des organismes de coopération de dimension supérieure.
Mais la réévaluation proposée par le Gouvernement, légèrement modifiée par l'Assemblée nationale, n'est pas réellement satisfaisante : ni par son financement ni par sa nature. D'un côté, des groupements percevraient 250 francs par habitant, tandis que d'autres verraient ce montant s'élever « généreusement » de 123 francs à 150 francs. Je parle sous le contrôle du président du comité des finances locales.
Franchement, cette disparité de traitement n'est pas acceptable. On peut comprendre que la dotation allouée aux communautés d'agglomération soit supérieure à celle dont bénéficieraient les communautés de communes en raison de l'étendue des compétences exercées, mais dans le flou et dans des conditions discutables. Cependant 100 francs d'écart, c'est vraiment trop !
Monsieur le ministre, la coopération intercommunale est un élément de progrès dans l'aménagement de notre territoire, dans la vie de nos communes, personne ne le nie. Mais elle doit être pensée en ayant en permanence à l'esprit les aspirations de nos communes.
Certaines des dispositions du texte que vous nous présentez ne répondent pas à cet objectif.
Nos commissions, plus particulièrement nos rapporteurs, qui ont effectué un travail impressionnant, nous proposent aujourd'hui un projet de réforme qui comble de nombreuses lacunes - nous essaierons individuellement d'améliorer le texte ici ou là - et qui traduit une réelle volonté d'impliquer l'ensemble des acteurs de la vie communale et le Sénat tout entier.
Aussi, avec la majorité des collègues de mon groupe, apporterai-je mon soutien au texte issu des travaux de notre assemblée si elle suit ses rapporteurs.
Je souhaite que la compréhension entre le ministre de l'intérieur, qui a en charge les collectivités locales, et le Sénat, encore grand Conseil des communes de France, avant de devenir peut-être le « petit Conseil des grandes collectivités »,...
M. le président. Quelle belle formule !
M. Paul Girod. ... soit la plus large et la plus profonde possible. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous le dis, renoncez à l'application de l'urgence. Ecoutez-nous, laissez s'ouvrir le dialogue, et nous ferons ensemble un travail constructif. C'est, je crois ce que nous souhaitons sur toutes les travées de cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà un titre de projet de loi prometteur puisqu'il est question de renforcement et de simplification !
Loi de simplification ? Permettez-moi d'en douter !
S'agissant du nombre de structures, la simplification est assez modeste puisque la DGF d'intercommunalité devra être partagée entre six types de groupements à fiscalité propre.
Quant à la simplification des outils, elle est aussi un peu illusoire, car elle s'exprime dans un jargon obscur. Il est, certes, très commode de parler de l'article 1609 nonies C, mais il faudrait au moins savoir s'il s'agit de taxe professionnelle unique, de taxe professionnelle d'agglomération, de taxe professionnelle unifiée d'agglomération. Même nos excellents rapporteurs n'ont pas totalememt unifié, en ce domaine, leur vocabulaire ! (Sourires.)
S'agit-il d'une loi de modernisation ? Le défi à relever n'est pas nouveau : l'intercommunalité a été une réussite et une chance pour nos communes rurales, mais elle se révèle mal adaptée aux zones urbaines. En effet, en raison de l'évolution des transports, des déplacements domicile-travail, la ville n'est plus une commune isolée ; elle n'est même plus l'agglomération bâtie continue. C'est une vaste zone urbaine. Les zones urbaines concernent aujourd'hui en France 43 millions d'habitants et 13 000 communes !
Là est le défi, parce que nous voulons, dans ces zones, conserver aux communes leur caractère de lieu de vie et d'intégration sociale mais nous ne voulons pas nier leur appartenance à une aire intégrée économiquement.
Or, jusqu'à présent, en tant que législateur, nous avons très largement échoué : avec la communauté urbaine, avec la communauté de villes, un peu moins avec le district. La question se pose de savoir si nous réussirons mieux avec la communauté d'agglomération, qui est apparemment très proche de la communauté de villes ?
J'examinerai d'abord rapidement le problème de la cohérence du concept de communauté d'agglomération pour ensuite souligner les difficultés que présente son application.
Monsieur le ministre, votre projet de base, à savoir la communauté d'agglomération, est-il cohérent ?
Ce projet s'appuie sur un socle fiscal, la taxe professionnelle unique. Je crois - et je partage à cet égard le point de vue que vous avez énoncé ce matin, monsieur le ministre - que la taxe professionnelle unique est la condition nécessaire de survie de la taxe professionnelle, c'est-à-dire d'un impôt local assis sur les activités économiques.
Or, actuellement, en zone urbaine, il faut bien le reconnaître, du fait de la parcellisation communale, on voit apparaître des sortes de « trous noirs » communaux où s'engouffrent les entreprises à la recherche d'un taux bas de taxe professionnelle. Un processus cumulatif s'enclenche, de telle sorte que les retombées fiscales, au lieu de profiter à l'ensemble de l'agglomération, unité économique, bénéficient seulement à quelques communes, au détriment, bien entendu, d'autres qui abritent les salariés de ces entreprises.
Il est certain que, si nous ne savons pas résoudre ce problème, c'est M. Joxe qui aura raison. C'est le Conseil des impôts qui triomphera. Ce sera la fin de la taxe professionnelle, qui sera transformée en une dotation d'Etat. Ce sera donc la fin des libertés communales parce qu'il n'y a pas de liberté sans compétences, certes, mais surtout sans ressources.
En aire urbaine, l'unification de la taxe professionnelle est cependant beaucoup plus difficile à réaliser qu'en zone rurale.
Un point me semble n'avoir jamais été souligné dans ce débat. Qui va supporter le choc de la taxe professionnelle ? Les entreprises ! Certes, certaines entreprises, particulièrement les entreprises localisées dans les centres-villes fortement imposés - banques, compagnies d'assurance, services à haute technicité - verront le taux de leur taxe professionnelle diminuer. Très nombreuses seront cependant celles qui verront le taux de leur taxe professionnelle s'accroître ; ce sera notamment le cas des industries des zones périphériques.
Il faut être extrêmement attentif au fait qu'une progression annuelle de 0,5 point de taxe professionnelle ne peut que se traduire, au terme de quelques années, par un poids extrêmement lourd, de sorte qu'il arrive souvent que les entreprises finissent par quitter les zones urbaines ; je l'ai constaté très fréquemment en Ille-et-Vilaine.
Tout cela emporte naturellement certaines conséquences sur la délimitation des communautés d'agglomération. Je suis tout à fait d'accord pour qu'il n'y ait pas d'enclave et que la communauté soit d'un seul tenant en pôle urbain. Mais, monsieur le ministre, il faut éviter - et j'ai préféré les propos que vous avez tenus ce matin à ceux que vous avez tenus dans d'autres enceintes - que le périmètre de la communauté d'agglomération soit systématiquement calqué sur celui de l'aire urbaine tout entière.
La communauté d'agglomération ne doit pas phagocyter toutes les zones périurbaines, en particulier les commaunautés de communes qui ont pu encercler le noyau central de l'agglomération. Je pense qu'il faut d'ailleurs laisser subsister un décrochage de taux de taxe professionnelle entre le centre de l'agglomération, d'une part, et la zone périphérique, d'autre part, ne serait-ce que dans une perspective d'aménagement du territoire.
Ce pouvoir fiscal immense que nous donnons à la communauté d'agglomération, à quoi servira-t-il ? Notre excellent rapporteur a dit qu'il fallait créer une intercommunalité de projet ; j'ajouterai qu'il faut instituer une intercommunalité de solidarité.
Intercommunalité de projet ? Oui, bien sûr, et les deux premières compétences obligatoires données aux communautés d'agglomération, qui concernent le développement économique de l'agglomération, sont parfaitement logiques. Mais il ne faudrait pas que, pour les autres compétences, la notion d'intérêt communautaire soit galvaudée. Il ne faudrait pas que l'on fasse progressivement remonter toutes les compétences au niveau de la communauté. Là comme ailleurs, il faut respecter le principe de subsidiarité.
Quand je vois remonter au niveau de la communauté des compétences comme les équipements scolaires, je m'interroge réellement sur cette notion d'intérêt communautaire. Il n'y a intérêt communautaire que lorsque les effets des équipements et des services qu'ils fournissent débordent les limites d'une commune et intéressent la totalité de l'agglomération. Je souhaiterais que, lors de nos débats, ce point puisse être précisé.
A côté de l'intercommunalité de projet, l'intercommunalité de solidarité me paraît essentielle. Il se trouve que mon département est en quelque sorte un laboratoire de la taxe professionnelle unique puisque onze communautés - depuis le district de Rennes, qui a une certaine couleur politique, jusqu'à la communauté du pays de Redon, qui en a une autre - regroupant 150 communes et 500 000 habitants, ont adopté cette taxe.
On perçoit très bien les raisons qui ont amené les maires de toutes ces communes à s'associer. Cette réussite s'explique parce que la taxe professionnelle unique a été ressentie comme la traduction de ce que j'appellerai une « solidarité réduite aux acquêts ». Chacun conserve ce qu'il a - la dotation de compensation - mais tout le monde partage ce qu'apporte le développement.
Quand, le long d'une route à quatre voies - nous avons la chance d'en avoir un certain nombre en Ille-et-Vilaine - les communes s'accordent pour créer une zone d'activités unique, elles le font parce qu'elles savent très bien qu'une partie substantielle de cette taxe professionnelle supplémentaire sera répartie entre elles. Par conséquent, une solidarité réelle se crée, ce qui explique aussi la réussite de la taxe professionnelle unique. Il s'agit non pas uniquement de transférer des compétences à l'échelon supérieur, mais aussi de partager.
La condition de la réussite a été très bien mise en valeur par la commission des lois. Pour arriver à un résultat substantiel en ce domaine, toute réforme des compétences doit se faire de façon progressive. L'intercommunalité vécue exige un apprentissage. C'est l'apprentissage par la pratique, comme disent les économistes.
Les différentes communes doivent s'apprivoiser. Cela ne se réalise pas du jour au lendemain et le transfert progressif des compétences comme le propose M. le rapporteur, quand l'intérêt communautaire le justifie, de l'échelon communal à l'échelon supérieur, est le gage de la réussite.
Je souhaite maintenant aborder de façon constructive les difficultés que me semble soulever la mise en place de ces communautés d'agglomération, sur le plan, d'abord, des mesures incitatives et, ensuite, de la fiscalité mixte.
Vous avez préféré l'incitation à la contrainte. Je suis tout à fait d'accord avec cette démarche. Apparemment, ces mesures incitatives sont importantes puisque la DGF d'intercommunalité est abondée de 500 millions de francs par an et que les communautés d'agglomération capteront les ressources des fonds départementaux de la taxe professionnelle, par suppression de l'écrêtement des établissements dits « exceptionnels ».
Permettez-moi, cependant, de m'étonner que ces mesures incitatives soient pérennes.
Nous nous heurtons à de nombreuses difficultés tenant aux effets de seuil, dont nous allons débattre. Mais pourquoi, par exemple, maintenir indéfiniment à 250 francs le montant moyen par habitant de la DGF versée à la nouvelle catégorie de communautés d'agglomération ? Lorsqu'on amorce une pompe, il me paraît effectivement opportun d'aider à effectuer le passage, mais ces mesures incitatives, qui sont actuellement centrées sur les zones urbaines, ne doivent pas devenir pérennes.
M. Pierre Fauchon. Très juste !
M. Yves Fréville. Il n'y a aucune raison, dans le système définitif, d'avoir un écart de 1 à 4 entre la communauté urbaine, qui percevra en moyenne 400 francs, et la communauté de communes, qui percevra en moyenne 100 francs, alors que, pour l'ancienne DGF forfaitaire, l'écart était limité de 1 à 2,5.
Je suis favorable aux mesures incitatives, mais je voudrais que soit, ensuite, instauré un régime de croisière qui tiendrait compte, suivant des principes pour tous identiques, du coefficient d'intégration fiscale et du potentiel fiscal éventuellement stratifié. J'accepte parfaitement la stratification par taille de groupement parce que les besoins ne sont pas les mêmes pour les métropoles et pour les petites agglomérations, mais il faut véritablement raisonner de manière globale, et non pas type de groupement par type de groupement.
Ces mesures incitatives devraient être également transitoires parce que, logiquement, si l'on crée des communautés d'agglomération, ce n'est pas pour avoir des dépenses supplémentaires, bien au contraire.
Quand on parle de fusion - j'emploierai, pour ma part, les mots « consolidation intercommunale » afin de ne pas donner au terme « fusion » la signification qu'il a juridiquement - c'est, en principe, pour obtenir des économies d'échelle, des coûts plus bas, et non pour nourrir des structures administratives coûteuses. Dans cet esprit, il faudrait réexaminer assez rapidement le système incitatif dans un cadre plus global.
Par ailleurs, si nous adoptons un système de financement uniquement incitatif, de très nombreuses communes seront perdantes, alors qu'elles sont allées jusqu'au stade de la fusion. Permettez-moi de prendre l'exemple du Grand Saint-Malo : trois communes de 20 000 habitants ont fusionné, avant 1971. Dans ce cas, une communauté d'agglomération ne se justifie pas nécessairement. Pourquoi, dès lors, des communes qui ont compris, d'elles-mêmes, quel était leur intérêt seraient défavorisées par rapport à celles qui créent une intercommunalité d'aubaine ? Je m'explique mal cette disparité de traitement.
Puisque vous avez choisi un système d'incitations financières, vous avez été bloqué, pour la définition des seuils de 50 000 ou de 500 000 habitants, qui sont de ce fait arbitraires, par le montant du budget que vous aviez à votre disposition. Si l'on se réfère à la délimitation des aires urbaines de l'INSEE, qui a réalisé un travail extrêmement intéressant, on s'aperçoit qu'il n'y a pas de frontière pour les zones urbaines à 50 000 habitants. Il est simplement question d'un bassin d'emploi autour d'un pôle urbain de plus de 5 000 emplois. Si vous avez fixé un seuil de 50 000 habitants, c'est naturellement parce que vous y avez été contraint par le budget limité dont vous disposiez et je suis d'accord pour qu'il en soit ainsi, à condition que telle soit bien la justification.
Or, faute de sources de financement très importantes, vous êtes automatiquement amené à faire payer une partie de ce système incitatif par les communes elles-mêmes. C'est là que réside l'anomalie. M. Michel Mercier l'a fort excellemment souligné ce matin en évoquant la DGF et la reprise de la dotation de compensation de la taxe professionnelle créée en 1986 et qui a subi de multiples rabotages depuis.
Cela vaut aussi pour les fonds départementaux de la taxe professionnelle. Prenons un exemple. L'écrêtement des établissements exceptionnels dans les grandes agglomérations est supprimé. Fort bien ! Prenons le cas d'une usine employant 10 000 ouvriers, implantée en zone urbaine, et dont les deux tiers des salariés habitent en zone rurale Grosso modo, les deux tiers de la taxe professionnelle étaient reversés aux communes de cette zone rurale. Si vous supprimez l'écrêtement, la zone urbaine en percevra l'intégralité et les commune rurales perdront autant.
Je sais, monsieur le ministre, que des mesures transitoires ont été prises à l'Assemblée nationale. J'espère qu'elles seront efficaces. Il n'en reste pas moins que le principe de suppression de l'écrêtement n'est guère satisfaisant.
Les dernières difficultés tiennent à l'apparition de deux systèmes fiscaux locaux fonctionnant en parallèle dans notre pays. Nous aurons, d'un côté, une fiscalité additionnelle et, de l'autre côté, la taxe professionnelle unique avec fiscalité mixte. Il est très difficile de faire fonctionner, notamment en matière de péréquation, un tel système dual. Je voudrais vous citer quelques exemples.
Comment concilier, par exemple, l'existence d'une forte solidarité locale, qui est très appréciée et souhaitable, avec les règles de péréquation nationale ?
Examinons, par exemple, les modalités de calcul du potentiel fiscal d'une commune, problème qui n'a pas été abordé dans ce projet de loi. Nous savons tous, sans entrer dans les détails, que, dans nombre de mécanismes de péréquation, le potentiel fiscal est déterminant.
Or, quand des usines s'implantent dans une commune qui joue le jeu de l'intercommunalité avec TPU, tous les suppléments de base aussi générés profitent non plus à cette dernière, mais à la communauté de communes. Il m'empêche, monsieur le ministre, qu'avec la définition actuelle du potentiel fiscal vous allez continuer à calculer la richesse de la commune comme si elle ne participait pas à l'effort de solidarité. Il est totalement impossible d'expliquer une telle réglementation à un maire même pétri de bonnes intentions à l'égard de l'intercommunalité.
M. Philippe François. Absolument !
M. Yves Fréville. Voilà un exemple ! Prenons-en un autre en sens inverse.
Si un groupement bénéficie d'un reversement du fonds départemental de la taxe professionnelle, ces sommes, qui peuvent atteindre des montants considérables, ne lui sont pas comptées dans son potentiel fiscal.
En d'autres termes, le Gouvernement n'a pas été jusqu'au bout de sa logique parce qu'il n'a pas pris en compte dans les mécanismes de péréquation de l'Etat cette solidarité locale, ce qui est regrettable.
En ce qui concerne la fiscalité mixte, je dirai brièvement, car le temps m'est compté, qu'il est tout à fait opportun de veiller à ce que le recours à cette fiscalité, lorsqu'il est nécessaire, ne soit pas une façon d'accroître la pression fiscale. A cet égard, l'amendement proposé par la commission des finances en matière de liaison des taux est très satisfaisant.
S'il est nécessaire, dans certains cas, de recourir à la taxe d'habitation et aux taxes foncières, il ne faut pas que la communauté qui y recourt puisse en profiter pour accroître le taux de la taxe professionnelle. Le maintien de la liaison avec les seuls taux communaux me semble une mesure de sagesse.
Pour conclure, mes chers collègues, je dirai que la construction de l'intercommunalité est un processus un peu semblable à la construction européenne. Il comporte des incertitudes et des risques, mais il doit s'appuyer sur une vision communautaire forte, à condition que celle-ci soit respectueuse du principe de la subsidiarité.
A cette fin, il faut faire preuve de souplesse et introduire plus d'équité que ne le fait le projet de loi. Je m'en suis expliqué en particulier en ce qui concerne la répartition de la dotation globale de fonctionnement. Enfin, il faudra faire preuve d'une plus grande audace et revoir un jour les droits acquis.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Yves Fréville. Vous ne le ferez que par la réforme des bases ainsi que par la révision - je mets les pieds dans le plat - de la dotation de compensation dans les groupements à TPU.
En effet, il n'est pas nécessaire que certains avantages jadis accordés soient indéfiniment pérennisés, d'autant que l'inflation ne vient plus corriger certaines situations aberrantes.
Il s'agit peut-être là d'une vision d'avenir. En attendant, vous nous proposez une modernisation bien sûr plus modeste, monsieur le ministre, rendue plus acceptable, grâce aux travaux des commissions, que la version qui nous vient du Palais-Bourbon.
J'espère, monsieur le ministre, que vous serez ouvert aux propositions très raisonnables de notre commission et du groupe de l'Union centriste. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
(M. Paul Girod remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président

M. le président. La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui est soumis à notre discussion vient à point nommé. Nous l'attendions, d'une certaine manière, et même nous le souhaitions car, effectivement, le dispositif de la coopération intercommunale n'est pas toujours cohérent, a été parfois mal appliqué, est quelquefois redondant et reste insuffisant.
Ce dispositif n'est pas toujours cohérent, car la loi de 1992, probablement adoptée dans l'urgence, comprend des dispositions floues, qui ont gêné maintes fois les commissions départementales de coopération intercommunale, ne serait-ce que du fait de l'absence de définition du contenu du périmètre des établissements publics de coopération intercommunale. Ainsi a-t-on pu observer parfois des communautés de communes « en archipel », dont la logique s'éloigne des stricts critères économiques et qui ressortissent plutôt à des affinités politiques.
A cet égard, j'apprécie qu'ait été affirmé dans le texte que vous nous soumettez, monsieur le ministre, le principe de continuité territoriale, même si, comme d'autres orateurs, je suis plus réservé sur l'exigence affirmée d'un territoire sans enclave. Le propre d'une enclave n'est-il pas en effet, finalement, de disparaître avec le temps ?
On pourrait ajouter d'autres exemples d'imprécisions qui appelaient un nouveau texte, qu'il s'agisse de celui qu'avait préparé M. Dominique Perben ou du vôtre.
Si votre texte est bienvenu, monsieur le ministre, je dois préciser que je ne comprend pas pourquoi - cela a été dit à plusieurs reprises - le Gouvernement a choisi, sur un thème aussi essentiel qui ne saurait être soumis à des impératifs conjoncturels et qu'aucun événement majeur n'impose, la procédure de l'urgence. Vous le savez, monsieur le ministre, on ne légifère pas bien dans la précipitation et, faute de nous donner le temps de la réflexion et de l'étude approfondie, votre texte entraînera par nécessité la rédaction d'un nouveau texte de simplification, ce qui laisse du travail pour vos successeurs.
Si le dispositif actuellement en vigueur n'est pas toujours cohérent, je tiens aussi à témoigner qu'il n'a pas toujours été bien appliqué. Pour avoir observé la pratique du contrôle de légalité en ce domaine dans un échantillon représentatif de départements, je suis étonné de l'autorisation qui a été donnée à certains montages en dépit des principes fondamentaux de notre droit.
Quand j'observe, par exemple, que l'article 66 du projet de loi précise que doivent être exclues du calcul du coefficient d'intégration fiscale les dépenses dites « de transfert », je me dis qu'il est quand même étonnant qu'un texte de loi se borne à confirmer la loi si ce n'est pour rappeler que cela n'a pas toujours été le cas.
Il n'en demeure pas moins que ce qui a pu être fait ici avec une prime de DGF n'a pu être autorisé ailleurs, et que s'il a été judicieux, dans certains départements et à une certaine époque, de procéder de cette manière, il a été injuste de pénaliser les autres.
Le dispositif en vigueur est, par ailleurs, redondant, car la nature, le mode de fonctionnement et, souvent, les compétences des districts et des communautés de communes et de villes sont effectivement proches, comme peuvent se rapprocher les communautés de communes et les communautés de villes, lorsque les premières ont adopté, comme la loi le permet, la taxe professionnelle d'agglomération. C'est une bonne initiative d'avoir fondu en une même catégorie, les communautés de communes, ces trois formes juridiques voisines.
Enfin, le dispositif est insuffisant. Entre le système intercommunal très intégré qu'est la communauté urbaine et le système de communautés de communes avec fiscalité additionnelle, il manquait sans doute un étage occupé maintenant par la communauté d'agglomération avec taxe professionnelle unique. On peut discuter de la place des curseurs dans le système à étages qui va des communautés de communes aux communautés urbaines, en passant par les communautés d'agglomération, mais la hiérarchie du moins au plus intégré est pertinente. L'éventail nouveau des EPCI à fiscalité propre est beaucoup plus cohérent que l'ancien. Ce n'est pas sur ce point que je vous ferai grief.
Quant à l'architecture que vous proposez pour les EPCI à fiscalité propre, je suis en accord avec vous, c'est-à-dire que j'approuve l'objet de ce texte. Toutefois, je remarque qu'il a subi un ravalement révélateur lors de son passage à l'Assemblée nationale. Alors que, avec honnêteté, vous l'avez intitulé « projet de loi relatif à l'organisation urbaine et à la coopération intercommunale », en insistant sur son véritable caractère qui est de favoriser l'organisation urbaine, à l'Assemblée nationale, les membres de la majorité gouvernementale, sans changer l'orientation très urbaine du texte, ont modifié son titre en gommant son particularisme et en le destinant maintenant au « renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale ». Nos collègues de la majorité de l'Assemblée nationale ne savent plus ce que c'est que le parler vrai, que vous pratiquez ; ils se réfugient dans un euphémisme qui traduit leur embarras face à un texte qui fait la part belle aux villes et qui marginalise les territoires ruraux.
M. Philippe François. Parfaitement !
M. Joël Bourdin. En effet, monsieur le ministre, si je ne conteste pas votre système en trois catégories d'EPCI à fiscalité propre, je suis réservé sur les conséquences financières de votre texte et je regrette qu'une étude d'impact n'ait pas été réalisée à ce sujet. Car si je pressens des déformations dans les modes d'allocation des ressources financières des communes et de leurs groupements qu'augmenterait votre texte, je ne suis pas en mesure d'en calculer les incidences et j'aurais aimé que des simulations fussent effectuées en ce qui concerne le changement que provoquera ce texte. C'est mon premier grief. A-t-on réellement le droit de modifier les modes d'allocation de ressources de l'Etat et de fonds départementaux sans informer la représentation nationale des conséquences des décisions adoptées ? A-t-on le droit d'introduire, dans un système aussi sensible, aussi fragile et aussi complexe que les fonds départementaux des innovations législatives sans en mesurer les conséquences ?
Si votre texte vise un bon objectif, il ne trace pas avec netteté les voies de l'avenir. C'est au doigt mouillé, sans estimation de ses conséquences sur l'équilibre des finances des communes et de leurs groupements que vous nous demandez de nous prononcer. Je le regrette. En effet, s'il est dans notre mission de modifier le cadre de vie des personnes et des institutions, il est aussi de notre mission de nous engager en conscience, uniquement par des moyens dont nous pouvons estimer les conséquences.
A cet égard, si je comprends que vous souhaitiez procéder par des incitations financières dans votre volonté de pousser les villes à s'organiser au sein de communautés d'agglomération, quand elles ne sont pas intégrées dans une communauté urbaine, je ne saisis pas pourquoi vous n'en profitez pas pour inciter les communautés de communes à se doter d'une TPU avec la même incitation.
En voulant faire beaucoup pour les communautés d'agglomération et peu pour les communautés de communes, vous laissez planer le soupçon que vous vous méfiez des zones rurales. C'est dommage. En effet, l'équilibre de notre territoire, s'il exige de meilleures conditions et probablement un meilleur financement de la mutualisation des charges des agglomérations qui aspirent Français et Françaises, exigerait que soient fournis de plus amples moyens aux communautés rurales, souvent des communautés de communes, où les Français et les Françaises préféreraient le plus souvent épanouir leur existence. L'équilibre et l'équité se conjuguent pour justifier que la dotation moyenne par habitant des communautés de communes soit relevée au-delà des 150 francs indiqués dans le projet de loi. Je suis tout à fait en accord sur ce sujet comme sur d'autres avec le rapporteur pour avis de la commission des finances et avec le rapporteur de la commission des lois.
Mais allons plus loin. Non seulement votre texte risque de déséquilibrer notre territoire en intensifiant les flux publics de financement vers les agglomérations au détriment des communes et des communautés de communes, notamment par l'intermédiaire des attributions de DGF, mais il risquerait, s'il était adopté en l'état, de provoquer un véritable détournement des flux des fonds départementaux de péréquation, au détriment des seules communes rurales.
Je tiens à développer ces deux arguments car, en l'état, je crains que le texte qui est soumis à notre délibération n'entraîne des perturbations dans l'équilibre de nos ressources.
La première crainte est donc que l'émergence des communautés d'agglomération ne génère un effet de siphon sur les ressources des autres communes. En effet, la principale des dotations d'Etat attribuées aux communes provient d'une ressource qui est prédéterminée, la DGF, dont nous pouvons, assez longtemps à l'avance, prévoir le montant. Dans notre jargon financier, c'est, comme l'a rappelé M. Michel Mercier tout à l'heure, une enveloppe fermée, qui est répartie en fonction de critères déterminés, laissant peu de marge de manoeuvre au comité des finances locales, lequel a pour mission d'en affecter les masses par catégorie de collectivités locales.
Dans cet exercice de répartition, une hiérarchie est opérée. On prélève d'abord, concernant les communes, la part réservée à la dotation forfaitaire ; puis le reste, constituant la dotation d'aménagement, est affecté d'abord à la dotation des groupements de communes à fiscalité propre ; le reliquat est destiné à la DSU, la dotation de solidarité urbaine, et à la DSR, la dotation de solidarité rurale. Je tiens à formuler deux remarques sur ce point.
Premièrement, la dotation destinée aux groupements de communes ne peut pas, elle, être prédéterminée, car elle dépend du nombre d'EPCI à fiscalité propre créés dans l'année et de l'évolution de leur coefficient d'intégration fiscale. C'est, sur le plan mathématique et économique, une variable aléatoire, dont le montant n'est connu qu'au moment où on effectue la répartition. Deuxièmement, la part destinée à la DSU et à la DSR est conçue, je le disais tout à l'heure, comme un reliquat. C'est ce qu'il reste de la dotation d'aménagement quand ont été dotés les EPCI à fiscalité propre.
Bien avant le dépôt de votre texte sur le bureau de nos assemblées, le comité des finances locales et son président, M. Jean-Pierre Fourcade, vous ont alerté, comme ils avaient alerté vos prédécesseurs, sur cette anomalie et cette incertitude qui pèsent sur la DSU et la DSR.
A fortiori devons-nous être inquiets quant à la conséquence de votre texte, qui entraîne mécaniquement un gonflement des ressources destinées aux EPCI à fiscalité propre. Vous l'avez bien compris, puisque vous avez prévu d'abonder la DGF d'un montant annuel de 500 millions de francs pendant cinq ans. Mais le texte prévoit aussi que si cet abondement est insuffisant, ce qui est probable, au moins après deux ou trois ans, un complément de ressources sera prélevé - là encore, M. le rapporteur pour avis l'a bien noté - sur la DCTP, la dotation de compensation de la taxe professionnelle.
Nous ne nous situons pas dans un jeu à somme nulle. Par conséquent, vous en êtes conscient, monsieur le ministre, il faut faire appel à une ressource extérieure pour essayer d'équilibrer les ressources de la DGF.
Je poursuis mon raisonnement. Comme cette ressource extérieure était jusqu'à présent surtout destinée aux communes, cela signifie clairement que vous prévoyez qu'une partie des ressources des communes regroupées dans le cadre d'EPCI type communauté d'agglomération proviendra des autres. En schématisant, je dirai que votre texte prévoit que les ressources des communes rurales sont menacées d'être siphonnées pour contribuer au financement des communautés d'agglomération. C'est un système inique. Peut-on valablement se targuer d'avoir une politique d'aménagement du territoire quand on organise l'appauvrissement des communes rurales ?
Ma crainte est, hélas ! renforcée quand j'analyse l'article 56 du présent projet de loi. L'article 56, tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale, ne vise en effet rien de moins qu'à exonérer pour l'avenir certains EPCI, à contribuer aux fonds départementaux ou à geler leurs contributions quant aux établissements exceptionnels situés sur leur territoire, ou à leur permettre d'en être plus largement bénéficiaires.
Quand on sait l'apport financier que peut constituer la ressource de péréquation départementale pour certaines communes rurales qui accueillent sur leur territoire des personnels d'établissements écrêtés, on doit regarder à deux fois avant de les pénaliser lourdement, alors qu'elles subissent réellement des charges induites par la proximité d'un établissement exceptionnel.
Monsieur le ministre, ce genre d'article pollue votre texte, car il souligne le caractère néfaste dont on le suspecte à l'endroit des communes rurales. J'ajoute que, lorsque votre texte prévoit que la part de la DDR - 25 % des dotations départementales actuellement - affectée aux communes rurales doit être supprimée, on doit se poser des questions. Le Gouvernement veut-il la mort lente des communes rurales non regroupées, ou veut-il les forcer toutes à des regroupements qu'elles ne souhaiteraient pas ? A-t-il décidé de pousser la France à rassembler sa population dans des agglomérations ? Je ne le crois pas encore, mais j'ai des doutes. J'aimerais que, à l'occasion du débat qui s'ouvre maintenant, vous me rassuriez. Bien sûr, le problème n'est pas que je sois l'élu d'un département plutôt rural, mais j'observe que plus on pousse les gens à s'agglomérer plus l'insécurité croît et le bien-être social diminue.
Dans un premier abord, j'ai jugé positivement votre texte, du moins quant à son objet. Après l'avoir analysé et avoir mesuré les conséquences qu'il entraînerait pour la majorité de nos communes, je suis, vous le sentez bien, plus dubitatif qu'enthousiaste. J'attends beaucoup de vos réponses, comme d'ailleurs du vote de certains amendements proposés par les commissions ou par quelques-uns de nos collègues, pour me forger une opinion définitive et déterminer mon vote. Mon sentiment est celui de l'ensemble des membres du groupe des Républicains et Indépendants. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'intercommunalité est, selon moi, synonyme d'espace économique et social cohérent. Qu'il s'agisse des communes rurales ou des communes urbaines, elle passe impérativement par un espace territorial homogène, par des choix consentis de compétences, mais surtout par la solidarité et par le renforcement des identités de chacun.
Monsieur le ministre, votre projet de loi vise clairement à renforcer et à simplifier la coopération intercommunale. Le renforcement de l'intercommunalité en milieu urbain et la recherche d'une simplification du régime de la coopération intercommunale est un souci tout à fait louable. Cependant, il ne doit pas aboutir à un processus incontrôlable et dommageable de « réagglomération » de la ville.
Je m'inquiète particulièrement du devenir des communes périurbaines - ou suburbaines - dont le développement correspond à une volonté forte de leur population : conserver à deux pas de la ville la qualité de vie irremplaçable de la campagne.
Monsieur le ministre, je crains que, dans le cadre très précis de ces communes, les communautés d'agglomération ne viennent rompre cet équilibre apprécié entre urbain et rural et n'entraînent un regrettable processus de renforcement de la ville au détriment de son secteur rural périphérique.
Au contraire, il m'apparaît nécessaire de tout mettre en oeuvre pour valoriser chacun des éléments constitutifs de vos futures communautés d'agglomération et de renforcer leur identité propre. Il serait dangereux, à mes yeux, de figer cette identité dans une structure densifiant l'impact urbain - c'est l'esprit de votre texte de loi - pour lequel la communauté d'agglomération à venir sera une formule intégratrice et non fédératrice et valorisante de la diversité de ses composantes.
Vous l'avez compris, je ne voudrais pas qu'au fil du temps les communautés d'agglomération conduisent à un renforcement administratif de la ville-centre et à l'apparition, à terme - pourquoi pas ? - de nouveaux pouvoirs politiques locaux issus uniquement du secteur urbain et contraires aux volontés des populations. Pourra-t-on, par exemple, éviter qu'apparaisse un jour l'idée d'élire le maire de la communauté d'agglomération ?
Une communauté de communes en milieu rural et urbain est une communauté d'intérêt, tandis qu'une communauté d'agglomération peut engendrer un véritable enjeu politique. En cela, j'adhère parfaitement aux propos qu'a tenus ce matin le président Jacques Larché, rappelant combien l'initiative communale est irremplaçable.
Bien entendu, trouver le juste équilibre entre l'indispensable coopération intercommunale et les dynamiques locales reste l'enjeu essentiel de toute réforme territoriale.
Mes inquiétudes sont aggravées par le projet de TPU. Certes, c'est au bout d'un long processus de douze ans que l'on viendrait à l'instaurer, mais ce projet vient anéantir les immenses efforts qu'au fil des années les élus locaux ont entrepris pour créer à grand-peine les faibles ressources de leur territoire communal.
La notion de partage est, certes, essentielle, et nul ne la conteste, mais cette TPU ne risque-t-elle pas d'entraîner, à terme, de lourds déséquilibres dans les finances locales des communes péri-urbaines, ainsi que l'ont dit avant moi de nombreux collègues ?
Alors même que les taxes professionnelles de zone intercommunale, aujourd'hui mises en place dans les communautés de communes sur des territoires intercommunaux identifiés, donnent toute satisfaction en préservant les taxes professionnelles communales, je crains que votre dispositif de TPU ne soit un repoussoir et n'empêche le passage, pourtant financièrement incitatif, de la communauté de communes à la commune d'agglomération.
Monsieur le ministre, en conclusion, je souhaite que ces communes périurbaines ne soient pas absentes de vos réflexions et, à cet instant de notre débat, je ne peux soutenir votre texte, car il ne m'apporte pas encore d'apaisement sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'importance du texte aujourd'hui soumis à notre examen ne peut échapper à personne. Il sera l'occasion pour le Sénat de s'acquitter de son rôle constitutionnel de Grand conseil des communes de France.
Monsieur le ministre, nous prenons acte de votre décision de déclarer l'urgence sur ce projet de loi, mais nous la regrettons vivement sur un texte aussi important pour les collectivités locales, dont la technicité nécessitait, à l'évidence, un examen approfondi.
En préambule, il convient de rappeler que la France possède une longue expérience de l'intercommunalité. Attaché à la diversité communale, notre pays a développé ces dernières années des formes variées de coopération, ouvrant de multiples possibilités d'exercice en commun des compétences locales.
Sur le fond, le groupe du Rassemblement pour la République a exprimé un avis plutôt favorable sur le texte soumis à notre examen, puisque celui-ci reprend les grandes lignes des propositions qui avaient été élaborées en 1997 par M. Dominique Perben, au nom du gouvernement de l'époque.
Rappelons que les objectifs étaient, d'abord, de simplifier le paysage institutionnel ; ensuite, de favoriser la taxe professionnelle d'agglomération sans pour autant systématiser les dispositifs à taxe professionnelle unique ; enfin, de mieux répartir la dotation globale de fonctionnement. Ces trois objectifs prioritaires, votre texte, monsieur le ministre, ne les a, à l'évidence, pas tous fait siens.
Ainsi, monsieur le ministre, vous prétendez que votre projet procéderait à une simplification en supprimant soixante et onze articles du code général des collectivités territoriales. Hélas ! la simplification n'est ni une simple affaire d'arithmétique ni un simple toilettage des codes. Il faut aller plus loin, et je ne suis pas sûr que le texte adopté à l'Assemblée nationale aille dans le sens de la simplification.
Certes, il est proposé de substituer aux types de structures existants trois catégories d'établissements publics. Mais je dois avouer ma crainte, face à la complexité de certaines dispositions adoptées par les députés, de voir localement des volontés intercommunales freinées par tant d'obstacles.
Nous partageons avec vous le souci de ne pas opposer le milieu urbain et le milieu rural à l'occasion du renforcement de la coopération intercommunale. Mais force est de constater que le Gouvernement a plutôt une vision très urbaine de la société, que nous ne partageons pas.
Il n'est pas possible de justifier la création des communautés d'agglomération ou la modification du statut des communautés urbaines par le prétendu retard qui aurait été pris par le secteur urbain en termes d'intercommunalité. Pour nous, il s'agit d'une vision déformée de la réalité.
Si, en milieu urbain, les communes ont opté pour des formules d'intercommunalité plutôt créées à l'origine pour le milieu rural, comme les communautés de communes, c'est bien en raison du caractère inadapté des EPCI mis en place pour le milieu urbain.
Avec les obligations qui entourent la constitution des communautés d'agglomération et le caractère contraignant des dispositions présidant à leur fonctionnement, on prend le risque d'assister à la même désaffection que celle qu'ont connue les communautés de villes, dont le nombre n'a jamais excédé cinq.
Sur le plan tant institutionnel que fiscal, c'est la liberté de choix pour les élus locaux qui oeuvre en faveur de l'amélioration de l'intercommunalité. La coercition, la volonté d'imposer sont des voies qui ont montré leurs limites.
Pour illustrer mon propos, je prendrai plusieurs exemples.
La continuité territoriale et l'absence d'enclave imposées tant aux communautés d'agglomération qu'aux communautés de communes nous semblent constituer des freins plutôt que des incitations au développement de l'intercommunalité.
En effet, dans un certain nombre de cas, ce qu'il est convenu d'appeler les égoïsmes municipaux, que chacun connaît bien, empêcheront la réalisation de la continuité ainsi imposée. L'existence de ceux-ci et le caractère trop rigoureux du projet de loi bloqueront les initiatives et empêcheront les volontés de regroupement de s'exprimer véritablement.
Bien sûr, nos collègues députés n'ont pas manqué d'imagination en créant ce qu'ils ont pudiquement appelé une « procédure dérogatoire » tendant à étendre le périmètre d'une communauté d'agglomération. Cette procédure, même exceptionnelle, ne peut cependant être retenue puisqu'elle revient à intégrer contre son gré une commune dans une communauté d'agglomération. Elle porte donc atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Notre groupe s'est opposé à cette procédure dérogatoire, ainsi qu'à celle qu'a adoptée l'Assemblée nationale pour les communautés urbaines.
Dans la même logique, qui consiste à faire prévaloir la libre décision sur la contrainte, notre groupe proposera de supprimer l'obligation de continuité territoriale. Nous pensons que l'intercommunalité ne peut se mettre en place qu'avec les communes, et non pas contre elles. Il convient donc de permettre aux collectivités locales d'évoluer à leur rythme, au sein d'un maillage de structures plus compréhensible. L'adhésion de nos concitoyens permettra alors d'engager la véritable réforme de l'Etat.
Libérées du carcan dans lequel elles sont contenues, les initiatives venant de la base pourront alors s'exprimer, comme l'a appelé de ses voeux le Président de la République dans son discours de Rennes.
S'agissant du volet institutionnel, nous nous sommes longuement interrogés sur les modalités de sortie des membres d'un EPCI. Certes, il convient de prévoir un certain nombre de garde-fous permettant d'éviter des départs irréfléchis que l'on regrette ensuite. Mais, pour certains cas spécifiques, je pense souhaitable d'instaurer une procédure plus souple.
Actuellement, il suffit que l'EPCI de départ s'oppose à la sortie d'une commune pour que la situation soit définitivement bloquée. Ainsi, afin de résoudre cette difficulté, nous proposerons que cette sortie puisse être acceptée après avis de la commission départementale de coopération intercommunale et sur décision du préfet, à la seule condition que la commune concernée intègre un autre EPCI. Les blocages de pure opportunité pourront alors être évités.
Un sujet me tient particulièrement à coeur, monsieur le ministre, celui du coefficient d'intégration fiscale. J'en viens ainsi aux dispositions financières du texte.
Dans un souci toujours louable de simplification, les auteurs du projet de loi se sont fixé pour objectif de mettre fin aux excès parfois constatés en matière de relèvement artificiel du CIF par des dépenses de transfert ne correspondant pas à des compétences effectivement exercées. A cette fin, le texte prévoit d'exclure ces dépenses du calcul du CIF.
La proposition sur laquelle nous avons travaillé a le mérite de la simplicité. Elle consiste à ne retenir, au titre des dépenses de transfert entrant dans le calcul du CIF, que les seules dépenses faites au profit d'un organisme bénéficiant de la dotation globale de fonctionnement.
Un autre avantage - et c'est sans doute le principal - serait d'empêcher toute tentative du ministère de l'économie et des finances de multiplier, au fil des années, le nombre des dépenses de transfert à exclure du calcul du CIF, dans le dessein de vider finalement celui-ci de toute sa substance et de compliquer ainsi le système.
Qui dit complication dit contrôle et surcroît de travail pour les personnels des mairies, des sous-préfectures et des préfectures, sans que le système en soit amélioré pour autant.
Prenons garde, pour le CIF, de ne pas nous laisser enfermer dans la logique qui a prévalu pour le fonds de compensation pour la TVA, le FCTVA.
Sur ce point, souffrez que je préfère la simplicité et l'efficacité de notre proposition au service des collectivités locales et des EPCI à l'opacité et à la complication proposées par l'Assemblée nationale, qui feront le jeu du seul ministère des finances.
Le coefficient d'intégration fiscale m'amène naturellement à examiner le problème de la dotation globale de fonctionnement, et nous sommes là sur l'un des points cruciaux de ce projet de loi. Bien sûr, chacun est conscient du fait que l'intercommunalité doit se construire non pas sur les seuls intérêts financiers mais, surtout, sur les intérêts communautaires et la volonté d'exercer ensemble un certain nombre de compétences.
Le vif débat qui a opposé le milieu urbain et le milieu rural ne doit pas trouver ici matière à se nourrir. Le montant de DGF par habitant a été fixé à 250 francs pour les communautés d'agglomération et à 150 francs pour les communautés de communes et nous connaissons maintenant la technique de calcul utilisée par le Gouvernement pour atteindre cette somme de 250 francs.
La proposition de modification des seuils de population nécessaires à la création des communautés d'agglomération a été refusée à l'Assemblée nationale pour rester dans l'enveloppe de 500 millions de francs ouverte par le Gouvernement pour financer l'accroissement de la DGF en faveur de ces communautés.
Il convient ici, pourtant, de s'interroger sur la différence de 100 francs de dotation de DGF par habitant entre les communautés d'agglomération et les communautés de communes.
Un effort a déjà été fait à l'Assemblée nationale, mais il est à l'évidence insuffisant. Pourquoi pénaliser une communauté de communes qui ne peut pas remplir les critères de population ou le critère de continuité territoriale alors qu'elle souhaiterait se transformer en communauté d'agglomération et qu'elle a fait l'effort de prendre des compétences nouvelles et d'adopter le régime de la taxe professionnelle unique ? Notre proposition, dans ce cas, serait de faire passer la dotation des communautés de communes à 220 francs, sachant que celle-ci devra évoluer annuellement dans les mêmes conditions que la dotation dévolue aux communautés d'agglomération.
Pour achever mon propos, je souhaite aborder le problème de la TPU. Le passage à la TPU est rendu obligatoire par le projet de loi pour la transformation en communauté d'agglomération ou pour la création d'une telle structure.
A notre sens, le caractère obligatoire jouera le rôle d'un véritable frein au développement de ce type d'EPCI, qui constitue pourtant la clé de voûte du texte.
La décision de rendre obligatoire le passage à la TPU doit se fonder sur des études financières très précises, qui ne sont pas actuellement disponibles. La communauté d'agglomération représentera un changement majeur de l'intercommunalité. Cet EPCI aura une dimension politique plus forte que les autres, due à plus de solidarité entre les communes membres.
C'est dans cette perspective que nous proposons de rendre le passage à la TPU seulement optionnel.
Le concept de taxe professionnelle unique conduit à une autre interrogation. Le budget pour 1999 initie une réforme sur cinq ans de la taxe professionnelle, qui aura pour effet de faire de l'Etat le plus gros contributeur à cette taxe. Cette réforme ne va-t-elle pas considérablement affaiblir les volontés de regroupement en TPU qui peuvent se faire jour ?
La suppression de la part salaire de l'assiette de la taxe professionnelle n'est-elle pas la première étape d'une disparition de cette taxe que tant réclament ? Autant de questions sans réponse qui suscitent bien des inquiétudes sur le plan local.
Rappelons, par ailleurs, que, pour financer sa coûteuse réforme, le ministère des finances vide petit à petit le fonds de péréquation de la taxe professionnelle.
La cotisation minimale et la cotisation nationale de péréquation n'ont-elles pas été confisquées ? Finalement, le fonds se retrouve exsangue. Des craintes légitimes existent donc sur l'avenir du financement de l'intercommunalité.
Le groupe du Rassemblement pour la République aborde ce débat dans un esprit ouvert et constructif. Nous déterminerons notre position en fonction des réponses que le Gouvernement apportera à nos légitimes préoccupations et aux propositions que nous ferons. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons aujourd'hui à débattre d'un projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.
Ce texte est d'une extrême importance, car il se pourrait qu'il soit de nature à modifier en profondeur les actuels rapports entre les collectivités territoriales et l'Etat, entre les collectivités territoriales elles-mêmes, ainsi qu'entre les collectivités territoriales et les citoyens. Ce serait un chamboulement dans l'organisation de la vie publique et des institutions françaises, qui constitue encore actuellement une exception, cette spécificité française évoquée ce matin par le rapporteur de la commission des lois, notre collègue Daniel Hoeffel.
Aussi, je tiens, dans ces propos préliminaires, à redire - après M. le rapporteur et d'autres orateurs - combien je regrette que l'urgence ait été déclarée sur ce texte, auquel le Parlement se devait de consacrer plus de temps pour l'améliorer, tout en comprenant également la volonté du Gouvernement de mettre tous les moyens en oeuvre pour réussir la nécessaire rénovation de la vie politique qu'il a engagée.
Dans l'esprit de la démocratisation de la vie publique, les parlementaires communistes souhaitent également une remise à plat des lois de décentralisation, une réactualisation qui tienne compte de l'expérience de ces dix-sept années, des difficultés des collectivités locales, tant en matière de cohérence des compétences qu'en matière de financement et de moyens budgétaires.
Je souhaite d'ailleurs, au moment où j'évoque la révision des lois de décentralisation, rappeler à mes collègues de la majorité sénatoriale, qui s'affichent aujourd'hui comme les vaillants défenseurs de la décentralisation, des communes et des départements, qu'ils s'étaient, en 1982 et 1983, farouchement opposés aux lois qui en posent les principes.
Le présent texte, que vous aimez définir comme une nouvelle étape de la décentralisation, monsieur le ministre, propose modernisation, démocratisation et harmonisation, ce dont l'intercommunalité a effectivement besoin.
Les transferts de compétences politiques à des regroupements communaux ne sont pas nouveaux puisque la première des lois qui a traité de ces questions date du 22 mars 1890.
Les coopérations intercommunales se sont, quant à elles, développées considérablement depuis plus d'un siècle. En témoignent les 1 680 établissements publics de coopération intercommunale, qui regroupent, à l'heure actuelle, 18 876 communes, soit près de 35 millions d'habitants.
Pourtant, derrière ce développement, qui semble important, au regard de chiffres fulgurants, se cache une réalité différente. Des régions entières et surtout des villes, des grandes villes même, sont restées à l'écart du mouvement.
La progression du nombre d'établissements créés ces dernières années s'est ralentie. La taxe professionnelle unique n'a pas rencontré le succès escompté par ceux qui l'ont instaurée. J'en veux pour preuve le petit nombre de communes, quatre-vingt-sept, qui ont choisi la communauté de villes.
Ce constat nous amène de nouveau à réaffirmer combien il est important de ne pas prévoir des structures toutes ficelées, des moules trop rigides.
La coopération intercommunale doit se fonder sur des projets communs de synergie d'intérêts locaux, de rationalisation des structures de services.
Les politiques économiques d'aménagement de l'espace - les transports urbains et interurbains, par exemple - de l'habitat ou encore les nouvelles normes en matière d'environnement - collecte et traitement des déchets, assainissement des eaux - ne peuvent se développer dans des territoires restreints, c'est évident.
Cela pose la question de la pertinence des territoires actuels comme cadres institutionnels pour les réponses à apporter aux différents enjeux socio-économiques et politiques.
Il est actuellement évident qu'aucune commune ne peut avoir, par exemple, sa propre filière de tri et de recyclage des déchets urbains. Ce serait inutile et non viable. De toute façon, les budgets des communes ne le permettent pas.
Je ne vais pas développer la question des difficultés financières des collectivités locales, marquées par une distortion persistante entre les compétences que leur ont données les lois de décentralisation - je l'évoquais voilà un instant - et les recettes dont elles disposent. Mon ami Thierry Foucaud y reviendra plus avant dans le débat.
La coopération intercommunale doit donc être de projet. Et là, visiblement, il y a débat sur la définition même de la coopération de projet.
Comment dire qu'une coopération est fondée sur un projet commun quand les compétences transférées sont déjà déterminées et imposées, quand les modes de financement sont préétablis ?
Les communes ne s'y sont d'ailleurs pas trompées puisque les établissements publics de coopération intercommunale les plus intégrants sont aussi les moins développés.
Pour nous, la coopération intercommunale, cette notion que vous qualifiez, monsieur le ministre, d'« intercommunalité à la carte », doit permettre aux communes associées d'améliorer les réponses aux besoins de nos concitoyens, que ce soit en matière de transports, d'action sociale ou de logement.
Malheureusement, la coopération n'est pas toujours décidée avec cet objectif ; elle est plutôt d'aubaine, et pas seulement dans les zones rurales, car, bien souvent, elle s'avère la seule issue possible, vu les marges de manoeuvre financière actuelles des communes.
Nous souscrivons, monsieur le ministre, aux propos que vous avez tenus lors des débats à l'Assemblée nationale quand, en réponse à M. Gouzes, rapporteur, vous avez dit que l'intégration et le développement à tout prix risqueraient de freiner l'intercommunalité. C'est également notre avis.
La réussite de la coopération intercommunale dépend en grande partie de la souplesse des structures, respectant le principe de libre administration des collectivités territoriales et les règles de la démocratie locale.
Mais force est de constater que de nombreuses dispositions du projet de loi, tel qu'il ressort des travaux de l'Assemblée nationale, nient ces principes.
Les règles de majorité requise pour la création étaient pourtant suffisamment incitatives. Mais, en l'état actuel du texte, le préfet pourrait, sans même consulter les communes, élargir le périmètre et inclure des communes à leur insu, au nom de la cohérence spatiale.
Cette disposition nous semble extrêmement dangereuse. Nous nous y opposerons par voie d'amendement.
Pour rester sur les questions de périmètre, il nous semble primordial que les communes et leurs conseils soient un élément moteur de la délimitation.
Le texte prévoit que l'ensemble des établissements publics de coopération intercommunale forment un espace spatial et économique cohérent.
Nous sommes attachés à cette pertinence territoriale. Cependant, il nous semble opportun de permettre aux communautés de communes de déroger à cette règle afin de conserver toute la souplesse de cette structure et de permettre à des communes de s'associer librement, sans avoir à imposer la coopération à une commune qui ne le souhaiterait pas.
Dans les faits, nous savons tous que la règle des deux tiers n'a pas été beaucoup utilisée. Mais nous savons aussi qu'obliger les communautés à se constituer « d'un seul tenant et sans enclave » va également les contraindre à recourir à cette majorité des deux tiers du conseil de communauté. C'est une règle qui ignore la démocratie et le libre choix des collectivités.
Les conditions contraignantes dans lesquelles vont se constituer, se transformer ou s'élargir les communautés urbaines et d'agglomération, les conditions dans lesquelles vont s'opérer les transferts de compétences et se décider la mise en place de la taxe professionnelle unique ont considérablement été durcies par l'Assemblée nationale.
J'en veux pour preuve l'extension des compétences transférées, la transformation automatique, sauf avis contraire, des EPCI relativement souples en EPCI très intégrés, le passage automatique à la taxe professionnelle unique, la possibilité, pour la quasi-totalité des structures, de recourir à la fiscalité mixte. Toutes ces mesures contribueraient à vider les communes de leur substance, à en faire des coquilles vides sant prérogatives ni budget.
Si nous avons bien compris votre attachement aux institutions que sont les communes et les départements, monsieur le ministre, nous restons interrogatifs sur le futur rôle qui leur sera dévolu, si toutefois, comme de nombreux élus locaux, de droite comme de gauche, le pensent, ces collectivités territoriales ne sont pas vouées à disparaître.
A la lecture des compétences transférées, que ce soit à une communauté d'agglomération ou à une communauté urbaine, la liste des prérogatives restant aux communes devient quasi inexistante.
Si l'on ajoute à ce constat la possibilité offerte par nos collègues députés à ces mêmes communautés de prélever au lieu et place des communes la taxe professionnelle, mais aussi les taxes foncières et la taxe d'habitation - ce que l'on nomme la fiscalité mixte - on voit que les communes se retrouvent complètement démunies.
Certes, elles continuent d'exister, mais leurs compétences seront limitées, demain, à gérer l'état civil !
De deux choses l'une : soit on vise la suppression des communes et des départements, et la transformation des EPCI en véritables institutions ; soit on cherche à donner les moyens aux communes de fournir des réponses plus justes et pertinentes aux besoins des populations. Vous avez compris que nous préférons la seconde solution !
Si ce projet de loi répond au second objectif, il nous semble extrêmement dangereux d'introduire le suffrage universel, même dans les conditions adoptées à l'Assemblée nationale.
Ce mode de désignation répond plus à l'objectif de reconnaître les établissements publics de coopération intercommunale comme des institutions à part entière, alors qu'ils n'exercent des compétences qu'en vertu du principe de subsidiarité, principe selon lequel la souveraineté communale reste entière.
Chers collègues, l'argument de la démocratie est également souvent avancé pour convaincre de l'opportunité d'élire les conseillers communautaires urbains.
Il faut reconnaître que c'est un vrai débat. Mais, une fois que nous aurons permis cette élection au suffrage universel, il s'agira non plus de coopération entre communes mais bien de supra-communalité.
Quel contrôle restera-t-il aux communes sur les choix politiques de la communauté, alors que - je le redis, car cela me semble essentiel - les EPCI n'agissent qu'en vertu de la subsidiarité ?
De plus, on sait les liens importants qui existent entre les citoyens et leur mairie. La mairie n'est-elle pas le lieu de référence le plus proche pour nos concitoyens ?
Il n'est pas besoin de sortir de Polytechnique pour comprendre que plus les lieux de décicion réelle sont proches des habitants, plus ceux-ci sont incités à y exercer leur citoyenneté.
L'élection au suffrage universel direct des conseils de communautés, en éloignant radicalement les instances de décision des lieux où vivent et réfléchissent les gens, ne favorisera évidemment pas le développement de la démocratie directe. Bien au contraire !
Soucieux aussi d'améliorer le fonctionnement démocratique des structures de coopération, nous proposerons, au cours de l'examen des articles, plusieurs amendements qui tendent à démocratiser les EPCI.
A titre d'exemple, nous souhaitons harmoniser le mode de désignation des conseillers. Nous proposons que les membres du comité syndical des syndicats intercommunaux et des syndicats mixtes soient également des membres désignés en leur sein par les assemblées délibérantes des collectivités locales.
Nous proposons que les minorités puissent également être représentées.
La loi permet d'établir des règlements intérieurs, gage de consensus et de respect de l'autonomie communale. Par conséquent, nous insistons sur les notions de majorité, de libre choix, de volontariat et de souveraineté des communes.
Autrement dit - ce sera ma conclusion - l'objectif de notre groupe est bien de contribuer à un développement de l'intercommunalité, que nous considérons comme nécessaire et indispensable pour améliorer les réponses aux besoins de nos concitoyens. Aussi espérons-nous un débat constructif, à la recherche de l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées socialistes. - M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Souvet.
M. Louis Souvet. Le projet de loi que nous sommes amenés à examiner comprend tout un ensemble de mesures, dont certaines, qui figuraient d'ailleurs dans le projet de votre prédécesseur, monsieur le ministre, étaient attendues depuis un certain temps par les élus locaux.
Ce texte a déjà été beaucoup discuté, et j'observe qu'il comporte des dispositions intéressantes, comme la simplification des formes de coopération intercommunale ou la prise en compte et la rationalisation de l'intercommunalité, notamment en milieu rural. Je regrette simplement qu'il fasse l'objet d'une déclaration d'urgence.
Aussi est-ce en adoptant une attitude constructive que je vais vous livrer maintenant quelques réflexions et interrogations.
Je profiterai également de mon expérience de dix ans de présidence de l'un des districts les plus anciens de France, et l'un des plus importants du point de vue de l'étendue de ses compétentes - une trentaine, aujourd'hui - district que vous connaissez bien, monsieur le ministre.
On voudra donc bien me pardonner un propos technique, personnalisé, limité au district que je connais bien et qui concerne principalement l'une des dispositions essentielles du texte, à savoir la création des communautés d'agglomération.
En effet, plus qu'une évolution du paysage intercommunal, cette nouvelle forme annonce un changement profond, notamment par l'extension du nombre des compétences obligatoires dont la communauté d'agglomération sera dotée par rapport aux actuelles communauté de villes et de communes, et par la mise en place d'une taxe professionnelle à taux unique à l'intérieur de son périmètre. Il s'agit, je crois, de l'article 51.
Sur le plan des attributions, le texte qui nous est soumis prévoit quatre compétences obligatoires, plus trois autres à choisir parmi cinq domaines.
Je voudrais souligner ici la difficulté qu'il y a à définir exactement l'étendue, et donc la répartition de ces compétences et la notion d'intérêt communautaire qui s'y attache. A l'heure où une répartition plus nette des attributions entre les différents niveaux de collectivités est plus que souhaitable, ce texte me paraît insuffisamment clair.
Ainsi, que signifie précisément l'intitulé de la compétence optionnelle, ainsi rédigé à l'article 1er, section 4, 5° : « En matière de développement durable : efficacité énergétique et maîtrise des consommations d'énergie » ? J'imagine que cet article fait référence à la future loi sur l'électricité, mais son intitulé laisse supposer que d'autres énergies peuvent être concernées. Cette définition me paraît floue et imprécise, du point de vue de son contenu. Sans concertation avec M. Hoeffel, j'ai d'ailleurs lu dans son excellent rapport qu'il en propose la suppression.
Dans le même esprit, il me paraît nécessaire de définir le troisième domaine de compétence optionnelle par référence à la notion d'« intérêt communautaire », comme c'est le cas pour les autres domaines de compétence énoncés.
Voilà, monsieur le ministre, quelques problèmes posés par ce texte sur la question des compétences.
S'agissant maintenant des dispositions fiscales, le volet le plus important du projet de loi concerne l'adoption obligatoire par la communauté d'agglomération de la taxe professionnelle à taux unique. Cette obligation m'apparaît comme très dirigiste, d'autant que, sans TPU, il n'y a pas de contractualisation possible avec l'Etat.
Que l'impôt généré par la présence des entreprises sur un territoire soit consacré à des dépenses d'aménagement, de développement de celui-ci me paraît cohérent. Aussi y-a-t-il une certaine logique à ce qu'il soit perçu par la communauté d'agglomération.
Que son taux soit unifié au sein d'une même agglomération peut s'expliquer par la volonté de supprimer une certaine forme de concurrence au sein d'une même agglomération. Cela dit, on a repoussé cette concurrence à la périphérie, avec toutes les retombées possibles sur l'activité et les incidences sur les finances locales.
Toutefois, cette TPU peut emporter de graves conséquences.
Tout d'abord, s'agissant du dynamisme des communes, la présence d'entreprises sur le territoire des communes génère parfois - et même souvent - des nuisances de plus en plus mal supportées par les habitants - bruit, pollution, trafic... Celles-ci sont aujourd'hui « compensées » par la taxe professionnelle perçue par la commune et donc par la richesse supplémentaire qu'une implantation d'entreprise apporte avec l'emploi, bien évidemment.
Quel maire, demain, acceptera d'accueillir des entreprises sur sa commune, si la taxe professionnelle est perçue en totalité par l'agglomération ? Les entreprises s'installeront-elles toutes dans des zones d'activité ? Leur présence est nécessaire, dans les villes, car si elles génèrent parfois quelques nuisances, elles créent aussi de la vie, du dynamisme, dans une cité.
Quel dynamisme, précisément, insuffleront les maires des villes moyennes ou importantes qui ne percevront que le produit des impôts des ménages et une dotation de compensation de taxe professionnelle, qui se réduira d'année en année ? S'ils ne sont pas intéressés aux résultats de leurs actions futures, les maires préféreront construire des jardins pulics que d'installer des entreprises. Une dynamique risque de se ralentir.
Par ailleurs, la dotation de compensation de taxe professionnelle versée par le groupement aux communes n'inclut pas la dotation de compensation de l'Etat au titre de la réduction pour embauches et investissement, la REI. Cela se traduira par une perte financière immédiate pour les villes - environ 400 000 francs pour Montbéliard en 1999.
Ce point mérite d'être reconsidéré, ce projet de loi étant en effet fondé sur le principe d'une garantie de ressources - hors transfert de compétences, bien sûr - pour les communes concernées.
Les conséquences se feront sentir également sur les charges des entreprises. L'instauration de la TPU alourdira inévitablement les charges supportées par les entreprises. En effet, les communes sur le territoire desquelles sont implantées bon nombre d'activités économiques sont en général celles qui ont les taux de taxe professionnelle les plus faibles. Leur taux augmentera nécessairement, compte tenu du mécanisme d'unification, quand bien même le Gouvernement a par ailleurs exclu la part salaires de l'assiette de calcul de la taxe professionnelle.
Sur ce point, justement, je voudrais souligner, monsieur le ministre, une contradiction essentielle entre ce projet de loi et la loi de finances pour 1999.
Alors que la taxe professionnelle, impôt local, devient l'instrument du développement local, en particulier celui des agglomérations, et que l'on veut unifier son taux, le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale ont, dans le même temps, à l'occasion du vote de la loi de finances pour 1999, mis en place un dispositif de compensation de la perte de taxe professionnelle issue de l'exclusion de la part salaires.
Mes chers collègues, je voudrais attirer votre attention sur deux effets de cette mesure ; c'est, en tout cas, ainsi que je l'ai comprise.
En premier lieu, elle entraîne une baisse des recettes à venir des collectivités locales, dans la mesure où la dotation de compensation versée par l'Etat sera bloquée sur la base des données 1998 et 1999. Par conséquent, la part salaires dans le calcul de la taxe professionnelle payée par toute entreprise qui s'installera à compter de 1999 ne sera pas compensée par l'Etat. Cela représente, en moyenne nationale, une baisse de 34 % du produit de la taxe professionnelle générée par ces nouvelles entreprises.
En second lieu, cette mesure alourdira la fiscalité locale. Par exemple, dans le district de Montbéliard, un million de francs de produit fiscal provient actuellement pour 72 % de la taxe professionnelle.
Avec la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle, ce même million de francs sera financé demain pour seulement 66,8 % par la taxe professionnelle, soit une perte de 5,2 %. Et encore, sommes-nous à Montbéliard dans un cas de figure où les salaires ne représentent que 22 % des bases de taxe professionnelle, alors que ce pourcentage peut aller jusqu'à 45 % dans certaines agglomérations.
Vous constaterez comme moi l'augmentation nécessaire de la part des impôts des ménages pour aboutir au même produit fiscal, ou alors l'augmentation inévitable du taux de la taxe professionnelle, si celle-ci constitue la recette fiscale unique de l'EPCI.
Enfin, l'intégration progressive de la compensation versée par l'Etat dans la DGF, transforme pour partie cet impôt local en dotation de l'Etat. On peut d'ailleurs redouter qu'à terme ce soit la totalité de la taxe professionnelle qui se transforme en dotation de l'Etat.
Il y a là, à l'évidence, une diminution réelle de l'autonomie locale, une dépendance accrue à l'égard de l'Etat.
Dès lors, il est permis de s'interroger sur l'intérêt de mettre en place cette TPU, si celle-ci devait disparaître à moyen terme.
J'ajoute qu'il me paraîtrait prudent et de bonne gestion, avant toute application, que des simulations en vraie grandeur sur des cas précis soient effectuées. L'EPCI que je préside ferait alors acte de candidature à cet exercice de vérité.
Enfin, et je termine cette intervention sur ce point, ce texte qui nous est soumis accorde une large place au mode de calcul du coefficient d'intégration fiscale. J'y ai relevé une inégalité. Il s'agit, me semble-t-il, de l'article 66.
Il ne me paraît pas normal en effet que l'on exclue du coefficient d'intégration fiscale, le CIF, toutes les dépenses de transfert effectuées par l'EPCI. En effet, un ancien district qui se transforme en communauté d'agglomération va verser au service départemental d'incendie et de secours, le SDIS, une participation importante représentant environ 30 millions de francs dans notre cas, alors qu'une communauté d'agglomération nouvelle pourra en être exonérée. Dans le premiers cas, le CIF sera minoré à cause de la déduction de la dépense de transfert au profit du service départemental d'incendie et de secours. Dans le second cas, il n'y aura pas de minoration.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, les quelques questions ou interrogations qui me paraissent devoir être soulevées, avec celles évidemment qui sont posées par MM. les rapporteurs, avant de prendre position lors du vote de ce projet de loi, projet de loi qui me paraît complexe, touffu ; il gagnerait sans doute à être simplifié pour être plus lisible, notamment pour ce qui concerne les dispositions fiscales qui ont été disséquées dans l'excellent rapport de Michel Mercier, au nom de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale nous intéresse au plus haut point.
Le Sénat, comme vous le savez tous, a pour fonction de représenter les collectivités territoriales, et tout ce qui touche à leur organisation, à leur fonctionnement et à leur financement exige de notre part une attention particulière.
Par votre projet de loi, monsieur le ministre, vous affirmez vouloir renforcer et simplifier la coopération intercommunale. Je vous remercie de cette volonté clairement affichée, que j'approuve totalement, ainsi, je crois, que le Sénat dans son ensemble.
Cependant, nous entendons bien que le texte issu de vos propositions et des travaux de l'Assemblée nationale et du Sénat satisfassent réellement à ces deux idées-forces. mais je nourris quelques inquiétudes sur ce point quant à la forme et au fond.
S'agissant d'abord de la forme, reconnaissez, monsieur le ministre, que le projet de loi que vous nous soumettez est presque illisible, donc incompréhensible, en tout cas pour moi. Sa présentation n'est que renvois en cascade à des articles numérotés de différents codes et lois, par exemple le code général des impôts ou celui des communes. Cela manque singulièrement d'explication de texte !
Permettez-moi, par conséquent, de saluer ici le remarquable travail de traduction qui a été accompli par MM. Daniel Hoeffel et Michel Mercier, par la commission des lois et celle des finances, ainsi que par les administrateurs du Sénat. Ce travail nous a permis de découvrir le contenu du texte.
S'agissant toujours de la forme, le sujet abordé, plus complexe qu'il n'y paraît, aurait mérité de mon point de vue de faire l'objet d'un examen très approfondi, avec débat et échanges parlementaires, dans l'optique du fonctionnement normal de nos institutions. Mais il nous est soumis après déclaration d'urgence par le Gouvernement ; il en va d'ailleurs de même pour le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, qui lui est étroitement lié.
En conséquence, il n'y aura pas de nouvelle lecture, le débat est tronqué, le texte ne pourra pas bénéficier d'un véritable enrichissement par le Parlement. Et vous avez appelé tout à l'heure, monsieur le ministre, les élus à se mobiliser sur ce texte et à apporter leur pleine contribution !
La solidarité intercommunale s'exerce et se vit sur le terrain ; elle a donc de multiples facettes. Je ne suis pas sûr, mais je ne veux faire injure à personne, que chacun d'entre nous, y compris nos collègues éminents spécialistes de cette matière, ait eu le temps nécessaire d'appréhender finement cette complexité dans sa réalité. C'est dommage.
Monsieur le ministre, je ne vois pas ce qui peut justifier cette urgence.
En une lecture, mes chers collègues, nous devrons être parfaits. En une lecture, nous devrons appréhender les effets, tous les effets des dispositions que nous allons adopter, sans droit à rattrapage. Et attention aux effets pervers !
Quand on cherche à corriger les anomalies dans une matière complexe par addition de règles ou contraintes relevant de l'accessoire, oubliant l'essentiel, on prend de grands risques, notamment celui de générer ces effets pervers. De plus, au lieu de simplifier, on complique davantage encore.
Puisque l'on ne peut tout prévoir, je vous invite, mes chers collègues, avec la sagesse coutumière de notre assemblée, à ne voter que des dispositifs simples et souples, en n'oubliant jamais l'essentiel qui est de renforcer et de développer la coopération intercommunale, de simplifier pour éviter les interprétations contradictoires et de mettre un frein - et si c'est possible un terme - au développement de communautés d'aubaine, dont la seule motivation est, si je puis dire, de récupérer des sous facilement.
Je partage votre point de vue, monsieur le ministre, quand vous déclarez que la solidarité territoriale ne peut exister sans mutualisation des ressources ni, bien sûr, sans partage des charges.
Nous devons profiter de ce projet qui, je le répète, affiche des objectifs que j'approuve, pour relancer la décentralisation. Mais la décentralisation doit avoir un corollaire, à savoir la déconcentration : déconcentration des pouvoirs et des moyens vers l'échelon territorial le mieux adapté, ce qui permettrait d'ailleurs à l'Etat de se concentrer ou se recentrer sur ses prérogatives, ses missions régaliennes et stratégiques.
Plus de démocratie locale, plus de solidarité intercommunale, plus de responsabilité qui va de pair avec la liberté, c'est plus d'efficacité et souvent de pertinence dans la gestion territoriale.
Malheureusement, nombre de dispositions du projet de loi initial, comme d'ailleurs du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, vont à l'encontre de votre souci de renforcement de la coopération et de simplification.
Monsieur le ministre, vous avez une solide réputation de pragmatisme et de bon sens. Alors, je reste confiant et je suis convaincu que vous saurez nous écouter, nous entendre et accepter nos propositions de correction.
D'ailleurs, je crois qu'il ne pourrait en être autrement, par cohérence, car un projet de loi est toujours sous-tendu par un projet et une volonté politiques. Or nos corrections vont dans le sens de votre projet, soutiennent votre volonté et répondent à votre propos de tout à l'heure qui réaffirmait que les nouvelles dispositions en faveur des agglomérations ne seraient pas financées au préjudice des communautés rurales. En effet, n'ouvrez pas de guerre urbain-rural.
Je vais maintenant attirer votre attention sur un certain nombre de points qui, entre autres, ne me semblent pas conformes aux objectifs annoncés.
Ainsi, pour renforcer et développer la solidarité intercommunale, il faut inciter les EPCI à développer leur fiscalité propre, en d'autres termes à mutualiser leurs ressources, pour gérer en commun des équipements et des services collectifs, pour concevoir et réaliser des projets de développement de leur territoire.
Une DGF vient accompagner l'effort de péréquation et de mutualisation fiscale ainsi réalisé par référence au fameux CIF, aujourd'hui malmené, de mon point de vue.
La rédaction du projet de loi est un peu confuse et justifie une grande inquiétude quant au mode de calcul du CIF de la part des élus.
Par exemple, les collectivités locales, souvent en EPCI, assuraient la gestion des services d'incendie et de secours, elles en payaient les charges ; aujourd'hui, la loi a organisé la gestion de ces services au niveau départemental ; les SDIS ont été créés, mais rien n'a changé pour les collectivités locales, si ce n'est leur contribution, en constante et forte augmentation. Les collectivités locales continuent à en assumer la charge au travers de la taxe de capitation.
Serait-il juste de sortir ce contingent au SDIS du calcul du CIF, alors même que nous avons là un exemple de mutualisation accompli ? Ou alors transférez à un autre niveau - mais lequel ? - la charge financière des SDIS.
Il en est de même pour les services d'ordures ménagères : collecte, traitement, déchetterie, etc. Conformément à la loi, ce sont les préfets qui on arrêté les schémas départementaux de traitement des ordures ménagères.
Conclusion : les collectivités locales sont dans l'obligation de mettre en oeuvre ces schémas ; communes et EPCI ont fait le constat que, pour satisfaire aux obligations nouvelles et aux lourds investissements qui en découlent, il n'y avait pas d'autres solutions que d'agir ensemble. Quelles que soient les modalités d'organisation de ces services, ce sont encore ces mêmes collectivités, souvent - je le répète - en EPCI, qui continuent à en assumer la responsabilité et la charge financière ; ce sont encore elles qui financent, par la fiscalité communautaire, une taxe spécifique, une redevance ou au travers de leur budget assis sur les quatre taxes. Ne sortez pas les services d'ordures ménagères du calcul du CIF, dès lors que cette compétence est assurée par la communauté de communes.
Sur le SDIS et les ordures ménagères, j'aurais aimé être rassuré.
D'autres exemples démontrent qu'il convient d'être prudent lorsque l'on veut définir l'exercice d'une compétence par le seul examen de telle ou telle imputation budgétaire.
Là, je ne suis pas forcément en plein accord avec un certain nombre de mes collègues.
Prenons l'exemple d'une communauté de communes qui aurait compétence pour assurer le fonctionnement de trois écoles maternelles et de ses services annexes.
Pour l'une d'entre elles, la plus importante, elle dispose de son propre personnel titulaire de la communauté de communes, mais pour les deux autres, elle a passé convention avec les communes sièges de ces écoles - je pense surtout aux communes rurales - qui assurent pour son compte l'entretien - les services de garderie... - avec leur personnel titulaire, tout simplement parce que les communes sièges disposent de personnels titulaires de la fonction publique qui, souvent, sont employés à temps incomplet. Ce service, alors budgété au compte 657, serait sorti du CIF ! La communauté de communes exerce pourtant bien sa responsabilité et sa compétence !
Autre exemple : quand une communauté de communes décide, pour installer son siège, d'acheter un terrain, de construire, c'est une charge directe nette sur son budget qui ne pose pas de problème au niveau du calcul du CIF. En revanche, si, par souci de bonne gestion et d'économie, cette communauté de communes passe un arrangement avec une commune qui dispose de locaux et qu'elle loue ces locaux, l'imputation budgétaire de la location se trouve alors inscrite aux comptes 655 ou 657, qui sont les deux comptes concernés.
Il est tout de même paradoxal de constater que si cette même communauté de communes louait un bâtiment à un tiers privé, cet élément serait pris en compte dans le calcul du CIF. Cette charge ne serait donc pas, au sens des propositions et des orientations qui sont faites, une charge de transfert. Mais si la communauté de communes loue le bâtiment à une collectivité publique, il s'agit d'une charge qui n'est pas intégrée dans le calcul du CIF.
Je pourrais multiplier les exemples. Je tenais seulement à mettre en évidence les effets pervers que j'évoquais tout à l'heure et à démontrer que la solidarité intercommunale ne peut être réduite ni justifiée par simple référence à une nomenclature comptable.
Il y a coopération et solidarité intercommunale authentique dès lors qu'une compétence est prise en charge par le budget d'un EPCI, donc lorsque cette compétence et cette charge font appel à l'équilibre de la fiscalité communautaire, et ce quelles que soient les modalités pratiques de mise en oeuvre.
Dans ce projet de loi, monsieur le ministre, des communes pourraient avoir adhéré à un EPCI à fiscalité propre, partager solidairement les charges, mettre en commun des ressources par une fiscalité communautaire fortement intégrée, satisfaire donc à nos exigences et se trouver malgré tout pénalisées. Ce n'est pas acceptable, parce que c'est contraire à l'objectif recherché.
Permettez-moi de vous faire une proposition. Peut-être est-elle iconoclaste.
Pour être simple et pratique, l'Etat ne pourrait-il pas confier à son représentant dans le département, le préfet, le soin de formuler un avis a priori sur le caractère authentique de l'intégration fiscale ?
Le fait qu'une discussion intervienne entre les collectivités locales et le préfet avant qu'un transfert ne s'opère pour permettre aux préfets, représentants de l'Etat, de vérifier l'authenticité de cette opération éviterait, à mon sens, quelques jolies escroqueries légales. De surcroît, cela rassurerait ceux que je qualifie d'« honnêtes », tout en allant dans le sens de la déconcentration.
D'autres amendements vous sont soumis qui visent à régler des problèmes importants : les seuils et, surtout, leurs effets sur la capacité ou non à créer une communauté d'agglomération, l'éligibilité ou non à la DDR, à la DGE, les écarts trop importants entre les dotations d'agglomération et les dotations « rurales ». Ce sont autant de points qui appellent beaucoup de vigilance de notre part si nous ne voulons pas pénaliser et paralyser en croyant bien faire.
Avant de conclure, monsieur le ministre, j'attire votre attention sur le fait que rien de tout ce que vous pourrez faire, de ce que nous pourrons construire ensemble ne sera viable, s'il n'y a pas de solides fondations, si les communautés aujourd'hui existantes ne sont pas rassurées d'abord, assurées ensuite d'un minimum de sécurité quant à l'évolution de leurs ressources, en premier lieu les dotations de l'Etat.
Cette nuit, monsieur le ministre, je présentais à mon conseil de communauté le budget pour 1999. Nous étions le 31 mars, et la DGF ne nous était toujours pas notifiée !
M. Dominique Braye. C'est pareil pour nous !
M. Yves Fréville. Absolument !
M. Philippe Arnaud. Je vous rappelle que nous avons l'obligation de voter nos budgets au plus tard le 31 mars. Ce n'est pas correct, monsieur le ministre !
Je suis prêt à vous pardonner si vous m'annoncez que ce retard, incompréhensible par ailleurs, serait justifié par une augmentation de la DGF que vos services seraient en train de calculer. Je crains malheureusement qu'il n'en soit autrement. J'ai lu qu'il pourrait être procédé, dans la masse globale, à une baisse de 6 % à 7 %. J'aimerais avoir un éclairage sur ce point.
En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous invite à faire évoluer le texte qui nous est soumis vers plus de souplesse et de prudence, en ayant le souci de ne pas casser la dynamique intercommunale.
Les enjeux sont considérables : seules, isolées, les communes de France sont perdues, elles sont condamnées ; ensemble, elles peuvent se battre, et, pour peu qu'on les accompagne sans croc-en-jambe, elles ont de l'avenir. Et cet avenir, c'est celui de notre territoire ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Saunier.
M. Claude Saunier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en quelques semaines, le Parlement aura examiné une série de projets de loi qui visent à l'adaptation de notre dispositif administratif aux nouvelles réalités économiques et sociales : textes sur la parité, le cumul, le scrutin sénatorial, l'aménagement et le développement durable du territoire, et, en ce moment, le renforcement et la simplification de la coopération intercommunale.
Monsieur le ministre, cette série de textes illustre la volonté du Gouvernement de faire bouger la société française, d'engager un long travail de modernisation. L'heure est venue, en effet, d'ouvrir le chantier de la modernisation de la vie publique.
Au cours des dernières décennies, plusieurs lois ont déjà modifié le paysage administratif. Nous avons tous en mémoire les lois sur la décentralisation en 1982, sur l'intercommunalité en 1992, sur l'aménagement du territoire en 1995. Mais, il faut le reconnaître, l'essentiel du dispositif français repose encore sur un schéma qui date d'environ deux siècles. Or les attentes de la société sont nouvelles, les besoins de l'économie ouverte sur le monde s'expriment. Il est de plus en plus nécessaire de maîtriser l'argent public et d'avoir la capacité de mobiliser les acteurs du développement local sur un projet de développement.
Un cadre nouveau à l'administration territoriale doit être effectivement imaginé, prenant pleinement en compte - et je le dis devant notre assemblée - les 36 000 communes qui constituent non seulement l'exception française, mais aussi la richesse de notre pays.
La démarche qui a été engagée - et le débat en témoigne - n'est pas seulement une démarche technique. C'est une démarche politique.
Tout d'abord, cette démarche oblige à conjuguer la volonté de changement et la capacité de mobilisation. Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, n'aura aucun effet - nous avons des exemples dans l'histoire - s'il n'est pas accepté et soutenu par les élus locaux qui l'appliqueront sur le terrain.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Claude Saunier. Il doit donc répondre à quelques principes pour obtenir leur adhésion. Ces principes, qui figurent dans votre projet de loi, sont le réalisme dans la définition d'une organisation administrative véritablement adaptée aux besoins de la population ; le volontarisme dans l'adaptation des structures à une vision de l'aménagement, cela pour être effectivement en phase avec la vision qui a été exprimée en la matière au Sénat voilà peu et qui consiste à vouloir faire bouger les choses ; la lucidité et le pragmatisme en reconnaissant derrière l'unité historique de notre pays, qui remonte à deux siècles, la très grande diversité des situations régionales héritées de l'histoire, diversité qu'il faut être capable d'appréhender et à laquelle il faut pouvoir répondre.
Ce projet de loi doit également répondre à quelques grands objectifs politiques et sociaux : la clarification des responsabilités entre les différentes structures intercommunales et communales ; le renouvellement de la pratique démocratique - nous sommes dans une société qui n'a rien à voir avec la société d'il y a deux siècles - le renforcement des solidarités dans le cadre des bassins de vie qui utilisent des équipements, les services communs ; enfin, bien sûr, la simplification de l'intercommunalité, dont la complexité alourdit considérablement l'administration locale.
Dans cette première approche, j'organiserai mon propos autour de trois idées de caractère plus politique que technique.
La première - c'est elle qui a inspiré le projet de loi - est la complémentarité nécessaire entre les villes et les campagnes. La deuxième est la reconnaissance de la spécificité urbaine. La troisième est la volonté de renouveler les règles de la démocratie intercommunale.
En ce qui concerne la complémentarité entre les villes et les campagnes, les propos qui ont été tenus depuis le début de l'après-midi montrent que les positions sont moins arrêtées qu'on n'aurait pu l'imaginer. Cette complémentarité est à la fois une réalité et une nécessité.
L'opposition entre villes et campagnes est aujourd'hui totalement infondée. Si 80 % de la population vit dans les zones urbaines, la quasi-totalité des territoires ruraux sont en synergie totale avec les centres urbains. Les agriculteurs eux-mêmes, dans leur vie professionnelle, dans leur vie personnelle, dépendent de la ville et sont tournés vers elle.
Il n'y a pas et il ne doit pas y avoir d'opposition entre le mondre rural et le monde urbain ; il doit y avoir interaction, complémentarité.
Il revient au Sénat d'exprimer la voix des campagnes, qui couvrent 80 % de notre territoire, mais le Sénat doit aussi entendre la voix des villes, qui représentent 80 % de la population.
Soyons précis : il ne s'agit pas de plaider ici pour une croissance sans limite de je ne sais quelle mégapole. Il n'en existe pas en Europe, et encore moins dans notre pays. Mais il faut en effet poser un choix politique, et c'est celui que vous avez fait.
Affirmer la complémentarité des villes et des campagnes, c'est reconnaître la place des villes dans l'organisation de notre territoire, c'est faire un choix politique d'aménagement équilibré du territoire, d'une société fondée sur des principes humanistes. C'est aussi poser le postulat que, au lieu du laisser-faire, une volonté politique oriente le destin de la nation.
Ce projet de loi, on le voit, est loin d'être un simple texte technique. C'est un projet de loi d'inspiration politique très forte.
Nous devons veiller à éviter le double écueil du passéisme et du futurisme.
La place des villes est reconnue dans votre texte, monsieur le ministre. Il est vrai qu'aujourd'hui le fait majeur, c'est l'urbanisation de notre pays.
Le texte qui nous est soumis nous propose de repenser notre dispositif administratif territorial en reconnaissant aux agglomérations la place qu'elles doivent tenir dans le pays.
J'ai déjà exprimé la crainte qu'une opposition stérile ne s'instaure entre la ville et la campagne. Je voudrais rappeler ici la spécificité urbaine, ce que les villes apportent et ont apporté à l'ensemble de notre pays en matière culturelle, économique et sociale, le rôle qu'elles doivent continuer à jouer, rôle de moteur, d'avancée et d'éclairage de l'ensemble du pays.
Je tiens aussi à souligner les difficultés qu'elles rencontrent, et j'évoquerai pour mémoire les charges de centralité et le poids de la lutte contre l'exclusion sociale.
Je rappelle enfin que les grandes politiques, celles qu'exige le pays, celles qu'attend la nation pour régler les problèmes en matière d'environnement et de développement économique, par nature sont et doivent être impulsées par les villes et par les agglomérations.
Dans ce contexte, ce projet de loi tendant à réorganiser l'administration territoriale autour des pôles urbains, non pas contre mais avec les campagnes, va dans le bon sens.
Je dirai d'un mot, monsieur le ministre, parce que le temps m'est compté, que nous aimerions retrouver, dans le fonctionnement de l'appareil d'Etat, le même effort d'adaptation que celui qu'ont consenti les collectivités locales depuis maintenant une bonne quinzaine d'années. Je ne suis pas certain que cette mutation que nous opérons depuis maintenant des décennies ait été réalisée avec autant de force par l'Etat.
Puis-je vous dire, monsieur le ministre - et je sais que vous serez très sensible à cette interrogation - qu'il nous arrive parfois, nous élus locaux, de douter que l'Etat assume pleinement ses missions et son rôle de régulateur républicain. Il y a là un thème de réflexion, auquel on ne peut être indifférent.
Mon dernier thème de réflexion touche à la démocratie intercommunale.
Il s'agit là d'un enjeu politique majeur, voire d'une question de principe.
Le renforcement des responsabilités et de la fiscalité des structures intercommunales pose en effet aujourd'hui - plus encore qu'auparavant - la question de la légitimité des élus intercommunaux, de leur mode de désignation et de la transparence des gestions intercommunales.
Monsieur le ministre, ce projet de loi comporte de réelles avancées à cet égard. Mais, à un moment ou à un autre, et le plus tôt sera le mieux, il faudra aller plus loin et s'engager plus fortement.
Et, puisque l'on a évoqué à plusieurs reprises les grands principes républicains, il me semble bon de rappeler que l'un des grands principes fondateurs de la République voulait que ceux qui lèvent l'impôt détiennent une légitimité issue du suffrage universel.
Voilà les quelques pistes de réflexion que je voulais vous soumettre, monsieur le ministre.
En conclusion, je dirai que ce projet de loi, qui est d'ailleurs, à l'évidence, indissociable du texte sur l'aménagement durable du territoire que nous a présenté Mme Voynet, va dans le bon sens, parce qu'il renforce les solidarités, parce qu'il prend en compte les inégalités territoriales et sociales, parce qu'il reconnaît aux pôles urbains la place qui est la leur, parce qu'il permet à ces pôles urbains, à ces agglomérations de fonctionner avec une plus grande efficacité.
Je le redis encore une fois : l'intercommunalité nous a fait marquer des points au cours de ces dernières années, elle nous a permis de répondre aux attentes de la population et du pays. Il est clair, cependant, qu'elle doit aujourd'hui être renforcée, simplifiée et amendée. C'est ce que vous proposez, monsieur le ministre, et c'est ce qui est attendu.
Les réalités économiques et sociales ont considérablement évolué au cours des dernières années. Les problèmes que nous devons affronter les uns et les autres imposent un renforcement des agglomérations. La réforme est complexe ; elle pose des interrogations légitimes qui s'expriment ici et là, mais elle est indispensable et urgente. Je rappellerai qu'elle a en réalité été mise en chantier voilà maintenant plusieurs années, grâce à la réflexion engagée par M. Perben. Si elle n'est pas poursuivie au cours des prochains mois, elle sera différée de plusieurs années.
Le Sénat peut et doit enrichir le contenu du texte que vous proposez. Il doit aussi permettre la réforme que la nation attend. Je vous engage, monsieur le ministre, peut-être à la différence de mon prédécesseur à cette tribune, à maintenir le cap de la réforme et à tenir bon. Votre gouvernement a été nommé non pour faire du surplace, mais pour faire avancer le pays. Pour cela, vous aurez notre soutien ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale était attendu au Sénat. Notre assemblée, composée d'une majorité d'élus locaux, souhaitait, à la fois, une clarification et une accélération du mouvement de regroupement des collectivités mettant en commun une partie de leurs compétences sans renoncer pour autant à leur souveraineté.
Vous nous proposez un texte très lisible et techniquement intéressant, qui nous paraît susceptible d'enclencher une nouvelle dynamique là où trop de nos collègues manquent d'audace.
D'ailleurs, quel paradoxe ou, plutôt, quel démenti au « politiquement correct » : sur le chemin escarpé de la solidarité intercommunale, ce sont nos villages et nos villes petites et moyennes qui sont le plus en avance ! La grande agglomération est souvent frileuse, d'où votre projet de loi. Où est le traditionnalisme ? Ou est la modernisation dans ce cas ?
Si l'on voulait bien sortir des clichés et renoncer aux arguments commodes, on admettrait que, quelque part, hors des centres-villes qui se vident et des quartiers urbains en crise, se cherche une nouvelle civilisation, synthèse de modes de vie urbains et d'un cadre de vie préservé, proche de la nature, lieu où cesse l'anonymat. C'est en tout cas ce que plébiscitent nos concitoyens quand ils le peuvent comme le montrera le recensement en cours.
Mais, justement, la ville fait souvent peur, et la coopération avec les communes limitrophes marque le pas. Il faudrait d'ailleurs, à ce sujet, que certains des élus de nos grandes villes acceptent d'entamer leur examen de conscience.
C'est pour remédier à cette situation que vous nous proposez l'innovation majeure que représente la communauté d'agglomération, et c'est sur elle que je voudrais m'arrêter.
Votre démarche, que j'approuve, cherche à concilier deux attentes de la nation.
Vous voulez, en premier lieu, relancer le mouvement de regroupement entre communes d'une agglomération urbaine et, pour cela, vous utilisez deux leviers : l'incitation fiscale et les dispositifs législatifs capables de forcer le destin, c'est-à-dire les calculs égoïstes - cela existe - ou tout simplement la peur de l'inconnu. Mais ce faisant, et c'est là qu'est le problème, vous vous heurtez au principe fondamental de la libre administration des collectivités territoriales. Dure contradiction !
Je voudrais vous suivre jusqu'au bout, car l'objectif est juste, mais, monsieur le ministre, je discute une partie de vos moyens. Par exemple, comment admettre que l'incitation financière engendre une telle disparité entre les citoyens ? La DGF par habitant serait de 150 francs pour un membre d'une communauté de communes et de 250 francs pour un membre d'une communauté d'agglomération. Cette inégalité est excessive au regard des besoins et des efforts consentis par le milieu rural et les petites villes pour intégrer une population trop souvent en déshérence et issue, justement, de la ville voisine. N'en doutez pas, si le Gouvernement ne fait pas un geste pour combler l'écart, se posera un problème politique.
La deuxième source de litige est encore plus sérieuse ; je vais m'y arrêter plus longuement.
Nous nous sommes battus, vous et moi, monsieur le ministre, contre toutes les tentatives de fusion autoritaire de communes dans les années soixante-dix. Plus près de nous, je me suis souvent reproché, à propos de la loi de 1992, non pas d'avoir soutenu le principe des communautés de communes, mais d'en avoir accepté une modalité, celle de la date butoir d'août 1993, qui avait pour objectif de forcer la main aux conseils municipaux récalcitrants.
Or, si je vous ai bien lu, de plusieurs façons au moins, vous cherchez à échapper à la règle d'or du volontariat pour les communes.
Je peux admettre le droit d'initiative du préfet, mais pas son pouvoir discrétionnaire révolu depuis les lois Defferre. Je peux comprendre, à l'extrême rigueur, que l'on soumette à des conditions plus strictes la dissolution de ces établissements de coopération, encore qu'il vaille mieux prévoir un divorce quand le mariage tourne mal, mais trois dispositifs me paraissent injustifiables au regard du suffrage universel qu'incarnent les municipalités.
Comment accepter, par exemple, qu'une commune puisse adhérer par défaut, par consentement tacite, si, dans un délai de trois mois, elle n'a pas délibéré ? Il est contraire aux lois de décentralisation qu'une population puisse se retrouver incluse dans une structure intercommunale levant l'impôt sans que son conseil municipal se soit prononcé.
Enfin, et surtout, ne commettons pas l'erreur de vouloir contraindre à l'adhésion une commune sous prétexte de continuité territoriale, à partir d'un habillage apparemment démocratique. Le vote positif des deux tiers des conseils municipaux avoisinant ou représentant plus de la moitié de la population totale du périmètre préalablement déterminé par le préfet, aux termes de l'article 21, le permettrait.
Mais il y a plus étonnant encore : selon un amendement de l'Assemblée nationale, le représentant de l'Etat pourrait, à sa discrétion, inclure une commune non consentante à l'occasion de la transformation d'un EPCI existant. Cette procédure dérogatoire contredit formellement les lois de décentralisation.
Je vois bien l'argument : il s'agit, ici, de briser une rente de situation liée à des revenus exceptionnels en taxe professionnelle et, là, de surmonter les mauvaises relations entre communes voisines, parfois l'antagonisme politique des élus. Il s'agit d'accélérer l'allure et de ne pas laisser de trou dans la carte des futures communautés d'agglomération. Mais, monsieur le ministre, cela ne peut se faire en contraignant le suffrage universel.
Voilà, monsieur le ministre, ce que je tenais à dire dans le peu de temps qui m'est imparti, et je vous prie d'excuser le schématisme de mon propos. Je souhaite que nos échanges permettent de lever mes craintes et mes objections. Sur le dernier point, le respect de la libre administration des communes, on touche aux principes et donc à l'essentiel. Si le désaccord persistait au fil des votes, je sais que vous comprendriez ma position, car - et toute votre vie publique en est l'illustration - sur les principes, on ne transige pas ! (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Braye applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention aura surtout trait à la question du financement de l'intercommunalité qui ne peut, de l'avis des élus communistes - et je pense à d'autres élus également - être complètement dissociée des difficultés financières des collectivités locales.
Face à ces difficultés, les élus locaux ont déployé des efforts importants en vue d'équilibrer leurs budgets. Ils ont réduit leurs dettes, introduit plus de rigueur dans leur gestion, recherché dans la coopération la mise en commun de moyens, afin d'accroître l'efficacité de leur action, et cela à la ville comme à la campagne.
Le manque de moyens des collectivités locales s'est, dans le même temps, révélé de plus en plus criant, du fait de l'application des dispositions adoptées sous le gouvernement Juppé.
Le pacte de stabilité, qui en est un triste exemple, s'est traduit pour les collectivités par un manque à gagner de quelque 14 milliards de francs sur trois ans.
Et les maires, dans le silence ou dans le bruit, ne supportent plus d'entendre dire qu'ils ont des moyens suffisants pour gérer leur commune.
Bien sûr, cela ne s'adresse pas à vous, monsieur le ministre. Je vise celles et ceux qui prétendent que tout va bien dans les collectivités et que, pour améliorer leur sort, il faudrait simplement faire en sorte qu'elles s'associent.
Le problème est, bien sûr, plus complexe. Il faut des moyens, il faut des pouvoirs.
Les élus locaux constatent en outre qu'une part croissante de leurs recettes provient des dotations. Les finances locales sont ainsi un peu plus dépendantes des décisions prises par les gouvernements.
Cela étant, il faut le reconnaître, la mise en place du pacte de solidarité et de croissance est un premier pas. Les élus communistes, ainsi que de nombreux élus locaux et l'Association des maires de France, considèrent toutefois qu'il serait légitime de faire bénéficier les collectivités territoriales des fruits de la croissance à hauteur de 50 %.
L'augmentation, cette année, de l'enveloppe consacrée à la dotation de solidarité urbaine dénote aussi la volonté du Gouvernement d'amplifier la redistribution des richesses entre les collectivités.
Construire une véritable intercommunalité doit se faire à partir de la commune, et surtout avec des collectivités plus fortes, des collectivités reconnues, des collectivités disposant de pouvoirs accrus.
L'objectif premier visé à travers le projet de loi que nous examinons est l'élargissement de la solidarité et de la péréquation, grâce à la mise en place quasi systématique de la taxe professionnelle unique.
L'instauration d'une taxe professionnelle unique au sein d'une communauté crée effectivement un espace de solidarité qui contribue à une redistribution des richesses.
Mais quel sera le taux de la taxe professionnelle qui rejoindra l'autre ?
Reconnaissez-le, monsieur le ministre, tant que des moyens nouveaux ne seront pas dégagés en faveur des collectivités territoriales, celles-ci se partageront les difficultés financières.
Certes, le Gouvernement s'est engagé à contribuer, à hauteur de 500 millions de francs pendant cinq ans, au développement de l'intercommunalité. C'est bien, mais chacun sait que cela est insuffisant. Selon les prévisions ministérielles, semble-t-il, près de 15 millions d'habitants seraient concernés. Il est clair, dans ces conditions, que la dotation de l'Etat sera insuffisante.
Il manque plus de 1,2 milliard de francs, qui seront prélevés, selon l'article 66 du projet de loi, dans la dotation de compensation de la taxe professionnelle. Or cette dotation sert déjà de variable d'ajustement et ses fonds sont complètement déconnectés de la réalité. Une telle mesure ne pourrait que contribuer à diminuer encore un peu plus les budgets locaux.
Qu'en sera-t-il, par ailleurs, du financement de cette dotation spéciale après 2004 ? Selon nous, 250 francs ne représentent pas un financement « pérennisable ».
Le projet de loi prévoit des mécanismes de péréquation, notamment aux articles 57 et 58, qui traitent du fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France.
La déliaison des taux, que nous exigeons inlassablement depuis plusieurs années, reçoit un début d'application. Nous proposerons de rendre cette déliaison encore un peu plus pertinente et plus efficace.
Vous le savez, au-delà des élus communistes, cette revendication est aujourd'hui partagée par l'AMF.
Ce texte aurait pu, à notre sens, être un peu plus ambitieux en ce qui concerne le rééquilibrage des ressources entre collectivités.
Réduire les inégalités de ressources entre les communes suppose de revoir les modalités de la péréquation. En 1995, 2,5 milliards de francs ont été redistribués au titre de la péréquation départementale, et je tiens à souligner le rôle important joué par les départements en la matière. Par ailleurs, 3,3 milliards de francs ont été redistribués au titre de la péréquation nationale, soit moins de 4 % du produit de la taxe.
Revoir les modalités de redistribution des richesses pourrait, par exemple, consister à relever le plancher de la valeur ajoutée, le produit de la cotisation minimale devant impérativement abonder le Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle, ce qui n'est malheureusement pas le cas aujourd'hui.
Améliorer les mécanismes de solidarité ne saurait suffire à résoudre les difficultés financières des collectivités.
C'est pourquoi nous proposons d'inclure les actifs financiers dans l'assiette de la taxe professionnelle. Cette proposition répond au souci de nombre d'entre nous, ainsi qu'au constat fait par notre collègue M. Delevoye, président de l'Association des maires de France, quant à la sous-fiscalisation de la richesse financière. Taxer les actifs financiers décelables dans le bilan des entreprises à hauteur de 0,30 % rapporterait 88 milliards de francs.
En 1997, je le rappelle, l'ensemble des actifs représentait plus de 29 000 milliards de francs.
Nous proposons là de suivre une voie originale, car nous sommes pour l'intercommunalisation mais aussi pour le développement de la démocratie locale et de l'autorité locale.
Il s'agit, selon nous, de « nourrir » la taxe professionnelle, car il faut des moyens, des ressources nouvelles pour lutter pour le social et contre la ségrégation urbaine, comme vous le dites justement, monsieur le ministre.
Ce projet doit donc être assorti de moyens financiers : c'est la condition d'une véritable intercommunalité, et ce sera le sens de beaucoup de nos amendements.
Après mon ami Robert Bret, je voudrais à mon tour m'arrêter quelques instants sur la possibilité offerte par les députés à la quasi-totalité des établissements de coopération intercommunale de prélever également les impôts locaux sur les ménages en lieu et place des communes.
Autoriser la fiscalité mixte constitue, à nos yeux, une dérive dangereuse, pernicieuse, qui risque d'alourdir encore les impôts pesant sur les ménages.
Par ailleurs, il nous semble extrêmement dangereux pour la démocratie locale et l'autonomie communale de permettre à une communauté déjà constituée d'effectuer le passage à la taxe professionnelle unique et, a fortiori, à la fiscalité mixte sans même consulter les communes membres.
Nous vous proposerons que d'aussi importantes décisions ne puissent être prises sans l'accord des conseils municipaux des communes membres.
L'Assemblée nationale a également introduit une mesure qui entame encore plus gravement la liberté des collectivités, en rendant le passage à la taxe professionnelle unique automatique par tacite acceptation. Nous nous opposerons évidemment à cette transgression de la démocratie.
Ce texte, qui a vocation à mutualiser les moyens des communes par la constitution de communautés de communes, n'assure pas, en l'état, une mobilisation efficace des acteurs sociaux et économiques en vue d'une vraie coopération intercommunale de projet, enrayant la crise urbaine, contribuant à une résorption efficace du chômage et de la précarité.
Comme vous, monsieur le ministre, nous souhaitons redonner du souffle à la décentralisation, comme vous, nous voulons servir le progrès social et les valeurs républicaines. Cette volonté fonde les amendements que nous défendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le renforcement de la coopération intercommunale, dont nous débattons aujourd'hui, est certainement la voie de la raison, celle qui, dans un pays riche du nombre de ses collectivités, de l'engagement de ses élus, conduira à s'adapter à la civilisation urbaine et à la dimension européenne.
Je salue votre projet de loi et vos initiatives, monsieur le ministre, et je les approuve.
Vos propositions rationnalisent l'intercommunalité, la clarifient, la fortifient et revêtent donc une importance particulière. En tout cas, ce projet de loi s'inscrit dans la voie de la décentralisation ouverte dès 1982.
Certes, l'examen de ce texte nous confronte aussi et encore à la fameuse « exception française ».
La première spécificité de cette exception française est l'émiettement communal. Lorsque l'Europe comptait douze pays membres, nous avions, à nous seuls, plus de communes que les onze autres pays réunis. Dans l'Europe des Quinze, nous représentons encore près de la moitié de l'effectif communal de nos quatorze partenaires.
Au moment où l'Europe se fait - et elle se fera ! - on ne peut continuer à reproduire cette situation, qui appelle indiscutablement des solutions.
Seconde spécificité de l'exception française : la trop lente application de la nécessaire réforme du regroupement. Si plus de la moitié de nos communes sont aujourd'hui associées au sein de structures intercommunales, et si nous sommes 31 millions à vivre dans ces structures, force nous est d'admettre l'échec relatif des tentatives effectuées dans le passé.
Alors que bien des pays voisins du nôtre ont réussi à fusionner leurs communes, un tel mouvement ne s'est pas imposé en France, loin de là.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Sauf à Lille !
M. Pierre Mauroy. Je suis à peu près le seul à avoir tenté cette opération, il y a fort longtemps. J'en reste partisan et, parce que je m'apprête à en réaliser une autre, on prétend que cela soulève des problèmes au regard de la démocratie !
Je rappellerai l'échec de la loi Marcellin qui, en 1971, a instauré un cadre juridique propre aux fusions de communes, ainsi que le modeste résultat de la loi de 1966 créant des communautés urbaines, puisqu'il n'en existe pas plus de douze trente ans après - je dis bien : douze en trente ans ! - et encore le mouvement s'est-il accéléré dans les dernières années. Quant au bilan de la loi ATR de 1992, il est bien contrasté dans la mesure où les communautés de communes se sont bien développées, alors que seulement cinq communautés de villes ont vu le jour.
La décentralisation ne peut se satisfaire ni de cette atomisation encore trop grande ni des graves déséquilibres qui ne permettent pas d'assurer au mieux la complémentarité indispensable entre zones rurales et zones urbaines. Elle suppose une cohérence institutionnelle qu'il faut renforcer, sur des territoires évidemment pertinents.
Intervenant parmi d'autres collègues socialistes, je limite mon propos aux communautés urbaines.
Structures imposées à l'origine, et dans des conditions plus autoritaires que démocratiques - mais, au fond, la bonne direction était prise, je le reconnais, même si, j'y étais au départ hostile - avec bien d'autres, elles furent, en 1966, qualifiées de « monstrueux regroupements » qui allaient étouffer les communes.
Reconquises par les élus à la faveur de la décentralisation, elles constituent aujourd'hui un modèle, en tout cas le modèle le plus élaboré, d'organisation intercommunale.
Elles apportent la réponse adaptée à la nécessité de doter notre pays de grandes villes à vocation internationale et aussi d'agglomérations plus modestes à forte dynamique régionale.
Elles seront désormais réservées à des ensembles de 500 000 habitants. Ce seuil valide un objectif, que je fais mien, celui de structurer la France autour de grandes métropoles comparables à celles qui se développent sur tous les continents.
M. Jacques Peyrat. Bien sûr !
M. Pierre Mauroy. Avec, toutefois, un correctif : nous sommes loin, en France, des vastes ensembles urbains, regroupant des millions et des millions d'habitants. Nous restons à l'échelon français et européen.
Rien ne justifie donc que l'on s'alarme, bien au contraire, car il est clair qu'aucune région ne pourra se développer valablement sans une capitale suffisamment forte.
M. Jacques Peyrat. Voilà !
M. Pierre Mauroy. Entre l'ambition qui serait démesurée de vouloir grand, trop grand, et le sentiment parfois pusillanime, mais bien français, quand on touche à ces problèmes, de préférer petit, toujours trop petit - on parle de sa petite maison ou de son petit jardin - il existe un équilibre qui est bien dans la nature de la France et qui doit se retrouver impérativement dans l'aménagement du territoire.
Les communautés urbaines ont en commun de s'être imposées à la fois comme relais des collectivités de base et comme partenaires actifs des pouvoirs publics, notamment en matière de grands équipements.
S'agissant de l'élargissement des compétences, monsieur le ministre, l'Assemblée nationale a souhaité pour les communautés urbaines existantes un dispositif très incitatif. La taxe professionnelle unique, couplée à l'extension des compétences, devient la règle sauf si une majorité qualifiée s'y oppose dans un délai de six mois. Par ce « renversement de la charge de la preuve », les députés ont en quelque sorte ajouté le volontarisme à la volonté. En matière d'organisation administrative, il faut de la volonté et sans doute encore plus de volontarisme.
Vous avez suivi les députés, monsieur le ministre. Je partage ce souci de permettre aux structures qui ont été les pionnières du mouvement de l'intercommunalité de rester au coeur de cette dynamique. Je formulerai cependant quelques remarques.
La première est dictée par le souci d'éviter une précipitation qui n'apporterait rien. Elle porte sur l'allongement de six mois à un an après la promulgation de la loi du délai pour choisir le nouveau système. Ce délai d'un an me semble raisonnable.
La seconde remarque procède de la préoccupation de ne pas se montrer trop rigide, de laisser de la respiration dans la coopération et de la souplesse dans les transferts de compétence.
S'il est clair que nous voulons l'intercommunalité, il est tout aussi certain que celle-ci doit se faire avec nos communes et dans le respect de leur identité. Par expérience, je peux ajouter que vouloir en faire trop ou vouloir trop contraindre les communes nuit au développement d'un esprit communautaire qui est absolument indispensable au rayonnement de l'intercommunalité.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Pierre Mauroy. D'une manière plus générale, je crois qu'il est essentiel d'introduire dans ce texte la notion de compétence partagée, pour faciliter une articulation harmonieuse entre l'intérêt communautaire - je parle toujours des communautés urbaines - et la subsidiarité des communes.
J'entends toujours dire que les compétences ne sont pas respectées, mais on ne peut pas le faire. Aucun gouvernement ne pourra les faire respecter de manière absolue parce qu'elles ne sont pas dans la nature des choses.
Je prendrai l'exemple des équipements culturels. Leur coût élevé justifie une prise en charge communautaire, d'ailleurs réclamée par les maires, mais je ne crois pas opportun de déposséder les villes de leur rôle d'animation en ce domaine. Par conséquent, il est absolument indispensable que cette compétence reste dévolue aux villes, mais il convient aussi de procéder à quelques aménagements en faveur des communautés urbaines.
La culture est une part de l'âme des villes et les établissements communautaires ne sont pas encore touchés par la grâce ! Cela viendra peut-être, mais ce n'est pas encore le cas. Je proposerai donc une possibilité de conventionnement entre les communes et les communautés urbaines dans les cas d'équipements complexes où se retrouvent liées des fonctions d'agglomération et des fonctions de proximité.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Nous ne sommes pas compétents en matière d'enseignement supérieur, et pourtant nous avons, à Lille, alimenté un fonds de concours communautaire et, par le jeu d'une convention, nous avons aidé les villes à accroître le nombre de leurs étudiants. Nous avions un tel retard en ce domaine que nous étions montrés du doigt. Le Nord - Pas-de-Calais était la région française qui comptait le moins d'étudiants. Mais en dix ans, nous avons véritablement accompli des progrès considérables, et la communauté urbaine, qui n'était pas compétente, a trouvé le moyen, par le biais de ce fonds de concours, d'apporter une contribution décisive qui a été appréciée par tous. Comment voudriez-vous que je fasse autrement ?
Lille a été retenue comme capitale européenne de la culture. C'est très bien, et elle va sans doute rester pionnère de cette opération, mais si la communauté urbaine ne l'appuie pas en matière d'équipements culturels, il ne se passera rien du tout. Par conséquent, le bon sens veut qu'on aille vers un partage en la matière.
Nous devrions pouvoir agir de même dans le domaine culturel, mais aussi sportif ou en matière d'équipements de réseau, quand il existe un intérêt communautaire et que la décision en est prise à la majorité qualifiée. Peut-on compter sur une initiative de votre part en ce domaine, monsieur le ministre ? Ce serait essentiel.
Par ailleurs, la question de l'élection au suffrage universel des délégués communautaires a été posée. Elle est sans doute prématurée. Les responsabilités assumées par les communautés urbaines en termes de compétences et de budgets justifient pourtant cette interrogation sur une démarche de légitimation.
L'Assemblée nationale a voté un dispositif de distinction des futurs délégués sur les listes municipales des communes de plus de 3 500 habitants.
J'approuve un tel système, qui aura l'avantage de renforcer l'identité des communautés urbaines sans mettre en cause celle des communes. Il marque un progrès important et ouvre la voie à de nouvelles avancées qui, un jour, deviendront inéluctables. Sur ce plan-là, il ne faut jamais prendre le pari d'être en retard ; il faut toujours, au contraire, prendre celui d'être en avance !
Monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous soumettez ouvre une étape nouvelle de la décentralisation mais, surtout, une étape nécessaire parce qu'elle est fondée sur la double exigence de modernisation de nos collectivités et de prise en compte de l'avenir de nos territoires. Je vous en remercie.
Le renforcement et la simplification de la coopération intercommunale ont sans doute besoin de beaucoup de sagesse - et vous en trouverez beaucoup dans cette assemblée - mais aussi d'audace. Nous sommes trop en retard par rapport aux autres Etats ; nous sommes trop en retard par rapport à la nécessité dans laquelle se trouve la France de se moderniser, d'aller plus haut, d'aller plus loin. A nous de faire en sorte que, enfin, elle se donne une réforme administrative de son territoire à la hauteur de ses ambitions et des aspirations de sa population ! (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RPR. - M. le rapporteur pour avis applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Peyrat.
M. Jacques Peyrat. Monsieur le ministre, l'intercommunalité est mon combat permanent dans le pays azuréen, et je dois dire que j'ai écouté avec ravissement mon prédécesseur à la tribune, notre collègue Pierre Mauroy. Il est du Nord, je suis du Sud ; il a une communauté urbaine, je n'en ai pas encore ; il est la rose, je suis le réséda. (Sourires.) Et pourtant nous avons sur cette question des sentiments assez semblables.
L'intercommunalité prolonge et amplifie l'oeuvre de la décentralisation tout en étant inséparable de l'idée de responsabilité. Elle favorise des économies d'échelle et permet, monsieur le ministre, de répondre à l'évolution curieuse de notre société qui a vu le citoyen réclamer et obtenir de nouveaux droits, le contribuable avoir de nouvelles exigences et l'usager de nouveaux besoins.
Elle est aussi un progrès et non un recul pour la liberté communale, car, au fond, que signifie être libre aujourd'hui si ce n'est détenir à la fois le savoir, c'est-à-dire la compétence technique et juridique, mais aussi le pouvoir, c'est-à-dire les moyens de financement ?
Or, nous sommes dans une société où les petites communes se trouvent complètement démunies face à cette complexité technique. Elles sont obligées de s'en remettre parfois aux services de l'équipement, donc à l'Etat, pis à certains groupes privés qui géreront leurs affaires, qu'il s'agisse de l'eau, des déchets ou de la voirie.
Voilà ce qu'apporte l'intercommunalité en termes d'avantages. En renforçant la coopération entre les communes, votre projet de loi, monsieur le ministre, est donc une bonne chose tant il est vrai que les formes successives qui se sont empilées les unes sur les autres n'ont fait qu'accroître la complexité du système. Mais est-ce vraiment simplifier que de créer dans le même temps, par l'intermédiaire de votre collègue Dominique Voynet, la notion de pays, ce qui ajoute dès lors une structure supplémentaire ?
Votre texte semble malheureusement s'arrêter au milieu du gué.
S'agissant de la prétendue simplification des niveaux administratifs, vous ne pouvez doter les nouvelles communautés d'agglomération de compétences importantes sans poser clairement le problème du nombre et de l'empilement des niveaux de décentralisation.
Si tout ce que vous proposez est adopté, pouvez-vous nous expliquer à quoi servira, demain, un conseiller général dans une grande agglomération qui, de surcroît, aurait la possibilité de contractualiser avec l'Etat ?
Avez-vous raison, par ailleurs, monsieur le ministre, de limiter la possibilité - et là, je suis intéressé - de créer de nouvelles communautés urbaines, certes pour des raisons financières ?
Votre projet de loi visait, à l'origine, l'organisation urbaine qui a été abandonnée au bénéfice du renforcement et de la simplification de la coopération intercommunale, et je le regrette.
Le sénateur, mieux que tout autre, est le défenseur de la commune, mais le maire d'une grande agglomération comprend mieux que tout autre aussi la nécessité d'une intercommunalité à base d'organisation urbaine qu'il assume, d'ailleurs, dans sa plénitude.
Le développement inéluctable des grandes agglomérations amène à devoir les structurer. Les actions de développement économique, les programmes locaux d'habitat, la voirie et la communication, les plans d'occupation des sols, les équipements portuaires et aéroportuaires exigent inévitablement des concertations avec les partenaires de leurs abords, banlieues et communes limitrophes.
Or, on se trouve confronté à deux difficultés.
La première tient à la crainte qu'inspire la grande agglomération aux communes limitrophes de plus petite taille. Cette crainte est parfois de nature politique mais c'est, le plus souvent, celle d'être dévorée et de voir disparaître son indépendance, sa liberté de choix, bref, sa liberté.
En face, cependant, la ville, l'agglomération urbaine, ne sait pas comment équilibrer ses charges de « centralité » écrasantes pour entretenir des structures communautaires lourdes dont les petites communes ont pris l'habitude de bénéficier sans aucune contrepartie.
La seconde difficulté réside dans le fait que ces communes préfèrent des regroupements au sein de réseaux d'amitié ou d'habitudes générées par le travail, souvent autour d'un chef-lieu de canton, et créent désormais des communautés de communes.
Si, de plus, la DGF leur offre des moyens nouveaux par une subvention de 150 francs par habitant, que certains, dont notre rapporteur, veulent voir porter à 175 francs, je crains que le mouvement de repli en syndicat de communes ne soit aggravé.
Certes, votre projet de loi donne au préfet, garant de l'intérêt général, des pouvoirs non négligeables. Mais quelle est l'étendue réelle de son pouvoir en ce domaine ?
Dans le même ordre d'idées, quelle sera l'étendue de son pouvoir de persuasion pour que le périmètre qu'il aura tracé, et qui correspondra à l'aire urbaine, soit adopté par tous ? C'est une question essentielle dont dépend la réussite de votre projet de loi.
C'est d'ailleurs parce que vous doutiez de la volonté réelle de nombreuses communes d'avancer sur ce chemin de la coopération intercommunale que vous aviez prévu au départ, et de façon autoritaire, la création dans la loi de sept nouvelles communautés d'agglomération.
Vous n'avez pas voulu aller jusque-là. Vous avez choisi d'être incitatif plutôt qu'autoritaire et sans doute avez-vous eu raison. Mais il nous faudra expliquer, combattre la frilosité des maires des petites communes craintifs à l'égard des « grosses pointures » et jaloux de conserver leur liberté communale.
En effet, je doute que les communes, qui ont jusqu'à présent refusé de s'engager sur la voie de la coopération par le biais de communauté urbaine et désormais de communauté d'agglomération, y viennent facilement, et ce malgré les incitations financières supplémentaires que vous leur promettez.
Je crains, dès lors, que, malgré toutes les bonnes intentions, ce nouveau projet de loi ne soit finalement qu'un projet de plus sur l'intercommunalité. Et si tel était le cas, je le regretterais profondément, car vous avez eu le grand mérite de proposer des solutions originales sous-tendues par une volonté qui était espérée. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, conformément à la décision prise par la conférence des présidents, nous allons maintenant interrompre la discussion du projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale. Elle sera reprise le mardi 6 avril.

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NOMINATION DE MEMBRES
D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière.
La liste des candidats établie par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale a été affichée conformément à l'article 12 du règlement.
Je n'ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Jacques Larché, Lucien Lanier, Patrice Gélard, Daniel Hoeffel, Paul Girod, Jacques Mahéas et Robert Bret.
Suppléants : MM. Guy Allouche, Robert Badinter, Guy Cabanel, Jean-Patrick Courtois, Pierre Jarlier, Charles Jolibois et Jean-Pierre Schosteck.

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POLICES MUNICIPALES

Adoption des conclusions
d'une commission mixte paritaire

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 265, 1998-1999) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux polices municipales.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il m'est agréable de rendre compte des travaux de la commission mixte paritaire. Celle-ci, en effet, a abouti à un accord. Il convient de saluer l'effort accompli par les deux chambres du Parlement et par la commission mixte paritaire pour parvenir à un texte qui règle le statut des policiers municipaux.
Ce texte aurait pu, dès le départ, être soumis à une double tentative, les uns souhaitant privilégier l'aspect sécuritaire et les autres priver les collectivités territoriales de certains pouvoirs. Nous avons été animés par un souci d'efficacité et de recherche de l'équilibre.
En réalité, quelques points de désaccord très profonds subsistaient, treize articles ayant été votés conformes. Ces divergences concernaient la convention de coordination, le double agrément des agents et le statut social. Il faut souligner qu'un rapprochement important était déjà intervenu entre les deux assemblées sur le point le plus médiatisé, à savoir le principe de l'armement des policiers, sur lequel un accord complet a été trouvé en commission mixte paritaire, notamment pour tenir compte de la nécessité d'harmonisation des catégories d'armes avec la réglementation européenne.
La commission mixte paritaire a supprimé la possibilité pour le préfet, en l'absence d'accord avec le maire, d'établir seul un règlement de coordination, ce qui, aux yeux des collectivités locales, paraissait totalement inacceptable. Elle a ainsi eu la sagesse de retenir une solution équilibrée, tenant compte de la réalité du terrain. En effet, la coordination est actuellement effectuée dans de bonnes conditions dans toutes les collectivités locales qui ont à leur disposition une police municipale. Mais, en l'absence de convention de coordination, la police municipale ne pourrait pas être armée, et ne pourrait pas intervenir la nuit entre vingt-trois heures et six heures. Il y a donc une forte incitation à parvenir à un accord sur cette convention de coordination.
Les représentants de l'Assemblée nationale ayant accepté la proposition des représentants du Sénat, nous sommes parvenus à un accord sur ce point essentiel. Ainsi, une convention de coordination sera conclue entre le représentant de l'Etat et le maire.
Compte tenu de cette concession, les représentants du Sénat ont accepté le principe du double agrément des agents, par le préfet et le procureur de la République. Nous avions émis quelques réserves sur la nécessité de l'agrément par le préfet, qui nous avait semblé à la fois inutile et contraire aux lois de décentralisation. Dans un souci d'équilibre, nous avons accepté cette proposition.
Nous avons clairement affirmé le principe de l'armement et, à cet égard, nous sommes parvenus à un accord.
Nous nous sommes accordés aussi sur le principe d'une identification commune pour les forces de l'ordre. Nous avons pris acte, monsieur le ministre, de la réponse que vous aviez faite à notre collègue M. Peyrat, dans cette assemblée même, et aux termes de laquelle la couleur bleue, qui est le signe de l'autorité, pourrait être retenue pour les uniformes. C'est un point très important, qui nous a permis de donner notre accord sur le principe.
Un grand débat a eu lieu sur le délai d'agrément des agents. En effet, les élus sont très inquiets. Ils craignent de devoir supporter inutilement la charge de la formation d'agents qui ne recevraient pas l'agrément du préfet ou du procureur de la République.
Nous n'avons pas pu obtenir d'accord sur une délivrance tacite de l'agrément, passé un certain délai, mais, monsieur le ministre, nous sollicitons de votre part des instructions très fermes pour que les représentants de l'Etat délivrent les agréments dans des délais raisonnables.
M. Jean-Paul Amoudry a rappelé la nécessité de résoudre le problème des communes touristiques. C'est un sujet important. Il s'agit, notamment, de donner la possibilité d'agréer temporairement des agents pour tenter de répondre à de très fortes augmentations de population.
S'agissant de la formation continue obligatoire, nous avions prévu le versement d'une redevance pour prestations de services au Centre national de la fonction publique territoriale par les communes concernées. L'Assemblée nationale souhaitait que ce financement revienne au CNFPT. Nous sommes parvenus à un accord sur la rédaction du Sénat.
Ainsi l'esprit du texte est, me semble-t-il, respecté : en contrepartie des pouvoirs plus importants octroyés aux policiers municipaux par l'Etat, un équilibre a été recherché entre les collectivités territoriales et les préfets. Dès lors, les policiers municipaux ont à leur disposition l'uniforme, l'armement et les moyens juridiques pour faire face à leurs obligations.
En conclusion, ce texte est raisonnable car il répond au souci d'efficacité des collectivités territoriales et me paraît équilibré.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la commission mixte paritaire est donc parvenue à un texte commun pour le projet de loi relatif aux polices municipales, que je vous avais présenté en juin dernier. Je m'en réjouis. Je félicite les parlementaires qui y ont contribué, au premier rang desquels M. Delevoye, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
Cet accord va permettre une adoption plus rapide de ce texte et aussi, bien entendu, son entrée en vigueur dans des délais plus rapprochés. Attendu par les maires, par les agents de police municipale, mais aussi souhaité par l'Etat depuis une dizaine d'années, il fournira un cadre à l'action des polices municipales et permettra une articulation adéquate entre celles-ci et la police ou la gendarmerie nationales.
Je tiens encore à remercier tout particulièrement M. Jean-Paul Delevoye qui, en sa double qualité de rapporteur et de président de l'Association des maires de France, a joué un rôle certain dans la recherche de compromis réalistes entre les positions - somme toute, peu éloignées - de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Les différences existantes, après la deuxième lecture, portaient d'ailleurs davantage sur l'accent mis par chacune des deux assemblées sur l'un ou l'autre des deux objectifs qu'il s'agissait de concilier : d'une part, la nécessité de prévoir un cadre législatif homogène pour l'action des polices municipales et leurs relations avec la police ou la gendarmerie nationales - objectif sur lequel l'Assemblée nationale insistait davantage - et, d'autre part, le respect du principe de libre administration des collectivités locales, objectif auquel vous accordiez bien sûr une grande importance.
Mais, au fond, l'Assemblée nationale et le Sénat, avec des accents différents, cherchaient à atteindre simultanément ces deux objectifs. C'est pourquoi les conditions d'un accord en commission mixte paritaire étaient réunies, dès lors qu'existait - ce qui souvent manque le plus - la volonté d'aboutir.
Deux sujets de désaccord significatifs subsistaient à l'issue de la deuxième lecture : d'une part, la possibilité d'un règlement de coordination par acte unilatéral du préfet, en l'absence de convention, et, d'autre part, l'obligation d'un double agrément par le préfet et le procureur de la République.
La commission mixte paritaire a retenu le texte du Sénat pour l'article 2 et celui de l'Assemblée nationale pour l'article 6. Je pense qu'il faut y voir là non pas une volonté de « couper la poire en deux », mais simplement le souci d'aboutir à un compromis dynamique. Ce compromis permet, sur le premier point, de conserver une incitation suffisante à la conclusion d'une convention de coordination, dès lors que le travail de nuit et l'armement ne seront pas possibles en l'absence d'une telle convention. Il permet, sur le second point, de consacrer de façon solennelle la contribution effective des agents de police municipale tant à la police judiciaire qu'à la police administrative par un double agrément du procureur de la République et du préfet.
Dès lors qu'un compromis avait été trouvé sur ces deux points de désaccord, la commission mixte paritaire a pu, sans grande difficulté, parvenir à un accord sur les points sur lesquels les divergences étaient moindres : le financement de la formation continue obligatoire, la désignation des membres de la commission consultative, les procédures de vérification de l'organisation et du fonctionnement d'une police municipale, les conditions de l'armement éventuel des agents, et les dispositions diverses et transitoires.
Vous avez, monsieur le rapporteur, accepté le retrait de l'amendement relatif aux conditions de révocation et de suspension des gardes-champêtres intercommunaux. Je prends ici l'engagement de trouver et donc de vous proposer dans les meilleurs délais une issue aux difficultés qui ont jusqu'à présent retardé la prise des dispositions rendant possible le recrutement de tels agents.
Ces difficultés résident, vous le savez, dans la contradiction entre le pouvoir de police du maire et le recrutement d'agents par un groupement de communes ou une collectivité. Il existe plusieurs possibilités de sortir « par le haut » de cette contradiction, et on peut les conjuguer : premièrement, clarifier le rôle du groupement de communes dans l'hypothèse du second alinéa de l'article L. 2213-17 du code général des collectivités territoriales ; deuxièmement, faciliter la mise en oeuvre de l'embauche par plusieurs communes d'un garde champêtre en application du premier alinéa du même article ; troisièmement, explorer les possibilités reconnues par la loi de 1984 aux centres départementaux de gestion de mettre des fonctionnaires à disposition d'une ou plusieurs collectivités pour des missions permanentes à temps non complet. Ces solutions devront, bien entendu, être étudiées avec Mme la ministre de l'environnement. Mais je prends devant vous un engagement de bonne fin, quitte à m'en entretenir à nouveau avec vous.
J'en viens maintenant à l'application de la loi.
Dès lors que - je n'en doute pas - vous adopterez le texte qui vous est proposé par la commission mixte paritaire, se pose la question de la mise en oeuvre de ses dispositions.
Huit articles nécessitent la prise d'un décret d'application. Je prends ici l'engagement de prendre quatre d'entre eux dans un délai de quatre mois à compter de la promulgation de la loi, c'est-à-dire d'ici à la fin du mois de juillet. Il s'agit des décrets en Conseil d'Etat. Les plus urgents portent sur l'article 1er pour la liste des contraventions aux dispositions du code de la route que les agents de police municipale pourront relever par procès-verbal, sur l'article 2 pour les clauses de la convention type de coordination, sur l'article 3 pour les dispositions permettant la désignation des membres de la commission consultative des polices municipales, enfin, sur l'article 7 pour les circonstances et les conditions dans lesquelles, par type de mission, les agents de police municipale peuvent porter une arme.
J'ai d'ores et déjà tenu informés les préfets des tâches qui les attendent ensuite pour négocier les conventions de coordination, agréer les agents et autoriser l'armement le cas échéant.
Je suis sensible, mesdames, messieurs les sénateurs, au souci que vous avez exprimé et selon lequel le double agrément ne doit pas se traduire par un allongement de délai. C'est pourquoi le délai de deux mois au total me paraît tout à fait raisonnable. C'est l'objectif que j'assignerai aux préfets.
Les autres décrets sont ceux qui devront être soumis à l'avis préalable du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale ou de la commission consultative des polices municipales, ou des deux. Ils seront pris dans les meilleurs délais, en ménageant le temps nécessaire à la sérénité de ces consultations. Il s'agit des décrets en Conseil d'Etat relatifs aux caractéristiques des équipements - article 8 - au code de la déontologie - article 9 - à la formation continue - article 15 - et aux pensions et rentes viagères d'invalidité - article 16.
Par ailleurs, je vous confirme que le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale sera saisi du projet de décret portant statut particulier des agents d'encadrement des polices municipales relevant de la catégorie B. Le décret d'application de l'article 14 bis sur le relevé d'identité à la SNCF et à la RATP sera bien entendu pris dès que possible, en concertation étroite avec M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Enfin, je vous indique que j'ai d'ores et déjà proposé à M. le président du Centre national de la fonction publique territoriale la signature d'un protocole relatif à la participation de la police nationale à la formation initiale des cadres d'emplois de la police municipale.
Comme vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, l'adoption définitive de la loi sur les polices municipales ouvre le champ d'un travail important pour sa mise en oeuvre. Vous pouvez compter sur ma détermination en ce sens !
Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à confirmer par votre vote les choix de la commission mixte paritaire. Les polices municipales, que les communes peuvent créer quand elles le jugent utile, trouveront là un cadre pour leur action quotidienne et les moyens d'une cohérence avec la police et la gendarmerie nationales. Ce sera, j'en suis certain, l'occasion d'une contribution positive à la politique de police de proximité que je m'efforce d'appliquer par ailleurs et qui est une des grandes priorités du Gouvernement.
Vous montrerez qu'il en est d'une législation nécessaire comme de l'élection présidentielle : il ne faut pas nécessairement renoncer après deux échecs. Je rappelle en effet que deux projets de loi avaient été déposés auparavant, l'un par M. Paul Quilès et l'autre par M. Charles Pasqua, qu'avait repris M. Jean-Louis Debré. La troisième tentative peut parfois être la bonne ! Nous aurons apporté cette démonstration, qui fera également reculer la supers-tition selon laquelle « jamais deux sans trois ». Nous pouvons donc considérer que ce texte est, à cet égard, particulièrement républicain ! (Sourires.)
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire est parvenue à élaborer le texte commun qui nous est présenté aujourd'hui.
A la lecture du rapport, il ressort clairement que, sur les quinze articles restant en discussion, douze reprennent finalement la rédaction voulue par les sénateurs. Pourtant, quelques parlementaires ont trouvé que ce texte n'était pas suffisamment libéral !
Les désaccords entre les deux chambres étaient loin d'être négligeables avant la réunion de la commission mixte paritaire, qu'il s'agisse du règlement de coordination, du double agrément ou de l'armement des agents de police municipale.
Un accord a été trouvé pour retenir, à l'article 2, la rédaction issue des travaux du Sénat et, à l'article 6, celle de l'Assemblée nationale. Quant à l'article 7, le principe de l'armement sous conditions a été retenu, en conférant toutefois un caractère cumulatif et non pas alternatif aux conditions justifiant cet armement.
Puisqu'il s'agit, à ce stade du débat, d'un compromis, nous l'acceptons. Il était en effet indispensable d'encadrer juridiquement les polices municipales qui ont fleuri un peu partout, et nous voterons donc ce texte.
Je maintiens simplement, monsieur le ministre, que votre projet de loi initial était meilleur - je l'ai dit en commission mixte paritaire - car il affirmait davantage la responsabilité de l'Etat en matière de sécurité, délimitait clairement les missions des policiers municipaux et posait de manière plus équilibrée le principe de l'armement de ces agents.
Nous serons donc attentifs à ce que ce texte ne soit pas perçu comme un encouragement à recruter et à armer des policiers municipaux, ce qui donnerait le sentiment que l'Etat n'assumerait plus ses responsabilités en la matière et que la police de proximité serait du ressort essentiel de la police municipale, l'Etat se consacrant à des missions de maintien de l'ordre ; or tel n'est pas l'objectif que vient de nous rappeler M. le ministre.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.
Je donne lecture du texte de la commission mixte paritaire :

« TITRE Ier


« DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE GÉNÉRAL DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET LE CODE DES COMMUNES

« Art. 2. - Il est inséré, dans le code général des collectivités territoriales, un article L. 2212-6 ainsi rédigé :
« Art. L. 2212-6. - Dès lors qu'un service de police municipale comporte au moins cinq emplois d'agent de police municipale, une convention de coordination est conclue entre le maire de la commune et le représentant de l'Etat dans le département, après avis du procureur de la République. Un décret en Conseil d'Etat détermine les clauses d'une convention type.
« Cette convention précise la nature et les lieux des interventions des agents de police municipale. Elle détermine les modalités selon lesquelles ces interventions sont coordonnées avec celles de la police et de la gendarmerie nationales.
« A défaut de convention, les missions de police municipale ne peuvent s'exercer qu'entre 6 heures et 23 heures, à l'exception des gardes statiques des bâtiments communaux et de la surveillance des cérémonies, fêtes et réjouissances organisées par la commune.
« Une convention de coordination peut également être conclue, à la demande du maire, lorsqu'un service de police municipale compte moins de cinq emplois d'agent de police municipale. »
« Art. 3. - Il est inséré, dans le code général des collectivités territoriales, un article L. 2212-7 ainsi rédigé :
« Art. L. 2212-7. - Une commission consultative des polices municipales est créée auprès du ministre de l'intérieur. Elle est composée pour un tiers de représentants des maires des communes employant des agents de police municipale, pour un tiers de représentants de l'Etat et, pour le dernier tiers, de représentants des agents de police municipale choisis par les organisations syndicales représentatives des fonctionnaires territoriaux. Elle est présidée par un maire élu en son sein, qui a voix prépondérante en cas de partage égal des voix.
« Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent article. »
« Art. 4. - Il est inséré, dans le code général des collectivités territoriales, un article L. 2212-8 ainsi rédigé :
« Art. L. 2212-8. - A la demande du maire, du représentant de l'Etat dans le département ou du procureur de la République, et après avis de la commission consultative des polices municipales, le ministre de l'intérieur peut décider de la vérification de l'organisation et du fonctionnement d'un service de police municipale. Il en fixe les modalités après consulation du maire. Cette vérification peut être opérée par les services d'inspection générale de l'Etat. Ses conclusions sont transmises au maire de la commune concernée, au représentant de l'Etat dans le département et au procureur de la République. »

« Art. 5 bis. - Supprimé.

« Art. 6. - L'article L. 412-49 du code des communes est ainsi rédigé :
« Art. L. 412-49. - Les fonctions d'agent de police municipale ne peuvent être exercées que par des fonctionnaires territoriaux recrutés à cet effet dans les conditions fixées par les décrets en Conseil d'Etat prévus à l'article 6 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.
« Ils sont nommés par le maire, agréés par le représentant de l'Etat dans le département et le procureur de la République, puis assermentés.
« L'agrément peut être retiré ou suspendu par le représentant de l'Etat ou le procureur de la République après consultation du maire. Le maire peut alors proposer un reclassement dans un autre cadre d'emplois dans les mêmes conditions que celles prévues à la section 3 du chapitre VI de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, à l'exception de celles mentionnées au second alinéa de l'article 81. »
« Art. 7. - La sous-section 1 de la section 5 du chapitre II du titre 1er du livre IV du code des communes est complétée par un article L. 412-51 ainsi rédigé :
« Art. L. 412-51. - Lorsque la nature de leurs interventions et les circonstances le justifient, les agents de police municipale peuvent être autorisés nominativement par le représentant de l'Etat dans le département, sur demande motivée du maire, à porter une arme, sous réserve de l'existence d'une convention prévue par l'article L. 2212-6 du code général des collectivités territoriales.
« Un décret en Conseil d'Etat précise, par type de mission, les circonstances et les conditions dans lesquelles les agents de police municipale peuvent porter une arme. Il détermine, en outre, les catégories et les types d'armes susceptibles d'être autorisés, leurs conditions d'acquisition et de conservation par la commune et les conditions de leur utilisation par les agents. Il précise les modalités de la formation que ces derniers reçoivent à cet effet. »
« Art. 8. - La sous-section 1 de la section 5 du chapitre II du titre Ier du livre IV du code des communes est complétée par un article L. 412-52 ainsi rédigé :
« Art. L. 412-52. - La carte professionnelle, la tenue, la signalisation des véhicules de service et les types d'équipement dont sont dotés les agents de police municipale font l'objet d'une identification commune à tous les services de police municipale et de nature à n'entraîner aucune confusion avec ceux utilisés par la police nationale et la gendarmerie nationale. Leurs caractéristiques ainsi que les catégories et les normes techniques des équipements sont fixées par décret en Conseil d'Etat après avis de la commission consultative des polices municipales prévue à l'article L. 2212-7 du code général des collectivités territoriales.
« Le port de la carte professionnelle et celui de la tenue sont obligatoires pendant le service. »

« Art. 11. - Les articles L. 414-24 et L. 441-3 du code des communes sont abrogés. »

« TITRE II

« DISPOSITIONS MODIFIANT
LE CODE DE PROCÉDURE PÉNALE


« TITRE III

« DISPOSITIONS STATUTAIRES

« Art. 15. - I. - La sous-section 1 de la section 5 du chapitre II du titre Ier du livre IV du code des communes est complétée par un article L. 412-54 ainsi rédigé :
« Art. L. 412-54. - Outre la formation initiale dont ils bénéficient en application des dispositions de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée et de la loi n° 84-594 du 12 juillet 1984 relative à la formation des agents de la fonction publique territoriale et complétant la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, les fonctionnaires mentionnés à l'article L. 412-49 reçoivent une formation continue dispensée en cours de carrière et adaptée aux besoins des services, en vue de maintenir ou parfaire leur qualification professionnelle et leur adaptation aux fonctions qu'ils sont amenés à exercer.

« Cette formation est organisée et assurée par le Centre national de la fonction publique territoriale. Le centre peut à cet effet passer convention avec les administrations et établissements publics de l'Etat chargés de la formation des fonctionnaires de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Il perçoit une redevance due pour prestations de service, versée par les communes bénéficiant des actions de formation et dont le montant est lié aux dépenses réellement engagées à ce titre.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article. »
« II. - Supprimé.

« Art. 16 bis. - Supprimé.

« TITRE IV

« DISPOSITIONS DIVERSES ET TRANSITOIRES


« Art. 18 A. - Le troisième alinéa du I de l'article L. 1er du code de la route est ainsi modifié :
« I. - Après la première phrase, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Lorsque la constatation est faite par un agent de police judiciaire mentionné au 2° de l'article 21 du code de procédure pénale, il rend compte immédiatement de la présomption de l'existence d'un état alcoolique ou du refus du conducteur ou de l'accompagnateur de l'élève conducteur de subir les épreuves de dépistage à tout officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale territorialement compétent, qui peut alors lui ordonner sans délai de lui présenter sur-le-champ la personne concernée. »
« II. - Au début de la dernière phrase, les mots : "Ces vérifications", sont remplacés par les mots : "Les vérifications destinées à établir la preuve de l'état alcoolique".
« Art. 18. - Dans les communes où, à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, existe un service de police municipale comptant au moins cins emplois d'agent de police municipale, la convention prévue à l'article L. 2212-6 du code général des collectivités territoriales est conclue dans un delai de six mois à compter de la publication du décret en Conseil d''Etat déterminant les clauses d'une convention type mentionnée au même article.
« Dans ces communes, les dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 2212-6 du code général des collectivités territoriales sont applicables à l'expiration du délai mentionné à l'alinéa précédent.
« Les dispositions de l'article L. 412-51 du code des communes ne sont applicables qu'à compter de la conclusion de la convention prévue à l'article L. 2212-6 du code général des collectivités territoriales et, au plus tard, à l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article.
« Les dispositions du présent article s'appliquent également aux communes dont le conseil muncipal porte à cinq au moins le nombre d'emplois d'agent de police municipale, avant la date de publication du décret en Conseil d'Etat déterminant les clauses d'une convention type.
« Art. 19. - Les dispositions de l'article L. 412-52 du code des communes entreront en vigueur dix-huit mois à compter de la publication du décret en Conseil d'Etat prévu par cet article.
« Art. 20. - Les agents de police municipale en fonction à la date d'entrée en vigueur de la présente loi doivent obtenir l'agrément du représentant de l'Etat dans le département mentionné à l'article L. 412-49 du code des communes dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi. Jusqu'à ce qu'il soit statué, ils exercent leurs missions dans les conditions résultant de la législation antérieure.
« En cas de refus d'agrément, ils peuvent être reclassés dans un autre cadre d'emplois dans les mêmes conditions que celles qui sont prévues par la section 3 du chapitre VI de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, à l'exception de celles mentionnées au second alinéa de l'article 81.
« Art. 21. - Au début de l'article L. 121-2 du code du service national, sont ajoutés les mots : "Les jeunes femmes nées avant le 31 décembre 1982, ainsi que". »
Quelqu'un demande-t-il la parole sur l'un de ces articles ?...
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je demande la parole sur l'article 11.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. S'agissant de l'agrément temporaire d'agents dans les communes touristiques, nous souhaitons que les décrets d'application de l'article L. 412-49-1 du code des communes, qui ne sont jamais sortis, voient bientôt le jour.

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Peyronnet, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je tiens à féliciter M. le ministre d'avoir tenté de conjurer le sort, et d'y avoir réussi ! Il est vrai que nous avions connu plusieurs tentatives sur ce texte et qu'il était attendu depuis une dizaine d'années.
Lorsqu'on se remémore les propos outranciers qui ont accompagné la préparation de ce projet et sa présentation devant le Parlement - avant le débat plus que pendant le débat, au demeurant -, on constate que le temps a arrangé bien des choses.
J'avais bien compris, monsieur le ministre, que vous n'étiez pas un furieux partisan des polices municipales, mais que, en bon pragmatique, vous aviez tout de suite considéré qu'il était nécessaire de prendre acte de ce qui existait. Vous avez donc choisi de codifier l'existant, de limiter les créations, de préciser les missions, de réglementer l'armement et l'agrément.
Nous sommes donc finalement parvenus à un accord. Cela montre que le débat permet de faire avancer les problèmes de société !
Je me réjouis aussi, monsieur le ministre, de ce que vous avez dit concernant la publication rapide des décrets d'application.
De tout cela, monsieur le ministre, je vous félicite, et je vous indique que le groupe socialiste votera ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. J'adhère pleinement à la solution qui vient d'être trouvée et je tiens à remercier M. le ministre d'avoir persévéré dans cette voie. Il y avait en effet incontestablement en la matière une lacune à combler !
Je remercie également le rapporteur de ce texte, le président Jean-Paul Delevoye, d'avoir, grâce à sa persévérance, permis qu'un accord soit trouvé en commission mixte paritaire.
Ce texte tient compte, notre collègue M. Peyronnet l'a dit, des réalités du terrain, d'un certain nombre de situations acquises et, surtout, il met fin à une incertitude. Il permettra, aujourd'hui au niveau communal et demain au niveau intercommunal, de doter les communes de moyens plus appropriés pour lutter contre l'insécurité.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte proposé par la commission mixte paritaire.

(Le projet de loi est adopté.)

10

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de MM. Michel Duffour, Robert Bret, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mmes Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Gérard Le Cam, Pierre Lefèbvre, Paul Loridant, Mme Hélène Luc, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Mme Odette Terrade et M. Paul Vergès une proposition de loi tendant à faire du 21 mars une journée nationale de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 294, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

11

RETRAIT D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu une lettre par laquelle M. Michel Duffour déclare retirer la proposition de loi tendant à faire du 21 mars une journée nationale de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie (n° 403, 1996-1997) qu'il avait déposée avec plusieurs de ses collègues le 6 août 1997 (dépôt rattaché au procès-verbal de la séance du 26 juin 1997).
Acte est donné de ce retrait.

12

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 6 avril 1999, à dix heures et à seize heures :
1. Suite de la discussion du projet de loi (n° 203, 1998-1999) d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence.
Rapport n° 272 (1998-1999) de MM. Gérard Larcher, Claude Belot et Charles Revet, fait au nom de la commission spéciale.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
2. Suite de la discussion du projet de loi (n° 220, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.
Rapport n° 281 (1998-1999) de M. Daniel Hoeffel, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Avis n° 283 (1998-1999) de M. Michel Mercier, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale de ce projet de loi n'est plus recevable.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(la séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON