SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Organismes extraparlementaires (p. 1 ).

3. Candidature à une commission (p. 2 ).

4. Questions orales sans débat (p. 3 ).

TRACÉ DU TGV PENDULAIRE CLERMONT-PARIS (p. 4 )

Question de M. René-Pierre Signé. - MM. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement ; René-Pierre Signé.

CONDITIONS D'EXERCICE DU PARACHUTISME SPORTIF
EN RÉGION PARISIENNE (p. 5 )

Question de M. Jean-Jacques Robert. - MM. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement ; Jean-Jacques Robert.

RÉGIME DE LA TAXE PROFESSIONNELLE
APPLICABLE À FRANCE TÉLÉCOM ET À LA POSTE (p. 6 )

Question de M. François Lesein. - MM. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget ; François Lesein.

LUTTE CONTRE LA TOXICOMANIE (p. 7 )

Question de M. Paul Masson. - MM. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé ; Paul Masson.

POLITIQUE EN MATIÈRE DE TOXICOMANIE (p. 8 )

Question de M. Franck Sérusclat. - MM. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé ; Franck Sérusclat.

PROBLÈMES DE LA PÊCHE AUX ABORDS
DES ÎLES ANGLO-NORMANDES ET DU COTENTIN (p. 9 )

Question de Mme Anne Heinis. - M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé ; Mme Anne Heinis.

MONTANT DE LA VIGNETTE AUTOMOBILE (p. 10 )

Question de M. Gérard Roujas. - MM. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur ; Gérard Roujas.

CONDITIONS D'INCORPORATION
DANS LES ÉCOLES DE POLICE (p. 11 )

Question de M. Christian Demuynck. - MM. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur ; Christian Demuynck.

STATUT DES ANIMATEURS DE LA MISSION
D'INSERTION DE L'ÉDUCATION NATIONALE (p. 12 )

Question de M. Yann Gaillard. - MM. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie ; Yann Gaillard.

FINANCEMENT DE L'UTILISATION
DES RESSOURCES MULTIMÉDIA
DANS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES (p. 13 )

Question de M. André Dulait. - MM. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie ; André Dulait.

5. Nomination d'un membre d'une commission (p. 14 ).

Suspension et reprise de la séance (p. 15 )

PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU

6. Modification de l'ordre du jour (p. 16 ).

7. Dépôt d'un rapport du Gouvernement (p. 17 ).

8. Réduction du temps de travail. - Discussion d'un projet de loi (p. 18 ).
Discussion générale : Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

MM. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales ; Guy Fischer.

PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU

MM. Alain Gournac, Daniel Hoeffel, Hubert Durand-Chastel, Bernard Plasait, Pierre Mauroy, Bernard Joly, Michel Duffour, Gérard Larcher, Pierre Hérisson.

Suspension et reprise de la séance (p. 19 )

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE

M. Bernard Seillier, Mmes Marie-Madeleine Dieulangard, Joëlle Dusseau, MM. Jean-Jacques Robert, André Egu, José Balarello, Henri Weber, le rapporteur, Paul Girod, Charles Descours, Mme Dinah Derycke.
Clôture de la discussion générale.
Mme le ministre, M. le président de la commission.
Renvoi de la suite de la discussion.

9. Saisine du Conseil constitutionnel (p. 20 ).

10. Dépôt d'une question orale avec débat (p. 21 ).

11. Dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle (p. 22 ).

12. Dépôt d'une proposition de loi organique (p. 23 ).

13. Dépôt de propositions de loi (p. 24 ).

14. Retrait d'une proposition de loi (p. 25 ).

15. Dépôt de propositions d'acte communautaire (p. 26 ).

16. Dépôt d'un avis (p. 27 ).

17. Ordre du jour (p. 28 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le procès-verbal de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté.

2

ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES

M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de trois organismes extraparlementaires.
En conséquence, j'invite :
- la commission des affaires économiques à présenter deux candidats appelés à siéger au sein du Conseil supérieur de l'aviation marchande et un candidat pour siéger au sein du Conseil supérieur de la sûreté et de l'information nucléaires ;
- la commission des affaires économiques et la commission des finances à présenter un candidat pour siéger au sein du Comité de contrôle du fonds de soutien aux hydrocarbures ou assimilés d'origine nationale.
Les nominations des sénateurs appelés à siéger au sein de ces organismes extraparlementaires auront lieu ultérieurement dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.

3

CANDIDATURE À UNE COMMISSION

M. le président. J'informe le Sénat que le groupe des Républicains et Indépendants a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires culturelles à la place laissée vacante par M. Jean-Pierre Camoin, démissionnaire.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.

4

QUESTIONS ORALES SANS DÉBAT

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales sans débat.

TRACÉ DU TGV PENDULAIRE CLERMONT-PARIS

M. le président. La parole est à M. Signé, auteur de la question n° 183, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le ministre, ma question concerne une étude entreprise par la région Auvergne avec la participation du conseil régional de Bourgogne et portant sur le tracé du futur TGV pendulaire Clermont-Paris.
Il semblerait que les premières esquisses prévoyaient un tracé normal Vichy-Moulins-Nevers, permettant un gain de temps appréciable de près de trente minutes. En revanche, un second scénario envisageait une liaison directe Clermont-Paris en évitant Vichy et Nevers. Le gain de temps serait alors de quelque quarante minutes, mais les coûts annoncés seraient très élevés. Par ailleurs, les conséquences seraient désastreuses pour la Nièvre.
La Nièvre est en effet un département enclavé, qui n'est actuellement traversé par aucune autoroute. Par conséquent, la non-desserte de Nevers par le train à grande vitesse serait néfaste pour les relations avec la région parisienne.
J'espère donc que vous pourrez me rassurer sur ce point, monsieur le ministre.
J'avais complété ma question orale sans débat par une interrogation portant sur les liaisons routières, plus particulièrement sur l'échange domanial envisagé entre la route nationale 81 et la route départementale 978 en vue de l'élargissement de la liaison Est-Ouest, traversant la Nièvre de façon médiane, reliant Nevers à Dijon et constituant l'un des tracés essentiels pour l'aménagement et le développement de la Nièvre.
Peut-être pourrez-vous me répondre sur ce point si mon interrogation complémentaire vous est parvenue, monsieur le ministre ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le sénateur, je répondrai aux deux aspects de votre question.
Concernant tout d'abord les liaisons ferroviaires, le schéma directeur national des lignes ferroviaires à grande vitesse a prévu la réalisation des TGV Limousin et Auvergne destinés à desservir le centre de la France. En attendant, le Gouvernement a souhaité que soient lancées des études d'amélioration des infrastructures existantes.
Une convention réunissant l'Etat, la SNCF et les régions Auvergne, Bourgogne et Rhône-Alpes a été signée en 1997, en vue d'étudier l'amélioration de l'offre ferroviaire reliant l'Auvergne à Paris au réseau TGV.
Cette étude, dont les conclusions sont attendues dans le courant de l'année, porte tout à la fois sur les moyens d'abaisser de manière significative les temps de parcours pour les liaisons entre Clermont-Ferrand, les principaux pôles de l'Auvergne et Paris, sur les modalités d'accès et d'intégration au réseau national et européen des TGV et, enfin, sur les conditions d'une amélioration sensible des temps de parcours entre Clermont-Ferrand, Roanne et Lyon.
L'accord des différentes collectivités intéressées par l'amélioration des dessertes de l'ensemble de l'axe Paris - Clermont-Ferrand sera ensuite recherché.
Je peux cependant d'ores et déjà vous préciser, monsieur le sénateur, que la gare de Nevers jalonnera bien ce tracé puisqu'il s'agit d'une amélioration des infrastructures existantes.
S'agissant maintenant du réseau routier, je sais l'importance que vous attachez à l'élargissement de l'axe Est-Ouest reliant la Nièvre au reste de la Bourgogne. Un accord de principe est intervenu en 1989 pour procéder à un échange de domanialité entre la route nationale 81 et la route départementale 978, et un programme d'amélioration des deux liaisons a été défini.
Toutefois, il semble maintenant que l'échange de domanialité n'est plus aussi souhaité localement. C'est pourquoi j'ai demandé à mes services de mener une réflexion sur l'itinéraire Dijon - Nevers par la route nationale 81 et la route départementale 978, afin de mettre en évidence, pour chacun des partenaires, les avantages et les inconvénients de cet échange. Cette réflexion aboutira d'ici à la fin de l'année, ce qui permettra à l'Etat et aux deux départements de prendre une décision définitive sur ce sujet.
La réalisation de la section non concédée de l'autoroute A 77 entre Cosne-sur-Loire et le sud de Nevers est prise en charge à 100 % par l'Etat dans le cadre du programme spécifique d'accélération de la route nationale 7. Aux sections à deux fois deux voies, déjà en service, qui resteront à mettre aux normes autoroutières, comme la déviation de Cosne-sur-Loire et la section entre Pouilly-sur-Loire et La Charité-sur-Loire, s'ajoutera, cette année, la déviation de Nevers.
La poursuite de l'aménagement de la route nationale 7 constitue, soyez-en certain, l'une des priorités de l'Etat pour les années à venir.
Enfin, s'agissant de la section concédée de l'autoroute A 77 entre Dordives et Cosne-sur-Loire, les opérations de construction se déroulent conformément au calendrier prévisionnel, avec notamment la construction des viaducs dans la vallée du Loing et des viaducs de franchissement du canal de Briare et du canal d'Orléans.
Les travaux généraux de la section Dordives - Briare seront achevés à l'automne et le début de la construction des chaussées commencera à la fin de l'été. Les travaux généraux de la section Briare - Cosne-sur-Loire débuteront au mois de mars.
Dans ces conditions, la mise en service de la section de l'autoroute A 77 comprise entre Dordives et Briare est prévue pour la fin de l'année 1999 et la mise en service de la section terminale entre Briare et Cosne-sur-Loire sera décalée de quelques mois, intervenant au premier semestre 2000.
M. René-Pierre Signé. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le ministre, je vous remercie des renseignements que vous m'avez donnés.
L'avancement des travaux de la future autoroute A 77 ne peut que satisfaire le département de la Nièvre.
Votre confirmation du fait que la gare de Nevers jalonnera bien le tracé du TGV pendulaire Clermont-Ferrand-Paris ne peut que nous rassurer ; mais, il faudra que les trains s'y arrêtent !
Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que l'échange domanial était actuellement moins souhaité localement. S'il en va ainsi de ceux qui sont desservis par la route nationale 81, en revanche, cet échange est toujours désiré par ceux qui sont desservis par la route départementale 978 !
Je pense que la décision sera prise en toute connaissance de cause et en tenant compte des arguments des uns et des autres, sachant que la route départementale 978 est l'axe central de la Nièvre. Je rappelle que ce département est enclavé, qu'il n'est touché actuellement que de façon tangentielle par les autoroutes et que l'autoroute A 77 passera à l'Ouest. Quant à la route nationale 81, elle ne touchera que le Sud, alors que la route 151 est située au Nord.
Il y a donc manifestement une partie centrale qui ne serait pas desservie et qui ne peut l'être que par la réfection et la mise aux normes de la route départementale 978. Par conséquent, je souhaite, pour ma part, que cet échange domanial ait bien lieu, conformément au voeu, qui n'a pas été contredit, du conseil général.
M. Raymond Courrière. Très bien !

CONDITIONS D'EXERCICE
DU PARACHUTISME SPORTIF EN RÉGION PARISIENNE

M. le président. La parole est à M. Robert, auteur de la question n° 142, adressée à Mme le ministre de la jeunesse et des sports.
M. Jean-Jacques Robert. Monsieur le ministre de l'équipement, des transports et du logement, je me réjouis d'avance que vous répondiez personnellement à ma question, puisque vous exercez la cotutelle sur le domaine qui m'intéresse ici.
L'aérodrome de La Ferté-Gaucher est centre de parachutisme en Ile-de-France depuis 1957 ; de niveau européen, il est le premier centre de parachutisme de France.
Les choses se passaient fort bien et le parachutisme était en expansion constante : nous fêtons cette année le bicentenaire du premier saut en parachute en France et, en matière de chute libre en équipe, la France s'est distinguée dans tous les championnats du monde.
Nous pensions donc pouvoir continuer ainsi.
Mais un fax émanant du centre régional de la navigation aérienne Nord et reçu par le centre de La Ferté-Gaucher en octobre dernier, à la veille d'un week-end, de grande fréquentation, a mis fin aux opérations de parachutisme en limitant unilatéralement le plafond - nous sommes bien loin de la concertation très ouverte sur laquelle vous-même et Mme le ministre de la jeunesse et des sports fondez votre méthode de travail - de 3 800 mètres, hauteur nécessaire pour effectuer dans de bonnes conditions des sauts dans ce centre, à 2 000 mètres.
Certes, une augmentation de trafic a eu lieu. Mais, depuis des années, nous nous étions fort bien entendus avec le centre de la navigation aérienne, et des dispositions avaient été régulièrement prises.
La méthode utilisée pour supprimer définitivement ce centre, qui est un leader dans son domaine, nous paraît contestable. Dans ces conditions, monsieur le ministre, ne pourriez-vous pas trouver une solution susceptible de permettre l'extension des voies aériennes sans compromettre cette activité locale ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le sénateur, vous avez raison de souligner les hautes performances réalisées par le parachutisme français : si ma mémoire est bonne, l'an dernier, aux épreuves de coupe du monde ou de championnat du monde, nous avons obtenu neuf médailles, dont deux d'or et trois d'argent. Cela signifie que la pratique de ce sport est chez nous de très haut niveau, participant ainsi au rayonnement de la France dans ce domaine.
La pratique du parachutisme dépend, bien évidemment, des impératifs de gestion du trafic aérien. Mme Marie-George Buffet a donc souhaité que nous nous rapprochions afin de pouvoir répondre au mieux à votre question.
La Ferté-Gaucher est un centre important de parachutisme. Renommé au plan national et international, il est implanté depuis de très longues années dans le sud-est de Paris, à environ cinquante kilomètres de Roissy.
Les sauts sont effectués à la verticale du terrain de La Ferté-Gaucher, à des niveaux de vol intermédiaires très utilisés par le trafic de Roissy et d'Orly. Cette activité de parachutisme interfère en effet fortement avec les procédures d'arrivée et de départ de Roissy, mais aussi d'Orly.
L'activité de ce centre a pu jusqu'à présent se dérouler convenablement dans cette partie de la région parisienne. Cependant, on peut constater depuis plusieurs années une très forte croissance du trafic, de l'ordre de 35 % entre 1992 et 1997 - 400 000 vols en 1997 - et de 20 % dans les deux dernières années avec la création du centre de correspondance, le hub , d'Air France.
Concerné par des sauts de plus en plus nombreux au-dessus du plafond géré par l'approche de Roissy, le centre régional de la navigation aérienne de Paris doit coordonner la gestion de l'ensemble du trafic dans cet espace. Du fait de plusieurs incidents de circulation aérienne, parfois sérieux, il a été contraint d'imposer dernièrement des limitations importantes à l'activité du centre de La Ferté-Gaucher. Je regrette comme vous, au demeurant, que cela ne se soit pas fait dans la concertation.
Le développement d'une activité de parachutisme aussi importante ne pourra donc plus se faire dans cette partie de la région parisienne du fait du fort développement du transport aérien, en particulier avec la mise en service des nouvelles pistes de Roissy à partir de 1999.
Ce constat est partagé par la fédération française de parachutisme et par les responsables du centre de La Ferté-Gaucher, qui sont disposés, avec notre aide, à rechercher un nouveau site.
Aussi, j'ai demandé à mes services de recherche, en liaison avec tous les partenaires impliqués, un nouveau site permettant de concilier les besoins du parachutisme en région parisienne et les besoins du transport aérien.
J'ai demandé qu'un rapport identifiant un nouveau site, précisant les conditions de ce déménagement et tenant compte des calendriers de mise en service des nouvelles pistes de Roissy soit établi rapidement. Une première réunion en ce sens a eu lieu la semaine dernière.
En attendant les conclusions de ce rapport, j'ai demandé à mes services de retravailler avec la fédération française de parachutisme et le centre de La Ferté-Gaucher pour dégager en urgence, dans l'attente de ce redéploiement, les solutions qui permettront à ce centre de maintenir une activité comparable à celle des années précédentes.
M. Jean-Jacques Robert. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Robert.
M. Jean-Jacques Robert. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Votre connaissance du milieu du parachutisme et du palmarès des derniers championnats du monde me laisse à penser que vous allez surveiller attentivement ce dossier.
Je crois qu'une solution est possible, d'autant qu'on en a bien trouvé pour de nombreux aéroports qui entourent Paris, qu'il s'agisse de Brétigny, aéroport militaire proche des pistes d'atterrissage d'Orly, de La Ferté-Alais, où s'exercent d'autres activités, ou encore d'Etampes.
J'ai grande confiance en ce que vous dites, mais je souhaiterais que le dossier ne soit pas enterré, le procédé employé vis-à-vis du centre témoignant d'un certain mépris à l'égard d'une activité qui a fait notre renommée. Je crois que tout passe par la considération des hommes, y compris les dispositions législatives.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Bien entendu !
M. Jean-Jacques Robert. Permettez-moi très amicalement de dire que je compte sur vous.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Vous pouvez !

RÉGIME DE LA TAXE PROFESSIONNELLE
APPLICABLE À FRANCE TÉLÉCOM ET À LA POSTE

M. le président. La parole est à M. Lesein, auteur de la question n° 112, adressée à M. le secrétaire d'Etat au budget.
M. François Lesein. Monsieur le secrétaire d'Etat, la loi du 2 juillet 1990 portant transformation des statuts de La Poste et de France Télécom prévoit que, depuis le 1er janvier 1994, ces deux entreprises sont assujetties à la taxe professionnelle, qu'elles versent directement à l'Etat.
Pourtant, contrairement au droit commun, l'Etat ne reverse pas aux communes accueillant ces établissements le produit de la taxe professionnelle. En effet, l'Etat a considéré jusqu'à présent que les communes subissaient non pas une perte de ressources, mais uniquement un manque à gagner.
Monsieur le secrétaire d'Etat, si l'on devait poursuivre ce raisonnement, on refuserait à une commune accueillant des entreprises nouvelles le bénéfice de la taxe professionnelle au motif qu'avant leur implantation la collectivité ne prétendait à aucune ressource !
Si l'on peut comprendre que La Poste soit soumise à un régime particulier pour des raisons liées à l'organisation des services publics et à l'aménagement du territoire, il est, en revanche, surprenant que France Télécom, qui ne répond pas à ces critères, bénéficie pourtant de ce régime dérogatoire. En effet, depuis l'ouverture du marché européen et la dérégulation des télécommunications, France Télécom est devenue une entreprise comme les autres et, de ce fait, l'Etat, bien qu'actionnaire majoritaire, n'a pas à traiter différemment le reversement aux communes du produit de la taxe professionnelle.
Cette situation prive de nombreuses communes de moyens financiers importants, causant dès lors un manque à gagner tout à fait dommageable tant aux collectivités, souvent surendettées, qu'aux contribuables, dont les impôts locaux pourraient être diminués d'autant.
En déposant, sur l'initiative du président de l'association des maires de France, une proposition de loi sur ce thème, plusieurs de nos collègues ont cherché, au mois de novembre dernier, à rééquilibrer cette situation en suggérant des modalités de répartition différentes. Mais cette solution ne donnait entière satisfaction, me semble-t-il, ni aux communes ni aux départements.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement est-il disposé à redistribuer aux communes et aux départements le produit de la taxe professionnelle de France Télécom ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, vous interrogez le Gouvernement sur un sujet important : le régime de la taxe professionnelle applicable à France Télécom et à La Poste.
Je vous répondrai en deux temps.
Je souhaite tout d'abord rappeler rapidement l'historique, auquel vous avez fait allusion, et les raisons qui ont conduit à la situation actuelle.
Le régime actuel de la fiscalité de La Poste et de France Télécom a été défini par la loi du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications.
Ce dispositif répondait à un souci d'équité et de neutralité financière à l'égard tant de l'Etat que des collectivités locales. A l'origine, La Poste et France Télécom constituaient un budget annexe dont les excédents donnaient lieu à des prélèvements au bénéfice du budget de l'Etat. Je rappelle aussi que, en 1989, la contribution des P et T, comme on disait à l'époque, au budget de l'Etat était de l'ordre de 4 milliards de francs.
Ces prélèvements opérés par l'Etat ont été supprimés dans le cadre de cette réforme, en contrepartie, entre autres, de l'assujetissement de La Poste et de France Télécom aux impositions locales, avec, vous l'avez dit, affectation de ces recettes au budget de l'Etat. Le transfert de cette ressource de l'Etat vers les collectivités locales ne pouvait, en effet, se justifier dès lors qu'aucun transfert de charges ne lui était associé en contrepartie.
Les collectivités locales, vous l'avez d'ailleurs relevé, n'ont donc rien perdu dans cette affaire : elles ne percevaient rien avant le changement de statut des deux opérateurs, et la loi de 1990 a maintenu ce principe.
En revanche, depuis 1995, lorsque le montant des impositions à la charge des deux exploitants est devenu supérieur aux impositions versées en 1994, actualisées en fonction de l'indice des prix à la consommation des ménages tel qu'il ressort des hypothèses économiques annexées au projet de loi de finances, l'excédent a été versé au fonds national de péréquation de la taxe professionnelle.
Cette fraction des impositions profite donc aux collectivités locales, en fonction des critères retenus pour la répartition des ressources de ce fonds de péréquation. Ainsi, en 1996, environ 766 millions de francs ont été reversés, et la somme s'est élevée à plus de 1,3 milliard de francs au titre de l'année 1997.
Les efforts consentis par les deux exploitants depuis l'entrée en vigueur de la réforme pour renforcer leurs facteurs de production et étendre leurs activités ont donc eu un impact positif sur leurs bases d'imposition et ont principalement profité, par le biais du fonds de péréquation, aux collectivités locales les plus pauvres ou à celles qui rencontrent des difficultés budgétaires.
Ces principes continuent à s'appliquer et ne sont pas affectés par le changement de statut de France Télécom, entré en vigueur au 1er janvier 1997.
J'en viens au deuxième point de ma réponse.
Vous souhaiteriez que le produit de la taxe professionnelle payé par France Télécom et par La Poste soit désormais intégralement versé aux collectivités locales. Permettez-moi, à cet égard, de vous présenter quelques arguments.
En premier lieu, le fait que France Télécom et La Poste assurent un service public universel sur l'ensemble des communes de France me semble justifier le maintien du système actuel, préférable à l'affectation du produit des impôts locaux aux communes qui abriteraient, par chance, des équipements de ces deux grandes entreprises.
En second lieu, une modification de l'affectation du produit de la fiscalité locale de France Télécom aurait pour effet de priver de recettes les communes rurales qui comptent parmi les principaux bénéficiaires des attributions du fonds national de péréquation de la taxe professionnelle, au profit des localités plus importantes où sont installés les principaux équipements de France Télécom. Il y aurait là un redéploiement « à rebours ».
Enfin, je tiens à rappeler que l'Etat est le premier contributeur au produit de la taxe professionnelle. Au travers, notamment, du plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée, dont l'objet est d'atténuer la charge résultant pour les entreprises de la hausse continuelle des taux de cet impôt, le tiers du produit de la taxe professionnelle est aujourd'hui payé par l'Etat, ce qui représente une charge de 50 milliards de francs.
Vous comprendrez, dans ces conditions, qu'une réforme de l'affectation du produit de la fiscalité directe locale de La Poste et de France Télécom ne saurait être envisagée sans que soit abordée la question d'ensemble de la réforme de la fiscalité locale, notamment de la taxe professionnelle.
Comme vous le savez, il s'agit là de l'un des thèmes prioritaires de réflexion du Gouvernement dans son dialogue avec les assemblées et les associations d'élus intéressées au cours de cette année 1998, et nous aurons donc l'occasion de débattre à nouveau de ce sujet dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 1999.
M. François Lesein. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein. J'ai bien compris, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'aspect dérogatoire de la règle applicable à cette partie de taxe professionnelle ne semblait pas vous troubler au-delà de la raison. Mais avouez tout de même qu'il y a dérogation ! Pourquoi alimenter uniquement de cette manière le fonds national de péréquation, alors qu'il reçoit des ressources non seulement de l'Etat, mais aussi des communes qui sont écrêtées ?
Pourquoi déroger à la règle générale ? Cela me paraît choquant. De plus, pour de nombreux maires et de nombreux conseils généraux intéressés, cela me paraît confiscatoire.
Peut-être faudra-t-il faire preuve de plus de courage, monsieur le secrétaire d'Etat, et réviser totalement le système de la taxe professionnelle, car agir par petites étapes ne me semble pas de bonne méthode.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Nous en reparlerons !

LUTTE CONTRE LA TOXICOMANIE

M. le président. La parole est à M. Masson, auteur de la question n° 92, adressée à M. le secrétaire d'Etat à la santé.
M. Paul Masson. Monsieur le secrétaire d'Etat, la semaine dernière sont intervenues, en France et ailleurs, un certain nombre de déclarations relatives au trafic de drogue dans le monde.
Le 24 février, l'organe international de contrôle des stupéfiants, qui relève de l'Organisation des Nations unies, a produit, comme chaque année, son rapport.
Ce document, très attendu, est particulièrement alarmant. Il mérite, me semble-t-il, un commentaire des pouvoirs publics français, car, pour la première fois, le texte de l'organisme international dénonce « l'environnement propice à la promotion des drogues illicites et la montée d'une culture de tolérance. ». « Culture de tolérance » ! « Les incitations à l'usage - poursuit-il - sapent les efforts de prévention ».
On peut relever la coîncidence : dans les vingt-quatre heures suivantes un manifeste dit « des 111 », issus - passez-moi l'expression - des milieux « branchés » de Paris, était publié, qui avait droit à cinq colonnes dans un journal du soir. Ses auteurs revendiquaient tout simplement l'usage de la drogue.
C'est un coup de pub ; ledit journal en parle. Dans le même journal, le rapport de l'ONU n'a droit qu'à trois colonnes !
Cette provocation - car c'est une provocation, n'en doutons pas ! - a eu un mérite inattendu : la riposte cinglante, rapide, de Mme Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire - elle a droit à la parole ! - qui se prononce clairement contre toute dépénalisation de la drogue, en déclarant : « La banalisation des interdits est dangereuse et n'aide pas les adolescents à devenir responsables. »
Cette position sans ambiguïté d'un membre du Gouvernement me semble utile à la clarification, car c'est vrai que nous sommes un certain nombre à ne pas y voir très clair dans la politique gouvernementale en cette matière capitale pour l'avenir de la France et des Français.
Nous avons, ici et là, en mémoire les petites phrases de certains ministres : pourquoi ne pas citer Mme Voynet, Mme Guigou ? Pourquoi ne pas citer aussi M. Lang, qui s'est manifesté, il y a encore trois jours, pour affirmer qu'il fallait regarder la vérité en face, contredisant ainsi implicitement la déclaration de Mme Royal ?
J'ai donc cherché à connaître l'avis du ministère de la santé, monsieur le secrétaire d'Etat, et j'ai trouvé dans une dépêche de l'AFP un communiqué sybillin dans lequel on indiquait que le problème n'était pas à l'ordre du jour.
La réponse est curieuse. Mais c'est aussi tout l'intérêt de ma question !
Cette position affichée dans le communiqué me paraît difficile à soutenir, après le rapport de l'ONU que j'ai évoqué. Il me paraît également assez étonnant que l'on puisse dire que le problème n'est pas à l'ordre du jour après qu'un membre éminent du Gouvernement l'a placé, au contraire, très clairement à l'avant-scène.
Ma première question est donc simple : en votre qualité de secrétaire d'Etat à la santé, approuvez-vous les déclarations de Mme le ministre chargé de l'enseignement scolaire ? Cette question appelle une réponse simple.
Par ailleurs, en tant que responsable de la mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie, la MILT, qui est donc sous votre contrôle direct, allez-vous présenter un nouveau plan de lutte contre la drogue à la lumière du rapport récent de l'ONU ?
De façon plus générale, monsieur le secrétaire d'Etat - c'est peut-être l'occasion de le dire - contre l'usage des stupéfiants, avez-vous un projet personnel à faire partager par le Gouvernement français ? Que proposez-vous face au développement rapide du fléau le plus pernicieux de la société moderne ?
Je rappelle que le trafic dont est issu ce fléau représente 8 % du commerce international ; 8 % en ruinant la santé de tant de jeunes dans le monde, c'est beaucoup ! Avez-vous un projet ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur le sénateur, votre question, qui est grave, appellerait une réponse longue et mesurée. Mesuré, je le serai : long, hélas ! je ne le serai pas assez.
Bien évidemment, le rapport de l'ONU auquel vous avez fait allusion ne m'a pas échappé ; mais je l'interprète différemment. Comme vous, je souligne la réprobation qui se dégage du commentaire, mais j'interprète les chiffres comme un échec absolu de la communauté internationale, comme un échec de la répression, répression que nous poursuivons pourtant depuis des années et des années.
Chaque année, vous le savez, l'ONU s'est engagée un peu plus dans l'élaboration du rapport auquel vous avez fait allusion. Mais nous avons aussi à notre disposition l'observatoire européen des toxicomanies, à Lisbonne. Les chiffres qu'il nous livre - il l'a encore fait voilà deux mois - sont éloquents. Le trafic augmente malgré la progression des saisies, malgré le brio des services de police et des douanes. Et si le trafic augmente en matière de drogues dites douces comme en matière de drogues plus dures et plus dangereuses encore, c'est bien que la consommation augmente !
C'est là une première constatation que personne ne peut mettre en doute : cela ne marche pas.
J'ai lu dans le même rapport que vous, monsieur Masson, que l'ONU se félicitait de ce qui se passait au Pérou. Dans ce pays, en effet, un certain nombre de planteurs ou de trafiquants ont été mis hors d'état de nuire. Mais il n'est pas dit que ceux-là se sont réfugiés de nouveau en Colombie, où l'augmentation de la production est considérable et où l'échec de la vraie guerre déclenchée par les Etats-Unis, avec une armée véritable, des groupes entraînés et des commandos équipés, est patent.
Cette facette de la lutte contre la toxicomanie ne me paraît guère favorable aux idées que vous défendez, et que je défends aussi d'ailleurs.
Alors, que faire ? Vous avez posé plusieurs questions, monsieur le sénateur, la première consistant à savoir si j'avais un projet personnel. Mais si j'avais un projet personnel performant, monsieur Masson, je l'aurais déjà livré au reste du monde !
En fait, personne n'a de projet performant. L'échec est l'apanage de l'ensemble de la communauté internationale, en cette matière précise de la répression du trafic.
Je suis bien d'accord avec vous, le chiffre de 8 % - il est même sans doute sous-évalué, c'est peut-être 10 % - est considérable.
A mon avis - c'est non pas un projet mais un avis personnel, dont j'aimerais pouvoir discuter plus longuement avec vous - tant qu'il n'y aura pas d'approche économique de ce problème, l'échec sera flagrant. Il y a trop d'argent, trop d'organisations en jeu pour pouvoir espérer maintenir dans des limites décentes une filière structurée, une véritable armée de trafiquants. Telle est la réalité, en Europe comme dans le reste du monde.
A cela s'ajoute le fait - j'en parlerais des heures, veuillez m'en excuser, monsieur le président - que certains pays du tiers monde qui étaient simplement producteurs deviennent à la fois producteurs et consommateurs. C'est vrai pour la Turquie ; c'est singulièrement vrai aussi pour l'Afghanistan, où les associations qui voudraient lutter contre la toxicomanie sont maintenues à l'écart par une véritable armée, les Talibans, soutenus par le Pakistan et, curieusement, par les Etats-Unis, et qui ont considérablement fait progresser la production de pavot le long de cette fameuse frontière pachtoune. Maintenant les voilà qui consomment aussi ! L'échec est donc international.
Vous vous étonnez, monsieur le sénateur, d'avoir vu la réaction de Mme Ségolène Royale et de n'avoir pas vu la mienne. J'en suis désolé. Moi-même, je n'ai apprécié qu'à moitié la dépêche de l'AFP qui me faisait dire que le projet n'était pas à l'ordre du jour.
Je l'ai d'autant moins appréciée que le compte rendu analytique de la séance du Sénat où j'ai officiellement répondu à M. Fourcade est tout autre chose que « le projet n'est pas à l'ordre du jour ». Je réponds à M. Fourcade, qui propose un débat, que je me félicite de son intervention puisque moi-même, au moment de la discussion du projet de loi sur le financement de la sécurité sociale, j'avais été amené à répondre à l'ensemble du Sénat qu'il m'intéressait qu'il y ait un débat sur ce sujet. M. Fourcade reprenant cette idée, je ne pouvais qu'être d'accord.
Cela étant, je ne suis pas maître de l'ordre du jour du Sénat. Personnellement, ce débat, je le souhaite, et j'en ai parlé au ministre chargé des relations avec le Parlement. Le Gouvernement arrêtera sans doute une date à cet effet.
Ma prise de position, que traduit le compte rendu analytique, a donc été résumée assez fallacieusement par la dépêche de l'AFP. Ce que j'ai dit, c'est vrai, c'est qu'il n'était pas à l'ordre du jour de modifier la loi. Cela, malheureusement, nous le savons !
S'agissant de la MILT, je veux vous apporter une réponse très précise, monsieur Masson. Cette mission dépend en effet du secrétariat d'Etat à la santé. Le plan triennal, qui va être discuté ces jours-ci, sera présenté au cours du mois d'avril. Faisant suite au plan triennal précédent, que vous avez mentionné au passage, il portera très précisément sur l'information.
Nous avons en effet essayé d'orienter les projets qui sont proposés aux différents ministères composant la mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie vers l'information, mais aussi vers l'évaluation - je vous dirai pourquoi - et vers la lutte contre les drogues synthétiques, en particulier l'ecstasy, qui sont maintenant consommées très abondamment.
Une étude récente mettait ainsi en lumière que 5 % de notre jeunesse avait consommé de l'ecstasy et que 1 % s'y adonnait régulièrement. Vous me direz que ce n'est pas beaucoup ; en fait, ce n'est pas beaucoup et trop à la fois. En tout cas, ces drogues synthétiques, dont on ne connaît pas la pureté, appellent une attention particulière. Nous y veillerons.
S'agissant de l'évaluation, monsieur le sénateur - j'y reviens - j'ai réuni, les 13 et 14 décembre dernier, au ministère de la santé, tous les intervenants en toxicomanie, et ce quelle que soit leur attitude idéologique - malheureusement, dans notre pays, l'attitude idéologique prime souvent sur la réalité ! Tous ont travaillé longuement pour faire quinze propositions qui seront discutées et prises en charge, si possible, par le plan triennal, parmi lesquelles, en particulier, une proposition très forte d'évaluation des projets.
Vous savez que la mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie doit soutenir des projets innovants. Tel n'est pas toujours le cas, et je ne fais pas allusion au rapport de la Cour des comptes, qui a malheureusement fait l'objet de fuites. D'ailleurs, ce n'était pas un rapport de la Cour des comptes - il sera publié plus tard - mais une étape du rapport qui laisse la parole aux intervenants, à ceux qui sont mis en cause. Malheureusement, on a trouvé ce document dans les journaux.
Je m'empresse de dire aussi qu'il s'agit d'un rapport portant sur des années antérieures et non pas sur celles auxquelles vous avez fait allusion. Ce n'est pas un rapport sur l'état actuel de la MILT.
On y souligne que la MILT doit mettre en avant des projets innovants et que tel n'est pas toujours le cas ; on aide des structures, et c'est sans doute une erreur. Il y aura donc pour chaque projet une évaluation et un suivi. C'est ce que les intervenants ont demandé précisément.
Vous aurez ce plan triennal dans le courant du mois d'avril, monsieur Masson.
Si je n'ai pas de projet, j'émets en tout cas le souhait que le débat puisse avoir lieu pour que nous puissions faire évoluer les choses. En effet, tant qu'on n'aura pas proposé à notre jeunesse, mais aussi à celle de l'Europe et du monde, un autre idéal, une autre aventure, elle risquera de continuer à s'adonner, ce qui nous répugne, à des pratiques qui mettent en cause la santé et qui sont très dommageables.
Il y a au moins trois catégories à distinguer : ceux qui usent de la drogue, qui n'ont pas été informés suffisamment ; ceux qui en ont abusé, qui n'ont pas été pris en charge suffisamment ; enfin, ceux qui en pâtissent, ceux qui en meurent et pour lesquels il faudrait pouvoir intervenir plus massivement et plus efficacement en amont avant qu'il ne soit trop tard.
M. Paul Masson. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Masson.
M. Paul Masson. Comment répondre dans le cadre d'une question orale sans débat en quelque trois minutes au développement fourni de M. le secrétaire d'Etat ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai enregistré vos propos. Je crois que vous et moi sommes au moins d'accord sur le fait qu'un débat s'impose. On ne peut pas débattre à la sauvette d'une affaire d'une telle ampleur et d'une telle résonance.
J'ai bien relevé que vous n'avez pas de projet personnel - c'est ce que vous nous avez dit. Il est un peu ennuyeux qu'un secrétaire d'Etat à la santé n'ait pas de projet personnel sur une matière si importante que la drogue.
J'ai bien noté également que vous allez donner à la mission interministérielle un nouveau projet au mois d'avril, c'est un rendez-vous.
Je ne veux pas aller plus loin, monsieur le secrétaire d'Etat, sans quoi nous pourrions poursuivre notre dialogue tout au long de la matinée.
J'attendais de vous, sur un point, une réponse toute simple : approuvez-vous la déclaration de Mme Royal, oui ou non ? Mais si vous laissez cette question sans réponse, on notera que vous n'avez pas d'avis !

POLITIQUE EN MATIÈRE DE TOXICOMANIE

M. le président. La parole est à M. Sérusclat, auteur de la question n° 184, adressée à M. le secrétaire d'Etat à la santé.
M. Franck Sérusclat. J'aurais peut-être pu retirer ma question, compte tenu des deux réponses qu'a déjà données M. le secrétaire d'Etat, celle qu'il vient d'apporter à l'instant à notre collègue M. Masson et celle qui est parue dans le quotidien Libération récemment.
Mais il se trouve que je ne suis pas satisfait de ces réponses, et je veux donc revenir sur les problèmes posés par la toxicomanie, en les abordant sous un angle différent. Je souhaite ainsi montrer que les parlementaires se préoccupent aussi de ces questions.
Il n'est pas inutile de faire un bref rappel historique de l'entrée dans nos sociétés de produits qui ont des effets nocifs sur l'individu ou sur la société elle-même.
Le tout premier, l'alcool, est apparu à la suite d'un événement important : l'alliance du vin et du sang, qui a conféré au vin une place particulièrement importante.
Puis le tabac est arrivé sous Louis XIV, accompagné d'abord d'une interdiction d'en user, à la Cour tout au moins ; ensuite, alcool et tabac se sont banalisés.
Ensuite sont arrivés d'autres produits comme la morphine, l'héroïne et la cocaïne, puis le chanvre indien, et aujourd'hui nous voyons apparaître des produits chimiques, des médicaments qui font partie de notre paysage quotidien.
Nous constatons en définitive qu'aujourd'hui, et je vous l'ai entendu dire, monsieur le secrétaire d'Etat, des drogues licites, alcool et tabac, à elles seules, entraînent 100 000 morts par an. Tout est mis en oeuvre, notamment par la publicité, pour en consommer et devenir des hommes vigoureux. Heureusement, une loi a quand même limité la publicité de ces produits.
Quand on examine la question sous l'angle de la nocivité, on s'aperçoit que l'alcool est nuisible non seulement pour l'individu mais aussi pour la société puisque les accidents mortels sont quand même nombreux, dus à une conduite sous l'empire de l'alcool, parfois aussi d'ailleurs sous psychotropes.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez pris la bonne décision de supprimer le remboursement d'un psychotrope afin d'en restreindre l'utilisation.
Si le tabac est nocif pour l'individu, il ne l'est pas trop pour la société en général. Il n'empêche qu'il entraîne quand même quelque 100 000 morts par an.
Le cannabis, dit-on, a une action sur la volonté ou sur l'activité en général. Peut-être, ce n'est pas évident. En tout cas, nous n'avons pas connaissance de décès dus à la consommation de cannabis.
Ce premier constat devrait nous amener à nous interroger : quels sont les produits dangereux ; sur quoi faudrait-il agir pour éviter des catastrophes humaines individuelles ou des catastrophes plus générales.
Depuis quelque temps, quand même, des efforts ont été accomplis.
En 1978, Mme Pelletier a récusé, ce qui est intéressant, la théorie de l'escalade. Ce n'est pas parce que l'on commencerait par le cannabis qu'ensuite l'on serait amené à consommer d'autres drogues. Il n'empêche que la législation sur les stupéfiants prohibe l'usage du cannabis. Or, qui dit prohibition dit trafic ! C'est aussi un autre élément dont il faut tenir compte.
En 1989, Catherine Trautmann a affirmé que le clivage entre drogues douces et drogues dures était obsolète. Il me semble cependant que l'on ne peut pas traiter de la même façon morphine et cocaïne, bien que, là aussi, on constate une évolution importante : pendant très longtemps, la morphine a été considérée comme le produit à ne jamais utiliser, sauf exception ; voilà quelques années, on a appris que la morphine était également un médicament utile et pas nécessairement dangereux.
En 1994, le Comité national d'éthique a publié une étude particulièrement importante mettant en évidence, justement, le rôle différent des produits licites et illicites et, surtout, indiquant qu'il n'existait pas de base précise pour déterminer telle ou telle toxicité certaine et entraînant les trois caractéristiques - accoutumance, assuétude, déchéance - des drogues qui sont inscrites au tableau B.
En 1995, la commission Henrion a adopté la dépénalisation expérimentale à une voix de majorité. En raison de cette situation un peu « étriquée », M. Henrion n'a pas proposé l'application de cette mesure, mais c'était là une décision intéressante.
Voilà ce qu'il convenait, me semble-t-il, de rappeler pour ensuite vous poser la question au fond, monsieur le secrétaire d'Etat : la loi de 1970 est-elle une bonne loi ?
Si, tout à l'heure, j'ai dit que je voulais quand même poser ma question, c'est que, dans la réponse que vous avez donnée au quotidien Libération, je suis un peu étonné par votre préférence pour une contraventionnalisation de la consommation du cannabis plutôt que pour sa dépénalisation. Ainsi, vous donnez le sentiment que, pour vous, l'usage du cannabis est le fait d'un délinquant et non pas d'un malade. Or, je crois que le recours à des drogues diverses, licites ou illicites - les licites par plaisir peut-être, les autres par besoin à cause d'une situation vécue difficile - est le fait d'individus malades plutôt que de délinquants.
La délinquance résulte de la prohibition et, vous l'avez dit tout à l'heure, la prohibition telle que nous la concevons n'a abouti à aucun résultat positif. Par conséquent, il faudrait certainement aborder le problème autrement. Vous l'avez fait au cours de certaines réunions auxquelles je participais et dans lesquelles j'ai puisé une partie de mon argumentation que je vous présente aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. François Lesein. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur le sénateur, que de choses dans votre question...
Si j'ai donné l'impression en répondant à votre collègue M. Masson de ne pas avoir de position personnelle, c'est bien la première fois qu'on m'en fait le reproche !
Je vais en avoir une avec vous. En effet, j'avais scindé ma réponse en deux parties, dont la première, plus technique, portait sur la Mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie, la MILT, sur la consommation de nouveaux toxiques, qui est très préoccupante, qu'il s'agisse de toxiques de synthèse ou de produits chimiques, ecstasy et autres. Quant à vous, monsieur le sénateur, vous m'interrogez sur la loi de 1970.
L'historique que vous avez dressé des toxiques est très pertinent. Vous rappelez, avec raison, qu'au moment de l'arrivée du tabac en Europe, cette drogue fut interdite, mais en vain. Un ouvrage très intéressant, le Livre des toxiques, raconte l'histoire des substances toxiques et, entre autres, l'arrivée du café. A cette époque, en Europe, on consommait de la bière. On apprend dans ce livre que les populations étaient tellement pauvres qu'en général elles buvaient de la bière et mangeaient du pain. Parfois, pendant de longs jours, faute de pain, elles se nourrissaient seulement de bière, considérée comme un produit alanguissant et parfois abrutissant. Le café était un toxique de nature complètement différente qui entraînait au travail, à la surexcitation, etc. J'ai bien éprouvé le besoin de situer, dans le contexte, tous ces toxiques, mais je n'en avais pas le temps, malheureusement.
Je vous répondrai sur l'évolution de notre législation.
Certains toxiques sont licites, d'autres ne le sont pas. La situation peut évoluer. Nous avons l'habitude en France de considérer que nos propres toxiques, ceux qu'un certain nombre de bons artisans fabriquent pour notre usage, sont respectables. Ils sont respectés, mais ils sont très meurtriers ; vous avez rappelé les chiffres élémentaires : quelque 100 000 à 120 000 décès dus à l'abus de tabac ou d'alcool. Je suis chargé de la santé publique et je ne peux pas ne pas vous approuver. C'est ainsi, les chiffres sont accablants. Lorsque j'ai parlé, en faisant allusion à l'alcool, de réglementation, c'est cela que je voulais dire et je vais m'en expliquer.
Je n'ai pas de position personnelle parce que je ne dois pas en avoir. Nous avons l'habitude en France d'adopter des positions idéologiques sur ces grands problèmes de santé publique. Or les positions idéologiques bloquent le débat. En effet, j'ai une expérience, quelques idées sur ce sujet, mais je voudrais surtout que le débat ne se limite pas à quelques petites phrases : j'ai consommé du cannabis, je n'en n'ai pas consommé... et nous voilà nous heurtant.
Il y a une réalité des toxiques légaux et illégaux dans ce pays dont il faut débattre et je serais très heureux que ce débat ait lieu devant la Haute Assemblée puisque vous l'avez proposé.
Mais outre les toxiques légaux et illégaux, se pose dans notre pays le problème de la consommation de psychotropes, vous y avez fait allusion. Nous détenons le record du monde en ce domaine avec 18 millions de boîtes vendues par mois. C'est légal, c'est même remboursé par la sécurité sociale mais c'est excessif et, combiné à l'alcool puisqu'il y a des polytoxicomanies, cela produit des dégâts considérables.
Il faut donc tenir compte de tous ces éléments nouveaux comme il faut tenir compte de l'arrivée de drogues illicites comme l'ecstasy, très ravageuse et scandaleusement répandue. Mais il faut aussi tendre la main à ces jeunes gens qui, à un moment donné, se livrent à ces pratiques. Il faut donc mettre en place une surveillance médicale, car les services d'urgence des hôpitaux accueillent des jeunes qui sont très souvent plongés dans des états de dépression graves ou dans des délires psychotiques importants et qui ont consommé ces drogues nouvelles. Il faut prêter attention à cela.
Je répondrai maintenant très précisément à propos de ce que Libération me fait dire, et que j'ai d'ailleurs dit.
Je pense qu'il s'agit d'une piste de recherche, et nous devons, dans notre République, pouvoir en débattre sereinement : la réglementation, la contraventionnalisation, comme vous l'avez souligné, monsieur le sénateur, serait, à mon avis, une manière de conserver un interdit et en même temps de ne pas criminaliser l'usage des drogues.
Pour ma part, je ne considère pas, monsieur le sénateur, que les usagers de drogues soient des délinquants. S'ils deviennent dépendants, ce sont alors des malades, mais j'estime, en tant que secrétaire d'Etat à la santé, qu'ils ne sont au départ ni délinquants ni encore dépendants et malades. Nous ne pourrons éviter, si nous débattons de tout cela, une discussion à propos des droits de l'homme.
La contraventionnalisation, c'est de dire, comme pour l'alcool que nous consommons si largement dans notre pays, qu'il y a des lois et des règlements à ne pas enfreindre. Ainsi, on n'a pas le droit de se livrer à l'ivresse sur la voie publique, et la loi sur la répression de l'ivresse publique est affichée dans tous les cafés de France. De même, il ne faut pas vendre d'alcool aux mineurs, il ne faut pas en consommer devant eux et si l'on a fumé deux joints, il ne faut pas conduire un scooter, etc.
Voilà ce qui pourrait être le début de notre réflexion car je pense - mais je peux évoluer grâce au débat - qu'il est nécessaire de maintenir un interdit.
Les chiffres cités par M. Masson sont réels. Il existe une surconsommation massive, et l'on constate véritablement l'échec des contrôles. C'est donc une piste de réflexion que je voulais tracer. Il y en a d'autres, par exemple la prise en compte des expériences étrangères, que nous n'étudions pas assez : il faut savoir ce qui s'est passé dans les pays qui ont été libéraux et qui sont devenus répressifs, et dans les pays qui ont été répressifs et qui sont devenus libéraux.
Pour la première fois, et je m'en suis félicité, il y a eu, au sommet de Luxembourg, une rencontre entre les ministres de l'intérieur, les ministres de la justice et les ministres de la santé des quinze pays de l'Union, qui a duré trois ou quatre heures. J'espère qu'il y aura d'autres échanges de ce type.
L'absence de position internationale est une belle manière faite aux trafiquants. Seule une position internationale nous permettra, comme je le disais à M. Masson dans ma réponse, de prévenir ce trafic international odieux qui dégage des bénéfices considérables.
Je suis désolé d'avoir été long, monsieur le président, et, qui plus est, d'avoir apporté une réponse trop lapidaire sur un sujet aussi intéressant. Cependant, le compte rendu de nos débats retracera mieux ma position que la récente dépêche qui en a fait faussement part.
Par ailleurs, si le Gouvernement était favorable à la tenue d'un débat sur ce thème, j'en serais le premier heureux.
M. Franck Sérusclat. Je demande la parole.
M. le président. Monsieur Sérusclat, je vais vous demander de faire preuve de brièveté, puisque vous avez largement dépassé le temps de parole qui vous était imparti pour poser votre question. Le sujet le méritait. Il mériterait également qu'un débat soit organisé.
Cela dit, je vous donne la parole, monsieur Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Monsieur le président, j'ai noté votre indulgence, et je vous en remercie. Je serai donc très bref.
Pour moi, entendre M. Kouchner, c'est toujours une satisfaction : à chaque fois j'apprends quelque chose. Il a ainsi cité le cas du café, qui est effectivement très symptomatique.
J'aimerais qu'il établisse un parallélisme entre le cannabis et l'alcool. Pour ce dernier, il y a punition lorsqu'il y a un accident commis par une personne qui a bu. Ainsi, celui qui fumerait du haschisch sans incidence pour lui ni nocivité pour la société ne commettrait pas un délit.
Il convient de réfléchir à cette question et je serais heureux, moi aussi, qu'un débat soit organisé sur le sujet. A défaut, j'envisagerais de déposer une question orale avec débat.

PROBLÈMES DE LA PÊCHE
AUX ABORDS DES ÎLES ANGLO-NORMANDES
ET DU COTENTIN

M. le président. La parole est à Mme Heinis, auteur de la question n° 155, adressée à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.
Mme Anne Heinis Ma question s'adressait en fait à M. le ministre des affaires étrangères et concerne la situation toujours préoccupante entre les autorités anglo-normandes et les pêcheurs du Cotentin. Depuis le mois de septembre 1997, des réunions techniques et professionnelles sur le thème des relations de voisinage entre pêcheurs jersiais et normands se sont multipliées.
Cependant, il semble que la position des autorités françaises ne soit pas suffisamment ferme face aux exigences accrues des autorités britanniques et jersiaires, en vue de limiter, de façon drastique, l'accès des pêcheurs français dans la baie de Granville, zone pour laquelle existe un principe de « mer commune ».
A l'heure actuelle, le secteur de pêche exclusivement réservé à Jersey est limité à une bande de trois miles autour de l'île anglo-normande. Les autorités britanniques et jersiaires prétendent voir étendue cette limite à partir de deux bancs de rochers découvrants, eux-mêmes situés en limite des trois miles actuels, repoussant d'autant vers le Nord la limite exclusive des trois miles.
Il faut savoir que les pêcheurs du Cotentin ont été échaudés par l'application systématiquement défavorable de l'accord bilatéral conclu en 1992 avec Guernesey, qui a notamment abouti à leur éviction du « haricot » de la Schole.
Les points suivants sont les plus sensibles : le dévoiement de la délégation de justice qui a donné lieu à une pétition du comité régional des pêches maritimes auprès du Parlement européen, la notion de reconnaissance des pratiques existantes, la rupture unilatérale du modus vivendi de 1994, le non-respect de l'article 6 aux termes duquel les pêcheurs sont invités à se rencontrer et la modération dans la mise en oeuvre et dans le règlement des contestations.
Je demande donc au Gouvernement de manifester une volonté politique très ferme, d'appuyer le travail technique effectué par la direction des pêches maritimes par une réouverture des négociations avec Guernesey avant de poursuivre les démarches relatives aux relations de voisinage avec Jersey. M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Je vous prie tout d'abord, madame le sénateur, d'excuser M. Louis Le Pensec, qui n'est pas à Paris ce matin et qui m'a chargé de répondre très précisément à votre question. Je vais donc vous lire - pardonnez-m'en - sa réponse, puisque les lieux particuliers que vous avez cités ne souffrent pas d'approximation.
Nos relations de voisinage en matière de pêche avec les îles anglo-normandes ont toujours été difficiles en raison de la faible distance qui sépare ces îles de nos côtes.
En ce qui concerne Jersey, la France a toujours exigé avec beaucoup de fermeté que la négociation en cours sur la délimitation des eaux britanniques et françaises autour de cette île ne remette pas en cause le principe de « mer commune » de la baie de Granville. Les droits d'accès des pêcheurs des deux parties aux eaux de la baie de Granville doivent être maintenus, à l'exception, bien sûr, des bandes côtières exclusives de chacun.
Notre fermeté a conduit le Royaume-Uni à accepter ces principes et à modérer ses revendications sans chercher à profiter des récentes évolutions du droit de la mer. Ainsi, le Royaume-Uni ne revendique pas d'étendre ses eaux exclusives au-delà des trois milles. Il ne propose pas non plus d'abandonner la référence appelée « laisse de basse-mer » pour mesurer la largeur de la bande côtière exclusive à l'est de Jersey, région la plus fréquentée par les pêcheurs français.
Au nord ou au sud de Jersey, où le Royaume-Uni souhaite partir des rochers découvrants pour mesurer la limite des trois milles exclusifs, les pratiques de pêche existantes seraient malgré tout reconnues à titre viager, voire perpétuel, dans les zones qui deviendraient ainsi exclusives. Ce serait le cas des bancs de rochers des Pater-noster et des Dirouilles que vous évoquez, au nord de Jersey.
La discussion laisse encore ouvertes, à ce stade, un certain nombre d'options qui devront être approuvées non seulement en fonction des contraintes découlant des règles internationales en la matière, mais aussi de la nécessité d'assurer un juste équilibre entre les intérêts professionnels en cause.
Le ministre de l'agriculture et de la pêche m'indique qu'il est tout à fait à même de vous rassurer sur la détermination de la délégation française à défendre, sans esprit de concession, des positions qui, vous le savez, ont toujours été définies en étroite concertation avec la profession.
Enfin, s'agissant de l'accord de 1992 relatif à Guernesey et des difficultés qu'il soulève, la volonté du Gouvernement est d'approfondir le dialogue avec le Royaume-Uni, notamment en vue d'amender les dispositions de l'accord relatives à la compétence en matière de poursuites. Cette volonté a été clairement affirmée encore tout récemment, le 3 février dernier, par M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, qui a reçu une délégation du comité régional des pêches maritimes pour discuter de la mise en oeuvre de cet accord.
Mme Anne Heinis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais d'abord vous remercier d'avoir bien voulu répondre à ma question de façon très détaillée.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, ma question s'adressait et s'adresse toujours à M. le ministre des affaires étrangères. M. le secrétaire général du Gouvernement a cru devoir la transmettre au ministre de l'agriculture et de la pêche, dont vous avez pris le relais avec beaucoup de talent. Je ne suis pas rassurée pour autant, et je déplore les effets de cascade.
En effet, monsieur le secrétaire d'Etat, il s'agit d'un problème de relations diplomatiques. S'il est parfaitement exact que la direction des pêches maritimes connaît parfaitement la question, le ministère de l'agriculture et de la pêche a donné au ministère des affaires étrangères tous les éléments en sa possession pour pouvoir négocier avec les îles et avec le gouvernement britannique.
Toutefois, mon inquiétude demeure, parce que je n'ai pas constaté jusqu'ici, depuis l'accord de Jersey de 1992 - mais j'espère que cela viendra, c'est d'ailleurs pourquoi je pose cette question aujourd'hui - de réelle volonté diplomatique et politique de notre pays de trouver, avec les trois composants que sont la France, la Grande-Bretagne et les îles Anglo-Normandes, une réelle solution d'entente.
Cela se traduit, dans la pratique, par des conflits qui ont tendance à s'aggraver entre les pêcheurs, tandis que les îles Anglo-Normandes affichent des ambitions démesurées en matière de territoire de pêche. Si nous ne nous battons pas pour conclure des accords convenables qui respectent les droits des uns et des autres, les pêcheurs français seront très vite au chômage.
Ce sera aussi simple que cela pour une raison très prosaïque que vous avez évoquée tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat : la proximité de ces îles. L'espace est en effet très réduit entre les côtes de la Manche et les îles Anglo-Normandes, et la baie de Granville est toute proche.
Ces eaux sont régies par un droit spécifique, et il est difficile d'exposer le problème en quelques minutes. Mais cette question exige une grande attention si nous voulons parvenir à véritablement défendre nos ressortissants afin que les accords soient respectés par les îles Anglo-Normandes. Nous n'y parviendrons qu'avec le concours du Foreign Office et du Quai d'Orsay. C'est à ce niveau que l'affaire doit être traitée.
Ces instances disposent de tous les documents qu'il leur faut ; nous pouvons d'ailleurs, s'il leur en manquait - ce dont je doute ! - continuer à leur fournir des informations, aussi bien juridiques que techniques.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire au ministre délégué chargé des affaires européennes, M. Moscovici, mais je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous supplie même, de bien vouloir répéter à votre collègue le ministre des affaires étrangères que ce n'est pas une petite affaire, que la France n'a pas le droit de ne pas s'occuper de ses ressortissants, que les problèmes ne peuvent pas être réglés localement - même si les pêcheurs déploient d'immenses efforts - et qu'ils ne peuvent être réglés que par la voie diplomatique.
Nous ne pouvons admettre de voir nos territoires de pêche disparaître et nos pêcheurs vendre leur bateau et s'inscrire au chômage.
Je compte sur vous, monsieur le secrétaire d'Etat, pour transmettre ce message auquel je suis très attachée. Ces pêcheurs, ils habitent la même région que moi, je les connais, je travaille avec eux, je les rencontre, et ils attendent beaucoup de notre Gouvernement.
M. Pierre Fauchon. Il faut de la combativité !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Madame le sénateur, du fait de la documentation de votre intervention, de votre ton et de votre légitime insistance, je mesure la gravité du problème et l'urgence d'apporter des solutions. Comptez sur moi, je transmettrai tous ces éléments d'information au Quai d'Orsay !

MONTANT DE LA VIGNETTE AUTOMOBILE

M. le président. La parole est à M. Roujas, auteur de la question n° 103, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Gérard Roujas. Monsieur le ministre, sans remettre en cause les principes mêmes de la décentralisation, je voudrais attirer votre attention sur les effets négatifs de la fixation, par chaque département, du montant de la vignette automobile.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Gérard Roujas. Nous sommes bien obligés de constater que les écarts sont très importants pour un même véhicule d'un département à l'autre.
Cela pose, certes, la question de l'égalité de nos concitoyens devant l'impôt. Il s'agit là, je le conçois, d'un problème particulièrement difficile à résoudre.
Mais ce système présente un autre inconvénient majeur. Il contribue, en effet, à creuser l'écart entre départements riches et départements pauvres, et participe ainsi à un certain déséquilibre du territoire.
Les départements dont les ressources sont les plus faibles et les moins diversifiées se voient contraints, pour assurer l'équilibre de leur budget, de revoir chaque année à la hausse les tarifs de la vignette automobile.
Nous entrons ainsi dans un cercle vicieux qui fait qu'une société dont le parc automobile est important préférera faire en sorte d'immatriculer ses véhicules dans un département où le montant de la vignette est faible, département la plupart du temps riche, au détriment d'un département où la vignette est chère, département le plus souvent pauvre.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Gérard Roujas. Je vous demande donc, monsieur le ministre, de bien vouloir préciser les solutions qui pourraient être prises afin de préserver les départements les plus défavorisés d'un inévitable déclin.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous venez de poser une question très intéressante.
L'article 1599 J du code général des impôts dispose que la vignette représentative du paiement de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur doit être acquise dans le département d'immatriculation du véhicule. Cette règle est la seule qui permette la localisation de cette taxe, qui est perçue, depuis 1984, au profit des départements.
La référence aux seules indications figurant sur le certificat d'immatriculation est, en effet, un critère simple et incontestable pour déterminer le taux de la taxe due et le département destinataire de la recette, qui est celui de l'immatriculation où doit être acquise la vignette.
Il s'agit, je le rappelle, d'une ressource des départements qui est essentielle au succès de la décentralisation.
S'agissant des véhicules appartenant à des sociétés dont le parc automobile est important ou à des sociétés de location, celles-ci ont la possibilité de les immatriculer au lieu de leurs établissements principaux ou secondaires, à la condition que ces derniers soient effectivement inscrits au registre du commerce et des sociétés.
Par ailleurs, en ce qui concerne les véhicules pris en location de longue durée ou avec option d'achat, la carte grise est établie au nom de la société de location propriétaire, mais elle est normalement revêtue de la mention des nom et adresse du locataire et délivrée dans le département de ce dernier qui est, aux termes de l'article 1599 E du code général des impôts, redevable de la taxe différentielle au lieu et place du propriétaire.
Le Gouvernement, conscient des possibles effets pervers d'un tel système, examine, sur l'initiative du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, des solutions. Je ne pense pas que le sénateur de la Haute-Garonne prône une recentralisation jacobine ou un mode de redistribution qui, naturellement, porterait atteinte à la liberté de collectivités locales de fixer le taux de leurs impôts.
Par conséquent, nous nous acheminons vers d'autres possibilités. Toutefois, le sujet est assez difficile. De plus, c'est au sein du ministère de l'économie et des finances qu'il est actuellement traité. J'espère que je serai en mesure de vous apporter des éléments plus complets d'ici à quelques mois.
M. Gérard Roujas. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Roujas.
M. Gérard Roujas. Monsieur le ministre, je voudrais vous remercier de cette communication.
D'après la fin de votre propos, je comprends que le Gouvernement est soucieux de ce problème et que peut-être, dans les mois à venir, des propositions seront faites qui iront dans le bon sens.
M. Raymond Courrière. Très bien !

CONDITIONS D'INCORPORATION
DANS LES ÉCOLES DE POLICE

M. le président. La parole est à M. Demuynck, auteur de la question n° 188, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Christian Demuynck. Monsieur le ministre, vous avez annoncé qu'en matière d'intervention des forces de l'ordre devait être privilégiée une police de proximité. Je tiens à rappeler que ce processus, qui avait déjà été engagé par vos prédécesseurs, reste d'une nécessaire priorité.
En toute logique, pour développer l'îlotage, il faut pouvoir recruter des gardiens de la paix pour remplacer les départs du corps de la police nationale et permettre le maintien ou l'augmentation des effectifs.
Pour exercer les fonctions de gardien de paix, il faut bien évidemment intégrer une école de police. Le candidat doit remplir un certain nombre de conditions. Il doit passer une visite médicale, ainsi qu'un concours de niveau de fin d'études secondaires. Ce dernier se décompose en épreuves de préadmissibilité pour évaluer son profil psychologique, en épreuves d'admissibilité comprenant une dissertation et un questionnaire de connaissances ; puis une épreuve d'admission avec un entretien devant un jury. Enfin, le candidat doit satisfaire à des tests sportifs.
La diversité et la difficulté de ce concours témoignent des qualités requises pour devenir gardien de la paix. Mais, une fois l'admission définitive acquise, le futur élève doit généralement attendre plusieurs mois avant d'obtenir des informations précises sur son dossier, sur la date d'incorporation et sur l'école ou le centre de formation qu'il devra rejoindre.
Aussi n'est-il pas rare que plus d'un an s'écoule entre le moment où il est déclaré admis au concours et celui où il est affecté dans une école. Ne serait-il pas possible de modifier les conditions de recrutement des personnels du corps de maîtrise et d'application de la police pour raccourcir ces délais et pour que les élèves puissent être informés de la date et du lieu de leur affectation dès qu'ils ont réussi leur concours d'entrée ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question qui soulève un problème réel. Permettez-moi toutefois de vous apporter un éclairage qui me semble nécessaire.
Tout d'abord, il convient de préciser que la gestion du concours de gardien de la paix s'effectue à deux niveaux : national et régional.
Le niveau national concerne la mission du jury : choix des sujets, fixation des seuils d'admissibilité et d'admission.
Au niveau régional, les secrétariats généraux pour l'administration de la police, les SGAP, réalisent toutes les opérations matérielles et font passer l'ensemble des épreuves du concours.
Le bureau central du recrutement de la police nationale, situé à Clermont-Ferrand, est chargé, quant à lui, de centraliser la totalité des résultats, d'établir les listes définitives d'admission des lauréats et d'assurer leur incorporation en école de police.
Je vous rappelle, pour mémoire, que l'organisation du concours comprend plusieurs phases.
D'abord, il y a l'ouverture du concours permettant l'inscription des candidats dans les secrétariats généraux pour l'administration de la police. Il faut compter trois mois pour assurer une publicité efficace du concours, à une période de vive concurrence avec d'autres services recruteurs comme l'armée ou la gendarmerie.
Ensuite, on procède à l'organisation de tests psychotechniques de préadmissibilité, sur deux à trois semaines, en fonction du nombre de candidats : la perspective d'occuper un emploi de police active constitue, en effet, un enjeu important tant pour le candidat que pour l'administration. Ces tests sont absolument indispensables pour des raisons sur lesquelles je n'ai pas besoin d'épiloguer.
Se déroulent alors les épreuves d'admissibilité dans l'ensemble des secrétariats généraux pour l'administration de la police. Cela nécessite le tirage des sujets, la mise sous pli et l'acheminement.
Viennent ensuite les épreuves orales et sportives sur une période d'environ un mois, ce qui requiert la mobilisation de nombreux examinateurs et moniteurs de sport dans les SGAP.
Le bureau central du recrutement de la police nationale établit la liste nominative d'admission des lauréats, par ordre de mérite, après vérification de l'ensemble des notices individuelles.
Ces opérations sont, je ne vous le cache pas, extrêmement lourdes. Elles se déroulent sur un délai moyen d'un an environ, vous avez raison de le dire, à partir de la date d'ouverture du concours, car elles concernent près de 40 000 candidats par concours.
La phase de gestion des incorporations en école de police peut alors commencer. Ainsi, 4 300 élèves, dois-je le rappeler, ont été incorporés en 1997.
Chaque lauréat doit faire l'objet, après enquête administrative, d'un agrément à la fonction de policier et être déclaré apte sur le plan médical par un médecin agréé de la police nationale. Toutes ces formalités sont entreprises dès l'admissibilité afin de raccourcir le délai d'incorporation. Si nous voulions les appliquer aux 40 000 candidats, cela représenterait un surcroît de travail dont vous comprendrez aisément que nous souhaitions faire l'économie.
Une fois réalisées ces opérations longues et complexes, mais indispensables, les services de la police nationale ne peuvent fixer, dès la réussite au concours, les date et lieu d'incorporation des lauréats.
Enfin, la complexité de cette gestion est accrue par la nécessaire alternance entre l'enseignement en école et sa mise en application sur le terrain.
En tout état de cause, le taux d'occupation des écoles est tel qu'il est difficile d'envisager une accélération des rotations des promotions.
Cependant, l'objectif de l'administration a toujours été de réduire le délai d'attente d'entrée en école des futurs élèves gardiens de la paix - cela va au-devant de vos aspirations, monsieur le sénateur - ce délai étant passé en deux ans de vingt-deux mois à quinze mois. Il pourra être encore réduit grâce à l'amélioration des logiciels de gestion informatique prenant en compte les différents paramètres d'incorporation.
Je suis persuadé qu'il faut resserrer davantage notre réflexion pour essayer de faire mieux encore, mais j'aimerais vous convaincre qu'il s'agit là d'un processus inévitablement très long, du fait de sa nécessaire complexité.
M. Christian Demuynck. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le ministre, j'ai en effet ici le détail des épreuves qu'il faut passer en vue de l'admissibilité au concours de gardien de la paix, et je vous remercie de les avoir rappelées.
Je comprends bien la difficulté qu'il y a à organiser l'incorporation de ces jeunes, mais ne serait-il pas possible, à partir du moment où un jeune est admissible, de lui dire dans quel délai il sera incorporé ?
Si c'est dans douze mois, il aura ainsi un an pour essayer de trouver un emploi avant d'entrer dans une école. C'est à mon avis l'incertitude qui est source de problèmes à l'heure actuelle.

STATUT DES ANIMATEURS DE LA MISSION D'INSERTION
DE L'ÉDUCATION NATIONALE

M. le président. La parole est à M. Gaillard, auteur de la question n° 187, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
M. Yann Gaillard. Monsieur le ministre, voilà quelques semaines, j'ai reçu à ma permanence deux personnes que je ne connaissais pas qui m'ont appris l'existence d'un organisme que je ne connaissais pas non plus. Elles travaillaient au CIPA, le cycle d'insertion professionnelle par alternance du collège des Jacobins à Troyes.
Elles m'ont appris qu'elles étaient 4 animatrices-formatrices dans le département de l'Aube ; il y en a 17 dans l'académie de Reims et 700 en France.
Tout cela compose ce qu'on appelle la mission d'insertion de l'éducation nationale, qui a été mise en place en 1986.
En principe, le rôle des animateurs est d'accompagner les jeunes en rupture scolaire ou sociale pendant un an. Le Bulletin officiel de mars 1992 - tout le monde sait que le c'est la bible du ministère de l'éducation nationale - précise qu'ils doivent faire le point sur la situation des jeunes dans le cadre scolaire et choisir, en liaison avec l'équipe éducative, les moyens les plus appropriés à leur entrée dans la vie active.
Un texte un peu « jargonnesque » prévoit que les animateurs-coordinateurs, du fait de leur situation relationnelle au carrefour de l'éducation nationale, des milieux sociaux et du monde de l'entreprise, sont prédisposés à établir une liaison entre ces différents éléments. Ils sont donc conseillers techniques en matière d'insertion.
La réalité, hélas ! est bien moins flatteuse.
Bien que du niveau bac + 3 et même, pour certains, semble-t-il, du niveau bac + 4, voire bac + 5 - puisqu'il y a quatre catégories dans ce personnel et une hors catégorie - ils vivent sur des contrats à durée déterminée d'un an renouvelables, et ce depuis douze ans. Leur statut n'a pas connu la moindre évolution. Alors qu'ils bénéficiaient depuis 1993 de la protection d'une grille indiciaire, celle-ci a été supprimée en 1997. Bref, ils n'intéressent personne.
Ils sont vaguement rattachés au syndicat général de l'éducation nationale, le SGEN, mais aucun syndicat, étant donné leur petit nombre, n'a jugé très utile de prendre en main leur défense, qui est évidemment tout à fait classique et qui consiste à demander leur titularisation, ainsi que la mise en place d'une carrière.
Pour tout dire, ce personnel, qui a en charge d'insérer les jeunes, voudrait bien être inséré lui-même !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Les personnels contractuels intervenant dans la mise en oeuvre de la mission générale d'insertion de l'éducation nationale sont recrutés par les recteurs, conformément aux dispositions exposées dans la circulaire n° 96-293 du 13 décembre 1996.
Les contrats sont conclus pour une année scolaire et sont renouvelables à la demande des intéressés, après décision favorable du recteur, en fonction des besoins des académies et dans la limite des crédits attribués.
Les candidats sont classés par les recteurs en fonction des titres universitaires qu'ils détiennent ou de leur qualification professionnelle antérieure en quatre catégories. L'indice de rémunération du candidat est fonction de la catégorie dans laquelle celui-ci a été classé. L'arrêté du 29 août 1990 fixe les indices minimum, moyen et maximum par catégorie.
Les recteurs peuvent modifier le classement de catégorie des personnels contractuels justifiant de nouveaux titres universitaires.
En application des dispositions législatives et réglementaires actuellement en vigueur, la titularisation est envisageable pour ces agents contractuels par la voie des concours externes de recrutement de personnels enseignants, d'éducation et d'orientation des lycées et collèges. Mais ils ne remplissent pas les conditions requises pour se présenter aux concours internes spécifiques.
En effet, ces personnels ne sont pas recrutés en qualité de personnel enseignant ou exerçant des fonctions d'éducation dans les établissements d'enseignement public relevant du ministre chargé de l'éducation ou en qualité d'agent non titulaire exerçant des fonctions d'information et d'orientation dans les services d'information et d'orientation ou dans les établissements publics relevant du ministre chargé de l'éducation.
Par ailleurs, les concours mis en place par le titre premier, notamment l'article 1er de la loi n° 96-1093 du 16 décembre 1996 relative à l'emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d'ordre statutaire, organisés au titre du ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, sont réservés aux maîtres auxiliaires recrutés en application du décret n° 62-379 du 3 avril 1962 et à certains agents non titulaires remplissant les conditions fixées par cette même loi. Seuls les personnels recrutés à titre précaire, ce qui n'est pas le cas des personnels contractuels, peuvent bénéficier de ce dispositif.
L'élargissement du champ des bénéficiaires du dispositif permettant à certains maîtres auxiliaires et agents non titulaires relevant de l'éducation nationale d'accéder à certains corps de personnels de l'enseignement du second degré ne peut résulter que de la modification par la voie législative des mesures de résorption de l'emploi précaire mises en place par le titre premier de la loi du 16 décembre 1996 précitée et qui concernent l'ensemble de la fonction publique de l'Etat.
En conséquence, monsieur le sénateur, il faudrait que vous déposiez une proposition de loi permettant l'intégration de ces personnels.
Pour ma part, je suis tout à fait conscient de leur situation. Ils sont, hélas ! un certain nombre dans l'éducation nationale à avoir été recrutés au fil du temps, et je souhaiterais personnellement pouvoir les intégrer.
Il n'est pas impossible - ce n'est toutefois pas un engagement de ma part - qu'intervienne une mesure qui permettrait d'en intégrer d'un coup un certain nombre. Comme vous le soulignez, cela ne constituerait pas un gros problème budgétaire compte tenu de leur nombre, mais l'on se heurte à des dispositions législatives.
Comme vous le savez, l'éducation nationale a pour bible une réglementation qui est excessivement stricte dans certains secteurs et qui, il faut bien le dire, est toujours plus accommodante et plus souple à l'égard de personnels enseignants que d'autres personnels dont les statuts sont, disons... beaucoup plus exotiques.
M. Yann Gaillard. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. Monsieur le ministre, j'avoue que, pendant la première partie de votre réponse, vous m'avez inquiété. En effet, nous avons eu droit à une lecture de textes de références officielles, ce qui ne me paraissait pas correspondre à votre tempérament bien connu.
Heureusement, à la fin de votre intervention, vous vous êtes un peu humanisé et vous avez bien voulu, je ne dirais pas m'encourager à déposer une proposition de loi, mais tout au moins à me faire comprendre qu'un tel geste pourrait rencontrer une certaine sympathie de la part de vos services.
J'ai l'impression qu'effectivement différentes strates se sont superposées. Au fil des années, ont été visés un certain nombre de corps, de missions qui, finalement s'accumulent et parfois se contredisent. J'avais presque envie de vous demander si cette mission d'insertion avait encore sa place dans le nouveau dispositif que vous souhaitez mettre en oeuvre ou si vous alliez la rattacher à autre chose.
En tout état de cause, on ne peut pas laisser des personnels, qui ont surtout le tort d'être peu nombreux, dans l'incertitude quant à leur avenir.

FINANCEMENT DE L'UTILISATION
DES RESSOURCES MULTIMÉDIA
DANS LES ÉTABLISSEMENT SCOLAIRES

M. le président. La parole est à M. Dulait, auteur de la question n° 181, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
M. André Dulait. J'ai souhaité appeler l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie sur le plan ambitieux, présenté comme prioritaire, ayant pour objectif de « jeter les bases d'une nouvelle démarche éducative s'appuyant sur les ressources du multimédia ».
Cette initiative a suscité beaucoup d'attente de la part des personnels, des enfants et des parents d'élèves.
L'intégration des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans toute démarche pédagogique correspond en effet à une nécessité que les collectivités locales ont, pour nombre d'entre elles, déjà intégrée dans leurs actions.
A ce titre, le conseil général des Deux-Sèvres, que j'ai l'honneur de présider, a engagé un plan net destiné à équiper rapidement les collèges du département et à les connecter au réseau Internet tout en élargissant, en dehors des horaires scolaires, ces équipements au monde associatif pour en faire de véritables centres de ressources multimédia, principalement dans le secteur rural.
Comme toujours, monsieur le ministre, l'interrogation porte avant tout sur les moyens susceptibles d'être mis en place par le ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, sachant que les collectivités locales sont de plus en plus mises à contribution pour venir en aide financièrement à l'Etat, qui transfère ainsi des charges lourdes sur les contribuables locaux, charges relevant pour l'essentiel, en l'occurrence, de la pédagogie.
Dans cet esprit, monsieur le ministre, je m'interroge sur le sens et le coût pour les collectivités locales de la déclaration du service de presse du ministère en date du 17 novembre 1997, selon lequel « le ministre a décidé de mettre en place un vaste dispositif déconcentré et fédérateur d'énergies » ou encore a décidé « d'inciter les collectivités à soutenir les projets d'établissements utilisant les nouvelles technologies » et « l'installation volontariste d'infrastructures en collaboration avec les collectivités locales ».
Je rappelle, monsieur le ministre, que la pédagogie relève, bien entendu, de l'Etat. Ma question porte sur les demandes d'aides financières que nous pouvons adresser au ministère de l'éducation nationale afin d'adapter le projet aux réalités.
Nous aimerions savoir si le ministre de l'éducation nationale que vous êtes sera attentif à cette demande et sur quel chapitre budgétaire nous pouvons compter pour le développement de ces technologies.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d'abord de l'intérêt porté par les collectivités territoriales aux nouvelles technologies à l'école. Je prends bonne note, avec évidemment une grande satisfaction, du fait que le département des Deux-Sèvres est sur le point de développer un programme qui le mettra, je l'espère, rapidement au niveau du département du président du Sénat et qui joue un rôle moteur dans ce domaine.
Comme vous vous en doutez, Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire, apportera tout son soutien à ce plan.
En ce qui concerne l'aide de l'Etat, je peux vous dire que ce dernier a mobilisé, cette année, 500 millions de francs, débloqués sur le fonds de privatisation de France Télécom. Ces fonds seront utilisés pour aider les collectivités territoriales à équiper les écoles. L'aide prendra la forme d'un taux préférentiel appliqué aux emprunts.
En outre, l'Etat a négocié avec les divers opérateurs de télécommunication des tarifs préférentiels spécifiques pour les établissements scolaires et universitaires.
Enfin, comme vous l'avez vous-même indiqué, si les problèmes d'équipement relèvent des collectivités territoriales en vertu des lois de décentralisation, la pédagogie relève de l'Etat. Par conséquent, l'Etat est en train de mettre en place dans toutes les régions et tous les départements des centres de formation des enseignants aux nouvelles technologies.
Il va développer un système permettant de soutenir des PME et PMI innovantes, en vue de la création de logiciels nécessaires au développement de ces nouvelles techniques éducatives.
La répartition des responsabilités me semble donc bien équilibré : l'équipement relève, pour l'essentiel, des collectivités territoriales ; mais, naturellement, dans le souci d'assurer l'égalité républicaine, l'Etat aidera les collectivités le plus en difficultés celles qui ont du mal à suivre un mouvement qui, il faut bien le dire, met à contribution les collectivités territoriales pour le plus grand bien de l'éducation nationale ; par ailleurs, l'Etat assumera pleinement ses charges pédagogiques.
Je crois que, dans les mois qui viennent, nous allons avoir à discuter d'un point important : la maintenance des matériels, problème au traitement duquel nous voulons apporter notre contribution. L'un des objectifs primordiaux des lois de décentralisation était de transférer la responsabilité des collèges et des lycées aux collectivités territoriales, ce qui nous a permis d'avoir des établissements de très grande qualité sur l'ensemble de notre territoire. Mais le problème de la maintenance n'a pas été très bien réglé : il faut bien le dire, l'Etat n'assume pas toujours très bien son rôle en la matière.
Nous aurons donc à dialoguer sur ce sujet, à essayer de définir un cahier des charges, parce que je crois que c'est un moyen d'adapter notre école au monde moderne.
M. André Dulait. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Dulait.
M. André Dulait. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces éléments de réponse.
Je suis satisfait d'apprendre que nous pourrons bénéficier d'emprunts à des taux préférentiels ; c'est un point positif.
Par ailleurs, vous avez avancé que l'inégalité de situation pourrait jouer au bénéfice des collectivités les moins favorisées ; c'est également un élément d'importance.
Enfin, sur le dernier point, la maintenance de ces matériels, il me semble primordial, monsieur le ministre, que nous ne nous retrouvions pas dans la situation que nous avons connue voilà quelques années, avec du matériel qui n'a absolument pas été entretenu par le ministère de l'éducation nationale, qui est devenu très rapidement obsolète et qui se trouve aujourd'hui rangé dans les placards de nombreuses écoles primaires de notre pays.

5

NOMINATION D'UN MEMBRE
D'UNE COMMISSION

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe des Républicains et Indépendants a présenté une candidature pour la commission des affaires culturelles.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Jean-Paul Bataille, membre de la commission des affaires culturelles, à la place laissée vacante par M. Jean-Pierre Camoin, démissionnaire.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Jean Delaneau.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Madame le ministre, mes chers collègues, je dois vous indiquer que M. le président du Sénat ne préside pas le début de cette séance - ce qu'il fait à l'accoutumée lorsqu'un débat important a lieu - car il assiste à la prestation de serment des trois nouveaux membres du Conseil constitutionnel devant le Président de la République ; il nous rejoindra dès la fin de cette importante cérémonie.

6

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. Mes chers collègues, je vous informe que M. le président du Sénat prononcera l'éloge funèbre de Régis Ploton, sénateur de la Haute-Loire, le mercredi 25 mars 1998, à quinze heures.
L'ordre du jour de la séance du mercredi 25 mars est modifié en conséquence.

7

DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT

M. le président. J'informe le Sénat que M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 21 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, le sixième rapport sur les mesures prises dans la fonction publique de l'Etat pour assurer l'application du principe d'égalité des sexes.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.

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RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 286, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail. [Rapport n° 306, (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que nous examinons aujourd'hui revêt une importance particulière, puisqu'il concerne la priorité centrale dans l'action du Gouvernement, la lutte contre le chômage.
Il n'est plus nécessaire, je pense, de justifier cette priorité, chacun connaît la réalité, chacun connaît les chiffres, chacun sait ce que ces chiffres cachent : des hommes, des femmes, des jeunes qui, pour certains, ne croient plus que la société peut leur faire une place, des situations de détresse et de grande fragilité, le désespoir de ceux qui sont au chômage depuis très longtemps.
La création d'emplois et la réduction du chômage constituent, nous le savons, l'attente majeure de nos concitoyens. Ce projet de réduction du temps de travail en est l'un des volets, car il vise à créer des emplois mais aussi à libérer du temps et donc à améliorer les conditions de vie de nombre de nos concitoyens.
Je tiens à le dire d'emblée, nous n'ignorons rien ni de l'évolution du monde ni de l'interdépendance des économies à l'heure de la mondialisation, mais nous récusons les logiques d'impuissance. Nous sommes en effet convaincus que, en vertu de choix clairs, une société mobilisée sur des objectifs partagés autant qu'il est possible peut changer profondément les choses. Nous sommes convaincus qu'il n'y a pas de fatalité du chômage dans ce pays.
Le premier levier de l'action, c'est, bien sûr, d'abord, la politique de croissance. Vous le savez, le premier souci du Gouvernement fut de rompre avec une politique qui ponctionnait les ménages et avait pénalisé ces dernières années la consommation et donc la reprise de la croissance interne.
Je vous le rappelle, nous avons enregistré, ces dernières années, un taux de croissance inférieur à celui de nos partenaires européens. Aussi le Gouvernement a-t-il décidé de relancer la consommation, bien sûr, en suscitant la confiance autant que faire se peut, mais aussi en augmentant le revenu de ceux qui en avaient le plus besoin. Cela s'est traduit par l'augmentation du montant du SMIC de 4 % en juillet dernier, par le quadruplement de la prime de rentrée scolaire, par la revalorisation de l'allocation logement, en particulier en direction des plus modestes.
Dans le même esprit, le Gouvernement a engagé des réformes structurelles qui visent à mieux équilibrer les prélèvements sur les revenus du travail et du capital et à réduire le coût du travail, notamment sur les bas salaires. Cela a été l'une des raisons du transfert des cotisations salariales maladie vers la contribution sociale généralisée, la CSG, ainsi que de la réforme de l'assiette des cotisations patronales de sécurité sociale, sur laquelle nous travaillons.
Le transfert des cotisations maladie vers la CSG a permis aux salariés, dès le mois de janvier, de constater, sur leur fiche de paie, une augmentation de 1,1 % de leur pouvoir d'achat et à 80 % des non-salariés de bénéficier d'une croissance ou du maintien de leur pouvoir d'achat.
Parallèlement, nous en sommes tous convaincus, la croissance doit être plus créatrice d'emplois qu'elle ne l'a été auparavant, surtout par rapport aux autres pays. C'est la raison pour laquelle nous avons prévu, dans la dernière loi de finances, un certain nombre de mesures fiscales en faveur de l'aide à la création d'entreprises et du développement de nouvelles technologies. Là aussi, nous savons que la France enregistre un retard par rapport à d'autres pays, notamment, bien sûr, par rapport aux pays d'Amérique du Nord. Il nous faut donc préparer les métiers de l'avenir. De même, la recherche doit être encouragée.
Nous devons par ailleurs continuer à prendre des dispositions spécifiques pour aider les secteurs d'activité fortement créateurs d'emplois ; je pense bien évidemment ici aux petites et moyennes entreprises, mais aussi au secteur du bâtiment. Comme l'avait annoncé M. le Premier ministre, le 10 octobre dernier, des décisions très concrètes viennent d'être prises en ce qui concerne les formalités administratives des PME, et le mouvement va se poursuivre.
Développer les emplois de demain, c'est aussi, et nous en avons longuement parlé ici, l'objectif du programme dit « programme pour l'emploi des jeunes ». Il vise, à partir des besoins de notre économie, de nouvelles activités qui, aujourd'hui, ne sont pas solvables et donc pas organisées par le marché, et permettra ainsi à 350 000 jeunes d'anticiper les métiers de demain en répondant avec des métiers nouveaux à des besoins aujourd'hui mal satisfaits, qu'il s'agisse des services aux personnes, de la protection de la nature, de la qualité de la vie, de la sécurité ou encore de la valorisation du patrimoine.
On peut dire aujourd'hui que ce programme a bien démarré, puisque 50 000 jeunes sont d'ores et déjà embauchés et au travail, tandis que les parcours de professionnalisation sont en marche.
Cette politique, qui vise très simplement à répondre aux besoins et à redonner confiance, commence à porter ses fruits : la consommation a repris, alors qu'elle était quasi étale depuis le début de 1995 dans notre pays ; la production industrielle s'est accrue de près de 9 % en 1997 ; l'investissement reprend aussi, comme le montrent les derniers chiffres disponibles, et les enquêtes d'opinion auprès des chefs d'entreprise comme de l'ensemble des Français attestent le rétablissement d'une croissance.
Nous sommes donc sur une bonne courbe de croissance. Le Gouvernement met tout en oeuvre pour que ce mouvement soit durable. Nous espérons, bien sûr, constater progressivement les effets de cette politique sur le chômage. La tendance s'améliore sur les quatre derniers mois, et le chômage a baissé, parfois fortement.
Ce sont, à nos yeux, autant d'encouragements mais, dans un domaine comme celui-là, nous devons rester prudents, garder le cap et conforter les engagements et les décisions qui ont déjà été pris. Chacun sait, et ce point fait l'unanimité des organismes d'études économiques, que, même avec une croissance annuelle de 3 %, ce qui induit la création d'environ 200 000 emplois, le chômage ne diminue que de 70 000 emplois par an. Voilà ce que nous pouvons attendre si nous en restons là, c'est-à-dire si nous ne faisons pas tout pour que cette croissance soit encore plus riche en emplois et si nous n'ouvrons pas toutes les pistes possibles.
J'ai parlé des nouvelles créations d'activités, mais il me faut aussi évoquer la réduction du temps de travail.
Bien conduite, cette réduction du temps de travail est un outil puissant de lutte contre le chômage. Je pense d'ailleurs que cette conviction n'est pas seulement la nôtre, et qu'elle est de plus en plus largement partagée, ainsi que j'ai pu le constater au cours des débats à l'Assemblée nationale. Nombre d'intervenants, et sur tous les bancs de l'hémicycle - je pense, en particulier, à MM. Barrot et de Robien - se sont en effet clairement exprimés en ce sens : la réduction du temps de travail est aujourd'hui un outil indispensable à la lutte contre le chômage. Ce sentiment a également été exprimé au sein de la commission des affaires sociales du Sénat. Même si son rapporteur, M. Souvet, conteste la nécessité d'une loi, ce qui nous sépare sur la méthode, et préfère, pour sa part, un « reprofilage » de la loi Robien, une majorité de la commission des affaires sociales considère avec lui, que « la réduction du temps de travail peut sans doute créer des emplois ou en préserver dans certaines entreprises, en fonction du contexte propre à chacune d'elles et qu'elle peut permettre d'améliorer les conditions de travail et ainsi constituer un des éléments du donnant-donnant qui constitue la base de tout accord ».
Nous sommes donc, finalement, en majorité d'accord sur le fond, même si nous sommes en désaccord sur la méthode.
J'espère que nos débats pourront montrer que le projet de loi offre de meilleures conditions possibles, de meilleures chances possibles pour développer la négociation sociale dans les branches et dans les entreprises et pour permettre une forte création d'emplois, grâce à cette réduction du temps de travail.
Il me semble que ce constat est aujourd'hui dresséau-delà de nos frontières, même si chacun fait référence à son histoire sociale, à ses habitudes culturelles, pour utiliser les instruments qui lui paraissent les plus adaptés.
Lors de la réunion du G 8 à Londres, voilà dix jours, j'ai senti la conviction de tous, y compris des Etats-Unis, du Japon et du Canada - c'est nouveau - que le chômage et l'exclusion menaçaient non seulement la cohésion sociale mais aussi le bon fonctionnement de l'économie, et que lutter contre le chômage aujourd'hui, c'était aussi lutter pour un meilleur développement économique.
Face à ce constat, l'ensemble des représentants des gouvernements présents ont exprimé la nécessité d'envisager toutes les pistes pour réduire le chômage. D'ailleurs, dans le relevé de décisions, vous pourrez lire, et pour la première fois s'agissant de ces instances, la conviction que la réduction et l'aménagement du temps de travail peuvent être, doivent être, l'une de ces pistes. D'ailleurs, comment en être surpris ? Comment ne pas penser à réduire le temps de travail quand on constate que, depuis 1975, notre produit national s'est accru de 60 %, alors que le volume de travail nécessaire à cette production n'a pas varié ? Durant le même temps, pourtant, notre population active s'est accrue de près de 4 millions de personnes. C'est ce décalage qu'il faut combler par la réduction du temps de travail.
Je ne reprendrai pas ici l'histoire de la réduction du temps de travail que j'ai été amenée, avec d'autres, d'ailleurs, à retracer devant l'Assemblée nationale, nous la connaissons, elle fait partie de notre histoire commune.
La réduction du temps de travail est bien, en effet, un processus séculaire qui va de pair avec l'amélioration de l'efficacité de l'organisation productive.
C'est un souhait permanent des salariés que leurs efforts pour améliorer la productivité permettent à chacun, en définitive, de disposer de plus de temps libre, c'est-à-dire de plus de temps pour se former, pour s'occuper de sa famille, pour prendre des loisirs ou s'investir dans une activité associative ou - pourquoi pas ? - politique et, au bout du compte, pour améliorer ses conditions de vie et pour mieux vivre avec les autres au sein de la société. Précisément, dans une société en pleine mutation et de plus en plus complexe comme la nôtre, nous avons besoin de beaucoup de temps, pour comprendre, nous adapter et, en définitive, pour conserver individuellement et collectivement la maîtrise de notre avenir et tisser avec nos voisins, dans nos villes, dans nos quartiers dans nos immeubles, des liens sûrs, pour éviter que la cohésion sociale ne se distende.
A cet égard, je m'insurge contre ceux qui seraient tentés d'opposer les chômeurs, qui réclament du travail, aux salariés, qui souhaitent voir diminuer leur temps de travail. Ces deux mouvements sont profondément cohérents et ils le sont, en tout cas, dans toute l'histoire du mouvement ouvrier et du mouvement des travailleurs dans notre pays.
Vouloir du travail traduit un désir évidemment légitime de dignité, de responsabilité et d'autonomie. Réduire le temps de travail pour que le travail n'écrase pas l'individu mais, au contraire, le respecte et le libère n'en est pas moins légitime. Nous devons nous ancrer dans ces deux traditions, qui ne sont pas contradictoires.
En entreprenant cette démarche, nous ne faisons pas « bande à part », comme je l'ai entendu prétendre à plusieurs reprises. Les chiffres parlent d'eux-mêmes et ceux que je cite, parce qu'ils émanent de l'OCDE, ne sont pas contestables : durant les quinze dernières années, c'est plutôt notre pays, qui, avec la Grande-Bretagne et le Portugal, a été l'exception en Europe. En effet, si la durée du travail des salariés à temps plein - je laisse de côté le travail à temps partiel, qui pose un autre problème - a diminué en Allemagne, aux Pays-Bas, au Danemark, en Espagne, en Italie et en Belgique, en revanche, en France, ce mouvement de réduction du temps de travail a cessé depuis 1983, alors même que subsistent, dans notre pays, des horaires encore très élevés,...
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Dont acte !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... puisque, aujourd'hui, 12 % des salariés travaillent encore plus de 43 heures par semaine ! Il s'agit, aujourd'hui, de reprendre ce mouvement, qui s'est interrompu, et qui est, je le répète, un mouvement historique que notre pays, comme tous les pays industrialisés, a connu.
Les experts étrangers le reconnaissent : la réduction du temps de travail a créé et a préservé des emplois. La commission d'enquête sénatoriale l'a d'ailleurs bien exprimé en soulignant que « dans certains pays comme aux Pays-Bas ou, dans une moindre mesure, en Allemagne, la réduction du temps de travail a favorisé la création d'emplois et la baisse ou la modération du chômage ». Les modèles macroéconomiques ne disent pas autre chose. Il s'agit, en la matière, non pas de faire des prévisions, mais bien de mettre en évidence les conditions auxquelles la réussite d'une réduction du temps de travail se trouve suspendue, comme l'a justement rappelé la commission d'enquête. Je me réjouis que nous nous soyons compris sur l'objectif de ces études. C'est ni plus ni moins ce que j'ai toujours indiqué. C'est dans cet esprit qu'ont été avancées les possibilités de créations d'emplois liées à notre démarche de réduction du temps de travail.
L'OFCE, l'Observatoire français des conjonctures économiques, la Banque de France, mais aussi l'organisme Rexecode proche d'une grande organisation patronale parviennent finalement aux mêmes conclusions en partant des mêmes hypothèses. Si nous pensons que les gains de productivité tournent autour de 3 % par an si nous testons les hypothèses d'aide du Gouvernement et aucune autre - certains nous ont reproché d'avoir donné des hypothèses aux organismes qui ont réalisé ces études ; quel aurait été l'intérêt de tester des hypothèses qui ne sont pas celles du projet de loi ? - et si nous considérons qu'une augmentation salariale de l'ordre de 0,5 à 1 % par an est acceptable, tous les organismes aboutissent quasiment aux mêmes chiffres, qui sont, je le répète, des hypothèses, à savoir 450 000 emplois possibles dans les entreprises de plus de vingt salariés et 700 000 emplois pour l'ensemble des entreprises privées.
Bien évidemment, tout dépendra de la rapidité et de la qualité de la négociation. Nous aurions bien plus intérêt dans notre pays à débattre des conditions dans lesquelles la réduction de la durée du travail peut créer des emplois que de nous jeter parfois des slogans à la tête. En effet, la situation en matière d'emploi est telle qu'il faut se mettre le plus vite possible au travail, c'est-à-dire à une table de négociation, afin de trouver les meilleures conditions pour créer des emplois.
M. Raymond Courrière. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Dans chacune de ces études, la seule situation qui conduit à une absence de création d'emploi, mais c'est une lapalissade, est celle dans laquelle les entreprises ne réduisent pas la durée du travail. C'est évident !
Il est d'ailleurs intéressant de reprendre la conclusion de M. Bernd Hof, économiste à l'institut allemand Der Deutschen Wirtschaft pour évaluer notre projet. Vous le citez d'ailleurs dans le rapport de votre commission d'enquête sénatorale. A partir de l'expérience de son pays, il déclarait : « La réduction du temps de travail a des effets positifs sur l'emploi, mais la compensation salariale les réduit. La réduction du temps de travail réduit la croissance de l'économie, accroît les coûts du travail et fait augmenter les prix. La réduction du temps de travail entraîne une baisse des déficits publics. L'emploi et les recettes fiscales augmentent, le chômage et les transferts sociaux diminuent. » C'est précisément tout cet enchaînement macroéconomique que nous nous sommes attachés à prendre en compte dans notre projet de loi pour consolider les aspects positifs et pour contrecarrer les aspects négatifs du raisonnement de M. Bernd Hof.
Dans notre dispositif, contrairement à ce qui s'est fait en Allemagne, nous anticipons la baisse des déficits publics sous forme d'un abattement de charges sociales en faveur des entreprises. De la sorte, nous contenons la hausse du coût du travail. Nous facilitons, pour les entreprises, la maîtrise de la compétitivité et, pour les salariés, le maintien du pouvoir d'achat. Nous évitons dès lors les effets négatifs soulignés sur les prix et sur la croissance.
Notre projet est tout l'inverse d'une construction intellectuelle comme cela était indiqué dans le rapport écrit de votre commission. Il s'appuie sur une analyse économique réaliste, nourrie de l'observation de l'étranger et de l'expérience des entreprises qui ont réduit le temps de travail. Il traduit la volonté de créer des emplois, de réduire le chômage et d'améliorer les conditions de vie des salariés. Il peut constituer pour les entreprises, nous le savons bien et elles nous le disent, une opportunité de rajeunissement par l'embauche de jeunes, et de nouvelles compétences, et une occasion d'intervention dans leur organisation du travail pour la rendre plus performante.
En effet, il y a dans le fond, pour les entreprises, un formidable enjeu à repenser l'organisation du travail en fonction des nouvelles exigences du marché au moment où ce qui fonde la performance est de moins en moins l'intensité quantitative du travail, mais bien plus la réactivité, les compétences, les coopérations et l'autonomie.
Je sais que certains s'interrogent : pourquoi ne pas avoir fait confiance au mouvement spontané de la négociation ? Il faut là regarder la vérité en face. Moi aussi, je suis convaincue que c'est par la négociation décentralisée que nous trouverons les solutions les plus adaptées. Nous le savons. Nous savons aussi que les réponses peuvent être différentes selon que l'on se situe dans une industrie aux investissements lourds en croissance, qui peut avoir besoin d'augmenter le temps de fonctionnement de ses machines, dans une entreprise de services, où il s'agit plutôt d'adapter les horaires à la demande du public, ou dans nombre de secteurs où il faut prendre en compte la variabilité de la demande sur l'année ou au gré de la conjoncture. Mais partout il s'agit de trouver les moyens d'améliorer l'organisation du travail pour qu'elle soit plus réactive et de meilleure qualité.
De même, nous savons que les souhaits des salariés ne sont pas les mêmes en zone rurale ou en milieu urbain, selon que l'on a de jeunes enfants et que le domicile est ou non éloigné du lieu de travail. C'est bien la négociation qui permettra de prendre tout cela en compte et finalement de faire en sorte que les accords soient « gagnant-gagnant ».
Pourquoi, dans ce contexte où l'on croit à la négociation, avoir présenté un projet de loi qui, effectivement, dans son article 1er, « affiche la couleur », si j'ose dire, c'est-à-dire les 35 heures au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de vingt salariés et au 1er janvier 2002 pour celles qui en comptent moins de vingt ?
D'abord, tout simplement, il faut le constater, parce que la négociation spontanée dans ce pays est faible. Je ne connais pas de mouvement majeur en matière sociale dans lequel la loi n'ait pas réussi sans la négociation, mais je ne connais pas non plus de vaste mouvement de négociation qui se soit déroulé seul et spontanément sans un lancement par la loi. C'est ainsi ! Nous pouvons le regretter, mais telle est l'évolution historique des relations sociales dans notre pays.
Rappelez-vous l'accord interprofessionnel de 1995. On nous disait alors que la réduction et l'aménagement du temps de travail étaient en marche dans notre pays. Or, trente accords de branche ont été conclus qui, pour la plupart, concernent des « ponts » ou des modalités dans le calcul des pauses, et non la réduction de la durée du travail. Certes, chaque année, des milliers d'accords portent sur le temps de travail, mais, en règle générale, ils octroient une journée exceptionnelle de repos, ils donnent le calendrier des ponts et des congés, et peu d'entre eux traitent le vrai problème qui est la réduction du temps de travail.
Il a fallu attendre la loi Robien, ce qui prouve bien que la loi lance le mouvement, pour que le mouvement de réduction de la durée du travail ait une impulsion, certes limitée, mais qui a l'intérêt d'exister. Ainsi, on dénombre quelque 2 000 accords concernant 210 000 salariés depuis le démarrage du dispositif. C'est sans doute peu, mais c'est nettement mieux qu'avant. Toutefois, il faudrait, si nous restions dans le dispositif Robien, soixante-dix ans pour toucher tous les salariés du secteur privé. Les 3 millions de personnes inscrites à l'ANPE, les 5 millions de nos concitoyens qui recherchent aujourd'hui un emploi souhaitent que nous avancions des réponses plus urgentes et plus rapides.
C'est pourquoi nous avons voulu, par le texte qui est soumis à votre assemblée, marquer notre volonté en montrant clairement et fermement un cap, celui qui est précisé, comme je viens de le dire, dans l'article 1er.
D'abord, la durée légale du travail à 35 heures au 1er janvier 2000 pour les entreprises dont l'effectif est de plus de vingt salariés n'est pas un couperet, puisqu'il s'agit justement de la durée légale du travail.
Ensuite, ce n'est pas un butoir, puisque le dispositif d'aide encourage les entreprises qui vont plus vite et plus loin, notamment vers les 32 heures.
Enfin, ce n'est pas un carcan, et je vais essayer de m'en expliquer, puisque le champ de la négociation est ouvert et immense. A cet égard, ceux qui critiquent ce projet de loi formulent parfois des observations contradictoires. En effet, ils lui reprochent d'être autoritaire mais, en même temps, de ne pas tout traiter, à savoir les heures supplémentaires, la modulation et le travail à temps partiel dans tous ses détails.
Or, il faut choisir. Nous avons choisi une loi qui fixe le cap et qui renvoie à une seconde loi, prévue dans un an et demi, qui tirera les conséquences de ces négociations. En effet, nous croyons à la négociation qui, je l'espère, sera susceptible d'écrire un code du travail plus lisible, plus simple et apportant des garanties, et qui prendra en compte l'état de la situation économique.
Notre projet est souple puisqu'il laisse le temps de négocier, diversifie les entreprises en fonction de leur taille et met en place un mécanisme d'incitation dont le montant est d'autant plus élevé que la baisse de la durée du travail et les créations d'emplois sont fortes. J'ajoute que l'aide forfaitaire préconisée, contrairement à l'aide proportionnelle instaurée par la loi Robien, bénéficiera aux entreprises créatrices de main-d'oeuvre ayant de bas salaires, ce qui n'était pas le cas auparavant. C'est d'ailleurs ce qui explique le coût très important de la loi Robien pour les finances publiques.
La loi indique certains thèmes de la négociation, en particulier le niveau et les échéances de la réduction du temps de travail, le volume des créations ou des préservations d'emplois, les modalités d'organisation du temps de travail et les délais de prévenance. Cependant, le texte renvoie à la négociation et ne fixe pas les modalités particulières. C'est donc bien à l'échelon de l'entreprise que doit être négocié l'ensemble des modalités qui feront que le niveau, en matière d'emploi, sera plus ou moins élevé.
Par ailleurs, trouver un juste équilibre et apporter aux salariés les garanties qu'ils attendent légitimement est un enjeu important. Si certains souhaitent aujourd'hui plus de souplesse dans l'entreprise - et je crois qu'elle est nécessaire et plus facile à réaliser à 35 heures en moyenne hebdomadaire qu'à 43 heures - il faut que cela se fasse avec un certain nombre de garanties. Des délais de prévenance, un encadrement des amplitudes, une amélioration des conditions de travail, des compensations aux travaux pénibles, c'est bien ce que prévoient les accords qui ont été signés.
L'article 4 du projet de loi comporte des modalités supplémentaires qui peuvent intéresser tant les entreprises que les salariés, puisqu'elles prévoient la possibilité de mettre dans un fonds les heures entre 35 et 39 heures, et donc de développer un compte épargne-temps qui pourra être utilisé à l'intérieur ou au-delà de l'année, dans certaines limites.
Pour faciliter la conclusion d'accords, notre projet de loi prévoient des possibilités de mandatement. Il s'agit de tirer les conséquences d'une situation qui n'est pas satisfaisante, mais qui est la réalité : la grande majorité des entreprises est dépourvue aujourd'hui de délégués syndicaux, et donc de capacités de négocier. Sans entrer dans les détails - nous y reviendrons sans doute - je soulignerai que le mandatement que nous avons imaginé prévoit que ceux qui négocient sont des salariés de l'entreprise, mais prévoit en même temps des garanties par le suivi que peuvent apporter des organisations syndicales représentatives au niveau national. J'en arrive à un des points importans qui a été soulevé lors du débat : le problème des salaires. C'est bien sûr aux employeurs et aux représentants des salariés de déterminer, par la négociation, les évolutions justes pour les salariés et cohérentes avec la situation de l'entreprise et ses perspectives, compte tenu, bien évidemment, du niveau des salaires et des effets multiples de la réduction du temps de travail.
Dans ce domaine, le Gouvernement a exprimé son point de vue avec une grande constance. Compte tenu des évolutions du pouvoir d'achat des salariés au cours des années récentes, il n'est pas souhaitable que la réduction du temps de travail se traduise par une baisse des salaires. Nous sommes convaincus que cela ne serait pas juste pour les salariés et que cela serait néfaste du point de vue économique, car cela pèserait sur la consommation. Mais affirmer cela ne veut pas dire que, dans l'avenir, nous continuerons de faire comme s'il ne s'était rien passé. L'évolution salariale doit tenir compte du fait qu'il y a eu effectivement réduction du temps de travail dans l'entreprise. En fonction du niveau de celle-ci, des évolutions de productivité induites par cette réduction du temps de travail, des aides de l'Etat, des créations d'emplois et de la situation des salariés au regard de leur situation financière, notamment, je suis convaincue que l'on trouvera des accords pour que ce soit l'emploi qui soit gagnant.
S'agissant du SMIC, j'ai donné des orientations, qu'il faudra sans doute préciser dans le débat. Je les rappellerai simplement en cet instant.
Les salariés se demandaient si la réduction du temps de travail de 39 à 35 heures s'accompagnerait d'une réduction de leur salaire lorsqu'ils sont payés au SMIC. La réponse est « non », bien sûr. A l'inverse, les entreprises se demandaient si le SMIC allait augmenter de 11,4 % pour tous les salariés, quelle que soit leur durée de travail, et quel que soit le mouvement ou le non-mouvement qui aurait lieu. Là aussi, la réponse est « non ».
M. Charles Descours. C'est merveilleux !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ce n'est pas merveilleux, c'est simplement une réponse qui se veut claire, monsieur le sénateur !
Nous souhaitons simplement, comme cela avait déjà été fait en 1982, maintenir le SMIC horaire, avec ses modalités et son contenu, qui ne sont absolument pas modifiés, et prévoir une garantie mensuelle de rémunération pour les salariés qui sont payés au SMIC, dont la durée du travail est réduite à 35 heures. Voilà ce que cela signifie !
Bien évidemment, cela pose des problèmes techniques : comment traiter les heures supplémentaires ? Comment considérer les salariés à temps partiel ? Comment évoluera cette garantie mensuelle de rémunération ? Il s'agit d'éléments dont nous parlons actuellement avec les organisations patronales et syndicales et qui seront traités, comme la loi l'impose - c'est d'ailleurs bien naturel ! - au sein de la commission nationale de la négociation collective.
Enfin, je rappellerai que c'est dans la seconde loi que seront réécrits, en principe, les éléments sur la modulation, qui sont extrêmement complexes dans la loi actuelle et qui fixeront définitivement le statut des heures supplémentaires, notamment celui de la majoration entre 35 et 39 heures.
Toutefois, pour que les entreprises puissent être totalement éclairées dans les négociations qui seront les leurs, nous avons clairement indiqué dans l'exposé des motifs - je le redis devant vous - que la majoration entre 35 et 39 heures ne pourra pas excéder 25 %, ce qui est aujourd'hui la règle habituelle pour les heures supplémentaires.
Je sais que certaines auraient souhaité que soit fixé dès maintenant dans la loi l'ensemble des modalités applicables au 1er janvier 2000. Toutefois, c'est bien à la négociation, me semble-t-il, de nous offrir des solutions, et ce sera à la représentation nationale d'en déterminer définitivement les modalités, même si le cap et le coût maximal sont aujourd'hui affichés pour que les entreprises puissent travailler dans la transparence.
Cette démarche - j'en suis convaincue, mesdames, messieurs les sénateurs - est la bonne. Elle n'impose pas, mais elle montre le cap. Elle fait confiance aux acteurs de la négociation et elle met notre pays en mouvement.
Certains s'interrogent, et on peut le comprendre, car la réduction de la durée du travail engendre des changements profonds dans l'entreprise pour les salariés, pour l'organisation du travail et pour le mode de fonctionnement de ce dernier. A nous de les rassurer et de les convaincre que ce texte est porteur de progrès social, de progrès pour l'emploi mais aussi de progrès économique.
L'aide que l'Etat met en place - mais nous en reparlerons sans doute - couvre largement, au-delà même, le coût de la réduction de la durée du travail pour les bas salaires. Il s'agit d'ailleurs, par là-même, d'une aide à la réduction du coût du travail pour les salariés les moins qualifiés dans notre pays.
M. Henri Weber. Très juste !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Au-delà de ce que nous pouvons entendre sur ce coût, j'invite les entreprises à lire la loi - je me réjouis d'ailleurs de voir que, chaque jour, elles sont plus nombreuses à le faire -...
M. Jacques Mahéas. Eh oui !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... ce qui est sans doute plus utile que d'écouter des discours parfois un peu réducteurs. Je suis convaincue que beaucoup d'entre elles, comme certaines commencent à le faire, engageront des négociations après avoir lu et compris la loi définitive.
Nous avons là une occasion historique de déclencher le cercle vertueux de l'amélioration de l'emploi et des finances publiques. Et ce projet de loi offre, à mon avis, une réponse forte à ceux qui considèrent qu'il vaut mieux payer les gens pour travailler que pour chômer et qui rêvent d'activation des dépenses passives.
A ceux qui souhaitent légitimement un allégement de charges, nous proposons de le faire, mais avec l'emploi comme contrepartie et pas de manière générale, ce qui serait extrêmement coûteux et sans effets importants.
Ce projet de loi annonce deux caps qui seront traités dans le second projet de loi : d'une part, la volonté de développer un temps partiel choisi et non pas subi - plusieurs articles du projet de loi vont vers cette moralisation du travail à temps partiel - et, d'autre part, la volonté de montrer qu'il n'est plus acceptable, alors que notre pays connaît un taux de chômage aussi important, que certains salariés travaillent de manière permanente 43 ou 44 heures par semaine.
Certains auraient sans doute souhaité que nous réécrivions tout de suite l'ensemble du code du travail. Mais nous avons préféré lancer un mouvement et faire confiance à la négociation.
Je crois que, face au chômage, les Français n'accepteraient pas que nous laissions de côté une piste majeure pour la création d'emplois. Or, la réduction du temps de travail en est une, comme tous les pays le reconnaissent aujourd'hui, même si chacun utilise la voie la plus conforme à sa culture et à ses relations du travail. Nous avons une chance, là aussi, de redonner espoir à ceux qui attendent aujourd'hui sur le bord de la route.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la réduction de la durée du travail ne se fera ni contre les entreprises ni contre les salariés. Elle se fera en faveur de l'emploi, conformément à l'attente majeure de nos concitoyens. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE.)
(M. René Monory remplace M. Jean Delaneau au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après l'Assemblée nationale, c'est maintenant au tour du Sénat de se prononcer sur le projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail.
L'urgence n'ayant pas été demandée, je me félicite que nous soyons amenés à discuter de ce texte en y consacrant le temps nécessaire, avant qu'il ne soit définitivement adopté. L'importance du sujet justifie en effet pleinement un débat sérieux et approfondi, comme vous l'avez appelé de vos voeux, madame la ministre.
Ce débat est d'autant plus nécessaire qu'il s'est à peine esquissé jusqu'à présent. (Protestations sur les travées socialistes.)
Le programme du parti socialiste prévoyait certes un abaissement de la durée légale sans diminution de salaire ; mais il précisait également que cette démarche devrait être portée par les partenaires sociaux. Or la conférence du 10 octobre n'a donné lieu, je le rappelle, qu'à un débat de façade, le Gouvernement s'étant contenté de réunir les partenaires sociaux pour leur annoncer sa décision. Les travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur les 35 heures sont éclairants à cet égard.
M. Alain Gournac. Merci !
M. Louis Souvet, rapporteur. Le débat n'a pas non plus véritablement eu lieu à l'Assemblée nationale, le Gouvernement étant resté bloqué sur ses propositions (Protestations sur les travées socialistes), notamment sur l'article 1er qui baisse la durée légale à 35 heures.
M. Jacques Mahéas. Il faut lire les gazettes !
M. Louis Souvet, rapporteur. Il nous revient maintenant de vous faire part de nos remarques, de nos critiques et de nos propositions, car nous gardons en effet l'espoir de vous faire revenir sur certaines dispositions de votre projet de loi.
M. René-Pierre Signé. Sûrement pas !
M. Louis Souvet, rapporteur. Tout du moins, nous souhaitons démontrer qu'il est préférable de poursuivre dans la voie d'une autre philosophie, qui fait de la réduction du temps de travail un outil utile dans la lutte contre le chômage, mais de manière négociée, volontaire et constructive, et sur le long terme, à des coûts moindres pour le budget de l'Etat. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Nous partageons en effet tous, ici, le souci de faire reculer le chômage qui s'installe chaque jour un peu plus dans notre société.
M. Jacques Mahéas. Il faut lire les statistiques !
M. Louis Souvet, rapporteur. Certes, nos chemins divergent, mais l'objectif est le même.
Si le chômage semble stabilisé, voire en légère régression, on constate que son niveau est très élevé et qu'il devient structurel, ce qui signifie qu'il se traduit par un chômage de longue durée, qui constitue bien souvent l'antichambre de l'exclusion.
Nous avons tous constaté les limites des politiques de traitement social du chômage menées depuis plus de quinze ans. Il importe donc aujourd'hui d'explorer d'autres voies. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Nous devons le faire rapidement, car les Français s'impatientent, mais sans précipitation, pour ne pas engager le pays dans une voie sans issue. Or tel est, selon nous, le risque que vous avez pris, madame la ministre. (M. Signé proteste.)
En inscrivant délibérément votre texte dans la continuité historique, vous espérez ne pas avoir à en justifier la pertinence.
M. Marcel Charmant. Oh !
M. Louis Souvet, rapporteur. Vous avez cité à maintes reprises, à l'Assemblée nationale en particulier, la loi de 1936 et les mesures adoptées par le Front populaire.
Peut-être peut-on rappeler, madame la ministre, que les accords de Matignon ont donné lieu à des augmentations de salaires de 20 %, que les congés payés et la hausse des cotisations sociales ont représenté une hausse du coût du travail de 6 % et que la majoration du salaire horaire compensant la réduction de la durée du travail à 40 heures a représenté un surcoût de 20 %, soit, au total, un accroissement de plus de la moitié du coût horaire de la main-d'oeuvre en quelques mois ?
M. Bernard Piras. Il faut le replacer dans le contexte économique de l'époque !
M. Marcel Charmant. Regrettez-vous les 40 heures ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Si vous souhaitez intervenir, faites-le, mais ne m'interrompez pas constamment de cette manière !
M. Claude Estier. Vous, vous ne le faites jamais ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Ces dispositions ont enclenché une spirale inflationniste accompagnée d'une dévaluation ; par ailleurs, le chômage a fortement augmenté. L'échec économique était si évident en juin 1937 que le Sénat a décidé de mettre un terme à cette expérimentation hasardeuse, en renversant le gouvernement Blum. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Pierre Mauroy. Quel Sénat ? Celui de la IIIe République !
M. Louis Souvet, rapporteur. Je crains aujourd'hui que les mêmes causes ne produisent demain sinon les mêmes effets - le contexte est en effet très différent - du moins des effets que nos concitoyens auront beaucoup de mal à supporter.
M. Pierre Mauroy. La référence au Sénat de la IIIe République n'en est pas une !
M. Louis Souvet, rapporteur. Vous avez également cité la loi du 22 mars 1841 sur le travail des enfants. Cette référence à François Guizot est à souligner.
Elle rappelle, en effet, qu'une politique économique fondée sur la libre entreprise peut être conciliée avec des exigences sociales.
Je ne crois pas toutefois qu'il soit opportun de s'inscrire dans une quelconque continuité, car le monde a changé depuis 1936 et 1982 ; les errements économiques d'alors ont pu être réparés. Or il n'est pas sûr qu'il puisse en être de même demain, dans un contexte de guerre économique exacerbée dans lequel les parts de marché perdues ne peuvent être reconquises et se traduisent inéluctablement par des chômeurs en plus.
M. Raymond Courrière. C'est un vieux discours !
M. Louis Souvet, rapporteur. Les références aux luttes sociales et aux conquêtes ouvrières ne suffisent plus à justifier des décisions économiques aléatoires lorsque notre avenir dépend des nouvelles technologies et que notre destin est étroitement lié à celui de nos voisins européens. Nous ne pouvons plus nous permettre ce genre d'incartades.
Vous considérez, madame la ministre, que la croissance ne suffit pas à réduire le chômage. C'est exact : elle ne peut permettre de réduire que la composante conjoncturelle du chômage, et c'est pourquoi la reprise qui se fait sentir aujourd'hui devrait aboutir à une baisse du chômage de quelques centaines de milliers d'unités, mais pas plus.
Cette légère baisse ne devra rien aux 35 heures et aux emplois-jeunes. Il reste que la France devra toujours faire face à un taux de chômage sensiblement supérieur à celui de ses partenaires. Puis-je rappeler que le taux de chômage français se montait à 12,2 % en décembre, contre 4,7 % aux Etats-Unis,...
M. René-Pierre Signé. Quels emplois ?
M. Louis Souvet, rapporteur. ... 4,9 % aux Pays-Bas, 5 % en Suisse et au Royaume-Uni, 7,1 % en Autriche, 7,4 % en Suède et au Danemark ?
M. Claude Estier. Et combien en Allemagne ?
M. Bernard Piras. Comparez ce qui est comparable !
M. Louis Souvet, rapporteur. Il faudrait que vous nous expliquiez, madame la ministre, pourquoi vous choisissez une voie que nul autre pays n'a encore empruntée, alors que les recettes d'une lutte efficace contre le chômage sont maintenant connues : je vous renvoie d'ailleurs, à ce sujet, à l'excellent rapport de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, sur sa stratégie pour l'emploi.
Vous nous avez parlé du G 8, voilà un instant, et vous avez dit que tous les gouvernements s'accordent à reconnaître que c'est bien ; néanmoins, je n'en ai pas encore vu s'engager dans cette direction.
M. Alain Gournac. Aucun !
M. Jacques Mahéas. Nous sommes les précurseurs !
M. Louis Souvet, rapporteur. Nous pensons que le chômage n'est pas une fatalité ; nous considérons également que l'intervention de l'Etat dans l'économie et les entreprises n'est ni une fatalité ni une obligation. Tous les pays qui réussissent s'en remettent d'ailleurs aux partenaires sociaux et au bon fonctionnement des marchés pour trouver des solutions de compromis n'excluant pas des considérations d'équité et la préservation de la cohésion sociale. Comme le déclarait récemment Tony Blair (Exclamations sur les travées socialistes.) ,...
M. Pierre Mauroy. Vous avez de bonnes références !
M. Louis Souvet, rapporteur. J'ai de bonnes lectures et de bonnes références ! (Sourires sur les travées socialistes.)
Comme le déclarait donc récemment Tony Blair - je ne cite pas sa fonction, monsieur le Premier ministre ! - « il faut cesser de faire comme si la flexibilité était incompatible avec la justice sociale, comme si la flexibilité signifiait toujours l'injustice, et la justice la rigidité ». Vous le voyez, j'ai de bonnes lectures !
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Louis Souvet, rapporteur. Or, le projet de loi que vous nous proposez d'examiner aujourd'hui constitue l'exemple même des rigidités qui peuvent être imposées aux entreprises.
M. René-Pierre Signé. Non !
M. Louis Souvet, rapporteur. Il est le reflet d'une conception administrée de l'économie, qui ne voit de salut qu'en l'intervention de l'Etat.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Louis Souvet, rapporteur. Votre projet de loi, madame la ministre, bute sur l'article 1er qui prévoit d'abaisser la durée légale du travail à 35 heures hebdomadaires au 1er janvier 2000 ou au 1er janvier 2002 pour les petites entreprises.
M. Henri Weber. C'était cela ou rien !
M. Louis Souvet, rapporteur. Cette disposition générale et uniforme est incompatible avec la diversité des situations dans lesquelles se trouvent les entreprises ; par ailleurs, elle court-circuite les partenaires sociaux et met les entrepreneurs le « dos au mur » avant les négociations que vous appelez de vos voeux.
J'ai l'impression que, si vous retiriez cet article 1er, nous pourrions trouver un accord qui satisferait à la fois les entreprises et les salariés. (Rires sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen).
M. Marcel Charmant. Non ! Nous ne serions pas d'accord !
M. Jean Chérioux. Et pourquoi pas ?
M. Michel Duffour. Provocation !
M. Louis Souvet, rapporteur. L'article 2 invite les partenaires sociaux à négocier.
Toutefois, l'un des termes de la négociation, l'un des éléments du « donnant-donnant » - la réduction du temps de travail - est fixé à l'avance. D'ici à penser que l'un des partenaires sociaux devra négocier « le dos au mur », il n'y a qu'un pas que les entreprises ont unanimement franchi !
Par ailleurs, le projet de loi, différé dans son entrée en vigueur, est également incomplet dans son dispositif, sur des points aussi essentiels que le contingent autorisé des heures supplémentaires, le taux exact de leur majoration ou la nature même du SMIC et de son évolution.
Il est vrai qu'une seconde loi est censée, en 1999, tirer les conséquences des négociations auxquelles la première loi « appelle » les partenaires sociaux. Il reste que les entreprises ignorent la teneur exacte de la « menace législative » qui pèse sur elles si elles s'abstiennent de négocier. Nombreux sont les juristes qui considèrent d'ailleurs que les entreprises ont intérêt à « attendre le second texte de loi avant de bouger », cela en dépit du dispositif financier incitatif.
M. Henri Weber. Ils sont incompétents !
M. Louis Souvet, rapporteur. Peut-on dès lors considérer qu'il s'agit d'une « réduction du temps de travail bien menée, de manière décentralisée, par la négociation » qui, seule, selon vous, madame la ministre, « peut créer des emplois, beaucoup d'emplois » ? Mais vous ne pouvez ignorer que, comme vous l'avez d'ailleurs dit voilà un instant, la réduction du temps de travail ne sera efficace que sous condition d'une forte modération salariale. Tous les spécialistes, tous les entrepreneurs sont d'accord sur ce point, qui n'est pourtant pas précisé dans le projet de loi dont vous nous avez parlé voilà un instant !
La commission considère que ce dispositif, qui associe une disposition autoritaire avec une entrée en vigueur reportée et une aide financière, est à la fois pervers et fragile.
Ce dispositif est pervers, car les articles 1er et 3 constituent une tenaille qui doit se refermer sur les entreprises pour les amener à créer des emplois.
M. René-Pierre Signé. Les Français ont voté en faveur de ce programme !
M. Louis Souvet, rapporteur. L'abaissement de la durée légale du travail, prévu à l'article 1er, aura pour conséquence une majoration du coût des heures travaillées entre 35 et 39 heures.
Dès lors, l'entreprise sera confrontée en réaction au choix suivant : ne rien faire et supporter un surcoût salarial, réduire la durée du travail et embaucher, substituer du capital au travail, c'est-à-dire réduire le temps de travail, voire le nombre de travailleurs, au bénéfice d'investissements matériels - et vous connaissez, madame la ministre, le processus qui passe par l'informatisation et la mécanisation des postes de travail et qui, malheureusement, supprime beaucoup d'emplois ou encore augmente la productivité du travail en réorganisant la production sans embaucher - ou, enfin, délocaliser son site de production vers un pays plus favorable à l'esprit d'entreprise.
Il est probable que, sans subvention, les entreprises choisiraient l'une ou l'autre de ces solutions en fonction de leur situation propre. L'aide publique de l'article 3 a pour objectif d'influencer ou de guider le choix de l'entrepreneur en l'amenant à réduire la durée du travail et à embaucher.
Nombre d'entreprises pourraient s'y résoudre puisque, à terme, elles pourraient considérer qu'elles seront de toute façon confrontées à la baisse de la durée légale. Dans ces conditions, entrer dans le dispositif pourrait être considéré comme un moindre mal. Ce dispositif est donc pervers puisqu'il pourrait amener une entreprise à adopter un comportement qu'elle réprouve pour parer à une menace encore plus grande.
Par ailleurs, ce dispositif est fragile car il est fondé sur une dynamique de la contagion. Et, pour peu que les entreprises temporisent jusqu'au second texte, l'abaissement de la durée légale deviendrait probablement impossible.
La commission des affaires sociales n'a pas admis le caractère autoritaire de l'article 1er et sa préférence va à un dispositif strictement volontaire qui évite ce genre de biais et qui est d'autant plus nécessaire que nous démontrerons au cours du débat que, pour s'assurer du succès politique de son projet, le Gouvernement n'hésite pas à subventionner totalement les emplois créés lorsque le salaire est au niveau du SMIC.
Le taux de couverture des salaires des nouveaux embauchés par le montant de l'aide est de 104 %. Cela signifie que l'entreprise fait un bénéfice en créant des emplois : on lui demande à peine de faire des gains de productivité. Cette mesure est, par conséquent, coûteuse, antiéconomique et anticoncurrentielle. C'est pourquoi la commission des affaires sociales proposera un dispositif moins coûteux et, surtout, plus vertueux économiquement.
Je ne m'appesantirai pas sur les simulations économiques. Je vous renverrai sur ce sujet à l'excellent rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur les conséquences des 35 heures, présidée par notre collègue Alain Gournac et dont le rapporteur était Jean Arthuis.
Je rappellerai seulement les limites des simulations économiques qui reposent sur des modèles keynésiens d'économie fermée, alors que l'économie française s'inscrit au coeur de l'Europe et de l'économie mondiale. Nous avons reçu les études économiques de la direction de la prévision ce matin ; il était temps ! Ces études sont, à cet égard, très intéressantes, puisqu'elles mettent en avant le caractère restrictif des hypothèses et, donc, la fragilité extrême des simulations. Mais je laisserai au président Fourcade le soin d'en parler plus largement.
Dans ces conditions, même si les 35 heures peuvent effectivement permettre de créer, par le biais de subventions, 200 000 emplois nets, l'économiste Christian Saint-Etienne considère que rien ne permet d'exclure que ce chiffre net puisse être la résultante de 300 000 emplois créés à l'étranger et de 100 000 emplois détruits en France.
La commission des affaires sociales estime, quant à elle, que la loi Robien avait donné des résultats prometteurs.
M. Henri Weber. Modestes !
M. Louis Souvet, rapporteur. Elle rappelle que cette loi a déjà concerné plus de 150 000 salariés et qu'elle était fondée sur la libre négociation. Elle aurait tout à fait pu faire l'objet d'un reprofilage. Son auteur vous l'a proposé, madame le ministre.
Je rappelle qu'un rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale d'avril 1997 avait évoqué une baisse de la durée d'exonération, une modification des taux, ou encore un plafonnement.
M. Henri Weber. Il sentait la déroute !
M. Louis Souvet, rapporteur. Plutôt que de vous engager dans cette voie, vous avez choisi celle d'un projet riche en incertitudes, des incertitudes budgétaires, économiques et juridiques.
J'évoquerai tout d'abord les incertitudes budgétaires.
Votre dispositif d'aide est complexe. Il associe une aide dégressive en fonction de la date de conclusion des accords, ainsi que diverses majorations. On peut en estimer le coût à une cinquantaine de milliards de francs en année pleine, qui viendront s'ajouter - cela n'a rien à voir, mais cela pèse tout de même sur les finances publiques - au coût des emplois-jeunes, soit 32 milliards de francs en vitesse de croisière.
La commission des affaires sociales a en effet estimé le coût brut du dispositif d'incitation prévu par le projet de loi, selon les hypothèses retenues, dans une fourchette comprise entre 183 et 312 milliards de francs hors majorations sur cinq ans. Ces estimations ne prennent pas en compte les retours attendus, notamment en termes d'indemnités de chômage, mais elles permettent d'évaluer l'ampleur de l'investissement initial.
Par ailleurs, le principe du remboursement partiel des exonérations aux caisses de sécurité sociale, que vous évoquez dans le préambule du projet de loi, est contraire à la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, aux termes de laquelle « toute mesure d'exonération, totale ou partielle, de cotisations de sécurité sociale... donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés par le budget de l'Etat pendant toute la durée de son application ».
Votre projet, madame le ministre, présente des incertitudes économiques liées au SMIC, sur lesquelles le président Fourcade vous a déjà interrogée lors de votre audition par la commission.
Je soulignerai, quant à moi, les incertitudes juridiques liées aux conséquences des accords collectifs sur les contrats de travail individuels.
La commission des affaires sociales a procédé à l'audition d'éminents juristes qui lui ont confirmé qu'une remise en question du salaire à la suite d'un accord de réduction du temps de travail constituait une modification essentielle du contrat de travail. Dans ces conditions, les salariés concernés seraient fondés à demander à être licenciés avec indemnités.
Je vous ai interrogée par écrit, madame la ministre, et, dans votre réponse - dont je vous remercie - vous avez estimé que ce risque était bien réel mais qu'il ne devrait pas se réaliser très souvent.
Toutefois, il demeure que, dans certains cas, une entreprise pourrait être amenée à licencier des salariés, le cas échéant au travers d'un plan social, avant de pouvoir embaucher pour satisfaire aux exigences d'emploi de votre dispositif. Cela serait pour le moins paradoxal, vous en conviendrez, madame le ministre.
Après avoir exposé les incertitudes de votre projet, je soulignerai en quelques mots les raisons pour lesquelles il pourrait augmenter, à terme, le chômage et non le réduire.
Il s'avère tout d'abord que la durée du temps de travail ne constitue pas une cause du chômage français. (M. Signé rit.) La Commission européenne estime à 39,9 heures la durée hebdomadaire du travail dans notre pays, durée qui est largement comparable à celle de nos voisins européens. De nombreuses enquêtes montrent d'ailleurs que la réduction du temps de travail n'est pas une priorité pour les salariés.
M. Alain Gournac. Cela, c'est sûr !
M. Louis Souvet, rapporteur. Dans ces conditions, madame la ministre, on a du mal à comprendre comment la réduction du temps de travail pourrait réduire le chômage. Des chômeurs mal formés ou trop exigeants en termes de salaires ne trouveront pas plus un emploi demain du fait des 35 heures ! La baisse de la durée légale du travail devrait avant tout se traduire par une augmentation des salaires réels, et donc, à terme, du chômage structurel. C'est d'autant plus vrai que nombre de salariés n'ont pas encore saisi si votre projet signifiait 35 heures payées 39 ou 35 heures payées 35, ce qui, bien évidemment, n'a pas le même impact pour notre économie.
Le chômage français est essentiellement, en effet, de nature structurelle, ce qui signifie qu'il est lié à un problème de salaires, à des insuffisances en termes de formation, ou encore à un système d'indemnisation qui n'encourage pas assez la reprise d'un emploi.
On sait que le Premier ministre a exprimé sa préférence pour une société fondée sur le travail et non sur l'assistanat. Mais on ne voit pas le début de la grande réforme du marché du travail qui est pourtant nécessaire, comme l'ont rappelé encore dernièrement des études de l'OCDE ou de la fondation Saint-Simon.
Je rappellerai enfin que votre démarche paraît incompatible avec le marché unique et l'euro. La monnaie unique implique la flexibilité du marché du travail et le choix d'un abaissement de la durée légale va à l'encontre d'un tel objectif.
Face à cette démarche incertaine, quelle est la position de la commission des affaires sociales du Sénat ?
Dans sa majorité, elle a la conviction qu'un dispositif général et autoritaire de réduction de la durée du travail n'aura pas les effets escomptés sur l'emploi.
Certes, une comptabilité administrative pourra toujours être tenue des emplois créés grâce à un engagement des fonds publics. Mais qu'en sera-t-il des effets d'aubaine, des emplois détruits ou délocalisés ?
Elle considère, en revanche, comme vous l'avez rappelé, madame la ministre, en citant une phrase de mon rapport, que, librement négociée, associée à une souplesse indispensable à la compétitivité de l'économie, la réduction du temps de travail peut sans doute créer des emplois ou en préserver dans certaines entreprises en fonction du contexte qui est propre à chacune : contexte économique, contexte social, mais aussi contexte psychologique, c'est-à-dire volonté commune.
Telle était la philosophie de la loi quinquennale de 1993, de l'accord de 1995 entre les partenaires sociaux, ou encore de la loi Robien de 1996. Telle est la ligne de conduite dont la majorité sénatoriale continue à s'inspirer.
Dans ces conditions, les propositions de la commission s'articulent autour de cinq points : premièrement, suppression de l'abaissement autoritaire de la durée légale du travail ; deuxièmement, maintien d'un dispositif incitatif à la négociation sur l'aménagement et la réduction du temps de travail ; troisièmement, introduction d'un délai spécifique de négociation pour les entreprises de moins de cinquante salariés ; quatrièmement, réaffirmation du principe de la compensation intégrale pour la sécurité sociale des exonérations de charges ; enfin, cinquièmement, suppression des principaux obstacles introduits par le texte au développement du temps partiel.
Les principaux amendements proposés par la commission ont ainsi pour objet de supprimer l'abaissement autoritaire et général de la durée légale du travail à 35 heures, d'appeler les partenaires sociaux à négocier les modalités d'une organisation du temps de travail assorties d'une réduction de la durée hebdomadaire du temps de travail calculée en moyenne annuelle sur tout ou partie de l'année, de prévoir que la négociation se déroule librement selon la règle du « donnant-donnant », qu'elle laisse la possibilité de moduler le temps de travail sur tout ou partie de l'année, et qu'elle est stimulée par le dispositif incitatif prévu à l'article 3.
Par ailleurs, le dispositif que nous proposons tient compte de la situation des entreprises de moins de cinquante salariés - seuil plus significatif que vingt salariés, nous semble-t-il - afin qu'elles disposent d'un délai supplémentaire pour négocier.
Ces amendements ont enfin pour objet d'instituer un dispositif incitatif à la négociation.
Le dispositif proposé est un « reprofilage » de la loi Robien ; il en retient le principe d'une aide non pas forfaitaire mais proportionnelle aux salaires, afin de ne pas pénaliser l'emploi qualifié ; il tient compte des principales propositions d'amélioration émises à l'occasion des premiers bilans de la loi, notamment de l'évaluation de la commission des finances de l'Assemblée nationale en avril 1997.
L'exonération sera ainsi plafonnée pour que les effets d'aubaine soient réduits et lissée dans le temps pour que le coût budgétaire soit mieux maîtrisé. Recentrée dans le temps, l'aide sera accordée pour cinq ans au lieu de sept dans le dispositif de la loi Robien. Elle sera limitée dans le temps - les entreprises peuvent signer un accord jusqu'au 1er janvier 2000 ou jusqu'au 1er janvier 2002 pour les entreprises de moins de cinquante salariés - et elle sera plus facilement accessible pour ce qui est des conditions posées pour les embauches.
Le principe de la compensation intégrale des exonérations de charge pour la sécurité sociale est réaffirmé et les dispositions pénalisant le travail à temps partiel sont supprimées : suppression de l'abaissement du seuil de déclenchement des repos compensateurs liés aux heures supplémentaires, suppression des dispositions défavorables au temps partiel à travers la modification de l'abattement incitatif, suppression des restrictions apportées par le projet de loi au régime des heures complémentaires pour les salariés à temps partiel.
Enfin, la perspective d'une extension de la réduction du temps de travail dans les fonctions publiques est écartée ; il apparaît, en revanche, tout à fait intéressant que le Parlement soit pleinement informé du bilan du temps de travail effectif dans l'ensemble de la fonction publique.
Par ailleurs, la commission a souhaité conserver ou compléter un certain nombre de dispositions du projet telles que la définition du temps de travail effectif - article 4 bis - la détermination des temps quotidiens de repos - article 4 ter - ou le maintien des cotisations d'assurance vieillesse en cas de passage au temps partiel - article 8.
En résumé, les propositions de la majorité de la commission des affaires sociales visent à faire en sorte que le projet de loi ne compromette ni le dialogue social ni l'équilibre des comptes publics, mais parvienne à la fois à une réduction progressive du temps de travail effectif et à une amélioration durable de l'emploi.
Nous entendons fonder la politique de l'avenir non pas sur la méfiance mais sur la confiance qui devrait s'installer entre nous, non pas sur le désespoir mais sur l'espoir que notre fonction nous recommande d'inspirer. Et notre espoir n'a qu'un visage : celui d'une France capable d'offrir du travail à ses enfants, afin que chacun puisse y vivre dans la dignité. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous aurions pu débattre aujourd'hui, comme nous l'avons fait en 1993 et 1996, du point de savoir si la réduction effective du temps de travail peut être créatrice d'emplois, à quelles conditions et selon quelles modalités.
En 1993, mes chers collègues, vous vous en souvenez, nous n'étions pas très nombreux à penser que c'était une piste à explorer.
M. Henri Weber. Cela, c'est bien vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Merci de votre approbation, mon cher collègue, mais je vous dispense de continuer. (Sourires.)
M. Henri Weber. Je reconnais les faits !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Mais, depuis lors, les partenaires sociaux se sont engagés dans cette voie par l'accord du 31 octobre 1995. Nous les avons aidés et incités à aller dans ce sens par la loi du 11 juin 1996, dite loi Robien, qui était une loi d'initiative parlementaire.
Je crains que ce débat, madame la ministre, nous ne puissions pas l'avoir aujourd'hui, car votre projet de loi nous impose d'examiner les conséquences de la réduction de la durée légale du travail. Il s'agit là de deux questions très différentes.
Entre la réduction de la durée légale et celle de la durée effective du travail, il y a une différence qui n'est pas mince : seule la première se décrète. C'est la raison pour laquelle je crois qu'il serait faux de dire que nous sommes d'accord sur le fond et que nous divergeons sur la méthode : c'est sur le fond que nous sommes en désaccord.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Henri Weber. Oui, sur le fond aussi nous sommes en désaccord !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Ce n'est qu'à la fin des années soixante-dix que la durée effective du travail s'est approchée des 40 heures, durée légale décrétée en 1936, quarante ans plus tôt.
M. René-Pierre Signé. Par les socialistes !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. La baisse, en 1982, de la durée légale de 40 à 39 heures a, semble-t-il, plutôt freiné l'évolution à la baisse de la durée effective. Vous l'avez vous-même noté, madame la ministre : « Notre durée hebdomadaire du travail ne diminue plus depuis 1983. » En effet, en 1997, nous étions encore à 38,81 heures. Est-ce un hasard ?
On n'a jamais pu démontrer que la baisse de la durée légale du travail avait un effet positif sur l'emploi : l'expérience montre que c'est plutôt le contraire qui s'est produit.
L'article 1er de votre texte pose donc de sérieux problèmes, madame la ministre. (Exclamations sur les travées socialistes).
Monsieur le président, si ce que je dis n'intéresse pas certains, je peux m'arrêter tout de suite ; mais je pense que, au sein du Sénat de la République, toutes les opinions peuvent s'exprimer. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Marcel Charmant. Les nôtres aussi !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Vous les exposerez à la tribune tout à l'heure !
M. René-Pierre Signé. La parole est encore libre !
M. le président. Cette attitude me surprend, mes chers collègues. En général, le Sénat est une maison tolérante et calme, et je souhaite que cela continue. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. René-Pierre Signé. On ne va tout de même pas tout subir, non !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Madame la ministre, l'article 1er de votre texte pose de sérieux problème, disais-je. Après l'excellent exposé de mon collègue et ami Louis Souvet, je veux en mentionner deux : celui du SMIC et celui des fonctions publiques.
La question du SMIC est bien au coeur du projet. En fixant une nouvelle durée légale du travail, le Gouvernement, au travers de l'article 1er, conduit mécaniquement à poser la question du niveau du SMIC mensuel calculé sur 35 heures.
Or, l'évolution du SMIC, qui concerne directement plus de 2 millions de salariés, mais qui « diffuse », naturellement, à une plus large échelle, est un choix économique déterminant.
Si la réduction du temps de travail se traduit par une aggravation des coûts salariaux, vous savez - vous l'avez dit, d'ailleurs - qu'elle entraînera une perte de compétitivité des entreprises et une augmentation du chômage : c'est le scénario « catastrophe » que nous craignons tous et dont les emplois les moins qualifiés seront les premières victimes.
C'est ce que démontre l'étude du ministère de l'économie et des finances que j'ai reçue ce matin. Dans cette étude, où le ministère a procédé à trois simulations, il est écrit : « Pour être favorable à l'emploi, le passage aux 35 heures ne doit pas se traduire par une augmentation durable du coût du travail qui découragerait l'embauche et dégraderait la compétitivité de l'économie française ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Alain Gournac. Tout est dit !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Dans la troisième simulation, qui correspond à une majoration de 11,4 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance, il est démontré qu'à l'échéance de 2002 il n'y aurait pas de créations d'emplois supplémentaires. (Très bien ! sur les mêmes travées.)
Sur un point aussi fondamental, les explications que vous venez de nous donner, madame la ministre, et que j'avais sollicitées de votre part en commission ne nous ont pas convaincus.
Vous demandez aux organisations patronales et syndicales de vous donner leur avis, de vous dire comment elles entendent faire : mais, dès lors que le projet de loi fixe, dans son article 1er, à 35 heures la nouvelle durée légale du travail, deux choix clairs sont possibles.
On peut laisser le SMIC horaire inchangé - c'est la règle des 35 heures payées 35 - et le choix net du partage du travail et des rémunérations.
On peut considérer, au contraire, que le passage aux 35 heures se fait sans diminution de salaire, et on revalorise le SMIC horaire de 11,4 % - c'est la règle des 35 heures payées 39.
Je ne dis pas que le choix était facile. Vous avez d'ailleurs vous-même expliqué tout à l'heure, madame la ministre, que, après un certain nombre d'années de pincement du pouvoir d'achat, parler d'une stabilisation du SMIC horaire était difficile. Mais vous ne pouviez pas non plus ignorer que vous alliez vous heurter à cette question inextricable en décidant, par la loi, une forte baisse de la durée légale du travail.
De fait, vous n'avez pas choisi. Le mécanisme inédit que vous avez esquissé conjugue en effet un SMIC horaire qui reste en l'état et une rémunération mensuelle minimale correspondant à l'actuel SMIC mensuel.
Il en résulte que les salariés payés au SMIC qui passeront à 35 heures seront payés 39 heures. Cela veut dire que leur rémunération horaire progressera de 11,4 %.
Vous avez, en revanche, exclu que la rémunération des salariés restant à 39 heures puisse s'accroître automatiquement de 11,4 %, auxquels s'ajouterait la rémunération des heures supplémentaires. Vous venez de le dire, et je vous en donne acte.
Mais je doute, et nous doutons tous ici, que l'on puisse faire coexister durablement des salariés travaillant 35 heures payées 39 et d'autres travaillant 39 heures qui seraient payés 40 heures, si l'on accepte votre hypothèse sur la majoration des heures supplémentaires.
En réalité, en fixant une nouvelle durée légale du travail, je crains qu'avec ce texte vous n'enclenchiez inéluctablement, sous une forme ou sous une autre, une forte majoration du SMIC. Cela me semble inévitable pour deux raisons.
La première tient au fait que la priorité pour les salariés, dans leur grande majorité, particulièrement pour ceux dont les salaires sont bas, ce n'est pas de travailler moins, c'est de gagner plus. Les organisations syndicales l'ont bien compris, qui nous l'ont clairement indiqué lors des auditions préalables à l'examen du texte en commission. Je vous renvoie, à cet égard, au procès-verbal de l'audition des représentants de la Confédération générale du travail et de Confédération générale du travail - FO.
La seconde raison, c'est que, le mécanisme que vous voulez mettre en place ne pouvant se maintenir durablement, vous devrez le faire évoluer. Vous devrez faire en sorte que la rémunération minimale mensuelle, qui ne peut être qu'un mécanisme transitoire, soit rapidement absorbée par une série de « coups de pouce » donnés au SMIC horaire, c'est-à-dire sa revalorisation rapide de 11,4 %.
Cette opération, qui était peut-être possible en 1982, quand vous étiez Premier ministre, monsieur Mauroy, dans le cadre de la réduction d'une heure de la durée légale et d'une inflation à deux chiffres, comment le sera-t-elle pour quatre heures et dans un contexte de stabilité des prix exigée par nos engagements européens ?
En quelque sorte, en touchant à la durée légale du travail, vous créez le problème du SMIC, donc de l'élévation du coût du travail peu qualifié. Or, vous savez comme nous qu'une hausse de 1 % du coût du travail peu qualifié entraîne, à terme, une baisse de 0,6 % de la demande des employeurs pour ce type de travail.
Alors, vous devez compenser, par une aide publique spécifique, la charge que vous créez et le risque d'un chômage accru pour cette catégorie de population déjà très vulnérable.
Nous sommes loin d'un débat sur l'abaissement du coût du travail peu qualifié, qui relève de mesures structurelles et pérennes ; nous sommes loin du débat sur l'impact d'une réduction de la durée effective du travail ; nous sommes dans un débat sur le risque d'un chômage accru résultant de la baisse de la durée légales.
MM. Jean Chérioux et Christian de La Malène. Très bien !
M. René-Pierre Signé. Vous n'avez jamais pu faire baisser le chômage ; vous pouvez donner des leçons !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Le second problème posé par l'article 1er, c'est celui de son extension aux diverses fonctions publiques, celle de l'Etat, celle des collectivités territoriales, celle des hôpitaux.
Certes, les cinq millions d'agents publics ne sont pas directemement concernées par le projet de loi. Mais, d'ores et déjà, le jour même de l'adoption du texte en première lecture par l'Assemblée nationale, le relevé de conclusions des négociations salariales dans la fonction publique se proposait « d'analyser les implications de la perspective des 35 heures ». La formule, habile, est un peu alambiquée, mais la direction est donnée.
L'article 10 du projet de loi voté par l'Assemblée nationale en première lecture va dans le même sens puisque le rapport que le Gouvernement doit remettre dans un an au Parlement devra porter sur « les perspectives de la réduction du temps de travail pour les agents de la fonction publique ».
Le mouvement est donc lancé, sans que l'on perçoive l'objectif visé.
S'agit-il de créer des emplois dans la fonction publique ? A priori non, si j'en crois tant vos déclarations, madame la ministre, que celles du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie devant la commission des affaires sociales.
Dans ces conditions, l'objectif est-il d'améliorer les conditions de travail dans la fonction publique ? La réduction du temps de travail s'inscrirait alors dans une logique de progrès social dont il me semble que la fonction publique n'est pas le champ prioritaire compte tenu de la garantie de l'emploi dont bénéficient ses agents et d'une évolution du pouvoir d'achat plutôt supérieure, désormais, à celle du secteur privé.
Si l'objectif n'est pas la création d'emplois, faudra-t-il tout de même recruter pour compenser la réduction du temps de travail ?
Quel en sera le coût pour le budget de l'Etat, pour celui de nos collectivités locales, qui seront déjà sollicitées au titre des associations qu'elles subventionnent, pour celui de la sécurité sociale, enfin, à travers la fonction publique hospitalière ?
Vous le savez, madame la ministre, les dépenses induites par la fonction publique représentent, à elles seules, 40 % des dépenses du budget général, et la marge de manoeuvre budgétaire qu'apporte la croissance - marge dont on parle beaucoup actuellement - est déjà partiellement hypothéquée par le financement de l'accord salarial dans la fonction publique conclu voilà quelques jours. Là aussi, le choix de la réduction de la durée légale du travail risque de nous entraîner dans des complications et des aggravations de dépenses qu'il est impossible de mesurer aujourd'hui.
Le paradoxe de votre projet de loi sera peut-être, madame la ministre, de manquer son effet, voire d'avoir un effet contraire, à l'égard des treize millions de salariés du secteur marchand auxquels il s'applique et d'être un plein succès à l'égard des cinq millions d'agents publics auxquels il n'est, en théorie, pas applicable.
M. José Balarello. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Telle est la raison pour laquelle le rapporteur de la commission des affaires sociales, notre excellent collègue Louis Souvet, propose de supprimer l'article 1er du projet de loi et souhaite inscrire la réduction du temps de travail dans la philosophie qui était celle de la loi quinquennale de 1993, de l'accord de 1995 entre les partenaires sociaux et de la loi de 1996.
M. Alain Gournac. Très bonne initiative !
M. Henri Weber. Quel immobilisme !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Madame la ministre, vous avez raison de constater qu'il existe une forme de consensus sur un point, que vous formulez ainsi : « Bien menée, de manière décentralisée, par la négociation », la réduction du temps de travail qui n'est « ni une solution unique ni une solution miracle », est une « piste à ne pas négliger » de création d'emplois.
J'ajoute que, au niveau actuel du chômage dans notre pays, il serait vain de privilégier une piste par rapport aux autres : l'allégement des charges sociales, notamment pour les travailleurs les moins qualifiés, l'amélioration de la formation des jeunes, l'assouplissement des règles du code du travail et la décentralisation des actions en faveur de l'emploi ont autant d'importance que la réduction de la durée du travail.
C'est pourquoi le dispositif que nous proposons au Sénat d'adopter repose sur une réduction de la durée effective du travail librement négociée par les partenaires sociaux et assortie d'une incitation à durée limitée ; c'est la loi Robien reprofilée.
La loi Robien - vous l'avez dit vous-même, madame le ministre - est un dispositif qui fonctionne, qui favorise le dialogue social. Certes, ses conséquences financières sont sans doute trop lourdes, mais elle permet de relancer la négociation et de stimuler les partenaires sociaux.
Dès lors, mes chers collègues, pourquoi se priver d'un tel instrument ? Au vu de l'expérience et des premiers bilans, qui étaient prévus par la loi elle-même, cet instrument peut être stimulé, ajusté, modéré dans son coût sans perdre son efficacité.
C'est la position qu'a retenue la commission des affaires sociales, dans sa majorité.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. La croissance revient en Europe, mes chers collègues, sauf événement dramatique venant d'Asie - mais nous le verrons l'année prochaine - une croissance qui, dans notre pays, s'est enrichie en emplois grâce aux mesures prises depuis plusieurs années par les gouvernements qui se sont succédé, et les résultats que nous enregistrons aujourd'hui sont autant dus à l'amélioration du commerce mondial qu'à tous les dispositifs qui ont été mis en place dans ce pays depuis 1993.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Nous sommes aujourd'hui sur une pente d'environ 300 000 créations d'emplois par an. Ce sont là les chiffres de 1997, rendus publics par la DARES, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, qui est ici représentée.
Si notre dispositif permet, comme nous le pensons, de créer ou de préserver 100 000 à 150 000 emplois supplémentaires, nous aurons fait un grand pas en avant, et ce pour un coût moyen annuel de l'ordre de 12 à 18 milliards de francs lorsque le dispositif fonctionnera normalement. Nous pensons ainsi pouvoir éviter les destructions d'emplois qu'entraînerait un dispositif général et obligatoire de baisse de la durée du travail, qui ne peut évidemment pas tenir compte de la spécificité des situations dans chaque secteur, dans chaque entreprise, dans chaque établissement.
Vous avez souhaité, madame la ministre, que les choses bougent. Vous avez déploré que, dans notre pays, il revienne à la loi de les « faire bouger ».
Votre collègue M. Dominique Strauss-Kahn dans un registre voisin, constatait et déplorait que les évolutions se fassent, dans notre pays, par « soubresauts ».
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. C'est peut-être là, au-delà de la polémique et des arguments convenus, que se situe le coeur du débat.
Je crois, pour ma part, que le Gouvernement sous-estime la maturité des Français ; ...
M. René-Pierre Signé. Ils sont assez lucides, quand même !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. ... ne fait pas assez confiance à la négociation et néglige les exigences de la construction européenne.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. C'est pour ces raisons que je souhaite vivement que la majorité sénatoriale adopte les propositions raisonnables de sa commission des affaires sociales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 72 minutes ;
Groupe socialiste, 61 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 52 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 44 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 29 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, revendication sociale majeure, la réduction du temps de travail a de tout temps suscité une grande hostilité du patronat, celui-ci justifiant son opposition de principe par un argument classique qu'il n'a eu de cesse de ressortir : la perte de compétitivité des entreprises qui en résulterait a bloqué et continue de freiner tout progrès.
Pourtant, depuis la loi dite « des huit heures » de l'après-guerre faisant toujours suite à de forts mouvements sociaux, l'idée de la réduction du temps de travail a fait son chemin ; la sacro-sainte compétitivité a pu être maintenue, que ce soit, d'une part, par voie législative, en 1936, lorsque le Front populaire a sanctionné légalement la revendication des 40 heures en accordant deux semaines de congés payés ou, en 1982, lorsqu'un gouvernement de gauche a fixé à 39 heures la durée hebdomadaire du travail et en allongeant d'une semaine les congés payés, d'autre part, par voie contractuelle conventionnelle, notamment par les accords de Grenelle.
Bien sûr, au départ, la question se posait à l'échelle de la journée pour très vite se déplacer à celle de la semaine.
Certains sont tentés d'aller plus loin en situant le débat à l'échelle de l'année. Je ne surprendrai personne dans cet hémicycle en réaffirmant notre opposition farouche à une telle dérive, porte ouverte à tous les abus. J'aurai d'ailleurs l'occasion de revenir longuement sur ce point.
Qu'en est-il de ce processus ancien et continu ?
Bien que les cadres normatifs soient très différents d'un pays à l'autre, le Royaume-Uni n'ayant, par exemple, de référence ni légale ni conventionnelle relative à la durée hebdomadaire du travail, laissant le soin à l'entreprise de régler cette question, force est tout de même de constater une certaine homogénéité des durées effectives moyennes annuelles pour les salariés à temps complet de la Communauté européenne puisqu'elles se situent entre 1 710 et 1810 heures, et ce en tenant compte aussi du fait que le temps partiel qui a véritablement explosé, surtout dans les Etats d'Europe du Nord, est responsable le plus souvent de la diversité dans les évolutions récentes.
Quoi qu'il en soit, effectivement, il convient de noter que, dans sa globalité et sur une longue période, la durée du travail a connu une baisse indéniable.
Toutefois, en France comme en Europe, ce thème de la réduction du temps de travail a été supplanté par un autre thème, celui de l'aménagement du temps de travail.
La réduction du temps de travail, conçue par les salariés et leurs syndicats comme un facteur efficace de lutte contre le chômage et comme vecteur d'amélioration des conditions de travail, a été dévoyée par le patronat, les employeurs n'ayant, le plus souvent, comme seul et unique souci d'intensifier la production afin de dégager toujours plus de profits. Pour eux, la réduction du temps de travail est accessoire. C'est une simple mesure d'accompagnement de la réorganisation du travail rendue nécessaire par les nouvelles contraintes du marché.
Ainsi, depuis les années quatre-vingt, la diversification des temps travaillés au sein même de l'entreprise et a fortiori de la branche, de l'organisation du temps de travail ont rendu bien illusoire la baisse effective du temps de travail.
Dans son rapport, Jean Le Garrec pointe cette montée en puissance de la volonté patronale de se servir comme d'un banal prétexte des négociations sur la réductions du temps de travail pour imposer divers aménagements de la norme hebdomadaire.
Je souscris totalement à ce constat et, durant les débats sur le projet de loi qui nous est soumis, je dénoncerai sans détour les effets pervers de la modulation de la norme légale hebdomadaire sur plusieurs semaines, voire sur l'année, du retour en force du travail de nuit ou le week-end et de l'augmentation du temps partiel imposé.
Je n'oublierai pas, bien sûr, de mentionner les tentatives diverses du patronat, relayé par la droite, pour modifier le système de décompte des heures supplémentaires, leur substituer un repos compensateur ou pour imposer une modération salariale.
Sous prétexte de crise, l'idée de la nécessaire souplesse organisationnelle des entreprises, afin de mieux s'adapter aux fluctuations du marché, s'est répandue, s'est imposée. Sous la pression du chômage de masse dans une période de forte rentabilité, les atteintes au progrès social ont été justifiées dans notre pays. Le marché du travail s'en est trouvé complètement déséquilibré, le rapport de force employés-employeurs induisant des conditions de travail toujours plus difficiles et des rémunérations toujours tirées vers le bas.
Au regard d'un tel état des lieux, je ne trouve pas surprenant que les Français jugent les chefs d'entreprise peu soucieux à 61 % du bien-être des salariés et à 55 % de l'intérêt général. Ce constat, dressé par le journal La Croix, témoigne bien de l'état d'esprit dans lequel se trouvent les salariés.
Majoritairement favorables à la réduction du temps de travail, ils sont beaucoup plus sceptiques quant aux conséquences pratiques que pourrait avoir pour eux cette loi. Ils doutent parfois qu'elle soit réellement créatrice d'emplois.
Je comprends tout à fait leurs craintes concernant l'inaptitude du patronat à améliorer la situation économique et sociale de la France. Un seul exemple suffira à étayer mon propos.
Sur l'initiative du patronat en mai 1984, une tentative de négociation sur « l'adaptation des conditions d'emploi » n'a-t-elle pas été conduite ? L'objectif était de pouvoir amplifier le processus de dérogation contractuelle introduite par l'ordonnance de 1982, en étendant la flexibilité à l'ensemble de la législation relative à la durée du travail.
Le patronat proposait de négocier l'annualisation des horaires, les heures supplémentaires, les congés payés, le travail à temps choisi, sans toutefois évoquer de contreparties sous forme de réduction du temps de travail.
Bien entendu, les négociations ont échoué. Toutefois, les accords d'entreprises sur la modulation hors cadre légal du temps de travail ont foisonné. Les salariés ont subi.
Pour notre part, c'est avec beaucoup de conviction que nous entendons apporter notre pierre à travers ce projet de loi d'incitation et d'orientation à la réduction du temps de travail pour que le texte demeure un projet innovant et qu'il soit effectivement à la hauteur des attentes des Français.
La France, quatrième puissance mondiale, deuxième pays d'accueil des investisseurs étrangers en Europe, compte tout de même toujours plus de quatre millions de chômeurs et RMIstes, près de trois millions de salariés percevant un bas salaire inférieur au SMIC. Notre pays a lui aussi ses working poors , ses actifs pour qui travail rime malheureusement avec précarité ; c'est le modèle anglo-saxon.
Des frontières entre chômage et emploi de moins en moins nettes, voilà la conséquence fâcheuse de cette dérégulation.
Rien d'étonnant alors qu'un peu avant les fêtes de Noël, lorsque les privés d'emplois ont fait irruption sur la scène sociale, une large frange de la population ait reconnu leurs revendications comme légitimes !
Les actions convergentes menées côte à côte par les salariés et les privés d'emplois ont permis de mettre en avant l'imbrication entre hausse des minima sociaux et revalorisation du SMIC. Elles ont servi à faire prendre conscience qu'il était impératif que la loi sur les 35 heures puisse se traduire par des emplois stables.
Dans une étude récente d' INSEE Première , un grand quart de Français interrogés citent le travail comme préoccupation essentielle parce qu'il procure des revenus, mais aussi et surtout un statut social, comme synonyme du bonheur.
Cet exemple témoigne, s'il en était encore besoin, de l'acuité du problème du chômage, des drames qu'il génère, mais surtout de l'urgence de solutions nouvelles.
Une croissance forte, soutenue, n'est pas à même de résorber seule le chômage. Pour que celle-ci puisse être riche en emplois, la réduction du temps de travail est une des pistes qui mérite d'être suivie, explorée.
Conquête sociale, moyen de travailler moins pour travailler tous, ou moyen de travailler moins pour travailler plus ; vecteur d'amélioration des conditions de vie familiale, associative, la réduction du temps de travail se présente aussi et surtout comme un formidable levier pour l'emploi.
Dans le contexte social actuel, cet outil de lutte contre le chômage ne peut être négligé.
De plus, il doit nécessairement être couplé avec d'autres mesures telles que la prévention et le contrôle des licenciements, la relance de la consommation, la réforme de la fiscalité taxant plus les profits financiers, la réforme des cotisations sociales... Nous espérons que la réduction du temps de travail sera l'occasion de voir s'affirmer d'autres choix de société, un autre partage - plus équitable - des richesses dans notre pays.
Revendication ancienne de notre groupe politique, la réduction du temps de travail sans diminution de salaire, inscrite dans la déclaration commune parti communiste-parti socialiste d'avant les élections législatives, est aujourd'hui en passe d'être confirmée légalement.
Je me félicite de cette démarche volontariste du Gouvernement. Voilà bientôt vingt ans que le processus de réduction du temps de travail était en panne, faute de négociations collectives.
Pour pallier le manque de dynamisme et modérer l'appétit du patronat dans sa quête de toujours plus de flexibilité, il était primordial que l'Etat, garant de l'ordre public social, intervienne pour inverser la tendance.
En fixant un cadre, une nouvelle durée légale du travail, une date butoir, ce projet de loi a le mérite d'impulser les négociations, de relancer le dialogue social.
Cherchant à moraliser le temps partiel, le recours aux heures supplémentaires, le projet de loi entend mettre de l'ordre dans les dérives passées.
Des questions cruciales telles que le SMIC, les heures supplémentaires, restent tout de même en suspens.
Certains points peuvent être précisés concernant le mandatement.
Je compte sur vous, madame la ministre, sur le jeu des navettes parlementaires, pour apporter d'utiles précisions au texte, l'améliorer pour qu'il ne puisse être aucunement dévié de son objectif principal : la création de milliers d'emplois.
A l'Assemblée nationale, mes amis du groupe communiste et apparenté ont largement contribué à éviter les dérapages éventuels en faisant adopter un certain nombre d'amendements : le suivi des accords dans l'entreprise par une commission paritaire ; le remboursement de l'aide par l'entreprise qui ne respecte pas ses engagements ; l'assistance du salarié mandaté par un collège lors des négociations ; le paiement du temps consacré à la négociation.
En revanche, des amendements importants à nos yeux n'ont pu être satisfaits. Je pense notamment à ceux qui portent sur la nature de l'aide apportée aux entreprises, sur le volet défensif prévu à l'article 3 et destiné à éviter les licenciements, sur le niveau de rémunération des heures supplémentaires ou les contingents d'heures supplémentaires autorisés.
Vous comprendrez, madame la ministre, mes chers collègues, que les points évoqués précédemment seront intégrés à notre panoplie d'amendements et qu'en temps utile nous ne manquerons pas d'intervenir pour les défendre.
De plus, étant admis que l'avenir de ce projet de loi se jouera en grande partie lors des négociations, nous avons tenu à traiter la question de la qualité de ces accords, de leur validité au regard des accords de branches plus favorables, du suivi de ceux-ci, avec précision, par le biais d'autres amendements.
Mon collègue et ami Michel Duffour interviendra d'ailleurs tout à l'heure plus précisément sur la question des négociations collectives et du mandatement.
Enfin, pour conclure sur notre positionnement dans ce débat, j'indique que le groupe communiste républicain et citoyen et moi-même, entendons résolument nous opposer aux modifications substantielles apportées au projet de loi par la majorité de la commission des affaires sociales.
Cette attitude sans surprise de la droite sénatoriale fait suite au blocage de principe du CNPF à l'égard du texte relatif à la réduction du temps de travail, d'une part, et à la constitution de la pseudo-commission d'enquête sur ce thème, d'autre part.
Pourquoi le CNPF est-il parti véritablement en croisade contre les 35 heures ?
Les risques de perte de compétitivité, de délocalisations, de fuite des investisseurs étrangers sont-ils réels ou constituent-ils de simples arguments mensongers servant une tactique politicienne ?
Toutes ces questions trouveront naturellement une réponse au cours des débats.
Néanmoins, j'apporte tout de suite un premier élément de réponse. Si la réduction du temps de travail a soulevé autant de controverses, c'est qu'elle risque non seulement de toucher aux rapports de force existant entre salariés et employeurs, mais aussi de faire reposer le débat sur le rôle des différentes générations, des hommes et des femmes dans la société.
Surtout, la réduction du temps de travail sans diminution de salaire touche au très sensible problème de la répartition des richesses entre profits et salaires.
Ainsi, lorsque Ernest-Antoine Seillière de Laborde en appelle à l'intérêt des entreprises, il confond cet intérêt avec celui des seuls chefs d'entreprise et gros actionnaires qui empochent les dividendes !
Fidèle à son attitude « responsable » et « constructive » déjà adoptée lors de précédents textes - je fais référence ici aux projets de loi relatif aux emplois-jeunes ou à celui qui portait sur le financement de la sécurité sociale - la majorité de la commission a une fois de plus profondément dénaturé le texte. La réduction du temps de travail n'est plus abordée comme une fin en soi, mais comme une mesure d'accompagnement de l'annualisation et de la flexibilité du travail.
Par ailleurs, ces messieurs admettent, contrairement au CNPF, que la réduction du temps de travail peut être créatrice d'emplois, ils se sont donc employés à « reprofiler » la loi Robien et à faire sauter les verrous du temps partiel, vidant ainsi la loi de toute sa potentialité.
Le 13 février 1996, nous avions opposé à la proposition loi Robien une question préalable...
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Oui !
M. Guy Fischer. ... jugeant que ce texte allait à l'encontre du monde du travail...
Mme Hélène Luc. Oui ! M. Guy Fischer. ... refusant l'équation : annualisation, réduction du temps de travail.
A l'époque, le rapporteur du texte, M. Souvet, doutait lui-même de l'opportunité de son adoption. Je constate qu'aujourd'hui ses doutes se sont dissipés.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Eh oui !
M. Louis Souvet, rapporteur. Ce n'est pas aussi simple que cela !
M. Guy Fischer. A l'époque, il était allé jusqu'à demander un scrutin public !
En ce qui nous concerne, dans les prochains jours, nous entendons faire entendre une autre voix que celle de l'ultralibéralisme. Ce sera le sens de nos sous-amendements et des articles additionnels que nous proposerons. Ils auront au moins le mérite de faire se prononcer le Sénat sur des questions essentielles. Ce contre-projet, imprégné par l'idée récurrente que, pour créer des emplois, il suffirait de baisser le coût du travail, ne peut que susciter notre rejet. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Gournac. (Applaudissements sur les travées du RPR.) M. Alain Gournac. Je me suis demandé, madame le ministre, si le dessinateur qui, dans le style du peintre Fernand Léger, avait mis en scène pour un hebdomadaire le projet de réduction du temps de travail à 35 heures n'avait pas, à sa manière, assez bien saisi l'intention du Gouvernement.
C'est comme si ce dessinateur avait compris que, avec ce projet de loi sur les 35 heures, le Gouvernement avait voulu renouer avec l'histoire, notamment avec 1936, dont Fernand Léger semble parfois avoir été l'illustrateur.
M. Henri Weber. Aucun rapport !
M. Alain Gournac. C'est comme si ce dessinateur avait décelé que votre projet de loi était, dans son ambition, également un pastiche des lois de 1936 relatives aux congés payés et à la semaine de 40 heures. Or, nous sommes dans un contexte économique et social bien différent. (MM. Autain et Weber protestent.)
Votre collègue au Gouvernement M. Dominique Strauss-Kahn a raison de souligner qu'en se plaçant dans une perspective de longue durée, nous assistons à une baisse tendancielle du temps de travail dans les pays industrialisés.
Toutefois, il me semble important de préciser que, durant tout le XIXe siècle, notamment depuis la loi du 22 mars 1841 interdisant le travail avant l'âge de huit ans, c'est essentiellement la lutte contre l'effroyable pénibilité du travail ouvrier qui constitue la raison première de ces réductions du temps de travail.
La période de temps considérée par les différentes lois qui se sont succédé a subi un élargissement progressif. Il s'agit d'abord, au XIXe siècle, de la journée de travail, puis, dans le premier tiers du XXe siècle, de la semaine de travail. Il s'agit ensuite de l'année de travail à travers la création et l'extension des congés payés et, enfin, nous prenons aujourd'hui en compte la durée de la vie active avec l'âge avancé du départ en retraite.
Cet élargissement de la durée considérée s'accompagne du passage de la prise de conscience du caractère aliénant du travail au siècle passé à la prise de conscience du caractère non moins alinéant du manque de travail à notre époque.
Il est clair que ces deux prises de conscience, pour différentes qu'elles soient, ne sont pas exclusives l'une de l'autre. Bien au contraire, elles se conjuguent.
Dans le programme du parti socialiste, elles recevaient deux réponses claires et distinctes.
Pour lutter contre le chômage, il fallait « créer des emplois », c'était l'intitulé d'une rubrique.
L'objectif était de créer « 700 000 vrais emplois pour les jeunes ». Pour lutter contre une certaine pénibilité propre à tout travail il fallait, par ailleurs « réduire le temps de travail ». « Aujourd'hui, indiquait ce programme, la machine permet des gains de productivité dont l'homme doit bénéficier. Nous proposons de ramener progressivement la durée légale du temps de travail de 39 heures à 35 heures sans diminution de salaire. »
Autrement dit, la baisse tendancielle du temps de travail qu'observe M. Dominique Strauss-Kahn a une finalité instable et évolutive. Celle-ci était au départ l'augmentation, pour le travailleur, de son temps de loisir, d'où les 35 heures payées 39.
Cette finalité devient à l'arrivée, sans que l'on ose toutefois la renier entièrement, 35 heures que l'on n'ose pas payer 39, puisqu'il s'agit d'augmenter non plus le temps de loisir des salariés, mais le nombre des emplois.
Toute l'ambiguïté de votre démarche est là, madame le ministre, et je ne suis pas sûr que les pays vers lesquels vous vous tournez pour conforter vos analyses et vos décisions aient confondu les deux finalités. Au contraire, dirai-je même.
Le « mieux vivre » pour chacun et le « plus de travail » pour tous sont des aspirations qui se sont exprimées parallèlement - je pense notamment au développement du temps partiel - et mises en place spontanément et sans confusion dans ces pays.
Votre texte, dont je ne critique pas l'inspiration généreuse...
M. Ivan Renar. C'est déjà ça !
M. Alain Gournac. ... est, en fait, brutal. Son autoritarisme semble être la seule solution que vous ayez trouvée pour sortir de l'impasse que constitue cette confusion.
Madame le ministre, si vous n'aviez pas laissé entendre que ces deux finalités pouvaient être recherchées simultanément, la chose eût été plus simple, le dialogue possible et l'autoritarisme inutile. (C'est vrai ! sur les travées du RPR.)
En effet, l'idée de la réduction du temps de travail est assez simple : il serait possible de diminuer le chômage en partageant le travail. Si l'on suit cette logique, une diminution du temps de travail d'environ 10 % - ce qui équivaut au passage de 39 heures à 35 heures hebdomadaires - créerait 10 % d'emplois supplémentaires.
La question est de savoir qui finance le coût de cette loi ?
Les salariés ? Il faudrait qu'ils acceptent une diminution de leur rémunération à due concurrence, c'est-à-dire qu'ils abandonnent l'autre finalité, à savoir « plus de moyens pour plus de loisirs ». Le Premier ministre a éliminé cette solution comme anti-sociale.
Les entreprises ? Il faudrait qu'elles maintiennent les salaires des personnels en place tout en embauchant pour compenser les quatre heures non travaillées. M. le Premier ministre a exclu, à juste titre, cette possibilité comme anti-économique.
Entre des mesures antisociales et des mesures anti-économiques, la marge de manoeuvre est étroite, c'est le moins qu'on puisse dire. Le Gouvernement a inventé un système dont le coût définitif pour le pays est difficilement chiffrable.
L'aide de l'Etat, si elle est certaine dans son principe, est incertaine dans son montant. Par ailleurs, les gains de productivité des entreprises qui pourraient compenser l'augmentation des coûts du travail sont incertains également et en tous les cas impossibles à évaluer. De plus, l'acceptation par les salariés d'un gel des salaires, au dire des représentants des organisations syndicales, n'est pas du tout à l'ordre du jour.
Examinons l'aide de l'Etat. Pour 1998, le dispositif devrait permettre la création de 21 000 emplois nouveaux. En conséquence, 350 000 salariés seraient concernés par la réduction du temps de travail. A raison de 9 000 francs de prime par salarié passé à 35 heures, ce dispositif coûterait environ trois milliards de francs, qui ont bien été inscrits dans la loi de finances pour 1998.
A partir de l'an 2000, mes chers collègues, la mesure devenant obligatoire pour les entreprises de plus de vingt salariés, ce sont treize millions de salariés qui devraient être concernés par une prime cette fois de 5 000 francs, ce qui représenterait un coût total, par an, pour l'Etat, de soixante-cinq milliards de francs.
Le Gouvernement affirme que cette évaluation ne prend en compte ni les recettes engendrées par les cotisations sociales des nouveaux employés ni les rentrées de TVA consécutives à une consommation qui serait ainsi relancée.
Mes chers collègues, je ne peux partager l'optimisme budgétaire du Gouvernement.
Je crains que nous ne rencontrions des difficultés budgétaires en pleine période de transition vers la monnaie unique si l'Etat commence - ce serait d'ailleurs une première - par verser plusieurs dizaines de milliards avant de percevoir les recettes escomptées !
Je ne crois pas que les partenaires sociaux accepteront de prendre à leur charge le manque à gagner de la sécurité sociale dû à l'abattement des cotisations patronales.
Quant aux gains de productivité, je ne vois pas quelles prévisions sérieuses il est possible de faire. Dans les services ou les petits commerces, ces gains seront, à n'en pas douter, fort réduits sinon inexistants.
M. Jean-Patrick Courtois. Tout à fait !
M. Alain Gournac. En revanche, dans les secteurs de productivité, pour l'essentiel, ils seront affectés à la défense des parts de marché afin d'assurer le maintien de la compétitivité.
Quant aux salariés, toutes les auditions que nous avons organisées avec mes collègues de la commission d'enquête sur les conséquences des trente-cinq heures confirment qu'ils ne souhaitent pas travailler moins, mais qu'ils veulent gagner plus !
M. Jean-Patrick Courtois. C'est vrai !
M. Alain Gournac. Devant autant d'incertitudes, pourquoi ne pas adopter une attitude responsable ?
Si nous devons avoir la modestie de reconnaître que nous avons tous échoué face au chômage - et je vous donne acte de la vôtre, madame le ministre, comme vous prendrez sans doute acte de la mienne - nous devons continuer sur la lancée d'une telle modestie et nous méfier dorénavant des théories et des prévisions sur lesquelles nous fondons en la matière nos décisions.
Etes-vous sûre, madame le ministre, que la réduction autoritaire du temps de travail exprime une telle prudence... si souvent recommandée par les experts ?
La négociation ne serait-elle pas une forme plus convenable ? Le dialogue social autour d'une table et non pas dos au mur n'aurait-il pas plus de chances d'aboutir à des accords susceptibles de conjuguer les deux finalités dont j'ai parlé tout à l'heure ?
Il y a tant d'incertitudes dans l'affaire qui nous préoccupe et tant d'assurance dans l'attitude du Gouvernement qu'il y a de quoi être troublé ! L'essentiel est à étudier, à mettre au point... mais la décision est déjà prise.
Prenons un exemple que vous connaissez, madame le ministre, puisque je vous en ai déjà fait part. C'est celui d'une entreprise de cent salariés qui embauche six personnes.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ah oui !
M. Alain Gournac. Cette entreprise diminue, bien sûr, son temps de travail de 10 % ! Elle va toucher - il s'agit de la première année - 106 fois l'aide de l'Etat de 9 000 francs soit 954 000 francs. Elle touche donc, par personne embauchée, 954 000 francs divisés par six personnes, soit 159 000 francs.
M. Serge Vinçon. Exact !
M. Alain Gournac. Un commerce avec deux salariés qui embauche une personne - elle diminue, bien sûr, son temps de travail de 10 % - va toucher trois fois 9 000 francs, soit 27 000 francs, ce qui fait, puisqu'il n'a embauché qu'une personne, 27 000 francs par personne.
L'application des termes de la loi conduit à des aberrations et à des injustices. Plus l'entreprise est grande, plus elle bénéficie de l'aide de l'Etat... par personne embauchée.
Quand on sait que les petites et moyennes entreprises étaient celles qui créaient véritablement de l'emploi dans le secteur marchand, on reste étonné, très étonné même, que le texte du Gouvernement puisse les oublier avec une inconscience qui frise la désinvolture.
Entre 1981 et 1996, en quinze ans, les établissements employant moins de cinquante salariés ont créé 1 248 000 emplois. Or, pour créer des emplois, ces PME ont besoin de disposer notamment de souplesse - je suis d'ailleurs heureux, madame le ministre, de vous avoir entendu parler de souplesse pour la première fois - dans le domaine du temps de travail.
La réduction obligatoire et uniforme de la durée légale du travail serait particulièrement grave pour l'ensemble de ces entreprises.
Comment voulez-vous qu'une petite entreprise composée d'emplois spécialisés et non interchangeables - un ingénieur, un contremaître, un commercial, une secrétaire, un manutentionnaire - puisse embaucher un ingénieur pour quatre heures, un commercial pour quatre heures, etc.
Le projet de loi que vous nous proposez risque d'empêcher les PME de profiter pleinement de la dynamique de croissance qui semble se dessiner pour 1998. Il risque aussi de porter préjudice à l'emploi, alors que ce sont les PME qui en ont créé, et plus que d'autres !
Le projet de loi sur la réduction du temps de travail à 35 heures a suscité un grand débat national. Le Sénat, en la personne, d'une part, de Louis Souvet, notre excellent rapporteur de la commission des affaires sociales, et, d'autre part, de Jean-Pierre Fourcade, son président, vous propose de donner à ce débat national toute la chance de déboucher sur des accords concrets et féconds en matière de création d'emplois.
Il vous suffirait de remplacer une volonté étatique gouvernementale par la volonté commune des partenaires sociaux.
C'est au nom de la vertu du dialogue et de la liberté d'entreprendre que je ne voterai pas, en l'état, le projet de loi de réduction autoritaire du temps de travail que vous nous présentez et que je soutiendrai, bien évidemment, la proposition de notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
MM. Jean-Patrick Courtois et Serge Vinçon. Remarquable !
M. le président. La parole est à M. Hoeffel. M. Daniel Hoeffel. « D'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail », tel est l'intitulé du projet de loi qui nous est soumis. « Réduction autoritaire du temps de travail à 35 heures », tel est le titre du rapport de la commission d'enquête créée par le Sénat et donc l'interprétation qu'elle donne du projet de loi, la finalité assignée à ce texte étant prioritairement la création d'emplois.
Est-ce le moment ? Est-ce un bon moyen ? La procédure proposée est-elle la plus judicieuse ? Ce sont autant de questions qui sont au coeur de la controverse que nous vivons depuis quelques mois.
Je voudrais, d'emblée, m'associer aux remerciements adressés non seulement à la commission des affaires sociales, à son président et à son rapporteur, mais aussi à la commission d'enquête du Sénat, à son président et à son rapporteur, Jean Arthuis, qui ont su réaliser un travail préparatoire de grande qualité.
M. Jean Arthuis. Merci !
M. Daniel Hoeffel. Dans le combat mené pour l'emploi, aucun moyen susceptible de réduire le chômage ne doit être négligé, et personne ne saurait reprocher à un Gouvernement de considérer la réduction du temps de travail comme l'un des remèdes possibles.
Trop de solutions proposées dans le passé pour améliorer la situation de l'emploi ayant connu des fortunes diverses, nous devons être modestes dans l'appréciation portée sur de nouvelles tentatives, et c'est d'une manière dépassionnée et la plus objective possible que nous devons exprimer un jugement.
Un texte, quel qu'il soit, doit faire l'objet, en particulier au Sénat, non d'un rejet abrupt, mais d'une volonté d'amélioration afin de le réorienter, de le profiler et de lui donner la vision la plus réaliste possible.
Cela suppose en premier lieu que nous évitions d'aborder la réduction du temps de travail en nous fondant sur des considérations doctrinales. Face à des partenaires et à des concurrents étrangers qui, quelle que soit par ailleurs leur orientation politique, font prévaloir la réalité de la vie économique et sociale sur les théories et sur les programmes, nous devons être pragmatiques et garder les pieds sur terre.
Il est nécessaire, en deuxième lieu, que nous soyons une fois pour toutes conscients que tout ce qui est lié au temps de travail ne saurait être dissocié du contexte général de la mondialisation et de la construction européenne, qui sont synonymes d'efforts accrus et non de relâchement de l'effort. Nous sommes trop tributaires de ce qui se passe autour de nous pour que nous puissions agir au niveau social, en cavalier seul.
Il faut, en troisième lieu, que la France sache à qui elle veut s'en remettre pour définir une vision claire et constante de sa politique sociale.
Est-ce l'Etat qui doit fixer les orientations, voire les détails de la politique sociale ? S'en remet-on au contraire à la politique conventionnelle ? Ou encore - et c'est très souvent le cas - doit-il y avoir interférence entre décisions étatiques et négociations paritaires ? Il faut reconnaître, à cet égard, que la politique conventionnelle a, dans notre pays, connue dans les années soixante, par exemple, des périodes plus fastes qu'aujourd'hui.
Il est nécessaire, dans ces conditions, que nous ne cherchions pas la solution en cultivant sur ce plan l'exception française, en nous singularisant du point de vue des objectifs comme des procédures.
Le fait que nous soyons l'un des pays au monde où la durée moyenne du travail est l'une des plus faibles ne nous donne, dans la compétition internationale, qu'une marge de manoeuvre très réduite. Et, dans ces conditions, réduire la durée du travail à 35 heures ne saurait être considéré comme une fin de soi.
La réduction de la durée du temps de travail n'est concevable que dans la mesure où, d'une part, elle respecte la diversité du tissu économique français et où, d'autre part, elle préserve la capacité compétitive des entreprises françaises. Sinon il n'y aura pas, du fait de la réduction du temps de travail, de créations d'emplois, bien au contraire.
M. Serge Vinçon. C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel. C'est parce que la commission des affaires sociales apporte sa réponse en respectant ces objectifs, et parce qu'elle préconise un débat constructif au niveau du Parlement, que nous approuvons les propositions raisonnables qu'elle présente, et en particulier quelques principes qui nous paraissent essentiels. D'abord, il faut respecter la diversité du tissu économique. Il est inconcevable qu'on puisse appliquer le même schéma aux entreprises, quelle que soit leur taille, leur appartenance à l'industrie ou aux services, au secteur privé, à la fonction publique, notamment territoriale, et au monde associatif.
M. Henri Weber. C'est une vérité première !
M. Daniel Hoeffel. Chaque branche économique, chaque entreprise a ses contraintes propres, ses impératifs liés à la place qui est la sienne sur le marché.
M. Henri Weber. Ça, personne ne le conteste !
M. Daniel Hoeffel. La suppression du caractère obligatoire de la réduction découle de ce constat, il est donc indispensable.
De plus, la diversité ne peut être prise en compte que dans la mesure où le calcul de la durée du travail est fondé sur la souplesse, ce qui suppose que l'annualisation et le temps partiel, tout en respectant un certain nombre de règles, soient libérés des entraves qui s'opposent à leur concrétisation. C'est d'ailleurs la souplesse qui caractérise la loi Robien et qui explique, de ce fait, son attractivité.
Ensuite, la mise en oeuvre du projet de loi en l'état entraîne un effort considérable sur le plan des finances publiques, et elle réduirait probablement les moyens que les entreprises consacrent actuellement à l'amélioration de leur compétitivité.
Le rapport Arthuis rappelle à ce propos que « même une réduction du temps de travail réussie suppose des coûts qu'il convient, pour l'honnêteté du débat, d'exposer aux Français ».
M. Alain Gournac. C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel. L'accroissement des aides publiques entraîne des contrôles et surtout une complexité des dispositions applicables, complexité qui constitue par elle-même un handicap pour les entreprises, surtout les petites.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Daniel Hoeffel. Simplicité et simplification des dispositions applicables doivent donc, sur ce plan comme d'autres, être poursuivies sans relâche.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Enfin, il faut lever l'ambiguïté quant au rôle respectif de la politique conventionnelle et de l'intervention de la loi.
Peut-on concevoir la conclusion d'accords paritaires alors que des éléments essentiels ne seront précisés qu'à l'occasion d'une future loi ? Il est évident que la politique conventionnelle peut, mieux que la loi, tenir compte de la spécificité de chaque branche d'activité. Encore faut-il - et c'est un problème dans notre pays - que les partenaires sociaux aient la volonté d'aboutir en tenant compte du fait que politique sociale et compétitivité sont indissociables, ce qui, dans notre culture nationale, n'est pas encore évident.
M. Henri Weber. C'est tout le problème !
M. Daniel Hoeffel. La prise en compte de ces observations pourrait réduire les inconvénients du projet de loi qui nous est présenté, projet de loi qui, au-delà des dispositions relatives à l'emploi, peut entraîner des conséquences sur d'autres plans.
En effet, quelles que soient les précautions prises pour prévoir des délais d'application variables suivant la taille des entreprises et quel que soit le seuil fixé, n'est-il pas prévisible que les grands groupes absorberont plus facilement les nouvelles dispositions que les PME et qu'en fait les fonds publics contribueront surtout à la réorganisation de ces grands groupes.
M. Alain Gournac. Bien sûr !
M. Daniel Hoeffel. L'effet d'aubaine va nécessairement jouer et il est plus à la portée de certains que d'autres.
Autre question : les nouvelles mesures ne vont-elles pas entraîner des phénomènes de délocalisation internes et externes d'usines ou d'entreprises ? N'allons-nous pas accentuer les distorsions du point de vue de la rentabilité et de la compétitivité des entreprises par rapport aux concurrents étrangers ? Il n'est pas facile - je le conçois - de répondre avec certitude à ces questions parce que des facteurs objectifs et des facteurs psychologiques vont intervenir. Mais ce qui apparaît certain, c'est qu'à un moment particulièrement délicat de la construction européenne, à la veille de l'échéance de l'euro, à un moment où la compétition internationale est impitoyable, les 35 heures n'engendreront probablement pas, sur le plan de l'emploi, des résultats concrets à la mesure de l'effort financier qui sera consenti.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Puisse le débat parlementaire, notamment celui qui s'est engagé au Sénat, contribuer à donner à une idée généreuse le contenu réaliste et adapté au contexte actuel sans lequel elle risque d'aboutir inévitablement à une grande désillusion. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Gournac. Bravo !
M. Ivan Renar. Silence Gournac !
M. le président. La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le chômage est un problème crucial. Pour le réduire, des fonds publics de plus en plus importants sont consacrés chaque année aux politiques de l'emploi. Mais, depuis vingt ans, tous les remèdes ont échoué et le chômage n'a fait que s'amplifier.
Bien qu'en France le chômage soit indemnisé, il n'en provoque pas moins un traumatisme non seulement chez les personnes qui y sont confrontées, mais aussi dans l'imaginaire collectif. Ainsi, une majorité de nos concitoyens pensent que, au cours de leur vie professionnelle, ils connaîtront le chômage. Ce pronostic est encore plus marqué quand ils parlent de leurs enfants.
En dépit de cette situation de l'emploi, il est frappant de constater que les Français continuent de considérer le travail comme une valeur forte d'intégration sociale ; plus qu'un moyen de subsistance, le travail est le lieu de création du lien social et, à ce titre, irremplaçable.
Comme ancien industriel, et après avoir participé à la commission d'enquête sur les effets économiques et sociaux de la réduction du temps de travail à 35 heures, je doute que le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui permette de créer des emplois durables ; de plus, il coûtera cher à la collectivité, et les petites et moyennes entreprises seront les premières à faire les frais des 35 heures. Le dispositif proposé fait courir à notre pays un grand risque pour sa position en Europe et dans le monde.
La philosophie de votre texte, madame le ministre, s'appuie sur le partage du travail. L'idée est généreuse, mais le concept est fondé sur des hypothèses et des calculs théoriques, alors que l'économie ne se résout pas à l'arithmétique. Les facteurs psychologiques et humains sont primordiaux, et les leçons du passé n'ont pas été retenues ; qu'il s'agisse de la réduction du temps de travail à 40 heures en 1936 ou des 39 heures payées 40 en 1982, les résultats n'ont pas été probants en créations d'emplois, mais l'idéologie a la vie dure...
Faut-il donc rendre le processus de réduction du temps de travail obligatoire, comme le prévoit l'article 1er du projet de loi ? Nous ne le pensons pas car, comme dans le passé et pour les mêmes causes, vous allez produire les mêmes effets.
En premier lieu, la réduction du temps de travail à 35 heures ne permettra pas de créer des emplois durables. Le grand handicap du dispositif est l'obligation de négocier sans connaître les conditions qui seront fixées en l'an 2000 ou 2002 selon les cas. « Négociez d'abord, la loi sera précisée ensuite... ». Une telle méthode indispose les acteurs de la négociation. De fait, 78 % des chefs d'entreprise regrettent la contrainte, et les syndicats de travailleurs n'appréhendent pas tous positivement ce processus à marche forcée, même s'ils aspirent à la réduction du temps de travail. Qu'adviendra-t-il, madame le ministre, des accords qui n'entreront pas dans le cadre de la loi future ? Faudra-t-il les renégocier ?
Différentes questions se posent : quel sera le nouveau régime des heures supplémentaires, des repos compensatoires, de l'épargne-temps, du travail à temps partiel ? Sur tous ces points, les responsables d'entreprise craignent un durcissement de la loi, au détriment de la souplesse et de la flexibilité qu'ils réclament pour s'adapter au mieux à un environnement économique de plus en plus mouvant. Que dire également du SMIC à deux vitesses, sinon que cette dualité créera des situations difficilement tenables ?
D'une façon générale, le dispositif proposé tend à compliquer encore un peu plus notre droit du travail. L'Etat français s'est doté d'une législation lourde et complexe. Notre code du travail, en quelques années, est devenu plus copieux que le code civil Napoléon en deux siècles. S'il est relativement aisé de procéder à une embauche, les règles à appliquer pour une suppression d'emploi sont très contraignantes et susceptibles de nombreux recours ; la Cour de cassation a souligné la complexité du droit des licenciements, qui crée une grande insécurité juridique. Toutes ces procédures découragent l'embauche. Il en résulte - et c'est le grand grief que je fais à notre code du travail - qu'un chef d'entreprise retarde toute embauche en comparant ses avantages à ceux d'une mécanisation accrue. Ainsi, en visant une plus grande protection des salariés, par excès de réglementation on obtient l'effet inverse.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Hubert Durand-Chastel. Si les grandes entreprises paraissent armées pour amortir tous les changements inhérents à la réduction obligatoire à 35 heures du temps de travail - remarquons tout de même qu'elles licencient pour rester dans la compétition mondiale - ce sont les petites et moyennes entreprises qui vont subir le choc le plus rude ; pourront-elles le supporter ? Les PME constituent le vrai réservoir d'emplois. L'état de leurs marges financières avec l'alourdissement des coûts salariaux les obligera, dans de nombreux cas, à une compression de leurs effectifs et non à de nouvelles embauches. Pour ces petites structures, le rééquilibrage des postes entre eux est quasi impossible, car on ne peut créer des fractions d'emploi ; les emplois dans les PME sont spécialisés et non interchangeables ; il existe donc un véritable risque de cessation d'activité dans de nombreux cas.
La solution pour les petites et moyennes entreprises aurait été la mise en place de dispositifs favorisant l'aménagement du temps de travail, par la modulation-annualisation négociée volontairement. La rigidité du dispositif contraignant à une réduction hebdomadaire du temps de travail ne correspond pas non plus à la réalité des entreprises saisonnières. Nous en avons beaucoup d'exemples. Ainsi, l'entreprise Whirpool, fabriquant des machines à laver et à sécher, que nous avons visitée dans le cadre de la commission d'enquête sénatoriale, a pu accroître son activité et ses emplois grâce à des accords sur l'annualisation du temps de travail.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Hubert Durand-Chastel. Pourquoi refuser le choix de l'annualisation et s'en tenir à la référence figée des 35 heures hebdomadaires ?
M. Alain Gournac. Très bien, mon cher collègue !
M. Hubert Durand-Chastel. Madame le ministre, avec la loi des 35 heures, vous créez une inégalité entre le secteur privé, obligé d'obtempérer, et le secteur public. Les fonctionnaires échappent déjà aux 39 heures, selon un rapport de la direction générale de l'administration et de la fonction publique : en effet, les experts ont recensé que 70 % des fonctionnaires civils de l'Etat relèvent du régime dérogatoire en matière de durée du travail. Le Gouvernement a-t-il l'intention d'étendre le dispositif des 35 heures à la fonction publique en maintenant les dérogations existantes et de créer les emplois nouveaux qui seraient ainsi nécessaires ? Cette question a son importance, car il s'agira alors de nouvelles dépenses pour les finances publiques et d'une augmentation du nombre des fonctionnaires, qu'il conviendrait plutôt de réduire de 500 000 unités, selon le rapport de Jean Choussat, ancien directeur du budget.
Si le coût pour les entreprises est important, le coût pour la collectivité est considérable et peut avoir des conséquences sur le niveau des prélèvements obligatoires, déjà trop élevé en France.
L'article 2 du projet de loi prévoit en effet des incitations financières sous forme d'exonération de charges sociales en échange de créations d'emplois. Ce système d'exonération, préféré aux subventions, est un choix judicieux, madame le ministre, car il va dans le sens de l'abaissement du coût du travail préconisé par l'OCDE Mais le coût de ces incitations exercées par l'Etat sera très important : certaines études l'estiment à plus de 70 milliards de francs par an. Comment les financera-t-on ?
Mon ultime reproche, madame le ministre, tient au fait qu'en rendant obligatoire la diminution du temps de travail, vous recourrez, encore une fois, à l'exception française. Si l'exception française fonctionnait, nos concurrents nous imiteraient. Comme ce n'est pas le cas, il nous faut en tirer les conséquences. Notre pays est aujourd'hui le seul à vouloir abaisser autoritairement et de façon généralisée le temps de travail alors que déjà la durée effective de travail sur une vie y est la plus courte des pays industrialisés. Je souhaite que nous ayons raison contre tous ; j'avoue être sceptique.
La Commission européenne préconise bien des incitations à la réduction du temps de travail, mais la tendance est à l'annualisation. La flexibilité est recherchée pour concilier le travail des salariés et la nécessité des entreprises. La directive de 1993 fixe à quarante-huit heures la durée hebdomadaire maximale autorisée et à quatre semaines la durée minimale des congés payés. Le Parlement européen s'est prononcé de son côté pour un processus non contraignant de réduction du temps de travail.
Enfin, la grosse erreur stratégique est de faire voter cette loi des 35 heures au moment même de l'instauration de la monnaie unique européenne.
Lors du sommet européen sur l'emploi, en novembre dernier, la France n'a pas convaincu ses partenaires de la nécessité d'une réduction autoritaire du temps de travail pour développer l'emploi en Europe. Les documents préparatoires de ce sommet préconisaient seulement de développer l'esprit d'entreprise, de rendre le système fiscal plus favorable à l'emploi, d'améliorer la capacité d'insertion professionnelle des chômeurs et de promouvoir l'adaptabilité des entreprises par une flexibilité négociée.
Un de nos sociologues, soulevant la question du manque de travail, estime que le déficit d'emplois est dû à la rigidité des métiers et des lois. Avec l'accélération inédite des changements de travail à l'échelle d'une vie, c'est non seulement l'organisation du travail qu'il faut changer mais la société tout entière.
Le présent projet de loi risquant, au contraire, de bloquer le processus d'évolution, avec mes collègues, je suivrai les propositions de la commission des affaires sociales et de notre excellent rapporteur, dont l'objectif est d'atténuer les effets les plus néfastes du dispositif et d'améliorer les mesures susceptibles de réduire effectivement le chômage en France. (Applaudissements sur les travées des Républicains et indépendants, du RPR et de l'Union centriste, aisni que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, travailler moins pour travailler tous, voilà donc la pierre philosophale découverte par l'exception française à la barbe du monde entier, qui n'en revient pas d'avoir eu la légèreté de ne pas y penser plus tôt !
Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui est la traduction d'un engagement électoral, peut-être un peu hasardeux, de la majorité plurielle. En vérité, ce texte consacre une vision malthusienne de l'économie. Il repose sur une méconnaissance, que je crois vraiment dramatique, des réalités économiques actuelles, notamment en ce qui concerne les moyennes, les petites et les très petites entreprises, et il expose notre pays à de graves risques.
En effet, les partisans de la réduction autoritaire et générale du temps de travail ont de l'activité la vision d'un gâteau à partager. Selon cette conception « pâtissière » (Sourires), on calcule que, là où il y a du travail pour 22 millions de Français travaillant chacun 1 650 heures par an, il pourrait y en avoir pour 24 millions travaillant 1 460 heures !
M. Henri Weber. Mais non, mais non !
M. Bernard Plasait. Le concept de partage du travail ainsi mis en oeuvre reflète une attitude de résignation, comme si le volume de travail était une donnée fixe à répartir.
M. Bernard Piras. Il vaut mieux entendre ça que d'être sourd !
M. Bernard Plasait. C'est là une approche comptable, arithmétique et malthusienne, qui témoigne, me semble-t-il, d'une vision défaitiste de l'emploi et, au-delà, d'une vision défaitiste de la société française et de son aptitude à faire face à l'avenir, à relever les défis auxquelles elle est confrontée.
« Au banquet de la nature, il n'y a pas assez de couverts pour tout le monde », disait Malthus. Il préconisait donc de partager la misère, les libéraux répondant en substance que, au lieu de partager la misère, il valait mieux partager l'abondance et, tout d'abord, créer l'abondance.
Aujourd'hui, on veut partager le travail. Et bien, nous, libéraux, nous répondons qu'il faut créer le travail et non le partager.
Si le partage du travail rencontre aujourd'hui un tel succès, c'est parce que se répand l'idée selon laquelle nos économies modernes ne sont plus capables de créer de nouveaux emplois, et le progrès de la technique l'internationalisation des échanges vont être de plus en plus destructeurs d'emplois.
M. Henri Weber. Quelle erreur !
M. Bernard Plasait. Certains des partisans du partage du travail ajoutent même qu'il n'est guère besoin d'augmenter la production car, globalement, nos besoins marchands sont satisfaits.
C'est méconnaître la réalité de la dynamique qui est à l'origine de la croissance et du progrès : l'emploi crée l'emploi.
A l'instar de Jean-Baptiste Say, selon qui la production engendre sa propre demande, nous disons que la création de richesses est la source de l'emploi, lequel, à son tour, suscite l'activité.
M. Henri Weber. Et que disait Bastiat ?
M. Bernard Plasait. Cet enchaînement vertueux se vérifie dans la corrélation entre taux d'activité et chômage. Ce sont les pays qui ont le dynamisme démographique le plus fort et le taux d'activité le plus élevé qui ont également le taux de chômage le plus bas.
Celui qui entreprend, celui qui travaille plus, crée davantage, crée un surplus de richesse et génère du même coup un pouvoir d'achat supplémentaire pour de nouveaux produits, de nouveaux services, d'où découleront les créations de nouveaux emplois.
Les emplois nouveaux résulteront non du partage des emplois actuels mais de l'invention de nouveaux emplois. Il s'agit non de diviser l'emploi en parts égales mais de multiplier les créations d'emplois.
En voulant partager le travail, c'est-à-dire interdire à certains d'augmenter leur travail, on leur interdit du même coup d'acheter le travail des autres.
Le partage du travail n'est, au bout du compte, qu'un partage forcé des salaires, générateur de pauvreté et de chômage. Comme le dit de façon piquante le professeur Wyploz, « cela revient à maquiller le nombre de chômeurs à temps plein en faisant de chaque Français un chômeur à temps partiel ».
Votre projet de loi, madame le ministre, ignore purement et simplement l'insuffisance de compétitivité dont souffre notre économie...
M. Henri Weber. Première nouvelle !
M. Bernard Plasait. ... et qui est en grande partie due à des handicaps structurels.
En dépit des bons résultats de notre commerce extérieur,...
M. Henri Weber. J'allais le dire !
M. Bernard Plasait. ... les performances de la France à l'exportation sont inférieures à celles des grands pays concurrents. Sans doute alliez-vous le dire aussi, mon cher collègue...
Notre industrie perd des parts de marché depuis 1990, la France n'ayant réalisé que 6,3 % des exportations industrielles mondiales en 1995, contre 6,9 % cinq ans plus tôt.
La rentabilité de nos entreprises est inférieure de moitié à celle de nos concurrentes anglo-saxonnes et hollandaises.
La situation financière des entreprises s'est dégradée et l'investissement en a pâti. L'investissement industriel était en 1996 à son plus bas niveau historique, et inférieur d'environ 30 % à son point haut, atteint en 1991.
A cela, il faut encore ajouter que le vieillissement de notre appareil industriel nous fait accumuler un retard qui menace notre compétitivité et pourrait réduire nos capacités de rebond industriel.
M. Henri Weber. Quel pessimisme !
M. Bernard Plasait. Est-il besoin de rappeler, mes chers collègues, que le coût du travail en France est l'un des plus élevés et que sa progression est l'une des plus rapides au sein du monde industrialisé ?
Pourtant, une règle d'or qu'avait édictée un rapport du Commissariat du Plan en 1994 devrait prévaloir : le coût salarial par tête doit augmenter moins vite que la productivité, afin que le surplus dégagé par la croissance soit prioritairement affecté à la création d'emplois.
En outre, la France s'est singularisée par une montée continue des dépenses collectives publiques et sociales, passées de 46 % du produit intérieur brut en 1980 à 54,5 % en 1996, alors qu'en Allemagne, malgré le coût exorbitant de la réunification, elles n'ont progressé que de un point, passant de 48 à 49 %.
M. Henri Weber. Et où en est le chômage allemand ?
M. Bernard Plasait. Cela explique sans mal notre niveau record de prélèvements obligatoires.
Enfin, et alors que la durée de vie au travail est l'une des plus faibles, la France a l'une des durées annuelles du travail les plus courtes parmi les grands pays industrialisés.
M. Henri Weber. Chanson !
M. Bernard Piras. Faux !
M. Bernard Plasait. La France, qui roule déjà moins vite que ses concurrents, espère gagner la course en levant le pied ! Les Français travaillent, en moyenne, 1 530 heures par an, soit beaucoup moins que les Britanniques ou les Japonais, qui travaillent respectivement 1 735 heures et 1 919 heures par an.
M. Bernard Piras. D'autres exemples encore !
M. le président. Veuillez laisser parler l'orateur, s'il vous plaît !
M. Henri Weber. Qu'il cesse de dénigrer l'économie du pays !
M. Jean Chérioux. Ils sont sectaires !
M. Bernard Plasait. Or, vous le savez bien, madame le ministre, les pays les moins touchés par le chômage ne sont pas ceux qui travaillent le moins, au contraire.
Aux Etats-Unis et au Japon, on travaille davantage - respectivement 200 et 350 heures de plus qu'en France - et, pourtant, le chômage est, dans ces pays, nettement inférieur à ce qu'il est chez nous.
A notre porte, face à un chômage qui s'aggrave, les Allemands ont qualifié d'« erreur du siècle » leur marche vers les 35 heures et réagissent en se proposant de « travailler plus » et de revenir aux 40 heures.
M. Pierre Mauroy. C'est M. Kohl qui dit cela, et il va être battu !
M. Bernard Plasait. En résumé, au sein des pays du G 7, la France est bien le pays où l'on travaille le moins,...
M. Henri Weber. C'est du masochisme !
M. Bernard Plasait. ... à l'exception de l'Allemagne, où le poids des prélèvements publics est le plus élevé et où le chômage est le plus élevé, à l'exception de l'Italie, qui n'est pas comparable.
Dans ces conditions, madame le ministre, je crois votre texte anachronique et anti-économique, car il fait courir de graves risques à notre économie.
En premier lieu, la réduction généralisée du temps de travail se traduira par une nouvelle montée du chômage et de l'exclusion.
Pour compenser les surcoûts liés à cette réduction de la durée du travail, il est sûr que les entreprises, à défaut de diminuer les rémunérations, chercheront à bloquer durablement les augmentations de salaires au cours des prochaines années, enrayant ainsi un rouage essentiel et naturel de l'économie.
Pis, les entreprises, contraintes d'affecter leurs progrès de productivité à une réduction de la durée du travail et non au maintien de leur compétitivité, risquent d'être supplantées par leur concurrentes étrangères.
Enfin, l'incidence pour les finances publiques est particulièrement préoccupante puisque, en cinq ans, chaque emploi créé aura coûté 618 000 francs aux contribuables.
En réalité, la mécanique est toujours la même : toute subvention donnée à un emploi l'est au détriment d'un autre emploi. L'argent public que l'on dépense est toujours un argent que l'on prélève.
Laissé entre les mains des entrepreneurs ou des consommateurs, ce même argent aurait servi à investir, à acheter des produits ou des services et donc à créer d'autres emplois.
En deuxième lieu, votre projet est inapplicable aux petites entreprises, aux commerçants et aux artisans, déjà en proie à de très sérieuses difficultés.
Comment ne pas dénoncer un effet pervers qui se profile et dont seront victimes les PME contraintes aux 35 heures : le développement du travail clandestin pendant les heures dégagées par la réduction hebdomadaire du temps de travail ? Dans cette perspective, il serait intéressant de savoir, madame le ministre, ce que, par anticipation, vous avez prévu pour que ne se développe pas un tel phénomène.
Enfin, je ne peux que m'associer aux remarques déjà formulées sur le caractère autoritaire du dispositif proposé, qui attente gravement au dialogue social.
A l'heure où les entreprises ont besoin de flexibilité dans l'organisation du temps de travail, vous voulez enfermer les emplois dans une durée hebdomadaire.
« L'évidence a une force terrible », disait Albert Camus. Or il est évident qu'une entreprise ne peut réduire la durée du travail et embaucher que si cela ne handicape pas sa compétitivité.
Il n'est donc pas impossible de coupler réduction du temps de travail et embauche supplémentaire, mais cela ne peut concerner les entreprises qu'au cas par cas. Il s'agit alors de « flexibilité du temps de travail » et non de « partage du travail ». C'est cette souplesse qu'il est bon d'encourager : annualisation de la durée du travail, temps partiel, temps choisi, retraite progressive, semaine de quatre jours, etc.
L'avenir est au temps libre et non au temps encadré.
Madame le ministre, que ne faites-vous confiance à la vie, aux hommes et aux femmes, à la liberté ? Faites respecter la règle du jeu, incitez, favorisez, mais surtout n'obligez pas !
Travailler moins ? Travailler 35 heures ? Bien sûr, si c'est possible, si c'est utile ! Mais aussi si c'est souhaité. Si le souhait du salarié est, au contraire, de travailler plus, ...
M. Bernard Piras. Ben voyons ! Et les chômeurs ?
M. Bernard Plasait ... pour gagner davantage, pour le bien de sa famille, de grâce, madame le ministre, ne décidez pas de son bonheur à sa place.
M. Bernard Piras. Et les chômeurs ?
M. Bernard Plasait. Favorisez au contraire son désir de travail.
M. Pierre Mauroy. S'il avait fallu vous attendre !
M. le président. Monsieur Mauroy, les quatre orateurs de votre groupe disposent d'une heure pour répondre à la majorité sénatoriale. Alors, laissez-la parler si vous voulez qu'elle vous laisse parler tout à l'heure !
M. Jean Chérioux. On en fera autant, attention ! (Sourires.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Plasait.
M. Bernard Plasait. C'est l'activité qui crée l'activité et donc l'emploi. Ici, madame le ministre, les intérêts particuliers rejoignent l'intérêt général.
Telles sont les raisons pour lesquelles j'approuve sans réserve les propositions de nos excellents collègues M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales, et M. Jean-Pierre Fourcade, président de la même commission, qui choississent la voie du progrès qu'ambitionne, pour notre pays, la majorité sénatoriale.
Dans La tragédie du pouvoir, Alfred Sauvy qualifia la réduction de la durée du travail de 1936 « d'erreur d'une dimension exceptionnelle ».
M. Jean Chérioux. Et Sauvy était un homme de gauche !
M. Bernard Plasait. Ce fut « le geste le plus généreux, le plus étourdi et le plus dommageable de notre histoire économique » écrit-il, alors qu'il ne passait pas pour être un économiste de droite.
M. Alain Gournac. Ça non ! Pas du tout
M. Bernard Plasait. Hélas, cette leçon n'est pas entendue.
M. Henri Weber. Bien sûr que si ! Et à cent pour cent !
M. Bernard Plasait. Et, avec votre texte, madame le ministre, je crains beaucoup que l'histoire ne se répète. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réduction du temps de travail est une évolution historique, je dirai naturelle, liée à la découverte de techniques nouvelles, à l'augmentation de la productivité, liée aussi à la marche de l'humanité vers le progrès et vers une meilleure qualité de la vie.
Certains peuvent en douter, mais qu'ils ouvrent un livre d'histoire et ils verront que, depuis plus d'un siècle, la durée du travail n'a cessé de baisser dans notre pays.
Ce fut d'abord le décret du 9 septembre 1848, instituant la durée maximale de travail quotidienne à 12 heures, puis la loi du 23 avril 1919, ramenant cette durée à 8 heures, avancée considérable que nous célébrons tous, d'une certaine manière, lors de la fête symbolique du 1er mai, qui est la fête des travailleurs, mais aussi la fête de la diminution du temps de travail.
Enfin, pardonnez-moi de vous contrarier sur ce point, monsieur Plasait, ce furent les lois de 1936 sur les congés payés et la semaine de 40 heures, deux mesures qui font encore aujourd'hui du Front populaire un gouvernement mythique pour les Françaises et les Français. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Chérioux. Il a mal terminé, ce gouvernement ! Il a terminé à Vichy, en juillet 1940.
M. Guy Fischer. Oh !
M. Pierre Mauroy. En 1982, l'ordonnance de janvier a permis de passer de 40 heures à 39 heures, avec, déjà, l'objectif affiché des 35 heures. En un siècle, la durée du travail est passée de 2 945 heures en 1870 à 1 543 de nos jours. Ainsi, on a travaillé moins, produit davantage et, surtout, donné des espaces de liberté, de loisirs, de culture au plus grand nombre.
M. Hilaire Flandre. Pour le travail au noir !
M. Pierre Mauroy. Chaque fois, mes chers collègues, dans le contexte de l'époque, la réduction du temps de travail était une utopie. Mais, dans ce domaine, chaque fois, l'histoire a rejoint l'utopie.
M. Alain Gournac. L'utopie « négociée » !
M. Pierre Mauroy. Voilà la réalité, et c'est le sens de mon intervention.
Et vous voudriez arrêter ce mouvement ? Vous avez mis en place une commission d'enquête qui, en dépit de tous ses efforts, n'est pas parvenue, loin s'en faut, à démontrer l'inutilité de la réduction du temps de travail. Et, pourtant, la commission des affaires sociales du Sénat, comme vient de nous l'expliquer son rapporteur, a carrément rayé d'un trait de plume l'inscription dans la loi de l'abaissement de la durée du travail à compter du 1er janvier 2000 ou du 1er janvier 2002.
Nous regrettons cette attitude. Nous la regrettons, parce que ces thèmes de libération, d'émancipation, de mieux-vivre méritent mieux que les excès, voire les contrevérités que l'on nous assène depuis plusieurs semaines, ici ou là d'ailleurs. Je la regrette, parce que le Sénat mérite mieux, sauf à vouloir se figer dans une image réductrice qui a été la sienne au cours de la IIIe République.
Avec beaucoup de conviction, Mme Martine Aubry vient de nous présenter son projet de loi. Il s'agit aujourd'hui d'amplifier et de prolonger la dynamique historique de réduction du temps de travail.
Et cela, mes chers collègues, ne peut se faire sans la loi. Sous l'impulsion de l'Etat et de la représentation nationale, le recours à la loi est la nécessité ainsi que la tradition du droit social français. Dans d'autres pays, sans la loi, par le jeu du rapport de force entre patronat et organisations syndicales, le temps de travail est plus faible qu'en France. C'est le cas en Allemagne, en Suède, en Belgique, au Danemark et aux Pays-Bas. D'autres pays, au contraire, ne parviennent pas à une telle avancée, mais c'est la traduction d'un rapport de force. En France, c'est avec la loi et cela a toujours été avec la loi. S'il n'y avait pas eu de lois, nous n'aurions pas ces avancées historiques.
La loi serait-elle donc un carcan inutile, la marque d'un autoritarisme dépassé ? Ceux qui le proclament se trompent. Car l'Etat est dans son rôle en voulant une loi sur la durée du travail. Il est dans son rôle en provoquant l'élan nécessaire pour créer une dynamique de négociation. Il est dans son rôle en s'attaquant avec audace au chômage de masse qui frappe cruellement notre société et en recherchant la création d'emplois.
La droite elle-même, après avoir, en pure perte, de 1993 à 1995, offert plus de 80 milliards de francs, de « cadeaux » diraient certains, aux entreprises sans véritable incidence en termes d'emplois, a compris l'intérêt d'une loi. Ainsi, elle a voté en 1996 la loi Robien, pour lancer la négociation dans l'entreprise sur le temps de travail, loi dont nous avons, par ailleurs, souligné les insuffisances notoires et le coût excessif.
Justement, l'inspiration de la loi présentée aujourd'hui par Mme Martine Aubry, son esprit même, est de favoriser la création d'emplois. Certes, nous le savons bien, les 35 heures ne sont pas une solution miracle. Mais là où nous en sommes, avec un chômage massif, même s'il a tendance à se stabiliser, avec l'un des plus faibles taux d'activité des moins de vingt-cinq ans et des plus de cinquante-cinq ans parmi les pays industrialisés, faudrait-il ne rien tenter qui soit à la mesure du problème posé ?
Faudrait-il renoncer à résorber le chômage, alors que nous savons que la croissance, qui est pourtant le meilleur remède, ne suffira pas, même si elle s'annonce plus forte que prévu maintenant ?
La réduction du temps de travail est une pièce maîtresse dans le dispositif d'ensemble ambitieux et cohérent que le gouvernement de M. Lionel Jospin construit depuis plusieurs mois : les mesures pour relancer la croissance et la consommation, la mise en place des emplois-jeunes et le prochain projet de loi contre l'exclusion.
La réduction du temps de travail, mes chers collègues, crée des emplois. Les études les plus sérieuses, et concordantes, montrent que, dans une conjoncture économique difficile, le passage de 40 heures à 39 heures et la cinquième semaine de congés payés avaient créé environ 140 000 emplois en cinq ans. Les études menées récemment s'accordent sur le fait que les 35 heures créeront des centaines de milliers d'emplois avec le temps : 300 000 pour les uns, 700 000 pour les autres ou davantage encore. Mais, bien entendu, et c'est là l'essentiel, tout dépendra de l'ardeur et de la volonté de mener ce combat.
M. Henri Weber. Exactement ! M. Pierre Mauroy. La clé du succès est dans le dialogue social et non dans son rejet.
M. Ivan Renar. Evidemment !
M. Henri Weber. Et dans le dialogue entreprise par entreprise !
M. Hilaire Flandre. Lâchez-nous les baskets !
M. Pierre Mauroy. L'esprit de cette loi est justement d'ouvrir largement le champ de la concertation pour faciliter la rénovation de notre système de négociation collective. En ce sens, elle est une chance pour les entreprises, pour les syndicats, pour les salariés, si les uns et les autres - et c'est le pari qui est lancé - assument la responsabilité qui leur est confiée.
C'est toute l'intelligence de ce texte que de prendre en compte de manière souple la diversité du monde du travail et d'adapter son système d'incitation à la spécificité de chaque branche, voire de chaque entreprise.
Les aides prévues sous forme d'allégements de charges sociales offrent pour l'entreprise le double intérêt de la simplicité et d'une réelle efficacité. Je rappellerai un exemple bien connu : pour une entreprise de main-d'oeuvre qui réduira la durée du travail de 10 % et augmentera de 7 % ses effectifs, les allégements de charges couvriront la totalité des coûts salariaux supplémentaires sur la base du SMIC.
La réduction du temps de travail constitue ainsi, pour les entreprises, une occasion, et une grande occasion, de s'adapter, voire de se renouveler en recherchant une plus grande efficacité. Elle leur donne aussi la chance d'ouvrir un réel dialogue et de contribuer à la recherche d'une paix sociale souhaitée.
Ce projet de loi offre également aux organisations syndicales une opportunité évidente de se renforcer et de reprendre toute leur place et leur légitimité dans les relations du travail. La loi Robien,...
M. Alain Gournac. Ah !
M. Pierre Mauroy. ... à l'échelle qui était la sienne, a démontré la validité d'un processus de réduction du temps de travail fondé sur la négociation. Elle a contribué ainsi à conforter le rôle de l'action syndicale, ce dont témoignent d'ailleurs les organisations syndicales.
C'est pourquoi elles apprécient le texte dont nous débattons aujourd'hui, qui est d'une tout autre ampleur et qui est, lui, à la mesure des problèmes posés.
Le projet de loi que vous défendez, madame la ministre, répond enfin à une attente extrêmement forte des salariés. J'ai lu avec un grand intérêt les enquêtes dont fait état, dans son excellent rapport, M. Jean Le Garrec : en 1997, 60 % des Français étaient convaincus des effets positifs de la réduction de la durée du travail en matière de création d'emplois, et ils étaient plus nombreux encore à se fier à ce processus plutôt qu'à une réduction des charges sociales des employeurs. Il est donc légitime, urgent et juste de satisfaire cette aspiration de nos concitoyens, d'entendre leur souci d'une solidarité collective et d'un engagement partagé dans la lutte contre le chômage.
La loi votée, chacun sera placé en situation de contribuer au renouvellement de l'entreprise, à l'amélioration de la relation sociale, en défendant au mieux les intérêts de chacun. L'intérêt supérieur du pays, mes chers collègues, est dans cette loi.
Je n'ignore pas les inquiétudes qui se sont manifestées du côté des chefs d'entreprises, mais ils sont, eux aussi, concernés par le chômage, qui est la cause de tous les maux que nous dénonçons, violence, exclusion, drogue. Pourquoi se déroberaient-ils alors à l'effort d'imagination et de dialogue qui leur est demandé ? Ils sont chefs d'entreprise et citoyens de notre pays.
Il est vrai que M. Seillière et les responsables du CNPF ne semblent pas prêts à faire un tel effort. Je voudrais leur dire que la dénonciation ne peut tenir lieu de réflexion, que l'accusation ne masque pas l'absence de propositions. Je prends même le pari que ceux qui ont voulu diaboliser la réduction du temps de travail pour discréditer le Gouvernement seront, demain, désavoués s'ils persistent à refuser tout dialogue. ( Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. )
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Le CNPF, certes, a une tradition de contestation à l'égard de la gauche. Mais il a aussi une tradition de respect de la loi.
M. Henri Weber. C'est vrai !
M. Pierre Mauroy. J'espère qu'il saura prendre les mesures, et peut être les prend-il déjà, pour amorcer le combat le plus décisif de cette fin de siècle, le combat contre le chômage.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour la première fois depuis des années, les conditions économiques permettent d'envisager une politique offensive de création d'emplois. La croissance revient. J'ignore pourquoi vous avez voulu caricaturer la situation actuelle, monsieur Plasait. Vous ne pouvez me démentir lorsque je dis que la croissance revient. Notre balance extérieure est largement excédentaire.
Plusieurs sénateurs du RPR. Les clignotants sont au vert !
M. Pierre Mauroy. Les marges des entreprises sont reconstituées. L'investissement industriel progressera fortement cette année. Le chômage s'est stabilisé pour la première fois depuis longtemps.
M. Philippe Marini. Tout va bien !
M. Pierre Mauroy. Vous vous êtes trompé de gouvernement. Vous parliez des gouvernements précédents, et non de celui d'aujourd'hui, permettez-moi de vous le dire !
M. Philippe Marini. Nous sommes sur la crête !
M. Alain Gournac. On voit le bout du tunnel !
M. Pierre Mauroy. Je sais que cela ne vous fait pas plaisir, mes chers collègues, mais c'est la réalité. Tous les Français en sont d'accord. D'ailleurs, ceux qui, parmi vous, sont plus raisonnables sur ce plan-là l'acceptent, en disant que cela va sans doute durer ainsi jusqu'à la fin de la mandature, comme je l'ai entendu dire par une personnalité de droite, et non des moindres.
Devrions-nous laisser passer cette embellie - selon certains, elle devrait durer - sans en amplifier les effets, sans exprimer notre solidarité avec ceux qui n'ont pas de travail et qui vivent dans l'angoisse, parfois même dans l'exclusion ? Devrions-nous la laisser passer sans avancer dans la voie de la justice sociale ? Devrions-nous, alors que l'Europe, grâce à l'initiative du Premier ministre, M. Lionel Jospin, s'est saisie au sommet de Luxembourg de la question de l'emploi, renoncer à toute capacité d'initiative ?
Voilà près d'un an, les Français ont choisi un programme qui plaçait les 35 heures au coeur de l'action pour l'emploi.
M. Henri Weber. C'est exact !
M. Pierre Mauroy. Ce programme, le Gouvernement, notamment Mme Aubry, le réalise avec intelligence, pragmatisme et avec une très grande volonté.
Vous sentez bien, mes chers collègues, que c'est la volonté du pays. C'est la volonté de nos concitoyens et c'est aussi leur espoir.
M. François Autain. Bien sûr !
M. Philippe Marini. C'est la pensée unique !
M. Pierre Mauroy. Le Sénat peut-il l'ignorer ? Le Sénat peut-il s'opposer lorsqu'il s'agit d'une telle avancée sociale ?
Bien sûr, la vie politique est faite d'adhésion et de refus. Cependant, peut-on, mes chers collègues, au-delà de nos problèmes politiques, nier, sans risque, le mouvement historique de la réduction du temps de travail ? Le nier, c'est nier le progrès ! C'est nier l'aspiration à mieux vivre ! C'est nier l'avenir ! En tout cas, les sénateurs socialistes, et, plus largement, les sénateurs de gauche, sont fidèles aux engagements qu'ils ont pris devant les Françaises et les Français. La réduction du temps de travail est conforme à l'intérêt du pays, elle est déjà inscrite dans le projet d'une société plus solidaire et plus moderne. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Gournac. C'est bien, mais c'est un discours que l'on a déjà entendu !
M. Philippe Marini. On se croirait sous la IIIe République !
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, comme vient de le dire M. Pierre Mauroy, depuis le début du XIXe siècle, le temps de travail individuel diminue. Compte tenu de l'accroissement de la population, le pays ne travaille pas moins, mais chaque Français effectue une durée de travail journalière, hebdomadaire ou annuelle moins importante.
L'annualisation du temps de travail qui suivit s'accommodait de dérogations obtenues par négociations, ce qui était la reconnaissance de réalités incontournables.
Le premier texte soucieux du contexte économique est la loi quinquennale de 1993 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle. Il a beaucoup facilité le travail à temps partiel, qui a gagné quatre points grâce, notamment, aux incitations. Enfin, voilà un an et demi, la loi Robien mettait en place un système expérimental de réduction du temps de travail assortie d'embauches pouvant donner lieu, par l'Etat, à des compensations partielles des cotisations salariales à la charge de l'employeur.
L'intérêt de ces dispositions réside dans la large marge de manoeuvre laissée aux entreprises dans la recherche de solutions adaptées à chaque situation par la négociation avec les salariés et les organisations syndicales.
Jusqu'au projet de loi que vous nous proposez aujourd'hui, madame le ministre, la négociation décentralisée avait été privilégiée pour trouver une flexibilité de l'emploi articulant la dimension sociale et la dimension économique. L'objectif essentiel est de concilier le travail des salariés et la nécessité de l'entreprise, et de trouver des horaires qui conviennent à chacun.
Aucun de ces textes n'a trouvé sa justification dans une incidence sur le taux de chômage. Pourtant, c'est bien ce que l'on prétend par le présent projet de loi, bien que, à ce jour, aucune corrélation n'ait été établie entre le temps de travail et le taux de chômage.
En Espagne, pays où la durée hebdomadaire du travail est de 40,7 heures, le taux de chômage atteint 21 %. En Finlande et en Grèce, on travaille 40,3 heures par semaine, mais le taux de chômage est de 16 % en Finlande, contre seulement 10 % en Grèce.
La baisse de la durée du travail a parfois été de pair avec le fléchissement du chômage : c'est le cas en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas. Mais on note aussi que la baisse de la durée du travail a parfois, au contraire, entraîné une hausse du chômage, comme en Espagne et en Italie.
S'agissant de la Grande-Bretagne où les résultats semblent meilleurs, il est bon d'avoir présent à l'esprit que la population active est en baisse constante, alors que, dans notre pays, elle augmente dans les mêmes proportions : soit deux points et demi en moins d'un côté et deux points et demi en plus de l'autre. Cela méritait d'être précisé.
Toutefois, on peut retenir certains éléments communs dans les pratiques européennes en matière de durée du travail.
Le module de la semaine classique tend à disparaître : désormais, 31 % des salariés européens ont des horaires atypiques ; en Italie, le débat porte non seulement sur la réduction du temps de travail, mais aussi sur le travail le dimanche.
Par ailleurs, le dialogue social est totalement décentralisé. La négociation se fait à l'échelon des branches, des acteurs, des entreprises.
Enfin, la tendance générale est à l'annualisation du temps de travail, qui offre un espace d'organisation plus recevable à bien des égards.
Le dernier dispositif mis en place à la mi-1996 permet tout cela. Plus de 1 500 conventions ont été signées. Dans une conception négociée et dynamique, ces accords donnent satisfaction aux partenaires concernés. Le coût des emplois sauvés ou créés, si mes chiffres sont exacts, se situe entre 24 000 et 65 000 francs, soit trois fois moins que le coût d'un chômeur et deux fois moins qu'un emploi-jeune.
Face au mauvais procès fait aux entrepreneurs de ne s'attacher qu'aux avantages incitatifs en faisant fi des contreparties, il convient de mettre en avant le fait que ceux qui ont eu recours aux dispositions de la loi Robien ont largement rempli leur contrat avec un accroissement d'emplois de 11,4 %.
En même temps, cette flexibilité est bien liée à toute une série d'activités économiques et, en particulier, adaptée à l'industrie française la plus importante en matière d'emploi, je veux parler du tourisme. Cette flexibilité peut être très demandée par certaines entreprises et par leur personnel dans le cas d'un passage à une moyenne de quatre jours par semaine, modulée soit par des périodes de trois jours et des périodes de cinq jours, soit par des périodes bloquées de congés.
Ce passage négocié avec diminution de salaire et recrutements correspondants a été largement expérimenté. Vous connaissez, je pense, les thèses de M. Larrouturou et les expériences qui ont été menées avec augmentation des recrutements, satisfaction des personnels et augmentation de la compétitivité.
Cela est d'autant plus important dans le monde moderne que le travail des techniciens, des cadres et des ingénieurs se mesure non en heures, mais en innovation, et que ce type de travail augmente.
M. Pierre Laffitte. Très bien !
M. Bernard Joly. Qu'il eût fallu peaufiner un texte perfectible, nul n'en disconvient. Mais pourquoi le balayer en raison, notamment, de son caractère provisoire ? Il était expérimental, et l'expérience n'a pas mal réussi.
Dans le « reprofilage » des aides de la loi Robien proposé par notre commission des affaires sociales, auquel je souscris, j'aurais aimé une incitation à l'adresse du système bancaire, afin qu'il soit plus réceptif aux besoins des entreprises. De nombreux dirigeants de PME prétendent que les garanties demandées pour les prêts ne tiennent pas compte des carnets de commande ou que les renégociations d'emprunts sont titanesques. En résumé, on peut trouver de l'argent quand on n'en a pas besoin.
Au lieu, donc, d'une amélioration fondée sur l'observation d'une situation vécue, nous sommes devant une réduction autoritaire du temps de travail qui indispose de toutes parts. Les détracteurs sont non pas des émules du CNPF, mais des dirigeants de PME-PMI, qui sont le vivier de l'économie nationale. Ce sont, en effet, ces structures moyennes qui constituent le potentiel d'emplois et d'activités. Ces chefs d'entreprise, globalement, ne veulent pas de ce texte.
M. Henri Weber. Et alors ?
M. Bernard Joly. Les critiques sont variées : le travail au noir va connaître une embellie avec une demi-journée supplémentaire qui lui sera consacrée,...
M. Pierre Mauroy. Oh !
M. Bernard Joly. ... les améliorations de productivité se feront au profit de machines, les heures supplémentaires augmenteront de 188 heures majorées à 25 %, le coût horaire de la main-d'oeuvre s'accroîtra de 15 % et la production baissera de 10 %. Par ailleurs, le SMIC a crû bien plus que les salaires moyens, au point de rattraper les premières catégories de salariés ; ainsi, le nombre de personnes concernées augmente à chaque réajustement alors que le nombre d'emplois de ces catégories devrait diminuer avec la désindustrialisation de notre société.
Selon certains travaux, une augmentation de un point du SMIC engendrerait même un demi-point de chômage. Qu'adviendrait-il, dans le cas de la réduction du temps de travail que nous examinons, si la solution consiste à payer 39 heures pour 35 heures de travail ? Ni les salariés ni les entreprises ne doivent faire les frais d'une expérience hasardeuse.
L'Etat doit initier, impulser, susciter, mais ne doit en aucun cas se substituer aux acteurs. C'est pourtant ce qu'il fait. Comment peut-on envisager de décider, aujourd'hui, ce qui est bon pour l'ensemble d'un pays en matière d'organisation du temps, pour lequel un ministère avait été spécialement créé en 1981 ?
Si un seuil de revenu minimum doit être garanti par la collectivité en cas de défaillance, au-delà des choix individuels doivent prévaloir. Les dispositifs doivent constituer des accompagnements dans le respect des règles de la société au premier rang desquelles figure le bon fonctionnement de ladite société. Ce projet inverse les termes. Je ne peux donc y souscrire tel qu'il nous est présenté. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est un texte capital, comme mon collègue et ami M. Guy Fischer l'a rappelé dans son intervention. Il s'agit, en effet, de réussir, après la création des emplois-jeunes, la seconde réforme de structure du Gouvernement. A l'évidence, le processus amorcé peut s'inscrire dans l'histoire des avancées sociales, à l'image de la loi de 1906 instituant le repos dominical obligatoire, de la loi de 1919 sur la journée de huit heures, de la grande loi de 1936, comme cela a été dit à plusieurs reprises, instituant la semaine de quarante heures et les deux semaines de congés payés.
Le devenir des 35 heures se jouera dans les négociations de branche et d'entreprise. Compte tenu des positions du patronat, la partie va être rude.
Nous ne faisons pas du patronat un bloc. Le dialogue n'aura pas forcément la forme brutale prônée par les instances du CNPF.
Il n'en demeure pas moins que la pensée unique est si présente chez nos chefs d'entreprise - nous dirons, à leur décharge, qu'ils ne sont pas les seuls à avoir le dogme de la rentabilité comme unique référence idéologique - que l'idée selon laquelle il faut penser le devenir et l'efficacité de l'outil de travail en lien avec la promotion des individus et l'intervention citoyenne aura du mal à faire son chemin.
L'analyse de 1 400 accords signés dans le cadre du dispositif Robien donne une indication des enjeux. L'organisation de la production a été au centre des discussions dans trois négociations sur quatre. C'est normal. Mais dans plus d'un cas sur deux il s'agit seulement de moduler le temps de travail en fonction des fluctuations de l'activité. C'est seulement dans un cas sur six que l'on imagine pouvoir amorcer des économies sur le coût des équipements en les utilisant plus.
Aucun accord recensé ne mentionne un débat sur les autres coûts, les charges d'intérêt, les coûts de structure.
Systématiquement, l'approche consistant à faire des économies sur la main-d'oeuvre prime sur la réflexion autour des projets de développement.
Ce projet de loi, par son ampleur et ses ambitions, va donc heurter bien des raisonnements.
Tout doit donc être fait pour aider à l'élargissement du débat, pour conforter l'aspiration au dialogue, pour développer l'échange démocratique.
Ce projet de loi, a-t-il été souvent dit, ne peut être mis en oeuvre de manière mécanique.
Il est certain que l'organisation du travail est beaucoup plus complexe que jadis. La souplesse permettant l'adaptation est donc une voie obligée. Mais la gauche n'a aucun intérêt à jouer avec les mots. Nous sommes bien d'accord avec vous, madame la ministre, lorsque vous affirmez refuser toute « flexibilité portant atteinte au droit du travail ».
La recherche de flexibilité a une histoire et l'expérience des quinze dernières années marque beaucoup de consciences. Le code du travail n'a cessé, depuis le début des années quatre-vingt, d'évoluer dans le sens souhaité par le patronat. Cette inflexion est réversible.
Pour que le projet de diminution du temps de travail et de création d'emplois atteigne son but, il faut une participation confiante des salariés, la certitude pour eux d'être protégés, une législation plus bienveillante pour les organisations syndicales, une liberté d'information permettant aux acteurs du dialogue d'être à armes égales.
Le projet de loi amorce des pas en cette direction. Nous aimerions que leur portée soit renforcée.
Nous nous félicitons de l'amélioration du texte en première lecture de façon à créer un cadre et un socle assez solide favorisant les négociations.
Nous approuvons le fait que les salariés aient obtenu des droits nouveaux pour suivre la mise en place des accords de réduction du temps de travail et que des instances paritaires spécifiquement créées à cet effet voient le jour. Nous nous réjouissons de ce qu'une organisation syndicale ou son représentant puisse saisir l'autorité administrative en cas de difficulté d'application d'un accord, que le salarié mandaté soit accompagné, lors des séances de négociation, par un salarié de l'entreprise choisi par lui ou encore que le salarié mandaté à la négociation de l'accord ainsi qu'aux réunions nécessaires pour son suivi soit payé comme étant en temps de travail. Madame la ministre, j'ai pris bonne note de votre engagement pris à l'Assemblée nationale de préciser les droits pour les salariés mandatés lors de la deuxième lecture. C'est en effet, à mon avis, une question sur laquelle il nous faut avancer rapidement.
Nous estimons nécessaire de renforcer à court terme le cadre juridique et les conditions dans lesquelles ces négociations vont se dérouler.
Nous avions jugé négativement l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 permettant la signature d'accords collectifs dans les entreprises dépourvues de délégué syndical. Je rappelle que cet accord a été intégré dans le code du travail par la loi Juppé du 12 novembre 1996 contre l'avis des partis de gauche et de nombreux observateurs du droit du travail. Aujourd'hui, ce texte devient un instrument majeur de la négociation de la réduction du temps de travail et - nous ne le cachons pas - cela nous inquiète.
Dans ces conditions, la question de l'élargissement des pouvoirs des salariés et de leurs organisations syndicales se pose. Nous avons déposé plusieurs amendements pour signifier notre souci de progresser dans cette direction. Ces organisations doivent participer à des réunions d'information même là où elles ne sont pas représentées. La transparence et le contrôle doivent aussi être développés, en s'appuyant sur la population et les élus. Nous proposons que les aides prévues à l'article 39-1 soient attribuées après avis conforme du comité départemental de la formation professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi, le CODEF, et du comité départemental de financement des entreprises, le CODEFI, sur la base d'un rapport de l'inspection du travail.
La démocratisation de la négociation collective implique d'ores et déjà, selon nous, que seule une représentativité majoritaire puisse valider un accord après consultation du personnel et que l'on abaisse les seuils pour la mise en place des institutions représentatives ; elle appelle un renforcement de la protection des représentants du personnel, l'institution de règles de transparence, d'informations et de bonne foi dans la négociation, ainsi que la suspension de toute aide ou exonération en cas d'absence de représentation élue et syndicale du personnel.
Le champ de la démocratie est considérable. Nous pensons qu'il faut, avec beaucoup de courage, l'occuper. Tout le dispositif du Gouvernement en dépend. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je pense que l'on ne pourra me reprocher, dans cet hémicycle, de ne pas être ouvert à une réflexion sur l'aménagement du temps de travail.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Certes !
M. Gérard Larcher. En 1993, M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, et moi-mêmes avons été à l'origine des premières expérimentations sur la réduction négociée du temps de travail à travers un amendement adopté par le Sénat lors de la discussion de la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, après un débat assez passionné au sein de cet hémicycle, débat au cours duquel la gauche de cette assemblée s'était montrée particulièrement dogmatique, tout comme elle l'a été lors de la discussion de la proposition de loi Robien.
Nous avions pensé à l'époque que, si l'aménagement du temps de travail pouvait être un outil en faveur de la lutte contre le chômage, il n'était néanmoins qu'un outil parmi d'autres qui devait être exploré et qu'il convenait d'expérimenter.
L'expérimentation s'est d'ailleurs révélée plutôt positive.
Notre premier devoir de politiques, dans la diversité de nos sensibilités, consiste à ne pas faire rêver, surtout dans ce domaine si sensible.
MM. Jean Chérioux et Serge Vinçon. Eh oui !
M. Gérard Larcher. Il consiste à répéter encore et toujours que ni l'emploi ni la croissance ne se décrètent, mais qu'il nous faut faire de ces deux objectifs nos priorités, en sachant que si l'une, la croissance, est indispensable à l'autre, l'emploi, la seule croissance - et je me réjouis comme chacun d'entre vous, mes chers collègues, de la voir au rendez-vous de ce début d'année - même si elle atteignait 5 % par an, ne pourrait permettre à elle seule d'apporter une réponse à plus de 3 millions de nos concitoyens qui sont aujourd'hui exclus de l'emploi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. C'est la réalité !
M. Gérard Larcher. En 1993, nous disions - cela est d'ailleurs toujours vrai - qu'il serait fallacieux de faire croire aux Français qu'une réduction de la durée du temps de travail pourrait être mise en oeuvre sans, à tout le moins, une stabilisation de la masse salariale et, de fait, une réduction modulée dans la durée d'un certain nombre de salaires.
On ne peut pas imaginer d'abaisser de 11 % la durée du temps de travail tout en maintenant systématiquement tous les salaires à un niveau comparable. Toute affirmation contraire me paraît être source de désillusion future.
Nous disions à cette époque que la solution à nos difficultés économiques et sociales ne pouvait provenir d'une réduction massive, uniforme et surtout autoritaire de la durée du temps de travail.
M. Serge Vinçon. C'est vrai !
M. Gérard Larcher. Eh bien, aujourd'hui comme il y a quatre ans, nous ne voulons pas être des illusionnistes. Oui - et cela m'a parfois d'ailleurs différencié d'un certain nombre de mes amis - je suis pour un aménagement du temps de travail à 32 heures ou à 35 heures, mais je suis favorable à un aménagement du temps de travail négocié librement...
M. Alain Gournac. Oui, librement !
M. Gérard Larcher. ... entre les partenaires sociaux, entreprise par entreprise, avec de fortes incitations financières et fiscales. Je crois très sincèrement qu'une réduction du temps de travail autoritaire et systématique, indifférenciée malgré la diversité des entreprises, est une erreur économique et sociale et que, pour s'en sortir, les entreprises comme les services de l'Etat devront trouver des « marges de souplesse » qui ne seront pas dans ce texte.
Madame le ministre, votre texte me paraît être une approche trop idéologique et pas assez économique.
Certes, ce projet figurait dans le programme électoral du parti socialiste. Mais la priorité devrait être au dialogue social plutôt qu'à l'uniformité et à la réglementation autoritaire. Et si j'ai un reproche majeur à adresser au patronat et aux syndicats, à l'exception notable de la CFDT, c'est qu'ensemble ils n'ont pas joué le jeu de l'accord de l'automne 1995 signé sous l'égide de M. Alain Juppé.
M. Henri Weber. C'est tout le problème !
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Gérard Larcher. Oui, imposer ainsi les 35 heures, c'est faire une erreur de fond sur l'appréciation des vrais leviers de l'emploi. La résorption du chômage nécessite aussi une politique qui favorise l'investissement, la valorisation des outils de travail, l'allégement des contraintes administratives et la recherche d'un coût salarial nous laissant des marges de compétitivité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Pour améliorer la situation de l'emploi, il faut rendre l'investissement plus attractif. Aujourd'hui, dans notre pays, la majorité des usines tournent à nouveau à pleine capacité, ce dont nous pouvons nous réjouir. Mais, pour embaucher, il faudrait en fait favoriser les dépenses d'équipement en France même et non ailleurs, que ce soit en Europe, en Asie ou en Amérique ! Voilà pourquoi je m'inquiète de certaines rumeurs quant à l'éventualité d'un impôt sur l'outil de travail qui se profilerait pour l'automne prochain.
Les contraintes que vous allez faire peser sur les entreprises, madame le ministre, vont à mon avis conduire certaines d'entre elles, souvent contre la volonté initiale, à opérer des délocalisations pour demeurer compétitives. D'ailleurs, ne le font-elles pas déjà, dans la situation actuelle ?
M. Henri Weber. Pas trop !
M. Gérard Larcher Il est évident que le développement de l'emploi passe par une modération du coût du travail et par une meilleure valorisation du savoir-faire des salariés.
La France et l'Europe - M. Hoeffel le rappelait tout à l'heure - sont confrontées à la grande vague de la globalisation des marchés. Elles n'ont pas la possibilité de s'y opposer, mais peuvent judicieusement se positionner. Les travailleurs français sont aujourd'hui en concurrence avec les travailleurs d'Asie et d'Amérique, non pas à cause des intentions plus ou moins malveillantes des industriels, mais à cause des consommateurs eux-mêmes, qui imposent, par leurs choix journaliers, une logique économique implacable.
M. Henri Weber. Et alors ?
M. Gérard Larcher. A propos de coût social, je souhaiterais, madame le ministre, connaître les prévisions de croissance de la contribution sociale généralisée pour combler le déficit de la sécurité sociale créé par le refus du Gouvernement de respecter la loi du 24 juillet 1994 l'obligeant à compenser toute exonération des charges sociales.
Je m'interroge aussi sur le niveau de préparation technique des modalités d'application des 35 heures.
M. le président de la commission des affaires sociales a évoqué tout à l'heure le SMIC, et je n'y reviendrai donc pas. Je dirai simplement que je partage à ce sujet les interrogations qu'il a formulées.
Le temps partiel est source de création d'emplois ; il permet à certains salariés, à leur demande, de mieux organiser leur temps de travail, et il est donc étonnant, madame le ministre, que vous dressiez des barrières à cet égard.
Ainsi, alors qu'un certain nombre d'autres gouvernements européens, y compris des gouvernements socio-démocrates, n'hésitent pas à adopter cette voie, vous rigidifiez le recours au travail à temps partiel pour en réduire, en fait, l'usage.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Gérard Larcher. C'est oublier que le temps partiel est bien souvent le premier pas d'une insertion professionnelle...
M. Jean Chérioux. C'est vrai !
M. Gérard Larcher. ... ou la solution pour une personne - je pense notamment aux mères d'enfants en bas âge, aux salariés en retraite progressive - de continuer à exercer une activité professionnelle.
Mme Dinah Derycke. Pas du tout !
M. Gérard Larcher. En outre, on sait que le développement du temps partiel a des effets positifs sur l'emploi. L'exemple des Pays-Bas est à méditer à cet égard. Pourquoi donc décourager les acteurs économiques d'y recourir ?
A titre d'exemple, j'évoquerai un secteur qui me paraît particulièrement menacé, dans lequel le nombre d'emplois non qualifiés nécessaires pour répondre aux problèmes que nous rencontrons dans nos villes est particulièrement important : le secteur de la propreté-nettoyage.
Il existe un accord de branche dans ce secteur qui emploie quelque 250 000 salariés en France : il prévoit le transfert des personnels lorsqu'un marché est gagné par une autre entreprise.
Que se passera-t-il si ces nouveaux personnels font passer à l'entreprise la barre des vingt salariés au-delà de laquelle la réforme sera appliquée dès l'an 2000 ?
Que se passera-t-il si les nouveaux personnels transférés bénéficient des 35 heures, mais pas ceux qui sont dans l'entreprise qui les intègre ?
Les vacations des personnels des entreprises de propreté ne pouvant se dérouler qu'en dehors des heures de bureau, comment respecter le délai maximal de deux heures entre deux vacations...
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ce sont des exceptions !
M. Gérard Larcher. ... si celles-ci ne peuvent être effectuées que tôt le matin et tard le soir ? La solution serait de permettre aux salariés de ne faire qu'une seule vacation par jour !
M. Alain Gournac. Oui !
M. Gérard Larcher. Je souhaite qu'il soit prévu, à cet égard, un certain nombre de dérogations et d'adaptations pour répondre à cette préoccupation spécifique.
M. Henri Weber. C'est le bon sens même !
M. Gérard Larcher. Mais, à côté de la modulation de la répartition du temps de travail, qui peut être un outil,...
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Cela figure déjà dans la loi !
M. Gérard Larcher. ... il nous faut réfléchir aux facteurs de compétitivité qui sont les leviers essentiels pour développer l'emploi et s'interroger sur les entraves réelles à l'emploi.
Quelle est la durée annuelle du travail dans le monde ? Les statistiques dont je vais faire état proviennent de deux sources : Eurostat et la DG XII. Aux Etats-Unis, elle est de 1 951 heures ; au Japon, de 1 919 heures ; au Royaume-Uni, de 1 723 heures ; en France, de 1 529 heures ; en Allemagne, de 1 508 heures.
Quel est le poids des cotisations sociales en pourcentage du salaire ? En Irlande, il est de 20 % ; aux Etats-Unis, de 21 % ; au Royaume-Uni, de 22 % ; en Allemagne, de 35 %. La France est en tête avec l'Italie, avec le double du Royaume-Uni !
Quel est le coût réel de la main-d'oeuvre dans l'industrie ? Quand il est de 110 au Royaume-Uni, il est de 135 aux Etats-Unis, de 150 en France. Seule l'Allemagne nous devance aujourd'hui, avec 158. Or on connaît aujourd'hui la situation sociale et économique de nos amis allemands !
Que représentent les prélèvements obligatoires, en pourcentage du PIB ? En 1996, ils étaient, aux Etats-Unis, de 27,9 % ; en Allemagne, de 38,2 % ; au Royaume-Uni, de 35,3 % ; en France, de 45,7 %.
Et permettez-moi de citer quelques chiffres comparatifs sur l'emploi, ainsi que, sujet qui nous préoccupe tous quelles que soient les formations politiques auxquelles nous appartenons, sur le taux d'activité des jeunes de quinze à vingt-quatre ans : aux Etats-Unis, ce taux est de 65,5 % ; en Allemagne, de 55,7 % ; au Royaume-Uni, de 70,7 % ; en France, de moins de 30 %.
M. Henri Weber. Eh oui !
M. Gérard Larcher. Quel est le taux des emplois de type administratif ? Aux Etats-Unis, il est de 15,4 % ; en Allemagne, de 15,7 % ; au Royaume-Uni, de 14,4 % ; en France, de 24,5 %.
M. Henri Weber. Qu'est-ce que cela prouve ?
M. Gérard Larcher. Comparons maintenant les formalités nécessaires pour créer une entreprise en France, en Irlande et en Grande-Bretagne : en France, il faut de dix à vingt et un documents et, en moyenne, de un à cent cinq jours.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Qu'avez-vous fait depuis cinq ans ?
M. Gérard Larcher. En Irlande, il faut de deux à six documents et de un à vingt-six jours ; en Grande-Bretagne, il faut de quatre à huit documents et de un à quarante-deux jours.
M. Henri Weber. C'est aujourd'hui que vous vous en rendez compte ?
M. Gérard Larcher. Voilà quelques-uns des constats, madame le ministre, mes chers collègues, dont nous partageons tous la responsabilité.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ah, quand même !
M. Gérard Larcher. Il n'est pas question de jeter des statistiques à la figure du gouvernement actuel.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est bien de le reconnaître !
M. Gérard Larcher. ... pas plus qu'on ne peut le faire à l'égard des gouvernements précédents.
Mais il existe d'autres clés pour lutter contre le chômage, contre nos rigidités à l'égard de l'emploi, et ces clés, il faut aussi les actionner.
Le découplage des politiques économiques et sociales n'est pas l'horreur absolue, mais devrait permettre de retrouver une dynamique, ce qui n'exclut nullement une politique sociale hardie de justice et de compensations sociales : je pense à l'impôt négatif, à l'aide spécifique aux plus défavorisés et aux jeunes en insertion professionnelle, je pense au logement et au niveau de protection sociale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR).
Comme vous, madame le ministre, je souhaite lutter contre le chômage et utiliser tous les outils possibles, parmi lesquels la réduction du temps de travail.
Notre collègue Louis Souvet a fourni un travail de réflexion approfondi et des propositions que nous soutiendrons. Ce sont d'ailleurs les gouvernements d'Edouard Balladur et d'Alain Juppé qui ont ouvert le chemin de l'adaptation du temps de travail, et je suis de ceux qui ont soutenu tant les amendements de la loi quinquennale que la proposition de loi de notre collègue Gilles de Robien.
Certes, aujourd'hui, il fallait avancer sur ce chemin d'une manière plus déterminée - car nous n'avions pas été assez déterminés - ...
M. Henri Weber. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Ils ont voté contre. Qu'ils se taisent !
M. Gérard Larcher. ... mais un texte trop généraliste et autoritaire tel que celui-ci ne correspond pas à la diversité de la situation de nos entreprises. Certaines, les plus grandes d'entre elles, apprivoiseront ce texte ou « braconneront à la marge », utilisant les effets d'aubaine. (Très bien ! sur les travées du RPR.) En douceur, avec professionnalisme, ce texte peut même leur permettre d'organiser de manière différente leur productivité.
Celles-ci ne m'inquiètent pas trop car, de toute façon, elles devront obéir à la logique des coûts et de la concurrence et, n'en doutons pas, si nécessaire, elles iront produire ailleurs car elles n'auront pas d'autre choix.
Celles qui m'inquiètent le plus, ce sont nos petites et moyennes entreprises, qui sont aujourd'hui le dynamisme de l'emploi et la trame du territoire. Elles risquent, pour les plus fragiles ou les plus nouvelles d'entre elles, de se recroqueviller, de rechercher toutes les voies pour maîtriser leurs coûts en débauchant, en ne remplaçant pas. J'en sens d'ailleurs les prémices.
Madame le ministre, le marché ignore la loi, les idéologies et nos débats. Il est aujourd'hui mondial ; il n'est ni apprivoisable ni « décrétable ». Face à lui, nous n'avons qu'une seule alternative,...
M. Henri Weber. Nous soumettre !
M. Gérard Larcher. ... le gagner. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est non pas la réduction de la durée du travail en tant que telle que nous rejetons, mais bien l'application que le Gouvernement fait de cette évolution.
Nous ne sommes pas a priori contre la réduction du temps de travail, et nous l'avons prouvé dans le passé en votant l'article 39 de la loi quinquennale du 30 mars 1994 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, et en votant la loi Robien du 11 juin 1996, tendant à favoriser l'emploi par l'aménagement et la réduction conventionnelle du temps de travail.
C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues du groupe de l'Union centriste et avec la majorité sénatoriale tout entière, nous ne pourrons que soutenir aujourd'hui le rapporteur de la commission des affaires sociales en adoptant l'ensemble des amendements qu'il proposera au nom de la commission, souhaitant ainsi marquer une position qui soit en phase avec les réalités économiques de notre pays.
Nous voterons donc la suppression de l'article 1er pour supprimer, par là même, le caractère obligatoire et autoritaire de la réduction de la durée du travail, que nous jugeons totalement irréaliste, principalement en raison de la diversité des entreprises qui fait la richesse du système économique dans notre pays.
Une loi carcan telle que celle que vous nous proposez n'a aucune chance de se solder par la réussite. C'est pourquoi nous avons choisi de l'assouplir en favorisant la négociation, l'annualisation, la flexibilité, le temps partiel, la protection des petites et moyennes entreprises, qui jouent un rôle considérable dans l'économie française et qui constituent, sans aucun doute, le terreau de l'emploi de demain.
Quelle définition peut-on retenir pour la petite et moyenne entreprise pour demain : vingt salariés, cinquante salariés, ou deux cent cinquante salariés ? C'est là une vraie question.
La réduction de la durée légale du travail doit s'inscrire dans une logique d'annualisation du temps de travail pour répondre à une meilleure répartition de celui-ci sur l'année calendaire.
C'est la raison pour laquelle il convient de quitter le module hebdomadaire pour aller vers un module annuel. Les entreprises du bâtiment et des travaux publics sont disposées aujourd'hui à prendre les risques de l'expérimentation dans ce domaine.
Le système de l'aménagement-réduction du temps de travail doit permettre d'atteindre un équilibre entre les besoins de souplesse des entreprises et les conditions de vie des salariés, et il impose des solutions différenciées selon les branches et les entreprises.
Dès lors que le projet de loi est particulièrement rigide en ce qui concerne l'objectif des 35 heures, il nous a paru essentiel d'équilibrer le cadre général des négociations. Cela ne peut passer que par l'annualisation, revendication principale des chefs d'entreprise qui souhaitent sincèrement s'engager dans une démarche d'aménagement-réduction du temps de travail, dans l'intérêt mutuel des entreprises et des salariés.
La notion moderne d'aménagement du temps de travail est devenue une composante majeure de tout discours macro-économique et s'impose aujourd'hui aux décideurs pour orienter leur stratégie d'entreprise.
Il s'agit désormais, sinon de vaincre la crise, du moins d'adapter au mieux les ressources humaines au nouvel ordre économique, mais également aux aspirations individuelles des salariés. Il s'agit d'évoluer vers une culture d'entreprise qui gère la ressource humaine comme un investissement à long terme.
Une forte réduction de la durée individuelle n'est pas en elle-même suffisante pour créer de nouveaux postes de travail.
Pour les entreprises dont l'activité est très saisonnière, les horaires variables permettront non seulement d'éviter le surcoût des heures supplémentaires, mais surtout de rester à flot, c'est-à-dire de rester dans la course et de ne pas licencier pour, ensuite, déposer le bilan.
Les débats sur la flexibilité, la réduction du temps de travail, le partage du travail et le temps choisi ont traversé le champ public de façon récurrente jusqu'à s'imposer comme un paramètre premier de toute réflexion prospective sur le devenir de nos sociétés.
Faute d'entraîner une création nette d'emplois par une croissance soutenue, il s'agit désormais de prévenir le chômage par une politique d'aménagement du temps de travail adaptée.
Dans cette logique, il faut noter l'expansion sensible, dans notre pays, du temps partiel, décliné sur des formes variables et favorisé notamment par certaines dispositions de la loi quinquennale du 30 mars 1994, qui concerne aujourd'hui près de 3,2 millions de salariés, soit près de 14 % de la population active salariée. Le développement du temps partiel aurait ainsi permis la création de 115 000 emplois en l'espace de vingt-quatre mois.
Le temps partiel doit toutefois rester du temps partiel et non tendre vers le temps plein ; c'est cette notion que nous voulons protéger en soutenant les amendements de la commission des affaires sociales. Avec le passage aux 35 heures, la limite supérieure du temps partiel passe de 32 à 28 heures ; à 29 heures, on n'est donc plus dans le temps partiel. Cela n'a guère de sens.
Il faut donc modifier la définition du travail à temps partiel pour la conformer à la définition de bon sens donnée par la directive européenne du 15 décembre 1997, selon laquelle sont considérés comme horaires à temps partiel les horaires inférieurs à la durée légale du travail.
La commission des affaires sociales et son rapporteur ont donc opté pour un reprofilage de la loi Robien et, avec la majorité sénatoriale tout entière, nous approuvons et soutenons ce choix.
Les entreprises craignent davantage les conséquences du coût des 35 heures que la réorganisation du travail qu'elles impliquent. Nous savons tous que la réussite de votre loi, madame le ministre, dépend des importants sacrifices salariaux qui vont être demandés aux salariés en général, et surtout aux salariés à revenus moyens et aux cadres.
En l'état, votre loi va indéniablement accroître le coût du travail et sera donc, à terme, destructrice d'emplois : l'objectif inverse de celui que vous cherchez à atteindre.
Réduire la durée du travail diminue la production par individu. Cette baisse de la productivité entraîne un coût qui peut être supporté soit par les salariés s'ils acceptent, en échange d'un temps de travail réduit, un salaire mensuel plus bas, soit par les entreprises si elles diminuent leurs marges, soit encore par le consommateur si les entreprises répercutent la hausse des coûts dans les prix. Ce coût peut être diminué, à l'échelle de l'entreprise, par une hausse induite de la productivité du travail ou d'autres facteurs de production.
Telle est la problématique de la réduction du temps de travail.
Puis-je encore me permettre de rappeler quelques règles de trois, madame le ministre ?
Réduire la durée du travail est coûteux. Un passage généralisé, imposé et effectué par tous de 39 à 35 heures - c'est-à-dire correspondant à une baisse de 10 % de la durée du travail - conduirait à la création de quelque deux millions d'emplois et à une baisse d'un million et demi du nombre des chômeurs. C'est donc une très bonne piste.
Mais à une telle baisse de la durée du travail est associé un coût, que l'on peut estimer à plusieurs dizaines de milliards de francs par an, ce qui correspond à 10 % de la masse salariale.
Qui va devoir prendre en charge ce coût ? Ce peut être les salariés, qui ne recevront alors aucune compensation salariale ; les entreprises, qui augmenteront probablement leurs prix, d'environ 6 % ; ou bien encore l'Etat, qui accroîtra son déficit.
Toutes les études faites - dont celle qu'avait réalisée l'OFCE en 1993 - démontrent que la réduction de la durée du travail est indissociable d'une baisse des revenus des salariés en place.
En résumé, les 35 heures ne sont possibles et créatrices d'emplois qu'avec une loi souple, privilégiant la négociation et l'aménagement du temps de travail, surtout si les salariés acceptent des sacrifices et si les employeurs sont d'accord, de leur côté, pour revoir le fonctionnement de leurs entreprises.
Les salariés sont-ils prêts à être payés moins pour que d'autres travaillent plus ? C'est peu probable, et c'est la véritable question, car il n'y a qu'une certitude : les entreprises françaises ne peuvent pas produire plus cher que leurs voisins, sous peine de mettre la clef sous la porte et, par voie de conséquence, de voir les salariés se retrouver au chômage. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean Faure.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je crois qu'on peut distinguer une double inspiration dans les tentatives d'augmenter les emplois offerts en diminuant la durée légale du travail. Cette double inspiration marque tant la loi Robien que la vôtre, madame le ministre.
La première est d'ordre mécanique. Un peu comme la fission nucléaire produit de l'énergie en multipliant le nombre d'atomes par division, la division du travail pourrait de la même manière produire du travail.
Les diverses expériences montrent les limites de cette mécanique, en partie vraie toutefois, comme l'expérience de la loi Robien, dans certaines conditions d'application en a déjà apporté la preuve. Elle n'est pas toutefois une loi universelle, susceptible de validation pour tous les types d'entreprises.
L'autre inspiration est d'ordre éthique. Devant le drame de la fracture sociale créée par le niveau de chômage, chacun aurait le devoir de faire une place au travail à d'autres qui en sont privés. Cette inspiration est stimulante, mais pourrait être inquiétante.
Elle est stimulante en ce qu'elle réintroduit un mobile moral dans la vie économique. Il y a là une petite flamme qui se rappelle à nous au sein de la compétition universelle imposée par les lois d'un utilitarisme économique obnubilé par la richesse matérielle.
Aurait-on à ce point oublié la finalité humaine de l'économie que l'on doive s'émerveiller d'une odeur de générosité subitement distillée sur les lois d'airain de la concurrence systématique ?
On se prend à rêver d'une organisation de la production et des échanges qui favoriserait l'accès de chacun à la vie économique et sociale et nous ferait oublier la notion même d'exclusion et de chômage. Une société idéale, autrement dit.
Mais, hélas ! l'état des lieux nous arrache à la vision utopique. Les difficultés s'accumulent sur le trajet qui conduirait du fond de la crevasse jusqu'aux cimes convoitées. Personne, même parmi les plus fervents défenseurs des vertus de l'abaissement de la durée légale du travail, n'en attend des miracles.
Le débat se réduit finalement aux moyens de mise en oeuvre de l'instrument : plus ou moins de contrainte, plus ou moins d'incitation, plus ou moins grande taille des entreprises concernées ; on le constatera au cours des débats.
Cependant, la connotation morale d'un aspect au moins de l'inspiration mérite que l'on s'y attache car, comme toute valeur, elle est à prendre au sérieux. D'abord, parce qu'il y a quelque chose de juste en elle. Ensuite, parce qu'une valeur morale peut aussi devenir folle, et c'est ce qui peut être inquiétant. Enfin, parce qu'elle exige d'être bien située et régulée dans la hiérarchie des valeurs dont vit une société.
Il y a incontestablement quelque chose de profondément juste dans le désir de partager le travail. C'est même le ressort élémentaire d'une vie sociale harmonieuse, telle qu'on doit la souhaiter, conforme à la justice. Mais d'où vient un tel désir qui n'est pas naturel ? Il vient des fondements philosophiques, culturels et religieux les plus anciens, je veux dire l'inspiration judéo-chrétienne de nos sociétés, et l'ambition de son universalisation au siècle des Lumières avec les déclarations universelles.
On retrouve donc là la trace de cette aspiration, cultivée depuis la loi mosaïque, de l'amour de l'autre comme soi-même, mais constamment affrontée à une organisation sociale qui la rend trop souvent inopérante, méprisée ou pervertie au niveau de sa mise en oeuvre collective.
Nos régimes de protection sociale résultent directement de cette inspiration, mais ils ne sont pas à l'abri d'une perversion quand, parfois, heureusement très rarement, ils protègent et donc encouragent des comportements injustes, qui portent atteinte notamment aux droits de l'être humain à vivre et à vivre prioritairement dans une famille. Nous aurons l'occasion d'en reparler dans un futur projet de loi déjà annoncé.
Alors, quand, aujourd'hui, j'aperçois la même inspiration altruiste dans la volonté de partager le travail, je m'interroge sur les garanties que nous prenons pour ne pas pervertir sa traduction dans notre législation.
S'il y a un élément positif dans cette aspiration à traduire dans notre organisation collective une incitation à partager le travail, la question doit être toutefois posée de savoir si les moyens utilisés sont satisfaisants.
Je crois qu'il est difficile de porter un jugement complet et définitif. De nombreuses critiques ont été formulées quant au réalisme technique et pratique de la mesure.
Je m'interrogerai ici sur l'autre aspect que j'ai soulevé. Le mobile moral du partage du travail peut-il être aussi facilement que cela mis en oeuvre ?
Il apparaît d'abord comme pratiquement inaccessible à une décision individuelle. Aucune personne n'est pratiquement en mesure de pouvoir décider et de pouvoir aujourd'hui librement et isolément partager son travail. La voie la plus féconde, et pratiquement la seule qui ait été mise en oeuvre jusqu'à maintenant, est celle du partage des revenus par les mécanismes de redistribution. Ainsi s'explique notre protection sociale.
Je ne crois pas qu'on puisse progresser en matière de solidarité sociale autour de la notion de partage du travail, si l'on écarte la notion de partage des revenus. Or le sujet est extrêmement sensible comme chacun a pu ou pourra s'en rendre compte à l'avenir. Outre les difficultés qui résultent des interférences entre minima sociaux et revenu minimum - SMIC et RMI, notamment - que dire de la tyrannie du travail qui pèse sur les emplois des cadres ? Le divorce croissant entre les conditions de travail des cadres et dirigeants, et celles qui s'appliquent à des tâches quantifiables, donc sécables et physiquement limitables en durée, ne constitue-t-il pas la source d'une autre facture qui n'a pas encore révélé ni son ampleur ni toute sa problématique, au sein même du milieu du travail ?
Quelle issue possible à l'isolement des cadres dans une position de plus en plus extralégale de facto au plan de la durée du travail ?
On commence à constater la désaffection pour des emplois trop contraignants intellectuellement, pyschologiquement et physiquement. La menace qui apparaît là est alors l'impossibilité à satisfaire les offres de travail. Certaines formations et qualifications difficiles commencent à être délaissées. On observe ce phénomène aux Etats-Unis depuis plusieurs années et déjà en France.
Plusieurs branches professionnelles éprouvent des difficultés à recruter le personnel qualifié dont elles ont besoin, et doivent faire appel à des diplômés de pays comme l'Inde. Le phénomène était récemment signalé dans la presse à propos de l'industrie des semi-conducteurs. Où se trouvera, pour les fonctions d'encadrement, le point d'équilibre entre le consentement à l'effort et la rémunération de celui-ci ? Une diminution de la durée légale du travail durcira encore le phénomène car elle est bien souvent tout simplement inapplicable pour l'encadrement. C'est un vrai problème.
Par ailleurs, quand on ausculte la réalité actuelle de l'entreprise, on est frappé par des évolutions rapides susceptibles de modifier considérablement l'organisation générale du travail. Délocalisations, sous-traitance accrue, ateliers flexibles avec télétravail, tout concourt à faire passer la structure du tissu économique d'une cartographie statique à une image dynamique en déconstruction et recomposition constantes.
Or ce dynamisme paraît très largement étranger à tout souci éthique et comme incapable de l'intégrer quelle que soit la bonne volonté des responsables ; il y a un véritable divorce.
Nous nous heurterions ainsi, non seulement aux rigidités physiques déjà largement signalées, qui rendraient peu efficaces le levier de la durée légale du travail pour créer des emplois, mais, en outre, à un déphasage complet entre le mobile moral du partage et le mécanisme interne de la vitalité économique, qui serait de plus en plus engendrée par les combinaisons infinies de la technologie, notamment de l'électronique à travers les ressources de l'informatique et des télécommunications sans laisser de place à un souci éthique et parfois même pour lui échapper.
Le mouvement économique serait devenu comme « an-anthrope », si vous me permettez ce néologisme, signifiant « sans homme » comme on dit « athée : sans dieu ». Comble du paradoxe, l'économie achèverait son évolution vers l'absence de finalité morale sous couvert d'un anthropomorphisme croissant de sa structure apparente et, pourrait-on dire, de sa génétique. Le réseau Internet n'est-il pas un symbole très fort par son maillage de neurones de ce phénomène qui menace d'instrumentaliser notre propre humanité, en faisant de chacun de nous un membre du cybermonde ?
Chaque ordinateur personnel n'est-il pas un neurone du grand cerveau mondial ! Et j'utilise moi aussi un de ces appareils. Nos méthodes et nos techniques législatives risquent d'être largement inopérantes devant l'évolution amorcée et qui se développe en échappant à notre contrôle.
C'est pourquoi, dans un tel contexte, il ne faudrait pas culpabiliser les salariés qui ont un emploi ou les chefs d'entreprise comme s'ils étaient partiellement responsables du chômage. On risquerait fort d'accroître encore un peu plus la démoralisation de notre société. C'est en ce sens que je disais que la démarche pouvait être inquiétante si elle était mal conduite.
On doit, au contraire, stimuler leur courage et leur engagement éthique. S'il y a une légitime interrogation morale à cultiver, elle doit d'abord porter traditionnellement sur l'usage que nous faisons de notre richesse, et, ensuite, de manière plus moderne, sur l'effort d'imagination auquel nous devons nous astreindre pour refinaliser le dynamisme économique au service de l'homme, alors qu'il menace de nous échapper.
Où se situe le lieu de ce discernement ?
Tout d'abord dans la conscience individuelle, car c'est là que se noue et se conclut tout débat moral, mais encore aujourd'hui au niveau d'un effort collectif conséquent pour mettre à jour l'anthropologie qui sous-tend nos conduites.
C'est d'abord à l'éducation nationale de nourrir ce débat essentiel au seuil du xxie siècle.
Gardons-nous de vivre dans une sorte de « fidéisme anthropologique », comme si le concept d'humanité sur lequel nous avons construit nos institutions modernes était indestructible, et même autorégénéré indépendamment de tout effort de notre part.
Hélas ! ou plutôt tant mieux, il n'en est rien, et, aujourd'hui, la spécificité de l'humanité qui est la nôtre risque de nous devenir plus étrangère que nos oeuvres et nos machines, et ne peut pas être réinvestie culturellement sans notre volonté. Elle risque fort d'être évanescente derrière notre dépense d'énergie consacrée uniquement à nos techniques.
C'est bien en partie par le débat qu'elle a ouvert en 1996 et l'interrogation qu'elle suscite aujourd'hui que la notion de partage de travail est intéressante. Elle nous donne l'occasion d'un débat fondamental. Elle risquerait d'être dangereuse si elle recouvrait seulement un moralisme, exogène à la personne humaine, imposé de l'extérieur, artificiellement comme tout moralisme.
En revanche, elle demeure potentiellement féconde si elle nous conduit à nous interroger sur nos vraies responsabilités en cette fin de siècle par rapport à l'organisation économique et politique de notre vie sociale, bien au-delà du seul problème de la durée légale du travail, et surtout si elle permet de déclencher une véritable mobilisation des volontés.
Je crois que c'est par la conscience de la gravité de l'enjeu que notre commission des affaires sociales a adopté la position qui est la sienne devant votre projet de loi, madame le ministre.
La vertu primordiale de ce texte amendé est de faire une place fondamentale au dialogue dans l'entreprise.
En effet, si l'éducation nationale doit s'attacher à ce que l'anthropologie sous-jacente à l'humanisme dont nous nous réclamons ne devienne pas un simple fantôme sans consistance, un lieu privilégié de l'application de nos convictions est bien l'entreprise et la vie sociale, tout comme la vie politique doit être l'occasion d'une réflexion fondamentale et globale.
C'est bien pourquoi je salue le travail de notre collègue M. Louis Souvet, rapporteur de ce projet de loi, et l'orientation donnée à nos travaux pour le président de la commission des affaires sociales, M. Jean-Pierre Fourcade.
Je crois qu'ils ont su, l'un et l'autre, dégager les éléments prometteurs d'une dynamique de négociation, en écartant les rigidités excessives qui risquaient de conduire à l'effet inverse de celui qui était recherché.
Si un point doit être mis en lumière, c'est bien l'enjeu considérable du débat autour du travail dans le monde actuel, et pas seulement, loin de là, sur la durée du travail. C'est toute notre éthique sociale et sa problématique globale qui apparaissent en filigrane.
Il est vraisemblable que le chômage n'est qu'un symptôme d'un mal plus grave : un développement qui non seulement nous échappe, mais qui fait de nous les éléments résiduels d'une physique autonome de plus en plus « ananthrope », selon le mot que j'ai proposé.
Dans un tel contexte, toute interrogation morale peut être une trace d'humanité. Faisons en sorte de ne pas la pervertir dans un moralisme qui susciterait une nouvelle réaction idéologique, et donc une aggravation de l'exclusion de l'humanité de son propre univers. Mais gardons-nous aussi, en sens inverse, de croire que l'évolution que nous subissons n'offre aucune prise à une réorganisation plus éthique et mieux partagée de notre vie économique et sociale.
Faisons en sorte pour cela qu'une chance soit donnée au dialogue social non seulement pour se partager l'existant, mais encore et surtout pour recréer une économie inventive matériellement et simultanément féconde en satisfactions éthiques. Car de celle-ci aussi l'être humain a besoin pour donner un sens plus complet à son travail.
Efforçons-nous de susciter des vocations d'entrepreneurs qui soient non seulement des producteurs mais aussi des créateurs d'harmonie sociale. Cela suppose de savoir encourager les initiatives locales, par l'incitation mais aussi par la liberté.
En tout état de cause, ces vocations naîtront et se développeront sur la planète un jour ou l'autre, car il n'y a pas d'autre voie pour l'humanité.
Rêvons que notre pays soit l'un de ceux qui auront l'audace et la possibilité d'offrir des exemples en ce domaine.
Je crois que le texte proposé par la commission des affaires sociales est marqué par cette orientation. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans notre pays, le chômage est le quotidien pour 3 400 000 millions de nos concitoyens, et le pourcentage des chômeurs de longue durée atteint désormais 37 %.
La précarité, l'incertitude et la vulnérabilité touchent 3 millions de salariés ; la peur de perdre son emploi est profondément ancrée dans l'ensemble de la population.
Un observateur soulignait, la semaine dernière, dans une enquête sur le moral des Français, que, chez un bon nombre d'actifs, la « mémoire de crise » a désormais remplacé ce qui fut pour leurs aînés « une mémoire de prospérité ».
Comment s'étonner de la frilosité des comportements en matière de consommation ? Comment s'étonner des graves symptômes qui révèlent des failles dans notre cohésion sociale ?
Il convient d'explorer toutes les politiques susceptibles de créer de l'emploi.
C'est à ce titre que nous débattons aujourd'hui de la réduction de la durée du travail. Il s'agit d'un projet essentiel porté par la majorité élue voilà neuf mois.
Monsieur le rapporteur, vous avez parfaitement raison, c'est un engagement clair et résolu pris par les forces de gauche devant les Français. Mieux qu'un sondage d'opinion, leur vote a manifesté leur volonté d'engager le pays dans cette voie, jusqu'ici expérimentale, afin de combattre ce qui figure au premier rang de leurs angoisses : le chômage.
Si les analyses chiffrées dont nous venons d'avoir connaissance témoignent d'un redémarrage de la production industrielle, de capacités records d'autofinancement des entreprises, d'un « léger frémissement » de la consommation intérieure, si tous ces indices attestent que la croissance est au rendez-vous et qu'elle peut s'enrichir en emplois, nous savons bien qu'à 3 % elle ne permet de diminuer que de 70 000 le nombre de demandeurs d'emploi.
Pourtant, la réduction de la durée du travail, qui n'est pas à proprement parler un thème nouveau, ne peut être appréhendée comme le seul instrument de la lutte contre le chômage.
C'est pourquoi le Gouvernement s'est attaché, dès le mois de juillet, à augmenter le pouvoir d'achat des Français en revalorisant le SMIC, l'allocation de rentrée scolaire et les aides au logement. Plus structurellement, il a organisé le transfert des cotisations maladie sur la CSG.
Par ailleurs, à travers les emplois-jeunes, il encourage l'émergence d'activités nouvelles liées à des besoins résultant des évolutions de notre société sur lesquelles, on peut le dire, peu de réflexions avaient été engagées, sinon pour apporter des réponses ponctuelles.
La réduction du temps de travail s'inscrit donc dans une politique globale et volontariste.
Le Gouvernement que vous représentez, madame la ministre, et la majorité à laquelle nous appartenons proposent d'organiser le passage progressif de la durée légale hebdomadaire à 35 heures.
Ce choix est éminemment politique, car les objectifs qui l'inspirent touchent aux fondements essentiels de notre relation au travail.
Certes, ce débat est longtemps resté confiné à d'obscures discussions entre économistes et responsables politiques. Les partenaires sociaux n'en ont pas fait un sujet majeur de leurs négociations. Mais, aujourd'hui, les Français s'en emparent et leurs attentes sont grandes. Ils manifestent majoritairement leur volonté de participer à ce mouvement, à condition qu'il s'accompagne de créations d'emplois. Les chômeurs, tout récemment encore, en ont fait un axe central de leurs revendications.
Par cette loi, vont donc s'amorcer de profondes mutations pour notre société. Je voudrais les évoquer.
Le passage aux 35 heures doit permettre, tout d'abord, de mieux partager le travail. Permettez-moi, monsieur Seillier, d'y revenir.
Je sais que cette conception suscite encore des controverses, mais les faits sont là : en 20 ans, de 1974 à 1994, on a enregistré une diminution du volume total des heures travaillées de 38 milliards à 34 milliards, alors que, parallèlement, la population active passait de 22 millions à plus de 24 millions de personnes.
Dans cette configuration, une certaine forme d'un partage sauvage du travail s'est développée entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n'en ont pas, entre ceux qui font des heures supplémentaires - soit l'équivalent de 230 000 emplois à temps plein - et ceux - surtout celles devrais-je dire - qui se voient imposer des formules contraignantes de temps partiel, que vous entendez moraliser dans ce texte, madame la ministre.
Les dispositions qui sont soumises à notre discussion fixent la durée légale hebdomadaire à 35 heures, à l'horizon 2000 ou 2002, selon la taille de l'entreprise.
Elles proposent des incitations financières sous forme d'allégement de charges sociales, qui lient réduction du temps de travail et embauches compensatrices et qui sont calculées de façon forfaitaire afin de favoriser les entreprises où les salaires sont proches du SMIC. C'est ici un des points de désaccord avec la majorité de cette assemblée.
Les travaux à l'Assemblée nationale ont permis des aménagements modulant les aides selon l'effort consenti par les entreprises, la main-d'oeuvre concernée, les handicapés par exemple, l'amplitude de la réduction du temps de travail et les embauches correspondantes.
Le contrôle de l'administration du travail sur le recours au volet défensif est par ailleurs renforcé.
Je ferai quelques remarques sur ce que nous avons entendu de la part d'acteurs économiques dans le cadre de nos travaux préparatoires.
Certains ont souligné qu'il était périlleux pour l'entreprise de diminuer la capacité de travail de salariés expérimentés et de la reporter sur de nouveaux venus, des jeunes par exemple.
Ces difficultés sont bien réelles, mais ces craintes font toutefois singulièrement l'impasse sur l'importance et la nécessité de la formation et du transfert des savoir-faire entre générations, ainsi que sur la nécessité de veiller à l'équilibre de la pyramide des âges au sein de l'entreprise.
Je lisais dernièrement un commentaire sur cette question où il était rappelé que l'arrivée importante de main-d'oeuvre d'origine étrangère dans nos entreprises durant les « trente glorieuses » ne semblait pas avoir provoqué de telles appréhensions quant aux capacités d'apprentissage des nouveaux venus.
Dans les faits, la véritable question qui se pose ici est de savoir comment planifier une réduction du temps de travail qui laisse une marge suffisante pour optimiser le recours à des embauches compensatrices.
C'est sur ce point que se réalisera ce que M. Favereau, que la commission d'enquête a entendu, appelle un nouveau « contrat social ».
Cela dépendra du contenu des négociations, et c'est parce que celles-ci seront particulièrement complexes que nous souhaitons encourager et soutenir la formation des négociateurs. C'est pourquoi nous déposerons un amendement en ce sens lors de la discussion des articles.
Au-delà du contenu des négociations, l'efficacité de la réduction du temps de travail nécessitera un suivi rigoureux des accords ainsi que le renforcement et le maintien de la demande afin de garantir le coût unitaire de la production.
Différentes évaluations ont tenté de chiffrer, en termes d'emplois, l'impact du passage aux 35 heures.
La majorité d'entre elles prévoient bien la création d'emplois dans une fourchette, il est vrai particulièrement large, de 200 000 à 600 000. Toutefois elles soulignent toutes que l'ampleur de la création d'emplois dépendra essentiellement de la faculté des entreprises à se réorganiser.
C'est le deuxième aspect que je voulais aborder.
En effet, il ressort du bilan d'un an d'application de la loi Robien que plus des trois quarts des entreprises ayant signé un accord ont déclaré avoir procédé à une remise à plat de leur organisation.
Ces changements sont naturellement fonction des secteurs économiques concernés et interviennent, par exemple, sur l'allongement des durées d'ouverture ou de l'utilisation d'équipements ou de variations saisonnières.
Dans cette perspective, on peut comprendre certaines appréhensions, notamment de petites entreprises, pour qui de telles opérations peuvent paraître difficiles.
C'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale a prévu qu'elles pourront bénéficier d'un dispositif d'appui permettant la prise en charge par l'Etat d'une partie des frais liés aux études préalables. Il est indiqué que les régions pourront s'associer à cet accompagnement. On ne peut que regretter que M. Séguin utilise cette dernière disposition à des fins polémiques dans le cadre de la campagne électorale.
Cette réorganisation, facilitée par la diminution du temps de travail, peut être une occasion unique d'améliorer leur productivité, avec le soutien important de l'Etat, il faut le rappeler.
Si vous le permettez, je ferai référence à un exemple très local : l'accord que vient de signer la coopérative des paludiers qui exploite et commercialise le célèbre sel de Guérande. Cette profession traditionnelle que l'on croyait moribonde, enregistre désormais un chiffre d'affaires de 53 millions de francs. Ils viennent de faire passer 33 de leurs 42 salariés à 35 heures payées 39, et trois emplois ont été créés à la production et dans le secteur administratif.
Cet exemple démontre qu'aucun secteur économique n'est par nature exclu de ce mouvement et que même les petites entreprises y participent activement.
A cet égard, vous avez souhaité, madame la ministre, que de toutes petites unités puissent embaucher un salarié à temps partiel tout en bénéficiant de l'intégralité de l'allégement des charges sociales équivalant au recrutement d'une personne à temps plein.
Sur un troisième aspect du projet de loi, je rappellerai que, lors de la conférence nationale du 10 octobre dernier, le Premier ministre indiquait que c'était « à la négociation sociale de déterminer, au niveau pertinent, le plus souvent au niveau le plus décentralisé, les modalités adaptées et de fixer l'équilibre des intérêts ».
Pour des raisons que nous connaissons, la démarche conventionnelle n'est pas ce qui caractérise nos relations sociales.
Pourtant, le Gouvernement entend bien associer pleinement les partenaires sociaux à la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail dans l'entreprise.
C'est à l'évidence un gage d'efficacité. C'est également un pari audacieux sur le renouveau de la démocratie sociale dans notre pays, qu'avaient initiée les lois Auroux, car le projet de loi, par son envergure, incite à une mobilisation générale.
Cela peut permettre de combattre la sous-représentation syndicale dans l'entreprise que nous sommes nombreux à déplorer. Nous avons appris, au cours d'auditions récentes, que 80 % des accords Robien avaient donné lieu à la désignation d'un délégué syndical dans les conditions de droit commun.
Mais après tout, n'est-ce pas de telles conséquences que redoute une partie du patronat français ?
Si l'objet légitime de notre débat aujourd'hui est bien la réduction du temps de travail comme politique de lutte contre le chômage, nous ne devons pas et nous ne pouvons pas ignorer les enjeux de civilisation qu'elle sous-tend.
Nous travaillons à mi-temps par rapport aux salariés d'il y a cent cinquante ans, et ce mouvement se prolonge et continuera de se prolonger.
Nous devons trouver du sens ailleurs que dans le travail. Nous ne devons pas l'oublier dans notre manière de concevoir nos cités, l'habitat, l'offre culturelle, la dynamique associative.
Cet aspect, je le sais, est parfois abordé avec ironie. Il est néanmoins urgent que notre société se prépare à accueillir ce temps libéré afin qu'il puisse signifier épanouissement, citoyenneté et lien social.
J'en viens maintenant à ce qui fait l'originalité de la démarche du Gouvernement.
Le dispositif que vous nous proposez, madame la ministre, allie à la fois la loi et le contrat.
L'article 1er du projet de loi consacre la démarche législative qui cristallise les commentaires les plus excessifs et caricaturaux de l'opposition sur le prétendu autoritarisme de cette réforme.
Rappelons certaines données : dans notre pays, c'est le législateur, démocratiquement élu, qui détermine la durée légale du travail.
Il s'agit en effet d'une norme, d'un repère essentiel dans notre droit du travail, même si, depuis quelques années, différentes modulations sont venues en aménager l'application.
Je trouve donc particulièrement choquantes certaines déclarations, dont celle de l'emblématique UIMM, l'Union des industries métallurgiques et minières, qui estime que cette loi est une « immixtion de l'Etat qui s'apparente à une nationalisation des rapports sociaux... puisqu'elle enferme les négociations dans un carcan ».
Que des représentants du patronat aient une si piètre opinion du rôle de l'Etat et du législateur dans les rapports sociaux ne me surprend pas vraiment ; elle ne varie malheureusement guère selon les époques.
En revanche, je m'interroge sur la conception qu'ont certains parlementaires de leurs responsabilités et de leur place dans le fonctionnement démocratique du pays.
C'est en effet à la loi républicaine de fixer en amont une finalité ainsi qu'un cadre parce que la réduction du temps de travail met en jeu une solidarité nationale et l'intervention de l'ensemble des acteurs sociaux.
Ce sera à la seconde loi de tirer, en aval, les enseignements des deux années d'application des dispositifs mis en place.
Nous doutons fortement que les lois du marché encouragent spontanément cette dynamique indispensable ; des expériences récentes nous en ont convaincus.
Mes chers collègues, nous avons pu mesurer concrètement ces obstacles. Souvenez-vous que c'est notamment en prenant acte des retards enregistrés dans l'application de l'accord interprofessionnel de 1995 que les initiateurs de la loi Robien ont engagé un débat au Parlement.
Vous avez voulu, madame la ministre, appuyer ces négociations au plus près des entreprises pour une meilleure perception de chaque situation, ainsi que pour une approche plus fine des aspirations des salariés.
Ainsi, afin de pallier l'absence de représentation du personnel dans bon nombre d'entreprises, vous avez amélioré la formule du mandatement, notamment en prévoyant que le salarié mandaté sera accompagné d'un collègue et qu'une commission de suivi vérifiera la mise en oeuvre de l'accord.
Le mandatement constitue un dispositif clé, délicat et fragile, mais qui peut s'avérer riche de potentialités.
Il place en tout cas les organisations syndicales face à une énorme responsabilité à l'égard des salariés qu'elles vont mandater. Elles devront les accompagner, les soutenir, les former.
Confrontées à des situations complexes et diverses, elles devront, en tout état de cause, avoir le souci du maintien de la cohésion et veiller à ce que ne se développent pas de micro-corporatismes. Elles devront s'engager pour favoriser au contraire l'émergence de solidarités nouvelles.
Notre débat va nous permettre de revenir sur l'ensemble des dispositions du texte et sur les positions défendues par la majorité de cette assemblée.
Madame la ministre, ce projet de loi est audacieux, parce que vous avez le courage d'organiser les conditions d'une grande négociation sociale qui doit déboucher sur des créations d'emplois, ainsi que sur un vaste mouvement social.
Nous sommes à vos côtés, nous vous soutenons dans cette assemblée et nous serons sur le terrain pour faciliter la mise en oeuvre de votre texte. Nous voterons bien sûr contre les propositions de la majorité du Sénat. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui a eu lieu à l'Assemblée nationale, les travaux de notre commission des affaires sociales, ainsi que la discussion générale que nous venons de commencer ont largement porté sur l'efficacité des 35 heures, en fait, sur la corrélation entre la réduction de la durée du travail et le taux de chômage, sur la capacité de la réduction du temps de travail à faire baisser durablement et de manière significative le taux de chômage.
La question, quelles que soient les formes que le débat ait prises, est capitale. L'ensemble du monde est frappé depuis vingt-cinq ans maintenant par une crise de mutation sans précédent par sa durée et son ampleur. Cette crise a accru les écarts entre les pays, entre les hommes. Elle a enrichi les pays riches, jeté dans une misère accrue un certain nombre de pays ; c'est le cas de l'Afrique noire. Même les pays émergents en Asie du Sud-Est, dont on vantait naguère le miracle économique, ont montré leur fragilité.
Entre les hommes, au sens générique du terme - on me permettra cette expression à quelques jours du 8 mars, la fête des femmes (Sourires) -, la crise a creusé les écarts, créant une société non à deux mais à trois vitesses, jetant dans le dénuement, et de plus en plus souvent à la rue, non seulement des couches sociales fragilisées et démunies, mais aussi des salariés qui, par leur formation et leur carrière, se pensaient à l'abri des aléas de l'existence. Rares sont ceux qui, aujourd'hui, sont à l'abri de ces aléas.
Le chômage gangrène les sociétés - et la nôtre - et nous savons à quelles misères physiques et psychologiques il mène, à quelle destruction des individus il aboutit et, si je ne prenais qu'un exemple, au-delà de ce que nous connaissons les uns et les autres à travers nos collectivités locales et nos contacts quotidiens, je prendrais celui de cette trentaine de chômeurs qui, voilà un mois, à Quimper, se sont vendus à la criée, s'imposant une terrible foire aux gueux avec trois chômeuses improvisées commissaires-priseurs et crieuses déclinant les curriculum vitae et les qualités de chacun d'entre eux !
Tout à l'heure, M. Seillier a utilisé un mot rare en parlant d'une société ou d'un monde « ananthrope ».
Mes chers collègues, dans un certain nombre de secteurs, nous avons déjà mis en place une société non pas sans hommes, mais où les hommes n'ont pas le rang d'humain.
M. René-Pierre Signé. Bravo !
Mme Joëlle Dusseau. Nous savons donc - le savons-nous vraiment ? - que s'attaquer au chômage est une nécessité absolue. Mais - et je reviens là au débat que nous avons eu à de nombreuses reprises - y a-t-il corrélation entre durée du travail et taux de chômage ?
Non, répond résolument le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur la réduction du temps de travail, qui présente des tableaux rapprochant notamment la durée annuelle moyenne effective du travail par salarié et le taux de chômage par pays, oubliant au passage toute une série de paramètres.
Un certain nombre de députés ont adopté cette position. En revanche, d'autres parlementaires, qui représentent ici la majorité sénatoriale, reconnaissent que la réduction du temps de travail est créatrice d'emplois. Je partage bien sûr leur avis et je ne comprends pas l'aspect systématique de certaines conclusions du rapport Arthuis.
Dans tous les pays développés, le temps de travail moyen sur l'année et sur la vie a fortement diminué. Dans cette évolution historique générale, selon les pays, la référence au chômage, la nature même du chômage, est différente. Les caractéristiques de la population salariée le sont aussi. De toute façon, on sait bien que l'évolution technologique, qui ne fait et ne fera que s'accroître, a entraîné, entraîne et entraînera une diminution évidente du besoin de main-d'oeuvre. Et ce phénomène ne fera que s'amplifier.
Pour ma part, à la question : « la réduction du temps de travail est-elle créatrice d'emplois ? », non seulement je réponds oui, mais je crois que c'est la solution majeure, celle qui peut globalement apporter le plus d'emplois, au point que j'aurais été partisan d'une réduction plus massive - 32 heures le plus vite possible, semaine de 4 jours - susceptible de créer plus massivement des emplois - car, à mon avis, il y a là une des limites du projet de loi.
Il est prévu de créer 700 000 emplois selon l'hypothèse haute, dont 450 000 dans des entreprises de plus de 20 salariés, et 100 000 à 250 000 dans les hypothèses basses. En tout état de cause, même avec l'hypothèse haute, nous sommes loin du compte, loin des 3 millions de chômeurs.
Il existe, bien sûr, d'autres pistes de création d'emplois. Mais, si l'on ne veut pas se résigner à admettre la situation intolérable de millions de nos concitoyens, la situation inhumaine de centaines de milliers d'entre eux, une réduction du temps de travail plus massive aurait été souhaitable. Et tant pis si M. Seillière a dit que, en se focalisant sur les chômeurs, on se concentrait sur « l'infirmerie » ! Ce terme en dit long sur le regard citoyen que le CNPF porte sur la société.
M. René-Pierre Signé. C'est honteux !
Mme Joëlle Dusseau. Deuxième thème de débat : la négociation. Grosso modo, les adversaires du projet de loi - là, bien sûr, on retrouve la majorité de la commission des affaires sociales - disent : « Si c'était négocié, ce serait bien ; ça ne l'est pas, ce sera sans effet. » Le rapport Arthuis, également, n'hésite pas à titrer : « La réduction du temps de travail imposée n'est pas la réduction du temps de travail négociée. » Qui l'eût cru ? Alors, quid de la négociation ?
Je dirai un mot de la loi Robien, c'est une référence dans notre assemblée puisque M. le rapporteur et le président Fourcade se sont résolument prononcés dans ce sens, présentant ici même une loi Robien améliorée, « reprofilée », pour reprendre leur mot.
Ce qui m'étonne, ce sont les bilans pour le moins approximatifs de cette loi tant vantée et si coûteuse.
Si l'on suit le rapport de la DARES, la direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques, avec 1 442 conventions signées en novembre dernier, environ 400 défensives et 1 000 offensives, 150 000 salariés auraient été touchés par la réduction du temps de travail, soit entre 17 000 et 20 000 emplois créés ou maintenus. Il semble difficile d'envisager qu'aujourd'hui avec 2 000 conventions signées, c'est-à-dire 600 de plus, on en soit aux alentours de 70 000 emplois maintenus ou créés.
Il serait bon d'examiner plus attentivement les chiffres. Je rappellerai qu'il s'agit, en tout état de cause, d'intentions de création d'emplois dans l'année et non pas d'emplois créés effectivement.
Outre le coût, ces incertitudes sur les emplois effectivement créés ou à créer devraient amener à réfléchir, non seulement le Gouvernement mais aussi la majorité sénatoriale, qui s'appuient si fortement sur la loi Robien.
Je tiens pourtant à dire, madame la ministre, que je suis, comme mes amis radicaux, fortement attachée à la solution négociée. Des incitations très fortes à la réduction du temps de travail et aux négociations auraient eu, de loin, ma préférence.
Comme beaucoup, je regarde avec intérêt et souvent envie ce qui se passe dans d'autres pays comme d'Allemagne, les Pays-Bas ou les pays nordiques. Oui, j'aurais préféré la négociation, avec valeur d'entraînement et d'exemple, accompagnée d'une réduction plus massive du temps de travail.
Mais force est de constater que notre pays a une culture différente, une faiblesse numérique historique des syndicats ouvriers, une dureté non moins historique du patronat et des logiques d'affrontement liées à une tradition de type révolutionnaire.
Chaque grand moment révolutionnaire et chaque grand mouvement social a posé, depuis la Révolution française, avec la suppression des corporations, la question des rapports entre le patronat et le salariat.
Prenons notre pays comme il est ! On ne peut pas ni refaire l'histoire ni faire l'impasse sur ce qui est notre tradition intrinsèque.
Il est d'ailleurs surprenant de voir la constance d'un certain type d'argumentation du patronat et de la droite. A la charnière du siècle, au moment du grand combat pour la journée de 8 heures, selon la droite et le Comité des forges, le fait de libérer du temps et d'augmenter les salaires allait développer un seul poste de dépenses : la consommation d'alcool, ou plutôt d'absinthe, comme on disait à l'époque. L'assommoir, conséquence de l'augmentation des salaires ou de la baisse du temps de travail ! Et aujourd'hui, on entend la droite et le CNPF soutenir que si l'on baisse la durée du travail, le temps libéré va se transformer en travail au noir. Moralité : ne réduisons pas la durée du travail !
On le voit, le niveau de l'argumentation n'a pas changé. J'ai d'ailleurs été très frappée par la référence du rapporteur à Guizot. Ni la formule « Enrichissez-vous ! » ni la loi de 1841 sur le travail des enfants ne me paraissent à la pointe des conceptions sociales !
Devant une telle situation, il n'y avait malheureusement pas d'autre solution que d'imposer des dates butoirs pour le passage obligatoire aux 35 heures. Au demeurant, votre projet, madame la ministre, laisse un champ important à la négociation.
En conclusion, je voudrais vous faire part à la fois des interrogations et du soutien des sénateurs radicaux de gauche.
Les interrogations portent d'abord sur le résultat effectif de la loi.
On connaît la lourdeur des mécanismes de mise en place. Aujourd'hui, sur un sujet qui vous tient particulièrement à coeur, tout comme à nous, les emplois-jeunes, on constate que seulement 40 000 emplois ont été créés, essentiellement au ministère de l'intérieur et dans l'éducation nationale.
Or la mise en place des 35 heures va être par nature extrêmement longue. En 1998, environ 20 000 emplois pourraient être raisonnablement créés, correspondant aux 3 millions de francs du budget, et il paraît difficile d'espérer beaucoup mieux. Quelles que soient les estimations des effets de la loi, les seuils de 2000 et de 2002 nous renvoient à un délai d'au moins cinq ans pour la voir s'appliquer partout.
Une deuxième question est celle de la durée non seulement légale mais effective du travail ; je ne la développerai pas en cet instant.
S'ajoutent aussi une série de questions techniques. Ainsi, j'avoue avoir eu un peu de mal à assimiler le mécanisme du double SMIC et je ne suis pas sûre d'y être totalement parvenue.
M. Jean-Jacques Robert. Nous non plus !
M. Henri de Raincourt. Vous n'êtes pas la seule !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Cela ne m'étonne pas. Vous n'êtes nullement en cause madame Dusseau !
Mme Joëlle Dusseau. Se pose aussi le problème de tout le champ des salaires proches du SMIC, qui risquent un écrasement vers le bas, celui du temps partiel, celui de la fonction publique ainsi que celui - et là, une fois n'est pas coutume, je rejoins l'interruption de M. Chérioux - des associations financées sur fonds publics.
Mais je veux vous dire aussi, madame la ministre, la confiance que m'inspire ce projet, qui ouvre la porte à la nécessaire et forte réduction du temps de travail, seule mesure susceptible de créer massivement des emplois. J'espère pour ma part que sa mise en place, dans les mois à venir, aura valeur d'expérimentation. La loi de 1999 devra impérativement tenir compte de cette expérimentation. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. René-Pierre Signé. C'est sans réplique !
M. le président. La parole est à M. Robert.
M. Jean-Jacques Robert. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, rapportant habituellement l'avis de la commission des affaires économiques et du Plan sur le budget des PME, du commerce et de l'artisanat, je voudrais vous livrer quelques réflexions sur les effets de ce projet de loi relatif à la réduction du temps de travail pour des entreprises qui ont peu de points communs avec les très grandes entreprises, lesquelles sont également pour nous une source de fierté.
Le Gouvernement veut créer des emplois. C'est une volonté que, bien entendu, nous partageons. Je crains cependant que, du fait de la méthode utilisée, de nouvelles difficultés ne viennent s'ajouter à celles que, déjà, nous n'arrivons pas à surmonter.
Ainsi, peut-on croire encore que le succès, en matière de création d'emplois, soit lié à des avantages financiers, tels qu'on en a accordés jusqu'à présent et qui pèsent si lourdement sur les finances publiques ? Après les 150 000 francs par an de la loi Robien, des sommes presque aussi importantes seraient accordées, en application de ce texte, pour un seul emploi créé.
Peut-on penser que nos entreprises pourront retrouver leurs petits dans le magma des aides qu'on ne cesse d'accumuler ?
Peut-on admettre que le débat qui va inévitablement s'instaurer dans chaque entreprise - et que vous souhaitez - favorisera le climat de sérénité qui est nécessaire pour bien fabriquer, bien vendre la production, avoir une bonne activité commerciale ?
Une fois de plus, le temps du chef d'entreprise sera dévoré par des tâches pour le moins usantes.
La notion de nombre d'heures travaillées est-elle encore au goût du jour ? La production moderne ne doit-elle pas plutôt s'analyser comme le résultat de l'accomplissement d'une mission donnant lieu à une rémunération ?
Les contrôles des inspecteurs du travail sur les horaires, notamment lorsqu'il s'agit de cadres, ne relèveraient-ils pas d'un combat d'arrière-garde ?
En tout cas, de tels contrôles présagent mal de l'ambiance dans laquelle va commencer à s'appliquer votre projet de loi, madame le ministre.
L'heure supplémentaire, qui sera désormais comptabilisée à partir de 35 heures, correspond-elle à un allégement des charges ? Sûrement pas ! Je puis pourtant vous assurer qu'elle aura la préférence de l'entreprise par rapport à toute embauche nouvelle.
Les entreprises ont déjà préparé - et je suis persuadé que vous ne l'ignorez pas - leurs réponses : développement du recours à l'intérim, contrats à durée déterminée, travail à façon extérieur à l'entreprise, sous-traitance. Tout cela débouche, contrairement à vos espérances et aux nôtres, sur l'insécurité de l'emploi et sur l'appauvrissement des intéressés, qui ne participeront plus à la vie de l'entreprise. Dans bien des cas, cela ne peut que se traduire par l'exploitation des sous-traitants : tentation inévitable pour le donneur d'ordres et conséquence inéluctable d'une nouvelle et regrettable réglementation tatillonne.
Voilà donc des charges et des contraintes nouvelles qui contrarieront vos ambitions.
A mes yeux, il n'est pas d'autre solution que celle qui consiste à alléger les charges de l'entreprise : c'est seulement là que se trouve la source de la création d'emplois.
Faut-il rappeler que, lorsqu'un salarié perçoit 6 000 francs de rémunération, l'employeur, lui, doit verser 10 000 à 10 500 francs, compte tenu des charges sociales ?
Reportons-nous quelques années en arrière : à l'origine de la législation sociale, les cotisations salarié et employeur étaient uniquement destinées aux besoins sociaux du salarié et de sa famille directe. Au fil des années, on a fait peser sur ce tandem de cotisants tout le poids nouveau de la solidarité nationale, en progression régulière et quasi incontrôlable. C'est du reste ce qui explique votre initiative récente de développer l'utilisation antérieure de la CSG assise sur le revenu, ce qui revient à créer une TVA sociale.
Connaissant nos habitudes, j'ai tout lieu de craindre un dérapage, qui conduira à un relèvement automatique de ces taxes en fonction des besoins.
Pourquoi ne pas détacher l'entreprise et son capital humain du devoir de solidarité nationale ? Si l'on s'engageait dans cette voie, les charges payées au titre de l'entreprise serviraient seulement à assurer les salariés cotisants et leur famille. En revanche, la contribution nationale prendrait en charge, à travers l'impôt, la solidarité à l'égard de tous les non-cotisants. Les charges, ramenées au seul effort des entreprises, diminueraient, ce qui ne pourrait qu'être favorable à l'embauche. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Egu.
M. André Egu. Madame le ministre, avec vos amis, vous aimez faire rêver les Français : déjà, en 1981-1983, il s'agissait de travailler moins et de travailler mieux ; cela résonne encore dans les oreilles de tous nos compatriotes !
En 1936, la grande victoire sociale pour tous les salariés français a été suivie, malheureusement, de conséquences dramatiques au regard du chômage.
Mme Joëlle Dusseau. Absolument pas ! Le chômage n'a pas augmenté !
M. André Egu. Après notre collègue M. Bernard Plasait, je vous conseille de relire Alfred Sauvy.
Aujourd'hui, beaucoup de nos compatriotes, après vous avoir entendue, pensent qu'il faut travailler encore moins pour gagner autant, sinon plus. Si vos intentions sont louables - réduire le chômage, nous le voulons tous - l'échec risque d'être une nouvelle fois au bout du chemin.
La France, gouvernée à votre manière, c'est-à-dire à gauche, sera encore trompée car, dès que l'on aborde les débats économiques et sociaux, les rêves et les idéologies dominent les projets.
Vous n'analysez pas les réalités de la mondialisation, de la concurrence européenne acharnée et de la guerre économique à partir des mêmes données que celles qui nous ont été fournies par certains experts.
Le monde des entreprises et des travailleurs indépendants courbe le dos, beaucoup se demandant à quelle sauce ils vont être dévorés ! Vous vous réjouissez des performances de nos entreprises petites, moyennes ou grandes. Nous aussi ! Malheureusement, celles qui réussissent, gagnent de l'argent et des parts de marché sont parfois montrées du doigt. Il reste que, globalement, les entreprises françaises font moins de bénéfices que leurs concurrentes étrangères. Le résultat, dans cinq ou dix ans, ne pourra donc qu'être négatif, et ce sont tous nos jeunes, tous nos demandeurs d'emploi et tous nos salariés qui paieront le prix des erreurs d'aujourd'hui.
Selon les experts, nous n'avons pas encore fini de payer les dégâts provoqués par les mesures prises entre 1981 et 1985 : un million de chômeurs supplémentaires et un recul industriel sans précédent.
Certains experts - ce ne sont sans doute pas les vôtres - considèrent que le choc sera encore plus fort quand il faudra absorber les 35 heures payées 39. Il ne fait pas de doute que les conséquences sur le chômage et la compétitivité seront au moins aussi néfastes. Et vous ne pourrez plus avoir recours aux dévaluations pour absorber le choc !
De surcroît, la concurrence est beaucoup plus dure qu'il y a quinze ans.
J'estime que, dans un pays moderne et ouvert sur le monde, votre projet de loi, par les contraintes excessives qu'il induit, est ringard et dépassé.
Votre méthode autoritaire de gestion de l'économie, en imposant des règles insupportables aux créateurs et aux chefs d'entreprises - alors que ceux-ci aspirent au contraire à plus de liberté, à un allégement des procédures - a déjà eu de redoutables effets psychologiques.
Vous le savez, dans leur immense majorité, ces chefs de petites et moyennes entreprises sont hostiles à votre texte mais, contraints et forcés, ils seront obligés de l'appliquer. Et l'on peut vous faire confiance, ceux qui ne le feront pas seront montrés du doigt et culpabilisés, comme ils le sont déjà.
Toutes ces femmes et tous ces hommes de terrain, qui ont le savoir-faire, l'expérience et le courage nécessaires pour réussir - c'est dur de créer une entreprise - ou pour se maintenir, même difficilement, ont dû travailler non pas 35 heures mais souvent plus de 60 heures par semaine en moyenne pour les artisans et les commerçants, 58 heures pour les agriculteurs, 53 heures pour les travailleurs indépendants et les professions libérales !
Quant aux chefs de PME et des PMI, c'est une présence de tous les instants qui les a contraints, malgré eux, à entraîner leurs cadres, qui savaient que la réussite de l'entreprise les obligeait à travailler plus de 39 heures, et ce dans l'illégalité totale. Aujourd'hui, on sait que les contrôles vont sévir. Mais, croyez-le bien, beaucoup d'entreprises seront incapables de payer de nouveaux cadres travaillant 35 heures payées 39 heures. Vos leçons, vos messages d'organisation, de productivité et d'adaptation, sachez qu'il y a longtemps qu'ils sont mis en pratique, et nos performances n'ont rien à envier à celles de nos voisins. Les grosses entreprises industrielles, quant à elles, accroissent tellement leur productivité qu'elles détruisent plus d'emplois qu'elles n'en créent. C'est le résultat que nous constatons aujourd'hui, mais j'affirme qu'un tel projet, élaboré sans consensus et sans dialogue véritable avec les experts, et surtout avec les entreprises, c'est-à-dire sans un grand débat national préparatoire avec tous les acteurs économiques, est voué à l'échec.
Pourtant, les conditions macro-économiques, grâce à l'action de vos prédécesseurs et grâce au contexte actuel, tant européen que mondial, n'ont jamais été aussi favorables. Ce coup de frein que vous allez donner n'arrêtera pas d'un coup la machine économique mais, dans les années qui viennent, la production commencera à stagner, puis baissera ; les richesses à redistribuer se feront plus rares et des emplois disparaîtront. Que voulez-vous, moins on travaille, moins on produit ! La France détiendra le record mondial de la faible durée du travail, avec ses 35 heures obligatoires par semaine.
Les gros investisseurs étrangers qui, pour des raisons commerciales et diplomatiques, ne disent rien pour l'instant, sauront demain, à coup sûr, préférer à la France d'autres pays européens pour s'installer.
M. Guy Allouche. Comme Toyota !
M. André Egu. En effet, il ne faut pas rêver : pour l'instant, ce n'est pas mal, mais cela ne va pas durer.
Quant aux jeunes Français parmi les plus dynamiques et les plus diplômés, ils iront vers des espaces de plus grande liberté où les charges fiscales et sociales sont moins lourdes. Le mouvement est déjà amorcé et, comme le disait un jeune qui a déjà quitté la France, « notre pays ne sera qu'une destination de voyage et de vacances ».
Quant aux délocalisations des usines de sous-traitance ou à forte main-d'oeuvre, je vous donne rendez-vous dans quelques années pour en faire le bilan, car nous savons que, dans nos régions, des contacts ont d'ores et déjà été pris pour les années qui viennent.
Dernièrement, lors d'un débat avec des artisans et des chefs de petites entreprises des autres pays de l'Union européenne, un responsable allemand nous a affirmé qu'il n'était pas question, dans la très grande majorité des entreprises, surtout des PME et des PMI, d'arriver avant très longtemps aux 35 heures, et qu'il y avait, par-ci par-là, de grandes entreprises qui, pour ne pas faire disparaître trop d'emplois, avaient été obligées d'appliquer cette méthode. Il a ajouté, ce qui nous a plu, avec beaucoup d'humour et d'ironie : « Quand vous aurez terminé votre révolution économique, technique et sociale, vous nous inviterez pour nous expliquer comment les PME et des PMI, les commerçants et les artisans ont réussi à faire de tels gains de productivité et d'organisation pour produire en 35 heures ce que nous sommes simplement capables de faire en 40 heures, voire en 45 heures. Dans votre système, il est aberrant de vouloir faire passer le salarié d'une grande entreprise et le boulanger sous la même toise. »
Alors, nous sommes en droit de nous poser la question : comment faire ?
Premièrement, ce n'est pas avec une augmentation de l'impôt sur leurs bénéfices que les sociétés pourront embaucher ; elles investiront peut-être, mais ce sera pour diminuer les effectifs et non pas pour créer des emplois. N'oublions pas que la finalité de l'entreprise est de créer non pas des emplois, mais des services et des produits pour les consommateurs. Ce sont les consommateurs qui commandent le meilleur produit au meilleur prix ; les emplois viennent après.
Deuxièmement, il faut, et le plus vite possible, baisser les charges sur les bas salaires pour faciliter les embauches et ne pas pénaliser le coût du travail. C'est la meilleure méthode pour aider les moins qualifiés à trouver du travail.
Troisièmement, il faut simplifier la vie de tous les responsables d'entreprises, petites ou grandes, qui croulent sous les contraintes, les règlements et les procédures. Il faut créer un véritable climat de confiance et de liberté, qui n'existe plus aujourd'hui.
Quatrièmement, dans votre projet de loi, madame le ministre, vous passez complètement la formation à la trappe, alors qu'elle devrait être intégrée dans votre stratégie et dans celle des entreprises. Il ne faut pas oublier que des centaines de milliers de jeunes détenteurs de diplômes, souvent de haut niveau, ne débouchant sur aucun emploi disponible, seront, pour les années à venir, une bombe à retardement. Ces jeunes ont besoin d'une autre culture tournée vers l'économie, les métiers et les qualifications techniques. Il convient de former ceux qui le veulent à être aptes à créer des entreprises, car, aujourd'hui seulement un jeune sur vingt désireux de créer une entreprise a les capacités de mener son projet à terme.
La France a un énorme déficit de créateurs d'entreprises, ce n'est pas votre projet de loi qui suscitera des vocations !
On oublie trop en France que, si la dignité de l'homme passe par l'éducation, les loisirs et la culture, elle passe aussi et surtout par le travail. Celui qui travaille plus que les autres a beaucoup plus de chances de réussir, et le reste lui sera donné par surcroît.
Une France qui travaille plus et mieux que les autres, c'est une France qui gagne !
Pour conclure, je vous livre les réflexions d'un spécialiste néerlandais relevées dans un grand journal français.
Premièrement, l'erreur de méthode pour imposer les 35 heures n'a d'égale que l'erreur de fond sur l'appréciation des vrais leviers de l'emploi.
Deuxièmement, il est de bon ton d'invoquer l'exemple des Pays-Bas, ce voisin du Nord qui s'attache depuis plus de dix ans au problème du chômage. La démarche suivie aux Pays-Bas s'oppose, en fait, radicalement à la méthode dirigiste adoptée en France par un Etat solitaire et donneur de leçons. L'approche néerlandaise est réellement tripartite. Le Gouvernement, les syndicats et les entreprises ont beaucoup travaillé et s'engagent ensemble sur la voie de la modération salariale et de la flexibilité de l'emploi. Ils font un effort considérable sur le temps partiel. L'Etat, chez nous, devrait donner l'exemple en la matière.
Troisièmement, toujours selon ce spécialiste, si nous transposions la méthode dans l'Hexagone en y ajoutant la créativité française, une éducation, des technologies de pointe et beaucoup de formations qualifiantes, le résultat serait autrement plus efficace que sous le diktat archaïque de votre projet de loi sur la réduction du temps de travail.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le diktat ?
M. André Egu. Pour terminer, je veux remercier le président de la commission des affaires sociales, notre rapporteur, ainsi que les membres de la commission d'enquête : les propositions du Sénat, faites de sagesse et de réalisme, ont notre faveur et nous les voterons sans restriction. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le problème du chômage est suffisamment grave pour devoir être abordé sans dogmatisme, sans certitudes et sans prétention.
C'est ce à quoi je vais m'essayer, ayant été, à titre professionnel ou par mes fonctions électives, au contact d'entreprises privées ou publiques, petites ou grandes, durant de nombreuses années.
Il est nécessaire, avant d'examiner le projet de loi, de rappeler quelques réalités.
La durée hebdomadaire effective du travail des salariés à temps complet a diminué de cinq heures entre 1945 et 1995, passant d'environ 44 heures à 39 heures, mais, dans le même temps, la durée annuelle effective du travail a diminué davantage, précisément de 22 %, en raison de l'allongement des congés payés et, dans une moindre mesure, de la progression du temps partiel.
L'ordonnance du 16 janvier 1982, qui diminue la durée hebdomadaire du travail par voie autoritaire, la faisant passer de 40 heures à 39 heures sans perte de salaire, n'a pas empêché, en période de récession, la progression rapide du chômage. Selon le Commissariat du Plan, cette réduction entraîna même une perte de compétitivité et de profitabilité des entreprises.
Nos voisins européens, qui se sont également essayés à la réduction du temps de travail en période de crise économique, se sont heurtés à des résultats semblables, que ce soit au Royaume-Uni ou en Allemagne, où le cas de Volkswagen, souvent monté en épingle, n'est pas plus probant. A cet égard, je rappelle qu'en 1993, dans cette entreprise, la durée hebdomadaire du travail a été réduite de 20 %, pour atteindre 28,8 heures. Les salaires annuels ont, parallèlement, diminué de 15 %, mais les effectifs sont, eux, passés de 118 000 en 1992 - avant la réduction du temps de travail - à 95 000 en 1996.
En revanche, aux Etats-Unis, où la durée du travail n'a pas diminué, le taux de chômage, après un pic de 9,5 % en 1983, a été ramené, en juin 1997, à 5 %. N'étant pas un admirateur béat du modèle américain, je relativiserai ce chiffre en rappelant que c'est la croissance très soutenue pendant six années consécutives qui a permis cette baisse du taux de chômage et la création de 12 millions d'emplois. On sait par ailleurs que les Américains stimulent la production de leurs entreprises par une très forte demande intérieure financée par le crédit, 19 % des revenus des ménages américains étant affectés au remboursement des dettes de consommation alors que, en France, les réflexes sont différents.
Cela étant, M. Florin Aftalion, professeur à l'ESSEC, remarque que, en mettant en rapport sur un graphique le taux de chômage et le nombre d'heures ouvrées par an et par personne ayant un emploi pour ce qui est pays les plus industrialisés, on observe qu'il existe une relation inverse entre temps de travail et chômage.
Les comparaisons internationales montrent en effet que ce sont les pays où la durée du travail est la plus élevée qui ont le taux de chômage le plus bas. Or la France est non seulement l'un des pays où la durée du travail est la plus courte sur l'année mais aussi l'un de ceux où l'entrée sur le marché du travail est la plus tardive, et la sortie la plus rapide, ce qui fait que la durée totale du travail dans une vie y est plus courte qu'ailleurs. Cela nous posera des problèmes pour le paiement des retraites. En moyenne, un salarié japonais travaillera 71 123 heures, un salarié anglais 56 918 heures et un salarié français 49 507 heures.
Parallèlement, la France a l'une des durées annuelles du travail les plus faibles parmi les grands pays industrialisés. Ainsi, en 1995, on y relevait 1 631 heures de travail, soit 321 heures de moins qu'aux Etats-Unis et 267 heures de moins qu'au Japon. Parmi les pays du G 7, seule l'Allemagne a une durée annuelle effective du travail inférieure à la nôtre.
C'est cette réalité que le texte que vous nous proposez, madame la ministre, va encore aggraver. Or le phénomène de la mondialisation étant un fait acquis, il est certain que la France ne pourra pas se singulariser longtemps. Nos cotisations sociales employeur-salarié sont déjà plus élevées qu'ailleurs et atteignent 19,3 % du produit intérieur brut, contre 15,4 % en Allemagne, 13 % en Italie et 6,2 % en Grande-Bretagne. De surcroît, comme chacun le sait, notre fiscalité est la plus élevée de tous les pays européens.
Les risques sont donc grands d'assister non seulement à la délocalisation de nos entreprises vers les pays où la main-d'oeuvre est bon marché, les coûts de production faibles et où l'on travaille plus, mais aussi à la fuite des cerveaux et des jeunes diplômés, largement commencée d'ailleurs, vers des pays où la fiscalité est restée raisonnable.
C'est dans ce contexte que le Gouvernement nous présente le présent projet de loi visant à la réduction de la durée légale du temps de travail à 35 heures, sans perte de salaire, applicable d'abord aux entreprises au-dessus d'un seuil de vingt salariés à date fixe au 1er janvier 2000, ensuite à toutes les entreprises dès le 1er janvier 2002, avec, en prime, une aide pour celles qui anticiperont et embaucheront avant ces dates.
Selon le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le scénario le plus crédible de l'application des 35 heures verrait la création de 200 000 à 250 000 emplois.
Selon la même source, l'effet des 35 heures sur les finances publiques serait globalement nul, parce que, en dehors du « démarrage » nécessitant les 3 milliards de francs prévus au budget de 1998, le rendement en termes d'impôts - impôt sur le revenu et TVA - et les cotisations sociales générées par les nouveaux emplois créés compenseraient le coût des aides, surtout s'il y a gain de productivité et diminution de l'assurance chômage.
En outre, l'aide apportée aux entreprises pour l'embauche de nouveaux salariés en application de l'article 3 du présent projet de loi a un caractère forfaitaire qui favorise particulièrement les entreprises de main-d'oeuvre et les bas salaires, puisqu'un montant moyen d'aide annuelle de 7 000 francs sur cinq ans et par salarié correspond à 3,3 % du coût du travail pour un salaire de 12 000 francs brut mais à plus de 5,7 % pour un salaire mensuel de 7 000 francs.
Il s'agit, madame la ministre, d'un montage apparemment logique. Comme la réduction de la durée légale concernera à terme un champ potentiel de plus de 13 millions de salariés, dont environ 9 millions dans les entreprises de plus de vingt salariés, c'est un très gros pari que vous tentez là. Vous pensez, en effet, que la réduction du temps de travail s'accompagnera d'une réorganisation du travail et de la production. Vous affirmez, fort justement d'ailleurs, qu'une réorganisation de la production visant à maintenir ou à accroître la durée d'utilisation des équipements industriels ou la durée d'ouverture des services est un facteur important pour la réussite économique de la réduction du temps de travail avec gains de productivité de 3 % à 5 %, nonobstant une durée du travail réduite de 10 p. 100.
Telles sont les analyses faites par le Gouvernement, sans doute aidé par des économistes éminents mais dogmatiques, et très éloignés des réalités, que j'ai connues, des petites et moyennes entreprises et des petites et moyennes industries, des entrepreneurs, des artisans, des agriculteurs confrontés aux fins de mois difficiles, à la recherche des marchés, aux agios, à une politique bancaire qui, après avoir fait des folies dans l'immobilier, ne prend plus aucun risque. Les analyses du Gouvernement sont très éloignées des entrepreneurs plus ou moins capables, des salariés plus ou moins motivés, avec les impayés temporaires ou définitifs, les clients de mauvaise foi, les redressements judiciaires qui n'en finissent plus et se multiplient. Or, vous le savez, ce sont dans ces petites et moyennes entreprises que résident les gisements d'emplois. Votre réforme risque de les décourager alors qu'elles sont déjà confrontées, dans certaines régions frontalières, à la concurrence européenne.
Je citerai une anecdote. Je suis maire d'une commune frontalière, située à quelques kilomètres de la province italienne de Cuneo, dans le Piémont, où le taux de chômage est inférieur à 4 p. 100.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Grâce aux PME !
M. José Balarello. Je me suis demandé pour quelle raison le taux de chômage y est à un niveau si faible. Le président du conseil provincial m'a indiqué qu'il existait un très grand nombre de PME et de PMI, un tissu d'entreprises familiales, dans lesquelles les personnes concernées ne font pas 39 ou 40 heures, mais beaucoup plus. A l'heure actuelle, elles viennent même concurrencer les artisans du département des Alpes-Maritimes, notamment ceux de ma commune. Ces personnes sont disponibles le samedi, le dimanche et les jours de fête, notamment lorsqu'une machine est en panne.
Les chiffrages évoqués par vos services en matière de créations d'emplois relèvent de simulations macroéconomiques, assorties d'hypothèses, de conditions et de réserves multiples qui se heurtent aux observations sur le terrain. D'ailleurs, les auditions qui ont été consignées dans le rapport Gournac-Arthuis de la commission d'enquête sénatoriale sont édifiantes s'agissant de ce que pensent les partenaires sociaux, notamment les agriculteurs. Selon que les conditions seront ou non réunies - vous l'avez dit - les résultats peuvent être inversés.
Peu d'entreprises sont aujourd'hui en situation de pouvoir continuer à réaliser des gains de production tout en réduisant la durée du temps de travail de leurs salariés. Par ailleurs, celles qui ont des marges de développement n'ont guère intérêt à consommer toutes leurs réserves de productivité pour financer une réduction de la durée du temps de travail.
Comme l'a indiqué M. le président Fourcade à cette tribune, la réduction du temps de travail sans perte de salaire entraîne une augmentation du coût salarial du SMIC de 11,4 %, qui sera en partie compensée par les aides publiques mais seulement s'il y a création d'emplois.
Or, notre économie étant ouverte, une telle augmentation des coûts salariaux ne peut que nuire à la compétitivité de nos entreprises sur le marché international, de surcroît dans un contexte de baisse générale des prix de vente du secteur industriel, alors même que un français sur quatre travaille pour l'exportation.
Je terminerai en attirant votre attention, madame la ministre, sur le fait qu'aux termes de ce projet de loi de vastes zones d'ombre demeurent sur des points cruciaux. Certes, vous nous avez indiqué que ces points seraient réglés par une seconde loi en 1999.
La disposition la plus préoccupante concerne le régime des heures supplémentaires.
Abaisser la durée légale du travail à 35 heures, cela signifie que c'est à partir de ce seuil que se calcule les heures supplémentaires. Les entreprises qui, pour maintenir leur production en période de surchauffe, continueront à faire travailler leurs salariés 39 heures compléteront la rémunération de base calculée sur 35 heures par quatre heures supplémentaires majorées à 25 %. A production inchangée et sans gains de productivité, les coûts salariaux augmenteront de 2,6 % alors que les entreprises n'auront pas suffisamment de travail en année pleine pour embaucher.
Par ailleurs, le texte ne fait aucune référence à l'annualisation, qui serait pourtant la solution la plus adaptée à de nombreuses professions, en permettant d'adapter les besoins de production et de services sur l'année en fonction d'une demande souvent fluctuante ou saisonnière.
Par ailleurs, vous ne parlez pas de l'apprentissage et de la formation professionnelle, alors que votre système, madame la ministre, ne pourra fonctionner que grâce à des personnes très bien formées, les autres faisant les frais du système.
Enfin, pourquoi ne pas poursuivre dans le système consensuel de la loi Robien du 11 juin 1996 ? En effet, vous l'avez dit, elle a abouti à 2 000 accords d'entreprise. Elle permettait aux entreprises le pouvant, et à elles seules, de diminuer la durée du travail. Elle ne l'imposait pas aux autres, malheureusement les plus nombreuses parmi les PME, notamment dans le secteur du bâtiment, qui pouvaient rester en dehors du système.
De véritables perspectives pour le développement des négociations sur l'aménagement et la réduction du temps de travail étaient ouvertes, et votre Gouvernement n'avait qu'à « reprofiler » le texte de la loi de 1996, comme l'a indiqué le rapporteur de la commission des affaires sociales, M. Souvet. Or, vous avez privilégié un dispositif autoritaire contestable, fondé sur des données on ne peut plus fragiles. Enfin, qu'en est-il du travail à temps partiel ? Ce genre de travail ne concerne que 16,6 % des emplois en France, alors qu'il représente 20 % à 25 % de l'emploi de certains pays d'Europe - Pays-Bas, Danemark, Suisse, Norvège et Royaume-Uni - et touche aux Pays-Bas 67 % des femmes et en Suède 44 %.
Il est, à l'évidence, une voie nouvelle à la création d'emplois. Il répond à un besoin de flexibilité des entreprises, tout en permettant aux salariés de disposer de temps selon leurs desiderata et leurs impératifs financiers, et aux mères de famille de s'occuper de leurs enfants.
Pourtant, l'article 6 du présent projet de loi, qui modifie l'article L. 322-12 du code du travail, pénalise cette solution en disposant que l'exonération des charges sociales de 30 % ne serait plus accordée que pour des contrats conclus pour un horaire hebdomadaire compris entre 18 et 32 heures.
Que comptez-vous faire sur ces différents sujets ?
Nous aurions souhaité également que le Gouvernement examine l'hypothèse de la semaine de quatre jours préconnisée par M. Larrouturou dans son livre 35 heures : le double piège.
Une enquête CSA- La Vie des 3 et 5 mai 1997 relève, en effet, que 67 % des Français seraient prêts à travailler un jour de moins par semaine en acceptant une baisse de salaire de 5 %.
Les solutions ne manquent donc pas à l'aménagement du temps de travail et les Français sont, dans leur grande majorité, prêts à accepter des réductions de temps de travail et de salaire si la conséquence est la création d'emplois. Il faut néanmoins considérer que toutes les entreprises françaises ne sont pas en mesure d'affecter une partie de leurs gains à la création d'emplois. Aussi, un projet de loi autoritaire, élaboré sans véritable concertation avec les partenaires sociaux, comme celui qui nous est proposé, risque de compromettre l'existence de nombreuses petites et moyennes entreprises dont la santé économique est précaire et la rentabilité marginale. C'est la raison pour laquelle je suivrai les propositions de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Weber. (Applaudissements sur les travées socialistes.) M. Henri Weber. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai écouté attentivement les orateurs de la majorité sénatoriale qui se sont exprimés jusqu'à présent. J'ai retrouvé sans peine dans leurs propos les trois types d'arguments que les conservateurs opposent invariablement depuis deux siècles aux grandes réformes sociales défendues par la gauche.
M. William Chervy. Eh oui !
M. Henri Weber. Le premier de ces arguments, c'est celui de l'effet pervers. Il a été défendu, entre autres orateurs, par le rapporteur, M. Louis Souvet, et par M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, avec un talent digne d'une meilleure cause. (Sourires sur les travées socialistes.) Le projet de loi que vous nous présentez, madame la ministre, produirait, selon ces excellents collègues et quelques autres, un effet exactement contraire à celui que vous recherchez : loin de créer des emplois, il en détruirait en grand nombre et accroîtrait le chômage, car il augmente le coût du travail, de 11,4 %, et sa rigidité ; cela suffirait pour mettre les entreprises en difficulté.
Le deuxième de ces arguments classiques, c'est celui de l'inanité ou de la vanité de la réforme. Il est sensiblement différent du précédent. Il a été développé tout à l'heure, notamment par MM. Hubert Durand-Chastel et Alain Gournac.
La loi sur les 35 heures est vaine et inutile, ont-ils soutenu. Elle ne créera aucun emploi, car les chefs d'entreprise s'arrangeront pour produire autant, voire davantage, avec les mêmes effectifs. On aurait pu obtenir un résultat bien meilleur et à moindres frais en laissant faire le cours spontané des choses.
Le troisième argument, c'est celui de la mise en péril de certains acquis. L'aménagement et la réduction du temps de travail constituent sans doute une arme efficace contre le chômage, ont reconnu MM. Gérard Larcher et Daniel Hoeffel. Mais il aurait fallu procéder par la négociation, et non par la contrainte. En recourant à la loi, le Gouvernement ruine l'efficacité de la mesure et met en péril d'autres acquis précieux : la croissance retrouvée, par exemple, l'augmentation des salaires, désormais possible, et la négociation collective entre partenaires sociaux.
Ces trois types d'arguments sont, je le répète, d'un grand classicisme. Le grand Albert Hirschman a montré qu'ils ont été successivement invoqués à chaque étape de notre développement démocratique : au XVIIIe siècle contre l'affirmation des droits civils et des libertés individuelles, au XIXe siècle contre l'extension des droits politiques et le suffrage universel, au XXe siècle contre la reconnaissance des droits sociaux et économiques et l'avènement de l'Etat-providence. Ces trois types d'arguments ne sont pas plus pertinents aujourd'hui, contre la réduction du temps de travail, qu'autrefois.
Madame la ministre, le projet de loi que vous nous proposez n'est pas ce lourd boulet que certains orateurs ont décrit. Le chiffre de 11,4 % d'augmentation du coût du travail qu'ils ont avancé est fantaisiste. Il ne tient pas compte des progrès de la productivité du travail, 2 % par an en moyenne, et beaucoup plus dans l'industrie.
Monsieur le rapporteur, si mon information est exacte, vous avez exercé des fonctions chez Peugeot. Or, dans cette entreprise - j'en parlais avec M. Saint-Geours voilà peu, l'augmentation de la productivité s'élevera, cette année, à 12 %, non pas à 2 % ou à 5 %.
M. Louis Souvet, rapporteur. Monsieur Weber, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Henri Weber. Volontiers, monsieur le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Louis Souvet, rapporteur. On ne parle bien que de ce que l'on connaît bien, monsieur Weber. Une telle augmentation résulte d'une remise en cause complète des fabrications, pour obtenir une diminution de 25 % du prix de fabrication. Cette remise en cause part du fait que dans une même usine on fabriquait des véhicules Citroën, des véhicules Peugeot, et peut-être d'autres encore.
Cela n'est pas tout à fait aussi simple que ce que vous dites, même si vous avez des contacts avec M. Saint-Geours.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Weber.
M. Henri Weber. J'affirme, monsieur le rapporteur, que le chiffre avancé d'une augmentation de 11,4 % du coût du travail n'est pas raisonnable. D'abord, il fait abstraction de l'augmentation de la productivité du travail, qui atteint 2 % en moyenne, et beaucoup plus dans l'industrie, notamment dans l'industrie automobile. Ensuite, il fait abstraction des aides financières accordées aux entreprises qui appliqueront les 35 heures hebdomadaires avant l'échéance, aides dont on a beaucoup parlé ici et qui s'étagent de 9 000 à 15 000 francs et davantage par salarié, selon les cas. Enfin, il fait abstraction de la modération salariale, qui est effective depuis nombre d'années dans notre pays et qui explique d'ailleurs que les entreprises aient reconstitué leurs marges bénéficiaires. Celles-ci sont supérieures à ce qu'elles étaient avant la crise, c'est-à-dire avant 1973, en raison précisément, dans une large mesure, de cette modération salariale qui est appelée à perdurer si le passage à la semaine de 35 heures s'accompagne d'une amélioration des conditions de travail et de la création de nouveaux emplois.
Votre texte, madame la ministre, n'est pas non plus ce carcan qui imposerait à tous et tout de suite une même norme édictée d'en haut. Il ouvre une période de négociations qui durera deux ans pour les entreprises de plus de vingt salariés et quatre ans pour les autres. Au cours de cette période, les modalités de la réduction et de l'aménagement du temps de travail seront définies par les partenaires sociaux. Ces modalités pourront prendre des formes variées selon les secteurs, les métiers et les niveaux de qualification : semaine de 35 heures, a-t-on dit, semaine de quatre jours, journées de repos supplémentaires, année sabatique, compte épargne temps, ... Il s'agit de surcroît - cela a été souligné à plusieurs reprises - d'une réduction de la durée légale du temps de travail, qui admet, comme aujourd'hui, le recours à un volant d'heures supplémentaires.
Si votre projet de loi dresse, heureusement, de nombreux garde-fous contre le retour du travail taillable et corvéable à merci, il n'est pas hostile à des aménagements négociés des horaires et de l'organisation du travail, comme les contrats passés dans le cadre de la loi Robien en donnent de nombreux exemples.
Ce texte ne compromet pas la compétitivité retrouvée de nos entreprises. Certains orateurs ont affirmé que le coût du travail dans notre pays est exorbitant et la législation sociale dissuasive. Ces allégations ne sont pas exactes : le coût du travail, en France, se situe dans la moyenne des pays de l'OCDE. Il est nettement plus élevé en Allemagne, en Belgique et dans les pays scandinaves ; il est à peu près équivalent en Grande-Bretagne et en Espagne, mais ce ne sont pas des idéaux sociaux que nous visons.
Mais si le coût moyen du travail se situe, en France, dans la norme des pays comparables, le coût du travail non qualifié, c'est vrai, est trop élevé. C'est pourquoi je me félicite, avec le groupe socialiste, de ce que l'aide accordée par votre projet de loi, madame la ministre, privilégie à juste titre les entreprises de main-d'oeuvre employant principalement des salariés peu qualifiés et puisse aussi se lire comme un allégement des charges sur le travail non salarié mais avec, pour contrepartie, 10 % de réduction de la durée du travail et 6 % au moins de créations d'emplois.
Mes chers collègues, notre coût du travail et notre haut niveau de protection sociale ne nuisent pas à notre économie. Notre balance commerciale est excédentaire depuis des années et a atteint, en 1997, un record de 174 milliards de francs. Notre pays se situe au troisième rang dans le monde pour l'accueil des investissements étrangers, derrière les Etats-Unis et dans la roue de la Grande-Bretagne. Vous avez encore pu prendre connaissance tout récemment, mes chers collègues, des chiffres de créations d'emplois - 24 000 - et des investissements pour l'année en cours.
L'épargne internationale, les investisseurs étrangers plébiscitent notre économie au moment même où certains parlementaires et certains patrons français la dénigrent, ce qui n'empêche d'ailleurs pas ces derniers d'investir, puisque l'investissement industriel devrait, selon l'INSEE, augmenter de 10 % en 1998 contre 1 % en 1997, avant la loi sur les 35 heures.
M. Louis Souvet, rapporteur. Merci patron !
M. Henri Weber. Je le rappelle à mes collègues séduits par la thèse de l'effet pervers : le coût du travail et la législation sociale ne sont qu'un élément, parmi beaucoup d'autres, de la compétitivité des entreprises et de la décision d'investir. Entrent également en ligne de compte le niveau de la demande, la qualité de la main-d'oeuvre, celle des infrastructures, des moyens de communication, du cadre de vie, le niveau de la recherche... Or, sur tous ces éléments, nous atteignons à l'excellence. C'est pourquoi, massivement, l'épargne et l'investissement étrangers viennent se fixer dans notre pays.
Madame la ministre, certains vous ont reproché de vouloir partager le travail au lieu de le démultiplier. C'est un faux procès. Le partage du travail existe déjà dans notre pays, mais il est subi et non maîtrisé. Il se fait - vous le savez bien - au détriment des moins de 25 ans et des plus de 55 ans. C'est un partage du travail qui est de type générationnel. Au Japon, que M. Plasait a cité en exemple, le partage du travail se fait aussi, mais, cette fois, au détriment des femmes.
Vous nous proposez, madame la ministre, un partage du travail moins injuste, moins absurde, voulu et non subi, conscient et organisé, nullement contradictoire avec le développement de l'activité globale, bien au contraire.
Certains ont évoqué Alfred Sauvy et le Front populaire. Mais précisément, comment ne pas voir que vous avez lu Sauvy et médité l'expérience de 1936, au demeurant glorieuse, comme l'a rappelé Pierre Mauroy, et qui reste fortement gravée dans l'imaginaire populaire de ce pays ?
Le coût horaire du travail, en juin 1936, a été augmenté de 50 % : 20 % d'augmentation des salaires à la suite des accords de Matignon, 20 % d'augmentation au titre du passage de la semaine de 48 heures à 40 heures - il s'agissait alors non pas d'une réduction de la durée légale du travail mais de la durée effective, avec interdiction de pratiquer plus d'une heure supplémentaire par jour, sauf dérogation pour les travaux urgents et exceptionnels - 5 % d'augmentation pour les congés payés et le reste en cotisations sociales.
Comment peut-on sérieusement comparer ce traitement de choc avec le dispositif prudent, subtil et informé que nous propose aujourd'hui le Gouvernement ? Une telle comparaison renvoie soit à l'ignorance, soit à la mauvaise foi. Il n'y a en effet aucune commune mesure entre les propositions actuelles et les mesures qui ont été prises en juin 1936, dont nous avons en effet médité toutes les leçons pour tendre au même objectif sans faire un certain nombre d'erreurs économiques commises à cette époque.
M. Guy Allouche. Très bien !
M. Henri Weber. Plusieurs orateurs en ont appelé au pragmatisme, madame la ministre, et vous ont mise en garde contre tout a priori doctrinal ou idéologique. Mais comment ne pas voir que leur analyse des causes du chômage français est elle-même éminemment idéologique et fort peu pragmatique ?
A écouter la plupart des orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, la raison principale du chômage structurel en France résiderait dans le niveau trop élevé du coût du travail et des contraintes pesant sur les entreprises. Qui ne reconnait là le vieux postulat libéral ? L'un des orateurs a eu au moins l'honnêteté de citer Jean-Baptiste Say. C'est la vieille idéologie libérale, dans ce qu'elle a de plus simpliste, qui est exposée là !
Mais, mes chers collègues, pourquoi ne pas invoquer aussi et surtout la politique macroéconomique calamiteuse appliquée au cours des sept dernières années, politique qui a étouffé notre croissance par des taux d'intérêt dissuasifs et des taux de change surévaluant le franc pour le maintenir à l'étalon mark ? Ce contresens absolu a eu pour conséquence le taux de croissance anormalement bas - 1,5 % - de notre économie pendant sept ans. Nous avons en effet accumulé un retard considérable de ce point de vue. Il s'agit là d'une cause majeure du chômage, qui n'a donc pas à être recherchée, contrairement à ce que prétendent, dans leur sempiternel refrain, les libéraux en manque d'imagination, dans les charges sociales et les contraintes.
La thèse de l'inanité, que j'évoquais tout à l'heure, ne résiste pas davantage à l'analyse. Les expériences étrangères et toutes les études disponibles indiquent que la réduction sensible de la durée du travail, dans un contexte de reprise économique, lorsque les carnets de commandes sont pleins et que l'Etat accorde des incitations financières substantielles, est créatrice d'emplois. Elle peut même l'être fortement si les négociations entre partenaires sociaux ont lieu dans un esprit gagnant-gagnant.
En Allemagne, la réduction du temps de travail dans la métallurgie, l'imprimerie et le bois entre 1985 et 1995 a permis de sauver 700 000 emplois, selon le Bureau fédéral du travail, qui est l'équivalent de notre ANPE. Les pays d'Europe du Nord - ils ont été cités abondamment et fort imprudemment - qui ont réussi à diminuer sensiblement leur chômage sans plonger dans le même temps, comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, un tiers de leur population dans la grande pauvreté sont parvenus, eux aussi, à réduire le temps de travail : par l'institution des congés parentaux et des congés de formation au Danemark, par l'essor du temps partiel choisi aux Pays-Bas. En France même, l'expérience des accords Robien, si âprement combattus par le CNPF et par une partie de la droite parlementaire ici même (Vives protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants)...
M. Charles Descours. Vous n'avez pas voté la loi Robien ! C'est nous qui l'avons votée !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Vous ne l'avez pas votée, monsieur Weber ! C'est le geai paré des plumes du paon ! M. Henri Weber. Demandez à M. de Robien ce qu'il en pense !
M. Charles Descours. Vous n'avez pas voté la loi Robien, monsieur Weber !
M. Henri Weber. Je vous renvoie à l'intervention de M. de Robien à l'Assemblée nationale, intervention au cours de laquelle il a rappelé à ses collègues de la droite parlementaire les résistances qu'il a dû affronter.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Ne vous flattez pas de ce que vous avez rejeté !
M. Henri Weber. A ce jour, 30 000 emplois ont été sauvés ou créés par la signature de 1 500 accords concernant 300 000 salariés.
Reste l'argument de la mise en péril. Le recours à la loi, nous a-t-il dit, détériorera le climat social et ruinera durablement l'avenir des négociations collectives dans notre pays.
Le Gouvernement aurait certainement préféré aboutir à la réduction du temps de travail par la négociation plutôt que par la loi. Mais la France n'est pas le Danemark ou l'Allemagne. Au Danemark, par exemple, 80 % des salariés et des patrons sont respectivement regroupés dans un syndicat unique. Les acteurs économiques et sociaux sont organisés au sein d'institutions puissantes, disciplinées et obéies. En conséquence, les relations sociales y régnant sont qualitativement différentes de celles qui existent dans notre pays.
Les relations sociales sont telles, en France, que les partenaires sociaux - vous le savez bien et nous le déplorons autant que vous - ne négocient vraiment que sous la contrainte d'une crise majeure : 1936, 1945, 1968... « En France », disait le général de Gaulle, « il faut une révolution pour faire des réformes ». Je l'évoquais à l'instant, le dispositif Robien, pourtant fort avantageux pour les entreprises, n'a abouti, en novembre 1997, qu'à 1 500 conventions concernant 300 000 salariés seulement.
Le bilan de l'accord national interprofessionnel de 1995 est encore plus décevant : on relève une trentaine d'accords, aux effets très limités, sur quatre cents branches concernées.
C'est en raison de cette anomie des rapports sociaux, de cette carence de la négociation contractuelle que le Gouvernement s'est résolu à recourir à la voie législative en deux temps : d'abord une loi d'incitation puis une loi dite « balai ».
Comme vous nous l'avez rappelé, madame la ministre, il s'agit de donner une impulsion à des négociations actuellement au point mort. Si l'on n'était pas passé par la loi, il y a malheureusement fort à parier qu'il ne se serait rien produit du tout.
Telle est la réalité sociale de notre pays, que nous sommes les premiers à déplorer. Mais il existe des causes historiques à cette situation, et ce n'est pas en quelques années que nous y remédierons.
Loin d'ouvrir les vannes à une flexibilité sans entraves à l'anglo-saxonne, votre projet de loi, madame la ministre, prend soin de prémunir les salariés contre la surexploitation et l'arbitraire.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. C'est Zola !
M. Henri Weber. La durée minimale de travail est relevée de 16 heures à 18 heures, afin de lutter contre les contrats à temps partiel trop courts et plus souvent subis que choisis.
Des mesures contre les journées « hachées » sont également prévues : l'article 7 limite les coupures à une par jour, d'une durée maximale de deux heures.
Le seuil de déclenchement du repos compensateur est abaissé de 42 heures à 41 heures. Le fait que ce repos doive être pris dans les deux mois, l'instauration d'un repos quotidien d'au moins onze heures consécutives ou l'obligation de requalifier un contrat à temps partiel lorque l'horaire effectif sera supérieur à l'horaire prévu pendant douze semaines sont autant de garanties apportées aux salariés contre tout risque de remise en cause en profondeur des acquis sociaux.
Notre collègue Marie-Madeleine Dieulangard a indiqué à juste titre que au-delà de la lutte pour l'emploi et contre le chômage, il y a, dans cette bataille pour la réduction du temps de travail, un enjeu de civilisation.
Notre démocratie se développe depuis deux siècles par étapes : tout d'abord, au xviiie siècle, une étape d'affirmation des droits civils et des libertés individuelles ; puis, au xixe siècle, une étape de lutte pour les droits politiques, symbolisée par la bataille pour le suffrage universel ; ensuite, au xxe siècle, le développement et l'affirmation des droits économiques et sociaux, symbolisés par l'instauration, en 1945-1950, de l'Etat providence.
Le développement de notre démocratie connaît maintenant une quatrième étape : la bataille pour la réduction du temps de travail, la bataille pour la civilisation du temps libéré et du temps choisi, car une véritable démocratie ne peut fonctionner efficacement que si les citoyens ont le temps de prendre en charge leurs affaires. C'est en effet dans la logique de notre démocratie que s'inscrit l'objectif d'une société dans laquelle le temps de labeur, le temps de travail contraint, le temps de travail routinier sera plus court, pour chacun, que le temps libre.
Madame la ministre, votre loi est à la fois volontariste et réaliste. Elle a tiré les leçons du passé - du Front populaire de 1936, du passage aux 39 heures en 1982... - ainsi que des expériences étrangères. Elle peut, avec les autres mesures édictées par le gouvernement de Lionel Jospin, créer des emplois, et même beaucoup d'emplois. Cela dépendra de la volonté et de la capacité des salariés de s'en saisir et d'en faire leur affaire. Cela dépendra aussi de l'intelligence des chefs d'entreprise - dont, moi, je ne doute pas - qui peuvent également y trouver leur compte, pour accroître la productivité et la réactivité de leur établissement tout en améliorant son climat social.
C'est un véritable nouveau Contrat social que vous proposez au pays, et dont les termes sont la réduction et l'aménagement du temps de travail, le maintien du pouvoir d'achat, la création d'emplois dans les entreprises, pour renouer durablement avec le cercle vertueux de la croissance. Ce nouveau contrat, nous l'approuvons pleinement, et c'est pourquoi nous voterons contre le texte de circonstance que veut lui substituer la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Monsieur Weber, avez-vous lu le rapport de la commission des affaires sociales ? Permettez-moi de vous le remettre : vous y trouverez des chiffres incontestables et plus récents que ceux que vous avez évoqués. (M. le président de la commission remet à l'orateur, qui regagne sa place, le rapport de M. Souvet, fait au nom de la commission des affaires sociales.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je viens d'entendre avec intérêt l'intervention passionnée de notre collègue Henri Weber. J'aimerais partager son enthousiasme ! J'aimerais pouvoir dire que le moment est effectivement venu, compte tenu de l'état de notre économie, de l'environnement dans lequel nous travaillons et de ce qu'est la richesse nationale, d'envisager des mesures du style de celles qui nous sont proposées. Or, madame le ministre, je crains que nous ne soyons en réalité devant une illusion. Cette illusion est belle, certes, mais c'est néanmoins une illusion.
Très honnêtement, je ne crois pas que, malgré tous les appels qui sont lancés ici ou là aux entreprises pour que, dans la mesure où la loi serait moins contraignante qu'il n'y paraît, elles entreprennent, au moment même où elles ont à relever des défis de concurrence internationale majeurs, de négocier, de négocier tous azimuts, de négocier plus ou moins sous la pression et face à des syndicats mobilisés sur cette affaire, je ne crois pas, dis-je, que tel soit leur premier souci : elles n'en ont ni le temps ni les moyens.
Je crains beaucoup que le texte qui nous est soumis ne créé un certain nombre de rigidités supplémentaires dans notre droit du travail actuel. Or celui-ci comporte déjà, par rapport à celui d'autres pays, énormément de rigidités que ces derniers ignorent. N'est-ce pas, d'ailleurs, l'une des raisons pour lesquelles nos jeunes trouvent plus facilement du travail à Londres qu'à Paris et que nos cerveaux sont en train de quitter notre pays ? Je ne parle même pas du système astucieux qui consiste à mettre à la porte un chercheur international âgé de soixante-cinq ans pour constater ensuite avec effarement que les Américains lui ont offert un laboratoire énorme pour lui tout seul, tout simplement parce qu'il a, lui, encore beaucoup de choses à faire alors que des raisons doctinales nous ont conduits à le pousser dehors !
Outre les rigidités évidentes qui figurent dans la loi, je crains aussi que, certaines autres rigidités moins claires ne commencent à se mettre en place subrepticement, en particulier celles qui ont provoqué les drames de 1936 et, probablement, une partie des difficultés de 1982. Je veux parler de ce qui se profile dans la seconde loi et qui va découler de la limitation des heures supplémentaires.
Madame le ministre, je suis tous les jours sur le terrain face à des petits artisans, à des petits industriels, à des commerçants, à des gens qui cherchent, quelquefois désespérément, des travailleurs qualifiés pour occuper certains postes. Qu'on leur dise que la trente-sixième, la trente-septième, la trente-huitième et la trente-neuvième heures coûteront 25 % de plus dans quelques années, c'est un inconvénient, mais il n'est peut-être pas énorme. Mais qu'on leur dise qu'ils ne pourront plus recourir à un certain nombre d'heures supplémentaires, celles qui correspondent aux heures qui sont déjà effectivement travaillées, ne peut que les conduire à l'évidence, eux qui n'ont déjà pas suffisamment des spécialistes et qui sont donc freinés dans leur processus d'exploitation, soit à une baisse vertigineuse de leur production - puisqu'ils ne pourront trouver personne pour accomplir la tâche que l'on empêchera le spécialiste de faire - soit à des blocages définitifs et à des pertes de marché.
Croyez-vous franchement que les années qui nous séparent de l'an 2000 soient utilement consacrées à ajouter des difficultés à la gestion de nos entreprises ? Pour ma part, je n'en suis pas du tout persuadé. Je crois que nous ferions beaucoup mieux de les libérer, sur le plan des charges peut-être et assurément en tout cas sur le plan des contraintes, pour leur permettre de s'adapter.
On nous dit que la loi à venir permettra, en réalité, d'assouplir la gestion des périodes de travail : on annualisera sans le dire. Fort bien ! Je constate cependant que cela ne peut passer, ici ou là, que par une modération salariale et par quelques compensations.
On a cité l'exemple d'une société implantée à Amiens, qui a reçu la visite de notre commission d'enquête. La réduction du temps de travail y a été mise en place, avec des modulations horaires tout au long de l'année. Mais cette réduction du temps de travail ne peut fonctionner pour les personnels, que dans la mesure où le service des ressources humaines se transforme en office de placement pendant les périodes où l'entreprise est moins active et où l'on répartit les employés dans d'autres entreprises pour qu'ils puissent trouver des revenus complémentaires !
Dois-je comprendre que, pour réussir les 35 heures, l'entreprise qui va les mettre en place va « manger » le travail des autres dans les autres entreprises ? Où seront les créations d'emplois nets avec ce système ? Je crains que ce ne soit pas la voie de l'avenir !
C'est une des raisons pour lesquelles je pense qu'autant on peut élaborer des lois incitatives, autant on peut mettre en place quelques dispositifs financiers pour amorcer un certain nombre de phénomènes nouveau dans notre économie - et probablement doivent-ils aller vers une réduction du temps de travail choisie, supportée et à laquelle les entreprises peuvent s'adapter - autant je ne crois pas, pour ma part, aux règles normatives dans un domaine aussi délicat.
L'économie, c'est d'abord la vie ; la vie, c'est d'abord l'activité, et non la rigidité. Aussi, je crois que la commission des affaires sociales a été bien inspirée en supprimant les dispositions trop rigides qui nous étaient proposées.
Quoi qu'il en soit, j'espère que, si des négociations doivent s'engager ici ou là, elles seront aussi fructueuses que possible et qu'elles ne seront pas généralisées d'autorité à des entreprises qui ne pourront pas ou qui n'auraient pas pu se mettre en conformité avec des objectifs auxquels vous rêvez et que je crois plus nocifs que constructifs. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, j'évoquerai ce projet de loi en qualité de rapporteur de la loi de financement de la sécurité sociale, approuvant par ailleurs de ce que beaucoup de mes collègues ont dit sur l'ensemble du présent texte.
Madame le ministre, le « trou de la sécu » est quasiment devenu, vous le savez, un thème pour les chansonniers. Depuis vingt ans, nos concitoyens se sont habitués à son existence, comme s'il s'agissait d'une sorte de fatalité. Or s'élever contre cette dégradation permanente, c'est préserver notre système de protection sociale, auquel nos concitoyens sont légitimement attachés.
Les gouvernements précédents s'étaient courageusement attelés à ce problème.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. En effet !...
M. Charles Descours. Le gouvernement de M. Juppé, entre autres, a, par ordonnances, redonné une structure au fonctionnement de la sécurité sociale, et vous n'y avez d'ailleurs que peu touché ou pas du tout touché.
Le gouvernement de M. Balladur, quant à lui, a modifié le régime des retraites pour les travailleurs du secteur privé et a fait voter, le 29 juillet 1994, une loi courageuse obligeant l'Etat à prendre ses responsabilités, en prévoyant que toute mesure d'allégement des charges serait compensée par l'Etat. M. le rapporteur et M. le président de la commission y ont fait allusion.
La portée financière de cette loi est majeure, l'Etat remboursant ainsi désormais à la sécurité sociale près de 50 milliards de francs chaque année.
Jusqu'à présent, cette loi a été respectée.
Mais, dans le présent projet de loi, madame le ministre, on ne trouve nulle référence à cet engagement de l'Etat. Pis, dans l'exposé de motifs de ce texte, nous apprenons même que les aides accordées par l'Etat aux entreprises pour les encourager à anticiper d'un an ou deux la réduction du temps de travail seront, en réalité, financées par la sécurité sociale. En effet, ces aides prendront la forme d'allégements de charges sociales qui ne seront que « partiellement compensés par l'Etat ». A quelle hauteur ? Bien entendu, ni les partenaires sociaux ni les parlementaires ne le savent, alors que nous allons être appelés à nous prononcer définitivement dans quelques jours sur ce projet de loi relatif aux 35 heures.
Le Gouvernement nous affirme que les modalités de compensation seront étudiées dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, soit dans un an. Or le coût pour la sécurité sociale peut être très élevé, dans la mesure où l'aide accordée aux entreprises sera attribuée pendant cinq ans pour chaque salarié bénéficiant des 35 heures. L'allégement de cotisations pourrait ainsi atteindre 14 000 francs par personne et par an, soit au total 70 000 francs par salarié.
C'est sans doute pourquoi le parlementaire d'opposition que je suis, madame le ministre, a été rejoint dans son analyse par tous les conseils d'administration des caisses maladie, famille et vieillesse - où il n'y a pas que des représentants de l'opposition, loin de là - qui se sont prononcés contre ce projet de loi sur les 35 heures à une écrasante majorité, que ce soit les syndicats de salariés ou les employeurs.
Il y a là une inquiétude que, je n'en doute pas, vous allez dissiper, madame le ministre, car votre projet n'a été compris ni par les parlementaires de l'opposition ni par les partenaires sociaux.
Enfin, au cours des négociations qui viennent d'avoir lieu entre les syndicats de fonctionnaires et le Gouvernement, nous avons eu la surprise d'entendre M. Zuccarelli dire que la réduction du temps de travail pouvait, à terme, s'appliquer à cette catégorie de personnels.
Sans m'étendre sur le cas des fonctionnaires de l'Etat, ni même sur celui des membres de la fonction publique territoriale, dont M. Fourcade a parlé, je voudrais vous demander, madame le ministre, comment vous pensez appliquer cette mesure dans les hôpitaux sans grever le budget de la sécurité sociale. En effet, je rappelle - mais chacun le sait dans cet hémicycle - que la charge salariale représente de 65 % à 70 % du budget total des hôpitaux. Cette masse financière pèse sur le budget de la sécurité sociale et, si l'on réduit le temps de travail, comment faire pour que cette charge ne soit pas alourdie, et donc que le déficit de l'assurance maladie ne soit pas creusé d'autant ?
Direz-vous aux infirmières ou aux aides-soignantes qu'elles doivent améliorer leur productivité alors qu'elles sont souvent surchargées de travail, comme nous le constatons tous dans nos hôpitaux ? Sinon, dans la mesure où il n'y a pas de gain de productivité possible, c'est bien à la sécurité sociale que vous transférerez cette charge, madame le ministre, au risque de voir s'approfondir d'une façon considérable le trou de la sécurité sociale !
Je voudrais, pour conclure et pour calmer un peu l'enthousiasme que j'ai entendu s'exprimer ici et là cet après-midi, vous lire, mes chers collègues, quelques extraits d'un article paru ce soir dans un journal qui n'est généralement pas considéré comme étant l'organe du RPR, Le Monde. Il en résulte que les salariés sont moins enthousiastes - c'est le moins que l'on puisse dire ! - que les membres de l'opposition sénatoriale : « Les réticences ou le doute semblent augmenter à mesure que se rapproche la perspective d'une mise en place de la réduction du temps de travail... Toujours est-il que les salariés du privé redoutent de plus en plus les conséquences de l'instauration des 35 heures. Ce qui ressemble à de la méfiance, exprimée globalement par une moitié d'entre eux, se focalise sur le niveau de salaire... » - parce qu'ils ne sont quand même pas des « gogos » : ils se rendent bien compte que les 35 heures payées 39, cela ne peut pas passer, et ils savent bien que leurs salaires vont baisser, ce qu'ils refusent - « ... et la charge de travail, l'idée d'un double impact négatif étant bien ancrée dans l'opinion. A coup sûr, ensuite, les querelles chiffrées n'ont fait qu'aggraver la part du doute. Quand il sont interrogés sur l'effet pour les entreprises, les sondés du privé croient de moins en moins à l'éventualité de la création d'emplois. »
Alors, mes chers collègues de l'opposition sénatoriale, que le doute qui saisit notre pays et les salariés - dont, je crois, le bon sens est partagé, je l'espère, par nous qui sommes les élus du peuple - vous invite à faire preuve de plus de décence dans vos propos que je ne l'ai entendu cet après-midi et ce soir.
Madame le ministre, je vois que vous lisez cet article du Monde ; c'est bien, nous avons donc les mêmes références.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Mais moi, je lis les deux paragraphes !
M. Charles Descours. Madame le ministre, moi, j'ai lu les deux bons ! Vous vous référerez aux autres en me répondant.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Vous n'avez lu que le premier !
M. Charles Descours. Chacun son truc ! (Rires.) Cela montre qu'il y a un doute.
Je le répète, il faut faire preuve d'un peu plus de décence, dans les propos que l'on tient.
Voilà ce que je voulais dire, madame le ministre, comme rapporteur de la loi de financement de la sécurité sociale. Je serais heureux qu'en nous répondant dans quelques instants vous rassuriez non seulement les sénateurs de la majorité de la Haute Assemblée mais également les conseils d'administration des caisses, qui, vous le savez, sont très inquiets des conséquences de cette loi pour assurer l'équilibre des régimes qu'ils sont chargés d'administrer. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « rien ne coûtera jamais aussi cher à l'économie et à la société française qu'un chômage de 13 %, et peut-être sommes-nous dans une situation où le plus grand risque serait de n'en prendre absolument aucun ». Cette phrase a été prononcée, devant la commission d'enquête sénatoriale, par un professeur de sciences économiques à Paris-X Nanterre et directeur au CNRS. Elle résume bien le sentiment de la plupart de nos compatriotes pour qui le chômage et donc l'emploi constituent la première préoccupation, tant il est vrai que le chômage de masse, tel qu'il existe aujourd'hui, gangrène notre économie, nuit à son développement, désagrège le tissu social. Il pourrait, à terme, saper notre démocratie.
Ce constat, nous le partageons tous. Mais, au-delà des mots, il faut aujourd'hui des actes.
La lutte contre le chômage par le développement de l'emploi doit constituer la priorité absolue, non pour des raisons idéologiques, ni même de seule justice sociale, mais pour l'avenir même de notre pays et de notre jeunesse.
Force est de constater que, depuis quinze ans, de nombreuses politiques ont été menées par les gouvernements successifs ; elles ont toutes échoué.
Ces mesures pragmatiques n'étaient certes pas inutiles, comme le traitement social du chômage ou les contrats aidés. Mais elles n'ont pas eu sur l'emploi les effets escomptés.
D'autres mesures sont plus idéologiques ; je pense à la suppression administrative de licenciement dont le CNPF demandait qu'on le libère en contrepartie de la création de 300 000 emplois. Ces mesures n'ont eu, malgré les promesses patronales, aucune traduction en termes d'emplois.
Le formidable effort de formation qu'a consenti la nation a permis d'augmenter l'« employabilité » des travailleurs mais n'a pas eu, non plus, d'incidence quantitative sur la création d'emplois.
Toutefois, ces efforts n'ont pas été vains. L'élévation du niveau de formation de notre population nous permet, aujourd'hui, d'envisager avec optimisme la reprise qui s'amorce. A cet égard, le choix opéré par de plus en plus d'investisseurs étrangers de s'établir en France tient beaucoup à la qualité de notre main d'oeuvre, à la qualité des femmes et des hommes de notre pays que nous avons su former.
Aujourd'hui, le retour de la croissance, même modéré nous permet de mener une politique de l'emploi offensive. Depuis le mois de juin, le Gouvernement s'y est employé activement, notamment par la relance de la consommation et de la demande intérieure, et la mise en place du dispositif emplois-jeunes.
La réduction du temps de travail constitue un outil supplémentaire. Cette voie n'est pas nouvelle, mais sa perception a beaucoup évolué.
L'amélioration de la qualité de la vie qui nourrissait, à juste titre, chez de nombreux salariés l'aspiration à la diminution du temps de travail, a cédé le pas à l'idée d'un partage du travail afin que nul n'en soit exclu.
L'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 s'inscrivait déjà dans cette logique. Malheureusement, si les trop rares accords conclus dans son prolongement ont mis en oeuvre l'aménagement du temps de travail, l'effet en termes d'emplois a été quasiment nul, cette préoccupation n'étant pas ressentie par les partenaires sociaux comme une composante majeure des accords.
La loi du 11 juin 1996, dite loi Robien, a eu en ce domaine des effets plus positifs quoique limités. Le coût en est élevé, l'aide de l'Etat se révélant supérieure au point d'équilibre nécessaire.
De plus, l'absence d'aide structurelle à la sortie du dispositif ainsi que l'absence de contrainte dans le temps ont eu pour conséquence que les accords dit « offensifs » ont principalement été le fait d'entreprises qui, de toute manière, auraient augmenté leurs effectifs, ce que nous appelons l'effet d'aubaine.
Cette expérimentation est néanmoins intéressante et nous pouvons en tirer quelques enseignements propres à consolider un autre dispositif plus sensiblement créateur d'emplois. C'est ce que vous avez su faire, madame la ministre.
C'est ainsi qu'il faut afficher la volonté de réduire la durée légale du travail, faute de quoi les accords resteront relativement peu nombreux.
De même, l'aide apportée par l'Etat doit être évaluée au plus juste afin que les coûts unitaires n'augmentent pas - c'est une condition indispensable - et que les finances publiques ne supportent pas de charges indues. Entre gains de productivité et augmentation de la masse salariale due aux nouvelles embauches, il faut trouver le juste équilibre dans l'appréciation du montant des aides publiques nécessaires pour préserver la compétitivité des entreprises.
Une attention toute particulière doit être apportée aux secteurs d'activité dans lesquels les bas salaires dominent. Le choix d'abattements de charges uniformes plutôt que proportionnels et accrus pour les bas salaires va dans ce sens.
De même, l'annonce d'une aide structurelle au terme du dispositif supprime un aléa non négligeable existant dans la loi Robien.
La majorité du Sénat récuse ces orientations et nous propose de réaménager cette loi en supprimant toute contrainte dans le temps et en diminuant le coût.
Qui peut croire que les entreprises qui n'ont pas négocié d'accords depuis juin 1996, alors qu'elles en avaient toute latitude et que les avantages attachés à la loi Robien étaient très intéressants, au point même que la majorité sénatoriale les trouve elle-même aujourd'hui excessifs, se précipiteront pour conclure des accords dans la mesure où l'on réduirait ces avantages ? Cette proposition n'est pas crédible.
De fait, la loi Robien ne s'est pas développée car il n'y avait pas d'orientation claire sur l'avenir de la durée du travail.
Si l'article 1er du projet de loi était supprimé, cette absence d'orientation et ses effets réducteurs subsisteraient, d'autant que le champ d'application de la loi, par l'élèvement du seuil d'application à cinquante salariés, se trouverait fortement réduit.
La proposition de la majorité de la commission des affaires sociales, si elle est intéressante en ce qu'elle reconnaît que la réduction du temps de travail est créatrice d'emplois, n'est toutefois pas à la hauteur de l'enjeu actuel. Elle ne tient pas compte du nouvel environnement économique que constitue le retour de la croissance, retour qui crée les conditions favorables à la diffusion d'une réduction du temps de travail.
L'idée que cette réduction doit être librement négociée sans contrainte de l'Etat est séduisante, mais elle a déjà été appliquée et elle a échoué.
Par ailleurs, nous regrettons également que la majorité de la commission des affaires sociales ait cru bon de supprimer les articles relatifs à ce qu'il est convenu d'appeler la moralisation du temps partiel.
Aujourd'hui, le temps partiel n'a rien du temps choisi. En réalité, la croissance des emplois à temps partiel a été le corollaire du chômage. Contrairement aux autres pays européens, où le taux de l'activité féminine était totalement différent, le travail à temps partiel est un phénomène récent en France. En effet, en 1980, on comptait 1,5 million d'actifs à temps partiel contre 3,5 millions aujourd'hui. Le temps partiel n'est pas en France, comme il l'a été aux Pays-Bas où le taux de l'activité féminine était très bas, une composante de la croissance de l'activité féminine.
Le temps partiel est un temps de crise.
Il est devenu de fait une forme de sous-emploi réservée aux femmes, lequel crée un processus de paupérisation invisible mais bien réel.
Le sous-emploi débouche nécessairement sur des sous-salaires très proches des revenus de l'assistanat.
Mme Joëlle Dusseau. Très bien !
Mme Dinah Derycke. Contrairement à ce que l'on veut faire croire, les conditions dans lesquelles s'exerce ce temps partiel subi ne permettent pas de concilier vie professionnelle et vie familiale du fait des horaires éclatés et de la disponibilité sans limite exigée de ces salariées.
En ce domaine, réduire les abus et limiter les mesures trop incitatives correspondent à une attente forte des femmes, qui, rappelons-le, constituent 85 % des temps partiels subis et non choisis.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est vrai !
Mme Joëlle Dusseau. Excellent !
Mme Dinah Derycke. Le projet de loi présenté par le Gouvernement est ambitieux mais également audacieux. Le succès est à portée de main, pour autant que les partenaires sociaux s'en saisissent avec la volonté de réduire le chômage dont les coûts humain, social, financier et économique deviennent exorbitants pour notre économie et notre pays.
Même si nous éprouvons aujourd'hui quelques difficultés à l'apprécier, il est plus que probable que cette loi contribuera à terme à une évolution positive des relations au sein même des entreprises. Elle modifiera aussi en profondeur les modes et les conditions de vie de nos concitoyens.
Comme vous, madame la ministre, nous sommes convaincus que les conditions existent aujourd'hui pour faire reculer massivement le chômage. Il y faut de la volonté, vous l'avez. Dans ce combat, nous serons, nous sommes à vos côtés. ( Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur certainees travées du RDSE. )
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, je souhaite répondre aux intervenants dans la discussion générale, ainsi, bien sûr, qu'à M. le rapporteur et M. le président de la commission des affaires sociales. J'essaierai de ne pas être trop longue, tout en apportant suffisamment de précisions pour, peut-être, nous permettre d'être plus concis lors de l'examen des articles.
Je voudrais remercier la grande majorité des intervenants du sérieux et de l'intérêt dont ils ont fait preuve, et d'abord ceux qui soutiennent le texte du Gouvernement et qui se sont exprimés au nom de leur groupe, Pierre Mauroy, Guy Fischer, Joëlle Dusseau.
J'ai également particulièrement apprécié, au-delà des interventions du président et du rapporteur de la commission, certaines interventions qui visaient à replacer ce thème de la réduction du temps de travail dans un choix de société, face à un vrai problème, le chômage, et par rapport à un mouvement historique ; je veux parler plus particulièrement des interventions de MM. Daniel Hoeffel, Bernard Seillier ou Bernard Joly, qui se sont intéressés justement à ce débat, peut-être de manière plus approfondie.
Je relèverai d'abord nos points d'accord. Pratiquement, tout le monde s'est accordé à dire que la réduction de la durée du travail pouvait être - certains ont même dit « devait être » - un des moyens de réduire le chômage dans notre pays. Je crois que personne ici ne pense que c'est une solution miracle, ou qu'en tout cas c'est la seule solution qui permettra de résoudre le chômage. Mais il y a, je crois, une très forte majorité pour penser que c'est une solution parmi d'autres, même si, bien évidemment, il faut d'abord faire en sorte que la croissance soit la plus forte possible et s'engager aussi vers la recherche des nouveaux métiers et le soutien aux petites et moyennes entreprises.
C'est ce qu'a fait le Gouvernement, notamment en prenant un certain nombre de dispositions dans la loi de finances de 1998 sur le capital risque, sur l'aide à la recapitalisation des PME, et ce n'est qu'un début par rapport au vaste programme que nous avons mis en place pour réduire les lourdeurs qui pèsent aujourd'hui sur toutes les entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises.
Je pense que nous sommes également d'accord pour dire que, sous certaines conditions - c'est d'ailleurs ce qui est écrit dans les rapports des experts économiques - la réduction de la durée du travail peut créer des emplois, beaucoup d'emplois même.
Mme Dusseau aurait préféré que l'on aille plus loin, jusqu'aux 32 heures. Je lui dirai que l'aide mise en place par l'Etat pour les entreprises qui vont jusqu'aux 32 heures est beaucoup plus incitative que pour celles qui s'arrêtent aux 35 heures. Mais je crois qu'il fallait effectivement avancer par étapes.
Que pensent les principaux intéressés de la réduction de la durée du travail ?
Je n'ai jamais caché que certains pouvaient éprouver des difficultés, des inquiétudes, notamment les chefs d'entreprises. Je l'ai dit moi-même tout à l'heure : il est bien évident qu'on ne réduit pas la durée du travail sans bouleverser profondément l'organisation du travail dans l'entreprise, sans changer des éléments fondamentaux de cette organisation.
Peut-être est-ce une opportunité. Mais il est normal que les changements suscitent des inquiétudes. A nous, au lieu de les entretenir, d'essayer d'apporter des éclaircissements. Ainsi, au lieu de pérenniser ces inquiétudes, celles-ci deviendront peut-être des opportunités.
Je dirais très amicalement à M. Descours que, si des salariés doutent - comme beaucoup - des effets de la réduction de la durée du travail, j'aurais aimé qu'il lise également le paragraphe précédent de l'article qu'il a cité et qui indique que les salariés du secteur public comme du secteur privé se sentent de plus en plus concernés par la réduction de la durée du travail, et ce quelle que soit leur classe d'âge.
Nous sommes avec ces études dans la réalité des choses : aujourd'hui, chacun considère qu'on ne peut laisser aucune piste de côté, que les 35 heures sont sans doute une voie possible, mais qu'il convient de remplir un certain nombre de conditions pour y arriver.
Que chacun se pose des questions, c'est normal. Ce débat doit les éclairer.
Je reviendrai maintenant sur un grand débat : avec ce projet de loi, avec les 35 heures, y aura-t-il plus de souplesse dans les entreprises et qu'entendons-nous par ce terme ?
Mme Dieulangard a bien montré comment la réduction de la durée du travail pouvait être une opportunité pour les entreprises de faire évoluer l'organisation du travail.
Dans notre esprit, la réduction de la durée du travail, ce n'est pas seulement l'annualisation des horaires, comme certains le laissent à penser.
Pour certaines entreprises du secteur saisonnier, l'annualisation est effectivement l'une des conditions d'un meilleur fonctionnement. Pour beaucoup d'autres, la souplesse, c'est une meilleure utilisation des équipements, c'est une meilleure ouverture au public ; c'est aussi, pour les salariés, plus de qualification, d'autonomie, de polyvalence ; c'est enfin une pyramide des âges mieux équilibrée.
L'ensemble de ces éléments doit être pris en compte. On ne doit pas se borner à une vision dérégularisatrice de la souplesse, que l'on a parfois appelée « flexibilité ».
C'est bien la souplesse au sens total du terme qui permet aux facteurs de production dans l'entreprise de mieux travailler ensemble pour mieux répondre aux besoins des clients.
Ces souplesses - je voudrais ainsi répondre notamment à M. Fischer, qui s'en inquiétait - ne doivent pas être dérégulatrices, elles doivent comporter un certain nombre de garanties.
Aujourd'hui - M. Hoeffel l'a très bien montré - nous sommes confrontés à la nécessité de rechercher des souplesses qui ne portent pas atteinte aux conditions de vie des salariés et qui soient accompagnées de nouvelles sécurités.
Je ne crois pas aux rigidités, je ne crois pas non plus à la flexibilité dérégulatrice.
Nous mettons dans la réduction de la durée du travail une ambition que nous trouvons déjà ailleurs dans le code du travail : il s'agit de trouver des modes de fonctionnement en commun qui permettent la souplesse nécessaire à l'entreprise, mais qui apportent des nouvelles sécurités aux salariés.
Nous savons tous très bien que des salariés angoissés pour l'avenir ne peuvent pas développer toutes leurs capacités dans l'entreprise. Nous savons également qu'on accepte la mobilité d'autant plus qu'on y est préparé. Nous savons enfin que cette souplesse est au coeur du débat sur la durée du travail.
J'ai entendu MM. Balarello et Gournac dire : vous êtes contre l'annualisation du temps de travail. Je voudrais leur répondre que quand on rédige un projet de loi, on ne recopie pas le code du travail, et que l'article L. 212-2-1 de ce code précise :
« Dans la perspective du maintien du développement de l'emploi, les employeurs et les organisations de salariés fixent les conditions d'une nouvelle organisation du travail résultant d'une répartition de la durée du travail sur tout ou partie de l'année, assortie notamment d'une réduction collective de la durée du travail...
« Ces conventions ou accords tiennent compte de la nature saisonnière de certaines activités et prévoient le calendrier et les modalités de mise en oeuvre ; ils fixent les garanties collectives et individuelles applicables aux salariés concernés. « Ils peuvent prévoir une répartition de la durée du travail sur tout ou partie de l'année. »
Ils prévoient une majoration des salaires et, par ailleurs, ils appellent au respect des durées maximales quotidiennes et hebdomadaires.
Enfin, ils doivent fixer le programme indicatif de cette répartition.
Cet article s'inscrit parfaitement dans la logique du Gouvernement : une modulation sur l'année, oui, mais à condition qu'elle comporte un certain nombre de garanties.
Or ces garanties sont d'autant plus fortes lorsqu'on est à 35 heures en moyenne que l'on prévoit autant que faire se peut les périodes de forte et de basse durée du travail, les modalités de paiement et des délais pour prévenir les salariés en cas de modifications des horaires, sauf circonstances exceptionnelles évidemment.
Cette modulation sur l'année comportant des garanties sociales, c'est l'esprit qui nous anime. Ainsi, l'article 4 du projet de loi prévoit des modalités complémentaires de modulation sur l'année permettant de stocker les heures entre 35 et 39 heures sur un capital-temps. Et, comme Henri Weber l'a bien montré, cela permet d'atteindre une autre souplesse que peuvent souhaiter les salariés - je pense notamment aux cadres - et qui peut aussi être utile aux entreprises.
Arrêtons donc de nous battre sur des slogans. Toutes les entreprises n'ont pas besoin de l'annualisation. Une annualisation dérégulée n'a pas de sens. Une modulation sur l'année, négociée, avec des contreparties et des conditions de vie améliorées, constitue une bonne solution pour beaucoup d'entreprises.
Je remarque d'ailleurs que 40 % des accords Robien prévoient des modulations. Je remarque aussi que les syndicats qui ont signé le plus grand nombre de ces accords sont la CGT et la CFDT, organisations dont on ne peut pas dire qu'elles ne prennent pas en compte les intérêts des salariés.
Voilà ce que je souhaitais dire sur la souplesse. J'en arrive aux coûts et aux salaires.
J'indiquerai, si la majorité sénatoriale me le permet, qu'il faut choisir dans l'argumentaire : on ne peut pas nous reprocher à la fois d'accroître le coût du travail de manière considérable et de provoquer des baisses de salaire inacceptables et très importantes.
C'est l'un ou l'autre ! Dans les faits, c'est ni l'un ni l'autre ! La vérité, c'est que la mise en place d'un système d'aides incitatives, comme l'a fait le Gouvernement, permet aux entreprises à bas salaires d'annuler le coût de la réduction du temps du travail - c'est notamment le cas de celles qui ont des salariés payés au Smic - ou de le réduire considérablement.
Par ailleurs, nous le savons, grâce à cette organisation du travail, les entreprises réaliseront des gains de productivité.
A ce propos, je vous renvoie au dossier que nous avons transmis à votre commission, qui contient des exemples précis : les entreprises versant des bas salaires et employant des salariés payés au SMIC verront le coût de l'embauche largement « consolidé » par les aides que l'Etat peut apporter.
M. Gournac a affirmé que ces aides étaient fantaisistes et qu'elles étaient mal connues. Je le renvoie très volontiers au projet de loi. Je le renvoie aussi à la proposition de loi qui a été présentée par les groupes du RPR et de l'UDF voilà trois semaines à l'Assemblée nationale ! Notre projet de loi qui, je l'espère, deviendra une loi lui semblera d'une simplicité biblique par rapport au texte présenté par l'opposition à l'Assemblée nationale.
J'ai également entendu certains dire que les salariés devraient faire des sacrifices inacceptables et enregistreraient des pertes de leur pouvoir d'achat. Nous n'en sommes pas là !
J'aurais d'ailleurs aimé que ceux qui, aujourd'hui, s'élèvent pour soutenir les salariés aient fait la même chose en 1996. A cette époque, en effet, du fait des prélèvements fiscaux, de l'augmentation des cotisations sociales ou de la CSG, la perte de pouvoir d'achat des salariés a été de 1,2 %. Et, en 1997, malgré le retour de la croissance, l'augmentation du pouvoir d'achat n'a pas atteint 1 %.
Qu'arrivera-t-il en 1998 ? Nous entrons dans une période où la croissance est en train de revenir, où l'augmentation naturelle des salaires devrait être plus importante, nous entrons dans une période où le Gouvernement a non seulement cessé d'augmenter les prélèvements pesant sur les salariés, mais a transféré du pouvoir d'achat vers eux, notamment par le basculement des cotisations maladie vers la CSG.
Nous sommes donc aujourd'hui dans une situation extrêmement différente, où les négociations salariales dans les entreprises s'articulent autour d'augmentations générales situées entre 2,5 % et 3 %, voire 3,5 %. Par conséquent, si nous demandons aux salariés qui disposent de revenus moyens ou supérieurs, en fonction de l'intérêt que présente l'accord au regard de leurs conditions de vie mais surtout de l'emploi, d'accepter une modération des augmentations de salaires futures comprises entre 0,5 % et 1 % par an dans les deux ou trois années qui viennent - ce sont les hypothèses de la Banque de France et de l'OFCE - je ne crois pas que l'on puisse prétendre qu'il s'agit d'un sacrifice inacceptable, encore moins d'une baisse de salaire ou d'une perte de pouvoir d'achat.
Telle est la réalité. On a le droit d'être en désaccord avec nos propositions, mais il convient également, sur un sujet aussi difficile, de regarder les faits tels qu'ils sont. Ensuite, chacun fait son choix.
Pour ma part, je fais partie de ceux qui pensent que ce qui est inacceptable aujourd'hui, c'est le chômage, c'est l'exclusion. Par conséquent, j'estime qu'il faut demander aux entreprises de consentir des efforts pour réorganiser le travail, pour faire une place aux jeunes, pour les former par l'apprentissage ou par la formation en alternance, pour leur ouvrir les portes des entreprises.
Il faut aussi que les salariés, qui, encore une fois, sont mieux traités aujourd'hui, et c'est heureux, qu'ils ne l'ont été ces dernières années, acceptent, lorsque leurs revenus sont moyens ou supérieurs, une modération des augmentations salariales futures.
Voilà quel est le projet du Gouvernement et voilà ce qui est repris dans les hypothèses des groupes économiques et sociaux.
Je voudrais également dire, à la suite de Mme Dinah Derycke, que le coût du dispositif que nous mettons en place est bien inférieur à celui de la loi Robien.
Tout d'abord, nous mettons en place des aides forfaitaires et non pas proportionnelles, ce qui favorise donc les bas salaires et représente par là même un coût moins élevé. Ensuite, l'ensemble des simulations macroéconomiques aboutissent aujourd'hui au même constat : le montant de l'aide qui équilibre les comptes publics est de l'ordre de 1 point de cotisation sociale par baisse d'une heure, soit 4 points de baisse de cotisation sociale pour 4 heures de moins, ce qui équivaut à peu près à 5 000 francs par an et par salarié.
C'est le montant que nous retenons pour l'aide structurelle à la fin du dispositif d'aide que nous mettons en place pour la réduction de la durée du travail.
En conséquence, le coût net par emploi créé dans le dispositif présenté aujourd'hui, puisque nous sommes au-delà de ces 5 000 francs pendant les premières années, sera de l'ordre de 20 000 francs par an en moyenne sur les cinq premières années alors que, en application de la loi Robien, il s'agissait de 40 000 à 50 000 francs. Nous aboutissons donc à un coût de moitié inférieur environ au coût de la loi Robien.
Par ailleurs, au terme de ces cinq ans, l'aide structurelle mise en place correspondra, en fait, à la réaffectation aux entreprises, par une baisse du coût du travail, notamment pour les bas salaires, des sommes qui entreront dans les caisses publiques - sécurité sociale, budget, UNEDIC - du fait de créations d'emplois engendrées grâce à la réduction de la durée du travail.
Ce raisonnement, aucun organisme économique, public ou privé, ne le conteste.
J'en arrive à la question du mandatement.
M. Fischer a rappelé, à juste raison, les avancées réalisées par les amendements votés à l'Assemblée nationale qui permettent de prévoir que le salarié mandaté pourra être accompagné dans la négociation ; que les heures de négociation seront payées, qu'il y aura un suivi des accords par une commission paritaire et que des sanctions pourront être mises en oeuvre si les entreprises - volontairement - n'appliquaient pas les engagements qu'elles ont pris.
C'est avec juste raison, je crois, que M. Mauroy et Mme Dieulangard ont insisté sur le fait que l'implantation syndicale étant faible dans notre pays, le mandatement permettrait le premier établissement d'une organisation syndicale. Je sais que la CFDT l'a souligné devant la commission des affaires sociales du Sénat. C'est effectivement une bonne chose, me semble-t-il, que l'organisation syndicale entre dans l'entreprise sur un sujet positif, sur un sujet de négociation ; c'est là une bonne façon de s'implanter dans les entreprises.
En ce qui concerne le travail à temps partiel, je dirai également clairement les choses.
Je suis personnellement favorable au développement du travail à temps partiel, à condition qu'il ressemble à ce qui existe dans d'autres pays ; je pense aux Pays-Bas et aux pays nordiques.
Or, ni aux Pays-Bas ni dans les pays nordiques, on n'accepterait que le contrat de travail d'une salariée à temps partiel - en France, comme l'a rappelé Mme Derycke, ce sont surtout les femmes qui sont concernées - soit effectivement de dix heures et que l'on puisse de semaine en semaine - en fonction même pas de la conjoncture mais de l'afflux de clientèle, dans un commerce par exemple - appeler cette personne à domicile et lui demander de venir travailler trois ou quatre heures supplémentaires. Nulle part aux Pays-Bas ou dans les pays du Nord, on n'accepterait qu'une personne non payée soit à disposition, sans pouvoir, comme c'est le cas aujourd'hui en France, dans certains cas, refuser d'effectuer des heures supplémentaires, au risque de voir son contrat rompu. Voilà la réalité !
Si, aujourd'hui, le travail à temps partiel est mal vu dans notre pays, c'est parce qu'il a souvent été subi, entraînant des réactions de rejet de la part des salariés.
Je me réjouis de ce que certaines organisations patronales et syndicales aient négocié des accords - je pense au secteur de la propreté - qui rendent impossibles de telles pratiques et professionnalisent ce travail, qui devient mieux perçu par les salariés que ce n'était le cas auparavant.
Aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, en le moralisant, nous ne luttons pas contre le travail à temps partiel, nous faisons en sorte qu'il soit accepté en le soumettant au respect de certaines règles en faveur des salariés.
C'est en ce sens que nous prévoyons un certain nombre de dispositions qui visent à proratiser les aides qui y sont consacrées, mais aussi à limiter les heures complémentaires, à limiter les interruptions entre deux périodes de travail, interruptions qui sont aujourd'hui les éléments les plus nocifs pour les conditions de vie des salariés.
J'en viens aux petites et moyennes entreprises.
M. Gournac a dit que les oublier c'est faire preuve d'une inconstance qui touche à la désinvolture. Il n'a sans doute pas lu le projet de loi.
Pour les PME, nous proposons d'allonger la durée de négociation de deux ans, ce qui fait une durée totale de quatre ans. Nous prévoyons qu'elles pourraient bénéficier, en plus des 9 000 francs de base, de 1 000 francs supplémentaires dès lors qu'elles consentiraient un effort accru en matière d'emploi. Nous avons prévu une aide au financement de l'ingénierie qui les aidera à réfléchir à l'organisation du travail et la plupart d'entre elles seront éligibles à l'aide structurelle complémentaire que nous mettons en place dans les industries de main-d'oeuvre et dont le montant sera de 4 000 francs la première année. Telle est la réalité des choses.
Il n'est donc pas très étonnant qu'aujourd'hui un certain nombre de branches de l'artisanat ou même la FNSEA - le président Luc Guiot l'a dit cet après-midi - souhaitent s'engager dès maintenant dans la réduction du temps de travail afin de trouver les bonnes formules de telle sorte que la loi qui sera votée dans deux ans pour fixer les dispositions définitives détermine un certain nombre de mécanismes favorables aux petites et moyennes entreprises ; personnellement, je m'en réjouis.
J'ajouterai, pour répondre à une ou deux questions précises de M. Gérard Larcher, que les entreprises de la propreté ont signé, le 17 octobre 1997, un accord - j'en ai parlé tout à l'heure - qui ne sera absolument pas remis en cause parce que les dispositions particulières qu'il prévoit touchent à la régulation de la journée de travail et des pauses et s'inscrivent totalement dans l'esprit du projet de loi.
En ce qui concerne les cadres, je rejoins ce qu'a dit M. Seillier : aujourd'hui, dans notre pays ils souhaitent voir réduire leur temps de travail. Toutefois, nous savons bien qu'il est tout à fait vain de souhaiter appliquer la réduction de la durée du travail à certains d'entre eux - je pense aux cadres dirigeants - et que pour d'autres, notamment dans le secteur commercial, dans le secteur financier ou des placements financiers, il faut trouver des modalités particulières, lesquelles pourront s'appuyer sur le système épargne-temps que nous mettons en place. Enfin, il n'y a pas de raison que les cadres des services techniques et administratifs ne se voient pas appliquer la réduction du temps de travail à l'instar des autres salariés.
Pour ma part, je souhaite que la négociation nous ouvre des voies qui nous permettront, dans la seconde loi, de fixer définitivement les horaires de travail pour les cadres.
Voilà les réponses que je tenais à apporter à vos questions. Je terminerai mon propos en parlant de nos désaccords.
Tout d'abord - M. Henri Weber l'a dit aussi - nous avons de nouveau entendu ce soir des propos qui ont toujours été tenus lorsque les gouvernements ont voulu réduire la durée du temps de travail dans notre pays. Nous avons entendu aussi des arguments qui avaient déjà été avancés lors de la mise en place des lois Auroux en 1981, et selon lesquels la nouvelle législation devait entraîner les entreprises dans le gouffre. Dieu merci, il n'en a rien été !
La négociation au sein de l'entreprise, qui devait allumer une sorte d'incendie effrayant, est aujourd'hui considérée comme l'un des éléments ayant permis aux salariés de mieux comprendre le fonctionnement économique de leur entreprise et de mieux défendre les intérêts de celle-ci.
Je voudrais, à titre anecdotique, parce qu'elle me rappelle un propos que j'ai entendu tout à l'heure, citer la déclaration faite en 1848 à la chambre des députés par le citoyen Bernard à propos de la limitation de la durée du travail à douze heures. Je reprends le Journal officiel de l'époque : « S'est-on bien rendu compte de la situation de l'ouvrier ? Je ne le pense pas. Les bons ouvriers ne sont pas ceux qui réclament le vote de la loi que nous discutons. Les bons ouvriers ont toujours en vue d'avoir du travail et d'en avoir longtemps, d'en avoir beaucoup ; ils ne se plaignent jamais de l'excès. » Déjà, en 1848, on entendait de tels propos, comme on pouvait entendre évoquer la fameuse exception française, très présente tout au long des débats parlementaires, mais qui semble beaucoup moins évidente pour ceux qui nous regardent de l'étranger.
En 1936, Pierre Valette-Viallard déclarait : « Ce projet est certainement le plus grave que nous ayons discuté depuis longtemps. Même s'il ne doit pas être mortel pour nos industries qui travaillent pour le marché intérieur, il causera la ruine de l'ensemble de celles qui exportent. » Les arguments sont un peu toujours les mêmes !
Permettez-moi de m'arrêter quelques instants sur cette prétendue exception française dont on entend beaucoup parler.
N'oublions pas la réalité des chiffres. Je ne prendrai pas ceux qui m'arrangent le plus car, à ce moment-là, je prendrais la durée moyenne du travail dans les pays voisins, et l'on se rendrait compte que la France se place juste derrière l'Irlande, la Grande-Bretagne, le Portugal et la Grèce, et que tous les autres sont derrière elle. Je me référerai plutôt à une notion qui m'est moins favorable, mais qui me paraît plus intéressante dans notre débat, à savoir la durée annuelle habituellement travaillée par les salariés à temps plein, si bien que je laisse de côté le travail à temps partiel. En faisant référence aux statistiques d'Eurostat, nous voyons que la France a toujours devant elle le Royaume-Uni, l'Irlande, le Portugal, qu'elle est quasiment à égalité avec l'Espagne, que tous les autres pays sont derrière elle : le Luxembourg, la Belgique, l'Italie, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark.
Arrêtons donc de parler de l'exception française ; elle n'existe pas.
Je le répète, ces dernières années - les statistiques le montrent - notre pays n'a pas enregistré de réduction de la durée du travail alors que ce débat est ouvert dans de nombreux pays, même si c'est sous des formes différentes de chez nous. Ainsi, en Italie, les syndicats, pour nombre d'entre eux, ne souhaitent pas recourir à une loi. En Autriche, une discussion tripartite a été proposée. Aux Pays-Bas, c'est déjà fait.
En ce qui concerne l'Allemagne, je répéterai que nous devrions trier les conséquences des expériences qu'elle a menées. Il y en a eu de bonnes et de mauvaises. L'étude que vient de publier l'office du travail montre que, lorsque la durée du travail est passée de 40 à 38,5 heures, 800 000 emplois ont été créés. Cette diminution n'est d'ailleurs contestée ni par le patronat, ni par les syndicats. C'est en fait la réduction du temps de travail dans l'industrie métallurgique qui est remise en cause parce qu'elle a donné lieu, parallèlement, à une forte augmentation des salaires, ce qui a pesé sur la compétivité des entreprises.
Comme nous l'avons dit tout à l'heure, ainsi que M. Weber, ce n'est pas à cela que nous tendons aujourd'hui. Nous faisons en sorte qu'il ne soit aucunement porté atteinte à la compétitivité des entreprises.
A ce propos, je voudrais dire également que le rapport entre les prélèvements obligatoires et le chômage nécessiterait une étude un peu plus approfondie.
Aux Pays-Bas, où les prélèvements obligatoires, malgré une baisse ces dernières années, restent parmi les plus élevés d'Europe, le chômage est le plus bas d'Europe. En Espagne, en revanche, où les prélèvements obligatoires sont très bas, le chômage est l'un des plus élevés d'Europe.
Efforçons-nous d'avoir des débats fondés sur des études plus approfondies, tout le monde y gagnera, notamment la démocratie. Nous avons tous échoué sur le problème du chômage ; nous n'avons donc pas le droit de laisser de côté une piste qui se présente.
Parmi les sujets qui nous opposent, j'ai relevé aussi le travail au noir, auquel on fait allusion chaque fois que l'on parle de réduction de la durée du travail ; il en a d'ailleurs été question également quand on a supprimé l'allocation de garde d'enfant à domicile, l'AGED.
On a évoqué l'Italie tout à l'heure. Il est vrai qu'en Italie le réseau des PME et le soutien local ont développé une formidable activité, notamment dans le nord du pays. Mais il faut aussi savoir que ces entreprises démarrent très souvent par du travail au noir ; c'est seulement lorsqu'elles se sont fait une clientèle qu'elles rentrent dans le « monde légal ».
Je ne dis pas que je souhaite une telle situation, mais on ne peut pas vouloir à la fois faire entrer tout le monde dans une norme absolue, tout de suite, et faire émerger le mouvement. J'ai fait voter à plusieurs reprises des lois sur le travail illégal, j'entends le combattre, mais je pense qu'on ne doit pas nier une certaine souplesse qui, dans d'autres pays, est considérée comme une bonne chose.
J'en terminerai en disant que je ne crois pas, monsieur Girod, monsieur Egu, aux délocalisations comme conséquence des 35 heures.
Lorsque j'ai négocié le dossier de l'arrivée de Toyota en France, les 35 heures étaient annoncées. Les entreprises sont réalistes : elles ne parlent pas par slogans ; elles lisent la loi, elles considèrent les aides de l'Etat et elles calculent ; si elles voient qu'elles y gagnent, eh bien ! elles viennent.
Nous continuerons à être un pays vers lequel les investisseurs étrangers se dirigent.
J'ai rencontré, voilà dix jours, les grandes entreprises américaines installées en France. Aussi, certains des propos que j'ai entendus tout à l'heure m'ont profondément étonnée parce que j'ai constaté qu'une entreprise sur quatre en était déjà aux 35 heures. Pour le reste, j'ai été l'objet de questions précises. Ce qui m'a beaucoup frappée - Pierre Mauroy le sait dans le Nord, où nous accueillons beaucoup d'entreprises étrangères - c'est que l'appréciation qui est portée aujourd'hui sur la France ne concerne pas nos prélèvements obligatoires qui seraient trop élevés, mais qu'elle vise notre réseau d'éducation et de santé qui, grâce aux services publics, fonctionne bien, mais aussi nos réseaux de chemin de fer et de transport qui sont en bon état. Ces services publics, que l'on critique tant, sont un atout considérable pour l'arrivée des entreprises étrangères dans notre pays. (M. Allouche applaudit.)
M. Pierre Mauroy. Et elles viennent !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Quand les entreprises américaines que j'ai rencontrées me disent qu'à Detroit, grande ville industrielle des Etats-Unis, elles financent les écoles élémentaires parce que l'école publique est inexistante et qu'elles auront besoin de recruter des salariés formés, je me demande quelle véritable comparaison on peut faire avec la France ?
J'ajouterai, pour conclure sur ce sujet, qu'une étude très intéressante vient d'être réalisée sur la champ des services publics dans les différents pays. Si l'on examine l'éducation et la santé, qui sont très largement privés aux Etats-Unis, on constate que 10 % de la population active française travaillent, généralement au sein du secteur public, dans ces secteurs, contre 11,4 % aux Etats-Unis. La réalité, c'est aussi cela ! On peut toujours refuser de la voir, mais elle est là !
D'ailleurs, aujourd'hui, un certain nombre d'entreprises américaines se demandent peut-être si elles n'ont pas intérêt à venir dans un pays où les services publics sont susceptibles de créer un environnement favorable à leur développement, même si l'on peut toujours faire mieux en termes d'efficacité des services publics, pour les rendre plus performants.
Certains disent qu'il faut laisser de côté la réduction de la durée légale du travail ou, du moins, se contenter d'attendre les négociations. Malheureusement, dans ce pays, Pierre Mauroy l'a dit, quand l'Etat ne lance pas un grand mouvement de négociation, celle-ci n'est que parcellaire.
Pierre Mauroy a eu raison de dire que la loi n'est pas un carcan inutile ou la marque d'un autoritarisme dépassé, et que ceux qui le proclament se trompent. L'Etat est dans son rôle en voulant une loi sur la durée du travail, en provoquant l'élan nécessaire pour créer une dynamique de négociation. C'est exactement ce que nous faisons.
Mais qu'on ne nous reproche pas à la fois de faire une loi trop autoritaire et, en même temps, de ne pas tout y prévoir. Si nous ne voulons pas tout réglementer, c'est parce que, s'agissant notamment des cadres, du temps partiel, des heures supplémentaires, de la modulation, nous souhaitons nous inspirer des négociations pour en intégrer les conclusions dans le texte qui sera présenté à la fin de 1999.
Mais nous affichons la couleur. Nous disons d'emblée que les durées de travail longues seront taxées ; cela figure dans le texte. Le temps partiel totalement subi devra devenir un temps partiel où le choix entrera beaucoup plus en ligne de compte. De même, les heures supplémentaires effectuées à partir de 35 heures et jusqu'à 39 heures seront payées avec une majoration de 25 %. Les entreprises feront leurs calculs !
Autrement dit, nous jetons un certain éclairage sur le paysage et nous attendons de la négociation collective, à laquelle nous croyons, les solutions permettant à notre pays de réaliser une véritable avancée en la matière.
M. Egu m'a traitée à la fois de « ringarde » et d'« archaïque » mais je dois lui avouer que, très franchement, je ne perçois pas les pistes qu'ouvrirait aujourd'hui l'opposition. La réduction du coût du travail a été mise en oeuvre ces dernières années : elle coûte chaque année 40 milliards de francs à l'Etat ! Mais elle n'a donné lieu qu'à la création de 40 000 ou 45 000 emplois. Mesurez le coût de ce dispositif par rapport au nombre d'emplois créés !
Nous, nous réduisons à la fois la durée du travail et son coût, notamment pour les entreprises à bas salaires, mais nous conditionnons cette baisse du coût du travail à la création effective d'emplois. Cela signifie que le coût supporté par l'Etat sera, globalement et pour chaque emploi créé, beaucoup moins important.
Je vous demande de voir, dans tous mes propos, à la fois beaucoup de modestie et beaucoup de détermination. A partir du moment où nous sommes d'accord pour considérer que la réduction du temps de travail peut créer des emplois, c'est à nous de faire preuve de pédagogie et d'expliquer dans quelles conditions le processus peut s'enclencher. Nous n'avons pas le droit, vu le coût social et financier du chômage, d'attendre que la négociation veuille bien s'engager, alors que nous savons qu'elle peut être porteuse d'espoir dans notre pays.
Tel est, mesdames, messieurs les sénateurs, l'esprit de ce projet de loi. Le Gouvernement y indique résolument un cap, mais il laisse à la négociation le soin de fixer, avec la souplesse requise, les modalités de la réduction de la durée du travail.
Il y a aussi là un enjeu de civilisation, ainsi que Marie-Madeleine Dieulangard l'a souligné. Il s'agit tout simplement, par cette loi, de remettre le pays en mouvement sur une des pistes majeures de la création d'emplois. Il s'agit aussi de faire confiance à la négocation et à ceux qui la portent. C'est à cet élan que le Gouvernement et l'ensemble de la majorité convient aujourd'hui notre pays.
On a beaucoup critiqué l'expérience de 1936. Il est vrai que, à l'époque, les conditions économiques n'ont pas été totalement prises en compte. Aujourd'hui, il en va tout autrement, et nous avons pleinement intégré l'environnement économique dans nos propositions. Cela étant, devant l'afflux des citations d'économistes libéraux, je ne résiste pas au plaisir de vous citer Léon Blum, qui reste, à mes yeux, comme à ceux de Pierre Mauroy, une des grandes figures de notre histoire commune.
Voici donc ce que, le 31 décembre 1936, Léon Blum disait à propos de la réduction de la durée du travail : « Il est revenu un espoir dans notre pays, un goût du travail, mais aussi un goût de la vie. La France a une autre mine et un autre air. Le sang court plus vite dans un corps rajeuni. »
C'est ce que nous recherchons avec ce texte sur la durée du travail. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Mme Dusseau applaudit également.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Madame le ministre, malgré votre talent et votre détermination, vous ne nous avez pas convaincus.
Il est un point sur lequel nous pouvons nous mettre d'accord assez vite, c'est l'utilité de la réduction du travail comme facteur de création d'emplois.
Nous avons entendu les critiques que vous formulez à propos de la loi Robien. Nous sommes prêts à « reprofiler » cette loi de manière à en réduire le coût pour les finances publiques et à réunir ainsi les conditions propres à nous permettre de poursuivre dans cette voie.
Il est en revanche deux points sur lesquels notre désaccord est important.
Le premier est lié à la contradiction dont le Gouvernement n'arrive pas à sortir et qui tient à la promesse, inscrite dans le programme du parti socialiste, d'une réduction de la durée du travail à salaire constant. Or il est techniquement impossible de réduire la durée du travail en majorant le SMIC de 11,4 % sans exiger en contrepartie une très grande modération salariale. Vous êtes prise dans cette contradiction, madame la ministre, et le fait d'avoir retenu la méthode de la réduction législative de la durée du travail vous oblige à de pénibles contorsions, nous l'avons bien perçu tout au long du débat.
En effet, soit c'est 35 heures payées 35, et il y a un partage réel du travail, soit c'est 35 heures payées 39, et il y a alors une majoration des charges qui, toutes les analyses économiques le montrent, rendront caduque l'opération à laquelle vous nous invitez à procéder.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je suis entre les deux !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Cette contradiction, vous essayez habilement d'en sortir, mais vous n'y parvenez pas. Vous nous dites vous situer au milieu. Cela signifie qu'il y aura un peu de majoration du coût du travail et un peu de création d'emplois. Nous risquons ainsi de passer une fois de plus à côté de l'objectif auquel nous sommes tous attachés.
J'en viens au second point de désaccord.
Ce que vous venez de dire nous a, en vérité, un peu inquiétés. Vous parlez du rôle de l'Etat. M. Mauroy avec son talent et son élan habituels, auxquels nous sommes tous très sensibles, nous a expliqué qu'il fallait que l'Etat avance. Madame la ministre, monsieur Mauroy, c'est bien joli de regarder l'histoire, d'évoquer 1936, de citer Léon Blum, mais permettez-nous de nous occuper de géographie et de prospective !
Nous sommes dans l'Union européenne. Dans quelques semaines, nous allons franchir un nouveau pas dans la voie de l'union monétaire. Et vous nous proposez de nous engager et d'engager nos entreprises dans une direction qui est contraire à celle que suivent tous nos partenaires !
Nous avons donc quelques raisons d'être inquiets ! Selon nous, tout ce que vous avez dit sur la nécessité de contrôler, de moraliser, d'organiser va complètement à l'encontre de l'objectif européen auquel nous sommes tous ou presque, ici, attachés.
En fait, vous négligez gravement la perspective européenne, et l'intervention de M. Weber était tout à fait significative à cet égard : à l'entendre, nous étions revenus à un pays à frontières fermées. C'était presque Méline !
Ces deux points de désaccord expliquent que nous ne puissions accepter l'article 1er de votre texte, qui crée une obligation légale aux conséquences économiques majeures. C'est cette obligation légale qui risque fort de nous faire passer à côté de l'objectif sur lequel nous sommes tous d'accord : la réduction du chômage. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.

9

SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 3 mars 1998, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante sénateurs d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi relative au fonctionnement des conseils régionaux.
Acte est donné de cette communication.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

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DÉPÔT D'UNE QUESTION ORALE AVEC DÉBAT

M. le président. J'informe le Sénat que j'ai été saisi de la question orale avec débat suivante :
M. Franck Sérusclat souhaite interroger M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur l'Accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI.
L'AMI est un accord visant à déréguler les investissements mondiaux, après le GATT, qui a dérégulé le commerce mondial. Cet accord de près de 190 pages est élaboré depuis deux ans, dans un grand secret, non pas par les gouvernements des pays du monde entier, mais par des experts du commerce international des vingt-neuf pays les plus riches de la planète, uniquement dans le cadre de l'OCDE. Il devait être signé les 27 et 28 avril 1998 par les ministres des vingt-neuf pays membres de l'OCDE, mais la mobilisation a, semble-t-il, permis de repousser cette date.
M. Renato Ruggiero, directeur général de l'OMC, a décrit ainsi la nature de l'accord : « Nous écrivons la constitution d'une économie mondiale unifiée ».
Au niveau communautaire également, le secret l'entoure. Le Royaume-Uni, qui préside actuellement l'Union européenne, est chargé de représenter une position commune, mais il ne semble pas en exister.
Le but de l'AMI serait de parvenir à une délocalisation généralisée des investissements. Cet accord ne donnerait que des droits aux investisseurs et que des devoirs aux Etats, transférant à des personnes privées la souveraineté de la puissance publique. Les entreprises se trouveraient dans la position d'imposer leur volonté aux Etats.
Tous les domaines dans lesquels une quelconque politique étatique existe seraient menacés par cet accord : emploi de main-d'oeuvre, préservation de l'environnement, plafonnement de participation dans des secteurs vitaux de l'économie,... Seraient menacés le salaire minimum, les subventions à l'emploi, aux régions...
Cette menace viendrait du droit qu'auraient les investisseurs s'estimant lésés de saisir un tribunal ad hoc et d'exiger des compensations ou l'abrogation de la législation nationale ou communautaire gênante : le principe du traitement national, la clause de la nation la plus favorisée, le principe d'intégration économique régionale fondant l'Union européenne seraient rendus inapplicables, le principe de l'exception culturelle serait balayé, ainsi que tous les systèmes d'aides, de quotas du secteur audiovisuel.
M. Franck Sérusclat aimerait connaître la position du Gouvernement français, savoir à quelles conditions il serait prêt à signer cet accord, ou s'il ne faudrait pas rejeter l'ensemble de l'AMI puisqu'il menacerait toute législation étatique et remettrait en cause la notion même de souveraineté nationale. (N° 14).

Conformément aux articles 79 et 80 du règlement, cette question orale avec débat a été communiquée au Gouvernement et la fixation de la date de la discussion aura lieu ultérieurement.11

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
DE LOI CONSTITUTIONNELLE

M. le président. J'ai reçu de MM. Daniel Millaud, Marcel Henry et Simon Loueckhote une proposition de loi constitutionnelle tendant à modifier l'article 65 de la Constitution.
La proposition de loi constitutionnelle sera imprimée sous le numéro 319, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

12

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
DE LOI ORGANIQUE

M. le président. J'ai reçu de MM. Daniel Millaud, Marcel Henry et Simon Loueckhote une proposition de loi organique tendant à modifier les articles 1er et 2 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature.
La proposition de loi organique sera imprimée sous le numéro 318, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

13

DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI

M. le président. J'ai reçu de Mmes Nicole Borvo, Marie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jean Dérian, Michel Duffour, Guy Fischer, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Mme Hélène Luc, MM. Louis Minetti, Robert Pagès, Jack Ralite, Ivan Renar et Mme Odette Terrade une proposition de loi relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 320, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de MM. Jean-Pierre Raffarin, Nicolas About, Mme Janine Bardou, MM. Christian Bonnet, James Bordas, Joël Bourdin, Philippe de Bourgoing, Jean Boyer, Louis Boyer, Jean-Claude Carle, Marcel-Pierre Cléach, Jean Clouet, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Jean Delaneau, Ambroise Dupont, Jean-Paul Emin, Jean-Paul Emorine, Jean-Pierre Fourcade, Mme Anne Heinis, MM. Charles Jolibois, Jean-Philippe Lachenaud, Jacques Larché, Roland du Luart, Serge Mathieu, Philippe Nachbar, Michel Pelchat, Jean Pépin, Bernard Plasait, André Pourny, Henri de Raincourt, Charles Revet, Henri Revol, François Trucy, Michel Alloncle, Honoré Bailet, Henri Belcour, Jean Bernard, Roger Besse, Jean Bizet, Paul Blanc, Yvon Bourges, Jean-Pierre Camoin, Gérard César, Jean-Patrick Courtois, Luc Dejoie, Jacques Delong, Charles Descours, Michel Doublet, Daniel Eckenspieller, Hilaire Flandre, Bernard Fournier, Philippe François, Yann Gaillard, Patrice Gélard, Alain Gérard, François Gerbaud, Alain Gournac, Adrien Gouteyron, Emmanuel Hamel, Bernard Hugo, Jean-Paul Hugot, Roger Husson, André Jourdain, René-Georges Laurin, Dominique Leclerc, Jacques Legendre, Jean-François Le Grand, Jacques de Menou, Lucien Neuwirth, Alain Pluchet, Roger Rigaudière, Michel Rufin, Jean-Pierre Schosteck, Martial Taugourdeau, Serge Vinçon, Philippe Arnaud, Denis Badré, Jacques Baudot, Michel Bécot, Jean Cluzel, André Dulait, André Egu, Rémi Herment, Claude Huriet, Michel Mercier, Jean Pourchet, Henri Collard, Fernand Demilly, Jacques Rocca Serra et Philippe Darniche une proposition de loi pour la défense et la valorisation de la profession d'artisan boulanger-pâtissier.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 321, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

14

RETRAIT D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu une lettre par laquelle M. Jean-Pierre Raffarin déclare retirer la proposition de loi tendant à protéger et valoriser la qualité artisanale (n° 127, 1997-1998) qu'il avait déposée au cours de la séance du 27 novembre 1997.
Acte est donné de ce retrait.

15

DÉPÔT DE PROPOSITIONS
D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- décision du Conseil concernant la conclusion de l'accord entre la Communauté européenne et le Turkménistan sur le commerce des produits textiles.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E 1025 et distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- proposition de directive du Conseil régissant le traitement fiscal des véhicules à moteur de tourisme transférés définitivement dans un autre Etat membre dans le cadre d'un transfert de résidence ou utilisés temporairement dans un Etat membre autre que celui où ils sont immatriculés.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E 1026 et distribuée.

16

DÉPÔT D'UN AVIS

M. le président. J'ai reçu de M. Philippe Marini un avis présenté au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant réforme de la réglementation comptable et adaptation du régime de la publicité foncière (n° 241, 1997-1998).
L'avis sera imprimé sous le numéro 322 et distribué.

17

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 4 mars 1998, à quinze heures ;
Suite de la discussion du projet de loi (n° 286, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail ;
Rapport (n° 306, 1997-1998) de M. Louis Souvet, fait au nom de la commission des affaires sociales.
Aucun amendement n'est plus recevable.

Délai limite pour le dépôt des amendements

Conclusions de la commission des affaires sociales (n° 257 rectifié, 1997-1998) sur :
- la proposition de loi de M. Michel Moreigne et plusieurs de ses collègues visant à étendre aux centres de santé gérés par la Mutualité sociale agricole la subvention prévue à l'article L. 162-32 du code de la sécurité sociale (n° 43, 1996-1997) ;
- la proposition de loi de M. Georges Mouly et plusieurs de ses collègues visant à étendre aux centres de soins infirmiers gérés par la Mutualité sociale agricole la subvention prévue à l'article L. 162-32 du code de la sécurité sociale (n° 377, 1996-1997).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 4 mars 1998, à dix-sept heures.
Conclusions de la commission des affaires sociales (n° 303, 1997-1998) sur la proposition de loi de M. Jean Delaneau et plusieurs de ses collègues visant à élargir les possibilités d'utilisation des crédits obligatoires d'insertion des départements (n° 250, 1997-1998).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 4 mars 1998, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 4 mars 1998, à zéro heure vingt.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





NOMINATION D'UN MEMBRE
D'UNE COMMISSION PERMANENTE

Dans sa séance du mardi 3 mars 1998, le Sénat a nommé M. Jean-Paul Bataille à la commission des affaires culturelles, à la place laissée vacante par M. Jean-Pierre Camoin, démissionnaire.

MODIFICATIONS AUX LISTES
DES MEMBRES DES GROUPES
GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS
(42 membres au lieu de 41)


Ajouter le nom de M. Louis Grillot.

RÉUNION ADMINISTRATIVE DES SÉNATEURS
NE FIGURANT SUR LA LISTE D'AUCUN GROUPE
(10 au lieu de 11)

Supprimer le nom de M. Louis Grillot.