SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Responsabilité du fait des produits défectueux. - Discussion d'une proposition de loi (p. 1 ).
Discussion générale : Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois ; Claude Huriet, Robert Calmejane, Marcel Charmant, Georges Othily, Mme Odette Terrade.
Mme le garde des sceaux.
Clôture de la discussion générale.

Article 1er. - Adoption (p. 2 )

Article 2 (p. 3 )

Amendement n° 1 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 3. - Adoption (p. 4 )

Article 4 (p. 5 )

Amendement n° 2 de la commission. - M. le rapporteur, Mmes le garde des sceaux, Odette Terrade, MM. Marcel Charmant, Philippe Marini. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 5. - Adoption (p. 6 )

Article 6 (p. 7 )

Amendement n° 3 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 7 (p. 8 )

Amendement n° 4 de la commission et sous-amendement n° 27 du Gouvernement. - M. le rapporteur, Mmes le garde des sceaux, Odette Terrade. - Rejet du sous-amendement ; adoption de l'amendement.
Amendement n° 32 de M. Charmant. - MM. Marcel Charmant, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Retrait.
Adoption de l'article modifié.

Article 8 (p. 9 )

Amendements n°s 5 rectifié bis de la commission et 24 du Gouvernement. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Jean-Jacques Hyest, Philippe Marini. - Adoption de l'amendement n° 5 rectifié bis, l'amendement n° 24 devenant sans objet.
Amendement n° 17 de M. Hyest. - MM. Jean-Jacques Hyest, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Retrait.
Amendement n° 6 de la commission. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 9. - Adoption (p. 10 )

Article 10 (p. 11 )

Amendement n° 7 rectifié de la commission et sous-amendement n° 28 du Gouvernement. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Jean-Jacques Hyest, Marcel Charmant, Philippe Marini. - Retrait du sous-amendement ; rejet de l'amendement.
Adoption de l'article.

Suspension et reprise de la séance (p. 12 )

3. Droit applicable outre-mer. - Adoption d'un projet de loi (p. 13 ).
Discussion générale : MM. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer ; Jean-Marie Girault, rapporteur de la commission des lois ; Simon Loueckote, Guy Allouche, Georges Othily, Daniel Millaud, Victor Reux.
M. le secrétaire d'Etat.
Clôture de la discussion générale.

Article 1er (p. 14 )

Amendement n° 3 de M. Reux. - MM. Victor Reux, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Articles 2 et 3. - Adoption (p. 15 )

Article additionnel après l'article 3 (p. 16 )

Amendement n° 1 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Article 4 (p. 17 )

Amendement n° de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.

Vote sur l'ensemble (p. 18 )

Mme Odette Terrade.
Adoption du projet de loi.

4. Responsabilité du fait des produits défectueux. - Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi (p. 19 ).

Article 11. - Adoption (p. 20 )

Article 12 (p. 21 )

M. Jean-Louis Lorrain.
Amendement n° 18 de M. Hyest. - MM. Jean-Jacques Hyest, Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois ; Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. - Adoption.
Amendements n°s 8 de la commission, 25 rectifié du Gouvernement et sous-amendement n° 34 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Jean-Jacques Hyest, Robert Calmejane, Philippe Marini, Claude Huriet, Jean-Marie Girault, Mme Odette Terrade, M. Marcel Charmant. - Rejet de l'amendement n° 8, du sous-amendement n° 34 et de l'amendement n° 25 rectifié.
Adoption de l'article modifié.

Article 12 bis (p. 22 )

Amendements n°s 19, 20 de M. Hyest, 23 de M. Calmejane et 9 rectifié de la commission. - MM. Jean-Jacques Hyest, Philippe Marini, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet de l'amendement n° 19 ; retrait des amendements n°s 20 et 23 ; adoption de l'amendement n° 9 rectifié.
Adoption de l'article modifié.

Article 13 (p. 23 )

Amendements identiques n°s 10 de la commission et 21 de M. Hyest. - MM. le rapporteur, Jean-Jacques Hyest, Mme le garde des sceaux. - Adoption des deux amendements.
Adoption de l'article modifié.

Article 14. - Adoption (p. 24 )

Article 15 (supprimé) (p. 25 )

Article 16 (p. 26 )

Amendement n° 11 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 17 (p. 27 )

Amendement n° 30 de Mme Terrade. - Mme Odette Terrade, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet.
Adoption de l'article.

Article 18. - Adoption (p. 28 )

Article 19 (p. 29 )

Amendement n° 12 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 20 (p. 30 )

Amendement n° 26 du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, M. le rapporteur. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 21 (p. 31 )

Amendement n°s 13 de la commission et 31 de Mme Terrade. - M. le rapporteur, Mmes Odette Terrade, le garde des sceaux. - Adoption de l'amendement n° 13 supprimant l'article, l'amendement n° 31 devenant sans objet.

Articles 22 à 24 (p. 32 )

Amendements n°s 14 à 16 de la commission. - Adoption des amendements supprimant les trois articles.

Article 25. - Adoption (p. 33 )

Article 26 (p. 34 )

Amendements n°s 33 rectifié du Gouvernement et 22 de M. Hyest. - Mme le garde des sceaux, MM. Jean-Jacques Hyest, le rapporteur. - Adoption de l'amendement n° 33 rectifié supprimant l'article, l'amendement n° 22 devenant sans objet.

Vote sur l'ensemble (p. 35 )

Mme Odette Terrade.
Adoption de la proposition de loi.

5. Dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle (p. 36 ).

6. Dépôt de propositions de loi (p. 37 ).

7. Dépôt d'un rapport (p. 38 ).

8. Ordre du jour (p. 39 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures).

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

RESPONSABILITÉ
DU FAIT DES PRODUITS DÉFECTUEUX

Discussion d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 260, 1996-1997), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux. [ Rapport n° 226 (1997-1998) ].
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture, le 13 mars dernier, la proposition de loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Je n'entends pas revenir en détail sur la genèse de ce texte destiné à transposer la directive n° 85/0374 du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux.
Cependant, je souhaite souligner certains aspects propres à éclairer l'importance fondamentale du débat d'aujourd'hui.
Je tiens d'autant plus à le faire que le texte qui vous est aujourd'hui soumis a été voté et amendé par l'Assemblée nationale lors de la précédente législature, sans que ses enjeux essentiels, si j'en juge par le compte rendu des débats, aient été véritablement discutés.
M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel et d'administration générale. C'est le moins que l'on puisse dire !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Certes, le Parlement a déjà eu à connaître, au début des années quatre-vingt-dix, d'une tentative de transposition de la directive, qui, au demeurant, fut un échec.
Mais les choses ont sensiblement évolué depuis, je pense notamment au développement des risques dits « sériels », c'est-à-dire de masse, et à la spécificité de certains produits, aspects qui n'avaient sans doute pas été complètement perçus il y a dix ans.
Une autre raison m'incite également à mettre l'accent, au seuil de cette discussion générale, sur plusieurs dispositions du texte qui suscitent des controverses, comme l'a mis en évidence le rapport de votre commission des lois.
Le Gouvernement que je représente ne partage pas en effet tous les choix reflétés par la proposition de loi.
Sans doute aurait-il été préférable pour les débats parlementaires que la Chancellerie dépose un nouveau texte, mais vous n'ignorez pas l'importance qui s'attache, pour la France, à ce que cette proposition de loi soit votée avec la plus grande célérité et en parfaite conformité avec la lettre de la directive qu'elle transpose.
Je rappellerai seulement à cet égard que la transposition aurait dû être opérée avant le 30 juillet 1988 et que la France n'a échappé, au mois de décembre dernier, à la saisine de la Cour de justice en vue d'une condamnation à une astreinte pouvant atteindre 4 millions de francs par jour, qu'en échange d'un engagement formel de transposer la directive au cours du premier trimestre de cette année.
Je puis vous dire, étant personnellement intervenue sur ce point auprès de la Commission européenne et du commissaire compétent, qu'il s'agit là de la dernière chance à saisir.
La France, qui a pourtant été à l'origine des travaux communautaires en la matière, est aujourd'hui le seul Etat membre à ne pas s'être acquitté de son obligation de transposition.
Ce contexte particulièrement délicat a conduit le Gouvernement à souhaiter la poursuite des travaux parlementaires sur la base de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale au printemps dernier, tout en lui apportant un certain nombre de correctifs.
Votre commission des lois suggère elle-même plusieurs modifications substantielles.
Sur divers points, nos préoccupations se rejoignent, et je m'en félicite. Je pense, en particulier, à la préoccupation manifestée par votre commission des lois de ne pas figer la notion de faute de la victime en recherchant une définition textuelle et, par là même, réductrice de celle-ci, ou encore à son souci de différer la discussion de certains articles relatifs au régime spécifique de la garantie due par le vendeur de meubles. Cette question, au demeurant annexe à la responsabilité du fait des produits défectueux, fait en effet l'objet d'une directive en négociation à Bruxelles, et certains choix opérés par le texte qui vous est aujourd'hui soumis seraient de nature à gêner le Gouvernement français dans les discussions communautaires qui se poursuivent actuellement.
Sur d'autres points, en revanche, l'approche de votre commission des lois et celle du Gouvernement, sans être identiques, ne s'opposent pas sur le fond.
Tel est le cas, pour ce qui concerne le louage, de l'exclusion du champ d'application du texte des opérations de type purement financier, sans détention matérielle du produit.
Il en est de même de la préoccupation de votre commission de mieux voir clarifier le principe dit du cumul des responsabilités à l'égard du gardien de la chose.
Il en est, enfin, ainsi de l'exclusion du champ de la loi de transposition, des constructeurs dont la responsabilité est recherchée sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil.
Dans l'ensemble de ces cas, la position du Gouvernement et celle de votre commission des lois ne divergent réellement que sur la formulation.
En revanche, je ne peux souscrire à d'autres propositions formulées que je souhaite maintenant aborder.
Pour éclairer pleinement le débat, je crois qu'il est, au préalable, utile de rappeler les principes fondamentaux de la directive.
Ce texte institue une responsabilité de plein droit des producteurs pour les dommages corporels et matériels causés par les biens qu'ils mettent en circulation.
Je n'insisterai pas sur ce point, car ce régime est déjà, comme vous le savez, celui du droit français, qui est très avancé dans le domaine de la sécurité des consommateurs.
L'originalité du mécanisme vient plutôt de l'édiction d'un corps de règles spécifiques et uniformes à la responsabilité des producteurs.
Par la même se trouve dépassée la distinction, traditionnelledans notre droit, entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle. La victime n'aura plus à se préoccuper du fondement de son action et le droit applicable devrait être plus simple, plus clair, plus homogène.
Toutefois, cette simplification est loin d'être totale.
En effet, le nouveau régime issu de la directive ne se substitue pas au droit national, il s'y ajoute, c'est là un aspect essentiel, car les règles de la directive ne sont pas, dans leur intégralité, plus favorables à la victime que celles du droit national.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Si la victime le souhaite, elle pourra donc toujours se prévaloir des régimes traditionnels du droit français, notamment de la responsabilité objective du gardien ou de l'obligation de sécurité absolue du fournisseur professionnel.
J'insiste particulièrement sur cet aspect, que traduit l'article 19 de la proposition de loi. Il me semble en effet propre à relativiser un certain nombre d'objections que la commission des lois a émises à l'encontre de la proposition de transposition.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. C'est notamment à la lumière de l'option dont dispose ainsi la victime qu'il faut envisager la question de l'exonération pour « risque de développement ». Il s'agit incontestablement du point central du texte.
Cette notion est inconnue du droit français. Elle exprime l'impossibilité pour le producteur de connaître, en l'état des connaissances scientifiques et techniques, le vice dont est atteint le produit qu'il met en circulation.
Il ne s'agit malheureusement pas d'une hypothèse d'école et les drames de la contamination, par transfusion sanguine, des virus du sida et de l'hépatite C sont là pour le démontrer.
La directive, vous le savez, laisse une option aux Etats membres pour faire du risque de développement une cause d'exonération de la responsabilité du producteur. La réponse à cette question est loin d'être simple.
D'un côté, l'exonération trancherait avec la jurisprudence française, qui a toujours considéré que le caractère indécelable d'un vice ne permet pas au producteur, pas plus qu'au vendeur professionnel, de s'exonérer de l'obligation de sécurité absolue qui pèse sur lui.
De l'autre, les milieux économiques font observer à juste titre que la consécration dans nos lois d'une responsabilité pour vice indécelable jusqu'alors issue de la jurisprudence ne manquerait pas, par l'effet d'affichage qui en résulterait, de pénaliser les producteurs français en leur imposant, s'agissant du régime de garanties, des charges supérieures à celles de leurs concurrents européens. En effet, tous les Etats membres, à l'exception du Luxembourg, de la Finlande et de l'Espagne pour partie, ont prévu l'exonération du producteur pour « risque de développement ».
Votre commission des lois estime qu'il s'agit là d'un faux problème puisque les entreprises étrangères sont soumises, sur le marché national, aux mêmes règles que les entreprises françaises en application des principes de droit international privé. Je ne puis la suivre sur ce point.
La plupart des entreprises commercialisent leurs produits à la fois sur le territoire où elles sont implantées et sur ceux d'Etats voisins ou autres. Les charges auxquelles elles sont soumises en application de leur droit national pèsent donc, d'une manière globale, sur le coût de leur production.
Or on ne saurait nier que les industriels français - soumis, à la différence de bon nombre de leurs concurrents étrangers, à un régime de réparation intégrale incluant l'ensemble des chefs de préjudice, sans plancher ni plafond de responsabilité - ont d'extrêmes difficultés à s'assurer contre le risque de développement et ne peuvent pas toujours, de ce seul fait, commercialiser leurs produits avec les mêmes facilités que leurs partenaires européens.
Je relève une contradiction entre l'affirmation d'une responsabilité intégrale et les obstacles économiques à une indemnisation effective.
C'est pourquoi le Gouvernement, après avoir - croyez le bien - analysé de manière particulièrement approfondie cette délicate question et mûrement pesé sa décision, ne croit pas pouvoir vous suivre dans la voie d'une consécration législative générale de la responsabilité pour risque de développement.
Il n'est en effet pas possible de dire que la solution de l'exonération pénalise les victimes dès lors qu'il y a maintien pour celles-ci de la possibilité d'invoquer notre droit national et notre jurisprudence qui consacrent l'obligation de sécurité absolue du producteur même en cas de vice indécelable.
M. Marcel Charmant. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. De même, il n'est absolument pas possible, pour les mêmes raisons et compte tenu des difficultés qu'auront les producteurs à prouver que l'état des connaissances scientifiques et techniques ne leur permettait pas de déceler l'existence du défaut, de dire que cette exonération équivaut à une irresponsabilité.
M. Marcel Charmant. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il n'en reste pas moins que j'ai conscience que l'insertion dans le code civil d'un nouveau principe de non-responsabilité, même tempérée par le droit d'option de la victime, peut apparaître particulièrement choquante lorsque, par son ampleur et sa gravité, le dommage ne peut manquer d'avoir des répercussions sociales. Je pense aux risques sériels que peuvent générer certains produits par leur nature spécifique et leur origine.
Il en est d'abord ainsi des éléments et produits du corps humain.
L'Etat s'est engagé, vous le savez, par la loi du 31 décembre 1991, à indemniser les personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience humaine, le VIH, à la suite de transfusions sanguines. Tel est l'objet de la loi du 31 décembre 1991.
Mais d'autres risques de masse demeurent. Je pense, dans l'immédiat, à l'hépatite C. Demain, hélas ! d'autres encore se révéleront peut-être dans l'utilisation de certaines thérapies.
La difficulté avait paru pouvoir être contournée, sous la précédente législature, par l'exclusion des produits du corps humain du champ d'application du texte de transposition de la directive. L'Assemblée nationale s'est rangée à ce point de vue au printemps dernier.
Votre commission des lois n'y souscrit pas, et je partage son analyse à cet égard car je ne crois pas - même si ce type de produits présente une spécificité « éthique », pourrait-on dire - que la directive ait entendu les exclure de son champ.
Le texte de l'Assemblée nationale ne me paraît donc pas respecter nos obligations communautaires.
En revanche, il me semble à la fois possible et souhaitable de ne pas soumettre ces produits à l'exonération pour risque de développement.
Sur le plan juridique, cette exclusion apparaît à l'abri de toute critique au regard des impératifs de transposition de la directive. La technique a d'ailleurs été utilisée, pour d'autres produits, par l'Espagne dans sa loi de transposition du 6 juillet 1994.
L'exclusion apparaît évidemment tout autant justifiée au regard des attentes de la société.
Le drame de la contamination sanguine a profondément marqué notre pays.
Il y a une force symbolique à afficher dans la loi un principe de responsabilité absolue, fût-il déjà admis par la jurisprudence.
Tel est incontestablement le cas, dans le contexte actuel, pour les produits du corps humain.
Mais tel me paraît être également le cas pour les autres produits de santé à finalité préventive, diagnostique ou thérapeutique.
Comme les premiers, ils sont susceptibles de générer des risques de masse : des exemples comme le distilbène ou les prothèses mammaires le révèlent, hélas ! tragiquement.
Comme les produits du corps humain, ils comportent intrinsèquement un risque que les progrès de la science limitent, certes, mais ne peuvent totalement exclure.
Comme eux, ils touchent à un domaine, la santé publique, pour lequel chacun se sent profondément concerné et pour lequel les exigences sont légitimement fortes.
Comme eux, enfin, les dommages qu'ils occasionnent sont d'autant plus douloureusement ressentis et jugés inacceptables que la finalité de soin qui est la leur est à l'opposé même des conséquences préjudiciables à la santé qu'ils génèrent.
Pour l'ensemble de ces motifs, le Gouvernement a déposé un amendement excluant formellement de l'exonération pour risque de développement les produits et éléments du corps humain et, plus généralement, les produits de santé.
Par cette démarche, le Gouvernement rejoint, mais sans doute trop partiellement à ses yeux, les préoccupations de la commission des lois en consacrant pour les cas jugés les plus inacceptables, c'est-à-dire les risques sériels, un mécanisme de sécurité absolue à deux volets alternatifs, l'un jurisprudentiel issu du droit national existant, l'autre textuel résultant du droit communautaire transposé.
Mais je voudrais rappeler une fois encore que, s'agissant de tous les autres produits, la sécurité n'est pas moindre pour la victime puisqu'il lui sera toujours loisible de se prévaloir du droit interne.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Merci !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En conséquence, son droit à indemnisation sera en toutes circonstances préservé.
Je terminerai, mesdames, messieurs les sénateurs, en évoquant deux autres dispositions de la proposition de loi que votre commission des lois souhaite amender dans un sens qui s'écarterait sensiblement, à mes yeux, de son texte et, donc, des impératifs de transposition.
Il s'agit d'abord de la proposition de la commission des lois d'exclure du champ du texte non seulement les constructeurs dont la responsabilité est recherchée sur le fondement de la garantie décennale ou biennale, mais encore leurs sous-traitants.
Je ne vois aucune raison à cette assimilation puisque ces derniers ne relèvent pas du régime de cette garantie.
En second lieu, la commission des lois entend supprimer la notion d'unicité de mise en circulation du produit en considérant que chaque dessaisissement de celui-ci par les membres successifs de la chaîne de commercialisation opère mise en circulation. Je vois dans ce choix une source d'insécurité juridique et, au surplus, une transposition inexacte de la directive.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les observations que je souhaitais formuler devant vous, au début de cette discussion générale.
Le texte dont vous avez à débattre, nous en sommes tous conscients, soulève des questions extrêmement délicates qui débordent très largement le cadre juridique.
Dans ce débat, les enjeux éthiques, sociaux, économiques et, il faut le dire, médiatiques s'entremêlent.
La dimension européenne en renforce encore l'importance.
Par ses travaux, la commission des lois - et j'en remercie son président, Jacques Larché, comme son rapporteur, Pierre Fauchon - a mis en évidence les impératifs de sécurité et de protection des consommateurs auxquels, bien évidemment, le Gouvernement souscrit pleinement.
Mais, pour y satisfaire, la voie choisie n'est pas nécessairement uniforme.
C'est parce que le Gouvernement n'entend occulter aucun des éléments du débat qu'il vous propose la position équilibrée et respectueuse des droits des victimes que je viens d'exposer.
C'est dans les termes d'une version ainsi amendée que le Gouvernement vous demande d'adopter la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici donc - je ne doute pas que ce soit une joie, en tout cas pour les juristes - à nouveau aux prises avec la directive européenne relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, que le présent texte veut transposer dans notre droit positif, conformément - cela a été rappelé - à une obligation dont le non-respect fait peser sur notre pays la menace de graves sanctions financières.
On me permettra de rappeler - je suis peut-être plus à mon aise pour le faire, puisque j'étais là en 1993 - qu'il n'eut pas été nécessaire de reprendre ce travail si le gouvernement du début de l'année 1993 - le ministre de la justice était alors M. Vauzelle - avait bien voulu nous inviter à voter le texte sur lequel une commission mixte paritaire avait abouti à un accord, texte qui eut été alors adopté sans la moindre difficulté.
Pourquoi ne l'a-t-il pas fait à l'époque ? Je n'ose pas vous poser la question, madame la ministre, puisque vous n'êtes pas concernée : vous n'étiez pas aux affaires, en tout cas pas à ces affaires-là ! Mais enfin, il est permis de poser la question et il est même permis de penser - je le dis en passant et à mi-voix - que les responsables de cette abstention n'ont aucunement lieu de s'en vanter.
C'est déjà de l'histoire un peu ancienne, mais cela explique sans doute, en tout cas pour partie, la mauvaise humeur témoignée par la commission des lois de l'Assemblée nationale - dans sa composition du début de l'année 1997 - à l'égard de la proposition de loi de Mme Catala, qui reprenait assez largement les conclusions de cette fameuse commission mixte paritaire.
Quoi qu'il en soit, l'Assemblée nationale est passée outre à la question préalable imaginée par sa commission des lois, et elle a voté le texte qui nous est maintenant soumis après un débat qu'il est permis de qualifier - j'utilise une formule un peu différente de la vôtre, madame le garde des sceaux, mais ellle revient au même - de quelque peu sommaire.
S'agissant d'un problème de santé et de sécurité publique qui dépasse largement ce qu'il est convenu d'appeler le consumérisme - je le dis au passage - s'agissant du danger potentiel créé par des produits en un temps où l'innovation galopante rend ceux-ci de plus en plus sophistiqués et donc de plus en plus porteurs de risques - les exemples sont quasi quotidiens, et jamais, en ce qui concerne les innovations humaines, l'expression « jouer avec le feu » n'a été aussi justifiée - et s'agissant, enfin, d'un domaine de notre droit, le droit de la responsabilité, qui a un rôle essentiel dans le développement de notre société et qui présente une complexité technique particulière en même temps qu'un aspect social auquel le Gouvernement ne peut pas être indifférent - vous venez d'en apporter dans votre propos, madame le garde des sceaux, la preuve, au moins une preuve relative -, la commission des lois du Sénat ne saurait réduire cette transposition à un simple exercice, à une simple formalité.
Elle a eu à coeur de confronter la directive à notre droit positif actuel, de la respecter - parce que nous avons l'obligation de la respecter là où elle est impérative - et de vous proposer une transposition dont le caractère innovant ne produise que des effets positifs et ne comporte pas, autant que possible, ces éléments de contradiction qui livrent les justiciables aux aléas si couteux et si longs de la jurisprudence.
Elle a eu aussi à coeur de maintenir équitable le rapport entre les professionnels et le public.
M. Marcel Charmant. Oh !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. L'examen des amendements apportera le témoignage de cette préoccupation d'équilibre.
Sous le signe des aspects positifs de la directive, je citerai en premier lieu le principe même d'une responsabilité de plein droit, encore que la formule ne soit pas totalement élucidée.
Ce principe correspond en fait à l'état de notre droit - vous l'avez rappelé, madame le ministre - qui, après un siècle de construction jurisprudentielle, a clairement admis la responsabilité pour « risque » - employons la terminologie traditionnelle pour les juristes français - créée, inaugurée en 1896 et théorisée, à l'époque, par les illustres juristes Saleilles et Josserand.
Sans entrer trop avant dans l'analyse juridique, il convient de rappeler le second considérant de la directive selon lequel : « seule la responsabilité sans faute du producteur permet de résoudre de façon adéquate le problème, propre à notre époque de technicité croissante, d'une attribution juste des risques inhérents à la production technique moderne ; ».
En second lieu, il convient de saluer la fusion des approches contractuelle et extracontractuelle de la responsabilité, ce qui correspond d'ailleurs aussi à l'évolution de notre droit en permettant à la victime d'un dommage causé par un produit de ne pas voir modifiées les conditions de son recours selon qu'elle se trouve ou non à titre personnel dans la situation de client à l'égard du producteur.
Il convient de rappeler à cette occasion qu'un aliment dangereux, par exemple, peut causer un dommage non seulement à celui qui l'a acheté et qui est le consommateur au sens juridique du terme, mais aussi à toutes les personnes invitées à sa table, qui sont dans une situation différente puisqu'elles n'ont pas acheté le produit.
En réalité, nous sommes donc dans un domaine qui relève non pas du droit de la consommation, au sens strict du terme, mais plutôt de la santé publique, puisque les produits peuvent, en certaines circonstances, atteindre des gens qui n'en ont pas été les acquéreurs et qui n'ont donc pas choisi ces produits.
On peut aussi considérer comme positives, ou en tout cas comme simplificatrices, les dispositions qui concernent la définition du produit. Nous suggérons, à cet égard, que celle-ci soit aussi extensive que possible afin d'opérer une simplification réellement efficace, et nous rejoignons sur ce point les préoccupations du Gouvernement.
On peut également considérer comme positive la définition du défaut de sécurité du produit, notion essentielle - c'est peut-être la notion la plus importante du texte, mais sur laquelle, me semble-t-il, on n'a pas suffisamment attiré l'attention - dont j'aurai l'occasion à plusieurs reprises de rappeler l'importance puisqu'il s'agit non d'une sécurité abstraite et absolue, mais, beaucoup plus concrètement, de la « sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre » compte tenu de « toutes les circonstances », en particulier « du moment de la mise en circulation ».
Par cette formulation, la directive se trouve ici en filiation directe et littérale avec notre loi du 21 juillet 1983 - comme avec la convention de Strasbourg de 1977 - et répond par avance aux inquiétudes de ceux qui craignent qu'un excès d'exigences n'aboutisse à une paralysie de l'innovation, si tant est que l'on puisse jamais la paralyser.
Telles sont les principales dispositions que l'on peut considérer comme positives, dans la mesure où, par leur précision, elles limitent les débats éventuels, encore que, sur le fond, il faut le rappeler sans cesse, elles n'améliorent pas significativement la situation actuelle de notre droit. Je crois que nous sommes bien d'accord sur ce point. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces dispositions, quelquefois pour les amender, mais le plus souvent pour les approuver.
Signalons cependant dès maintenant le problème du double délai institué par la directive : dix ans pour le principe même de la responsabilité, et trois ans pour l'exercice de l'action.
Si le second délai paraît raisonnable, le premier est beaucoup plus contestable, dans la mesure où le caractère dangereux de certains produits peut ne se révéler que plus de dix ans après leur mise en circulation et même leur consommation. Rappelons l'exemple du distilbène, dont les très graves effets nocifs frappent non pas les femmes auxquelles ce médicament a été administré, mais leurs enfants, donc la génération suivante. On pourrait de même citer le cas de l'amiante.
Cependant, le caractère impératif de la directive ne laisse place ici qu'à des regrets, qu'il est nécessaire d'exprimer avec force étant donné ce que l'on est en droit de craindre du caractère de plus en plus artificiel de certains produits, en particulier de ceux qui intéressent directement le corps humain en matière d'alimentation, d'hygiène ou de santé.
Il reste que la disposition qui prévoit expressément le maintien du système légal en vigueur et donc la juxtaposition des deux systèmes apporte une compensation importante puisque, dans notre système actuel, la responsabilité civile extracontractuelle se prescrit aussi par dix ans, mais à compter de la manifestation ou de l'aggravation du dommage et non pas à compter de la mise en circulation du produit, ce qui est évidemment tout différent.
Je viens de rappeler le caractère impératif de la directive. Celle-ci ménage cependant diverses hypothèses dans lesquelles s'ouvre une option pour les Etats membres, et c'est précisément ces facultés d'option, il faut le rappeler, qui ont permis la signature de la directive après de longs débats auxquels j'ai eu l'honneur d'être quelquefois associé dans les années quatre-vingt.
Cette marge de choix concerne principalement la fameuse question dite du risque de développement ainsi que la faculté d'exclure les produits du sol du champ de la directive. Ce sont les deux principaux problèmes posés dans ce débat.
La question de l'exonération, disons de l'irresponsabilité - appelons les choses par leur nom - pour risque de développement suscite un intérêt, voire une certaine tension, qui traduit son importance au niveau des principes généraux du droit et même de la philosophie du droit, mais non, je tiens à y insister, sur le plan des réalités concrètes. Je m'en tiendrai, pour le moment, dans cet exposé liminaire, à ces considérations d'ordre général, me réservant bien enten du d'entrer dans le détail de l'argumentation au moment de la discussion des articles.
De quoi s'agit-il ?
Il s'agit de savoir si, dans un texte qui pose le principe général d'une responsabilité sans faute des produits - j'ai rappelé tout à l'heure le texte de la directive - il y a lieu ou non de poser un principe diamétralement contraire, c'est-à-dire une exonération de responsabilité à l'égard des produits les plus sophistiqués, c'est-à-dire potentiellement les plus dangereux, au motif - je cite l'article 12 - que « l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où a été mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ».
Ce dispositif exonératoire figure dans la directive, mais celle-ci, simultanément, reconnaît aux pays membres la faculté de ne pas l'imposer, et cela à la demande expresse de la France.
D'une manière générale, le principe d'exonération - vous l'avez rappelé, madame la ministre - a été adopté sauf au Luxembourg mais avec des exceptions, et notamment pour ce qui concerne les médicaments en Espagne et en Italie, mais aussi en Allemagne, celle-ci ayant institué une loi spéciale pour la responsabilité du fait des médicaments qui va dans le sens de notre position ; je me permets de le signaler en particulier aux représentants du corps médical qui nous font l'honneur de participer à nos débats.
M. Jean-Jacques Hyest. Ici, il n'y a que des sénateurs !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il n'est donc pas tout à fait exact de dire que l'ensemble des pays n'a pas adopté cette option. Je rappelle d'ailleurs qu'aux Etats-Unis - ce n'est pas un petit pays - les exigences de stricte sécurité des produits sont extrêmes ; il est même question de les réduire tellement elles sont extrêmes et créent une présomption tout à fait absolue. A supposer qu'on puisse invoquer certains Etats européens, j'invoquerai, à mon tour, les Etats-Unis d'Amérique, qui comptent tout de même plus de 200 millions d'habitants.
M. Marcel Charmant. Ce n'est pas un exemple à suivre !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Disons encore que la jurisprudence française a fermement écarté cette cause d'exonération, notamment par un arrêt de 1995 concernant le sang contaminé, position qui, il faut bien le dire, n'était pas aussi clairement connue lors de nos débats de 1993.
M. Jean-Jacques Hyest. Raison de plus !
M. Marcel Charmant. Cela n'a pas empêché les indemnisations !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Sans analyser les raisons de fond qui justifient cette jurisprudence - nous y reviendrons - il convient de poser au préalable la question suivante : pouvons-nous délibérément contredire l'état actuel de notre droit par une disposition évidemment réductrice du niveau de sécurité alors que l'article 13 de la directive qu'il s'agit de transposer dispose qu'elle « ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité existant au moment de la codification de la présente directive » ?
M. Jean-Jacques Hyest. Raison de plus !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Le problème ainsi posé ne relève pas seulement du Parlement français, il relève aussi du contrôle que pourra exercer la Cour de justice des Communautés saisie d'un recours en manquement par voie d'action ou par voie d'exception devant n'importe lequel de nos tribunaux, ce qui ne manquera pas d'arriver si nous adoptons une disposition qui abaisse, en fait, le niveau de protection des Français.
Il semble que l'Assemblée nationale n'ait pas ignoré cette difficulté mais que, dans sa précipitation, elle se soit rassurée en considérant que l'article 19 de la proposition de loi, qui transpose l'article 13 que je viens de citer, pose le principe auquel je faisais allusion tout à l'heure, principe selon lequel notre droit national actuel est intégralement maintenu, ce qui signifie que les victimes qui se verraient opposer cette exception d'irresponsabilité pourraient mettre en oeuvre les dispositifs juridiques classiques de notre droit pour y échapper. Vous avez rappelé cette éventualité tout à l'heure, madame le garde des sceaux, et vous l'avez présentée comme une garantie.
Cependant, madame le garde des sceaux, est-il possible de ne pas se rendre compte de ce que notre système juridique aurait d'incohérent si le risque de développement était admis comme principe général d'irresponsabilité dans les actions fondées sur le présent texte mais non dans les actions fondées sur l'actuel droit de la responsabilité ?
Une telle contradiction - je me permets de le souligner en tant que juriste et praticien - me paraît impensable alors précisément que nous sommes dans le domaine des risques les plus graves. Elle nous ramènerait - les historiens du droit ne manqueront pas de faire le rapprochement - au premier droit romain fondé sur la spécificité et la diversité des actions ; selon les actions ou les procédures choisies on débouchait sur telle ou telle règle de droit et l'on prenait un aiguillage. Voilà qui est d'un archaïsme affligeant ! Le droit français fondé sur la raison et sur des principes généraux n'admet pas de telles contradictions.
En tout cas, la commission des lois vous demandera de ne pas entériner une telle incohérence d'autant plus que la situation de contradiction qui en résulterait risquerait d'être résolue à terme - et vous ne l'avez pas envisagé dans votre propos, madame la ministre - par un effacement de notre droit actuel, parce qu'il est jurisprudentiel, devant la loi nouvelle, qui, elle, serait écrite. On se rassure en évoquant l'état actuel du droit français, mais celui-ci est évolutif puisqu'il est jurisprudentiel. A partir du moment où sera introduite dans une autre partie du code une disposition positive admettant l'exonération pour risque de développement, on risque de voir notre droit jurisprudentiel évoluer. Cette évolution est d'ailleurs sur d'autres points déjà commencée. Dès lors, quand, plus tard, car il faudra attendre plusieurs dizaines d'années - merci pour les plaideurs ! - l'article 13 de la directive, qui a pour effet d'exclure que la transposition puisse porter atteinte au droit dont la victime peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité existant, prendra effet, on constatera qu'en réalité, à la suite de l'évolution de la jurisprudence, le niveau de protection des consommateurs s'est abaissé.
On assistera alors à un rebondissement de contentieux et à des recours pour manquement qui interviendront après une période, sans doute longue, de jurisprudence contradictoire, l'expérience nous montre que, dans le domaine de la responsabilité, il faut calculer en dizaine d'années.
Les observateurs les plus indulgents - et que dire des victimes qui n'ont pas de raisons d'être indulgentes ! - penseront que nous avons fait un bien mauvais travail.
Cependant - et je rassure immédiatement ceux dont les préoccupations sont apparemment différentes - en vous demandant de ne pas entrer dans cette voie, la commission ne méconnaît pas, je tiens à l'affirmer fortement, la préoccupation des producteurs de ne pas être paralysés par la crainte du risque, bien que ce risque soit évoqué d'une manière quelque peu artificielle, comme je le démontrerai le moment venu.
La commission a d'abord constaté que, contrairement à ce que l'on avance quelquefois - il faut savoir ce qui est vrai et ce qui relève du fantasme - ce risque est couvert par l'assurance. En préparant ce dossier, j'ai demandé que l'on veuille bien me communiquer des polices d'assurance qui excluraient ce risque, mais on ne m'a rien communiqué. Le risque de développement des producteurs est bien couvert par l'assurance, ce qui signifie qu'il est mutualisé entre tous les clients et tous les acquéreurs du produit.
Une difficulté est apparue récemment en ce qui concerne le sang et la transfusion sanguine pour les receveurs, mais je pense qu'elle devrait trouver une solution. En tout cas, je ne peux pas traiter d'un problème qui n'a surgi que depuis quelques semaines. Pour tout le reste, je le répète, les polices d'assurance couvrent bien - je l'ai vérifié soigneusement auprès des intéressés eux-mêmes - ce que l'on appelle actuellement le risque de développement.
Surtout, la commission a pris en compte l'article 5 de la proposition de loi, selon lequel le juge saisi d'un cas concret devra apprécier si le produit présente, non pas une sécurité absolue, mais « la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ».
Ce même texte précise que cette appréciation tiendra compte de toutes les circonstances, notamment « du moment de la mise en circulation ». Il est évident qu'il y a là une allusion transparente au risque de développement.
D'ailleurs, la doctrine n'a pas manqué de le relever puisque le nouveau manuel de Mme Viney, professeur de droit, dit expressément que, à travers cette appréciation concrète du juge de la notion de sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre en fonction de la date de mise en circulation du produit, on verra réapparaître, non pas en règle générale, mais ponctuellement, la prise en compte du risque de développement.
Autrement dit, en résumé, la commission des lois vous demandera de ne pas inscrire le principe général d'irresponsabilité pour risque de développement parce qu'il est contradictoire avec notre droit actuel, qu'il ne manquerait pas en tant que principe général d'engendrer des dérives redoutables et qu'il aurait un effet pédagogique très négatif, étant entendu que rien ne s'oppose à ce que, dans une espèce déterminée, ce risque soit concrètement intégré dans l'appréciation du degré de sécurité auquel on peut légitimement s'attendre.
Voilà très exactement ce que je croyais pouvoir appeler tout à l'heure la position équilibrée et responsable - doublement responsable, à l'égard des uns et des autres - de la commission des lois.
Une autre difficulté tient au champ d'application de la directive.
Cette dernière autorise en effet les Etats à exclure de ce champ les produits du sol, de l'élevage, de la chasse et de la pêche. Cependant, à la suite de l'affaire dite de la vache folle, une nouvelle directive invite les Etats à opter pour l'inclusion. Telle était déjà l'option du Sénat en 1993, et le texte qui nous est soumis, que nous vous demandons d'adopter et sur lequel j'ai compris que le Gouvernement était d'accord, va dans ce sens.
En revanche, il prévoit curieusement une exception non prévue par la directive : il s'agirait d'exclure les éléments du corps humain et les produits qui sont issus de celui-ci.
C'est le garde des sceaux de l'époque, M. Jacques Toubon, qui avait demandé cette exclusion, compte tenu de la nature très particulière de ces produits et dans le souci de les maintenir dans le champ plus protecteur de nos règles de droit traditionnelles ; cela s'explique par le fait que le Gouvernement était favorable, à l'époque, comme il l'est aujourd'hui, à l'exonération du risque de développement dans le présent texte.
Votre commission n'a jugé ni possible ni nécessaire cette exclusion puisqu'elle est contraire à la directive et ne paraît pas justifiée sur le fond. Nous reviendrons sur ce point s'il y a lieu, mais la question a été très bien traitée tout à l'heure par Mme le garde des sceaux.
Je dois enfin, pour être complet, annoncer la position générale prise par la commission à l'égard des articles 21 à 24 du texte. Il s'agit là de dispositions étrangères à la directive et au problème de la sécurité des produits puisqu'ils concernent les articles 1641 et suivants du code civil, c'est-à-dire le droit de la vente.
Ce sont là des questions très différentes, et elles feront l'objet d'une nouvelle directive, qui devrait normalement être adoptée en mai prochain. Nous serons donc appelés à nous intéresser à ces questions à l'occasion de la transposition de cette autre directive.
Dans ces conditions, et bien que certaines de ces dispositions soient fort utiles - je pense en particulier à celle qui tend très opportunément à régler le problème de la notion de « bref délai » en matière de vice caché - la commission des lois a préféré, du moins au stade de cette première lecture, proposer le rejet provisoire de ces articles, ce qui n'implique évidemment aucune prise de position sur le fond.
Telles sont les réserves sous lesquelles la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d'adopter ce texte afin de mettre un terme à une situation irrégulière dans laquelle notre pays se trouve depuis trop longtemps. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, j'interviens ce matin devant vous dans un domaine qui, à dire vrai, ne m'est pas familier. En effet, je ne suis ni avocat ni même juriste ; vous voudrez bien me pardonner ! (Sourires.) Mais je suis médecin et, surtout, coauteur, avec notre collègue M. Franck Sérusclat, de la proposition de loi dont est issue la loi du 20 décembre 1998 relative à la protection des personnes dans la recherche biomédicale, ainsi que coauteur d'une proposition de loi, actuellement en cours de discussion, relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.
Voilà pourquoi mon propos ne portera que sur le 4° de l'article 12, qui constitue, ainsi que Mme le ministre et M. le rapporteur l'ont précisé, l'un des points importants du texte sur lequel nous débattons.
Cet alinéa, tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale, prévoit une cause d'exonération relative au « risque de développement » ; M. le rapporteur vient de souligner à l'instant la difficulté devant laquelle nous risquons de nous trouver pour trouver la solution la plus équilibrée.
Aux termes de cet alinéa, le producteur est exonéré de sa responsabilité s'il prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où il a mis le produit en circulation ne lui a pas permis de déceler le défaut.
Cette cause d'exonération est prévue par le point e de l'article 7 de la directive.
Cependant, le point b du paragraphe 1 de l'article 15 de la directive ouvre aux Etats membres la faculté de maintenir la responsabilité du producteur dans ce cas. Or ledit article 15 exige par ailleurs de l'Etat qui souhaite faire usage de cette faculté qu'il communique au préalable le texte de la mesure envisagée et que la Commission en informe alors les autres Etats membres.
Cela suppose que nous fassions connaître à nos partenaires le texte envisagé avant son adoption. Autrement dit, renoncer aujourd'hui à cette cause d'exonération sans avoir respecté la nécessité, prévue par la directive, d'en avertir nos partenaires de l'Union européenne me paraît difficilement envisageable.
Pour ma part, je voudrais examiner cette question pour une catégorie de produits que je considère comme spécifiques, à savoir les produits de santé soumis à autorisation de mise sur le marché, produits qui sont exclus du champ de l'exonération, si j'ai bien compris les propos de Mme la ministre et de M. le rapporteur.
Concernant ces produits, la France s'est en effet dotée d'un ensemble de procédures extrêmement rigoureuses et complexes, qui vise à en garantir la qualité et la sécurité.
Aux termes de l'article L. 601 du code de la santé publique, aucun médicament ne peut être mis sur le marché sans avoir obtenu une autorisation administrative.
S'agissant de ladite autorisation, cet article dispose :
« Elle n'est accordée que lorsque le fabricant justifie :
« 1° Qu'il a fait procéder à la vérification de l'innocuité du produit dans des conditions normales d'emploi et de son intérêt thérapeutique, ainsi qu'à son analyse qualitative et quantitative ;
« 2° Qu'il dispose effectivement d'une méthode de fabrication et de procédés de contrôle de nature à garantir la qualité du produit au stade de la fabrication en série. »
Par conséquent, l'autorisation est accordée au regard de critères d'efficacité, d'innocuité et de qualité, le critère principal demeurant le rapport bénéfice-risque pour le patient.
Monsieur le rapporteur, dans votre propos, vous avez indiqué qu'il paraissait contradictoire d'appliquer l'exonération à des recherches extrêmement pointues, dans lesquelles, dites-vous à juste titre, peut exister un risque particulier.
Mais ce risque, monsieur le rapporteur, est le prix à payer pour l'innovation. Encore faut-il que ce risque soit calculé et que soit apprécié aussi rigoureusement que possible le bénéfice que l'on attend du progrès par rapport au risque que toute innovation comporte.
Nos procédures sont reconnues sur le plan international pour leur efficacité ; certaines ont même largement inspiré les législations d'Etats voisins, ainsi que la réglementation européenne.
L'ensemble des contrôles ainsi mis en place reçoit la sanction de l'Etat dans la mesure où c'est ce dernier qui, par l'intermédiaire de l'Agence du médicament, délivre une autorisation de mise sur le marché, laquelle atteste que le produit autorisé présente les garanties maximales de sécurité.
Cette autorisation de mise sur le marché est accordée en général après de très longs travaux de recherche et de développement : pour certaines molécules, ils peuvent atteindre une quinzaine d'années.
Autant que l'industriel qui en fait la demande, l'autorisation de mise sur le marché engage donc l'autorité de l'Etat, qui valide, en bout de chaîne, la qualité et l'efficacité du produit.
Etant donné cette spécificité, il me semble que le texte adopté par l'Assemblée nationale, en exonérant l'industriel de la responsabilité d'un défaut qu'il ne peut en aucune manière maîtriser, alors même que, pour s'assurer de l'absence de risques, il a mis en oeuvre tous les moyens qui sont à sa disposition en l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise sur le marché - ce dont l'Etat, en lui donnant son autorisation, se porte garant - représente une solution équilibrée.
En effet, d'une part, même si les risques de développement entrent dans le champ de l'exonération de responsabilité, l'appréciation des connaissances scientifiques et techniques permettant d'être exonéré reste sous le contrôle des tribunaux qui sont, d'une manière générale, très sensibles à la défense des victimes.
M. Philippe Marini. Tout à fait !
M. Claude Huriet. D'autre part, dans certains secteurs de la recherche - je pense tout particulièrement à celle qui porte sur les maladies dites « orphelines », ces maladies rares pour lesquelles le retour sur investissement de recherche est très aléatoire du fait du faible nombre de patients par pathologie - l'alourdissement du risque de responsabilité pourrait entraîner un ralentissement des travaux de recherche, ce qui serait, à terme, extrêmement préjudiciable aux malades, qui espèrent la découverte de nouveaux traitements.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Claude Huriet. Je rappellerai en outre que la majorité des Etats membres ont retenu la cause d'exonération liée au risque de développement et que la France ferait, si elle y renonçait, cavalier seul, ce qui ne manquerait pas d'avoir des effets négatifs en termes de délocalisation d'activités.
Monsieur le rapporteur, évoquant tout à l'heure les Etats membres qui ont exonéré les producteurs de la responsabilité liée à ce risque, vous avez toutefois précisé que, selon vous, en Allemagne, l'exonération ne s'appliquait pas aux médicaments.
En Allemagne, l'exonération des risques de développement a été retenue dans le cadre de la transposition de la directive mais une loi spéciale, ne prévoyant pas une telle exonération, s'applique effectivement aux médicaments. C'est ce qui vous permet d'affirmer que la France ne ferait pas cavalier seul.
Cependant, il convient de souligner que cette absence d'exonération est atténuée par une limitation de responsabilité des fabricants à 200 millions de deutsche Mark. Un pool d'assureurs a en outre été mis en place pour garantir cette responsabilité à l'intérieur des plafonds de responsabilité définis par la loi. Il ne faut surtout pas perdre de vue que le contexte est très différent. En Allemagne, il existe, pour le médicament, un régime non administré, c'est-à-dire que règne la liberté des prix. Cela permet aux fabricants de répercuter dans leurs prix les charges induites par les primes d'assurance. On ne peut pas faire l'impasse sur de telles considérations.
Monsieur le rapporteur, vous vous êtes ému à juste titre du sort des victimes de ce genre d'accidents et de drames. Comment ne pas souscrire à de tels propos ? Toutefois, la solution que vous évoquez ne peut pas recevoir mon soutien.
En effet, le maintien de la cause d'exonération ne signifie pas que les victimes d'un fait imprévisible ne seraient pas indemnisées, ainsi qu'elles doivent l'être en toute justice. Se pose simplement la question de savoir qui doit prendre en charge la réparation de certains dommages, en dehors du champ de la responsabilité pour faute. Chacun s'accordera ici à reconnaître qu'elle ne doit pas entrer dans le champ de nos préoccupations.
Cela m'amène à plaider une nouvelle fois, madame la ministre, pour l'adoption d'une législation sur l'aléa thérapeutique,...
M. Marcel Charmant. Très bien !
M. Claude Huriet. ... qui me paraît de plus en plus indispensable et qui, seule, représente la bonne réponse à la question de la protection des victimes dans toutes les situations où prévaut la responsabilité sans faute,...
M. François Autain. Très bien !
M. Claude Huriet. ... telle que nous l'avons rencontrée si souvent, au cours des dernières années, dans le domaine de la sécurité sanitaire. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Calmejane.
M. Robert Calmejane. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la France, en tant que membre de l'Union européenne, se doit de respecter et d'appliquer l'article 189 du traité de Rome, qui nous impose de transposer les directives européennes en droit interne.
La directive du 25 juillet 1985 vise à rapprocher les législations des Etats membres en matière de responsabilité du producteur pour les dommages causés par le caractère défectueux des produits, afin d'éviter que les disparités ne faussent la concurrence, n'affectent la libre circulation des marchandises et n'entraînent des variations dans la protection des consommateurs.
Pourquoi un pays comme la France a-t-il tant de mal à transposer cette directive ?
Les raisons de ce retard semblent provenir du fait que la directive, d'une part, prévoit, pour les producteurs et les fournisseurs, l'exonération de la responsabilité liée au risque de développement et, d'autre part, inclut les produits issus du corps humain dans son champ d'application. La complexité du sujet ne constitue pas le moindre des écueils sur lesquels achoppe notre réflexion, et le juridisme ne doit point faire oublier la réalité sociale et économique des enjeux.
J'en veux pour preuve la divergence d'interprétation entre l'Assemblée nationale et la commission des lois du Sénat à laquelle donne lieu l'article 4, s'agissant de l'opportunité ou non d'inclure les éléments du corps humain. Alors que la directive les considère, en droit, comme des produits, on peut arguer, comme l'a fait le professeur Mattéi, s'exprimant au nom du Comité consultatif national d'éthique, que le corps humain ne peut en aucun cas donner droit à patrimonialité, être introduit dans le commerce ou donner lieu à brevet. C'est là un sujet qui en appelle à la conscience de chacun, mais sur lequel le présent texte nous interpelle.
Par ailleurs, madame le garde des sceaux, le régime de responsabilité prévu par la proposition de loi doit-il être étendu aux matières premières agricoles ?
En effet, par rapport au système fermé de la production industrielle, la production agricole, avant la première transformation, est dans une large mesure tributaire des éléments de l'environnement, tels que le climat, l'eau et la nature du sol, sur lesquels il n'est guère possible d'influer. Vous semble-t-il opportun que la responsabilité des agriculteurs soit engagée pour des défauts provenant de facteurs qui échappent à leur influence, selon des enchaînements de causes qui sont encore largement inexplorés ?
De surcroît, le paiement des primes d'assurance permettant de couvrir une responsabilité ainsi étendue représentera une charge pour l'agriculteur.
Contrairement à l'industriel et au commerçant, qui déterminent les prix à la consommation, l'agriculteur n'est pas en mesure de répercuter ses coûts sur les prix à la consommation.
J'aimerais connaître votre sentiment sur ce sujet, madame le garde des sceaux.
L'article 10 de la proposition de loi, tel qu'il a été voté par l'Assemblée nationale, prévoit que la charge de la preuve concernant le dommage, le défaut et le lien de causalité appartient au demandeur, conformément à l'article 4 de la directive.
La commission, en requérant l'existence d'un lien de causalité entre le dommage et le produit, et non le défaut du produit - dans le souci, louable au demeurant, de mieux protéger les consommateurs - ne propose pas, nous semble-t-il, une transposition correcte de la directive, qui lie explicitement le dommage au défaut du produit.
La directive institue un régime de responsabilité sans faute et prévoit que tout producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit lorsque la victime fournit des preuves sur l'existence du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage.
L'article 12 de la proposition de loi dispose que le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut.
Cette exonération pour risque de développement signifie qu'un producteur, en ce cas particulier, peut s'exonérer de sa responsabilité.
La commission souhaite la suppression de cette disposition afin de préserver plus largement les droits des consommateurs.
Mais, en allant dans le sens de la commission, ne risque-t-on pas d'aller contre le droit communautaire ?
En effet, cette cause d'exonération a été consacréé par la Cour de justice de l'Union européenne, qui a reconnu la nécessité de sauvegarder « une éventualité effective d'une exonération du producteur » dans un arrêt du 29 mai 1997, Commission contre Royaume-Uni.
D'après la Cour, « ne pas tenir compte des possibilités réelles de connaissance du producteur eût été irréaliste et déraisonnable et reviendrait à nier l'accessibilité des connaissances au moment de la mise en circulation ».
On est en droit de se demander si cette disposition n'est pas primordiale pour certains secteurs de notre économie. Je pense en particulier aux industries de la chimie et de la parachimie, mais aussi de la pharmacie et de la cosmétologie, compte tenu de la spécificité de leurs produits, qui sont appelés à des usages très divers et qui sont marqués par la rapidité d'évolution des techniques et du niveau des connaissances qui s'y rapportent.
Comment une entreprise prendrait-elle le risque d'innover si sa responsabilité n'était pas dégagée en fonction des connaissances scientifiques et techniques accessibles au moment où le produit a été mis sur le marché ?
L'exonération pour risque de développement soulève un problème de poids.
En effet, elle n'est actuellement pas reconnue par notre jurisprudence.
Comme le fait remarquer le rapporteur, M. Fauchon, nous devons être prudents et ne pas amoindrir les droits des victimes.
L'obligation de sécurité pèse sur tout fabricant ou vendeur d'un produit et elle est indissociable de la liberté de créer et de vendre ; le fabricant ou le vendeur ne peut s'exonérer de sa responsabilité qu'en faisant la preuve de l'existence d'une cause étrangère.
Cependant, la transposition de la directive de 1985 nous permet de conserver les deux régimes de réparation, donc les deux régimes de responsabilité civile : celui qui ressortit à la directive et celui que nous connaissons aujourd'hui.
L'exonération pour risque de développement est une innovation en droit français. Elle n'est pas pour autant préjudiciable aux victimes.
Si, comme le propose la commission, la France se singularisait en refusant cette cause d'exonération, ses entreprises devraient supporter seules des risques qu'elles n'ont les moyens scientifiques et techniques ni de connaître ni de maîtriser.
Comme le soulignait en effet récemment le délégué général de la Fédération française des sociétés d'assurances, « l'absence totale de prévisibilité et de possibilité d'évaluation, liée à l'énormité des dommages en cause, rend ces risques inassurables ».
M. Pierre Fauchon. Elles les assurent quand même !
M. Jean Chérioux. Ça dépend !
M. Robert Calmejane. C'est ma version !
Qu'adviendrait-il alors des intérêts du consommateur face à des indemnisations théoriques que seules quelques multinationales pourraient assumer, alors que de nombreuses PME, insolvables à hauteur des sommes en cause, se verraient contraintes de se saborder ?
Quant à l'article 12 bis, qui a été introduit en première lecture par l'Assemblée nationale et qui concerne l'obligation de suivi des produits, il a pour effet une atténuation de la cause d'exonération du producteur pour les risques de développement, prévue par l'article 12.
En effet, l'exonération ne pourra jouer que si le producteur établit que, « en présence d'un défaut qui s'est révélé dans le délai de dix ans après la mise en circulation du produit », il a pris toutes les mesures propres à en prévenir les conséquences dommageables.
Cette précaution, alors même que la directive communautaire n'en fait pas une obligation, répond judicieusement aux intérêts des consommateurs pour autant que soient clairement précisées les conditions constitutives du défaut.
Sans le maintien de cette cause d'exonération, la proposition de loi irait non seulement à l'encontre du droit communautaire en vigueur, mais aussi de l'objectif qu'il vise et qui est d'assurer l'indemnisation des victimes de dommages résultant de produits défectueux en rendant impossible toute couverture de ce risque et en menaçant de ce fait la survie même de la compagnie à l'origine du dommage.
Permettez-moi d'insister sur le fait que, si nous ne voulons pas nous trouver dans une situation telle que celle connaissent aujourd'hui les Etats-Unis,...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Ils ne sont pas malheureux de leur situation !
M. Robert Calmejane. ... nous devons sauvegarder cette cause d'exonération.
Aujourd'hui, il ne reste plus qu'un seul laboratoire américain ! Résultat, le prix du vaccin contre la polio, par exemple a doublé du fait du retrait des autres producteurs.
Dans un tel cas, qu'en est-il du consommateur ? Il ne lui reste qu'un seul choix, et ce choix est-il sans risque ?
Dès lors, permettez-moi de m'interroger : voulons-nous qu'un tel scénario se déroule en France ?
Si tel était le cas, nous risquerions d'assister impuissants à la montée de la crainte, puis à la frilosité d'entreprises qui pourraient être conduites soit à retarder, soit à renoncer à l'innovation ou au lancement de nouveaux produits.
Une telle perspective serait inquiétante, notamment dans les secteurs de pointe comme l'industrie pharmaceutique, à une époque où l'apparition de pathologies graves nécessite la mobilisation de toutes les compétences en vue de la fabrication de produits actifs et innovants. Cela ne pourrait qu'aller à l'encontre de l'intérêt général.
Par ailleurs, nous pouvons nous demander si cela n'aurait pas un effet négatif sur l'emploi et l'investissement.
En effet, les grands groupes déjà implantés en France pourraient être tentés de délocaliser leur recherche dans les autres pays de l'Union européenne, qui, à l'exception de l'Espagne et du Luxembourg, ont tous conservé cette cause d'exonération.
Jusqu'à aujourd'hui, aucun industriel n'agissait dans ce sens, car il considérait que tôt ou tard nous serions obligés de nous conformer au droit communautaire, et donc de transposer la directive de 1985. Mais qu'adviendra-t-il demain si nous supprimons la cause d'exonération ?
La réponse est assez simple : les entreprises iront s'installer ailleurs. Il faudra alors, d'une part, expliquer sereinement aux personnes concernées pourquoi nous les avons laissées partir et, d'autre part, assumer la responsabilité politique de leur départ.
C'est, par-delà la défense d'un secteur important de notre économie, la préservation de tout un pan de notre recherche qui est en cause.
Il ne s'agit donc pas d'opposer industrie et consommateur de manière stérile, comme certains élus de la gauche plurielle seront sans doute tentés de le faire demain à l'Assemblée nationale. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Marcel Charmant. Tout de suite des procès d'intention !
M. Robert Calmejane. Notre tâche de législateur, avec la sagesse qui caractérise le Sénat, consiste à rechercher un juste équilibre sauvegardant les intérêts de tous, comme avaient su le faire, en première lecture, nos collègues députés du RPR, de l'UDF et du groupe socialiste réunis, pour une fois, dans une vision constructive de l'avenir. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. Marcel Charmant. Vous voyez que la gauche n'est pas toujours telle que vous la décrivez !
M. le président. La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les péripéties qui ont entouré, jusqu'à ce jour, la transcription dans notre droit de la directive européenne relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, élaborée le 25 juillet 1985.
Il devient urgent que la France, pays moteur de la construction européenne, respecte ses engagements, d'autant qu'elle est sous le coup d'une condamnation !
La présente proposition de loi, déposée à l'initiative de Mme Catala, a pour finalité de relancer la procédure législative. Elle reprend pour l'essentiel les termes de la directive et les travaux de l'Assemblée nationale et du Sénat lors de la première lecture en 1991.
Lors de la deuxième lecture, les deux chambres ont adopté des positions très différentes et, bien qu'un texte ait pu être élaboré en commission mixte paritaire, le Gouvernement n'y a pas donné de suite législative.
Le droit français, en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, se caractérise par une très grande complexité, généralement dénoncée par l'ensemble des spécialistes.
En effet, la matière ne fait pas l'objet d'un régime spécifique, mais elle est couverte par diverses dispositions législatives et par des constructions jurisprudentielles très élaborées. Nous avons déjà eu l'occasion d'aborder ce sujet ; il n'est donc pas nécessaire de s'y attarder.
Il est manifeste que l'exonération possible de la responsabilité du producteur pour risque de développement constitue le point le plus délicat. C'est d'ailleurs sur ce point que le désaccord qui a empêché la transposition de la directive est né.
Il convient de noter que la transposition de la directive n'a pas pour effet de substituer la notion de responsabilité de plein droit qu'elle institue à notre droit positif puisque la victime conserve la possibilité de se fonder, selon son choix, ou sur la directive transposée, ou sur le droit français. C'est là, je crois, la cause de l'ambiguïté qui entoure notre discussion.
Si le droit français est, comme le prétendent certains, plus protecteur, il sera de l'intérêt de la victime - et ses défenseurs sauront la guider - de l'utiliser. Si, au contraire, la victime trouve dans la transposition de la directive une meilleure solution, elle sera libre d'y recourir.
En 1985, la Chancellerie avait constitué un groupe de travail sous la présidence du professeur Ghestin, dont les travaux avaient guidé la réflexion du législateur lors de l'examen en première lecture. C'est ainsi que M. Thyraud, rapporteur au Sénat, et moi-même, rapporteur à l'Assemblée nationale à l'époque, étions parvenus à un accord sur l'essentiel.
Concernant le risque de développement, le groupe de travail proposait de conserver en l'état notre droit positif et les nuances de la jurisprudence.
En effet, la question ne se pose que rarement et la définition contenue dans l'article 1387-1 du code civil, repris de la directive, pourra conduire dans certains cas à une exonération pour risque de développement : le plus souvent, pour apprécier la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, on se référera à l'état des connaissances scientifiques et techniques.
Lors de la première lecture, les parlementaires, suivant en cela les conclusions du groupe de travail, n'ont pas voulu préciser expressément que le producteur ne saurait en aucune manière invoquer le risque de développement pour s'exonérer.
Si le législateur revenait aujourd'hui sur ce principe, comme le propose M. le rapporteur, nous empêcherions les producteurs d'invoquer cette cause d'exonération. Je ne suis pas convaincu que tel soit le résultat que nous recherchons !
L'Assemblée nationale a, dans la présente proposition de loi, fait du risque de développement une cause d'exonération. M. le rapporteur s'y oppose. Il semble que le Gouvernement proposera, quant à lui, d'exclure cette cause d'exonération pour les produits de santé et les produits du corps humain, à l'instar de l'Espagne, qui a adopté cette même attitude.
Je me rallierai volontiers à cette dernière proposition dans l'état actuel des débats. Toutefois, s'agissant des produits soumis à homologation, je m'interroge : qui, du producteur ou de l'autorité qui a délivré l'autorisation, assumera la responsabilité ? En l'occurrence, l'autorité sera l'Agence du médicament. Si cette dernière était mise en cause, l'Etat se trouverait responsable.
En effet, l'article 7, paragraphe c de la directive précise que le producteur n'est pas responsable s'il prouve que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives émanant des pouvoirs publics.
Peut-être est-il imprudent de vouloir donner une réponse précipitée à un problème aussi délicat et qui interpelle tant l'opinion publique !
Si la directive impose la transcription d'un certain nombre de règles, elle laisse aux Etats membres la possibilité d'inclure ou non les produits du sol et les produits de la chasse et de la pêche dans le champ d'application du nouveau dispositif.
Si cette question était préoccupante lors de l'examen du premier projet de loi, une nouvelle directive a eu précisément pour objet d'étendre le champ d'application de la directive de juillet 1985 aux produits agricoles. Il n'y a donc plus de débat à avoir sur ce point.
Il s'agit de trouver un équilibre satisfaisant entre les exigences de la directive, les droits des consommateurs et les devoirs des professionnels. Je ne doute pas que nous y parvenions. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.) M. le président. La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à transposer, dans notre droit national, une directive communautaire du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Cette directive introduit un principe fondamental de responsabilité sans faute des producteurs, responsabilité dite objective, entraînée par l'existence d'un défaut du produit ayant occasionné un dommage. Le défaut du produit est entendu comme un « défaut de sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ». Le pronom indéfini « on » comprend l'opinion publique en général, et non la victime elle-même ou un groupe de personnes déterminé. L'évaluation de la sécurité attendue doit être faite en fonction de « toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ». On peut d'ores et déjà craindre que la notion de « raisonnable » ne fasse l'objet d'interprétations différentes selon les juridictions lors de contentieux à venir.
Le produit considéré pourra être tout meuble, même incorporé dans un immeuble. La proposition de loi y inclut aujourd'hui, conformément à l'intention exprimée par l'Union européenne, les produits agricoles et les produits de la chasse. Une modification de la directive sur ce point est en effet actuellement en cours ; elle sera examinée par le Parlement européen dans les mois à venir. Prendre de l'avance au niveau national par cette disposition semble donc souhaitable.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale avait choisi, en mars dernier, d'exclure les éléments et produits issus du corps humain du domaine d'application de la proposition de loi, au motif qu'un texte plus approprié devait être ensuite élaboré pour tenir compte de la spécificité de ces produits. La proposition de loi dans sa rédaction actuelle ne mentionne plus cette exclusion, la commission des lois ayant rappelé que la directive communautaire ne comprend pas une telle dérogation.
Sur ce point précis, on peut cependant craindre l'application du principe de responsabilité pour risque de développement dans le cadre de techniques médicales telles que des transplantations. En cette matière, étant donné l'origine humaine de ces produits particuliers, les risques sont par définition imprévisibles. Le transfert d'un organe se révélant par la suite « défectueux » au sens de la directive, c'est-à-dire comportant un gène « perturbateur », par exemple, entraînerait-il la responsabilité du donneur ou de ses ayants droit, ou bien celle du praticien qui a conduit l'intervention chirurgicale permettant la transplantation ?
Enfin, le dommage vise les atteintes à la personne sous forme de lésions corporelles ou de décès, ainsi que celles qui sont portées aux biens autres que le produit lui-même, conformément au texte communautaire.
Le producteur est défini de façon assez large. En effet, il peut s'agir du fabricant du produit fini ou d'une partie composante du produit, ou de celui qui se présente comme tel en apposant son nom, sa marque ou un autre signe distinctif sur le produit, ou encore de l'importateur du produit dans l'Union européenne. Toutefois, sont exclus du champ de la responsabilité les constructeurs et leurs sous-traitants, ainsi que les crédits-bailleurs.
En vertu du texte communautaire initial, la victime doit prouver le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre les deux. La commission des lois propose cependant de retirer la preuve du défaut du produit des obligations du demandeur. Cette nouvelle rédaction, si elle devait être entérinée, serait donc contraire aux termes de la directive. Rappelons ici qu'une telle décision serait de nature à exposer la France à de nouvelles poursuites de la part de la Commission de l'Union européenne pour avoir mal transposé la directive, à l'instar de ce qui s'est produit pour certains autres Etats membres, par exemple le Royaume-Uni, poursuivi devant la Cour de justice depuis le 20 septembre 1995, et l'Italie. Il ne paraît pas souhaitable de s'exposer à un tel risque dans la mesure où cette transposition, qui aurait dû intervenir depuis longtemps, devra être faite rapidement et correctement.
Toutefois, s'agissant de ce texte, la discussion la plus importante porte sur l'exonération ou non de la responsabilité du producteur pour risque de développement, notion qui couvre les défauts imprévisibles, indécelables en l'état de la science et de la technique au moment de la mise en circulation du produit.
Lancée dès le début de l'élaboration de la directive communautaire, cette discussion a fait l'objet d'une controverse importante et durable qui a finalement conduit à proposer une option aux Etats membres entre exonérer ou non les producteurs pour les risques de développement, lors de l'acte de transposition.
Les enjeux considérés étaient importants. Pour leur part, les associations de consommateurs se prononçaient en faveur de l'inclusion dans le texte de ce nouveau degré de responsabilité du producteur, estimant qu'on ne pouvait leur faire supporter individuellement les risques nés d'un produit. Face à elle, les fabricants invoquaient les surcoûts d'assurance et leur répercussion sur les prix des produits, les freins à l'innovation qu'une telle disposition ne manquerait pas d'entraîner et le déséquilibre qu'elle instaurerait entre les consommateurs et les producteurs.
Les institutions communautaires ont alors choisi de ne pas trancher elles-mêmes et d'obliger les Etats membres à effectuer un choix sur l'imputabilité de la responsabilité pour risque de développement.
Ainsi, tous les Etats de l'Union européenne se sont prononcés sur cette option de la directive. Seuls trois pays ont choisi de ne pas exonérer le producteur de la responsabilité pour risque de développement : le Luxembourg, la Finlande et, dans une moindre mesure, l'Espagne, qui en a limité la portée aux seuls produits pharmaceutiques et alimentaires.
La France se propose aujourd'hui de rejoindre ce petit groupe de pays car la commission des lois a supprimé, dans l'article 12 de la proposition de loi, l'alinéa tendant à exonérer le producteur « s'il prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ». Pour ma part, je ne peux adhérer à une telle aggravation de la situation des producteurs, tant sur le plan juridique que sur le plan économique. Il me semble en effet que certains produits, tels que les médicaments, ne devraient pas y être soumis. Ces produits sont expérimentés, autorisés puis mis sur le marché sur la base d'un rapport bénéfice-risques dont le consommateur est le premier bénéficiaire. Les effets indésirables qui accompagnent parfois le traitement sont ainsi considérés comme des désagréments inévitables, plus ou moins importants, qui participent de la guérison.
Dans ces conditions, exiger que les fabricants se protègent, en souscrivant des assurances très onéreuses, contre les indemnisations qui pourraient être exigées du fait d'un de leurs médicaments reviendrait automatiquement à freiner les investissements en recherche et, par voie de conséquence, à limiter les progrès de la lutte contre les maladies. En croyant protéger le consommateur, nous ne parviendrions, à terme, qu'à nuire à la santé publique. J'ajoute qu'une telle disposition entraînerait, pour les producteurs français, une distorsion de concurrence avec les autres producteurs de l'Union européenne non soumis à cette responsabilité.
Enfin, il ne semble pas inutile de rappeler la procédure particulière qui est prévue par la directive au cas où un Etat membre souhaite opter pour la non-exonération du producteur de la responsabilité pour risque de développement. L'article 15 dispose, en effet, que l'Etat membre, après avoir informé la Commission de son intention de procéder à ce choix en lui communiquant le texte de la mesure envisagée, doit surseoir à sa décision pendant une certaine durée, de l'ordre de quelques mois, afin de permettre à la Commission d'en informer les autres Etats membres, mais aussi d'envisager de présenter une abrogation de l'exonération sur le plan communautaire. Je souligne que cette dernière possibilité n'a pas été utilisée jusqu'à présent, eu égard au succès limité rencontré par le principe de responsabilité du producteur pour risque de développement dans l'Union européenne.
Enfin, la disposition relative au suivi des produits constitue une nouveauté par rapport au texte original de la directive. Elle consiste à faire peser sur le producteur une véritable obligation de réagir si l'existence d'un défaut de ses produits a été constatée au cours des dix années qui suivent leur mise en circulation. En effet, au cas où il n'aurait pas pris les mesures propres à en prévenir les conséquences dommageables, il se verrait dans l'impossibilité d'invoquer la cause d'exonération pour risque de développement, si elle devait subsister.
Une fois de plus, le texte national se propose d'aggraver la situation du producteur, et s'écarte ainsi des dispositions de la directive. Toutefois, en ce cas précis, l'exigence imposée au producteur paraît de bon aloi. En effet, en cas de révélation d'un défaut, il se doit d'intervenir de façon proportionnée au danger, soit pour en informer le public, mais aussi les professionnels concernés et éventuellement les autorités de l'Etat, soit pour retirer des lots de produits à risques, soit, enfin, pour retirer totalement le produit du marché. Sont à ce prix la protection du consommateur mais aussi la réputation du fabricant. Rappelons-nous, à cet égard, le coup d'éclat de Perrier, qui, voilà quelques années, avait procédé de façon massive à un retrait de ses produits du marché.
Pour conclure, je rappellerai l'urgente nécessité, pour la France, de procéder à la bonne transposition de la directive de 1985. Notre pays s'y est engagé, nous y sommes contraints par le droit communautaire. Sur ce plan, nous sommes soumis à une véritable obligation, à laquelle nous ne pouvons plus nous dérober. Cependant, sur le plan du droit, il ne me semble pas que la transposition apportera une vraie nouveauté. En effet, l'obligation de sécurité imposée à nos producteurs couvre d'ores et déjà les exigences de la responsabilité objective. L'invocation d'une meilleure protection du consommateur, notamment par la responsabilité pour risque de développement, ne me paraît pas fondée : un risque vraiment imprévisible le restera, et le dommage occasionné ne pourra que donner lieu à l'octroi d'une indemnité à la victime. Celle-ci sera donc non pas mieux protégée, mais seulement mieux indemnisée.
En définitive, nous entrons dans des considérations économiques qui me paraissent bien proches de l'esprit américain. Je forme le voeu que notre pays ne s'expose pas aux dérives judiciaires que l'on constate outre-Atlantique et qu'il conserve l'équilibre qui a prévalu jusqu'à présent entre les intérêts bien compris des producteurs et ceux des consommateurs. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste. - M. Marini applaudit également.)
M. Marcel Charmant. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l'a rappelé M. le rapporteur, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui reprend largement les conclusions issues des travaux de la commission mixte paritaire qui s'était réunie en 1992. Elle tend à transposer une directive européenne adoptée en 1985.
Alors que la France dispose, en matière de protection des consommateurs, d'une législation parmi les plus évoluées, nous sommes contraints de transposer, dans notre droit interne, une directive plus laxiste, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux. M. Fauchon note d'ailleurs dans son rapport que « cette directive n'améliore guère le droit français de la sécurité des produits, déjà très protecteur ».
Nos réserves face à cette directive ne sont donc pas une position de principe. Nous ne sommes pas hostiles, de façon systématique, à la transposition d'une directive européenne dans notre système juridique, dès lors qu'elle le complète, l'enrichit ou l'approfondit. En revanche, s'il s'agit d'introduire des dispositions qui marquent une régression de notre droit, nous nous y opposons catégoriquement.
Tous les intervenants s'accordent à le reconnaître, le système juridique français en matière de responsabilité du fait des produits défectueux offre un niveau de protection très élevé au consommateur, malgré sa complexité.
Ainsi, la prévention est mise en oeuvre par la loi du 21 juillet 1983 et organisée par le code de la consommation. Les sanctions sont, elles, prévues par la loi du 1er août 1905, par le code de la consommation et par le code pénal. Quant à la réparation, elle est couverte par plusieurs dispositions législatives du code civil et diverses jurisprudences.
Sous couvert d'une transposition de directive, cette proposition de loi conduit à réduire et à désavouer notre dispositif juridique et son principe de protection.
S'agissant de l'exclusion du champ d'application de la loi des éléments et produits du corps humain, ajoutée par nos collègues de l'Assemblée nationale, nous souhaitons réaffirmer notre attachement à cet alinéa, et ce pour des raisons éthiques évidentes.
Les éléments et produits du corps humain ne doivent pas être considérés comme des marchandises. Ils ne doivent pas donner lieu à un quelconque commerce. Ce point est primordial. Je tiens d'ailleurs à rappeler que deux directives européennes, prises depuis 1985, ont déjà exclu le sang, les cellules sanguines et le plasma d'origine humaine d'un tel dispositif.
Au-delà des raisons théoriques, que nous a exposées M. le rapporteur, notre fermeté sur ce point pourrait être un message fort adressé à Bruxelles : la France sera intransigeante sur le respect de la dignité de la personne, ce qui passe par l'exclusion du marché des éléments et produits du corps humain.
La directive à laquelle il nous est demandé de conformer nos textes laisse à chaque Etat membre, selon l'article 189 du traité de Rome, toute liberté « quant à la forme et aux moyens » nécessaires pour atteindre les objectifs fixés.
Or, cette liberté, cette marge de manoeuvre est-elle suffisamment exploitée dans la proposition de loi qui nous est soumise ? Nous pensons que non.
L'article 15 de la directive du 25 juillet 1985 précise que chaque Etat membre peut, par dérogation à l'article 7, maintenir ou non la disposition concernant l'exonération de la responsabilité du producteur sur le risque de développement.
C'est l'une des principales faiblesses de ce texte. Comme M. le rapporteur, nous ne sommes pas favorables à cette possibilité d'exonération. En effet, elle pourrait conduire à des dérives technologiques et scientifiques sans que les victimes aient les moyens de se défendre réellement.
La responsabilité du producteur nous paraît être l'un des facteurs de moralisation de notre économie. Notre devoir de législateur est de protéger avant tout les victimes tout en respectant les droits des producteurs. Nous pouvons donc contribuer à assainir les relations entre producteur et consommateur, car ce rapport, aujourd'hui, n'est pas équilibré. Pour un certain nombre de fabricants peu scrupuleux, l'important est moins l'acte de consommer que l'acte d'acheter le produit.
La défectuosité d'un produit résulte, le plus souvent, d'une volonté de baisser au maximum les coûts de fabrication : on choisit des matières premières de moins bonne qualité, on ne vérifie pas la mise aux normes des produits, on diminue non seulement les budgets de recherche-développement, mais aussi le coût du travail et les salaires.
Le nombre des produits défectueux augmente du fait des records de productivité : il s'agit là de deux éléments d'une même logique, celle du libéralisme sauvage.
Nous jugerons du texte final au regard du droit français en vigueur et non sur la base d'une directive européenne dont la transposition pure et simple contribuerait à léser les consommateurs.
Si le texte aboutit à atténuer notre système juridique en matière de responsabilité du producteur et de droit de la victime, nous nous y opposerons.
Madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes résolus à préserver et à développer le niveau de protection des consommateurs.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je formulerai simplement quelques remarques à la suite des interventions des différents orateurs.
Monsieur le rapporteur, il ne s'agit bien entendu pas d'instaurer l'irresponsabilité. En effet, si la directive ne s'applique pas, le droit national et notre jurisprudence mettent à la charge des producteurs une obligation de sécurité absolue.
M. Marcel Charmant. C'est sûr !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Si la directive s'applique, les producteurs devront prouver l'impossibilité de connaître le vice en l'état des connaissances techniques et scientifiques.
Le Gouvernement doit bien évidemment veiller à la protection des consommateurs, mais il lui faut aussi prendre en compte l'intérêt général de l'économie française.
Le texte proposé opère des choix tout en essayant de préserver un équilibre. Il n'instaure pas une irresponsabilité, et ce pour deux raisons : tout d'abord, en ce qui concerne les assurances, la question ne s'est posée que pour les transfusions sanguines, et les assureurs ont refusé d'assurer les risques encourus par les receveurs.
M. Marcel Charmant. Tout à fait !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. D'une façon générale, il est impossible de s'assurer contre un risque non déterminé et, par conséquent, illimité.
M. Marcel Charmant. Absolument !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Actuellement, l'assurance visant à couvrir sa responsabilité civile comporte des plafonds. Il faut bien avoir conscience de ces problèmes.
M. Huriet a déclaré avec raison que ce texte mêlait étroitement des enjeux de nature très différente. En effet, cette proposition de loi comporte des enjeux éthiques, sociaux et économiques. C'est pourquoi il est difficile de prendre une décision et d'instaurer un équilibre.
M. Huriet a mentionné l'innovation en matière de recherche. L'exonération de responsabilité est-elle le prix à payer pour permettre de trouver des traitements pour les malades ? Tel n'est pas le choix opéré par le Gouvernement, car les dommages causés par l'application d'une thérapie sont jugés d'autant plus inacceptables qu'ils sont opposés à la finalité du soin.
M. Calmejane a notamment souhaité une exonération totale du producteur pour les risques de développement. La spécificité des produits du corps humain et des produits de santé a justifié, pour le Gouvernement, la solution proposée, qui me paraît constituer un bon équilibre entre les intérêts de chacun.
M. Calmejane est favorable à l'exonération du risque de développement dans tous les secteurs confrontés à l'impossibilité de s'assurer. Le Gouvernement a procédé à un autre choix, car il estime être en charge non pas des intérêts des uns ou des autres, mais de l'intérêt général. C'est pourquoi il a choisi l'exonération du risque de développement pour tous les produits, à l'exception des produits à hauts risques.
Monsieur Charmant, je vous remercie d'avoir, à juste titre, souligné que la directive ne se substitue pas à notre législation nationale et qu'elle apporte une protection supplémentaire aux consommateurs victimes.
Vous avez tenu compte raisonnablement de la spécificité des produits du corps humain. Il est exact que la question de l'indemnisation pour les produits de santé soumis à autorisation se pose.
Des discussions sont en cours concernant aussi bien la veille sanitaire que l'aléa thérapeutique.
Madame Terrade, ce texte ne peut en aucun cas constituer une régression, puisqu'il vise non à une substitution de législation mais à l'ajout d'un nouveau dispositif de protection pour les consommateurs victimes. L'exclusion du champ d'application des produits du corps humain est conforme à notre obligation de transposition.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - Il est inséré, dans le livre III du code civil, après l'article 1386, un titre IV bis ainsi rédigé :
« IV bis . - De la responsabilité du faitdes produits défectueux »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2



M. le président.
« Art. 2. - Il est inséré, dans le titre IV bis du livre III du code civil, un article 1386-1 ainsi rédigé :
« Art. 1386-1. - Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
« Ne sont pas considérés comme producteurs, au sens du présent titre, les professionnels exposés au régime de responsabilité organisé par les articles 1792 à 1792-6 et 1646-1 du code civil. »
Par amendement n° 1, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer le second alinéa du texte présenté par cet article pour insérer un article 1386-1 dans le code civil.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Le second alinéa de l'article 2 exclut du champ d'application du nouveau régime de responsabilité les professionnels du secteur de la construction immobilière qui sont d'ores et déjà soumis au régime de responsabilité de plein droit organisé par les articles 1792 à 1792-6 et 1646-1 du code civil, visant la responsabilité du constructeur d'un ouvrage et du vendeur d'un immeuble à construire. Cette exclusion se veut conforme à l'esprit de la directive qui exclut les immeubles de son champ d'application.
S'il est vrai que, dès lors, il pourrait paraître inutile de prévoir une telle exclusion, celle-ci semble néanmoins nécessaire dans la mesure où l'article 4 de la proposition de loi intègre dans le champ d'application du nouveau régime de responsabilité les meubles incorporés dans des immeubles, ce qui introduit un doute et serait probablement source de difficultés d'application.
Cela étant, cette disposition, que nous croyons fondée, doit néanmoins figurer non pas au présent article, mais à l'article 7 de la proposition de loi, qui définit la notion de producteur.
C'est donc à l'occasion de l'examen de l'article 7 que nous exclurons du champ d'application du nouveau dispositif, d'une manière générale, les constructeurs ainsi que leurs sous-traitants.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable à cet amendement. En effet, sur la forme, la commission des lois a raison de souhaiter évoquer le régime de responsabilité applicable aux constructeurs à l'article 7 de la proposition de loi. Sur le fond, j'émettrai des réserves sur la proposition de la commission, mais je m'en expliquerai le moment venu.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2, ainsi modifié.

(L'article 2 est adopté.)

Article 3



M. le président.
« Art. 3. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-2 ainsi rédigé :
« Art. 1386-2. - Les dispositions du présent titre s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même. » - (Adopté.)

Article 4



M. le président.
« Art. 4. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-3 ainsi rédigé :
« Art. 1386-3. - Est un produit tout bien meuble, même s'il est incorporé dans un immeuble, y compris les produits du sol, de l'élevage, de la chasse et de la pêche. L'électricité est considérée comme un produit.
« Les dispositions du présent titre ne sont pas applicables aux éléments du corps humain et aux produits qui sont issus de celui-ci. »
Par amendement n° 2, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer le second alinéa du texte présenté par cet article pour insérer un article 1386-3 dans le code civil.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l'exclusion du nouveau régime issu de la directive des éléments du corps humain et des produits issus de celui-ci. Ces derniers ont été au centre de la discussion générale, et je vous renvoie donc, mes chers collègues, aux explications que j'ai données dans mon intervention liminaire.
L'Assemblée nationale, au début de l'année dernière, a voulu exclure les éléments et produits du corps humain du système de la directive.
Or, la directive ne permet pas cette exclusion, et cet argument devrait se suffire à lui-même puisque nous devons impérativement transposer la directive.
En outre, je ne vois pas pourquoi exclure de ce nouveau système les éléments et produits du corps humain. D'ailleurs, sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, on risque de se tromper, car, dans ce cas, les produits du corps humain restent dans le système de droit français classique lequel est probablement encore plus protecteur.
De toute façon, cela ne change pas grand-chose. La directive apporte essentiellement une simplification dans la mise en oeuvre des responsabilités. Il n'y a pas de raison de ne pas étendre cette simplification aux éléments et produits du corps humain.
Nous pensons donc qu'il y a lieu de ne pas exclure les éléments et produits du corps humain du nouveau régime issu de la directive.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis favorable. Nous comprenons que la commission ne souhaite pas opérer de distinction entre les produits et, en conséquence, inclure dans le champ d'application de la loi de transposition les éléments du corps humain et les produits qui sont issus de celui-ci.
Son choix s'explique par son souci de n'exonérer aucun producteur pour risque de développement quelle que soit la nature des biens qu'il met en circulation.
Si le Gouvernement n'entend pas faire du risque de développement une cause générale d'exonération, du moins est-il, pour des raisons éthiques évidentes, en accord avec la commission s'agissant des éléments et produits du corps humain.
J'aurai l'occasion de m'expliquer sur ce point lors de l'examen de l'article 12. Dans l'immédiat, je me rallie à la suppression proposée.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
Mme Odette Terrade. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Le second alinéa de l'article 4, tel qu'il est rédigé et tel que nous voudrions le voir maintenu, nous paraît de nature à clarifier la volonté du législateur de bien distinguer les éléments et produits du corps humain de l'ensemble des autres produits. Introduire ceux-là dans le champ d'application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux conduirait inéluctablement à leur donner un caractère industriel et commercial, ce que nous refusons catégoriquement.
Nous redoutons une telle perspective. Or adopter cet amendement de suppression constituerait un premier pas que nous ne voulons pas franchir.
De plus, il nous semble que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux est moins protecteur pour le consommateur que notre droit actuel.
Certes, M. le rapporteur nous explique que la victime aura le choix entre les deux régimes. On risque, en réalité, de créer des confusions sur cette question très délicate des produits du corps humain.
Un système cohérent et clair est la meilleure garantie pour l'exercice des droits de la victime. Monsieur le rapporteur, le groupe communiste républicain et citoyen est opposé à votre amendement n° 2 pour des raisons d'éthique et de transparence.
M. Marcel Charmant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant. Nous suivrons le Gouvernement et voterons donc l'amendement n° 2. J'indique néanmoins que Mme le garde des sceaux et M. le rapporteur ne se situent pas tout à fait dans la même perspective.
Lors de l'examen par l'Assemblée nationale du premier texte, dont j'étais le rapporteur, la notion de produits du corps humain avait été introduite. En effet, en 1991, le débat autour du sang contaminé mettait en exergue ce point.
M. le rapporteur considère qu'il serait contraire à la directive de faire figurer cette notion dans le texte de loi. Non ! En effet, la directive évoque les produits, notamment les produits industriels, mais ne fait en aucun cas référence au corps humain.
Par conséquent, nous voterons l'amendement n° 2 compte tenu non pas de l'interprétation de la commission, mais de celle du Gouvernement, qui, par ailleurs, propose de maintenir l'exonération du risque de développement. (Mme le garde des sceaux opine.)
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je suis favorable à l'amendement de la commission, car il nous appartient, me semble-t-il, d'établir un régime de responsabilité homogène quelle que soit la nature des activités et des branches industrielles concernées.
Cela ne doit pas s'opposer à la prise de conscience de l'existence de risques spécifiques à certaines activités, et je pense ici à un problème de fond qui est présent à beaucoup de nos esprits, à savoir le risque thérapeutique. En ce domaine, bien des réflexions se sont exprimées et bien des propositions ont été faites. Je crois important de rappeler l'urgence qu'il y a à prendre des dispositions législatives en la matière, en instaurant en particulier un système d'assurance bien spécifique compte tenu des besoins sociaux qui s'expriment et de la complexité sans cesse croissante des techniques biomédicales.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 4, ainsi modifié.

(L'article 4 est adopté.)

Article 5



M. le président.
« Art. 5. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-4 ainsi rédigé :
« Art. 1386-4. - Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
« Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
« Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation. » - (Adopté.)

Article 6



M. le président.
« Art. 6. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-5 ainsi rédigé :
« Art. 1386-5. - Un produit est mis en circulation lorsque le producteur s'en est dessaisi volontairement.
« Un produit ne fait l'objet que d'une seule mise en circulation. »
Par amendement n° 3, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer le second alinéa du texte présenté par cet article pour insérer un article 1386-5 dans le code civil.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Le second alinéa du texte proposé par l'article 6 pour l'article 1386-5 du code civil prévoit que le produit ne fait l'objet que d'une seule mises en circulation. Or cette disposition est contradictoire avec l'article 8, qui admet la responsabilité non seulement du producteur, qui effectue une première mise en circulation, mais aussi du vendeur, qui en fait une deuxième et, éventuellement, du loueur, qui peut en faire une troisième. Il peut donc, de toute évidence, y avoir plusieurs mises en circulation.
Par conséquent, il me semble nécessaire de supprimer cet alinéa.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement. En effet, pour des besoins de sécurité juridique, il lui paraît nécessaire de maintenir la précision qui figure dans cet alinéa.
Comme l'a relevé la commission dans son rapport, la mise en circulation a des effets juridiques importants, notamment en ce qui concerne l'extension, au bout de dix ans, de la responsabilité du producteur, les causes d'exonération de celui-ci, l'obligation de suivi du produit et l'application dans le temps du régime intégrant la directive.
Il faut donc que la mise en circulation corresponde à un moment précis qui ne soit pas susceptible de contestation. La succession de mise, en circulation à chaque désistement d'un des membres de la chaîne de commercialisation conduirait à un système complexe multipliant les difficultés de preuve et pourrait induire la victime en erreur. Elle pourrait viser le fabricant alors qu'il se serait dessaisi depuis plus de dix ans du produit dans les mains du revendeur.
La conservation pendant un certain temps par l'un quelconque des membres de la chaîne de distribution du produit modifierait le délai d'extinction, qui ne répondrait plus alors à des critères objectifs.
Enfin, il est clair que la directive a entendu lier la responsabilité objective qu'elle édicte à une période de durée raisonnable au terme de laquelle la responsabilité doit s'éteindre.
Je voudrais, à cet égard, vous lire un considérant de la directive, qui me paraît dépourvu d'ambiguïté : « Considérant que les produits s'usent avec le temps, que des normes de sécurité plus strictes sont élaborées et que les connaissances scientifiques et techniques progressent,... que la reponsabilité du producteur doit donc s'éteindre après une période de durée raisonnable, sans préjudice toutefois des actions pendantes... »
Compte tenu de cet éclairage et pour des raisons de sécurité juridique, je ne peux être que défavorable à cet amendement.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Madame le garde des sceaux, j'avoue que je suis tout de même un peu surpris !
L'article 8, que nous allons examiner dans un instant, prévoit que « le vendeur, le loueur ou tout autre fournisseur professionnel est responsable du défaut de sécurité du produit dans les mêmes conditions que le producteur ». Or il peut fort bien arriver qu'un produit sorte de l'usine, soit donc mis une première fois en circulation, puis soit livré à un grossiste avant de l'être à un détaillant, et soit ensuite éventuellement loué. Il se sera écoulé alors un certain nombre d'années entre le moment où le produit est sorti de l'usine, date de la première mise en circulation, et le moment où il aura été vendu au client. Or c'est ce dernier moment qui compte pour le client, qui peut être victime d'un éventuel dommage ! Si quatre ou cinq ans se sont déjà écoulés depuis la première mise en circulation, le client voit le délai dans lequel il peut agir considérablement restreint !
Comme je disais tout à l'heure, le délai de dix ans qui est prévu constitue déjà une restriction assez fâcheuse par rapport à notre droit commun. En effet, si un tel délai existe bien dans notre droit, il part du moment où le dommage est connu. Or, ici, ce n'est pas le cas ! En maintenant votre position, madame le garde des sceaux, vous risquez donc de réduire considérablement les possibilités d'action de la victime d'un dommage.
Je ne comprends pas : dès lors que l'on admet la responsabilité du vendeur, du loueur et du fournisseur, il faut admettre qu'il y a une mise en circulation à chaque niveau, étant bien entendu que celle qui compte, pour la victime d'un dommage, c'est la dernière !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 6, ainsi modifié.

(L'article 6 est adopté.)

Article 7



M. le président.
« Art. 7. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-6 ainsi rédigé :
« Art. 1386-6. - Est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante.
« Est assimilée à un producteur pour l'application du présent titre toute personne agissant à titre professionnel :
« 1° Qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif ;
« 2° Qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d'une vente, d'une location, avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution. »
Par amendement n° 4, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de compléter in fine le texte présenté par cet article pour insérer un article 1386-6 dans le code civil par un alinéa ainsi rédigé :
« Ne sont pas considérés comme producteurs, au sens du présent titre, les professionnels, ainsi que leurs sous-traitants, exposés au régime de responsabilité organisé par les articles 1792 à 1792-6 et 1646-1. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 27, présenté par le Gouvernement, et tendant, dans le texte proposé par l'amendement n° 4 pour compléter l'article 1386-6 du code civil, à remplacer les mots : « les professionnels, ainsi que les sous-traitants, exposés au régime de responsabilité organisé par les », par les mots : « les personnes dont la responsabilité peut être recherchée sur le fondement des ».
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 4.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il s'agit de préciser la notion de constructeur, que j'ai évoquée tout à l'heure.
Les sous-traitants participent à l'action de construction, bien qu'ils ne soient pas directement visés par les articles 1792 et suivants du code civil. Il nous paraît donc souhaitable de préciser que « ne sont pas considérés comme producteurs, au sens du présent titre, les professionnels, ainsi que les sous-traitants, exposés au régime de responsabilité organisé par les articles 1792 à 1792-6 et 1646-1 ».
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux, pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 4 et pour présenter le sous-amendement n° 27.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n° 4, à moins que la commission accepte le sous-amendement qu'il propose.
J'ai déjà eu l'occasion d'indiquer, lors de l'examen de l'amendement n° 1, que la question de l'assimilation ou non des constructeurs et de leurs sous-traitants aux producteurs relève de l'article 7.
Je ne peux souscrire totalement aux arguments de la commission. En effet, la formulation utilisée à propos des constructeurs me semble de nature, par sa généralité, à susciter des controverses, puisque la responsabilité des constructeurs peut être recherchée sur un autre fondement que la responsabilité de plein droit des articles 1792 et suivants du code civil. En outre, la responsabilité des constructeurs ne vise pas uniquement les professionnels.
Je préfère donc une expression plus précise, de nature à faire apparaître que les constructeurs n'échappent au champ du texte de transposition que lorsque leur responsabilité peut être recherchée sur le fondement des articles 1792 et suivants.
Ensuite, le Gouvernement est opposé à ce que les sous-traitants soient exclus du champ de la responsabilité du fait des produits défectueux, car la responsabilité prévue par les articles 1792 à 1792-6 du code civil, qui seuls justifient cette exclusion en faveur des constructeurs, ne leur est pas applicable. Ils sont en effet soumis à l'égard du maître de l'ouvrage à la responsabilité délictuelle du droit commun, dont la mise en oeuvre suppose la preuve d'une faute.
En outre, cette exclusion se traduirait par une inégalité entre les sous-traitants, puisque seuls les sous-traitants du domaine de la construction se verraient préservés de l'application des dispositions de la présente loi, alors que rien ne justifie cette inégalité de traitement.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé le sous-amendement n° 27, qui est propre à répondre aux deux préoccupations que je viens d'évoquer.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 27 ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Avec ce sous-amendement, le Gouvernement propose, d'une part, une modification d'ordre formel et, d'autre part, une modification de fond consistant à ne pas prendre en compte les sous-traitants dans l'exclusion des professionnels de la construction du régime issu de la directive.
La commission a, pour sa part, souhaité exclure du champ d'application du nouveau régime de responsabilité tous les professionnels de la construction, donc à la fois l'entrepreneur principal et les sous-traitants. Or ceux qui ont la pratique du secteur du bâtiment savent que la plus grande partie des constructions actuellement réalisées en France le sont par des sous-traitants. On ne peut donc pas distinguer ces derniers du constructeur principal, car ce sont bien des constructeurs, exactement comme le titulaire du marché.
Certes, les sous-traitants ne sont pas liés juridiquement avec le maître d'ouvrage et ne sont donc pas tenus à la responsabilité décennale ou biennale. Ils peuvent cependant être appelés en garantie par l'entrepreneur principal. Ainsi, l'appel en garantie a souvent pour objet de faire supporter par le sous-traitant des pénalités de retard encourues par l'entrepreneur principal.
En outre, l'article 1792-4 du code civil prévoit un cas de responsabilité solidaire qui concene certains sous-traitants en visant le « fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance ».
Si nous avons exclu le secteur du bâtiment, madame le garde des sceaux, ce n'est pas parce que la responsabilité des intéressés n'engage pas la sécurité - au demeurant, les articles visés concernent ce que l'on appelle les garanties biennale et décennale, qui sont des responsabilités techniques à l'égard des malfaçons éventuelles de la construction - mais tout simplement parce que c'est un moyen pratique de définir les personnes en cause.
Par ailleurs, la directive concerne les produits meubles ; or, par définition, la construction n'est pas un meuble, et tous les constructeurs, y compris les sous-traitants, doivent donc être concernés par cette exclusion. Cela me paraît être une question de logique, de clarté et de bonne technique juridique. Ce n'est pas un problème de fond !
Pour ces raisons, la commission a le regret de ne pas pouvoir être favorable au sous-amendement du Gouvernement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 27, repoussé par la commission.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4.
Mme Odette Terrade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. L'amendement n° 4 vise à écarter de la définition du producteur les sous-traitants et les professionnels de la construction immobilière. De plus, les articles du code civil qui sont visés dans cet amendement et qui organisent ce secteur apparaissent moins protecteurs pour les consommateurs, et d'application difficile.
Pour ces différentes raisons, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre l'amendement de la commission.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 32, M. Charmant et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter le texte présenté par l'article 7 pour l'article 1386-6 du code civil par un alinéa ainsi rédigé :
« Si le producteur ne peut être identifié, chaque fournisseur en sera considéré comme producteur, à moins qu'il n'indique à la victime, dans un délai raisonnable, l'identité du producteur ou de celui qui lui a fourni le produit. »
La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant. Cet amendement a pour objet d'introduire dans le texte de la proposition de loi une disposition de la directive qui n'y figure pas et qui prévoit que, lorsque le producteur ne peut être identifié, chaque fournisseur sera considéré comme producteur, à moins qu'il ne fasse connaître à la victime l'identité du producteur ou de celui qui a fourni le produit.
Il s'agit de protéger le consommateur en lui permettant d'atteindre assez facilement le responsable du défaut du produit, que ce soit le producteur ou le commerçant. Nous permettons également au commerçant de se décharger de sa responsabilité sur le producteur en faisant connaître son identité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission comprend les préoccupations de M. Charmant, mais il lui semble que l'article 8 de la proposition de loi y répond : « Le vendeur, le loueur ou tout autre fournisseur professionnel est responsable du défaut de sécurité du produit dans les mêmes conditions que le producteur. »
Je souhaite donc que M. Charmant accepte de retirer son amendement, faute de quoi la commission y serait défavorable, car il est satisfait.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement n'est pas non plus favorable à cet amendement. D'abord, parce qu'il ne paraît pas compatible avec le texte de l'article 8 de la proposition de loi, qui n'établit pas de hiérarchie entre les différents intervenants de la chaîne de production et de distribution. Ensuite, parce que notre droit national permet à la victime de se retourner indifféremment contre l'un quelconque des membres de cette chaîne.
M. le président. Monsieur Charmant, l'amendement est-il maintenu ?
M. Marcel Charmant. Comment ne pas se rallier à deux avis aussi éclairés ? (Sourires.)
Je regrette que le texte de la directive ne soit pas pris en compte, mais je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 32 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 7, modifié.

(L'article 7 est adopté.)

Article 8



M. le président.
« Art. 8. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-7 ainsi rédigé :
« Art. 1386-7. - Le vendeur, le loueur ou tout autre fournisseur professionnel est responsable du défaut de sécurité du produit dans les mêmes conditions que le producteur.
« Le recours du fournisseur contre le producteur obéit aux mêmes règles que la demande émanant de la victime directe du défaut. Toutefois, il doit agir dans l'année suivant le moment où il est lui-même cité en justice. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 5 rectifié, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, dans le premier alinéa du texte présenté par cet article pour insérer un article 1386-7 dans le code civil, après les mots : « le loueur », d'insérer les mots : « ; à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilé au crédit-bailleur, »
Par amendement n° 24, le Gouvernement propose, dans le premier alinéa du texte présenté par l'article 8 pour l'article 1386-7 du code civil, après les mots : « le loueur », d'insérer les mots : « lorsqu'il a eu la détention matérielle du produit ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 5 rectifié.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission propose, par cet amendement, de ne pas assimiler le crédit-bailleur au producteur. En effet, le crédit-bailleur, dont l'intervention est purement financière, n'a pas à répondre des responsabilités du producteur, du vendeur ou du loueur ; comme on le dit un peu sommairement, le produit ne lui passe pas par les mains : il n'intervient ni dans le choix du matériel, ni dans les pourparlers avec le fournisseur, ni, éventuellement, dans les modalités du contrat. En pratique, la garantie due par le vendeur du matériel est transférée au bénéfice du locataire.
C'est la raison pour laquelle nous proposons - notre rédaction nous paraît préférable, je le dis immédiatement - qu'il y ait une exception pour le crédit-bailleur. De plus, pour éviter que d'autres contrats du même type, que nous aurions omis de mentionner, ne créent le même type de situation, nous ajoutons les mots : « ou du loueur assimilé au crédit-bailleur », afin de couvrir toutes les hypothèses.
Nos intentions sont claires. Je ne prétends pas que notre rédaction soit parfaite, mais, comme nous sommes en première lecture, elle pourra éventuellement être améliorée.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux, pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 5 rectifié et pour présenter l'amendement n° 24.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement souhaite exclure les bailleurs qui n'ont qu'un rôle financier. Mais, à cet égard, la référence au crédit-bail proposée par la commission lui paraît trop réductrice.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. C'est pourquoi il a déposé un amendement qui vise à étendre l'exception à tous les loueurs qui ne fournissent pas matériellement le produit et qui n'en ont donc jamais eu la détention.
La commission préfère une autre formulation, en raisonnant par analogie à partir du crédit-bail. Je ne suis pas certaine que cette technique d'assimilation soit plus explicite.
Je considère - sur ce point, je suis d'accord avec la commission des lois - que ne peuvent être assimilés à des producteurs les loueurs qui n'ont qu'un rôle purement financier dès lors qu'ils ne fournissent pas la chose.
La commission des lois, je l'ai dit, estime qu'il suffit d'exclure les opérations de crédit-bail. Mais il existe d'autres formes de location financière, et c'est pourquoi le Gouvernement préfère une formule générique qui permet d'exclure l'ensemble des personnes qui n'ont pas eu, à quelque moment que ce soit, la détention matérielle de la chose.
En fait, nous avons la même intention. Il s'agit simplement d'une question de formulation.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 24 ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission, sans y mettre aucun entêtement, bien entendu, préfère sa rédaction. La formulation « lorsqu'il a eu la détention matérielle du produit » lui paraît en effet génératrice de contentieux, la question se posant de savoir si l'on a eu ou non la détention matérielle du produit.
Il semble préférable de se référer à une notion intellectuelle et abstraite, celle de contrat de crédit-bail, qui est plus large et de nature à éviter ce genre de contentieux factuel sur la détention matérielle ou non duproduit.
Comme on nous a fait observer que ce genre de situation pouvait exister dans d'autres contrats qui ne portent pas la dénomination de crédit-bail, nous avons ajouté les mots : « ou du loueur assimilé au crédit-bailleur ». Cette rédaction est plus convenable et répond mieux à la préoccupation qui nous est commune.
M. le président. Les explications de M. le rapporteur sont-elles de nature à modifier l'avis du Gouvernement, madame le ministre ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Le Gouvernement et la commission ont, en fait, la même préoccupation. Hélas ! les deux formules pèchent.
Qu'est-ce qu'un contrat « assimilé » au crédit-bail ? Le crédit-bail est quelque chose de précis. La location avec option d'achat est-elle assimilable au crédit-bail ? J'en doute. De plus, de nouveaux produits vont, à l'évidence, apparaître sur le marché, car les choses évoluent sans cesse. Il ne manquera pas de se poser des problèmes d'interprétation.
La formule proposée par le Gouvernement est un peu large, un peu floue. Elle me paraît toutefois préférable, quitte à y revenir.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je me permets de maintenir le point de vue de la commission.
C'est vrai, on ne peut pas prévoir toutes les formes de contrat qui seront inventées dans le domaine commercial ; on peut en inventer qui correspondront à des interventions uniquement financières, mais ne seront pas du tout du type de celles qui doivent être soumises au régime que nous sommes en train d'instituer.
Mais, précisément, nous avons cru répondre par avance à cette hypothèse en disant : « ou assimilé ». On ne peut pas prévoir autrement des choses qui n'existent pas encore et qui apparaîtront peut-être dans deux ou trois ans !
M. Jean-Jacques Hyest. Je préférerais « assimilable ».
M. Pierre Fauchon, rapporteur. J'accepte, si vous le souhaiter, le terme « assimilable ». J'espère ainsi vous donner satisfaction, monsieur Hyest, puisque nous partageons la même préoccupation et que nous cherchons une rédaction aussi adaptée que possible.
Nous sommes en première lecture, et il est certain que tout cela est perfectible.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 5 rectifié bis, présenté par M. Fauchon, au nom de la commission, et tendant, dans le premier alinéa du texte présenté par l'article 8 pour insérer un article 1386-7 dans le code civil, après les mots : « le loueur », à insérer les mots : « , à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ».
Quel est l'avis du Gouvernement sur cet amendement n° 5 rectifié bis ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement ne varie pas : il s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5 rectifié bis.
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Je persiste à penser, comme notre collègue M. Hyest, que la notion d'assimilé, ou d'assimilable, est génératrice de contentieux. En effet, il s'agira bien de porter un jugement sur la nature d'un produit financier. Or, qui va dire de manière invariable que tel nouveau montage inventé en termes de technique financière est assimilé ou assimilable au crédit-bail ?
Avec une intention identique, le Gouvernement me semble proposer une rédaction plus large, de nature à éviter ces risques de contentieux et de jurisprudence variable d'un tribunal à l'autre.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je continue de penser - on voudra bien m'en excuser - que la notion d'assimilation, parce qu'elle est abstraite, est plus large, et d'application plus aisée que celle de la détention matérielle, qui ne manquera pas, je le répète, d'engendrer un débat factuel qui s'éloigne, me semble-t-il, de nos préoccupations.
En tout cas, soutenant le point de vue de la commission des lois, je ne puis qu'exprimer ma préférence pour sa rédaction.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5 rectifié bis , pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 24 n'a plus d'objet.
Par amendement n° 17, M. Hyest propose, après le premier alinéa du texte présenté par l'article 8 pour l'article 1386-7 du code civil, d'insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Ne sont pas considérés comme producteur, vendeur, loueur ou fournisseur professionnel au sens du présent titre les professionnels exposés au régime de responsabilité organisé par les articles 1792 à 1792-6 du code civil et leurs sous-traitants, ainsi que le vendeur d'immeuble à construire défini par l'article 1646-1 du code civil. »
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Dans la mesure où la disposition qui était prévue par l'Assemblée nationale à l'article 2 a été reportée à l'article 7, mon amendement a moins d'intérêt puisque les articles 7 et 8 se complètent.
L'objectif que je poursuivais était qu'on ne puisse pas considérer comme producteur ou loueur, dans cet article 8, et pour les mêmes motifs, les professionnels exposés au régime de responsabilité organisé par les articles 1792 à 1792-6 du code civil et leurs sous-traitants.
Bien entendu, monsieur le président, je serai sans doute amené à retirer cet amendement si l'on me précise bien que les deux choses sont liées, qu'on ne risque donc pas d'engendrer des contentieux. Bien sûr, cela pourrait favoriser le développer de certaines activités, mais ce n'est pas ce qui est recherché.
Je retirerai donc mon amendement s'il est bien précisé que les professionnels visés à l'article 7 le sont également à l'article 8.
M. le président. La commission peut-elle assurer M. Hyest que tel est bien le cas ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Oui, monsieur le président. Notre collègue peut retirer son amendement en toute sécurité.
M. le président. Est-ce également l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Oui, monsieur le président.
De toute façon, je n'étais pas favorable à cet amendement.
M. Jean-Jacques Hyest. Dans ces conditions, je retire l'amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 17 est retiré.
Par amendement n° 6, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, après les mots : « il doit agir dans l'année suivant », de rédiger comme suit la fin de la seconde phrase du second alinéa du texte proposé par l'article 8 pour insérer un article 1386-7 dans le code civil : « la date de sa citation en justice ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il s'agit d'un amendement purement rédactionnel.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 8, modifié.

(L'article 8 est adopté.)

Article 9



M. le président.
« Art. 9. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-8 ainsi rédigé :
« Art. 1386-8. - En cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement responsables. » - (Adopté.)

Article 10



M. le président.
« Art. 10. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-9 ainsi rédigé :
« Art. 1386-9. - Le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. »
Par amendement n° 7, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, après les mots : « doit prouver le dommage », de rédiger comme suit la fin du texte présenté par cet article pour insérer un article 1386-9 dans le code civil : « et le lien de causalité entre le produit et le dommage ».
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 28, présenté par le Gouvernement, et tendant, dans le texte proposé par l'amendement n° 7, après le mot : « produit », à insérer le mot : « défectueux ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 7.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La question est d'ordre purement juridique.
Le texte qui nous est soumis précise que : « Le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. »
Notre attention a été attirée sur le fait que, s'agissant d'une responsabilité sans faute, selon les intentions des auteurs de la directive, il est dangereux d'écrire que la victime doit prouver non seulement le dommage et le lien de causalité entre le défaut et le dommage mais encore la réalité du défaut.
Je rappelle que, dans notre droit, selon l'article 1384 du code civil, on doit prouver le dommage, la relation entre la chose et le dommage, c'est-à-dire le lien de causalité, mais non pas que la chose est en elle-même fautive.
Par conséquent, cette disposition nous a paru contraire à la fois au texte même de la directive, qui institue une responsabilité sans faute, et aux règles générales de notre droit. D'où la rédaction de la commission.
J'ajoute immédiatement que le sous-amendement du Gouvernement, qui consiste à préciser qu'il s'agit d'un produit « défectueux », introduit l'idée selon laquelle il faut prouver le lien de causalité avec un produit défectueux, ce qui rejoint la définition générale : « Est défectueux un produit qui ne répond pas à l'attente légitime des consommateurs. » Je salue l'initiative du Gouvernement, qui a imaginé cette rédaction.
Dans cette affaire délicate, on est tout de même - il faut bien le dire - un peu à mi-chemin entre la responsabilité pour risque pure et simple et la responsabilité pour défectuosité, c'est-à-dire pour une exigence de sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Nous sommes là dans une ligne qui sera jurisprudentielle un jour, mais qui n'est pas celle à laquelle nous sommes habitués, qui se situe entre la responsabilité pour risque et la responsabilité pour faute : c'est la responsabilité pour chose défectueuse.
Dans la mesure, donc, où j'accepte le sous-amendement du Gouvernement, pour simplifier les débats, je rectifie l'amendement de la commission dans le sens qu'il souhaite.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 7 rectifié, présenté par M. Fauchon, au nom de la commission, et tendant, après les mots : « doit prouver le dommage », à rédiger comme suit la fin du texte proposé par l'article 10 pour insérer un article 1386-9 dans le code civil : « et le lien de causalité entre le produit défectueux et le dommage. »
Quel est l'avis du Gouvernement sur cet amendement n° 7 rectifié ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'accepte, bien évidemment, l'amendement n° 7 rectifié de la commission et je retire donc le sous-amendement du Gouvernement, qui n'a plus d'objet.
M. le président. Le sous-amendement n° 28 est retiré.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 7 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Il convient d'abord de rappeler que la directive est extrêmement précise : elle indique bien qu'il doit y avoir un lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage. On n'a donc pas à interpréter, de ce point de vue, car, ce faisant, on transforme complètement le texte de la directive, ce qui me paraît tout de même curieux.
J'ajoute que la formulation proposée - je suis désolé de le dire à M. le rapporteur - est dangereuse sur le plan juridique. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi.
Cette formulation est dangereuse car elle crée une véritable présomption de responsabilité pour certains produits. Dès lors qu'il n'est plus nécessaire de prouver le lien de causalité entre le défaut et le dommage, mais simplement le lien entre le produit et le dommage, on ne parle plus de causalité, mais simplement de corrélation. En effet, il suffirait de prouver que la victime a subi un dommage en utilisant un produit pour que s'établisse, sans plus d'explications, une causalité présumée attribuant le dommage au produit. En d'autres termes, il suffirait d'avoir un accident de voiture pour que le véhicule soit présumé défectueux.
De plus, si cette conception du lien de causalité est retenue, il est à craindre que le régime de responsabilité du fait des produits, devenu le régime de droit commun de responsabilité, n'entraîne une explosion contentieuse.
La simplicité du mode de preuve conduirait tous les plaignants à intenter des actions éventuelles sur ce fondement plutôt que d'avoir à rechercher véritablement l'existence d'un défaut ou la faute éventuelle d'un producteur dans le cadre d'un régime de responsabilité pour faute.
A cette présomption de responsabilité déjà profondément contraire à toutes les règles de preuve du droit français, s'ajouterait ainsi une multiplication des actions rendues plus faciles, même dans les cas où elles sont manifestement abusives.
Cette formulation n'est pas conforme au texte de la directive que la proposition de loi transpose. La formulation retenue par l'Assemblée nationale est exactement celle de la directive ; elle n'ouvre aucun droit d'option aux Etats membres sur ce point, me semble-t-il. C'est pourquoi je pense qu'il faut rejeter l'amendement.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cette question de la responsabilité est, je le reconnais, très délicate. La formulation de la directive, résultat de la négociation entre de nombreux Etats membres, ne peut, par définition, être parfaite, car elle a été, si je puis dire, coproduite par des professionnels du droit de cultures juridiques fort différentes, puis traduite dans diverses langues.
La préoccupation de la commission a été de rendre ce texte intelligible, sans en modifier le fond, dans le système juridique français.
Je relève dans la formulation de la directive une certaine contradiction entre le fait d'exiger de la victime la preuve du défaut et le deuxième considérant, aux termes duquel « seule la responsabilité sans faute du producteur permet de résoudre de façon adéquate le problème... »
On ne peut pas demander au producteur de faire la preuve du défaut après avoir affirmé qu'il s'agit d'une responsabilité sans faute. Il y a là une difficulté.
Il me semble qu'avec notre texte nous surmontons cette difficulté - je dois dire que le Gouvernement nous a grandement aidés - en proposant que la victime soit tenue de prouver « le dommage et le lien de causalité entre le produit défectueux et le dommage ». Il s'agit donc non pas de n'importe quel produit, mais d'un produit défectueux, aux termes de la disposition que nous transposons : « Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. »
Je disais tout à l'heure, et je souhaite que certains de nos collègues y soient attentifs, que c'est là qu'est apportée la réponse au risque de développement. Il faudra prouver qu'il s'agit d'un produit défectueux au sens de l'article 1386-4, c'est-à-dire d'un produit qui ne présente pas la sécurité...
M. Jean-Jacques Hyest. Donc qui a un défaut !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de circonstances qui sont énumérées dans l'article.
Dans cette affaire, je le répète, aucune rédaction ne sera jamais parfaite. Je continue de penser que nous devons nous efforcer et de suivre la volonté de la directive et son inspiration et de retenir une formulation aussi praticable que possible dans notre système juridique.
La formulation à laquelle nous sommes parvenus est sinon la meilleure de toutes, du moins, en l'état actuel de nos réflexions, la meilleure que nous ayons trouvée. Nous ne sommes qu'en première lecture, le débat n'est pas clos.
M. Jean-Jacques Hyest. Cette rédaction est moins pire que la première !
M. Marcel Charmant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant. Je partage le sentiment de M. Hyest.
La directive est simple. L'article 4 stipule : « La victime est obligée de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. »
Nous devons transcrire une directive et, sur ce point, la transcrire intégralement. Je ne vois pas en quoi nous pourrions déduire de cette rédaction la nécessité d'une faute du producteur. Il est simplement dit qu'il faut prouver un défaut et, logiquement, le lien de causalité entre ce défaut et le dommage. Cela me paraît le bon sens.
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Je suis tout à fait de l'avis de l'orateur précédent.
Nous avons le choix entre deux rédactions : d'une part, la rédaction qui est celle de la directive et celle de l'Assemblée nationale en première lecture - le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage - et, d'autre part, la rédaction issue de l'amendement de la commission, rectifié sur l'initiative du Gouvernement, qui fait référence au lien de causalité entre le produit défectueux et le dommage.
Or, si l'on y réfléchit, quelle est la relation importante ? C'est bien la relation entre le défaut et le dommage, et il est bien évident que c'est le produit qui est défectueux puisque nous parlons d'une responsabilité du fait de produits défectueux.
Sans doute est-ce mon ignorance de ces sujets qui est en cause, mais j'avoue ne pas comprendre quel progrès nous ferait faire la rédaction qui nous est ici proposée par rapport à l'expression, extrêmement claire et simple, de « causalité entre le défaut et le dommage », qui présente le grand avantage d'être tout à fait conforme à notre droit traditionnel de la responsabilité civile, lequel met l'accent sur les liens de causalité existant entre un préjudice et un fait dommageable qui doit avoir été la cause génératrice du dommage.
C'est bien de cela qu'il s'agit, et je ne pense pas que nous progresserons si nous adoptions la proposition combinée de M. le rapporteur et de Mme le ministre. Je préfère, pour ma part, en rester à la version de l'Assemblée nationale.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je voudrais faire remarquer à M. Marini que l'image qu'il donne de notre droit civil n'est pas exacte.
En effet, il affirme que, dans notre droit civil actuel, pour qu'il y ait responsabilité, il faut qu'il y ait un dommage et une relation de causalité entre une faute et le dommage.
M. Jean-Jacques Hyest. Mais non !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Monsieur Hyest, permettez-moi de terminer mon explication.
M. le président. Ne vous laissez pas impressionner, monsieur le rapporteur ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Le sujet que nous abordons est tellement délicat qu'il nous faut fournir un certain effort de concentration !
Notre droit admet, depuis à peu près un siècle, qu'il existe des responsabilités sans faute. C'est même ce principe qui s'applique la plupart du temps,...
M. Philippe Marini. Je n'ai pas parlé de faute !
M. Jean Chérioux. Non, il a parlé de préjudice !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... et donc le droit civil est beaucoup plus large que ce qui a été dit voilà quelques instants.
Or, l'inconvénient de la rédaction à laquelle se réfèrent MM. Marini et Charmant, c'est qu'en isolant la nécessité de prouver le défaut - qui dit défaut dit faute - elle nous ramène à la responsabilité pour faute, ou pour défaut. Mais qu'est-ce qu'un défaut sinon une faute ?
MM. Marcel Charmant et Jean-Jacques Hyest. Mais non !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il s'agit du même mot !
M. Marcel Charmant. Non ! Ce n'est pas la même chose !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Mais si !
La directive reporte la charge de cette preuve sur la victime. Or la notion de « produit défectueux » est définie dans le texte que nous transposons ; encore une fois, c'est le produit « qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ». On est donc plus près, en réalité, de ce texte lorsque l'on demande à la victime de prouver le dommage et le lien de causalité entre le dommage et le produit défectueux ; la victime aura tout de même une preuve à fournir pour que l'on puisse considérer qu'il s'agit bien d'un produit défectueux, et elle le fera en s'appuyant sur l'article précédent, qui définit ce qu'est un produit défectueux : celui qui ne répond pas à la légitime attente de sécurité de l'utilisateur.
Je persiste : notre rédaction est la plus adéquate.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 7 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Nous allons d'innovations juridiques en innovations juridiques ! Assimiler le défaut à la faute, franchement, je dois avouer que, même si les deux mots ont la même racine latine, c'est surprenant, monsieur le rapporteur !
En fait, quelle est la version du Gouvernement ? Le Gouvernement nous dit qu'en définitive ce qui est important, dans cette affaire, c'est le lien de causalité entre le défaut, donc le produit défectueux, et le dommage. Si l'on supprime cette notion, cela n'a plus de sens, il n'y a plus rien, on peut prouver n'importe quoi ! Donc, il faut absolument maintenir ce lien.
On parle de « produit défectueux ». Il faut donc prouver le lien avec le produit défectueux, c'est-à-dire le défaut. Alors, soyons plus simples et disons : le défaut... le lien entre le dommage et le défaut.
Ce qui est important, c'est le lien de causalité. Si on ne maintient pas cette notion, toute la construction s'écroule.
Monsieur le rapporteur, cela ne supprime absolument pas la responsabilité sans faute, pas du tout ! Dans la responsabilité sans faute, justement, il y a un produit défectueux, mais pas forcément une faute. D'ailleurs, le sens même que donne la directive au produit défectueux prouve bien qu'il faut maintenir le lien de causalité, surtout dans ce texte.
C'est pourquoi je continue à être totalement défavorable à l'amendement, même modifié par le Gouvernement.
M. Marcel Charmant. Très bien !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je voudrais dire à M. Hyest que je ne le comprends pas du tout.
En isolant la nécessité de faire la preuve du défaut, il est bien évident que, concrètement, on contraint la victime à prouver le défaut.
Vous pouvez raffiner à l'infini ! Dans le mot « défaut », il y a le mot « faute » et c'est évidemment - notion abstraite ou notion concrète - la victime qui devra prouver le défaut pour être indemnisée. Or nous voulons créer une responsabilité où la victime n'a pas à apporter la preuve directe d'une faute.
C'est pourquoi je crois qu'il est bien meilleur de dire que la victime devra prouver que le produit était défectueux au sens de la directive - nous sommmes bien, là, dans la directive - et on appréciera s'il présentait ou non le degré de sécurité auquel on peut légitimement s'attendre.
Je crois que c'est là la bonne et la seule bonne rédaction.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'amendement n° 7 rectifié, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 10.

(L'article 10 est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quinze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

3

DROIT APPLICABLE OUTRE-MER

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 196, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer. [Rapport n° 264 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de présenter à la Haute Assemblée un projet de loi portant habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Je veux remercier tous les sénateurs qui ont participé à la préparation de ce texte, M. Jean-Marie Girault, en particulier, car je connais son intérêt pour l'outre-mer, et qui s'est livré à un examen juridique attentif dont son rapport en témoigne.
Comme son titre l'indique, ce projet de loi présente une grande diversité. Pourtant, son unité est bien réelle. Il s'agit en effet de poursuivre la modernisation du droit qui est en vigueur outre-mer et de garantir le respect de l'identité propre à chacune de ces collectivités.
Afin d'atteindre cet objectif, le Gouvernement propose une nouvelle méthode de travail. Elle consiste, après avoir organisé une consultation des collectivités concernées, à demander au Parlement l'autorisation de légiférer par ordonnances dans dix-sept matières, et à bref délai.
Le recours à une loi d'habilitation en application de l'article 38 de la Constitution n'est pas nouveau pour l'outre-mer. Depuis 1976, huit lois d'habilitation ont été votées pour moderniser le droit des territoires d'outre-mer ainsi que des collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Je vous propose aujourd'hui d'y recourir à nouveau pour l'ensemble des départements et des territoires d'outre-mer et pour une grande variété de sujets.
Je vous le propose dans le strict respect des prérogatives du Parlement. En effet, je le rappelle, le Conseil constitutionnel a encadré la pratique de l'habilitation en définissant des obligations. J'ai veillé à ce que ces obligations soient respectées. Je me suis même attaché à ce que nous allions au-delà.
Le Gouvernement doit d'abord indiquer avec précision au Parlement la finalité des mesures qu'il envisage de prendre.
Le Conseil constitutionnel accepte de trouver ces précisions dans les termes de la loi, éclairés par les travaux préparatoires, notamment par les déclarations du Gouvernement.
En l'espèce, le Gouvernement indique dans l'exposé des motifs les dispositions qu'il entend prendre. Ce document, révélateur de l'intention du Gouvernement, constitue en quelque sorte un engagement qui a pour résultat de préciser considérablement le domaine de l'habilitation.
Même si le Conseil constitutionnel a rappelé que le « Gouvernement n'est pas tenu de faire connaître la teneur des ordonnances qu'il prendra en vertu de cette habilitation », je tiens à préciser que, s'agissant de ce projet de loi, un certain nombre d'avant-projets d'ordonnances sont d'ores et déjà prêts. Ces documents de travail ont été transmis pour information aux assemblées locales. Ils sont à votre disposition. La transparence est donc complète, et la concertation que nous avons engagée devrait permettre d'aménager ou d'améliorer le texte si nécessaire.
Ces avant-projets d'ordonnance ne sont, en l'état, que des documents de travail. Leur exacte rédaction est suspendue à l'habilitation qui sera donnée.
J'ajoute qu'un grand nombre de dispositions concernées par l'habilitation sont connues, puisqu'il s'agit d'étendre à l'outre-mer, en les adaptant, des dispositions législatives déjà en vigueur en métropole.
Il s'agit en particulier de dispositions de droit civil, de droit commercial, de droit financier, de droit douanier, de droit électoral et de droit pénal. Je vous propose d'étendre aux territoires d'outre-mer et aux collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon des dispositions qui sont déjà en application en métropole et dans les départements d'outre-mer.
Le délai de l'habilitation constitue une autre garantie essentielle des prérogatives du Parlement. La brièveté de ce délai traduit, en l'espèce, un évident respect de ces prérogatives.
Ce délai est fixé au 15 septembre 1998, ce qui est bref compte tenu du nombre des textes qui devront être pris.
Le domaine dans lequel les ordonnances interviendront est celui de la loi. Il n'est donc pas possible d'intervenir dans le domaine organique et, par conséquent, de toucher aux statuts des territoires, dont l'article 74 de la Constitution dispose qu'ils sont fixés par la loi organique et modifiée dans la même forme.
C'est la raison pour laquelle il apparaît inutile de préciser dans la loi que les mesures législatives concernant les territoires d'outre-mer interviendront dans le respect des compétences statutaires des territoires. Cela va de soi !
J'indique, de la même manière, que l'habilitation demandée n'a pas pour objet de modifier la répartition des compétences à Saint-Pierre-et-Miquelon entre la collectivité territoriale, les deux communes et l'Etat.
En tout état de cause, votre assemblée sera appelée à examiner la conformité des ordonnances aux principes que je viens de rappeler lors de l'examen des lois de ratification.
En effet - c'est le dernier point que je tiens à souligner d'une manière générale - chacune des ordonnances fera l'objet d'un projet de ratification permettant au Parlement de retrouver la plénitude de ses compétences.
Au-delà du respect des prérogatives du Parlement, je souhaite que la méthode qui vous est proposée vous paraisse plus pratique et plus simple.
En effet, la technique de la loi portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer vous aurait obligé à examiner et à apprécier en une seule fois un texte « fourre-tout » comportant de multiples dispositions sur des questions très éparses. Parfois, il s'agit même d'un inventaire de sujets quelque peu hétéroclites sur le plan juridique.
Les ordonnances sont un moyen plus simple de légiférer, à travers une loi d'habilitation. Les différentes ordonnances seront promulguées en trois ou quatre séries suivant leurs thèmes et elles seront soumises à ratification de manière échelonnée. Mais, là encore, nous allons nous heurter à des problèmes de calendrier parlementaire.
Après la méthode, j'en viens au texte lui-même. L'article 1er du projet de loi précise les matières pour lesquelles il est demandé une habilitation.
Dix-sept rubriques sont classées par matière. Nous nous inscrivons dans la logique de l'inventaire. Cette énumération est conforme aux exigences posées par la Constitution en matière d'habilitation.
Tout l'outre-mer est concerné. Cependant, l'habilitation ne concernera les départements d'outre-mer que pour sept des dix-sept rubriques, et pour des dispositions très précises.
Sur le fond et au-delà de la modernisation du droit civil, du droit pénal, du droit des douanes et du droit électoral, le Gouvernement s'est fixé trois objectifs.
En premier lieu, le Gouvernement souhaite mettre l'accent sur le développement économique de l'outre-mer. Sont ainsi notamment concernés par la loi d'habilitation le droit commercial et les activités financières.
Il est également prévu d'étendre en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française le régime de l'épargne-logement et les dispositions qui régissent les rapports entre propriétaires et locataires.
Le prêt à taux zéro et une réglementation de l'urbanisme commercial seront mis en place à Mayotte.
En Guyane, le Gouvernement proposait, dans son projet initial, de clarifier la situation des agriculteurs installés sur des terres domaniales pour permettre la poursuite des investissements que ces agriculteurs font sur leurs exploitations. Monsieur Othily, nous avons eu l'occasion d'en parler à plusieurs reprises et je précise que le territoire de la Guyane est à plus de 90 % du domaine de l'Etat.
A la suite du vote d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale, le champ de l'habilitation a été élargi aux personnes physiques qui en font la demande.
Lors de ma dernière visite avec le Président de la République en Guyane, cette question, lancinante depuis plus d'une vingtaine d'années, a été à nouveau abordée. Nous devons en effet réfléchir à la manière de permettre l'installation sur les terres de nos compatriotes guyanais, qu'ils soient ou non agriculteurs. De ce point de vue, il est bien évident que les discussions avec le ministère des finances promettent d'être serrées !... Mais, avec le soutien des deux assemblées, nous pourrons avancer dans le règlement de ce dossier.
En deuxième lieu, le Gouvernement porte son attention sur le domaine social. Son action est concentrée sur la modernisation du droit du travail et sur les domaines de la santé publique et de la protection sociale.
Il est donc proposé de prendre diverses dispositions relatives à la tarification des produits sanguins dans les départements d'outre-mer, au prix des médicaments dans ces départements et à Saint-Pierre-et-Miquelon, à la révision des accords de coordination des régimes métropolitains et néo-calédoniens de sécurité sociale, à l'affiliation des non-salariés résidant à Saint-Pierre-et-Miquelon à un régime de retraite complémentaire et, à la suite d'un amendement parlementaire, au remboursement des médicaments indispensables en matière de prophylaxie et de thérapeutique contre le paludisme.
En troisième lieu, le Gouvernement entend saisir l'occasion que lui offre ce projet de loi pour proposer au Parlement des textes spécifiques à certains territoires afin de garantir le respect de leur identité.
En Guyane, vous le savez, des problèmes se posent en matière d'état civil pour des personnes - on les appelle parfois les « Français sans papiers » ; elles sont au moins 6 000 - qui appartiennent à des populations d'origine amérindienne ou noire marron et qui n'ont pas été déclarées à l'état civil dans les délais, très courts, applicables sur le territoire métropolitain, ce qui compromet leur assimilation à la communauté nationale.
Il est souhaitable de prévoir des dispositions législatives propres à la Guyane en vue de doter ces populations d'un état civil. Il est donc envisagé d'allonger le délai de droit commun de déclaration des enfants. En principe, ce délai est de trois jours, mais il convient de le prolonger pour prendre en compte l'isolement de certaines populations qui ne peuvent pas se rendre auprès d'un officier d'état civil dans ce délai.
L'Assemblée nationale a souhaité que le champ de l'habilitation soit précisé quant aux catégories de personnes qui seront concernées par cette disposition. Cette précision est conforme au projet du Gouvernement de trouver une solution pour résoudre le problème des « Français sans papier » du fleuve.
Mme le garde des sceaux m'a assuré à ce sujet que les moyens adéquats seraient mis en oeuvre dans les meilleurs délais afin de régulariser les situations. Il est pas possible, dans le cadre législatif, de procéder à une régularisation automatique, mais les mesures qui permettent, avec l'appui du tribunal de Cayenne, de procéder sur place aux vérifications et aux délivrances de documents d'état civil, devraient contribuer à mettre fin à cette situation insoutenable dans l'année.
En Nouvelle-Calédonie, la loi du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal sera étendue après avoir été très largement adaptée compte tenu des compétences du territoire en ce domaine. L'extension de cette loi est le préalable à l'autorisation, sur le territoire, des greffes de cornée et des prélèvements de reins.
A Mayotte, il est proposé de clarifier la situation des Mahorais qui ont omis de souscrire la déclaration recognitive de nationalité française au moment de l'indépendance des Comores. En effet, à Mayotte, de nombreux problèmes d'identité se posent faute d'état civil fiable. Par conséquent, nous prenons ainsi en compte les souhaits qui ont été émis par les parlementaires de Mayotte.
En Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, le Gouvernement envisage d'instituer deux universités qui succéderont à l'Université française du Pacifique, favorisant l'épanouissement des cultures océaniennes ainsi, me semble-t-il, que le rayonnement de ces universités sur le Pacifique Sud.
L'Assemblée nationale a ajouté une habilitation relative à l'adhésion à l'assemblée permanente des chambres d'agriculture des territoires d'outre-mer.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales mesures que le Gouvernement entend prendre par voie d'ordonnances.
Je précise, en outre, que le dernier alinéa de l'article 1er institue une nouvelle procédure de consultation des assemblées des collectivités d'outre-mer.
Si la consultation de ces assemblées pour le projet de loi d'habilitation s'impose au regard des textes constitutionnels ou statutaires, ou encore du décret de 1960 pour les départements d'outre-mer, il n'y a pas de texte prévoyant une procédure de consultation préalable et obligatoire des projets d'ordonnance qui sont pris en application d'une loi d'habilitation.
Les textes précités ne prévoient une telle procédure que pour les lois, voire pour les décrets, et non pour les ordonnances.
Le Gouvernement a néanmoins souhaité prévoir la consultation des assemblées élues de toutes les collectivités territoriales ultramarines sur les projets d'ordonnances en tant qu'ils les concernent. La consultation sur les ordonnances a, en effet, plus de portée, vous en conviendrez, que la consultation sur la loi d'habilitation, qui porte simplement sur des intitulés de chapitres.
Tel est donc l'objet du dernier alinéa de l'article 1er du projet de loi, qui permettra à toutes les assemblées élues de l'outre-mer de se prononcer sur chaque ordonnance.
Le projet de loi assortit la procédure de consultation d'un délai d'une durée raisonnable. Il s'agit en effet de ne pas prévoir un délai trop long, qui retarderait la prise des ordonnances, ni un délai trop court, qui priverait les assemblées territoriales de la possibilité d'examiner sérieusement les textes.
L'article 2 a pour objet de fixer le délai de l'habilitation, qui, je le rappelle, sera court compte tenu du nombre d'ordonnances et de la date de dépôt des projets de loi de ratification.
L'article 3 a pour objet de proroger de quinze mois la période transitoire qui avait été prévue pour mettre en place les organes de fonctionnement de l'Université française du Pacifique. Cela relevait des dispositions de la loi du 5 juillet 1996 portant dispositions diverses relatives à l'outre-mer.
Cette seconde période transitoire permettra au Gouvernement de régler, selon des modalités différentes de celles qui sont prévues par la loi, la situation de l'enseignement supérieur dans les territoires d'outre-mer. Je vous ai indiqué l'esprit dans lequel nous agirons en vous parlant des deux nouvelles universités, l'une en Nouvelle-Calédonie et l'autre en Polynésie française, qui permettront de prendre en compte les réalités du développement de l'enseignement supérieur dans les départements d'outre-mer.
L'Assemblée nationale a ajouté un article 4, qui a pour objet de valider les concessions d'endigage sur le domaine public maritime sis dans les limites du port autonome de Nouméa. Cet article résulte d'un amendement déposé par M. Pierre Frogier, pour lequel je m'en suis remis à la sagesse de l'Assemblée nationale, sachant que le Gouvernement - je l'avais indiqué à cette occasion - recherchait aussi des modes de règlement par la voie administrative pour régulariser la situation.
Tel sont donc l'esprit et la teneur de ce projet de loi d'habilitation que j'ai l'honneur de vous proposer et des ordonnances qui en découlent.
Il s'agit, par une méthode nouvelle, de moderniser et d'adapter le droit de l'outre mer. C'est un effort indispensable pour le développement économique et social, dans le respect de l'identité de chacune des collectivités d'une part, du pouvoir du Parlement et des assemblées élues d'autre part.
Je vous remercie de vouloir bien adopter ce projet de loi qui a été soumis en première lecture à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Loueckhote applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, de règlement et d'administration générale. Adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 18 décembre 1997, le projet de loi d'habilitation aujourd'hui soumis à notre examen est destiné à permettre au Gouvernement de prendre par ordonnances un vaste ensemble de mesures législatives concernant des domaines juridiques très divers, mesures « nécessaires », selon l'intitulé du projet de loi, « à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer ».
Les mesures envisagées concerneront aussi bien les départements d'outre-mer que les territoires d'outre-mer et les deux collectivités territoriales à statut particulier de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui obéissent à des régimes juridiques distincts.
Je rappelle brièvement que les départements d'outre-mer et la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon sont soumis au principe dit de « l'assimilation législative » : les lois métropolitaines s'y appliquent de plein droit, l'article 73 de la Constitution prévoyant seulement que « le régime législatif et l'organisation administrative des départements d'outre-mer peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation particulière ». On le verra tout à l'heure à propos d'un amendement qui a été déposé par notre collègue M. Reux concernant Saint-Pierre-et-Miquelon.
Il est un autre régime auquel sont soumis les territoires d'outre-mer et Mayotte, c'est celui de la spécialité législative.
L'article 74 de la Constitution dispose en effet que « les territoires d'outre-mer de la République ont une organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République ».
Ainsi, à l'exception des lois dites « de souveraineté », selon l'expression consacrée par la doctrine, l'applicabilité des textes législatifs est subordonnée, pour les territoires d'outre-mer, à l'adoption d'une disposition expresse d'extension. Depuis l'arrêt du Conseil d'Etat du 9 février 1990 « Elections municipales de Lifou », cette exigence vaut également pour toute disposition modifiant une loi en vigueur dans un territoire d'outre-mer.
En outre, les dispositions législatives qui doivent faire l'objet d'une extension expresse nécessitent en principe une consultation préalable des assemblées territoriales intéressées, sauf lorsque la disposition concernée « n'introduit, ne modifie ou ne supprime aucune disposition spécifique » à ces territoires « touchant à » leur « organisation particulière ». Je cite en l'occurrence le texte d'une décision du Conseil constitutionnel en date du 7 juillet 1994.
Je me permets un instant de liberté, monsieur le secrétaire d'Etat, pour dire un mot de ces terres Australes et Antarctiques françaises, qui nous sont chères et qui ne comportent pas d'habitants.
S'agissant des procédures de consultation, s'il n'y a pas d'habitants... (Sourires.) La terre ou la glace parlent-elles ? La commission souhaitait vous interroger - c'est une façon de parler ! - sur la définition qu'il convient de donner de la catégorie juridique des territoires d'outre-mer. Il faudra peut-être y songer. L'observation m'en a été faite par certains membres de la commission des lois, et elle est fondée. Mais je ne prétends pas qu'il s'agisse d'un problème d'une extrême urgence... (Nouveaux sourires.)
Les terres Australes et Antarctiques françaises, placées dans cette catégorie par la loi du 6 août 1955, constituent un territoire d'outre-mer bien singulier puisque, en effet dépourvu d'habitants, il n'est pas doté d'une assemblée territoriale.
Pourriez-vous également nous indiquer, monsieur le secrétaire d'Etat, si les travaux du groupe de réflexion sur l'avenir des terres Australes et Antarctiques françaises, qui devait initialement rendre son rapport au mois de septembre dernier, ont abouti et si la commission des lois, à laquelle est rattaché le groupe d'étude sur l'Arctique, l'Antarctique et les terres Australes, présidé par notre passionné collègue Lucien Lanier, pourrait en avoir communication ?
Mais, habitants ou pas, s'agissant toujours de ces terres Australes et Antarctiques françaises, alors que les instituteurs m'enseignaient, lorsque j'étais enfant, qu'il y avait cinq continents, que vous connaissez, l'un de mes petits-fils, son livre de géographie à la main, m'a récemment appris que l'on en comptait maintenant six. J'ai découvert que le sixième continent était l'Antarctique ! Il est vrai que, sous la glace, il y a des terres, et ces immensités doivent susciter la réflexion, même si elles ne comportent pas les habitants. Je vous demande donc de réfléchir à ce problème du point de vue statutaire, et cette loi d'habilitation me semble être l'occasion d'en dire quelques mots.
Le particularisme des procédures qui conditionnent l'application du droit à l'outre-mer conduit fréquemment, dès lors que des adaptations se révèlent nécessaires, à différer, pour des collectivités régies par le principe de spécialité législative, l'entrée en vigeur des actualisations concernant la métropole. C'est pourquoi, pour bien des textes, nous sommes en retard. C'est, dirai-je, la faute à tout le monde. Mais je constate aujourd'hui que le texte qui nous est proposé tend à réduire ce décalage temporel dont nous souffrons tous.
Bien sûr, on essaie, par des circulaires, d'accélérer les processus, mais il faudra, je pense, beaucoup de temps encore pour que ces mêmes processus deviennent des réalités quotidiennes.
Il est possible cependant de constater que, de plus en plus souvent, les projets de loi comportent des dispositions qui portent extension à l'outre-mer des mesures proposées. Sans présumer que les recommandations commencent à porter leurs fruits, il demeure cependant qu'elles restent trop fréquemment lettre morte - on le verra tout à l'heure à propos de l'université française du Pacifique -, en particulier lorsque l'application des mesures outre-mer nécessite des adaptations. En outre, le retard enregistré depuis des dizaines d'années au détriment des citoyens de l'outre-mer demeure important en dépit de nombreuses et volumineuses lois balais et des multiples ordonnances prises en vertu d'habilitations législatives.
Aussi, la commission comprend-elle que le Gouvernement est aujourd'hui conduit à saisir le Parlement d'un nouveau projet de loi d'habilitation, pour procéder à l'actualisation, la modernisation et l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Dans le cas présent, l'effort est considérable. La démarche choisie par le Gouvernement a paru à la commission parfaitement justifiée, même si - je n'apprendrai rien au ministre et aux sénateurs présents -, ce système de loi d'habilitation qui appelle des ordonnances est parfois ressenti par le législateur comme un dessaisissement. Il convient donc que ces procédures restent exceptionnelles, mais nous devons aussi savoir nous adapter à ces territoires et départements d'outre-mer.
La commission des lois est donc favorable à ce projet de loi. Elle observe qu'il se caractérise par un champ particulièrement vaste de l'habilitation, ce qui est tout à fait inhabituel. L'application de cette procédure aux départements d'outre-mer est également inhabituelle puisque - je voudrais le rappeler à mes collègues - les quelque cinquante-cinq ordonnances relatives à l'outre-mer dénombrées depuis 1958 concernent presque exclusivement les territoires d'outre-mer et les deux collectivités territoriales à statut particulier, et, tenez-vous bien, près des trois-cinquièmes portent adaptation du droit applicable à Mayotte ! Cela mérite réflexion.
Cependant, le champ d'habilitation que vous souhaitez n'est pas contraire aux exigences définies par la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière d'habilitation législative.
Le Conseil constitutionnel impose seulement au Gouvernement, afin de préserver les prérogatives du Parlement, de préciser la finalité des mesures qu'il entend prendre par voie d'ordonnance.
Sa décision du 12 janvier 1997 - je crois que c'est le moment de le rappeler - à une époque où le Conseil constitutionnel n'avait pas l'emprise qu'il a aujourd'hui sur la République - énonce que, s'il est spécifié a l'alinéa 1er de l'article 38 de la Constitution que c'est pour l'exécution de son programme que le Gouvernement se voit attribuer la possibilité de demander au Parlement l'autorisation de légiférer par voie d'ordonnance, ce texte doit être entendu comme faisant obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, lors du dépôt d'un projet de loi d'habilitation, et pour la justification de la demande présentée par lui, quelle est la finalité de la mesure qu'il se propose de prendre.
Dans une décision plus récente, de juin 1986, le Conseil constitutionnel précise que le Gouvernement a également l'obligation d'indiquer le domaine d'intervention des mesures envisagées tout en rappelant que le Gouvernement n'est pas tenu de faire connaître la teneur des ordonnances qu'il prendra.
Je dois dire qu'à l'occasion du présent projet de loi le rapporteur de la commission des lois a reçu les avant-projets d'ordonnances, à une exception près, celui qui concerne le régime de l'enseignement supérieur dans les territoires du Pacifique. J'ai proposé à mes collègues de les consulter. La commission peut donc ainsi mieux cerner le champ de l'habilitation demandée et mesurer, avant l'étape ultime de la ratification, l'ampleur de la mise à niveau juridique qui sera ainsi opérée dans les collectivités d'outre-mer. Je vous donne acte de tout cela bien volontiers, monsieur le secrétaire d'Etat.
Je tiens à préciser que, pour la plupart des décisions envisagées, les extensions et adaptations répondent à des demandes formulées par les collectivités d'outre-mer. D'ailleurs, l'ensemble des avis rendus par les assemblées territoriales, dont la consultation a été mise en oeuvre au mois d'octobre dernier, sont favorables, à l'exception, me semble-t-il, de celui qui émane de Saint-Pierre-et-Miquelon, au motif, notamment, que les extensions d'articles du code de la construciton et de l'habitation proposées ne respectent pas les compétences statutaires de cette collectivité en matière d'urbanisme.
Selon les informations communiquées, seul un département d'outre-mer n'aurait pas répondu expressément à la consultation : il s'agit de la Martinique. Peut-être que, depuis, les informations ont été données.
Les domaines du droit concernés par la demande d'habilitation sont nombreux, vous les avez rappelés tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, et les extensions et adaptations envisagées sont d'importance variable. L'article 1er vise ainsi seize blocs de matières juridiques qui doivent correspondre à autant d'ordonnances.
Je tiens à vous signaler, mes chers collègues, que, lorsque les ordonnances auront été prises, ce n'est pas la seule commission des lois qui sera saisie lors des procédures de ratification, ce sera chaque commission du Sénat selon la nature traitée par chacune des ordonnances.
Certains de ces seize blocs concernent l'ensemble des collectivités d'outre-mer, notamment celui qui figure en tête de l'énumération. Ainsi, l'ordonnance relative à la modernisation du droit du travail, qui devrait être la plus volumineuse, intégrera des dispositions modifiant le code du travail dans les départements d'outre-mer, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon, et procédera à une actualisation de ce même droit dans les territoires d'outre-mer. Il s'agira là d'un des devoirs les plus importants incombant au Gouvernement.
S'agissant de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, d'importantes avancées en la matière ont déjà été réalisées à l'occasion de la loi du 5 juillet 1996 portant dispositions diverses relatives à l'outre-mer.
Cependant, les lois statutaires de ces deux territoires ne donnent compétence à l'Etat que pour définir les « principes généraux » et les « principes directeurs » du droit du travail ; aussi les ordonnances devront-elles respecter cette répartition des compétences, la frontière - je le reconnais - étant parfois malaisée à tracer.
D'autres blocs ont un objet ponctuel et ne visent qu'une collectivité, tels le régime de la pêche dans les terres Australes et Antarctiques françaises et la réglementation de l'urbanisme commercial à Mayotte.
Deux d'entre eux concernent des problèmes spécifiques au département de la Guyane, comme vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat. Une ordonnance devra définir des mesures appropriées pour remédier aux déficiences actuelles de l'état civil et régler la situation de quelques milliers de Français dépourvus de documents d'identité.
En matière foncière, une autre ordonnance est prévue afin d'élargir les possibilités de cession gratuite de terres relevant du domaine privé de l'Etat, qui est aujourd'hui propriétaire de 90 % du territoire guyanais ; je l'ai découvert en travaillant sur ce rapport. Vous avez raison de souligner, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il faudra l'accord du Sénat et de l'Assemblée nationale car, si nous ne comptons que sur la grande administration de Bercy, nous nous heurterons à de graves problèmes. Je vous donne donc rendez-vous ultérieurement.
L'Assemblée nationale a, en outre, élargi le champ de l'habilitation en ajoutant un nouveau point relatif à l'adhésion des chambres d'agriculture des territoires d'outre-mer à l'assemblée permanente des chambres d'agriculture.
Quelque chose me dit que, s'agissant du Conseil supérieur de la magistrature, les magistrats de l'outre-mer voudraient bien avoir une représentation de droit au sein de cette haute instance. Je ne vous demande pas de réponse aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat : je me fais simplement l'écho d'une revendication.
Sous réserve de ces observations et de l'adoption d'un amendement présenté par notre collègue Victor Reux, la commission proposera au Sénat d'adopter l'article 1er du projet de loi.
L'article 2 répond aux exigences prescrites par la Constitution en fixant un délai d'habilitation - les ordonnances devront être prises avant le 15 septembre 1998, et je vous souhaite bien du courage, monsieur le secrétaire d'Etat, car c'est demain ! - ainsi qu'une date butoir, celle du 15 novembre 1998, pour le dépôt des projets de loi de ratification. Le Gouvernement s'est en effet engagé, à la demande de la commission des lois de l'Assemblée nationale, à déposer plusieurs projets de loi de ratification afin de permettre au Parlement d'exercer plus aisément son contrôle.
Les délais sont courts. Vous allez consulter les différentes assemblées des territoires et départements d'outre-mer. Indépendamment des cyclones - et l'on nous en annonce un en Polynésie française - même si Internet fonctionne bien, le délai d'un mois peut paraître bref.
D'un autre côté, je reconnais que, si nous voulons que le dépôt des projets de loi de ratification intervienne avant le 15 novembre, il faut faire vite. Je souhaite que le ministère soit très compréhensif quant aux délais laissés aux différentes assemblées des territoires et départements d'outre-mer pour donner leur avis sur les projets d'ordonnance.
Telles sont les observations que je souhaitais formuler à propos de l'article 2, que la commission vous proposera d'adopter.
L'article 3 concerne l'université française du Pacifique ; très beau sujet !
Rappelons que l'article 14 de la dernière « loi balai » du 5 juillet 1996 avait défini un nouveau statut de cette université tout en différant de quinze mois sa mise en oeuvre pour permettre l'élaboration des décrets d'application et l'installation des nouvelles structures. Ce délai délimitait ainsi une période transitoire pendant laquelle l'université devait continuer à fonctionner sous l'empire des dispositions antérieures du décret du 29 mai 1987. Or, le délai de quinze mois expirait le 9 octobre 1997, monsieur le secrétaire d'Etat, et les décrets d'application de l'article 14 n'ont pas été publiés ! Je ne ferai pas de procès, mais il s'agit maintenant de savoir comment remédier à la situation.
Toujours est-il que l'université française du Pacifique est, depuis le 9 octobre 1997, confrontée à un vide juridique. Mais je n'ai crainte, il n'y a pas de vide culturel ! Je pense donc que l'on saura remédier à une imperfection de nature juridique dans les meilleurs délais.
L'article 3 du projet de loi propose de modifier la loi du 5 juillet 1996 pour substituer au délai initial de quinze mois un délai de trente mois en attendant que l'ordonnance relative au « régime de l'enseignement supérieur dans les territoires d'outre-mer du Pacifique » soit prise.
La commission des lois regrette, bien sûr, que des dispositions législatives adoptées il y a moins de deux ans soient restées lettre morte en créant, de surcroît, un vide juridique. Il est normal que le Parlement s'en émeuve.
Sur le problème du vide juridique, je voudrais vous dire, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'expression « prorogation de la période transitoire », qui figure dans l'exposé des motifs tendant à justifier l'article 3, est inadaptée. On va voter la prorogation mais, vous n'y pouvez rien, la période transitoire ouverte initialement s'est achevée. Il est possible d'ouvrir une nouvelle période transitoire, mais on ne peut pas proroger celle qui a expiré. Aussi paraît-il nécessaire, afin d'éviter une multiplication des recours contentieux contestant la régularité des actes pris entre cette date et l'adoption de l'ordonnance, d'insérer dans le dispositif une mesure de validation, à titre préventif, mesure à laquelle, je pense, le Gouvernement ne s'opposera pas.
Si la commission considère que des mesures d'une telle nature doivent rester exceptionnelles, une validation apparaît nécessaire en l'occurrence pour garantir la continuité du service public de l'enseignement supérieur en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
Le projet de loi s'arrêtait là. Et voilà qu'un article 4 a été introduit à l'Assemblée nationale, sur l'initiative de M. Pierre Frogier, député de la Nouvelle-Calédonie, territoire très cher à la commission des lois. Je puis vous dire que nous avions prévu que la commission des lois fût présente en Nouvelle-Calédonie du 3 au 12 février. Le voyage est remis mais il se fera, et vous savez pourquoi nous avons été une première, puis une deuxième fois, amenés à reporter cette mission qui, pour moi, sera la sixième. On attendait, bien sûr, la conclusion de l'accord minier.
J'en reviens à l'article 4, qui est incontestablement un cavalier. Mais, en cette année 1998, qui est une année prépondérante pour la Nouvelle-Calédonie, on ne peut pas « cavalièrement », traiter d'un problème qui concerne ce territoire et discuter de la recevabilité d'une disposition. C'est pourquoi la commission des lois du Sénat accepte de bon gré cet article sous réserve d'une modification qui ne change rien quant au fond mais qui tient compte de décisions du Conseil constitutionnel que j'évoquerai dans un instant.
De quoi s'agit-il ?
L'article 4 vise à valider les concessions d'endigage qui ont été délivrées par les autorités territoriales sur le domaine du port autonome de Nouméa, ainsi que les actes pris sur leurs fondements.
On s'est en effet aperçu que le territoire n'était pas compétent pour accorder de telles autorisations, l'Etat ayant seul compétence en matière de domaine public maritime : c'est le droit depuis 1926. Or, depuis bientôt soixante-douze ans, il est superbement ignoré.
C'est ainsi que, aujourd'hui, des contentieux apparaissent. Des recours ont été portés devant la juridiction administrative. Récemment, la cour administrative d'appel de Paris a rendu une décision excipant de l'illégalité des concessions.
La validation qui est demandée a pour objet d'éviter que ne soient remis en cause les actes ayant permis l'édification de certains bâtiments sur les terres exondées, notamment des bâtiments d'intérêt public, au nombre desquels figurent les halles du marché municipal de Nouméa ou la capitainerie du port autonome ; des bâtiments privés se trouvent cependant également concernés.
La commission des lois vous proposera une nouvelle rédaction de cet article afin de le rendre conforme aux exigences définies, en matière de validation, par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui manifeste son souci de respecter la séparation des pouvoirs et rejette toute remise en cause de décisions juridictionnelles devenues définitives.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais, en conclusion, évoquer brièvement l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Il s'agit d'un sujet dont nous aurons certainement l'occasion de reparler.
C'est un territoire qui m'est personnellement très cher, où je me suis rendu cinq fois depuis 1983, parfois en des moments difficiles.
J'ai été un partisan des accords de Matignon, et cette position n'était pas partagée par tous mes amis politiques.
Après le drame d'Ouvéa, j'avais le sentiment qu'allait s'enclencher une sorte de guerre de libération, d'indépendance, au cours de laquelle inéluctablement, tous les leaders, de tous bords, seraient retrouvés - la Nouvelle-Calédonie n'est pas si impénétrable ! - et massacrés.
Par ailleurs, je ne connais pas de guerre d'indépendance qui n'ait pas mené à l'indépendance.
Lorsque les accords de Matignon ont été proposés à la ratification du peuple français, celui-ci s'est largement abstenu.
Représentant la commission des lois du Sénat à la demande de son président, j'avais été conduit, en 1988, à accompagner le Premier ministre, M. Michel Rocard, et plusieurs membres du Gouvernement pour, en quelque sorte, consacrer sur place les accords qui venaient d'être signés. Je découvris alors une ambiance très différente de celle que j'avais connue en 1985, à la suite des graves troubles qui s'étaient produits sur le territoire. Je pus constater qu'une sorte de réconciliation s'opérait, qui pouvait aboutir à quelque chose de positif.
Je suis persuadé que les dix années écoulées ont effectivement été positives, même si je ne sais pas sur quoi tout cela débouchera finalement.
Je disais hier à mes collègues de la commission des lois que, si un accord était trouvé avec le FLNKS, il faudrait modifier la loi référendaire, dont l'un des articles prévoit de soumettre aux Néo-Calédoniens une alternative qui peut être formulée ainsi : « Souhaitez-vous rester rattachés à la République française ou souhaitez-vous être indépendants ? » Il n'est pas sûr que les discussions qui vont s'engager permettent de maintenir une telle alternative.
Le temps vous est et nous est compté, monsieur le secrétaire d'Etat. J'espère que la patience, l'intelligence et la sagesse des uns et des autres nous conduiront à une solution positive.
En tout cas, monsieur le secrétaire d'Etat, sachez que la commission des lois du Sénat vous aidera à trouver la meilleure solution pour tous les habitants de la Nouvelle-Calédonie, qu'ils soient d'origine métropolitaine ou d'origine canaque ; ce sont tous des citoyens et nous les respectons tous au même titre. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Loueckhote.
M. Simon Loueckhote. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la volonté de moderniser le droit applicable à l'outre-mer est une intention tout à fait louable, et je veux saluer l'initiative de ce projet de loi, dont certains éléments répondent à des attentes précises, notamment au sein de la population calédonienne.
Je citerai en particulier l'extension à la Nouvelle-Calédonie de la législation relative aux dons d'organes, l'application du dispositif de l'épargne logement et la révision des accords de coordination entre les régimes métropolitain et calédonien de sécurité sociale.
Il est cependant des domaines dans lesquels l'application de la législation métropolitaine ne serait, à notre sens, pas du tout opportune, car elle ne ferait aucun cas des spécificités locales : je veux parler du projet d'extension à la Nouvelle-Calédonie de certaines dispositions de la loi de 1978 sur la responsabilité et l'assurance des constructeurs.
L'ensemble des professionnels calédoniens concernés est fermement opposé à l'application du principe de présomption de responsabilité des constructeurs, qui aurait pour conséquence de renchérir considérablement les tarifs d'assurance et qui pourrait déstabiliser le marché de la construction.
Il n'est pas dans mon intention de revenir sur l'ensemble des projets de réforme dont seul le principe nous est soumis aujourd'hui. Néanmoins, je veux attirer votre attention sur un dossier particulier, auquel nous attachons beaucoup d'importance : il s'agit de la validation des concessions d'endigage sur le domaine maritime accordées par le territoire de la Nouvelle-Calédonie ; M. le rapporteur y a fait assez longuement allusion.
Toute la façade maritime de Nouméa, soit plusieurs centaines d'hectares, sur lesquels sont installés de nombreux équipements publics et privés, est en effet concernée par ces concessions d'endigage, qui ont été récemment contestées par la cour administrative d'appel de Paris, cette juridiction estimant que la compétence en revient à l'Etat.
Une régularisation de cette situation au moyen d'une disposition législative s'avère donc urgente.
Toutefois, vous n'ignorez pas que notre préoccupation va, aujourd'hui, bien au delà de ces questions, car la Nouvelle-Calédonie est désormais entrée dans une période décisive de son évolution statutaire.
C'est en effet en 1998 que les Calédoniens feront le choix de leur avenir puisque nous arrivons au terme des dix années de stabilité institutionnelle voulue par les signataires des accords de Matignon.
A la veille de cette échéance capitale, il est de mon devoir d'informer les membres de la Haute Assemblée de la situation politique actuelle sur le Territoire.
En 1988, les signataires des accords de Matignon ont fait le pari de dix années de paix, de stabilité institutionnelle et de développement, à l'issue desquelles la population serait consultée sur son maintien ou non au sein de la République française.
Ce pari, nous l'avons gagné.
Au lendemain des troubles politiques graves qui ont secoué notre territoire, c'était un formidable défi et nous l'avons relevé.
Grâce à ces accords et avec l'adoption de la loi référendaire de 1988, qui a fait naître un nouveau statut, un équilibre a pu émerger en Nouvelle-Calédonie, et il est aujourd'hui incontestable que la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou a permis de construire les fondements d'une société pluriethnique, avec un réel partage du pouvoir.
La paix retrouvée, la stabilité institutionnelle, la volonté et le sens des responsabilités des différents partenaires, qui ont fait vivre ce nouveau statut, ont rendu possible l'amorce d'un rééquilibrage de l'activité économique en faveur du nord du Territoire et des îles Loyauté.
Ce processus n'aurait pu être enclenché sans le soutien qui nous a été apporté par l'Etat, à travers les contrats de développement.
Arrivant au terme de cette période, nous sommes tout naturellement amenés à en dresser un bilan.
Force est d'abord de constater que, si le rééquilibrage n'est pas négligeable, il est encore nettement insuffisant.
On peut d'ailleurs difficilement imaginer que la province Nord et la province des îles Loyauté ne puissent plus, du jour au lendemain, bénéficier de la solidarité nationale dans un domaine où tout reste à faire.
Par ailleurs, la pratique des institutions issues de la loi référendaire et les événements politiques qui ont marqué le Territoire au cours des dix dernières années donnent à penser que la stabilité que nous avons connue doit être rapidement consolidée si l'on veut que se poursuive cette oeuvre de construction d'une société prospère et solidaire.
C'est pourquoi Jacques Lafleur a, le premier, parlé de la nécessité d'une solution consensuelle, de façon à éviter le scrutin d'autodétermination qui, en laissant inévitablement un vainqueur et un vaincu, risque de replonger le Territoire dans une période d'incertitude, ce que personne ne souhaite. Nous avons pris cette initiative dès la fin de 1995.
Toutefois, la mauvaise volonté de certains leaders indépendantistes, qui ont utilisé le prétexte du projet de construction d'une usine de transformation du nickel dans la province Nord et de l'accès à la ressource minière nécessaire à sa réalisation, a fait rapidement échouer ces discussions.
La Nouvelle-Calédonie est alors entrée dans l'ère des « préalables », les indépendantistes faisant de ce dossier un préalable à la reprise des discussions, le fameux « préalable minier », qui a duré plus de deux ans.
Comme vous le savez, un protocole d'accord permettant l'échange de massifs miniers a été signé, voilà quelques jours, entre le Gouvernement, la société Eramet et la SMSP, la société minière du Sud-Pacifique.
Le FLNKS a bien annoncé la levée de ce préalable minier, mais pour aussitôt le remplacer par un autre préalable. Il exige désormais des discussions bilatérales avec le Gouvernement, prétendument pour régler le contentieux colonial : pure construction idéologique, destinée à habiller la véritable intention de certains leaders indépendantistes d'imposer à tous leur propre vision de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. A les entendre, le contentieux colonial, qui serait né de la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie en 1853, est exclusivement l'affaire du FLNKS et de l'Etat.
En tant que Mélanésien et au nom de tous les Mélanésiens qui, face à cette attitude hégémonique du FLNKS, revendiquent leur droit à la différence et au respect, j'affirme devant la Haute Assemblée que nous ne reconnaissons par au seul FLNKS la faculté de discuter de cette question avec l'Etat.
Je veux aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, mettre en garde le Gouvernement contre les risques encourus par la population calédonienne si l'on persiste à différer la reprise des discussions avec l'ensemble des partenaires des accords de Matignon.
Il est grand temps de dénoncer la véritable manipulation orchestrée par certains responsables indépendantistes, qui font encore croire à leurs militants que le seul langage possible est celui des barricades, de la pression exercée sur l'économie, sur les institutions et sur les hommes de ce pays.
Le FLNKS crie victoire en s'attribuant la paternité de ce protocole d'accord qui adopte le principe et les modalités d'un transfert de massifs miniers. Il en fait un véritable événement, qui marquerait le début d'un rééquilibrage effectif de l'activité économique en Nouvelle-Calédonie.
Mais l'hypothèse de la construction, dans le nord, d'une usine de transformation du nickel par le groupe canadien Falconbridge, en partenariat avec la SMSP, est malheureusement de plus en plus improbable.
Il est grand temps, monsieur le secrétaire d'Etat, d'annoncer la vérité aux Calédoniens. Nous n'avons aujourd'hui aucune assurance quant à la réalisation du projet d'usine au nord, en tout cas avec Falconbridge.
En effet, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous avons perdu tout ce temps pour n'obtenir du groupe canadien qu'une lettre d'engagement à effectuer, dans un délai de sept ans, des études de faisabilité. Au bout de ces sept années, Falconbridge aura toute latitude pour annoncer son refus d'investir en Nouvelle-Calédonie. En définitive, les seuls qui vont être pénalisés par le protocole seront les Calédoniens, en particulier la société Le Nickel et la SMSP, qui se voient imposer, pendant sept années, des contraintes pesant sur l'utilisation de leurs ressources et donc sur leurs propres programmes d'investissement.
Voilà la vérité dans toute cette affaire, que le FLNKS présente comme l'unique promesse d'un rééquilibrage en faveur du nord.
On ne peut, par conséquent, que déplorer l'irresponsabilité de tous ceux qui ont bloqué la recherche d'une solution consensuelle pour de telles raisons.
Si nous avons toujours soutenu le projet de construction d'une usine métallurgique dans le nord - le Congrès du territoire avait d'ailleurs adopté à l'unanimité, en novembre 1996, un voeu demandant au Gouvernement de mettre tous les moyens en oeuvre pour sa réalisation - nous n'avons cependant jamais été dupes. C'est pourquoi nous avons repris l'initiative de la négociation il y a un mois.
C'est ainsi que des responsables politiques indépendantistes, regroupés au sein d'un comité de coordination, qui sont, eux aussi, exaspérés par le préalable minier et qui ont su tirer les enseignements de dix années de travail en commun, ont accepté de s'asseoir autour d'une table de négociation avec le Rassemblement pour la Calédonie dans la République pour construire un véritable projet de société.
Notre souhait, dès lors, est que le scrutin d'autodétermination prévu par la loi référendaire de 1988 soit transformé en scrutin de ratification d'une solution consensuelle.
Je veux insister sur le fait que cette démarche est loin d'être anodine dans un territoire qui a connu maints soubresauts et bouleversements majeurs. N'oublions pas qu'il y a dix ans certains voulaient imposer le langage des armes pour, prétendument, parler d'avenir !
Nous ne retrouvons malheureusement pas chez l'ensemble de nos partenaires, dont certains veulent nier cette avancée notable et exigent la dissolution du comité de coordination, une attitude aussi responsable politiquement.
Le résultat de toute cette confusion est le retard considérable qui a été pris pour aborder la question essentielle de l'évolution statutaire de la Nouvelle-Calédonie.
Si la conviction qu'il est nécessaire de s'accorder sur un projet d'avenir n'est pas unanime chez nos partenaires, si aucune solution politique ne parvient à émerger d'ici au 31 mars, nous adopterons, pour notre part, une position très claire : nous exigerons l'organisation du scrutin d'autodétermination.
Ce sera, pour la Nouvelle-Calédonie, l'instant de vérité. Mais nous sommes prêts à assumer cette responsabilité, car nous refusons de tromper le peuple français, qui s'est prononcé en 1988, par voie référendaire, sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Vous n'ignorez pas cependant, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, qu'il ne peut y avoir, en Nouvelle-Calédonie, de solution qui n'ait qu'un caractère institutionnel.
La loi référendaire de 1988 nous a dotés de nouvelles institutions, dont le fonctionnement a en grande partie été lié à l'attitude de ceux qui les ont fait vivre et à leur conception de la démocratie.
La multiplication, ces mois derniers, des barrages dressés sur les routes calédonniennes nous interpelle, de même que le mépris affiché des libertés fondamentales telles que la liberté de circulation mais aussi la liberté d'expression, car les responsables indépendantistes qui ont manifesté leur volonté de négocier ont été l'objet de menaces et d'agressions.
C'est pourquoi les Calédoniens sont en droit d'avoir des réponses claires aux questions qu'ils se posent sur leur avenir.
A l'aube du troisième millénaire, face au poids des grandes puissances de ce monde, pouvons-nous, nous tous, assumer la responsabilité politique et économique du repli d'une population de 250 000 habitants sur son territoire, au nom de la revendication d'une indépendance qui ne relèvera que de l'idéologie et jamais de la réalité quotidienne ?
Le Gouvernement va-t-il accepter, monsieur le secrétaire d'Etat, l'exigence de la reconnaissance de la souveraineté du « peuple kanak », considéré comme le premier occupant du territoire ?
L'application de ce concept de souveraineté à une partie de la communauté calédonienne n'est-elle pas, en effet, une attitude foncièrement discriminatoire portant en elle les germes de la division et de l'inégalité ?
Allons-nous reproduire, dans le pays des droits de l'homme, l'expérience de l'île Fidji, où l'on a institutionnalisé la suprématie de la communauté mélanésienne sur les autres groupes ethniques ?
Nous sommes tout à fait d'accord pour qu'un débat sur la souveraineté soit engagé, mais il doit porter sur les rapports de la France avec l'ensemble de la population calédonnienne, qui veut, en toute légitimité, voir reconnaître sa différence.
Contrairement aux idées reçues, ce but peut être atteint sans sortir du cadre constitutionnel de la France.
Nous souhaitons même que la spécificité de notre territoire puisse être reconnue au plus haut niveau, celui de la Constitution.
Dans le même esprit, nous voulons qu'une redistribution des compétences soit opérée entre l'Etat et les collectivités locales, au vu du bilan que nous tirons des dix ans de pratique des institutions issues de la loi référendaire de 1988.
Tous ces objectifs n'ont cependant de sens qu'à l'intérieur d'une solution négociée qui, pour l'instant, reste encore envisageable.
Mais le temps nous est désormais compté.
En réponse aux exigences de ceux qui veulent couper les liens avec la France, ne faut-il pas souligner le caractère unique des territoires français dans l'océan Pacifique, et plus particulièrement de la Nouvelle-Calédonie dans l'espace mélanésien, pour rappeler que nous ne saurions être assimilés à n'importe quel autre micro-Etat insulaire de cette partie du monde, alors que la population calédonienne, dans sa majorité, est profondément attachée à son appartenance à la République française ?
Sachez que les Calédoniens ne veulent pas renoncer aux valeurs et aux principes républicains qui sont les leurs depuis tant d'années.
Ils n'accepteront pas d'adhérer à un modèle de société pour le moins aventureux, à un Etat dont ils ignorent la véritable nature et qui peut fort bien s'éloigner des règles de l'Etat de droit.
La France acceptera-t-elle de les abandonner à leur sort ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'avenir statutaire de la Nouvelle-Calédonie ne peut être que l'expression de la volonté populaire et le résultat d'un fait majoritaire, car tels sont les principes fondateurs de la République française.
Dans cette lutte pour la défense de nos droits et de nos valeurs communes, la population calédonienne a besoin de votre soutien.
Aujourd'hui, l'espoir des Calédoniens, dans leur immense majorité, est de ne pas perdre l'acquis considérable des dix années de paix et de développement qui leur ont été données par les accords de Matignon et de pouvoir préparer leur avenir dans l'harmonie et la sérénité. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je sollicite l'indulgence de mes collègues MM. Simon Loueckhote, Georges Othily, Daniel Millaud et Victor Reux, car je m'introduis au sein d'un débat entre « ultra-marins », même si je puis moi-même revendiquer, si je puis dire, cette nature !
M. Simon Loueckhote. C'est la France !
M. Guy Allouche. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. Nous, nous sommes en Ile-de-France... (Sourires.)
M. Guy Allouche. Mes chers collègues, en application de l'article 38 de la Constitution, et en conformité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le Gouvernement sollicite du Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation à l'outre-mer du droit applicable en métropole et ce dans le respect de chacune des collectivités.
Concernant l'outre-mer, le recours aux ordonnances est assez fréquent. Mais la particularité du projet de loi qui nous est soumis est que l'habilitation demandée n'a jamais été aussi vaste - je ne reprendrai pas ici l'énumération des domaines concernés, qui viennent d'être rappelés tant par M. le secrétaire d'Etat que par notre excellent rapporteur - et qu'elle concerne aussi bien les territoires et les collectivités territoriales d'outre-mer que les départements d'outre-mer.
L'article 74 de la Constitution nous rappelle que les territoires d'outre-mer sont régis par le principe de la spécialité législative. Les règles en vigueur dans ces territoires ne peuvent résulter que de textes qui leur sont spécifiques ou de textes généraux dont l'applicabilité outre-mer est expressément mentionnée.
Quant aux départements d'outre-mer, les lois s'y appliquent de plein droit sans mention spécifique.
Toutes ces modalités particulières d'application de textes législatifs expliquent le retard du droit en vigueur outre-mer. Périodiquement, le Gouvernement dépose des projets de loi portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer - projets de loi « fourre-tout » - avec des dispositions hétéroclites et souvent techniques.
Nous savons tous que les projets de loi portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer ne suscitent guère l'enthousiasme du législateur, qui s'en accommode tant bien que mal. En la circonstance, c'est par voie d'ordonnances que le Gouvernement entend procéder à la modernisation du droit applicable outre-mer.
Ce projet de loi est-il conforme la Constitution ? Nous le pensons, car il répond à toutes les exigences rappelées par le juge constitutionnel.
C'est notamment le cas de l'article 1er, qui précise que la finalité de l'habilitation est « l'actualisation et l'adaptation du droit applicable outre-mer » et les domaines d'intervention qu'il énumère font l'objet d'une description détaillée.
Les seize domaines d'intervention sont, certes, d'importance variable, mais ils sont essentiels pour les populations concernées.
En outre, les délais pendant lesquels le Gouvernement est habilité à prendre ces ordonnances sont bien délimités : le délai de dépôt des ordonnances est fixé au 15 septembre 1998 et celui des projets de loi de ratification au 15 novembre 1998.
De fait, le législateur est en droit de s'interroger sur le bien-fondé d'une telle habilitation qui le dessaisit d'une partie importante de ses compétences. Ajouterai-je que, pour des raisons aisées à comprendre, le législateur n'apprécie que fort peu le recours à cet « outil législatif », dont l'usage, même modéré, prête à controverse ?
A cet égard, il y a lieu d'admettre que le Parlement a souvent débattu des sujets traités et la seule question réside dans l'opportunité d'une application outre-mer.
Je note également que vous avez pris soin de déclarer, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement n'entend rien imposer par voie d'ordonnances, mais compte, au contraire, faciliter l'introduction du droit dans des domaines qui ne sont actuellement pas couverts.
Il nous faut aussi reconnaître que la méthode retenue, outre sa commodité, est un gage de rapidité de la transposition des dispositions concernées. L'encombrement du calendrier législatif plaide donc en faveur de cette méthode.
Nous constatons enfin que le Gouvernement marque le souci de respecter le pouvoir de contrôle du Parlement : les avant-projets d'ordonnance sont prêts et ils ont été transmis à la commission des lois - M. le rapporteur en a fait état hier en commission et, voilà un instant, à cette tribune - il n'y aura pas un projet de loi de ratification mais plusieurs, et ceux-ci seront renvoyés aux commissions compétentes au fond et non à la seule commission des lois, comme c'est souvent le cas pour les projets de loi portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer. C'est une innovation que je souligne avec plaisir.
Par ailleurs, les prérogatives des assemblées des collectivités d'outre-mer en matière de consultation sont étendues aux ordonnances, ainsi que le prévoit le dernier alinéa de l'article 1er.
Les ordonnances visées par ce projet de loi d'habilitation fort bien présenté par notre excellent collègue Jean-Marie Girault, que je tiens à féliciter pour la qualité, la densité et la précision de son rapport, ont été rappelées à cette tribune : elles illustrent parfaitement la diversité des domaines couverts par ce texte, dont l'importance, certes inégale, est toujours en rapport direct avec les préoccupations qu'expriment souvent nos collègues élus des départements et territoires d'outre-mer. Aussi faisons-nous nôtre l'urgence mise à actualiser la législation, puisque le souci de l'efficacité doit être prioritaire.
En marge de ce texte, je veux avant de conclure évoquer l'évolution - positive - du dossier calédonien, et témoigner de l'intérêt que nous portons à la Nouvelle-Calédonie et à ses habitants.
Juste avant moi, notre collègue Simon Loueckhote a fait état de la situation de ce territoire qu'il connaît parfaitement, et pour cause : il en est l'élu. Je veux aussi remercier notre excellent rapporteur des propos qu'il a tenus à ce sujet : nous savons tous que M. Jean-Marie Girault est un fin connaisseur de l'outre-mer, particulièrement du dossier néo-calédonien. Nous n'avons pas manqué de noter la gravité du propos qu'il a tenu en rappelant les événements qui se sont déroulés voilà dix ans maintenant - dix ans déjà ! - et qui ont marqué l'opinion publique tant française qu'internationale.
Après une longue période de difficultés et de tensions, le préalable minier a été levé. Les accords de Bercy marquent un tournant. La presse, surtout écrite, a rendu compte de cet événement politique important intervenu le week-end dernier. La conclusion de l'accord entre l'Etat et les opérateurs miniers en Nouvelle-Calédonie permettra aux forces politiques calédoniennes d'engager enfin les pourparlers politiques et institutionnels.
Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous préciser le sens et toute la portée de cet accord ? Quel en est l'enjeu dans le domaine industriel, dans le cadre plus global des accords de Matignon ? Le débat relatif à l'outre-mer ne peut faire abstraction de la nouvelle situation en Nouvelle-Calédonie.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe socialiste émettra un vote favorable sur ce projet de loi, auquel M. le rapporteur propose, fort pertinemment, d'apporter deux modifications, l'un des amendements déposés par la commission étant un amendement de précaution visant l'université française du Pacifique, l'autre tenant compte de la situation à Nouméa et ayant trait aux concessions d'endigage. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste, républicain et citoyen. - M. Othily applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Gouvernement demande au Sénat de l'habiliter à prendre, par ordonnances, les mesures nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Lors du débat sur le budget de l'outre-mer, j'ai indiqué que le législateur était toujours frustré de se voir enlever l'essentiel de sa mission, à savoir faire la loi.
Ce projet de loi d'habilitation arrive, je crois, à point nommé.
Je voudrais simplement vous rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat, que si la spécificité des départements et territoires d'outre-mer était prise en compte lors de l'adoption de la loi, et non a posteriori comme nous le faisons maintenant, les difficultés auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés seraient certainement moins nombreuses.
Cela étant, l'urgence qu'il convient d'accorder au traitement de certaines situations délicates ne nous permet pas de retarder le processus de modernisation du droit applicable outre-mer et, pour la circonstance, j'apporterai donc mon soutien à votre initiative.
Pour autant, monsieur le secrétaire d'Etat, nous n'abandonnerons pas sans concession les prérogatives qui sont les nôtres et c'est la raison pour laquelle je souhaite vivement que les élus locaux soient associés à la rédaction des ordonnances que le Gouvernement sera habilité à prendre.
Parmi les mesures qui sont proposées, trois concernent particulièrement la Guyane.
Le paragraphe 5°, de l'article 1er, dans sa rédaction issue de l'Assemblée nationale, envisage - enfin ! - le remboursement des médicaments indispensables en prophylaxie et en thérapeutique palustre.
Monsieur le secrétaire d'Etat, de l'aveu même des services du ministère de la santé, 10 % de la population guyanaise est très gravement concernée par l'endémie palustre, puisque l'existence de sources chloroquinorésistantes est aujourd'hui confirmée. En clair, cela signifie que seules deux spécialités, l'Halfan et le Lariam, sont de nature à endiguer ce fléau.
Or les deux produits que je viens de citer ne sont pas remboursés par la sécurité sociale, ou plutôt ils le sont à condition d'être prescrits par un médecin hospitalier dans le cadre d'un traitement initié à l'hôpital et d'être délivrés par les pharmacies des hôpitaux.
En pratique, il est impossible de se procurer ces médicaments en pharmacie : la Guyane ne compte que trois hôpitaux pour une superficie équivalant à 25 % du territoire métropolitain et, de plus, la prescription d'un traitement antipaludéen doit être renouvelée tous les mois.
Pourtant, il existe une solution simple, de nature à mettre fin à cet état de fait : l'inscription du Lariam et de l'Halfan sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pour être ratifiée l'année prochaine, l'ordonnance que le Gouvernement proposera devra impérativement prendre en compte cette considération.
Pour ce qui concerne l'état civil en Guyane, j'ai pris connaissance avec satisfaction du projet d'ordonnance que le Gouvernement a soumis aux autorités locales.
Pour l'avenir, le délai de déclaration des naissances serait porté de trois jours à un mois. Cette mesure semble particulièrement adaptée à la spécificité géographique de la Guyane et devrait faciliter considérablement la tâche des autorités préfectorales et judiciaires.
Pour autant, je regrette que le Gouvernement n'ait pas poursuivi cette logique plus en profondeur. Cette seule modification de l'article 55 du code civil prend en considération la situation des personnes à naître, mais ne règle en rien les difficultés que rencontrent les Guyanais dépourvus d'état civil.
On estime à environ 7 000 le nombre de Français qui ne disposent d'aucun document d'identité et qui, de ce fait, sont dans l'incapacité de participer à la vie en société.
Fort heureusement, l'Assemblée nationale a introduit un amendement qui devrait permettre de trouver des solutions heureuses à cette difficulté. Dans ce cas, une commission chargée d'étudier la situation de chaque Français sans papiers devra voir le jour dans les meilleurs délais.
Je rappelle que cette commission devra être composée des différents acteurs de la vie locale. Je pense évidemment au procureur de la République et au préfet. Mais, surtout, il est primordial que soient présents au sein de cette commission le maire de la commune où réside l'intéressé ainsi que deux personnalités - deux sages de la commune - réputées pour leur connaissance des populations autochtones, qui sont les plus concernées.
La troisième disposition qui concerne le département de la Guyane est relative au problème foncier. A l'heure actuelle, vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat, l'Etat possède, à titre privé, 90 % des terres du département.
De nombreuses réformes foncières ont été effectuées. Malheureusement, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. Nous devons, monsieur le secrétaire d'Etat, profiter de l'occasion qui nous est donnée pour mettre en place un système efficace de gestion des transferts de propriété.
D'abord, il faut chercher à éviter toute démarche spéculative de la part des futurs propriétaires fonciers. Je crois savoir que l'ordonnance que vous prévoyez de prendre subordonnera ces transferts à la condition d'une exploitation agricole trentenaire. J'aurais préféré que ce fût inscrit dans la loi d'habitation, mais je suis certain que vous saurez nous apporter des garanties au sujet de cet élément de stabilité.
Par ailleurs, je relève que le texte, dans sa rédaction émanant de l'Assemblée nationale, prévoit que ces transferts pourront bénéficier aux « agriculteurs installés », ce qui est logique, mais également « aux personnes physiques qui en font la demande ».
Cette dernière acception n'est pas sans m'inquiéter. Que faut-il entendre par là ? Je souhaiterais que l'ordonnance relative à cette question précise bien que la condition d'accès à la terre est son exploitation, et rien d'autre.
Par ailleurs, la méthode d'attribution des terres devra nécessairement entraîner une refonte du décret portant création de l'établissement public d'aménagement de la Guyane, l'EPAG, en faisant entrer au conseil d'administration la chambre de commerce et d'industrie, la chambre de métiers, la chambre d'agriculture et les communautés de communes.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis certain que les réponses que vous nous adresserez sauront apaiser les inquiétudes de certains d'entre nous.
S'agissant de la mise en place des ordonnances, j'invite le Gouvernement à prendre attache avec les élus de l'outre-mer, afin que l'adoption d'une législation future fasse l'objet de la concertation la plus large.
C'est seulement dans ces conditions qu'une ratification pourra intervenir. Dans cette attente, j'apporte mon soutien au projet de loi d'habilitation, qui permettra certaines avancées indispensables pour nos collectivités. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Millaud.
M. Daniel Millaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais, au début de mon propos, attirer une nouvelle fois l'attention du Gouvernement et, bien entendu, de la Haute Assemblée, sur la diversité politique de l'outre-mer français, qui s'exprime dans trois catégories de collectivités « constitutionnelles » : les départements, les territoires et les collectivités territoriales.
Chacune de ces catégories représente des spécificités institutionnelles, géographiques, confrontées trop souvent à l'application de lois et de traités internationaux, sans réflexion commune préalable, et malgré l'avis du Conseil d'Etat à ce sujet. J'étais tenté de passer sous silence la confusion entre association et annexion dans les rapports entre l'Union européenne et les territoires d'outre-mer français, mais je vais tout de même en parler un peu. A ce sujet, il faudra, dans les ordonnances, appliquer le principe de non-discrimination prévue par le traité de Rome et par les décisions d'association dans le cadre du droit d'établissement et des activités salariées et autres, dont les autorisations ne pourront être données que par les autorités du territoire auxquelles devront se soumettre également les candidats métropolitains.
Vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est la conclusion unanime du récent débat du conseil économique, social et culturel de Polynésie française. C'est pourquoi, puisque vous avez l'intention de modifier les principes généraux du droit du travail, je vous demande de prévoir des dispositions assurant le droit au travail aux personnes originaires de mon territoire.
En tout état de cause et compte tenu de la diversité que j'ai rappelée, je préférerais que les ordonnances traitent séparément des aménagements législatifs qui doivent être apportés à chacun des départements, territoires et collectivités territoriales. Ainsi, chaque département, chaque territoire, chaque collectivité territoriale aura sa propre ordonnance.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous hochez la tête. J'ai consulté cet ensemble d'ordonnances et je vous assure que, pour quelqu'un qui n'a jamais fait de droit, pour un simple dentiste de quartier comme moi, il n'est pas facile d'éliminer ce qui s'applique à Saint-Pierre-et-Miquelon et de ne conserver que ce qui doit être appliqué aux îles Marquises. Nous en discuterons peut-être une autre fois.
Par ailleurs, se pose la question des délais. Le Parlement, qui dispose de conseillers techniques performants, pourra se prononcer dans le cadre des lois de ratification au cours de la prochaine session budgétaire, puisque les ordonnances seront connues au plus tard le 15 septembre et déposées le 15 novembre.
En revanche, les assemblées locales consultées ne disposeront que d'un délai d'un mois pour donner leur avis, sans doute à partir du 15 septembre. Je voudrais, monsieur le secrétaire d'Etat, vous rappeler que l'article 69 de la loi organique n° 96-312, portant statut de la Polynésie française, prévoit que l'assemblée « dans tous les cas où son avis doit être recueilli » dispose d'un délai de deux mois pour se prononcer. Certes, ce délai est réduit à un mois, comme le précise l'article 73, « par dérogation », car le haut-commissaire « peut faire inscrire par priorité à l'ordre du jour une question sur laquelle l'assemblée de Polynésie française ou la commission permanente doit émettre un avis ».
Encore faut-il que l'assemblée soit en session, et si elle ne l'est pas, un certain temps est nécessaire pour réunir ses membres car ils sont dispersés sur un territoire beaucoup plus grand que l'Europe, dont plusieurs aéroports, vous ne l'ignorez pas, ont été détruits par de récents cyclones.
Mais, et c'est grave, se pose la question de fond, que vous avez voulu éliminer en disant que la consultation des assemblées n'était pas prévue en ce qui concerne les ordonnances. En réduisant d'autorité, par une loi simple, à un mois le délai pour rendre l'avis, on modifie les dispositions d'une loi organique relative à mon territoire.
Je vois que certains disent non et que l'on continuera à appliquer un système colonial. Ayant eu un grand-père qui a été gouverneur par intérim des colonies, je connais un peu le système. (Sourires.)
En tout état de cause, il faudra respecter les compétences de chacune de nos collectivités d'outre-mer et, d'ores et déjà, tenir compte des avis et des souhaits qu'elles auront pu exprimer sur le projet de loi d'habilitation que nous examinons aujourd'hui et dont l'exposé des motifs est relativement explicite. Bien entendu, comme l'a dit tout à l'heure M. le rapporteur, il ne faudra pas omettre - car c'est une obligation qui résulte de l'article 74 de la Constitution - de transmettre l'avis de l'assemblée des pingouins des terres Australes et Antarctiques françaises au Parlement ! (Sourires.)
C'est ainsi que l'assemblée de Polynésie française - et je ne cite que quelques extraits de son rapport - est réservée sur les modifications susceptibles d'être apportées dans le droit du travail, défavorable à des modifications de la loi de 1965 relative à la copropriété, favorable à l'épargne logement, à la modernisation du code des douanes, à la procédure contentieuse et de recouvrement en matière d'impôts.
On constate donc que le territoire est favorable à de nombreuses améliorations, ou même à des dispositions nouvelles dans le secteur des compétences de l'Etat.
C'est ainsi qu'il souhaite, comme cela est du reste prévu par les articles 62 et 63 de la loi statutaire, l'homologation des dispositions pénales adoptées mais non homologuées de l'assemblée de la Polynésie française. De même, il conviendrait d'attribuer aux policiers municipaux, comme à ceux de Nouvelle-Calédonie, le pouvoir de constater par procès-verbal certaines infractions. Cela pose également le problème de l'amélioration du code des communes, dont de nouvelles dispositions devaient être promulguées voilà plus d'un an. Quant à l'Université française du pacifique, le Gouvernement propose de prolonger sa situation illégale. Je pense que, sur l'initiative de M. le rapporteur, le texte sera bien amélioré.
Mais monsieur le secrétaire d'Etat, si vous pensez d'ores et déjà à doubler cette université, encore faudrait-il donner aux deux entités une personnalité autonome, comme les autres universités françaises.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Bien sûr !
M. Daniel Millaud. Il faudra qu'elles aient la possibilité de passer des conventions avec les universités de la zone. C'est très important.
Mais avant toute chose, avez-vous pris seulement l'avis de son président, des collaborateurs de ce dernier et de l'association des étudiants ?
Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer - mais je pourrais en exposer d'autres - et parce que les délais, je le crains, seront insuffisants, je m'abstiendrai dans le vote du projet de loi d'habilitation dont nous discutons.
M. le président. La parole est à M. Reux.
M. Victor Reux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce projet de loi d'habilitation concerne seize ou dix-sept matières dont plusieurs visent Saint-Pierre-et-Miquelon.
Je me réjouis de voir enfin s'ouvrir une réelle perspective d'évolution positive et moderniste dans certains secteurs importants.
C'est le cas précisément, sans être exhaustif et sans entrer dans les détails, des dispositions visant la médecine vétérinaire, la modernisation du code des douanes, la protection complémentaire vieillesse des travailleurs non salariés de l'archipel, la restructuration de l'organisation juridictionnelle locale et la modernisation des activités financières.
Je souhaiterais que, dans les ordonnances à venir, la question des retraites des personnels hospitaliers locaux soit prise en considération, afin d'en finir avec une discrimination déjà trop ancienne.
Toutefois, je regrette que, contrairement aux souhaits exprimés par les parlementaires et par le conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon, la mise en place d'un registre d'immatriculation des navires propre à l'archipel n'ait pas été intégrée dans ce projet de loi. L'occasion était belle, lorsque l'on mesure les potentialités de développement des activités maritimes qui s'annoncent dans toute la région en liaison avec la recherche et l'exploitation présente et à venir, notamment dans notre zone économique exclusive, des gisements sous-marins de pétrole et de gaz, pour lesquels nos voisins nord-américains s'engagent largement. Le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d'Etat, ne devrait pas négliger cette question.
Je dirai deux mots sur les pages 7 et 8 de l'exposé des motifs concernant le prétendu souhait des maires des communes de l'archipel de vouloir s'impliquer davantage dans les dossiers de sécurité puisque, en fait, les correspondances qu'ils ont adressées au président du conseil général et au préfet indiquent tout le contraire.
En ce qui concerne l'application à Saint-Pierre-et-Miquelon de la réglementation nationale en matière de sécurité et des risques d'incendie, je ne suis pas favorable au texte initial, et l'assemblée locale consultée s'est prononcée contre.
A ce sujet, j'ai déposé un amendement pour l'application de l'alinéa 3° de l'article 1er.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, des précisions que vous avez apportées au sujet de l'ordonnance qui éviterait les conflits de compétences, à Saint-Pierre-et-Miquelon, entre l'Etat, la collectivité et les communes, ainsi que, plus généralement, des procédures de consultation des projets d'ordonnances par les assemblées locales, en espérant, comme mes autres collègues, que nous pourrons respecter les délais prévus.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord remercier les différents intervenants, qui ont marqué leur intérêt pour la démarche nouvelle proposée dans ce texte, ainsi que pour le contenu de ce dernier.
Je traiterai ensuite du sujet d'actualité qui nous préoccupe tout particulièrement et que M. le rapporteur, MM. Allouche et Loueckhote ont abordé, c'est-à-dire la situation en Nouvelle-Calédonie.
S'agissant de notre démarche, je vous confirme que l'intention du Gouvernement dans ce domaine est de travailler à actualiser l'application du droit outre-mer. Autant que nous le pouvons, et comme cela se pratique, je crois, depuis quelques années, les projets de loi soumis au Parlement prévoient les conditions d'application outre-mer.
Mais de nombreux textes ne connaissant pas de telles dispositions d'application subsistent encore. D'où l'idée de réaliser ces fameuses « lois-balais » - l'expression est un peu péjorative ! - qui tendent à refonder le droit outre-mer sur la base du droit national élaboré par le Parlement.
L'ensemble des textes concernant cette loi d'habilitation, qui se traduiront en ordonnances, représentent plus de trois cents pages. C'est donc là encore un véritable monument législatif que nous aurions à construire, d'où le choix de la formule des ordonnances, et donc d'une loi d'habilitation. Je comprends bien d'ailleurs, pour avoir moi-même été parlementaire, qu'une telle loi d'habilitation suscite des réserves et des réticences de la part de M. Allouche en raison du désaississement du Parlement qu'elle induit. J'ai été étudiant en droit dans les années soixante, et je sais bien que les professeurs de la faculté de droit considéraient avec beaucoup de suspicion les ordonnances. Nous avons toujours conservé cette culture juridique.
De ce point de vue, le Parlement ne doit pas se sentir tenu à l'écart des textes que nous avons ainsi à élaborer et ensuite à promulguer.
En effet, la démarche nouvelle que nous proposons vise à associer au maximum le Parlement et les collectivités territoriales à l'élaboration de ces ordonnances et non pas à les déposséder. Nous travaillons ici dans l'intérêt général, pour essayer de faire en sorte que la législation soit la mieux adaptée possible aux situations particulières de l'outre-mer.
Ainsi, les avant-projets ont déjà été présentés aux assemblées locales. Seule la Martinique n'a pas encore répondu, mais ce n'est, à mon avis, qu'une question de délai. Une fois la loi d'habilitation adoptée, les projets d'ordonnances seront transmis aux assemblées, de même qu'un échange aura lieu avec les parlementaires, de façon à mieux adapter les dispositions législatives. Enfin, interviendront les lois de ratification, qui permettront, en ce domaine, un débat utile.
Ce souci de transparence et d'efficacité législative me paraît reconnu par tous les sénateurs qui se sont exprimés ici, même si M. Millaud a formulé des réserves, invoquant des problèmes de délais. Mais nous essaierons de faire au mieux avec l'assemblée de Polynésie française de façon à associer tout le monde.
Je souhaite maintenant apporter quelques précisions en réponse aux questions qui m'ont été posées.
Tout d'abord, M. Loueckhote a évoqué la réaction qui se manifeste en Nouvelle-Calédonie concernant l'extension de la garantie décennale en matière de construction. M. le député Frogier m'a également écrit récemment à ce sujet. S'agissant de ce texte, nous aurons à déterminer si le dispositif doit ou non être inclus dans l'ordonnance puisqu'un projet de loi de Mme Guigou abordant ces questions est en cours de discussion. Nous disposons donc de quelque temps pour ajuster les dispositions en tenant compte de la spécificité de la Nouvelle-Calédonie.
En ce qui concerne la Guyane, je partage les préoccupations de M. Othily.
S'agissant tout d'abord des problèmes de santé, la Guyane est à ma connaissance le seul territoire national où les problèmes de paludisme se posent et où nous devons donc mener une action préventive en cette matière. En conséquence, il me paraît légitime que les produits destinés à assurer la protection contre le paludisme soient remboursés dans toutes les circonstances : c'est en effet un principe d'égalité, et l'ordonnance devra donc se situer dans cette perspective.
S'agissant des citoyens français n'ayant pas d'état civil, j'ai demandé à Mme le garde des sceaux que l'opération soit accélérée par la mise à disposition de personnels.
De la même façon, je viens d'écrire au directeur de cabinet de Mme Guigou pour lui demander d'envisager d'associer les élus locaux, voire les personnalités de la commune - « les sages », comme vous l'avez dit, monsieur le sénateur - lors de la venue sur place du magistrat, de façon à constater les états civils. Je souhaite que cette opération se déroule sur l'année 1998, pour que ce problème soit enfin réglé.
Comme vous le savez, la justice s'était opposée, pour des raisons constitutionnelles, aux régularisations administratives, puisque l'état civil des personnes fait partie des garanties des justiciables.
Nous devons donc nous situer dans un cadre juridique qui donne la prééminence au tribunal de grande instance de Cayenne et au procureur général. Les moyens vont être renforcés, sur le plan juridique, pour permettre d'accomplir cette tâche.
Enfin, sur le plan foncier, l'ordonnance demande à être précisée, car l'on comprend bien l'intérêt que les Guyanais éprouvent à être propriétaires des terres qu'ils cultivent, voire sur lesquelles ils exercent des activités ; en effet, certains sont non pas des cultivateurs à temps plein, mais ce que l'on appelle aujourd'hui des « pluriactifs ».
Comme vous, monsieur le sénateur, je considère, d'une part, que cette opération ne doit pas donner lieu à un processus spéculatif et, d'autre part, que le transfert du domaine public de l'Etat vers le domaine privé de particuliers exerçant une activité soit agricole, soit tout autre, doit se faire avec une garantie de maintien dans le domaine public. Il ne s'agit pas que des terres soient transférées pour être vendues selon un processus spéculatif avant, à mon avis, un délai de prescription trentenaire, qui me paraît constituer un élément indispensable.
Nous aurons à discuter de ce problème avec l'administration des domaines. La discussion sera bien évidemment difficile, comme elle l'est d'ailleurs déjà depuis plus de vingt ans. Mais je pense que nous pourrons parvenir, dans l'intérêt général, à une solution acceptée par tous.
J'en viens maintenant à l'Université française du Pacifique, évoquée par M. Millaud.
A cet égard, nous nous sommes trouvés devant une difficulté : en effet, le 9 octobre, l'Université française du Pacifique ne disposait plus de statut, puisque la période transitoire était révolue.
Le Gouvernement, notamment le ministre de l'éducation nationale, souhaite maintenant favoriser l'existence de deux universités distinctes. Nous aurons donc, à mon avis, deux établissements publics ; cette création interviendra sans doute, compte tenu du délai nécessaire, à la fin de l'année 1998.
Monsieur Millaud, je retiens votre suggestion tendant à consulter les personnels et les étudiants des universités ; mais mon souhait le plus fort, dans ce projet, est que ces universités aient une capacité de rayonnement dans toute la zone du Pacifique Sud.
Quand nous avons établi, au mois d'août dernier, le bilan de l'application du contrat de développement, nous avons constaté que, malheureusement, l'université du Pacifique de Papeete accueillait peu d'étudiants en provenance de pays voisins. C'est dommage pour le rayonnement de la Polynésie et pour la culture francophone ! L'érection de deux universités en établissements publics devrait leur permettre de passer des conventions et, probablement, d'étendre leur capacité à accueillir des étudiants étrangers du Pacifique Sud.
La validation législative prévue à l'article 4 pour la concession d'endigage se révèle complexe : elle vise des opérations qui ont déjà eu lieu et pose un problème de domanialité de l'Etat - qui est confirmée - par rapport à des travaux qui ont été autorisés par le territoire. Une proposition de M. Frogier, appuyée par M. Loueckhote, tend à aplanir cette situation et à en finir avec un contentieux qui perdure. Nous avons nous-mêmes cherché une solution par la voie administrative de la régularisation et je vous proposerai une autre démarche de coordination, que vient appuyer l'amendement de M. le rapporteur. J'espère que nous pourrons, de la sorte, parvenir à une solution satisfaisante.
En ce qui concerne les terres Australes et Antarctiques françaises, les TAAF, le rapport qui avait été commandé à plusieurs personnalités m'a été officiellement remis voilà deux jours. Je l'ai communiqué aux membres du groupe de travail qui réfléchit actuellement à l'avenir de ce territoire d'outre-mer, qui est un territoire de la République depuis 1955 et qui présente la particularité de ne compter aucun habitant permanent, puisque les deux cents ou deux cent cinquante personnes qui y vivent n'y sont établies que de façon temporaire, en tant que scientifiques ou personnels d'assistance.
Le conseil consultatif des TAAF comprend différentes personnalités ou autorités administratives et son rôle est d'appuyer les travaux de l'administrateur des TAAF.
Nous devons consolider le principe de notre souveraineté à l'égard des terres Australes et Antarctiques françaises. En effet, s'il s'agit de territoires lointains, ils n'en présentent pas moins un intérêt scientifique et économique à travers la zone de pêche, même si celle-ci n'est pas encore aujourd'hui très étendue. Notre souveraineté n'y est certes pas remise en cause, mais elle doit nous permettre, par le biais de la zone économique exclusive, de disposer en plein coeur de l'hémisphère Sud d'une zone importante dont l'avenir économique doit être préservé.
Hier, à l'Assemblée nationale, M. Gérard Grignon a interrogé mon collègue Christian Pierret sur l'éventuelle découverte de champs pétroliers et gaziers dans la zone économique de Saint-Pierre-et-Miquelon. On peut donc imaginer que le maintien de la souveraineté française au travers des îles du Pacifique Sud sur une vaste zone économique peut présenter un intérêt à l'avenir. C'est pourquoi il faut préserver cette souveraineté, quitte peut-être à en adapter les modalités, encore que, sur ce point, nous avons moins besoin de solutions juridiques que de sens pratique pour préserver l'essentiel.
J'en viens maintenant à la Nouvelle-Calédonie, et je remercie les orateurs qui se sont préoccupés de l'avenir de ce territoire.
Nous sommes parvenus, le 1er février, à régler le problème minier, le « préalable minier », comme l'a appelé le FLNKS : voilà un peu plus d'un an et demi que ce sujet donnait lieu à des discussions politiques et le FLNKS posait comme condition de son entrée dans la négociation la levée de ce préalable.
La question de la construction de l'usine Nord est très ancienne. Les premières promesses avaient été formulées en 1964 par le général de Gaulle, mais aucune traduction de ce projet de rééquilibrage de l'activité de la Nouvelle-Calédonie n'était intervenue en termes d'investissement.
Le Gouvernement, depuis sept mois, a essayé de sortir d'une situation enlisée et de créer les conditions de réalisation de cette usine, afin de mettre à sa disposition les gisements susceptibles d'en permettre l'exploitation. Je ne sais pas, monsieur Loueckhote, si l'usine sera construite, mais je le souhaite ardemment, parce que tout ce travail accompli, toute cette énergie dépensée devraient être concrétisés dans l'intérêt de tous ceux qui vivent en Nouvelle-Calédonie.
Lorsque je me suis rendu dans ce territoire, j'ai entendu toutes les opinions. Tout le monde souhaite effectivement la construction d'une usine au nord pour un rééquilibrage du territoire, puisque la seule usine de transformation métallurgique se trouve au sud, à Doniambo, aux portes de Nouméa.
Nous avons créé les conditions de cette réalisation. Je pense que les opérateurs industriels, dont la SMSP et son partenaire, Falconbridge, se saisiront donc de cette occasion, dans le calendrier prévu, pour réaliser cet instrument industriel qui me paraît indispensable. Il est en effet porteur de créations d'emplois et générateur d'activités induites dans le nord.
Nous avons en tout cas pesé de tout notre poids pour que l'usine soit réalisée.
Eramet a participé à la négociation, mais a présenté il y a quelque temps un projet pour une autre usine au nord, utilisant un autre procédé hydrométallurgique, avec une société australienne, Queensland Nickel. Après tout, si ce projet voit lui aussi le jour dans des délais rapides, ce sera bien pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Pour ce qui est des discussions politiques, la Nouvelle-Calédonie vient de vivre dix années de paix, de développement, de pouvoir partagé entre communautés, avec des succès mais aussi des réserves et des difficultés, comme cela se passe toujours sur le terrain dans ce genre d'accords. Je crois cependant que l'appréciation unanime des gens qui vivent en Nouvelle-Calédonie comme de ceux de la zone périphérique, qui ont été souvent critiques vis-à-vis de la France - je pense à certaines grandes puissances - est positive.
Je souhaite que aussi bien la représentation nationale que, au-delà, le peuple calédonien dans son ensemble mesurent ce qui a été accompli au cours de ces dix ans.
Il faut maintenant franchir une nouvelle étape. Le référendum d'autodétermination prévu par les accords de Matignon entre dans le cadre des textes constitutionnels : il s'agit de se prononcer pour le maintien du territoire dans la République française ou pour son accession à l'indépendance.
L'idée qui prévaut en Nouvelle-Calédonie depuis quelques années est non pas d'aller vers ce référendum avec le risque de diviser la population, mais d'essayer de trouver une nouvelle solution juridique pour vivre ensemble une nouvelle étape. Le Gouvernement est fermement attaché à cette démarche et il souhaite, dans les prochaines semaines, tout mettre en oeuvre pour qu'elle se réalise, sachant que le calendrier est aujourd'hui impératif et qu'il nous amènera à l'option du 31 décembre.
Dans l'immédiat, nous allons reprendre contact avec les deux partenaires des accords de Matignon, le RPCR et le FLNKS, d'abord pour mesurer le chemin qui a été parcouru et ensuite pour s'assurer que ceux-ci, à travers leur représentation, sont le plus possible à l'image de la société calédonienne ; nous essaierons alors de définir une méthode et un calendrier qui devraient permettre de tracer les voies d'un accord politique.
Loin de vouloir opposer telle ou telle communauté, telle ou telle solution politique, le Gouvernement veut au contraire s'efforcer, dans l'esprit des accords de Matignon, de trouver une voie partagée par les deux communautés. Nous aurons sûrement beaucoup d'efforts à faire et le problème sera difficile à traiter sur le plan juridique, monsieur le rapporteur. Il nous faudra donc imagination, sérénité et volonté d'aboutir.
J'ajoute que cette volonté d'aboutir correspond non pas simplement à une dimension juridique, mais à un objectif de stabilité. Il est légitime qu'en Nouvelle-Calédonie les investisseurs, ceux qui exercent des activités, mais aussi les personnes qui y vivent, se demandent quel est l'avenir pour leurs enfants et ce que nous leur proposons. On ne peut pas bâtir, regarder vers l'avenir si l'on ne sait pas ce qui se passera d'ici à la fin de 1998 !
Mon souhait, c'est que nous puissions rapidement entamer la discussion, déterminer les points de divergence - qui sont d'ailleurs déjà connus en grande partie - et essayer de cheminer ensemble. Je crois que nous aurons l'occasion, en Nouvelle-Calédonie, de construire avec des hommes et des femmes de bonne volonté un avenir qui soit un avenir de paix, de développement et de respect mutuel.
J'espère que le Gouvernement y contribuera, mais je souhaite aussi que le Parlement y participe parce que je crois que l'image de notre pays nous commande de construire un avenir de fraternité entre toutes les populations qui vivent sur ce territoire.
Voilà ce que je souhaiterais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs. Mais nous aurons, bien évidemment, l'occasion de reparler de ce dossier important de la Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. _ Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer dans les domaines suivants :
« 1° Droit du travail ;
« 2° Droit commercial, droit civil et droit applicable à certaines activités libérales ;
« 3° Règles acoustiques et thermiques dans les départements d'outre-mer, protection contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public dans la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et régime de l'épargne-logement en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française ;
« 4° Dispositions relatives à la déclaration périodique douanière entre les départements d'outre-mer, à la modernisation des codes des douanes et au contrôle des transferts financiers avec l'étranger dans les territoires d'outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« 5° En matière de santé publique et de sécurité sociale, dispositions relatives à la tarification des produits sanguins dans les départements d'outre-mer, au prix des médicaments dans ces départements et à Saint-Pierre-et-Miquelon, à la révision des accords de coordination des régimes métropolitain et néo-calédonien de sécurité sociale et à l'affiliation des non-salariés résidant à Saint-Pierre-et-Miquelon à un régime de retraite complémentaire et au remboursement des médicaments indispensables en prophylaxie et en thérapeutique palustre ;
« 5° bis Etat civil en Guyane pour les futurs nouveau-nés, les enfants, les adolescents et les adultes actuellement sans état civil et à Mayotte ;
« 6° En matière de domanialité, dispositions relatives au régime du domaine privé de l'Etat en Guyane en vue de cession gratuite en propriété aux agriculteurs installés ainsi qu'aux personnes physiques qui en font la demande ;
« 7° Organisation juridictionnelle dans les territoires d'outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« 8° Régime des activités financières dans les territoires d'outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« 9° Droit pénal et procédure pénale dans les territoires d'outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« 10° Droit électoral dans les territoires d'outre-mer et la collectivité territoriale de Mayotte ;
« 11° Régime de la pêche dans le territoire des terres Australes et Antarctiques françaises ;
« 12° Régime de l'enseignement supérieur dans les territoires d'outre-mer du Pacifique ;
« 13° En matière fiscale, régime des privilèges et sûretés du Trésor et procédure contentieuse, en Polynésie française ;
« 14° Dispositions relatives à l'action foncière, aux offices d'intervention économique dans le secteur de l'agriculture et de la pêche et à l'aide au logement dans la collectivité territoriale de Mayotte ;
« 14° bis Dispositions permettant aux chambres d'agriculture des territoires d'outre-mer d'adhérer à l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture ;
« 15° Supprimé ;
« 16° Réglementation de l'urbanisme commercial dans la collectivité territoriale de Mayotte.
« Les projets d'ordonnances pris en application du présent article sont soumis pour avis aux assemblées des territoires d'outre-mer intéressées, dans les conditions prévues pour leur consultation sur les projets de loi visées à l'article 74 de la Constitution. Ils sont également soumis pour avis aux conseils régionaux et aux conseils généraux intéressés des départements d'outre-mer et des collectivités territoriales de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte ; ces avis sont émis dans le délai d'un mois ; ce délai expiré, ils sont réputés avoir été donnés. »
Par amendement n° 3, M. Reux propose, dans le quatrième alinéa (3°) de cet article, de remplacer les mots : « protection contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public dans la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon » par les mots : « règles de sécurité et d'accessibilité des bâtiments dans la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon ».
La parole est à M. Reux.
M. Victor Reux. Le quatrième alinéa de l'article 1er du projet de loi d'habilitation, tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, conduirait à étendre à l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon la réglementation nationale en matière de sécurité et de protection contre les risques d'incendie. Or cette réglementation apparaît largement inadaptée au contexte de l'archipel, compte tenu notamment des conditions géographiques, climatiques ou économiques propres à Saint-Pierre-et-Miquelon. En effet, la plupart des matériaux de construction étant importés du Canada, ils ne répondent pas aux normes européennes.
L'introduction à Saint-Pierre-et-Miquelon des prescriptions actuellement en vigueur en métropole aurait pour conséquence de renchérir très fortement le coût de la construction en obligeant les propriétaires d'établissements recevant du public à recourir aux matériaux et systèmes de construction en provenance de l'Union européenne. Le marché local du bâtiment serait complètement déstabilisé et l'application sur place des règles métropolitaines aurait des répercussions importantes sur l'emploi en entraînant la fermeture de nombreux établissements, notamment des petits commerces.
Ainsi, même si l'élaboration de règles de protection contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public apparaît nécessaire pour que la commission de sécurité et d'accessibilité puisse fonctionner dans des conditions satisfaisantes, des adaptations importantes à la réglementation métropolitaine en vigueur doivent être apportées par des dispositions particulières à Saint-Pierre-et-Miquelon afin de tenir compte de cette situation spécifique de l'archipel.
Les risques de conflits de compétences entre les communes, d'une part - lesquelles n'ont d'ailleurs jamais manifesté leur volonté de s'impliquer davantage dans les dossiers de sécurité - et la collectivité territoriale, d'autre part, qui a compétence en matière d'urbanisme et de logement, devront également être évités lors de l'élaboration de ces textes spécifiques.
Le présent amendement a finalement pour objet de préciser les domaines dans lesquels le Gouvernement pourra intervenir afin d'élaborer des mesures adaptées à l'archipel.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Favorable.
Nous devons concilier, en effet, deux éléments : nous devons élaborer des règles de sécurité concernant les bâtiments recevant du public, mais nous devons aussi tenir compte des normes de construction locales, qui sont plus proches des normes canadiennes, en termes de matériaux, que des normes métropolitaines.
La proposition de M. Reux permet de préciser le contenu de l'ordonnance. Il est bien évident que nous agirons en concertation avec la collectivité territoriale.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er, ainsi modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Articles 2 et 3



M. le président.
« Art. 2. - Les ordonnances prévues à l'article 1er devront être prises avant le 15 septembre 1998.
« Des projets de loi de ratification devront être déposés devant le Parlement au plus tard le 15 novembre 1998. » - (Adopté.)
« Art. 3. - Le III de l'article 14 de la loi n° 96-609 du 5 juillet 1996 portant dispositions diverses relatives à l'outre-mer est ainsi rédigé :
« III. - Pendant un délai qui expirera au plus tard trente mois après la publication de la présente loi, les missions dévolues aux établissements visés au titre III de la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 précitée seront prises en charge par l'établissement créé par le décret n° 87-360 du 29 mai 1987 précité, selon les règles fixées par ce texte. » - (Adopté.)

Article additionnel après l'article 3



M. le président.
Par amendement n° 1, M. Jean-Marie Girault, au nom de la commission, propose d'insérer, après l'article 3, un article additionnel ainsi rédigé :
« Sous réserve des décisions juridictionnelles passées en force de chose jugée, les décisions, les délibérations et les conventions relatives à l'Université française du Pacifique, aux personnels et aux usagers de cet établissement public, intervenues entre le 9 octobre 1997 et la date de publication de la présente loi, sont validées en tant que leur régularité serait contestée sur le fondement de leur absence de base légale tirée de la caducité du régime juridique résultant du décret n° 87-360 du 29 mai 1987 relatif à l'Université française du Pacifique. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Cet amendement, que j'ai annoncé en présentant mon rapport, vise à valider les actes relatifs à l'organisation et au fonctionnement de l'Université française du Pacifique intervenus depuis le 9 octobre 1997, date à laquelle a expiré le régime transitoire mis en place par la loi du 5 juillet 1996 portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer.
Il s'agit de prévenir les recours contentieux tendant à l'annulation de ces actes pour défaut de base légale et de remédier au vide juridique résultant de la caducité du régime transitoire instauré en 1996. Cet amendement ne contredit pas le dispositif adopté par l'Assemblée nationale, il le complète.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement émet un avis favorable.
Cet amendement permet en effet de donner une base juridique aux actes qui ont été pris depuis le 9 octobre 1997, et ce jusqu'à la date de promulgation de l'ordonnance. C'est donc un élément de sécurité juridique supplémentaire.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 3.

Article 4



M. le président.
« Art. 4. - Sont validés les concessions d'endigage sur le domaine public maritime sis dans les limites du port autonome de Nouméa fixées par les arrêtés n°s 534 et 535 du 8 juillet 1926, étendues par l'arrêté n° 60/338 CG du 4 novembre 1960, modifiées par la délibération n° 16 des 3 et 4 août 1967, et les actes translatifs de propriété sur les terrains exondés pris par le territoire de la Nouvelle-Calédonie postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 76-1222 du 28 décembre 1976 relative à l'organisation de la Nouvelle-Calédonie et dépendances. »
Par amendement n° 2, M. Jean-Marie Girault, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« Les concessions d'endigage sur le domaine public maritime sis dans le périmètre du port autonome de Nouméa défini par les arrêtés n°s 534 et 535 du 8 juillet 1926 du Gouverneur de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et n° 60-338 CG du 4 novembre 1960 du Haut-Commissaire de la République dans l'océan Pacifique et aux Nouvelles-Hébrides et par la délibération n° 16 des 3 et 4 août 1967 de l'Assemblée territoriale de la Nouvelle-Calédonie, sont validées.
« Sous réserve des décisions juridictionnelles passées en force de chose jugée, les actes pris sur le fondement des concessions d'endigage visées au premier alinéa depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 76-1222 du 28 décembre 1976 relative à l'organisation de la Nouvelle-Calédonie et dépendances sont validés en tant que leur régularité serait contestée par le moyen tiré de l'incompétence de l'autorité ayant autorisé ces concessions. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Dans le même esprit que précédemment, nous proposons là une nouvelle rédaction de l'article 4, introduit par l'Assemblée nationale sur l'initiative de M. Frogier, député de la Nouvelle-Calédonie, pour réserver le cas des décisions juridictionnelles devenues définitives et qui le demeureront, et répondre à une exigence fixée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Cet amendement ne contredit pas non plus le dispositif prévu par M. Frogier ; il le complète, pour les raisons que je viens d'indiquer.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Comme à l'Assemblée nationale, je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 4 est ainsi rédigé.

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Terrade pour explication de vote.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront ce projet de loi.
Je tiens cependant à exprimer une réserve, apparemment de forme, mais qui, en fait, porte sur le fond des relations entre l'Etat et les départements et territoires d'outre-mer.
La procédure d'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance n'est pas, selon nous, conforme à la nécessaire décentralisation des pouvoirs entre métropole et départements et territoires d'outre-mer. Pourquoi ne pas avoir conféré, dans de nombreux domaines concernés par ce texte, un pouvoir décisionnel, au moins consultatif, dans certains cas, aux autorités locales représentantes des populations concernées ? Nous espérons qu'à l'avenir cette démarche prévaudra.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

4

RESPONSABILITÉ DU FAIT
DES PRODUITS DÉFECTUEUX

Suite de la discussion et adoption
d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l'article 11.

Article 11



M. le président.
« Art. 11. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-10 ainsi rédigé :
« Art. 1386-10. - Le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes ou qu'il a fait l'objet d'une autorisation administrative. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 11.

(L'article 11 est adopté.)

Article 12



M. le président.
« Art. 12. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-11 ainsi rédigé :
« Art. 1386-11. - Le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve :
« 1° Qu'il n'avait pas mis le produit en circulation ;
« 2° Que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où il a mis le produit en circulation ;
« 3° Que le produit n'a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de distribution ;
« 4° Que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ;
« 5° Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d'ordre législatif ou réglementaire.
« Le producteur de la partie composante n'est pas non plus responsable s'il établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit. »
Sur l'article, la parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des lois propose la suppression de la cause d'exonération prévue à l'alinéa 4 de l'article 12 de la proposition de loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Cela implique que tout industriel pourrait être considéré comme responsable de dommages postérieurs à la commercialisation d'un produit, alors même qu'il a mis tous les moyens en oeuvre pour s'assurer de l'absence de risque, en l'état des connaissances, au moment de la mise sur le marché. Cela signifie, en clair, que l'industriel pourra être responsable de risques qu'il ne peut, en aucune manière, maîtriser.
Même si l'on peut comprendre le souci de protection du consommateur, une telle disposition apparaît extrêmement dangereuse. Outre le problème d'assurabilité qu'elle ne manquera pas de poser aux industriels, elle constitue indiscutablement une atteinte à l'innovation et à la compétitivité de nos entreprises.
Ainsi, contrairement à leurs homologues européens, à l'exception du Luxembourg, dont le marché et les capacité de production et de recherche ne sont pas de même niveau, et de l'Espagne, pour certains produits - nous comprenons le traumatisme important après l'affaire des huiles frelatées - les entreprises pourront se voir pénalisées pour leur contribution au progrès des sciences et des techniques, ce qui, de fait, pénalisera également le consommateur.
Comment demander à des entreprises de développer des recherches très pointues, dans des pathologies sensibles ou rares, en utilisant des moyens sophistiqués et coûteux tels que les biotechnologies, si l'on n'assure pas à ces entreprises un minimum de sécurité juridique ?
D'autant qu'il convient de souligner que, en application de la directive européenne, ce sera au fabricant d'apporter la preuve que « l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence d'un défaut ».
En ce qui concerne les risques, grâce aux autorisations et aux règles de la pharmaco-vigilance, les effets indésirables, répertoriés et cités, d'un produit n'entraîneraient pas, en cas d'accident, la responsabilité du producteur ; en revanche, la faute du producteur pourrait être invoquée pour des risques méconnus et antérieurs.
Nous pouvons affirmer que le risque zéro correspondant à une sécurité absolue est inconcevable en l'état.
Le maintien de cette cause d'exonération ne signifie pas, pour autant, qu'il ne convient pas de rechercher les moyens de réparer des dommages individuels en dehors du champ de responsabilité des industriels. Néanmoins, une telle démarche relève du choix de notre société de réparer ce qu'il convient d'appeler des « risques de collectivité », grâce à des moyens de financement adaptés.
Quant à l'assurabilité, j'aimerais relever les importantes difficultés que vont rencontrer les industriels du médicament et surtout les chercheurs dans le cadre d'essais thérapeutiques en phases précoces, confrontés qu'ils sont à des risques non définis.
Autre souci : l'autorisation temporaire d'utilisation va devoir redéfinir la répartition des risques entre l'administration d'Etat et le producteur.
Les chercheurs vont être soumis, dans le cadre d'essais thérapeutiques, à des pressions, suite à leurs résultats. Un ralentissement des procédures pourrait leur être reproché, comme cela a été le cas pour les trithérapies.
S'agissant de l'innovation, nous risquons de stériliser notre recherche, en particulier, on l'a déjà souligné, dans le cas des maladies orphelines nécessitant des investissements lourds, sans retour financier.
La situation sera particulièrement caractéristique dans le domaine des produits de santé, qui font l'objet, avant leur mise sur le marché, de longs travaux de recherche et de développement dans le cadre de la loi du 20 décembre 1998, qui assure la protection des personnes. Il n'apparaît pas logique d'alourdir la responsabilité des industriels pour des dommages qu'ils ne peuvent pas, par nature, maîtriser, alors que la collectivité et le corps médical ont de plus en plus besoin, dans ce domaine, de produits innovants.
J'aimerais soulever aussi le cas particulier de malades frontaliers qui pourraient utiliser des médicament achetés à l'étranger et non soumis à notre législation mais conforme à la directive européenne.
Je souhaite évoquer enfin les difficultés d'importation de molécules nouvelles en vue d'essais thérapeutiques ; les contraintes réglementaires sont telles que des industriels ont renoncé à s'implanter chez nous.
Nous tenons à nous élever contre tout laxisme, mais le « tout sécuritaire » ne semble pas non plus représenter une orientation réaliste. (Applaudissement sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. Par amendement n° 18, M. Hyest propose de rédiger comme suit le troisième alinéa (2°) du texte présenté par l'article 12 pour l'article 1386-11 du code civil :
« 2° Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ; »
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je me suis demandé pour quelle raison l'Assemblée nationale n'avait pas repris le texte de la directive. Elle a simplifié : on ne parle pas du défaut qui est né postérieurement ; on dit simplement que « le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation ».
Le texte de la directive est plus global. Même si, comme c'est souvent le cas, sa rédaction n'est pas parfaite sur le plan juridique parce qu'il s'agit d'une traduction - ainsi, l'expression « mis en circulation par lui » n'est pas très heureuse - je propose de le réintroduire parce qu'il me paraît dommageable de ne retenir qu'une partie de ce que prévoit la directive.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission n'a pas cru devoir contester le texte de l'Assemblée nationale, mais je dois reconnaître que la rédaction de M. Hyest est plus conforme à la directive.
En tant que rapporteur de la commission, je ne puis qu'être défavorable, même si, à titre personnel, j'estime que la rédaction proposée par l'amendement pourrait rallier la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Certes, la différence entre les deux versions est d'ordre rédactionnel. Il me semble toutefois que la formulation adoptée par l'Assemblée nationale est plus concise. C'est pourquoi elle a ma préférence.
Cela étant, je m'en remets sur ce point à la sagesse du Sénat.
M. le président. Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° 18, repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 8, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer le cinquième alinéa (4°) du texte présenté par l'article 12 pour insérer un article 1386-11 dans le code civil.
Par amendement n° 25 rectifié, le Gouvernement propose de compléter in fine le texte présenté par l'article 12 pour l'article 1386-11 du code civil par un alinéa ainsi rédigé :
« Le producteur ne peut invoquer la cause d'exonération prévue au 4° lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain, par les produits qui sont issus de celui-ci, ou par tout autre produit de santé destiné à l'homme à finalité préventive, diagnostique ou thérapeutique. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 8.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous arrivons là, mes chers collègues,...
M. Jean-Jacques Hyest. Au coeur du débat !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... probablement, en effet, au coeur du débat, ou, peut-être, à la minute de vérité, dans la mesure où certains - je ne parle pas de ceux qui sont en séance et dont je ne doute pas de la sérénité face à ce texte - en dehors de cette maison voient dans l'adoption de la directive une occasion inespérée de modifier assez profondément notre système de responsabilité.
Avant de défendre l'amendement n° 8, je voudrais faire amende honorable, car j'ai l'impression d'avoir un peu exagéré le désaccord qui a opposé tout à l'heure la commission à différents intervenants, en particulier à notre collègue M. Hyest, quant à la preuve du défaut. Mais j'étais lié par la rédaction présentée par la commission et l'expression « produit défectueux » m'a paru plus élégante. Toutefois, après réflexion, je conviens maintenant que la rédaction retenue par le Sénat dans sa sagesse est satisfaisante.
Je tiens à dire que la lecture du texte faite par M. Hyest n'est pas contraire à celle de la commission puisqu'elle repose sur l'idée qu'apporter la preuve d'un défaut n'est pas apporter la preuve d'une faute, mais faire la preuve objective d'un défaut, ce qui est une notion objective. Effectivement, mon cher collègue, un produit peut présenter un défaut sans que celui-ci résulte d'une faute. Je n'avais pas suffisamment perçu, tout à l'heure, cette différence entre ces deux notions de défaut et de faute.
J'en viens maintenant à l'amendement n° 8.
Je tiens à dire d'emblée que, contrairement à l'idée que l'on peut se faire de la position de la commission des lois et, bien sûr, de ma position personnelle, on a tort de croire que nous opposons un refus absolu à la prise en compte du risque de développement. Ce n'est pas exact. En réalité, nous admettons - peut-être moins que certains d'entre vous, mais c'est une question de degré - qu'il y a une certaine part de vérité dans l'idée selon laquelle un producteur ne peut pas répondre de tout et qu'il ne peut pas être accablé parce qu'il n'a pas tout prévu.
La voie proposée par la commission des lois pour répondre à cette préoccupation me paraît meilleure que celle qui figure dans le texte.
En effet, quels sont - nous touchons ici au fond du débat - les arguments en faveur de l'exonération de responsabilité ou, pour être plus clair, de l'irresponsabilité ?
On nous dit - et on nous l'a redit ici tout à l'heure - que, dorénavant, on va gêner, ou paralyser - M. Calmejane, en particulier, a souligné cet aspect des choses - la recherche et l'innovation.
A cela, je répondrai qu'on ne va certainement pas gêner la recherche puisqu'il va falloir faire encore plus de recherche pour prévenir les dommages. Ce qui limitera la recherche, c'est le sentiment d'irresponsabilité. Par conséquent, en ce qui concerne la recherche, il n'y a pas d'inquiétude à avoir.
Cela va-t-il réduire l'innovation ? Je répondrai tout simplement par un fait : voilà vingt ans que ce problème se pose. J'ai déjà participé - j'y ai fait allusion tout à l'heure - à des discussions à Bruxelles dans les années quatre-vingt et celles qui précédaient, il y a donc à peu près vingt ans, et à ce moment-là les professionnels tenaient le même langage que M. Calmejane, à savoir que, s'ils n'obtenaient pas l'exonération pour risque de développement, eh bien ils allaient cesser d'innover et délocaliser, avec toute l'argumentation que vous imaginez.
Or, à cette époque, et pendant les vingt ans qui ont suivi, il n'y a pas eu d'exonération pour risque de développement.
M. Lorrain a fondé toute son intervention sur l'idée que quelque chose allait changer et qu'un risque nouveau allait peser sur les fabricants de médicaments. Mais non !
Ce que nous voulons, en réalité, c'est maintenir le statu quo et donc ne pas retenir le risque de développement. En effet, il n'est pas sérieux de prétendre que le système actuel, qui dure depuis plus de vingt ans, autant que je sache, a gêné l'innovation et la création de produits sur notre territoire.
Quand les professionnels évoquent les entraves qu'ils peuvent connaître, il est question, madame le ministre, entre autres, de certaines mesures d'actualité dont le patronat se soucie non sans faire quelque bruit : j'entends parler des charges fiscales, bien entendu, éventuellement des contraintes environnementales. Je rencontre assez souvent - voilà une semaine encore à l'occasion d'un voyage officiel - des chefs d'entreprise, des fabricants d'automobiles ou autres produits, et je ne les ai jamais entendus dire que cette menace de risque de développement était paralysante. Ils peuvent d'autant moins l'affirmer qu'en fait elle existe depuis, je le répète, des dizaines d'années et qu'elle ne les a pas paralysés. Il est donc tout à fait excessif de déclarer - et on se laisse un peu aller à le faire - que l'on va paralyser l'innovation.
On dit également que l'on va créer des distorsions de concurrence. Mais, sur le marché français, tout produit étranger comme tout produit français doit respecter la réglementation française. Par conséquent, si des étrangers prennent le risque de fabriquer des produits susceptibles de se révéler insuffisamment fiables, ils seront condamnés.
J'ai lu dans une publication du patronat français, au demeurant très intéressante, une réflexion selon laquelle il allait y avoir distorsion de concurrence et que ce texte allait améliorer la position des producteurs français - qui sont conscients d'être soumis à cette sujétion - et, en quelque sorte, défavoriser les producteurs étrangers, qui, eux, ne subissant pas cette contrainte - la plupart sont des Européens, bien entendu, cela ne vaut pas pour les Américains - risquent de se trouver gênés sur le marché français.
Que je sache, nous n'avons pas à regretter que nos lois soient meilleures que celles d'autres pays et que cela puisse gêner l'entrée en France de produits étrangers. Je ne pense pas que nous puissions sérieusement partager ce souci que j'ai cependant trouvé exprimé formellement dans une publication professionnelle. Je ne vois pas où est la distorsion de concurrence.
Vous avez dit, madame le ministre, qu'elle pourrait exister du fait que, pour les producteurs français, le marché français est plus important quantitativement que pour les producteurs étrangers. Il faut faire des calculs bien savants pour arriver à trouver qu'il y a là une différence probante. On peut aussi bien répondre que le caractère plus exigeant de la protection accordée en France décourage l'implantation de produits étrangers. Je trouve qu'il n'y a pas lieu de s'en plaindre.
Par ailleurs - je le dis immédiatement, mais j'y reviendrai tout à l'heure - d'autres réponses peuvent être apportées, qui permettent d'être tout à fait rassurés en ce qui concerne les perspectives de délocalisation.
Enfin, on nous a dit qu'il y a des difficultés d'assurance. Je supplie que, sur cette question d'assurance, on soit clair et positif.
On ne peut pas se contenter, dans ce débat, de dire qu'on ne peut pas assurer un risque qu'on ne connaît pas, que vous allez voir ce que vous allez voir, que d'ores et déjà les compagnies d'assurance ne couvrent pas ce risque.
Le problème se pose depuis des années. Nous l'avons examiné ici en 1992. Déjà, alors, je demandais à votre prédécesseur, M. Vauzelle, de me produire une police d'assurance de responsabilité civile qui, dans ses clauses - c'est-à-dire dans la liste des cas de non-assurance - énumérait le risque de développement.
J'ai reposé cette question lors des consultations auxquelles j'ai procédé de manière très consciencieuse au cours des derniers jours. On m'a répondu qu'aucune police d'assurance de responsabilité civile ne contenait une telle clause. J'ai demandé qu'on m'en communique une seule qui contienne une clause de non-assurance ! Je n'en ai reçu aucune. Si M. Marini, qui a évoqué ce problème, en a une, qu'il me la communique afin que j'en aie au moins un exemple sous les yeux et que je puisse voir comment elle est formulée. On ne peut pas évoquer ainsi un fantôme ! Il faut apporter la preuve de la non-assurance.
M. Philippe Marini. Je peux vous en communiquer une !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Peut-être aboutira-t-on à une difficulté d'assurance ; peut-être est-ce déjà le cas, mais attendons un peu que les choses se calment après la décision rendue voilà quelques semaines sur le risque concernant le sang contaminé et les receveurs.
N'oublions pas qu'il y a quand même la direction des assurances et des moyens réglementaires de surmonter ce genre de difficultés, comme toutes les difficultés d'assurance d'ailleurs - et il en existe de nombreuses autres.
Mais si la situation évolue ainsi un jour, je suis convaincu que nous ferons ce que nous avons toujours fait dans le passé lorsqu'est apparu un risque trop important auquel l'assurance ne pouvait pas, selon les mécanismes classiques, faire face, car, bien sûr, nous n'avons pas l'intention de laisser supporter aux producteurs de tels risques.
Le progrès technologique dans notre société est réalisé grâce aux systèmes d'assurance. Il faut donc que ceux-ci fonctionnent. S'il apparaît un jour - tel n'est pas le cas aujourd'hui - des blocages d'assurance, nous ferons - j'en suis convaincu - ce que nous avons fait pour les accidents de la circulation et de la construction, ainsi que dans de nombreux autres domaines : nous mettrons en place un système d'assurance obligatoire. Les Allemands ont procédé ainsi pour le médicament, vous l'avez rappelé tout à l'heure, mon cher collègue. C'est la solution raisonnable. Sinon, qui paie lorsqu'un malheur frappe des centaines de personnes ? C'est l'Etat.
Je crois préférable, plutôt que de traiter l'Etat comme une vache à lait qui doit faire face à toutes les difficultés, de s'en remettre à notre système d'assurance. Peut-être faudra-t-il rendre celle-ci obligatoire, avec un statut spécifique, en mutualisant alors le risque. Son coût sera répercuté sur celui du produit et assumé par ceux qui utiliseront ce produit.
Pour le moment, il n'existe pas de problèmes d'assurance, sous réserve de l'exception que j'ai citée, à laquelle, je pense, sera apportée une solution. Mais il est trop tôt pour en tirer une quelconque conclusion.
D'une manière générale, je l'ai déjà dit à M. Jean-Louis Lorrain, l'argumentation selon laquelle l'adoption de cet amendement imposerait des charges et des risques nouveaux aux entreprises est contraire à la réalité. Nous souhaitons simplement maintenir le système tel qu'il fonctionne et non pas l'aggraver.
Ce qui remettrait en cause le système, c'est la disposition qui nous est présentée. D'ailleurs, la jurisprudence est constante pour reconnaître que, en l'état actuel de notre droit, le risque de développement n'est pas une cause d'exonération de responsabilité.
J'en arrive maintenant aux arguments contre l'exonération de responsabilité.
Il s'agit d'abord d'une question de principe.
Notre jurisprudence a élaboré en un siècle une responsabilité pour risque couru. Il me paraîtrait tout à fait incohérent, pour les raisons que j'ai indiquées dans la discussion générale, compte tenu de l'article 13 de la directive, de revenir sur cette construction jurisprudentielle. Peut-être ne sommes-nous pas beaucoup de juristes professionnels dans cet hémicycle, mais, pour un praticien du droit, il s'agit là de quelque chose de tout à fait fondamental, qui est la réponse, depuis la fin du xixe siècle, de la société civile face aux dangers que présentent toutes les inventions de produits, qui n'ont cessé de se multiplier, de se développer et qui sont, semble-t-il, dans une voie d'expansion galopante.
Le doyen Carbonnier, qui n'est pas suspect de fanatisme consumériste, a dit que c'est la réponse à l'angoisse des hommes face au développement des technologies. La responsabilité est l'angoisse des hommes. La majorité de cette assemblée est libérale, autant que je sache ; en tant que libéral moi-même, je n'imagine pas que le champ de la liberté ne puisse pas être équilibré par le champ de la responsabilité. Je n'imagine pas qu'on puisse être libre de créer et de vendre des produits tout en affirmant et en faisant proclamer dans une loi que l'on ne sera pas responsable de ce que l'on crée, de ce que l'on vend et de ce que l'on distribue.
Je fais appel à ceux qui s'inspirent de la philosophie libérale autant que moi - il y en a quelques-uns sur ces travées - pour qu'ils prennent conscience du fait que introduire un hiatus entre la notion de liberté et la notion de responsabilité c'est porter une atteinte grave aux principes sur lesquels reposent les sociétés libérales, les sociétés occidentales auxquelles nous appartenons.
Il faut donc y regarder à deux fois. Il me paraît en effet infiniment préférable d'éviter tout hiatus.
Il faut aussi rechercher les conséquences d'une telle disposition dans la pratique.
Une fois le principe de l'exonération pour risque de développement posé, les premières victimes ne seront pas indemnisées. Il n'y aura d'indemnisation qu'une fois que l'on saura avec certitude qu'il y a un danger. Nous avons connu une telle situation pour le sang contaminé. Les premières victimes risquent d'être en quelque sorte des « avertisseurs » - je n'ose pas dire des « cobayes ».
J'ai d'ailleurs entendu - mais je ne suis peut-être pas le seul - sur Europe 1, voilà quinze jours, un producteur de maïs transgénique dire : « Il ne semble pas qu'il y ait de danger. On peut essayer. On verra bien ce qui se passera. »
M. Claude Huriet. Cela n'a rien à voir !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Mais si ! C'est exactement le problème !
Selon ce producteur : « Tant qu'on n'a pas de certitude, on peut essayer ; on verra bien ce qui se passera. »
Je ne connais pas le fond du problème du maïs transgénique. Je n'incrimine pas ce type de maïs, qui est peut-être parfaitement fiable. Mon propos est non pas de mettre ce produit en accusation, mais d'expliquer que, si le danger se révèle, les premières victimes ne seront pas indemnisées. En effet, l'exonération pour risque de développement sera invoquée et ce n'est qu'au bout d'un certain temps que les victimes seront indemnisées.
Est-ce tenable, moralement ? Je laisse à chacun de vous le soin de répondre à cette question en son âme et conscience.
J'ajoute aussitôt que la reconnaissance de l'exonération pour risque de développement, la reconnaissance de cette irresponsabilité ouvrira évidemment un contentieux énorme.
Là encore, que va-t-il se passer ? Le professionnel dira : « Je ne pouvais pas savoir ! » Nous avons déjà eu l'exemple du sang contaminé. Mais il en est quelques autres qui font quelque peu froid dans le dos, notamment du côté de l'électronique. Désormais, des ordinateurs assurent le pilotage des avions, des voitures, gèrent des blocs opératoires. Et des fabricants et des utilisateurs de ces matériels sont venus me prévenir du fait qu'il y avait là un champ de risques pour le xxie siècle, dont on n'imagine pas l'ampleur. Toute erreur dans les prévisions concernant de tels appareils, peut entraîner des conséquences extrêmement dangereuses, extrêmement regrettables.
Les fabricants déclarent : « On ne pouvait pas savoir ! » Cela ne manquera pas d'ouvrir un contentieux d'une ampleur considérable - ce dont tout avocat peut se réjouir. Bien entendu, je dis cela pour plaisanter, parce que les avocats n'ont pas le goût du contentieux pour le contentieux.
Il y aura des expertises et des contre-expertises. Il faudra rechercher quel était l'état de la science et l'état de la connaissance à l'époque des faits.
Sachez à ce propos que l'on discute déjà du point de savoir s'il s'agit de l'état de la science au plan local, ou au plan européen, ou au plan mondial. Une communication faite dans tel congrès de savants à Sydney et signalant un danger met-elle fin à l'ignorance du risque ou pas ?
Ayez en outre bien présent à l'esprit le fait que les recherches dans les technologies avancées sont l'oeuvre de professionnels et qu'elles sont donc naturellement couvertes par le secret professionnel.
Nous avons ainsi le souvenir de l'accident d'un avion, dont je préfère ne pas citer la marque, au-dessus d'Ermenonville. On a découvert que la porte arrière de cet avion ne tenait pas. Mais les Américains, qui ont eu accès à des quantités d'informations, ont aussi découvert que des responsables de la firme savaient parfaitement, et ce depuis longtemps, que la porte de la soute avait une défaillance et qu'un agent spécial était chargé de la surveiller en vol !
Mais le rapport qui signalait ce danger était dans le fond d'un tiroir ! Il était couvert par le secret professionnel.
M. Claude Huriet. Ce n'est pas cela l'exonération pour risque de développement !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est autre chose !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est la même situation, mais ce n'est effectivement pas un cas de risque de développement !
M. Philippe Marini. Amalgame !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Non, je ne pratique pas l'amalgame ! Mais faites un effort pour bien me comprendre !
Le problème de fond, c'est l'accès aux informations. La question porte en grande partie sur le point de savoir si le producteur savait ou s'il ne savait pas.
En parallèle, monsieur Marini, pour ce qui est du risque de développement, je veux dire que l'accès aux informations est en grande partie couvert par le secret professionnel, que ce ne sont pas toujours des documents publics qui permettent de révéler tel ou tel danger éventuel, potentiel.
Vous mesurez donc la difficulté des expertises, en particulier pour les premières victimes qui seront demanderesses.
Il est déjà difficile pour une firme, pour un producteur d'apporter une telle preuve. Mais que dire de la victime qui est quelquefois, voire le plus souvent, une personne très modeste. Demain, cela pourra être vous ou moi. En effet, aucun d'entre nous n'échappera à ce genre de risques. Il est peut-être bon de le savoir.
Ouvrir un tel contentieux d'une manière tellement officielle, ce n'est pas souhaitable, selon moi.
Enfin, je tiens à présenter quelques observations à ceux qui se rassurent et qui nous rassurent en disant : « Ne vous inquiétez pas ! Pourquoi faites-vous un aussi long discours ? Rassurez-vous, puisque, de toute façon, le droit actuel reste en vigueur. Donc, au bout d'un certain temps - à supposer que la prescription ne soit pas acquise ; mais le délai est assez court, je vous le signale ! - on pourra toujours dire que l'on change de voie, que l'on fait marche arrière, que l'on revient à l'aiguillage pour engager une nouvelle action sur le fondement du droit français classique. A ce moment-là, on ne se heurtera pas à l'exonération ! »
Mais, mes chers collègues, le droit français classique résulte de la jurisprudence ! Il a été discuté, il est discuté, il est fixé. Or, à partir du moment où l'on introduit dans notre droit écrit un principe selon lequel le risque de développement est exonératoire, il est bien évident - et je crois que c'est la pensée profonde des collègues avec lesquels je ne suis pas en accord - que la jurisprudence sera obligée d'évoluer.
En effet, une construction jurisprudentielle ne peut pas tenir très longtemps devant un texte de loi. Les plaideurs feront remarquer qu'il n'est pas possible que, dans une voie, on leur dise qu'il n'y a pas d'exonération et que, dans l'autre voie, il y en a une !
Le droit jurisprudentiel tient d'autant moins devant le droit normatif qu'il résulte des consignes de la Cour de justice européenne et des orientations de la Cour de cassation que, une fois qu'une directive est introduite - c'est maintenant un principe dont les premiers effets sont enregistrés, y compris dans le domaine dont je parle et avant même que la directive ne soit transposée - la jurisprudence commence à se relire elle-même à la lumière de la directive.
La jurisprudence est donc entrée dans une évolution qui, me semble-t-il - cela prendra du temps et demandera beaucoup de litiges et bien des procès ; mais est-ce souhaitable ? je pose une fois encore la question - risque d'aboutir à la disparition des décisions protectrices actuelles.
Et nous aurions donc aujourd'hui établi un principe général : l'exonération pour risque de développement !
La commission des lois est consciente de ses responsabilités, consciente du fait qu'il s'agit d'un débat dont la portée dépasse ce que nous croyons. Elle sait par ailleurs que le monde du droit de la responsabilité, français et étranger, est extrêmement attentif à ce que nous disons. Le rapporteur que je suis est donc obligé d'être très complet. Ensuite, chacun prendra ses responsabilités.
Ce point, l'exonération pour risque de développement, est d'une très grande importance. Selon nous, il ne faut pas inscrire au fronton de notre droit de la responsabilité que, dès lors qu'on ne pouvait pas savoir, on n'est pas responsable de ce qu'on a fait.
La formule « ne pas pouvoir savoir » est quelque peu incertaine. Elle sera ressentie - il faut en être bien conscient - comme une provocation non pas seulement par les défenseurs des victimes, mais aussi par les juristes en général. Etant donné la construction juridique de notre droit, poser un tel principe relève de la régression morale, selon la conception libérale qui nous anime les uns et les autres.
Défendre cette position ne signifie pas que nous ignorions - je le disais tout à l'heure, et je vais en revenir à mon point de départ - les éléments positifs de l'argumentation présentée par certains de nos collègues, notamment par M. Calmejane et par nos collègues médecins. C'est vrai qu'un problème se pose et que nous ne pouvons l'ignorer.
Mais, j'en reviens à mon exposé général que certains de mes collègues n'ont peut-être pas pu entendre : il existe une solution et elle figure dans la proposition de loi.
Le texte n'est pas fermé à la prise en compte du risque de développement. Il n'institue pas une responsabilité absolue. Il ne prévoit pas que vous serez garanti contre tout dommage. La garantie ne joue que lorsque le produit est défectueux.
En effet, aux termes de l'article 5 de la proposition de loi, l'article 1386-4 du code civil dispose : « Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
« Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation. »
Il est bien évident que la formulation « la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre », sécurité qui est appréciée en fonction du moment de la mise en circulation, répond, précisément, à notre souhait commun, c'est-à-dire qu'il existe une certaine possibilité de prise en compte du risque du développement.
Je peux d'ores et déjà vous dire que la doctrine - j'ai eu connaissance, en effet, de la nouvelle édition de l'ouvrage de responsabilité civile, le classique des professeurs Ghestin et Viney - signale que cette rédaction permet à un juge saisi d'un cas concret de dire : « Etant donné la date à laquelle l'accident s'est produit, vous ne pouvez pas être indemnisé parce que vous prétendez à une sécurité » - je rejoins là, me semble-t-il, tout à fait vos préoccupations - « à laquelle on ne peut pas légitimement s'attendre. »
Cette formulation me paraît bonne. Elle a été introduite dans notre droit par la loi de 1983 et elle figurait déjà dans la convention de Strasbourg de 1977. Elle permet précisément au juge de tenir compte de l'argumentation que l'on peut tirer du risque de développement.
Je formule une appréciation personnelle : en tant que praticien du droit, j'estime que c'est une bien meilleure voie, un dispositif bien plus efficace que celui qui consiste à ouvrir une porte au juge et à lui laisser le soin de savoir s'il veut ou non l'emprunter.
Selon moi, c'est une voie beaucoup plus raisonnable que celle qui consiste à imposer au juge de prendre en compte l'exonération pour risque de développement.
Je parle là compte tenu de mon expérience personnelle, et ceux qui ont la même expérience que moi voient sans doute bien ce que je veux dire, parce qu'ils connaissent bien les juges.
En inscrivant dans la loi l'exonération pour risque de développement, nous faisons fausse route. Avec cet effet d'affichage, nous faisons une erreur, parce que tout juge pourra toujours dire que la preuve que le producteur ne savait pas n'est pas suffisamment rapportée.
Nous devons chercher à être efficaces. Nous sommes tous soucieux, je pense, d'aboutir à une solution satisfaisante. Or tel juge qui n'admettra pas le principe général d'irresponsabilité admettra que, dans l'appréciation de la sécurité à laquelle chacun de nos concitoyens peut légitimement s'attendre, il se trouve en présence d'une victime exigeant une sécurité à laquelle elle ne pouvait pas légitimement s'attendre.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission des lois vous invite à voter cet amendement n° 8. Vous choisissez ainsi la voie qui nous paraît la mieux fondée au plan des principes et, j'en suis convaincu, la plus efficace au plan de la pratique.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux, pour défendre l'amendement n° 25 rectifié et pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 8 de la commission.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, je préfère, si vous le voulez bien, répondre aux arguments utilisés par M. le rapporteur pour présenter l'amendement n° 8. Ainsi les raisons qui ont conduit le Gouvernement à déposer l'amendement n° 25 apparaîtront-elles évidentes.
Nous sommes, vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, au coeur du débat.
La commission des lois souhaite exclure, en toutes circonstances, le risque de développement comme cause d'exonération de la responsabilité du producteur.
Le Gouvernement considère que la situation est beaucoup plus complexe.
Je tiens à souligner d'emblée que je suis évidemment sensible à la démarche de votre rapporteur, qui ne veut pas voir régresser le droit des victimes à être indemnisées et que le Gouvernement partage bien évidemment son souci.
En l'état actuel de notre droit positif, je le répète, les victimes bénéficient d'une garantie de sécurité absolue, garantie qui n'est pas susceptible d'être battue en brèche par le caractère indécelable du vice.
Cette garantie, je le rappelle, continuera à s'appliquer dès lors que la victime se placera sur le terrain du droit national.
Mais je n'ignore pas non plus que le fait de consacrer d'une manière générale dans la loi la responsabilité pour « risque de développement », et ce quels que soient le produit et l'ampleur de ses conséquences dommageables, va placer les entreprises dans une situation plus difficile que celle qui est actuellement la leur pour obtenir des assureurs une couverture suffisante.
Je ne voudrais pas que la consécration législative d'une responsabilité générale pour risque de développement ait un effet contre-productif en rendant plus aléatoire la possibilité d'une indemnisation effective par manque de solvabilité.
J'attire l'attention sur ce point, parce que ce risque me semble en effet non négligeable.
Nous savons tous que les entreprises d'assurance se montrent extrêmement réticentes pour couvrir ce type de risque. En effet, tout le métier de l'assurance consiste à couvrir des risques évaluables. La probabilité du risque est calculée ; elle permet l'établissement du tarif et le calcul de la prime égale au pourcentage de risque de réalisation d'un sinistre.
Dès lors que le risque ne peut pas être déterminé, et c'est le cas du risque sériel, il ne peut y avoir d'assurance, sauf si la loi oblige les fabricants à prendre une assurance, ce qui suppose, comme en Allemagne, un plafonnement de l'indemnisation. Mais je ferai observer qu'en Allemagne l'indemnisation est plafonnée et, de surcroît, le prix du médicament est libre.
M. Claude Huriet. Voilà !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je crois que nous ne pouvons pas, s'agissant du risque dont nous parlons, raisonner de manière absolue et globale, comme le fait la commission des lois, sauf à ne pas prendre en compte les réalités économiques.
La question qui nous est posée appelle par conséquent une réponse nuancée.
J'ai bien conscience qu'aucune solution ne pourra être pleinement satisfaisante. Mais je crois que c'est en ne sacrifiant ni les droits des victimes ni les intérêts de nos entreprises face à la concurrence que nous opérerons un choix réaliste, acceptable et durable.
Le Gouvernement vous propose - j'ai déposé un amendement en ce sens - de ne pas faire de l'exonération pour risque de développement une cause générale d'exonération. Je vous propose, en revanche, de l'exclure pour les nouveaux risques sériels liés à l'utilisation des éléments du corps humain, des produits qui sont issus de celui-ci et, plus généralement, des produits de santé, c'est-à-dire les médicaments, les dispositifs médicaux et les réactifs de laboratoire.
Pourquoi une telle exception ?
Une obligation de sécurité absolue doit être formellement inscrite dans les textes concernant ces produits en raison des caractéristiques qu'ils présentent : d'abord, l'ampleur des préjudices qu'ils sont susceptibles d'engendrer donne une dimension sociale particulière à la question que poserait à leur égard l'exonération du risque de développement ; ensuite, leur nature spécifique fait que le risque zéro n'existe pas pour eux, malgré les progrès de la science - c'est là, évidemment, un point très important - enfin, ils touchent à la santé publique, domaine pour lequel chacun se sent à l'évidence, profondément concerné et dans lequel notre pays a connu, au cours des années passées, un certain nombre de drames qui sont encore présents dans les esprits et que je rappelais dans mon discours d'introduction : ceux du distilbène, du VIH, de l'hépatite C et de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Par conséquent, il n'est pas possible, pour des risques de ce type, d'inscrire dans nos textes un principe de non-responsabilité.
Pour les autres produits soumis à l'exonération pour risque de développement, je souligne que le régime proposé ne présentera pas les inconvénients que redoute M. le rapporteur.
D'abord, la victime aura toujours le choix, conformément à l'article 19 de la proposition de loi, d'opter pour les régimes traditionnels du droit français excluant toute exonération. Rien ne sera donc changé par rapport à la situation actuelle.
Par là même, et en deuxième lieu, la victime n'aura pas à craindre les actions dilatoires du producteur sur la détermination de l'état des connaissances scientifiques ou le recours intempestif à des mesures d'instruction, puisque, en tant que défendeur à l'action, il n'appartiendra pas à celui-ci de se placer sur le terrain de la directive.
A supposer, en troisième lieu, que la victime choisisse ce régime, l'ensemble de la charge de la preuve reposera sur le producteur, et cette preuve sera d'autant plus difficile à établir qu'il s'agira pour le producteur de prouver un fait négatif, à savoir son impossibilité de connaître le vice.
A l'inverse, si l'exonération est admise pour les risques dits de type traditionnel, il ne sera pas possible aux entreprises d'invoquer les problèmes concurrentiels par rapport à leurs partenaires européens - qui ont majoritairement, je le rappelle, retenu l'exonération - ou des difficultés de solvabilité liées aux réticences des assureurs.
En définitive, la solution que je propose consiste à ce que chacun fasse finalement un pas l'un vers l'autre pour essayer de trouver la solution la plus équilibrée possible, le Sénat en renonçant à consacrer de manière législative un principe de réparation absolue, sans prendre en compte les limites financières des systèmes d'indemnisation, le Gouvernement en se ralliant à un mécanisme de responsabilité irréfragable dans les cas de risque majeur.
C'est précisément parce que je ne peux adhérer à la suppression proposée par la commission des lois que j'ai déposé un amendement n° 25 rectifié opérant une telle distinction.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 25 rectifié ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je voudrais que le Sénat se prononce d'abord sur l'amendement n° 8 de la commission. En effet, s'il était adopté, l'amendement n° 25 recitifié tomberait.
M. le président. Monsieur le rapporteur, dans le cas d'une discussion commune, il n'est pas possible de mettre aux voix un amendement sans avoir préalablement entendu l'avis de la commission sur les autres amendements.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je vous prie de m'excuser, monsieur le président, mais je n'ai pas la même expérience que vous !
Pour les raisons qui font corps avec la position générale de la commission - qui souhaite exclure le risque de développement comme cause d'exonération de la responsabilité du producteur - nous préférons notre amendement de suppression de cette cause d'exonération à l'exception proposée par le Gouvernement.
La commission ne peut donc qu'être défavorable à l'amendement n° 25 rectifié du Gouvernement, sauf si l'amendement n° 8 n'était pas adopté, l'amendement du Gouvernement devenant alors un amendement de repli.
La commission proposerait dans ce cas d'ajouter aux produits de santé les produits alimentaires. Pour les mêmes raisons que celles qui ont été développées tout à l'heure, ce qui me dispensera de revenir sur l'argumentaire, il nous semble qu'il faut à tout prix mettre à l'abri de cette exonération les produits alimentaires.
Je regrette de faire sourire mon collègue M. Marini et quelques autres. J'espère qu'il ne leur arrivera jamais de manger quelque chose de fâcheux pour leur santé !
M. Philippe Marini. Je vous remercie !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. M. Marini me permettra néanmoins d'avoir ce souci. Il s'agit d'autant moins d'une plaisanterie par les temps qui courent que l'une des grandes inconnues du monde d'aujourd'hui est bien l'alimentation, laquelle est devenue de plus en plus artificielle et recèle des risques aussi dangereux que les médicaments. C'est pourquoi il me paraît souhaitable d'exclure aussi les aliments.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 8.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je conçois fort bien la logique de la commission des lois, mais il faut alors l'appliquer à l'article 13. En effet, il n'y a pas d'intérêt à exclure le risque de développement si les autres régimes de droit de la responsabilité subsistent.
Mme le garde des sceaux l'a très bien expliqué, il n'y a pas, pour les justiciables français, diminution des garanties apportées par la jurisprudence.
Monsieur Fauchon, je vous le dis franchement, je ne regrette pas que le droit de la responsabilité en France soit jurisprudentiel. C'est même une des caractéristiques de notre droit. Au lieu de faire beaucoup de lois pour tout prévoir, il vaudrait mieux conserver les grands principes retenus par le code civil en matière de responsabilité et, ensuite, développer une jurisprudence qui, elle, est fixée.
M. Jean-Marie Girault. Oh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Je ne pense donc pas que ce soit une amélioration d'être obligé de se battre sur un mot et ensuite de vouloir tout prévoir, comme on tente de le faire à l'occasion de la transposition de directives. Je pense, monsieur Fauchon, que vous serez d'accord avec moi ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je suis tout à fait d'accord avec vous, mon cher collègue, mais il faut bien transposer !
M. Jean-Jacques Hyest. Dès lors que l'on admet le droit de la responsabilité pour risquer l'obligation de sécurité, il faut admettre le risque de développement et l'exonération de responsabilité.
Effectivement, on ne connaît pas encore bien le risque de développement : pratiquement tous les cas que vous avez cités se rapportent à la santé ; ce sont des cas nouveaux, des risques tellement importants qu'ils vont se répercuter sur l'ensemble des producteurs, et les assureurs ne pourront pas assurer parce qu'on n'assure pas ce qui n'est pas prévisible. Par conséquent, soit les tarifs d'assurance vont augmenter dans des proportions considérables, soit il n'y aura pas d'assureurs et il faudra alors se tourner vers la collectivité !
Il faut donc prévoir le risque de développement. Mais le domaine de la santé étant un domaine sensible, peut-être faut-il y renoncer ?
M. Claude Huriet. Au contraire !
M. Jean-Jacques Hyest. D'une manière générale, je pense qu'il ne faut pas supprimer l'exonération, d'autant que, pour un certain nombre de cas, on oublie souvent qu'il y a aussi le cinquième alinéa de l'article 12, qui porte sur tout ce qui est soumis à autorisation. J'ajoute que, dans un certain nombre de domaines, les autorisations n'ont pas toujours été exhaustives.
Bref, la proposition de loi telle qu'elle avait été élaborée sur l'initiative de Mme Catala était équilibrée. Supprimer une chose et garder l'autre, cela n'a pas de sens, cela déséquilibrerait complètement tous ceux qui entreprennent et n'apporterait pas de garanties supplémentaires au justiciable, bien au contraire.
M. Robert Calmejane. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Calmejane.
M. Robert Calmejane. Avant mon explication de vote proprement dite, je tiens à redire à M. le rapporteur, qui a évoqué l'attitude des industriels depuis vingt ans, le paragraphe que j'avais cité dans la discussion générale : « Jusqu'à aujourd'hui, aucun industriel n'a agi dans ce sens, car il considérait que, tôt ou tard, nous serions obligés de nous conformer au droit communautaire, donc à l'application de la directive de 1985. Mais qu'adviendra-t-il demain si nous supprimons la clause d'exonération ? » Voilà le problème.
Comme il a été dit, nous voici au coeur du débat relatif à la transposition de la directive communautaire du 25 juillet 1985 en droit français.
L'une des caractéristiques de la proposition de loi soumise à notre examen, et assurément l'un de ses mérites, est de maintenir les deux régimes de responsabilité : celui que nous connaissons aujourd'hui en droit français et celui, qui est un peu différent, qui ressort de la directive européenne.
Ce cumul des responsabilités doit rassurer les personnes qui seraient inquiètes des modifications apportées par cette directive. Celle-ci introduit une notion de responsabilité objective et aboutit en conséquence à une responsabilité de plein droit du producteur si un dommage a été causé par un défaut de son produit.
Certes, la notion d'exonération pour risque de développement constitue une première dans le droit français, mais elle n'est pas pour autant préjudiciable aux victimes.
Sa suppression, comme le suggère la commission des lois, ferait peser sur les industriels une insécurité juridique dont les conséquences seraient très dommageables.
En premier lieu, elle handicaperait nos fabricants par rapport à leurs concurrents européens, puisque seuls l'Espagne et le Luxembourg ont refusé la cause d'exonération pour risque de développement.
Nous constaterions à terme des effets négatifs sur la recherche, plus particulièrement sur la recherche appliquée, car tout produit nouveau peut présenter un risque potentiel, inappréciable à son origine.
Sur le plan économique, l'investissement et l'emploi seraient menacés par la tentation des grands groupes de délocaliser, comme ils le font déjà pour échapper à la législation américaine.
Enfin, les PME et les PMI, nombreuses dans notre pays, se verraient bridées dans leur activité par l'impossibilité de s'assurer contre les risques encourus et leur mise en péril en cas de condamnation.
Cette situation, insoutenable sur le plan économique, ne garantirait pas l'indemnisation des victimes éventuelles, démunies face à l'insolvabilité des fabricants.
Les assurances refusant de couvrir des sinistres non évaluables a priori , les entreprises devraient seules supporter des risques qu'elles n'ont pas les moyens scientifiques et techniques de connaître ni de maîtriser.
Sans le maintien de cette cause d'exonération pour risque de développement, la proposition de loi irait à l'encontre du droit communautaire, lequel a reconnu la nécessité de sauvegarder une exonération éventuelle du fabricant en établissant que « ne pas tenir compte des possibilités réelles de connaissance du producteur eût été irréaliste et déraisonnable et reviendrait à nier l'accessibilité des connaissances au moment de la mise en circulation ».
Par ailleurs, la suppression de la cause d'exonération irait à l'encontre du but recherché qui est d'assurer une indemnisation des victimes de dommages résultant de produits défectueux en rendant impossible toute couverture de ce risque.
Pour toutes ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir vous en tenir au texte de la proposition de loi, qui réalise un juste équilibre des intérêts de chaque partie.
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. L'un des problèmes importants que soulève cette proposition de loi est la possibilité ou non d'assurer le risque de développement.
Il se trouve que je représente le Sénat au sein du Conseil national des assurances et, à ce titre, je me suis livré à une petite enquête. J'ai interrogé un certain nombre de responsables et de représentants de la profession.
Voici, mes chers collègues, le résultat de cette démarche.
Il est souvent avancé que les contrats d'assurance de responsabilité civile n'excluent pas le risque de développement, ce qui conduit à reconnaître qu'il est assurable et effectivement assuré.
Mais cette observation donne, me semble-t-il, une idée fausse sur la problèmatique du risque de développement au regard de l'assurance. Celle-ci mutualise des risques quantifiables dont on peut connaître a priori la fréquence et le coût, ce qui correspond, ainsi que l'a rappelé Mme le garde des sceaux, à la base même de l'opération d'assurance.
A l'inverse, les risques inconnus, imprévisibles en l'état actuel des connaissances techniques et scientifiques, échappent en principe à toute possibilité de mutualisation par l'assurance, puisque le coût du risque est, par définition, impossible à chiffrer.
Prenons l'exemple des contaminations par transfusion sanguine. Le montant des primes qu'il aurait fallu percevoir dans les années quatre-vingt pour indemniser les conséquences du risque de développement qui s'est ensuite révélé aurait dû être, me dit-on, au moins mille fois supérieur à celui qui a été effectivement perçu, c'est-à-dire de l'ordre du chiffre d'affaires total des centres de transfusion sanguine. Il s'agissait bien d'une impossibilité économique !
Avant ce dossier tristement célèbre, les assureurs français n'étaient pas concrètement confrontés au problème du risque de développement. En effet, la jurisprudence retenant une responsabilité dans cette hypothèse était rarissime et n'avait pas de répercussions financières majeures sur l'assurance. Cette jurisprudence était d'ailleurs nuancée, nombre de décisions écartant la responsabilité lorsque le producteur ne pouvait prévoir et déceler le défaut du produit.
La réaction des assureurs, après les premières décisions retenant la responsabilité d'établissements hospitaliers ou de centres de transfusion sanguine alors même que le virus du sida était indétectable au moment de la transfusion, a été rapide : dès 1992, les assureurs ont exclu expressément le risque de développement dans le contrat couvrant les centres de transfusion sanguine. S'il faut une démonstration, je crois que la voilà !
Les contrats d'assurance spécifiques couvrant les risques de responsabilité liés aux atteintes à l'environnement comportent maintenant l'exclusion du risque de développement. C'est ce qui m'a été dit, et je pense qu'il s'agit bien d'une réalité factuelle.
Devant l'évolution, préoccupante pour eux, que marque la proposition de loi que nous examinons, les assureurs envisagent de généraliser l'exclusion du risque de développement dans les contrats d'assurance.
La question est compliquée en France par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui, depuis 1990, impose à l'assureur de responsabilité de donner une garantie dont la durée est identique à celle de la responsabilité encourue : c'est l'impossibilité de limiter l'engagement de l'assureur dans le temps.
Si les assureurs, qui ont l'impérative obligation à l'égard de leurs assurés de préserver les équilibres financiers afin de faire face à leurs engagements, se trouvaient devant des règles de responsabilité compromettant la sécurité financière de l'opération d'assurance, il faudrait s'attendre à ce que les garanties d'assurance de responsabilité civile ne soient plus délivrées ou qu'elles le soient avec des plafonds de garantie extrêmement bas.
Ainsi, le souci de protection intégrale de la victime, qui inspire, à juste titre, notre rapporteur, pourrait paradoxalement aboutir à une impossibilité d'assurer et donc pourrait priver les victimes d'une indemnisation effective.
Je crois, mes chers collègues, qu'il faut tenir compte de cette réalité économique du secteur de l'assurance, et c'est une raison supplémentaire, après toutes celles qui ont été excellement exposées, pour ne pas, hélas ! être en accord, cette fois-ci, avec la proposition formulée par la commission des lois.
M. Claude Huriet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Madame le garde des sceaux, outre le fait que vous n'avez pas répondu à mes interrogations concernant l'application de l'article 15 de la directive relatif à la communication préalable à l'information des Etats membres, je dois vous dire que je ne comprends pas la position du Gouvernement sur le problème dont nous sommes en train de débattre, alors que je comprends, sans l'adopter, la position excellemment défendue par mon collègue et ami Pierre Fauchon.
Je conçois en effet que l'on puisse refuser d'appliquer l'exonération au nom des principes développés à l'instant par M. le rapporteur. Mais que l'on accepte le principe de l'exonération en excluant les médicaments et les produits de santé, cela n'est pas pour moi explicable !
En effet, il s'agit d'un domaine dans lequel l'innovation est nécessaire, pour la santé de la population. Elle est source de progrès, personne ne peut le contester. A contrario, vous laissez dans le champ de l'exonération des produits qui ne font pas l'objet d'un encadrement aussi rigoureux et qui ne jouent pas un rôle aussi important pour nos concitoyens.
Il y a donc quelque chose de contradictoire dans votre argumentation d'autant que, pour défendre l'amendement n° 25 rectifié, vous avez fait référence à plusieurs reprises aux médicaments pour en reconnaître les spécifités. Je m'attendais donc à ce que vous retiriez cet amendement, ce que vous n'avez pas fait.
Madame le ministre, monsieur le rapporteur, pourquoi imaginer que l'exonération inciterait les professionnels à faire preuve de moins de vigilance ? C'est leur faire une sorte de procès auquel je ne peux m'associer.
Pourquoi en outre imaginer que l'exonération de la responsabilité des producteurs conduise à une non-indemnisation des victimes de drames tels que ceux que nous avons connus ?
Comme je l'indiquais dans la discussion générale, les produits de santé font l'objet, en France en particulier, mais aussi dans d'autres Etats membres, de mesures de plus en plus draconiennes et rigoureuses. Si elles ne l'étaient pas, il faudrait prononcer des sanctions. Mais si elles le sont, tirons-en les conséquences.
Monsieur le rapporteur, vous avez invoqué le statu quo. Mais dois-je rappeler que le statu quo n'existe plus, dans la mesure où, transposant la directive à leur façon, les Etats membres ont plus ou moins appliqué la cause d'exonération ?
Vous avez cité un certain nombre d'exemples, tels que celui du sang contaminé ou de l'hormone de croissance.
Mais ce sont d'excellents exemples, monsieur le rapporteur, car ils se situent en dehors des conditions législatives et réglementaires, qui - hélas - ont été mises en place a posteriori.
La position que je continue de défendre consiste donc à souligner qu'en France des dispositions très rigoureuses régissent l'autorisation de mise sur le marché et qu'il faut en tirer les conséquences.
De surcroît, madame le ministre - vous l'avez dit - dans le domaine des produits de santé et, plus précisément, dans le domaine du médicament, la sécurité absolue n'existe pas. Et pourtant il faut reconnaître que l'innovation est nécessaire. Nous sommes donc bien confrontés à un véritable dilemme.
Comment sortir d'une telle situation sans évoquer la notion de bénéfice-risque ? Je reprocherai amicalement à M. le rapporteur de ne pas avoir évoqué ce point dans son argumentation à propos des produits de santé et du médicament.
Mon cher collègue, dans un domaine comme celui-là, où le concept de progrès est primordial, on ne peut faire abstraction de cette notion, sauf, au nom du principe de responsabilité appliqué de façon perverse, à limiter les efforts d'innovation,...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je l'ai reconnu !
M. Claude Huriet. ... avec toutes les conséquences que cette attitude peut entraîner.
Avant de terminer mon intervention, je me permettrai de vous donner lecture d'un court extrait de « La Lettre de la santé »...
M. le président. Monsieur Huriet, vous avez pratiquement épuisé votre temps de parole !
M. Claude Huriet. Oui, mais je n'en aurai plus besoin après !
M. le président. Peut-être, mais vous aviez droit à cinq minutes, pas plus ! Concluez rapidement, je vous prie !
M. Claude Huriet. Il y a trois pages, je ne lirai qu'un court paragraphe ! (Sourires.)
M. le président. Ce sera plus compatible avec le règlement ! (Nouveaux sourires.)
M. Claude Huriet. Merci de votre tolérance, monsieur le président.
Voici donc l'extrait de La Lettre de la santé que je veux porter à votre connaissance, mes chers collègues :
« Il est intéressant de noter que l'Etat de Californie, qui est l'un des plus libéraux en matière de responsabilité civile du fait des produits, et qui est à l'origine de l'application de la responsabilité sans faute, s'est refusé à appliquer celle-ci à l'industrie pharmaceutique dans le cadre des médicaments sur prescription dès lors que le médicament ne présentait aucun défaut de fabrication [...] Il a en effet été tenu compte des répercussions des coûts d'assurance sur ceux de la recherche et développement, et donc sur le coût final pour le consommateur de l'application de ce type de responsabilité. »
Je ne peux pas développer plus avant mon argumentation, mais vous comprendrez, mes chers collègues, que je ne puisse voter ni l'amendement de la commission ni celui du Gouvernement.
M. Jean-Marie Girault. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Girault.
M. Jean-Marie Girault. J'ai suivi la discussion de ce texte en commission des lois et, bien sûr, aujourd'hui en séance publique.
Ce matin, je donnais clairement raison à notre collègue Jean-Jacques Hyest sur les notions de produit défectueux et de responsabilité avec ou sans faute, ce qui m'a amené à émettre un vote contraire à celui du rapporteur. Heureusement, il ne m'en a pas voulu ; il disait tout à l'heure qu'après tout le vote acquis n'était pas si mauvais.
Dans le débat présent, je suis cette fois du côté du rapporteur.
Je ne savais pas trop, en entrant dans l'hémicycle, si j'allais maintenir la conviction qui m'était apparue en conscience lors des délibérations de la commission. Eh bien si ! Je n'ai pas changé d'opinion.
En effet, comme l'a dit notre collègue M. Fauchon, l'article 1386-4, qui dispose : « Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre », est fondamental.
Et là je reprendrai, mais en les utilisant dans un sens inverse pour appuyer mon vote, les propos que tenait M. Hyest : de grâce, laissons faire la jurisprudence ! Nous vivons une époque détestable, où l'on passe son temps à créer des catégories de responsabilités. Plus on énonce, plus on oublie, plus on complique la fonction jurisprudentielle, sans parler de la tâche des avocats et des conseils juridiques !
Au demeurant, on ne peut pas dire que, dans le domaine qui nous occupe aujourd'hui, soient intervenues des décisions scandaleuses, qui justifieraient une réforme législative. Laissons donc les juges apprécier les cas d'espèce !
C'est pourquoi je maintiens mon ralliement à la proposition de M. Fauchon. Ne laissons pas entendre - on ne veut pas le laisser entendre paraît-il, mais c'est ce que le texte implique - que, après la mise sur le marché d'un produit nouveau, auquel sera faite la plus grande publicité, il faudra ensuite que le consommateur prouve qu'il a acquis un produit qui lui a causé préjudice, le producteur pouvant alors rétorquer : « Ah ! mais on ne savait pas que... ».
L'expression : « lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre » est suffisamment explicite.
Encore une fois, laissons donc faire l'exercice jurisprudentiel !
Tout à l'heure, j'entendais dire qu'on n'allait plus oser produire ou imaginer. Rassurez-vous, mes chers collègues ! Les chercheurs, qui ont pour mission de découvrir de nouveaux médicaments, d'imaginer de nouveaux produits, trouveront toujours le moyen de vendre les fruits de leur intelligence, de leur génie à des sociétés commerciales, qui feront grand cas de ces nouveaux produits à proposer au public.
M. Claude Huriet. En France de préférence !
M. Jean-Marie Girault. Peut-être ! Mais je vous signale que le présent débat a déjà eu lieu lorsqu'il s'est agi d'élaborer la directive européenne puisque l'article qui est évoqué ouvre une option : on a entendu, sur ce point, laisser aux Etats membres le soin de décider. Il y avait bien des raisons à cela !
Et pour ce qui est des assureurs, là aussi, rassurez-vous : les groupes d'assurance sauront toujours dire qu'ils peuvent couvrir le risque du développement.
M. Claude Huriet. A quel prix !
M. Jean-Marie Girault. C'est la raison pour laquelle je voterai le texte que nous propose la commission. Si par malheur il était rejeté, je voterais, bien entendu, le texte du Gouvernement.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je ne répondrai pas dans l'immédiat aux observations de mon collègue Claude Huriet, qui portent sur la question des médicaments. Ce sujet aura davantage sa place lorsque nous aborderons l'examen de l'amendement du Gouvernement, si toutefois nous sommes conduits à en parler. A cet égard, je dois, bien sûr, être extrêmement prudent dans mes prévisions ! (Sourires.) Ainsi que M. Jean-Marie Girault l'a fort bien dit en une formule à la remarquable concision, il n'est pas besoin de s'inquiéter : les assureurs trouveront toujours le moyen d'assurer.
M. Claude Huriet. A quel prix !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Monsieur Marini, vous avez cité un long texte. J'ai l'habitude de ce genre de citation et, chaque fois, je demande qu'on me procure une police où ce cas soit expressément exclu. Une police énumère des cas de non-assurance : il y en a même de plus en plus dans les contrats ! Il n'est tout de même pas difficile d'ajouter un énième cas, où il serait précisé que le contrat ne couvre pas la responsabilité civile dans les cas de risque de développement.
Une telle police, aujourd'hui, n'existe pas. Depuis vingt ans, on me dit qu'elle va exister. On me dit : « Attention ! On ve va pas pouvoir tenir ! » Or, depuis vingt ans, on tient ! Et je soutiens même que l'on peut continuer à tenir.
Je signale au passage à M. Calmejane qu'on ne peut pas dire que les professionnels continuent de produire mais qu'ils s'attendent à la transposition de la directive avec la faculté d'exonération pour risque de développement. Cela fait quinze ans qu'ils s'y attendent ! Mais ils ont produit, et tout ce qu'ils ont produit avant la transposition de la directive dans les termes que vous souhaitez leur fait tout de même encourir de sérieuses responsabilités.
Mais surtout, ils ne peuvent pas s'y attendre puisque, lors de la deuxième lecture au Sénat du précédent projet de loi de transposition, je le rappelle, nous avions refusé l'exonération pour risque de développement. En 1992, en commission mixte paritaire, nous avions, je m'en souviens parfaitement, refusé de voter l'exonération pour risque de développement. Alors, qu'on ne dise pas que les professionnels s'y attendent !
Cher collègue Hyest, ne nous dites pas non plus que l'on va déséquilibrer le système qui existe actuellement. Le système actuellement en vigueur fait peser totalement ces risques sur les producteurs, et cela ne les empêche pas de produire, d'être assurés, d'innover, de créer des médicaments ou tous autres produits.
Il est donc tout à fait inexact d'affirmer : « Si vous n'adoptez pas le texte en l'état, on ne pourra plus continuer à innover. » Pourquoi ne pourrait-on pas continuer à faire demain ce que l'on fait depuis des années ?
Car, ce que souhaite la commission des lois, c'est le maintien du droit dans son état actuel, alors que l'Assemblée nationale, elle, veut le modifier. Le facteur de déséquilibre, c'est le texte de l'Assemblée nationale, auquel, semble-t-il, vous êtes favorable, et non pas l'amendement de la commission, qui tend au contraire à rétablir l'équilibre.
Je répète à M. Marini que j'attends avec intérêt de savoir si des polices d'assurance excluent le risque de développement et, dans l'affirmative, dans quels termes.
En vérité, tout cela relève de la menace, presque du chantage. Voilà des années que j'entends cet argument et que je ne vois rien venir. Je finis par penser que la menace n'est pas sérieuse et, surtout, qu'elle n'est pas prise au sérieux par ceux-là mêmes qui la mettent en avant. M. Jean-Marie Girault nous a dit tout à l'heure avec talent ce qu'il fallait en penser.
Si, un jour, on s'aperçoit que l'on ne peut pas assurer ce risque, on créera un système d'assurance obligatoire. Je fais même le pari que, dans les dix ou quinze ans qui viennent, comme on ne pourra pas proclamer l'irresponsabilité face à des périls qui vont grandissants, car il n'y a pas de trimestre qui ne nous en apporte de nouveaux, on créera, ce qui est tout à fait logique, un système d'assurance obligatoire, et tout le monde sera alors unanime pour le créer, car ce sera la bonne solution. J'espère vivre assez longtemps et voir mon mandat suffisamment renouvelé pour pouvoir assister à ce débat. Peut-être pourrai-je même être le rapporteur du texte ! (Sourires.) Madame le ministre, vous dites, vous - et d'autres ont repris cet argument - qu'il faudra introduire des limitations, faute de quoi on ne pourra plus indemniser, à moins de laisser les assurances aller à la déroute.
Mais, encore une fois, pour le moment, tout cela est de l'ordre du fantasme ! Le problème ne se présente pas !
Il est tout de même curieux que les mêmes me disent d'un côté : « On ne peut plus assurer, c'est terrible ! », et, de l'autre côté : « Ne vous inquiétez pas, cette responsabilité pour risque de développement n'est pas couverte dans le droit classique. » Mais alors, pour être logique, on devrait nous demander de transposer la directive dans ce sens et aussi d'étendre le dispositif à notre droit classique. Or on nous affirme que, sur le terrain du droit classique, tout va continuer comme avant.
N'y a-t-il donc pas quelque chose de profondément contradictoire dans les argumentations qui nous sont présentées, car le problème concernant l'assurance se pose de toute façon, quel que soit le vote que, mes chers collègues, vous allez émettre dans quelques instants ?
Vous avez fait allusion, madame le ministre, au plafonnement de l'indemnisation qu'intègre le système allemand. Cela est envisageable, je le reconnais. Sans doute a-t-on effectivement connu certains excès, non pas tant chez nous que dans la jurisprudence américaine. Cela dit, ce sont généralement des décisions de première instance qui sont visées à cet égard, car, en appel, les décisions sont le plus souvent ramenées à une échelle plus raisonnable.
En France, on n'a pas retenu cette option parce qu'elle n'existe pas dans notre tradition juridique. Mais nous n'en sommes qu'à la première lecture : la discussion va se poursuivre et quelqu'un, à l'Assemblée nationale, éventuellement au Sénat, pourra faire une proposition tendant à introduire un système de limitation. Se poserait alors le problème de savoir quelle limitation choisir.
Ce qui me choque dans le système de type allemand, c'est qu'il s'agit d'une limitation globale : on a l'impression que l'on va indemniser les premières victimes assez largement et que, une fois l'enveloppe épuisée, on dira simplement aux victimes suivantes qu'il n'y a plus rien pour elles. Cela me paraît tout de même assez barbare ! Je pense qu'il faudrait instituer une sorte de tarification par accident, de manière à réserver des fonds pour l'indemnisation des victimes qui se révéleraient ultérieurement.
En tout cas, je ne serais pas hostile à un système de limitation. Mais nous avons encore le temps d'étudier sérieusement un point aussi important.
Je conclurai en reprenant ce que disait M. Jean-Marie Girault avec la grande sagesse et la grande expérience qui sont les siennes : ne prononcez pas, mes chers collègues, ce principe général d'irresponsabilité, qui se retournera, on le verra un jour, contre ceux qui l'auront imaginé. Laissez donc, grâce à la notion de sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de la date à laquelle le produit a été mis en service, à la jurisprudence - sa sagesse est certainement supérieure à celle des textes que nous imaginons sans cesse - le soin de résoudre ce problème.
C'est dans cet esprit, et avec le souci d'apporter la plus sage des solutions à ce problème du risque de développement, que je vous demande d'adopter l'amendement de la commission des lois.
Mme Odette Terrade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Souscrivant à l'argumentation aussi pertinente que documentée de M. le rapporteur, nous voterons l'amendement n° 8.
M. Marcel Charmant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant. Nous ne pouvons, sur ce point, suivre M. le rapporteur, pas plus d'ailleurs que Mme le ministre.
Tout d'abord, je le rappelle, le texte actuel prévoit que les dispositions traditionnelles de notre droit sont maintenues. Ainsi, toute victime a la possibilité de choisir entre le dispositif du texte qui nous est soumis et celui qui est déjà en vigueur.
Or, M. le rapporteur le disait lui-même, le système français actuel est très protecteur. La victime n'aura donc aucune difficulté à faire valoir ses droits.
Par ailleurs, introduire une disposition expresse dans notre législation ne permettrait en aucune manière au producteur d'invoquer le risque de développement pour s'exonérer de sa responsabilité.
S'agissant des produits de santé, avec mon collègue François Autain et l'ensemble de mon groupe, je pense qu'ils sont fondamentalement différents des autres parce qu'ils ne peuvent être distribués qu'après obtention par les producteurs d'une autorisation.
M. Jean-Jacques Hyest. Exactement !
M. Marcel Charmant. En outre, il existe un paragraphe 5°, qui permet au producteur d'invoquer les prescriptions qui lui ont été imposées.
J'ajoute que ne pas faire comme nous le propose M. Fauchon ou comme nous le propose le Gouvernement, ce n'est pas ne rien faire. En effet, si nous adoptions l'amendement de M. Fauchon ou celui de Mme le garde des sceaux, nous n'avancerions pas vers une voie où il faudra bien que nous nous engagions un jour, à savoir, dans la perspective de l'indemnisation d'un ensemble de victimes du fait d'un défaut lié au développement d'un produit, celle d'une mutualisation de ce risque.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 8, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Du fait du rejet de cet amendement, M. Fauchon, au nom de la commission, me saisit d'un sous-amendement n° 34, tendant, dans le texte présenté par l'amendement n° 25 rectifié pour compléter l'article 1386-11 du code civil, après les mots : « lorsque le dommage a été causé », à insérer les mots : « par un produit alimentaire, ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je souscris entièrement aux raisons qui ont été invoquées par Mme le ministre. Nous venons de décider que, dans les cas les plus graves, il n'y aurait pas de responsabilité. En effet, on transpose une directive qui est supposée protéger les victimes de produits défectueux, et on leur dit : dans les cas où vous courrez le plus grand risque, eh bien, vous n'aurez pas de protection ! C'est le résumé des dispositions que nous venons - dans notre grande sagesse ! - de voter.
Dès lors, il serait quand même prudent de se ressaisir et de se rendre compte que, pour tout ce qui touche au corps humain, il y a un risque. Et le corps humain, ce n'est pas seulement la santé, c'est aussi l'alimentation !
C'est pourquoi je propose, avec le sous-amendement n° 34, qu'après les mots : « lorsque le dommage a été causé » soient ajoutés les mots : « par un produit alimentaire ».
Nous savons en effet que l'alimentation est, elle aussi, porteuse de risques considérables. D'ailleurs, d'ores et déjà, les intoxications alimentaires ont tendance à se multiplier ; elles ne sont pas toujours graves, mais elles pourraient l'être.
Il y a donc place, dans le domaine de l'alimentation aussi, pour les risques de développement.
M. Jean-Jacques Hyest. Cela n'a rien à voir !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Prenons l'exemple du maïs transgénique, dont nous vivons le développement « en temps réel ». S'il apparaît dans un ou deux ans que le maïs transgénique est porteur de je ne sais quel mal, par exemple, comme on le dit assez souvent, qu'il annule l'efficacité des antibiotiques sur nos organismes, nous serons alors en présence d'un cas concret de risque de développement.
Il est évident que notre alimentation de plus en plus artificielle laissera de plus en plus place à des risques de développement. Or, monsieur Huriet, les sécurités auxquelles vous faites allusion n'existent pas en la matière.
M. Claude Huriet. Ça vient !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. De deux choses l'une, mon cher collègue ! Ou on parle de productions parfaitement sûres, et vous n'avez rien à craindre des risques de développement puisque, par hypothèse, elles sont parfaitement sûres. Ou vous craignez que l'exonération pour risque de développement ne joue pas, et c'est que, intérieurement, vous reconnaissez que, malgré toutes les précautions qui sont prises, il pourrait tout de même arriver malheur.
Ne seriez-vous pas en contradiction avec votre conscience, que je sais aiguë ? Vous dites tantôt qu'il n'y a rien à craindre,...
M. Claude Huriet. Je n'ai pas dit ça !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... tantôt qu'il faut une protection. S'il n'y a rien à craindre, la protection ne servira jamais et, partant, ne saurait vous gêner !
M. Jean-Marie Girault. Il y a aussi les risques dus aux boues d'épandage !
M. le président. S'il vous plaît, n'entamez pas le dialogue !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Les risques sont en effet multiples, et, si j'osais, j'ajouterais aussi l'électronique, pour les raisons que j'ai évoquées tout à l'heure.
Nous sommes des apprentis sorciers : nous quittons ce siècle en créant, en inventant, en innovant, sans nous soucier de ce qui se passera, et, s'il se passe quelque chose, personne ne sera responsable.
Je dis que c'est une folie, et je suis étonné que son habituelle sagesse n'éclaire pas notre assemblée.
Je souhaite que Mme le ministre en tout cas veuille bien émettre un avis favorable sur ce sous-amendement à l'amendement du Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 34 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je tiens, d'abord, à rappeler que le producteur est et sera tenu d'une obligation de sécurité absolue de ses produits.
Le débat qui nous oppose est juridiquement limité au fait de savoir s'il faut ou non afficher dans les textes une jurisprudence constante.
Le Gouvernement a choisi de répondre « oui » pour les éléments du corps humain, les médicaments, les dispositifs médicaux et les réactifs de laboratoire, qui constituent une catégorie particulière de produits, car ils présentent, de par leur origine, leur nature et leur destination, des risques particuliers et, surtout, une symbolique forte, étant destinés à soigner.
Il n'en est pas de même des denrées alimentaires : ce sont des produits d'usage courant, quotidien, tout comme de nombreux biens de consommation.
Il m'apparaît injustifié de frapper un seul secteur industriel de l'économie française d'une suspicion a priori sur la sécurité des produits qu'il commercialise.
Il serait pour le moins paradoxal qu'un fabricant artisanal de fromages au lait cru puisse voir sa responsabilité engagée s'il provoque une intoxication alimentaire en raison d'une nouvelle bactérie jusque-là inconnue alors qu'un fabricant d'amiante verra sa responsabilité exonérée pour risque de développement.
Or votre assemblée a refusé de supprimer d'une façon générale l'exonération pour risque de développement et il serait contradictoire de commencer une énumération dont on voit mal le terme.
J'ajoute que supprimer l'exonération pour risque de développement pour les produits alimentaires n'accroîtra pas en soi la sécurité des consommateurs ni leur protection juridique.
Le consommateur victime s'adressera à son vendeur, l'« épicier du coin », par exemple, sur le fondement de la législation nationale.
D'ailleurs, compte tenu de la multiplication des intermédiaires dans la filière agroalimentaire, il sera dans les faits très difficile de mettre en évidence la responsabilité individuelle d'un producteur, non identifiable immédiatement.
En revanche, une telle disposition posera aux professionnels de ce secteur des difficultés pour contracter une assurance responsabilité civile, la majorité des assureurs refusant de couvrir un risque qu'ils ne connaissent pas.
Le Gouvernement est donc défavorable au sous-amendement n° 34.
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 34.
M. Claude Huriet. Je demande la parole contre le sous-amendement.
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. J'ai trop d'estime et d'amitié pour M. le rapporteur...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Pas assez ! (Sourires.)
M. Claude Huriet. ... pour laisser subsister entre nous quelque malentendu que ce soit.
Je n'ai pas dit, monsieur le rapporteur, qu'il n'y avait rien à craindre en matière de développement s'agissant des produits de santé ou des médicaments. Au contraire...
M. le président. Monsieur Huriet, nous examinons le sous-amendement n° 34 !
M. Claude Huriet. Pour en venir aux produits alimentaires, vous venez, madame le ministre, de vous opposer à ce sous-amendement, et je vous approuve.
Cependant, la raison que vous donnez pour justifier votre opposition m'étonne : il s'agirait, avez-vous dit, de ne pas frapper de suspicion systématique tel ou tel secteur de l'économie. Vous pourriez appliquer ce même principe, auquel j'adhère, à d'autres secteurs et dire, par exemple, qu'on ne doit pas frapper de suspicion systématique de un secteur comme celui des produits de santé et des médicaments.
Pour ma part, je voterai contre le sous-amendement n° 34 !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 34, repoussé par le Gouvernement.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 25 rectifié.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Avant que le Sénat ne se prononce sur cet amendement, je souhaite apporter une précision concernant l'indemnisation en cas de dommage causé par des produits soumis à autorisation.
Dans le système actuel, comme dans celui qui est proposé dans le cadre de la transposition, il n'y a pas d'exonération pour risque de développement pour les produits de santé.
Le titulaire d'une autorisation de mise sur le marché est donc responsable des préjudices causés par son produit même s'il ne pouvait pas en déceler le vice compte tenu de l'état des connaissances scientifiques.
L'article L. 601 du code de la santé publique, relatif à l'autorisation de mise sur le marché des médicaments, dispose : « L'accomplissement des formalités prévues au présent article n'a pas pour effet d'exonérer le fabricant ou, s'il est distinct, le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché de la responsabilité que l'un ou l'autre peut encourir dans les conditions du droit commun en raison de la fabrication ou de la mise sur le marché... "du médicament ou produit". »
Cette rédaction reprend une jurisprudence ancienne, selon laquelle l'autorisation n'exonère pas le fabricant de sa responsabilité. Le même raisonnement doit s'appliquer aux réactifs de laboratoire et aux dispositifs médicaux soumis à autorisation.
Il n'en demeure pas moins que la question ne se posera vraisemblablement pas de la même façon dans le cas de risques sériels dans la mesure où les producteurs auront des difficultés à être couverts par une assurance, exemple tristement illustré par le sinistre du sang contaminé.
C'est pourquoi une réflexion est engagée aussi bien dans le cadre de la proposition relative à la sécurité sanitaire que dans celui de la proposition de loi concernant l'aléa thérapeutique.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Comme je l'ai dit tout à l'heure, la commission souhaite que l'amendement n° 25 rectifié soit adopté.
Je veux seulement faire part à M. Huriet de ma surprise quant à la position qu'il adopte sur ce point particulier, au regard de l'action qu'il mène en général en matière de protection de la santé publique, car c'est bien de cela qu'il s'agit ici.
Si j'ai bien compris, monsieur Huriet, votre thèse est la suivante : l'autorisation de mise sur le marché n'est délivrée qu'après maintes précautions et, dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'avoir de craintes.
Je constate cependant que, par ailleurs, vous avez demandé, et nous vous avons bien volontiers suivi, la création d'offices de veille sanitaire, ce qui me donne à penser que la situation n'est pas si sûre ! En effet, si notre système était tout à fait parfait, il n'y aurait pas lieu de créer de tels offices.
Vous rétorquerez que ces offices - auxquels je suis tout à fait favorable - ont d'autres compétences. J'avais pourtant cru comprendre qu'ils avaient une compétence très générale, qui les amenait à connaître de tous les problèmes, et donc d'éventuelles distributions hasardeuses d'autorisations de mise sur le marché.
Vous avez vanté les mérites du système français et vous avez dit qu'il ne fallait d'ailleurs pas s'inquiéter du fait que l'hormone de croissance n'ait pas reçu d'autorisation de mise sur le marché. Mais nous avons été saisis du cas concret d'un jeune homme de vingt ans décédé par suite de l'administration de cette hormone de croissance !
J'ai tenu à recevoir ici ses parents et j'ai passé avec eux une des heures les plus émouvantes de ma carrière de sénateur.
J'ai aussi appris beaucoup de choses sur la façon de faire dans les hôpitaux : il semble en effet que l'hormone de croissance, bien qu'elle n'ait pas fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché, ait tout de même été administrée. Elle a même tant été administrée à ce jeune homme qu'il a contracté la maladie de Creutzfeldt-Jakob et qu'il en est mort !
Or les victimes, dans ces circonstances, sont déjà pratiquement dépourvues de recours, tant le système est complexe. Qu'adviendrait-il de ces victimes si l'on vous suivait, monsieur Huriet ?
C'est encore une raison pour moi de vous demander de ne pas prêter l'oreille aux sirènes extérieures. Mon cher collègue, entendez plutôt l'appel à la sécurité la plus élémentaire et votez l'amendement du Gouvernement !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 25 rectifié.
M. Claude Huriet. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Monsieur Fauchon, je n'ai pas dit qu'il n'y avait rien à craindre !
Quant à vous, ne dites pas qu'il n'y a pas de protection dans ce domaine où le risque est maximal ! C'est intenter un procès auquel je ne peux pas souscrire.
Nous avons multiplié les précautions, en particulier depuis que sont survenus les drames que vous avez évoqués. Certes, chacun reconnaît qu'il est catastrophique que nous ne soyons pas intervenus à titre préventif. Mais depuis, nous avons su tirer les leçons de ces drames.
Nous disposons maintenant en France, je peux en témoigner, de dispositions législatives et réglementaires d'une rigueur supérieure à celle des dispositions dont se sont dotés nos voisins, qui d'ailleurs commencent à s'inspirer de notre législation.
Je ne dis pas qu'il n'y a pas de risque et donc pas de protections nécessaires ! Je dis que, précisément parce qu'il y a des protections, qu'il faut d'ailleurs sans cesse renforcer, il faudra à un moment donné cesser d'alourdir les responsabilités de ceux qui, de par la loi, mais aussi de par leur propre conscience, ont tout fait pour assurer la garantie maximale.
Je voudrais d'ailleurs que l'on se mette d'accord pour faire le lien - certains d'entre nous l'ont d'ores et déjà fait - entre les risques d'accident, la nécessité d'indemniser les victimes et l'aléa médical, à propos duquel on attend depuis près de dix ans qu'une position soit arrêtée !
M. Philippe Marini. Exact !
M. Claude Huriet. Lorsque nous aurons enfin réglé la question de l'aléa médical, alors, peut-être, ces problèmes que nous abordons avec passion, ce qui est bien normal, auront-ils trouvé une solution qui ira dans le sens de l'équité et qui permettra d'apporter un juste dédommagement aux victimes de l'aléa, lequel veut, par définition, que les responsabilités de tels ou tels ne soient pas déterminées.
Soyons attentifs à concilier ces aspects qui, souvent, semblent difficilement conciliables : d'une part, l'intérêt des victimes et leur juste indemnisation et, d'autre part, le respect dû à ceux qui agissent en toute conscience en vue de permettre le progrès médical et d'assurer la protection maximale aux consommateurs, qui, finalement, sont les bénéficiaires.
M. Marcel Charmant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant. Je remercie Mme le ministre des informations qu'elle nous a apportées.
Notre discussion le montre, nous sommes confrontés à un certain nombre de questions. Vos explications, madame le ministre, sont la preuve que vous avez fait un pas dans le sens de la réponse.
M. Jean-Jacques Hyest. D'un côté !
M. Marcel Charmant. La discussion n'est pas terminée - une deuxième lecture aura lieu - mais pour vous témoigner notre confiance, nous adopterons l'amendement n° 25 rectifié. (Mme le garde des sceaux remercie l'orateur.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 25 rectifié, accepté par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 12, modifié.

(L'article 12 est adopté.)

Article 12 bis



M. le président.
« Art. 12 bis. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-11-1 ainsi rédigé :
« Art. 1386-11-1. - Le producteur ne peut invoquer les causes d'exonération prévues à l'article 1386-11 si, en présence d'un défaut qui s'est révélé dans le délai de dix ans après la mise en circulation du produit, il n'a pas pris les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables. »
Je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont présentés par M. Hyest.
L'amendement n° 19 tend à supprimer cet article.
L'amendement n° 20 vise à rédiger comme suit le texte présenté par ce même article pour l'article 1386-11-1 du code civil :
« Art. 1386-11-1. - Le producteur ne peut invoquer les causes d'exonération prévues à l'article 1386-11 si, en présence d'un défaut clairement établi qui a été porté à la connaissance du producteur au cours de la période d'usage normal du produit, il est prouvé qu'il n'a pas pris les dispositions propres à tenter d'en prévenir ou d'en limiter les conséquences dommageables. »
Par amendement n° 23, MM. Calmejane et Marini proposent de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 12 bis pour l'article 1386-11-1 du code civil :
« Art. 1386-11-1. - Constitue une faute du producteur de nature à engager sa responsabilité civile, le fait, en présence d'un défaut de sécurité grave, avéré et dûment porté à sa connaissance dans le délai de dix ans après la mise en circulation du produit et de nature à justifier, en fonction de la gravité de ce défaut et du degré d'urgence, l'information du public, la reprise pour modification ou le retrait du produit, de ne pas avoir pris en temps utile les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables. »
Par amendement n° 9 rectifié, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, dans le texte présenté par l'article 12 bis pour insérer un article 1386-11-1 dans le code civil, de remplacer les mots : « les causes d'exonération prévues à l'article 1386-11 » par les mots : « les causes d'exonération prévues aux 4° et 5° de l'article 1386-11 ».
Par amendement n° 29, Mme Terrade, M. Pagès et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le texte présenté par l'article 12 bis pour l'article 1386-11-1 du code civil, de remplacer les mots : « dix ans » par les mots : « trente ans ».
La parole est à M. Hyest, pour défendre les amendements n°s 19 et 20.
M. Jean-Jacques Hyest. Je propose de supprimer l'article 12 bis, car, selon la directive de 1985 telle qu'elle est transposée par la proposition de loi, la responsabilité du producteur est engagée à raison du dommage causé par le défaut de sécurité.
Le producteur peut s'exonérer de sa responsabilité ou la limiter en invoquant un certain nombre de défenses énumérées à l'article 1386-11 du code civil.
Nous venons d'évoquer longuement l'une d'elles.
Cependant, ces causes d'exonération sont réduites à néant par l'article 1386-11-1, introduit par l'Assemblée nationale, alors qu'aucune disposition équivalente ne figure dans la directive communautaire.
Cet article est d'abord problématique par son imprécision. En effet, le verbe « révéler » ne correspond à aucun concept juridique précis et soulève des questions multiples. Quels sont les critères de « révélation » d'un défaut ? Comment la preuve d'une telle « révélation » sera-t-elle apportée ?
Cet article est aussi problématique à cause de l'impossibilité d'apporter la preuve qu'il requiert. Le producteur ne peut en effet invoquer les défenses prévues à l'article 1386-11 si, en présence d'un défaut révélé dans les dix ans suivant la mise en circulation du produit, « il n'a pas pris les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables ». Prévenir, dans ce contexte, signifie empêcher. Le producteur ne pourra jamais parvenir à démontrer qu'il a pris les mesures propres à prévenir les conséquences dommageables d'un défaut puisque, par hypothèse, il ne sera amené à rapporter cette preuve que devant un tribunal, c'est-à-dire après que le dommage se sera effectivement produit. Le producteur se trouverait ainsi confronté à un problème de preuve impossible : le seul fait d'être devant un tribunal pour y répondre d'un dommage causé par le défaut de son produit le priverait automatiquement de toute défense.
L'article 12 bis est donc superflu. Il est même contraire à tout ce que nous avons voté par ailleurs.
Quant à l'amendement n° 20, c'est un amendement de repli, qui vise à donner un sens à l'article concerné afin qu'il ne soit pas totalement privé d'effet.
M. le président. La parole est à M. Marini, pour défendre l'amendement n° 23.
M. Philippe Marini. Cet amendement est présenté dans le même esprit que l'amendement de repli n° 20. Il s'agit de mieux rédiger l'article 12 bis .
Toutefois, comme M. Hyest, je préférerais que le problème ne se pose pas, ce qui serait le cas si l'article 12 bis était supprimé.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 9 rectifié.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il s'agit toujours de l'article 12 bis , que certains souhaitent supprimer, ce qui est pousser à l'extrême l'exonération de responsabilité. En effet, si on les suit, même après avoir appris que le produit est dangereux, il sera parfaitement possible de ne rien faire et de continuer à le laisser sur le marché, et, une fois de plus, tant pis pour les victimes ! Position admirable !
Quoi qu'il en soit, la commission considère que « l'obligation de suivi » - retenons cette formule qui est plus simple - prévue par cet article impose tout de même à un producteur de suivre ce qui se passe en ce qui concerne son produit, après la mise en circulation de celui-ci.
Cet article, posé d'une manière générale, est un peu étranger à la directive. En revanche, il trouve sa raison d'être dès lors que la directive comporte certaines causes d'exonération, qui, à l'évidence, ne peuvent pas jouer si, le danger du produit étant apparu après coup, on ne fait rien. Il faut tout de même admettre que le professionnel qui aura constaté le danger devra prendre des mesures de nature à le prévenir. C'est pourquoi nous sommes favorables à l'article 12 bis .
Dans un premier temps, nous avions proposé de le modifier afin qu'il ne s'applique qu'au cinquième cas d'exonération. En effet, en ce qui concerne les trois premiers cas, c'est-à-dire lorsque le produit n'a pas été mis en circulation, quand le dommage n'existe pas au moment de la mise en circulation, ou lorsque le produit n'est pas destiné à la vente, le problème ne se pose pas ; peu importe ce qui se passe après.
Or, dans le cas où « le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d'ordre législatif ou réglementaire », si on apprend après que le produit est dangereux, il faut tout de même qu'il y ait une obligation de faire attention.
Mais nous avons rectifié notre amendement n° 9, afin de tenir compte du quatrième cas d'exonération, pour les mêmes raisons.
A supposer que, initialement, et comme vous le souhaitez, il y ait exonération de responsabilité pour risque de développement, c'est-à-dire parce qu'on ne pouvait pas savoir, à partir du moment où on sait, le producteur a tout de même l'obligation d'avertir.
Je serais surpris que nous ne soyons pas d'accord pour adopter cette mesure, sinon ce serait la déresponsabilisation totale du professionnel ! Il faut donc maintenir cette obligation de suivi.
La rédaction est-elle parfaite ? Peut-être pas. Elle ne me paraît pas mauvaise.
Celle qui est proposée par M. Marini...
M. le président. Monsieur le rapporteur, avant que vous donniez l'avis de la commission, tous les amendements doivent être présentés.
L'amendement n° 29 est-il soutenu ?...
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur, pour donner l'avis de la commission sur les amendements n°s 19, 20 et 23.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Pour les raisons que je viens d'énoncer, nous ne souscrivons pas à l'amendement n° 19.
Nous ne souscrivons pas non plus à l'amendement n° 20, dans lequel le défaut doit être « clairement établi ». En effet, il s'agit d'un défaut tout simplement, et on doit dès lors le prendre en compte.
Nous souscrivons encore moins, si je puis dire, à la rédaction proposée par MM. Calmejane et Marini. En effet, emportés par leur enthousiasme, ils remettent pratiquement en cause tout ce que nous venons de voter.
Aux termes de leur amendement, le défaut de sécurité devrait être « grave, avéré, dûment porté à la connaissance... » Ainsi, on verrouille au maximum !
La rédaction générale qui nous est proposée par le texte de la proposition de loi est tout de même convenable. Elle prévoit une obligation de suivi, qui relève des obligations les plus élémentaires du producteur. En effet, l'expression retenue est la suivante : « si, en présence d'un défaut qui s'est révélé... » Si vous avez une autre expression à proposer, je suis ouvert. La navette permettra peut-être de trouver une autre formulation. Il m'a semblé que le terme « révélé » n'était pas mal choisi. Si l'on en trouve un meilleur, je m'inclinerai, mais c'est tout de même cela la bonne idée.
La formulation « si, en présence d'un défaut qui s'est révélé dans le délai de dix ans après la mise en circulation du produit » - j'observe que l'on respecte le délai de dix ans - « il n'a pas pris les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables... » instaure une obligation de moyens, et non de résultat, bien sûr. Je tiens à le dire, pour que ce soit clair. Le producteur ne peut pas non plus prévoir tout ce qui va survenir, mais il doit prendre des mesures propres à prévenir les conséquences. C'est tout simplement une question de bon sens.
Je vous demande donc, mes chers collègues, d'adopter l'amendement n° 9 rectifié, à l'exclusion de tous les autres.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'ensemble des amendements ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. S'agissant de l'amendement n° 19, je ne partage pas les craintes de M. Hyest à propos de l'obligation dite de suivi des produits après leur mise en circulation. Si une telle obligation ne figure pas expressément dans le texte de la directive, rien n'interdit au législateur national de la prévoir. Certaines législations la connaissent déjà, je pense notamment à l'Allemagne.
Cela étant, je ne crois pas que le texte pose problème par son imprécision.
En ce qui concerne la révélation du défaut, il est clair que l'on doit entendre par là le fait que la connaissance a été rendue publique et que, s'agissant d'un élément de fait, sa preuve peut en être rapportée par tout moyen. Le texte se réfère, sur ce point, à la pratique suivie en matière de vice caché.
Quant à l'impossibilité que le producteur aurait de prévoir les conséquences dommageables, elle procède d'une conception purement abstraite et beaucoup trop stricte des obligations mises à la charge du producteur. Il ne lui est demandé que de mettre en oeuvre des moyens préventifs adaptés à chaque type de situation sans qu'il soit exigé de lui en quelque sorte une obligation de réussite. L'amendement n° 19 n'est donc pas fondé.
En ce qui concerne l'amendement n° 23, l'avis du Gouvernement est, là aussi, défavorable, parce que, comme d'ailleurs pour l'amendement n° 20, le texte proposé entend limiter de manière extrêmement restrictive l'obligation du suivi du produit. La logique, il est vrai, est un peu différente de celle de l'amendement n° 20, puisque son auteur se place non plus sur le terrain de la responsabilité objective, mais sur celui de la faute. Dès lors, le texte perd toute utilité, car il est d'ores et déjà établi, en droit positif, qu'un producteur qui resterait passif sachant que son produit est susceptible de causer un préjudice commettrait une négligence qui entraînerait sa responsabilité.
L'obligation de suivi ne présente d'originalité que dans le cadre de la responsabilité objective où s'opère un renversement de la charge de la preuve, même si, comme le propose la commission des lois, le producteur dispose de clauses d'exonération.
Le Gouvernement est également défavorable à l'amendement n° 20.
J'en viens à l'amendement n° 9 rectifié.
L'article 12 bis impose au producteur une obligation de suivi des produits qu'il commercialise et, à ce titre, le rend responsable des dommages qu'ils occasionnent dès lors que, connaissant le danger de ses produits, il ne prend pas de dispositions propres à éviter la survenance des accidents que ceux-ci pourraient causer. Son attitude peut en quelque sorte être qualifiée de fautive.
Néanmoins, il n'a pas semblé souhaitable de se placer sur le terrain de la faute car la charge de la preuve aurait alors incombé à la victime.
En revanche, il a paru choquant de permettre à un producteur, averti du danger présenté par ses produits, de s'exonérer du seul fait, par exemple, que ceux-ci n'ont pas été mis en circulation par ses soins ou que le défaut dont ils sont atteints est postérieur à leur mise en circulation, alors qu'il est resté passif tout en ayant parfaitement conscience du risque de survenance d'un accident.
C'est pourquoi le texte voté par l'Assemblée nationale prive, dans une telle hypothèse, le producteur de la possibilité de s'exonérer en application des règles de la directive.
La commission des lois souhaite ne pas aller aussi loin en distinguant parmi les causes d'exonération et en permettant au producteur de se décharger de sa responsabilité lorsqu'il n'a pas commercialisé le produit ou lorsque le défaut est apparu après la mise en circulation de celui-ci.
Bien que je ne sois pas réellement convaincue de la pertinence de cette distinction, je comprends que, dans un souci d'équilibre des intérêts en présence, la commission des lois ait entendu nuancer le choix fait par l'Assemblée nationale.
C'est pourquoi je m'en remets à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 9 rectifié.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 19, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 20.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Si l'article 12 bis précisait tout ce que Mme le ministre a dit, ce serait très bien. Mais la rédaction ne m'a pas semblé satisfaisante et c'est pourquoi j'ai présenté d'abord un amendement de suppression, avant de proposer une rédaction plus pertinente. Au cours de la navette, nous ferons d'autres propositions.
Je persiste à penser que la notion de « défaut qui s'est révélé... » n'est pas pertinente sur le plan juridique. Mme le ministre a apporté un certain nombre de précisions ; je pense que je reprendrai dans leur intégralité certaines des phrases qu'elle a prononcées. C'est pourquoi, en cet instant, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 20 est retiré.
Qu'en est-il de l'amendement n° 23, monsieur Marini ?
M. Philippe Marini. Je le retire également, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 23 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 9 rectifié, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 12 bis , ainsi modifié.

(L'article 12 bis est adopté.)

Article 13



M. le président.
« Art. 13. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-12 ainsi rédigé :
« Art. 1386-12. - La responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d'une personne dont la victime est responsable.
« Constitue une faute de la victime l'utilisation du produit dans des conditions anormales qui n'étaient pas raisonnablement prévisibles par le producteur. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 10 est présenté par M. Fauchon, au nom de la commission.
L'amendement n° 21 est proposé par M. Hyest.
Tous deux tendent à supprimer le second alinéa du texte présenté par l'article 13 pour insérer un article 1386-12 dans le code civil.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 10.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cet amendement est un exemple intéressant de la sagesse de la commission des lois, ce que j'ai appelé tout à l'heure son double sens de la responsabilité.
L'article 1386-12 du code civil, tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale, dispose que : « la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d'une personne dont la victime est responsable.
« Constitue une faute de la victime l'utilisation du produit dans des conditions anormales qui n'étaient pas raisonnablement prévisibles par le producteur. »
On m'a fait observer qu'il existe des conditions qui ne sont pas raisonnablement prévisibles et contre lesquelles le producteur ne peut rien faire. Prenons l'exemple d'une personne qui conduit un véhicule équipé de pneus à moitié gonflés certes, le producteur peut le prévoir, mais il ne peut l'empêcher.
Dans un premier temps, nous avions pensé retenir la notion de « conditions inévitables pour le producteur », ce qui paraissait raisonnable.
Mais il m'a semblé - je rejoins ici la philosophie déjà exprimée sans succès, hélas ! par M. Jean-Marie Girault et par moi-même, selon laquelle il faut s'en rapporter à la sagesse des tribunaux et qu'il est inutile de chercher à définir la faute de la victime, car nous n'y parviendrons pas - il m'a semblé, disais-je, que mieux vaut supprimer cet alinéa et ne laisser subsister que la notion de faute de la victime, étant entendu que, comme cela figure dans le texte, le juge pourra apprécier si elle est de nature à réduire ou à supprimer la responsabilité du producteur.
C'est dans cet esprit que nous avons présenté cet amendemment. On pourra observer que la commission a adopté une démarche qui prouve son sens de l'équilibre.
M. le président. La parole est à M. Hyest, pour défendre l'amendement n° 21.
M. Jean-Jacques Hyest. M. le rapporteur a expliqué mieux que je n'aurais su le faire les motifs pour lesquels cet ajout de l'Assemblée nationale paraît dangereux. Mieux vaut laisser à la jurisprudence le soin de préciser ce qui constitue une faute de la victime.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 10 et 21 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis favorable sur ces deux amendements identiques, qui visent à supprimer la définition de la faute de la victime. Cette position est sage. Une telle démarche, qui n'est pas usuelle dans le droit de la responsabilité, pourrait en effet être perçue comme réductrice au sens où elle figerait une notion alors que l'objectif recherché est, au contraire, de souligner la diversité des situations.
M. le président. Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 10 et 21, acceptés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix l'article 13, ainsi modifié.

(L'article 13 est adopté.)

Article 14



M. le président.
« Art. 14. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-13 ainsi rédigé :
« Art. 1386-13. - La responsabilité du producteur envers la victime n'est pas réduite par le fait d'un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage. » - (Adopté.)

Article 15



M. le président.
L'article 15 a été supprimé par l'Assemblée nationale.

Article 16



M. le président.
« Art. 16. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-15 ainsi rédigé :
« Art. 1386-15. Les clauses qui visent à écarter ou à limiter la responsabilité du fait des produits défectueux sont interdites et réputées non écrites.
« Toutefois, pour les dommages causés aux biens qui ne sont pas utilisés par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privée, les clauses stipulées entre les personnes agissant à titre professionnel sont valables, à moins qu'elles n'apparaissent imposées à l'un des contractants par un abus de la puissance économique de l'autre et confèrent à ce dernier un avantage excessif. »
Par amendement n° 11, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, après les mots : « les clauses stipulées », de rédiger comme suit la fin du second alinéa du texte présenté par cet article pour insérer un article 1386-15 dans le code civil : « entre professionnels sont valables. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous retrouvons ici une démarche qui rappelle un peu celle que nous avions adoptée s'agissant de la définition de la faute de la victime.
Le texte proposé pour l'article 1386-15 concerne « les clauses qui visent à écarter ou à limiter la responsabilité du fait des produits défectueux », prévoyant, ce qui est habituel, qu'elles « sont interdites et réputées non écrites ».
Cependant, le texte proposé pour le second alinéa est ainsi rédigé : « Toutefois, pour les dommages causés aux biens qui ne sont pas utilisés par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privée, les clauses stipulées entre les personnes agissant à titre professionnel sont valables, à moins qu'elles n'apparaissent imposées à l'un des contractants par un abus de la puissance économique de l'autre et confèrent à ce dernier un avantage excessif. »
Nous croyons que, s'agissant des relations entre les professionnels, la notion de puissance excessive de l'une des parties sur l'autre, qui se comprend dans les relations entre consommateurs et producteurs - c'est la théorie des clauses abusives - n'a pas lieu d'être.
En vérité, je suis même réservé - nous reviendrons peut-être sur ce point lors de la deuxième lecture - sur le caractère admissible des clauses entre les professionnels. Cela ne me paraît pas tellement évident. J'ai peur que l'on n'ouvre un contentieux difficile, notamment sur le point de savoir s'il s'agit de biens qui ne sont pas utilisés par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés. Quelle discussion sur l'utilisation privée principale des biens !
Mais, la commission ne m'ayant pas mandaté pour revenir sur cet alinéa, je propose donc simplement de modifier la rédaction de la fin du texte proposé pour le second alinéa de l'article 1386-15 afin d'en rester à une formulation générale qui reconnaît simplement la validité des clauses stipulées entre les professionnels, laissant à la jurisprudence le soin d'apprécier.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
Le texte de transposition de la directive ne vise qu'à régir les rapports entre les professionnels et les consommateurs. Il n'y a donc pas lieu d'aborder la question des clauses contractuelles relatives à la responsabilité dans les relations entre les professionnels. De toute façon, il me paraît difficile d'introduire dans les contrats entre professionnels un mécanisme conçu pour les rapports entre les professionnels et les consommateurs, par définition inégalitaires, alors qu'il n'en est pas en principe de même, me semble-t-il, entre les professionnels.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 11, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 16, ainsi modifié.

(L'article 16 est adopté.)

Article 17



M. le président.
« Art. 17. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-16 ainsi rédigé :
« Art. 1386-16 . - Sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions du présent titre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n'ait engagé une action en justice. »
Par amendement n° 30, Mme Terrade, M. Pagès et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le texte présenté par cet article pour l'article 1386-16 du code civil, de remplacer les mots : « dix ans » par les mots : « trente ans ».
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Cet amendement répond à la même logique que l'amendement n° 29, que nous avions déposé à l'article 12 bis , et concerne les délais de prescription pour mettre en cause la responsabilité du producteur. Pour les mêmes raisons, nous vous demandons de l'adopter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission comprend le souci qui a animé le groupe communiste républicain et citoyen. Mais ce texte n'est pas raisonnable : il va trop loin. Compte tenu du rythme de la vie moderne, les choses doivent s'arrêter ; elles peuvent difficilement durer trente ans.
De toute façon, nous sommes en présence d'une directive qui s'impose. Nous n'avons pas le choix à cet égard. La commission, comme sur tous les autres points qui relèvent de la directive, est obligée de demander au Sénat de respecter ce texte qu'il s'agit de transposer. Elle émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 30.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement ne peut pas être favorable à cet amendement, car le délai de trente ans est contraire au texte même de la directive.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 30, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 17.

(L'article 17 est adopté.)

Article 18



M. le président.
« Art. 18. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-17 ainsi rédigé :
« Art. 1386-17 . - L'action en réparation fondée sur les dispositions du présent titre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur. » (Adopté.)

Article 19



M. le président.
« Art. 19. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-18 ainsi rédigé :
« Art. 1386-18 . - Les dispositions du présent titre ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité.
« Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.
« Cependant, après la mise en circulation du produit défectueux, la responsabilité du producteur ne peut plus être recherchée à raison de la garde du produit. »
Par amendement n° 12, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer le dernier alinéa du texte présenté par cet article pour insérer un article 1386-18 dans le code civil.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous demandons la suppression d'un alinéa un peu singulier.
Alors que le maintien du droit commun est prévu, cet alinéa vise à supprimer la notion de garde, qui en est l'un des éléments essentiels ! On ne peut quand même pas supprimer cette notion sans réflexion et sans explication ! En effet, cela reviendrait à donner un coup de pied dans un système juridique dont on nous a dit tout à l'heure qu'il était maintenu. C'est une bizarrerie.
Mais nous savons que, à l'Assemblée nationale, les choses se sont passées beaucoup plus rapidement qu'ici ! Dans ces conditions, nous demandons au Sénat d'écarter le dernier alinéa de l'article 19, qui aurait un effet perturbateur et des conséquences difficiles à prévoir mais certainement assez fâcheuses.
Certains disent que la notion de garde est périmée et que l'on pourrait peut-être s'en débarrasser. C'est possible.
Mais, dans l'état actuel de notre droit, cela ne me paraît pas raisonnable. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé de ne pas bousculer celui-ci.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je comprends que la commission ne veuille pas voir apporter de restriction au principe dit « du cumul des responsabilités », qui laisse à la victime le choix entre les différents régimes de responsabilité applicables aux producteurs résultant du droit en vigueur ou de la directive.
La commission considère que la rédaction de l'alinéa qu'il est proposé de supprimer empêche les victimes de se prévaloir de la responsabilité fondée sur la garde de la chose. Je ne crois pas que cet alinéa aboutirait à une telle conséquence.
Pourtant, une lecture rapide de cet alinéa pourrait effectivement laisser penser que la responsabilité de l'un quelconque des membres de la chaîne de distribution ne peut plus être recherchée sur le fondement de l'article 1384 du code civil posant le principe de la responsabilité du gardien. Ce serait alors une régression de la protection de la victime. C'est la raison pour laquelle je me rallie à la proposition de la commission.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 12, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix l'article 19, ainsi modifié.

(L'article 19 est adopté.)

Article 20



M. le président.
« Art. 20. - Les dispositions du titre IV bis du livre III du code civil sont applicables aux produits dont la première mise en circulation est postérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, même s'ils ont fait l'objet d'un contrat antérieur. »
Par amendement n° 26, le Gouvernement propose, dans cet article, de supprimer le mot : « première ».
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer lors de la discussion de l'amendement n° 3 de la commission à l'article 6, la sécurité juridique impose qu'un produit fasse l'objet d'une seule mise en circulation. Or le terme « première » laisse entendre qu'il y a d'autres mises en circulation. Telle est la raison du dépôt de cet amendement.
J'en profite pour préciser à M. le rapporteur mon raisonnement sur la question du délai, point sur lequel il est longuement intervenu ce matin.
La directive a entendu faire de l'existence d'un délai de garantie raisonnable la contrepartie de la responsabilité objective créée à l'encontre du producteur. C'est pourquoi elle a fixé à dix ans à compter de la mise en circulation du produit la durée de cette responsabilité en référence au caractère consomptible des biens de consommation qui s'usent avec le temps.
Admettre qu'il y a une nouvelle mise en circulation à chaque fois qu'un des membres de la chaîne de distribution se désaisit du produit entre les mains d'un autre conduit à reculer le point de départ du délai de dix ans et donc à allonger d'autant celui-ci, contrairement à l'objectif de la directive.
Cela conduit également à rendre incertain le point de départ de la durée de la responsabilité à l'égard du consommateur, qui est dans l'impossibilité de connaître le déroulement du processus de distribution. Or la sécurité juridique impose que les délais de responsabilité soient fixés objectivement.
Voilà les précisions que je voulais apporter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La notion de mise en circulation unique a été exclue par l'adoption de l'amendement n° 3 à l'article 6.
Je ne répondrai pas sur le fond, madame le ministre, mais j'ai déjà fait observer que le délai de dix ans n'est tout de même pas très long. Dans notre droit commun, il s'agit de dix ans à compter du dommage tandis que, en l'occurrence, c'est dix ans à compter de la mise en circulation.
Or, en province, un produit sorti de l'usine, par exemple en 1990, peut être vendu finalement en 1998. Pitié pour l'utilisateur qui n'a plus que deux ans pour exercer son recours !
La disposition votée tout à l'heure me paraît tout à fait raisonnable. Il y aura des mises en circulation successives et donc une première mise en circulation.
C'est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 26.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 26, repoussé par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 20, ainsi modifié.

(L'article 20 est adopté.)
M. Jean-Jacques Hyest. C'est incohérent !
M. le président. Effectivement ! Mais ce ne sera pas la première fois qu'il y a une incohérence dans un texte de loi !

Article 21



M. le président.
« Art. 21. - Il est inséré, après l'article 1641 du code civil, un article 1641-1 ainsi rédigé :
« Art. 1641-1. - L'acheteur doit prouver que le défaut existait au moment de la fourniture de la chose.
« Lorsqu'il est stipulé une garantie conventionnelle, le défaut qui se révèle dans le délai de cette garantie est présumé, sauf preuve contraire, avoir existé au moment de la fourniture.
« En l'absence d'une telle garantie, cette présomption joue pendant un an à compter de la fourniture.
« La présomption n'a pas lieu dans les ventes entre personnes agissant à titre professionnel. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 13, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
Par amendement n° 31, Mme Terrade, M. Pagès et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le troisième alinéa du texte présenté par l'article 21 pour l'article 1641-1 du code civil, de remplacer les mots : "un an" par les mots : "deux ans".
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 13.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. A ce point du débat, nous en venons, après un vote quelque peu décourageant, à des sujets que je me réjouis de ne pas avoir à aborder. En effet, la commission des lois considère que les articles 21, 22, 23 et 24, sur lesquels je ne reviendrai pas tout à l'heure, sont hors sujet puisqu'ils concernent la garantie de la chose vendue.
Sur ce point, il y a certes des choses à dire et à faire. Je pense notamment au bref délai pour les vices cachés, qui constitue à la fois l'une des pommes de discorde de notre jurisprudence et une source de difficultés fâcheuses. L'un des articles vise d'ailleurs à y remédier en fixant ce délai à un an. Il serait effectivement souhaitable et même urgent de s'engager dans cette voie.
Cependant, dans sa sagesse, la commission des lois a considéré qu'il s'agissait ici de transposer la directive du 25 juillet 1985, et qu'il n'était donc pas raisonnable d'entrer dans une autre voie. Compte tenu du vote qui vient d'intervenir, je me réjouis d'ailleurs de ne pas avoir à ouvrir un débat sur les articles qui suivent...
Nous attendons maintenant la nouvelle directive qui, d'après les informations dont je dispose, doit être adoptée à Bruxelles par les ministres compétents au mois d'avril. Cette nouvelle directive donnera lieu elle-même à une transposition qui, je l'espère, interviendra plus vite que l'actuelle transposition concernant la sécurité des produits. Nous pourrons donc reprendre ce débat dans de meilleures conditions lorsque nous examinerons la directive relative à la vente, au suivi de la vente, et particulièrement aux vices cachés.
M. le président. La parole est à Mme Terrade, pour défendre l'amendement n° 31.
Mme Odette Terrade. Porter le délai de présomption à deux ans au lieu d'un an nous paraît plus adapté et plus favorable au consommateur.
Parallèlement, ce délai de deux ans aura pour effet d'inciter les professionnels à augmenter la durée de la garantie contractuelle et conduira ceux qui proposent des garanties supérieures à ne pas être tentés de les réduire.
Ainsi, nous contribuons à renforcer la protection du consommateur sans astreindre le producteur outre mesure.
Cet amendement a donc, pensons-nous, toutes les chances d'obtenir votre approbation, mes chers collègues ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement accepte l'amendement n° 13.
En revanche, il est défavorable à l'amendement n° 31, car - je l'ai dit dans mon propos introductif - il me paraît prématuré d'aborder la question de la garantie du vendeur de biens de consommation en raison des discussions qui ont actuellement lieu à Bruxelles sur ce sujet.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 13.
Mme Odette Terrade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Nous sommes opposés par principe au fait d'attendre l'adoption d'une directive européenne pour commencer à légiférer.
Ce n'est pas à la législation française de s'adapter par le bas à la réglementation européenne, mais à celle-ci de tenir compte des juridictions nationales pour les tirer vers le haut.
Nous souhaitons qu'il y ait un vote sur le fond sur l'article 21 et sur chacun des articles suivants, quitte à les amender, comme nous souhaitons le faire de cet article 21.
Nous ne pouvons donc pas être favorables aux amendements de suppression des articles 21 à 24.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 13, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 21 est supprimé et l'amendement n° 31 n'a plus d'objet.

Article 22



M. le président.
« Art. 22. - Il est inséré, après l'article 1644 du code civil, un article 1644-1 ainsi rédigé :
« Art. 1644-1. - Lorsque la vente a été faite par un vendeur professionnel, l'acheteur a le choix d'exiger soit le remboursement du prix contre la restitution du produit, soit la diminution du prix, soit, à moins que cela ne soit manifestement déraisonnable, la réparation du produit, sauf si le vendeur offre de le remplacer, ou le remplacement du produit.
« Toutefois, l'acheteur ne peut exiger le remboursement du prix, ni le remplacement du produit, s'il s'est mis, sans motif légitime, dans l'impossibilité de restituer ce dernier. »
Par amendement n° 14, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous sommes dans la même situation, monsieur le président, et il en sera de même pour les amendements n°s 15 et 16 visant les articles 23 et 24.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Même avis que précédemment.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 14, accepté par le Gouvernement.
Mme Odette Terrade. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 22 est supprimé.

Article 23

M. le président. « Art. 23. - Le premier alinéa de l'article 1648 du code civil est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Le droit de se prévaloir d'un vice est prescrit si l'acheteur n'a pas fait connaître ce vice au vendeur dans un délai d'un an à partir du moment où il l'a constaté ou aurait dû le constater.
« Toutefois, cette durée peut être modifiée entre vendeurs professionnels par les usages ou la convention des parties. »
Par amendement n° 15, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
La commission et le Gouvernement se sont déjà exprimés sur cet amendement.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 15, accepté par le Gouvernement.
Mme Odette Terrade. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 23 est supprimé.

Article 24

M. le président. « Art. 24. - L'article 1649 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 1649. - La garantie n'a pas lieu dans les ventes imposées par une décision de justice. »
Par amendement n° 16, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
La commission et le Gouvernement se sont déjà exprimés sur cet amendement.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 16, accepté par le Gouvernement.
Mme Odette Terrade. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 24 est supprimé.

Article 25



M. le président.
« Art. 25. - La présente loi est applicable dans les territoires d'outre-mer et dans la collectivité territoriale de Mayotte, à l'exception du dernier alinéa de l'article 7. » - (Adopté.)

Article 26



M. le président.
« Art. 26. - L'article 4 de la loi n° 67-3 du 3 janvier 1967 relative aux ventes d'immeubles à construire et à l'obligation de garantie à raison des vices de construction, les articles 1er, 2 et 3 de la loi n° 78-12 du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l'assurance dans le domaine de la construction et les articles 1601-1 à 1601-4, 1642-1, 1646-1, 1792-1 à 1792-6 du code civil sont applicables dans les territoires de la Nouvelle-Calédonie, des îles Wallis-et-Futuna et dans la collectivité territoriale de Mayotte. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 33, le Gouvernement propose, dans cet article, de supprimer les mots : « dans les territoires de la Nouvelle-Calédonie, des îles Wallis-et-Futuna et ».
Par amendement n° 22, M. Hyest propose, dans cet article, de supprimer les mots : « de la Nouvelle-Calédonie, ».
La parole est à Mme le garde des sceaux, pour défendre l'amendement n° 33.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, je préférerais que M. Hyest présente d'abord son amendement n° 22.
M. le président. La parole est à M. Hyest, pour défendre l'amendement n° 22.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, en fait, j'aurais dû proposer la suppression de l'article 26.
Nous examinons actuellement un texte qui concerne les produits défectueux. L'étendre au régime des ventes d'immeubles à construire ne me semble pas souhaitable. On peut, certes, tout faire, mais cela ne me paraît pas de bonne législation.
De nombreuses ordonnances devant être prises s'agissant des territoires d'outre-mer, cette disposition me semble y avoir plus sa place.
Je voterai donc contre l'article 26.
M. le président. Je vous redonne la parole, madame le garde des sceaux, pour défendre l'amendement n° 33.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je ne serais pas opposée à la suppression pure et simple de l'article 26.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce serait bien plus simple !
M. le président. Souhaitez-vous, madame le garde des sceaux, modifier votre amendement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Oui, monsieur le président : je le transforme en amendement de suppression.
M. le président. Il s'agit donc de l'amendement n° 33 rectifié.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 33 rectifié et 22 ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. L'article 26 résultant d'un amendement présenté par le Gouvernement à l'Assemblée nationale, la commission souhaitait connaître l'avis de Mme le garde des sceaux sur ce point.
Nous sommes maintenant en présence du Nouveau Testament, si j'ose dire, qui diverge en l'occurrence de l'Ancien Testament. (Sourires.)
La commission propose donc au Sénat de statuer dans sa sagesse sur cette proposition de suppression de l'article 26.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 33 rectifié, pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 26 est supprimé et l'amendement n° 22 n'a plus d'objet.

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Terrade pour explication de vote.
Mme Odette Terrade. Le texte final tel qu'il a été amendé par notre assemblée marque un progrès dans la protection du consommateur sur certains aspects, mais contitue une véritable régression de notre droit actuel sur des questions qui nous paraissent déterminantes.
Je pense ici, bien entendu, à l'introduction des éléments et produits du corps humain dans le champ de la définition du produit au titre de l'article 1386-3 du code civil.
Nous considérons que la volonté du législateur de confondre les produits du corps humain avec les autres types de produits peut donner lieu à des dérives inacceptables et atténuer sensiblement la protection des consommateurs.
J'insisterai également sur la volonté, exprimée ici, d'exonérer le producteur de la responsabilité des risques de développement, contre l'avis même du rapporteur et de la commission des lois du Sénat.
On transfère, de fait, la charge du risque de développement sur le consommateur alors que le producteur peut instrumentaliser les études scientifiques à son avantage.
Enfin, au nom du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que de l'ensemble des associations de consommateurs de notre pays, je regrette que le Sénat n'ait pas adopté nos différents amendements relatifs au délai de prescription à l'occasion de la discussion des articles 12 bis et 17 ; de même, le délai de présomption n'a pas été porté à deux ans, comme nous le proposions, lorsqu'il n'existe pas de garantie contractuelle.
Je l'ai dit dans la discussion générale et je le répète, notre appréciation globale se fonde sur l'état actuel de notre législation et non par rapport aux dispositions de la directive n° 85-374.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre la présente proposition de loi, car elle comporte des éléments qui tendent à menacer le niveau actuel de protection des consommateurs.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

5

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
CONSTITUTIONNELLE

M. le président. J'ai reçu de M. Claude Huriet une proposition de loi constitutionnelle tendant à garantir la stabilité du régime électoral des assemblées parlementaires et des assemblées des collectivités territoriales.
La proposition de loi constitutionnelle sera imprimée sous le numéro 277, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

6

DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. Jean Pourchet une proposition de loi visant à supprimer la répartition intercommunale des dépenses de fonctionnement des écoles publiques accueillant des enfants de plusieurs communes.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 271, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Bernard Barraux une proposition de loi visant à diminuer le taux de la contribution sociale généralisée applicable aux indemnités des élus locaux non affiliés au régime général de la sécurité sociale.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 272, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. André Egu une proposition de loi visant à accorder aux collectivités territoriales le remboursement de la TVA sur leurs dépenses de fonctionnement.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 273, distribuée et renvoyée à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Philippe Arnaud une proposition de loi tendant à organiser le remboursement immédiat de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) aux collectivités territoriales.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 274, distribuée et renvoyée à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Alphonse Arzel une proposition de loi visant à baisser le taux de recouvrement de la surcompensation versée par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 275, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Alain Joyandet une proposition de loi tendant à utiliser partiellement les cotisations d'assurance chômage dues par les employeurs au titre de l'article L. 351-3-1 du code du travail pour recruter des personnes visées par l'article L. 351-1 du code du travail.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 278, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

7

DÉPÔT D'UN RAPPORT

M. le président. J'ai reçu de M. François Lesein, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la sécurité et à la promotion d'activités sportives.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 276 et distribué.

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ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 10 février 1998, à neuf heures trente et à seize heures.
1. Discussion des conclusions du rapport (n° 314, 1995-1996) de M. Jean-Paul Delevoye, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi (n° 239, 1995-1996), de MM. Serge Vinçon, Michel Alloncle, Louis Althapé, Jean Bernard, Roger Besse, Paul Blanc, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Robert Calmejane, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Jacques Chaumont, Jean-Patrick Courtois, Désiré Debavelaere, Philippe de Gaulle, Luc Dejoie, Jacques Delong, Charles Descours, Michel Doublet, Alain Dufaut, Patrice Gélard, Alain Gérard, Daniel Goulet, Georges Gruillot, Bernard Hugo, Jean-Paul Hugot, Roger Husson, André Jourdain, Alain Joyandet, Edmond Lauret, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Pierre Martin, Mme Nelly Olin, MM. Charles Pasqua, Alain Pluchet, Victor Reux, Roger Rigaudière, Michel Rufin, Jean-Pierre Schosteck, Maurice Schumann, Louis Souvet et Jacques Valade tendant à autoriser les élus des communes comptant 3 500 habitants au plus à conclure avec leur collectivité des baux ruraux.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 9 février 1998, à dix-sept heures.
2. Discussion des conclusions du rapport (n° 20, 1997-1998) de M. Daniel Hoeffel, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur :
- la proposition de loi (n° 151, 1996-1997) de M. Nicolas About tendant à modifier les dispositions du code civil relatives à la prestation compensatoire en cas de divorce ;
- et la proposition de loi (n° 400, 1996-1997) de MM. Robert Pagès, Michel Duffour, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mmes Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Guy Fischer, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Mme Hélène Luc, MM. Louis Minetti, Jack Ralite, Ivan Renar et Mme Odette Terrade relative à l'attribution de la prestation compensatoire en cas de divorce.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 9 février 1998, à dix-sept heures.
3. Discussion de la proposition de loi (n° 185, 1997-1998), adoptée par l'Assemblée nationale, permettant aux organismes d'habitations à loyer modéré d'intervenir sur le parc locatif privé en prenant à bail des logements vacants pour les donner en sous-location.
Rapport (n° 262, 1997-1998) de M. Gérard Braun, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 9 février 1998, à dix-sept heures.

Délai limite pour le dépôt des amendements

Projet de loi relatif à l'application de la convention du 13 janvier 1993 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction (n° 291, 1996-1997).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 10 février 1998, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





NOMINATION DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGE`RES,
DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES

M. André Rouvière a été nommé rapporteur du projet de loi n° 258 (1997-1998) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Cuba sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un protocole).
M. Daniel Goulet a été nommé rapporteur du projet de loi n° 259 (1997-1998) autorisant la ratification de l'accord-cadre de coopération destiné à préparer, comme objectif final, une association à caractère politique et économique entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République du Chili, d'autre part (ensemble une annexe).

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mme Nicole Borvo a été nommée rapporteur de sa proposition de loi n° 122 (1997-1998) relative à l'assurance contre le risque de non-paiement des cotisations des employeurs au régime général de la sécurité sociale.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Délais de paiement appliqués aux produits cuisinés

186. - 5 février 1998. - M. Yann Gaillard attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les délais de paiement appliqués aux plats cuisinés et aux conserves. Il apparaît en effet anormal que les industriels soient assujettis à un délai de paiement de 30 jours (art. 35 nouveau de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifié par la loi n° 92-1442 du 31 décembre 1992 et par la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996) pour les produits périssables à partir desquels ils produisent des plats cuisinés et ne soient payés qu'à un délai compris entre 120 et 150 jours par les centrales de restauration hors foyer et les distributeurs qui revendent ces produits. Il apparaît clairement que dans cette situation les industriels jouent un rôle de banquier à l'égard de leurs clients, ce qui ne se justifie pas. Il serait donc normal, aux yeux de ces industriels, d'aligner les conditions de l'épicerie (conserves de légumes, de viande, plats cuisinés...) sur celles des produits frais. Il lui demande donc ce qu'il compte faire pour rétablir une certaine logique et une certaine équité dans ce domaine et ne soit pas tenté d'exercer en plus une activité d'organisme financier.

Statut des animateurs de la mission d'insertion
de l'éducation nationale

187. - 5 février 1998. - M. Yann Gaillard attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie sur le statut des animateurs de la mission d'insertion de l'éducation nationale. Mise en place en 1986 pour accompagner pendant un an les jeunes en rupture scolaire et/ou sociale, la mission d'insertion doit, comme le précise un Bulletin officiel de mars 1992, leur permettre de faire le point sur leur situation hors du cadre scolaire et choisir, avec l'aide de l'équipe éducative, la voie la plus appropriée à la concrétisation de leur démarche d'entrée dans la vie active. Les animateurs-formateurs au nombre de 700 au total - 17 sur l'académie de Reims - ont été embauchés sous contrats à durée déterminée renouvelables. Or depuis près de douze ans maintenant leur statut n'a pas évolué. Précarité, angoisse du non-renouvellement, de la suppression de budget, tel est le lot de ces contractuels spécialistes de l'insertion. En 1993, les animateurs se sont vu appliquer une grille indiciaire, signe encourageant allant dans le sens d'une amélioration de la situation pensait-on alors, mais depuis septembre 1997, cette grille a été supprimée. Il lui demande donc de bien vouloir examiner les revendications légitimes de ces personnels : titularisation et mise en place d'une véritable évolution de carrière. Ces mesures semblent d'ailleurs s'inscrire dans les priorités du Gouvernement : lutte contre la précarité, aide à l'émergence de nouveaux métiers et efforts en faveur de l'insertion.