SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Elargissement de l'Union. - Discussion d'une question orale avec débat portant sur un sujet européen (p. 1 ).
MM. Nicolas About, auteur de la question ; Jacques Genton, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne ; Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères ; Claude Estier, Christian de La Malène, Denis Badré, François Lesein, Jean-Luc Bécart.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.
Clôture du débat.

3. Protection des personnes surendettées en cas de saisie immobilière. - Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture (p. 2 ).
Discussion générale : MM. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement ; Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois ; Robert Pagès, Michel Dreyfus-Schmidt.
Clôture de la discussion générale.

Article 1er. - Adoption (p. 3 )

Article 1er bis (supprimé) (p. 4 )

Amendement n° 2 rectifié de M. Pagès. - MM. Robert Pagès, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Guy Allouche. - Rejet.
L'article demeure supprimé.

Article 2. - Adoption (p. 5 )

Article 3 bis (p. 6 )

Amendements identiques n°s 1 du Gouvernement et 3 de M. Pagès. - MM. le secrétaire d'Etat, Robert Pagès, le rapporteur, Guy Allouche. - Rejet des amendements.
Adoption de l'article.

Article 4. - Adoption (p. 7 )

Vote sur l'ensemble (p. 8 )

M. Guy Allouche.
Adoption de la proposition de loi.

Suspension et reprise de la séance (p. 9 )

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

4. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Burkina Faso (p. 10 ).

5. Questions d'actualité au Gouvernement (p. 11 ).

INSCRIPTION D'OFFICE
DES JEUNES SUR LES LISTES ÉLECTORALES (p. 12 )

MM. Jean Clouet, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

ACTIONS À MENER POUR PRÉVENIR
LES VIOLENCES URBAINES (p. 13 )

M. François Lesein, Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire.

RÉPONSES AU MOUVEMENT DES CHÔMEURS (p. 14 )

Mmes Hélène Luc, Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

VIOLENCES URBAINES (p. 15 )

MM. Joseph Ostermann, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

DROIT À L'EMPLOI (p. 16 )

M. Jean-Luc Mélenchon, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

SITUATION DE LA COMMUNAUTÉ HARKIE (p. 17 )

M. Michel Bécot, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L'ÉTRANGER (p. 18 )

MM. André Maman, Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie.

CONSÉQUENCES DE LA CRISE ASIATIQUE (p. 19 )

MM. Joël Bourdin, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

RÉVISION CONSTITUTIONNELLE (p. 20 )

MM. Serge Vinçon, Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.

POLITIQUE DE LA VILLE (p. 21 )

M. Pierre Mauroy, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

AMÉNAGEMENT DU RÉSEAU TGV
DANS LE DOUBS ET DANS LE JURA (p. 22 )

MM. Jean Pourchet, Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement.

PRÉSIDENCE DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT

6. Diminution des risques sanitaires liés à l'exposition à la musique amplifiée. - Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission (p. 23 ).
Discussion générale : MM. Jean-Louis Lorrain, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé ; Mme Dinah Derycke, M. Jean-Luc Bécart.
Clôture de la discussion générale.

Article 1er. - Adoption (p. 24 )

Article 2 (p. 25 )

M. le rapporteur.
Adoption de l'article.

Article 3 (p. 26 )

Amendement n° 1 du Gouvernement. - MM. le secrétaire d'Etat, le rapporteur. - Adoption.
Amendement n° 2 du Gouvernement. - M. le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Adoption de l'article modifié.

Intitulé (p. 27 )

Vote sur l'ensemble (p. 28 )

MM. Emmanuel Hamel, le secrétaire d'Etat, Mme Anne Heinis.
Adoption de la proposition de loi.

7. Communication du Gouvernement (p. 29 ).

Suspension et reprise de la séance (p. 30 )

8. Dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse aux oiseaux migrateurs. - Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission (p. 31 ).
Discussion générale : Mme Anne Heinis, rapporteur de la commission des affaires économiques ; MM. Roland du Luart, Jean-Louis Carrère, Pierre Lefebvre, Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Clôture de la discussion générale.

Article unique (p. 32 )

Amendement n° 1 rectifié de M. du Luart. - M. Roland du Luart, Mmes le rapporteur, le ministre, MM. Philippe François, Jacques Habert, Jean-Louis Carrère. - Adoption.
Adoption de l'article unique modifié.

Articles additionnels après l'article unique (p. 33 )

Amendement n° 2 de M. Lefebvre. - M. Pierre Lefebvre, Mmes le rapporteur, le ministre, M. Jacques Habert. - Rejet.
Amendement n° 3 de M. Lefebvre. - M. Pierre Lefebvre. - Retrait.

Intitulé (p. 34 )

M. le président, Mme le rapporteur.

Vote sur l'ensemble (p. 35 )

MM. Roland du Luart, Pierre Lefebvre, Jean-Louis Carrère, Philippe François, Jacques Habert, Mme le rapporteur.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi.

9. Transmission d'une proposition de loi (p. 36 ).

10. Dépôt d'un avis (p. 37 ).

11. Ordre du jour (p. 38 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

ELARGISSEMENT DE L'UNION

Discussion d'une question orale avec débat
portant sur un sujet européen

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat portant sur un sujet européen suivante :
M. Nicolas About interroge M. le ministre délégué chargé des affaires européennes sur les conséquences des décisions prises par le Conseil européen de Luxembourg en ce qui concerne l'élargissement de l'Union.
Il lui demande comment sont évaluées les répercussions de ces décisions sur les différents pays candidats et quelles précisions ont été apportées concernant le financement de l'élargissement ainsi que la réforme des institutions européennes.
Il lui demande également quelles seront les missions de la Conférence européenne qui associera les Etats membres et tous les pays candidats à l'adhésion. (N° QE 3.)
Je rappelle au Sénat que, dans un tel débat, ont droit à la parole, outre l'auteur de la question et le Gouvernement, un représentant de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, un représentant de la commission permanente compétente et un représentant de chaque groupe.
Chaque orateur dispose d'un temps de parole de dix minutes et il n'y a pas de droit de réponse au Gouvernement.
La parole est à M. About, auteur de la question.
M. Nicolas About. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la préparation du Conseil européen de Luxembourg a donné lieu à un débat non seulement au sein du Parlement européen mais encore au sein des parlements de la plupart des pays membres de l'Union.
Ce débat faisait suite aux propositions de la Commission européenne tendant à ouvrir des négociations d'adhésion avec cinq des dix pays candidats d'Europe centrale et orientale ainsi que avec Chypre, et donc à ajourner l'ouverture des négociations avec les cinq autres pays candidats.
Cette approche de la Commission a suscité de sérieuses réserves tant chez les parlementaires européens que chez beaucoup de parlementaires nationaux. Les inquiétudes portaient sur le risque de voir se constituer deux groupes de pays, les « élus et les « ajournés », entre lesquels un fossé durable était susceptible de se creuser, aboutissant à recréer une ligne de partage au centre même de l'Europe, à l'image de ce qu'avait induit la méthode adoptée par les Américains pour l'extension de l'OTAN.
Beaucoup de parlementaires plaidaient, en conséquence, pour une conception du processus d'élargissement permettant d'englober tous les pays candidats d'Europe centrale, même si, à l'évidence, certains pays étaient destinés à rejoindre l'Union beaucoup plus rapidement que d'autres. Telle était, en particulier, la position exprimée par la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Le Conseil européen a fait droit, au moins en partie, aux préoccupations parlementaires. La solution retenue donne, certes, priorité aux six candidatures - ou, si l'on veut, aux « cinq plus une » - retenues par la Commission, mais un effort manifeste est fait pour éviter la formation de deux groupes.
Le processus d'élargissement, tel qu'il a été lancé par le Conseil européen, englobe les onze candidatures et leur applique à toutes l'article relatif aux adhésions du traité sur l'Union européenne, c'est-à-dire l'article O.
Les conclusions du Conseil précisent que les onze pays « sont appelés à adhérer à l'Union européenne sur la base des mêmes critères et qu'ils participent aux mêmes conditions au processus d'adhésion ». Dans ce sens, une stratégie dite de « pré-adhésion renforcée » est définie, au profit de tous les pays candidats ; elle s'exprime, notamment, dans la mise en place de « partenariats pour l'adhésion » adaptés à chaque pays et dans un renforcement des « aides pré-adhésion » qui seront réparties selon « le principe de l'égalité de traitement, indépendamment de la date de l'adhésion ».
Ce compromis est satisfaisant. Ce qui paraît principalement souhaitable, aujourd'hui, c'est qu'il soit pleinement appliqué, de telle sorte que, lorsque le processus d'adhésion parviendra à son terme, les solidarités de fait qui existent en Europe centrale soient respectées. A l'évidence, il est souhaitable que la Lituanie et la Lettonie puissent, le moment venu, se joindre à l'Estonie ; de même, la Slovaquie doit pouvoir rejoindre la Hongrie et la République tchèque.
Cependant, si l'on adopte ainsi une conception dynamique de l'élargissement, fondamentalement englobante même s'il y a une différenciation dans le temps, la question de la révision institutionnelle vient nécessairement au premier plan.
Or, sur ce point, les conclusions du Conseil européen sont plus que décevantes. Certes, elles réaffirment qu'il y a bien un préalable institutionnel à l'élargissement - le mot est employé - mais ce préalable est défini comme « un renforcement et une amélioration du fonctionnement des institutions conformément aux dispositions du traité d'Amsterdam ».
On s'en tient donc au protocole adopté à Amsterdam, c'est-à-dire à un préalable institutionnel de portée limitée et de faible valeur contraignante.
L'absence de tout progrès dans ce domaine, alors que le processus d'élargissement est maintenant officiellement lancé, est très inquiétante. J'observe qu'en même temps un discours se développe au sein de la Commission européenne, selon lequel les questions institutionnelles débattues lors de la Conférence intergouvernementale n'auraient pas l'importance qu'on leur avait prêtées. Seule serait vraiment nécessaire une extension des votes à la majorité qualifiée ; pour le reste, l'Union élargie pourrait fonctionner selon les règles actuelles ou avec des adaptations limitées. Ce type de discours est naturellement très bien reçu par certains « petits » Etats membres.
Une clarification est donc indispensable. Il ne suffit pas de dire qu'« une » révision institutionnelle est un préalable à l'élargissement ; il faut dire laquelle, sinon rien n'empêchera de s'en tenir à de modestes aménagements.
Le précédent gouvernement avait, quant à lui, établi un lien entre l'extension de la majorité qualifiée, la repondération des votes du Conseil et la réforme du fonctionnement de la Commission. Ce point de vue, on le sait, n'a pas triomphé à Amsterdam, mais il n'a pas non plus été officiellement abandonné par la France ; dès lors, devons-nous admettre, monsieur le ministre, que le nouveau gouvernement l'a repris à son compte ? Il est indispensable que le Gouvernement précise sa conception du préalable institutionnel.
Pour ma part, j'ai le sentiment que, dans la durée, une Union élargie ne pourra fonctionner sans évoluer vers un système de type fédéral. Je sais que ce terme reste tabou dans la classe politique française et suscite de nombreuses craintes, mais c'est conscient de cet état d'esprit que j'ai choisi de l'utiliser. « De type fédéral », cela signifie simplement une répartition claire et efficace des domaines de compétence entre les différents centres de décision de l'Union européenne, et ce dans le respect des identités nationales. Il ne s'agit donc pas, contrairement à ce que certains affirment, de renoncer à notre souveraineté.
La France ne pourra préserver cette souveraineté face aux défis de demain, tels le commerce électronique, le crime organisé, le besoin d'une politique étrangère et de défense efficace, sans cette organisation politique fédérale.
En dehors de cette voie, l'Europe des nations représente une somme de souverainetés limitées et peu crédibles sur la scène internationale.
Bien entendu, cette évolution ne pourra se faire que par étapes mais, si la première est manquée, il sera extrêmement difficile d'avancer ensuite.
Un autre sujet d'interrogation concerne l'avenir de la Conférence européenne. Cette idée d'origine française a été retenue par le Conseil européen, mais on peut aujourd'hui se demander si elle conserve sa pertinence.
L'idée de la Conférence européenne s'accordait assez bien avec les propositions initiales de la Commission : elle définissait un cadre pour une coopération entre les pays membres de l'Union et l'ensemble des pays candidats, atténuant donc la coupure entre les pays retenus pour l'ouverture de négociations d'adhésion et les autres.
En même temps, elle permettait d'associer la Turquie, sous une forme appropriée, au processus d'élargissement. Or, aujourd'hui, ce processus englobe clairement tous les pays candidats d'Europe centrale et orientale et Chypre, avec lesquels se poursuivra le « dialogue structuré » qui les associe tous à l'Union. Quant à la Turquie - j'y reviendrai - elle se tient ou est tenue pour l'instant à l'écart.
Dans ces conditions, on peut se demander quelle raison d'être subsiste pour la Conférence européenne.
Faut-il en faire une enceinte encore plus vaste, en courant le risque d'un double emploi avec le Conseil de l'Europe ? Ou faut-il admettre que, à moins d'un accord avec la Turquie, la Conférence européenne est mort-née ?
Il serait, à mes yeux, hautement souhaitable, monsieur le ministre, que vous nous aidiez à y voir plus clair sur ces points.
S'agissant de la Turquie, on a le sentiment que des maladresses ont été commises à l'égard de ce pays lors de la préparation du Conseil européen, et en disant cela, je le précise, je n'incrimine pas notre gouvernement. Toujours est-il que les relations entre l'Union et la Turquie connaissent une crise.
Je sais bien que certains de nos partenaires n'ont guère de sympathie pour la candidature de la Turquie, même à long terme. Cependant, renoncer au rapprochement avec ce pays serait, me semble-t-il, une grave erreur.
La Turquie est le seul pays musulman à avoir adopté un système politique fondé sur la laïcité, chaque jour remis en cause par les islamistes. C'est un grand pays, à l'influence grandissante en Asie centrale, une région dont l'importance stratégique et énergétique croîtra au siècle prochain.
Enfin, à l'évidence, une solution du problème chypriote, qui intéresse directement l'Europe, passe par un accord avec la Turquie, et non par une attitude de confrontation.
Laisser de côté la Turquie serait donc contraire aux intérêts européens ; ce serait laisser une influence exclusive aux Etats-Unis dans une zone charnière.
L'option de l'adhésion de la Turquie doit donc rester ouverte, d'autant qu'elle est le meilleur levier pour la modernisation de ce pays.
On peut, bien sûr, souligner le fossé qui subsiste entre la Turquie et l'Europe, mais nul n'envisage une adhésion de la Turquie à un terme rapproché. De plus, nous venons de constater que l'Histoire pouvait s'accélérer et prendre des directions inattendues. Qui aurait prévu il y a dix ans que nous serions, en ce début de 1998, en train d'organiser l'entrée des pays d'Europe centrale et orientale dans l'Europe communautaire ?
Une attitude constructive à l'égard de la Turquie est donc nettement préférable à la frilosité. Elle est en même temps le seul moyen dont nous disposons pour encourager l'ouverture économique et la démocratisation accrue dont ce pays a tant besoin. Il me paraît donc souhaitable que le Gouvernement encourage une clarification positive de la politique de l'Union à l'égard de la Turquie.
Pour terminer, j'ajouterai que, même si les conclusions du Conseil européen sont bien orientées, nombre d'interrogations et de motifs d'inquiétude subsistent. L'élargissement est lancé, mais le terrain n'est toujours pas balisé, qu'il s'agisse des institutions, du financement, ou encore des limites géographiques du processus.
Cela appelle de notre part un effort pour clarifier nos positions et pour entraîner nos partenaires. La France doit rester vigilante. Ne cédons pas à la tentation de faire de l'Europe un vaste espace économique sans réelle consistance politique et sans influence internationale !
L'Union européenne ne doit, en ces instants cruciaux pour son avenir, ni décevoir les espoirs des Européens de l'Est, ni renforcer l'euroscepticisme des Européens de l'Ouest, et elle ne doit pas non plus abandonner la dimension méditerranéenne de son projet, dont plus personne ne parle. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
M. Jacques Genton, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question que M. Nicolas About pose au Gouvernement, en accord avec la délégation du Sénat pour l'Union européenne, je me permets de le souligner, nous invite fort opportunément à nous exprimer dans le cadre d'un débat public sur les décisions prises le mois dernier par le Conseil européen en ce qui concerne l'élargissement de l'Union.
Les considérations pertinentes présentées voilà un instant par l'auteur de la question sur les conditions dans lesquelles se sont finalement déroulés et terminés les travaux me dispensent d'en reprendre l'exposé. J'essaierai plutôt d'exprimer le sentiment de ceux qui suivent attentivement le développement d'une Communauté européenne vieille déjà de quarante ans.
A juste titre, on a pu souligner qu'il importait de prendre conscience de la portée historique de ce Conseil européen de Luxembourg, qui a ouvert la porte de l'Union à onze nouveaux pays, les dix pays associés d'Europe centrale et orientale, et Chypre.
Sachons observer que cette dimension historique comporte elle-même deux aspects très différents.
Le premier aspect est réconfortant : c'est la concrétisation de la fin de la guerre froide. Le continent européen va surmonter définitivement les divisions artificielles nées de l'affrontement entre l'Est et l'Ouest, et la méthode qui est retenue pour cette grande entreprise est celle qu'avaient choisie les pays d'Europe occidentale dans les années cinquante, à savoir la méthode communautaire !
Peut-on imaginer preuve plus décisive, plus éclatante de la validité de cette méthode ?
Libérées de l'emprise soviétique, les ex-« démocraties populaires » ne se prononcent pas pour une quelconque « troisième voie » entre l'Est et l'Ouest ; ce qu'elles choisissent, c'est de se joindre au processus engagé par les Européens de l'Ouest, tant il leur paraît évident que ce processus a conduit au succès.
L'élargissement est donc, avant tout, une éminente victoire de la construction européenne. Dois-je dire, mes chers collègues, que je m'en réjouis vivement ?
Cependant, ce tournant historique comporte également un deuxième aspect, plus difficile à apprécier, qui est le changement du caractère spécifique de l'Europe communautaire.
Il est vrai que l'apparence de l'Europe s'était déjà modifiée très sensiblement lors de l'adhésion de la Grande-Bretagne, du Danemark et de l'Irlande. Mais, si l'entrée de la Grèce avait encore un peu plus éloigné la Communauté des équilibres de départ, celle de l'Espagne et du Portugal, contrairement à ce que l'on semblait redouter ici et là, l'en avait ensuite rapprochée. Soyons satisfaits d'avoir, au Sénat, contribué à favoriser l'admission des pays ibériques dans le traité de Rome.
L'élargissement à trois pays neutres, en 1995, nous a de nouveau éloignés de l'esprit initial des Communautés. Je ne suis pas convaincu d'ailleurs que, sur le moment, nous ayons bien mesuré le changement d'ambiance qu'allait entraîner le passage de douze à quinze membres.
Désormais, avec la perspective de l'adhésion dans quelques années de cinq, six, huit nouveaux pays, l'altération sera plus profonde encore. Ne nous méprenons pas sur les conséquences de cette importante modification des limites de l'Union, mes chers collègues.
Je veux rappeler que la Communauté des Six était un ensemble relativement homogène, fortement soudé dès l'origine par l'axe franco-allemand avec une République fédérale non encore unifiée. Dans ce cadre, il était finalement toujours possible d'arriver à un accord raisonnable lorsqu'un choix indispensable à la mise en oeuvre des principes retenus dans les traités devait être fait. Les conceptions sur l'étendue des problèmes à régler en commun, sinon sur la formulation des décisions, étaient assez voisines. Dans ces conditions, la Communauté pouvait contourner, dans la pratique courante, les aspirations des fondateurs à un fédéralisme qu'il convenait de définir par l'expérience.
La construction européenne a longtemps vécu sur cet acquis. Mais, depuis le dernier élargissement, nous avons déjà atteint les limites de ce type de fonctionnement. Nous sentons bien que l'entreprise rencontre des difficultés pour progresser. Le caractère plutôt décevant, reconnaissons-le, du traité d'Amsterdam en est l'illustration la plus nette. Le seul grand projet qui rassemble les Européens aujourd'hui, la mise en place de la monnaie unique, a été décidé par l'Europe des Douze.
La leçon est claire : une Union européenne encore élargie ne pourra plus atteindre ses objectifs à partir des bases originelles. Non seulement elle comptera trop d'Etats membres pour y parvenir, mais surtout elle sera trop hétérogène. M'exprimant ainsi, je ne pense pas seulement aux disparités économiques et sociales considérables qui la caractériseront et qui justifient les délais exigés pour que les critères imposés à l'adhésion soient respectés, je pense aussi au fait que beaucoup de ses membres n'auront pas été portés par l'élan initial de la Communauté.
Je crois de mon devoir de rappeler ce qu'était cet élan qui a conduit à la mise en place des premières Communautés dans les années cinquante.
L'Union à vingt ou vingt-cinq membres, pour ne pas se déliter, devra impérativement disposer d'institutions centrales plus fortes, d'autant que les pays auront entre eux trop de différences naturelles pour que l'effort d'harmonisation reste aussi poussé qu'aujourd'hui.
Si nous persistons à l'intérieur d'une Union élargie à vouloir nous doter de règles uniformes et détaillées dans de très nombreux domaines, nous aboutirons à de graves distorsions, car ces règles ne seront pas appliquées de la même manière par tous les Etats et ne pourront pas l'être.
Une Union élargie aura donc besoin à la fois de plus d'autorité et de plus de subsidiarité. Elle devra être plus fédérale qu'aujourd'hui, mais aussi moins interventionniste.
Comme vous pouvez le constater, monsieur About, je ne m'éloigne pas beaucoup des propos que vous avez tenus voilà un instant.
Un tel programme, reconnaissons-le, sera difficile à remplir, car il heurtera à la fois la propension des institutions européennes à intervenir toujours plus et la tendance des Etats membres à se défier des centres de décisions ou de recommandations placés au-dessus d'eux.
Ainsi, le risque existe que l'Union se trouve de moins en moins capable d'adopter un système de type fédéral, au moment même où un tel système deviendra de plus en plus nécessaire pour lui permettre d'accomplir ses missions.
Les problèmes que devra résoudre une Union très hétérogène sont particulièrement évidents dès que l'on prend en compte le cas de la Turquie.
Ce pays, contre toute attente, est celui qui a fait le plus parler de lui lors du Conseil européen de Luxembourg. De nombreux observateurs ont découvert à cette occasion qu'il avait plus de moyens de pression qu'on ne pouvait le penser. Mais quelle attitude adopter dans cette affaire ?
La Communauté a reconnu, voilà trente-cinq ans, la vocation de la Turquie à l'adhésion ; cette vocation a été officiellement réaffirmée il y a dix ans et à nouveau confirmée lors du Conseil européen de Luxembourg. Personne ne peut prétendre pourtant qu'il y ait eu en trente-cinq ans un véritable rapprochement entre la Turquie et les pays membres de la Communauté. On doit même constater qu'une adhésion de la Turquie paraît aujourd'hui toujours aussi éloignée, voire hypothétique.
Pourrons-nous rester durablement sur une ligne consistant à affirmer l'éligibilité de la Turquie sans jamais prendre les mesures qui pourraient en permettre la concrétisation ? Bon gré mal gré, nous devons donc intégrer à notre vision de l'Europe future que, tôt ou tard, la Turquie sera membre de l'Union, à moins qu'elle-même n'ait cessé entre-temps de le souhaiter - ce qui, tout bien pesé, ne serait sans doute pas une très bonne nouvelle.
Soyons lucides si elle voit le jour, une Union de trente pays, allant de la Laponie à l'Asie mineure et de la mer Noire à l'Atlantique, n'aura plus grand-chose à voir avec la vision des pères fondateurs, même si Jean Monnet a conclu ses Mémoires en soulignant que la Communauté des six n'était qu'une « étape ».
Dans ces conditions, si nous ne voulons pas que l'Union perde en substance ce qu'elle aura gagné en étendue, il apparaît indispensable de consolider, sans doute autour de l'euro, la coopération privilégiée qui s'est établie à l'Ouest du continent et qui reste la plus étroite jamais accomplie entre les Etats d'Europe souverains, ayant de lourdes pesanteurs historiques.
L'Europe élargie aura besoin d'un pôle d'entraînement, ou, si l'on veut, d'un pôle magnétique de nature à contrecarrer les tendances à la dispersion. C'est aux pays premiers signataires des traités de le proposer, et oserai-je dire, de savoir l'imposer par une intelligente persuasion. Je me permets de le leur rappeler du haut de la tribune du Sénat de la République française.
Evitons de lâcher la proie pour l'ombre. L'acquis communautaire, y compris le traité d'Amsterdam, ne doit pas être remis en cause ; il doit, au contraire, être repris par les nouveaux adhérents.
Efforçons-nous donc de prendre la mesure des enjeux extrêmement complexes du processus d'élargissement, non pour le retarder, mais pour le maîtriser. Il faut se réjouir de cet élargissement ! Qui souhaiterait le retour à la guerre froide ? Mais, en même temps, il nous faut veiller à ce que l'agrandissement de l'édifice n'en menace pas les fondations.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, prenons garde - ce sera ma conclusion - à ne pas faire de la construction européenne une tour de Babel politique. Notre exigence d'une structure plus efficace pour la nouvelle Union doit être comprise en ce sens par tous ceux qui veulent poursuivre l'oeuvre exaltante et pacificatrice de rapprochement des peuples porteurs de la civilisation du monde occidental. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en prenant à Luxembourg, le 12 décembre dernier, la décision d'ouvrir la porte de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale, les chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze n'ont pas seulement confirmé un choix dont le principe avait été retenu, dès juin 1993, à Copenhague : ils ont pris une décision à la dimension historique évidente, destinée à effacer les divisions du continent européen héritées de la guerre froide.
Sans doute pourrait-on relever que, après la création de l'euro, qui constitue une concession majeure de l'Allemagne, l'élargissement à l'Est répond parfaitement aux intérêts stratégiques de nos voisins. Mais cet élargissement constitue surtout une évolution politique inéluctable et un défi sans précédent pour l'Union européenne. En effet, il s'agit de permettre cette réintégration dans la famille européenne des pays d'Europe centrale et orientale sans dilapider l'acquis communautaire ni renoncer à notre ambition européenne. Dès lors, bien des questions se posent aujourd'hui aux Quinze pour mener à bien cette difficile entreprise. J'en évoquerai brièvement trois.
La première porte naturellement sur les pays concernés, au moins dans un premier temps, par ce nouvel élargissement. L'enjeu n'est pas mince. En effet, si des adhésions groupées et précipitées ne pourraient que conduire à l'affaiblissement de l'Union dans son ensemble, un processus d'intégration trop différencié ferait courir le risque de faire apparaître, en Europe, de nouvelles lignes de fracture, d'autant plus inacceptables qu'elles seraient parfaitement contradictoires avec l'objectif, essentiellement politique, que l'on cherche à atteindre par l'élargissement.
Les décisions de Luxembourg se sont, à cet égard, efforcées d'atténuer les risques de la différenciation proposée par la Commission en faveur des cinq ou six pays les mieux préparés, en instaurant également un processus qui concerne l'ensemble des pays européen candidats. Cependant, des interrogations demeurent.
Pouvez-vous, d'abord, nous confirmer, monsieur le ministre, que les Etats faisant partie de la première vague ne pourront pas faire obstacle à des adhésions ultérieures, alors que le traité confère en la matière, je le rappelle, un droit de veto à tout Etat membre ? Il s'agit là, je crois, d'un point politiquement important qui devrait être clairement acté.
Ensuite, la Conférence européenne, qui doit se réunir pour la première fois à Londres en mars prochain et rassembler, avec les Quinze, tous les candidats à l'adhésion, doit constituer un forum politique utile sur des sujets d'intérêt commun. Mais ne risque-t-elle pas d'apparaître comme une bien mince compensation à l'ouverture de négociations immédiates ? Quel sera, monsieur le ministre, le contenu précis de cette conférence ? Ne sera-t-elle pas purement mondaine ? Et quelle sera l'articulation de ses travaux avec les discussions poursuivies à Quinze dans le cadre des deuxième et troisième piliers ?
Comment ne pas évoquer également, comme l'ont fait excellemment MM. Nicolas About et Jacques Genton, le cas de la Turquie, qui frappe à la porte de l'Europe depuis le début des années soixante ? Nous devons tout faire pour renouer fermement les fils du dialogue avec ce pays. La France peut, me semble-t-il, jouer un rôle très positif pour conduire Ankara à participer à la Conférence européenne. En effet, s'il est clair - je partage à ce sujet ce qu'ont dit les deux orateurs précédents - que personne - sauf peut être aux Etats-Unis - n'imagine que la Turquie se trouve dès aujourd'hui en situation d'adhérer à l'Union européenne, il va aussi de soi que nous devons tout mettre en oeuvre pour éviter que ce grand pays, par déception ou par rancoeur, ne succombe aux tentations extrémistes, tout en bloquant toute évolution du dossier chypriote, au moment même où des négociations d'adhésion doivent être - à tort ou à raison, je me pose la question - commencées avec Chypre.
Une deuxième série de questions nous conduit à aborder les modalités des futurs élargissements.
Quelle solidarité financière pourra être assurée, demain, au sein de l'Union alors que, d'un côté, les pays demandeurs seront plus nombreux et que, de l'autre, les pays contributeurs sont engagés dans des efforts durables de rigueur budgétaire ? Chacun sait que l'Allemagne se plaint de plus en plus de verser quelque 60 % des contributions nettes au budget communautaire, tandis que - faut-il le rappeler ? - la position française est beaucoup plus avantageuse, monsieur le ministre. Si les dépenses communautaires doivent continuer à respecter le plafond de 1,27 % du PIB de l'Union, qu'en sera-t-il dans une Union européenne à vingt ou vingt-cinq membres ?
Monsieur le ministre, pouvez-vous, dans ce contexte, nous donner quelques précisions sur le coût et le financement de l'élargissement de l'Union qui paraît faire l'objet d'évaluations presque aussi aléatoires que l'élargissement de l'OTAN ?
Troisième question : dans quelle mesure et sous quelle forme peut-on faire d'une véritable réforme institutionnelle un préalable à la mise en oeuvre de tout nouvel élargissement ? Je rejoins la position de notre collègue et ami Nicolas About : cette réforme est nécessaire et indispensable.
Cependant, la tâche ne sera pas aisée. Pour tout dire, j'ai le sentiment que le « parti de la réforme » est aujourd'hui singulièrement affaibli en Europe. Nous n'avons d'ailleurs guère trouvé que l'Italie et la Belgique pour s'associer à nos propositions. Plus généralement, tout porte à craindre que, face à la dynamique historique du processus d'élargissement, la demande de réforme institutionnelle ne pèse plus très lourd.
Il reste que les dispositions institutionnelles du traité d'Amsterdam, qui auraient pu, pour une Union maintenue à quinze Etats membres, représenter quelques timides améliorations, présentent des insuffisances très préoccupantes dans la perspective d'une Europe élargie.
Nous devons donc, selon moi, non pas - je le souligne - rejeter la ratification du traité d'Amsterdam,...
M. Jacques Genton, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. ... avec toutes les conséquences qui en résulteraient, mais indiquer clairement à nos partenaires qu'il ne pourra y avoir d'élargissement sans réforme.
Nous devons, je crois, pour y parvenir, prendre l'initiative de proposer une méthode, voire un calendrier. La méthode de la Conférence intergouvernementale a montré ses limites. Que pensez-vous, monsieur le ministre, de la possibilité de confier à quelques personnalités européennes incontestables ou à un « comité des sages » le soin de formuler les propositions les plus adaptées ?
Avec la mise en place de mécanismes assouplis de « coopérations renforcées » - seul moyen de préserver, demain, dans le cadre d'une Union élargie, l'approfondissement de la construction européenne - avec la mise en oeuvre, désormais acquise, de l'euro - qui constituera le vrai projet fédérateur de l'Europe au tournant du siècle - une réponse pourrait être ainsi apportée au manque de projet clair qui caractérise aujourd'hui la construction européenne. Alors, seulement, les incertitudes liées à l'élargissement pourront être dissipées et nous éviterons de voir encore s'éloigner la perspective d'une « Europe puissance » que nous continuons à appeler de nos voeux. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen qui vient de se tenir à Luxembourg marque le premier point d'aboutissement d'un long processus de préparation et de cadrage du lancement des négociations d'adhésion, dont l'origine réside dans l'article O du traité sur l'Union européenne.
Le Conseil européen de Luxembourg a donné son accord à l'engagement d'un élargissement sans précédent de par le nombre de pays candidats, leur hétérogénéité et leur situation politique, économique et sociale.
Leur adhésion et leur intégration est un projet avant tout politique. En effet, la perspective de nouvelles adhésions porte en elle-même l'interrogation de l'avenir de la construction européenne : parviendrons-nous à réussir une intégration politique, économique et sociale de cette importance sans pour autant mettre en danger les principes, les objectifs et les moyens de la construction européenne ? C'est la question que nous nous posons tous.
La difficulté centrale de l'élargissement est la suivante : comment permettre aux pays candidats de parvenir dans un délai relativement bref à un degré de développement économique et social important sans que, pour autant, leur participation à la construction communautaire entraîne la dilution ou l'affaiblissement de l'Union.
Cet élargissement constitue certes une chance historique pour l'Europe, mais il n'est pas sans risque pour le projet politique de l'Union européenne, compte tenu de l'hétérogénéité croissante des intérêts et des perceptions du rôle de l'Union qu'il entraînera.
Cet enjeu avait déjà été bien cerné par le Conseil européen de Copenhague en juin 1993 : préserver, voire accroître « la capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne » et en « répondant à l'intérêt général aussi bien de l'Union que des pays candidats ».
La qualité de l'Union, la motivation et la volonté politique des Etats membres de faire progresser l'Union dans le sens d'une plus grande intégration pourraient être jugées à l'aune de cette capacité. C'est en tout cas une occasion de réfléchir aux objectifs que l'on veut s'assigner, en d'autres termes à la nature même de l'Union européenne. Celle-ci est face à un défi majeur qui a rendu nécessaire la définition d'une stratégie d'ensemble, l'élargissement n'étant que l'un des éléments d'un projet plus global de réforme du cadre financier et des politiques communes de l'Union.
La question que l'on peut aujourd'hui se poser est donc la suivante : les conclusions de ce Conseil européen répondent-elles de manière satisfaisante aux exigences et aux contraintes d'un tel élargissement ?
Le Conseil européen est parvenu à définir une formule permettant de lancer « un processus d'adhésion englobant les dix Etats candidats d'Europe centrale et orientale et Chypre... qui participent aux mêmes conditions au processus d'adhésion... à travers l'établissement d'un dispositif d'encadrement unique ». Le Conseil européen a donc opté pour une même ligne de départ, donnant à chaque pays candidat sa chance.
Nous nous félicitons, en particulier, de l'adoption du principe d'une conférence européenne annuelle, qui devrait permettre des discussions multilatérales fructueuses dans les domaines d'intérêt commun relevant de la politique étrangère et de sécurité commune, de la justice et des affaires intérieures, ainsi que de la coopération régionale.
Les conclusions du Conseil européen consacrent aussi le principe selon lequel la durée et le rythme des négociations pourront varier en fonction de l'évolution des différents pays. La combinaison des processus permet en fin de compte d'entretenir la mobilisation de tous les pays candidats, en utilisant l'objectif d'adhésion comme un aiguillon.
Je ferai quelques remarques sur le choix des candidats.
D'abord, je formulerai une réserve sur la différenciation qui a été faite entre les Etats baltes. Qu'est-ce qui distingue les pays baltes entre eux ? Cette distinction ne peut-elle porter préjudice à leur système de coopération régionale ?
Par ailleurs, j'ai l'espoir que l'engagement des négociations avec Chypre permettra rapidement de parvenir à un accord politique sur le statut de l'île, sur le différend qui la divise.
Enfin, nous pouvons regretter que la Turquie ait repoussé l'offre du Conseil européen. En effet, les exigences faites à la Turquie sont simplement celles que l'Union s'impose à elle-même et impose aux pays candidats : respect de critères politiques - démocratie, Etat de droit, respect des minorités et des droits de l'homme - respect de critères économiques et reprise intégrale de l'acquis communautaire, enfin, reprise de l'ensemble des instruments mis au point dans le cadre des deuxième et troisième piliers.
Cela dit, nous nous félicitons de la mise en place d'une stratégie dynamique de pré-adhésion qui aboutira à ce que les pays candidats soient tout particulièrement évalués à leur capacité à appliquer les principes de l'Union européenne.
Le partenariat d'adhésion, instrument central de la stratégie d'adhésion, recensera les priorités à mettre en oeuvre, établira un calendrier et définira les actions de soutien qui seront entreprises.
Nous espérons qu'une partie substantielle des moyens sera consacrée au financement des investissements dans des domaines tels que l'environnement, les transports et la sûreté nucléaire.
Ce qui nous paraît particulièrement intéressant est la mise en place d'une procédure de suivi substantielle, dont le principe est le maintien d'une approche dynamique destinée à prendre en compte les efforts continus des pays candidats.
Mais de nombreuses questions fondamentales restent en suspens.
Certes, la France a obtenu un certain nombre de satisfactions, à savoir le maintien de la ligne directrice agricole, la double programmation des dépenses - celles qui sont nécessaires aux réformes des politiques communes et celles qui sont dévolues à l'élargissement - ainsi que l'inscription du préalable institutionnel à l'élargissement de l'Union.
En termes de méthode, l'approche de l'élargissement a été conditionnée par les débats qui ont entouré le Conseil européen de Luxembourg et qui ont mis en valeur - cela a été rappelé - deux sensibilités différentes parmi les Etats membres : d'une part, ceux qui souhaitent une réforme plus fondamentale avant le lancement du processus d'élargissement - en premier lieu, la France, soutenue par l'Italie et la Belgique - et, d'autre part, ceux qui voudraient des réformes modestes, pourvu qu'elles permettent l'élargissement, et qui se sont donc refusé à accepter que soient inscrites des orientations concrètes dans les conclusions du Conseil, dans des domaines tels que le financement futur de l'Union, et donc de l'élargissement, et la réforme des politiques communes.
Le résultat a été le suivant : le Conseil européen s'est limité à donner quelques orientations très générales sur les différents volets d'Agenda 2000, affichant un niveau d'ambition très bas.
En particulier, le Conseil européen n'a pas souhaité s'exprimer sur la question du coût financier de l'élargissement.
Or, nombreux sont ceux qui craignent que le coût réel de cet élargissement n'ait été sous-estimé, en particulier en raison de l'absence d'évaluation quantitative des besoins des pays candidats.
Si l'apport de l'élargissement en termes de stabilité politique et de sécurité est indéniable, son impact sur les économies des quinze Etats membres reste à évaluer avec beaucoup plus de précision.
C'est bien dans cette interrogation sur la viabilité de l'évaluation que fait la Commission européenne des besoins des pays candidats que résident non seulement la clé de l'élargissement, mais aussi la définition d'un cadre financier crédible et une réalisation des réformes des politiques agricoles et structurelles qui ne les mettent pas en danger.
Le débat sur la portée et les conséquences réelles de l'élargissement est pour l'instant entravé par un double postulat : l'élargissement doit être réalisé dans un cadre financier inchangé et les Etats membres veulent réaliser cet élargissement sans augmenter leur contribution au budget communautaire.
Il reste donc à savoir si l'Europe veut vraiment se donner les moyens de réussir cet élargissement, dont la taille est sans précédent dans la construction européenne.
Quant à la réforme institutionnelle, elle est certes inscrite dans les premières lignes des conclusions du Conseil européen, mais il n'y a pas de stratégie arrêtée. Le Conseil européen n'a pas pris d'engagements précis sur la nature, la méthode, l'étendue et le calendrier de la réforme institutionnelle indispensable à la réalisation de l'élargissement. Cette absence d'engagement nous paraît gravement préoccupante et, si je m'en réfère aux propos qui viennent d'être tenus à cette tribune par les orateurs précédents, je crois que nous nous rejoignons tous sur ce point essentiel.
Au-delà des éléments de satisfaction que j'ai évoqués au début de mon intervention, les inconnues et les questions fondamentales restent donc sensiblement les mêmes.
On peut reprocher au document de la Commission de manquer de vision politique et d'être axé essentiellement sur des questions pratiques, dans la plupart des cas de nature financière.
Il faut maintenant attendre les rapports sur la réforme de la politique agricole commune et sur la refonte des politiques structurelles que la Commission présentera au printemps, ainsi que le rapport sur le cadre financier futur pour évaluer sérieusement les conséquences de l'élargissement et son impact sur les politiques communes.
Il reste que le Gouvernement français et, lorsque cela est possible, le Parlement se doivent d'être vigilants pour que la réforme institutionnelle ne se fasse pas à la veille des premiers accords d'élargissement, lorsque l'échéance prime le contenu, et pour que l'élargissement, sous prétexte qu'il est inévitable, ne soit pas bradé au risque de mettre en danger les politiques communes, internes et communautaires, et de privilégier une politique de charité et d'urgence au détriment d'une politique de solidarité.
Comme cela a été fait à l'Assemblée nationale, nous exprimons le souhait que l'ensemble des propositions de textes qui feront suite à « Agenda 2000 », en particulier les propositions de perspectives financières et les projets d'accords interinstitutionnels, soient transmises au Parlement français.
Pour les nouveaux Etats comme pour l'Union, un élargissement réussi suppose des efforts de tous et une réelle volonté politique pour les susciter.
Cet élargissement doit être l'occasion de renforcer la paix et la démocratie en Europe et d'accroître sa puissance dans le monde. Voilà qui nous amène à faire nôtre la résolution « Agenda 2000 » votée par le Parlement européen en décembre 1997 : « Le processus d'élargissement ne pourra se réaliser avec succès que dans la mesure où tous les pays candidats pourront être intégrés dans les politiques communautaires et où celles-ci pourront contribuer au développement économique de ces pays ainsi qu'à leur intégration dans l'Union ». (M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne et M. André Boyer applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. de La Malène.
M. Christian de La Malène. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les autres orateurs, je voudrais d'abord et avant tout saluer l'orientation essentielle retenue par le Conseil européen de Luxembourg : l'élargissement à l'Est va se concrétiser, et ses modalités sont désormais conçues de manière à éviter la formation durable de deux groupes au sein des pays candidats.
Naturellement, tout dépendra de la manière dont ces modalités seront mises en oeuvre, du côté de l'Union comme du côté des pays candidats.
Dans sa gestion de l'élargissement, l'Union devra faire jouer pleinement le dispositif d'encadrement global qui est prévu à l'échelon des ministres des affaires étrangères pour associer les Etats membres et les onze pays candidats ; en même temps, elle devra appliquer le principe de l'approche individuelle des progrès de chaque candidature.
Surtout, le succès du dispositif dépendra de la détermination des pays candidats à poursuivre les réformes. Les cinq pays avec lesquels la Commission européenne n'avait pas prévu d'ouvrir des négociations ont fait valoir, à juste titre, la situation intérieure difficile qui allait naître pour eux de ce choix. Les efforts déjà consentis risquaient de paraître inutiles, et la poursuite des réformes allait être découragée.
Dès lors que le Conseil européen, tenant compte de leurs observations, a défini une formule incluant ces Etats, il incombe à ces derniers de continuer et d'amplifier leurs efforts d'adaptation afin de rejoindre les pays les plus engagés dans le rapprochement avec l'Union.
Les pays avec lesquels vont bientôt s'ouvrir des négociations d'adhésion ont eux aussi, de toute manière, un important chemin à faire : l'avis de la Commission soulignait avec raison qu'aucun d'entre eux n'était véritablement prêt à participer au marché unique.
C'est donc des pays candidats eux-mêmes que viendra l'impulsion décisive. Il est vrai que le Conseil européen a prévu d'augmenter les aides directes, dites de « pré-adhésion », qui bénéficieront à tous les pays candidats, sans discrimination fondée sur la date envisageable pour l'adhésion. J'espère que l'augmentation du montant de l'aide ira de pair avec celle de son efficacité. Mais, en tout état de cause, de même que l'aide Marshall n'a pas été la cause principale du relèvement de l'Europe de l'Ouest, l'aide financière de l'Union pourra seulement être un adjuvant pour la reconstruction de l'Est. Dans ces conditions, il est clair que l'élargissement à l'Est ne sera pas « un long fleuve tranquille ».
C'est donc à juste titre que la France, dans la préparation du Conseil européen, avait proposé des orientations destinées à canaliser, en quelque sorte, ce processus, à l'encadrer.
Ces orientations étaient au nombre de trois.
La première visait la réforme institutionnelle : la France a réaffirmé que le bon fonctionnement de l'Europe élargie supposait des institutions plus efficaces et plus légitimes.
La deuxième orientation portait sur l'encadrement financier du processus : la France a plaidé pour le financement de l'élargissement dans le cadre du plafond actuel des ressources propres, c'est-à-dire 1,27 % du produit intérieur brut de l'Union.
Enfin, la troisième orientation visait l'équilibre entre l'Est et le Sud : la France a notamment soutenu à cet égard que l'élargissement à l'Est devait s'effectuer sans donner à la Turquie le sentiment d'une mise à l'écart durable, voire définitive. C'était l'une des raisons du projet de Conférence européenne soutenu par notre pays.
Nous étions d'accord avec ces orientations que défendait le Gouvernement français, et nous espérions que la France saurait se faire entendre par le Conseil européen.
Or, même avec les yeux de la foi, il est bien difficile d'estimer que ces orientations ont été véritablement prises en compte à Luxembourg.
Sur le problème institutionnel - d'autres l'ont dit avant moi - les conclusions du Conseil européen renvoient seulement au protocole annexé au traité d'Amsterdam, c'est-à-dire à un texte extrêmement ambigu, qui ne garantit pas véritablement une réforme institutionnelle avant l'élargissement.
Sur le financement de l'élargissement, les conclusions adoptées à Luxembourg ne contiennent rien de précis, rien de contraignant, et notamment pas l'engagement de s'en tenir au plafond actuel des ressources propres.
Enfin, loin de permettre un rapprochement avec la Turquie, le Conseil européen de Luxembourg a creusé un fossé entre ce pays et l'Union, de telle sorte qu'on peut se demander ce qui reste du projet de Conférence européenne, même si le Conseil européen l'a accepté dans son principe.
Le constat me paraît clair : pour l'essentiel, la France n'a pas réussi à faire passer ses messages spécifiques.
D'où cela vient-il ? Faut-il penser que nous ne savons pas nous concentrer sur un très petit nombre de priorités, voire sur une seule priorité ? On peut observer, par exemple, que l'Espagne, qui n'a pas notre poids, est arrivée dans la négociation avec un seul objectif - empêcher la confirmation du plafond des ressources propres - et qu'elle a eu gain de cause. Ne devrions-nous pas, nous aussi, savoir mieux hiérarchiser nos objectifs ? N'est-ce pas ainsi, et seulement ainsi, que nous pourrons donner une crédibilité suffisante à nos positions ?
Je m'interroge d'autant plus que le Conseil européen de Luxembourg fait suite à celui d'Amsterdam et à celui de Luxembourg I. Là aussi, qu'il s'agisse de faire en sorte que la politique de l'euro obéisse à des préoccupations allant bien au-delà de considérations strictement monétaires, qu'il s'agisse de faire en sorte que les problèmes de l'emploi reçoivent la priorité première qu'ils méritent, les préoccupations de la France étaient nécessaires et légitimes. Mais, de la même manière, la France n'était pas parvenue, sinon nominalement, à faire prendre en compte ses principales préoccupations. Et les qualificatifs triomphants, comme la promesse de rendez-vous futurs, ne sauraient dissimuler à l'analyste lucide la minceur des résultats obtenus. Il n'est que de voir le peu d'enthousiasme qui se manifeste ici ou là, dans notre pays, pour accepter la paternité du traité d'Amsterdam, comme le peu d'empressement à mettre en route la procédure de ratification !
Il est difficile, dans ces conditions, de ne pas avoir le sentiment que la France, dans la configuration actuelle de l'Europe, ne parvient pas à peser réellement sur les décisions, à conserver son influence.
Cela peut paraître un paradoxe, car ce qui caractérise l'Europe, depuis la chute du mur de Berlin, c'est - à l'échelle de l'Histoire - le succès des thèses françaises. Souvenons-nous de l'isolement du général de Gaulle lorsqu'il prophétisait la réunification de l'Europe ! Aujourd'hui, ce sont les principes de la Révolution française : les droits de l'homme, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, qui sont la référence commune de l'Europe, « de l'Atlantique à l'Oural ».
Il est vrai que, par définition, le poids matériel de la France est nécessairement moindre à l'échelle de la « grande Europe ». Mais la France ne pourrait-elle conserver néanmoins un rôle de référence dans ce vaste ensemble ? D'autant que nous avons, avec beaucoup de pays d'Europe centrale et orientale, des affinités historiques qui ne demandent qu'à revivre.
Face à cette absence de crédibilité, je n'ai pas de réponse toute prête. Il est bon, certes, de montrer l'exemple et de se battre sur tous les fronts de l'Europe, mais l'on risque de se payer de mots et d'être payés de même.
Peut-être y aurait-il intérêt à concentrer davantage nos efforts, comme font tant d'autres - pour ne pas dire tous les autres - sur les priorités françaises. Et j'ai le sentiment qu'une des leçons du Conseil européen de Luxembourg, c'est qu'il est sans doute nécessaire d'effectuer une certaine mise à jour de notre diplomatie si l'on veut que l'Europe de demain corresponde à ce que la France en attend. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'actualité européenne est spécialement riche. De nombreux débats sont ouverts, tous essentiels. Personnellement, comme la plupart d'entre nous, je m'en réjouis.
Cela confirme que la construction européenne est bien vivante et qu'elle se poursuit dans tous les domaines, même si c'est avec quelques difficultés dans certains d'entre eux.
Ce nouveau débat parlementaire, dont nous devons remercier nos collègues MM. Genton et About, rappelle aussi que cette construction est d'abord politique et qu'elle concerne au premier chef nos parlements nationaux.
L'Europe des Etats s'est très normalement bâtie dans le cadre de conférences intergouvernementales, mais - et c'est heureux - notre Europe aujourd'hui concerne et intéresse directement tous les citoyens.
Les conférences intergouvernementales rencontrent alors leurs limites, ainsi que le président de Villepin l'a rappelé voilà quelques instants, et, très naturellement aussi, nous nous heurtons à des problèmes liés à la sauvegarde des souverainetés nationales.
Il nous faut aujourd'hui imaginer un nouveau modèle d'organisation démocratique dans lequel le supranational n'apparaisse pas en contradiction avec les identités de chaque nation. Nous devons démontrer qu'il peut, au contraire, les relayer et les valoriser.
Peut-être plus que l'Europe des Etats, l'Europe des citoyens est riche de sa diversité, des particularismes, des histoires, des cultures des peuples qu'elle réunit et, j'ose le dire, des souverainetés de chaque Etat.
Il est classique de considérer que l'Union européenne appelle ses membres à faire mieux ensemble ce qu'ils éprouvent des difficultés à réussir isolément. Ne perdons cependant pas de vue qu'elle existe vraiment lorsqu'elle les amène, en plus, à engager en commun les actions nouvelles à côté desquelles ses membres seraient passés s'ils étaient restés isolés.
Il s'agit donc, d'abord, de « faire mieux ensemble ». Cela exige plus que jamais une application rigoureuse et volontariste du principe de subsidiarité. Ne chargeons pas la barque de l'Europe en lui transférant des charges qui sont mieux assurées localement. C'est inefficace et, plus grave, cela dessert fortement une Union qui devient alors au mieux budgétivore, au pire bouc-émissaire de toutes nos difficultés, voire de nos échecs.
A côté du « faire mieux ensemble », l'Europe prend donc sa dimension politique lorsqu'elle développe une action propre. L'Union n'est ni une société dont nous porterions des actions ou dont nous attendrions des dividendes, ni un syndicat de défense qui, moyennant cotisation, nous protégerait d'un monde dangereux.
L'Union politique doit tendre à faire exister l'Europe en soi, sans rien enlever aux nations qui la composent. Son action doit alors viser d'abord plus de cohésion et d'harmonie à l'intérieur, plus de paix et de démocratie dans le monde. C'est bien dans cet esprit que la notion d'élargissement se confond avec le principe même de la construction européenne.
Depuis cinquante ans, l'Union s'élargit géographiquement et sectoriellement. C'est en cela qu'elle est politique. La construction européenne serait restée lettre morte si elle n'avait porté, dès l'origine, cette ambition d'ouverture. Une Europe fermée ne serait pas allée loin ; une Europe achevée se révèle inutile pour les Européens, échoués sur les rives d'un monde qui poursuivrait son cours en l'oubliant.
Alors se pose la question de savoir si « élargissement » signifie fatalement « dilution ». Il ne faudrait pas qu'après avoir séduit et intégré les uns après les autres chacun des membres de l'Association européenne de libre-échange, l'AELE, elle devienne elle-même une grande AELE.
Pour réduire ce risque, nous devons veiller très attentivement à conserver à la construction européenne son souffle politique. C'est à ce prix que nous découvrirons les voies qui nous permettront d'approfondir l'Union, notamment au plan de ses institutions. Ici, avec notre foi dans l'Europe, le plus grand pragmatisme doit nous guider si nous voulons progresser. D'ailleurs, la construction européenne n'est-elle pas caractérisée par une étonnante et constante alchimie d'utopie et de pragmatisme, de passion et de réalisme, d'émotion et de raison ?
Nous devons donc aujourd'hui pouvoir nous appuyer sur ce qui marche - c'est le pragmatisme ! - à savoir la mise en place de l'Union monétaire. Celle-ci est, à l'évidence, un approfondissement en passe de réussir. C'est vrai, même si l'Union ne réunira au départ que onze membres - mais onze membres qui ont renforcé leur cohésion : onze membres déterminés - et c'est vrai surtout car cet approfondissement porte précisément sur un sujet essentiel pour la vie économique et pour l'emploi, sur un sujet de souveraineté : frapper monnaie n'est-il pas une prérogative de souveraineté ? Nous sommes bien là au coeur du politique.
La mise en place de l'euro se fera. Voilà quelques mois encore, les Cassandre considéraient qu'elle se ferait au mieux dans la douleur et qu'elle risquait même de plonger l'Europe dans le chaos. Aujourd'hui, à l'inverse, ce serait l'arrêt du processus ou le retour en arrière qui serait catastrophique ! Nous voyons le chemin parcouru, du fait, notamment, d'une mobilisation de toutes les forces vives des Etats membres.
La Grande-Bretagne elle-même a participé activement au dessin des nouvelles pièces et ne refuse pas de présider l'Union en un semestre précisément crucial pour l'euro. Nos amis britanniques savent bien qu'ils nous rejoindront un jour, comme ils l'ont toujours fait !
L'Union monétaire amène à bâtir une organisation spécifique, à la fois politique et monétaire. La démarche engagée dans ce domaine me semble exemplaire. Un approfondissement réel est donc possible dès lors qu'on se donne la peine de se mettre d'accord sur un véritable objectif commun et sur une procédure politique.
Nous vivons ici un recentrage de la construction européenne sur onze membres déterminés, recentrage à partir duquel nous devrions pouvoir « rebondir » pour relancer la construction de l'Union en retrouvant l'essentiel, cet « essentiel » qui, par ailleurs, pousse onze autre Etats à nous rejoindre.
On a souligné, à juste titre, qu'un problème institutionnel se posait. Mais il ne doit pas cacher l'essentiel : il est, c'est vrai, plus difficile de fonctionner à vingt-cinq qu'à six.
Mais si ce problème institutionnel se pose, c'est surtout parce que nous avons évidemment moins de sujets de préoccupations communs à vingt-cinq qu'à six. Nous retrouvons donc le vrai débat politique, dont le problème institutionnel, certes important, n'est qu'une expression. Nous devons revenir à l'essentiel : ce qui peut amener nos vingt-cinq Etats à s'unir doit être le coeur de ce qui a amené nos six, nos douze ou nos quinze Etats à s'engager ensemble.
Il y a évidemment, derrière cette grande aventure de l'histoire du monde, un moteur politique, un projet sans doute encore insuffisamment explicité et qui porte sur de vrais sujets : prospérité et solidarité, sécurité intérieure et extérieure, démocratie, liberté et paix dans le monde. Ce sont bien, en tout cas, ces sujets qui motivent les candidats à l'Union.
L'objectif étant retrouvé ou réidentifié, il faut avancer et, pour cela, nous devons être très pratiques. Des progrès doivent être réalisés au plan institutionnel, Amsterdam étant à l'évidence resté un peu en panne dans ce domaine. Et, puisque l'intergouvernemental a atteint ses limites, il nous faudra impliquer beaucoup plus nos parlements.
Il faut aussi être réaliste : si Amsterdam n'a été qu'un demi-succès, c'est en grande partie parce que le couple franco-allemand a été ébranlé à Poitiers. L'Allemagne, reprenant alors sa liberté de parole, a confirmé, en clair, que, pour elle, l'élargissement représentait une priorité, avec ou sans réforme constitutionnelle, alors que la France a toujours demandé des progrès préalables sur l'approfondissement avant de s'engager.
Pour progresser, il nous faut aujourd'hui, à l'évidence et par priorité, retrouver nos partenaires et amis allemands.
M. Jacques Genton, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !
M. Denis Badré. Une bonne occasion très concrète se présente avec l'Agenda 2000 : travaillons avec eux sur le budget, la PAC, les politiques structurelles. Nous devons pouvoir recréer avec les Allemands une vraie complicité autour de trois principes.
Tout dérapage budgétaire lié à l'élargissement est à proscrire. Il tuerait l'Europe aux yeux des Européens. La démarche a déjà été très clairement manifestée en Allemagne.
S'agissant de la PAC, ce n'est pas le FEOGA-garantie qui doit nous inquiéter, puisque les cours des produits agricoles dans les pays d'Europe centrale et orientale - les PECO - sont inférieurs aux cours mondiaux, mais c'est bien plus la reprise de l'acquis communautaire par les PECO, notamment l'exigence que représente le grand niveau de qualité sanitaire atteint par notre production agricole.
M. Jacques Genton, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !
M. Denis Badré. En matière de politique structurelle, je dirai oui à la cohésion - à l'évidence, puisqu'elle construit l'Europe - et non au saupoudrage qui, lui, détruit l'image de l'Europe.
Pour favoriser ce rapprochement franco-allemand indispensable à la réussite de l'élargissement, la préparation des nouvelles perspectives budgétaires, sur laquelle, monsieur le ministre, le rapporteur spécial de la commission des finances que je suis par ailleurs attirait fortement votre attention voilà quelques semaines, représente une véritable opportunité. Ne la manquons pas.
Monsieur le ministre, le groupe de l'Union centriste croit plus que jamais en la construction européenne. Les perspectives de son élargissement nous appellent, comme toujours, à être très lucides, et bien sûr à conforter fondamentalement nos convictions.
Nous avons devant nous une véritable opportunité pour poser tous les vrais problèmes. Ne les éludons pas. Nous avons surtout, à l'évidence, l'occasion de revenir à l'essentiel et de faire comprendre à nos concitoyens que la construction européenne est bien ce grand dessein susceptible de les réconcilier avec la politique, la vraie, celle qui nous fait vivre autour de nos clochers, celle qui doit, en même temps, permettre à notre continent de continuer à adresser au monde un message d'humanisme, message dont nous n'avons sans doute pas encore nous-même mesuré toute la portée.
Il s'agit tout simplement, monsieur le ministre, de construire l'Europe pour l'homme. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie tout d'abord notre collègue Nicolas About de l'opportunité de sa question, heureuse initiative qui permet à la Chambre Haute d'exprimer son sentiment sur l'élargissement de l'Union européenne, les négociations d'adhésion devant se tenir, selon les textes, six mois après la Conférence intergouvernementale.
Année déterminante pour l'évolution de la construction européenne, 1998 devrait nous permettre d'assister non seulement au lancement de l'euro, mais aussi aux premières négociations d'adhésion de plusieurs candidats d'Europe centrale et orientale.
Cette modification substantielle des contours de l'Union européenne imposera, bien entendu, un reformatage majeur du schéma européen, du point de vue tant institutionnel et politique qu'économique et social.
Européen de coeur, je suis de ceux qui se réjouiront de la réunification du continent européen et de ses populations grâce à l'élargissement de l'Union européenne.
Pragmatique par raison, j'estime cependant nécessaire d'évaluer la capacité des candidats à l'adhésion à atteindre le niveau économique et politique suffisant pour permettre et réussir leur intégration au sein de l'Union. A cet égard, le Conseil européen de Copenhague de 1993 a levé toute ambiguïté. En effet, ce Conseil a précisé que les Etats postulants à l'adhésion devront, d'une part, être dotés d'institutions démocratiques respectant la primauté du droit, des droits de l'homme, et la protection des minorités. Ces candidats devront, d'autre part, développer une économie de marché capable d'évoluer dans le cadre d'échanges concurrentiels. Il leur faudra, en outre, pleinement adhérer à l'ensemble des politiques européennes.
Le sommet de Luxembourg des 12 et 13 décembre derniers a confirmé les propositions de la Commission européenne quant aux candidatures susceptibles de donner lieu à l'ouverture de négociations, c'est-à-dire celles de l'Estonie, de la Hongrie, de la Pologne, de la République tchèque et de la Slovénie.
En outre, rappelons que le Conseil européen avait déjà avalisé la candidature de Chypre avant la réunion de Luxembourg. Cela fait donc six pays.
Le Conseil a, de plus, approuvé la création d'une Conférence européenne destinée à établir des contacts réguliers entre les autres pays candidats ayant signé un accord d'association avec les Etats membres de l'Union.
Je constate que la plus grande partie des Etats candidats pour lesquels l'ouverture des négociations a été reportée semblent avoir pleinement compris et accepté la décision communautaire.
Les cinq Etats que sont la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie et la Slovaquie semblent satisfaits de bénéficier d'un délai supplémentaire pour poursuivre les réformes indispensables à leur bonne intégration dans l'Union. Mais aucun butoir n'a été fixé. N'est-ce-pas pour ces pays un manque d'incitation voulu, monsieur le ministre ?
J'en viens à la Turquie, elle qui, en revanche, a manifesté son incompréhension de la décision européenne. Malgré les explications communautaires et l'intervention de plusieurs représentants des Etats membres, la Turquie semble encline à une réaction de recul. Elle envisage même de ne pas participer à la Conférence européenne, créée tout spécialement pour les Etats candidats à l'adhésion.
Mes chers collègues, la réaction turque doit non seulement ne pas être sous-estimée, mais, bien au contraire, bénéficier de toute notre attention.
Si j'approuve pleinement, bien sûr, la décision du Conseil quant au report des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, il me semble toutefois impératif de calmer le dépit de la Turquie.
A cet égard, monsieur le ministre, deux problèmes se posent dans lesquels la Turquie joue un rôle majeur.
Tout d'abord, s'agissant du rapprochement américano-israélo-turc dans le cadre des manoeuvres navales et aéronavales en Méditerranée commencées le 7 janvier dernier, je souhaite connaître votre sentiment quant à un rapprochement accru de la Turquie et des Etats-Unis.
La décision européenne n'est-elle pas la cause d'une consolidation de ce rapprochement ? Comment envisagez-vous de contrecarrer les effets négatifs qu'un tel rapprochement pourrait produire sur les relations politiques, économiques et sécuritaires de la France et de l'Europe avec les Etats du bassin méditerranéen ?
Le deuxième problème, c'est la question kurde, problème éminemment difficile et actuel. Comment l'Union européenne peut-elle en effet inciter la Turquie à jouer le rôle géographique et stratégique qui devrait être le sien, alors qu'elle vient, par ailleurs, de lui réitérer son refus quant à son adhésion à l'Union ? Il me semble souhaitable et urgent, monsieur le ministre, que vous nous apportiez quelques informations à ce sujet.
J'en reviens aux questions institutionnelles.
Si le sommet de Luxembourg a clairement marqué l'ouverture des négociations d'adhésion avec six nouveaux Etats, il faut, en revanche, souligner que tout reste à faire en matière de réformes institutionnelles.
Le texte final adopté à Luxembourg affirme bien que « l'élargissement de l'Union nécessite au préalable un renforcement et une amélioration du fonctionnement des institutions conformément aux dispositions du Traité d'Amsterdam ». C'est lié.
Mais le plus grand silence règne quant à la forme concrète que pourraient prendre ces nécessaires évolutions institutionnelles, notamment l'extension du vote majoritaire, la modification de la pondération des votes et la composition de la Commission.
C'est pourquoi je souhaite, monsieur le ministre, que vous fassiez un tour d'horizon des modifications des institutions européennes que la France envisage de demander, le moment venu, afin de connaître les chances de succès de ces demandes.
Je ne m'étendrai pas sur l'impact financier que ne manquera pas d'avoir le futur élargissement de l'Union. Vous savez comme moi, monsieur le ministre, mes chers collègues, que les économies des futurs Etats membres sont très peu développées. L'Union élargie devra donc obligatoirement faire preuve d'une énorme capacité de financement. D'où proviendront ces sommes sachant que, sur les rares contributeurs nets au budget communautaire, la France et l'Allemagne traversent des périodes budgétaires difficiles ? Il faudrait, monsieur le ministre, que vous nous expliquiez ce qui est envisagé.
Vous savez également que les agriculteurs français, tout comme leurs homologues européens, ne sont pas prêts à se sacrifier pour la modernisation de l'agriculture des Etats d'Europe centrale et orientale. Il en va de même des bénéficiaires des aides structurelles de l'ensemble des Etats de l'Union, qui sont tous touchés par des difficultés économiques et sociales parfois majeures, alors qu'il semblerait que l'aide européenne aux régions françaises soit susceptible d'être affectée par une baisse de 20 %.
Quelles seront les décisions qui permettront de concilier ces différents impératifs financiers ? C'est une autre question, monsieur le ministre.
Telles sont quelques-unes de mes interrogations. Aux quelques questions que j'ai pu vous poser, j'attends vos réponses, monsieur le ministre, car il est indispensable que les parlementaires et les élus locaux que nous sommes y voient plus clair.
Je partage, avec la grande majorité des Français, le point de vue pragmatique qui veut que l'on accepte le changement quand il est utile et les efforts et les restrictions quand ils sont nécessaires.
Si les efforts que vous nous demanderez vont dans le sens de l'intérêt de notre pays et de l'Europe, s'ils affichent une grande ambition susceptible d'améliorer le sort de nos concitoyens, vous pourrez compter sur mon adhésion pleine et active, ainsi que sur celle de mon groupe, qui, vous le savez, est très attaché à la construction européenne. D'ailleurs, ne s'appelle-t-il pas le Rassemblement démocratique et social européen ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon amie Danielle Bidard-Reydet, qui était inscrite initialement dans ce débat, mais qui ne pouvait être présente aujourd'hui, m'a demandé de la remplacer.
Comme la plupart des Français, nous sommes favorables à la construction européenne. Nous aspirons à construire des relations stables, des relations de codéveloppement sur le continent européen. Nous aspirons à contruire une Europe qui surmonte ses fractures historiques, une Europe respectueuse des acquis de chacun et favorisant la croissance au profit de tous.
La question, aujourd'hui évoquée, de l'élargissement ne peut être dissociée de celle des enjeux et des objectifs affichés de la construction européenne.
Pour notre part, nous avons la volonté de construire des rapports de codéveloppement propres à promouvoir les échanges, à consolider la paix sur le continent et à amorcer une rupture avec la logique impitoyable de l'actuelle « mondialisation ».
Dans cette logique, le chantier de la « Grande Europe » doit respecter des règles de véritable partenariat, reposant sur un dialogue effectif avec tous les pays candidats sur un pied d'égalité.
Si le dessein de l'Europe était simplement de s'engager plus à fond dans la guerre économique planétaire, l'élargissement se traduirait par des contraintes draconiennes pour les pays candidats, un accroissement des inégalités de développement entre régions favorisées et défavorisées, la révision à la baisse des acquis de la politique agricole commune et des fonds structurels, et un encouragement au chantage aux délocalisations.
Dans ce cas, cela reviendrait à un marché de dupes pour les populations des anciens comme des nouveaux pays membres de l'Union européenne. Cette logique se traduirait dans les faits par de dangereuses désillusions et de graves tensions en Europe pouvant déboucher sur des crises.
Quelle est notre analyse des décisions prises par le Conseil européen, les 12 et 13 décembre dernier, sur la question de l'élargissement ?
Dans un premier temps, je formulerai nos inquiétudes sur le processus d'élargissement choisi. Ensuite, je soulignerai l'aspect positif potentiel qu'il présente. J'en terminerai en présentant nos propositions de réorientation de la construction européenne.
Quels sont les risques de l'élargissement ?
Tout d'abord, la manière dont s'engagent les négociations est critiquable.
S'agissant des pays candidats, le processus de négociation retenu risque d'entraîner entre eux une sévère concurrence du fait de la différence de traitement qui leur est réservée.
En effet, les négociations vont d'abord s'ouvrir, dès le printemps de cette année, avec un premier groupe de pays de l'Est - Hongrie, Pologne, Estonie, République tchèque, Slovénie - et Chypre, qui avaient bénéficié d'un avis favorable de la Commission européenne en juillet 1997 dans son Agenda 2000.
Pour les autres pays candidats - Roumanie, Slovaquie, Lettonie, Lituanie et Bulgarie - les négociations ne s'ouvriront qu'après qu'ils auront été reconnus « prêts ». Ils seront soumis à une évaluation annuelle pour mesurer les progrès réalisés.
S'agissant de la Turquie, je suis assez d'accord avec MM. About, de Villepin et Lesein sur le nécessaire dialogue avec ce pays en vue de son arrimage, sous une forme ou sous une autre, au « navire Europe ». C'est, à l'évidence, une question importante, même s'il faut aujourd'hui encore souligner que des obstacles non négligeables restent dressés, tant en raison du problème de Chypre, évidemment, du contentieux de la mer Egée, de l'action inacceptable des forces armées turques au Kurdistan, que de la persistance, au sein de la police turque, de « mauvaises habitudes expéditives » très éloignées du respect des droits de l'homme.
D'emblée, les pays et les populations sont placés, dirais-je, dans une logique de concurrence.
Comment, d'un côté, travailler à rassembler dans un espace européen unifié, équilibré, dans une logique de partenariat et, de l'autre, engager des négociations à plusieurs niveaux en créant des clivages entre les pays candidats ?
Les actuels pays bénéficiaires de la politique agricole commune et des fonds structurels - notamment, pour ces derniers, la Grèce, le Portugal, l'Espagne et l'Irlande - s'inquiètent, on le sait, de l'arrivée de nouveaux pays pouvant aboutir à une baisse significative de leurs « subventions ».
Ces politiques communautaires ont représenté 80 % des dépenses budgétaires de l'Union européenne ces dernières années. Or, les pays candidats seront concernés par ces mesures, étant donné, notamment, le poids de leur agriculture.
Dans la mesure où les contributions des pays membres ne sont pas augmentées - nous savons que l'Allemagne, par exemple, souhaite une réduction de sa contribution - on peut se demander comment sera financée la hausse des fonds nécessitée par l'entrée de nouveaux pays potentiellement bénéficiaires de ces politiques communautaires. On peut se demander également combien cela coûtera à notre pays.
Deuxièmement, le processus de négociations prévu pose problème dans la mesure où il établit une relation de subordination.
La Commission impose aux pays candidats des contraintes draconiennes, s'inscrivant dans une politique ultralibérale.
C'est la mise en place d'une logique conduisant à des privatisations et à l'abandon de secteurs d'activités importants, qui nécessitent, certes, dans la plupart des pays candidats, notamment en Europe de l'Est, de profondes rénovations, ce qui entraînera un chômage massif, une précarité généralisée et une dégradation sociale dans ces pays.
L'application de cette logique met en concurrence des peuples et des économies, au détriment, nous semble-t-il, du progrès économique et social. Elle impose des abandons de souveraineté nationale et peut tendre à exacerber certains nationalismes et à provoquer des tensions graves pour l'équilibre de ces régions.
La marche forcée vers la monnaie unique s'inscrit, selon nous, dans cette même logique d'abandon de souveraineté. Aujourd'hui, l'euro conduit, avec l'application des critères de convergence de Maastricht, à l'accentuation de la précarité et des pressions sur le pouvoir d'achat.
Cependant, une des décisions de ce Conseil européen de Luxembourg constitue un axe potentiellement positif.
Les Quinze ont décidé de mettre en place une « Conférence européenne » réunissant les quinze pays membres et tous les « Etats européens ayant vocation à adhérer ». Elle prévoit de rassembler tous les pays concernés par l'élargissement pour examiner ensemble les deuxième et troisième piliers du traité : politique étrangère et de sécurité, affaires intérieures et justice.
Mais la Conférence ne doit pas se limiter à ces seules questions, certes importantes, qui donneraient la vision d'une Europe uniquement préoccupée des problèmes de l'immigration. Elle doit également aborder les questions économiques et sociales. Les questions de l'emploi, du développement économique de la protection sociale sont les questions fondamentales à débattre dans l'optique d'une Europe au service des populations.
De même, cette Conférence doit s'ouvrir aux parlements européens et nationaux, ainsi qu'aux représentants des « sociétés civiles », c'est-à-dire aux représentants des syndicats, des organisations non gouvernementales et des associations.
Le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution plusieurs articles du traité d'Amsterdam comme touchant aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
La meilleure procédure, selon nous, celle qui relève de la souveraineté directe du peuple, principe fondateur de la République, est, dans ce cas, le référendum.
Depuis le référendum sur le traité de Maastricht, d'importantes décisions ont été prises. Elles vont souvent au-delà des dispositions arrêtées par les traités déjà ratifiés et elles engagent l'avenir des pays et des peuples de façon contraignante ; c'est le cas avec l'euro et le pacte de stabilité.
Les Français sont finalement peu ou assez mal informés de ce qui se prépare. La consultation par référendum, en permettant l'instauration d'un large débat, favorisera, nous le pensons, de nouvelles avancées tant au niveau de la perception des problèmes par nos compatriotes qu'au niveau de la construction européenne elle-même.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut rapprocher l'Europe du citoyen, et, en cette veille de grands changements que la construction européenne va connaître, il nous paraît capital de consulter les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Robert Pagès Très bien !
M. le président La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord remercier M. About de sa question, qui nous donne l'occasion d'un débat sur un sujet important, après le Conseil européen de Luxembourg des 12 et 13 décembre dernier, qui ne l'a pas été moins.
Je crois que la tonalité de vos débats est assez claire : il s'est agi, en effet, lors de ce Conseil européen, d'un moment important de la construction européenne, puisque les Européens ont décidé d'ouvrir un processus qui doit permettre la réunification de la famille européenne, séparée par l'Histoire. Il s'agissait donc, effectivement, d'un moment historique, qualificatif parfois galvaudé, mais, en l'occurrence, tout à fait justifié.
Ce Conseil européen difficile se présentait sous des auspices médiocres - je reviendrai peut-être tout à l'heure sur les observations faites par M. de La Malène. Mais la France a su peser en faveur d'un processus, finalement retenu, qui soit à la fois global - c'était très important - inclusif mais aussi flexible.
Avant d'aborder les questions soulevées, je veux dire que ce Conseil a été empreint, ainsi que l'a déclaré M. le Président de la République, d'une certaine émotion. Certes, ce n'était pas la première fois que l'Europe se réunissait à vingt-six, mais c'était la première fois que les « Vingt-six » étaient réunis dans une perspective qui est bien celle de la réunification européenne. M. Genton a bien cerné le sujet : la perspective d'un enrichissement considérable pour l'Union européenne, voire d'une redéfinition du dessein européen, et l'altération éventuelle de la nature de la construction européenne sont autant de questions qui sont posées par l'élargissement.
J'articulerai ma réponse à la question de M. About autour de points : tout d'abord la méthode d'élargissement décidée par le Conseil européen, qui a suscité un véritable intérêt mais qui connaît aussi des incertitudes ; la Conférence européenne, dont l'intérêt semblerait désormais plus limité, monsieur About ; la réforme des institutions de l'Union, qui est indispensable et urgente ; la Turquie et le nécessaire renforcement de son ancrage à l'Europe ; enfin, le cadre financier et la réforme des politiques communes.
Sur la méthode décidée par le Conseil européen à Luxembourg, je veux d'abord exprimer quelques motifs de satisfaction, sans doute les principaux.
D'une façon générale, la présidence luxembourgeoise a été une excellente présidence, à la fois inventive, souple, très ouverte aux thèses françaises, propice à reconstituer un travail franco-allemand qui n'est pas toujours des plus faciles ; une présidence qui a été parfaite de bout en bout, sauf, peut-être - s'il fallait apporter un petit bémol - sur la question turque : ce pays a peut-être été poussé dans ses retranchements en provoquant les réactions que l'on connaît.
Le Conseil européen a pris des décisions essentielles pour l'avenir de l'Europe, que l'on peut qualifier d'historiques, puisqu'il a engagé de façon maintenant irréversible le processus d'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale.
La méthode retenue me semble pertinente, puisqu'elle permet le lancement effectif d'un processus d'adhésion inclusif, qui englobe donc tous les pays candidats, ce qui est très important. Le Président de la République et le Gouvernement partageaient le souci exprimé par M. de Villepin : il fallait éviter que de nouvelles lignes de fracture ne se créent à l'occasion d'une différenciation trop prononcée. J'avais à plusieurs reprises, lors d'auditions devant la délégation ou devant la commission des affaires étrangères du Sénat, indiqué à M. de La Malène que cela me paraissait possible.
La présidence luxembourgeoise a trouvé un moyen particulièrement astucieux et inventif d'y parvenir. Rien n'aurait été pire que de donner le sentiment à Luxembourg de ne retenir que les candidats les mieux préparés en se fondant sur des considérations techniques qui ne valent, par rapport à l'évolution fantastique que connaissent ces pays, que pour quelques mois ou quelques années et d'écarter les autres du champ de l'élargissement.
M. Estier a mentionné le cas des Etats baltes. Il se trouve que, lors de la semaine précédant le Conseil européen, j'ai eu l'occasion de me rendre dans ces Etats. Pour trouver les fondements d'une différenciation, il fallait avoir une loupe que je n'avais pas emportée avec moi. On voit bien qu'autant peut-être, c'est vrai, l'Estonie a quelques avantages s'agissant des réformes institutionnelles ou administratives, autant il n'est pas raisonnable d'affirmer qu'en cinq ans la situation ne peut pas changer. Il n'est pas impossible que, au contraire, tel ou tel pays, la Lituanie ou la Lettonie, pourrait éventuellement, dans ce délai, rattraper son retard. La perspective raisonnable reste donc que ces pays se voient offrir la chance d'adhérer ensemble, même si, au départ, il existe quelques petites différences. C'est à cette perspective que nous parvenons, car le Conseil européen a bien compris les risques d'une discrimination. Il a évité cet écueil puisque, en définitive, les chefs d'Etat et de gouvernement ont décidé de lancer un processus d'adhésion avec les dix pays candidats d'Europe centrale et orientale ainsi qu'avec Chypre sur un pied d'égalité. Il a clairement inscrit ce processus dans l'article O du traité relatif à la procédure d'adhésion à l'Union.
On peut partager sur ce point la satisfaction de M. François Lesein. Cette référence au traité fondateur est évidemment très importante puisqu'elle consacre la décision de l'Union d'intégrer en son sein l'ensemble des candidats. Il y a bien, après Luxembourg, une vocation égale à l'adhésion et à un rythme qui respecte les spécificités de chacun des candidats.
Ayant participé au déjeuner des ministres des affaires étrangères des pays candidats, je peux effectivement dire que tous, finalement, voyaient là une réponse à leurs soucis. Certains souhaitaient en fait attendre, sans le dire ; certains souhaitaient aller vite ; tous manifestaient une satisfaction égale par rapport à ce qui s'était produit et avaient la sensation, je crois fondée, que des chances égales leur étaient données.
Par ailleurs, le Conseil européen a explicitement prévu que, sur la base d'un rapport de la Commission, le Conseil pourrait décider l'ouverture de négociations d'adhésion avec d'autres candidats qui seraient prêts. La date de début des négociations ne préjuge pas, c'est très important, celle de leur conclusion. Certains pays, partis plus tard, rattraperont, voire dépasseront les candidats entrés plus tôt en négociation.
C'est pourquoi je soulignais que ce processus était un processus flexible, ce qui est fondamental. Il s'agissait, là aussi, d'une demande de la France, appuyée par d'autres pays.
A cet égard, la préoccupation exprimée par M. de Villepin est légitime. Elle est d'ailleurs reprise par les autorités françaises. En réalité, il n'y aura pas, car il ne peut pas y en avoir, deux trains séparés de l'élargissement. Les premiers nouveaux adhérents ne doivent pas pouvoir s'opposer à tout élargissement ultérieur. Le cadre général des négociations adopté par le Conseil prévoit « l'acceptation du principe par chaque candidat de placer sa candidature dans le contexte du processus inclusif d'élargissement instauré par le Conseil européen ». Nous sommes donc bien dans ce cadre global et inclusif. On ne pourra pas le découper en tranches, en revenant plus tard sur des oppositions entre telle ou telle nation - on voit bien lesquelles - dans le contexte parfois mouvementé de cette Europe centrale et orientale.
Enfin, le renforcement de la stratégie de préparation de l'adhésion autour de partenariats d'adhésion, qui seront adoptés avant le 15 mars, permettra d'accompagner la mise à niveau des pays candidats. De plus, dans le cadre de la prochaine programmation financière, les crédits PHARE seront complétés par des aides dites préstructurelles ainsi que par une assistance dans le secteur agricole. Ces aides tiendront compte des besoins des pays candidats, notamment de ceux des moins avancés d'entre eux.
J'en profite pour répondre à une observation de M. Bécart. Les conditions posées par la Commission aux réformes dans les pays d'Europe centrale et orientale sont rigoureuses, personne ne peut le nier. Ces pays ont procédé massivement à des privatisations. Pourront-ils poursuivre dans cette voie dans le contexte de crise que connaissent l'économie mondiale et les marchés financiers aujourd'hui ? Il est moins certain que ce rythme se maintiendra à la même vitesse. Mais il n'est pas exact de dire que les privatisations sont imposées par l'Union européenne, car ce n'est pas le cas. Et d'ailleurs, il est des exemples d'aides PHARE à des services publics. L'Union européenne, c'est vrai, a une tendance libérale - qui peut le nier ? - mais elle ne prône pas un système ultralibéral. Elle permet l'évolution d'économies qui conservent des services publics forts.
Quant à l'intérêt et à l'avenir de la Conférence européenne, évoqués par M. About, repris avec le même souci par M. de Villepin, la question est bien sûr légitime. Deux éléments pourraient jeter en effet un doute sur la pertinence de cet instrument, qui est assurément d'inspiration totalement française. Nous avons été porteurs, inventeurs de bout en bout de cette conférence.
Premier élément : la méthode retenue par le Conseil européen, qui atténue fortement la différenciation entre les candidats, semble définitivement les prémunir contre le risque d'apparition de nouvelles fractures sur le continent européen. Or, précisément, l'un des objectifs assignés à la Conférence européenne était d'aider à la prévention d'un tel risque. Le risque est moindre. Aussi l'outil était-il nécessaire.
Second élément : la participation de la Turquie à la Conférence est évidemment nécessaire. C'était là une des raisons qui nous ont conduits à la proposer. Or le traitement relativement, pour ne pas dire très insatisfaisant imposé à ce pays à Luxembourg laisse planer un doute quant à sa participation. Je reviendrai sur ce point.
Mais, pour autant, la Conférence européenne demeure l'un des éléments essentiels destinés à garantir la cohérence d'un processus d'élargissement qui, pour reprendre l'expression de M. de La Malène, ne sera pas un long fleuve tranquille. Il sera long et sans doute très complexe.
Pourquoi la Conférence européenne est-elle un élément très important ?
D'abord, parce que c'est la seule enceinte qui réunira les membres actuels et futurs de l'Union européenne.
Ensuite, parce que c'est un forum indispensable pour que ses membres puissent traiter des questions d'intérêt général - politique extérieure et de sécurité commune, affaires de justice et affaires intérieures, projets économiques d'intérêt commun - en préfigurant l'Europe à vingt-cinq, ou trente demain.
Pour ma part, je crois qu'il faut accepter cette Conférence européenne. Elle est un peu fondée sur les conceptions françaises et, d'ailleurs, le Président de la République l'a voulue ainsi : petit à petit, nous avons cessé de la concevoir comme un élément du processus d'élargissement pour en venir à une entité plus vaste à laquelle d'autres pays pourraient plus tard s'agréger, notamment la Suisse, la Norvège ou l'Ukraine, c'est-à-dire à une préfiguration d'une Europe beaucoup plus vaste, qui est celle de demain. La Conférence tend donc à se déconnecter du processus d'élargissement et prend une signification plus vaste.
Il est clair que nous suivrons avec attention les décisions que prendra la Turquie lorsque lui sera lancée - cela a été décidé - l'invitation à participer à la Conférence européenne. J'y reviendrai dans quelques instants.
La troisième question est celle de l'urgence et de l'impératif d'une réforme des institutions. Nous en parlons à chacune de nos discussions ici et, au fond, elle fait l'unanimité, en tant que question en tout cas, sur toutes les travées.
M. About a parfaitement raison : la réforme institutionnelle reste à faire, et le Gouvernement, à Amsterdam et depuis Amsterdam, l'a dit avec force. Comme vous l'avez souligné, monsieur le sénateur, il nous reste à dire laquelle nous souhaitons.
J'aborde ce sujet en présence de Michel Barnier, avec qui j'en parlais encore hier soir, en commentant quelques mots qui ont été prononcés à propos de l'actuelle ou de l'ancienne majorité : il y a finalement une continuité extrêmement grande. C'est vrai, le Gouvernement peut souligner qu'il a pris l'affaire en fin de course ; mais M. Barnier me faisait observer dans une conversation privée qu'il avait manqué quelques semaines - pas tout à fait de notre fait, mais cela s'est trouvé ainsi ! - au précédent gouvernement pour achever cette négociation.
Je note que les uns et les autres, à quelques semaines près, nous avons obtenu sur ce point un succès modéré. Il n'est donc pas à mon sens raisonnable, monsieur Badré, d'attribuer l'échec institutionnel d'Amsterdam à je ne sais quel malaise à Poitiers. Le ver était largement présent dans le fruit !
S'agissant de l'extension d'une partie de la réforme, sur laquelle s'interrogeait M. de Villepin, nous nous efforçons de trouver des alliés. Il est vrai que nous ne sommes pas très nombreux, mais il y a clairement l'Italie et la Belgique, et il y aura demain, j'en suis persuadé, les Pays-Bas et l'Espagne. De plus, j'ai la conviction que la présidence britannique est prête à jouer sur des positions qui sont assez proches des nôtres.
A Luxembourg, cette réforme n'était pas à l'ordre du jour ; ce n'était ni le lieu, ni le moment ; l'agenda de Luxembourg était considérable, sans parler du Conseil de l'euro et d'autres questions. Ce qu'une Conférence intergouvernementale lourde et longue n'avait pas pu produire, nous ne pouvions pas le faire en six mois, c'est clair.
En revanche, nous avons obtenu à Luxembourg la confirmation que la réforme des institutions est un préalable indispensable à l'élargissement, ce qui va au-delà de la seule réthorique. Sur cette question, sachez que la détermination du Président de la République et du Gouvernement est entière. Je sais qu'elle est largement partagée par les parlementaires, à l'Assemblée nationale et au Sénat, comme l'ont prouvé les interventions de tous les orateurs.
Dans la période qui s'ouvre, nous devrons prendre appui sur les conclusions du Conseil européen pour obtenir une véritable réforme des institutions permettant à une Union élargie de fonctionner efficacement. Dans ce contexte, M. About nous demande de préciser notre conception sur ce préalable institutionnel.
Tout d'abord, je crois qu'il faut le dire, il n'y aura pas de conclusion des prochaines négociations d'adhésion sans une réforme institutionnelle préalable.
M. Nicolas About. Très bien !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Cela répond à l'engagement solennel de la France et d'autres Etats membres, comme en témoigne la déclaration signée par la France, la Belgique et l'Italie annexée au traité d'Amsterdam.
Quel sera le contenu de cette réforme institutionnelle ? Ne cachons pas qu'il faut encore y réfléchir. Il ne serait pas raisonnable que nous nous contentions de reprendre des positions qui, à Amsterdam, n'ont pas fait l'unanimité et qui ont provoqué une crise. L'élargissement à dix ou douze pays entraîne un changement d'échelle qui ne s'improvise pas.
Parmi les composantes de la réflexion, figurent aussi le passage à la monnaie unique et le choc fédérateur qu'il entraînera.
Certains orateurs, notamment M. Badré, ont évoqué la perspective fédérale, qui serait indispensable pour que fonctionne une Union à vingt ou trente membres. Pour ma part, je ne crains pas de dire que ce n'est pas un tabou et qu'effectivement, lorsque nous parlons avec M. Hubert Védrine de choc fédérateur de l'euro, nous pensons bien à une perspective fédérale, même si ces termes sont peut-être quelque peu éloignés de la réalité.
Pour revenir à la réforme institutionnelle à plus court terme, les thèmes en sont connus.
Premièrement, il s'agit d'une Commission plus collégiale, donc plus restreinte. C'est essentiel pour que celle-ci retrouve son rôle de garant de l'intérêt communautaire.
Deuxièmement, c'est une extension, je dirais presque une sytématisation, du vote à la majorité qualifiée dans les domaines où la dernière Conférence intergouvernementale n'a pu aboutir.
Troisièmement, il s'agit - l'on retrouve, finalement, des orientations déjà connues - d'une nouvelle pondération des voix au Conseil, qui est indispensable en termes d'efficacité et de représentativité des Etats membres.
Quelle sera la méthode ? Sur ce point, je partage l'avis de M. de Villepin : la méthode de la CIG - cela méritera peut-être de plus amples débats - a montré certaines de ses limites ; il faut donc réfléchir à une nouvelle méthode. Celle du « comité des sages » est possible, ou, en tout cas, celle d'une procédure spécifique combinant le caractère politique de la démarche et le souci de son efficacité.
Cette question ne manque pas d'intérêt, me semble-t-il. Là encore, parce que nos réflexions en sont à un stade préliminaire et que, je l'avoue, nous avons du temps, nous aurons l'occasion d'en reparler.
Le quatrième aspect de la question de M. About concerne la nécessité de renforcer l'ancrage de la Turquie à l'Europe. Mais ce sujet a également été évoqué par MM. de Villepin, Lesein et Bécart.
Comme vous le savez, M. Hubert Védrine, le ministre des affaires étrangères, vient de se rendre en Grèce et en Turquie. Il a engagé une discussion de fond sur ces questions, dans le prolongement du Conseil européen. Je veux d'emblée préciser notre position, qui rejoint la vôtre, monsieur About.
La Turquie est un partenaire stratégique essentiel parce qu'elle est à la confluence de plusieurs mondes - l'Europe, le Caucase et le Proche-Orient - parce que c'est un grand pays et un pays laïc. Son ancrage à l'Union européenne est nécessaire pour assurer son évolution démocratique ainsi que son développement économique à long terme.
Nous devons tous avoir à l'esprit les risques que présenterait une rupture de cet ancrage, à savoir les tentations islamistes, d'une part, le blocage de la question de Chypre, d'autre part, sans oublier, comme l'évoquait M. François Lesein, les rapports avec les Etats-Unis. En effet, ce dernier pays reste sans doute notre allié et notre partenaire, mais il est aussi notre compétiteur.
La Turquie est un élément stabilisateur pour l'ensemble de la région. C'est pourquoi, je le dis sans ambages, elle mérite mieux que le traitement qui lui a été accordé à Luxembourg, d'autant que l'union douanière ne lui a pas apporté tout ce qu'elle était en droit d'attendre, notamment en matière d'aide financière, alors que l'Union européenne, pour sa part, a très largement bénéficié des effets de cette union douanière en termes commerciaux.
De notre point de vue, il est très important d'envoyer des signaux politiques forts sur les perspectives européennes de la Turquie afin de conforter l'orientation occidentale de ce pays et d'emporter le soutien de l'opinion publique turque aux réformes qui sont nécessaires pour aller dans ce sens, mais qui sont coûteuses économiquement et politiquement. C'est le sens de la visite effectuée par M. Hubert Védrine à Ankara peu de temps après la tenue du Conseil européen.
A Luxembourg, l'Union européenne a réaffirmé timidement l'éligibilité de la Turquie, elle a mis au point une stratégie d'intégration, elle a entériné le principe de la participation d'Ankara à la Conférence européenne. Ces éléments incluent la Turquie dans le processus d'élargissement, même si elle n'est pas partie prenante, dans l'immédiat, du processus d'adhésion proprement dit. Ne nous cachons pas que la Turquie a un long chemin à parcourir pour se conformer aux critères de Copenhague, qu'il s'agisse des droits de l'homme, des rapports avec ses voisins ou du dossier de Chypre.
M. Hubert Védrine ne s'est pas rendu dans ce pays pour tenir un discours complaisant : nous avons dit à nos interlocuteurs que la Turquie devait évoluer. Il est dans le même temps naturellement dans son intérêt de prendre le temps de la réflexion pour analyser les propositions formulées par le Conseil européen.
Aussi convient-il, selon nous, d'inviter Ankara à prendre un peu de recul par rapport au Conseil européen de Luxembourg. Tout n'a pas commencé, tout ne s'est pas achevé à Luxembourg ! Lors des trente dernières années, au-delà des aléas politiques, nous avons accompli pas à pas beaucoup de choses avec ce pays. Nous souhaitons préserver et accroître cet acquis.
A ce titre, nous estimons que la stratégie européenne pour la Turquie définie à Luxembourg devrait être engagée rapidement et que ce pays devrait participer, sans qu'aucune condition préalable ne lui soit opposée, à la réunion de la Conférence européenne prévue à la mi-mars.
Je relève toutefois un problème : M. Hubert Védrine a eu le sentiment très net qu'à l'heure où nous parlions le gouvernement turc, avec beaucoup de fermeté, ne manifestait pas le souhait de participer à cette réunion. Comme vous le savez, M. Yilmaz a en effet indiqué que la date retenue ne figurait pas sur son agenda, ce qui est quelque peu ennuyeux. M. François Lesein s'est interrogé sur le rapprochement entre la Turquie et les Etats-Unis. L'ancrage à l'OTAN de la Turquie est ancien, ce qui fait que le lien américano-turc est très fort ; et il peut encore se renforcer à l'occasion des difficultés de l'Europe.
Quant au partenariat stratégique américano-turco-israélien, je pense qu'il rencontrera des limites évidentes dans le contexte moyen-oriental, la Turquie ne pouvant totalement s'isoler, comme l'ont démontré ses déboires lors du sommet de l'Organisation de la conférence islamique, en décembre. Il y a sans doute là un motif de préoccupation. Mais il ne faut pas l'exagérer.
Au sujet de la question kurde, vous l'avez souligné à juste titre, il est contradictoire de rejeter un pays loin de l'Europe tout en le sommant de résoudre des questions qui sont extraordinairement délicates.
En conclusion de mon propos sur la Turquie proprement dite, je dirai que tous ces éléments prouvent qu'il n'y a pas de raison d'être pessimiste à l'excès. La Turquie a fait la preuve de sa bonne volonté dans les derniers jours pour coopérer avec l'Europe dans la maîtrise des flux migratoires, notamment lors de la réunion des chefs de la police à Rome. J'ai bon espoir que cette attitude de coopération se poursuivra sur d'autres plans, c'est-à-dire sur le plan général des relations turco-européennes.
S'agissant de Chypre, et pour répondre aux préoccupations de M. Claude Estier, je dirai que nous attendons de toutes les parties qu'elles adoptent une attitude responsable. La réaction de la Turquie sur Chypre est à la mesure de sa déception. Elle est très clairement exagérée et il faut s'efforcer, à présent, de convaincre Ankara que la Turquie n'aurait rien à gagner à s'engager dans une épreuve de force. Cela implique que la Grèce et les Chypriotes grecs fassent également preuve d'ouverture. Cela implique aussi que la Turquie fasse ce qu'elle a à faire.
A Luxembourg, nous avons oeuvré pour que les conclusions reflètent la lettre et l'esprit de la décision du 6 mars 1995. Le Conseil européen a ainsi affirmé que les négociations contribueront à la recherche d'une solution politique en vue de la création d'une fédération bicommunautaire, bizonale. L'objectif doit donc être celui de l'entrée dans l'union d'une île réunifiée. C'est ce que le Président de la République a affirmé tout au long du Conseil européen.
Par ailleurs, le Conseil européen a très clairement demandé que la délégation chypriote comprenne des représentants de la communauté chypriote turque. Cela constitue, en effet, la garantie que les négociations d'adhésion favoriseront un règlement politique conforme aux résolutions des Nations unies.
Je tenais à vous donner la position de la France sur la question turque. Ne nous cachons pas qu'il s'agit d'un dossier extraordinairement délicat dans la conjoncture présente. La France s'efforce de convaincre les Turcs qu'il leur faut améliorer leurs relations avec les Grecs et avec l'Europe, et les Européens qu'il leur faut être plus ouverts vis-à-vis de la Turquie. Le chemin qui reste à parcourir est important, je manquerais à la vérité si je ne le disais pas.
Je veux enfin traiter des orientations relatives au cadre financier et aux politiques communes, en réponse à la question de M. About et aux interrogations fortes de M. de Villepin.
Le Conseil de l'Europe a souligné les principes fondamentaux qui devront guider, dans le contexte de l'élargissement, l'établissement d'un nouveau cadre financier et la réforme des politiques communes, essentiellement celle de la PAC et des fonds structurels. C'est un dossier très difficile, sur lequel les intérêts des uns et des autres sont différents, voire divergents.
Reconnaissons que la plupart de nos partenaires ne souhaitaient pas, pour des raisons variées, aborder à Luxembourg d'autres questions que celle de l'élargissement au sens strict. Pour la plupart - c'était le cas de l'Espagne, comme cela a été mentionné par M. de La Malène, c'était le cas de l'Allemagne aussi, pour d'autres raisons - ils ne voulaient aborder à Luxembourg que la question de l'élargissement au sens strict, sans aborder son volet interne, c'est-à-dire ses conditions.
Le Gouvernement français et le Président de la République se sont battus tout au long de ce conseil et ils ont obtenu, avec le soutien de la présidence luxembourgeoise et de certains de nos partenaires, que quelques principes de base soient rappelés au plus haut niveau de l'Union avant que les négociations ne commencent dans le détail, sur la base des propositions de la Commission, qui sont attendues pour la fin du mois de mars.
Reconnaissons d'emblée, avant de revenir rapidement sur la position prise par l'Europe, que notre niveau d'ambition était initialement plus élevé, voire sensiblement plus élevé ; mais je crois qu'au cours de ce dernier après-midi de réunion du Conseil européen l'essentiel a été acquis.
La Commission est invitée à aller de l'avant et à présenter des propositions précises sur la base du travail qu'elle a effectué dans le cadre d'« Agenda 2000 ». Cela signifie qu'un cadre financier devra être établi, en prenant en compte l'impératif de rigueur budgétaire mentionné par les conclusions du Conseil et en se fondant sur une double programmation des dépenses.
M. de Villepin s'est interrogé sur le coût de l'élargissement. On connaît les estimations de la Commission : 45 milliards d'écus pour les pays nouveaux adhérents, au titre des fonds structurels ; 15 milliards d'écus pour la PAC, pour les mêmes pays ; quant au coût de l'effort de préadhésion, il serait de l'ordre de 9 milliards d'écus.
Il s'agit là, évidemment, d'une évaluation sujette à caution. C'est pourquoi nous avons demandé une double programmation, car l'on ne sait pas très bien quels pays auront adhéré dans cinq ans étant donné que l'on a un peu tout mélangé. Raison de plus pour mener maintenant ce travail. Or le fait que le Conseil européen ait décidé de le faire est tout à fait important. C'était une demande essentielle du Gouvernement français ; nous avons obtenu satisfaction.
Les principes essentiels relatifs à la PAC ont été rappelés. Là aussi, ce fut une rude bataille, dans laquelle je soulignerai le rôle du Président de la République, dont on connaît l'attachement à notre agriculture.
J'en rappellerai brièvement les points importants : approfondissement de la réforme de 1992, en prenant soigneusement en compte les spécificités sectorielles et le modèle agricole européen ; préservation de la ligne directrice agricole, ce qui est, bien sûr, fondamental.
En ce qui concerne les fonds structurels, la moisson est beaucoup plus mince. En effet, la plupart des Etats membres n'ont pas souhaité aller au-delà d'une référence générale aux orientations proposées par la Commission. Il en résulte une situation contrastée : nous aurons plus de liberté pour examiner les positions de la Commission mais, en même temps - ne nous le cachons pas - nous aurons encore plus de terrain à occuper pour faire respecter nos intérêts nationaux fondamentaux, ce que, je le sais, chacun ici, sur toutes les travées, souhaite.
C'est sur la base de ces principes que le Gouvernement continuera à faire valoir ses demandes au sein du Conseil dès que la négociation s'engagera sur les propositions de la Commission.
S'agissant du cadre financier, nous plaiderons pour le maintien du plafond des ressources propres à 1,27 % du PNB, avec une marge substantielle destinée à prendre en compte les disciplines de l'Union économique et monétaire.
Nous exigeons également que l'on ne modifie pas la décision sur les ressources propres de l'Union. Cette décision ne pourrait d'ailleurs être modifiée qu'à l'unanimité. L'objectif espagnol n'est donc pas totalement atteint puisque, à défaut de modification, la décision continuera de s'appliquer.
Nous refusons de nous engager dans un débat sur la notion illusoire de juste retour, et cela quel que soit le pays qui le demande, que ce soit la Grande-Bretagne ou même nos amis Allemands.
En matière agricole, nous attendrons les propositions formelles de la Commission. Si nécessaire, nous rappellerons, bien évidemment avec force, les demandes formulées par les ministres de l'agriculture le 17 novembre 1997. Un différentiel d'aides incitatives doit être maintenu en faveur des oléoprotéagineux, c'est important. La réforme de l'OCM bovine doit être plus équilibrée et offrir des soutiens adéquats à l'élevage extensif. Enfin, nous marquerons une nouvelle fois notre hostilité à une réforme du secteur du lait telle que l'envisage la Commission dans « Agenda 2000 ».
Tous ces éléments doivent être pris en compte dans le cadre d'une ligne directrice agricole préservée.
Sachez, enfin, que la vigilance du Gouvernement s'exprimera également en matière de fonds structurels. Nous souhaitons que des mécanismes de transition soient mis en place pour les régions qui pourraient être affectées par la réforme, en particulier celles de l'objectif 1.
Nous veillerons également au bon équilibre des instruments, en particulier de l'objectif 1 et du fonds de cohésion, ainsi qu'à la définition de nouvelles politiques permettant de répondre à nos besoins en termes de reconversion économique, sociale, urbaine et rurale, et de lutte contre le chômage.
Pour ce faire, comme beaucoup d'entre vous l'ont d'ailleurs esquissé, il faut peut-être resituer la problématique de l'élargissement dans son contexte.
En effet, l'avenir de l'Europe ne se réduit pas à son élargissement, qui n'en est qu'une des dimensions. L'avenir de l'Union - au moment où nous entamons l'année 1998, il faut le rappeler - passe d'abord par la mise en place de l'Union économique et monétaire telle que nous la concevons en France, c'est-à-dire réorientée vers la croissance et vers l'emploi.
Je suis persuadé, pour ma part, que nous en mesurerons très vite l'impact fédérateur. Je pense, comme M. Badré, qu'il faut « s'appuyer sur ce qui marche » pour faire redémarrer le projet européen. Je partage l'observation du président Genton : cet aspect fédérateur de l'Union économique et monétaire est un moyen d'éviter que l'on perde en substance ce que l'on gagne en ampleur. C'est sur ce môle qu'il faut bâtir un nouveau départ de la construction européenne.
Cette Union économique et monétaire constitue d'ailleurs, avec le Conseil de l'Europe, l'une des premières applications avant la lettre du mécanisme de coopération renforcée instauré par le traité d'Amsterdam.
Cette coopération renforcée constitue assurément l'une des avancées majeures du traité d'Amsterdam. C'est une notion qui devrait se révéler extrêmement féconde pour l'approfondissement de la construction européenne, car c'est un antidote à l'inertie et au blocage.
Pour donner à ce mécanisme toute son ampleur, il faut d'abord - la question a été soulevée par M. Bécart - ratifier le traité d'Amsterdam, dont je dirai un mot, on comprendrait mal que je ne le fasse pas.
Le Conseil constitutionnel a, le 4 décembre 1997, été saisi conjointement par le Président de la République et par le Premier ministre. Nous avions identifié les problèmes constitutionnels éventuels. Le Conseil constitutionnel, sans grande surprise - en tout cas pour nous - a rendu sa décision : soit le traité doit être modifié, ce qui ne nous paraît pas très raisonnable, compte tenu de la situation complexe de l'Europe - nous ne demandons pas une nouvelle renégociation - soit la Constitution doit être révisée. Elle le sera.
Sur ce point, l'article 89 de la Constitution est très clair : « L'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République, sur proposition du Premier ministre, et aux membres du Parlement. » C'est au Président de la République que revient l'essentiel des initiatives, même si le Gouvernement a un rôle à jouer en ce domaine. C'est notamment lui qui, en application de l'article 89, choisit entre le référendum et le Congrès. C'est la procédure normale.
Pour ma part, j'ai une préférence. On la connaît, je ne la cache pas ; je l'ai d'ailleurs exprimée publiquement. Je crains, en effet, dans l'hypothèse du référendum, non pas la réponse, mais la question. La façon de la formuler pourrait, alors qu'il s'agit somme toute d'une révision très limitée, réveiller une série de peurs. Le Congrès est donc la meilleure solution, et un débat doit s'engager devant le Parlement.
M. Jacques Genton, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. De toute façon, il aura à en débattre, car, en toute hypothèse, un vote doit intervenir dans les deux chambres. Ainsi, le Président de la République apportera en fait la réponse à votre question, monsieur Bécart, quant à la formule choisie.
En toute hypothèse, il est très important que le Parlement, une fois qu'il aura, je l'espère, adopté ce traité qu'il ne devrait pas rejeter, manifeste clairement, selon des formes qui restent à définir, sa volonté de voir ce traité s'appliquer, et qu'il y ait en même temps un préalable institutionnel. Le Parlement doit pouvoir s'exprimer sur ce point, et cet aspect très important devrait faire l'objet d'un consensus sur toutes les travées.
Je voudrais maintenant revenir sur quelques réflexions que vous avez formulées, monsieur de La Malène, concernant l'impact de la France dans le débat européen. Vous avez posé de véritables questions.
La construction européenne connaît aujourd'hui des difficultés. C'est une machine lourde, complexe, dont le fonctionnement doit être amélioré, pour ne pas dire totalement révisé. C'est pourquoi une réforme des institutions est nécessaire. Mais je ne partage pas votre conviction selon laquelle les intérêts français n'auraient pas été entendus lors du Conseil européen de Luxembourg.
Je me suis rendu à ce Conseil, comme le Premier ministre, comme le ministre des affaires étrangères, comme le Président de la République, en considérant qu'il s'agissait probablement de l'un des rendez-vous les plus difficiles que nous abordions parce que la France était la seule à avoir une perspective globale, que vous avez rappelée, sur tous les sujets.
En ce qui concerne les institutions, nous avons obtenu le préalable, c'est très important. Quant à l'élargissement, nous souhaitions un processus global, inclusif, flexible. Nous l'avons obtenu, avec d'autres. Dans le cadre financier, nous étions seuls à défendre certaines positions, et nous n'avons pas tout obtenu.
Le Conseil de Luxembourg a marqué, en quelque sorte, un nouveau départ. L'élargissement se présente dans les meilleures conditions possibles compte tenu de l'extrême complexité du phénomène, et la France y est pour beaucoup.
Selon vous, la France devrait se concentrer sur un petit nombre d'objectifs, comme l'Espagne. Le succès espagnol à Luxembourg est en trompe-l'oeil. Comme je l'ai dit, la décision « ressources propres » ne peut être modifiée qu'à l'unanimité. L'Espagne a obtenu un succès de façade, mais rien n'a changé. Nous abordons la discussion financière dans des conditions qui sont très difficiles, mais qui ne se sont pas dégradées par rapport à ce qui se passait avant le Conseil européen de Luxembourg.
Mais la France n'est pas l'Espagne. Notre pays est en effet, au sein de l'Union européenne, l'un des seuls avec l'Allemagne à avoir une vision globale de l'Europe. Ce couple moteur, même s'il connaît des vicissitudes, qui sont dues non pas à telle ou telle circonstance politique, mais bel et bien à des intérêts objectivement divergents actuellement sur l'élargissement, sur les conditions financières, sur les institutions, reste un couple essentiel. Il fallait le dire alors que nous célébrerons, la semaine prochaine, le trente-cinquième anniversaire du traité de l'Elysée.
Voilà des choses qu'il faut répéter. Je le répète : la France est un des seuls pays à avoir une vision globale de l'Europe. Elle doit continuer à l'avoir. Cela l'expose, bien sûr, parfois à être attaquée, mais c'est tout à fait fondamental.
En conclusion, je dirai qu'il faut effectivement, comme le souhaitait M. de Villepin, bâtir une Europe qui soit une Europe puissante, tout en veillant, comme le souhaitait Claude Estier, à ce que l'élargissement ne signifie pas un affaiblissement, une dilution des politiques communes.
Nous sommes face à un ensemble de dossiers extraordinairement complexes, mélangés, imbriqués, dont la résolution est difficile. C'est à cela que nous nous attaquerons au cours de l'année 1998 et des années suivantes, avec le souci de redonner un grand dessein à l'Europe.
Ce grand dessein, c'est celui d'une Europe des peuples, d'une Europe populaire, qui serve les hommes et toutes les couches de la population. Nous devons en effet veiller à éviter qu'autour de la construction européenne ne se crée une sorte de fracture sociale qui serait également une fracture politique. Je pense que notre débat aura contribué à montrer que cette préoccupation était largement partagée par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Le débat est clos.

3

PROTECTION
DES PERSONNES SURENDETTÉES
EN CAS DE SAISIE IMMOBILIÈRE

Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi (n° 259, 1996-1997), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, renforçant la protection des personnes surendettées en cas de saisie immobilière. [Rapport n° 325 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d'abord de vouloir bien excuser ma collègue Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, qui est empêchée et que je supplée très volontiers pour ce texte dont l'intérêt, s'agissant de saisie immobilière, ne peut pas laisser indifférent le secrétaire d'Etat au logement.
Vous avez souhaité poursuivre en seconde lecture l'examen de la proposition de loi renforçant la protection des personnes surendettées en cas de saisie immobilière.
Ce texte, débattu à l'Assemblée nationale au printemps dernier, apporte une réponse immédiate, mais partielle, aux problèmes que pose la procédure de saisie immobilière, qui est inadaptée à bien des égards.
Si le Gouvernement adhère aux principaux objectifs poursuivis, il n'en reste pas moins que le texte ne répond pas pleinement à son objectif, qui est de lutter efficacement contre l'exclusion sociale.
Il se limite à renforcer l'information du débiteur saisi pour prévenir la vente judiciaire, à améliorer la liaison entre les procédures de saisie immobilière et de surendettement et à assurer un contrôle judiciaire de la mise à prix.
Parce que la perte du logement est l'une des premières causes d'exclusion, il est impératif de mener une réforme ambitieuse comportant un double volet : d'abord, et avant tout, prévenir la vente forcée du logement ; ensuite, lorsqu'elle est inéluctable, s'assurer qu'elle se déroule dans les conditions humaines et économiques les plus satisfaisantes possibles.
Cette réforme est programmée par le Gouvernement dès cette année 1998, sans pour autant qu'il renonce, dans l'intervalle des travaux, à accroître les garanties des débiteurs dont le logement principal serait menacé.
Le Sénat a choisi de se rallier à des aménagements ponctuels sur lesquels je voudrais maintenant m'exprimer.
Avant d'en venir à l'article 3 bis, dont le Gouvernement souhaite la suppression, et je m'en expliquerai tout à l'heure, je tiens à souligner que le texte, dans ses grandes lignes, apparaît au Gouvernement comme globalement positif.
Le renforcement de l'information des débiteurs sur leurs droits, dès le premier acte de la saisie, est de nature à prévenir les ventes forcées et mérite, à ce titre, d'être approuvé.
J'adhère aussi pleinement à la sanction de nullité assortissant cette obligation.
Je sais que cette question a fait l'objet de vifs débats lors des précédentes lectures, mais je crois pour ma part qu'elle est seule de nature à assurer l'effectivité de l'obligation nouvelle.
C'est cette même volonté d'efficacité protectrice qui justifie les dispositions du texte améliorant la liaison entre les procédures de saisie immobilière et de surendettement.
On n'a que trop dénoncé les ventes forcées réalisées en dépit de procédures de surendettement en cours.
Il faut que les commissions de surendettement puissent demander, y compris jusqu'au dernier stade de la saisie immobilière, la remise de la vente.
Cette disposition vient heureusement compléter le mécanisme, adopté dès la première lecture du texte, permettant au débiteur de demander la réduction du capital restant dû après la vente sur saisie.
En effet, bien que prévu dès son origine par la loi Neiertz, ce dispositif était resté très largement ineffectif.
Les deux assemblées se sont accordées pour imposer les formalités propres à permettre au débiteur de faire valoir ses droits.
J'en viens maintenant au contrôle judiciaire de la mise à prix.
Désormais, le débiteur pourra, s'il estime la mise à prix manifestement insuffisante, recourir au juge. C'est là un progrès social manifeste.
Il s'agit de mettre fin à des pratiques abusives et fort anciennes consistant à fixer la mise à prix à hauteur de la créance en occultant la valeur réelle du bien.
S'agissant des modalités de contestation, je sais que le Sénat a marqué une hésitation sur les obligations imposées au débiteur en matière de preuve.
Il a souhaité, dans un premier temps, soumettre la recevabilité de la contestation à des justificatifs.
La commission vous propose aujourd'hui de vous rallier à la position de l'Assemblée nationale excluant toute restriction à la saisine du juge.
Je crois cette position plus juste.
Le Gouvernement ne peut, en revanche, souscrire au mécanisme de remise en vente des biens sur baisses successives du prix en l'absence d'enchères, le cas échéant jusqu'à la mise à prix initiale.
Cette faculté, si elle est systématiquement utilisée, revient à priver de tout effet le principe même de la contestation judiciaire. En tout cas, on peut craindre qu'il n'en soit ainsi.
M. Robert Pagès. Eh oui !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Soucieux d'emporter le bien au meilleur prix, les enchérisseurs pourraient attendre, d'un commun accord, la baisse de la mise à prix pour porter les premières enchères.
Cet effet est déjà observé pour les ventes judiciaires sur liquidation et sur licitation, qui prévoient également une possibilité de baisse de mise à prix.
Le Gouvernement ne souhaite pas voir généraliser un mécanisme qui susciterait de faux espoirs chez le débiteur, qui alourdirait en pure perte la procédure et qui pourrait générer inutilement des frais d'expertise si le juge y avait recours.
Pour autant, le Gouvernement a conscience qu'en l'état actuel de la procédure de saisie immobilière la coexistence des deux règles du contrôle judiciaire de la mise à prix et de l'adjudication d'office au créancier poursuivant à défaut d'enchère au prix ainsi fixé peut susciter des difficultés dans certaines hypothèses.
Je songe, notamment, au syndicat de copropriétaires...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Eh oui !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. ... créancier de charges impayées, qui se retrouverait propriétaire forcé d'un lot et, par là même, débiteur de son propre débiteur.
Ce problème révèle les limites du texte qui vous est actuellement soumis et démontre la nécessité d'une réforme globale, seule propre à prendre en compte la diversité des situations.
Il faut pouvoir faire face à l'ensemble des cas en approfondissant, au-delà du schéma judiciaire actuel, toutes les pistes propres à permettre d'élaborer des solutions adaptées à ce qui constitue toujours un drame humain pour le débiteur.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les propos liminaires que je souhaitais formuler devant vous dans cette phase ultime d'examen de la proposition de loi.
Le consensus qui est progressivement dégagé au sein des deux assemblées doit beaucoup au travail des commissions, et je voudrais, à cet égard, remercier mesdames et messieurs les commissaires, particulièrement M. Hyest, rapporteur de la proposition, et M. Larcher.
En adoptant ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, vous apporterez une première réponse à des situations contre lesquelles nous devons tous nous mobiliser.
Le Gouvernement poursuivra cette oeuvre, et je ne doute pas que le Parlement s'y associera.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la présente proposition de loi est issue de plusieurs propositions de loi déposées par nos collègues députés pour faire face à une situation difficile.
L'Assemblée nationale, dans un premier temps, s'était intéressée à la saisie immobilière dans son ensemble. Or, pour lutter contre l'exclusion, nous devons essentiellement nous intéresser à la saisie des logements principaux. Tel est donc l'objet de cette proposition de loi.
La réforme de la saisie immobilière dans son ensemble est un problème vaste, sur lequel le Gouvernement travaille depuis de très nombreuses années sans avoir pu encore nous soumettre un texte ; enfin, il nous promet qu'il en sera déposé un prochainement.
La commission des lois du Sénat a, je le rappelle, examiné le texte en deuxième lecture au début du mois d'avril, par conséquent avant le résultat des élections législatives ; je tenais à le souligner.
Vous avez noté, monsieur le secrétaire d'Etat, les améliorations réelles apportées par le texte et notamment la meilleure coordination qu'il assurait entre la procédure de traitement du surendettement et la procédure de saisie immobilière, qui posait un vrai problème. En effet, au cours des travaux d'un groupe de travail commun à la commission des lois et à la commission des finances sur les problèmes de surendettement, M. Paul Loridant et moi-même, nous sommes aperçus que la mauvaise articulation entre les procédures engendrait d'importantes difficultés.
Les nouvelles dispositions permettront, en outre, au juge du surendettement de réduire la dette après la vente du bien immobilier alors qu'auparavant des familles qui avaient perdu leur logement principal se voyaient contraintes de payer encore pendant de nombreuses années.
En première lecture, le Sénat avait introduit un article additionnel visant à accorder au débiteur dont le logement principal est saisi un délai de six mois à compter de la signification du commandement pour procéder à la vente amiable de ce bien.
Prenant en considération les objections formulées au cours du débat en deuxième lecture à l'Assemblée nationale selon lesquelles, d'une part, l'ouverture automatique d'un délai de six mois à compter de la signification du commandement pour procéder à la vente amiable peut se révéler contraire aux intérêts du débiteur, d'autre part, le projet de réforme de la saisie immobilière en cours d'élaboration prévoit la tenue d'une audience d'orientation permettant au juge d'aménager une telle possibilité, la commission vous proposera de maintenir la suppression de l'article premier bis, introduit au Sénat en première lecture. Elle a en effet estimé qu'à ces arguments s'ajoutaient la possibilité de demander au juge la conversion de la saisie immobilière en vente volontaire ainsi que le constat selon lequel les organismes de crédit parviennent, dans la majorité des cas, à des solutions amiables.
Je rappelle par ailleurs qu'il arrive, grâce au fonds de solidarité logement, pour peu que le département fasse preuve d'un certain dynamisme, que les biens immobiliers soient rachetés par l'intermédiaire, d'organismes de logement social et qu'y soient relogées des familles surendettées. C'est un aspect du problème que l'on oublie souvent. Les départements y sont sensibles dans la mesure où la perte du logement signifie la dispersion de la famille, avec les conséquences qui en découlent. Si l'on utilise à bon escient cette procédure, on aura déjà fait un pas dans le bon sens.
Reste l'article 3 bis, auquel le Gouvernement n'est pas favorable. Je vais essayer de défendre le dispositif proposé, dont la commission souhaite l'adoption en l'absence d'une meilleure solution.
Nous sommes favorables à l'intervention du juge dans la mise à prix, cette dernière étant parfois insuffisante. Après tout, le créancier veut, lui, rentrer dans les fonds qu'il a prêtés et, s'il fixe la mise à prix au montant de sa créance, je ne vois là rien que de très normal. Par ailleurs, les ventes sur saisie immobilière sont faites pour essayer de trouver le juste prix de vente. On n'a pas encore trouvé, hélas ! de meilleure solution.
Mais, compte tenu de la situation du marché immobilier, dans certaines zones, l'impossibilité de vendre le bien pose un certain nombre de problèmes.
Avec le mécanisme proposé initialement par l'Assemblée nationale, lorsqu'il n'y a pas d'enchérissement sur la nouvelle mise à prix, c'est le créancier qui devient adjudicataire.
Vous imaginez les conséquences : un créancier pourrait être déclaré adjudicataire à une somme supérieure à sa créance. Or, les créanciers ne sont pas toujours des organismes institutionnels.
Vous avez cité un bon exemple, monsieur le secrétaire d'Etat, celui de la copropriété.
Nous savons fort bien que, lorsqu'un copropriétaire ne paie plus ses charges depuis un certain nombre de mois, voire quelquefois d'années, il en résulte une multiplication des situations de surendettement, par effet de ricochet. De nombreux syndics bénévoles nous ont signalé ce phénomène, en particulier dans les villes nouvelles.
Nous avons donc été amenés à proposer l'introduction d'un mécanisme d'enchères descendantes similaire à celui qui existe en matière de liquidation judiciaire pour les commerçants.
Si le mécanisme n'est pas parfait, il reste qu'un système dans lequel le créancier poursuivant, en l'absence d'enchères, est automatiquement déclaré adjudicataire au prix fixé par le juge n'est pas acceptable et peut avoir des effets pernicieux.
C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, compte tenu des enjeux et de l'intérêt global des dispositions proposées pour améliorer la situation des personnes surendettées, la commission a maintenu sa proposition, qui lui paraît constituer un équilibre nécessaire sans lequel le dispositif n'aurait plus de sens.
L'absence de ce mécanisme entraînerait bien des difficultés d'application, mais surtout - monsieur le secrétaire d'Etat, vous le savez fort bien - rendrait plus difficile l'obtention du crédit et aboutirait à un renchérissement de celui-ci. Or, nous devons tous favoriser l'accession sociale à la propriété et, partant, l'activité du bâtiment.
Pour tous ces motifs, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, de voter conforme la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le texte sur lequel nous avons à nous prononcer parcourt depuis quelques années les méandres de la procédure législative.
Nous avons tous eu l'occasion, les uns et les autres, de nous exprimer sur ces dispositions tendant à assurer une protection supplémentaire aux personnes surendettées en cas de saisie immobilière.
Le groupe communiste républicain et citoyen voudrait tout de même revenir sur les situations souvent dramatiques dans lesquelles se trouvent les personnes surendettées, mais aussi sur les causes du surendettement, qui semblent avoir été quelque peu oubliées dans l'examen de cette proposition de loi.
Jusque dans le début des années quatre-vingt-dix, les personnes surendettées, pour une large part, devaient leur situation à l'accumulation de prêts et à des taux d'endettement volontairement excessifs. Ce phénomène était accentué par le rôle décisif joué par certains établissements prêteurs, peu scrupuleux en la matière.
Je me permets d'ailleurs de rappeler que le groupe communiste républicain et citoyen avait, en décembre 1996, proposé d'intégrer à ce texte, lors de la première lecture, un article responsabilisant les établissements prêteurs. Cet amendement n'a pas été retenu, et cela est fort dommage, car la non-prise en compte du rôle joué par les organismes prêteurs conduit à cautionner une procédure autorisant les pratiques douteuses de certaines professions.
Aujourd'hui, les causes du surendettement se sont modifiées. Elles sont maintenant davantage le fruit de la difficile situation économique et sociale que connaît notre pays et qui se traduit par la perte d'un emploi, l'éclatement de la cellule familiale, tout cela entraînant une diminution très sensible des revenus.
Les nouveaux surendettés, dénommés « surendettés passifs » dans le rapport de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée, n'ont pas recours aux crédits. Leurs dettes sont constituées par des impayés de loyer, de facture d'électricité, d'eau, de cantine, de téléphone, d'hôpital, d'impôts locaux, c'est-à-dire uniquement des dépenses liées à la vie quotidienne.
Depuis le début de la décennie, le nombre de ces surendettés passifs ne cesse de croître ; bien entendu, cela tient en particulier à l'augmentation du nombre de chômeurs.
Le mouvement social rassemblant les chômeurs est d'ailleurs la juste expression du malaise des personnes qui ne vivent qu'avec des minima sociaux.
Actuellement, la cause principale du surendettement est donc la misère, le chômage. Or le texte n'offre pas, à notre avis, suffisamment de garanties aux débiteurs saisis. La saisie immobilière est une voie d'exécution qui permet aux créanciers de faire vendre le logement du débiteur afin de se voir rembourser leurs créances.
Cette procédure conduisant à la vente du logement principal enferme les personnes surendettées dans l'exclusion. La perte d'une adresse, pour une personne surendettée au chômage, se traduit aussi par l'impossibilité de retrouver des conditions de vie normale, voire un emploi.
Et la fréquence de ces situations dramatiques ne paraît pas devoir diminuer. En témoignent les prévisions des organismes patronaux, qui estiment à 25 % seulement des actifs le nombre de personnes qui auront un emploi stable et un statut au début du troisième millénaire.
En France, ce serait près de 13 millions de personnes qui ne pourraient subvenir à leurs besoins sans les différentes aides sociales. Autant dire que le nombre de familles surendettées n'est pas près de baisser !
En 1995, il y a eu une augmentation de 35 % du nombre de dossiers déposés sur le bureau de la commission de surendettement.
Actuellement, 30 % de ces familles ne peuvent même plus assurer le paiement des dépenses courantes de la vie quotidienne.
Les différentes lois votées ces huit dernières années, notamment la loi Neiertz, ont peut-être permis, dans certains cas, d'aider les ménages en difficulté, par un rééchelonnement des remboursements et une renégociation des taux d'intérêt, mais elles ne suffisent plus à répondre aux difficultés des personnes surendettées.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui se veut un texte de protection des débiteurs saisis. Or, au fil des débats parlementaires, sa portée s'est trouvée réduite, et nous avons à nous prononcer maintenant sur un texte où la seule innovation est l'inscription dans le commandement de saisie de quatre mentions supplémentaires.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas seulement !
M. Robert Pagès. Les dispositions qui prévoyaient, pour le débiteur saisi, la faculté de disposer d'un délai de six mois afin de procéder lui-même à la vente amiable de son immeuble ou encore celles qui permettaient une prise en compte du prix réel de l'immeuble, garantissant ainsi une objectivité plus grande que la mise à prix par le créancier, ont disparu.
Chacun sait ici que les créanciers, pour être sûrs de la vente du bien, et donc assurés d'être payés, tiennent uniquement compte, dans la fixation du montant de la mise à prix, du montant de leur créance, négligeant la véritable valeur du logement saisi.
Certes, il est possible de faire appel au juge mais certains de ces débiteurs sont dans une situation telle qu'ils n'usent même pas de cette faculté.
Tel qu'il nous est soumis, le texte prévoit que, en l'absence d'enchère, le prix de mise en vente pourrait être abaissé jusqu'au montant de la mise à prix initiale.
Pouvez-vous me dire qui va enchérir quand on sait que, en patientant un tant soit peu, on peut obtenir le même bien pour un prix infiniment inférieur ?
Cette disposition n'élargit aucunement les garanties du débiteur. C'est pourquoi nous proposons également de supprimer l'article 3 bis .
M. le rapporteur a proposé d'émettre un vote conforme. Or il a reconnu lui-même, en commission, que le dispositif de l'article 3 bis n'était pas pleinement satisfaisant. Nous sommes d'ailleurs convenus que la suppression de ce texte n'était pas, non plus, pleinement satisfaisante.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Elle ne le serait pas du tout !
M. Robert Pagès. Il me semble que, dès lors, il serait plus sage de ne pas voter le texte conforme, ce qui permettrait éventuellement, au cours d'une navette qui ne serait pas nécessairement un enterrement, pour reprendre la formule de M. le président de la commission des lois, de trouver une solution intéressante. C'est une raison supplémentaire de supprimer l'article 3 bis comme nous le proposons, avec le Gouvernement.
L'autre modification que nous souhaitons concerne le délai de six mois octroyé au débiteur afin qu'il procède à la vente amiable de son bien.
Cette disposition avait été retenue lors de la première lecture au Sénat, sur proposition de M. Hyest. Il nous semble que ce délai constitue une garantie importante et qu'il serait dommage de ne pas retenir une telle disposition.
M. le rapporteur nous a expliqué tout à l'heure que, en fixant un délai de six mois, on risquait simplement de rendre systématique le recours à ce délai et de réduire ainsi la période de réflexion d'un an qui est observée dans la pratique. Je ne suis pas vraiment convaincu par cette objection. En prévoyant le délai de six mois, on apporterait au moins une garantie de réflexion.
Nos amendements représentent, à nos yeux, le minimum des garanties qu'il convient d'accorder aux personnes surendettés subissant une saisie immobilière. Je sais bien que nous avons aussi à défendre les créanciers,...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non pas à les défendre, mais à les protéger !
M. Robert Pagès. ... mais le texte, je me permets de le rappeler, porte sur la défense des surendettés. Il faut choisir, mes chers collègues !
La procédure de saisie immobilière attend d'être réformée depuis 1967. Cela fait donc trente ans que l'on connaît des vides juridiques en la matière. La réforme devient urgente. M. le secrétaire d'Etat nous a confirmé qu'elle devait être programmée par le Gouvernement dans le cadre de la future loi relative à l'exclusion. Nous nous en félicitons et espérons qu'elle n'attendra pas trente ans de plus !
La proposition de loi dont nous débattons était-elle vraiment nécessaire ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !
M. Robert Pagès. Fallait-il légiférer au coup par coup, sans débat de fond ? Je n'en suis pas sûr.
De plus, nous regrettons, comme j'y faisais allusion tout à l'heure, que cette proposition de loi ne s'attaque qu'aux conséquences, même si celles-ci ne sont pas négligeables, du surendettement, sans aborder suffisamment les causes profondes du développement de ces situations.
Ce qu'il aurait fallu, c'est traiter les problèmes qui se posent en amont du surendettement et qui y conduisent.
Même si l'on améliore la situation du débiteur, celui-ci n'en est pas moins obligé de vendre son logement. C'est donc avant qu'il faut se préoccuper de ces situations dramatiques.
Cela implique d'abord de lutter contre le chômage, bien sûr, mais aussi de responsabiliser les établissements prêteurs et de protéger le consommateur, y compris contre lui-même. En effet, dans notre société de consommation, tout est fait pour susciter la tentation et inciter les gens à acheter, même - et peut-être surtout - quand ils n'en ont plus les moyens. N'est-ce pas ainsi qu'il faut interpréter l'installation d'un magasin Crazy George's à Bobigny, une ville où l'on dénombre 4 500 chômeurs, soit 12 % de la population globale ?
J'ai entendu dire que la Seine-Maritime allait aussi voir s'ouvrir un tel magasin. A mon sens, ce n'est pas acceptable.
Soucieux d'appréhender le problème dans sa globalité, le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra sur l'ensemble de ce texte si ses amendements ne sont pas adoptés. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mes observations seront au nombre de trois : la première sera d'ordre constitutionnel, la deuxième sera consacrée à la réalité du problème qui est évoqué à travers cette proposition de loi et la troisième tendra à démontrer qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation et qu'il importe de poursuivre la réflexion, quitte à le faire rapidement.
Sur le plan constitutionnel, la discussion de cette proposition de loi nous permet de découvrir l'un des effets de la dernière réforme de la Constitution : grâce à cette réforme, le Sénat peut aujourd'hui - c'est une première - voter conforme un texte adopté par l'Assemblée nationale dans son ancienne composition.
Depuis longtemps, nous étions unanimes, du moins, sur la gauche de l'hémicycle,...
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est une unanimité limitée ! (Sourires.) M. Michel Dreyfus-Schmidt. Certes, monsieur le président !
... pour demander que l'on revienne sur le caractère quelque peu dirigiste de la Constitution de 1958, qui donnait au Gouvernement une priorité absolue dans la fixation de l'ordre du jour, que les droits du Parlement soient reconnus et que donc, Gouvernement d'accord ou pas, des textes d'initiative parlementaire puissent venir en discussion.
Est-ce le fruit d'un calcul machiavélique ou d'une simple erreur ? Toujours est-il que, lors de cette réforme, pareille hypothèse n'avait pas été envisagée. Si on l'avait fait, il aurait pu être prévu que les textes d'origine parlementaire adoptés par l'Assemblée nationale avant les élections et devant encore être soumis au Sénat devenaient caducs ou, au moins, que la nouvelle Assemblée nationale devait automatiquement procéder à une lecture supplémentaire.
Le problème que je soulève, à savoir qu'une loi soit adoptée alors qu'elle ne correspond plus à l'état de l'opinion, ne risque pas de se poser dans l'autre sens : le Sénat étant ce qu'il est, compte tenu du mode d'élection des sénateurs, c'est-à-dire, on le sait bien, toujours « conservateur », si, par hypothèse, il arrivait un jour que la majorité change de nouveau à l'Assemblée nationale, il est évident que les textes qu'elle aurait précédemment adoptés et qui ne plairaient pas au Sénat ne seraient pas votés conformes par celui-ci.
Une fois de plus, le Sénat se trouve avoir augmenté ses pouvoirs mais, cette fois, je dois le dire, sans bruit.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et peut-être sans s'en apercevoir !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Puisqu'on parle une nouvelle fois de réforme constitutionnelle et qu'il est question de nous faire encore prendre le chemin de Versailles, la solution serait peut-être de revenir sur la précédente réforme et d'introduire le léger correctif que j'ai suggéré tout à l'heure. Je le crains fort, cependant, le Sénat s'y opposerait et, dès lors, nous ne disposerions pas de la majorité nécessaire à une telle modification de la Constitution.
Au demeurant, il existe une autre solution. Si le texte adopté ne convient absolument pas à la nouvelle majorité, le Gouvernement peut déposer un nouveau projet de loi et, cette fois, donner le dernier mot à l'Assemblée nationale. Mais cela ne peut que faire perdre beaucoup de temps à tout le monde. Or c'est bien, j'en ai peur, ce qui va se passer en l'occurrence.
En effet, le problème qui est ici posé est bien réel, et les élus locaux, depuis longtemps, attirent notre attention sur le caractère scandaleux de certaines situations. Voilà des gens d'une absolue bonne foi qui avaient emprunté parce que leurs moyens leur permettaient de rembourser des mensualités données, mais qui, du fait de la crise économique, par exemple parce qu'ils se sont retrouvés au chômage, subissent une baisse sensible de leurs revenus, sont finalement poursuivis, voient leur maison vendue, et à très bas prix - ce qui fait que, parfois, la vente ne permet même pas d'apurer la totalité de la dette -, et qui, de toute façon, sont complètement ruinés.
C'est ce qui nous a amenés, les uns et les autres, à soutenir cette proposition de loi. Pour autant, nous ne pensons pas que la réflexion sur cette question ait été menée à son terme. D'ailleurs, le groupe socialiste de l'Assemblée nationale avait voté contre le texte en deuxième lecture, sous l'ancienne majorité.
Faudrait-il établir une distinction selon que le créancier est un organisme de crédit - banque ou autre - ou non ? C'est une piste.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce serait contraire au principe d'égalité !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il en est une autre : à défaut d'enchère au prix fixé par le juge, le choix serait laissé au poursuivant ou bien d'accepter d'être déclaré adjudiciaire - avec peut-être un abattement de 10 % ou de 15 %, parce que, dans la plupart des cas, il voudra revendre, et en lui laissant ou non un délai de six mois pour trouver quelqu'un qui le remplace comme adjudicataire - ou bien de remettre la vente.
Ce système pourrait au moins être réservé aux banques et aux organismes de crédit, qui ont la possibilité d'attendre. Tel n'est pas le cas, bien évidemment, du petit créancier, lui aussi de bonne foi et lui aussi susceptible de se trouver au chômage.
Ces quelques réflexions, qui font suite à celles de Robert Pagès, sont la preuve que s'il faut, certes, trouver une solution rapidement, il convient d'y réfléchir encore, car celle qui nous est proposée n'est pas satisfaisante.
La logique voudrait donc que la navette se poursuive, ce qui implique que les amendements qui ont été déposés - l'un émane du Gouvernement, les deux autres sont présentés par notre collègue Robert Pagès et les membres du groupe communiste républicain et citoyen - soient adoptés par le Sénat.
La navette se poursuivrait alors dans le meilleur des esprits, puisque nous sommes tous décidés à trouver la meilleure solution.
Peut-être le Sénat pourrait-il s'inspirer de la méthode recommandée hier matin par le président de la commission des lois à la majorité sénatoriale, à laquelle il a suggéré de s'abstenir lors du vote des amendements de l'opposition !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Vous êtes unanimes. Cela ne présente donc aucun intérêt !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous le sommes, mais vous ne l'êtes pas !
Cela nous donnerait l'occasion de mettre ce texte au point, pendant la navette ou tout au moins, à défaut, en commission mixte paritaire.
Les amendements qui nous sont proposés ne règlent pas, certes, le problème...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. ... de l'équilibre.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... nous en sommes tous d'accord mais si le Sénat les adoptait, il permettrait que se poursuivre la recherche d'une solution non seulement équilibrée, certes, mais surtout équitable. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - I. - Le deuxième alinéa de l'article 673 du code de procédure civile (ancien) est complété par les mots : ", 8° l'indication que la partie saisie a la faculté de demander la conversion de la saisie en vente volontaire dans les conditions prévues à l'article 744 du présent code".
« II. - Après le deuxième alinéa du même article 673, il est inséré deux alinéas ainsi rédigés :
« Si le débiteur est une personne physique, le commandement comprend en outre : 1° l'indication que le débiteur en situation de surendettement a la faculté de saisir la commission de surendettement des particuliers instituée par l'article L. 331-1 du code de la consommation ; 2° l'indication que le débiteur peut bénéficier, pour la procédure de saisie, de l'aide juridictionnelle s'il remplit les conditions de ressources prévues par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 précitée ; 3° l'indication que le montant de la mise à prix du logement principal du débiteur fixé par le poursuivant peut faire l'objet d'un dire dans les conditions prévues à l'article 690 du présent code.
« Le commandement reproduit, à peine de nullité, les dispositions de l'alinéa précédent. »
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er bis



M. le président.
L'article 1er bis a été supprimé par l'Assemblée nationale.
Mais, par amendement n° 2 rectifié, M. Pagès et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de le rétablir dans la rédaction suivante :
« Après l'article 674 du code de procédure civile (ancien), il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. ... - Sans préjudicier aux règles de publication, le débiteur dont le logement principal est saisi disposera d'un délai de six mois à compter de la signification du commandement pour procéder à la vente amiable de ce bien. »
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. J'ai déjà insisté dans mon intervention générale sur l'intérêt de laisser au débiteur dont le logement est saisi un délai de six mois à compter de la signification du commandement.
Une vente de gré à gré ne peut être conclue en huit jours, chacun le comprend, et on ne peut pas laisser le créancier attendre éternellement d'être remboursé, chacun le comprend aussi.
Un délai de six mois me semble donc raisonnable, et l'argumentation de M. Dreyfus-Schmidt a encore conforté mon point de vue.
Je souhaite donc que l'article 1er bis soit rétabli.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement.
Je rappelle que la disposition qu'il vise à rétablir avait été introduite par le Sénat en première lecture, puis supprimée par l'Assemblée nationale, qui a estimé qu'un délai de carence de six mois à compter de la signification du commandement pour procéder à la vente amiable présentait plus d'inconvénients que d'avantages, même pour le débiteur.
La vente forcée constitue une issue ultime lorsque aucune autre solution n'a pu être trouvée.
Dans la pratique, les établissements créanciers essaient de parvenir, en amont, à une vente amiable. Instaurer un délai de carence risque de les pousser à anticiper la phase judiciaire en déclenchant la procédure dès le premier impayé, ce qui aurait un effet inverse à l'objectif recherché.
De plus, la vente du logement principal s'impose dans le cas d'un surendettement particulièrement grave. Or, attendre six mois de plus dans l'espoir, très hypothétique, d'aboutir à une vente amiable risque de ne provoquer qu'une aggravation de la situation du débiteur, les intérêts de la dette continuant à courir.
Enfin, ce délai de carence pourrait créer l'illusion dans l'esprit de certains débiteurs de pouvoir échapper à la saisie immobilière. Or, l'objet de la présente proposition de loi est justement d'améliorer l'information et de permettre au débiteur d'être en position pour réagir aux difficultés qu'il rencontre.
C'est pourquoi, après mûre réflexion, et en dépit des intentions généreuses qui le sous-tendent, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
J'ajoute que, quoi qu'on en dise, la réflexion est tout de même engagée depuis le début de l'année 1996, l'Assemblée nationale ayant été saisie en première lecture au mois d'avril, et il nous paraît urgent que les dispositions que nous examinons entrent en vigueur. Elles sont en effet de nature à réellement faciliter le traitement de nombreux cas de surendettement, comme M. Loridant et moi-même avons eu l'occasion de le souligner dans le rapport du groupe de travail constitué sur ce thème.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.
En effet, il tend à imposer, au début de la saisie, un délai de six mois suspendant la procédure, pour permettre au saisi de tenter de vendre à l'amiable son bien.
Le Gouvernement n'est pas insensible au souci d'éviter au débiteur une vente à la barre du tribunal, qui peut être ressentie comme traumatisante. C'est la raison pour laquelle il poursuit lui-même ses réflexions sur une réforme globale de la saisie immobilière afin, notamment, de lutter plus efficacement contre les ventes forcées, qui interviennent trop souvent à vil prix, et de rechercher les moyens propres à permettre la vente dans des conditions, comme je le disais dans mon propos liminaire, humaines et économiques plus satisfaisantes.
En revanche, le Gouvernement ne peux souscrire à un dispositif systématique et automatique de report, sans aucune possibilité d'appréciation en fonction de la situation concrète du débiteur et de sa volonté réelle de rechercher un acquéreur pour vendre à l'amiable son bien.
M. Robert Pagès. Tout à fait !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Par ailleurs, le dispositif proposé est incompatible avec le déroulement actuel de la saisie. En effet, le report de six mois ne s'inscrit pas dans l'enchaînement des délais et formalités qui doit être respecté dans le cadre de la procédure de saisie immobilière actuelle.
Ces arguments conduisent donc à considérer qu'en l'état il n'est pas possible de souscrire à la proposition d'un délai d'attente de six mois.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2 rectifié.
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'évidence les arguments exprimés par M. Pagès, qui défend l'amendement, par M. le rapporteur et par M. le ministre plaident en faveur des deux parties, ce qui prouve que nous ne sommes ni les uns ni les autres tout à fait satisfaits et que la navette doit se poursuivre ! Je fais miens les propos de mon ami Michel Dreyfus-Schmidt : donnons-nous l'occasion de trouver une meilleure solution !
J'ajoute, monsieur le rapporteur, que l'amendement proposé par le groupe communiste républicain et citoyen est pratiquement le même que celui que vous aviez déposé en première lecture...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certes ! Mais, justement, nous avons beaucoup réfléchi !
M. Guy Allouche. ... et défendu avec une ferme conviction.
Nous vous avions suivi parce que vous aviez démontré la nécessité du délai de six mois pour permettre au débiteur de vendre dans les meilleures conditions, et nous demeurons convaincus du bien-fondé de votre argumentation d'alors !
En effet, une fois de plus, ce qui nous occupe ici, c'est la protection des personnes surendettées, et ce n'est pas pour autant que nous faisons de l'« anti-créanciers », car il est normal aussi qu'ils défendent leurs intérêts. Notre objectif est de protéger les personnes surendettées, et l'amendement n° 2 rectifié va bien dans ce sens.
J'ai d'ailleurs la conviction que le débiteur fera tout son possible pendant le délai de six mois pour vendre son bien immobilier dans les meilleures conditions car il saura qu'au-delà de ce délai une sentence tombera.
Nous approuvons l'amendement n° 2 rectifié non seulement sur le fond, mais aussi parce que nous souhaitons ardemment que la présente proposition de loi fasse l'objet d'une lecture supplémentaire ou, à tout le moins, qu'elle puisse être améliorée en commission mixte paritaire.
MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Robert Pagès. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er bis demeure supprimé.

Article 2



M. le président.
« Art. 2. - Après le cinquième alinéa de l'article 690 du code de procédure civile (ancien), il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le montant de la mise à prix du logement principal du débiteur fixé par le poursuivant peut faire l'objet d'un dire pour cause d'insuffisance manifeste. Le tribunal tranche la contestation en tenant compte de la valeur vénale de l'immeuble ainsi que des conditions du marché, le cas échéant, après consultation ou expertise. » - (Adopté.)

Article 3 bis



M. le président.
« Art. 3 bis. - Après le dernier alinéa de l'article 706 du code de procédure civile (ancien), il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Si le montant de la mise à prix a été modifié dans les conditions prévues au sixième alinéa de l'article 690 et s'il n'y a pas eu d'enchère, le bien est immédiatement remis en vente sur baisses successives du prix fixées par le juge, le cas échéant jusqu'au montant de la mise à prix initiale. A défaut d'adjudication, le poursuivant est déclaré adjudicataire pour la mise à prix initiale. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par le Gouvernement.
L'amendement n° 3 est déposé par M. Pagès et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat, pour présenter l'amendement n° 1. M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. J'ai le sentiment, monsieur le président, d'avoir, dans mon propos liminaire, fourni toute l'argumentation en faveur de la suppression de l'article 3 bis. Je n'en dirai donc pas davantage.
M. le président. La parole est à M. Pagès, pour défendre l'amendement n° 3.
M. Robert Pagès. Tout le monde aura maintenant compris qu'avec la suppression de l'article 3 bis il s'agit en fait d'empêcher que le prix le plus bas ne soit retenu, grâce à une manoeuvre.
Certes, la suppression n'est pas une solution parfaite, mais, si nous avons l'occasion de poursuivre notre réflexion, nous perdrons moins de temps que s'il nous faut remettre un nouveau texte sur le métier !
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 1 et 3 ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je me suis déjà longuement expliqué sur ce point dans la discussion générale, car il s'agit du principal point qui reste en discussion, tout le monde s'accordant à reconnaître que les autres dispositions tendent à améliorer sensiblement la situation des débiteurs surendettés.
Je veux toutefois rappeler la position de la commission des lois : rendre adjudicataire un créancier poursuivant à un prix qui n'est pas fixé par lui est impossible car contraire aux principes fondamentaux de notre droit civil.
Nous avons donc tenté de trouver un palliatif, mais, si certains d'entre vous, ou le Gouvernement, avaient proposé un autre dispositif, nous l'aurions volontiers accueilli !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'en ai proposé un !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non, monsieur Dreyfus-Schmidt : la commission en a proposé un !
Je rappelle tout de même qu'en droit civil on ne peut obliger quelqu'un à acheter à un prix qu'il n'a pas fixé.
Si le juge estime que la mise à prix est insuffisante, la vente sera remise, une autre saisie sera opérée dans les trois mois, et on pourra recommencer indéfiniment sans que le problème soit jamais résolu.
Il faut donc trouver une issue, c'est-à-dire, s'il n'y a pas de nouvelle mise à prix, un moyen intermédiaire qui permette de rapprocher l'offre et la proposition, comme cela se pratique dans d'autres secteurs du droit, notamment en matière de liquidation judiciaire.
Telle était la proposition qu'avait faite la commission des lois du Sénat en première lecture.
Nous persistons à affirmer que l'article 3 bis est indispensable à l'équilibre du texte.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 1 et 3.
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Plusieurs raisons plaident pour la suppression de l'article 3 bis proposée par le Gouvernement.
Je rappelle tout d'abord que cet article 3 bis ne figurait pas dans le texte initial. Il a été introduit en première lecture au Sénat, sur proposition de notre rapporteur - et ce n'est nullement un reproche, car c'est le droit, connu et reconnu, de tout rapporteur,...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. ... et de la commission !
M. Guy Allouche. ... et de la commission, bien évidemment.
Cet article prévoit la possibilité de remise en vente du bien saisi sur baisses successives de prix si aucun acquéreur ne se présente.
En instaurant une telle mesure, M. le rapporteur a cherché, en quelque sorte, à rééquilibrer, au profit du créancier de bonne foi - si tant est qu'il y en ait de mauvaise foi ! - le nouveau dispositif qui ouvre la faculté de contester la mise à prix fixé initialement par le poursuivant et établi désormais par le juge si ce dernier reconnaît le fondement de la contestation du débiteur.
Je tiens tout de même à rappeler, s'agissant de l'intervention du juge, saluée de manière positive, tout à l'heure encore, par M. le secrétaire d'Etat, que le juge, qui n'est pas forcément un spécialiste en matière immobilière, s'entourera d'experts. Le prix qu'il fixera pour la mise en vente résultera d'une estimation qui lui sera fournie par un ou plusieurs experts. En fonction de celle-ci, le juge sera à même d'apprécier, comme il se doit, la valeur réelle du bien au moment où celui-ci est mis en vente.
L'article 3 bis est contestable car, en organisant une baisse successive du prix jusqu'au prix plancher fixé par le poursuivant, il revient à appliquer le droit en vigueur et à ainsi vider de sa substance l'objet même de la proposition de loi qui est spécifiquement relative à la protection des personnes surendettées en cas de saisie immobilière, et elles seules.
La situation du débiteur de bonne foi et celle du créancier ne peuvent être placées sur le même plan. Les intérêts en jeu sont opposés et rendent vaine la recherche de l'équilibre évoqué à l'appui de cet article.
Sans esprit de provocation, il n'est même pas choquant de penser que le créancier puisse devenir adjudicataire à un prix qu'il n'a pas fixé dans la mesure où le déroulement de la procédure prévoit, dès le début, une telle éventualité. En invitant les poursuivants à prendre leur responsabilité, on favorise en amont la recherche d'une solution à l'amiable et on renforce ainsi la protection du débiteur.
M. Robert Pagès. Très bien !
M. Guy Allouche. L'article 3 bis recèle d'autres inconvénients.
En première lecture, j'avais déjà attiré l'attention du Sénat sur les risques de collusion, risques qu'on ne peut écarter, entre les personnes intéressées qui attendront systématiquement la baisse de la mise à prix.
Par ailleurs, chaque baisse de la mise à prix ne manquera pas d'apparaître comme une sorte de désaveu pour le juge. Elle risque, comme le soulignait Mme Neiertz à l'Assemblée nationale, « de faire perdre toute confiance dans la procédure judiciaire, les juges faisant figure de complices ».
Enfin, j'ai pris connaissance avec attention des propositions formulées par le groupe de travail sur le surendettement et qui figurent dans un remarquable rapport d'information intitulé Le surendettement : prévenir et guérir : signé par nos deux éminents collègues MM. Hyest et Loridant. Ces derniers préconisent l'adoption dans les meilleurs délais de cette proposition de loi. Mais ils se contentent de souligner son intérêt par rapport à la coordination de la procédure de saisie et à celle du surendettement. En aucun cas, ils ne font référence à la protection du débiteur dans le cadre de la mise à prix du bien saisi fixée par le juge en cas de contestation, et encore moins au dispositif de l'article 3 bis de la proposition de loi.
Compte tenu de ces observations, je demande au Sénat de bien vouloir adopter les amendements visant à supprimer l'article 3 bis.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 1 et 3, repoussés par la commission.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3 bis.

(L'article 3 bis est adopté.)

Article 4



M. le président.
« Art. 4. - Les trois premiers alinéas de l'article L. 331-5 du code de la consommation sont ainsi rédigés :
« La commission peut saisir le juge de l'exécution aux fins de suspension des procédures d'exécution diligentées contre le débiteur et portant sur les dettes autres qu'alimentaires. Toutefois, postérieurement à la publication d'un commandement aux fins de saisie immobilière, le juge de la saisie immobilière est seul compétent pour prononcer la suspension de cette procédure.
« Si la situation du débiteur l'exige, le juge prononce la suspension provisoire des procédures d'exécution. Celle-ci n'est acquise que pour la durée de la procédure devant la commission sans pouvoir excéder un an. Lorsque le débiteur fait usage de la faculté que lui ouvre l'article L. 331-7, la durée de la suspension provisoire est prolongée, jusqu'à ce que le juge ait conféré force exécutoire aux mesures recommandées, en application de l'article L. 332-1, ou, s'il a été saisi en application de l'article L. 332-2, jusqu'à ce qu'il ait statué.
« Lorsqu'en cas de saisie immobilière, la date d'adjudication a été fixée, la commission peut, pour causes graves et dûment justifiées, saisir le juge aux fins de remise de l'adjudication, dans les conditions et selon la procédure prévues par l'article 703 du code de procédure civile (ancien). » - (Adopté.)
Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l'objet de la deuxième lecture.

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Allouche, pour explication de vote.
M. Guy Allouche. En première lecture, le groupe socialiste a examiné avec bienveillance cette proposition de loi déposée sur l'initiative de MM. Péricard, Miossec et Hamel, et tendant à renforcer la protection des personnes surendettées en cas de saisie de leur logement parce qu'elles ne peuvent plus rembourser les emprunts qu'elles ont contractés en vue de son acquisition.
Toute mesure qui tend à protéger une personne du risque d'exclusion sociale mérite d'être étudiée avec attention. La perte de la résidence principale représente incontestablement un tel risque. Il est, à cet égard, significatif que l'un des points forts du futur projet de loi contre l'exclusion soit constitué d'un important volet relatif au logement. Nous connaissons dès à présent la part que M. le secrétaire d'Etat prend dans la lutte contre l'exclusion en matière de logement.
Dans sa recherche d'une meilleure coordination entre la saisie immobilière et la procédure de surendettement, cette proposition de loi comporte des aspects positifs ; M. le secrétaire d'Etat n'a pas manqué de les rappeler lors de son intervention dans la discussion générale.
Tout d'abord, elle tend à améliorer l'information du débiteur en complétant les mentions devant figurer dans le commandement à peine de nullité. Il s'agit d'une première protection que l'on peut qualifier de préventive. La navette a permis d'aboutir à un texte mieux écrit, plus équilibré et en phase avec l'objectif que l'on cherche à atteindre. C'est l'article 1er.
De même, la mesure qui permet à la commission de surendettement de demander la remise de l'adjudication pour disposer du temps nécessaire à l'examen de la situation du débiteur offre une garantie supplémentaire à l'égard de ce dernier. Je rappellerai que l'emprunt contracté est fonction des ressources. En effet, lorsque les créanciers prêtent, ils tiennent compte des ressources de la personne qui sollicite un emprunt. Il n'y a donc pas d'endettement abusif.
Surtout, l'instauration d'une possibilité de contestation par le débiteur de la mise à prix fixée par le créancier lorsque celle-ci lui paraît manifestement insuffisante mérite d'être soulignée car cette mesure constitue le point fort de la proposition de loi.
Malheureusement, son objet a été altéré à plus d'un titre.
Tout d'abord, sachant que la procédure amiable est plus favorable au débiteur, il est regrettable que le Sénat n'ait pas repris la disposition de l'article 1er bis supprimé par l'Assemblée nationale, qui offre au débiteur dont le logement principal est saisi un délai de six mois pour procéder à la vente de son bien.
Ensuite, le délai de deux mois permettant la réduction de la fraction des prêts immobiliers restant dus après la vente aux enchères du logement principal représente une amélioration qui demeure imparfaite car il est relativement bref.
Enfin et principalement, en confirmant l'adoption du dispositif de remise en vente du bien saisi avec baisses successives du prix fixé par le juge, proposé par notre rapporteur devant notre assemblée en première lecture, le Sénat lui retire tout son apport protecteur essentiel. Le débiteur de bonne foi que l'on voulait mieux protéger courra toujours le risque de perdre son logement en retirant de la vente de ce dernier un prix bien inférieur à sa valeur. Il demeurera doublement perdant sans même parvenir à couvrir ses dettes.
Pour toutes ces raisons, bien que nous partagions les objectifs initiaux de cette proposition de loi, et après le débat que nous venons d'avoir, le groupe socialiste votera contre ce texte.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
M. Robert Pagès. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.

(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. René Monory.)

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

M. le président. La séance est reprise.

4

SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE
DU BURKINA FASO

M. le président. J'ai le plaisir de saluer la présence dans notre tribune officielle d'une délégation de la Chambre des représentants du Burkina Faso conduite par mon ami le président Abdoulkader Cissé, qui est accompagné par M. Albert Yaro, président de la commission des affaires étrangères et de la défense. (Mmes et MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
Au nom du Sénat tout entier, je leur souhaite une chaleureuse bienvenue.

5

QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

INSCRIPTION D'OFFICE
DES JEUNES SUR LES LISTES ÉLECTORALES

M. le président. La parole est à M. Clouet.
M. Jean Clouet. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, je ne sais à qui s'adresse ma question. (Sourires.)
Je pensais que c'était à M. le ministre de l'intérieur. Il ne semble pas qu'il soit là, ce qui me donne le privilège, en quarante-huit heures, d'apprécier la polyvalence du Gouvernement ! (M. le ministre de l'intérieur gagne alors le banc du Gouvernement.)
Plusieurs sénateurs socialistes. Le voilà !
M. le président. M. le ministre de l'intérieur est arrivé ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean Clouet. C'est parfait. Qu'il soit le bienvenu. L'exactitude est la politesse des ministres !
M. Jacques Mahéas. Basse polémique !
M. Jean Clouet. Monsieur le ministre, la loi n° 97-1027 du 10 novembre 1997 n'a pas annulé l'obligation d'inscription sur les listes électorales figurant à l'article 9 du code électoral. Elle a en revanche prévu que cette inscription s'effectuerait d'office. De surcroît, les textes d'application ont disposé qu'elle serait automatique.
« Obligatoire », « d'office », « automatique »,...
M. Jean-Louis Carrère. C'est comme l'école de la République !
M. Jean Chérioux. Cela n'a rien à voir !
M. Jean-Louis Carrère. Ce n'est pas celle que vous défendez.
M. Jean Clouet. ... s'y retrouve qui pourra, et, justement, personne ne s'y retrouve !
Les maires, nombreux ici, ont pour leur part reçu assez tardivement une liste émanant de l'Institut national de la statistique et des études économiques, l'INSEE, qui était le produit du croisement de plusieurs fichiers et qui était présumée recenser les personnes inscriptibles de leur commune.
Dans le cas d'une ville de 43 000 habitants que je connais bien, la liste comportait 360 noms, alors que l'annuité moyenne se situe autour de 650 jeunes.
Sur les 360 noms figurant sur la liste, 90, soit le quart, étaient portés deux fois. Restent donc 270 primo-électeurs auxquels le maire a écrit pour les convoquer à la mairie, leur demandant de se munir d'un nombre important de justificatifs.
Destinée à faciliter la tâche des jeunes, la loi l'a en réalité fortement compliquée, ainsi d'ailleurs que celle des maires et des services municipaux, qui voient, de surcroît, leur responsabilité fortement engagée.
M. Claude Estier. Deux minutes et demie !
M. Jean Clouet. Devant une telle situation, on hésite entre Georges Courteline et Raymond Devos ! (Sourires sur les travées du RPR.)
Quoi qu'il en soit, sur les 270 lettres envoyées, 50 sont revenues à la mairie car leurs destinataires n'habitaient plus à l'adresse indiquée. Par conséquent, 360 moins 90 moins 50 égale 220 ! (Murmures sur les travées socialistes.)
La liste de l'INSEE était donc fausse à près de 40 % et ne recensait finalement qu'un tiers des personnes inscriptibles.
M. le président. Posez votre question, monsieur Clouet.
M. Jean Clouet. J'y viens, monsieur le président.
En définitive, elle n'a conduit qu'à 155 inscriptions alors qu'elle comportait 360 noms. On mesure l'importance de l'échec. C'était non pas une liste, mais une passoire !
Au mois de mars prochain, nous risquons donc de nous retrouver confrontés à des cas de jeunes qui, sur la foi d'une loi dont on leur a fait miroiter la simplicité, se croiront inscrits d'office ou automatiquement, alors qu'ils ne le seront pas et qu'ils ne pourront donc pas voter.
M. le président. Posez votre question, monsieur Clouet.
M. Jean Clouet. Voici la question, monsieur le président (Protestations sur les travées socialistes.) : ...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ça fait plus de deux minutes et demie !
M. Jean Clouet. ... qu'envisagez-vous donc, monsieur le ministre, d'abord, pour écarter cette fâcheuse éventualité et, ensuite, pour faire en sorte que, à la fin de 1998, on soit non plus au creux de la passoire, mais dans le droit-fil de la volonté du législateur ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Claude Estier. La question a duré cinq minutes !
M. le président. Non : trois minutes ! (Protestations sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Un sénateur socialiste. Nous avons trouvé le temps long !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, la loi portant inscription d'office sur les listes électorales des jeunes atteignant l'âge de dix-huit ans est datée du 10 novembre 1997. Le décret d'application, pris le 28 novembre, a été publié le 29 novembre.
Dès les tout premiers jours de décembre, des listes établies par l'Institut national de la statistique et des études économiques, comme vous l'avez rappelé, parvenaient dans les mairies.
L'application immédiate du principe de l'inscription automatique était nécessaire, notamment en raison des élections cantonales et régionales de mars prochain. Dans des conditions de rapidité exceptionnelle, que je tiens à souligner, l'INSEE a pu recueillir les informations concernant les jeunes garçons atteignant l'âge de dix-huit ans entre le 1er mars 1997 et le 28 février 1998 à partir du fichier du recensement pour le service national, qui, dans l'état actuel des choses, n'englobe pas les jeunes filles.
L'INSEE a pu également, malgré les obstacles que vous imaginez, recueillir pour les jeunes filles les mêmes données, issues des fichiers des organismes servant les prestations de base de l'assurance maladie. Ces données ont été collectées, traitées et adressées aux mairies dans un délai très bref. Je tiens d'ailleurs à remercier tous ceux qui, au sein des organismes d'assurance maladie, dans les services du recensement, à l'INSEE, dans les mairies, au sein des commissions administratives, ont effectué ce travail remarquable.
Je n'ai d'ailleurs jamais dissimulé, monsieur le sénateur, que ces listes ne pourraient être complètes dès la première année.
Je me souviens encore que, au moment de l'adoption de ce projet de loi par le conseil des ministres, un hebdomadaire satirique avait considéré comme une bévue de ma part le fait d'avoir dit, dans la cour de l'Elysée, que ces inscriptions d'office n'impliqueraient pas l'accomplissement de quelques démarches dans les mairies pour les jeunes, au moins pour les jeunes filles, lesquelles auraient à faire connaître leur nationalité. On a considéré que j'avais porté atteinte à l'esprit de Descartes !
Pourtant, telle est bien la réalité : les jeunes filles n'étant pas inscrites sur le fichier du service national, et le fichier de l'assurance maladie ne portant pas mention de la nationalité, il est nécessaire que la preuve de cette dernière soit apportée.
Lors de l'examen du projet de loi par le Parlement - je vous renvoie, monsieur le sénateur, au compte rendu des débats - je n'ai d'ailleurs jamais dissimulé que ces listes ne pourraient pas être complètes dès la première année. Une quasi-exhaustivité ne sera obtenue que pour la prochaine révision des listes électorales, à la fin de la présente année, grâce notamment à l'amélioration de la qualité des fichiers utilisés par les régimes d'assurance maladie. Ultérieurement, la généralisation du recensement étendu aux jeunes filles à compter de 1999 complétera ces garanties. Il s'agit donc d'une montée en puissance progressive.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. J'en termine, monsieur le président.
Une nouvelle classe d'âge représente 2 % de l'ensemble de la liste électorale. L'Inspection générale de l'administration a été saisie pour étudier les conditions de la mise en oeuvre du dispositif dans toutes les mairies, et son rapport nous permettra d'envisager la prochaine opération d'inscription d'office avec toute la sérénité qui est exigée.
Le vote de la loi crée, pour les jeunes ayant atteint l'âge de dix-huit ans, un droit à l'inscription d'office. Si certains d'entre eux sont omis des listes cette année et s'ils n'ont pas fait d'eux-mêmes la démarche de se rendre à leur mairie, ils peuvent cependant - et je réponds ainsi à votre question monsieur le sénateur - obtenir leur inscription du juge d'instance pour rectification d'une erreur matérielle au titre de l'article L. 34 du code électoral, et ce à tout moment, jusqu'à la date du scrutin.
La crainte que vous exprimez n'a donc pas lieu d'être. En revanche, des centaines de milliers de jeunes vont pouvoir, dès cette année, bénéficier d'une mesure dont je rappelle qu'elle avait été souhaitée tant par M. le Président de la République que par M. le Premier ministre, voilà quelques mois.
Je vous confirme que l'année 1998 verra s'améliorer très sensiblement l'ampleur et la qualité des informations transmises aux mairies. Je tiens donc à vous rassurer. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite que les prochaines questions, même si elles sont aussi intéressantes que celle qui vient d'être posée, prennent moins de temps.
Je rappelle que le temps de parole est de deux minutes et demie tant pour l'auteur de la question que pour le membre du Gouvernement qui lui répond. Or, cette première question a duré huit minutes ! Il s'agissait là, évidemment, d'une « mise en jambes », et je ne doute pas que le rythme s'accélère maintenant.

ACTIONS À MENER POUR PRÉVENIR
LES VIOLENCES URBAINES

M. le président. La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein. Ma question s'adressait à M. le Premier ministre, mais je crois savoir que c'est Mme le ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire qui doit me répondre.
La réunion qu'a tenue avant-hier le Président de la République en compagnie de douze maires de villes moyennes confrontées à la délinquance urbaine m'inspire quelques réflexions que je souhaite vous faire partager.
Je suis particulièrement satisfait de relever la naissance d'un consensus parmi les élus tant de la majorité que de l'opposition. Pour qu'il aboutisse, il est en effet essentiel que ce débat s'engage en dehors de toute polémique politicienne.
C'est volontairement que je n'aborderai pas les thèmes devenus classiques que sont la prévention et la répression. Il me semble avant tout primordial de se placer en amont, c'est-à-dire au moment où se construisent les modèles auxquels se réfère notre jeunesse, quand il est question d'avenir.
Ne craignez-vous pas que les références parfois trop fréquentes à la République en altèrent la substance et, surtout, qu'elles ancrent dans les esprits l'idée selon laquelle réflexions, moyens et solutions n'appartiendraient qu'à l'Etat ?
Certes, l'école joue un rôle essentiel dans le développement intellectuel, social et moral des futurs citoyens. Pour autant, les missions que l'on confie aujourd'hui à cette institution, en raison de son caractère profondément républicain, ne dépassent-elles pas le champ de ses compétences ?
Je voudrais rappeler que l'éducation des enfants n'a jamais été, n'est pas et, je l'espère, ne sera jamais une prérogative exclusive de l'Etat. Quelles que soient les religions, les cultures ou les époques, l'éducation des enfants a toujours appartenu en dernier ressort aux parents. Il doit en demeurer ainsi.
Cela étant, il est vrai que, garant des valeurs universelles de la République, l'Etat peut et doit participer indirectement à cette éducation, en aidant les parents à transmettre à leurs enfants les principes fondateurs de notre société.
M. le président. Posez votre question, monsieur Lesein.
M. François Lesein. J'y viens, monsieur le président.
Le message qu'il convient de leur adresser doit porter sur l'extraordinaire importance de l'acquisition, par l'enfant, d'un modèle de société. Il devra donner à ses destinataires les moyens de faire comprendre à nos enfants que le héros moderne n'est pas le chanteur qui prétend devoir sa réussite à la consommation de stupéfiants, qu'il n'est pas non plus le trafiquant de drogue qui circule en voiture décapotable, qu'il n'est pas enfin le voyou cagoulé qui regarde flamber au loin le véhicule qu'il vient d'incendier !
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. François Lesein. Madame le ministre, la tâche qui incombe à l'Etat repose évidemment sur l'action du Gouvernement, mais aussi sur celle des acteurs de la vie publique.
M. le président. Votre question, monsieur le sénateur !
M. François Lesein. Ma question est la suivante : quel modèle souhaitez-vous transmettre à notre jeunesse ? Quels moyens mettrez-vous en oeuvre pour que ce message soit entendu ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser M. le Premier ministre, qui est retenu à la séance solennelle de rentrée de la Cour des comptes.
Vous avez soulevé le problème des valeurs que nous défendons ensemble. L'Europe s'est crue longtemps à l'abri de ce modèle de société que l'on a vu naître aux Etats-Unis ou au Japon et qui a été marqué par la montée de la délinquance de mineurs de plus en plus jeunes.
Aujourd'hui, notre pays, comme l'ensemble des pays européens, est touché par ce phénomène et les questions que vous posez sont, en effet, tout à fait essentielles.
La violence est, certes, dans la rue, mais elle commence également à entrer à l'école et, en tant que ministre de l'enseignement scolaire, je suis particulièrement préoccupée par cette situation.
A cet égard, je voudrais tout simplement vous parler de ce que je vois dans les établissements scolaires pour vous dire comment et pourquoi le Gouvernement agit.
Tout d'abord, nous constatons qu'arrivent à l'âge adolescent des enfants qui n'ont jamais vu leurs parents travailler, et donc qui ne comprennent plus le sens de l'effort scolaire, de la réussite scolaire. Ils le comprennent d'autant moins lorsque le grand frère, qui a pourtant fait l'effort de réussir son baccalauréat, est également au chômage.
C'est pourquoi je crois que notre premier devoir est de lutter contre le chômage, en particulier contre le chômage de longue durée, parce qu'il concerne les parents, mais aussi contre le chômage des jeunes, qui correspond à l'exemple que peuvent donner les grands frères ou les grandes soeurs.
Ensuite, ce que j'observe, c'est une destructuration des familles. Nous le savons, nous le voyons : des parents sont dépassés par les événements ou renoncent à exercer leur autorité parce qu'ils doivent eux-mêmes faire face à des difficultés profondes.
C'est la raison pour laquelle j'ai décidé, par exemple, que le fonds social pour les cantines servirait également pour les petits déjeuners. En effet, en lisant les rapports des assistantes sociales des écoles, on s'aperçoit que de nombreux parents ne se lèvent même plus le matin pour préparer le petit déjeuner de leurs enfants, tout simplement parce que, au chômage, ils n'ont pas à se lever.
En troisième lieu, nous observons - vous l'avez évoquée - la montée des contre-exemples qui déstabilisent les références élémentaires des enfants. Je pense ainsi aux feuilletons où les caïds sont des héros, aux émissions de variétés où l'on rit de tout : pas plus tard que samedi soir l'on riait, sur TF1, au cours d'une émission de variétés...
M. le président. Madame le ministre,...
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. ... destinée à tout public, d'une femme violée ; ailleurs, ce qui était censé être désopilant, c'était un policier assassiné.
M. Jean Chérioux. C'est très juste !
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Et je veux également citer les jeux vidéo où les héros gagnent d'autant plus de points qu'ils assassinent plus de monde ou qu'ils font brûler davantage de voitures.
M. François Lesein. Très bien !
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Une demande d'interdiction de ces jeux vidéo a d'ailleurs été adressée au ministre de l'intérieur. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et du RPR.)
Le Gouvernement réagit, l'école...
M. le président. Il vous faut conclure, madame le ministre. (Protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Monsieur le président, la question est suffisamment importante pour que je m'exprime encore une minute.
L'école, disais-je, réagit. Nous avons, hier, relancé les zones d'éducation prioritaire, nous avons décidé de renforcer l'instruction civique de façon extrêmement vigoureuse, et à tous les échelons à partir de l'école maternelle.
Des contrats de droits et devoirs doivent être signés dans tous les établissements scolaires et une formation des maîtres est actuellement en préparation pour l'apprentissage des élèves et des adultes au respect mutuel.
Des initiatives citoyennes ont été lancées dans les établissements scolaires, en liaison avec les parents, car vous avez raison de souligner la nécessité de valoriser le rôle de ces derniers, qui doivent mieux assumer leurs responsabilités. J'observe, à ce sujet, que les carences à ce niveau sont souvent telles que ce sont les enfants qui, à travers l'éducation civique, éduquent à leur tour leurs parents et, à la limite, c'est déjà un résultat positif qu'il faut considérer comme un élément de reconstruction du lien social.
Je réfléchis actuellement, en liaison avec les associations de parents d'élèves, à la création d'« écoles des parents » afin de donner à ceux-ci les moyens, les bases, les références qui leur permettent d'assumer...
M. le président. Madame le ministre, je vous en supplie : vous avez déjà parlé cinq minutes ; il ne faut pas trop dépasser votre temps de parole, faute de quoi personne ne pourra plus s'exprimer ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. J'ai dit l'essentiel.
Je rappelle simplement que le Premier ministre présidera lundi un comité de sécurité intérieure au sein duquel tous les ministères feront converger leurs efforts pour répondre aux problèmes qui nous préoccupent tous. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

RÉPONSES AU MOUVEMENT DES CHÔMEURS

M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Madame la ministre, acteurs d'un mouvement déterminé, digne et courageux, les chômeuses et les chômeurs sont en train d'ouvrir une porte d'espoir, une porte d'avenir pour eux et pour la France. (Murmures sur les travées du RPR.)
M. Philippe François. Avec la CGT !
Mme Hélène Luc. Derrière la froideur des statistiques, il y a les souffrances de ces visages, il y a ces détresses, ce sentiment insoutenable que la vie, le monde se referment sur soi-même et, le pire de tout, sur ses propres enfants.
La revendication numéro 1 des chômeurs, c'est trouver un emploi très vite ; sinon, comme le disent ces femmes dans le journal féminin Elle, « sans travail rapidement, on nous trouvera déjà trop vieilles ». C'est insupportable !
Aussi, quelle force - prenons-en toute la mesure, madame la ministre ! - dans ce cri pour relever la tête, dans cette lutte pour rester dignes et exiger des patrons l'emploi dont aucun être humain ne devrait être privé dans une société développée.
Avec les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, je veux redire, comme je l'ai fait aux ASSEDIC de Choisy-le-Roi, tout ce que nous apportent ces femmes, ces hommes, ces jeunes qui ne veulent plus être exclus.
Le Gouvernement a apporté des premières réponses avec l'attribution de 1 milliard de francs aux fonds sociaux pour l'urgence, avec la reconnaissance de la situation et avec l'engagement d'un dialogue avec toutes les organisations agissant avec les chômeurs, qu'il ne faut pas compromettre par un recours injustifié aux forces de l'ordre.
Il faut aller plus loin - c'est la première partie de ma question - en augmentant les minima sociaux, la réponse ne pouvant être la contrainte budgétaire de la monnaie unique, car, avec le mouvement social, qui est le meilleur soutien pour le Gouvernement et sa majorité, nous devons et pouvons contraindre ceux qui refusent la solidarité : je pense au patronat, avec ses 416 milliards de francs de dividendes versés aux actionnaires alors que, dans le même temps, il licencie sans retenue et sabote la création d'emplois, ainsi qu'aux grosses fortunes, avec l'insolence de leurs milliards que nous proposons de taxer beaucoup plus par l'impôt.
Madame la ministre, pour briser le carcan du « tout à l'argent », pour faire réussir, comme le rediront les manifestants samedi, les orientations positives engagées pour l'emploi...
M. le président. Veuillez poser votre question, madame Luc.
Mme Hélène Luc. ... avec notamment les trente-cinq heures et les emplois-jeunes, comment allez-vous mobiliser audacieusement, nous vous le demandons, l'argent qui est disponible pour l'aide sociale, la croissance, la consommation, donc pour la création d'emplois ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Madame le sénateur, vous avez raison sur les deux points essentiels par lesquels vous avez commencé : au-delà de l'égrènement que nous faisons depuis des années les uns après les autres des statistiques des chômeurs, des exclus, des RMIstes, des jeunes en difficulté, il y a d'abord des hommes et des femmes, ceux que nous entendons aujourd'hui et ceux que nous entendons derrière ceux qui sont dans la rue ou qui ont été amenés à occuper un certain nombre de lieux publics.
Nous savons aujourd'hui ce qu'est l'angoisse de ceux qui sont sans emploi : l'angoisse de perdre son emploi, l'angoisse d'avoir des enfants qui ne trouvent pas leur place, celle des jeunes qui ont l'impression que cette société ne veut pas d'eux.
C'est la raison pour laquelle nous savons tous aujourd'hui - et vous l'avez dit fortement - que, pour tous ceux-là, la priorité, c'est non pas l'assistance, mais l'emploi. J'y reviendrai dans quelques instants, car il faut aussi assister quand l'urgence est là, mais la priorité, c'est l'emploi.
Mme Hélène Luc. Ce sont les deux !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Absolument, ce sont les deux.
C'est pourquoi le Premier ministre, dès sa déclaration de politique générale, a dit combien l'emploi était la priorité numéro 1 du Gouvernement.
Nous avons relancé la consommation et, je l'espère, commencé à relancer la croissance. Les premiers chiffres sont là aujourd'hui : la consommation, qui était étale depuis le début de 1995, a commencé à reprendre ; nous avons eu 20 % de plus d'offres d'emplois au dernier trimestre de 1997 par rapport à l'année dernière, et moins 17 % de licenciements. Oh, il ne faut pas fanfaronner, tout cela est fragile, mais ce sont sans doute des premiers signes.
Nous avons aussi fait en sorte, vous l'avez rappelé, que des nouveaux emplois soient créés, notamment les 350 000 emplois-jeunes. Je serai d'ailleurs amenée, dès la fin du mois de janvier, à faire devant vous tous le bilan de ces premières créations d'emplois, qui ont permis au chômage des jeunes de diminuer de 2 % au mois de décembre.
Enfin, nous allons engager dans quelques jours le grand débat sur la réduction de la durée du travail, car nous savons tous que nous n'avons pas le droit de laisser cette piste de côté, même si elle est difficile, même si elle est délicate, même si elle doit entraîner beaucoup de discussions dans notre pays, pour que la solidarité prenne effet dans les entreprises et donne place à l'emploi.
Mais, vous l'avez dit aussi, l'emploi, cela prend du temps, et certains n'ont pas le temps d'attendre. D'où les cris et les mains tendues que nous constatons aujourd'hui.
Nous avons donc été conduits, depuis maintenant six mois, à préparer avec dix-huit ministres un programme triennal de lutte contre les exclusions, qui sera présenté au Parlement au printemps et qui doit viser non pas seulement à assurer les droits théoriques auxquels nous sommes tous très attachés - droit au logement, droit à la sécurité, droit à l'éducation, droit à l'emploi - mais à mettre en place des moyens pour avancer véritablement et rendre concrets ces droits.
Il y a aussi, vous l'avez dit, l'urgence sociale, l'urgence qui va nous amener, dans le cadre de cette loi, à revoir l'ensemble, la cohérence et l'articulation des minimas sociaux. Car nous savons aujourd'hui qu'il y a des trous, des passages brutaux d'un seuil à un autre, qui rendent la vie impossible.
Enfin, le Premier ministre a décidé la création d'un fonds d'urgence sociale de 1 milliard de francs. L'Etat montre ainsi qu'il est capable de faire ce signe de solidarité.
De la même manière que nous avons reconnu ce mouvement et ce qu'il signifie profondément pour ce pays et pour nous tous - car nous avons finalement tous échoué sur le chômage - nous devons y répondre fortement. Ce sera le cas grâce aux dernières mesures qui ont été annoncées et à celles qui sont en préparation avec le projet de loi contre les exclusions. Nous devons également faire fonctionner les services publics, vous le savez bien, notamment les ASSEDIC. Tout cela doit se faire correctement, dans la discussion, dans la concertation - c'est la méthode du Premier ministre - car nous ne pouvons pas accepter, dans notre pays, que des services ouverts au public ne puissent pas fonctionner dans de bonnes conditions.
M. Alain Vasselle. On a fait intervenir les CRS ! C'est cela, la concertation ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je terminerai en disant, madame Luc, que, comme vous, je pense que les chômeurs qui ont crié et nous ont tendu la main attendent aujourd'hui de nous la solidarité. Cette solidarité, l'Etat en a pris sa part dès maintenant, et il la prendra encore plus en vous présentant le projet de loi contre les exclusions.
J'espère que, dès cette semaine, dès demain, les présidents de conseils généraux qui, aujourd'hui, peuvent et doivent apporter, en vertu des attributions qui sont les leurs, une aide sociale à ceux qui souffrent le plus vont nous rejoindre...
Mme Hélène Luc. Ils le font déjà !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité... pour faire en sorte que cette solidarité soit totale et générale. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc. Il faut créer des emplois immédiatement, madame la ministre !

VIOLENCES URBAINES

M. le président. La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, mais elle concerne également M. le ministre de l'intérieur.
Cinquante-trois voitures incendiées, des dizaines d'abribus et de cabines téléphoniques détruits, plusieurs bâtiments publics endommagés, tel est le bilan de la Saint-Sylvestre dans l'agglomération strasbourgeoise.
On assiste ainsi, à Strasbourg comme dans beaucoup d'autres villes et villages, à une recrudescence des violences aux caractéristiques inquiétantes. En effet, ce sont bien souvent des actes de dégradation gratuits, commis par de très jeunes adolescents, très minoritaires, sur des voitures d'habitants de leur quartier déjà fragilisés par le chômage et un environnement urbain dégradé.
Face à ce type de délinquance, la politique de sécurité doit être prioritaire, le sentiment d'impunité étant intolérable. Il est impératif, à mon sens, de rétablir l'ordre et de redonner des repères à ces jeunes en déshérence, notamment en matière de respect de l'autorité.
Pourquoi ne pas favoriser ainsi le développement de structures de réinsertion en milieu fermé, la réinsertion en milieu ouvert ayant montré ses limites ?
La délinquance doit également faire l'objet d'un traitement plus global. C'est le rôle de la politique de la ville.
Sur ce point, madame la ministre, vous avez récemment multiplié les déclarations.
Il est toutefois regrettable qu'il ait fallu de tels incidents, et surtout une aussi forte médiatisation, pour que le Gouvernement réagisse. En effet, depuis l'annonce d'une réforme de la politique de la ville, au mois de juillet dernier, peu a été fait.
Cela était, à mon sens, prévisible, la politique de la ville ayant été noyée dans un gigantesque et tentaculaire ministère de l'emploi et de la solidarité.
M. Jean Chérioux. C'est vrai !
M. Joseph Ostermann. Or, six mois plus tard, le Gouvernement annonce enfin la création d'un secrétariat d'Etat. Aveu d'impuissance, sans aucun doute, mais que de temps perdu !
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Joseph Ostermann. En outre, au vu de vos récentes déclarations, votre désir de réorienter en profondeur la politique de la ville se révèle n'être qu'un voeu pieux.
Ainsi, par exemple, en fait de remise en question, vous ne proposez qu'une réactivation de certains dispositifs existants.
La sécurité des personnes et des biens ainsi que la justice relèvent, malgré la décentralisation, de la responsabilité prioritaire de l'Etat.
Par conséquent, nous souhaiterions obtenir des précisions sur les aspects réellement novateurs de votre politique, ainsi que sur le calendrier de leur mise en oeuvre. Les habitants des quartiers en difficulté, qui perdent patience, ne peuvent plus se satisfaire d'effets d'annonce contradictoires ou de demi-mesures. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, les faits de violence urbaine ont vu leur nombre quadrupler depuis 1993, passant, pour toute la France, d'un peu plus de 3 500 à 15 791 aujourd'hui !
A Strasbourg, le nouvel an donne traditionnellement lieu à certains débordements. Le nombre de voitures brûlées était, si je ne me trompe, de dix en 1995, de quinze en 1996 et il a été de 40 en 1997.
A la fin de l'année dernière, la médiatisation s'était déjà concentrée plusieurs jours auparavant sur la ville de Strasbourg et sur l'agitation qui régnait dans certains de ses quartiers. On peut penser, d'après tous les renseignements dont je dispose, qu'il y a un rapport entre cette médiatisation et le niveau atteint par les violences urbaines. (C'est vrai ! sur les travées du Rassemblement pour la République.)
Eh oui ! Cela correspond d'ailleurs à un creux de l'actualité, entre Noël et le nouvel an. Les caméras se braquent sur ces incidents, car une voiture qui brûle, c'est très spectaculaire ! On en tire des conséquences qui, quelquefois, n'ont pas lieu de l'être, et la concurrence s'exacerbe entre ces quartiers que vous connaissez bien - la Meinau, Haute-Pierre, Neuhof et d'autres encore - pour savoir qui fera le mieux, ou plutôt le pire.
Nous sommes donc en présence d'un phénomène qui, naturellement, n'existe pas seulement à Strasbourg, même s'il a revêtu cette année, dans cette ville, une importance particulière, et qui renvoie, bien sûr, à d'autres problèmes - la précarité, le chômage, l'absence de repères - que vous avez justement soulignés et sur lesquels chacun, parent, enseignant, éducateur, citoyen, doit s'interroger.
Pourquoi ne transmettons-nous pas nos valeurs ? Pourquoi n'en sommes-nous plus capables ? Peut-être par ce que ces valeurs se transmettent surtout par l'exemple, et que l'exemple qui est donné à travers les médias de masse n'est pas toujours le meilleur. Je ne veux naturellement pas dire par là que la violence urbaine n'existerait pas sans les médias !
Par conséquent, il faut se concentrer sur quelques problèmes.
Vous avez abordé celui de la délinquance des mineurs. Une mission a été confiée à deux parlementaires, Mme Lazerges et M. Balduyck, qui va rendre ses conclusions. J'ai moi-même évoqué au colloque de Villepinte, qui a posé fermement une équation de la sécurité que je crois juste, la question de savoir s'il n'y avait pas entre l'éducation ouverte et la prison, souvent criminogène, des formules intermédiaires.
Je ne prétends pas apporter la réponse à moi tout seul. La question doit néanmoins être posée de savoir si une poignée de mineurs multirécidivistes ne doivent pas être éloignés au moins temporairement de leur quartier et faire tout de même l'objet d'un rappel à la loi.
De manière générale, même les primodélinquants devraient faire l'objet d'un rappel à la réalité et à la loi, parce que cela est nécessaire (Murmures d'approbation sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) sans que pour autant on perde de vue les causes, le terreau sur lequel prospèrent ces violences, à savoir la misère, le chômage, la dualisation de notre société, autant de phénomènes gravement préoccupants qui sont la conséquence, à bien des égards, de plus de vingt années de laisser-aller social, pour dire les choses clairement. (Vives exclamations sur les mêmes travées.)
M. Jean Chérioux. Tournez-vous vers la gauche !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Non, monsieur Chérioux, je suis tourné vers vous et je vous regarde.
En fait, je regarde M. Ostermann, mais vous êtes dans ma ligne de mire, si je puis dire. (Sourires.)
M. Jean Chérioux. Je suis très flatté !
M. le président. Monsieur le ministre, veuillez conclure, je vous prie.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. J'en termine, monsieur le président.
Le Gouvernement entend également mettre sur pied partout des contrats locaux de sécurité, avec des moyens substantiels et sur la base de diagnostics aussi précis que possible.
J'organise, avec Mme le ministre de la justice, Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité et M. le ministre de la défense, patron de la gendarmerie, le 19 janvier prochain, une réunion avec des maires des vingt-six départements qui concentrent 80 % de la violence et de la délinquance. Ainsi, 350 maires seront réunis avec des procureurs de la République et des préfets.
Nous allons donc nous atteler à cette tâche : faire en sorte qu'il y ait des contrats locaux de sécurité, dans lesquels je vous invite à vous investir, avec des adjoints de sécurité mais aussi avec des agents locaux de médiation, qui pourront être recrutés par les collectivités locales, les bailleurs sociaux ou les compagnies de transport.
Je ne développerai pas davantage, cédant aux objurgations, d'ailleurs parfaitement justifiées, de M. le président. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE.)

DROIT À L'EMPLOI

M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la mobilisation des chômeurs vient rappeler au pays et à tous ceux qui ont été responsables de sa gestion la réalité toute humaine, la détresse et, parfois, le dénuement le plus complet qui est celui de tant et tant de nos compatriotes.
Elle témoigne, en même temps, de l'irréductible volonté de justice et de dignité qui anime nos concitoyens.
La solidarité qu'expriment les Français avec ce mouvement montre que ce sentiment est partagé par l'immense majorité de notre peuple.
Il est temps de rappeler avec force le préambule de la Constitution qui nous gouverne : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. » Et, plus loin : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. »
Pour ce qui concerne les moyens convenables dont il faut doter chacun, vous avez, madame la ministre, de considérables rattrapages à opérer compte tenu de l'impéritie du gouvernement qui vous a précédé... (Vives protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Un sénateur socialiste. Eh oui !
M. Jean-Pierre Schosteck. Combien de chômeurs en 1981 ? Allons, arrêtez !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... et que les Français ont sanctionné en le renvoyant.
Vous avez ouvert les dialogues nécessaires et validé aussi, pour cela, des interlocuteurs venus du mouvement social lui-même. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Schosteck. Les nouveaux pauvres !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous avez mobilisé des fonds d'urgence. Vous nous proposerez bientôt une loi contre l'exclusion. Nous vous en donnons acte.
Pour ce qui concerne le droit d'obtenir un emploi pour souscrire au devoir de travailler pour subvenir à ses besoins, dans la mutation cruelle que vit notre économie, le peuple français a aussi été consulté au cours de l'élection législative récente. Il a choisi de vous suivre dans la voie de la réforme majeure que vous lui avez proposée, c'est-à-dire la réduction massive du temps de travail, les trente-cinq heures hebdomadaires sans perte de salaires, pour créer des milliers d'emplois.
M. Alain Joyandet. Sans perte de salaire !
M. Jean-Luc Mélenchon. Voici ma question.
Le groupe socialiste s'exaspère des refus répétés du CNPF d'entrer dans les négociations qui doivent permettre la mise en oeuvre rapide de cette mesure.
Le groupe socialiste s'indigne des menaces de déstabilisation du Gouvernement proférées par le CNPF, dont il n'est pas prouvé qu'il soit aussi représentatif qu'il le dit en cette circonstance.
Il s'indigne des démarches entreprises pour exiger que vous renonciez à votre projet.
Le groupe socialiste s'indigne du privilège de blocage dont jouissent les représentants de cette catégorie socioprofessionnelle au détriment des devoirs de solidarité que la situation impose.
Un sénateur socialiste. Bravo !
M. Jean-Luc Mélenchon. Jusqu'où et jusqu'à quand cela sera-t-il toléré ?
Les socialistes récusent l'opposition que l'on voudrait entretenir entre ceux qui ont du travail et ceux qui n'en ont pas et récusent l'idée que les minima sociaux soient l'horizon indépassable du revenu de tant de Français. Nous voulons du travail pour tous et un revenu convenable pour chacun. Nous voulons les trente-cinq heures hebdomadaires sans perte de salaire.
Madame le ministre, nous voulons que le CNPF, clairement responsable du blocage actuel, soit ramené au respect du vote des Français ! (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, vous avez raison de dire que le droit à l'emploi doit, jour après jour, être l'objet de notre combat permanent et devenir un droit de la réalité.
Finalement, la société que nous voulons construire n'est pas une société où ceux qui sont sur la route sont toujours plus forts et toujours plus riches, alors que sont sans cesse plus nombreux ceux qu'on laisse sur le côté en leur envoyant, parfois, par moments, une allocation d'assistance qui leur permet tout juste de survivre mais en aucun cas de vivre.
La dignité, c'est l'emploi, c'est-à-dire l'autonomie de l'homme, l'utilité sociale, la reconnaissance par les autres. Aussi est-ce l'objectif numéro 1 que le Gouvernement s'est fixé dans toutes les décisions qu'il a prises.
Vous avez choisi, monsieur le sénateur, de mettre l'accent sur les entreprises. Je vous répondrai donc sur ce terrain.
Les entreprises nous disent, et, dans le fond, elles ont globalement raison,... (Exclamations sur les travées du Rassemblement pour la République.)
Attendez !
Les entreprises nous disent donc que ce sont elles qui créent des emplois. Malheureusement, depuis des années, ce sont elles qui en ont détruit. Elle l'ont fait parfois à cause des difficultés de la concurrence. Ces difficultés, nous les comprenons et nous nous efforçons de les combattre en réduisant les charges sociales sur les bas salaires, en changeant - la mesure est en cours - l'assiette des cotisations patronales, en travaillant à la réforme de la taxe professionnelle...
M. Alain Vasselle. En taxant les entreprises !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... ou en transférant les charges sociales des cotisations payées par les salariés vers la CSG.
Mais les suppressions d'emplois résultent aussi souvent, nous le savons, d'un manque d'anticipation, d'une absence de réflexion sur l'organisation du travail, du défaut de qualification de nos salariés, tout ce qui fait que, aujourd'hui, nos entreprises sont moins compétitives qu'ailleurs.
Il faut gagner en innovation et en réactivité. Il faut savoir mieux répondre à l'attente des consommateurs et des clients.
Pour notre part, nous avons pris nos responsabilités. Nous avons relancé la consommation, qui stagnait depuis 1995. Les entreprises doivent maintenant y répondre dans les meilleures conditions.
Alors que, nous l'avons déjà dit, les charges sociales sont fortes sur les bas salaires, nous faisons en sorte, aujourd'hui, en accompagnant la réduction de la durée du travail par une aide forfaitaire aux entreprises fortement utilisatrices de main-d'oeuvre, de créer encore plus d'emplois par le partage du travail.
Il faut que ce partage du travail ait lieu, car il n'y a pas, aujourd'hui, d'autre solution que d'emprunter toutes les pistes qui permettront effectivement de créer des emplois.
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est répartir la pénurie !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. J'ajoute, car, si les discours sont importants, les faits sont rares (Marques d'approbation sur les travées du Rassemblement pour la République.) que nous n'accepterons pas - je l'ai dit dès le mois de juillet - que certaines entreprises, notamment celles qui font aujourd'hui des bénéfices importants, fassent porter sur la collectivité le coût de leur restructuration.
J'ai donné des directives, dès le mois de juillet, pour que l'on essaie d'éviter les plans sociaux, pour que l'on fasse de la gestion prévisionnelle, pour que l'on n'accorde pas des préretraites à des grandes entreprises qui gagnent énormément d'argent et qui, par ailleurs, ne font aucun effort pour développer l'emploi, pour reconvertir et reclasser leurs salariés. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
De la même manière, le président sortant du CNPF a dit, le 10 octobre dernier, qu'il entrerait dans le dispositif des 350 000 jeunes dans le secteur privé.
Je vous le dis, monsieur le sénateur, car je sais que ce sujet vous intéresse tout particulièrement, il a pris l'engagement d'un bilan par branche sur le nombre de jeunes actuellement dans les entreprises, le pourcentage dans les embauches, la formation en alternance et la révision de la précarité du statut des jeunes.
Il a dit qu'un diagnostic serait fait avant la fin de janvier et que, dans toutes les branches, serait lancé un programme d'embauche et un véritable programme pour les jeunes d'ici au mois de juillet.
Les patrons doivent prendre leurs responsabilités ; nous prendrons les nôtres. Dès le mois de janvier - je l'ai écrit à l'ensemble des présidents des chambres patronales - je réunirai des commissions mixtes. Autrement dit, je convoquerai le patronat et les organisations syndicales partout où cela sera nécessaire. En effet, on ne peut à la fois dire que l'on crée des emplois, que l'on est les seuls à le faire, qu'on souhaite le faire, et ne pas donner une place aux jeunes. Là aussi, que chacun, prenne ses responsabilités !
J'en terminerai en rappelant, vous l'avez dit, que l'emploi doit tous nous réunir. Moi non plus, je n'apprécie pas que les chefs d'entreprise, qui sont là pour créer des richesses et pour faire en sorte que demain nous vivions mieux dans notre pays, tiennent des propos qui sont d'un ordre autre qu'économique.
Pour ma part, je ne renonce pas à ce que le Gouvernement s'adresse directement aux entreprises. En effet, aujourd'hui, dans notre pays, nombre de chefs d'entreprises se battent sur les marchés, innovent, ont envie de créer des emplois parce qu'ils savent mieux que quiconque qu'ils ne se développeront pas dans une société qui est en train de se désagréger par les violences, par la ghettoïsation et par le chômage.
M. Jean-Pierre Raffarin. Protégez-les !
M. Christian Demuynck. Aidez-les !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Eh bien, nous allons nous adresser à ces chefs d'entreprise, non pas pour leur dire, comme certains, qu'il ne faut pas bouger, qu'il ne faut rien faire, mais pour les inciter à s'engager avec nous dans cette bataille des trente-cinq heures !
M. Jean-Pierre Raffarin. Ce n'est pas crédible !
M. Christian Demuynck. C'est une erreur !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est une opportunité offerte à l'entreprise pour regagner en compétitivité, pour gagner des marchés, pour réduire l'exclusion et le chômage, qui grèvent aujourd'hui notre société...
M. Alain Vasselle. C'est voué à l'échec ! Les trente-cinq heures auront le même effet que les trente-neuf heures !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... et qui, demain, empêcheront l'entreprise de se développer.
J'ai la conviction que ce combat, qui est un combat politique au vrai sens du terme, et non pas au sens politicien, qui permet de préparer l'avenir, un avenir plus radieux pour tous, beaucoup peuvent en comprendre la portée. Aussi, je souhaite que, ce combat, la plupart d'entre vous - je crains, malheureusement, qu'ils ne soient pas très nombreux sur toutes les travées - nous aident à le gagner. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

SITUATION DE LA COMMUNAUTÉ HARKIE

M. le président. La parole est à M. Bécot.
M. Michel Bécot. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, cette question s'adresse à Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ignorés ou rejetés, les harkis et leurs descendants, aujourd'hui encore, plus de trente-cinq ans après la fin du conflit en Algérie, continuent de vivre un drame.
Parce qu'ils ont fait le choix de la France, pays de la liberté et des droits de l'homme, ces hommes et ces femmes ont dû tout abandonner.
Bien que partie intégrante de la communauté nationale, les harkis éprouvent des difficultés, et ce pour des raisons liées à leur histoire, à s'insérer socialement, malgré leur désir farouche d'y parvenir.
On constate en effet, au sein de cette communauté, un taux de chômage particulièrement important, dû à un taux d'échec scolaire élevé, un manque de formation professionnelle et des conditions de logement peu propices à l'intégration.
Leur fort regroupement dans des régions aujourd'hui sinistrées économiquement ne facilite nullement cette insertion qu'ils appellent de leurs voeux.
De plus, les harkis n'ont de cesse de réclamer la reconnaissance de leur véritable identité et leur appartenance à la France, désir qui ne peut qu'apparaître légitime et qui doit être pris en compte.
Certes, depuis 1975, des dispositions ponctuelles ont été prises en leur faveur ; tous n'ont pu cependant en bénéficier et, à l'évidence, ces mesures n'ont pas été suffisantes.
Seule la volonté de mettre en place un projet global, destiné à régler ce que l'on appelle communément « le problème harki » et qui doit cesser d'en être un, pourra remédier à cette situation.
A l'heure où vous avez annoncé comme l'une de vos priorités la lutte contre les exclusions, je vous remercie de bien vouloir me faire part des mesures que vous entendez prendre en faveur des harkis. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, je voudrais d'abord vous remercier d'avoir posé une question sur les difficultés d'insertion des harkis et de leurs enfants.
Vous l'avez dit, ils vivent depuis trente-cinq ans, comme l'ensemble d'ailleurs des rapatriés, mais plus douloureusement que d'autres, les conséquences de leur soutien à la France.
Il a fallu attendre, vous le savez, la loi du 11 juin 1994 pour que, à l'unanimité, la France témoigne la grande reconnaissance qu'elle leur devait et affirme la dignité dans laquelle ils doivent vivre.
Les problèmes sont très divers.
A la première génération, nous devons qu'elle vive dans des conditions décentes, notamment de logement, alors que, aujourd'hui encore, perdurent sur notre territoire des camps inacceptables.
J'ai chargé M. Lagarrigue, inspecteur général des affaires sociales, de visiter l'ensemble de ces sites. Il en a déjà vu les deux tiers. Cela a d'ailleurs permis de régler un certain nombre de cas individuels et collectifs. Je disposerai dans les délais les plus brefs d'un rapport global, dont je vous donnerai bien évidemment communication.
Les harkis, surtout ceux de la seconde génération, qui ont vécu dans des camps et n'ont pu être scolarisés, ont besoin d'une aide à l'emploi et à la formation.
A cet effet, j'ai demandé aux préfets, par une circulaire du 22 octobre 1997 - elle commence d'ailleurs à porter ses fruits - de mettre en place, partout où les harkis sont en nombre, des cellules de reclassement. Elles ont pour mission, d'abord, d'établir un diagnostic des harkis et de leurs enfants qui sont au chômage, ensuite, de leur proposer des emplois ou des mesures de formation lorsque c'est nécessaire. Ils sont actuellement reçus les uns après les autres. Dans deux mois, nous disposerons d'un bilan complet, que je rendrai public.
S'agissant des emplois-jeunes, j'ai demandé que les harkis bénéficient d'une priorité. A titre d'exemple, dans le Rhône, quinze fils de harkis ont été engagés comme agents de sécurité, une dizaine dans la région parisienne, et la ville de Roubaix vient d'en engager cent.
S'agissant de l'endettement immobilier, qui est le problème majeur de ces familles, en vertu de la loi du 11 juin 1994, les harkis de la première génération bénéficient d'une subvention de l'Etat au désendettement immobilier. Afin que les procédures conduites par les commissions départementales se déroulent convenablement, l'article 101 de la loi de finances pour 1998 vient de prévoir une suspension provisoire des poursuites jusqu'à la décision de l'octroi de l'aide. Ainsi, un certain nombre de situations dramatiques pourront être améliorées.
J'ajoute que le travail accompli par le nouveau délégué aux rapatriés, qui a réparti avec un peu d'impartialité les crédits entre harkis et rapatriés, a calmé globalement le jeu.
Certes, il subsiste encore quelques petits foyers de contestation. Mais nous nous en occupons en essayant de trouver des réponses en matière d'emploi pour les jeunes, qui sont à la base de ces mouvements.
J'espère que, dans les jours qui viennent, les choses se calmeront, parce que des réponses concrètes auront été apportées. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)

ENSEIGNEMENT FRANÇAIS A L'ÉTRANGER

M. le président. La parole est à M. Maman.
M. André Maman. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question aurait dû, en toute logique, s'adresser à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie ; mais les mystères de l'organisation administrative française me conduisent à la poser à M. le ministre des affaires étrangères.
Elle concerne, en effet, un problème lié à l'enseignement français à l'étranger, lequel relève de la compétence du Quai d'Orsay. Cette question est double.
Je rappelle que Claude Allègre a présenté, le 17 novembre dernier, un plan triennal visant à développer l'utilisation des nouvelles technologies à l'école.
Cette mesure, destinée à accélérer l'intégration du multimédia dans les projets pédagogiques, est naturellement une priorité importante pour l'école de demain, car nous sommes tous conscients que nos enfants ne pourront pas faire l'économie de ce type d'apprentissage s'ils veulent réussir leur insertion sociale et professionnelle.
Sans préjuger le contenu précis qu'aura ce plan - et sans préjuger, surtout, les éventuelles difficultés qui pourraient être liées à son financement - je souhaiterais savoir si des contacts ont été pris entre le Quai d'Orsay et les services de l'éducation nationale pour que notre réseau d'établissements scolaires à l'étranger puisse également bénéficier de ce dispositif.
Je rappelle en effet - et nous en sommes très fiers - que, de tous les pays, la France possède le réseau scolaire le plus dense du monde, puisqu'il compte quelque 440 établissements accrédités par le Gouvernement français répartis sur tous les continents. Ce réseau joue un rôle fondamental pour toutes les familles expatriées, et il serait particulièrement inéquitable que tous les jeunes Français qui étudient hors de France se voient privés des retombées positives de ce plan,
Enfin, seconde partie de ma question, je souhaiterais savoir, monsieur le secrétaire d'Etat, si, comme le demandent de nombreux représentants des Français établis hors de France, vous n'estimeriez pas logique que la gestion des problèmes liés à l'enseignement français à l'étranger revienne dans le giron de l'éducation nationale, comme c'était le cas jusqu'en 1990, date à laquelle a été créée l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie. Monsieur le sénateur, votre question a plusieurs mérites et, en particulier, celui de souligner la densité et la qualité du réseau d'établissements scolaires français à l'étranger, qui est essentiel aux expatriés et qui, bien au-delà, joue un rôle essentiel également en matière de présence française.
L'importance et le rôle des nouvelles techniques de communication n'ont pas échappé à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger ; elle y voit les relais efficaces aux techniques d'apprentissage et de communication actuellement en usage, et je précise que vingt établissements français ont déjà pris l'initiative d'ouvrir un site Internet.
L'agence s'est rapprochée, comme vous le souhaitez, du ministère de l'éducation nationale afin d'étudier dans quelle mesure elle pourrait bénéficier des dispositions déjà mises en oeuvre ou attendues, afin de faire profiter les enfants français, et les autres, des mêmes dispositions.
Il est en effet normal, il est juste, que les établissements scolaires français à l'étranger se développent et se modernisent de la même façon que les établissements français en métropole. En tout cas, l'agence a prévu, dans son budget pour 1999, une ligne spécifique de crédits pour financer ces nouvelles techniques.
A la seconde partie de votre question, je répondrai simplement qu'un groupe de travail conjoint affaires étrangères-éducation nationale a été mis en place pour examiner dans quelle mesure la relation entre ces deux ministères pourrait être resserrée afin que soit mieux géré le dispositif que vous évoquez.
Je précise, pour compléter votre information, monsieur le sénateur, que le dispositif d'enseignement français à l'étranger n'était pas, avant la création de l'agence, sous la tutelle du ministre de l'éducation nationale ; avant 1990, il était déjà sous celle du ministre des affaires étrangères.
Au demeurant, l'administration française n'est pas si mystérieuse.
Je regrette que M. Allègre n'ait pas été présent pour vous répondre - vous escomptiez sa venue - ni M. Védrine, qui est à l'étranger. Le fait que je sois également chargé de la francophonie pourra, je l'espère, légèrement atténuer votre déception. (Applaudissements sur les travées socialistes. - Mme Dusseau applaudit également.)

CONSÉQUENCES DE LA CRISE ASIATIQUE

M. le président. La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie et des finances et n'a aucun caractère polémique.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Enfin !
M. Joël Bourdin. Je connais les limites d'une question relative aux conséquences de la crise asiatique sur l'évolution de notre pays. Cependant, monsieur le ministre, les réponses que vous avez données, hier encore, quant au taux de croissance prévisionnel retenu pour le budget de 1998, qui a été fixé, compte tenu des critères de convergence, à 3 %, m'ont un peu laissé sur ma faim.
La crise asiatique, avez-vous l'habitude de dire, existe et elle aura sans doute des conséquences, mais un phénomène de compensation va se produire : grâce à la reprise de la consommation et de l'investissement, grosso modo, ce qui est perdu d'un côté sera gagné de l'autre. En conséquence, vous maintenez ce taux prévisionnel. C'est important car, effectivement, 1998 est une année cruciale pour nous et nous ne pouvons pas nous permettre de fantaisie dans ce domaine.
Des économistes ont estimé que la crise asiatique - qui a commencé il y a six mois - par le biais des exportations directes et indirectes et des importations, entraînerait une baisse de 0,3 à 0,5 point du taux de croissance. Le problème n'est pas de savoir exactement ce qu'il en est, mais je ne vois pas en quoi la reprise de la consommation et de l'investissement compensera cette baisse.
Je souhaite savoir, monsieur le ministre, sur quels éléments vous vous fondez. J'imagine que la direction de la prévision vous a donné des éléments. Peut-être pourrait-elle également nous les communiquer ; cela nous serait utile. Nous préférerions avoir des informations complémentaires plutôt que des arguments donnés d'autorité.
Quel sera l'effet de l'accroissement de la consommation et de l'investissement ?
Dans un pays qui se veut transparent, avec une bourse qui fonctionne bien, les épargnants ont le droit d'être informés. C'est un devoir. La Commission des opérations de bourse insiste sur ce point.
Nous souhaiterions savoir quel impact peut avoir la crise asiatique sur l'évolution des risques de nos banques. En effet, un certain nombre d'entre elles sont engagées en Asie du Sud-Est.
Un certain nombre de journaux ont fait état d'estimations. Les épargnants sont en droit de disposer d'informations précises pour agir en toute conscience sur la bourse de Paris.
J'aborderai pour finir le problème de la COFACE, la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur.
Cet organisme doit, sur ce sujet, disposer d'estimations. Il fonctionne bien depuis un certain nombre d'années...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La question est trop longue !
M. Joël Bourdin. ... puisqu'il a rapporté au budget de l'Etat 7 milliards de francs en 1996, 10 milliards de francs en 1997, et le prélèvement effectué sur la COFACE rapportera selon les prévisions 7 milliards de francs en 1998.
Qu'en est-il, monsieur le ministre, de ces différents aspects ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La question a été trop longue. La réponse du ministre ne pourra pas être diffusée par la télévision !
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, ne protestez pas. Tout à l'heure, quand vos amis sont intervenus, c'était bien pis !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En l'espèce, la question aura été retransmise par la télévision alors que la réponse ne le sera pas ! Il y a déséquilibre.
M. le président. J'ai essayé de mener ces débats sans blesser personne. Mais personne n'a été sérieux aujourd'hui, non pas sur le fond, mais dans le respect des temps de parole.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le sénateur, vous connaissez ces questions mieux que quiconque, et vous les avez parfaitement résumées.
En effet, s'agissant de la crise asiatique telle qu'on l'apprécie aujourd'hui - personne ne sait de quoi seront faits la fin du mois de janvier et le mois de février - on peut penser que, au moins s'agissant de la Corée, la situation aujourd'hui est beaucoup plus stable qu'elle ne l'était voilà quelques semaines. Nous sommes donc plutôt sur la bonne pente. Mais, comme il est normal en la matière, je veux pouvoir émettre toutes les réserves sur ce que nous prépare l'avenir.
Telle que nous connaissons aujourd'hui la situation, l'effet sur la croissance économique de la France est de l'ordre de ce que vous avez évoqué, encore que les prévisionnistes fassent toujours un travail difficile : 0,3 à 0,5 point de croissance en moins, cela me paraît une estimation raisonnable. Donc, la prévision que le Gouvernement a fournie lors de l'examen de la loi de finances, au cours de l'automne, peut sembler aujourd'hui surestimée.
Mais, comme vous l'avez rappelé à juste titre, monsieur le sénateur, le dernier trimestre de l'année 1997 nous a réservé une bonne surprise en termes de croissance interne. Le résultat - là il ne s'agit plus de prévision - est que la pente de croissance de l'économie française à la fin de l'année 1997 est de 3,5 %, conformément à l'estimation de l'INSEE. Il n'y a donc pas de mystère, ni de grande arithmétique à engager pour penser raisonnablement que, après imputation d'un effet de la crise asiatique compris entre 0,3 % et 0,5 %, nous continuerons l'année 1998 avec une croissance de 3 %.
Evidemment, cette croissance n'a pas la même structure que celle que nous avions prévue. Elle sera moins tirée par l'extérieur, plus par l'intérieur : moins tirée par l'extérieur, c'est la conséquence de la crise, plus par l'intérieur, c'est la bonne surprise d'une reprise interne plus forte que ce qui avait été anticipé.
Deux éléments doivent soutenir cette croissance en 1998, comme nous l'avions prévu : d'abord, un dollar qui se maintient à des valeurs élevées, au-dessus de six francs ; ensuite, des taux d'intérêt à long terme qui sont aujourd'hui les plus bas que nous ayons connus depuis extrêmement longtemps, puisqu'ils se situent à environ 5 %.
Il est donc raisonnable de continuer à penser, au point où nous en sommes aujourd'hui et sous réserve de ce que sera l'avenir, que la croissance sera bel et bien de 3 %. D'ailleurs, dans une certaine mesure, c'est une meilleure croissance que celle qui était prévue puisque, ayant plus de composantes internes, elle rapportera plus de ressources fiscales. Ces 3 % de croissance-ci plutôt que les 3 % de croissance initialement prévus, c'est plus de ressources fiscales car, comme vous le savez, la croissance qui découle de l'exportation n'est pas à l'origine de recettes de TVA.
Pour ce qui est de la situation de nos banques, il est clair que la crise, notamment coréenne, mais aussi dans les autres pays émergents de l'Asie, aura des conséquences financières pour nos banques, qui sont chacune en train de les estimer et de les provisionner.
Il n'y a pas, me semble-t-il, de difficulté majeure. Les banques françaises sont suffisamment capitalisées ou ont des actionnaires suffisamment puissants pour fournir les ressources nécessaires pour compenser les pertes qui, inévitablement, découleront des situations asiatiques.
Pour le moment, il est difficile de les estimer totalement. Les provisions qui ont été faites par les principales banques françaises sont importantes, peut-être même surestimées par rapport à un risque qui pourrait finalement se révéler moins grave que prévu.
Ce que nous observons, c'est une chute très forte des bourses asiatiques. Mais, comme vous le savez, dans ces cas-là, la chute est souvent d'autant plus forte que l'optimisme avait été trop fort avant. Quand la situation se rétablit, on revient à des niveaux un peu moins bas que ceux qui ont été atteints au creux de la crise. Si c'était le cas, il est probable que les anticipations de pertes qui ont été faites par les banques françaises, comme d'ailleurs par les banques européennes, se révéleraient plus que suffisantes.
Quant à la COFACE, il est clair, là encore, qu'on ne peut pas espérer qu'une crise aussi importante en Asie n'ait pas d'incidences sur cette compagnie d'assurance. Au demeurant les chiffres que vous avez évoqués relatifs à ce que la compagnie a rapporté au budget de l'Etat pour 1996 et 1997 sont exacts, monsieur le sénateur.
Pour 1997, les résultats n'ont pas été affectés par la crise, ils sont même un peu supérieurs à 10 milliards de francs : ils avoisinent en effet les 11 milliards de francs.
Pour 1998, il est évidemment beaucoup trop tôt pour se prononcer, mais il y aura inévitablement un impact de la crise asiatique à hauteur de ce que représentent ces marchés pour nos exportations. Cela représente, selon la manière de compter, de 6 % à 10 % de nos exportations, c'est-à-dire près de un point du PIB. S'il y a des sinistres industriels ou commerciaux importants, ils auront évidemment des répercussions sur les bénéfices de la COFACE. Nous en reparlerons, si vous le voulez bien, un peu plus tard dans l'année, car il est un peu trop tôt pour traiter cette question maintenant.
Ce qui est important, en revanche, c'est qu'au point où nous en sommes aujourd'hui, et même si cela peut paraître surprenant à un certain nombre d'entre vous, dans la mesure où nous nous sommes montrés trop prudents dans notre prévision sur la croissance domestique et où elle se révèle meilleure que prévu, il est probable, je le crois tout à fait, que notre croissance, en moyenne, se maintiendra en 1998 aux 3 % qui avaient été prévus. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

RÉVISION CONSTITUTIONNELLE

M. le président. La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon. Monsieur le président, mesdames messieurs les ministres, mes chers collègues, la décision constitutionnelle rendue le 31 décembre 1997, déclarant contraires à la Constitution les dispositions du traité d'Amsterdam relatives aux visas, à l'asile et à la libre circulation, nécessite, comme chacun le sait, une révision constitutionnelle.
Le 13 janvier dernier, le Premier ministre se livrait, devant la presse, à une interprétation pour le moins floue de notre Constitution.
Selon lui, en effet, la révision constitutionnelle doit résulter « d'une initiative du Président de la République, même si celle-ci nécessite l'approbation du Premier ministre ».
Il ajoutait qu'il ne provoquerait pas lui-même une initiative qui « revient au Président de la République, quant au choix entre l'approbation référendaire et la voie du Congrès ».
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. C'est vrai !
M. Serge Vinçon. De tels propos entretiennent la confusion dans les esprits entre les modalités de la révision constitutionnelle, à savoir son approbation par la voie référendaire ou par le Parlement réuni en Congrès, et le fond de cette révision, autrement dit son contenu.
Je ne veux pas voir dans ces propos une manoeuvre pour, le cas échéant, repousser au plus tard possible une révision qui gêne manifestement la majorité plurielle.
Aussi, j'aurais aimé demander à M. le Premier ministre s'il pouvait nous éclairer.
Le choix entre la procédure du référendum ou celle du Parlement réuni en Congrès est une prérogative exclusive du chef de l'Etat, contrairement à ce que les propos du Premier ministre pouvaient laisser penser.
M. Emmanuel Hamel. Qu'il choisisse le référendum, comme cela, il pourra partir !
M. Serge Vinçon. Concernant, en revanche, le fond, il appartient bien au Premier ministre, conformément à l'article 89 de la Constitution, de faire une proposition au Président de la République.
Aussi, j'aimerais que l'on puisse nous indiquer quand le Premier ministre compte la faire, et sur quelle base précise. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, conformément à l'article 54 de la Constitution, le Président de la République et le Premier ministre ont demandé conjointement - et c'était la première fois qu'une telle procédure était utilisée - au Conseil constitutionnel, le 4 décembre 1997, si, compte tenu des engagements souscrits par la France et des modalités d'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, l'autorisation de ratifier ce traité devait être précédée d'une révision de la Constitution.
Dans sa décision rendue le 31 décembre, le Conseil constitutionnel a jugé contraires à la Constitution certaines dispositions du titre III A insérées par le traité d'Amsterdam dans le traité instituant la Communauté européenne.
Ces dispositions intéressent le franchissement des frontières extérieures et intérieures des Etats membres, la politique de l'asile et la politique de l'immigration.
Je rappellerai, en premier lieu, que cette décision était attendue et qu'elle est conforme à la jurisprudence qui avait été établie dès la décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 1992 relative au traité de Maastricht.
Quant au traité d'Amsterdam, il a été négocié par le Président de la République et par le précédent gouvernement, et c'est bien parce que le Président de la République et le Premier ministre souhaitaient avoir l'assurance que ce traité ne comportait pas de contradiction avec notre loi fondamentale qu'ils ont saisi ensemble la Haute Juridiction.
Je rappellerai en deuxième lieu que le Conseil constitutionnel ne censure pas le traité d'Amsterdam, mais qu'il se borne à dire, comme l'y autorise l'article 54 de la Constitution, que certaines stipulations du traité sont contraires à la Constitution de 1958.
Par conséquent, comme pour le traité de Maastricht, si la France veut ratifier ce traité, elle doit au préalable réviser sa Constitution. Cette révision n'est juridiquement pas obligatoire, mais, tant qu'elle n'est pas intervenue, le traité ne peut pas être ratifié.
Je rappellerai en troisième lieu qu'aux termes de l'article 89 de la Constitution l'initiative de la révision constitutionnelle appartient concurremment au Président de la République, sur proposition du Premier ministre, et aux membres du Parlement.
En ce qui concerne cette perspective de révision constutitionnelle, monsieur le sénateur, j'observe qu'elle est requise en vue d'un transfert de compétences à échéance lointaine - à terme minimum de cinq années - et aléatoire, puisque suspendu à l'accord unanime des Etats membres.
Mais il va de soi que ce délai de cinq ans, qui est celui de la mise en oeuvre des transferts de compétences sur ce point précis, n'implique pas un délai identique pour l'autorisation de ratification, qui doit, elle, intervenir dans un temps beaucoup plus rapproché.
En vertu de l'article 89 de la Constitution, cette révision doit résulter d'une initiative du Président de la République, même si celle-ci nécessite la proposition du Premier ministre.
Les dispositions concernées du traité ont été négociées, d'ailleurs de manière insatisfaisante aux yeux du Gouvernement actuel, par le précédent gouvernement, seule la protection constitutionnelle du droit d'asile ayant pu être préservée, sur l'initiative du Premier ministre, dans les derniers jours ayant précédé la conclusion de l'accord. Dès lors, chacun comprendra qu'il ne provoque pas lui-même l'initiative qui revient au Président de la République.
Quant au choix entre l'approbation référendaire et la voie du Congrès, il relève du seul Président de la République. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

POLITIQUE DE LA VILLE

M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Ma question s'adresse à Mme Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Elle porte sur un sujet qui est aujourd'hui au coeur de l'actualité : la politique de la ville.
Un constat s'impose : la cause de la misère et de la violence est bien connue, c'est le chômage.
Face au chômage de masse, le Gouvernement a fait le juste choix, celui de placer l'emploi au coeur de son action. Les 35 heures hebdomadaires sans perte de salaire pour créer des milliers d'emplois est une voie essentielle pour sortir de l'impasse et réussir une politique de la ville. Elle s'impose à tous, et le patronat français doit le comprendre et l'accepter.
Je sais que c'est également la position du Gouvernement et de Mme la ministre. Mais je crois qu'il faut toujours le répéter, car c'est là l'essentiel.
A côté d'une politique ambitieuse pour l'emploi, vous élargissez, madame la ministre, le chantier de la lutte contre l'exclusion, en liaison avec dix-huit ministères, avec les maires, avec les acteurs de terrain.
Chaque ville doit prendre sa part d'habitat social afin de réussir la mixité sociale. La ville doit pouvoir organiser le retour à une urbanité et une sécurité élémentaires dans les transports en commun. La ville doit pouvoir renforcer sa police locale, en coordination étroite avec la police nationale. Dans chaque ville, des moyens accrus doivent permettre de soigner les drogués, en généralisant les produits de substitution. Dans chaque ville, doivent pouvoir être créées les conditions d'une justice de proximité, afin de traiter humainement mais fermement le problème des délinquants récidivistes et les affaires classées sans suite.
Déjà, vous avez mis en place une politique courageuse et ambitieuse d'emplois-jeunes, et nous soutenons cette politique.
Ma question est simple : quelles sont vos intentions en ce qui concerne la politique globale de la ville ? Il est bien de réunir les maires, et je m'en félicite. Mais il serait encore mieux de les associer autour d'objectifs précis et de méthodes administratives simplifiées afin de répondre à l'exigence d'un droit au travail, d'un droit à la ville pour tous et d'un droit à la sécurité pour chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Vous nous avez rappelé, à juste titre, monsieur le sénateur, que ces quartiers sont fragiles. Les problèmes qui s'y posent ne peuvent être traités ni par des petites phrases ni par des annonces médiatiques, ils doivent faire l'objet d'une politique de fond qui commence par l'emploi. C'est, en effet, l'élément essentiel, et qui touche à l'ensemble des droits de nos concitoyens : droit au logement, à la sécurité et à l'éducation. C'est ce que nous nous efforçons de faire aujourd'hui.
Puisque nous avons beaucoup parlé des problèmes de sécurité, permettez-moi de rappeler que, dans ces quartiers, il y a certes la délinquance, la violence et la drogue, mais on y trouve parfois plus de solidarité que dans beaucoup d'autres. Des gens s'y battent pour éviter que des enfants ne soient en contact avec les dealers, certains assurent eux-mêmes la sécurité, d'autres participent à des actions de soutien scolaire. Tout cela, il ne faut pas l'oublier.
Vous avez souligné, à juste titre, monsieur le sénateur, qu'il s'agit d'une politique interministérielle. D'ailleurs, depuis que le Gouvernement est en place, il travaille de cette façon.
S'agissant des emplois-jeunes, qui sont un élément essentiel de notre action, j'ai demandé aux préfets qu'une priorité absolue soit accordée aux jeunes de ces quartiers. Le bilan sera fait à la fin du mois de janvier.
Le travail que je mène avec les ministres de l'intérieur, de la défense et de la justice pour mettre en place les contrats locaux de sécurité nous montre que cette politique est ô combien ! de nature interministérielle.
Enfin, dans le cadre de la loi contre les exclusions - car l'exclusion est souvent dans ces quartiers - nous travaillons avec dix-sept autres ministères, je l'ai dit tout à l'heure, et surtout avec M. Louis Besson, pour faire en sorte que tous nos quartiers deviennent de vrais quartiers de mixité sociale, des quartiers où l'on vive mieux grâce à une politique de réhabilitation, où l'on puisse non seulement aider les familles en grande difficulté, mais aussi faire en sorte qu'elles rentrent dans les droits de notre société, et éviter autant que faire se peut les expulsions, dont on sait combien elles sont douloureuses.
Alors, au-delà des actions dont j'ai parlé, que faisons-nous pour cette politique spécifique de la ville ?
Nous terminons un bilan de ces quinze années de politique de la ville qui ont commencé avec M. Gilbert Bonnemaison et avec M. Michel Delebarre, qui fut le premier ministre de la ville.
Nous savons qu'elles ont porté des fruits. Il ne faut pas, aujourd'hui, jeter le bébé avec l'eau du bain, car beaucoup de ces quartiers connaîtraient une situation encore plus explosive si des politiques de la ville n'avaient pas été mises en place.
Ce que l'on demande c'est plus de politique de la ville, et non son abandon. J'ai d'ailleurs fait en sorte que le budget consacré à cette politique soit, dès 1998, en augmentation de un milliard de francs, passant de 14 milliards à 15 milliards de francs, que nous puissions envoyer, dès cet été, un million de jeunes en vacances et que les actions dont j'ai parlé soient mises en place.
A partir de ce bilan, aujourd'hui terminé, nous allons réfléchir sur le mode de conventionnement. Comme vous l'avez dit, monsieur le sénateur, c'est bien avec les maires, parfois avec les agglomérations, que nous devons aujourd'hui travailler.
Nous devons éviter que ces quartiers ne deviennent des zones de relégation, à cause des transports par exemple. Nous devons accroître la mixité sociale et le lien entre ces quartiers et les villes-centres.
Enfin, ces bilans sont actuellement « confrontés » - je le dis volontairement de cette manière-là - aux habitants et aux acteurs de terrain.
Il y a aujourd'hui une première réunion à Lyon ; un certain nombre d'autres auront lieu jusqu'au début du mois de février pour confronter notre bilan à ceux qui vivent concrètement, jour après jour, cette politique de la ville.
Par ailleurs, j'ai demandé un rapport à M. Jean-Pierre Sueur, car nous sommes tous convaincus que si les problèmes de ces quartiers nécessitent des réponses immédiates, ils nous posent, plus globalement, le problème de nos villes. Quelle forme devront-elles avoir au xxie siècle ? Comment faire en sorte que nos centres-villes ne soient plus des centres-musées où plus personne ne vit et que ne se constituent pas des quartiers pour riches et des quartiers pour pauvres ? Comment organiser les entrées de nos villes alors que, aujourd'hui, avec partout les mêmes enseignes, les mêmes couleurs et les mêmes volumes, on casse l'esthétique de la ville, on casse la vie en ville, allant jusqu'à faire pénétrer des autoroutes urbaines à l'intérieur du tissu urbain ?
Ce sont tous ces problèmes qu'il faudra traiter, et c'est à partir du rapport de Jean-Pierre Sueur, réalisé en liaison avec des élus, des experts, des historiens, des urbanistes, des architectes et des acteurs de terrain, que nous proposerons, au mois de février, une grande politique de la ville. Elle concernera ceux qui vivent dans les quartiers en difficulté, bien sûr, mais aussi tous ceux qui, comme vous l'avez dit, monsieur le sénateur, vivent dans les villes. En effet, nous devons réintroduire la mixité sociale, faire en sorte que les services publics soient partout présents, et que nous vivions mieux ensemble, plus en sécurité et avec plus de cohésion sociale et de solidarité. Bref, chacun doit trouver sa place dans la ville, et même dans les quartiers en difficulté. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Mes chers collègues, il est seize heures vingt ! C'est la première fois que la séance de questions d'actualité au Gouvernement se prolonge aussi tard.
Je demande à l'auteur de la dernière question et au membre du Gouvernement qui lui répondra d'être brefs.

AMÉNAGEMENT DU RÉSEAU TGV
DANS LE DOUBS ET DANS LE JURA

M. le président. La parole est à M. Pourchet.
M. Jean Pourchet. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous parlons beaucoup de nouveaux projets de train à grande vitesse, en particulier de la ligne TGV Est, ainsi que de la ligne TGV Rhin-Rhône. Je soutiens ces projets, ...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Jean Pourchet. ... considérant que le développement sous toutes ses formes économique, touristique et culturelle passe par les voies de la communication : créer de nouvelles voies est bien, mais n'oublions pas les voies existantes !
A côté et dans le prolongement du TGV Rhin-Rhône, existent les lignes Paris - Lausanne et Paris - Zurich, pour lesquelles les TGV empruntent l'ancienne voie existante, qui n'a pas été conçue pour les trains à grande vitesse. L'alimentation en électricité étant insuffisante, les TGV y roulent à la vitesse d'un train ordinaire.
Plusieurs projets d'aménagement de cette voie ont été proposés et élaborés. L'un d'eux, partant de Zurich, ferait gagner plus d'une heure aux usagers suisses - et ils sont nombreux - et vingt-cinq minutes aux usagers venant de Lausanne ! Les Francs-Comtois qui utilisent cette ligne en bénéficieraient également. Je vous rappelle, en effet, que c'est la seule voie transversale du Jura, entre le territoire de Belfort et Genève, nous reliant à la Suisse.
Je demande donc à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement de bien vouloir reprendre ce projet et mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires à sa réalisation, ce qui garantirait l'essor des départements du Jura et du Doubs, tout en confirmant et en confortant nos relations avec la Suisse.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Je me permets, monsieur le sénateur, de répondre à votre question au nom de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, qui, empêché, vous demande de bien vouloir l'excuser.
Comme vous le savez, le Gouvernement est très attaché à la qualité du réseau des dessertes ferroviaires et du service rendu aux usagers. Dans cette perspective, il entend donner une priorité à l'adaptation et à la modernisation du réseau classique, qui doit être complémentaire du réseau à grande vitesse et être adapté dans une optique d'aménagement du territoire. J'ajoute que l'articulation du réseau ferroviaire français avec celui de nos voisins européens constitue également une dimension forte de l'action du Gouvernement quant à l'évolution de ce réseau.
S'agissant en particulier de la ligne Paris-Dole-Frasne-Pontarlier, la SNCF, après la mise en service, le 28 septembre dernier, du TGV Paris-Zurich, via Pontarlier, a réaménagé la desserte sur cet axe afin de mieux répondre aux besoins de sa clientèle. Cela a notamment permis d'augmenter, vous le savez, monsieur le sénateur, le nombre de dessertes du Jura et du Haut-Doubs.
Par ailleurs, un groupe de travail franco-suisse sur les questions ferroviaires, réunissant les administrations et les réseaux de chacun des deux pays, a été constitué pour traiter des projets de lignes nouvelles, mais aussi de l'amélioration des performances de l'axe existant Dole-Frasne-Lausanne. Cette opéraiton fait l'objet d'une étude de la SNCF et de Réseau Ferré de France ainsi que des Chemins de fer fédéraux en Suisse.
Engagée en septembre 1997, cette étude devrait aboutir très prochainement - dans moins de trois mois - et constituera une contribution importante aux réflexions sur l'amélioration de la ligne Paris-Frasne-Lausanne, mais aussi Paris-Frasne-Pontarlier grâce, notamment, à un relèvement de la vitesse des trains entre Dijon et Frasne. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
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DIMINUTION DES RISQUES SANITAIRES
LIÉS À L'EXPOSITION À LA MUSIQUE AMPLIFIÉE

Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 187, 1997-1998) de M. Jean-Louis Lorrain, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur la proposition de loi (n° 194, 1996-1997) de MM. Louis Souvet, Louis Althapé, Roger Besse, Paul Blanc, Jean Bizet, Jacques Braconnier, Mme Paulette Brisepierre, MM. Robert Calmejane, Jean-Pierre Camoin, Gérard César, Charles de Cuttoli, Désiré Debavelaere, Michel Doublet, Daniel Eckenspieller, Yann Gaillard, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Daniel Goulet, Alain Gournac, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Emmanuel Hamel, Bernard Hugo, Roger Husson, André Jourdain, Lucien Lanier, Edmond Lauret, Jacques Legendre, Maurice Lombard, Pierre Martin, Victor Reux, Roger Rigaudière, Jean-Jacques Robert, Jean-Pierre Schosteck, Martial Taugourdeau, René Trégouët, Alain Vasselle et Jean-Pierre Vial tendant à diminuer les risques de lésions auditives lors de l'écoute de baladeurs et de la fréquentation des discothèques.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après l'adoption d'une réglementation protégeant les salariés contre l'exposition à des niveaux sonores quotidiens dépassant 85 décibels et le vote de l'article 2 de la loi portant diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire du 28 mai 1996 limitant à 100 décibels la puissance sonore des baladeurs, la proposition de loi de notre collègue M. Louis Souvet constitue une troisième étape dans l'émergence d'une législation ayant pour objet exclusif la protection de la santé contre les risques liés à l'exposition à des niveaux sonores élevés. Ces risques, en effet, ne se limitent pas, notamment pour la jeunesse, à ceux qui résultent de l'écoute des baladeurs musicaux.
Certes, il existe déjà un arsenal législatif et réglementaire très complet pour limiter les nuisances sonores. Mais, en schématisant un peu, on est en train de passer d'une législation ayant pour objet la protection de la tranquillité publique à une législation protégeant la santé publique, et notamment celle de la jeunesse. Je pense, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, qu'il convient de s'en féliciter.
Les jeunes sont en effet de plus en plus exposés à des niveaux sonores élevés : ils subissent le caractère bruyant, non seulement du mode de vie urbain, mais aussi des pratiques musicales et de loisirs - discothèques, concerts, rave-parties - qui, toutes, présentent des dangers pour la santé si elles sont fréquentes et prolongées.
Les musiques qui y sont écoutées se caractérisent, le plus souvent, par leur niveau sonore constamment élevé.
Ainsi, alors que la musique classique se caractérise par une dynamique de grande amplitude, soit une différence de 40 à 50 décibels entre les passages pianissimo et fortissimo, où l'oreille a le temps de se reposer, les musiques du type hard rock ou techno ont une dynamique très faible et leur niveau sonore est constamment élevé.
Les risques encourus sont non seulement des atteintes ou des lésions auditives, mais aussi des troubles des systèmes nerveux, cardio-vasculaire ou visuel.
Dès lors, il ne s'agit plus de protéger seulement le voisinage ; il faut aussi protéger les clients des discothèques, les spectateurs assistant à des concerts, à des répétitions ou a des projections cinématographiques, les consommateurs dans les grands magasins et les centres commerciaux ou les clients de bars musicaux.
Si les risques encourus sont certains, il est cependant très difficile de les relier avec précision à des niveaux sonores et à des durées d'exposition. En effet, non seulement ces risques varient fortement selon les individus, mais, en dehors des accidents auditifs, il est difficile d'établir une corrélation scientifiquement rigoureuse, c'est-à-dire quasiment mathématique, entre des pratiques bien caractérisées - niveau et durée d'exposition au bruit - et un chiffre précis de la dégradation des performances auditives.
En fait, on sait globalement trois choses.
On sait que l'on assiste à l'augmentation des dégradations précoces des performances auditives chez les jeunes. Elle a été démontrée par plusieurs études, notamment scandinaves, réalisées à l'occasion de l'incorporation dans l'armée. Une étude française réalisée par le professeur Buffe sur un régiment d'appelés montre que 56 % seulement d'entre eux avaient une audition normale, et que la perte moyenne subie par ces jeunes gens âgés de vingt ans correspondait à celle d'une personne de vingt-cinq ans exposée quotidiennement pendant cinq ans à un niveau sonore de 80 décibels huit heures par jour.
On sait aussi que l'oreille moyenne est lésée par le bruit à des niveaux sonores très élevés, de l'ordre de 120 décibels.
On connaît, enfin, les résultats d'une étude réalisée à Nancy auprès de 1 500 jeunes volontaires par le docteur Meyer-Bisch. Elle montre que l'usage intensif de baladeurs et la fréquentation régulière de concerts de rock ou de variétés est à l'origine de pertes auditives significatives. Par ordre croissant, les comportements les plus dangereux sont : la fréquentation de discothèques, l'écoute prolongée de musique sur un baladeur et la fréquentation assidue de concerts.
Cela étant dit, que peut-on donc considérer comme une bonne législation en la matière ?
Tout d'abord, une bonne législation est une législation qui protège la santé des jeunes. Il faut donc définir des niveaux sonores en retrait significatif par rapport à ceux que l'on constate aujourd'hui dans les discothèques et les concerts. Il faut que cette législation affiche clairement sa finalité de santé publique.
Ce souci pédagogique doit aussi se traduire par la multiplication des messages sanitaires à l'intention des personnes qui fréquentent les discothèques ou les concerts.
Ensuite, une bonne législation est une législation applicable et qui respecte tous les types de musique : avec un baladeur à 85 décibels, on ne peut plus vraiment entendre convenablement de la musique classique.
Une bonne législation en la matière est, enfin, une législation qui laisse au décret le soin de définir les modalités précises de mesure du niveau sonore, ces modalités ne faisant pas l'objet d'une normalisation suffisante et étant appelées à évoluer rapidement.
J'évoquerai, maintenant, les conclusions adoptées par la commission : elles satisfont, selon moi, à ces exigences. Le premier volet de ces conclusions concerne les baladeurs pour enfants.
Pour ce type de baladeurs, qui correspondent en fait à des jouets, nous avons souhaité limiter leur puissance sonore à 85 décibels. Il s'agit donc d'un niveau en retrait de 15 décibels par rapport aux « vrais » baladeurs, si l'on peut dire. Il correspond aux recommandations formulées par le Conseil supérieur d'hygiène publique de France.
Le second volet de ces conclusions, le plus important, concerne les lieux de diffusion et de production de musique amplifiée.
J'évoquerai d'abord les dispositions de la proposition de loi initiale qui visaient à limiter le niveau sonore dans les concerts et les discothèques, puis celles des conclusions de la commission des affaires sociales qui ont une portée beaucoup plus large.
Le texte initial de la proposition de loi imposait que les essais de sonorisation avant les concerts permettent de s'assurer que le niveau sonore ne dépassait pas 100 décibels, avec une marge de 2,5 décibels. Il prévoyait aussi des amendes en cas d'infraction, sans toutefois préciser quels agents seraient chargés d'établir les procès-verbaux.
Il n'existe pas actuellement de réglementation concernant les concerts en dehors de la législation de droit commun qui, en premier lieu, définit les pouvoirs de police des maires. Ainsi, l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales leur donne pouvoir de réprimer les « atteintes à la tranquillité publique telles que (...) le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, y compris les bruits de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants... ».
Pour les discothèques, la proposition de loi initiale avait retenu un niveau sonore inférieur, soit 90 décibels en moyenne.
Un projet de décret concernant les discothèques et les concerts est actuellement devant le Conseil d'Etat. Pris sur la base de la loi de 1992 relative à la lutte contre le bruit, il s'applique à tous les lieux clos de diffusion de musique amplifiée, à l'exception des salles de spectacle ; le ministère de la culture a souhaité cette limitation, de même que l'exclusion des concerts en plein air. Ce projet de décret fixe à 105 décibels le niveau sonore maximal.
J'en viens maintenant aux conclusions de la commission. Elles ont un champ plus large que celui qui a été retenu par les auteurs de la proposition de loi et par le projet de décret, puisqu'elles tendent à fixer un niveau sonore maximal non seulement dans les salles de concerts et les discothèques, mais aussi dans tous les lieux de production et de diffusion de musique amplifiée, y compris les salles de spectacle et les concerts en plein air. Elles visent aussi, par exemple, les centres commerciaux et les grands magasins, ainsi que les salles de cinéma.
La commission des affaires sociales a choisi de fixer le niveau sonore maximal à 90 décibels en tout endroit où peut se trouver le spectateur. Cette valeur est très inférieure aux pratiques actuelles. Le Gouvernement, par amendement, proposera tout à l'heure de fixer cette valeur à 95 décibels ; je vous annonce d'ores et déjà que la commission a donné un avis favorable à cet amendement.
Elle suggère aussi que des décrets puissent prévoir, dans une limite de 10 décibels, des valeurs supérieures en fonction des risques pour la santé.
Dans la mesure où les précisions contenues dans le texte initial de la proposition de loi concernant la fréquence des contrôles et « l'endroit le plus défavorable pour le client » pourraient être de nature à susciter des contentieux inutiles, la commission ne les a pas retenues.
Elle a préféré faire référence à « tout endroit où peuvent se trouver le public ou les clients ». Cette notion emporte les mêmes conséquences que celle qui était suggérée par la proposition de loi, mais ne se prête pas aux mêmes contestations.
En ce qui concerne le contrôle du respect de la loi et les sanctions, la commission a choisi de renvoyer aux dispositions de la loi de 1992 relative à la lutte contre le bruit, qui prévoit des dispositions très complètes en la matière, à la fois pour confier les pouvoirs de vérification aux agents de l'Etat ou des communes et pour définir les sanctions pénales et administratives applicables : il ne nous a donc pas semblé utile d'y déroger.
Enfin, la commission propose d'imposer la détention d'un sonomètre dans tous les lieux de diffusion de musique amplifiée, ainsi que l'apposition d'un message sanitaire à l'entrée de ces lieux : pour un investissement modique, les organisateurs de concerts et les exploitants de discothèques seront ainsi en mesure de vérifier par eux-mêmes qu'ils respectent bien la législation en vigueur. Ce dispositif, dont il n'était pas fait mention dans le texte initial de la proposition de loi, nous est apparu de nature à faciliter les contrôles.
Dans la mesure où il s'agit d'un texte de santé publique, j'espère que les conclusions de la commission des affaires sociales susciteront le consensus qu'appelle la protection de la santé, notamment celle des jeunes. (Applaudissements.)
M. Emmanuel Hamel. Défendons-nous contre le bruit !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi déposée par M. Louis Souvet traduit l'intérêt des membres de votre assemblée pour les problèmes de santé publique et pour l'avenir de la jeunesse.
Les risques auditifs dus à l'écoute de la musique à haut niveau sonore constituent bien une préoccupation sanitaire que partage entièrement le Gouvernement. Je tiens ici à saluer la qualité et l'esprit de synthèse de l'intervention de M. le rapporteur, Jean-Louis Lorrain.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Oui, monsieur le rapporteur, on constate que l'évolution des pratiques musicales et des techniques d'amplification conduisent parfois à une escalade des niveaux sonores, préjudiciables à la santé des auditeurs.
L'écoute prolongée et à haut niveau sonore de la musique amplifiée peut provoquer des lésions auditives irréversibles.
En effet, si, habituellement, les pertes auditives légères constatées à la sortie des discothèques ou des concerts sont temporaires et récupérées rapidement, il peut malheureusement arriver que des pertes auditives soient irréversibles. En l'état actuel des connaissances médicales et techniques, il n'existe aucun moyen d'y remédier.
On peut estimer que le risque croît en fonction de la durée d'écoute et du niveau sonore, mais il est difficile de fixer des seuils précis de danger en raison de la très forte variabilité des effets sur les individus.
Par ailleurs, il faut noter l'existence, dans certains cas, de traumatismes sonores pour des niveaux très élevés lors de concerts ; ils touchent de manière aléatoire des personnes peut-être fragiles, mais dont la fragilité - permanente ou temporaire - ne semble pas décelable préalablement. Ces traumatismes sonores sont rares, mais constituent des atteintes irréversibles très importantes ; des procès sont en cours actuellement en France au sujet de ces accidents.
Mon ministère s'est donc préoccupé de ce problème avec l'aide notamment du Conseil supérieur d'hygiène publique, qui a souhaité en particulier que les limitations soient accompagnées d'une sensibilisation des jeunes aux risques auditifs.
En effet, il s'agit d'un problème sanitaire, mais aussi d'un enjeu social, car des pertes auditives définitives même légères constituent un handicap sérieux pour des jeunes, tant professionnellement que sur le plan des relations humaines. Cela deviendra un problème de société si un effort important d'information bien adapté n'est pas mené.
Sans sous-estimer ces risques et avec la volonté d'y répondre, je voudrais toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, rappeler le rôle essentiel de la musique dans la vie des jeunes. L'écoute individuelle et surtout collective constitue un espace de vitalité et de liberté qui prend toute son importance, notamment et peut-être même surtout lorsque le quotidien est difficile.
La multiplication des groupes amateurs, l'engouement pour les techniques, les évolutions de la musique amplifiée et les manifestations musicales montrent l'attachement de la jeunesse à cette activité.
Dans ce cadre, s'il convient de répondre aux préoccupations sanitaires, et c'est bien là mon propos, il faut aussi tenir compte des enjeux musicaux, si l'on veut que ces règles soient acceptables et appliquées.
En ce qui concerne plus précisément l'étude des risques auditifs, des travaux partiels semblent montrer chez les lycéens des pertes auditives assez significatives, qui pourraient être mises en corrélation avec les loisirs bruyants. Mon ministère vient de lancer une première phase d'enquête en région Rhône-Alpes sur l'audition des jeunes afin d'évaluer la situation de façon précise.
Mais, au-delà du constat, les pouvoirs publics sont actifs dans la lutte contre le bruit.
Les services santé-environnement des directions départementales des affaires sanitaires et sociales, les DDASS, sont équipés et formés pour effectuer des mesures acoustiques, pour lancer des actions de réduction des nuisances sonores et pour pouvoir conseiller les maires, qui sont chargés prioritairement des problèmes de bruit. Ces services spécialisés des DDASS pilotent dans de nombreux départements les pôles de compétences « bruit », qui, sous l'impulsion des préfets, regroupent tous les services chargés de la lutte contre le bruit en y associant d'autres services, tels que les services communaux d'hygiène et de santé, également très actifs sur le terrain.
Actuellement, plus de vingt pôles sont créés et une trentaine sont en cours de création. Cette organisation novatrice interservices permet de mieux répondre à la demande du public et des élus, de simplifier les circuits et de lutter plus efficacement contre les nuisances sonores. Ainsi, le pôle de compétence « bruit » de la Savoie a publié récemment un cédérom, l'Oreille interactive, pour favoriser la sensibilisation aux risques auditifs.
Le ministère chargé de la santé, qui a participé à cette opération, assure actuellement une large diffusion de ce cédérom.
Comme je l'ai indiqué précédemment, la proposition de loi rejoint donc, monsieur le rapporteur, les préoccupations du Gouvernement.
Le premier article de cette proposition de loi vise à ajouter un titre de chapitre dans le code de la santé publique permettant de regrouper les articles qui concernent « la prévention des risques sanitaires liés à une exposition sonore ». Il s'agit là d'une excellente idée.
Le second article concerne les baladeurs destinés aux jeunes enfants et vise à modifier l'article du code de la santé publique inséré par l'article 2 de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 sur les baladeurs, qui, je vous le rappelle, est d'initiative parlementaire.
Un décret et un arrêté ont été préparés pour l'application de cette loi. Il s'agissait d'innover puisque aucun pays n'avait encore fixé de limites pour les baladeurs, qu'il n'existait pas de normes spécifiques et que nous ne disposions que de réflexions d'experts. Aussi mes services se sont-ils attachés à obtenir un consensus entre les experts, les fabricants et les autres ministères concernés. Les projets de décrets et d'arrêtés sont actuellement à Bruxelles pour avis. Nous attendons la réponse communautaire. La position française, en pointe dans le domaine de la protection sanitaire, est donc assez délicate.
Le Gouvernement est très attaché, comme vous le savez, à faire aboutir l'application d'une loi d'origine parlementaire. Un consensus a été réalisé en France entre toutes les parties et, croyez-moi, cela n'a pas été facile.
Au risque de me répéter, je dirai que nous attendons la réponse de Bruxelles pour soumettre ensuite le décret au Conseil d'Etat, c'est-à-dire que nous sommes assez proches de la mise en oeuvre. Par conséquent, il serait regrettable, tant au regard du travail parlementaire que pour l'ensemble des acteurs concernés, que ces dispositifs soient remis en cause par une nouvelle modification législative.
Pour ces raisons, le Gouvernement n'est pas favorable à l'article 2.
L'article 3 concerne les lieux produisant ou diffusant de la musique amplifiée, notamment les discothèques et les concerts. Le Gouvernement a déposé un amendement qui a été repris, ce matin, par la commission, et je m'en félicite, monsieur le rapporteur.
En acceptant cet amendement, vous en revenez au texte initial de la proposition de loi, et je crois pouvoir dire que nous atteignons ainsi un équilibre satisfaisant.
En effet, les travaux qui ont été menés avec les divers partenaires concernés, notamment dans le cadre de la préparation d'un décret sur le bruit dans les discothèques, ont permis de constater que la limite de 105 décibels A - 95 plus 10 - en niveau continu équivalent, était acceptable et qu'il n'était pas possible de descendre au-dessous, sous peine de ne pouvoir actuellement en assurer le respect.
Ce dispositif rejoint les préoccupations des pouvoirs publics, puisque mon ministère et celui de l'environnement préparent une réglementation qui prévoit, en particulier, de fixer à 105 décibels A la limite du niveau sonore acceptable dans les discothèques.
En ce qui concerne les contrôles proposés aux frais des établissements ou des organisateurs, la solution retenue est satisfaisante. Selon les réflexions qui ont présidé à l'élaboration de ces propositions, il semble qu'une partie au moins des vérifications impromptues pourraient être effectuées par des organismes agréés, sous l'autorité des services compétents, notamment des DDASS.
L'équipement en sonomètres normalisés des lieux de diffusion de la musique destinés essentiellement à cet objet ou dans les lieux où les risques auditifs sont importants est envisageable. Il s'agirait en quelque sorte de « boîtes noires » enregistrant les niveaux sonores et accessibles seulement aux services chargés du contrôle.
Enfin, l'affichage d'un message sanitaire à l'intention du public est une excellente proposition rejoignant le souci d'information qui anime le Gouvernement.
En définitive, mesdames et messieurs les sénateurs, le Gouvernement prend acte de l'amendement voté en commission, mais, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, il ne peut accepter le dispositif relatif aux baladeurs-jouets pour les raisons que je viens d'indiquer.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le bruit, c'est la vie, mais il peut constituer une grave nuisance.
M. Emmanuel Hamel. Oh oui !
Mme Dinah Derycke. Dans le passé, cette constatation a conduit le législateur à prendre des mesures pour limiter les effets néfastes des bruits excessifs, afin de mieux garantir la tranquillité publique et, dans le monde du travail, de protéger la santé des travailleurs.
Aujourd'hui, une meilleure connaissance - même si elle reste imparfaite - des traumatismes causés par le bruit nous permet d'appréhender cette question dans une perspective de santé publique. Cette prise de conscience est récente mais elle n'est pas nouvelle puisque des lois ont été votées en 1992 et 1996.
Par le présent texte, nous sont proposées des mesures d'autorité tendant à réduire le niveau sonore de certains appareils et, par voie de conséquence, les risques de lésion auditive chez les enfants et, surtout, chez les adolescents.
Il s'agit, en effet, d'une question préoccupante. Toutefois, si le texte proposé est pertinent sur le fond, il me semble réducteur en ce qu'il ne traite que des troubles causés par l'écoute de la musique amplifiée, c'est-à-dire qu'il ne s'adresse qu'au comportement des jeunes que l'on veut en quelque sorte protéger malgré eux. Il ne s'attaque en rien à des nuisances extérieures qui sont tout aussi graves mais qui n'ont pas de lien avec le comportement des jeunes.
Or des études récentes, auxquelles le rapport de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques fait référence, portant sur les liens entre la santé et l'environnement, notamment chez l'enfant, montrent que les troubles auditifs ont des origines très diverses.
C'est ainsi que des enfants peuvent être atteints de lésions auditives irréversibles du fait de bruits excessifs subis par la mère durant la grossesse. De même, les cantines scolaires et salles de classe peuvent constituer des environnements préjudiciables à la santé auditive de l'enfant, avec des incidences non négligeables sur les résultats scolaires.
On estime que 15 % des enfants seraient, dès l'âge de dix ans, atteints de déficience auditive. Or, à cet âge, la fréquentation des concerts et des discothèques ne peut être incriminée.
Certes, pour des enfants, les jouets musicaux peuvent constituer un danger ; j'approuve donc la disposition les concernant.
En revanche, pour ce qui concerne les lieux de diffusion et de production de musique amplifiée, il ne me semble pas opportun de légiférer aujourd'hui, et cela pour plusieurs raisons.
D'une part, il convient d'observer que la loi de 1992 n'est pas encore totalement appliquée, ainsi que vient de le rappeler M. le secrétaire d'Etat ; les décrets d'application sont actuellement en préparation. La mise en oeuvre, notamment, d'un décret actuellement au Conseil d'Etat, devrait constituer une première avancée.
D'autre part, M. le secrétaire d'Etat nous l'a rappelé également, une réglementation européenne, qui fait suite aux initiatives de la France en la matière, est actuellement en cours d'élaboration.
A mon sens, il serait plus sage d'attendre de connaître le contenu précis de ces dispositions.
Par ailleurs, il me semble dangereux de réduire au seul problème de la musique amplifiée la portée de la proposition de loi. En effet, ces mesures risquent d'être mal perçues par ceux-là mêmes, les enfants et les adolescents, qu'elles sont censées protéger en quelque sorte contre eux-mêmes. Les jeunes risquent de les considérer comme la manifestation d'un rejet de leur culture, voire d'un rejet de la jeunesse elle-même.
Un récent débat télévisé sur la musique techno et les rave parties, auquel participait un membre éminent de notre assemblée - il a avoué, à cette occasion, sur passion pour le hard rock, et certains le reconnaîtront peut-être - a montré qu'il y avait une totale incompréhension entre les jeunes et les adultes présents, alors même que les propos de ces derniers étaient empreints de bon sens et ne témoignaient en rien d'un rejet systématique des pratiques musicales des jeunes.
En fait, il apparaît que les jeunes vivent comme une agression tout jugement sur leurs pratiques musicales.
Dans ces conditions, ce texte risque d'être rejeté comme édictant un interdit de plus, et l'on sait qu'à l'adolescence l'interdit a toujours quelque chose d'attractif.
Pour être applicable, a souligné M. le rapporteur, une législation doit être comprise, c'est-à-dire acceptée. Or tel ne serait pas le cas, je crois, pour les deuxième et troisième parties de ce texte.
Pour autant, je ne nie pas qu'il y a là un vrai problème, qui nécessite un travail en profondeur d'éducation et de prévention en direction du public, de tous les publics. M. le secrétaire d'Etat nous a indiqué qu'un tel travail était actuellement entrepris sur ces questions, et je m'en félicite.
Il conviendrait également d'établir un dialogue avec tous les professionnels concernés, en particulier avec les musiciens, qui sont les premières victimes de ces pratiques.
Ainsi, nous avons affaire à un véritable problème de santé publique, mais la proposition de loi en discussion ne me semble pas le traiter de la manière la plus adaptée. Au contraire, elle pourrait susciter des effets pervers de rejet, tant il est délicat de vouloir modifier par la loi des comportements privés, surtout lorsqu'il s'agit d'adolescents. En outre, ce texte me paraît prématuré, même si nous devons collectivement nous préoccuper des dégâts causés par les bruits excessifs, par tous les bruits excessifs, qu'ils tiennent à des pratiques personnelles ou qu'ils viennent de l'extérieur.
Pour ces différentes raisons, les sénateurs socialistes ne voteront pas contre la proposition de loi, mais ils s'abstiendront. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, tout le monde s'accorde sur le fait que le bruit excessif représente un véritable fléau.
L'oreille ne peut supporter sans douleur ni séquelle un son dont l'intensité serait supérieure à une centaine de décibels.
Evidemment, le bruit agresse, énerve ; grande source de nuisance, il affecte tant la qualité de vie que la santé.
Diverses études, notamment celles qui ont été réalisées auprès des appelés lors de leur incorporation, révèlent que les effets du bruit, en particulier sur les facultés auditives, sont indiscutables ; selon leur intensité, leur fréquence, leur amplitude, les sons perçus vont entraîner indéniablement un vieillissement plus ou moins important de l'oreille interne et, par conséquent, une baisse de l'audition.
Il y a une certaine perversité du phénomène dans la mesure où, sur le moment, la personne ne ressent généralement pas de dommage. La détérioration est progressive, perceptible seulement aux infléchissements de l'audiogramme. Lorsque la personne perçoit effectivement les symptômes, les lésions sont déjà importantes et, pour certaines d'entre elles, irréversibles.
Face à de telles incidences sur la santé, les pouvoirs publics ont pris leurs responsabilités et, en 1992, la loi sur le bruit a été votée, une loi résolument préventive.
Mon amie Mme Hélène Luc était intervenue pour témoigner de notre souci de voir appréhender le bruit sous un angle non seulement environnemental mais aussi sanitaire.
Je rappellerai également toute l'importance que nous accordons aux règles édictées dans le cadre de la réglementation du travail en vue de protéger spécifiquement la santé du salarié contre les nuisances sonores.
Certes, nous n'ignorons pas la place prise sur le marché par les baladeurs ni les effets de cet engouement sur la santé des jeunes. Mais, là aussi, un texte existe : la loi du 28 mai 1996 portant diverses dispositions d'ordre sanitaire et social limite déjà la puissance sonore maximale de sortie des baladeurs musicaux commercialisés en France.
Dans la proposition de loi qui nous est soumise, il est proposé d'établir un seuil distinct pour les baladeurs « adultes » et les « jouets pour enfants » et d'abaisser pour ceux-ci le seuil à 85 décibels. L'intention d'établir un seuil spécifique pour les appareils destinés aux enfants est certes louable. Toutefois, dans la pratique, comment empêcher un jeune de moins de quatorze ans de se servir d'un objet qui ne lui est pas destiné ?
Sur l'article 2, nous sommes réservés, estimant que l'arsenal juridique existant et les décrets en préparation devraient normalement permettre de traiter le problème.
S'agissant de l'article 3, la mesure qu'il prévoit nous apparaît comme une sorte de surenchère par rapport à la loi de 1996, une surenchère quelque peu réductrice, comme vient de le souligner notre collègue Mme Dinah Derycke.
Parce que nous souhaitons que cette loi de mai 1996 puisse s'appliquer pleinement, tout en reconnaissant la valeur de certaines des dispositions contenues dans la présente proposition de loi, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - L'intitulé du chapitre V-II du titre Ier du livre Ier du code de la santé publique est ainsi rédigé : "Prévention des risques sanitaires liés à l'exposition à un niveau sonore élevé". »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2



M. le président.
« Art. 2. - I. - Il est inséré, après le premier alinéa de l'article L. 44-5 du code de la santé publique, un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les jouets musicaux, cette valeur est limitée à 85 décibels SPL. »
« II. - Dans le troisième alinéa de cet article, les mots : "ou jouets" sont insérés après les mots : "Les baladeurs". »
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Je souhaite répondre à la remarque qu'a faite M. le secrétaire d'Etat concernant cet article.
Vous avez justifié, monsieur le secrétaire d'Etat, votre opposition à son dispositif par le fait que la loi de 1996 sur les baladeurs est actuellement examinée par Bruxelles, conformément aux directives exigeant la notification à la Commission des projets de norme technique.
Je me permets de vous faire remarquer que votre argumentation ne me paraît pas tout à fait fondée : d'une part, notre dispositif ne modifie pas en substance la loi du 28 mai 1996 mais il la complète pour les seuls jouets ; d'autre part, ce n'est pas tant la loi que le décret qui est notifié à Bruxelles. Autrement dit, le texte dont nous discutons actuellement le bien-fondé est détachable des dispositions notifiées. Je ne pense donc pas qu'il soit nécessaire de modifier le projet de texte réglementaire actuellement notifié.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Article 3



M. le président.
« Art. 3. - Après l'article L. 44-6 du code de la santé publique, il est inséré deux articles L. 44-7 et L. 44-8 ainsi rédigés :
« Art. L. 44-7. - En vue de prévenir les risques pour la santé, le niveau sonore dans les lieux de production ou de diffusion, permanente ou non, de musique amplifiée, ne peut dépasser des niveaux continus équivalents de pression sonore de 90 décibels A pendant une durée déterminée par décret et en tout endroit où peuvent se trouver le public ou les clients.
« Dans la limite de 10 décibels, des décrets peuvent prévoir des valeurs supérieures ou inférieures pour certains lieux en fonction des risques induits pour la santé.
« Les contrôles de l'application du présent article sont effectués, aux frais des établissements ou des organisateurs, dans les conditions prévues aux articles 21 et 22 de la loi n° 92-1444 du 31 décembre 1992 relative à la lutte contre le bruit. Les mesures judiciaires et administratives applicables sont celles prévues au titre V de ladite loi.
« Un décret précise les modalités de mesure du niveau sonore dans les lieux de production ou de diffusion de musique amplifiée.
« Art. L. 44-8. - Les lieux de diffusion de musique amplifiée sont équipés de sonomètres normalisés, dont les caractéristiques sont prévues par décret.
« Un message sanitaire destiné aux clients ou au public est affiché à l'entrée de ces lieux. »
Par amendement n° 1, le Gouvernement propose, dans le premier alinéa du texte présenté par cet article pour l'article L. 44-7 du code de la santé publique, de remplacer les mots : « 90 décibels A » par les mots : « 95 décibels A ».
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. La proposition de loi indique un niveau de principe de 90 décibels A, en niveau continu équivalent de pression sonore, plus ou moins 10 décibels, ce qui donne une fourchette de 80 à 100 décibels.
Il paraît indispensable de relever légèrement ces niveaux de manière à avoir une limite haute de 105 décibels A.
En effet, les travaux qui ont été menés avec les divers partenaires concernés, notamment dans le cadre de la préparation d'un décret sur le bruit dans les discothèques - c'est-à-dire là où il est indiscutablement le plus difficile de régenter le niveau sonore - ont permis de constater que la limite de 105 décibels A, en niveau continu équivalent, était acceptable et qu'il n'était pas possible de descendre au-dessous, sous peine de ne pas pouvoir, actuellement, en assurer l'application.
M. Emmanuel Hamel. Pourquoi ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Cette limite peut être acceptable, s'agissant d'un domaine non réglementé jusqu'à présent, compte tenu, d'une part, des impératifs de santé, d'autre part, de pratiques musicales habituelles qui constituent, pour les jeunes, des espaces d'expression et de liberté auxquels ils sont très attachés, et nous avec eux.
M. Emmanuel Hamel. Il y a des libertés qui détruisent !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. La commission a donné un avis favorable sur cet amendement.
En effet, le niveau de 95 décibels, qui n'a pas été retenu au hasard et qui résulte d'un consensus obtenu à l'issue de longs débats, est certes plus élevé que celui qui avait été initialement envisagé par la commission, mais il demeure très inférieur à celui qui est généralement constaté tout en étant acceptable pour les jeunes.
J'insiste une nouvelle fois sur le fait que les dispositions que nous adoptons doivent être acceptées par les jeunes puisque c'est à ceux qu'elles sont destinées.
Une législation fondée sur le respect de cette valeur de niveau sonore sera donc tout à la fois protectrice de la santé - et la protection ne doit pas passer nécessairement par la contrainte - et effectivement applicable.
La modification proposée par le Gouvernement nous paraissant tout à fait réaliste, nous ne pouvons que l'approuver.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 2, le Gouvernement propose de compléter le second alinéa du texte présenté par l'article 3 pour l'article L. 44-7 du code de la santé publique par les mots : « et des pratiques musicales. »
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je retire cet amendement, dont l'application serait, selon les informations qui nous ont été communiquées, un peu trop complexe pour le moment.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3, modifié.

(L'article 3 est adopté.)

Intitulé



M. le président.
La commission propose de rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi : « Proposition de loi tendant à diminuer les risques sanitaires liés à l'exposition à la musique amplifiée. »
Il n'y a pas d'opposition ?...
L'intitulé est donc ainsi rédigé.

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix les conclusions du rapport de la commission, je donne la parole à M. Hamel, pour explication de vote.
M. Emmanuel Hamel. Je souhaite évoquer devant M. le secrétaire d'Etat à la santé le problème du bruit à l'hôpital.
Grand médecin, grand chirurgien dont le dévouement à l'étranger a fait la fierté de la médecine française, il sait aussi ce que sont les hôpitaux.
Mais il est le chirurgien, le médecin qui arrive, qui soigne et qui repart. Lorsque l'on est hospitalisé ou que l'on se rend au chevet d'une personne malade, le bruit dans les hôpitaux prend une autre réalité : bruit des équipes du matin qui arrivent à six heures du matin et manifestent le plaisir de retrouver leurs amis qui ont assuré le service de nuit, vous réveillant au moment où vous commencez à vous endormir ; bruit des chariots dans les cours des hôpitaux qui vous réveille de jour comme de nuit ; bruits ayant toutes sortes de cause...
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Vous avez entièrement raison !
M. Emmanuel Hamel. Pourriez-vous engager une action, monsieur le secrétaire d'Etat, pour que, dans les années à venir, nos hôpitaux soient performants et le soient dans le silence et le calme ? (M. Carrère applaudit.)
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Votre préoccupation est doublement la mienne, monsieur Hamel : c'est la mienne car c'est celle de tout ministre de la santé qui se respecte ; c'est la mienne parce que j'ai été hospitalisé pendant quelques semaines.
Comme tous les malades de France, j'ai été confronté à la situation que vous avez décrite, et non sans une certaine surprise : j'étais le ministre hospitalisé, on faisait peut-être un peu plus attention, et malgré tout j'ai été réveillé par les bruits de six heures du matin !
J'ajoute que ce réveil s'accompagne de l'intéressante pratique de la distribution des thermomètres. (Sourires.) Médecin, je me suis demandé avec intérêt pourquoi la température de six heures du matin était tellement importante ! La réponse tient tout simplement dans les consignes qui régissent tout changement d'équipe.
Tout cela est grotesque. Mais si, ce n'était que grotesque, ce ne serait rien. Hélas ! c'est aussi très dommageable à la quiétude du malade.
Je suis donc entièrement d'accord avec vous, monsieur Hamel, et j'envisage de prendre des mesures au cours des prochaines semaines, ou tout au plus des prochains mois, dans le cadre de la réforme hospitalière interne, c'est-à-dire de l'aménagement de l'hôpital.
Je me suis d'ailleurs demandé en vous écoutant s'il ne serait pas possible que l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, prenne en compte le niveau sonore des établissements pour leur évaluation, et leur accréditation. Vous m'avez fourni là une très bonne idée !
La pose de moquette dans les couloirs, solution qu'avait envisagée la prestigieuse équipe de chirurgie cardiaque de l'hôpital Broussais - équipe qui a pourtant d'autres sujets de préoccupations - peut-être pas la solution idéale, car la moquette abrite des parasites et peut générer des infections iatrogènes. Mais ce qui avait motivé cette équipe à agir, c'est l'habitude qu'ont prise les infirmières de se chausser de sabots, contre lesquels je n'ai rien, sauf que, dans ce pays, ils sont bruyants, alors que, dans les pays nordiques, ils ne le sont pas parce qu'il y a du caoutchouc.
L'équipe de Broussais a dû se rebeller pour obtenir la pose d'un revêtement étouffant le bruit dans ce service qui abrite des malades opérés du coeur.
Même si le bruit n'est pas seul responsable - l'angoisse joue aussi - la consommation majorée de neuroleptiques et d'hypnotiques à l'hôpital montre que l'on y dort mal. Le sommeil est pourtant important pour le rétablissement des malades.
Je vous remercie donc, monsieur Hamel, d'avoir soulevé ce problème, même si le texte dont nous discutons n'est pas le cadre pour le résoudre.
D'ailleurs, légiférer serait sans doute en la matière délicat, car les équipes hospitalières ont des habitudes qui ne sont pas le fait du hasard ; elles ont des horaires et des contraintes pesantes qu'il est difficile d'alourdir encore. Par exemple, il faut bien que les équipes hospitalières, au moment de la relève, se transmettent les consignes.
En tout état de cause, je retiens l'idée de demander à l'ANAES de tenir compte dans l'évaluation des hôpitaux de leur niveau sonore.
M. Emmanuel Hamel. Je vous remercie de votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au terme de ce débat, l'objectif de santé publique que constitue la diminution des risques de lésions auditives, notamment chez les jeunes, est atteint.
Le sensible accroissement des troubles de l'audition relevé parmi la population jeune pourrait en effet trouver sa source dans diverses pratiques actuelles d'écoute de la musique à de hauts niveaux sonores et pendant de longues durées, collectivement ou individuellement.
Les atteintes auditives, parfois irréversibles, qui sont constatées soulèvent une question de santé publique en même temps qu'un problème sanitaire et social pour les jeunes concernés.
Le conseil supérieur d'hygiène publique de France s'en était préoccupé ; un groupe de travail avait étudié la possibilité de limiter le niveau sonore des baladeurs et examiné les mesures qui lui semblaient les mieux adaptées pour réussir une campagne d'information et de sensibilisation auprès des jeunes.
Le groupe des Républicains et Indépendants se félicite donc que notre collègue M. Louis Souvet ait pris toute la mesure de ce problème et ait proposé au Sénat d'adapter la législation.
Les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales élargissent encore la portée du texte initial : les jeunes - et plus largement le public - seront mieux informés et la législation existante est utilement complétée par la fixation d'un niveau sonore maximum, quels que soient les lieux, dans le respect des goûts et des loisirs, en particulier du jeune public.
Aussi le groupe des Républicains et Indépendants votera-t-il les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales, tout en espérant que ce texte pourra être rapidement examiné et adopté par l'Assemblée nationale.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifiées, les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi n° 194 (1996-1997).

(La proposition de loi est adoptée.)

7

COMMUNICATION DU GOUVERNEMENT

M. le président. M. le président a reçu le 15 janvier 1998 de M. le Premier ministre une communication relative à la consultation des assemblées territoriales de la Polynésie française, de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna sur le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Acte est donné de cette communication.
Ce document a été transmis à la commission compétente.
Mme le ministre de l'environnement ne pouvant nous rejoindre que vers dix-huit heures pour la discussion des conclusions du rapport de la commission des affaires économiques sur les trois propositions de loi relatives aux dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse aux oiseaux migrateurs, le Sénat va interrompre ses travaux jusqu'à son arrivée.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-huit heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

8

DATES D'OUVERTURE ANTICIPÉE
ET DE CLÔTURE DE LA CHASSE
AUX OISEAUX MIGRATEURS

Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 177, 1997-1998) de Mme Anne Heinis, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur :
- la proposition de loi (n° 346 rectifié, 1996-1997) de MM. Roland du Luart, Michel Alloncle, Bernard Barbier, Philippe de Bourgoing, Jean-Claude Carle, Jean-Patrick Courtois, Désiré Debavelaère, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Michel Doublet, Alain Dufaut, Jean-Paul Emorine, Philippe François, Jean Grandon, Mme Anne Heinis, MM. Gérard Larcher, Pierre Martin, Serge Mathieu, Louis Mercier, Henri de Raincourt, Michel Souplet et Alain Vasselle, relative aux dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse des oiseaux migrateurs ;
- la proposition de loi (n° 359, 1996-1997) de M. Michel Charasse relative aux dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse des oiseaux migrateurs ;
- la proposition de loi (n° 135, 1997-1998) de M. Pierre Lefebvre, Mmes Marie-Claude Beaudeau, Nicole Borvo, M. Jean-Luc Bécart, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jean Derian, Michel Duffour, Guy Fischer, Paul Loridant, Mme Hélène Luc, MM. Louis Minetti, Robert Pagès, Jack Ralite, Ivan Renar et Mme Odette Terrade relative aux dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse des oiseaux migrateurs ainsi qu'à la réglementation de la chasse les concernant.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur.
Mme Anne Heinis, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les trois propositions de loi que nous examinons ce soir ont un objet identique. Elles visent en effet à résoudre un contentieux juridique qui n'a fait que s'aggraver : il s'agit de l'application des dispositions de la directive du Conseil du 2 avril 1979 sur la conservation des oiseaux sauvages relatives à la pratique de la chasse.
Ces propositions de loi traitent, en effet, des procédures de fixation des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse au gibier d'eau et au gibier de passage. Elles prévoient, d'une part, de fixer par voie législative les dates d'ouverture anticipée de la chasse au gibier d'eau, alors qu'elles étaient jusqu'à présent décidées par arrêté ministériel selon l'article R. 224-6 du code rural, et, d'autre part, en ce qui concerne la clôture de la chasse, de modifier l'article L. 224-2 du code rural issu de la loi n° 94-591 du 15 juillet 1994, fixant les dates de clôture de la chasse aux oiseaux migrateurs.
En 1994, l'adoption de cette loi, issue de plusieurs propositions de loi identiques, avait déjà eu pour objet de lever les incertitudes juridiques qui pesaient sur la détermination des périodes de chasse des oiseaux migrateurs et qui avaient suscité un contentieux abondant à l'époque.
En effet, se fondant sur les données scientifiques et la méthode proposée par le comité Ornis, c'est-à-dire le comité d'adoption de la directive de 1979, la loi du 15 juillet 1994 a fixé un calendrier échelonné de clôture de la période de chasse selon les espèces, tenant compte tout à la fois de la période du début des migrations de chacune des espèces et de leur état de conservation.
De plus, pour assurer la souplesse du dispositif juridique ainsi proposé, le dernier alinéa de l'article L. 224-2 du code rural prévoit que l'autorité administrative peut avancer les dates de clôture, sous réserve que ce soit avant le 31 janvier.
Hélas ! Loin de s'éteindre, comme on l'espérait, le contentieux s'est alors déplacé sur l'interprétation du pouvoir dérogatoire reconnu au préfet et sur l'étendue du pouvoir d'appréciation de ce dernier. Ce sont ces constatations qui conduisent les auteurs des propositions de loi à déposer aujourd'hui de nouvelles modifications à ce texte.
Je crois utile de faire le point sur les contentieux juridiques en cours et sur les difficultés qui subsistent quant à la compréhension des phénomènes de migration. En effet, nous devons disposer de tous les éléments d'appréciation nécessaires à l'adoption d'une solution équilibrée et raisonnable pour la chasse, solution qui soit conforme aux objectifs définis par la directive du 2 avril 1979 sur la conservation des oiseaux sauvages. Cette solution, en application du principe de subsidiarité, doit être définie au niveau de chaque Etat membre.
Je rappellerai tout d'abord que la directive du 2 avril 1979 sur la conservation des oiseaux sauvages a pour objectif la conservation de tous les oiseaux vivant naturellement à l'état sauvage en Europe, soit plus de quatre cents espèces, « à un niveau » - ce sont les termes mêmes de la directive - « qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles ».
Les mesures propres à atteindre cet objectif de conservation s'appliquent bien sûr aux différents facteurs qui peuvent agir sur le niveau des populations d'oiseaux : l'interdiction de la destruction des nids et des oeufs, la protection des habitats et, bien entendu, la réglementation de la pratique de la chasse, qui n'est qu'un facteur parmi d'autres.
Cependant, il faut savoir - ce point est très important - que la chasse constitue très explicitement, selon la directive, une activité admissible qui contribue à la régulation des espèces et qui a des effets secondaires positifs à travers les actions des chasseurs sur la préservation des milieux.
M. Roland du Luart. C'est la vérité !
Mme Anne Heinis, rapporteur. Par ailleurs, l'architecture même de la directive repose sur la distinction entre espèces protégées et espèces chassables puisque l'annexe II répertorie soixante-douze espèces chassables et que la France, en raison de sa diversité biologique, en compte cinquante-neuf.
A ce propos, madame le ministre, j'attire votre attention sur le fait que, en cas de contestation sur la traduction du nom des espèces, ce sont les annexes de la directive qui font foi.
L'encadrement de la pratique de la chasse découle du paragraphe 4 de l'article 7 de la directive, qui interdit de chasser les espèces reconnues comme gibier pendant la période nidicole et aux différents stades de reproduction et de dépendance ; pour les espèces migratrices, l'interdiction s'applique en particulier à la période de reproduction et à leurs trajets de retour vers leur lieu de nidification.
Dans la pratique, la situation est assez complexe.
Dans son arrêt du 14 janvier 1994, la Cour de justice européenne explicite le principe de protection complète des espèces qui s'applique pendant ces différentes périodes. Mais cet arrêt n'interdit pas le principe de fermeture échelonnée des périodes de chasse, à condition que l'Etat membre apporte la preuve que cet échelonnement n'empêche pas la protection complète des espèces concernées.
La loi du 15 juillet 1994 a donc fixé les dates de clôture de la chasse ; mais, depuis, une trentaine de contentieux ont fait l'objet de jugements par les tribunaux administratifs.
M. Jean-Louis Carrère. C'était une mauvaise loi !
Mme Anne Heinis, rapporteur. Il faut observer que ces jugements présentent des conclusions divergentes sur la nature du pouvoir reconnu au préfet de déroger ou non au calendrier échelonné des fermetures de chasse intégré dans l'article L. 224-1 du code rural par la loi. La jurisprudence est donc loin d'être unanime.
A l'échelon européen, la Commission est consciente des difficultés d'interprétation posées par l'article 7 de la directive. Ces difficultés résident dans la définition de termes de référence comme « trajets de retour », « reproduction » ou « dépendance ». La Commission a donc proposé de modifier le texte pour y intégrer le principe d'une fermeture échelonnée de la chasse, qui serait fonction de la précocité de la migration et de l'état de conservation des espèces chassées.
Mais, en 1996, le Parlement européen a rejeté ce dispositif et, à une très faible majorité, adopté un amendement beaucoup plus restrictif imposant une date unique de fermeture de la chasse, fixée au 31 janvier. C'est l'amendement van Putten.
Néanmoins, la Commission européenne ne souhaite pas aller dans ce sens, et elle pourrait prochainement proposer d'instituer un régime dérogatoire de chasse sur quatre semaines, au-delà du 31 janvier, à la condition que soient mis en place des plans de gestion pour les espèces concernées.
M. Roland du Luart. Tout à fait !
Mme Anne Heinis, rapporteur. En attendant, la Commission recommande d'appliquer la méthode de la fermeture échelonnée.
Au regard de cette opportunité encore ouverte à l'échelon européen et qu'il faut appuyer, on ne peut qu'être très inquet de la position du gouvernement français. En effet, ce dernier semble s'être laissé volontairement entraîner dans la voie d'une condamnation par la Cour de justice européenne, après un recours en manquement introduit par la Commission sur la base des articles 169 et 171 du traité de Rome.
En effet, lors d'une réunion sur les précontentieux environnementaux, tenue à Paris en mai 1997, les services de la Commission ont demandé communication du rapport au Parlement prévu par la loi du 5 juillet 1994 et des rapports scientifiques servant de base à ce rapport.
Certes, il faut constater et regretter que, faute d'avoir été rédigé en temps voulu, le rapport au Parlement n'ait pas été transmis. Mais les deux rapports respectivement établis par l'Office national de la chasse, en décembre 1996, et par le Muséum national d'histoire naturelle, en mars 1997, eux, étaient prêts. Or ils n'ont jamais été communiqués, bien qu'ils soient d'une grande valeur scientifique et technique et qu'ils fondent la règle relative au régime des périodes d'ouverture et de fermeture de la chasse en France. Ils constituaient donc de très bons éléments de négociation vis-à-vis de Bruxelles qui, à juste titre, les réclame.
Il est incompréhensible et très dangereux que le gouvernement français ait refusé de les transmettre depuis mai dernier, ce qui nous vaut une lettre de mise en demeure de la Commission européenne.
M. Philippe François. C'est très grave !
Mme Anne Heinis, rapporteur. Alors, faut-il en conclure que le Gouvernement a renoncé volontairement à se défendre ? Et que, dans l'intention d'imposer en droit interne une date unique de fermeture de la chasse, il attend une condamnation de la Cour de justice européenne ?
Les chasseurs français jugeraient inacceptable une telle mesure, qui, de plus, apparaîtrait comme terriblement réductrice eu égard à la diversité du phénomène des migrations d'oiseaux.
Il faut rappeler à ce sujet que la chasse au gibier d'eau et aux oiseaux migrateurs concerne la plupart des 1 600 000 chasseurs répertoriés en France, et qu'elle se déroule sur tout le territoire national.
En outre, s'agissant de la compréhension du phénomène des migrations et de la difficulté à définir les termes utilisés par la directive, il faut savoir prendre en compte les marges de variation des phénomènes biologiques, qui n'ont pas un caractère « mécanique ». Il faut repérer les mouvements de l'espèce ou d'une population, et non de quelques individus isolés qui ne sont pas significatifs, c'est-à-dire raisonner sur des moyennes. Enfin, il faut ne pas oublier que, pour la plupart des migrateurs, le territoire français constitue une zone de recouvrement entre les zones d'hivernage et les zones de reproduction, ce qui ne permet pas de savoir a priori , face à tel individu isolé, s'il a passé l'hiver en France ou s'il vient d'y arriver.
L'identification des mouvements migratoires est, pour cette raison, très complexe à réaliser, mais, pour autant, on ne peut pas imposer une date unique de fermeture en arguant du risque de confusion en février entre les espèces encore chassables et celles qui ne le sont plus, alors que ce risque existe, bien évidemment, toute l'année et à une plus grande échelle entre espèces protégées et espèces chassables.
Par ailleurs, signalons que ce risque a été accepté dès l'origine par la directive du 2 avril 1979.
De plus, on rappellera que les chasseurs sont bien formés, qu'ils savent quel gibier ils ont le droit de tirer, et que, en cas de doute, un bon chasseur ne tire pas. C'est une règle de base élémentaire. De toute façon, le code pénal sanctionne les erreurs de tirs.
Compte tenu de ces observations, je vous proposerai donc de reprendre le contenu des deux propositions de loi n°s 346 rectifié et 359, en y ajoutant un dispositif qui rend obligatoires les plans de gestion pour certaines des espèces chassées entre le 31 janvier et le dernier jour du mois de février.
Cette proposition tendant à instituer des plans de gestion est d'ailleurs soutenue dans l'exposé des motifs de la proposition de loi n° 135, déposée par nos collègues communistes.
Il s'agirait, pour les espèces d'oiseaux dont les populations évoluent défavorablement, d'aller au-delà du principe d'une fermeture de la chasse avancée au 10 ou au 20 février, en instituant des plans de gestion de ces espèces. Ces derniers, en se fondant sur des données scientifiques et techniques fiables, autoriseraient une exploitation dynamique - j'insiste sur ce mot - des populations d'oiseaux concernées.
A ce titre, il faut d'ailleurs noter que la proposition de la commission des affaires économiques s'inspire très directement de l'amendement proposé par la commission de l'agriculture du Parlement européen en mars 1996 et qu'elle pourrait être reprise à son compte par la Commission européenne.
En conclusion, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais insister sur notre volonté de proposer un dispositif permettant de concilier, d'une part, les obligations de la France découlant du respect de la directive du 2 avril 1979 sur la protection des oiseaux sauvages et, d'autre part, le respect du principe de subsidiarité s'agissant de la mise en oeuvre de cette directive. Nous pourrons ainsi, en accord avec les objectifs européens, prendre en compte les spécificités de l'exercice du droit de chasse sur le territoire national, qui est - je le rappelle - un héritage de la Révolution française et auquel tous les chasseurs de notre pays sont très attachés. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule à mon intervention, je souhaiterais présenter mes remerciements à tous ceux qui ont oeuvré pour que ce texte soit discuté en séance publique devant la Haute Assemblée.
Ma gratitude ira, tout d'abord, aux membres du groupe « Chasse et pêche » du Sénat, que j'ai l'honneur de présider, car ils ont travaillé activement à l'élaboration d'un texte d'ensemble sur la chasse aux oiseaux migrateurs.
Je dois préciser que notre texte a fait l'objet, au sein de ce groupe, du plus large consensus, à la recherche duquel les apports de notre collègue Michel Charasse, pour ne citer que lui, ont été particulièrement utiles.
Mes remerciements iront, ensuite, au président Henri de Raincourt, dont l'intervention décisive a permis l'inscription à l'ordre du jour des trois propositions de loi qui nous sont soumises en discussion commune.
Ils iront, enfin, à la commission des affaires économiques et du Plan, à son président, Jean François-Poncet, et à son rapporteur, Anne Heinis. Le rapport qu'ils ont établi et les modifications qu'ils ont adoptées sur le texte initial de la proposition de loi constituent un ensemble remarquable, tant par sa précision que par son objectivité et sa modération. Je lis dans l'unanimité qui a conclu les travaux de leur commission le présage que ce texte recueillera le plus large consensus au Palais du Luxembourg comme au Palais-Bourbon.
Je ne reviendrai pas dans le détail sur le dispositif tel qu'il ressort des travaux de la commission saisie au fond. Les explications que vient de présenter à la tribune notre éminente collègue Anne Heinis et les développements contenus dans son remarquable rapport écrit ont, si je puis dire, assez largement épuisé le sujet. Je souhaiterais toutefois apporter quelques appréciations d'ensemble sur l'évolution du droit de la chasse en France depuis un certain nombre d'années.
Nous allons aujourd'hui, mes chers collègues, parachever une évolution de long terme, à savoir le passage de la chasse-cueillette à la chasse-gestion. Après les plans de chasse au grand gibier, après les groupements d'intérêt cynégétique et les plans de chasse départementaux du petit gibier, nous allons voter le principe de plans de gestion de certaines espèces d'oiseaux dont l'état de conservation ne serait pas favorable.
Il s'agit là d'une évolution tout à fait remarquable, souvent mal connue de nos compatriotes, qui parachève les actions de gestion des espèces et des espaces conduites sur leurs territoires par les détenteurs de droits de chasse.
Ma deuxième remarque sera brève et portera sur l'articulation entre le droit interne, d'une part, et le droit communautaire et international, d'autre part. Elle sera d'une tonalité moins optimiste.
Sur les vingt dernières années, je constate en effet que le droit externe, si je puis employer ce terme, a été plus une source de perturbation qu'un facteur d'enrichissement. Les gouvernements successifs ont toujours abdiqué, je dois le reconnaître - même si le terme est un peu fort - devant les autorités communautaires.
Ils ont accepté successivement des textes illégaux par manque de fondement juridique - je pense à la directive de 1979 - des textes qui ne pouvaient être pris qu'à l'unanimité et auquel le ministre de l'époque était officiellement défavorable - je songe au règlement sur les pièges à mâchoires - puis des textes qui étaient en contradiction manifeste avec le principe de subsidiarité qui nous est particulièrement cher. La liste est malheureusement longue, et les rapports successifs de nos collègues Hubert d'Andigné, Philippe François et Jean-François Le Grand sont là pour nous le rappeler.
Alors que l'Europe devrait, à mon sens, parachever les réglementations nationales en les inscrivant harmonieusement dans l'espace communautaire, elle semble s'efforcer, au contraire, de les affaiblir et de les uniformiser. Cette situation n'est pas convenable, c'est le moins que l'on puisse dire.
M. Philippe François. Elle n'est pas acceptable !
M. Roland du Luart. Ma troisième remarque portera sur le principe de la fixation par la loi de l'échelonnement des dates de clôture. D'une part, il faut rappeler que ce principe a été reconnu comme pertinent par toutes les autorités scientifiques compétentes. D'autre part, et en démentant ainsi les critiques apportées à la loi de 1994, sa fixation par la loi et non par un texte réglementaire a constitué un système souple et efficace.
C'est ainsi que ma proposition de loi, se fondant sur les observations ornithologiques les plus récentes, tend à apporter quelques modifications à la loi de 1994 pour plusieurs espèces : certaines d'entre elles verront leur période de chasse allongée, tandis que d'autres verront raccourcir leur période de chasse autorisée après le 31 janvier. Bref, cet échelonnement constitue, à mes yeux, le moyen le plus efficace pour assurer une exploitation équilibrée des espèces.
Les plans de gestion, dont je voudrais dire maintenant quelques mots, viendront compléter ce dispositif. Lorsqu'ils s'avéreront nécessaires pour rétablir les effectifs de certaines espèces, ils devront faire l'objet d'une élaboration fondée sur la concertation et le pragmatisme.
La concertation implique que les associations de chasseurs - je pense notamment à l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau, qui accomplit un travail scientifique remarquable - aient voix au chapitre.
Le pragmatisme commande de ne pas concevoir des plans uniformes, département par département, mais au contraire de mettre au point des outils de gestion performants et adaptables. Ils devront donc tenir compte des dates de trajet de retour et de l'état des populations pour contrôler la validité scientifique de l'échelonnement des dates de fermeture.
Compte tenu du manque de recul et du caractère nécessairement expérimental de ces plans, il convient donc de ne pas les surcharger dès à présent de dispositions trop pointillistes. Soyons modestes et patients, car c'est le meilleur moyen d'être efficace à long terme.
Bien entendu, nous pourrons progresser avec le temps et l'expérience accumulée. C'est dans cet esprit que j'ai déposé l'amendement n° 1 rectifié, que j'aurai ainsi défendu par anticipation.
Je suis persuadé - disant cela je me fais l'écho de l'ensemble du groupe « Chasse et pêche » du Sénat, qui regroupe les sensibilités les plus diverses - que le texte que nous allons voter aujourd'hui est un texte qui consacre une chasse moderne, une chasse fondée sur les meilleures connaissances scientifiques, soucieuse de préserver et de reconstituer les habitats, orientée ves la gestion raisonnée et dynamique des espèces.
Mais cette avancée juridique doit s'accompagner d'une révision de la directive de 1979.
Cette directive - nous devons en être conscients - n'est pas un texte rationnel fondé sur l'objectif de préservation des espèces. C'est un texte politique orienté vers la suppression progressive de la chasse et inspiré par des idéologues. C'est la raison essentielle pour laquelle sa modification se révèle si difficile : les intégristes de l'écologie craignent, en effet, le débat scientifique et se réjouissent de l'existence d'un texte obscur, vague et contradictoire qui permet toutes les exégèses.
M. Philippe François. Très bien !
M. Roland du Luart. L'Office national de la chasse, l'Union nationale des fédérations de chasseurs et l'Association des chasseurs de gibier d'eau ont avancé des propositions de modification que je juge excellentes.
La directive doit comporter un mécanisme fixant l'échelonnement des périodes d'ouverture de la chasse pour chaque pays, adapté aux particularismes locaux. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons tous, au Sénat, qu'un dialogue fructueux soit établi avec la Commission de Bruxelles.
La gestion des prélèvements apparaîtra comme le seul critère adapté à cette obligation. Conjuguée à des dates de fermeture de la chasse définies par pays et adaptées aux exigences des oiseaux, la fixation d'un « potentiel gibier », par référence aux tendances d'évolution et à la composition qualitative de chaque population d'oiseaux, est en effet le seul mécanisme adapté à une gestion véritablement rationnelle des oiseaux migrateurs.
Voilà, mes chers collègues, les quelques observations que je souhaitais développer à cette tribune. En complimentant de nouveau la commission pour l'excellence de ses travaux, je forme le voeu que ses conclusions puissent être adoptées à l'unanimité. Seule l'unanimité du Sénat, j'insiste sur ce point, garantira l'avenir de ce texte.
M. Philippe François. Absolument !
M. Roland du Luart. Certains amendements, qui s'écartent de son objectif initial, mériteraient d'être analysés plus en détail. Je peux prendre l'engagement solennel, à cette tribune, que le groupe « Chasse et pêche », en harmonie, bien sûr, avec la commission, les étudiera avec minutie, dans le souci permanent qui est le sien de dégager un consensus entre tous, amoureux de la nature et amoureux de la chasse. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, qu'arrive-t-il pour que le Sénat débatte, ce soir, de questions aussi importantes ?
M. Philippe François. Pour vous ! (Sourires.)
M. Jean-Louis Carrère. Pour nous, mon cher collègue ! (Nouveaux sourires.)
J'ai le souvenir d'un débat, en 1994, où je m'étais ému en m'apercevant que les intentions qui animaient les promoteurs d'une loi risquaient de se retourner contre eux. Je leur avais dit alors : « Attention, le remède peut être pire que le mal, surtout si, concomitamment, la modification souhaitée de la directive "oiseaux" n'intervient pas ».
Force est de constater, madame la ministre, mes chers collègues, que les craintes que j'exprimais à l'époque se sont révélées exactes. Qu'est-il arrivé en effet ? Nous n'avons cessé d'aller d'arrêté cassé en arrêté cassé, de frustration en frustration, de dépit en dépit et, jour après jour, se sont amplifiées, dans nos régions, la grogne, l'incompréhension et les manifestations de mécontentement légitime des chasseurs.
Car enfin, madame la ministre, mes chers collègues, comment pourrait-on dire sans s'émouvoir à ces femmes et à ces hommes qui peuplent nos campagnes : « Vous n'êtes plus nombreux, vous ne représentez que 10 % de la population, vous n'avez plus voix au chapitre. Vous êtes bons, mesdames et messieurs, à cultiver les champs, à entretenir vos campagnes. Les traditions, les possibilités de distraction, ce qui vous permettait d'avoir une qualité de vie, c'est terminé ! C'est nous, les citadins, nous qui avons quitté nos campagnes, qui allons décider pour vous, qui allons réguler les espèces, qui allons vous dicter vos comportements, qui allons vous expliquer comment vous devez vous conduire, quand vous devez chasser, ce que vous devez chasser et en quelle quantité, tout cela sans vous y associer ! » ?
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. C'est inacceptable ; il faut que l'on rompe avec cette méthode et, sans faire de démagogie, que tous les intéressés se mettent autour d'une table pour trouver les solutions adaptées à cette légitime préoccupation.
M. Roland du Luart. Tout à fait !
M. Jean-Louis Carrère. Qu'on me pardonne de m'enflammer ainsi, mais je suis passionné à la fois par la vie rurale, le monde rural, et par la chasse et la pêche.
J'ai enseigné l'instruction civique à plusieurs générations d'enfants. Je leur ai appris à se comporter avec respect envers l'environnement, envers la nature. Aussi, je ne souris pas lorsqu'on ne me reconnaît pas le droit, ainsi qu'à bien des femmes et des hommes de ma trempe qui vivent dans ces régions-là, d'affirmer que je respecte la nature, au prétexte que nous pratiquerions - quel délit ! - qui la chasse, qui la pêche, fût-elle à la mouche, que beaucoup d'entre ceux qui voudraient nous l'interdire ne connaissent absolument pas parce qu'ils n'ont jamais su faire la différence entre une poule et un coq, entre un coq de trois ans et un coq moins âgé, parce qu'ils ne reconnaissent pas une plume qui se tient à la surface de l'eau et qui permet de construire une mouche efficace...
M. Philippe François. Exactement !
M. Jean-Louis Carrère. J'arrête là ma démonstration !
M. Philippe Madrelle, président du conseil général de la Gironde, et M. Bernard Dussaut, sénateur de ce même département, profondément inquiets au regard de ce qui se passe en ce moment en Aquitaine à ce sujet et qui n'ont pu être des nôtres cet après-midi, se joignent à moi pour exprimer, par ma voix, la colère des Girondins et la frustration qu'ils nourrissent compte tenu des préoccupations qui sont les leurs.
En quelques mots, madame la ministre, je veux vous dire avec beaucoup de solennité ce que je demande au gouvernement que je soutiens.
Je lui demande quelle est sa stratégie, quel est son choix. En clair, je lui demande trois choses qui, pour les hommes et les femmes qui peuplent les campagnes de l'Aquitaine, sont très importantes.
D'abord, je lui demande de prendre l'engagement d'oeuvrer à la modification de la directive 79/409/CEE du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages. Sans cette modification, madame la ministre, quelles que soient les bonnes intentions, et le texte proposé par M. du Luart, et le texte proposé par M. Charasse, et le texte proposé par mon ami M. Lefebvre, que je défendrai, resteront sans effet.
Je demande, ensuite, au Gouvernement de défendre la loi Verdeille.
Madame la ministre, j'habite dans les Landes, département rural qui compte 310 000 habitants. Dans ce département, toutes les communes connaissent une association communale de chasse agréée, une ACCA, et j'ai la ferme volonté de vous démontrer, à cette tribune, que je défends la pratique de la chasse populaire, une pratique de la chasse responsable.
Sans ACCA - je pèse mes mots - il n'y aurait plus de chasse dans ce département peu peuplé et immense. On voit déjà fleurir, sur des aires très importantes de son territoire, des chasses qui ne correspondent pas du tout à la loi Verdeille, qui ne correspondent pas du tout à l'établissement des ACCA, qui ne correspondent pas du tout à nos habitudes et aux chasses populaires.
En quelque sorte, je demande que la loi Verdeille soit, pour le Gouvernement, une loi d'airain, et que tout soit fait pour la défendre, sans méconnaître les difficultés juridiques et d'ordre pratique auxquelles nous serons confrontés.
S'agissant d'une chasse très spécifique et très particulière dont je n'aime pas beaucoup parler parce que je considère que moins on en parle, mieux on se porte, je veux être très clair.
L'occasion m'est en effet donnée ici, ce soir, de parler - mes amis landais ne comprendraient pas que je ne le fasse pas - de la chasse au bruant ortolan.
Je ne ferai pas une longue digression sur ce sujet - encore que cela pourrait présenter un certain intérêt d'expliquer comment elle se pratique, quelles sont ses origines et ce à quoi elle peut concourir.
Cela pourrait également permettre à des scientifiques de se rendre compte que, lorsqu'on veut procéder à des comptages, il vaut mieux essayer de le faire de nuit - encore que ce soit très difficile et que l'on n'y soit pas bien parvenu - que, lorsqu'on recherche des zones de nidification, il ne faut pas exclure certains zonages pour arriver à démontrer qu'une population d'oiseaux serait, par exemple, en voie non pas d'extinction mais de diminution.
Il serait également intéressant de connaître la durée de vie moyenne du bruant afin de ne pas se tromper en disant qu'un oiseau de trois ans est un oiseau jeune. Non, à cet âge, il est presque au terme de sa vie puisque, si mon enseignement a été bon, la moyenne de vie de l'espèce n'est pas beaucoup plus longue.
Soucieux de ne pas m'étendre sur cette chasse au bruant, je dirai simplement, madame la ministre, que, depuis longtemps, nous demandons un moratoire - le temps nécessaire, pas trop long pour qu'il soit crédible - avec des commissions d'experts indiscutables, pour, ainsi que nous l'avons toujours dit, pouvoir nous conformer, après que nous aurons pris connaissance du rapport, en cas de diminution de l'espèce, à une limitation des prélèvements, en cas de mise en danger, à un arrêt de ces prélèvements et, en cas de stagnation ou d'accroissement de la population, à une légalisation de cette pratique qui pose de nombreux problèmes... dont je ne veux pas abreuver le Sénat.
Madame la ministre, mes chers collègues, tout cela constitue - je le dis pour que ce soit bien clair - ce que j'appellerai une stratégie diplomatiquement correcte, non pas de contournement, mais qui part de la réalité des choses, qui va jusqu'à une modification de la directive et qui propose une législation adaptée pour rompre avec cet environnement cahotique qu'est la législation sur la chasse.
Mais je veux dire très solennellement aussi que, si nous y étions contraints, nous n'hésiterions pas à contester la légalité même de la directive. Telle n'est pas notre intention première, mais sachez que, si nous n'étions pas entendus, ce serait notre stratégie ultime.
M. Philippe François. On la suivrait !
M. Jean-Louis Carrère. Que dire des propositions de loi, que ce soit celle de M. du Luart ou celle de M. Charasse, qui sont parvenus à une harmonie ?
Je comprends leurs objectifs. Elles procèdent d'une bonne intention et d'un bon sentiment. C'est pour corriger les insuffisances de la loi Lang que nos collègues nous proposent un cadre général relatif aux ouvertures et aux fermetures qui devrait permettre aux chasseurs de savoir en quelque sorte à quelle date ils peuvent commencer à chasser et à quelle date ils doivent cesser.
Tout aussi intéressante est l'idée des plans de gestion. Objectivement, j'y souscris. Mais, dans le même temps, je pense à cette image qu'utilisait un vieil ami de Gironde.
Cet ami me disait : « Ecoute-moi, mon garçon : imagine un seul instant que tu construises une maison et que tu fasses appel pour cela à un architecte » - n'ayez crainte, je n'en veux pas à la profession d'architecte, bien au contraire. « Un an après, ta maison s'effondre. Feras-tu appel au même architecte pour la reconstruire ? »
Je crains que la démarche très respectable qui vous conduit, après la loi Lang, à déposer une proposition de loi un peu de la même veine ne nous conduise de la même manière dans le mur. C'est la crainte que j'évoque devant vous, même si je n'ai pas l'intention de m'opposer à ce que vous qualifiez d'« avancée. »
M. Roland du Luart. Vous dialoguez avec la commission ?
M. Jean-Louis Carrère. Tout à fait !
Il me semble, moi, Aquitain, que la proposition de loi initiée par nombre de chasseurs membres ou sympathisants d'une association que je n'ai jamais entendu citer, et je le regrette, à savoir l'Union nationale de défense des chasses traditionnelles, et présentée par mes amis du groupe communiste républicain et citoyen correspond beaucoup mieux à la défense des chasses traditionnelles en général et à leur défense en Aquitaine en particulier. C'est, vous le comprendrez, quelque chose à quoi je suis et je reste très attaché.
C'est la raison pour laquelle, si j'en avais la possibilité, je vous dirais madame le rapporteur, mes chers collègues : « Vous choisissez cette stratégie, très bien ! Je l'accepte avec vous. Mais alors, pourquoi ne pas discuter de la proposition de loi n° 135 plutôt que des deux autres ? » Je ne rejette pas ces dernières, mais elles sont loin d'être complètes et de nature à résoudre une partie des problèmes qui se posent.
De surcroît, cette proposition de loi n° 135 règle des problèmes qui sont très importants pour la région Aquitaine et pour le département des Landes. Je sais que vous avez travaillé avec les chasseurs de gibier d'eau : elle règle, par exemple, le problème de la chasse de nuit, qui n'est pas résolu dans la proposition que vous avez faite vôtre. Je ne vais pas entrer plus dans le détail, car je ne veux pas allonger ce débat qui, pourtant, me passionne.
De même, l'idée de comités locaux, placés, bien sûr, sous la tutelle de scientifiques, réunissant chasseurs et non-chasseurs, qui fixeraient les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse, me paraît intéressante.
Mme Heinis, tout à l'heure, a évoqué des phénomènes migratoires. Vous le savez tous, vous qui êtes des hommes et des femmes de la nature, ces phénomènes migratoires sont étroitement liés à la climatologie et à la reproduction des espèces. C'est-à-dire que des dates fixées une fois pour toutes pour la France entière n'auraient guère de signification aux niveaux locaux.
Je souris lorsque j'entends dire qu'on va autoriser la chasse à la palombe de telle date à telle date. A Paris, on ne l'appelle pas la palombe ; pourtant, il y en a partout. Les Parisiens ne savent pas ce que c'est. Il y en a dans le jardin du Luxembourg ! Il s'agit du pigeon ramier, ce bel oiseau qui a des bandes blanches et qui, quand il vieillit un peu, a un collier magnifique autour du cou. Il a une apparence beaucoup plus belle que le pigeon ordinaire.
Je pourrai donc chasser la palombe dans les Landes à partir de l'ouverture de la chasse. Mais, mesdames, messieurs, il n'est jamais passé une palombe dans les Landes, ni d'ailleurs sur l'Aquitaine, avant... soyons honnêtes... la première décade d'octobre. On peut donc donner une autorisation de chasser. Mais à quoi cela sert-il ?
On nous dit aussi que nous pourrions chasser la bécasse - scolopax rusticola -, celle qui a un grand bec et une plume de peintre et qui se laisse difficilement attraper. ( Sourires. ) Certes, on peut chasser la bécasse ! Mais depuis trente-cinq ans que je m'intéresse à ces gibiers, j'ai peut-être assisté à un ou deux envols de bécasses dans nos régions avant le mois de novembre !
M. Philippe François. Exactement ! Comme partout ailleurs !
M. Jean-Louis Carrère. Il faut donc se méfier de ces espèces d'offres un peu candides qui ne riment à rien et qui ne résolvent aucun problème.
En résumé, madame la ministre, mes chers collègues, outre les trois demandes que j'ai présentées avec beaucoup de solennité et de gravité au Gouvernement, je voudrais insister sur le fait que, si vous acceptez d'examiner la proposition de loi n° 135 signée par mon ami Pierre Lefebvre et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, je participerai au débat. Dans le cas contraire, et bien que je reconnaisse objectivement les bonnes intentions qui sous-tendent les conclusions de la commission, le groupe socialiste serait conduit non pas à s'opposer au texte, mais à s'abstenir.
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il existe actuellement un profond mécontentement parmi les chasseurs, que l'on aurait tort de sous-estimer. La manifestation nationale du 14 février prochain, à Paris, par son importance attendue et par son organisation, sera un indicateur de la grogne qui monte au sein de la population des chasseurs, grogne qui n'est d'ailleurs pas nouvelle mais qui s'exprime depuis plusieurs années.
Le problème qui nous est posé est d'ordre juridique ; mais, au-delà de cet aspect, c'est bien l'avenir de la chasse française et la pérennité de ses traditions, y compris régionales, qui doivent nous préoccuper.
La non-conformité de notre droit avec les objectifs d'une directive européenne pose la question du partage des responsabilités entre l'échelon national et l'échelon communautaire, de l'autre.
Malgré l'existence du principe de subsidiarité, force est de constater que cette directive de 1979, qui concerne la conservation des oiseaux sauvages, sert de référence aux attaques contre le droit de la France à décider elle-même des conditions de la politique de la chasse aux oiseaux migrateurs.
De surcroît, la légalité de cette directive reste tout à fait à démontrer, dans la mesure où l'environnement, à cette époque, ne relevait, au moment de sa signature, ni de la politique communautaire ni du traité de Rome. Nous n'échapperons donc pas, tôt ou tard, à une nécessaire modification de cette directive, ce sur quoi je demande au gouvernement que je soutiens de s'engager, quel que soit, par ailleurs, le texte définitif qui sera adopté par notre assemblée.
Fondamentalement, est-il acceptable que la Commission européenne, au mépris de nos coutumes, de nos traditions, du droit français, dont nous sommes les garants, soit en mesure d'imposer un modèle de chasse uniforme dépourvu de toute référence à notre identité nationale ? Non, ce n'est pas acceptable !
Certes, nous devons adapter notre règlement aux objectifs européens dans la concertation, puisque les oiseaux migrateurs n'appartiennent à personne ; mais il nous faut le faire de façon intelligente, démocratique et transparente. Le respect de la diversité de nos pratiques de chasse constitue une condition et non un obstacle à la nécessaire protection des oiseaux migrateurs.
C'est la raison pour laquelle notre proposition de loi a été élaborée en concertation avec les associations de chasseurs, dans le souci d'actualiser, de moderniser et de simplifier le code rural. Nous souhaiterions promouvoir une chasse tout à la fois traditionnelle, gestionnaire, raisonnable et transparente.
Le texte proposé par le groupe communiste républicain et citoyen présente aussi, me semble-t-il, une vertu pédagogique. Des mesures exclusivement restrictives infantilisent le chasseur au lieu de le responsabiliser. Nous pensons que celui-ci doit être partie prenante pour l'élaboration des règles de chasse. Une règle imposée et incomprise ne peut susciter que la méfiance et l'indiscipline. Pour qu'elle soit respectée, une concertation préalable, démocratique et contradictoire, est nécessaire. En somme, nous militons pour un chasseur citoyen au lieu d'un chasseur coupable et injustement montré du doigt.
La défense de notre proposition de loi ne m'amène pas pour autant à jeter le discrédit sur les deux autres propositions de loi, de nos collègues MM. Charasse et du Luart.
Les uns et les autres, nous sommes d'accord sur le calendrier des ouvertures anticipées de la chasse. Certes, pour ce qui nous concerne, nous avions fait une exception pour le Calvados, mais nous n'avions fait, en cela, que reprendre, pour la respecter, une dérogation qui avait été accordée à ce département par Mme Lepage, ministre de l'environnement du précédent gouvernement, et par l'Office national de la chasse.
On entend dire ici ou là qu'il n'est pas raisonnable de fixer par voie législative un calendrier aussi précis des dates d'ouverture et de fermeture. Certes, les conditions climatiques, météorologiques, ont une influence sur les conditions des migrations. Mais les données scientifiques en notre possession nous confirment que leurs périodes sont toujours sensiblement identiques. Les dates que nous proposons d'adopter par voie législative visent donc à rationaliser la chasse, à préserver des espèces, étant précisé que, comme aujourd'hui, les préfets peuvent modifier ces dates si la nécessité s'en fait sentir.
En outre, nous proposerons des amendements sur des points que nous paraissent essentiels.
Madame la ministre, la position de notre groupe se veut ouverte et constructive. Nous ne faisons pas le choix de tel camp contre tel autre. Je ne suis d'ailleurs pas du tout convaincu que l'opposition entre chasseurs et défenseurs de la nature soit fatale, bien au contraire. Les chasseurs ont tout intérêt à ce que la nature soit sauvegardée et la population d'oiseaux sauvages protégée ; ils y contribuent d'ailleurs par leurs prélèvements et en entretenant des habitats naturels.
Nous voudrions contribuer à ouvrir un espace de dialogue et de concertation entre les différentes parties concernées pour que soient sauvegardées et la pratique de la chasse traditionnelle et la préservation des espèces.
La chasse n'est donc pas, comme on tente de la caricaturer, une activité sportive où le chasseur réalise un score qu'il tentera de battre à la prochaine expédition. Il s'agit véritablement d'une pratique culturelle, sociale et écologique. J'oserai dire, au risque de choquer certaines susceptibilités, que la chasse est un art, une passion, qui se pratique avec honneur, droiture et une certaine noblesse d'esprit.
M. Philippe François. Exactement !
M. Pierre Lefebvre. Que l'homme participe au mouvement perpétuel de création - destruction de la nature n'est-il pas essentiel à sa propre survie ? Isolé de ce mouvement cyclique, l'homme devient un être abstrait. Les chasseurs contribuent ainsi à perpétuer ce rapport particulier et primordial.
Ils contribuent aussi, selon moi, à entretenir ces traditions qui imprègnent notre sol natal et l'histoire de nos ancêtres. Si le législateur n'intervient pas en faveur d'une chasse rationnelle et transparente, il risque de se développer des chasses privées, réservées à quelques fortunés, parallèlement à une montée des pratiques illégales.
Que des exactions existent ici ou là, nul ne le nie, mais elles demeurent individuelles et très minoritaires. Les principales victimes en sont d'ailleurs les chasseurs eux-mêmes.
Madame la ministre, vous ne pouvez pas ne pas entendre cet appel à la responsabilisation et la réglementation lancé par les associations de chasseurs. Nous vous invitons à saisir cette opportunité.
Certes, par notre proposition de loi, nous ne prétendons pas apporter la solution miracle, mais elle peut constituer une base sur laquelle des orientations et des méthodes nouvelles pourront être explorées.
Il est nécessaire, madame la ministre, de dépasser les divergences stériles d'hier. Vous avez déclaré cette semaine, dans une interview à un grand journal national, que toute aventure collective supposait le débat. C'est bien ce à quoi nous vous invitons pour ce qui nous préoccupe en cet instant.
L'opposition n'est plus entre tradition et modernité, entre pratique culturelle et protection de la nature, elle serait plutôt entre diversité et uniformité, entre respect des principes républicains, démocratiques, et retour au féodalisme.
La chasse est un droit acquis de la Révolution française. C'est à l'Etat français qu'il revient d'en garantir l'exercice dans les principes de liberté et d'égalité.
Telle est la philosophie de notre proposition qui doit vous aider, madame la ministre, ainsi que le Gouvernement, à défendre à Bruxelles, dans ce domaine, l'identité française.
Cette proposition répond bien à l'attente de tous les chasseurs, qui ne veulent pas d'une loi Lang dont ils ont déjà fait l'expérience, sans résultat positif, puisqu'aujourd'hui des chasseurs et des associations de chasse sont traduits en justice.
En outre, notre proposition prend en considération la diversité des situations des différentes chasses et des différentes régions, avec chacune leur tradition, ce qui en fait son intérêt et sa force.
Enfin, notre proposition permet à la France d'engager tout de suite la négociation avec l'Europe et de faire respecter la volonté et l'originalité françaises.
Pour toutes ces raisons, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter la proposition n° 135 que vous propose le groupe communiste républicain et citoyen. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le président, messieurs les sénateurs, madame, c'est un texte délicat que nous examinons aujourd'hui.
Depuis qu'elle n'est plus motivée par des besoins alimentaires, la chasse est devenue pour beaucoup une passion et donc l'objet de contestations.
Déjà dans la Grèce antique, Solon, un homme d'Etat athénien, avait cru bon d'interdire la chasse parce qu'elle détournait des activités utiles à la cité.
Plus près de nous, en France, les possédants s'en arrogèrent le privilège avec quelquefois des arguments similaires à ceux qui avaient été avancés par Solon. Ainsi, l'ordonnance de 1515 signée par François Ier réserve la chasse aux nobles et bourgeois vivant de leurs rentes ou héritages. En effet, en chassant, ne perd-on pas un temps précieux qui pourrait être utilement employé aux travaux des champs ? Henri IV et Louis XIV renforcèrent ce privilège qui fut heureusement aboli le 4 août 1789. La chasse pour tous, en tout temps et partout devenait possible.
Mais les privilèges abolis, tous les excès furent permis. C'est pourquoi, dès avril 1790, l'Assemblée nationale décidait de poser des limites à la liberté illimitée du droit de chasse. Les quatre grands principes fondateurs des différentes législations qui encadrent l'exercice de la chasse datent de cette époque.
Il s'agit de la défense de chasser sur le terrain d'autrui sans son consentement, de la sécurité publique, de la protection des récoltes et de la conservation du gibier. La loi du 3 mai 1844 relative à la police de la chasse formalisera ces principes visant à promouvoir une chasse acceptable pour tous, en demandant notamment aux préfets de fixer des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse qui doivent varier, ce que soulignent des commentateurs de l'époque, en fonction du climat, de la configuration du sol, du mode de culture adopté dans chaque département et de la conservation du gibier. Notre débat d'aujourd'hui n'est donc pas vraiment nouveau, puisqu'il dure depuis 150 ans !
Comme l'écrivaient, en 1851, le député Gillon et l'avocat de Villepin : « La chasse doit cesser d'être un objet d'amusement dès lors qu'elle peut porter quelque préjudice à un tiers, la raison seule, autant que l'équité, devrait donc alors en interdire l'usage ; mais, comme la raison ne produit pas toujours son effet sur ceux que la passion de la chasse domine, il a fallu que l'autorité des lois y suppléât. » Vous apprécierez ces propos.
Depuis cette époque, il est communément admis, pour le gibier sédentaire, que l'on ne chasse pas des oiseaux en période de reproduction et que l'on doive tenir compte de facteurs locaux pour asseoir les périodes de chasse. Il en va curieusement autrement pour les oiseaux migrateurs. La loi de juillet 1994 comme vos propositions de loi et les conclusions du rapport fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan tendent à démontrer que les oiseaux ne seraient pas soumis aux mêmes contraintes selon qu'ils seraient sédentaires ou migrateurs. Cela ne laisse pas d'étonner lorsque la passion pour la chasse ne vous anime pas.
Alors qu'il est nécessaire, si l'on souhaite assurer une chasse durable, de ne pas chasser des oiseaux en période de reproduction, ce principe admis pour le gibier sédentaire ne s'appliquerait pas aux oiseaux migrateurs. La loi du 15 juillet 1994, en ce qu'elle permet des dates de clôture trop tardives, autorise le tir d'oiseaux venant se reproduire. C'est là une aberration si l'on raisonne en termes de gestion de populations. Il est en effet justifié de prélever sur des migrateurs qui regagnent leurs secteurs d'hivernage, car l'on sait qu'une part de ces oiseaux est vouée à disparaître avant la fin de la migration de retour. Le prélèvement s'effectue donc statistiquement sur une partie d'une population ne jouant pas de rôle dans le maintien des effectifs de l'espèce. En revanche, prélever sur des reproducteurs qui viennent assurer la survie de l'espèce, c'est en rester au stade de la cueillette alors qu'une bonne gestion du gibier voudrait que l'on ne prélève pas sur le capital. Certains chasseurs le reconnaissent depuis longtemps.
Les propositions de dates d'ouverture anticipée de la chasse au gibier d'eau préconisées dans les propositions de loi participent de la même logique de cueillette. Comme le montrent les travaux des biologistes, la reproduction n'est pas achevée à ces dates pour de nombreuses espèces lorsque la chasse est ouverte. Les chasseurs de gibier d'eau migrateur ne devraient-ils pas demander eux-mêmes, comme les chasseurs d'oiseaux sédentaires, qu'il n'y ait pas d'ouverture avant la fin de la période de reproduction. Que je sache, on ne chasse pas les perdrix, le coq de bruyère, le faisan ou le merle au mois de juin !
Souhaiter fixer des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse par voie législative va à l'encontre de toute gestion raisonnable des réalités de terrain. L'étude des migrations montre que de multiples facteurs interviennent à toutes les étapes du cycle biologique des oiseaux migrateurs.
Les conditions climatiques lors de la période d'hivernage, les modalités de migrations en fonction des conditions météorologiques du moment, la réussite de la reproduction sont autant d'éléments qui influent sur la dynamique des populations et qui peuvent changer d'une année sur l'autre. Vouloir fixer par la loi les périodes d'ouverture et de fermeture de la chasse dans chaque département, c'est s'interdire toute possibilité d'adaptation en fonction des réalités de terrain.
Ce qui est vrai localement l'est a fortiori à l'échelon de l'Europe. On a trop tendance à oublier que les oiseaux migrateurs, à la différence des oiseaux sédentaires, ne font que passer sur notre territoire. Ils n'appartiennent pas plus aux Etats africains, où ils hivernent, qu'à la France, où certains ne font que passer, qu'aux pays du nord de l'Europe, où ils se reproduisent. Il s'agit d'un patrimoine commun, qu'il convient de gérer comme tel. C'est une idée que nous devons avoir à l'esprit quand nous invoquons le principe de subsidiarité, comme Mme le rapporteur nous y a invités.
Nous nous trompons de terrain. Nous nous trompons aussi d'époque.
Au moment où l'opinion publique s'interroge sur la légitimité de l'Etat à légiférer sur tout, il semble pour le moins déplacé de vouloir établir un carcan là où il faudrait de la souplesse. Trouveriez-vous normal que le législateur veuille fixer, de manière arbitraire et pour des années, les dates de début et de fin de la récolte du foin, des moissons, ou du ramassage des fruits, sans tenir compte des conditions climatiques, qui sont susceptibles de varier d'une année sur l'autre ?
Ce débat était déjà d'actualité lors de l'adoption de la loi de 1844. Le législateur s'était alors préoccupé, en confiant aux préfets le soin de fixer les dates d'ouverture et de clôture, de tenir compte des réalités de terrain. On était alors parfaitement conscient que la fixation uniforme de dates d'ouverture et de clôture « léserait une foule d'intérêts » et qu'il convenait donc de savoir s'adapter aux circonstances. Il était alors même question de proposer des dates différentes par arrondissement, voire par commune !
Sans aller jusque-là, une solution équilibrée voudrait que soit fixée au niveau national, par le ministre en charge de la chasse, une fourchette tenant compte des dates extrêmes de migration et de reproduction, fourchette qui serait susceptible d'être modifiée en fonction des paramètres influant sur les migrateurs. Les préfets, tenant compte de cette fourchette, pourraient alors définir la période de chasse locale au vu des conditions particulières des départements et des régions.
Certaines fédérations départementales de chasseurs, qui avaient demandé le recul de l'ouverture anticipée de la chasse au gibier d'eau pour tenir compte des conditions de reproduction de certaines espèces, ont été fort marries des modalités de fixation des dates d'ouverture anticipée arrêtées par mon prédécesseur. Ayant demandé une ouverture au 31 août ou au 15 septembre, ces fédérations ont eu la surprise de voir qu'une décision nationale avait autorisé la chasse à des dates beaucoup plus précoces... et qu'elles récusaient.
C'est le cas par exemple dans le département de l'Ain, dont le préfet m'a fait savoir dès le mois de juin 1997 que la date du 31 août ne convenait pas du tout à la fédération départementale des chasseurs, qui souhaitait une ouverture plus tardive parce qu'elle avait constaté une régression des effectifs de canards nicheurs dans les Dombes.
Cela m'amène à m'interroger sur les motivations réelles de cette demande de centralisme. La lecture de l'exposé des motifs des différentes propositions de loi, tout comme le rapport de la commission des affaires économiques et du Plan, montre que ces propositions visent beaucoup plus à régler un contentieux juridique avec certains tribunaux administratifs et le Conseil d'Etat qu'à asseoir des pratiques de chasse durables.
Ce contentieux tire son origine de l'application de la directive « oiseaux », adoptée en 1979, grâce, notamment, à l'action forte de la France et à l'engagement du ministre de l'environnement d'alors, Michel d'Ornano, que chacun a connu ici comme l'un de ces « intégristes de l'écologie » que M. du Luart a cru pouvoir reconnaître dans les amoureux de la nature que nous sommes tous ici.
M. Roland du Luart. Pas d'amalgame !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Cette directive, qui admet parfaitement que des espèces d'oiseaux puissent être chassées, stipule que l'on ne peut chasser les oiseaux en période de reproduction et lors de leur trajet de retour vers les lieux de nidification pour les migrateurs. Elle ne fait donc que transcrire un principe de bon sens qui devrait animer tous les promoteurs d'une chasse durable. Ce principe n'est d'ailleurs qu'une formulation anticipée du principe de précaution mis en exergue lors du sommet de Rio en 1992 et traduit par la loi Barnier.
Pour des raisons qui me sont peu compréhensibles, les chasseurs de gibier migrateur se sont refusés à mettre en oeuvre ce principe, qui est pourtant communément admis pour le gibier sédentaire. Faut-il y voir une certaine insouciance vis-à-vis d'oiseaux n'appartenant en définitive à personne alors que le gibier sédentaire est plus attaché à un territoire particulier ? Je ne peux l'affirmer.
La fixation des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux migrateurs a entraîné de nombreux contentieux, vous le savez. Ils sont dus à des associations de protection de la nature qui ne sont pas, dans leur grande majorité, malgré ce qu'on en dit parfois, hostiles par principe à la chasse. Elles souhaitent simplement que les pratiques cynégétiques soient des pratiques gestionnaires et tiennent compte de la faune qui n'est paschassée.
Désireux de sortir d'un imbroglio juridique, les gouvernements précédents ont proposé pour les dates de clôture de la chasse une méthode d'échelonnement qui satisfaisait aux demandes des chasseurs de gibier migrateur même si elle apparaissait d'un maniement difficile, d'une part, parce qu'il est difficile de chasser certains oiseaux sans déranger les autres, ceux qu'on ne chasse pas ; d'autre part, parce qu'il peut y avoir des confusions. Sans exagérer ce problème, madame le rapporteur, on ne peut nier que les pratiques de chasse crépusculaire et nocturne dans certaines régions nous exposent à ce risque.
Ces méthodes étaient de plus peu propices à une bonne gestion, comme en conviendra d'ailleurs, ici même, votre collègue M. le sénateur Louis Althapé, en juin 1994 : « Une fermeture échelonnée de la chasse aux gibiers d'eau et aux oiseaux de passage ne correspond pas à une bonne gestion de ces espèces non menacées. De plus, cette fermeture échelonnée générerait de nombreux conflits et des recours qui, une fois de plus, créeraient un climat insupportable. » On ne peut être plus clair !
Cette méthode conduisait à admettre qu'une partie des oiseaux en migration prénuptiale puisse ne pas être protégée. Elle a été reprise sous forme de recommandations par le comité d'adaptation de la directive « oiseaux », dit comité ORNIS. Sans attendre qu'une modification de la directive valide ces recommandations, le Gouvernement a incité les préfets à en tenir compte dans la fixation des dates de clôture.
Le 19 janvier 1994, la Cour de justice des Communautés européennes réaffirmait l'obligation d'une protection complète des oiseaux migrateurs pendant la période de migration prénuptiale et condamnait la France pour n'avoir pas tenu compte de cette obligation.
En avril 1994, le Gouvernement essayait, en vain, d'obtenir une modification de la directive en intervenant auprès de la Commission européenne et du Conseil des ministres. Le Parlement français voulut mettre un terme aux contentieux et anticiper sur une éventuelle modification de la directive. Il adoptait, le 15 juillet 1994, la loi dite « loi Lang ».
Comme le déclarait alors à l'Assemblée nationale ma collègue Ségolène Royal, il s'agissait de fixer par la loi des dates de période de chasse relevant du domaine réglementaire. Elle précisait que la proposition était en contradiction avec la directive « oiseaux », et avec l'interprétation qu'en avait donnée la Cour de justice des Communautés européennes. Elle déclarait : « Le droit communautaire n'est donc pas respecté. Le vote par le Parlement français de la proposition de loi constituera une pression exercée sur le Parlement européen en anticipant sur une modification non encore acquise de la directive. Elle est, en fait, destinée à priver les associations pour la protection de la nature du bénéfice de l'arrêt de la Cour de justice qui leur a donné raison. C'est si vrai que le Gouvernement n'a pas osé présenter lui-même un texte, mais il a invité un parlementaire à déposer une proposition de loi. »
Les prévisions de Ségolène Royal se sont vérifiées. Mais la pression exercée sur le Parlement européen a eu l'effet inverse de celui qui était attendu. Le 15 février 1996, le Parlement européen adoptait le rapport vanPutten qui concluait à la nécessité d'une fermeture unique de la chasse aux oiseaux migrateurs le 31 janvier.
Cette rigidité, vous l'aurez noté, est discutable et d'ailleurs discutée, mais il est difficile d'invoquer ici la subsidiarité, qui, par nature - je l'ai expliqué tout à l'heure -, s'adresse à des espèces d'oiseaux migrateurs qui ne dépendent d'aucun pays particulier.
De plus, l'adoption de la loi du 15 juillet 1994 n'a pas amoindri les contentieux, ce qui a conduit les promoteurs du texte que nous examinons à vouloir rigidifier le système et à s'écarter un peu plus encore du droit communautaire. Ce n'est certainement pas le meilleur moyen de s'en sortir...
En effet, les condamnations et les mises en demeure sont en nombre croissant : 23 des 38 arrêtés préfectoraux fixant les dates de clôture de chasse au gibier migrateur au-delà du 31 janvier attaqués ont été annulés par des tribunaux administratifs ; 65 arrêtés ministériels d'ouverture anticipée de la chasse au gibier d'eau sur 68 arrêtés attaqués ont été annulés par le Conseil d'Etat.
La France est sous le coup, d'une part, d'une mise en demeure de la Commission européenne pour non-transposition de la directive « oiseaux » et, d'autre part, d'un avis motivé complémentaire après une condamnation en 1988 pour protection insuffisante de diverses espèces d'oiseaux, dont certaines sont migratrices. Une condamnation définitive, avec une forte sanction pécuniaire en application de l'article 171 du traité européen, semble maintenant inéluctable si la France ne donne pas satisfaction aux requêtes de la Commission européenne.
En ce qui concerne la fixation des périodes de chasse aux oiseaux migrateurs et, d'une manière plus générale, les problèmes liés à l'application de la directive « oiseaux », j'ai fait valoir à Ritt Bjerregaard, commissaire européen à l'environnement, qu'il était nécessaire d'ouvrir des discussions sur une proposition d'adaptation de la directive « oiseaux ».
C'est que, voyez-vous, l'idée d'un plan de gestion ne me choque pas.
M. Roland du Luart. Encore heureux !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. La commissaire m'a répondu en décembre dernier que si la prochaine présidence de l'Union européenne était prête à proposer la réouverture des débats sur la directive, elle serait disposée, dans la perspective d'un compromis équitable, à envisager une solution qui assure un bon état de conservation des espèces concernées pour la fixation des dates de fermeture de la chasse. Je suis prête à entamer des discussions avec la Commission.
Cela étant, on ne peut oublier les contentieux communautaires en cours. Il apparaît donc peu réaliste de vouloir traiter avec la Commission tant qu'ils ne seront pas éteints.
Vous avez souhaité, madame Heinis, évoquer le rapport sur l'application de la loi du 15 juillet 1994 qualifiant d'incompréhensible et de dangereux le comportement du Gouvernement que vous suspectez de s'être laissé entraîner volontairement dans un conflit - un de plus - avec la Commission.
Ce rapport, il faut le savoir, aurait dû être remis au Parlement par le Gouvernement précédent en juillet 1996. S'il ne l'a pas été, c'est à lui qu'il faut en faire grief. Mon ministère n'avait bien entendu pas les moyens de réaliser en six mois ce qui ne l'avait pas été en deux ans.
Une première version de ce rapport m'a été proposée par mes services à la fin du mois de décembre. La version définitive sera vraisemblablement prête en février et elle sera alors adressée au Parlement.
La Commission nous a fait grief de ne pas lui avoir transmis ce rapport. Nous aurions certes pu lui adresser les éléments préliminaires ; nous nous serions alors exposés à la critique de ne pas avoir réservé, comme il est normal, la primeur de ce rapport au Parlement français.
Quant aux rapports de l'Office national de la chasse et du Muséum national d'histoire naturelle, il faut savoir que s'ils répondaient en partie aux questions posées, celui du Muséum allait très au-delà de ce qui nous était demandé. Par ailleurs, ces rapports étaient contradictoires. Il me semble qu'il était donc difficile d'exposer à la Commission les divergences des experts français en la matière.
L'adoption de la loi du 15 juillet 1994 a été un chiffon rouge pour le Parlement européen et pour la Commission. Un nouveau texte allant dans le même sens aura le même effet. C'est que, voyez-vous, la patience de la Commission et de la commissaire à l'environnement est singulièrement émoussée après vingt ans, ou presque, de manoeuvres dilatoires, de négociations ardues, de promesses non tenues.
Il serait vain pour mon ministère de vouloir dialoguer avec la Commission en venant avec des lois votées par le Parlement français qui seraient en contradiction avec l'esprit et la lettre de la directive « oiseaux ». Une fois de plus, je dois répéter qu'avec les oiseaux migrateurs nous devons penser européen, international. La mise en place de plans de gestion coordonnés à l'échelle européenne pour le gibier migrateur, telle qu'elle a été proposée lors du vote du rapport van Putten au Parlement européen, est une piste à explorer.
Je veux enfin rappeler aux membres du groupe socialiste que, lors de l'adoption de la loi du 15 juillet 1994, leur groupe à l'Assemblée avait souligné qu'il n'acceptait cette loi qu'à la condition qu'elle soit transitoire. Il n'était pas question qu'elle soit un geste contre l'Europe et, surtout, une renonciation à la solution pérenne qu'il était indispensable de mettre en place.
La voie européenne, déclarait leur représentant, est donc certainement celle de la sécurité ; elle est celle de la durée. Quant à ceux qui défendent une exception française, qui déplorent, comme M. de Luart, que le Gouvernement français « abdique devant les institutions communautaires »,...
M. Philippe François. C'est vrai !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. ... je les renvoie aux propos tenus par le Président de la République lors de la présentation de ses voeux, le 31 décembre 1997 : « Et puis il y a l'Europe. Cette Europe qu'après d'autres, et avec d'autres, je contribue à bâtir. (...) Il n'y a pas d'exception française qui nous permettrait de nous soustraire aux règles qui valent pour les autres. »
M. Philippe François. L'un n'empêche pas l'autre !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. C'est parce que le Gouvernement croit à la construction européenne, c'est parce qu'il pense que la discussion permet l'évolution et l'amélioration qu'il ne peut pas accepter la proposition de loi de la commission en l'état. Une idée comme celle des plans de gestion va pourtant dans le bon sens, notamment pour le maintien et la restauration de la qualité des milieux et le suivi des effectifs des populations.
Pour avoir travaillé au Parlement européen, je sais l'importance de l'action à mener pour que les institutions européennes ne financent pas des opérations aboutissant à la destruction des milieux. Le groupe auquel j'ai appartenu y a consacré beaucoup d'énergie, avec d'autres, ainsi qu'au soutien à des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement. Nous savons que ce point est également très important pour le sujet qui nous occupe aujourd'hui.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est la promotion d'une chasse raisonnable et durable que, m'a-t-il semblé, vous appelez de vos voeux. C'est aussi comme cela que je conçois les choses.
J'ai bien entendu l'argumentation passionnée, toute empreinte de la tradition rurale du Sud-Ouest, de Jean-Louis Carrère, qui a manifesté son attachement à la chasse de l'Ouest et la légère tendance à l'exagération que l'on prête parfois aux gens du Sud.
Il n'est pas question, monsieur le sénateur, d'opposer ici les chasseurs et les protecteurs des oiseaux, les ruraux et les citadins, ni même les modernes et les traditionnels. Il n'est même pas question d'appeler à une énième table ronde, d'une part, parce que la concertation est la règle depuis toujours et que les chasseurs participent déjà à l'élaboration des règles qui encadrent la chasse, à tous les niveaux, national, régional et départemental, en particulier au sein des conseils départementaux de la chasse et de la faune sauvage et, d'autre part, parce qu'il est hautement improbable que, sur cette question, nous puissions jamais nous vanter d'avoir trouvé la solution miracle.
Il n'existe pas de solution permettant de trancher définitivement ce débat et d'inscrire dans notre droit « la » solution. J'ai d'ailleurs donné tout à l'heure des exemples montrant qu'une solution intelligente serait celle qui se rapprocherait le plus possible du terrain et des contextes locaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris, pour tous les motifs que j'ai exposés, le Gouvernement ne peut soutenir les propositions que vous avez formulées.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.

Article unique



M. le président.
« Article unique. - L'article L. 224-2 du nouveau code rural est ainsi rédigé :
« Art. L. 224-2. - Nul ne peut chasser en dehors des périodes d'ouverture de la chasse fixées par l'autorité administrative.
« Les dates d'ouverture anticipée et de clôture temporaire de la chasse des espèces de gibier d'eau sont fixées ainsi qu'il suit sur l'ensemble du territoire métropolitain, à l'exception des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.



AUTRES TERRITOIRES






DÉPARTEMENT


DOMAINE PUBLIC MARITIME

Canards de surface et limicoles

Autres espèces
Ain . Premier dimanche de septembre. Premier dimanche de septembre.
Aisne . Quatrième dimanche de juillet. Deuxième samedi d'août.
Allier . Deuxième dimanche d'août. Troisième dimanche d'août.
Ardèche .

15 août. Nette rousse : ouverture générale.

15 août.
Ardennes . 15 août. 15 août.
Aube . Premier samedi d'août. Troisième samedi d'août.
Aude Troisième dimanche d'août. . .
Bouches-du-Rhône 15 août.
15 août. Nette rousse : ouverture générale.
15 août.
Calvados Troisième samedi de juillet. Quatrième dimanche de juillet. Premier dimanche d'août.
Charente-Maritime Troisième samedi de juillet . .
Cher . Premier samedi d'août. Premier samedi d'août.
Haute-Corse .
15 août. Nette rousse : 1er septembre
15 août.
Corse-du-Sud .
15 août. Nette rousse : 1er septembre
15 août.
Côte d'Or . 15 août. Quatrième samedi d'août.
Côtes-d'Armor Quatrième dimanche d'août. Quatrième dimanche d'août. Quatrième dimanche d'août.
Eure Troisième samedi de juillet
Troisième samedi de juillet pour le Marais Vernier. Quatrième samedi pour le reste du département.
Premier samedi d'août.
Eure-et-Loir . Deuxième samedi d'août. Deuxième samedi d'août.
Finistère Quatrième dimanche d'août. Quatrième dimanche d'août. Quatrième dimanche d'août.
Gard .
Quatrième dimanche de juillet. Nette rousse : ouverture générale.
Premier dimanche d'août.
Haute-Garonne . 15 août. 15 août.
Gironde Troisième samedi de juillet. Premier samedi d'août. Deuxième samedi d'août.
Hérault Troisième samedi de juillet.
Quatrième dimanche de juillet. Nette rousse : ouverture générale.
Premier dimanche d'août.
Ille-et-Vilaine
Troisième samedi de juillet. 1er septembre dans la vallée de la Rance.
Troisième samedi d'août. Troisième samedi d'août.
Indre .
15 août. Clôture temporaire : 15 septembre.

15 août. Clôture temporaire : 15 septembre.
Indre-et-Loire .
Troisième dimanche d'août. Clôture temporaire : 15 septembre.

Troisième dimanche d'août. Clôture temporaire : 15 septembre.
Landes Troisième samedi de juillet. Premier samedi d'août. Deuxième samedi d'août.
Loir-et-Cher . Premier samedi d'août. Premier samedi d'août.
Loire . Troisième dimanche d'août. Troisième dimanche d'août.
Loire-Atlantique Troisième dimanche de juillet. Troisième dimanche de juillet.
Foulque : troisième dimanche de juillet. Autres espèces : premier dimanche d'août.
Loiret . Premier samedi d'août. Premier samedi d'août.
Lot-et-Garonne .
Colvert : ouverture générale. Autres espèces : quatrième dimanche d'août.
Quatrième dimanche d'août.
Maine-et-Loire . 15 août. 15 août.
Manche Troisième dimanche de juillet. Quatrième dimanche de juillet. Premier dimanche d'août.
Marne . Premier samedi d'août. Troisième samedi d'août.
Haute-Marne . Deuxième dimanche d'août. Troisième dimanche d'août.
Mayenne . 15 août. 15 août.
Meurthe-et-Moselle . Deuxième dimanche d'août. Quatrième dimanche d'août.
Meuse . Deuxième dimanche d'août. Quatrième dimanche d'août.
Morbihan Quatrième dimanche d'août.
Colvert : du quatrième dimanche de juillet au premier dimanche d'août. Autres espèces : quatrième dimanche d'août.
Quatrième dimanche d'août.
Nièvre . Premier samedi d'août. Premier samedi d'août.
Nord Troisième samedi de juillet. Quatrième samedi de juillet. Premier samedi d'août.
Oise . Quatrième samedi de juillet. Premier samedi d'août.
Orne .
Premier samedi d'août. Premier dimanche d'août sur les communes de Bellou-en-Houlme et Briouze.
Troisième samedi d'août.
Pas-de-Calais Troisième samedi de juillet. Quatrième samedi de juillet. Premier samedi d'août.
Puy-de-Dôme . Quatrième dimanche d'août. Quatrième dimanche d'août.
Pyrénées-Atlantiques Troisième samedi de juillet. Troisième samedi d'août. Troisième samedi d'août.
Hautes-Pyrénées . Troisième samedi d'août. Troisième dimanche d'août.
Pyrénées-Orientales Troisième dimanche d'août. . .
Rhône . Troisième dimanche d'août. Troisième dimanche d'août.
Haute-Saône . 15 août. Quatrième samedi d'août.
Saône-et-Loire . Deuxième dimanche d'août. Troisième dimanche d'août.
Sarthe . Troisième samedi d'août. Troisième samedi d'août.
Paris . Deuxième samedi d'août .
Seine-Maritime Troisième samedi de juillet. Quatrième samedi de juillet. Premier samedi d'août.
Seine-et-Marne . Deuxième samedi d'août. Troisième samedi d'août.
Yvelines . Deuxième samedi d'août. Troisième samedi d'août.
Deux-Sèvres . 15 août. Premier dimanche de septembre.
Somme Troisième samedi de juillet. Quatrième samedi de juillet. Premier samedi d'août.
Tarn .
Colvert : 15 août. Autres espèces : ouverture générale.
.
Vendée Dernier dimanche d'août. Dernier dimanche d'août. Dernier dimanche d'août.
Vosges . Deuxième dimanche d'août. Quatrième dimanche d'août.
Yonne . 15 août. 15 août.
Territoire de Belfort . Quatrième dimanche d'août. Quatrième dimanche d'août.
Essonne . Deuxième samedi d'août. Troisième samedi d'août.
Hauts-de-Seine . Deuxième samedi d'août. .
Seine-Saint-Denis . Deuxième samedi d'août. .
Val-de-Marne . Deuxième samedi d'août. .
Val-d'Oise . Deuxième samedi d'août. Troisième samedi d'août.


« Pour les espèces de gibier d'eau et d'oiseaux de passage, sur l'ensemble du territoire métropolitain, à l'exception des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, les dates de clôture sont les suivantes :
« - canard colvert : 31 janvier ;
« - fuligule milouin, fuligule morillon, vanneau huppé : 10 février ;
« - oie cendrée, canard chipeau, sarcelle d'hiver, sarcelle d'été, foulque, garrot à oeil d'or, nette rousse, pluvier doré, chevalier gambette, chevalier combattant, barge à queue noire, alouette des champs : 20 février ;
« - autre espèces de gibier d'eau et d'oiseaux de passage : dernier jour du mois de février ;
« Pour assurer une exploitation équilibrée et dynamique des espèces d'oiseaux ne bénéficiant pas d'un statut de conservation favorable et chassées entre le 31 janvier et le dernier jour du mois de février, il est institué des plans de gestion.
« Les plans de gestion visent à maintenir ou à rétablir les espèces concernées dans un état favorable de conservation. Ils sont fondés sur l'état récent des meilleures connaissances scientifiques et sur l'évaluation des prélèvements opérés par la chasse.
« Les plans de gestion comprennent notamment et en tant que de besoin les dispositions suivantes :
« - encouragement aux mesures de sauvegarde des biotopes,
« - établisements de réserves de chasse et de faune sauvage,
« - indication de zones interdites à la chasse,
« - suspension de la chasse en cas de calamités graves,
« - fixation d'heures de chasse,
« - instauration du poste fixe pour la chasse de certains gibiers,
« - mise en oeuvre de quotas de prélèvement,
« - limitation de la vente, de l'offre aux fins de vente et de toute activité commerciale,
« - mise en oeuvre d'un système de recherche et de suivi des espèces concernées. »
Par amendement n° 1 rectifié, M. du Luart propose de remplacer les douze derniers alinéas du texte présenté par cet article pour l'article L. 224-2 du nouveau code rural par trois alinéas ainsi rédigés :
« Cet échelonnement des dates de fermeture entre le 31 janvier et le dernier jour du mois de février vise à assurer l'exploitation équilibrée et dynamique des espèces d'oiseaux concernées. Toutefois, pour les espèces ne bénéfiant pas d'un statut de conservation favorable et chassées pendant cette période, des plans de gestion sont institués.
« Ces plans visent à contrôler l'efficacité de l'échelonnement des dates de fermeture. Ils contribuent également à rétablir ces espèces dans un état favorable de conservation. Ils sont fondés sur l'état récent des meilleures connaissances scientifiques et sur l'évalutation des prélèvements opérés par la chasse.
« Les modalités d'élaboration de ces plans de gestion sont déterminées par arrêté ministériel après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage. »
La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Cet amendement vise à harmoniser le dispositif des dates d'échelonnement avec la mise en oeuvre de plans de gestion. Il tend également à préciser les modalités d'élaboration de ces plans.
Ainsi, nous reprenons, sur le fond, la proposition de la commission s'agissant de l'institution de plans de gestion pour les espèces chassables au-delà du 31 janvier et qui ne bénéficieraient pas d'un statut favorable.
Nous souhaitons également, par ce dispositif, assurer l'exploitation dynamique des espèces concernées.
Nous pensons, enfin, que les plans de gestion permettront notamment de contrôler l'efficacité de l'échelonnement des dates de fermeture sur le niveau des populations d'oiseaux. Cette précision nous paraît essentielle.
Tel est, monsieur le président, l'esprit de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne Heinis, rapporteur. Cet amendement reprend sur le fond la proposition de la commission s'agissant de l'institution des plans de gestion pour les espèces chassées au-delà du 31 janvier et ne bénéficiant pas d'un statut favorable.
De plus, il réaffirme dans le premier alinéa l'objet du dispositif d'échelonnement des dates de fermeture, qui vise à assurer une exploitation dynamique des espèces concernées.
Il précise que ces plans de gestion permettront notamment de contrôler l'efficacité de l'échelonnement des dates de fermeture sur le niveau des populations d'oiseaux, et cette précision est utile.
Enfin, plutôt que d'énumérer les différentes mesures qui pourraient être arrêtées dans ces plans de gestion pour assurer une meilleure conservation de ces espèces, l'amendement prévoit que les modalités d'élaboration de ces plans seront déterminées par arrêté ministériel après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage.
Cette proposition est plus conforme à notre ordonnancement juridique, qui veut que la loi fixe les objectifs et les principes en laissant au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les moyens. Ces moyens vont varier selon les espèces considérées et pourront faire l'objet d'une application spécifique selon tel ou tel département. Il est plus sage de permettre une application souple du principe des plans de gestion introduit par notre texte.
De plus, ce texte prévoit expressément - ce dont je me réjouis - la consultation des organismes compétents en matière de chasse à travers le Conseil national de la chasse et de la faune sauvage.
La consultation de l'Office national de la chasse est de droit, puisqu'il s'agit d'un établissement public administratif.
Je rappellerai, enfin, les principales mesures énumérées initialement dans la proposition de la commission et qui pourront donc, en tant que de besoin, être décidées par voie réglementaire après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage.
Il s'agit de l'encouragement aux mesures de sauvegarde des biotopes, de l'établissement de réserves de chasse, de la création de zones interdites à la chasse, de la fixation d'heures de chasse, de l'instauration du poste fixe pour la chasse de certains gibiers et de la mise en oeuvre de quotas de prélèvements, ces mesures pouvant être diversement utilisées selon les besoins et non pas automatiquement.
J'indiquerai également que des mesures de gestion spécifiques aux oiseaux migrateurs sont d'ores et déjà en vigueur dans la quasi-totalité des départements. Elles sont mises en oeuvre par les préfets sur l'initiative des chasseurs.
Ainsi, la pratique du prélèvement maximum autorisé, PMA, se retrouve dans la réglementation locale de la chasse, puisque trente-cinq départements y souscrivent pour la saison 1997-1998. Cela concerne les bécasses, les grives et, dans une moindre mesure, les oiseaux d'eau.
Par ailleurs, la règle du poste fixe s'impose dans presque tous les départements pour la chasse de certains oiseaux de passage - pigeon ramier ou palombe, grive, alouette. Le poste fixe est obligatoire soit après la date de fermeture générale de la chasse, soit à compter du mois de janvier.
De très nombreux départements appliquent des limitations horaires pour le gibier d'eau et les oiseaux de passage. C'est le cas dans mon département.
Enfin, l'obligation de ne chasser la bécasse que dans les bois de plus de trois hectares après la fermeture générale ou après le début ou la mi-janvier jusqu'au 28 février constitue une règle très répandue.
Ces accords sont élaborés par les chasseurs, et je peux certifier que ce système fonctionne très bien dans le département que je représente, la Manche, où il est mis en pratique depuis déjà de nombreuses années.
La commission a donc donné un avis favorable à l'amendement n° 1 rectifié, qui me semble très heureusement compléter la proposition de loi.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi que je l'ai expliqué, je suis opposée au principe même de cette proposition de loi ; je ne souhaite donc pas me prononcer sur le contenu de tel ou tel amendement ni même en demander le retrait.
M. le président. Madame la ministre, il n'y a que trois possibilités : ou le Gouvernement est défavorable, ou il est favorable, ou il s'en rapporte à la sagesse du Sénat. Il faut que vous formuliez l'une de ces trois réponses.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Disons alors que l'avis du Gouvernement est défavorable, monsieur le président.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1 rectifié.
M. Philippe François. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. François.
M. Philippe François. Dans cet amendement, il est précisé que les modalités d'élaboration des plans de gestion sont déterminées par arrêté ministériel après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage. Cela répond parfaitement au souhait exprimé par Mme le ministre tout à l'heure à la tribune de délocaliser la responsabilité des opérations de chasse.
En l'occurrence, le ministre compétent pourra parfaitement donner aux préfets la responsabilité des choix.
Une fois le texte adopté, la décision appartiendra au ministre et non plus au Parlement.
Par conséquent, la question qui vous préoccupait, madame le ministre, est à mon avis résolue.
M. Jacques Habert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Je comprends mal, monsieur le président, l'opposition de Mme le ministre. En effet, cet amendement, extrêmement modéré, complète fort heureusement, me semble-t-il, la proposition de loi.
Dans la ligne de la proposition de loi, il vise avant tout à assurer la protection des oiseaux migrateurs - des palombes, en particulier - pour faire en sorte que leur nombre ne diminue pas ; en même temps, il prévoit certaines restrictions dans certaines conditions.
Mais il ne touche pas à vos prérégatives, madame le ministre, dans la mesure où vous resterez maîtresse des plans de chasse, puisque leurs modalités seront déterminées par un arrêté ministériel, après consultation du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage.
M. Philippe François. Avec possibilité de délégation, si elle le souhaite !
M. Jacques Habert. Par conséquent, nous ne voyons pas en quoi il irait à l'encontre de vos convictions. Il me paraît un peu rapide de dire simplement, pour une question de principe, que vous êtes contre ; un examen plus approfondi serait peut-être nécessaire.
Pour notre part, de ce côté-ci de l'hémicycle, nous voterons l'amendement n° 1 rectifié.
M. Jean-Louis Carrère. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Bien évidemment, logique avec moi-même, je ne voterai pas contre l'amendement n° 1 rectifié. Il me serait, en effet, difficile de souscrire philosophiquement et objectivement à l'élaboration des plans de gestion et de m'opposer immédiatement après à la méthode qui permet de les mettre en place.
Je suis toutefois un peu étonné que M. du Luart nous demande de nous associer à l'élaboration d'un texte de cette importance après avoir balayé d'un revers de main une proposition de loi que nous considérions comme plus complète et susceptible d'obtenir des effets au moins identiques sinon meilleurs.
Compte tenu de la manière dont je me suis exprimé tout à l'heure, je croyais que vous m'auriez entendu, mon cher collègue.
Dans ces conditions, nous nous abstiendrons sur le vote de l'amendement.
M. Roland du Luart. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Je ne peux pas laisser sans réponse les propos que vient de tenir M. Carrère.
Mes chers collègues, le groupe « Chasse et pêche » a travaillé en liaison étroite avec les instances représentatives de la chasse française.
Celles-ci considérant qu'il y avait urgence en matière de gibier migrateur, nous avons déposé une proposition de loi relative aux dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse des oiseaux migrateurs. Nous l'avons fait, je le répète, en liaison avec le groupe « Chasse et pêche », mais aussi en concertation avec notre collègue Michel Charasse.
Par ailleurs, j'ai déposé une proposition de loi n° 385 portant sur l'organisation de la chasse en France.
C'est dans le cadre de la discussion de ce dernier texte que seront examinées les propositions fort pertinentes qu'a formulées notre collègue Lefebvre et que nous nous emploierons notamment à verrouiller les attaques dirigées contre les associations de chasse communales agréées, les ACCA, vous avez eu raison, mon cher collègue, de dire qu'il fallait être vigilant sur ce point.
En tout cas, je ne comprends pas qu'après avoir adopté le présent texte en commission vous ayez une position différente aujourd'hui en séance publique. A moins que ce ne soit sur ordre du Gouvernement ! Mais je n'ose pas envisager une telle hypothèse.
M. Jean-Louis Carrère. Je n'ai pas l'habitude de recevoir d'ordre !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, l'article unique.

(L'article unique est adopté.)

Articles additionnels après l'article unique



M. le président.
Par amendement n° 2, M. Lefebvre et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article unique, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le deuxième alinéa de l'article L. 224-4 du code rural est ainsi rédigé :
« Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la chasse, la capture, la prise de certains oiseaux de passage en quantité raisonnable, le ministre de la chasse, après avis des instances nationales de la chasse et des représentants d'associations nationales de chasseurs traditionnels de migrateurs, autorise, dans les conditions qu'il détermine, l'utilisation des modes et moyens de chasse consacrés par les usages traditionnels, dérogatoires, à ceux autorisés par l'alinéa précédent à condition que la ou les dérogations ne nuisent pas à la survie de la population et du cheptel concerné. »
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. L'amendement que nous proposons vise essentiellement deux objectifs.
Il s'agit, tout d'abord, de trouver un équilibre entre la préservation de la pratique de la chasse traditionnelle, d'une part, et la nécessaire protection des espèces d'oiseaux migrateurs, d'autre part.
Notre opinion est que le respect des usages coutumiers de la chasse ne constitue en rien une menace pour la reproduction des espèces de migrateurs.
Au contraire, la chasse traditionnelle, dès lors qu'elle est rationnelle et raisonnable, garantit la survie des populations de migrateurs. C'est donc aux conditions de sa pérennité qu'il faut réfléchir et non à sa remise en cause. Le rôle du législateur est de donner à la chasse traditionnelle les moyens d'exister dans un cadre juridique clair, simple et transparent.
Ensuite, il convient d'associer les instances nationales de la chasse ainsi que les associations de chasseurs aux décisions du ministre chargé de la chasse. Les chasseurs doivent participer à l'élaboration des règles de chasse. Il ne s'agit pas de leur dire, comme j'ai cru l'entendre dans les propos de Mme la ministre : « Si vous êtes sages et gentils, tout ira mieux ».
Je le répète, une règle est d'autant mieux appliquée qu'elle est légitime, comprise et acceptée de tous.
En adoptant nos propositions, nous contribuerons à responsabiliser les chasseurs et à démocratiser le processus décisionnel.
J'ajouterai enfin que les prérogatives du ministre chargé de la chasse en matière d'utilisation des techniques de chasse traditionnelle ne sont en aucune façon remises en cause par cet amendement, qui répond, me semble-t-il, au souhait que Mme la ministre, malgré toutes ses réserves, a exprimé tout à l'heure dans son intervention.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne Heinis, rapporteur. Cet amendement reprend une partie du dispositif de la proposition de loi n° 135 déposée par nos collègues communistes et que la commission n'a pas cru devoir adopter en décembre dernier, non pas pour des raisons de principe, mais parce que nous estimions qu'il fallait la portée de la présente proposition de loi à des objectifs extrêmement précis.
Je souscris tout à fait aux propos que notre collègue vient de tenir, comme à ceux qu'a émis M. Jean-Louis Carrère.
Cela étant, la commission a estimé que le traitement de la chasse traditionnelle, qu'il sera particulièrement important d'étudier ultérieurement, relevait plus d'une loi générale sur la chasse, dont l'examen, je l'espère, sera inscrit le plus rapidement possible à notre ordre du jour, que d'une loi limitée à la fixation des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux migrateurs et au gibier d'eau. La commission des affaires économiques s'était fixé pour but de franchir une étape et de permettre, par la transposition de la directive, l'ouverture de négociations avec la Commission européenne.
M. Roland du Luart. Tout à fait !
Mme Anne Heinis, rapporteur. Nos collègues ne doivent donc pas prendre ombrage du fait que les problèmes qui les préoccupent à juste titre ne sont pas traités aujourd'hui. Si nous ne procédions pas par étape, nous n'aurions que bien peu de chances d'éviter les contentieux et de rouvrir avec la Commission européenne les négociations que nous semblent nécessaires.
Je regrette beaucoup que nos collègues ne jugent pas opportun de voter le texte que je défends ce soir. Quoi qu'il en soit, je serai présente lors de la discussion du texte portant sur l'organisation de la chasse. A ce moment-là, les problèmes qu'ils ont soulevés et qui revêtent une grande importance sur le plan culturel pourront être traités.
La directive précisant d'ailleurs que l'on peut et même que l'on doit prendre en compte l'aspect culturel de certaines pratiques de chasse, nous pourrons les aborder alors de façon plus positive, et cela dans la concertation.
M. Philippe François. Très bien !
Mme Anne Heinis, rapporteur. J'en reviens à l'amendement n° 2, qui vise à conforter la pratique des chasses traditionnelles en France.
Comme je l'ai expliqué, il ne semble pas que les modifications que ses auteurs proposent constituent véritablement des améliorations, d'autant que le texte issu de la loi du 30 décembre 1988 a permis, dans le domaine qui nous occupe aujourd'hui, de préserver dans des conditions convenables certains modes de chasse traditionnels tels que le gluau en Provence, la tenderie aux grives dans les Ardennes ou encore la chasse au filet pour les tourterelles.
Il est intéressant de noter que, dans deux arrêts du 16 novembre 1992, le Conseil d'Etat a jugé que cet article L. 224-4 du code rural ne méconnaissait pas l'article 9 de la directive sur les oiseaux sauvages, qui, sous certaines conditions, autorise les chasses traditionnelles.
Je signale en outre que les défenseurs des chasses traditionnelles sont représentés au Conseil national de la chasse et de la faune sauvage par l'intermédiaire des présidents des fédérations de chasse des départements où se pratiquent ces modes de chasse. Il n'y a donc pas lieu de prévoir dans un texte législatif la représentation de telle association plutôt que de telle autre.
Si les fédérations estiment que leur représentation est insuffisante, elles pourront saisir l'occasion de l'examen du futur texte sur la chasse pour demander que cette question soit examinée en concertation avec elles ; elles pourront peut-être alors faire des propositions.
Bref, il ne nous a pas semblé justifié de modifier la rédaction actuelle de l'article L. 224-4 du code rural, et je serais particulièrement heureuse que mes collègues acceptent de retirer leur amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Comme je l'ai indiqué précédemment, et bien que je sois critique et même hostile à son principe, je dois dire que la conformité du texte de l'article L. 224-4 du code rural, qui encadre l'exercice des chasses traditionnelles, avec les dispositions de la directive « oiseaux » a été confirmée par la Cour de justice des Communautés européennes.
Il me semble inopportun de modifier une rédaction consensuelle et de prendre le risque de remettre en cause l'exercice de ces chasses, notamment en substituant la notion de « quantité raisonnable » à celle de « petite quantité », qu'on retrouve à la fois dans la loi et dans la directive.
Il ne me semble donc ni justifié ni souhaitable de réformer un dispositif qui a fait l'objet d'une très large consultation au moment de son élaboration il y a dix ans.
Monsieur Lefebvre, je vous suggère donc, moi aussi, de retirer l'amendement n° 2.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Jacques Habert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. De toute évidence, ce qu'a dit Mme le ministre est la logique même et j'espère que notre collègue retirera son amendement.
En tout état de cause, la majorité de cette assemblée votera contre cet amendement, comme nous le recommandent le commission et Mme le ministre, que nous remercions d'avoir adopter cette position.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 3, M. Lefebvre et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article unique, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 224-6 du code rural est ainsi rédigé :
« Art. L. 224-6. - La mise en vente, l'achat, le transport ou le colportage du gibier sédentaire pendant le temps où la chasse n'est pas permise dans le département sont réglementés par l'autorité administrative. Il en sera de même pendant le temps où la chasse y est permise. Sur tout le territoire français, il est interdit en toutes saisons, en tout temps, de vendre, d'acheter, d'importer ou d'exporter tout oiseau migrateur, vivant ou mort, classé gibier. »
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. C'est encore dans le souci de moraliser la chasse que nous avons déposé cet amendement.
Alors que, dans ma région, les chasseurs de canards sont menacés d'être traînés en justice, des canards colverts sont régulièrement abattus en Hollande.
De même, les tourterelles et les ortolans, qui sont protégés en Aquitaine, sont abattus au Maroc ou au Sénégal.
Cependant, dans un élan de générosité et parce que je ne veux pas être accusé d'être un « anti-salmis de palombe », j'ai décidé de retirer cet amendement.
M. Philippe François. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 3 est retiré.

Intitulé



M. le président.
La commission des affaires économiques propose de rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi : « Proposition de loi relative aux dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse des oiseaux migrateurs. »
J'avoue, bien que je sorte ainsi de mon rôle, que l'article « des » m'étonne. Ne doit-on pas plutôt dire : la chasse « aux » oiseaux migrateurs ?
M. Jean-Louis Carrère. Vous avez raison : les oiseaux ne chassent pas !
M. le président. C'est ce qu'il me semble. On dit : la chasse « à » la bécasse.
La commission souhaite-t-elle modifier la rédaction de cet intitulé ?
Mme Anne Heinis, rapporteur. C'est une coquille, monsieur le président, et la commission souhaite évidemment la corriger.
M. le président. La commission des affaires économiques propose donc de rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi : « Proposition de loi relative aux dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse aux oiseaux migrateurs. »
Il n'y a pas d'opposition ?...
L'intitulé de la proposition de loi est donc ainsi rédigé.

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. du Luart, pour explication de vote.
M. Roland du Luart. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je veux rappeler devant la Haute Assemblée que le groupe « Chasse et pêche » s'est engagé - et il tiendra ses engagements - à examiner, à fin d'expertise, les amendements du groupe communiste républicain et citoyen dans un esprit de consensus : voilà vingt ans que je suis parlementaire et quinze ans que je préside le groupe « Chasse et pêche », et les textes que ce dernier a rédigé ont toujours fait l'unanimité dans cette assemblée.
Les apports du groupe communiste républicain et citoyen peuvent être très intéressants ; ils pourront alors être intégrés dans la proposition de loi n° 385.
Certes, monsieur Carrère, le groupe socialiste est libre de s'abstenir sur ce texte, mais, mon cher collègue, après la négociation que j'ai menée avec notre ami Michel Charasse, il aurait été souhaitable qu'il soit adopté à l'unanimité si nous voulons véritablement qu'il soit inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Sans l'unanimité, nous allons perdre du temps, ce que je regrette, car trop d'arrêtés d'ouverture et de fermeture risquent encore d'être cassés.
Votre attitude me surprend d'autant plus que vous avez voté ce texte en commission. Je ne comprends pas pourquoi vous émettez un vote différent en séance publique !
Je souhaite pour ma part qu'une avancée soit réalisée dans la voie de la résolution des problèmes liés à la chasse aux gibiers migrateurs et que l'on cesse de mélanger les choses.
Je me suis efforcé de parvenir à un consensus global pour éviter tout amalgame avec les élections de mars prochain. J'aurais en effet souhaité que, grâce à notre action, la chasse ne soit pas un enjeux dans ces élections, car ce n'est pas l'intérêt de la démocratie.
Si nous parvenions à un consensus dans cette assemblée, nous démontrerions à tous les chasseurs de France, qu'ils soient d'Aquitaine, de Haute-Normandie, du Centre, de la Sarthe ou d'ailleurs, la volonté du Parlement de trouver une solution à leurs problèmes.
Que des arrêtés de fermeture et d'ouverture continuent à être régulièrement cassés n'est ni sérieux ni conforme aux intérêts qui s'attachent à l'aménagement du territoire et à la nature.
Certains d'entre vous jugeront notre texte insuffisamment complet. J'ai expliqué tout à l'heure pourquoi il l'était : il a été établi en liaison avec les associations représentatives et nous avons voulu être modestes et efficaces plutôt qu'ambitieux et inefficaces.
Notre objectif est de rétablir le contact avec la Commission de Bruxelles et d'être constructifs.
Mme le ministre a dit tout à l'heure que les rapports destinés à Bruxelles n'étaient pas prêts. Je signale, madame, que le rapport de l'Office national de la chasse a été déposé à votre ministère en septembre 1996 et que le rapport du Muséum national d'histoire naturelle l'a été en février 1997 ! Il me semble que vos services aurait pu, depuis votre arrivée au Gouvernement, faire la synthèse de ces deux rapports et donc les transmettre à Bruxelles.
Pourquoi y a-t-il aujourd'hui une requête contre nous de la part de Bruxelles ? Parce que le Gouvernement n'a pas répondu à ses différentes injonctions.
Dès lors qu'on ne jouera pas double jeu avec elle, qu'on répondra à ses injonctions et qu'on instituera des plans de gestion, la Commission pourra être amenée à revoir ses positions.
Je souhaite donc très sérieusement, mes chers collègues, que nous parvenions à un consensus, dans l'intérêt de la chasse en France, car il nous faut avant tout éviter une excessive « politisation » - dans le mauvais sens du terme - du sujet.
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Nous aurions, nous aussi, souhaité aboutir à un consensus. Nous y sommes bien parvenus en ce qui concerne les dates d'ouverture anticipée, mais un certain nombre d'éléments nous semblent faire défaut dans la proposition de loi.
Ainsi, il n'est fait aucune allusion à un problème qui tient à coeur aux habitants de l'Aquitaine, dont Jean-Louis Carrère s'est très bien fait l'écho : je veux parler de la chasse aux colombidés.
Le même problème se pose, s'agissant de la chasse de nuit, pour les huttiers et les sauvaginiers de la région Nord - Pas-de-Calais.
Dans les deux cas, les chasseurs concernés demeurent aujourd'hui en infraction.
Vous comprendrez, monsieur du Luart, que notre démarche ne soit pas la même que la vôtre, même si nous nous rejoignons sur un certain nombre de points.
En ce qui nous concerne, nous pensons qu'il faut faire part à Bruxelles, une bonne fois pour toutes, de la volonté de la France d'organiser la chasse sur le fondement de textes correspondant aux besoins exprimés par les chasseurs et par tous les amoureux de la nature.
Votre démarche consiste au contraire à ne pas faire trop de vagues pour tenter de faire admettre quelques avancées. Ce n'est pas à notre sens la bonne méthode, même si Mme la ministre la qualifie de « chiffon rouge ». Je n'ai pas, en ce qui me concerne, de craintes à ce sujet !
M. Roland du Luart. Cette couleur ne vous fait pas peur en effet ! (Sourires.)
M. Pierre Lefebvre. Telle est la différence qui nous sépare.
J'ajouterai, monsieur du Luart, que nous éprouvons quelque difficulté à mêler nos voix à celles des promoteurs de cette directive, qui nous préoccupe. Il ne faudrait pas que certains oublient les responsabilités qui sont les leurs à cet égard !
Voilà pourquoi, en ce qui nous concerne, sans critiquer plus avant les conclusions du rapport de la commission des affaires économiques, nous ne voterons pas contre mais nous nous abstiendrons.
M. Roland du Luart. Les chasseurs jugeront !
M. Pierre Lefebvre. Comme vous le dites : les chasseurs jugeront !
M. le président. La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Madame la ministre, certes, le concept de « trajet migratoire » est délicat à manier ; certes, en période prénuptiale - vous avez usé d'un terme plus exact, mais il m'échappe - on doit protéger les oiseaux migrateurs afin de protéger les espèces. Mais alors, il faudrait fermer toutes les chasses ! En effet, tous ces oiseaux sont des géniteurs potentiels et, quel que soit le lieu où ils se trouvent, ils se rapprochent fatalement de leur trajet de retour, d'un trajet migratoire !
M. Roland du Luart. Il ne faut pas exagérer !
M. Jean-Louis Carrère. D'accord ! Je veux bien admettre qu'il y ait, à un moment donné, un trajet de retour. Mais je sais bien aussi que ce n'est pas sur le trajet de retour, en vol, que les oiseaux s'accouplent !
En tout cas, je ne veux pas qu'une trop longue période d'interdiction de prélèvements soit imposée. En effet, en poussant à l'extrême la logique, on en arriverait bientôt à interdire toute pratique de chasse aux oiseaux migrateurs.
Donc, faisons attention !
En revanche, madame la ministre, s'agissant de la méthode de fixation des dates d'ouverture et de fermeture, je suis plutôt tenté de dire que vos propos vont dans le bon sens.
Monsieur du Luart, vous nous parlez d'unanimité et de perte de temps. S'il est un sujet sur lequel je souhaite moi aussi qu'il y ait unanimité et que l'on ne perde pas de temps, c'est bien celui-là ! Néanmoins, vous comprendrez que je m'interroge quelque peu quand l'Union française des fédérations de chasseurs m'appelle cinq minutes avant l'examen de ces textes en séance publique... Bien que n'ayant pas participé au vote en commission, j'ai défendu au sein du groupe auquel j'appartiens la position que j'ai adoptée ici, et ce sans que cela soulève de problèmes particuliers.
Vous nous dites qu'il y a urgence. Dont acte, et je suis d'accord sur ce point. Mais, contrairement à ce que vous avez indiqué, toutes les instances n'ont pas été consultées ! En effet, l'association qui est à l'origine de la proposition de loi que vous qualifiez de « communiste » et que, pour ma part, je décris comme « présentée par les membres du groupe communiste républicain et citoyen » ...
M. Roland du Luart. Ne jouons pas sur les mots !
M. Jean-Louis Carrère. Mais les mots comptent, et la sensibilité en la matière est réelle. Par conséquent, faisons attention !
Je répète donc que cette association à l'origine de la proposition de loi présentée par les membres du groupe communiste républicain et citoyen n'a jamais fait partie des instances consultées ! Ce ne sont d'ailleurs pas les pouvoirs publics qui s'y opposent ! Les chasseurs eux-mêmes, par leur ostracisme, écartent quelquefois les bons et les mauvais chasseurs. C'est là une erreur, car, dans ce domaine, il faut que, tous ensemble, nous trouvions une méthode nous permettant de légiférer pour le bien de la chasse.
En conclusion, je dirai que nous ne nous opposerons pas à ce texte ; néanmoins, eu égard à la région que j'entends défendre, qui m'a élu et à qui je rendrai des comptes, je ne puis le voter, car il ne tient compte ni des particularismes locaux ni des chasses traditionnelles de l'Aquitaine.
M. le président. La parole est à M. François.
M. Philippe François. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'intérêt de ce texte est précisément de regrouper les deux propositions de loi déposées respectivement par M. du Luart et par M. Charasse et, en conséquence, de rassembler la totalité du Sénat. C'est l'une des raisons pour lesquelles le groupe du RPR le votera.
Je ne reviendrai pas sur le détail des propos qui ont été tenus. Je soulignerai simplement l'importance capitale de ce qu'a dit tout à l'heure M. du Luart, à l'adresse de Mme le ministre : pourquoi, en effet, le Gouvernement a-t-il mis autant de temps pour communiquer à la Commission de Bruxelles les documents exigés ?
La condamnation ne vous offrirait-elle pas indirectement une arme puissante pour faire pression sur les chasseurs, madame la ministre ? Je le crains. En tout état de cause, si l'on en arrivait à une condamnation par la Commission de Bruxelles, j'en ferais alors porter la responsabilité au Gouvernement français.
M. Jean-Louis Carrère. Lequel ?
M. Philippe François. Quoi qu'il en soit, le groupe du RPR votera les conclusions modifiées du rapport de la commission.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Je souhaite adresser des remerciements, tout d'abord, à Mme Heinis, ainsi qu'à la commission des affaires économiques et du Plan, pour l'excellent rapport qui a été présenté, et, ensuite à M. Roland du Luart, pour sa proposition de loi et pour les arguments intéressants qu'il a développés.
M. Jean-Louis Carrère. Il y a des chasseurs parmi les Français de l'étranger ? Cela fait de grandes migrations...
M. Jacques Habert. Je remercierai enfin Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, qui a compris les raisons de notre démarche.
Nous voterons, avec la majorité du Sénat, le texte issu des travaux de notre assemblée.
Mme Anne Heinis, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Anne Heinis. On ne peut dire, je crois, que nous n'avons pas assuré la défense de la chasse traditionnelle, même si nous n'avons pas traité le problème de manière exhaustive, dans la mesure où cela relève plutôt de la loi future sur la chasse.
L'article L. 224-4 du nouveau code rural a permis la reconnaissance d'un certain nombre de chasses traditionnelles. Par définition, nous sommes donc sensibles à ce problème, et nous défendons ces chasses.
Je suis personnellement tout à fait favorable à une révision réglementaire de l'article 1er de l'arrêté du 27 avril 1972 afin de permettre à l'association dont M. Lefebvre a parlé de faire partie du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage. Cela me semble même nécessaire dans la mesure où il faut, si nous voulons parvenir à une entente, que l'ensemble des grandes associations soient représentées.
Je m'adresserai maintenant à Mme le ministre : votre discours était fort habile, ce qui ne m'étonne pas. Mais si j'ai admiré l'habileté, je suis loin d'avoir approuvé la plupart des propos ! Je ne reprendrai que deux ou trois points.
En définitive, madame le ministre, tout l'objet de votre intervention était malheureusement de condamner, avec habileté certes, mais avec beaucoup d'efficacité, la chasse !
M. Philippe François. Exact !
Mme Anne Heinis, rapporteur. En fait, vous avez brocardé - on peut le dire ! - le fait que nous rigidifions le système. Or, vous savez très bien que ce n'est pas de gaieté de coeur que nous le faisons.
Vous savez également que laisser le dispositif en l'état conduirait à multiplier les sources de contentieux et, par là même, à condamner la chasse.
La fixation des dates pendant un certain temps, pour éviter les contentieux, pour se mettre en règle avec la Commission européenne et pour ne pas s'entendre reprocher de n'avoir pas procédé à la transposition constitue donc tout de même la première étape par laquelle il nous faut passer.
La solution n'est pas parfaite, j'en conviens ; mais il faut bien un début. Disons qu'elle présente l'avantage d'ouvrir la porte du futur, ce que, personnellement, je souhaite.
Notre objectif était de franchir cette étape, de supprimer les motifs de contentieux, de permettre en fait aux chasseurs de chasser comme ils l'ont toujours fait ces derniers temps et de reprendre nos négociations avec la Commission européenne.
A ce titre, j'ai eu de nombreux contacts avec la Commission ; or, madame le ministre, les propos qui m'ont été tenus - je regrette de le dire - ne sont pas exactement ceux dont vous avez fait état !
Vous savez très bien que, si nous avions fourni les deux rapports réclamés, rapports que vous avez en votre possession, tout comme moi, et qui ne sont pas aussi différents que vous avez bien voulu le dire, nous aurions eu une base de négociation. La Commission était prête à admettre que, compte tenu du changement de gouvernement, le second rapport n'était pas encore rédigé. Mais nous aurions au moins disposé d'un élément. Là, il n'y a rien, et c'est un reproche que l'on nous adresse. Par conséquent, il serait inexact de prétendre que l'on pourrait reprendre la négociation avec la Commission sans faire quoi que ce soit. En effet, il m'a bien été dit que, pour que les négociations reprennent, la Commission avait besoin de quelques éléments.
Ces documents, madame le ministre, vous ne les avez pas fournis, personnellement, je le déplore. J'estime qu'il n'est pas normal que le Gouvernement français se mette systématiquement en tort aux yeux de la Commission, alors que l'on sait pertinemment que leurs relations ne sont pas si faciles !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Il s'agissait du précédent gouvernement !
Mme Anne Heinis, rapporteur. Non, madame le ministre, ces rapports vous ont été réclamés, à vous ! Cela m'a été dit !
M. Philippe François. Le Gouvernement est permanent !
Mme Anne Heinis, rapporteur. Ces rapports étaient prêts, comme je l'ai indiqué tout à l'heure !
Je terminerai ce propos en remerciant tous mes collègues qui m'ont aidée dans la préparation de ce texte - mais il est très court, soulevait un certain nombre de difficultés - l'ensemble de la commission des affaires économiques et toutes les personnes auditionnées.
Je souhaite donc maintenant que le Gouvernement inscrive ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et que cette dernière l'adopte. Cela marquerait le début d'une excellente concertation avec les chasseurs, avec le Gouvernement, avec la Commission européenne, pour que la chasse, qui est un art noble lorsqu'elle est bien exercée, soit pratiquée en France dans de bonnes conditions, tant pour les chasseurs que pour la conservation des espèces. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifiées, les conclusions du rapport de la commission des affaires économiques sur les propositions de loi n°s 346 rectifié (1996-1997), 359 (1996-1997) et 135 (1997-1998).
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public, émanant, l'une, de la commission, l'autre, du groupe des Républicains et Indépendants.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 72:

Nombre de votants 318
Nombre de suffrages exprimés 228
Majorité absolue des suffrages 115
Pour l'adoption 228

9

TRANSMISSION
D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 222, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales.

10

DÉPÔT D'UN AVIS

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Vasselle un avis présenté au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile (n° 188, 1997-1998).
Cet avis sera imprimé sous le numéro 221 et distribué.

11

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 20 janvier 1998 :
A neuf heures trente :
1. - Questions orales sans débat suivantes :
I. - M. Rémi Herment demande à M. le ministre de la défense de bien vouloir l'éclairer sur les restructurations et compensations envisagées après le départ des régiments de Verdun : 3e RAMA, arrondissement des travaux, subsistances, dissolution du CM 62. Il apparaît en effet que les soutiens financiers et les remplacements en personne n'ont pas été compensés à la hauteur des attentes et de la dette morale de la nation à l'égard de l'agglomération verdunoise, qui traverse actuellement une situation particulièrement difficile.
Considérant également que cette situation a été largement aggravée avec la dissolution du 151e RI ;
Considérant, en outre, que sur les dossiers de compensation liés aux restructurations militaires la plus grande transparence doit être de règle ;
Considérant enfin que la professionnalisation du 2e Chasseurs et la perspective de l'accueil du char Leclerc sont des éléments positifs non négligeables ;
Il lui demande :
Qu'un bilan chiffré et complet soit établi de la première phase de restructuration mettant en exergue les pertes réelles de population de l'agglomération verdunoise, les sommes dépensées par l'autorité militaire avant le départ du 3e RAMA et d'autres unités et les compensations financières réelles obtenues : FRED, KONVER, Etat, région et collectivités territoriales concernées ;
Qu'un rapport précis soit réalisé à la suite de la dissolution du 151e RI - sommes dépensées par l'autorité militaire, perte de population ;
Qu'un rapport détaillé des opérations et des financements soit établi sur les projets dits de compensation après le départ du 151e RI - KONVER II, FRED... ;
Que soient recensées les perspectives de compensations en personnels au travers de délocalisations de services nationaux. (N° 147.)
II. - M. Fernand Demilly attire l'attention de M. le ministre de la défense sur l'avenir de l'avion de transport futur, l'ATF.
Dans une déclaration conjointe, le Président de la République, le Premier ministre, le Chancelier allemand et le Premier ministre britannique ont souhaité, début décembre, une réorganisation urgente des industries aérospatiales, tant civiles que militaires, pour aboutir à une intégration européenne fondée sur un partenariat équilibré.
La supériorité de l'ATF a été clairement démontrée. Six pays membres de l'Union européenne se sont engagés à lancer un appel d'offres auprès des industriels. Cependant, sans un engagement fort de la France dans les prochains mois, avec une commande globale possible d'une cinquantaine d'appareils, ce programme ATF serait compromis. C'est ce que prétend le rapport remis en juin dernier par M. Pierre Lelong, président de chambre à la Cour des comptes, à M. le Premier ministre.
Dans un tel contexte, il lui demande quel est l'avenir du futur avion de transport de troupes ATF. (N° 149.)
III. - M. Charles de Cuttoli attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur une mesure prévoyant qu'à partir du 1er janvier 1998 les bons anonymes - bons de caisse, bons du Trésor, bons de capitalisation - feront l'objet, dès leur souscription, d'une déclaration soit d'anonymat, soit de souscription nominative. Dans ce dernier cas, le souscripteur devra communiquer son identité et celle du bénéficiaire si elle est différente.
Il lui demande de bien vouloir lui préciser si le propriétaire du bon nominatif est le souscripteur ou le bénéficiaire, et si le bénéficiaire peut être changé par le souscripteur. Il lui demande également si, en cas de décès du bénéficiaire avant le souscripteur, le bon reste ou redevient la propriété dudit souscripteur ou s'il est intégré dans l'actif de la succession du bénéficiaire.
Enfin, il lui demande de bien vouloir lui préciser les références des textes législatifs ou réglementaires servant de base juridique à ladite mesure. (N° 151.)
IV. - Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat aux anciens combattants sur l'attribution des bénéfices de campagne double aux fonctionnaires cheminots et agents de services publics anciens combattants en Afrique du Nord. Elle lui rappelle que, le 9 décembre 1974, la loi n° 70-144 a reconnu, dans des conditions de stricte égalité avec les combattants des conflits antérieurs, les services des anciens d'Afrique du Nord. Elle lui rappelle également que la loi du 14 avril 1924 reconnaît les bonifications pour les campagnes doubles comme un droit à réparation accordé aux anciens combattants fonctionnaires et assimilés, ce bénéfice ayant été étendu progressivement aux agents de certains services publics, tels les cheminots - décision du ministère des transports du 31 mars 1964.
Elle lui demande quelles mesures il envisage pour accorder aux anciens combattants fonctionnaires cheminots et agents des services publics ayant combattu en Afrique du Nord le bénéfice de campagne double. (N° 12.)
V. - M. Dominique Braye attire l'attention de Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement sur la délocalisation annoncée du siège national de la SONACOTRA à Mantes-la-Jolie.
Cette décision avait été prise le 10 avril 1997 par le CIAT, le Comité interministériel sur l'aménagement du territoire, parmi plusieurs mesures de délocalisations d'administration ou d'établissements publics au profit de sites en reconversion industrielle et de sites d'intervention prioritaire de la politique de la ville.
La ville de Mantes-la-Jolie, cumulant ces deux critères, était particulièrement éligible à bénéficier d'une telle mesure, qui permettait des retombées économiques positives : arrivée dans la commune de plus de 200 emplois, sans compter les emplois induits, générant une taxe professionnelle annuelle d'environ 5 millions de francs.
Mantes-la-Jolie et son agglomération sont en effet sinistrées au plan économique et aux prises avec de graves difficultés financières - potentiel fiscal inférieur de 40 % à la moyenne nationale - et d'importants problèmes sociaux taux de chômage élevé, plus grande ZUP de France avec le Val-Fourré.
Ainsi, 800 emplois industriels y ont été supprimés ces deux dernières années, et plusieurs autres sites industriels sont menacés à brève échéance. L'exercice budgétaire de la commune, pour la seule année 1998, du fait de la diminution des ressources fiscales et de certaines dotations, sera marqué par une perte annuelle de 9 millions de francs, qu'aurait compensée pour moitié la taxe professionnelle versée par la SONACOTRA.
Dans ce contexte, la délocalisation à Mantes-la-Jolie de la SONACOTRA était une mesure particulièrement attendue, vitale pour cette ville et l'ensemble de son agglomération, ce que l'ensemble des élus locaux du district urbain de Mantes ont souligné à l'unanimité. Il leur a semblé indispensable de rappeler que M. le Premier ministre lui-même a affirmé que les engagements pris par le précédent gouvernement doivent être honorés, en vertu du principe républicain de continuité, et ce d'autant plus que la survie économique d'une commune et de tout un bassin d'emploi est en jeu.
En conséquence, il lui demande donc de maintenir la décision de délocaliser le siège national de la SONACOTRA à Mantes-la-Jolie et de préciser la date à laquelle cette délocalisation sera mise en oeuvre. (N° 119.)
VI. - M. Bernard Barraux attire l'attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation sur l'avenir de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL.
Compte tenu des prélèvements effectués sur les réserves de la caisse au titre de la compensation et de la surcompensation en faveur des autres régimes d'assurance vieillesse, la CNRACL connaît depuis plusieurs années un déficit de trésorerie.
En effet, ces transferts atteignent 19,4 milliards de francs en 1997, soit le tiers des recettes du régime et près de 50 % du montant des prestations servies par le régime.
Conformément à l'article 30 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, l'équilibre financier de la CNRACL est assuré cette année grâce à la mobilisation d'une partie des réserves structurelles du fonds des allocations temporaires d'invalidité.
Cependant, il s'agit d'un aménagement exceptionnel, qui ne résout pas le problème de l'équilibre général de la caisse.
Par ailleurs, en 1998, il ne sera pas procédé à une augmentation des cotisations pesant sur les collectivités locales. Une telle augmentation apparaît, en effet, particulièrement inopportune, alors que les charges pesant sur les collectivités vont connaître une augmentation très sensible l'année prochaine avec, en particulier, la mise en place du plan emploi-jeunes.
Un éventuel allégement des contraintes liées à la surcompensation au profit des autres régimes doit probablement être envisagé.
Il lui demande donc ce que le Gouvernement entend faire afin d'assainir de façon durable la situation financière de la CNRACL. (N° 60.)
VII. - M. Daniel Hoeffel appelle l'attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation sur la portée de l'article 70 de la loi n° 96-1093 du 16 décembre 1996, modifiant l'article 111 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, relatif à la validation des compléments de rémunération collectivement acquis par les agents titulaires d'un emploi dans une collectivité territoriale.
La rédaction de cet article a en effet fait naître certains doutes quant à l'application de ces dispositions.
Il lui demande donc s'il ne serait pas possible d'apporter dans les meilleurs délais, et si possible avant la fin de l'année afin que les collectivités locales concernées puissent verser sans risque leur prime de fin d'année, une réponse claire aux questions suivantes :
Les régimes indemnitaires mis en place par certaines collectivités avant l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 1984 et dont l'existence a été légalisée par cette loi peuvent-ils concerner tous les agents de ces collectivités, titulaires ou non titulaires, et cela indépendamment de la date de leur recrutement, qu'elle soit antérieure ou postérieure au 26 janvier 1984 ?
Compte tenu des inégalités pouvant exister entre les agents des diverses collectivités, serait-il possible de régulariser la situation des collectivités qui ont institué des primes de fin d'année après l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 1984, qui sont de ce fait illégales ?
Enfin, et par voie de conséquence, les établissements publics de coopération intercommunale créés postérieurement pourraient-ils profiter de cette réforme pour mettre en place un complément de rémunération ? (N° 117.)
VIII. - M. Alain Dufaut attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur les préoccupations exprimées par les usagers de la ligne aérienne Avignon-Paris, au regard du tarif élevé pratiqué sur cette desserte régionale.
Un aller-retour Avignon-Paris, plein tarif, coûte en effet 2 354 francs, alors que le même billet sur la ligne Marseille-Paris revient à 2 050 francs, soit environ 15 % de moins pour une distance pourtant supérieure.
La longueur insuffisante de la piste de l'aéroport Avignon-Caumont nécessitait jusqu'à présent l'octroi d'une dérogation pour l'atterrissage de certains appareils, justifiant ainsi le maintien d'un tarif plus élevé.
Cette particularié n'existe désormais plus, puisque des travaux pour allonger la piste de 200 mètres ont été réalisés récemment. C'est donc à bon droit que les collectivités locales et la chambre de commerce et d'industrie d'Avignon et de Vaucluse, dont l'effort financier pour mettre en oeuvre ces travaux s'est révélé considérable, souhaitent ardemment que celui-ci se traduise par une baisse conséquente des tarifs au profit des usagers de la ligne.
Compte tenu, par ailleurs, du rôle joué par cette desserte en matière d'aménagement du territoire, et d'autant plus que celle-ci s'avère rentable, il souhaite son intervention en faveur d'une baisse de tarif de la liaison Avignon-Paris.
Aussi, il lui demande quelle est sa réaction face à cette requête et s'il envisage de prendre des mesures en ce sens. (N° 121.)
IX. - M. Franck Sérusclat souhaite interroger Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire sur la question des rythmes scolaires.
Il aimerait savoir ce que recouvre exactement ce terme : s'agit-il du temps passé par l'enfant à l'école dans une journée ou dans une semaine, du rythme annuel temps scolaire-vacances, du rythme propre de l'enfant, qui est nécessaire à l'émergence de sa personnalité, avec prise en compte des activités dites périscolaires ?
Il lui demande si, dans une perspective de modification des rythmes scolaires, il ne serait pas souhaitable d'agir sur ces différents paramètres à la fois ? S'il ne convient pas de repenser le temps scolaire hebdomadaire, des expériences telle la semaine de quatre jours s'avérant être un échec pour l'équilibre de la plupart des enfants - et arrangeant essentiellement quelques parents aisés ? S'il ne convient pas de réorganiser la journée scolaire trop longue en aménageant le déroulement de ses activités ?
Enfin, au cours d'une telle modification des rythmes scolaires, il lui demande s'il ne serait pas utile de prendre en compte l'émergence des nouvelles techniques d'information et de communication à l'école et d'y adapter les rythmes en imaginant des lieux et temps d'accès en libre-service, pour une familiarisation souple, ainsi qu'en aménageant des séances interdisciplinaires et de travaux de groupes ? (N° 141.)
X. - M. Jean-Marc Pastor attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé sur l'application de la législation relative aux prélèvements d'organes et, en particulier, sur ceux qui sont réalisés post mortem.
Une loi n° 76-1181 du 22 décembre 1976, dite loi Callaivet, a défini les modalités du principe qui prévaut depuis en France : celui du consentement présumé. Cela signifie que toute personne qui, de son vivant, n'a pas fait connaître son opposition au prélèvement d'organes est considérée comme un donneur potentiel. De ce fait, le prélèvement peut être effectué sans recueillir l'autorisation de quiconque, sauf s'il s'agit du cadavre d'un mineur ou d'un incapable : dans ce cas très précis, l'autorisation du représentant légal est requise.
Sans remettre en cause le principe, sont intervenues en 1994 les lois n° 94-653 et n° 94-954 dites de bioéthique, lesquelles prévoyaient de faciliter l'expression du refus en créant un registre national informatisé.
L'Etablissement français des greffes a d'ailleurs lancé, début novembre 1997, une campagne d'information sur la mise en place de ce registre.
Ces lois s'inscrivaient dans un contexte de pénurie croissante de greffons, due pour une grande partie à l'opposition des familles.
Toutefois, on peut légitimement se poser la question de l'utilité d'un tel registre ; en effet, si le nom du défunt ne figure pas dans le registre, l'équipe médicale pourra continuer, comme par le passé, à demander l'accord de la famille et devra respecter sa décision.
En conséquence, il souhaiterait que lui soit précisée sa position sur ce sujet ; par ailleurs, considérant, d'une part, la pénurie de greffons et le nombre croissant de receveurs en attente, et, d'autre part, les difficultés psychologiques qui incombent aux familles confrontées à l'urgence des décisions à prendre, il lui demande s'il n'est pas possible d'envisager le lancement d'une vaste campagne d'information sur la législation en vigueur. (N° 152.)
XI. - Mme Marie-Madeleine Dieulangard souhaite interroger M. le secrétaire d'Etat au logement sur les règles relatives à l'assujettissement des résidents des foyers de travailleurs à la taxe d'habitation.
La mission de ces foyers est d'accueillir des personnes, notamment des jeunes, afin de leur permettre d'accéder en toute autonomie à des logements individuels. Cette mission accomplie génère, de ce fait, des séjours le plus souvent inférieurs à une année. Or, en se fondant sur la seule date du 1er janvier pour déterminer la personne assujettie à cette taxe, cette réglementation fait abstraction de la durée effective du séjour et induit des inégalités entre les différents occupants.
Elle souhaite connaître ses intentions pour remédier à cette inégalité de traitement et s'interroge sur la possibilité d'appliquer à ces équipements d'accueil collectif à vocation sociale le même régime que celui en vigueur pour les cités universitaires. (N° 79.)
XII. - M. Jacques de Menou alerte M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur le problème de la nécessaire mise aux normes « U » des maisons de retraite et des foyers-logements conventionnés à l'aide sociale dont la vocation s'apparente de plus en plus à celle des maisons de retraite.
Aujourd'hui, en effet, avec la mise en place de tous les services de maintien à domicile : aides ménagères, aides-soignantes, infirmières, portage des repas, les personnes âgées ne rentrent en maison de retraite qu'à un âge très avancé - quatre-vingt-trois ans en moyenne dans mon département du Finistère - et de plus en plus dépendantes.
Tous ces établissements, qui ont des conventions avec l'Etat ouvrant droit à l'aide personnalisée au logement, l'APL, devraient pouvoir bénéficier d'un taux de taxe sur la valeur ajoutée - TVA - réduit et, le cas échéant, de primes à l'amélioration des logements à usage locatif et d'occupation sociale, ou PALULOS. Cela vaut également pour les établissements accueillant des handicapés et conventionnés.
Au cours du débat budgétaire, M. le secrétaire d'Etat au budget a déclaré, suite à un amendement du groupe du RPR, cette demande satisfaite par l'article II du présent budget qui s'applique « à tous les logements pour lesquels il y a convention avec l'Etat ouvrant droit à l'APL ».
Il souhaite avoir confirmation de cette mesure qui signifierait, pour les foyers-logements, maisons de retraite et établissements pour handicapés conventionnés par l'Etat à l'APL, une TVA réduite sur les travaux de rénovation et de mise aux normes « U » pour personne dépendante, et ce quel que soit le propriétaire : organisme d'habitation à loyer modéré, ou HLM, Caisse centrale d'action sociale CCAS ou association...
On pourrait également reconnaître que les mêmes établissements conventionnés à l'aide sociale bénéficiaires de l'allocation logement sociale, l'ALS, pourraient, en cas de rénovation, se trouver conventionnés à l'APL et bénéficier de ce fait, pour ces mêmes travaux, du même taux de TVA. (N° 132.)
XIII. - M. Michel Mercier rappelle à M. le ministre de l'intérieur que la situation statutaire des élus locaux et, notamment, celle des maires a été considérablement modifiée par la loi de financement de la sécurité sociale.
En effet, d'une part, les indemnités des élus locaux vont désormais être soumises au taux renforcé de la contribution sociale généralisée. En apparence, ces indemnités sont soumises au droit commun, ce qui est bien. Mais, en réalité, ces indemnités qui ne supportaient pas de cotisations sociales puisque les élus locaux ne sont pas assujettis à la sécurité sociale sont désormais traitées comme des produits d'épargne ! Les élus locaux sont la seule catégorie sociale pour laquelle le transfert des cotisations sociales vers la CSG n'est pas neutre.
D'autre part, il apparaît que les termes généraux de la loi de financement de la sécurité sociale lorsqu'ils s'appliqueront auront pour conséquence d'inclure les indemnités des élus locaux dans les ressources plafonnées pour déterminer s'il y a lieu ou non de verser les allocations familiales. Ainsi, un maire qui consacre beaucoup de temps à son mandat, qui perçoit une indemnité ne couvrant qu'imparfaitement et le temps passé et les frais engagés par l'exercice d'un mandat local pourrait, de ce fait, voir supprimer ses allocations familiales.
Il lui demande s'il entend prendre des mesures destinées à pallier les conséquences néfastes de ce texte pour les élus locaux et quelles seraient, le cas échéant, ces mesures. (N° 144.)
XIV. - M. José Balarello demande à M. le ministre de l'intérieur de lui faire connaître quelles mesures il entend prendre au niveau européen au sujet du problème posé depuis peu de temps par les arrivées massives de réfugiés kurdes aux frontières sud de l'espace Schengen et plus particulièrement en Italie, pays où la réglementation prévoit que, si le réfugié n'obtient pas le droit d'asile, il est expulsé dans les quinze jours du territoire.
Durant ce laps de temps, les populations réfugiées sont livrées à elles-mêmes sans aucun contrôle et mettent à profit ces quelques jours pour transiter clandestinement vers la France ou l'Allemagne.
Aussi, il lui demande s'il ne lui semble pas urgent de saisir INTERPOL afin que tous les pays de l'espace Schengen recherchent les filières mafieuses qui rackettent ces réfugiés pour l'organisation de transferts depuis la Turquie ou l'Irak vers l'Europe occidentale. En effet, d'après les renseignements obtenus auprès des autorités italiennes pour la seule année 1997, ce sont 4 500 Kurdes qui ont été refoulés de la frontière française en territoire italien d'où ils arrivaient.
Il lui demande en outre de lui faire connaître, les Kurdes étant en conflit ouvert tant avec les autorités de la Turquie où ils représentent un cinquième de la population, soit 12 millions, qu'avec les autorités de l'Irak où on en dénombre environ 4 millions, s'il ne lui apparaît pas très urgent de définir une politique commune de l'Union européenne, tout au moins des pays appartenant à l'espace Schengen, vis-à-vis des flux migratoires, et ce dès avant l'application du traité d'Amsterdam. Par ailleurs, si, au regard de l'article 31 du projet de loi sur l'entrée et le séjour des étrangers en France, tel qu'il vient d'être voté à l'Assemblée nationale et qui doit venir en discussion devant le Sénat, ces populations seront ou non considérées comme pouvant bénéficier de l'asile politique.
Enfin, s'il ne lui apparaît pas opportun de saisir les instances internationales et particulièrement l'ONU afin de faire pression sur la Turquie et l'Irak pour les obliger à cesser les actes militaires qu'ils exercent envers ces populations et engager une procédure de dialogue avec leurs représentants modérés. Il est bon en effet de rappeler que les Kurdes représentent actuellement une population de 25 millions d'habitants partagés entre la Turquie, l'Irak, l'Iran, la Syrie et les républiques du Caucase, près de la moitié vivant sur le territoire turc. (N° 150.)
XV. - M. Jean-Paul Delevoye appelle l'attention de Mme le ministre de la culture et de la communication sur la question du financement de l'archéologie préventive, destinée à sauver le patrimoine archéologique découvert à l'occasion d'opérations de démolition, de construction de biens immobiliers, de réalisation de routes... A l'occasion d'une récente déclaration, elle a annoncé sans ambiguïté une réforme de la législation relative à cette question dans le cadre de la convention européenne de Malte du 1er janvier 1992 ratifiée par la France en 1994. Cela est effectivement nécessaire.
Il souhaite en conséquence connaître les principales orientations qui résultent des assises nationales de l'archéologie récemment organisées, ainsi que les principaux choix politiques qu'elle souhaite proposer au Parlement, s'agissant du cadre juridique et financier de l'archéologie préventive. (N° 21.)
XVI. - M. René Marquès attire l'attention de Mme le ministre de la culture et de la communication sur la réalisation de la nouvelle liaison Perpignan-Canet.
L'itinéraire reliant Perpignan au littoral présente une accidentologie particulièrement grave due au trafic très important y circulant, surtout la nuit, à grande vitesse et à la jeunesse des conducteurs. En conséquence, le conseil général des Pyrénées-Orientales a décidé, en 1989, d'aménager cette liaison de sept kilomètres en la portant à deux fois deux voies. Le chantier a démarré en 1995 et s'est trouvé retardé par les fouilles archéologiques du Mas Miraflor, dont le montant, supérieur à 300 000 francs, a nécessité le recours à une procédure d'appel d'offres.
Il lui précise que au bout de dix-huit mois de procédure, force est de constater que la concurrence n'a pu s'exercer du fait du monopole détenu par l'Association pour les fouilles archéologiques nationales, l'AFAN, monopole renforcé par le fait que l'autorisation indispensable au responsable de la fouille archéologique est accordée par le ministère de la culture, qui rejette, par l'intermédiaire des commissions interrégionales de recherche archéologique, les propositions étrangères à l'AFAN.
Il lui indique que cette entrave à la concurrence paraît abusive et non garante des meilleures conditions financières puisque, sur le chantier en cause, le conseil général va devoir dépenser 160 000 francs de plus du fait du recours à l'AFAN. En effet, une société espagnole, possédant d'excellentes références en archéologie médiévale, était disposée à effectuer les mêmes prestations que l'AFAN pour 391 000 francs TTC, au lieu de 552 000 francs.
En conséquence, il lui demande si elle envisage de remédier à cet état de fait. (N° 89.)
A seize heures :
2. - Discussion du projet de loi (n° 161, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, tendant à améliorer les conditions d'exercice de la profession de transporteur routier :
- Rapport n° 176 (1997-1998) de M. Jean-François Le Grand, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.
- Avis n° 215 (1997-1998) de M. Lucien Lanier, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
- Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 19 janvier 1998, à dix-sept heures.

Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile (n° 188, 1997-1998) :
- Délai limite pour les inscriptions de parole de la discussion générale : mardi 20 janvier 1998, à dix-sept heures.
- Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 26 janvier 1998, à dix-sept heures.
Proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative au fonctionnement des conseils régionaux (n° 207, 1997-1998) :
- Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 21 janvier 1998, à dix-sept heures.
Débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur la réforme de la justice :
- Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 21 janvier 1998, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quinze.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET DU PLAN

M. Pierre Hérisson a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 139 (1997-1998) de Mme Danielle Bidard-Reydet et plusieurs de ses collègues tendant à créer un comité national d'éthique du développement, dont la commission des affaires économiques et du Plan est saisie au fond.
M. Jean-François Le Grand a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 194 (1997-1998) de M. Jean-François Le Grand et plusieurs de ses collègues relative à la mise en oeuvre du réseau écologique européen, dénommé Natura 2000, dont la commission des affaires économiques et du Plan est saisie au fond.
M. Alphonse Arzel a été nommé rapporteur de la proposition de résolution n° 164 (1997-1998) de M. Louis Minetti et plusieurs de ses collègues sur la proposition de règlement (CE) du Conseil modifiant le règlement n° 3094/95 et prorogeant les dispositions pertinentes de la septième directive du Conseil concernant les aides à la construction navale et la proposition de règlement (CE) du Conseil établissant de nouvelles règles pour les aides à la construction navale (n° E 936), dont la commission des affaires économiques et du Plan est saisie au fond.

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mme Nicole Borvo a été nommée rapporteur de sa proposition de loi n° 142 (1997-1998) visant à prévenir et réparer les conséquences de l'utilisation de l'amiante.
M. Dominique Larifla a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 174 (1997-1998) de M. Rodolphe Désiré relative aux prestations familiales dans les départements d'outre-mer.
M. Jean-Louis Lorrain a été nommé rapporteur du projet de loi n° 195 (1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, portant ratification et modification de l'ordonnance n° 96-1122 du 20 décembre 1996 relative à l'amélioration de la santé publique à Mayotte.
M. Jean Madelain a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 220 (1997-1998) adoptée par l'Assemblée nationale tendant à ouvrir le droit à une allocation spécifique aux chômeurs âgés de moins de soixante ans ayant quarante annuités de cotisation d'assurance vieillesse.

COMMUNICATION RELATIVE À LA CONSULTATION
DES ASSEMBLÉES TERRITORIALES

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une communication, en date du 14 janvier 1998, relative à la consultation des assemblées territoriales de la Polynésie française, de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna sur le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.

Ce document a été transmis à la commission compétente.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Statut des commissionnaires de transport

156. - 14 janvier 1998. - Le décret n° 90-200 ( JO du 7 mars 1990, p. 2800) réglemente l'exercice de la profession de commissionnaire de transport. Est visé par ce décret « tout commissionnaire établi en France qui, dans les conditions fixées par le code de commerce, organise et fait exécuter, sous sa responsabilité et en son propre nom, un transport de marchandises selon les modes de son choix pour le compte d'un commettant ». Ledit commissionnaire doit être inscrit à un registre des commissionnaires de transport, pour autant qu'il remplisse certaines conditions d'honorabilité et de capacités financière et professionnelle. En outre, si le postulant est un « étranger n'ayant pas la nationalité d'un pays membre de la Communauté économique européenne », l'article 17 du décret pose une condition supplémentaire en exigeant qu'il soit alors « ressortissant d'un pays avec lequel la France a conclu un accord de réciprocité permettant son établissement sur le territoire national et dans les conditions définies par cet accord ». Enfin, le décret a totalement abrogé celui du 30 juin 1961 relatif aux professions auxiliaires de transports (dont les commissionnaires de transport) qui exigeait, sous réserve du traité CEE, que les dirigeants des personnes morales postulantes soient de nationalité française (cf. l'article 6 A du décret de 1961). Le régime juridique aujourd'hui applicable à l'inscription des commissionnaires de transport ne prévoit donc plus aucune condition de nationalité concernant le dirigeant de la société qui souhaite s'inscrire au registre, mais seulement une condition de nationalité liée à la société elle-même prise en tant que personne morale. Dans ces conditions, M. Bernard Plasait attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur la pratique de certaines directions régionales de l'équipement (divisions des infrastructures et des transports) qui subordonnent l'inscription d'une société française au registre des commissionnaires de transport à une triple condition d'honorabilité, de capacités professionnelle et financière - conformément au décret - sous réserve en outre que la personne physique responsable légal de ladite société française remplisse une condition supplémentaire de nationalité qui n'est pas prévue par le décret. Il convient de préciser que, dans les cas portés à l'attention de M. le ministre, l'inscription demandée est celle d'une société française dont le gérant ressortissant d'un Etat non communautaire et non lié à la France par un accord de réciprocité, et non pas celle d'une personne physique en vue d'un exercice en son nom propre ou en tant que titulaire de la capacité professionnelle requise pour l'inscription de la société. La société à inscrire étant de droit français, et non pas « un étranger n'ayant pas la nationalité d'un pays membre de la Communauté économique européenne », il est légitime de s'interroger sur la légalité du refus d'inscription au registre des commissionnaires des transports opposé par les directions régionales de l'équipement en cause. En posant une condition de nationalité du dirigeant de société qui n'est pas prévue par la réglementation applicable et qui ne figure d'ailleurs pas non plus dans la circulaire du 27 avril 1990 concernant l'application du décret du 5 mars 1990, les directions régionales de l'équipement ne sont-elles pas en train d'enfreindre la légalité et d'excéder les pouvoirs dont elles disposent ?



ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du jeudi 15 janvier 1998


SCRUTIN (n° 72)



sur les conclusions du rapport de Mme Anne Heinis, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, sur la proposition de loi présentée par M. Roland du Luart et plusieurs de ses collègues, sur la proposition de loi présentée par M. Michel Charasse et sur la proposition de loi présentée par M. Pierre Lefebvre et plusieurs de ses collègues relatives aux dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse des oiseaux migrateurs.

Nombre de votants : 318
Nombre de suffrages exprimés : 228
Pour : 228
Contre : 0

Le Sénat a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Abstentions : 16.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (22) :

Pour : 22.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (95) :

Pour : 95.

GROUPE SOCIALISTE (75) :

Pour : 1. _ M. Michel Charasse.
Abstentions : 73.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Michel Dreyfus-Schmidt, qui présidait la séance.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (58) :

Pour : 57.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. René Monory, président du Sénat.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (45) :

Pour : 45.

Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (9) :

Pour : 8.
Abstention : 1. _ M. André Maman.

Ont voté pour


François Abadie
Nicolas About
Philippe Adnot
Michel Alloncle
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Alphonse Arzel
Denis Badré
Honoré Bailet
José Balarello
René Ballayer
Bernard Barbier
Janine Bardou
Michel Barnier
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Jean-Michel Baylet
Michel Bécot
Henri Belcour
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
François Blaizot
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Yvon Bourges
Philippe de Bourgoing
André Boyer
Jean Boyer
Louis Boyer
Jacques Braconnier
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Guy Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Camoin
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Michel Charasse
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Jean Cluzel
Henri Collard
Yvon Collin
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Pierre Croze
Charles de Cuttoli
Philippe Darniche
Marcel Daunay
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Hubert Durand-Chastel
Joëlle Dusseau
Daniel Eckenspieller
André Egu
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
Gérard Fayolle
Hilaire Flandre
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yann Gaillard
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Jacques Genton
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Jean-Marie Girault
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Jean Grandon
Francis Grignon
Georges Gruillot
Jacques Habert
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Bernard Hugo
Jean-Paul Hugot
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Jean-Pierre Lafond
Pierre Lagourgue
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Edouard Le Jeune
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Marcel Lesbros
François Lesein
Maurice Lombard
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Jean Madelain
Kléber Malécot
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Jacques de Menou
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Daniel Millaud
Louis Moinard
Georges Mouly
Philippe Nachbar
Lucien Neuwirth
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Sosefo Makapé Papilio
Charles Pasqua
Michel Pelchat
Jean Pépin
Alain Peyrefitte
Bernard Plasait
Régis Ploton
Alain Pluchet
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Christian Poncelet
Jean Pourchet
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Philippe Richert
Roger Rigaudière
Jean-Jacques Robert
Jacques Rocca Serra
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Maurice Schumann
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Robert-Paul Vigouroux
Xavier de Villepin
Serge Vinçon

Abstentions


Guy Allouche
Bernard Angels
François Autain
Germain Authié
Robert Badinter
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Marcel Bony
Nicole Borvo
Jean-Louis Carrère
Robert Castaing
Francis Cavalier-Benezet
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Marcel Charmant
Michel Charzat
William Chervy
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Jean Derian
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Michel Duffour
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Guy Fischer
Aubert Garcia
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Dominique Larifla
Pierre Lefebvre
Guy Lèguevaques
Claude Lise
Paul Loridant
Hélène Luc
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
André Maman
Michel Manet
Marc Massion
Pierre Mauroy
Georges Mazars
Jean-Luc Mélenchon
Louis Minetti
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Jean-Baptiste Motroni
Robert Pagès
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean Peyrafitte
Jean-Claude Peyronnet
Louis Philibert
Bernard Piras
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Roger Quilliot
Jack Ralite
Paul Raoult
René Régnault
Ivan Renar
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent
Franck Sérusclat
René-Pierre Signé
Fernand Tardy
Odette Terrade
Paul Vergès
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber

N'ont pas pris part au vote


MM. René Monory, président du Sénat, et Michel Dreyfus-Schmidt, qui présidait la séance.


Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification, conformes à la liste de scrutin ci-dessus.