SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Demandes d'autorisation de missions d'information (p. 1 ).

3. Placement sous surveillance électronique. - Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture (p. 2 ).
MM. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement ; Georges Othily, rapporteur de la commission des lois ; Guy Cabanel, Michel Duffour, Robert Badinter, Jacques Larché, président de la commission des lois.
Clôture de la discussion générale.

Articles 1er A, 1er, 1er bis A à 1er bis G et 2 à 4. - Adoption (p. 3 )

Vote sur l'ensemble (p. 4 )

MM. Guy Allouche, Guy Cabanel, Pierre Fauchon, Jacques Habert.
Adoption de la proposition de loi.

4. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire camerounaise (p. 5 ).

5. Création d'une commission d'enquête sur les grands projets d'infrastructures terrestres. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p. 6 ).
Discussion générale : MM. Gérard Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques ; André Bohl, rapporteur pour avis de la commission des lois ; Mme Odette Terrade, MM. Guy Allouche, Jean Huchon.
Clôture de la discussion générale.

Article unique (p. 7 )

MM. le rapporteur, Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques.
Adoption de la résolution.

6. Création d'une commission d'enquête sur la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures. - Discussion des conclusions du rapport d'une commission (p. 8 ).
Discussion générale : MM. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances ; André Bohl, rapporteur pour avis de la commission des lois ; Guy Allouche, Bernard Seillier.
Clôture de la discussion générale.

Question préalable (p. 9 )

Motion n° 1 de M. Fischer. - Mme Nicole Borvo, MM. Gérard Larcher, le rapporteur, Guy Allouche. - Rejet par scrutin public.

Suspension et reprise de la séance (p. 10 )

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

7. Questions d'actualité au Gouvernement (p. 11 ).

COÛT DU PLAN DE SAUVETAGE DU CRÉDIT LYONNAIS (p. 12 )

MM. Denis Badré, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

PERTES DANS LE SECTEUR FINANCIER PUBLIC (p. 13 )

MM. Jean-Claude Carle, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

BRIMADES DANS L'ARMÉE (p. 14 )

Mme Joëlle Dusseau, M. Alain Richard, ministre de la défense.

CAUSES DE LA VIOLENCE DANS LA JEUNESSE (p. 15 )

M. Ivan Renar, Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports.

STATUT ET MISSIONS DES POLICES MUNICIPALES (p. 16 )

MM. Serge Vinçon, Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

CONSULTATION DES JEUNES SUR LEURS ATTENTES (p. 17 )

M. Roland Courteau, Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports.

DANGEROSITÉ DE LA RN 10 EN CHARENTE (p. 18 )

MM. Philippe Arnaud, Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement.

INQUIÉTUDES DES AGRICULTEURS
FACE À LA POLITIQUE EUROPÉENNE (p. 19 )

MM. Martial Taugourdeau, Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche.

MISE EN PLACE DE NATURA 2000 (p. 20 )

MM. Paul Raoult, Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche.

MOYENS DE LA LUTTE CONTRE LES EXCLUSIONS (p. 21 )

MM. Alain Pluchet, Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé.

PROJETS DE RÉFORME CONCERNANT LES CHEFS
D'ÉTABLISSEMENT DANS L'ÉDUCATION NATIONALE (p. 22 )

MM. Jean-Pierre Fourcade, Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Suspension et reprise de la séance (p. 23 )

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

8. Motion d'ordre (p. 24 ).
MM. Philippe François, le président, Gérard César, Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche.

9. Création d'une commission d'enquête sur la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures. - Suite de la discussion et adoption des conclusions du rapport d'une commission (p. 25 ).

Article unique (p. 26 )

MM. Jean-Pierre Fourcade, Jean Arthuis, Guy Allouche, Jean Chérioux, Jacques Habert, Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances.
Adoption par scrutin public de la résolution.

10. Création d'une commission d'enquête sur la régularisation des étrangers en situation irrégulière. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p. 27 ).
Discussion générale : MM. José Balarello, rapporteur de la commission des lois ; Guy Allouche, Pierre Lefebvre, Charles Pasqua.
Clôture de la discussion générale.

Question préalable (p. 28 )

Motion n° 1 de Mme Luc. - MM. Michel Duffour, Jacques Larché, président de la commission des lois ; José Balarello, Guy Allouche. - Rejet par scrutin public.

Article unique (p. 29 )

M. Jacques Habert.
Adoption de la résolution.

11. Diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p. 30 ).
Discussion générale : MM. Gérard César, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Marcel Deneux, Jean Grandon, Marcel Bony, Robert-Paul Vigouroux, Philippe François, Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche ; Jean Bizet, Henri Belcour, Paul Girod.
Clôture de la discussion générale.

Suspension et reprise de la séance (p. 31 )

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD

Demande de renvoi à la commission (p. 32 )

Motion n° 8 de M. Lefebvre. - MM. Pierre Lefebvre, le rapporteur, le ministre. - Rejet par scrutin public.

Article 1er. - Adoption (p. 33 )

Article 2 (p. 34 )

Amendement n° 2 de M. Souplet. - MM. Marcel Deneux, le rapporteur, le ministre. - Retrait.
Adoption de l'article.

Articles 3 à 10. - Adoption (p. 35 )

Article additionnel après l'article 10 (p. 36 )

Amendement n° 7 rectifié de M. Bizet. - MM. Jean Bizet, le rapporteur. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Article 11. - Adoption (p. 37 )

Article additionnel après l'article 11 (p. 38 )

Amendement n° 3 de M. Souplet. - MM. Marcel Deneux, le rapporteur. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Article 12. - Adoption (p. 39 )

Articles additionnels après l'article 12 (p. 40 )

Amendement n° 4 de M. Souplet. - MM. Marcel Deneux, le rapporteur. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 5 de M. Souplet. - MM. Marcel Deneux, le rapporteur. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Article 13. - Adoption (p. 41 )

Article additionnel après l'article 13 (p. 42 )

Amendement n° 6 de M. Souplet. - MM. Marcel Deneux, le rapporteur. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Articles 14 à 18. - Adoption (p. 43 )

Article additionnel après l'article 18 (p. 44 )

Amendement n° 1 de M. Huchon. - MM. Marcel Deneux, le rapporteur. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Articles 19 à 27. - Adoption (p. 45 )

Vote sur l'ensemble (p. 46 )

MM. le rapporteur, Emmanuel Hamel, Philippe François, le ministre.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi.
M. le rapporteur.

12. Dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle (p. 47 ).

13. Dépôt d'une proposition de loi (p. 48 ).

14. Dépôt d'une proposition d'acte communautaire (p. 49 ).

15. Dépôt de rapports (p. 50 ).

16. Dépôt de rapports d'information (p. 51 ).

17. Ordre du jour (p. 52 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DEMANDES D'AUTORISATION
DE MISSIONS D'INFORMATION

M. le président. M. le président du Sénat a été saisi :
- par M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques, d'une demande tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information chargée d'étudier l'avenir de la politique agricole commune ;
- par M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, d'une demande tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information en Indonésie afin d'étudier l'évolution des relations bilatérales entre la France et ce pays.
Le Sénat sera appelé à statuer sur ces demandes dans les formes fixées par l'article 21 du règlement.

3

PLACEMENT
SOUS SURVEILLANCE ÉLECTRONIQUE

Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi (n° 285, 1996-1997), modifiée par l'Assemblée nationale, consacrant le placement sous surveillance électronique comme modalité d'exécution des peines privatives de liberté. [Rapport n° 323 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi consacrant le placement sous surveillance électronique comme modalité d'exécution des peines privatives de liberté a été adoptée au printemps dernier par l'Assemblée nationale.
La commission des lois du Sénat a décidé de faire siennes les modifications qu'ont apportées les députés à ce texte et de vous proposer une adoption conforme.
Je souhaite que notre discussion soit aujourd'hui riche et que toutes les questions que le Gouvernement se pose, comme à l'évidence nombre de nos concitoyens, puissent trouver réponse.
Je ne voudrais pas que le débat soit occulté, que nous donnions l'impression de nous précipiter et qu'il subsiste demain des obstacles que nous aurions plus tard les plus grandes difficultés à surmonter.
L'enjeu est suffisamment important pour que le Gouvernement fasse connaître sa position et souligne les difficultés éventuelles.
Le placement sous surveillance électronique représente dans notre droit une innovation d'une importance considérable, tant sur le plan éthique que dans les modalités pratiques d'application.
Pour la première fois, le condamné est appelé à prendre en charge lui-même sa propre peine privative de liberté.
Les réformes engagées depuis plus d'un siècle ont toujours visé à gagner sur le temps de l'incarcération, pour privilégier une application individualisée de la peine hors des murs de la prison.
L'évolution de la législation et des pratiques a toujours consisté à privilégier la liberté, fût-elle encadrée par un contrôle social, par rapport à toutes les mesures privatives de cette liberté.
Ainsi, la libération conditionnelle, en 1885, le sursis simple, en 1891, la liberté surveillée des mineurs, en 1912, le sursis avec mise à l'épreuve, en 1958, ou la réforme de l'exécution des peines, voilà tout juste vingt-cinq ans, s'inscrivent dans ce mouvement.
Cette évolution s'est poursuivie dans une période plus récente par la mise en place du travail d'intérêt général et des autres peines alternatives à la détention prévues dans le nouveau code pénal.
Le garde des sceaux compte bien poursuivre cette évolution et donner au milieu ouvert les moyens qui lui permettront de remplir au mieux sa mission.
Ainsi la ministre de la justice, dont je vous prie d'excuser l'absence ici ce matin - mais vous en connaissez les causes - mène actuellement une profonde réforme des services d'insertion et de probation, qui a pour objet de permettre, d'une part, une plus grande complémentarité entre les milieux ouvert et fermé et, d'autre part, l'émergence d'un service renforcé et clairement identifié.
Cette modification des structures s'accompagne, comme vous avez pu le constater lundi dernier, lors du vote du budget du ministère de la justice, d'un effort très soutenu en matière de créations de postes : 200 travailleurs sociaux supplémentaires seront recrutés pour renforcer les équipes du milieu ouvert et du milieu fermé.
Je profite de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui pour vous faire part des remerciements du garde des sceaux, qui a pris acte du vote unanimement favorable du Sénat sur le budget de son ministère.
La perspective en la matière est claire : donner aux services sociaux les moyens nécessaires à la mise en place d'une politique privilégiant à la fois la libération conditionnelle et les peines alternatives à l'emprisonnement.
Le Gouvernement est convaincu que la surpopulation carcérale ne pourra être sérieusement limitée que par une politique active dans cette direction.
La proposition de loi que vous examinez aujourd'hui en deuxième lecture suscite également une interrogation sur la politique d'application des peines.
Elle met en lumière la coexistence, parfois paradoxale, de la mise en oeuvre de peines de plus en plus longues et de mécanismes permettant des libérations anticipées.
Le dispositif de cette proposition s'affiche clairement comme un outil permettant de limiter la durée du séjour dans un établissement pénitentiaire. L'évocation d'un tel sujet alors que les sanctions prononcées s'allongent et que l'appareil répressif tend à se renforcer mérite un débat général de fond.
La proposition de loi présente des aspects positifs, qui conduisent le Gouvernement à ne pas s'y opposer, mais elle soulève des problèmes de principe qui doivent être soulignés.
Dans son principe, et sur le plan social, cette construction présente trois avantages pratiques primordiaux : elle offre la possibilité d'éviter les effets néfastes et désocialisants de l'incarcération ; elle permet une individualisation marquée de la peine ; elle est un moyen de lutte contre la surpopulation carcérale.
Sur un plan juridique cette modalité d'application des peines privatives de liberté offre un ensemble tout à fait novateur.
Le Parlement a pris en compte l'indispensable consentement du condamné, avant toute décision de placement sous surveillance électronique.
De plus, la proposition de loi va dans le sens de la judiciarisation des décisions du juge de l'application des peines et, à ce titre, elle est opportune.
Ainsi, elle s'inscrit dans la réflexion nécessaire sur le rôle et les pouvoirs du juge de l'application des peines.
Enfin, le texte intègre largement la possibilité pour le juge d'adapter la mesure de placement sous surveillance électronique aux situations personnelles des condamnés.
Cette proposition de loi, pour l'ensemble de ces raisons, ne fait donc pas l'objet, dans son principe général, d'une opposition de la part du Gouvernement.
Le texte soulève néanmoins des questions de fond.
La première interrogation que le Gouvernement souhaite mettre en avant porte sur les publics susceptibles d'être concernés par la nouvelle mesure proposée.
Cette disposition, par sa conception même, s'adresse à des condamnés qui doivent pouvoir disposer d'une insertion sociale certaine, notamment jouir d'un logement.
En effet, il paraît difficile de placer sous surveillance électronique des détenus qui ne disposeraient d'aucun soutien familial.
Il est à craindre que cette facilité d'exécution de la peine ne soit vécue comme étant uniquement réservée à une population pénale privilégiée.
Par ailleurs, le dispositif de la proposition de loi ne peut être conçu que comme une possibilité supplémentaire ouverte aux personnes qui, dans le système actuel, ne pourraient pas bénéficier d'une libération conditionnelle.
Il serait en effet tout à fait contraire à l'objectif qui nous est commun de voir cette mesure « empiéter » sur des mesures d'élargissement actuellement couvertes par les textes existants.
Des craintes demeurent, sur ce point, de voir la nouvelle mesure se substituer à des modalités plus libérales d'application de la peine.
En outre, le placement sous bracelet électronique risque de stigmatiser le détenu par une identification possible pour les tiers, ce qui n'est pas sans poser des problèmes éthiques sérieux.
Des inquiétudes demeurent également quant à la mise en place d'un fichage informatique de la surveillance électronique. Des réflexions complémentaires doivent être menées sur ce point.
Enfin, il convient de s'interroger sur le rôle et la mission de l'admission pénitentiaire dans le suivi de ce dispositif.
Pour la première fois, des fonctionnaires seront conduits à surveiller directement des condamnés en dehors de tout établissement. Cette mission de simple contrôle ne sera pas assortie d'un travail d'insertion et de socialisation : seule la fonction de surveillance sera mise en valeur.
Il convient de rappeler que la mission de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire comporte à la fois la surveillance et la réinsertion. Cette double mission s'applique aux surveillants.
La brèche ouverte sur ce point par la présente proposition de loi mérite questionnement.
Consciente de ces écueils, Mme le garde des sceaux a souhaité, au nom du Gouvernement, saisir la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Dans un avis rendu le 5 décembre dernier, cette instance indique qu'elle ne voit pas d'objection de principe à formuler sur la mesure que propose le Parlement.
Elle émet néanmoins des réserves sur trois points.
Premièrement, elle souligne les effets négatifs sur les tiers du caractère éventuellement apparent du dispositif installé sur le condamné.
Deuxièmement, elle s'inquiète du port de ce bracelet par les mineurs, notamment en l'absence d'autorisation préalable des parents.
Enfin, troisièmement, elle met en garde sur l'exploitation informatique du dispositif au regard des exigences imposées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
Le Gouvernement partage cet avis. Le changement introduit par ce texte est d'importance et nécessite une réflexion forte, beaucoup de prudence et, de toute façon, une série d'expérimentations limitées.
Au-delà des observations de principe, portant sur le fond, ce texte laisse entrevoir des difficultés sérieuses dans ses modalités d'application et dans son expérimentation.
Tout d'abord, des adaptations non négligeables paraissent nécessaires, tant pour assurer l'équilibre juridique du système que pour garantir son applicabilité, c'est-à-dire son efficacité.
Dans la mesure où certains de ces ajustements semblent indispensables pour satisfaire des exigences de constitutionnalité, Mme la ministre de la justice avait envisagé de déposer, au nom du Gouvernement, des amendements.
J'insisterai particulièrement sur un aspect du texte qui semble contraire à la Constitution.
Le placement sous bracelet électronique induit, dans son application, qu'un domicile privé devient, sinon une annexe de l'administration pénitentiaire, du moins un lieu sous surveillance de la puissance publique.
Dans ce lieu, du matériel de surveillance sera mis en place, l'installation téléphonique personnelle du chef de maison sera utilisée, les occupants seront sollicités à tout moment, y compris, le cas échéant, la nuit.
Le texte initial de la proposition de loi n'envisage pas, en effet, la situation d'un placement sous surveillance électronique en dehors du domicile propre du condamné. Or cette situation est susceptible de se présenter dans de très nombreuses hypothèses.
Ainsi, dans le cas, notamment, où le placement sous surveillance électronique intervient à l'issue d'une période de détention, le condamné se trouvera soit dépourvu de domicile personnel, soit, dans le meilleur des cas, cotitulaire du droit d'habitation, par exemple avec son conjoint.
Dans certains cas, il sera hébergé par des tiers, tels des associations de réinsertion, des foyers ou des lieux appartenant à des collectivités publiques ou privées.
Dans d'autres situations encore, le placement sous surveillance électronique pourra être décidé ailleurs que dans un local d'habitation et, en particulier, dans des locaux professionnels, associatifs voire médico-sociaux, comme cela se pratique dans la plupart des pays européens où ce régime d'exécution des peines existe déjà.
Dans toutes ces hypothèses, il est bien évident que la décision du juge de l'application des peines ne pourra s'imposer au propriétaire des locaux ou au titulaire du droit au bail, fût-il le conjoint, le concubin ou un membre de la famille du condamné.
En dehors même de la difficulté pratique qu'elle générerait, une solution qui imposerait le port du bracelet électronique sans l'accord du maître des lieux serait une atteinte au droit de propriété ainsi qu'au droit à l'intimité de la vie privée, qui sont constitutionnellement protégés.
C'est pourquoi il est indispensable de prévoir dans la loi que l'accord du maître des lieux devra être recueilli préalablement à toute décision du juge de l'application des peines.
L'expression du consentement figure d'ailleurs dans les législations étrangères soit expressément, comme aux Pays-Bas ou en Nouvelle-Zélande, soit de façon indirecte quand le placement est une modalité d'exécution d'une peine alternative ou d'une libération conditionnelle.
De même, le placement sous surveillance électronique peut être prononcé au bénéfice des mineurs, avec leur consentement, recueilli en présence de leur avocat, comme pour tout autre condamné.
Aucune disposition ne prévoit, dans le texte, que le consentement des titulaires de l'autorité parentale soit sollicité.
Il apparaît surprenant qu'une mesure aussi spécifique puisse être prise sans que les responsables de l'enfant, qui sont en général ceux qui hébergent le mineur, aient pu donner leur accord.
J'ajoute que ce consentement des titulaires de l'exercice de l'autorité parentale est d'autant plus nécessaire que ceux-ci devront assumer toutes les conséquences civiles du comportement du mineur pendant la durée du placement.
Un deuxième point concerne également les mineurs.
Si l'application du régime de la surveillance électronique est apparu comme une nécessité, dans la mesure où, plus que tous autres, les mineurs doivent être protégés des effets néfastes d'une première incarcération, l'article 4 de la proposition de loi, qui prévoit une modification de l'ordonnance du 2 février 1945, m'apparaît à la fois inutile et source de difficultés d'interprétation.
En effet, la jurisprudence considère, jusqu'à présent, que toutes les dispositions du code pénal et du code de procédure pénale auxquelles l'ordonnance de 1945 ne déroge pas - c'est le cas des dispositions relatives au régime d'application des peines - sont applicables aux mineurs.
Dans ces conditions, la précision inscrite dans l'article 4, dans la mesure où elle n'est pas d'usage pour les autres catégories de peines, pourrait à l'avenir entraîner pour ces dernières une interprétation a contrario préjudiciable. Il aurait donc été préférable de supprimer l'article 4 du texte.
En revanche, des règles particulières devraient être prévues pour adapter les articles 723-7 à 723-13 du code de procédure pénale aux peines prononcées contre les mineurs, afin notamment de tenir compte des règles relatives à l'autorité parentale, aux catégories de mineurs concernés et à la répartition des attributions entre le juge des enfants et le juge de l'application des peines.
Il s'agit là des impératifs les plus sérieux dont le législateur doit tenir compte.
Toutefois, d'autres dispositions, qui n'ont pas la même portée juridique et éthique, doivent venir compléter le texte pour le rendre applicable.
Le juge de l'application des peines, pour statuer sur un éventuel retrait de la mesure en cas d'incident, doit le faire en audience de cabinet, en présence du condamné et, le cas échéant, de son conseil. Or ce magistrat n'a pas pour autant de moyen juridique de le faire comparaître de force devant lui.
L'exécution de la peine se poursuit normalement et le temps des recherches nécessaires pour l'appréhender s'impute sur celle-ci, de sorte que, si l'on ne peut retrouver l'intéressé avant la fin de sa peine, il ne pourra plus être réincarcéré à ce titre.
Dans un souci de crédibilité de l'institution, et indépendamment des poursuites susceptibles d'être engagées pour évasion, il convient donc de permettre au juge de l'application des peines de faire rechercher immédiatement le condamné par mandat.
Cette solution a d'ailleurs été prévue, pour les mêmes raisons d'efficacité, dans le cadre du projet de loi relatif à la prévention et à la répression des infractions sexuelles, ainsi qu'à la protection des mineurs victimes.
Votre assemblée l'a adoptée le 30 octobre dernier pour la rédaction de l'article 763-7 du code de procédure pénale.
Un autre point sur lequel il me semble important d'engager une réflexion est celui des conditions de délégation à des personnes de droit privé pour la mise en oeuvre du dispositif technique.
Je remarque que l'Assemblée nationale a supprimé les dispositions initialement prévues à cet effet.
Le choix du garde des sceaux n'est pas encore fixé dans ce domaine. Il convient de souligner qu'il y aura lieu de modifier la loi si le Gouvernement entend opter pour ce type de délégation.
Une contradiction dans la rédaction des alinéas premier et deuxième de l'article 723-13 peut être relevée : l'un semble imposer la présence d'un avocat lors de l'audience sur l'éventuel retrait de la mesure alors que l'autre l'exclut.
Aussi aurait-il convenu de modifier les termes de ces deux alinéas en reprenant ceux de l'actuel article 733-1 du code de procédure pénale concernant l'audience du tribunal statuant en chambre du conseil en matière d'application des peines, et qui ne fait de la présence de l'avocat une obligation que si le condamné en formule la demande.
Enfin, le texte, dans sa rédaction actuelle, ne règle pas suffisamment la question de l'applicabilité du placement sous surveillance électronique aux territoires d'outre-mer.
Certes, pour des raisons pratiques évidentes, il n'a pas paru souhaitable de procéder à l'extension du régime du placement sous surveillance électronique dans les territoires d'outre-mer. C'est pourquoi la proposition de loi ne prévoit aucune disposition d'applicabilité.
Juridiquement, cette solution aurait dû imposer les dispositions de coordination désormais classiques depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal.
Sans modification des articles du code pénal et du code de procédure pénale sur les exceptions d'application de ces textes à l'outre-mer, la surveillance électronique pourrait y être considérée comme applicable.
Le Gouvernement n'a pas souhaité déposer des amendements sur ces modifications envisageables du texte. Le garde des sceaux a entendu privilégier l'initiative parlementaire.
Il lui est apparu, ainsi qu'à l'ensemble du Gouvernement, qu'il était souhaitable de voir adopter définitivement ce texte, fruit de débats très riches notamment au sein du Sénat, présenté sur l'initiative de l'un de vos membres, M. Cabanel.
Le Gouvernement s'en remet donc à la sagesse de votre assemblée.
Néanmoins, il est du devoir de la ministre de la justice, que je représente aujourd'hui, de vous dire qu'elle estime que, tel qu'il se présente, ce texte ne peut pas raisonnablement trouver application sans être amendé, à la fois pour les raisons juridiques qui ont été rappelées et pour les problèmes pratiques qui ont été évoqués.
Des expérimentations sont nécessaires avant toute généralisation.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement souhaite maintenant attirer votre attention sur deux aspects qui semblent avoir été négligés par le précédent ministre de la justice et qui auraient mérité que votre assemblée soit plus informée.
En premier lieu, l'impact budgétaire pour le ministère de la justice n'a pas été estimé à sa juste mesure.
Les évaluations auxquelles il a été procédé font état d'un coût global en année pleine de l'ordre de plusieurs dizaines de millions de francs, selon les hypothèses retenues pour le déploiement du dispositif. Ces chiffres tiennent compte des dépenses d'investissement et de fonctionnement.
Le coût définitif en ce qui concerne l'unité centrale de gestion pourrait être estimé à 3 millions de francs pour l'acquisition, l'installation et la maintenance de l'ordinateur et du logiciel d'exploitation et à 1,5 million de francs pour le budget annuel de fonctionnement.
Ce chiffrage n'est qu'une indication qui mérite une expertise plus précise. Les études indispensables devraient permettre d'y parvenir.
En ce qui concerne les mesures, il a été estimé, compte tenu, d'une part, du nombre des condamnations concernées et, d'autre part, du nombre de détenus remplissant les conditions de délai, qu'environ 2 300 personnes sur 137 établissements pénitentiaires pourraient bénéficier du placement, soit près de 850 000 jours de surveillance par an.
Par ailleurs, il a été retenu une durée moyenne de placement de quatre mois seulement.
Ainsi, le coût global moyen de la journée de surveillance pourrait être compris entre 200 et 250 francs ; mais il convient de remarquer qu'il s'agit de chiffres minimaux qui ne signifient pas nécessairement une charge financière moins lourde pour les établissements pénitentiaires, du moins dans l'immédiat.
Au Canada, où le prix de revient journalier est évalué à environ 180 francs, soit moitié moins, en théorie, que pour l'incarcération, une baisse des mesures prononcées a été constatée du fait des restrictions budgétaires.
Pour ne citer qu'un exemple supplémentaire, les Pays-Bas ont investi dans l'expérience 4 millions de florins sur deux ans, soit 6 millions de francs par an pour vingt-quatre condamnés, ce qui revient à un prix journalier de près de 700 francs.
Je ne m'attarderai pas davantage sur ce point, mais il faut bien être conscient que l'investissement initial du système est une charge nouvelle pour l'Etat.
En second lieu, et en considération de l'enjeu exceptionnel du texte que nous examinons aujourd'hui, le Gouvernement n'est pas certain que la voie de l'expérimentation préalable ait été explorée comme il convenait de le faire.
Sur les dix Etats à travers le monde qui se sont lancés dans cette voie, tous, à l'exception des Etats-Unis, ont procédé à une première expérimentation du système.
L'étude de droit comparé à laquelle s'est livré M. Cabanel a démontré que les pays qui ont tenté l'expérience ont tardé à passer au stade de la généralisation. D'ailleurs, il y a lieu d'observer que, parmi ces pays, se trouvent peu de représentants de l'Europe, d'une culture juridique comparable à la nôtre.
Il apparaît indispensable de préciser que, compte tenu de l'importance des évolutions induites par la proposition de loi et de la nécessaire prudence, la généralisation du placement sous bracelet électronique ne pourra se faire qu'après une période d'études et de réflexions.
Cette période ne saurait être inférieure à une durée de deux années minimum à compter, d'une part, de l'adoption des modifications importantes et nécessaires du texte que je viens de préciser et, d'autre part, de l'obtention de crédits en conséquence.
La France ne peut s'engager dans une telle évolution généralisée sans que des expérimentations précises aient été menées, accompagnées de réflexions.
Une étude conduite par les services de la chancellerie a permis de procéder à une évaluation budgétaire de telles expérimentations. Là encore, les sommes en jeu ne sont pas négligeables.
Comme vous le voyez, l'engagement sollicité de l'Etat n'est pas faible. En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, le placement sous surveillance électronique constitue une évolution notable de notre droit de l'application des peines.
La prudence et les difficultés de fond et d'application que le Gouvernement entend souligner rendent un bilan indispensable.
Les expérimentations qui seront réalisées permettront de recenser les difficultés juridiques posées par ce nouveau dispositif. Elles permettront d'effectuer également les choix opportuns en matière technique.
Une nouvelle loi sera nécessaire non seulement pour améliorer le texte en discussion sur les points soulevés par le garde des sceaux, mais également pour tirer les conséquences des expérimentations.
Telle est, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la position du Gouvernement sur la proposition de loi que votre commission des lois vous demande d'adopter en termes identiques à ceux de l'Assemblée nationale. Le Gouvernement, pour sa part, je le répète, s'en remet à la sagesse de votre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Georges Othily, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus d'une année s'est écoulée depuis que le Sénat a adopté, en première lecture, la proposition de loi de notre collègue M. Cabanel. C'était le 24 octobre 1996 ; M. Toubon était au banc du Gouvernement.
Nous avions constaté avec satisfaction que le placement sous surveillance électronique dépassait les clivages politiques. Mme le garde des sceaux nous l'avait par la suite confirmé puisque, lors de son audition par la commission des lois, le 8 juillet dernier, elle avait qualifié ce procédé d'utile.
Un large consensus semble donc s'être dégagé sur le principe même du placement sous surveillance électronique, tout au moins pour son application à des condamnés.
Je ne crois donc pas utile de rappeler pour la énième fois tous les avantages de ce procédé tant pour l'intéressé que pour la justice ou la société : vous les connaissez, monsieur le ministre, tout comme les membres de cette assemblée qui ont voté la proposition de loi en première lecture à la quasi-unanimité.
Depuis son arrivée place Vendôme, Mme le garde des sceaux a plusieurs fois affirmé son souci de favoriser le développement des substituts à l'incarcération. Ce souci s'inscrit dans la droite ligne des préoccupations de la commission des lois.
Comme vous, monsieur le ministre, nous refusons la politique du « tout carcéral ». Comme vous, nous estimons que la prévention de la récidive ne saurait se fonder exclusivement sur la prison. Comme vous, nous sommes tout à fait disposés à améliorer l'existant.
Mais nous sommes aussi prêts à proposer des solutions novatrices. La surveillance électronique, la prison à domicile, en est une. Vous pourriez nous suivre, dites-vous, sous certaines conditions. Quelles sont-elles ?
Il faut l'accord des titulaires de l'exercice de l'autorité parentale, lorsque le bénéficiaire de la surveillance électronique est mineur. Mais reconnaissez avec nous qu'il est difficilement concevable que le juge de l'application des peines impose cette mesure à des parents qui n'en voudraient pas.
Je formulerai la même observation à propos de l'accord du maître des lieux d'assignation, que vous souhaiteriez rendre obligatoire. Pensez-vous vraiment que le juge imposera la présence d'un condamné contre l'avis du propriétaire des lieux ?
Je note, par ailleurs, que les questions que vous soulevez, notamment l'éventuelle faculté pour le juge de l'application des peines de décerner un mandat d'arrêt, ne concernent pas seulement le placement sous surveillance électronique ; elles peuvent s'appliquer à toutes les mesures d'exécution des peines en milieu ouvert.
Pour être bref, je ne prendrai que deux exemples.
Premièrement, pourquoi n'exigerait-on pas aussi l'accord du maître des lieux dans le cadre d'une libération conditionnelle ?
Deuxièmement, pourquoi ne permettrait-on pas au juge de l'application des peines de décerner un mandat d'arrêt contre le bénéficiaire d'une permission de sortir qui ne réintègre pas sa prison ?
Vous le voyez, monsieur le ministre, je ne rejette pas a priori vos suggestions. J'estime simplement qu'elles soulèvent des questions qui déborderont du champ du placement sous surveillance électronique.
En tant que rapporteur pour avis des crédits consacrés à l'administration pénitentiaire, je suis tout disposé à les étudier avec la plus grande attention, mais pas dans le cadre d'une mesure particulière.
Après ces considérations d'ordre général, j'en viens au contenu même de la proposition de loi.
Je rappellerai simplement pour mémoire les principaux axes de ce texte.
Le placement sous surveillance électronique pourra profiter aux condamnés à une courte peine de prison, inférieure à un an, et à ceux qui n'auront plus qu'une année à accomplir.
La décision relèvera du juge de l'application des peines, qui sera aussi chargé de veiller à la bonne exécution de la mesure.
En cas de violation du placement sous surveillance électronique, le juge de l'application des peines pourra révoquer la mesure, ce qui entraînera la réincarcération de l'intéressé.
La proposition de loi qui nous revient de l'Assemblée nationale comprend treize articles, soit dix de plus que celle que nous avions adoptée en octobre 1996. Cette différence tient au fait que les députés ont préféré diviser l'article 1er, qui comprenait dix-huit alinéas.
Sur le fond, les deux textes sont très proches, voire identiques, sous réserve de deux précisions, de deux aménagements et d'une adjonction.
La première précision ne paraît poser aucune difficulté à la commission des lois, car elle consiste à indiquer que la personne sous surveillance électronique est placée sous le contrôle du juge de l'application des peines dans le ressort duquel elle a été assignée.
La seconde précision consiste à rendre expressément applicable aux mineurs le dispositif de la proposition de loi. Nous ne l'avions pas exclu et nous pouvions donc en déduire que, dans notre texte, le placement sous surveillance électronique était applicable aux mineurs. Mais ce qui va sans dire va mieux en le disant.
Le premier aménagement concerne les moyens de préserver l'inviolabilité du domicile. Nous avions, à cette fin, prévu que les contrôles au domicile ne pourraient être effectués la nuit sauf en cas d'alerte électronique. L'Assemblée nationale a adopté une solution plus simple : les contrôleurs ne pourront pénétrer dans un domicile sans l'accord de l'intéressé.
Le second aménagement concerne le recours contre la décision de retrait du placement sous surveillance électronique. Nous avions prévu la faculté pour le condamné de saisir le tribunal correctionnel. L'Assemblée nationale lui a tout simplement offert la faculté d'interjeter appel devant la chambre des appels correctionnels.
L'adjonction, qui est la principale innovation de l'Assemblée nationale, se situe à l'article 3. Elle consiste à prévoir que le condamné pourra être déclaré coupable d'évasion s'il neutralise le procédé de contrôle à distance.
C'est une solution que la commission des lois a approuvée, par analogie avec ce qui est déjà prévu, par exemple, en cas de semi-liberté ou de placement à l'extérieur. C'est d'ailleurs dans la logique de la « prison à domicile », également appelée « prison sans barreaux » : le condamné est considéré comme incarcéré ; s'il trahit la confiance qui a été mise en lui, il doit être sanctionné.
Mes chers collègues, la commission des lois vous propose donc d'adopter sans modification la proposition de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plus de cinq ans, alors que je venais d'être nommé à la commission des lois, je montais à cette tribune pour dénoncer les risques pour la société française d'une surpopulation carcérale de plus en plus importante d'année en année.
J'attirais alors l'attention du Sénat sur ce substitut original à l'emprisonnement que constitue la « prison à domicile », mis au point depuis une vingtaine d'années grâce au progrès de la technologie électronique.
Le placement sous surveillance électronique est l'une des vingt propositions que j'ai ensuite présentées en 1995 dans un rapport intitulé Pour une meilleure prévention de la récidive.
Aujourd'hui, je me réjouis de voir le Sénat examiner en deuxième lecture la proposition de loi que j'ai déposée le 4 juin 1996 et qui a été complétée par l'Assemblée nationale lors de son examen le 25 mars 1997.
J'eusse aimé que Mme Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, puisse être présente aujourd'hui. Mais je sais que si elle n'assiste pas à nos débats, c'est en raison de son état de santé ; je formule à son intention des voeux de prompt rétablissement.
Monsieur le ministre, vous avez accepté de représenter le Gouvernement en l'absence de Mme le garde des sceaux, et je vous en remercie. J'ai été sensible à la présentation que vous avez faite des éléments figurant dans cette proposition de loi qui ont été retenus par le Gouvernement.
Vous venez d'évoquer le point de vue de Mme le garde des sceaux. En effet, lors d'un entretien, le 3 décembre dernier, Mme Guigou m'avait fait connaître ses observations sur certaines dispositions de ce texte.
Je prends acte, monsieur le ministre, des éléments de réflexion qui ont été apportés et qui auraient pu revêtir la forme d'amendements. Mais tel n'a pas été le cas, ce qui simplifie l'examen de ce texte.
Comme je l'ai fait de vive voix lors de ma rencontre avec Mme le garde des sceaux, je m'engage à favoriser toutes mesures tendant à faciliter l'application du placement sous surveillance électronique comme de tout autre dispositif alternatif à l'incarcération. Mon objectif est d'épargner à de petits délinquants, qui sont souvent des primo-délinquants, la désinsertion familiale et sociale sans éviter pour autant la sanction pénale, car nos concitoyens ne le comprendraient pas.
En même temps, je souhaite limiter le surpeuplement chronique de certains établissements pénitentiaires. J'attire ici une nouvelle fois l'attention du Sénat sur la situation de certains d'entre eux, en particulier les maisons d'arrêt ; c'est en effet dans ce secteur que se pose le plus de problèmes.
Je remercie le rapporteur de la commission de lois, M. Othily, qui a donné avec coeur un avis favorable sur la proposition de loi, après un examen attentif de celle-ci. Il a analysé avec soin les réserves formulées par le Gouvernement. Son excellent rapport et la brièveté du temps qui m'est imparti me conduisent simplement à souscrire sans réserve à ses réponses.
Pour ma part, je n'exclus pas la possibilité de déposer une nouvelle proposition de loi relative à l'exécution des peines en milieu ouvert. En réalité, la plupart des questions posées par le Gouvernement en ce domaine sont d'ordre général. Il nous faut développer le milieu ouvert qui constitue en quelque sorte un ballast dans le fonctionnement de l'administration pénitentiaire et en définir plus précisément les modalités.
Quand nous parlons du milieu ouvert, nous pensons naturellement à la libération conditionnelle, à la semi-liberté au placement à l'extérieur voire aux permissions de sortir, comme l'a évoqué M. le rapporteur, et ce avec le double souci du maintien des liens familiaux et sociaux et du respect de la personne humaine.
Naturellement, je souhaite réserver à Mme le garde des sceaux la primeur de mes réflexions. Une démarche parlementaire n'aurait en effet d'intérêt que si la chancellerie n'a pas elle-même préparé de son côté un texte de même nature.
En conclusion, je souhaite que le Sénat achève aujourd'hui le processus législatif tendant à faire reconnaître en France le principe du placement sous surveillance électonique.
J'ai découvert l'application pratique de ce dispositif en participant, en 1994, à une délégation de la commission des lois du Sénat au Canada, délégation conduite par M. Jacques Larché. J'ai ainsi pu constater sur le terrain qu'il était possible d'appliquer très simplement ce dispositif.
N'étant pas juriste, j'ai beaucoup appris en tant que membre, pendant trois années, de la commission des lois. Je dois beaucoup à son président, à ses membres ainsi qu'à ses collaborateurs, qui m'ont aidé dans l'élaboration de la proposition de loi.
Le principe du placement sous surveillance électronique reconnu, la France pourra rejoindre les pays européens qui ont déjà suivi l'exemple des Etats-Unis, du Canada, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande.
Il est vrai que la plupart des pays européens ont procédé à des expérimentations assez larges ; une loi expérimentale a même été adoptée en Suède avant que soit appliqué le placement sous surveillance électronique. Malheureusement, en France, nous n'avons pas eu cette faculté.
Si la France adopte aujourd'hui le principe du placement sous surveillance électronique, elle n'aura que quatre ans de retard par rapport à la Suède, trois ans par rapport à la Grande-Bretagne et deux ans par rapport aux Pays-Bas, pays qui expérimentent actuellement ce dispositif. Il n'est que temps d'appliquer dans notre pays ce substitut à l'incarcération qu'utilisent aujourd'hui de nombeuses nations développées et soucieuses d'humaniser leur système pénitentiaire. Je serais heureux qu'une collaboration s'instaure entre le Sénat et le Gouvernement sur ce point ; le débat d'aujourd'hui en est l'augure. Je m'en réjouis. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous étions et nous restons sceptiques sur la pertinence de la mesure proposée. La surveillance par le port d'un bracelet électronique soulève de graves questions. Cette mesure a des défenseurs en cette enceinte même et ils sont aussi soucieux que nous le sommes de la défense des libertés individuelles. Toutefois, demeurent nos craintes. Nous savons, comme chacun d'entre vous, que le rapport entre les surveillants et les détenus est de un à trente-cinq et que les prisonniers vivent dans des conditions de plus en plus inacceptables.
Je me rejouis d'ailleurs que Mme le garde des sceaux - à qui je souhaite un prompt rétablissement - envisage de prendre des mesures pour permettre aux prisonniers d'avoir un minimum de vie privée.
La surpopulation des prisons, avec un taux d'environ 116 %, est le mal premier du système carcéral français. Sur 54 496 détenus, 22 521 individus, soit 41 % de la population carcérale au 1er janvier 1997, sont des prévenus, même s'il faut distinguer ceux qui sont en détention provisoire et ceux qui ont déjà été condamnés mais qui font appel. La situation ne peut donc rester en l'état.
Régler ce problème central est, par conséquent, essentiel.
Le Gouvernement s'est engagé dans cette voie, en proposant un projet de budget de la justice en progression de 4,2 % et dont la majorité sénatoriale a dû reconnaître les aspects positifs. C'est une véritable mesure d'urgence qui s'imposait.
Certes, me dira-t-on, la vie carcérale ne va pas en être modifiée du tout au tout. Toutefois, le désengorgement de la procédure judiciaire ne serait pas hors de notre portée si nous décidions d'un grand effort national. Choisit-on une bonne voie, même de transition, avec la mesure inscrite aujourd'hui à l'ordre du jour ?
La priorité, c'est, selon nous, sortir d'une logique sécuritaire qui a montré ses insuffisances et ses limites, sans entrer pour autant dans une logique uniquement financière de traitement des « flux de condamnés de justice ».
Nous avons insisté sur ce point dès la première lecture, en proposant de renforcer l'application de mesures alternatives à l'incarcération, de garantir un réel suivi du délinquant et de permettre une véritable réinsertion de celui-ci.
D'ailleurs, des mesures alternatives à l'incarcération existent déjà, je pense notamment à la liberté conditionnelle, à la semi-liberté ou au placement à l'extérieur.
La création de cent postes, dont quarante-huit postes d'éducateur, dans les services de la protection judiciaire de la jeunesse témoigne de l'amorce positive, en ce domaine, enclenchée par le Gouvernement.
En effet, sans un renforcement considérable de ce volet de réinsertion sociale, les peines alternatives ne vident pas les prisons. La situation actuelle en témoigne.
Permettez-moi d'ailleurs de regretter au passage, comme l'avait déjà fait mon amie et collègue Mme Nicole Borvo l'an passé, qu'aucune mesure concrète d'accompagnement social du condamné ne soit envisagée dans cette proposition de loi.
Je tenais à expliciter notre approche sur ces points avant d'en venir à l'objet même de la surveillance électronique sous forme de bracelet.
L'intégrité physique du condamné n'est-elle pas menacée par cette mesure ?
Ce marquage se traduit par une réelle soumission corporelle et soulève plusieurs questions. Quelles sont les chances, pour l'individu placé sous le contrôle permanent de ce bracelet, fixé au poignet ou à la cheville selon les convenances personnelles de chacun, de se réinsérer ? Quelle peut être sa vie sociale alors qu'il est enfermé à son domicile ? Quelle chance a-t-il de retrouver un emploi ?
Nous prenons acte que le recours au procédé du bracelet est envisagé comme une modalité d'exécution d'une peine privative de liberté, et non comme une peine prononcée par la juridiction de jugement, qu'il suppose le consentement de l'intéressé donné en présence d'un avocat et qu'il ne peut s'appliquer que sous certaines conditions : domicile fixe, stabilité de vie.
Mais ce dernier critère, sorte de garde-fou, n'est-il pas le meilleur moyen d'instituer, là aussi, une justice à deux vitesses ? En effet, quelle solution pour les sans-domicile, les sans-travail, en un mot ceux qu'il est convenu d'appeler les exclus ?
Seuls certains délits et donc certains délinquants pourraient « bénéficier » d'une telle mesure.
Par ailleurs, cette nouvelle possibilité offerte au juge de l'application des peines risque d'avoir les mêmes effets que la mise en place, au début des années soixante-dix, du contrôle judiciaire ou du sursis avec mise à l'épreuve. Ce dispositif risque, dans la pratique, d'être utilisé soit comme substitution non à la prison elle-même, mais aux peines d'emprisonnement avec sursis, soit comme un palliatif à la libération conditionnelle pour les fins de longues peines. Ces risques ont-ils été bien pesés ?
Est-il envisageable que des hommes et des femmes vivent au sein de la société tout en étant surveillés en permanence ?
Ne court-on pas le danger ultime, certes, mais non inconcevable, en supprimant la distinction entre en dedans et en dehors, de contribuer à propager les principes carcéraux à l'ensemble de la société ?
M. Jacques Habert. Oh ! Oh !
M. Michel Duffour. Cependant, l'état de santé des détenus dans les prisons françaises est tel et la situation qui leur est faite si inacceptable que nous ne voulons pas apparaître opposés à tout ce qui pourrait aller à l'encontre de la surpopulation carcérale, au moment où le Gouvernement envisage de prendre des mesures courageuses concernant les prisons.
Toutefois, nos réserves demeurent et je vous prie de nous en excuser, monsieur le rapporteur. C'est pourquoi les membres du groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendront sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne pensais pas intervenir dans ce débat, mais les propos si intéressants rapportés par M. le ministre en l'absence de Mme le garde des sceaux, à laquelle nous adressons, bien sûr, nos voeux amicaux de rétablissement, me conduisent à prendre la parole.
D'abord, je voudrais rendre hommage à notre collègue Cabanel. En effet, il faut beaucoup de persévérance et d'énergie pour réussir dans un domaine où, le plus souvent, le fantasme remplace la réalité. Je voudrais aussi rendre hommage à notre ami Othily pour la précision et la qualité de son rapport.
Je souhaiterais simplement rappeler à la Haute Assemblée ce qu'est la finalité de cette proposition de loi.
Il ne s'agit que de tenter de voir quelle technique moderne on peut utiliser pour réduire le détestable taux d'incarcération qui nous préoccupe depuis si longtemps.
En ce qui concerne l'incertitude qui résulterait des problèmes soulevés, je dirai simplement que si vous demandiez aux intéressés - je n'ose dire aux consommateurs - s'ils préfèrent être chez eux sous surveillance électronique ou demeurer dans une maison d'arrêt, la réponse serait assurément en faveur de la première proposition et sans doute à l'unanimité.
De quoi s'agit-il en vérité ? De rien d'autre que d'une des expressions de ce qui dominera demain notre société, à savoir tirer les conséquences les meilleures des progrès de la technologie.
Il faut bien mesurer ce qu'est, aujourd'hui, dans notre temps, le développement du secteur du travail à domicile, qui nourrit souvent des inquiétudes quant aux conditions de sa rémunération mais qui s'inscrit inévitablement - j'y insiste - dans la production contemporaine et qui ne cessera de se développer, tout simplement parce que les techniques informatiques le permettent et qu'elles se concilient parfaitement avec ce que nous recherchons tant, c'est-à-dire la souplesse et la meilleure adaptation possible du travail aux conditions de vie.
En ce qui concerne le domaine judiciaire, je tiens à le marquer, cette révolution technologique est déjà en marche. Il faut savoir que de grands arbitrages internationaux se déroulent, pour les neuf dixièmes de la durée de la procédure, en dehors de tout contact entre les représentants des parties. En effet, c'est par la voie informatique, plus particulièrement par Internet, que se déroulent des arbitrages considérables, pendant des mois et jusqu'au moment ultime de l'audience, entre des conseils qui se trouvent respectivement en Asie, aux Etats-Unis et en Europe, le tribunal arbitral siégeant aux Pays-Bas, à Genève ou à Paris. C'est cela la dimension de l'avenir.
Il est inévitable et souhaitable que nous utilisions le développement des techniques pour tenter de faire face aux problèmes que nous connaissons et qui, il faut bien le dire, se posent aujourd'hui avec plus d'acuité que jamais. En effet, la libération conditionnelle est aujourd'hui plus difficile à obtenir que jamais non parce que les juges témoigneraient à cet égard d'une inflexibilité particulière, mais tout simplement parce que les conditions de réinsertion, et au premier chef la condition du contrat de travail, sont très difficiles à remplir.
Il est donc bienvenu que nous nous tournions vers ce qui permet, grâce au progrès technique, de modifier les conditions classiques du placement en libération conditionnelle.
Le vrai problème, indépendamment des difficultés juridiques, voire constitutionnelles, qui ont été évoquées, c'est de s'assurer ou d'espérer que la surveillance électronique de ceux qui accomplissent de courtes peines ne mordra pas sur le secteur de la libération conditionnelle ordinaire, car cela irait à l'encontre de la volonté du législateur et pourrait être considéré comme une sorte de détournement de finalité. Cependant, connaissant les juges de l'application des peines, je suis convaincu que tel ne sera pas le cas. Je suis également persuadé que, après la période d'expérimentation et lorsque nous reviendrons sur cette question - c'est inévitable - en examinant un projet de loi émanant de la chancellerie qui aura pesé tous les aspects et les coûts de cette mesure, nous pourrons alors en élargir le champ d'application.
Mais l'heure de l'expérimentation a sonné, et il n'est que temps. Je le répète : le groupe socialiste s'y associera. Certes, des problèmes se posent, mais face à la situation humaine qui est celle de tant de condamnés à de courtes peines qui n'aspirent qu'à ne pas demeurer en prison, notre réponse ne peut qu'être positive.
Enfin, je souhaite que l'on garde à cette procédure sa véritable dénomination, à savoir « placement sous surveillance électronique » et, surtout, que l'on ne lui substitue pas celle de « prison sans barreaux », qui, permettez-moi de le dire, n'a, ici, aucun sens. En l'occurrence, il ne s'agit précisément pas, et il ne doit surtout pas s'agir de prison. Par ailleurs, que serait une prison qui se promènerait ainsi avec le condamné lorsqu'il sortirait de son domicile ? Il ne faut jamais omettre de souligner que, entre domicile et prison, il ne saurait y avoir, sous quelque forme que ce soit, une identification possible. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. D'abord, je regrette que, compte tenu des circonstances, Mme le garde des sceaux n'ait pas pu participer à nos travaux, d'autant que, dans les conversations personnelles que j'ai eues avec elle dès sa prise de fonctions, elle avait marqué un intérêt très vif pour cette proposition.
Je voudrais saluer en cet instant un très bon exemple de travail parlementaire, dont je rappellerai la genèse : un voyage, une idée, une étude, une proposition de loi. Ce n'est pas si fréquent. Nous sommes parvenus à ce résultat qui, j'en suis persuadé, va obtenir l'assentiment du Sénat.
Nous sommes malgré tout, je tiens à le dire, dans une situation quelque peu paradoxale. Nous allons, bien sûr, voter cette proposition de loi. Or, ce texte n'entrera pas en vigueur tant qu'il n'y en aura pas un autre - c'est très exactement ce que vous avez dit, monsieur le ministre.
J'ai eu la curiosité, légitime, d'examiner les amendements envisagés par le Gouvernement car le directeur du cabinet de Mme le garde des sceaux, M. Vigouroux, a eu la courtoisie de me les faire connaître. Or, je dois le dire, ils ne me paraissent pas indispensables à l'application immédiate de la loi. Pour bon nombre d'entre eux, je me demande même s'ils sont absolument nécessaires. En tout cas, ils sont très en retrait par rapport aux propos que vous avez tenus. En effet, les réserves assez considérables que vous avez exprimées ne figurent pas dans ces amendements.
Aussi, lorsque nous aurons voté cette proposition de loi, je ne manquerai pas de faire une démarche personnelle - cela m'arrive quelquefois - auprès de Mlus précise. Les études indispensables devraient permettre d'y parvenir.
En ce qui concerne les mesures, il a été estimé, compte tenu, d'une part, du nombre des condamnations concernées et, d'autre part, du nombre de détenus remplissant les conditions de délai, qu'environ 2 300 personnes sur 137 établissements pénitentiaires pourraient bénéficier du placement, soit près de 850 000 jours de surveillance par an.
Par ailleurs, il a été retenu une durée moyenne de placement de quatre mois les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er A



M. le président.
« Art. 1er A. - I. - Avant l'article 716-1 du code de procédure pénale, il est inséré une division ainsi intitulée : "Section 1. - Dispositions générales".
« II. - Après l'article 720 du même code, il est inséré une division ainsi intitulée : "Section 2. - De la suspension et du fractionnement des peines privatives de liberté".
« III. - Après l'article 720-1 du même code, il est inséré une division ainsi intitulée : "Section 3. - De la peine de sûreté".
« IV. - Après l'article 720-5 du même code, il est inséré une division ainsi intitulée : "Section 4. - Des réductions de peines".
« V. - Après l'article 721-1 du même code, il est inséré une division ainsi intitulée : "Section 5. - Des attributions du juge de l'application des peines et de la commission de l'application des peines".
« VI. - Après l'article 722 du même code, il est inséré une division ainsi intitulée : "Section 6. - Du placement à l'extérieur, de la semi-liberté, des permissions de sortir et des autorisations de sortie sous escorte".
« VII. - Après l'article 723-6 du même code, il est inséré une division ainsi intitulée : "Section 7. - Du placement sous surveillance électronique". »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er A.

(L'article 1er A est adopté.)

Articles 1er, 1er bis A à 1er bis G et 2 à 4

M. le président. « Art. 1er. - Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article 723-7 ainsi rédigé :
« Art. 723-7 . - En cas de condamnation à une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totale n'excède pas un an ou lorsqu'il reste à subir par le condamné une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totale n'excède pas un an, le juge de l'application des peines peut décider, sur son initiative ou à la demande du procureur de la République ou du condamné, que la peine s'exécutera sous le régime du placement sous surveillance électronique. La décision de recourir au placement sous surveillance électronique ne peut être prise qu'après avoir recueilli le consentement du condamné, donné en présence de son avocat. A défaut de choix par le condamné, un avocat est désigné d'office par le bâtonnier.
« Le placement sous surveillance électronique peut également être décidé, selon les modalités prévues à l'alinéa précédent, à titre probatoire de la libération conditionnelle, pour une durée n'excédant pas un an.
« Le placement sous surveillance électronique emporte, pour le condamné, interdiction de s'absenter de son domicile ou de tout autre lieu désigné par le juge de l'application des peines en dehors des périodes fixées par celui-ci. Les périodes et les lieux sont fixés en tenant compte : de l'exercice d'une activité professionnelle par le condamné ; du fait qu'il suit un enseignement ou une formation, effectue un stage ou occupe un emploi temporaire en vue de son insertion sociale ; de sa participation à la vie de famille ; de la prescription d'un traitement médical. » - (Adopté.)
« Art. 1er bis A. - Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article 723-8 ainsi rédigé :
« Art. 723-8. - Le contrôle de l'exécution de la mesure est assuré au moyen d'un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l'absence du condamné dans le seul lieu désigné par le juge de l'application des peines pour chaque période fixée. La mise en oeuvre de ce procédé peut conduire à imposer à la personne assignée le port, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, d'un dispositif intégrant un émetteur.
« Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre de la justice. La mise en oeuvre doit garantir le respect de la dignité, de l'intégrité et de la vie privée de la personne. » - ( Adopté. )
« Art. 1er bis B. - Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article 723-9 ainsi rédigé :
« Art. 723-9. - La personne sous surveillance électronique est placée sous le contrôle du juge de l'application des peines dans le ressort duquel elle a été assignée.
« Le contrôle à distance du placement sous surveillance électronique est assuré par des fonctionnaires de l'administration pénitentiaire qui sont autorisés, pour l'exécution de cette mission, à mettre en oeuvre un traitement automatisé de données nominatives.
« Dans la limite des périodes fixées dans la décision de placement sous surveillance électronique, les agents chargés du contrôle peuvent se rendre sur le lieu de l'assignation pour demander à rencontrer le condamné. Ils ne peuvent toutefois pénétrer dans les domiciles sans l'accord des personnes chez qui le contrôle est effectué. Sans réponse de la part du condamné à l'invitation de se présenter devant eux, son absence est présumée. Les agents en font aussitôt rapport au juge de l'application des peines.
« Les services de police ou de gendarmerie peuvent toujours constater l'absence irrégulière du condamné et en faire rapport au juge de l'application des peines. » - ( Adopté. )
« Art. 1er bis C. - Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article 723-10 ainsi rédigé :
« Art. 723-10. - Le juge de l'application des peines peut également soumettre la personne placée sous surveillance électronique aux mesures prévues par les articles 132-43 à 132-46 du code pénal. » - ( Adopté. )
« Art. 1er bis D. - Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article 723-11 ainsi rédigé :
« Art. 723-11. - Le juge de l'application des peines peut, d'office ou à la demande du condamné, et après avis du procureur de la République, modifier les conditions d'exécution du placement sous surveillance électronique prévues au troisième alinéa de l'article 723-7 ainsi que les mesures prévues à l'article 723-10. » - (Adopté.)
« Art. 1er bis E. - Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article 723-12 ainsi rédigé :
« Art. 723-12. - Le juge de l'application des peines peut à tout moment désigner un médecin afin que celui-ci vérifie que la mise en oeuvre du procédé mentionné au premier alinéa de l'article 723-8 ne présente pas d'inconvénient pour la santé du condamné. Cette désignation est de droit à la demande du condamné. Le certificat médical est versé au dossier. » - (Adopté.)
« Art. 1er bis F. - Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article 723-13 ainsi rédigé :
« Art. 723-13. - Le juge de l'application des peines peut, après avoir entendu le condamné en présence de son avocat, retirer la décision de placement sous surveillance électronique soit en cas d'inobservation des conditions d'exécution constatée au cours d'un contrôle au lieu de l'assignation, d'inobservation des mesures prononcées en application de l'article 723-10, de nouvelle condamnation ou de refus par le condamné d'une modification nécessaire des conditions d'exécution, soit à la demande du condamné.
« La décision est prise en chambre du conseil à l'issue d'un débat contadictoire au cours duquel le juge de l'application des peines entend les réquisitions du procureur de la République et les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son conseil. Elle est exécutoire par provision. Elle peut faite l'objet d'un appel dans les dix jours devant la chambre des appels correctionnels statuant en matière d'application des peines.
« En cas de retrait de la décision de placement sous surveillance électronique, le condamné subit, selon les dispositions de la décision de retrait, tout ou partie de la durée de la peine qui lui restait à accomplir au jour de son placement sous surveillance électronique. Le temps pendant lequel il a été placé sous surveillance électronique compte toutefois pour l'exécution de sa peine. » - (Adopté.)
« Art. 1er bis G. - Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article 723-14 ainsi rédigé :
« Art. 723-14. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application de la présente section. » - ( Adopté .)
« Art. 2. - Au deuxième alinéa (1°) de l'article 733-1 du même code, après la référence : "723-3", il est inséré la référence : ", 723-7". » - ( Adopté .)
« Art. 3. - I. - Dans le troisième alinéa (2°) de l'article 434-29 du code pénal, les mots : "de placement à l'extérieur d'un établissement pénitentiaire" sont remplacés par les mots : "soit de placement à l'extérieur d'un établissement pénitentiaire, soit de placement sous surveillance électronique".
« II. - L'article 434-29 du même code est complété par un 4° ainsi rédigé :
« 4° Par tout condamné placé sous surveillance électronique, de neutraliser par quelque moyen que ce soit le procédé permettant de détecter à distance sa présence ou son absence dans le lieu désigné par le juge de l'application des peines. » - ( Adopté .)
« Art. 4. - Après l'article 20-7 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. 20-8. - Les dispositions des articles 723-7 à 723-13 du code de procédure pénale relatives au placement sous surveillance électronique sont applicables aux mineurs. » - (Adopté.)
Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l'objet de la deuxième lecture.

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Allouche, pour explication de vote.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre ami Robert Badinter, a précisé, voilà un instant, la position du groupe socialiste. Il a souligné les réserves qu'appelle le placement sous surveillance électronique, que nous approuvons par ailleurs, et les difficultés que ne manquera pas de soulever l'application de cette disposition.
Avocats, juges, éducateurs, personnels pénitentiaires et experts s'accordent à dire qu'à bien des égards le passage en prison est loin de susciter la crainte de la récidive et qu'il fait au contraire basculer dans la marginalité ceux qui le subissent.
Il est donc souhaitable, dans cette perspective, et en vue de lutter contre la surpopulation carcérale, de trouver des solutions alternatives à l'emprisonnement. Je rappellerai d'ailleurs que, depuis 1981, le garde des sceaux de l'époque, notre collègue et ami Robert Badinter, s'emploie à la recherche de ces dernières.
La proposition de loi qui nous est soumise prévoit le placement sous surveillance électronique des personnes condamnées à de courtes peines ou en fin de peine, et apporte ainsi une solution alternative à l'emprisonnement, solution qui emporte notre adhésion.
Cette solution a fait ses preuves dans de nombreux pays comme les Etats-Unis, la Suède, le Canada, les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne.
Toutefois, cette proposition de loi mériterait, pour sa mise en oeuvre effective, un approfondissement et une concertation à différents niveaux.
Pour toutes ces raisons et malgré les réserves qui ont été évoquées, le groupe socialiste votera cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Je me réjouis de voir que se dessine dans l'hémicycle du Sénat une quasi-unanimité, malgré les quelques réserves, dont je tiens compte, exprimées par le groupe communiste républicain et citoyen.
C'est peut-être le moment d'essayer de bien comprendre le fonctionnement du dispositif de surveillance électronique : il ne s'agit ni d'une balise Argos qui suivrait la personne à travers son existence ni d'une caméra invisible qui la filmerait à son domicile ; il s'agit simplement - l'exemple de la Grande-Bretagne le démontre en particulier - d'un lien électronique continu entre l'ordinateur de l'organisme de surveillance et une toute petite montre-bracelet contenant une puce électronique et une pile au lithium, qui ne marque pas d'infamie la personne qui la porte dans la mesure où elle peut-être dissimulée sous la manche de la veste ou de la chemise.
L'ordinateur de l'organisme de surveillance contient le programme de la vie de cette personne, laquelle peut continuer à travailler et à participer à des efforts de réinsertion. Tel est le cas en particulier en Suède où, parallèlement, a été mis en place tout un programme de réinsertion.
Grâce à ce système, peuvent être évités le plus simplement du monde la promiscuité de la prison, cette école de la récidive qu'est malheureusement la prison, ainsi que le climat difficile que crée la surpopulation carcérale tant du point de vue sanitaire que pour l'intimité même des condamnés. Ces derniers ont en effet droit, dans l'exécution de leur peine, au respect de leur personne, et de leur intimité. Malheureusement, tel n'est pas le cas dans tous les établissements de notre système pénitentiaire.
Par conséquent, en développant les mesures d'exécution des peines hors les murs, en particulier le placement sous surveillance électronique, nous rendrons un service à l'administration de la justice française.
Telles sont les raisons pour lesquelles je serais heureux que le Sénat apporte ses suffrages à cette proposition qui a fait un long cheminement depuis plusieurs années. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Le groupe de l'Union centriste se réjouit de voter cette mesure, qui est attendue déjà depuis un certain temps.
Nous sommes persuadés que les raisons évoquées par M. Cabanel sont justes. J'ajoute, à titre personnel, que nous devons être aussi conscients de l'évolution des mentalités et de la psychologie des hommes. Dans ce cadre, il ne faut pas désespérer du caractère éducatif d'une telle mesure qui ne violente pas, qui ne brutalise pas et qui, dans un certain nombre de cas - il appartiendra aux magistrats d'apprécier les choses en fonction des personnes qu'ils auront en face d'eux - sera peut-être, plus que la prison, l'occasion d'exprimer un regret de ce qui s'est fait et d'engager une certaine réflexion sur le lien social et sur les obligations qui en découlent. Cette mesure me paraît donc constituer un véritable progrès en matière de politique pénitentiaire.
Monsieur le ministre, il ne faut pas, dans une telle affaire, s'arrêter à des considérations financières et arguer du fait que ce système, s'il devait demain être appliqué partout, coûterait trop cher au budget de la justice.
M. le président de la commission des lois a déjà répondu sur ce point. J'ajouterai que le système des peines constitue un secteur dans lequel il est possible de procéder de manière expérimentale ; en effet, alors que beaucoup d'autres domaines, telle l'organisation judiciaire, interdisent des expérimentations, il n'y a pas d'obstacle, dans le cas présent, à commencer à appliquer la réforme ici ou là, dès que l'on aura pu se procurer les équipements, ce qui permettra d'apprécier les résultats au cours d'une approche expérimentale. Une telle démarche ne devrait pas entraîner de difficultés financières. C'est dans cet esprit que nous voterons ce texte. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Je tiens à m'associer à l'hommage unanime rendu à M. Guy Cabanel, qui a toujours beaucoup d'idées intéressantes. La persévérance qu'il a montrée dans cette affaire du placement sous surveillance électronique, qui soulevait au départ un certain scepticisme, est tout à fait louable.
En cette occasion, nous avons à mon avis fait un bon travail. La surpopulation carcérale est l'une des plaies de notre société, l'un des problèmes dont il est fréquemment question, et que M. Badinter a très souvent évoqué.
Je m'associe totalement aux propos tenus tout à l'heure par M. le président de la commission des lois. Bien évidemment, les sénateurs siégeant de ce côté-ci de l'hémicycle (L'orateur désigne la droite de l'hémicycle.) voteront unanimement la proposition de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
Mme Nicole Borvo. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.

(La proposition de loi est adoptée.)

4

SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE
CAMEROUNAISE

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence dans notre tribune officielle d'une délégation de six députés de l'Assemblée nationale du Cameroun, conduite par M. Raymond Mengolo, président du groupe parlementaire du Rassemblement démocratique du peuple camerounais et président du groupe d'amitié Cameroun-France de cette assemblée.
Au nom du Sénat, je leur souhaite la bienvenue. Je forme des voeux pour que leur séjour dans notre pays soit fructueux et qu'il permette de resserrer encore les liens d'amitié qui unissent nos deux pays. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

5

CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE
SUR LES GRANDS PROJETS
D'INFRASTRUCTURES TERRESTRES

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 107, 1997-1998) de M. Gérard Larcher, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, sur la proposition de résolution (n° 61, 1997-1998) de MM. Maurice Blin, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan, Jean François-Poncet et Gérard Larcher tendant à créer une commission d'enquête chargée d'examiner le devenir des grands projets d'infrastructures terrestres d'aménagement du territoire, dans une perspective de développement et d'insertion dans l'Union européenne. [Avis n° 101 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des affaires économiques et du Plan, après un débat particulièrement ouvert, a approuvé à l'unanimité, le mercredi 26 novembre dernier, le principe de la création d'une commission d'enquête chargée d'examiner le devenir des grands projets d'infrastructures terrestres d'aménagement du territoire dans une perspective de développement et d'insertion dans l'Union européenne.
La commission des lois, saisie pour avis, a, quant à elle, estimé que cette proposition était conforme aux dispositions de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
La création de cette commission d'enquête nous paraît d'autant plus indispensable que les objectifs définis par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire ne pourront être atteints sans une politique des infrastructures, notamment de transport, claire et ambitieuse.
Je rappellerai tout d'abord les dispositions de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995.
La loi d'orientation avait notamment prévu la révision et la prolongation jusqu'en 2015 de différents schémas directeurs : le schéma directeur routier national, le schéma du réseau ferroviaire et le schéma des voies navigables.
L'article 36 de la loi d'orientation prévoyait, en outre, le financement et l'achèvement de la mise à grand gabarit du canal Rhin-Rhône.
La loi d'orientation fixait enfin l'objectif qu'en 2015 « aucune partie du territoire français métropolitain continental ne devait être située à plus de cinquante kilomètres, plus de quarante-cinq minutes d'automobile, soit d'une autoroute ou d'une route expresse à deux fois deux voies en continuité avec le réseau national, soit d'une gare desservie par le réseau ferroviaire à grande vitesse ».
Aujourd'hui, les orientations et un certain nombre de décisions prises par le Gouvernement suscitent des interrogations.
Les auteurs de la proposition de résolution, tout comme la commission des affaires économiques et du Plan observent que des prises de position ambiguës et des décisions en apparence contradictoires du Gouvernement ont jeté le trouble dans l'opinion et paraissent remettre en cause ces orientations en matière tant de transport fluvial que de liaisons routières ou ferroviaires.
Depuis sa prise de fonction, le Gouvernement a en effet décidé, avant de procéder, d'ailleurs, aux études contradictoires nécessaires, d'abandonner le projet de liaison fluviale Rhin-Rhône, ce qui pose plusieurs problèmes.
Tout d'abord, un projet débattu et voté par le Parlement peut-il être remis en cause par une simple décision gouvernementale ?
Par ailleurs, l'abandon du projet implique-t-il un manquement à la parole de l'Etat ?
Enfin, sur le fond, a-t-on pris la mesure des conséquences non seulement financières et économiques mais aussi écologiques de cette décision ?
J'observe que ce choix risque de laisser la France isolée face à une Europe rhénane toujours plus puissante et directement reliée au Danube et à la mer Noire.
Nous avons donc le devoir d'examiner en toute sérénité, en toute objectivité, les aspects économiques et écologiques du problème.
En matière routière, trois liaisons prévues par le schéma directeur routier de 1992 ont été, notamment, remises en cause : l'A 58, l'A 51 et l'A 16 au niveau de son débouché en Seine-Saint-Denis.
Si le ministre de l'équipement a indiqué qu'aucun chantier ne serait arrêté, il s'est empressé d'ajouter qu'une seule contestation portant sur un chantier suffirait pour que celui-ci fasse l'objet d'un réexamen.
Les propos réitérés sur la nécessité de mettre fin au « tout autoroute » s'accompagnent d'une rumeur persistante selon laquelle le Gouvernement envisagerait une réforme du système routier et de son financement qui se traduirait par la création d'un établissement public baptisé « Routes de France », lequel assurerait la péréquation des financements.
La majorité elle-même et le Gouvernement semblent traversés par des clivages ; le débat sur le projet de loi de finances dans cet hémicycle l'a bien démontré.
Il va sans dire que cette opération pourrait avoir pour conséquence d'assécher les ressources du réseau autoroutier et de parachever une débudgétisation inquiétante des routes.
La situation est tout aussi préoccupante en matière ferroviaire. Des déclarations ont fait planer le doute sur la pérennité de la réforme entamée au printemps dernier avec la création de Réseau ferré de France, laquelle, je le rappelle, préludait au désendettement indispensable de la SNCF.
Aucun engagement chiffré, aucun calendrier précis n'ont été présentés, s'agissant de l'achèvement des TGV Méditerranée, Atlantique et Rhin-Rhône.
Quel sera d'ailleurs l'avenir des TGV en site propre, compte tenu de la préférence affichée du ministre de l'équipement pour le développement de trains pendulaires sur le réseau classique ?
Toutes ces questions méritent aujourd'hui une réflexion, une analyse et une réponse de la représentation nationale.
Je ne crois pas, d'ailleurs, que l'annonce d'une réforme de la procédure d'enquête publique permettra d'améliorer la réalisation de ces grands projets. Laissons aux modifications de la procédure d'enquête publique qui avaient été présentées par M. Barnier le temps de vivre et examinons ce qu'elles apportent de positif avant de tout bouleverser encore.
Nos amis néerlandais vont consacrer 100 milliards de florins, soit plus de 320 milliards de francs, à la modernisation du port de Rotterdam, de leurs canaux et du réseau routier dans la Randstad, tout en faisant du « multimodal » à caractère électronique.
Or, nous savons bien, monsieur le président de la commission des affaires économiques, pour nous intéresser depuis tant d'années à ces questions d'aménagement du territoire, que les infrastructures ne sont pas que ferrées, que fluviales. Vous l'avez déjà dit et écrit, les infrastructures de télécommunication, de communication, à la fois numérique et transport chiffré de la matière grise, seront, demain, essentielles.
Moi-même, dans le cadre du rapport que j'ai eu l'honneur de présenter sur La Poste, j'ai pu découvrir que nos amis néerlandais avaient compris que le multimodal n'était pas fait que de l'assemblage de quais pour conteneurs passant du bateau à la péniche ou au camion, qu'il comporterait, demain, des sites de communication, d'échange, de messagerie rapide, de communication à caractère électronique, et que ceux-ci devaient être rassemblés.
Eh bien, ce que font les Néerlandais, tous nos partenaires européens, y compris les Allemands, malgré leurs difficultés, commencent à le faire. Ainsi donc, ils semblent mieux maîtriser les processus de décision qui permettent la réalisation des grandes infrastuctures.
Pourquoi ce qui a été possible du point de vue écologique sur le Main - on connaît la sensibilité allemande sur ces sujets - serait-il totalement impossible dans la vallée du Doubs ? Peut-être est-ce impossible, mais encore faut-il que nous en discutions, que nous examinions la situation et qu'ensemble, objectivement, nous fassions la part entre l'intérêt économique et une écologie raisonnée. Car l'écologie ne peut pas être seulement féodale et territorialisée ; elle doit être globale et prise en compte au regard de l'intérêt général du pays. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
La commission des affaires économiques et du Plan nourrit des inquiétudes en ce qui concerne la détermination du Gouvernement en la matière. M. Huchon nous l'a également fait remarquer en ce qui concerne le territoire rural.
Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement faisait observer, lors de l'examen de son budget devant le Sénat, qu'« une infrastructure ne tient pas lieu de stratégie d'aménagement du territoire ». Certes, mais encore faut-il, pour mener une stratégie victorieuse, avoir des armes, et, précisément, les infrastructures, de ce point de vue, sont parmi les armes qui comptent.
L'ensemble des commissaires présents lors de la réunion de la commission des affaires économiques, quel que soit leur groupe, ont approuvé le principe de la création d'une telle instance. Il appartiendra donc à la commission d'enquête, dans sa diversité, en toute sérénité et en toute objectivité, d'examiner l'ensemble de ces questions.
C'est compte tenu de ces éléments, mes chers collègues, que je vous demande de bien vouloir, à votre tour, adopter la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d'enquête.
Ainsi, le Sénat pourra remplir une de ses missions essentielles, mission qui lui est conférée par la Constitution et qui tient à sa nature même, à savoir la représentation du territoire dans sa diversité, qu'il soit rural ou urbain. En effet, notre pays ne doit pas être divisé en territoires qui s'opposeraient, et c'est bien à nous, ensemble, qu'il appartient d'assurer la cohérence du tout. Tel est aussi le sens de cette commission d'enquête. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.) M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. André Bohl, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage univesel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, lorsqu'une proposition de résolution tend à créer une commission d'enquête, la commission des lois est appelée à émettre un avis sur la conformité de cette proposition avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
La compétence de la commission des lois se limite donc strictement à l'étude de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête « chargée d'examiner le devenir des grands projets d'infrastructures terrestres d'aménagement du territoire, dans une perspective de développement et d'insertion dans l'Union européenne ».
Qu'il me soit permis de rappeler que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 a été modifié par la loi du 20 juillet 1991, qui a regroupé les commissions d'enquête et les commissions de contrôle sous la dénomination commune de commissions d'enquête.
Ces commissions d'enquête peuvent porter soit sur des faits, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales.
La tâche de la commission des lois consistait donc à étudier le contenu de la proposition de résolution.
En l'espèce, si l'on se réfère à l'exposé des motifs de la proposition de résolution, nos collègues souhaitent la constitution d'une commission d'enquête afin d'éclairer le Sénat et l'opinion publique. Il ne s'agirait nullement d'enquêter sur des faits déterminés. Les éléments d'information que la commission d'enquête serait chargée de recueillir touchent d'ailleurs à des domaines où l'absence de poursuites judiciaires est manifeste. Sont concernées, de toute évidence, des activités de service public.
C'est pourquoi la commission des lois estime que la proposition de résolution n'est pas contraire à l'ordonnance du 17 novembre 1958, sans qu'il soit nécessaire d'interroger le Gouvernement sur l'existence éventuelle de procédures judiciaires. Elle propose donc au Sénat d'adopter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête chargée d'examiner le devenir des grands projets d'infrastructures terrestres d'aménagement du territoire.
C'est la première des trois commissions d'enquête proposées par la majorité sénatoriale, ce matin, sur des sujets différents.
On ne peut que s'interroger sur les objectifs véritables et la pertinence de telles procédures.
En effet, selon le règlement, « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées ».
Or, il s'agit, dans le cas présent, d'enquêter sur « le devenir des grands projets d'infrastructure... », c'est-à-dire non sur des faits ou des réalisations mais sur des présomptions.
Pour nous, cela s'apparente à une opposition de principe de la majorité sénatoriale à tout projet gouvernemental puisque, on l'a dit, la même procédure est utilisée sur la question des trente-cinq heures, la régularisation des étrangers en situation irrégulière et, demain, sans doute, sur d'autres sujets encore.
Outre que cela relève de la suspicion sur l'action potentielle des ministères concernés, il s'agit également d'un manque de respect total de la volonté du peuple, qui a tout de même voté, au printemps dernier - rappelons-le - pour une certaine majorité gouvernementale !
Nous refusons une telle démarche, qui procède de la manoeuvre politicienne et d'une opposition de blocage plus que d'une réelle recherche d'efficacité et de transparence.
Il est important et légitime que des initiatives parlementaires soient prises dans le cadre des actions et politiques gouvernementales. Cela fait partie des règles de la vie démocratique et est essentiel à une implication réelle du Parlement.
Mais, dans le cas présent, il nous semble s'agir plus d'une opposition systématique remettant en question la majorité gouvernementale sur le fond que d'une volonté de faire avancer les débats.
Une loi d'orientation d'aménagement du territoire est en cours d'élaboration et sera présentée par la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement au printemps prochain, après la consultation de l'ensemble des acteurs locaux.
Dans cette perspective, il serait intéressant, effectivement, de débattre en amont, au Parlement, de ces questions, dans une démarche constructive et participative qui privilégierait la volonté de plus grande transparence et de démocratisation des procédures.
Nous sommes, évidemment, tout à fait en accord avec ces principes.
Je tiens d'ailleurs à préciser que nous avions voté « pour » la proposition d'enquête en commission, car il nous paraissait, à l'issue du rapport oral en son sein, que cette initiative témoignait d'une volonté de la part de la majorité sénatoriale de participer à la préparation de la prochaine loi d'orientation. Cela nous a paru légitime.
Mais à la lecture du rapport de M. Gérard Larcher, à l'écoute des propos qu'il a tenus à cette tribune, et étant donné le recours répété à cette procédure de la commission d'enquête, il semble évident que la démarche traduit plutôt une volonté de blocage et une suspicion à l'égard des actions ministérielles.
Nous refusons d'approuver de tels procédés, qui n'apporteront rien aux citoyens et relèvent d'une attitude politicienne qui ne nous intéresse pas.
Le travail ne manque pas pour relever les défis auxquels est confrontée aujourd'hui la France, alors soyons efficaces et cohérents et privilégions le débat et la participation de tous, mais en respectant les règles du jeu, avec le souci constant de permettre à notre pays d'avancer, et non en nous abandonnant à la démagogie, qui se révèle toujours stérile et dangereuse à long terme pour le fonctionnement politique du pays et la qualité de la vie des citoyens.
Par conséquent, nous voterons contre cette proposition de résolution.
Cependant, il serait intéressant de revenir un instant sur l'action du précédent gouvernement s'agissant des questions qui sont abordées dans le texte de la proposition de résolution.
Ainsi, pourquoi les schémas directeurs sectoriels n'ont-ils pas été promulgués entre 1995 et 1997 par l'ancienne majorité, qui en avait tout le temps ? On nous dit aujourd'hui que certaines infrastructures doivent coûte que coûte être réalisées, mais pourquoi la droite n'en a-t-elle pas pris l'initiative ? Il faudrait, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous en expliquer à l'occasion de ce débat.
De plus, souvenons-nous que c'est le gouvernement de M. Juppé qui a prolongé d'un an le délai de réalisation des contrats de plan Etat-région, initialement fixé à cinq ans, et ce en vue d'assurer le montage du financement des infrastructures en question.
Aujourd'hui, la mise en oeuvre des contrats de plan n'est qu'aux deux tiers achevée. La réalisation de toutes les infrastructures prendra donc vraisemblablement huit ans plutôt que cinq ou six ans, comme il était prévu. C'est donc bien le précédent gouvernement qui n'a pas tenu la parole de l'Etat, à cause de la politique budgétaire d'austérité qu'il a menée et qui était destinée à limiter les dépenses publiques, afin de respecter les critères économiques de convergence fixés par le traité de Maastricht.
Non seulement la droite n'a pas tenu parole, mais elle a en outre promis, à des fins de toute évidence électoralistes, la réalisation de très nombreux travaux, au-delà de ce qui était inscrit dans les schémas directeurs.
Par conséquent, à son entrée en fonction, le nouveau gouvernement a dû prendre à son compte les promesses suivantes : la création des TGV Est et Rhin-Rhône, l'achèvement du TGV Méditerranée et la prolongation du TGV Ouest. Le coût de l'ensemble de ces travaux est évalué à 200 milliards de francs, or le ministre concerné ne disposait que de 500 millions de francs pour réaliser ce très ambitieux programme !
A ce rythme, vingt ans seraient nécessaires pour mettre en oeuvre le schéma directeur des TGV.
Alors que les deux gouvernements précédents ont pratiqué le « tout-TGV », nous approuvons le fait que le nouveau gouvernement poursuive la réalisation du programme TGV, mais sans négliger le réseau classique ni le développement du transport de marchandises par le rail.
Par ailleurs, le choix du « tout-autoroute » effectué par les gouvernements précédents a conduit à négliger l'entretien des routes et les programmes de création d'axes à deux fois deux voies. Le recours systématique à la concession pour la réalisation de ces programmes a permis de ne pas faire supporter le coût de la construction d'infrastructures nouvelles par le budget de l'Etat.
C'était là une solution de facilité, mais elle porte préjudice aux usagers, qui sont contraints de payer de plus en plus, et de plus en plus longtemps, à des péages de plus en plus nombreux.
Il est grand temps, comme nous le demandons depuis des années, de revoir le système de financement des routes et autoroutes de ce pays, afin de rationaliser le développement des réseaux et de garantir que les programmes inscrits dans les schémas sectoriels d'aménagement seront effectivement réalisés.
Parallèlement, il nous semble nécessaire de développer l'intermodalité, que les gouvernements précédents n'ont jamais su ou voulu mettre en place.
En effet, le souci était alors de faire de la France, au nom de la libre circulation des marchandises, une vaste zone de transit européen. Or cette logique tend inévitablement à concentrer les activités le long des grands axes européens, et à accroître ainsi l'enclavement de nombreuses régions et bassins d'emploi. Cela va à l'encontre d'un aménagement équilibré du territoire.
Nous savons qu'un projet de loi portant sur ces questions devrait être débattu dans le courant de l'année 1998, et qu'un projet de loi visant à réformer la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire sera également prochainement soumis au Parlement.
Ces deux textes ont été annoncés, et la représentation nationale sera donc démocratiquement consultée. Ils fourniront au Parlement l'occasion de débattre, d'amender, voire, et c'est le droit élémentaire de l'opposition, de refuser telle ou telle disposition. Pourquoi, dans ces conditions, instaurer une commission d'enquête et faire ainsi un procès d'intention ?
Chers collègues de la majorité sénatoriale, c'est pour en finir avec la politique passée que, au mois de juin dernier, les Françaises et les Français ont décidé de changer de majorité. Aussi soutenons-nous le Gouvernement lorsqu'il entend faire voter de nouvelles lois et procéder à de nouveaux choix en matière de soutien au développement économique de notre pays. Nous veillerons à ce que cette démarche se traduise rapidement par des actes.
Actuellement, le gouvernement issu de la gauche plurielle doit assumer, en matière d'infrastructures et d'aménagement, les conséquences de choix qui ne sont pas les siens. Il travaille, sous cette contrainte, à l'élaboration d'une politique nouvelle qui réponde véritablement à l'intérêt général.
Cette politique doit, selon nous, s'inscrire dans une perspective de développement économique et social durable, pour un aménagement véritablement équilibré du territoire et pour l'emploi. Cette voie ne sera pas facile, mais les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen contribueront de toutes leurs forces à la réussite des actions engagées.
Je répète, en conclusion, que nous voterons contre la constitution de cette commission d'enquête, qui s'inscrit dans une logique d'opposition globale et systématique à la politique du nouveau gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Philippe François. C'est la dialectique marxiste ringarde !
M. Alain Gournac. Le disque est rayé !
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, mes chers collègues, les auteurs de la proposition de résolution tirent prétexte de l'annonce faite par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale du 19 juin dernier, conformément aux engagements qu'il avait pris lors de la campagne pour les élections législatives, de l'abandon du projet de construction du canal à grand gabarit Rhin-Rhône pour dénoncer ce qu'ils considèrent être « une remise en cause de certains choix concernant les infrastructures de communication », qui elle-même serait « une remise en cause de notre politique d'aménagement du territoire dans le cadre européen ».
Voilà qui est surprenant ! Voilà qui surprendra plus d'un spécialiste de l'aménagement du territoire ! Le développement de notre territoire et son insertion dans l'espace européen passeraient donc par la réalisation du canal Rhin-Rhône.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Eh oui, c'est ainsi !
M. Guy Allouche. Dès lors, je m'interroge : pourquoi avoir attendu la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 pour décider de la construction de ce canal ? La réponse est simple : tout bonnement parce que ce projet s'est révélé, au fil du temps, n'être rentable ni en termes d'aménagement du territoire - fût-ce à l'échelle européenne - ni du point de vue économique, ni, enfin, en termes de développement durable.
Cette opinion, mes chers collègues, est partagée par tous : élus, notamment de l'opposition, qu'ils soient parlementaires ou élus locaux, experts, simples citoyens et, enfin, magistrats d'une grande juridiction soucieuse de la bonne utilisation des deniers publics - je pense ici à la Cour des comptes.
Tout d'abord, c'est l'ancien ministre de l'environnement de M. Juppé, Mme Corinne Lepage, qui s'est exprimée en ce sens. N'a-t-elle pas jugé ce projet « pharaonique », selon sa propre expression ? Et, commentant les conclusions de la consultation publique lancée en novembre 1995 par le Premier ministre d'alors, M. Juppé, n'a-t-elle pas déclaré que « cette consultation met en lumière des questions importantes sur la maîtrise des inondations, les problèmes d'alimentation en eau en période d'étiage, les risques d'eutrophisation du Doubs, la pollution des nappes phréatiques, les atteintes aux zones humides, ou l'évacuation et l'utilisation des matériaux excédentaires » ? Autant d'incertitudes et de problèmes environnementaux, mais aussi de santé publique qui, pour le moins, auraient dû inciter les deux précédents gouvernements à bien plus de prudence.
Ce projet de canal Rhin-Rhône est également contesté par certains de nos collègues députés, comme MM. Daubresse et Bussereau, tous deux membres de l'UDF, qui se sont très clairement et publiquement félicités de l'abandon de ce projet lors de l'examen des crédits budgétaires du ministère de l'équipement, des transports et du logement à l'Assemblée nationale, le 24 octobre dernier.
Ce projet est ensuite contesté par les élus du conseil régional de Franche-Comté, présidé par M. Pierre Chantelat, membre de l'UDF. Lors d'un débat sur ce sujet, le 22 février 1996, par dix-huit voix contre treize, les conseillers régionaux ont répondu négativement à la question suivante : « Le canal à grand gabarit, dans la logique de l'aménagement du territoire de l'axe nord-sud, est-il l'investissement le mieux adapté ? »
Ce projet est encore contesté par les populations concernées. La consultation publique n'a-t-elle pas mis en évidence une majorité d'avis négatifs ?
Ce projet, enfin, est contesté par la Cour des comptes. Dois-je rappeler que, en février 1996, celle-ci s'était interrogée sur la manière quelque peu légère avec laquelle la Compagnie nationale du Rhône avait révisé à la hausse les prévisions établies par un bureau d'études sur l'évolution du trafic de la liaison Rhin-Rhône, sans doute pour mieux justifier la construction de celle-ci ? Dois-je rappeler aussi que le coût de la réalisation de cette liaison, évalué à 17,3 milliards de francs hors taxes en 1993, est passé en 1995 à 27,8 milliards de francs toutes taxes comprises, soit une nette augmentation en deux ans ? Dois-je enfin rappeler que le mode de financement retenu par la majorité sénatoriale lors de l'examen du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire est quelque peu contestable, puisqu'il repose sur l'établissement public Electricité de France, dont ce n'est pas la mission, et, en fin de compte, sur le consommateur d'électricité, quels que soient ses revenus ?
Mon propos n'est pas de m'opposer à la création de voies fluviales, je souhaite simplement faire appel à la sagesse du Sénat, pour que celui-ci admette enfin que la réalisation du canal Rhin-Rhône est une fausse bonne idée.
M. Gérard Larcher, rapporteur. On verra !
M. Guy Allouche. D'autres liaisons fluviales semblent beaucoup plus prometteuses en termes d'aménagement, de développement durable et de coût pour la collectivité. Je pense, par exemple, à la réalisation du canal Seine-Nord, choix que M. le rapporteur spécial pour les crédits des transports terrestres, M. Auguste Cazalet, a jugé, dans son rapport budgétaire, « d'une pertinence économique incontestable ».
Enfin, je répondrai à certaines inquiétudes exprimées par M. le rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan suite à la décision d'abandonner la construction du canal Rhin-Rhône.
Certes, une décision ministérielle ne peut pas remettre en cause un projet inscrit dans la loi, mais puis-je rappeler que M. le Premier ministre a annoncé une révision de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire et que, à cette occasion, la représentation nationale aura tout le loisir de s'exprimer sur cette question ? Je ne pense pas me tromper en affirmant que le choix du Gouvernement sera entériné par les parlementaires, et pas uniquement par ceux de la majorité. Par ailleurs, comme vous le savez, mes chers collègues, une mission interministérielle a été mise en place afin d'examiner l'ensemble des conséquences de l'abandon du projet.
S'agissant du renforcement des voies de communication intraeuropéenne, qui constitue la question de fond, je ne crois pas que le canal Rhin-Rhône soit d'une bien réelle utilité. Je crois davantage, en ce qui concerne notamment le transport de marchandises, à la création de corridors de fret ferroviaire, comme celui dont les chemins de fer français, luxembourgeois, belges et italiens viennent d'annoncer la mise en service entre Anvers et le sud de l'Italie à partir du 12 janvier 1998.
S'agissant des autres exemples cités par notre rapporteur, à savoir les autoroutes A 58 dans le Var et les Alpes-Maritimes, l'A 52 Gap-Sisteron, l'A 28 reliant Rouen à Alençon et le débouché en Seine-Saint-Denis de l'A 16, je tiens à lui signaler que ces projets ne sont pas remis en cause. Le ministre des transports l'a bien confirmé devant le Sénat le 4 décembre dernier.
Il s'agit simplement de « poser convenablement le problème pour élaborer des solutions adaptées ». Le schéma autoroutier de 1992, modifié par le gouvernement de M. Balladur en 1994, est toujours en vigueur. Mais nous savons tous que la ressource est rare pour tout à la fois réaliser de nouvelles infrastructures routières, entretenir l'existant et développer le ferroviaire. M. Juppé, alors Premier ministre, s'en était tellement rendu compte qu'il avait prolongé d'une année la durée des contrats de plan Etat-région.
J'ai donc du mal à comprendre les raisons pour lesquelles la commission des affaires économiques souhaite la création d'une commission d'enquête chargée « d'examiner les conditions dans lesquelles semblent aujourd'hui remis en cause certains choix stratégiques concernant les infrastructures de communication, et les incidences qu'une telle remise en cause pourrait avoir sur l'aménagement et le développement du territoire français, notamment du point du vue de son insertion dans l'Union européenne.
Aucun projet, hormis celui du canal Rhin-Rhône, n'est remis en cause. Le budget des transports terrestres pour 1998 en témoigne, comme le note notre rapporteur spécial Auguste Cazalet : « L'effort en faveur des transports terrestres est le plus important jamais réalisé avec 57,3 millions de francs. »
L'action du Gouvernement s'inscrit dans une double perspective.
Tout d'abord, il s'agit de remettre à plat la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, notamment ses outils de planification comme les schémas d'infrastructures.
Nous savons tous que cette loi est inapplicable et inappliquée : plus de deux ans après son adoption, l'ancienne majorité n'a réussi qu'à présenter, lors du comité interministériel d'aménagement du territoire d'Auch, du 10 avril dernier, un schéma national d'aménagement et de développement du territoire totalement invertébré, un catalogue de bonnes intentions qui, en fin de compte, a suscité des critiques de toute part. Le Gouvernement a décidé de reprendre le dossier pour permettre un développement à la fois équilibré, mais aussi durable de nos territoires.
Les schémas sectoriels devraient être modifiés pour mieux prendre en compte la demande des usagers et s'inscrire dans le cadre de schémas de services. Ils devraient être définis de manière intermodale, afin de jouer sur les complémentarités entre les différents modes de transports et non sur la simple concurrence, prenant en compte l'externalité des coûts et ce, au profit de tous. Nous devrions en savoir plus lors du CIAT du 15 décembre prochain.
Ensuite, il s'agit de repenser le financement de nos infrastructures. La ressource est rare, comme je l'ai déjà dit. Le système de la concession autoroutière montre ses limites. L'endettement des sociétés d'autoroute est préoccupant. Il est, là encore, nécessaire, de tout remettre à plat.
Je ne pense pas d'ailleurs que le président François-Poncet me contredira. Dans son rapport « Réseaux et territoires », qu'il a rendu en vue de préparer le schéma national d'aménagement et de développement du territoire, n'a-t-il pas écrit que : « la contrainte de rareté de nos capacités de financement, en particulier de financement public, exclurait toute latitude en matière d'infrastructures jusqu'en 2005, si l'on considérait comme irréversibles les opérations ayant fait l'objet de décisions de principe » ?
Je m'étonne dès lors que M. le président François-Poncet soit signataire de cette proposition de résolution. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Je m'étonne aussi de la contradiction exprimée par la majorité sénatoriale, qui, d'un côté, réclame de nouvelles routes et autoroutes et, de l'autre, votre des réductions de crédits dans le budget du ministère des transports.
J'aurais aimé que la majorité sénatoriale adopte une attitude plus constructive, moins politicienne, et que, au lieu de montrer du doigt de virtuelles remises en question de réalisations d'infrastructures, elle apporte sa contribution à une réflexion sur le développement de nos réseaux de communication ainsi que sur leur financement, à l'occasion d'une mission d'information.
Mes chers collègues, nous savons tous que les commissions d'enquête sont une prérogative du Parlement. Celle-ci sera mise en place. Toutefois, le groupe socialiste s'abstiendra au moment de sa constitution. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Huchon.
M. Jean Huchon. Monsieur le président, mes chers collègues, à ce point du débat, mon propos sera très simple et très concis, tout ayant été dit, notamment par mon ami Gérard Larcher, sur ce problème de constitution d'une commission d'enquête chargée d'examiner le devenir des grands projets d'infrastructures terrestres d'aménagement du territoire.
M. François-Poncet et moi-même avons, depuis cinq ou six ans, sillonné la France et même voyagé hors de France pour nous faire une idée précise de l'aménagement ou plutôt du déménagement du territoire. Je suis donc surpris d'entendre les propos qui ont été tenus par notre excellente collègue Mme Terrade et par M. Allouche, et qui concernent cette prudence dans notre aménagement du territoire. Tout investissement en dehors du périphérique est remis en cause et sujet à caution parce que c'est une dépense inutile.
L'aménagement du territoire relève du devoir national et a pour objet de faire en sorte que l'ensemble du territoire soit drainé financièrement et que nous puissions bénéficier des grands investissements nationaux.
Il semble aujourd'hui remis en cause par certains choix relatifs aux infrastructures de communication et par les incidences que ces choix pourraient avoir sur l'aménagement et le développement de notre territoire.
La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire avait défini un objectif pour l'horizon 2015. A cette échéance, « aucune partie du territoire français métropolitain continental ne devait être située à plus de 50 kilomètres ou de quarante-cinq minutes d'automobile soit d'une autoroute ou d'une route express à deux voies en continuité avec le réseau national, soit d'une gare desservie par le réseau ferroviaire à grande vitesse ».
L'actuel gouvernement a jeté le trouble dans l'opinion en paraissant remettre en cause des orientations jusqu'alors tenues pour acquises, qu'il s'agisse de la voie d'eau - canal Rhin-Rhône - de la route - A 58, A 51, A 16 - ou du chemin de fer - TGV.
Mon cher ami Allouche, je précise aussi que l'A 87, Angers - Cholet - Les Sables-d'Olonne, avait été remise en cause. La décision de report a été tellement choquante qu'elle a déchaîné sur place une petite révolution. Il y a eu une délégation conduite d'ailleurs par les élus socialistes de la région, MM. Auxiette et Marchand, qui ont couru chez M. Jospin pour faire annuler cette décision de report afin que l'investissement, d'ailleurs commencé, soit poursuivi.
Les schémas directeurs étaient subordonnés au nouveau schéma national d'aménagement et de développement du territoire prévu pour cette année. Le Gouvernement est, semble-t-il, en train de le préparer, mais aucun calendrier n'a été fixé pour le moment.
Ces abandons, ou ces positions ambiguës sur l'avenir des grandes infrastructures de transports interviennent au moment où l'Union européenne approfondit son intégration et prépare son élargissement.
Selon les auteurs de la proposition de résolution, tout retard pris dans l'équipement de notre pays en matière d'infrastructures de communication met à mal la volonté de rééquilibrage du territoire exprimée par le Parlement en 1995 et compromet la chance de la France de tirer parti de la position centrale qu'elle occupe en Europe.
J'en viens au canal Rhin-Rhône. Même si l'opinion négative des budgétaires de Bercy et du corps des ponts et chaussées a pesé dans la balance pour conduire le Gouvernement à l'abandon du projet, c'est surtout pour des raisons liées à la sauvegarde de l'environnement que le gouverneur a condamné le canal à grand gabarit. On se rappelle l'opposition farouche des écologistes de la vallée du Haut-Doubs - région d'élection de certain personnage important du Gouvernement - à ce projet.
Il est à craindre que, pour des raisons identiques, d'autres infrastructures de transport soient remises en question ou tout simplement abandonnées.
Le cas du canal Rhin-Rhône est symptomatique, comme l'explique Jacques Rocca Serra dans un ouvrage qu'il vient de publier. Certes, la construction d'une telle voie fluviale porte atteinte à l'environnement. Pour autant, toutes les études avaient été conduites pour réhabiliter les berges, organiser la préservation des espèces animales et végétales. Des budgets très importants avaient été prévus à cette fin.
Or, lorsque l'on sait qu'une barge de 4 400 tonnes peut remplacer aisément plus de 220 camions, on ne cherche pas longtemps qui est le plus responsable de la pollution atmosphérique !
L'abandon de cette liaison fluviale éloigne la France de l'Europe centrale et orientale, de la future Union européenne. On l'empêche également de s'ouvrir sur le monde méditerranéen. Bref, on l'isole et on la prive d'un moyen de communication adopté depuis longtemps par notre partenaire allemand.
En renonçant à plusieurs infrastructures de transport, la France renie la parole donnée à ses partenaires de l'Union européenne. Elle compromet l'aménagement du territoire européen.
Il est urgent que la France se dote d'une stratégie claire et durable en matière d'infrastructures de transport. Le Sénat avait largement contribué à définir cette stratégie lors de l'examen du projet de loi d'orientation.
La constitution d'une commission d'enquête répond à l'impérieuse nécessité d'une politique volontariste en matière d'aménagement du territoire et permettra au Sénat de témoigner une nouvelle fois de ses convictions en ce domaine.
Le Gouvernement se doit de clarifier et de justifier ses choix.
Le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement a laissé filtrer plusieurs informations sur une réforme des procédures de reconnaissance de l'utilité publique. Le ministre de l'équipement, des transports, du logement et du tourisme a, de son côté, évoqué une réforme de notre système routier.
Il est urgent d'avoir des éléments précis sur ces dossiers importants qui conditionnent l'avenir de la politique d'aménagement du territoire.
Grâce à cette commission d'enquête, le Sénat utilise pleinement son pouvoir de contrôle de la politique gouvernementale. Elle répond à une forte attente non seulement des élus, mais également des Français, car le désenclavement est une condition indispensable à leur avenir. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Claude Estier. Vous étiez moins exigeant quand la droite était au pouvoir !
M. Jean Huchon. Exactement pareil.
M. Gérard Larcher, rapporteur. M. Huchon est toujours le même !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.

« Article unique . - Conformément à l'article 11 du règlement du Sénat et à l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres chargée d'examiner les conditions dans lesquelles semblent aujourd'hui remis en cause certains choix stratégiques concernant les infrastructures de communication, et les incidences qu'une telle remise en cause pourrait avoir sur l'aménagement et le développement du territoire français, notamment du point de vue de son insertion dans l'Union européenne. »
M. Gérard Larcher, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Larcher, rapporteur. J'ai bien entendu ceux de nos collègues qui se sont exprimés.
Je dois dire que M. Huchon ne m'a pas étonné, car ses convictions n'ont jamais varié, quels que soient les ministres de l'aménagement du territoire et quels que soient les gouvernements : il a toujours montré sur le sujet la même volonté, la même détermination et le même parler direct et clair.
M. Philippe François. Puissant !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Je le remercie du soutien qu'il a bien voulu nous apporter. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Madame Terrade, vous avez été obligée de faire un exercice difficile, qui a consisté, après avoir voté en faveur de la proposition de résolution en commission, à exprimer aujourd'hui un avis différent !
M. Alain Gournac. Ce n'est en effet pas très facile !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Mais je comprends que vos positions dans l'hémicycle soient différentes, et je respecte cet avis. Je dois néanmoins vous dire que ni mon rapport écrit ni mes propos n'ont été décalés par rapport à l'échange riche, intéressant et chaleureux que nous avons eu en commission.
De plus, je voudrais rappeler deux choses.
En premier lieu, sur l'établissement public Routes de France, Mme Beaudeau a exprimé les mêmes préoccupations que moi-même sur les risques de débudgétisation. C'est une vraie interrogation que, par-delà notre diversité, nous pouvons partager.
En second lieu, je crois très sincèrement que l'aménagement du territoire nécessite que le Parlement, plus particulièrement le Sénat, joue pleinement son rôle.
Nous avons, Guy Allouche et moi-même, un souvenir commun en 1990, particulièrement chaleureux, que nous partageons avec M. Henri de Raincourt.
M. Guy Allouche. Absolument !
M. Gérard Larcher, rapporteur. En 1990, à la demande du bureau du Sénat, nous avons établi un rapport conjoint et commun dans lequel nous insistions sur le fait que le Sénat devait utiliser pleinement les pouvoirs et les missions constitutionnels qui sont les siens...
M. Alain Gournac. Il a oublié !
M. Gérard Larcher, rapporteur. ... pour animer la réflexion de la Haute Assemblée, sa communication avec le pays et sa contribution au contrôle effectif du Gouvernement et de la législation.
Tel est l'objet de la commission d'enquête et,...
M. Guy Allouche. Je n'ai pas dit le contraire !
M. Gérard Larcher, rapporteur. ... en tout cas, l'état d'esprit dans lequel le rapporteur aborde cette proposition de résolution.
Il ne s'agit pas de faire de cette commission d'enquête une arme de guerre. Il s'agit d'en faire un outil de réflexion. Avec le président de la commission des affaires économiques, M. Jean François-Poncet, nous avons effectivement l'honneur de représenter le Sénat au Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire.
M. Guy Allouche. J'attends la suite !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Les réflexions qui ont été conduites, notamment par la mission d'information sur l'aménagement du territoire, à laquelle participaient, autour du président de la commission, Jean François-Poncet, Jean Huchon, Roland du Luart et Louis Perrein contribuent encore aujourd'hui à nourrir les travaux préparatoires au schéma directeur.
Nous sommes donc pleinement dans notre rôle en demandant la constitution de cette commission d'enquête.
C'est de la manière dont nous travaillerons que dépendra le résultat. En tout cas, porter a priori un jugement sur la manière dont nous conduirons ces travaux me semble tenir du procès d'intention.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Je souhaite que celles et ceux qui participeront à cette commission d'enquête, dans leur diversité, démontrent que nous pouvons faire un travail positif et constructif.
M. Philippe François. Très bien !
M. Gérard Larcher, rapporteur. S'agissant de la liaison Rhin-Rhône, monsieur Allouche - nous l'évoquions à voix basse avec André Bohl - vous avez été un merveilleux avocat pour que la commission se saisisse du problème, pour qu'ensemble nous réexaminions les conditions économiques et écologiques de sa construction. Mais il faut aussi prendre en compte la place de la France au sein des communications intra-européennes.
Je ne dis pas aujourd'hui que cette liaison soit forcément la solution, ni qu'il faille absolument la réaliser. Le travail de notre commission d'enquête consistera justement à analyser l'ensemble de ces problèmes et à en tirer des conclusions.
M. Guy Allouche. C'est un gouffre financier !
M. Gérard Larcher, rapporteur. M. Jean François-Poncet avait eu un avis nuancé dans le rapport qu'il a fait à la commission thématique consacrée aux réseaux et territoires, réunie en vue de la préparation du schéma national d'aménagement du territoire.
Sa contribution sera naturellement prise en compte, ainsi que les résultats de la réflexion à laquelle on s'était alors livrée.
Le rôle d'une commission d'enquête, n'est-ce pas de présenter, après étude, des conclusions ? Vous, monsieur Allouche, vous avez déjà formulé des conclusions alors que je vous propose que nous réfléchissions ensemble !
M. Philippe François. Très bien !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Tel est le sens de cette proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête, commission d'enquête qui devra être ouverte, transparente dans ses analyses et dans ses objectifs. Le Sénat apportera ainsi une contribution déterminante au schéma national d'aménagement du territoire en jouant, une fois de plus, pleinement son rôle pour l'aménagement et le développement du territoire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Je voudrais revenir sur les motifs qui inspirent la création d'une commission d'enquête sur les infrastructures qu'on a, à mon sens, très mal perçus en prêtant à cette création une inspiration politique - j'ai même entendu le mot « politicienne ».
M. Raymond Courrière. C'est pourtant cela !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Ce n'est pas exact.
De toutes les informations dont nous disposons,...
M. Alain Gournac. Informations parfois contradictoires !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. ... parfois contradictoires en effet, il ressort que la politique générale des infrastructures qui a été conduite depuis des années par des majorités et des gouvernements successifs est aujourd'hui globalement remise en cause.
Le sujet est de première importance, et l'objectif de la commission d'enquête est justement de vérifier l'exactitude de cette conclusion.
Des décisions ont été prises. Ainsi, l'arrêt de la construction du canal Rhin-Rhône a été décidé dans les quelques jours qui ont suivi l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement sans qu'il y ait eu sur ce sujet ni étude ni réflexion.
Comme l'a très justement dit M. le rapporteur, je réserve ma conclusion sur le bien-fondé du canal Rhin-Rhône. Je me suis interrogé, et je crois qu'on a raison de de le faire, dans la mesure où il s'agit d'un projet très important qu'une partie de la France juge essentiel. Notre sous-développement en matière d'infrastructures de transport fluvial est suffisamment important pour justifier qu'une étude objective soit à nouveau faite. C'est ce que nous souhaitons en créant une commission d'enquête, et rien d'autre.
D'autres décisions ont été prises, des décisions de report, de réexamen, nous dit-on. Cela justifie également une étude.
On invoque un argument d'ordre financier à l'encontre de notre proposition.
Comme tout le monde, mes chers collègues, je suis de l'avis que nous devons non seulement maîtriser nos déficits budgétaires, mais aussi réduire le déficit pour que la France puisse entamer un désendettement qui constitue, à mon sens, une priorité.
Loin de moi, qui ai voté pour Maastricht et qui suis un partisan de la monnaie unique, l'intention de plaider pour une politique financière laxiste. Je ne me mettrai pas en opposition avec ce que je considère comme une priorité nationale.
Monsieur Allouche, vous avez cité deux phrases de mon rapport, que vous avez isolées de leur contexte. Permettez-moi de vous mettre en garde contre cette tendance bien connue qui consiste à extraire quelques lignes soigneusement choisies d'un document de près de cent pages pour en tirer des conclusions !
M. Guy Allouche. Je ne pouvais pas citer le texte intégralement, vous le savez bien !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Nous avons étudié ce problème de financement de très près pendant six mois. Or, qu'en ressortait-il ? Que les ressources dont disposait le système autoroutier français, qui, en effet, est endetté - mais cet endettement est supportable - suffisaient à la réalisation, dans les délais prévus, des infrastructures qui avaient été décidées, à condition de ne pas en rajouter. C'est tout ce qu'il y a dans le rapport ! Il n'y a pas de marge de manoeuvre jusqu'en 2005, c'est vrai, mais, jusque là, avec les ressources disponibles, on y arrive.
La vérité est qu'on utilise l'alibi budgétaire pour remettre en cause tout un système. Mais la raison véritable de la démarche est tout autre, vous le savez aussi bien que moi, monsieur Allouche. Est sous-jacente au débat une idée générale, à laquelle nous souscrivons, à condition de ne pas en faire une obsession : je veux parler du développement durable. Qui est contre le développement durable ? Qui souhaiterait un développement qui ne soit pas durable ? Soyons sérieux ! Personne ! Tout le monde souscrit à l'idée d'un développement durable, à condition, bien entendu, que cela ne devienne pas une mode, une sorte de « tarte à la crème » à laquelle on sacrifie, à la légère, les intérêts supérieurs du pays. C'est cela qui n'est pas acceptable et c'est cela qui est en cause !
Si l'on donne suite au projet qui consiste à prendre les ressources du système autoroutier pour les intégrer dans un système général de péréquation financière qui servira à financer les routes nationales, cela n'aura qu'une seule conséquence : la direction du budget ira chercher là les fonds qu'il faut économiser par ailleurs pour satisfaire aux critères qui nous sont imposés.
C'est une démarche tout à fait inquiétante, qui met en cause, ce qui est capital pour nous, notre capacité à nous doter d'une stratégie européenne d'infrastructures, tout cela pour disperser, avec la politique bien connue de l'arrosoir, les crédits disponibles.
Si ces différentes considérations ne justifient pas la constitution d'une commission d'enquête, alors, à mon avis, nous n'en créerons jamais ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions de la commission des affaires économiques sur la proposition de résolution n° 61 (1997-1998).
M. Claude Estier. Le groupe socialiste s'abstient.

(La résolution est adoptée.)

6

CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE
SUR LA RÉDUCTION DE LA DURÉE
DU TRAVAIL À TRENTE-CINQ HEURES

Discussion des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 159, 1997-1998) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sur la proposition de résolution (n° 75, 1997-1998) de MM. Maurice Blin, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan, Louis Souvet et Jean Arthuis tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires. [Avis (n° 163, 1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, mes chers collègues, le sujet dont nous allons débattre est évidemment un sujet crucial, crucial pour l'opinion publique et crucial pour le devenir de nos entreprises : chacun sait qu'il s'agit d'un débat essentiel, engagé, dans des conditions peut-être un peu surprenantes à certains égards, par la conférence nationale sur l'emploi, les salaires et le temps de travail, qui s'est tenue le 10 octobre dernier.
Je rappellerai en quelques mots le contexte dans lequel s'inscrit la proposition de résolution que nous allons examiner et dont les auteurs sont MM. Maurice Blin, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan, Louis Souvet et Jean Arthuis.
Ce contexte, nous en sommes tous imprégnés, puisqu'il fait l'objet de l'actualité la plus évidente. Le conseil des ministres n'a-t-il pas adopté hier, 10 décembre, un projet de loi qui, nous a-t-on dit, devrait être soumis au Parlement au cours du premier trimestre 1998 ?
M. Claude Estier. Vous auriez pu attendre !
M. Philippe Marini, rapporteur. Il semble assez naturel, mon cher collègue, que l'on se préoccupe des sujets qui vont être traités prochainement par les assemblées pour que l'on puisse disposer d'un maximum d'éléments d'information de la façon la plus démocratique, la plus transparente et la plus pluraliste possible.
Nous en viendrons tout à l'heure, si vous le voulez bien, aux questions de procédure.
M. Claude Estier. Comptez sur nous !
M. Philippe Marini, rapporteur. Je m'efforcerai d'apporter, au nom de la commission des finances, tous les éléments d'appréciation nécessaires au vote de nos collègues.
M. Guy Allouche. Arguments fallacieux !
M. Philippe Marini, rapporteur. Non, arguments de procédure.
La commission des finances, commission saisie au fond, a fait son travail ; le rapport que vous avez entre les mains le prouve, et nous allons discuter, comme il faut le faire en semblable circonstance, à la fois de la procédure et du fond,...
M. Raymond Courrière. Procédure politicienne !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... de la recevabilité et de l'opportunité de cette demande de création de commission d'enquête.
M. Guy Allouche. Prenez patience !
M. Philippe Marini, rapporteur. M. le Premier ministre a annoncé, dans son exposé initial, mais aussi à plusieurs reprises à l'occasion de différentes prestations, qu'il n'était pas concevable que la diminution du temps de travail s'accompagne d'une baisse de rémunération des salariés. Il a ajouté qu'il n'était pas non plus concevable que la compétitivité des entreprises s'en trouve réduite.
Il a ainsi marqué les limites de la démarche dans laquelle nous nous apprêtons à nous engager. Cette démarche ne doit être ni antisociale ni antiéconomique. Chacun conviendra qu'elle mérite un examen particulièrement attentif.
Nous savons bien que, au-delà de la discussion sur le temps de travail à proprement parler, doit s'engager un dialogue sur le salaire minimum. Comment celui-ci s'ajustera-t-il à ce mouvement ? Peut-on imaginer de réévaluer le taux horaire du SMIC de plus de 11 % ?
Une discussion sur le statut et sur la rémunération des heures supplémentaires ainsi que sur l'impact qu'auront les mesures qui nous sont annoncées pour la fonction publique devra également être engagée. Ce sont autant de sujets de fond tout à fait essentiels qui sont au coeur de nos préoccupations de législateurs, puisque l'on nous annonce un projet de loi pour le début de l'année 1998.
Nous avons aussi entendu s'exprimer les partenaires sociaux, notamment à la suite de l'épisode de la conférence nationale du 10 octobre dernier. Je serai très allusif en ce qui concerne les représentants des entreprises, car leurs propos publics ont été clamés haut et fort.
M. Raymond Courrière. Ce sont des appels à la guerre civile !
M. Philippe Marini, rapporteur. Je serai plus précis en ce qui concerne d'autres groupements et d'autres institutions.
La Caisse nationale d'assurance maladie, la Caisse nationale des allocations familiales, la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs non salariés et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale ont réagi, et elles ont exprimé des avis dubitatifs sinon défavorables.
Les responsables des syndicats de salariés, la CFTC, la CGT, Force ouvrière, à partir d'analyses différentes, ont aussi eu une approche critique de la volonté gouvernementale sur ce point.
J'ai lu, notamment, qu'il pouvait en résulter des risques graves pour le financement de la sécurité sociale. C'est M. Marc Blondel qui a souligné que l'avant-projet ne prévoyait qu'une compensation partielle, pour la sécurité sociale, des pertes de recettes dues aux exonérations, contrairement à l'obligation faite à l'Etat par la loi Veil du 25 juillet 1994 de compenser intégralement, auprès de la sécurité sociale, toutes les nouvelles mesures d'exonérations de cotisations sociales.
On conviendra que ce contexte, très présent dans le débat public aujourd'hui, et les réserves ou les critiques émanant de représentants très divers des partenaires sociaux rendent tout à fait opportune la proposition de nos collègues ; nous devons au moins considérer, en introduction, qu'il s'agit d'une bonne question et qu'il faut savoir y répondre.
Je passerai très rapidement sur des déclarations un peu contradictoires que l'on a aussi enregistrées au sein même du Gouvernement. Beaucoup avant moi ont abondamment cité le secrétaire d'Etat au commerce extérieur, M. Jacques Dondoux, qui, en voyage à Albi le 24 novembre dernier, déclarait « ne pas être certain que le passage aux trente-cinq heures créera beaucoup d'emplois ».
M. Guy Allouche. Il aurait mieux fait de se taire !
M. Philippe Marini, rapporteur. Je ne saurais, mon cher collègue, porter une appréciation de fond ou de méthode sur son propos.
M. Guy Allouche. Moi, je la porte !
M. Philippe Marini, rapporteur. Vous nous avez dit que votre majorité était plurielle ! Elle manifeste ainsi son pluralisme, et le propos de M. Dondoux est aussi respectable que bien d'autres.
M. Guy Allouche. Il ne manquait pas d'être singulier !
M. Philippe Marini, rapporteur. Bref, nous avons là, je le répète, toutes sortes d'éléments qui nous conduisent à examiner avec intérêt la question posée par nos collègues.
Par souci d'objectivité, le rapport que j'ai l'honneur de vous présenter comporte, pages 6, 7 et 8, le dispositif, tel que nous en avons connaissance, de l'avant-projet de loi du Gouvernement.
Nous indiquons ce dont il est question et nous précisions en particulier, pour ce qui est de l'aide à la réduction négociée du temps de travail, que son coût budgétaire, tel qu'il est prévu dans le projet de loi de finances initial pour 1998, s'établit à 3 milliards de francs.
Nous rappelons donc les conditions de cette aide et sa dégressivité sur une période de cinq ans.
Parvenant au coeur de mon propos, je souhaite à présent évoquer, comme je me dois de le faire devant vous, mes chers collègues, la recevabilité de la proposition, avant d'en venir à son opportunité.
La recevabilité s'apprécie par rapport à deux textes, qui font partie de notre droit public.
Tout d'abord, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose : « Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées. »
Ensuite, l'article 11 du règlement du Sénat prévoit que la proposition de création d'une commission d'enquête « doit déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion ».
Bien sûr, il est fait référence à l'existence éventuelle de poursuites judiciaires : s'il y a poursuites judiciaires, il ne saurait être question de créer une commission d'enquête.
M. Claude Estier. Mais quel sont les faits, ici ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Je vous en prie, laissez-moi poursuivre mon propos, mon cher collègue. J'en viens à ce point.
La commission d'enquête que M. Maurice Blin et plusieurs de ses collègues proposent de créer aurait pour objet de « recueillir des informations sur les conséquences de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires ».
M. Raymond Courrière. Mais c'est une décision qui relève du Parlement !
M. Philippe Marini, rapporteur. Il est manifeste que cette proposition ne concerne pas la gestion d'une entreprise nationale ou d'un service public précisément désignés. Cet objet possible de la commission d'enquête n'existe pas, en l'occurrence. Nous ne pouvons, pour conclure à la recevabilité de la proposition, que nous placer sur le terrain des faits, ainsi que l'avez opportunément rappelé, monsieur Estier.
M. Claude Estier. Eh bien, quels faits ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Des conséquences sont-elles des faits ? Certainement pas ! Mais il est des faits que nous connaissons, les uns et les autres,...
Mme Nicole Borvo. Lesquels ?
M. Philippe Marini, rapporteur. ... et je vais vous en citer deux.
Le premier est l'adoption par le conseil des ministres, hier, d'un projet de loi. (Rires et exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
C'est bien un fait ! Si l'adoption d'un projet de loi par le conseil des ministres n'est pas un fait, j'aimerais que l'on m'explique ce que l'on doit entendre par le mot « fait » !
M. Claude Estier. Vous pourriez créer une commission d'enquête toutes les semaines, alors !
M. le président. Pardonnez-moi de vous interrompre, monsieur Marini, mais je dois rappeler à nos collègues que le rapporteur dispose d'un temps de parole de vingt minutes. Plusieurs d'entre vous sont inscrits dans la discussion générale, et ceux qui le souhaitent peuvent encore s'inscrire. Chacun pourra donc répondre tout à l'heure à M. le rapporteur. En attendant, laissez-le s'exprimer.
M. Raymond Courrière. Alors, qu'il dise des choses sérieuses ! Ce qu'il dit n'est pas crédible !
M. Philippe Marini, rapporteur. Le premier fait, donc, c'est l'adoption d'un projet de loi par le conseil des ministres.
Le second fait, c'est la tenue de la conférence nationale du 10 octobre.
Il faut que nous sachions - c'est bien la démarche de nos collègues - sur quelles bases, sur la foi de quelles analyses, de quels éléments d'appréciation, ces faits ont pu survenir.
M. Raymond Courrière. Le ministre vous le dira ! Il suffit de l'interroger !
M. Philippe Marini, rapporteur. On peut donc, selon l'analyse de la commission des finances, considérer la proposition comme tout à fait recevable, d'autant que nous avons été saisis d'un projet de loi de finances pour 1998 qui comportait bien 3 milliards de francs de crédits destinés à alimenter les dispositifs d'incitation à la baisse du temps de travail. Si cela n'est pas un fait, qu'est-ce qu'un fait ?
Certes, le Sénat a rejeté cette disposition, mais la rumeur publique vous a sans doute déjà rapporté - et vous n'en avez sûrement pas été étonnés - que la commission mixte paritaire, réunie hier après-midi, avait échoué. Dès lors, il est vraisemblable que les 3 milliards de francs en question seront rétablis. (Heureusement ! sur les travées socialistes.)
Nous avons donc, en vérité, affaire à un enchaînement de faits, qui sont des faits politiques mais qui n'en sont pas moins des faits.
M. Raymond Courrière. Les commissions d'enquête n'ont pas à remettre en cause les décisions du Parlement.
M. Philippe Marini, rapporteur. En conséquence, au nom de la commission des finances, me fondant sur un précédent qui a été créé voilà quelques instants, ainsi que sur celui de la commission d'enquête chargée d'examiner les conditions d'élaboration de la politique énergétique de la France,...
M. Raymond Courrière. Mais cela n'a rien à voir !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... à la suite de la décision du Gouvernement de fermer Superphénix, et en vertu de l'analyse que je viens d'exposer, je conclus à la recevabilité de la présente proposition de résolution.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur. Quant à l'opportunité de la création de cette commission, elle est évidente.
M. Raymond Courrière. Elle est politicienne !
M. Philippe Marini, rapporteur. Il faut examiner les choses à temps pour pouvoir faire du bon travail législatif lorsque le projet de loi nous sera soumis.
M. Claude Estier. Ça, c'est évident !
M. Philippe Marini, rapporteur. Il faut que les fonctionnaires dépendant des ministres concernés puissent s'exprimer en toute liberté devant le Parlement.
M. Raymond Courrière. Ce ne sont pas les fonctionnaires qui décident !
M. Philippe Marini, rapporteur. La commission d'enquête a des pouvoirs particuliers lui permettant d'auditionner les personnalités dont le témoignage lui semble utile.
M. Guy Allouche. Mais ça, on le sait très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur. La procédure de la commission d'enquête facilitera ainsi le travail parlementaire.
Sur le fond, de quoi va-t-on parler ?
M. Raymond Courrière. De politique politicienne !
M. Philippe Marini, rapporteur. La réduction du temps de travail va supposer des efforts qui ne peuvent être le fait que de trois partenaires.
Il s'agit d'abord des salariés. Vont-ils devoir consentir à une diminution de leur rémunération ? (Mme Borvo s'exclame.)
C'est une question que je pose ! Il faudra y apporter une réponse.
Il s'agit ensuite des entreprises. Comment vont-elles s'organiser ? Comment va-t-on naviguer entre l'antisocial et l'anti-économique ?
Enfin, l'Etat, troisième partenaire, va devoir engager des dépenses importantes pour accompagner ce mouvement. Il a prévu 3 milliards de francs pour 1998, mais c'est très peu par rapport aux dizaines de milliards de francs qui risquent de grever les budgets futurs, à un moment où nous devrons appliquer - et je crois savoir que telle est bien la volonté de l'actuelle majorité - le pacte de stabilité européen, car il nous faudra non seulement avoir atteint 3 % du produit intérieur brut, mais rester à ce niveau, et faire encore décroître l'endettement de notre pays.
Il va donc, naturellement, nous falloir parler de la contribution de l'Etat et du poids de cette mesure sur les finances publiques.
Il va nous falloir aussi évoquer les gains de productivité dans les entreprises.
Les grandes entreprises manufacturières sont adaptées à ce type de raisonnement. D'ailleurs, nombre de grandes entreprises ont déjà institué les trente-cinq heures hebdomadaires. Mais, s'agissant des entreprises de services, des petites et moyennes entreprises et de toutes celles qui sont le plus soumises à la compétition internationale, comment vont-elles s'adapter à un mécanisme qui sera, nous dit-on, contraignant ?
M. Raymond Courrière. Il sera contractuel !
M. Philippe Marini, rapporteur. On parle même d'un couperet qui tombera à une certaine date, sans que l'on sache d'ailleurs exactement quel sera finalement le vrai seuil pour la première comme pour la seconde phase.
M. Claude Estier. Ce n'est pas une enquête, c'est un procès que vous faites !
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est une enquête qui sera menée objectivement par une commission pluraliste, dans laquelle siégeront naturellement des membres de votre groupe, monsieur Estier.
S'agissant d'une décision aussi importante, qui conditionne sans doute le climat social et la compétitivité de nos entreprises,...
M. Raymond Courrière. Vous voulez créer un climat de guerre civile !
M. Philippe Marini, rapporteur ... il convient de s'entourer du maximum d'éléments d'information et d'effectuer une étude très approfondie. Pour cela, le Parlement doit disposer d'amples pouvoirs.
En fait, cette proposition vise à valoriser le rôle du Parlement, du Sénat en particulier,...
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur ... dans un débat aussi essentiel dont nous ne pouvons pas être absents et qui ne doit pas être un affrontement entre des intérêts corporatistes.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est nous qui exprimons l'intérêt général (Vives protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.), et c'est le rôle du Parlement, dans toute sa diversité, d'étudier de manière approfondie ce qui constitue un vrai sujet de société.
M. Raymond Courrière. Le peuple a voté !
M. Philippe Marini, rapporteur. Quelles sont les conséquences qui vont devoir être élucidées par la commission d'enquête ?
Elles sont de trois ordres, et je propose qu'on le précise explicitement en amendant la proposition de résolution : elles sont financières, économiques et sociales.
M. Raymond Courrière. Et politiciennes !
M. Philippe Marini, rapporteur. Sur le plan financier, il s'agit d'évaluer l'impact de cette mesure sur les finances publiques, notamment au regard des exigences issues du pacte de stabilité budgétaire que vous avez conclu à Amsterdam, ou auquel vous avez souscrit, vous aussi, à Amsterdam.
En deuxième lieu, cette réforme aura des conséquences économiques.
La réduction de la durée du temps de travail aura, nous le savons, des incidences sur la compétitivité de nos entreprises. Il faut évaluer l'effet des trente-cinq heures sur la croissance, sur le climat psychologique dans le monde des affaires et sur le niveau de l'emploi.
Cette mesure de partage créera-t-elle ou non de l'emploi ? Même M. Dondoux n'en est pas persuadé !
M. Alain Gournac. Personne ne l'est !
M. Guy Allouche. C'est Mme Aubry qui est ministre de l'emploi !
M. Philippe Marini, rapporteur. Permettez-nous d'exercer le doute systématique et de faire fonctionner nos esprits critiques, dans le respect le plus entier du pluralisme de notre assemblée.
M. Raymond Courrière. Vous devez respecter le suffrage universel !
M. Philippe Marini, rapporteur. Enfin, en troisième lieu, cette réforme aura des conséquences sociales, car elle est engagée dans le contexte d'une crise que l'on a créée...
M. Raymond Courrière. C'est vous qui l'avez créée !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... dans les relations entre l'Etat et les entreprises.
Si l'on impose une telle mesure à la quasi-totalité des entreprises, que reste-t-il de la négociation interprofessionnelle ? Que reste-t-il de la négociation de branche ? Que reste-t-il de la négociation d'entreprise ?
M. Raymond Courrière. Vous voulez essayer de l'empêcher !
M. Philippe Marini, rapporteur. L'influence d'une telle législation sur le climat social, sur les conditions du déroulement du dialogue social, représente aussi un enjeu tout à fait crucial. Il serait dans ces conditions pour le moins étrange que le Sénat soit absent du débat.
Mes chers collègues, pour l'ensemble de ces raisons, en vous priant de me pardonner d'avoir un peu dépassé le temps de parole qui m'était imparti, je conclus, au nom de la commission des finances, d'abord, à la recevabilité et, ensuite, à l'opportunité de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Raymond Courrière. C'était la voix du CNPF !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. André Bohl, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, la compétence de la commission des lois se limite à l'examen juridique de conformité de la proposition de résolution.
M. Raymond Courrière. Conformité tirée par les cheveux !
M. André Bohl, rapporteur pour avis. L'opportunité de la constitution de la commission d'enquête relève de l'appréciation de la commission saisie au fond.
La commission des lois s'est réunie hier matin pour examiner ce dossier. Elle a constaté que, s'il existait des faits déterminés, la procédure de consultation du Gouvernement sur l'existence éventuelle de procédures judiciaires était sans objet.
En revanche, selon l'exposé des motifs, la commission d'enquête aurait pour objet d'examiner l'impact de la transposition de la réduction de la durée du travail à la fonction publique d'Etat, donc à tous les services publics, à la fonction publique territoriale, au secteur hospitalier et à toutes les entreprises nationales, ainsi que les incidences budgétaires et financières pour l'Etat. Il ne fait pas de doute que ces matières relèvent bien d'une commission d'enquête.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois estime que la proposition de résolution n'est pas contraire à l'ordonnance du 17 novembre 1958. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, mes chers collègues, au travers des travaux d'investigation qu'elles accomplissent, les commissions d'enquête constituent incontestablement un moyen pour le Parlement de contrôler la politique du Gouvernement.
Elles participent, avec d'autres procédés - questions d'actualité au Gouvernement, questions écrites, questions orales, avec ou sans débat - au contrôle de l'exécutif. C'est l'une des prérogatives du Parlement, et nous y sommes favorables.
Au passage, je remercie notre collègue Gérard Larcher d'avoir rappelé le rapport que nous avons fait ensemble. Effectivement, nous demeurons toujours très favorables à ces commissions d'enquête...
M. Alain Gournac. Ah ?
M. Guy Allouche. ... car elles font partie du nécessaire contrôle de l'action gouvernementale et, chaque fois que cela se révélera utile, nous approuverons évidemment une telle démarche.
M. Gérard Larcher. Très bien !
M. Guy Allouche. Elles représentent un moyen de revaloriser le rôle du Parlement, dans le cadre de nos institutions.
Il s'agit d'un outil utile et précieux, mais qu'il faut savoir manier avec précaution et modération,...
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Guy Allouche. ... avec, à l'esprit, le souci d'approfondir les règles démocratiques qui s'appliquent au Parlement.
Il conviendrait même de renforcer le rôle des commissions d'enquête en accordant un « droit de tirage » à la minorité. En aucun cas la mise en place de commissions d'enquête ne saurait être l'apanage de la seule majorité (M. Alain Gournac s'exclame). Mon ami et collègue Michel Dreyfus-Schmidt ne cesse de dire, depuis de très nombreuses années, que la minorité sénatoriale doit pouvoir, elle aussi, exercer ce droit.
Mes chers collègues, c'est si évident que je ne résiste pas au plaisir de vous lire ce qu'un éminent homme politique a répondu au Premier ministre actuel lors du débat consécutif à sa déclaration de politique générale, le 19 juin dernier.
Cet homme politique éminent,...
M. Raymond Courrière. Pas si éminent que cela !
M. Guy Allouche. ... disait ceci : « N'oublions pas, en effet, que la qualité d'une démocratie s'évalue tant à l'aune de la vertu qu'on y pratique qu'à celle du respect qu'on porte à la minorité. » Cet homme n'est autre que M. Philippe Séguin ! Il offrirait aussi le droit que doit avoir toute minorité !
Toutefois, il ne faudrait pas que ce procédé soit employé à d'autres fins que celles auxquelles il est normalement destiné.
Or l'usage qu'en fait la majorité sénatoriale permet de penser qu'elle a choisi de s'en servir comme d'un outil d'affichage purement politique contre l'action du Gouvernement.
M. Alain Gournac. Pas de procès d'intention !
M. Guy Allouche. Il suffit de s'appuyer sur les faits.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Guy Allouche. Depuis 1994, à ma connaissance, aucune commission d'enquête n'a vu le jour.
M. Claude Estier. Et voilà !
M. Guy Allouche. A titre de comparaison, j'indiquerai que, entre 1991 et 1993, neuf commissions d'enquête et de contrôle ont été créées au Sénat. Comment justifier ce déséquilibre manifeste ?
Il suffit également de constater les demandes en rafale de création de commission d'enquête que le Sénat a approuvées ou doit examiner aujourd'hui et qui sont relatives à l'énergie, aux grands projets d'infrastructures terrestres...
M. Alain Gournac. C'est important !
M. Guy Allouche. ... à la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires...
M. Alain Gournac. C'est important !
M. Guy Allouche. ... à la régularisation des étrangers en situation irrégulière.
M. Alain Gournac. C'est très important !
M. Guy Allouche. Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, je vais vous faire deux suggestions, et je souhaite que vous les reteniez.
La première, c'est que vous mettiez en place, chaque semaine, des commissions d'enquête sur chacun des projets de loi adoptés en conseil des ministres.
M. Claude Estier. Absolument !
M. Raymond Courrière. Eh oui !
M. Guy Allouche. Et si cela ne suffit pas, je vous engage à mettre en place une commission d'enquête tendant à examiner les conditions dans lesquelles un Premier ministre démocratiquement élu applique avec fermeté et respect le programme sur lequel il a été élu par les Français. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Je vous engage à mettre en place ces commissions.
M. Alain Gournac. Merci du conseil !
M. Guy Allouche. Il est vrai, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, que vous êtes tellement habitués à suivre un gouvernement qui ne respecte pas les engagements qu'il a pris...
M. Raymond Courrière. Le respect des promesses vous paraît suspect !
M. Guy Allouche. Qu'attendez-vous, au juste, de ces commissions d'enquête, dont vous gelez la mise en place lorsque vos amis politiques se trouvent aux responsabilités ? Voulez-vous vous faire le relais des critiques d'une organisation patronale sur le projet du Gouvernement de porter la durée hebdomadaire du travail à trente-cinq heures ? Souhaitez-vous continuer à maintenir autour de l'immigration irrégulière les discours parfois extrémistes qui ont été tenus ?
La Haute Assemblée finira par perdre la sagesse dont elle se réclame - d'autant que, depuis 1991, les auditions organisées dans le cadre d'une commission d'enquête sont publiques - surtout s'il est manifeste que des « coups » politiques sont camouflés sous l'appellation de commissions d'enquête.
La majorité sénatoriale aurait pu échapper au reprochede partialité dans l'application des prérogatives du Parlement si elle avait utilisé une procédure plus simple, celle qui permet, depuis 1996, aux commissions permanentes de demander à l'assemblée à laquelle elles appartiennent d'exercer les prérogatives qui sont attribuées aux commissions d'enquête pour une mission déterminée.
Je souhaite, chers collègues, vous rappeler ce que je disais à cette même tribune du Sénat, le 3 octobre 1996, à l'occasion de la révision du règlement de notre assemblée tendant à étendre aux commissions permanentes les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête. Pardonnez-moi de me citer : « A propos de cette nouvelle extension, je ne parviens pas à me débarrasser d'une certaine suspicion. Je crains que ces commissions d'enquête n'instruisent le procès du Gouvernement en place, surtout lorsque ce sera un gouvernement de gauche. J'espère que nous n'assisterons pas à une pratique sélective de ces nouveaux pouvoirs accordés aux commissions permanentes et spéciales, car une règle n'est effective que lorsqu'elle s'applique invariablement. C'est un principe fondateur de notre démocratie et nos concitoyens sont particulièrement attentifs à son respect. » Voilà ce que je vous disais il y a à peine un an.
M. Raymond Courrière. C'était bien dit !
M. Guy Allouche. Je ne pensais pas être si bon devin ni voir cette prédiction d'hier se réaliser aujourd'hui.
En mettant en place des commissions d'enquête seulement lorsque la gauche est au pouvoir, la droite sénatoriale ne justifie-t-elle pas que lesdites commissions sont d'abord un moyen pour la minorité de contrôler l'action du Gouvernement ? Pourquoi donc la droite sénatoriale s'arroge-t-elle, et à elle seule, un droit qu'elle refuse en d'autres temps à la minorité sénatoriale ?
Je souhaite également mettre en évidence l'incohérence de la majorité sénatoriale. Comment pouvez-vous vous plaindre de la surcharge législative, de l'encombrement de nos travaux parlementaires, de la session unique, même - dont on connaît aujourd'hui le succès plus que mitigé ?
M. Josselin de Rohan. Travaillons trente-cinq heures ! (Sourires.)
M. Guy Allouche. Nous constatons tous que nous faisons plus mal en neuf mois ce que l'on ne faisait déjà pas bien en six mois et deux sessions.
M. Philippe Marini, rapporteur. Pas plus mal !
M. Raymond Courrière. Pas mieux non plus !
M. Guy Allouche. Comment pouvez-vous dire cela ?
Mes chers collègues, ces commissions d'enquête vont-elles se réunir le lundi et le vendredi ? En effet, si elles doivent se tenir, comme cela ne peut manquer d'être le cas, les mardi, mercredi et jeudi,...
M. Alain Gournac. On trouvera une solution !
M. Guy Allouche. ... qu'en sera-t-il de la séance publique ? Demandez à notre collègue M. Hamel ce qu'il en pense ! Nous connaissons tous déjà sa réponse, puisque, à chaque fois, il ne manque pas...
M. Philippe Marini, rapporteur. Ne faites pas parler les absents !
M. Alain Gournac. Cela tombe mal, il n'est pas là !
M. Guy Allouche. Vous lui transmettrez mon message ! Il vous dira ce qu'il pense de ces méthodes de travail !
Quant à l'objet des commissions d'enquête, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose, dans son deuxième alinéa, comme l'a rappelé notre collègue André Bohl, au nom de la commission des lois : « Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information... sur des faits déterminés... »
M. Marini a essayé, mais avec beaucoup de difficulté,...
M. Philippe Marini, rapporteur. Oh !
M. Guy Allouche. ... de nous démontrer ces faits déterminés. Mais je tiens à lui rappeler qu'une commission d'enquête ne l'emporte pas sur la loi.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Guy Allouche. C'est le Parlement souverain qui décide !
M. Claude Estier. Absolument !
M. Alain Gournac. Personne ne dit le contraire !
M. Guy Allouche. Par conséquent, n'essayez pas de faire passer une commission d'enquête avant que la loi ait été votée et qu'elle ait été appliquée.
M. Claude Estier. Oui, attendez que le Parlement délibère !
M. Alain Gournac. En quoi cela vous gêne-t-il ?
M. le président. Monsieur Gournac, dois-je vous inscrire dans la discussion générale ?

M. Alain Gournac. Peut-être, après tout !
M. le président. Vous avez cette possibilité ! Par conséquent, il est inutile d'interrompre sans arrêt l'orateur.
Poursuivez, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur Marini, vous voulez déjà enquêter sur des conséquences de faits qui n'existent pas encore ! Le projet de loi a seulement été adopté hier en conseil des ministres.
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est un fait !
M. Guy Allouche. Il sera soumis au Parlement au cours du premier trimestre 1998. Par conséquent, on est dans le virtuel ! Où sont les faits déterminés ?
Quant au secteur public, j'y reviendrai pour dire que, là aussi, vous faites fausse route. Vous voulez enquêter sur ce qui n'existe pas. Vous allez créer une commission d'enquête non pas pour nous informer, pour vous informer ou encore pour tirer des conclusions - ce qui est impossible à l'heure actuelle, et pour cause - mais pour justifier un rapport dont on devine, à l'heure où je parle, qu'il est déjà prêt, qu'il est déjà pensé,...
M. Philippe Marini, rapporteur. Cela m'étonnerait !
M. Guy Allouche. ... qu'il est déjà rédigé dans l'esprit de M. Marini. Sachez, mon cher collègue, que nous nous réjouissons, et j'insiste sur ce terme, d'apprendre que vous vous faites le relais du CNPF !
M. Philippe Marini, rapporteur. Je n'ai même pas cité cette organisation.
M. Guy Allouche. D'un point de vue politique, je me dois de vous dire que c'est une aubaine pour nous. Les masques sont enfin tombés et la grande majorité des Français savent désormais - en fait, il ne s'agit que d'une confirmation - qui vous représentez et quels intérêts vous défendez.
Tout comme moi, vous êtes jeune, monsieur Marini...
M. Philippe Marini, rapporteur. Encore un peu !
M. Guy Allouche. ... mais à vous entendre je me disais que vous aviez déjà votre place au Parlement en 1936, lorsque le gouvernement de Léon Blum a proposé les quarante heures et les congés payés ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Vous tenez aujourd'hui le même langage, et, pour ce faire, vous vous posez en défenseur de l'intérêt général. Incontestablement, je reconnais que, dans ce domaine, vous ne manquez pas d'assurance.
M. Raymond Courrière. Ni de continuité !
M. Guy Allouche. Mes chers collègues, que prévoit le projet de loi sur les trente-cinq heures qui a été, je le répète, adopté seulement hier en conseil de ministres ? Il tend à engager notre pays vers une durée légale, mais non réelle, de trente-cinq heures de travail par la voie de la concertation et de la négociation au plus près de la réalité, à savoir au sein de l'entreprise, ce qui est indispensable pour redynamiser celle-ci, créer des emplois et redonner tout son sens et toute sa signification au dialogue social, dont l'absence est toujours source de difficultés, de conflits et donc de menaces pour la survie de l'entreprise.
Le projet de loi se limite à inciter à engager des négociations, en prévoyant des aides substantielles pour favoriser le passage progressif aux trente-cinq heures. Il fixe, par ailleurs, à deux ans la durée des négociations.
Mes chers collègues, où est donc la contrainte tant décriée par certains ? Il s'agit d'une loi-cadre, d'une loi d'orientation ; ce n'est qu'au terme de deux années de négociations au sein même des entreprises, et non par branches - j'insiste sur ce point - qu'une autre loi fixera la nouvelle durée légale, en se fondant sur les enseignements qui seront tirés de ces négociations.
Cette loi s'appliquera, dans une première phase, au 1er janvier 2000 et, dans une seconde phase, au 1er janvier 2002.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Guy Allouche. Ce projet de loi comporte une partie défensive tendant à attribuer des aides pour maintenir les emplois et donc éviter les licenciements. Nous savons tous ici que tel est le premier objectif de ce texte, avant même qu'il soit question de création d'emplois.
Mais ce projet de loi comprend également une partie offensive visant à permettre la création d'emplois.
Vous savez très bien aussi que le Gouvernement de Lionel Jospin n'a pas abrogé la loi de Robien. Faut-il vous rappeler, mes chers collègues, que le CNPF s'était déjà opposé à cette loi, qui est pourtant d'essence libérale et qui a permis de conclure à ce jour plus de 1 500 accords ?
Patrons et salariés, nous le savons tous, ont intérêt à négocier et à instaurer dans les meilleurs délais cette réduction du temps de travail, tout simplement pour bénéficier des aides prévues. Il n'y aura donc pas de charges supplémentaires.
Ces négociations permettront de trouver les meilleures solutions aux problèmes qui se posent au sein de l'entreprise, tels que l'annualisation du temps de travail, la souplesse nécessaire de la durée hebdomadaire, pour tenir compte du caractère saisonnier de certaines activités, une nouvelle définition des conditions de travail, l'amélioration des gains de productivité, lesquels déboucheront sur des créations d'emplois, sans oublier la question du salaire et du paiement des heures suppplémentaires. Le simple fait de renouer le dialogue entre les partenaires sociaux aplanira bien des difficultés.
N'oublions pas, mes chers collègues, que nombre d'entreprises, et non des moindres, sont déjà passées aux trente-cinq heures. Certaines d'entre elles en sont déjà à trente-deux heures, avec la semaine de quatre jours.
Toutes ces négociations permettront, nous le constaterons très vite, de mettre un terme à la campagne mensongère du CNPF.
Je ne résiste pas au plaisir de vous citer les propos tenus par Mme Notat, voilà seulement trois jours, sur une antenne périphérique.
M. Philippe Marini, rapporteur. Moi, j'ai cité M. Blondel.
M. Guy Allouche. A chacun ses auteurs ! Personnellement, je ne contredis pas M. Blondel.
A la question qui lui était posée, Mme Notat a répondu : « Le patronat, dans cette bataille pour les trente-cinq heures, part en guerre. D'abord, c'est une mauvaise guerre et, en plus, il la mène avec de très mauvais arguments. Alors, franchement, il est temps qu'il se ressaisisse ; il est temps que ce patronat nous dise si véritablement il est attaché à l'intérêt des entreprises, s'il est attaché au développement économique, s'il est attaché au développement de l'emploi. Bref, s'il ne veut pas se mettre sur la touche par rapport au terrain de jeu des problèmes de la société et des mutations françaises, il serait temps qu'il nous dise ce qu'il faut faire pour créer de l'emploi. »
A la question : « Madame, ne craignez-vous pas que les trente-cinq heures alourdissent le coût du travail ? », Mme Notat répond : « Voilà l'argument massue, qui est un argument mensonger. C'est un argument mensonger, car il part du principe que la loi, qui n'est pas encore là mais qui devrait sortir des décisions de la conférence du 10 octobre, est une loi qui passe tout de suite aux trente-cinq heures, de manière uniforme, de manière standard, sans l'aide de l'Etat. Tout le monde serait dans le même moule ! Ce n'est pas vrai. Le patronat ment, et il le sait, parce qu'on ignore ce que sera cette loi au 1er janvier de l'an 2000. »
Oui, le CNPF mène actuellement une campagne mensongère. Bien des chefs d'entreprise - nous avons hier encore entendu certains d'entre eux s'exprimer - n'hésitent pas à dire que les propos tenus actuellement sont outranciers...
M. Raymond Courrière. C'est certain !
M. Guy Allouche. ... et que certains feraient mieux de s'occuper de leur entreprise, plutôt que de se lancer dans une guérilla politique contre un gouvernement démocratiquement élu et qui ne fait que respecter un engagement pris devant le peuple.
La frilosité congénitale d'une partie du patronat français est légendaire. Elle est même connue bien au-delà des frontières.
Ces jours-ci, deux démentis ont été apportés à l'attitude du patronat français.
Je prends l'exemple de l'implantation de Toyota dans ma région. Pensez-vous que les Japonais soient sourds, aveugles, absurdes et inintelligents au point de venir investir des milliards dans un pays où tant de menaces pèseraient sur les entreprises ?
Voilà deux mois, un autre constructeur automobile, allemand cette fois, a implanté une usine en Lorraine. Croyez-vous que cette entreprise soit, elle aussi, aveugle et sourde ?
La France est le quatrième pays au monde pour l'implantation d'entreprises étrangères. Si la situation était celle que vous décrivez, relayant ainsi les arguments du patronat français, pensez-vous que ces entreprises viendraient s'installer dans notre pays ? Vous faites un mauvais procès au Gouvernement !
Depuis plus de vingt ans, le CNPF ne cesse de demander toujours plus d'avantages - sa devise, pour reprendre le titre d'un ouvrage célèbre, pourrait être : « Toujours plus » - sans jamais rien donner en contrepartie.
Je m'adresse à la droite sénatoriale : mes chers collègues, en janvier 1996, le Président de la République, M. Jacques Chirac, déclarait publiquement qu'il en voulait au CNPF, qui demande toujours plus sans jamais rien donner en contrepartie.
Le CNPF, après avoir été hostile à la loi de Robien, est aujourd'hui opposé à la loi sur les trente-cinq heures. Bref, nous connaissons la musique ! Nous avons même entendu récemment l'ancien président du CNPF affirmer que son organisation aurait été bernée. Pourtant, les intentions du Gouvernement n'ont jamais été aussi claires : elles ont été affirmées lors de la campagne électorale et pendant les quatre mois de négociations qui ont abouti à la conférence du 10 octobre dernier.
M. Philippe Marini, rapporteur. Campagne électorale oui, concertation, non !
M. Guy Allouche. Mais, mes chers collègues, n'est-ce pas d'abord la droite qui a été bernée en 1986 lorsque M. Gattaz, au nom du CNPF, avait demandé au Gouvernement de M. Chirac de supprimer l'autorisation administrative de licenciement avec, pour contrepartie, la création de 400 000 emplois ? Vous avez supprimé l'autorisation administrative de licenciement, mais que sont devenus les 400 000 emplois ? Dans quelles branches ont-ils été créés ?
Qui donc a été berné ?
Tirant la leçon de cette expérience, le gouvernement actuel veut engager un dialogue franc avec le CNPF...
M. Alain Gournac. Ils sont gonflés !
M. Guy Allouche. ... et l'inviter à la table des négociations, car il y a sa place.
Le CNPF, nous le savons, ne se soucie pas de la défense de l'emploi ni de la lutte contre le chômage. Si tel était le cas, nous nous en serions aperçus depuis longtemps !
Son principal souci, c'est la défense de ses intérêts, lesquels, nous le savons, ne coïncident pas toujours avec ceux de l'économie française.
M. Philippe Marini, rapporteur. L'emploi, contre les entreprises !
M. Guy Allouche. Il est temps que le CNPF prenne sa part dans la lutte contre l'exclusion sociale et le chômage.
Mes chers collègues, ayons l'humilité de reconnaître que toutes les voies qui ont été empruntées depuis vingt ans pour lutter contre le chômage étaient des impasses. Nous avons tous échoué. Une nouvelle voie s'ouvre à nous, celle de la réduction du temps de travail,...
M. Alain Gournac. Il faut l'étudier avant !
M. Guy Allouche. ... qui a commencé à faire ses preuves dans quelques pays voisins et dans nombre d'entreprises françaises avant même l'entrée en vigueur de la loi de Robien.
Alors, engageons-nous dans cette voie ! Les trente-cinq heures constituent un moyen de lutter contre le chômage. C'est non seulement le sens de l'histoire mais aussi le début d'un processus !
M. Philippe Marini, rapporteur. Sens de l'histoire ? Voilà qui nous rappelle de mauvais souvenirs...
M. Guy Allouche. Oui, c'est le sens de l'histoire, monsieur Marini.
M. Philippe Marini, rapporteur. ... Le Capital de Karl Marx !
M. Guy Allouche. Comme l'année 1936, où le sens de l'histoire avait abouti aux changements que l'on sait, les années 1997 et 1998 marqueront une date dans l'histoire sociale de notre pays. Il faudra peut-être du temps pour parvenir aux trente-cinq heures réelles, mais, pour l'instant, nous nous dirigeons vers les trente-cinq heures légales.
Venons-en à la fonction publique, monsieur Marini - puisque vous y avez fait allusion dans votre intervention. J'ai dit que les trente-cinq heures étaient un moyen de lutter contre le chômage mais aussi contre la précarité. Or, dans le secteur public, où est le chômage ? Où est la précarité ? Dans ce secteur, vous le savez, les horaires sont variés et variables : ils peuvent passer de six heures pour un professeur agrégé à dix-huit heures, voire à vingt et une heures ou vingt-sept heures ; dans les hôpitaux et dans la police, les horaires ne sont pas les mêmes. Vous savez très bien que la situation est différente dans le secteur public.
M. Philippe Marini, rapporteur. Vous l'expliquerez aux syndicats ! C'est votre problème !
M. Guy Allouche. Mais le Premier ministre n'a rien écarté. Il entend engager, le moment venu, des négociations avec les partenaires sociaux de la fonction publique, qu'il s'agisse de la fonction publique d'Etat, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière, afin de voir comment il sera possible, dans ces secteurs, de s'engager vers les trente-cinq heures.
Mais l'urgence, monsieur Marini, commande de s'occuper d'abord du secteur privé. Et tel est l'objet des discussions.
Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous voulez mettre en place cette commission d'enquête. Vous obtiendrez satisfaction. Mais ne comptez pas sur nous pour approuver une telle démarche. Nous sommes hostiles non pas au principe même des commissions d'enquête mais à cette commission-là et à celle qu'il nous sera proposé de créer pour procéder à un examen approfondi des procédures en vigueur en matière de régularisation des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français et pour en évaluer les conséquences économiques et financières. Nous ne voulons pas, par notre vote, cautionner ce qui pourrait être un coup politique.
Encore une fois, je le répète, libre à vous d'enquêter sur du virtuel, mais ne comptez pas sur nous ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, mes chers collègues, je n'ai nul besoin de rappeler le souci constant du Sénat d'éviter des décisions hâtives sur les textes qui nous sont soumis.
Notre appréciation doit être particulièrement méticuleuse sur un sujet dont l'incidence économique et sociale sera majeure.
Compte tenu des délais qui manquent souvent aux commissions permanentes, comme le souligne l'excellent rapport de M. Marini, pour examiner dans leurs moindres détails les incidences de textes aussi importants que ceux qui vont nous être soumis en matière de législation sur la durée du travail, il semble opportun d'élargir le temps d'étude dont disposera la commission saisie au fond par un temps d'enquête mis à profit par une commission spécifique.
Le caractère exceptionnel d'une modification aussi significative de la durée légale du travail justifie cette démarche exceptionnelle. Je crois, personnellement, que la commission des affaires sociales, dont plusieurs membres appartenant à tous les groupes, feront partie de cette commission d'enquête, ne pourra que recevoir avec satisfaction les éclairages apportés par celle-ci.
C'est pourquoi il n'y a lieu que de se féliciter de la proposition de résolution de nos collègues MM. Blin, de Raincourt, de Rohan, Souvet et Arthuis. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

Question préalable



M. le président.
Je suis saisi par M. Fischer, Mme Borvo et les membres du groupe communiste républicain et citoyen d'une motion n° 1 tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur les conclusions de la commission des finances sur la proposition de résolution de MM. Maurice Blin, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan, Louis Souvet et Jean Arthuis tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires (n° 159, 1997-1998). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Borvo, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo. Mes chers collègues, dans un pays qui compte actuellement plus de trois millions de chômeurs et sept millions de personnes précarisées, et où les politiques publiques menées depuis des décennies ont surtout consisté à exonérer le patronat de ses charges et n'ont pas permis de résorber ce fléau, au contraire, est-il concevable de mettre en cause a priori la politique décidée par la majorité actuelle ?
Pour ce qui me concerne, je me référerai à l'une des propositions essentielles de la déclaration commune du parti socialiste et du parti communiste - parties prenantes de la majorité plurielle actuelle - du 29 avril dernier qui était la relance de la croissance par celle de l'emploi et des salaires passant par la réduction du temps de travail à trente-cinq heures sans baisse de salaire.
Transformant sa promesse de campagne en un avant-projet de loi-cadre, d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail, le Gouvernement, dès l'annonce de cette décision lors de la conférence sur l'emploi du 10 octobre dernier, s'est attiré les foudres tant du CNPF que de l'opposition parlementaire.
Avant même la fin des derniers arbitrages et la présentation du projet de loi en conseil des ministres - donc, toujours a priori - la volonté du Gouvernement d'impulser le passage d'ici à l'an 2000 de la durée légale du travail à trente-cinq heures pour les entreprises de plus de vingt salariés, les autres ayant jusqu'à 2002 pour s'adapter à la législation, s'est heurtée au blocage et à la radicalisation des « barons » de l'avenue Pierre-Ier-de-Serbie.
Conçue comme un levier pour la création d'emplois et pour l'amélioration des conditions de travail et de vie des salariés - ce qui est tout de même intéressant - répondant ainsi à des attentes fortes de la population, ce choix de réduction du temps de travail a été rejeté a priori , au mépris de l'aspiration des Français, notamment des salariés, qui, depuis le changement de majorité, ont confirmé à 69 % leur attachement à ce passage aux trente-cinq heures.
Alors que la réussite de cette loi passe par une relance des négociations collectives, une véritable croisade contre les trente-cinq heures, d'une part, et contre la concertation, d'autre part, a été entreprise dans le seul but de la faire échouer. Les patrons français ont montré, une fois de plus, non seulement qu'ils n'entendaient pas s'impliquer dans la lutte contre le chômage, mais qu'ils se considéraient toujours comme des patrons de droit divin ; plus de concertation !
Depuis la démission de M. Jean Gandois, les déclarations péremptoires du nouvel homme fort du CNPF, M. Ernest-Antoine Seillière de Laborde, n'ont cessé de se succéder.
Des armes telles que l'abandon du paritarisme ou l'arrêt de toutes négociations collectives sont inadmissibles en démocratie.
Tous les moyens sont bons - organisation durant toute cette semaine de réunions baptisées « états généraux » au sein de chaque région ; création d'une « association croissance-emploi », qui n'est, en fait, qu'une émanation du CNPF - pour alerter les Français sur le danger que représenteraient les trente-cinq heures.
Le but de cette mobilisation est clair : détourner la future loi de son objet. Cette voie est dangereuse et les salariés ont bien raison d'être vigilants. Les trente-cinq heures ne doivent en aucun cas servir d'alibi pour une fuite en avant dans une flexibilité accrue, voire une annualisation du temps de travail, une augmentation des heures supplémentaires, une dégradation des conditions de travail ou une politique salariale plus restrictive. En effet, c'est bien cet objectif-là que les patrons se sont fixé.
Les trente-cinq heures, ce n'est pas seulement un vieux slogan lancé en 1981, c'est véritablement une alternative par rapport aux politiques publiques menées jusqu'alors pour l'emploi.
Relayant l'hostilité du CNPF à l'égard de la réduction du temps de travail, messieurs de la majorité sénatoriale, vous montrez quels vont vos propres choix, mais, évidemment, nous n'en doutions pas. Il est néanmoins préoccupant que vous usiez d'artifices.
Ainsi, vous vous inquiétez des conséquences tant économiques que financières, budgétaires et sociales, et vous demandez une enquête a priori, en quelque sorte une enquête sur l'opportunité de la politique voulue par la majorité du pays.
Mme Dinah Derycke. Très bien !
Mme Nicole Borvo. C'est incroyable !
Nous refusons de nous inscrire dans une telle démarche dont l'opportunité nous échappe, mais pas l'opportunisme !
M. Guy Allouche. Très bien dit !
Mme Nicole Borvo. Deux raisons principales motivent la présentation par notre groupe de cette motion tendant à opposer la question préalable sur cette proposition de résolution.
Attaché à la démocratie, au fonctionnement des institutions et au rôle des commissions d'enquête parlementaire, le groupe communiste républicain et citoyen ne peut cautionner la démarche de la droite par rapport aux trente-cinq heures.
Cette demande est une simple manoeuvre politicienne. Vous entendez une fois de plus vous opposer à un projet du Gouvernement avant même qu'il ne vous soit soumis. Lors de l'examen prochain du projet de loi, les commissions saisies puis les parlementaires en séance publique auront tout loisir d'analyser les dispositions incriminées, d'en évaluer les incidences sur l'économie ; c'est leur rôle !
Dans votre rapport, monsieur Marini, vous admettez qu'« il est paradoxal d'enquêter sur les conséquences d'un fait - la réduction du temps de travail - qui n'a pas encore eu lieu ». Toutefois vous admettez la recevabilité de la proposition en qualifiant cet événement futur de « certain » !
M. Philippe Marini, rapporteur. Oui !
Mme Nicole Borvo. Ainsi, vous permettez à la majorité sénatoriale de passer outre la volonté populaire !
Notre second grief porte sur les arguments que vous avancez pour marteler le coût des trente-cinq heures. Il s'agit d'arguments mensongers.
Vous agitez les risques de délocalisation d'activités, de fuite des investisseurs étrangers ou d'atteinte au niveau de vie des salariés. Il est bien que vous vous en préoccupiez.
Messieurs, vous le savez bien, lorsqu'un chef d'entreprise décide de délocaliser son activité, quand c'est possible, ce qui suppose que la nature même de l'activité s'y prête, d'autres considérations entrent en jeu, notamment la présence d'infrastructures et la qualification de la main-d'oeuvre.
De plus, l'actualité confirme que loin d'être découragés par les coûts salariaux ou par la perspective du passage aux trente-cinq heures, les investisseurs étrangers continuent, lorsqu'ils le jugent utile, de choisir la France pour s'implanter. A cet égard, le groupe Toyota, qui a été cité par mon collègue, est un bon exemple.
M. Philippe Marini, rapporteur. Tout va bien !
Mme Nicole Borvo. Vous vous souciez des retombées de la réduction du temps de travail sur les salaires. Extraordinaire ! Toutefois, vous ne prônez pas l'augmentation des salaires. Vous vous accommodez, en revanche, très bien des heures supplémentaires qui, bien sûr, coûtent moins cher au patronat.
Par ailleurs, l'argument principal que vous véhiculez contre la réduction du temps de travail et qui concerne l'accroissement des coûts de production nuisible à la compétitivité des entreprises ne trompe personne.
Les entreprises françaises affichent une bonne santé financière. On nous en rebat les oreilles chaque jour. Au nom de la compétitivité par la baisse des coûts salariaux, fer de lance du patronat, vous refusez les trente-cinq heures sans perte de salaire. Que dire de l'accroissement fantastique de la productivité du travail ? Encore une fois, il ne doit profiter, selon vous, qu'au patronat !
Il est temps de percevoir les salaires et les cotisations non comme des charges, mais comme des dépenses utiles, les seules charges qui pèsent réellement sur l'entreprise étant les charges financières, celles qui sont représentées par les prélèvements du capital, notamment les dividendes et les sursalaires des dirigeants.
Or, jamais ces prélèvements n'ont été aussi importants. De 1980 à 1996, la part des prélèvements financiers sur la valeur ajoutée est passée de 18 % à 26 %, alors que, dans le même temps, la part des salaires dans les richesses produites a régressé, atteignant en 1996 un niveau inférieur à 1970.
Parlons un peu de l'Europe, si vous le voulez bien, mes chers collègues.
L'un des arguments développés à l'envi par M. le rapporteur consiste à laisser penser que la mise en oeuvre des trente-cinq heures pèserait sur notre compétitivité et remettrait en question notre participation à la construction européenne.
Sur ce point, plusieurs observations s'imposent.
Même si l'on peut dire que ce genre d'arguments est du même tonneau que ceux que développaient en 1936 les ancêtres de M. Seillière de Laborde et les vôtres, monsieur le rapporteur, quand on leur parlait des congés payés,...
M. Philippe Marini, rapporteur. Mes ancêtres... en 1936...
Mme Nicole Borvo. ... on ne peut les balayer d'un revers de main et on se doit donc d'en parler.
Sur la compétitivité, relevons simplement que, contrairement à tous les mensonges entendus, les coûts salariaux actuels de notre pays sont, toutes choses égales par ailleurs, tout à fait compétitifs - hélas ! pour les salariés - dans la médiocrité des rémunérations moyennes. Nous sommes nettement devancés par les Pays-Bas, l'Allemagne ou la Belgique, par exemple, et ne parlons pas du Luxembourg.
Ne vous êtes-vous jamais demandé, monsieur Marini, et vous aussi, mes chers collègues qui avez cosigné cette proposition de résolution, s'il n'y avait pas une corrélation entre ce mouvement à la baisse sur les salaires et la situation de l'emploi, des comptes sociaux et de l'Etat ?
Il est temps d'inverser la tendance. Les trente-cinq heures hebdomadaires doivent servir à cela !
J'observe d'ailleurs que d'autres futurs membres de l'Union économique et monétaire envisagent aussi le passage aux trente-cinq heures. C'est vrai pour l'Italie, c'est vrai pour de nombreux secteurs d'activité en Allemagne, et je ne parle pas des pays où la durée moyenne du travail approche d'ores et déjà trente-cinq heures.
Vous nous dites aussi que les trente-cinq heures nous mettront en difficulté pour respecter le pacte de stabilité budgétaire mis en oeuvre à l'occasion de la phase située entre l'entrée dans l'euro et la disparition des monnaies nationales. Tiens donc !
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est un pacte qui vous gêne !
Mme Nicole Borvo. Ainsi, ce fameux pacte de stabilité consisterait à réduire les dépenses publiques les plus utiles - vous l'avez montré au moment de la discussion budgétaire - à diminuer les prélèvements obligatoires pour nos compatriotes les plus aisés et pour les entreprises, et à laisser la grande majorité des salariés dans l'attente des progrès de l'Europe sociale. Cela vous va bien.
M. Philippe Marini, rapporteur. L'Europe sociale, c'est vous qui parlez de la faire !
Mme Nicole Borvo. Ne prenez pas vos désirs pour des réalités, mes chers collègues. L'austérité et le partage de la richesse créée en faveur des plus riches, on a assez donné !
Aujourd'hui, votre modèle libéral n'a pas bonne presse, le capitalisme est ressenti négativement par la majorité du peuple (M. Duffour fait un signe d'assentiment.)...
M. Philippe Marini, rapporteur. Le communisme aussi !
Mme Nicole Borvo. ... et vous y êtes bien pour quelque chose.
Il est grand temps de changer de façon de penser et de faire en matière de politique de l'emploi et en matière de politiques publiques.
Dois-je vous rappeler que la cure d'austérité de la loi de finances initiale de 1997, dont M. Arthuis pourrait nous parler abondamment, se serait traduite, sans mesures particulières, par un déficit nous éloignant des critères de convergence que vous vous plaisez à rappeler chaque fois que possible ?
Et il faudrait poursuivre dans cette voie ?
La vérité, c'est que votre discours européen est une sorte de faux-semblant pour dissimuler vos véritables arguments, qui, sur un plan idéologique, sont aussi vieux que le capitalisme et sentent le XIXe siècle.
Cela fait des décennies que vous défendez de manière systématique le capital contre le travail, ce travail dont vous ne pouvez cependant vous passer parce que, sans lui, le capital ne sert à rien.
C'est d'ailleurs uniquement parce que vous voulez protéger le capital et sa rémunération...
M. José Balarello. Karl Marx !
Mme Nicole Borvo. ... - vous l'avez montré lors de la discussion budgétaire - que vous tentez, de manière pathétique et peu partagée par l'opinion publique, de nous faire prendre les trente-cinq heures pour le mal absolu, ce qu'il ne faudrait en aucun cas faire.
La mise en place des trente-cinq heures sera l'occasion de créer des centaines de milliers d'emplois mais, surtout, de modifier profondément la politique de l'emploi qui a été menée jusqu'à présent, d'en revoir le financement afin d'inverser les exigences patronales d'un coût du travail toujours plus bas et de s'attaquer, enfin, à la croissance financière.
Messieurs de la majorité sénatoriale, c'est ce débat que vous entendez éviter en vous abritant derrière vos doutes justifiant une commission d'enquête.
Pour toutes les raisons évoquées précédemment et parce que nous n'entendons pas nous laisser duper par le jeu de la droite sénatoriale, nous vous proposons, mes ches collègues, d'adopter cette motion sur laquelle je demande un scrutin public. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher, contre la motion.
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 8 novembre 1993, j'ai été, avec Jean-Pierre Fourcade, de ceux qui avaient signé et déposé deux amendements identiques portant nécessité, dans le cadre de la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, d'ouvrir la possibilité d'adapter le temps de travail en fonction des situations des entreprises et de leurs particularités.
Nous avions eu ici un débat particulièrement long et approfondi sur ce sujet. La loi quinquennale, que l'on oublie de citer mais qui est un bon texte de référence, a ouvert la voie à l'expérimentation qui, elle-même, a débouché sur la proposition de loi Robien, laquelle a démontré aujourd'hui son efficacité mais aussi ses limites.
M. Guy Allouche. Et son coût !
M. Josselin de Rohan. La vôtre coûtera encore plus cher !
M. Gérard Larcher. Monsieur Allouche, je voudrais rappeler deux moments du débat de l'époque.
Tout d'abord, Mme Dieulangard, qui justifiait, quatre ans à l'avance, la nécessité d'une commission d'enquête, déclarait ceci, s'agissant de la réduction et de l'adaptation du temps de travail : « Il est manifeste que la bonne volonté ne suffit pas. Personne, dans cet hémicycle, n'a de solution toute prête. Nous devons tous avoir l'honnêteté de le reconnaître. Au demeurant, nos concitoyens le savent et n'attendent de nous ni solution miracle ni conte de fées. Notre société attend des réponses acceptables et efficaces à ce cancer qui la ronge. Vouloir apporter une réponse dans la précipitation et sans réflexion suffisante sur les conséquences exactes du dispositif proposé serait une faute. »
M. Josselin de Rohan. Voilà !
M. Gérard Larcher. Ainsi, déjà en 1993, notre collègue soulevait un certain nombre d'interrogations que nous nous posons aujourd'hui.
M. Guy Allouche. Elle avait raison !
M. Gérard Larcher. Aujourd'hui, la commission d'enquête que nous souhaitons créer viserait à analyser les conséquences pour notre économie du projet de loi qui vient d'être adopté en conseil des ministres.
J'en viens au second moment du débat que je veux rappeler. Manifestement, dans la majorité d'aujourd'hui, les analyses viennent de chemins bien différents, car Mme Demessine, aujourd'hui secrétaire d'Etat, déclarait dans ce même débat, en défendant un amendement : « Le groupe communiste propose d'abaisser la durée légale hebdomadaire du travail à trente-cinq heures, sans réduction de salaire. »
Voilà quelques problématiques qui sont posées : charges salariales, adaptation aux entreprises, nécessité d'une réflexion préalable...
Je pense, pour ma part, que la commission d'enquête est nécessaire. Elle l'est parce que, malgré l'évocation sympathique et chaleureuse de 1936, nous ne sommes plus en 1936. Aujourd'hui, nos frontières sont ouvertes, nous vivons dans l'Union européenne ; il y a une Organisation mondiale du commerce ; les barrières douanières et la ligne Maginot ne sont plus la réponse aux indépendances, car nous sommes tous devenus interdépendants.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Gérard Larcher. Je peux moi aussi évoquer des souvenirs chaleureux : ainsi, en 1936, Léo Lagrange disait ceci : « Le temps des loisirs s'ouvre, et c'est nécessaire. Il faut réfléchir, par rapport à l'adaptation du temps de travail, à une nouvelle organisation de la société. »
M. Guy Allouche. C'est encore vrai aujourd'hui !
M. Gérard Larcher. C'est important ! Mais quelles seront les conséquences de cette décision dans une économie mondialisée, alors que nous sommes confrontés à des problèmes de coût du travail ? Cela mérite à mon avis la réflexion de la commission d'enquête. Cela paraît d'autant plus nécessaire si l'on se souvient du rapport de Jean Arthuis sur les délocalisations.
Par ailleurs, quelles seraient les conséquences d'une loi-cadre rigide comme seuls les Français savent en faire, alors que d'autres pays ont imaginé des systèmes flexibles permettant de répondre à la fois à l'adaptation du temps de travail et à la diversité des besoins des entreprises ? Nous allons encore inventer un « machin » rigide, alors que nous avons besoin d'imagination. Pour éviter les délocalisations, méfions-nous de ces grandes constructions...
M. Jacques Machet. Tout à fait !
M. Gérard Larcher. ... qui, par leur rigidité même, engagent un certain nombre d'entreprises dont les capitaux, n'en déplaise à Mme Borvo, sont aujourd'hui partagés sur le plan international, à quitter notre pays. Dans le domaine de l'automobile que vous avez évoqué, monsieur Allouche, les capitaux sont partagés : par exemple, en termes d'équipements automobiles, le constructeur est non plus uniquement Philips, mais Philips-Mannesmann. Par conséquent, ces capitaux partagés n'hésiteront pas à se délocaliser si, demain, les coûts de production sont insupportables dans une économie mondialisée. (MM. Machet et Balarello applaudissent.)
Mes chers collègues, militant de l'adaptation du temps de travail, j'ai pu mesurer, notamment dans un certain nombre d'entreprises de ma commune - je pense encore à des entreprises en équipement automobile qui, tout en instaurant une durée de travail hebdomadaire de trente-deux heures, ont relevé le défi de la productivité et sont aujourd'hui, dans le domaine de l'autoradio, par exemple, plus compétitives que des entreprises installées à Singapour - ce que cette adaptation du temps du travail, bien appliquée, apportait, la réalité de la vie de ceux qui travaillent, la compatibilité de la qualité du travail et de la qualité de vie professionnelle, la nécessité pour une entreprise d'avoir des coûts de production permettant de répondre au défi mondial dans la qualité.
La commission d'enquête me paraît donc nécessaire pour éclairer le débat. Dire qu'il est inutile que la représentation nationale éclaire en amont un grand débat, c'est une fois de plus abandonner les droits du Parlement.
M. Philippe François. Bravo !
M. Gérard Larcher. Voilà pourquoi j'engage résolument mes collègues à rejeter la motion tendant à opposer la question préalable présentée par le groupe communiste républicain et citoyen. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Je commencerai par un mot personnel, si vous le permettez.
Dans un amalgame, Mme Borvo a évoqué mes ancêtres. Chacun doit être fier de ses ancêtres. L'un de mes grands-pères a été instituteur avant de faire une carrière administrative. L'autre est parti de rien pour créer sa propre entreprise qui, à un moment donné, fut importante. Je referme la parenthèse. Nous sommes tous riches de nos diversités.
Monsieur Allouche, cher collègue, vous m'avez demandé ce que j'aurais fait en 1936 si j'avais été sénateur. Je peux vous le dire : j'aurais été solidaire de la majorité sénatoriale qui, vous le savez, a mis fin, peu de temps après, à l'expérience du Front populaire.
Par ailleurs, j'aurais bien sûr tout fait pour éviter à notre pays l'affaiblissement, la perte de ses valeurs (M. Allouche rit) et le désarmement au moment de la montée des périls. (Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Guy Allouche. Inouï !
M. Philippe Marini, rapporteur. Ecoutez, que chacun soit authentique avec les valeurs qu'il porte !
M. Guy Allouche. C'est inouï !
M. Philippe Marini, rapporteur. Vous avez des valeurs. Ce sont les valeurs de la gauche, mais ce ne sont pas celles de la France. La France est autre chose, et vous n'en avez pas le monopole, même aujourd'hui, alors que, très démocratiquement nos concitoyens vous ont confié la conduite de l'action du Gouvernement.
Monsieur Allouche vous avez parlé d'une loi-cadre et vous vous êtes livré à un discours sur la souplesse, auquel nous souscrivons à 100 %.
Toutefois, mon cher collègue, vous mesurez bien la contradiction existant entre ce discours et le texte approuvé hier par le conseil des ministres !
M. Philippe François. Sans souplesse !
M. Philippe Marini, rapporteur. Si un ancien président d'une organisation que je ne citerai pas a réagi avec dépit, en utilisant des propos qui ont probablement dépassé sa pensée du moment, c'est très probablement parce qu'il s'est senti trompé, parce qu'il a eu le sentiment d'être dans un système de négociation et de souplesse et d'aboutir à autre chose, c'est-à-dire à des négociations dirigées vers un objectif d'ores et déjà décidé.
M. Guy Allouche. Ah, il est fort, Jospin !
M. Philippe Marini, rapporteur. Il faut savoir percer les apparences et voir la réalité !
M. Guy Allouche. Gandois est un petit garçon à côté de lui !
M. Philippe Marini, rapporteur. Tel est le rôle qui sera bien entendu imparti à la commission d'enquête.
Cher collègue, vous avez évoqué le rôle de l'opposition. Comment ne pas souscrire à vos propos ? Nous exerçons les droits de l'opposition,...
M. Guy Allouche. Et nous alors ?
M. Philippe Marini, rapporteur. ... et c'est vrai à tous les niveaux.
J'imagine que, si les groupes de la minorité sénatoriale ont des idées judicieuses pour la création, dans le respect du règlement, de bonnes commissions,...
M. Michel Duffour. Chiche !
M. Guy Allouche. Vous êtes juges de nos bonnes idées !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... tous ensemble, nous examinerons vos propositions et y réfléchirons concrètement.
Toutefois, il ne faut pas engager un débat qui, pour le moment, n'est pas noué ! Sans doute sommes-nous, les uns et les autres, un peu trop intervenus sur le fond du sujet. Mais ces contributions montrent que cette commission d'enquête aura un rôle tout à fait essentiel, à condition bien sûr que, les uns et les autres, nous jouions le jeu - mais je n'en doute pas un instant ! -, que, d'un côté comme de l'autre, nous ne partions pas, dans cette affaire, avec des raisonnements tout faits et que la commission d'enquête fasse son travail dans la transparence et très objectivement.
M. Guy Allouche. Donnez l'exemple !
M. Philippe Marini, rapporteur. A-t-on peur de la transparence ? A-t-on peur de la réalité des choses ? A-t-on peur du déroulement des faits économiques et de la compétition ?
M. Guy Allouche. Laissez d'abord faire le débat parlementaire !
M. Philippe Marini, rapporteur. Votre raisonnement me semble frileux.
Au demeurant, la procédure de la commission d'enquête permet de braquer le projecteur sur les travaux du Sénat,...
M. Gérard Larcher. Absolument !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... ce qui est utile, opportun et bon pour l'institution !
MM. Philippe François et Gérard Larcher. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur. Qu'auriez-vous dit si nous avions simplement défendu l'idée de la création d'une commission spéciale pour examiner les dispositions de ce texte, lorsque ce dernier aura été déposé ? Vous auriez approuvé la création de cette commission spéciale, qui aurait exercé les mêmes pouvoirs que la commission d'enquête. Simplement, elle n'aurait pas eu autant de temps pour travailler, car elle n'aurait pu être constituée qu'à partir du dépôt effectif du projet de loi.
M. Gérard Larcher. Bien sûr !
M. Philippe Marini, rapporteur. Or, il s'agit bien de questions fondamentales nécessitant des investigations très approfondies.
Mes chers collègues, c'est bien pour l'ensemble de ces raisons que la commission émet un avis défavorable sur la motion n° 1 tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Gérard Larcher. Le rapporteur a raison, comme toujours !
M. Philippe François. Toujours !
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Je dirai à M. Larcher, dont on connaît la fougue, que, pour la loi quinquennale, l'application était immédiate, ce qui justifiait donc une commission d'enquête. En revanche, la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires ne prendra effet que dans deux ans. Voilà une première différence, monsieur Larcher !
M. Gérard Larcher. C'était un amendement parlementaire !
M. Guy Allouche. S'agissant de Blum et de 1936, vous n'allez quand même pas nous dire aujourd'hui que ce sont les quarante heures qui ont affaibli la France en 1939 !
M. Gérard Larcher. Je n'ai jamais dit ça !
M. Guy Allouche. Alors, c'est M. Marini qui l'a dit !
M. Michel Duffour. Oui, c'est M. Marini !
M. Philippe Marini, rapporteur. Relisez mes propos, je n'ai rien dit de tel !
M. Guy Allouche. Alors ça, je ne peux pas le laisser passer ! Personne ne peut croire un instant que ce sont les quarante heures et les congés payés qui ont été la cause de la guerre de 1939 !
J'en viens aux délocalisations, monsieur Larcher.
Les Français vont à l'étranger. Quand il s'agit de développer des pays qui en ont besoin, c'est très bien !
Mais n'oublions pas aussi que les trente-cinq heures n'empêcheront pas les entreprises étrangères de venir en France. Nous avons en effet une main-d'oeuvre hors pair, une main-d'oeuvre de haut de gamme, très compétente, et ce sont ces gains de productivité et le travail de ces salariés qui permettront les créations d'emploi.
M. Gérard Larcher. C'est ce que j'ai dit !
M. Guy Allouche. Enfin, M. Marini a déclaré qu'il appartiendrait au Sénat de juger des bonnes idées de la minorité ; nous souhaiterions, quant à nous, que la minorité ait « un droit de tirage » pour mettre en place une commission d'enquête. Mais il n'appartient en tout cas pas à la droite sénatoriale de dire qu'elle accepte ceci parce que c'est bon, et qu'elle rejette cela parce que ce n'est pas bon ! Monsieur Marini, trouvez d'autres arguments, s'il vous plaît !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable, repoussée par la commission.
Je rappelle que son adoption aurait pour effet d'entraîner le rejet des conclusions de la commission des lois sur la proposition de résolution.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, de la commission, l'autre, du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 58:

Nombre de votants 318
Nombre de suffrages exprimés 31816096
Contre 222

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. René Monory.)

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

M. le président. La séance est reprise.

7

QUESTIONS D'ACTUALITÉ AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, ce n'est pas parce que notre séance n'est pas aujourd'hui retransmise en direct par France 3 qu'il ne faut pas être concis !

COÛT DU PLAN DE SAUVETAGE DU CRÉDIT LYONNAIS

M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le ministre, vous venez de déclarer que le plan de sauvetage du Crédit lyonnais ne coûtera rien au contribuable,...
M. Jacques Oudin. Oh !
M. Denis Badré. ... ajoutant qu'au total le secteur public aura davantage rapporté à la collectivité qu'il ne lui aura coûté. Je crois vous citer avec précision.
En réalité, les Français savent que les pertes du seul Crédit lyonnais sont aujourd'hui estimées à plus de 150 milliards de francs, soit plus de la moitié du produit de l'impôt sur le revenu. De surcroît, ils commencent à avoir une idée des pertes accumulées depuis une quinzaine d'années par un certain nombre d'autres entreprises publiques, même s'ils n'ont qu'une connaissance imprécise de ce que sont, par exemple, les « secteurs de défaisance » du Crédit lyonnais, du Comptoir des entrepreneurs ou du GAN. Ils commencent donc également à comprendre que l'entreprise publique, cela ne marche pas !
S'agissant de pertes aussi lourdes, les Français ont le droit de savoir et de comprendre.
Ces pertes ne concerneraient pas les contribuables ? Certains continuent pourtant de parler, sans doute improprement, d'un coût de 6 000 francs par contribuable ! Il y a là un mystère qu'il nous faut éclaircir.
La confusion est-elle entretenue de propos délibéré ? Il vous arrive, monsieur le ministre, dans certains domaines, de souffler tantôt le chaud, tantôt le froid, pour préparer le terrain à de futures réformes ou pour masquer des responsabilités socialistes de la période 1989-1993.
Ou bien êtes-vous vraiment embarrassé, comme vous l'avez été sur les fonds de pension, que vous avez condamnés avant de vous y rallier ?
Monsieur le ministre, nous pensons être capables de comprendre, pour peu que vous nous expliquiez. Si le sauvetage du Crédit lyonnais ne coûte rien au contribuable, alors, qui règle l'addition ? Plus généralement, qui supporte les pertes des entreprises publiques, sinon le contribuable ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le sénateur, je suis ravi que vous me donniez l'occasion d'expliquer un point qui, visiblement, semblait jusqu'à l'instant, confus.
La politique que suit le Gouvernement en matière d'entreprises publiques repose d'abord sur l'idée que la transparence doit être la plus totale. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai diffusé les dernières prévisions sur les pertes du consortium de réalisation, le CDR, aussitôt qu'elles ont été disponibles.
Le rapport que, par ailleurs, je viens de remettre au Parlement sur la gestion 1996 des vingt-trois plus grands groupes publics, soit environ 1 200 000 salariés, apporte la réponse aux questions que vous posez. D'ailleurs, c'est sans doute après avoir lu ce document et pensant qu'il était bon d'en saisir l'ensemble du Sénat que vous avez eu l'obligeance de m'interroger sur cette question, ce dont je vous remercie. (Sourires.)
Ce rapport montre d'abord que, si nous regardons les résultats des entreprises publiques sur les dix dernières années, certaines ont enregistré des pertes, d'autres des bénéfices. Au total, la perte sur dix ans pour l'ensemble du secteur public est légère, un milliard de francs, disons l'équilibre.
Ainsi, on constate qu'en dépit des pertes enregistrées par certaines entreprises publiques d'autres ont fait suffisamment de bénéfices pour que, au total, le secteur public ait, ces dix dernières années, apporté à notre pays autant de résultats positifs que de résultats négatifs. On pourrait faire le calcul sur une plus longue période, mais dix ans, cela me paraît raisonnable.
Les déficits les plus importants ont été enregistrés en 1993 et en 1994. C'est, notamment, le cas du Crédit lyonnais et du GAN, que vous rappeliez tout à l'heure. A partir de 1997 - ce sont des prévisions, car je ne dispose pas encore des chiffres définitifs, vous le comprendrez - l'ensemble du secteur public devrait connaître une situation bénéficiaire, ce qui veut dire que, lorsque l'on fera la somme des dix dernières années en y incluant, cette fois, l'année 1997, on ne sera pas à moins un milliard de francs, mais plutôt un peu au-dessus de zéro. Voilà pour les résultats d'exploitation.
Cela étant, vous avez raison de le souligner, certaines situations étaient inacceptables ; j'ai parlé du Crédit lyonnais ou du GAN, dont on sait que les pertes sont importantes. La somme de 150 milliards de francs pour le Crédit lyonnais que vous avez citée est sans doute surévaluée, mais c'est celle de la Commission de Bruxelles. Nous pensons, nous, que le chiffre est erroné, du moins qu'il n'est pas bien calculé ; une prévision de 100 milliards de francs me paraît correcte. De toute façon, le débat ne porte pas sur les chiffres.
Ce qu'il faut, me semble-t-il, c'est mettre tout cela en perspective. Dans le secteur public, il y a, il est vrai, de la destruction de richesses ; ce sont les deux cas que vous avez cités, le Crédit lyonnais et le GAN. Mais il y a eu aussi beaucoup de création de richesses. Si, aujourd'hui, nous avons, en France, des entreprises aussi puissantes que Elf Aquitaine, France Télécom, et, dans des domaines plus modestes, SGS-Thomson, formidable réussite de la micro-électronique, c'est parce qu'elles sont nées dans le secteur public. Allons un peu plus loin et comparons la gestion d'une même entreprise, privée puis publique : Usinor, par exemple. On constate qu'Usinor a retrouvé la santé et la rentabilité - ce qui a permis d'ailleurs sa privatisation - quand elle était publique, alors qu'initialement Usinor, entreprise de sidérurgie privée, connaissait les déficits que vous savez. Du reste, on parlait beaucoup à l'époque des pertes de la sidérurgie. Eh bien ! Usinor, une fois nationalisée, a retrouvé l'équilibre.
Loin de moi l'idée de prétendre que le secteur public soit toujours bénéficiaire, les chiffres montrent que tel n'est pas le cas. Il ne faudrait cependant pas pour autant que, par une sorte de masochisme bien français, nous battions notre coulpe et que nous considérions systématiquement que le secteur public a toujours été déficitaire.
Mais j'en viens à votre question précise.
M. le président. Monsieur le ministre, je vous en prie...
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'en viens « rapidement », monsieur le président, à la question précise. (Sourires.)
Il n'y a pas la télévision, aujourd'hui, mais les sénateurs sont tout de même présents !
M. Henri de Raincourt. Merci pour eux !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Un peu moins nombreux, à vrai dire, que lorsque la télévision retransmet ! (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux. Encore fallait-il le savoir ! Vous le saviez, nous, pas !
M. Emmanuel Hamel. Monsieur le ministre, on s'en va !
M. le président. Mes chers collègues, laissez M. le ministre aborder la question : je l'attends avec impatience ! (Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Sur la masse totale, seuls les chiffres que je vous ai cités jusqu'à maintenant concernaient les résultats.
Si maintenant nous regardons les produits de cession et les dividendes, d'un côté, ce qu'il a fallu recapitaliser, de l'autre, on constate que, toujours au cours des mêmes dix dernières années, 290 milliards de francs de dividendes et de produits de cession ont été encaissés par l'Etat...
M. Jean Chérioux. Et le coût des nationalisations ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... et que 155 milliards de francs de recapitalisation ont été nécessaires. Par conséquent, le solde patrimonial pour le secteur public est de 135 milliards de francs à la date d'aujourd'hui.
M. Jean Chérioux. Moins le coût des nationalisations !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Infiniment inférieur et ancien, monsieur Chérioux ! Je crois d'ailleurs me rappeler que certaines banques nationalisées l'ont été au lendemain de la guerre, et par le général de Gaulle. Vous en avez, comme moi, le souvenir, monsieur le sénateur.
M. Jean Chérioux. Je parle non pas de ces nationalisations-là, mais de celles de 1981 !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Donc, s'il est normal de regarder les pertes, il faut aussi regarder les recettes.
Vous conviendrez avec moi que le petit calcul qui consiste à dire : tant de pertes du Crédit lyonnais, divisées par tant de Français, cela fait x milliers de francs par Français, n'a strictement aucun sens ! Ou il faudrait, sinon, considérer, de l'autre côté, ce que le secteur public a rapporté à l'Etat. Je sais bien que, de 1993 à 1995, ce que le secteur public a rapporté à l'Etat en produits de cession a été utilisé dans le budget général, ce qui est certainement une très mauvaise pratique, au lieu d'être consacré à la recapitalisation des entreprises publiques qui en avaient besoin... Au-delà de ce petit détail,...
M. Philippe François. Quoi, un détail ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... il est clair que le solde des entrées et des sorties liées au secteur public est positif pour notre pays. Par conséquent, monsieur Badré, il est légitime de dire que, au total, le secteur public aura davantage rapporté aux Français qu'il ne leur aura coûté.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Bien sûr, s'il n'y avait pas eu les pertes, il aurait rapporté encore plus !
M. le président. Je vous en supplie, monsieur le ministre !
M. Raymond Courrière. Laissez parler le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je conclus, monsieur le président, mais je pensais que la question intéressait le Sénat.
M. le président. Monsieur le ministre, l'intérêt de la question n'est pas en cause ! Bien sûr, tout cela intéresse le Sénat, mais ce sont des questions d'actualité.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je conclus donc en vous disant, monsieur le sénateur, que vous pouvez être fier de votre secteur public, qui, globalement, aura rapporté beaucoup plus à votre pays que ce que quelques malheureuses affaires ont pu lui coûter !
M. le président. Monsieur le ministre, ce n'est pas du tout pour vous contrarier, mais, je le répète, les questions d'actualité sont consacrées à l'actualité ; il ne s'agit pas d'exposer à chaque fois la politique du Gouvernement ! Le sujet est très intéressant, vous avez raison, mais il faut que chacun puisse poser sa question. Vous disposez normalement de deux minutes trente pour répondre, vous en êtes à sept !
M. Raymond Courrière. Si vous ne voulez pas qu'on nous réponde, ce n'est pas la peine que nous posions des questions !

PERTES DANS LE SECTEUR FINANCIER PUBLIC

M. le président. La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Ma question s'adresse également à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; elle est d'ailleurs très proche de celle de notre collègue M. Denis Badré.
Nous venons, monsieur le ministre, de terminer la discussion du budget de la nation.
La majorité sénatoriale a marqué sa volonté de maîtriser les dépenses publiques en déposant de nombreux amendements visant à réduire de quelques milliers de francs, voire de quelques millions de francs certaines dépenses.
La plupart de nos propositions ont d'ailleurs reçu un avis négatif du Gouvernement.
Au même moment, sont tombés les résultats du GAN, dont les pertes sont évaluées à 50 milliards de francs, pertes auquelles il convient d'ajouter celles du Crédit lyonnais, pour quelque 130 milliards de francs ou 150 milliards de francs, sans parler de celles du Crédit foncier, du CIC, de la Société marseillaise de crédit, et j'en passe !
M. Philippe François. Le CIC n'a pas de pertes ! Pas d'amalgame !
M. Jean-Claude Carle. Aujourd'hui, l'ensemble des déficits des acteurs financiers publics dépasse certainement les 300 milliards de francs.
Avec 300 milliards de francs, on pourrait financer les programmes TGV et autoroutiers durant les dix prochaines années, équipements indispensables au développement économique de nos régions et au secteur du bâtiment et des travaux publics.
Avec 300 milliards de francs, on pourrait consentir une baisse considérable de la TVA dans de nombreux secteurs.
A l'heure où vous souhaitez créer des emplois par la relance de la consommation, je vous laisse juge de l'impact qu'auraient de telles mesures !
Aujourd'hui, ces acteurs financiers publics, qui devraient être des partenaires du développement économique de notre pays, sont autant de handicaps qui pèsent sur les contribuables, autant de freins à l'emploi.
Ce n'est plus acceptable pour les Françaises et les Français car, dans le même temps, une banque refuse un prêt à un jeune couple qui souhaite changer sa voiture ou son lave-linge, ou une PME-PMI se voit privée, par une décision très souvent prise par le siège parisien, d'un emprunt destiné à l'acquisition d'un investissement productif, indispensable à son développement.
Certes, monsieur le ministre, vous n'êtes pas seul responsable, cette situation dure depuis plusieurs années, mais elle a toutefois connu sa « plénitude » sous une présidence ou un gouvernement socialiste !
Il est temps de mettre un terme à un dysfonctionnement qui pénalise nos compatriotes !
Monsieur le ministre, ma question est simple : quand allez-vous engager ou accélérer la privatisation de ces organismes afin de rendre leur gestion plus responsable et plus proche des réalités du terrain, afin de ne pas encore aggraver les charges qui pèsent sur nos concitoyens ?
La gestion de telles entreprises, si vous me permettez la comparaison, ce n'est pas du cinéma, un art peut-être cher à certains, mais aujourd'hui très cher aux Français. La France n'est pas Hollywood. Il ne s'agit pas de quelques dollars de plus ou de moins. Ce n'est pas en jouant la « planque » dans des structures de cantonnement que vous assainirez la situation.
Il est temps de changer de scénario et de mettre un terme à ce mauvais film ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je serai bref. (Ah ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) En effet, la question étant pratiquement la même, la réponse sera également la même. Je m'arrêterai juste sur un ou deux points.
Les chiffres que vous avez évoqués sont un peu fantaisistes, monsieur le sénateur. Mais je n'en corrigerai qu'un - le reste est une somme de choux et de carottes ! - celui qui concerne le GAN.
La perte envisagée aujourd'hui pour le GAN est non pas de 50 milliards de francs mais de 40 milliards de francs, soit 2 milliards de francs de plus que ce qu'avait annoncé mon prédécesseur il y a un an. De ce côté-là, il n'y a donc rien de nouveau.
S'agissant des privatisations prévues, imposées qu'elles sont par la Commission européenne, elles ont été annoncées : pour le CIC, la procédure est aujourd'hui engagée ; j'ai indiqué que le GAN suivrait.
Vous auriez tort, néanmoins, de penser que les pertes ainsi enregistrées ne se retrouvent pas aussi dans le secteur privé, et, à cet égard, la comparaison que vous avez faite à la fin de votre propos relève, effectivement un peu du cinéma. En effet, Suez, Paribas ou Pallas-Stern ont connu les mêmes pertes dans l'immobilier que celles que nous avons aujourd'hui à déplorer dans le secteur public.
M. Alain Lambert. On recherchera les responsabilités !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Quant à la structure de cantonnement, dont vous avez dit, monsieur le sénateur, avec un humour que je vous reconnais, que c'était un mauvais scénario, je vous rappelle qu'elle a été mise en place alors qu'était au pouvoir un gouvernement que vous souteniez.
Oui, monsieur Lambert - je vous réponds en quelques secondes - il faut, en effet, rechercher les responsabilités. N'ayez crainte, ce sera fait.
Mme Guigou et moi-même avons décidé de créer des postes supplémentaires au tribunal de grande instance de Paris pour que les magistrats puissent travailler dans les meilleures conditions. De la même manière - je l'ai annoncé - je fournirai des moyens supplémentaires à la Cour des comptes pour que le travail des magistrats puisse être mené plus rapidement.
M. Emmanuel Hamel. Enfin ! C'est très bien !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Les responsabilités individuelles, y compris les responsabilités pénales, seront recherchées jusqu'au bout.
J'ai d'ailleurs annoncé qu'à ma demande seraient revues, dans les semaines qui viennent, les conditions de départ des dirigeants qui, pendant cette période, ont quitté l'entreprise.
Donc, n'ayez crainte, les responsabilités financières et politiques de la période qui vient de s'écouler seront totalement mises à jour ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)

BRIMADES DANS L'ARMÉE

M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de la défense.
En octobre dernier, le chef d'état-major de l'armée de l'air a publiquement dénoncé l'attitude inacceptable d'officiers chargés de l'instruction des engagés militaires techniciens de l'air, qui sont, cette année, au nombre de 1 400, parmi lesquels de nombreux jeunes issus de milieux défavorisés, souvent d'origine immigrée.
Leur arrivée a déclenché des mouvements d'officiers et de sous-officiers, qui les ont traités de « voyous » ou de « bons à rien ». Le sigle MTA, qui signifie « militaire technicien de l'air », a été traduit dans les bases aériennes par « Marocain, Tunisien, Algérien ».
Ces propos racistes, scandaleux en tant que tels, sont inadmissibles dans une armée qui prétend jouer un rôle intégrateur et qui est au service de la République.
Un second exemple vient de défrayer la chronique, qui a été porté à la connaissance du public par un journal satirique paraissant le mercredi.
Il concerne les brutalités commises par les officiers de Saint-Cyr sur des élèves au cours de l'instruction militaire : cinq heures de creusement de trous de combat, de vingt heures à une heure du matin, pour toute une section parce qu'un élève-officier avait des rangers sales ; refus des permissions à temps de convalescence ; jeunes invités à se gifler mutuellement quand ils ont tendance à s'endormir pendant les cours - effectivement, cela réveille ! - insultes diverses, coups de lattes pour rectifier une position entraînant des fêlures de côtes. Aucune plainte, bien sûr, n'a été déposée.
De tels faits, monsieur le ministre, ne sont pas des exceptions. On sait qu'ils se déroulent dans de nombreuses casernes. Quelles décisions pensez-vous prendre pour empêcher de telles pratiques et, plus largement, pour que l'armée de la République cesse d'être ce qu'elle est trop souvent : une zone de non-droit ? (Applaudissements sur les travées socialistes. - Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je vous remercie, madame le sénateur, de soulever ce point d'actualité, même si je suis en désaccord avec certaines de vos affirmations, notamment lorsqu'elles tendent, de façon d'ailleurs incertaine, à la généralisation. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et indépendants et de l'Union centriste.)
M. Pierre Lefebvre. La droite applaudit !
M. Alain Richard, ministre de la défense. En ce qui concerne l'emploi de termes portant atteinte à la dignité humaine lors du recrutement de jeunes militaires techniciens de l'air, c'est le chef d'état-major lui-même, informé par les chefs d'unité responsables, qui a porté à la connaissance du public, avec mon plein accord, les comportements discutables, et ceux-ci ont été sanctionnés.
M. José Balarello. Très bien !
M. Alain Richard, ministre de la défense. En ce qui concerne les faits touchant à la dignité humaine dans deux sections d'instruction de l'école militaire de Coëtquidan, c'est également par la voie normale que le ministère a été informé et c'est avec mon accord que le chef d'état-major de l'armée de terre a prononcé sans délai les sanctions qui se justifiaient.
Il est en effet du rôle du Parlement de la République de s'informer et de porter à la connaissance du public d'éventuels manquements aux règles démocratiques ou au respect de la dignité humaine dans nos armées.
Il est, en revanche, important que chacun, ici, ait bien conscience qu'il s'agit, madame, de cas isolés, de cas exceptionnels, et que l'ensemble des responsables de nos unités, derrière leur état-major, respectent scrupuleusement la déontologie et croient sincèrement que leur armée est celle de la République. (Vifs applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. - Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du RDSE.)

CAUSES DE LA VIOLENCE DANS LA JEUNESSE

M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme la ministre de la jeunesse et des sports.
Une fois de plus - une fois de trop ! - une vie d'adolescent a été fauchée, victime de la délinquance et de la violence. Cela est d'autant plus insoutenable que la victime comme les meurtriers appartiennent au même monde, celui de la jeunesse. Le drame est double : un jeune est mort et c'est un autre jeune qui l'a tué.
Il serait injuste d'identifier la jeunesse à la violence. Cela étant, la montée de ce phénomène chez les jeunes inquiète. Elle interpelle !
Mais comment également ne pas s'interroger sur les raisons de cette perte des valeurs les plus essentielles, de cette incivilité poussée parfois à l'extrême, jusqu'à la négation de l'être humain ?
Souvent, à l'origine de la violence se trouve la souffrance sociale. Accablé de chômage, de pauvreté, d'injustices, de difficultés, d'angoisses, le jeune en attente d'âge d'homme peut se prendre à douter de tout, à douter de soi.
Quand la famille, l'école, le travail perdent leur rôle de socialisation, il ne reste que la rue, où ne règne que le rapport de force, sans repères, sans interdits.
Comment ne pas voir dans ce rejet de l'autre le reflet, la conséquence de sa propre exclusion ?
Comment ne pas voir dans la négation de la dignité d'autrui une vengeance à sa propre dignité bafouée ?
Cela n'excuse pas l'inexcusable, mais cela doit nous aider à comprendre pour agir. La violence prend naissance à la racine de la société.
Les jeunes, quand on les interroge, parlent souvent de la société comme d'un monde sans pitié. Comment créer un monde humain qui respecte le genre humain ? La question nous est posée à tous.
Des premières mesures immédiates ont été prises par le Gouvernement. Il fallait le faire ; la police et la justice doivent pouvoir faire leur travail.
Mais le plus dur reste à accomplir : donner une autre place et un autre rôle à la jeunesse dans notre société ; offrir un nouvel horizon aux jeunes, autre que les murs du quartier, de la cité, autre que le chômage, que le mépris et la peur de l'avenir ; créer les conditions d'une nouvelle citoyenneté, faite de droits et de devoirs, bien évidemment, mais aussi de dignité, de respect pour soi-même et pour les autres.
La tâche n'est pas simple, les recettes toutes faites n'existent pas. Mais des notes d'espoir existent. Je les vois dans ces réactions, toutes générations confondues, après le drame de Vénissieux. Je les ai vues, dimanche soir, sur France 3, dans le beau film de Bernard et Nils Tavernier, qui montrait bien que c'est dur, mais qu'on peut en sortir.
Vous avez déclaré lors de votre nomination, madame la ministre, que vous seriez tout autant la ministre de la jeunesse que la ministre des sports.
J'aimerais que vous nous fassiez part de vos réflexions sur ce sujet, mais aussi de vos intentions et de celles du Gouvernement. Quel message envoyez-vous à la jeunesse ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur, vous avez eu raison de souligner d'emblée que, si les jeunes sont responsables d'actes de violence, ils sont, dans leur majorité, les premières victimes de cette violence.
Dans toutes les rencontres locales avec la jeunesse auxquelles j'ai participé - je le dis avec une certaine émotion - c'est cette angoisse devant l'insécurité de la vie en général - demain pourra-t-on se former, pourra-t-on trouver un emploi ? - et surtout cette angoisse devant la violence à l'école, au lycée, dans le quartier, qui revenait dans la bouche de la plupart des jeunes, notamment des lycéens.
Vous le savez, le Gouvernement, prenant à bras-le-corps ce problème dramatique, a engagé plusieurs plans qui se traduisent par des mesures concrètes. Je n'en retiendrai que deux : le plan mis en oeuvre sur l'initiative du ministre de l'éducation nationale et auquel se sont joints le ministre de l'intérieur, la ministre de la justice, le ministre de la défense et la ministre de la jeunesse et des sports ; plus récemment, le plan, engagé par le ministre des transports, de lutte contre la violence qui, dans les cités, prend pour cible les transports urbains.
Mais allons un peu plus loin.
Dans leur grande masse, les jeunes sont prêts à s'investir pour agir eux-mêmes contre ces violences. A cet égard, quelles sont leurs propositions ?
Ils veulent, tout d'abord, qu'on les aide à créer des associations, à accéder à des espaces où ils puissent se rassembler, construire des projets, avoir des contacts avec les autres générations. Le mouvement associatif en charge des jeunes est en plein renouveau. Les jeunes demandent au Gouvernement qu'il libère la route pour leur permettre d'agrandir les associations et de créer des liens nouveaux dans les quartiers.
En deuxième lieu, ils disent avoir des droits mais aussi des devoirs, et ils veulent en discuter avec les adultes. Lors de la rencontre nationale de Marly, ils ont discuté, par exemple, avec M. Claude Allègre des règlements intérieurs. Le règlement intérieur doit-il être une chose imposée, à laquelle on leur demande de souscrire quarante-huit heures après leur arrivée au collège ou au lycée, ou peut-il être une charte de vie dont on peut discuter pendant une semaine avec les adultes, les enseignants, le personnel ? Dans cette seconde hypothèse, ils se disent prêts à s'investir et à respecter une telle charte.
Une autre proposition, également adoptée lors de la rencontre nationale, serait qu'une fois par semaine on consacre, dans chaque classe, une heure à discuter avec des adultes, le professeur principal ou un spécialiste des problèmes qui les préoccupent, au premier rang desquels ils placent la violence, mais aussi la santé, la sexualité ou le sida.
Voilà qui témoigne encore de leur désir de s'investir dans la lutte contre la violence !
Bien évidemment, le fond de cette violence - même si cela ne l'excuse pas, cela peut l'expliquer - c'est, vous l'avez dit, la profonde crise sociale et morale que connaissent nombre de familles dans certains quartiers.
Le message que nous devons envoyer à ces jeunes, c'est un message d'espoir, mais un espoir qui se traduise dans des actes. C'est le cas des emplois-jeunes.
Au début des rencontres pour la jeunesse, au mois de juin, aucun jeune ne me posait des questions sur l'emploi parce qu'ils n'avaient même pas l'espoir qu'une ministre soit capable de leur répondre sur une telle question, tellement ils avaient été déçus par les précédents gouvernements !
A partir du moment où nous avons mis en oeuvre les emplois-jeunes, les questions sur l'emploi, puis sur la formation et sur le logement sont réapparues et, finalement, les jeunes nous ont dit qu'ils avaient envie de nous faire confiance, que si, réellement, ces rencontres étaient suivies d'actes, ils retrouveraient leur envie de s'en mêler, de faire preuve d'une certaine citoyenneté.
En conclusion, je dirai que l'un des messages les plus applaudis lors de la rencontre nationale de Marly-le-Roy a été le message, délivré notamment par le Premier ministre, sur la citoyenneté, le retour à l'instruction civique, les droits des jeunes et leur prise de responsabilités dans la vie publique et dans la vie associative. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)

STATUT ET MISSIONS DES POLICES MUNICIPALES

M. le président. La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon. Ma question s'adressait à M. le ministre de l'intérieur.
Il existe aujourd'hui près de 12 500 policiers municipaux, qui assurent, pour la plupart, des fonctions de garde-champêtre. Toutefois, dans une centaine de villes, ils assurent des missions plus larges, et par là même se pose la question de leur statut.
M. le ministre de l'intérieur a indiqué, le 6 décembre dernier, qu'un projet de loi était en préparation, visant, d'une part, à élargir les attributions des policiers municipaux et, d'autre part, à leur interdire le port de certaines armes ainsi que le travail de nuit, comme si l'insécurité s'arrêtait la nuit !
Désormais, les policiers municipaux ne pourront plus disposer que d'armes défensives. On ne peut manquer de relever l'incohérence du Gouvernement, qui veut, d'une part, désarmer les policiers municipaux et, d'autre part, armer, à l'issue d'une formation de deux mois seulement, les 1 000 adjoints de sécurité embauchés grâce aux emplois-jeunes de Mme Aubry. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Dans ma commune, comme dans de nombreuses villes, existe une police municipale armée, formée, qui n'a jamais posé de problèmes particuliers et qui permet au maire d'assurer ses pouvoirs de police.
Dans ces conditions, je comprends mal que, à un moment où les violences urbaines se développent, où les actes de vandalisme se multiplient, où des autobus sont attaqués presque quotidiennement, en un mot à un moment où il serait nécessaire de renforcer la sécurité, le Gouvernement veuille restreindre le champ d'action de la police municipale sans annoncer parallèlement une augmentation des effectifs de la police nationale ou de la gendarmerie.
Par conséquent, nous souhaiterions obtenir des précisions sur les nouvelles missions qui incomberont aux polices municipales et sur la si nécessaire complémentarité entre celles-ci et la police nationale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Monsieur le sénateur, je répondrai à votre question au nom de M. Jean-Pierre Chevènement, qui participe, à l'Assemblée nationale, au débat sur les conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers.
Je vous indiquerai quels sont les grands objectifs de la réforme des polices municipales.
Le premier objectif est de clarifier l'état du droit en ce qui concerne les attributions et les prérogatives des agents de police municipale, et notamment de mettre un terme aux ambiguïtés qui existent en matière de constatation des infractions. Il sera ainsi demandé au législateur de définir précisément les tâches de ces agents.
Le deuxième objectif est de réglementer les conditions dans lesquelles les polices municipales peuvent intervenir et de définir les moyens dont elles peuvent disposer.
Ces moyens doivent être strictement proportionnés à l'exercice des missions que peuvent accomplir les agents de police municipale. En particulier, les conditions dans lesquelles les agents de police municipale pourront être armés seront encadrées beaucoup plus strictement, sans qu'intervienne toutefois le désarmement général annoncé par certains. Les agents de police municipale pourront en effet être autorisés, lorsque les circonstances l'exigent, à porter des armes de sixième catégorie.
M. Nicolas About. Des lance-pierres !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Le travail de nuit ne sera pas davantage interdit aux policiers municipaux de manière permanente. Contrairement à ce qui a été indiqué dans la presse, les conditions régissant l'intervention de nuit des agents de police municipale seront fixées par le règlement de coordination que le préfet et le maire devront édicter dans les communes où les effectifs de la police municipale dépassent cinq emplois.
Le troisième objectif est d'assurer, dans l'intérêt général, un meilleur contrôle de l'activité des polices municipales, en soumettant notamment les personnels au respect d'un code de déontologie qui sera arrêté par décret en Conseil d'Etat.
Je vais maintenant vous indiquer, mesdames, messieurs les sénateurs, quel sera le calendrier de travail du Gouvernement.
Tout d'abord, un avant-projet de loi fait actuellement l'objet d'une concertation interministérielle. Celle-ci sera suivie, à la mi-janvier 1998, par la présentation du texte au conseil de sécurité intérieure. Le projet sera ensuite transmis, pour avis, après examen par le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, au Conseil d'Etat. L'Association des maires de France et les organisations syndicales représentatives des policiers municipaux seront consultées avant que le texte soit soumis au Conseil d'Etat.
M. Jean-Pierre Schosteck. Ah, quand même !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Le dépôt du projet de loi sur le bureau de la représentation nationale devrait intervenir au printemps de 1998.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Devant le Sénat ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Enfin, une étude portant sur les rapports existant actuellement entre les services de la police nationale et les polices municipales a été confiée à M. Genthial. Elle permettra de nourrir la réflexion en vue de la définition des règlements de coordination élaborés sous l'autorité du préfet, du maire et du procureur de la République et fixant, à l'échelon local, les modalités d'emploi des polices municipales.
Telles sont les précisions que je souhaitais vous apporter, monsieur le sénateur, au nom de M. le ministre de l'intérieur. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Nicolas About. Et à quand plus de police nationale ?

CONSULTATION DES JEUNES SUR LEURS ATTENTES

M. le président. La parole est à M. Courteau.
M. Roland Courteau. Les graves difficultés que rencontrent de trop nombreux jeunes depuis quelques années vous sont parfaitement connues, mesdames, messieurs les ministres. Elles l'étaient aussi des gouvernements précédents, qui avaient largement consulté ces jeunes, mais sans suite.
Quant à vous, madame le ministre de la jeunesse et des sports, vous avez lancé une consultation nationale, mais sans tapage médiatique, car vous avez bien compris ce qu'attendent ces jeunes de quinze à trente ans : non pas des discours, mais des mesures très concrètes.
MM. Raymond Courrière et Marcel Vidal. Très bien !
M. Roland Courteau. Les quelques centaines de débats qui ont eu lieu à travers la France se sont conclus récemment par les rencontres nationales de la jeunesse, en présence de M. le Premier ministre. Ce dernier a, à cette occasion, affirmé qu'il ne fallait pas d'annonces qui ne soient suivies d'effets. Il est d'ailleurs à l'honneur de ce gouvernement d'agir ainsi et d'avoir, en l'espace de six mois, permis l'adoption de dispositions telles que l'instauration des emplois-jeunes ou l'inscription automatique des jeunes sur les listes électorales.
Quelles sont les difficultés rencontrées par ces jeunes ?
Certes, l'emploi reste leur préoccupation prioritaire. En effet, les conditions d'insertion professionnelle et sociale se sont largement dégradées ces dernières années, avec, comme on le sait, des risques très graves de marginalisation.
Mais d'autres difficultés sont également apparues, notamment en matière d'accès au logement - faute de moyens financiers ou de garanties à apporter aux bailleurs - à la santé - 160 000 jeunes sont dépourvus de toute protection sociale - à la culture, au sport, aux loisirs, trop coûteux, ou encore à la formation.
Je n'ignore pas, madame le ministre, que vous avez la ferme volonté de simplifier la vie de ces jeunes en difficulté et de prendre en compte leurs problèmes, et je vous en félicite. Par conséquent, au-delà de simples effets d'annonce ou de déclarations d'intention, qui n'ont été que trop fréquents dans un passé récent, quelles actions concrètes le Gouvernement entend-il engager en faveur de ces jeunes, auxquels il est de notre devoir de tendre la main ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur, les rencontres locales de la jeunesse, qui ont réuni près de 100 000 jeunes à travers toute la France, n'avaient effectivement pas pour objet de permettre un « coup » médiatique ou d'aboutir à des promesses démagogiques.
Elles ont débuté, le 21 juin dernier, par une réunion avec quatre-vingts jeunes assumant des responsabilités au sein d'associations nationales ou de proximité.
Très vite, ces jeunes nous ont dit ne pas vouloir participer à une énième consultation au terme de laquelle seraient prises des décisions qui ne correspondraient pas à leurs attentes ; ils ne voulaient pas non plus raconter une fois encore leurs difficultés. S'ils acceptaient, en dépit d'un certain scepticisme, de jouer le jeu, c'était pour que soient élaborées des mesures concrètes permettant de répondre à leurs problèmes.
C'est la responsabilité que nous avons prise, et plus de 1 500 rencontres ont eu lieu. Nous avons accompli un travail interministériel extrêmement important, car si mon département est l'interlocuteur naturel des jeunes, il doit cependant oeuvrer avec l'ensemble du Gouvernement pour répondre à leurs attentes. La présence de M. le Premier ministre et de sept ministres lors de la rencontre nationale témoignait de l'engagement du Gouvernement tout entier dans cette démarche.
Au cours des rencontres locales, environ cinquante mesures ont été adoptées, avant qu'elles soient confirmées lors de la rencontre nationale.
Ces mesures tendent notamment à faciliter l'accès aux transports, aux loisirs, à la culture et au sport, par la revalorisation de la carte jeune, ainsi qu'à la formation. A ce titre, nous avons décidé de créer des bourses pour les candidats aux formations « jeunesse et sport », dont le coût est extrêmement élevé, qu'il s'agisse du domaine sportif ou de celui de l'animation culturelle.
Les mesures adoptées portent également sur les études en général. Ainsi, la question des conditions de vie des étudiants a été abordée, et M. Allègre a évoqué le plan social pour l'étudiant, qui doit être examiné en 1998.
D'autres mesures concernent l'accès au logement. L'espoir de trouver un emploi renaissant, le souhait de vivre de façon autonome et de fonder un foyer a été exprimé avec une grande force, et M. Louis Besson a pu proposer plusieurs solutions, dont la mobilisation du 1 % logement pour favoriser l'accès des jeunes au logement...
M. Raymond Courrière. Très bien !
Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports. ... et l'aide aux associations susceptibles de se porter caution pour les jeunes candidats à un logement.
Je ne citerai pas toutes les mesures retenues, mais le problème de l'accès à la santé a également été souligné avec beaucoup de force. La création de lieux d'écoute et d'aide a été demandée par les jeunes, qui souhaitent être conseillés sur toutes les questions concernant la sexualité et la santé. S'agissant de la couverture sociale universelle, M. Kouchner a annoncé le dépôt d'un projet de loi contre l'exclusion, qui concernera plus de 160 000 jeunes aujourd'hui dépourvus de couverture sociale.
Une seconde série de mesures concerne la citoyenneté.
J'ai parlé tout à l'heure des droits des lycéens, mais il faut également évoquer la « revitalisation » des droits des étudiants et la représentation de ceux-ci, notamment auprès des institutions.
Sur ce point, le ministère de la jeunesse et des sports a décidé de mettre en place, avant le 31 janvier 1998, des commissions départementales des jeunes assurant des responsabilités associatives et une commission nationale chargée de suivre la mise en oeuvre des mesures arrêtées et, bien sûr, d'avancer d'autres propositions.
« Nous avons vraiment envie de vous faire confiance, continuons à marcher ensemble, à construire ensemble, et nous pourrons faire des choses extrêmement importantes », nous ont dit les jeunes, à M. le Premier ministre et à moi-même, à l'issue de la rencontre nationale.
C'est une lourde responsabilité qu'a prise le Gouvernement, mais soyez certains, mesdames, messieurs les sénateurs, de ma détermination et de celle de l'ensemble des ministres, nettement affirmée par M. le Premier ministre, à mettre en oeuvre les mesures annoncées, en 1998 pour la plupart d'entre elles et d'ici à 1999 pour les dernières. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc. Très bien !

DANGEROSITÉ DE LA RN 10 EN CHARENTE

M. le président. La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud. Les habitants de la région Poitou-Charentes, notamment ceux du département de la Charente, ont été très sensibles à l'engagement du Gouvernement en faveur de la route nationale 10, qui constitue également, il faut le rappeler, l'axe européen E 606.
Cependant, ils trouvent inacceptable que son intérêt pour cette nationale se limite au tronçon situé au sud de Bordeaux, dans le département des Landes, là où la RN 10 comporte déjà deux fois deux voies. Même s'il faut reconnaître que des améliorations importantes restent encore à réaliser, l'annonce d'un crédit de 100 millions de francs supplémentaires en faveur du département des Landes les a scandalisés, toutes sensibilités politiques confondues.
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est vrai !
M. Philippe Arnaud. La RN 10 traverse le département de la Charente sur 102 kilomètres de son parcours, assurant un trafic moyen de 20 000 véhicules par jour avec des pointes à 30 000, dont 35 % de poids lourds, ce qui correspond à 6 000 poids lourds par jour, chiffre deux fois supérieur au trafic drainé par l'autoroute A 10. Une très forte proportion de ces poids lourds provient de la péninsule ibérique ou de l'Europe du Nord.
Or, sur les 194 kilomètres séparant Poitiers de Bordeaux, 72 kilomètres, dont la presque totalité sont situés en Charente, sont encore soit à deux voies, soit à trois voies. Il n'est donc pas étonnant que ce soit sur son parcours charentais que la RN 10 est la plus meurtrière.
Comme la dangerosité ne se mesure pas à l'aune des rapports politiques, du moins en République, je me permets d'attirer à nouveau l'attention du Gouvernement sur les éléments suivants : les poids lourds sont impliqués dans 38 % des accidents survenant sur la RN 10 en Charente, contre 10 % pour le reste de la France ; le taux de gravité 1, qui mesure le nombre de tués pour 100 accidents, est trois fois supérieur à celui qui est constaté pour l'ensemble des routes nationales, et de 10 % supérieur à celui de la RN 10 dans la traversée des Landes ; il en va de même pour le taux 2, qui tient compte des tués et des blessés graves, avec un triste record au sud d'Angoulême.
Cette triste et pénible comptabilité permet de montrer ce que nous vivons au quotidien sur le territoire charentais.
Sur les tronçons à deux fois deux voies traversant les Landes, les accidents sont dus, pour l'essentiel, à l'imprudence et à la perte de contrôle du véhicule par l'automobiliste. En Charente, c'est la route qui tue.
Après complète exécution du XIe plan, il reste 1,3 milliard de francs à investir en Charente sur la RN 10, c'est-à-dire que, au rythme actuel, la réalisation des travaux nécessitera cinq nouveaux plans, soit vingt-cinq ans ! Cette échéance est tout simplement inacceptable !
Le conseil régional de Poitou-Charentes est prêt à mettre 500 millions de francs sur la table. L'Etat est-il prêt à s'engager, hors plan, en mobilisant des crédits nationaux et européens pour régler une bonne fois pour toutes ce dossier douloureux et récurrent de la route nationale 10 en Charente ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Excellente question !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Monsieur le sénateur, M. Jean-Claude Gayssot, qui représente aujourd'hui la France au Conseil des ministres européens des transports, m'a demandé de répondre à sa place à votre question.
Je puis vous assurer en son nom, monsieur le sénateur, que la sécurité routière est l'une des préoccupations essentielles du Gouvernement. La France est encore aujourd'hui, avec plus de 8 000 morts sur ses routes par an, mal classée sur le plan européen, loin derrière le Royaume-Uni ou les pays du nord de l'Europe. Cette situation intolérable justifie que nous réagissions avec vigueur.
C'est pourquoi, à l'issue de la dernière réunion du comité interministériel sur la sécurité routière, le Gouvernement s'est fixé pour objectif de réduire de moitié en cinq ans le nombre des morts sur nos routes et dans nos rues, en développant notamment l'éducation et la prévention routières.
Aujourd'hui, les accidents de la route sont la première cause de mortalité des moins de vingt-quatre ans et on peut relever qu'ils ont lieu pour l'essentiel à proximité du domicile, sur des itinéraires familiers.
Si l'action gouvernementale et celle des services de l'Etat sur le terrain doivent porter prioritairement sur l'éducation, la prévention et la régulation, des efforts sont à faire pour résorber des « points noirs », en ville et en rase campagne. Malgré les contraintes budgétaires actuelles, le Gouvernement a également décidé, sur proposition de M. Gayssot, de redéployer des crédits sur deux sections particulièrement dangereuses de la route nationale 7, sur une section de la route nationale 10 et pour l'accélération de la résorption des passages à niveaux.
Monsieur le sénateur, votre propos ayant été très dur, je me permettrai de vous rappeler que le gouvernement au nom duquel je m'exprime en remplacement de M. Gayssot n'a que six mois d'existence. Il ne peut donc, à lui seul, porter la responsabilité de la situation que vous avez décrite.
Notamment, cette situation ne pouvait être méconnue lors de l'élaboration du contrat de plan en cours, lequel intègre, bien évidemment, le caractère « accidentogène » de certaines sections de routes.
Les retards accumulés ces dernières années dans la réalisation des volets routiers des contrats de plan Etat-régions sont considérables. Mais c'est M. Alain Juppé lui-même, alors Premier ministre - je le dis sans esprit polémique - qui avait annoncé que les volets routiers de ces programmes seraient réalisés au minimum en six ans, peut-être même en sept ans, alors qu'ils étaient prévus initialement sur cinq ans.
M. Jean-Pierre Raffarin. Sauf pour la RN 10 !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Pour résorber les « points noirs », il faut donc mobiliser les financements. J'ai bien noté, monsieur Arnaud, et j'en ferai part à M. Gayssot, que le conseil régional de Poitou-Charentes est prêt à engager 500 millions de francs pour la RN 10. (Vives exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Raffarin. A condition qu'on les réalise !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Il n'est pas exact, monsieur le sénateur, d'affirmer que l'Etat se désintéresse de la RN 10 au nord de Bordeaux.
M. le président. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous prie de conclure.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Plus de 690 millions de francs sont en effet consacrés à la RN 10 entre Bordeaux et Poitiers, dont plus de 480 millions de francs dans la région Poitou-Charentes. C'est sans doute insuffisant, mais permettez-moi de vous donner cette précision, puisque votre question pouvait laisser penser que la situation était alarmante.
Le Gouvernement, dans cette affaire, veut non pas opposer les Charentais et les Landais, mais travailler à satisfaire l'intérêt général. Le Gouvernement est décidé à poursuivre les efforts nécessaires sur l'ensemble du tracé de la RN 10.
Une enquête publique se déroule actuellement sur la section au sud d'Angoulême, comprenant notamment la déviation de Roullet, afin de déclarer d'utilité publique les derniers travaux d'aménagement à deux fois deux voies et de mise en conformité géométrique et environnementale.
Une enquête similaire pour les sections situées au nord d'Angoulême, comprenant notamment la déviation des Chauvauds et l'échangeur de Translemaine - RN 10/RN 141 - sera lancée d'ici à la fin de l'année.
Voici, monsieur le sénateur, les éléments de réponse dans lesquels je souhaite que vous puissiez trouver le témoignage que le Gouvernement partage l'attention que vous portez à cette route nationale en effet répertoriée comme axe européen. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

INQUIÉTUDES DES AGRICULTEURS
FACE À LA POLITIQUE EUROPÉENNE

M. le président. La parole est à M. Taugourdeau.
M. Martial Taugourdeau. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le ministre, partout dans notre pays, les agriculteurs manifestent leurs inquiétudes et leur profond désarroi face aux propositions de la Commission européenne de réforme de la politique agricole commune.
A la veille du sommet de Luxembourg, pouvez-vous nous dire quelles mesures vous entendez prendre à l'égard des propositions ultralibérales de Bruxelles, qui, sous l'influence américaine, préconise une baisse généralisée des prix et l'ouverture systématique aux marchés mondiaux ?
Si une telle évolution se produisait, les agriculteurs céréaliers subiraient notamment les conséquences de la suppression de l'aide spécifique aux cultures irriguées.
Accepter ces propositions reviendrait à signer l'arrêt de mort de notre agriculture et, au-delà de celle-ci, du modèle agricole européen.
Pour ma part, au nom du groupe du Rassemblement pour la République, je m'oppose fermement à cette politique qui ne préserve ni la préférence communautaire ni l'identité agricole européenne, et qui n'a pas la volonté de défendre de façon différenciée les intérêts de chacun de nos secteurs agricoles.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, de préciser votre position sur ce point essentiel pour l'avenir de notre agriculture et du modèle agricole européen. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et des Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le sénateur, les appréhensions dont vous faites état, qui se font jour au gré des manifestations dans nos provinces, contre le « paquet Santer » sont compréhensibles. Le Gouvernement l'a dit en son temps, lorsqu'il a analysé et conduit cette analyse, en concertation avec les organisations agricoles : les propositions du « paquet Santer », relatives à l'agriculture ne sont pas acceptables en l'état.
Pour illustrer mon propos, je dirai tout d'abord que la proposition de baisse systématique des prix n'est pas adaptée au type d'agriculture organisée, par filières notamment, que nous connaissons.
Je dirai ensuite que le dispositif contient un certain nombre de propositions incohérentes. Ainsi, pour les productions laitières, les mesures proposées conduiraient tout simplement à la disparition du système des quotas.
Je dirai encore que la mise en oeuvre des propositions relatives à la viande bovine se ferait au détriment de l'élevage extensif.
Je dirai enfin - vous avez formulé ce grief et nous l'avons tous aussi exprimé en son temps - qu'à travers ces propositions l'Europe n'affirme pas suffisamment sa volonté de défendre une politique agricole, un modèle agricole fondé sur des mesures d'organisation et de protection. Pourtant, d'autres grandes puissances agricoles de par le monde affirment leur volonté, sans scrupules dirai-je.
Confronté à une telle attitude, j'ai dû, au fil des conseils agricoles, faire part de deux préalables.
Le premier préalable consiste à dire que l'Europe doit affirmer fortement sa volonté de défendre l'identité agricole des pays qui la composent,...
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. ... dont il est permis de dire qu'elle est caractérisée notamment par la diversité des productions.
Le second préalable peut s'énoncer ainsi : si l'Europe a une telle ambition, il convient qu'elle s'en donne les moyens.
Cela nous a conduits, tout simplement, à demander que soit respectée, consolidée, ce que l'on appelle la ligne directrice agricole, dans son principe et dans ses modalités de calcul, c'est-à-dire les moyens de la politique agricole pour la période 2000-2006.
Ces deux préalables que nous avons exprimés seront, je n'en doute pas, encore posés à l'occasion du conseil européen qui va se tenir dans les prochains jours.
Je ferai, en outre, remarquer que le conseil agricole s'est achevé, en novembre dernier, sur un consensus : quatorze Etats membres sur quinze ont repris à leur compte ce préalable que j'avais énoncé et ont dit très clairement leur vision de la réforme de la politique agricole commune.
Le Premier ministre, mais aussi le chef de l'Etat, quand ils ont reçu les organisations syndicales agricoles, ont voulu montrer que la France entendait bien lier l'engagement des discussions sur l'élargissement au respect d'un certain nombre de principes. Singulièrement pour la politique agricole, ils ont insisté sur le fait qu'ils entendaient que soit affirmée, à cette occasion, la volonté de défendre l'identité agricole européenne.
Il est apparu qu'il était nécessaire de réformer la politique agricole commune pour des considérations internes et externes, et vous avez vous-même fait référence aux rencontres-négociations sur l'élargissement. Sur ce sujet, il y aura bien évidemment de grandes conférences multilatérales.
Nous disons oui à la réforme. Mais il s'agit d'assurer la pérennité de la PAC, et non de la démanteler. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)

MISE EN PLACE DE NATURA 2000

M. le président. La parole est à M. Raoult.
M. Paul Raoult. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.
En application de la politique européenne de l'environnement, la France doit mettre en oeuvre la directive du 21 mai 1992 relative à la conservation des habitats naturels ainsi qu'à la protection de la faune et de la flore.
Cette directive vise à créer un réseau européen dénommé Natura 2000. Il contribuera à assurer le maintien de la diversité biogéographique en Europe.
Avant d'aboutir à la constitution de ce réseau, une mission préalable d'expérimentation, le programme LIFE, est menée actuellement sur trente-deux sites potentiels, dont celui des forêts de Thiérache, dans le département du Nord.
En tant que président du parc naturel régional de l'Avesnois, j'ai suivi attentivement la démarche entreprise sur ce site. Les études sont aujourd'hui achevées. Les actions de concertation avec l'ensemble des acteurs ont été menées sous la tutelle du sous-préfet d'Avesnes. Nous achevons la phase finale de l'opération avec l'élaboration des cahiers d'objectifs.
Je n'évoquerai pas ici les rebondissements successifs qu'a connus ce dossier. Je note simplement que la procédure s'est engagée dans des conditions catastrophiques.
La précipitation, les nombreuses incertitudes, la mauvaise appréciation sur le terrain de l'application de la directive ont créé un climat de psychose et d'opposition souvent farouches. Les élus locaux en supportent souvent les conséquences alors que ce dossier reste de la responsabilité de l'Etat.
Aujourd'hui, la poursuite de la démarche se heurte à une radicalisation des positions des acteurs locaux, agriculteurs et forestiers. Les craintes de ces derniers se conjuguent avec les inquiétudes liées à la réforme de la politique agricole commune.
Monsieur le ministre, je souhaiterais avoir des engagements fermes du Gouvernement à la fois sur la méthode et sur les moyens pour mener à bien ce dossier.
Comment l'Etat souhaite-t-il faciliter et améliorer la concertation locale ? La précipitation avec laquelle est menée la procédure, la faiblesse des moyens financiers mis à la disposition pour cette mission pénalisent le bon déroulement de cette mission d'expérimentation. Ce sont souvent les élus locaux, à travers, notamment, les parcs naturels régionaux, qui assurent la mise en oeuvre de cette concertation.
Quelle est la position de l'Etat, qui est le premier propriétaire forestier national, quant à l'application de la directive Natura 2000 sur son domaine privé ?
L'Etat demande aujourd'hui aux propriétaires forestiers de s'engager et de respecter la logique de cette directive. Il doit montrer l'exemple !
Quelles instructions seront données à l'Office national des forêts en tant que gestionnaire des espaces retenus dans les périmètres ?
Pouvez-vous aujourd'hui apporter des précisions quant aux mesures financières compensatoires qui seront mises en place pour répondre aux contraintes de gestion acceptées par les propriétaires ?
Vos réponses sont attendues avec impatience par tous les partenaires, qui souhaitent être rassurés pour appliquer loyalement la directive Natura 2000. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le sénateur, votre question concerne au premier chef le ministre de l'environnement. Compte tenu de sa formulation, je me sens cependant concerné, la politique forestière relevant de mes compétences.
Au plan national, la procédure Natura 2000 continue d'évoluer. Des progrès ont été accomplis. Il est toutefois évident qu'il nous faudra obtenir plus de transparence.
L'envoi d'une première proposition pour des sites susceptibles d'être reconnus d'intérêt communautaire a eu lieu au début du mois de décembre. Mais la concertation se poursuit, notamment au niveau des préfets et des préfets de région, et elle devrait permettre d'enrichir la première liste qui prévoyait a minima 535 sites pour 888 450 hectares, auxquels il convient d'ajouter 169 660 hectares marins, soit, au total, 1,6 % du territoire national.
En dépit de cela, la France accuse en ce domaine un retard, ce que le commissaire européen nous rappelle avec une fréquence soutenue.
Vous avez évoqué le vécu de votre démarche dans l'un des trente-cinq sites du programme LIFE, à savoir les forêts de Thiérache.
Ayant en charge la politique forestière, j'ai attendu que l'Office national des forêts, l'ONF, apporte une contribution particulière à la préservation de cette biodiversité exceptionnelle de la France. L'Etat, par le biais de l'ONF, s'est donc attaqué à l'inventaire des sites forestiers domaniaux, qui représentent à ce jour 8,5 % des sites retenus. Ce n'est pas à la mesure des forêts privées, qui représentent 85 % des forêts françaises !
Quant à l'Etat, il a pris ses responsabilités. Il reste à poursuivre la concertation en cours. J'ai déjà reçu les propriétaires forestiers, qui sont venus me dire leurs attentes, mais aussi leurs appréhensions.
S'agissant des mesures compensatoires - on fait référence aux surcoûts de gestion - elles font l'objet d'un des points du mémorandum interprétatif de la directive Habitat, qui a été adoptée par la Commission et qui invite les Etats membres à tenir compte des financements qui résulteraient de la procédure. C'est une question que Dominique Voynet et moi-même suivons avec une toute particulière attention. (Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Poncelet et Arzel applaudissent également.)

MOYENS DE LA LUTTE CONTRE LES EXCLUSIONS

M. le président. La parole est à M. Pluchet.
M. Alain Pluchet. Ma question s'adressait à Mme Aubry, qui avait annoncé au cours de la discussion budgétaire que le Gouvernement préparait un grand programme de lutte contre les exclusions qui prendrait corps dans un projet de loi. Elle avait fait état d'une provision de 225 millions de francs pour en financer l'application.
Je voulais rappeler que le gouvernement de M. Alain Juppé avait prévu une somme de 470 millions de francs, soit plus du double, pour le projet de loi de cohésion sociale, qui hélas ! n'a pu être adopté définitivement.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Et pour cause !
M. Alain Pluchet. Le Gouvernement, qui fait de la lutte contre les exclusions une priorité, est étrangement moins généreux que le précédent.
Cela est d'autant plus étonnant qu'on vient de critiquer l'ancien projet en le qualifiant de texte de principe définissant quelques modalités de suivi statistique des pauvres et des exclus.
C'est faire injure à l'excellent travail effectué par vos prédécesseurs et aux représentants des différents acteurs du secteur qui avaient salué unanimement la qualité de ces travaux.
Aussi, je suis curieux de connaître les explications du Gouvernement concernant la faiblesse des crédits qui seront affectés à ce programme de lutte contre les exclusions. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur le sénateur, sans vouloir polémiquer sur ce sujet, dont la gravité n'échappe à personne, je vous indique que je n'ai pas les mêmes chiffres que vous.
Tout d'abord, ce n'est pas à cause de ce gouvernement-ci que la discussion du projet de cohésion sociale, comme vous l'avez rappelé, a été interrompue. Elle l'a été en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale, à laquelle, apparemment, vous n'étiez pas plus préparés, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous-mêmes !
M. Charles Revet. Vous pouviez le reprendre !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Non seulement nous le reprenons, mais je vais même vous en parler !
Je disais que je n'avais pas les mêmes chiffres que vous.
Vous avez parlé de 470 millions de francs pour le projet de loi de cohésion sociale. Pourtant, ce projet de loi, vous vous en souvenez, avait inquiété les associations, même si elles avaient salué une telle initiative - je salue moi-même, d'ailleurs, le travail accompli par nos prédécesseurs - car elles le trouvaient insuffisant et étaient très peinées du manque de moyens qui étaient mis à leur disposition. Chacun se souvient à cet égard du discours de Mme Anthonioz de Gaulle.
Dans mon esprit, ce sont non pas 225 millions de francs qui sont programmés aujourd'hui, mais 3 milliards de francs. Je regrette que M. Louis Besson soit parti : il vous aurait confirmé que la part consacrée au logement est de 1,9 milliard de francs, ce qui est considérable.
Mais ne polémiquons pas sur ce point.
Mme Aubry et moi-même - elle vous l'a annoncé à plusieurs reprises - allons reprendre ce projet de loi et le présenter au Parlement avant les vacances.
M. Christian Poncelet. Lesquelles ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Le calendrier parlementaire est extrêmement chargé et je ne peux pas vous donner de date précise, mais il devrait être théoriquement examiné au printemps 1998.
Pour mener à bien ce projet, non seulement des sommes sont d'ores et déjà affectées à chacun des ministères - celui de la santé en particulier - mais un travail collectif a déjà commencé. Les sommes d'ores et déjà réservées seront multipliées en amont, grâce à un travail de prévention.
Mme Marie-George Buffet en a parlé tout à l'heure à propos de la jeunesse et des sports. Un certain nombre de ministères, dont l'éducation nationale, la jeunesse et les sports, et bien d'autres, avaient déjà été sollicités, mais ils avaient jusqu'à maintenant refusé leur contribution. C'est terminé, dorénavant dix-neuf départements ministériels travailleront ensemble afin que cette future loi contre l'exclusion prenne effet au plus vite.
Quelle sera-t-elle ? On le rappelait tout à l'heure, dans le domaine de la santé en particulier, elle instituera l'assurance universelle. Je ne dis pas, monsieur le sénateur, que cela suffira. En effet, un certain nombre de nos concitoyens ont glissé si loin sur le chemin de l'exclusion que, même assujettis à ce système, nous en retrouverons peut-être encore environ 200 000 ou 300 000 dans les consultations gratuites - le moins possible, je l'espère !
Il n'empêche que ces dix-neuf ministères essaieront au plus vite de faire en amont un travail de prévention et que des moyens sont mis à leur disposition, contrairement - pardonnez-moi de le rappeler - à ce qui avait été fait auparavant, pour que l'on passe des voeux pieux à une action immédiate non seulement curative, mais aussi préventive ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)

PROJETS DE RÉFORME CONCERNANT
LES CHEFS D'ÉTABLISSEMENT
DANS L'ÉDUCATION NATIONALE

M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Monsieur le ministre, les élus locaux entretiennent des rapports très fréquents et très fructueux avec les chefs d'établissement d'enseignement, aussi bien les proviseurs que les principaux. Or, ils constatent à l'heure actuelle une certaine agitation parmi leurs partenaires, agitation qui provient de plusieurs projets de réforme qui vous sont imputés.
Je voudrais savoir s'il est exact que votre ministère étudie actuellement la possibilité de retirer au proviseur ou au principal la présidence du conseil d'administration pour la donner à une personnalité extérieure qualifiée.
Je voudrais savoir également s'il est exact que, pour tenter de répondre à la crise de recrutement d'un certain nombre de chefs d'établissement, de proviseurs adjoints ou de principaux adjoints, votre ministère envisage de faire élire par leurs collègues deux ou trois professeurs chargés d'aider le chef d'établissement dans ses tâches administratives.
Il est clair que, si ces deux réformes étaient entreprises par vous-même, monsieur le ministre, elles auraient pour conséquence - alors que nous connaissons tous le dévouement, l'efficacité et le travail accompli par les proviseurs et les principaux pour tenter de résorber les difficultés que nous constatons - ...
M. Raymond Courrière. N'en faites pas trop, on sait ce que vous en pensez !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... une grande désorganisation dans le fonctionnement de l'éducation nationale.
Aussi, j'attends de vous, monsieur le ministre, des assurances fermes sur le fait que ces réformes ne sont que des idées en l'air.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le sénateur, je suis heureux que vous entreteniez avec les chefs d'établissement un bon dialogue.
Cela dit, globalement, leur situation n'est pas satisfaisante.
En effet, 900 postes de chef d'établissement sont vacants. Faute de candidats, nous sommes donc obligés de maintenir dans leurs fonctions un certain nombre de ceux qui sont en place, et cela au-delà de l'âge de la retraite, ce qui est quand même anormal !
Ce n'est pas un problème financier, puisque ces postes ont été revalorisés à quatre ou cinq reprises, quasiment par tous les gouvernements depuis vingt ans.
M. Christian Poncelet. C'est un problème d'autorité !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. C'est un problème de fonctionnement. Personnellement, je ne crois pas, en effet, qu'un système puisse fonctionner sans autorité ni responsabilité.
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Il ne peut pas fonctionner non plus sans démocratie, car responsabilité et démocratie vont de pair. Or, actuellement, il n'y a ni responsabilité ni démocratie.
Le contact entre les professeurs et les responsables n'est pas établi, faute de démocratie.
Les conseils lycéens ne se réunissent pas, ce qui suscite un certain mal-être au sein des établissements.
Pour remédier à une telle situation, nous avons confié au recteur Claude Pair une mission intitulée « Responsabilités et démocratie ».
Parmi les idées émises, deux professeurs élus pourraient assister les chefs d'établissement et leurs adjoints, moyennant quoi des responsabilités supplémentaires seraient données aux chefs d'établissement, ce qui permettrait de renforcer la démocratie et d'accroître le sens de la responsabilité. C'est une idée qui a été évoquée, mais elle n'est pas, pour l'instant, entrée dans sa phase opérationnelle.
Au cours des débats à l'Assemblée nationale, un élu a fait remarquer que, dans l'enseignement agricole, où, paraît-il, les choses se passent mieux, la présidence du conseil d'administration est assurée non pas par le proviseur, mais par une personnalité extérieure, ce qui facilite le contact entre le proviseur et les parents.
Je n'ai exclu aucune suggestion, mais aucun projet n'est encore en préparation. Nous n'en sommes pour l'instant qu'au stade de la réflexion : la mission Pair. La seule chose sûre que je peux vous dire, c'est ma détermination de faire en sorte que le métier de chef d'établissement soit pleinement reconnu et que règne, dans les lycées et les collèges, un esprit de responsabilité et de démocratie pour tous, car ce n'est que de cette manière que nous redonnerons à notre enseignement la vigueur qui lui est nécessaire pour affronter le XXIe siècle ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

8

MOTION D'ORDRE

M. Philippe François. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. François.
M. Philippe François. Monsieur le président, au nom de la commission des affaires économiques, et avec l'accord du rapporteur, je demande - je pense que M. le ministre n'y verra pas d'inconvénient - que la discussion sur la proposition de loi portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture soit menée jusqu'à son terme ce soir.
M. le président. Mon cher collègue, en vertu de l'article 32 de notre règlement, je vais consulter le Sénat pour savoir s'il accepte de poursuivre l'examen de cette proposition de loi en séance de nuit, dans le cas où son examen ne serait pas achevé à dix-neuf heures quarante-cinq.
Auparavant, je demande l'avis du Gouvernement sur cette demande.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je pense que M. César est en mesure de nous apporter un éclairage complémentaire avant que je donne un éventuel avis.
M. le président. La parole est à M. César.
M. Gérard César. Monsieur le président, dans la mesure où les conclusions du rapport ont été adoptées telles quelles par la commission des affaires économiques et les neuf amendements qui ont été déposés ne soulevant pas de problème particulier, je pense que nous pourrions en terminer ce soir, pas trop tard.
M. Philippe François. Avant le dîner !
M. Gérard César. Ah, ça !
M. le président. Mes chers collègues, je prends note que chacun semble s'engager à la concision. Cela ne doit cependant en aucune façon nuire à la qualité de nos travaux et chacun doit garder la possibilité, que lui donne le règlement, d'intervenir dans le débat.
M. Gérard César. Absolument.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Pour ma part, je répondrai au souci de concision qui s'est exprimé : mon intervention durera environ vingt minutes.
M. le président. Je consulte le Sénat sur la demande de M. François de poursuivre le débat sur la proposition de loi relative à l'agriculture jusqu'à son terme.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.

9

CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUE^TE
SUR LA RÉDUCTION DE LA DURÉE
DU TRAVAIL À TRENTE-CINQ HEURES

Suite de la discussion et adoption des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. Nous reprenons la discussion des conclusions du rapport de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sur la proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires.
Je rappelle que, ce matin, le Sénat a rejeté, par scrutin public, une motion tendant à opposer la question préalable.
Nous passons donc à la discussion de l'article unique.

« Article unique. - En application de l'article 11 du règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres chargée de recueillir des éléments d'information sur les conséquences financières, économiques et sociales de la décision de réduire à trente-cinq heures la durée hebdomadaire du travail. »
La commission des finances propose de rédiger ainsi l'intitulé de la proposition de résolution : « Proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences de la décision de réduire à trente-cinq heures la durée hebdomadaire du travail. »
Je vais mettre aux voix l'article unique de la proposition de résolution.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, mes chers collègues, je vais évidemment voter la proposition de résolutions visant à la création d'une commission d'enquête. Mais je tiens à indiquer au Sénat qu'une coordination devra intervenir entre les travaux de cette commission d'enquête et ceux de la commission des affaires sociales, qui va être saisie du texte relatif à la durée du travail dès son adoption par l'Assemblée nationale, c'est-à-dire dès la fin du mois de janvier.
Par conséquent, lorsque la commission d'enquête sera constituée, qu'elle aura élu son président et son rapporteur, il sera bon qu'elle opère un rapprochement avec la commission des affaires sociales pour déterminer avec elle les aspects du problème à approfondir plus particulièrement. Je pense, pour ma part, qu'il serait opportun d'examiner ce qui s'est passé à l'étranger, et quelles conséquences économiques a pu avoir la réduction obligatoire ou facultative de la durée du travail opérée dans tel ou tel pays.
M. Jean Arthuis. Je demande la parole pour une explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Je souhaite remercier MM. Philippe Marini et André Bohl, qui ont rapporté respectivement, au nom de la commission des finances et au nom de la commission des lois, la proposition de résolution.
Je voudrais également apaiser les craintes qui se sont exprimées sur les travées de la gauche plurielle. En effet, les auteurs de la proposition de résolution sont avant tout animés par le souci de l'emploi et du sort des salariés dans notre pays.
Nous sommes à l'heure de la mondialisation, vous l'avez vous-même rappelé ce matin, monsieur le président, et nous ne pouvons nous résigner à voir se multiplier deux types de délocalisation : l'un d'ordre géographique, qui consiste à déplacer les moyens de production dans des pays où les contraintes touchent le coût du travail sont moins lourdes, l'autre qui relève de l'économie de proximité, consistant à basculer insensiblement, mais de façon claire et croissante, dans l'économie parallèle, dans l'« économie grise ».
Cette évolution n'est pas une fatalité, et le projet de loi qu'a approuvé hier matin le Gouvernement justifie qu'un éclairage particulier soit apporté sur cette question fondamentale, qui est au coeur de la cohésion sociale et du pacte républicain.
Au demeurant, je rejoins tout à fait les préoccupations que vient d'exprimer M. Fourcade : une coordination est absolument nécessaire entre les travaux de cette commission qui, je l'espère, ne tarderont pas à s'engager et ceux de la commission des affaires sociales, appelée à statuer sur le texte qui nous sera soumis, pour que le Sénat puisse se prononcer en pleine connaissance de cause.
Il faudra, bien sûr, tenir compte de considérations d'ordre intérieur, mais aussi multiplier les études sur l'étranger pour que nous élaborions un texte qui contribue effectivement à la création d'emplois - ce qui est un impératif pour chacun d'entre nous - et à l'amélioration du sort des salariés français.
Cela dit, le groupe de l'Union centriste votera la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d'enquête. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. J'ai eu l'occasion, ce matin, de dire longuement pourquoi nous n'étions pas favorables à la constitution, dans les conditions prévues par la proposition de résolution, de cette commission d'enquête sur les conséquences de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures.
M. Jean Chérioux. Vous avez peur ?
M. Guy Allouche. Je n'ai jamais peur de rien !
M. Jean Chérioux. On a l'impression du contraire.
M. le président. La parole est à M. Allouche, et à lui seul.
M. Guy Allouche. J'ai beaucoup regretté ce matin, lors de mon intervention, l'absence de notre éminent collègue M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je n'ai pas le don d'ubiquité.
M. Guy Allouche. Je le regrette, pour vous et pour moi. (Sourires.) Je suis sûr que vous auriez non pas partagé mon point de vue, mais qu'au fond de vous-même vous vous seriez dit : mon collègue Allouche n'a peut-être pas raison, mais il n'a sûrement pas tort.
En tout cas, permettez-moi de dire, mes chers collègues, que j'ai vu dans l'explication de vote de M. Fourcade - certes, c'est une interprétation toute personnelle - une justification de notre appréciation quant à l'inopportunité de la constitution de cette commission.
La majorité sénatoriale aurait pu attendre, en effet, que la commission des affaires sociales, présidée par notre éminent collègue M. Fourcade, se saisisse du texte qui va nous être soumis et que le travail parlementaire s'effectue normalement ; nous en aurions apprécié ensuite les conséquences.
M. Emmanuel Hamel. Face aux graves menaces, il faut réagir tout de suite !
M. Guy Allouche. Si menaces il y a, ce que je ne crois absolument pas, nous les connaîtrons lorsque la loi sera appliquée ; sans doute est-il préférable d'avoir un peu de recul pour apprécier.
M. Emmanuel Hamel. Il sera trop tard !
M. Guy Allouche. Il n'est jamais trop tard, monsieur Hamel ! Cela m'étonne qu'un homme aussi averti que vous puisse dire cela.
Quant à M. Arthuis, qui est cosignataire de la proposition de résolution - ce qui n'est pas pour me surprendre - et qui, à mon avis, sera le rapporteur de la commission d'enquête - j'ai ce pressentiment...
M. Jean Arthuis. Inch' Allah !
M. Charles Pasqua. Vous le souhaitez ?
M. Guy Allouche. Pourquoi pas, monsieur Pasqua ? Il en a la capacité et, justement, si M. Arthuis est désigné comme rapporteur, il pourra enfin nous éclairer sur les mesures qu'il a prises quand il était, voilà encore peu, au Gouvernement pour empêcher les délocalisations dont il parle.
Je reconnais que c'est un problème qui le préoccupe depuis longtemps ; ce n'est pas la première fois qu'il l'évoque.
M. Emmanuel Hamel. Il est l'auteur d'un grand rapport sur ce thème.
M. Guy Allouche. Absolument, monsieur Hamel. Je sais que c'est un point qui lui tient à coeur.
Il a souvent, et depuis des années, dénoncé les comportements de certains chefs d'entreprise qui vont chercher au loin ce qu'ils peuvent trouver ici.
Puisque M. Arthuis donc a eu - ce qui n'est pas le cas de la plupart d'entre nous - l'honneur d'être membre d'un gouvernement,...
M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Cela vous arrivera, mon cher collègue ! (Sourires.)
M. Guy Allouche. ... qui plus est chargé de l'économie et des finances, nul doute qu'il va nous faire connaître les mesures que le gouvernement auquel il a appartenu a prises pour empêcher les délocalisations.
Je ne peux que regretter, comme vous, mon cher collègue, que certains chefs d'entreprise installent leur entreprise à l'étranger alors que nous avons tout ce qu'il faut sur place.
Mais il faut reconnaître aussi que nous ne pouvons pas systématiquement condamner toute délocalisation, étant les premiers à nous réjouir lorsque des firmes étrangères viennent s'installer chez nous et créer des emplois directs et indirects sur notre sol. J'ai cru comprendre que c'était aussi cela la mondialisation !
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. J'indique d'emblée que je voterai la proposition de résolution.
Mais je voudrais surtout répondre à M. Allouche.
Mon cher collègue, vous semblez voir les choses un peu à l'envers : vous demandez à notre collègue M. Arthuis quelles mesures il fallait prendre pour éviter les délocalisations.
M. Guy Allouche. Quelles mesures il a prises !
M. Emmanuel Hamel. Il n'a pas eu le temps, mais tout était prêt !
M. Jean Chérioux. Le but de cette commission d'enquête est surtout de faire la lumière sur les mesures qu'il ne faudrait pas prendre, ou qu'il n'aurait pas fallu prendre, justement, pour éviter ces délocalisations.
M. Jacques Habert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. La question de la délocalisation de nos entreprises vers l'étranger est tout à fait primordiale.
Pour parer aux délocalisations, le gouvernement précédent, en particulier sur l'initiative de M. Arthuis, alors ministre de l'économie et des finances, avait pris des mesures tendant, par exemple, à alléger les charges pesant sur les bas salaires, de façon que nos entreprises puissent jouir en France de meilleures conditions de compétitivité.
Or les dispositions qui viennent d'être adoptées en conseil des ministres ne peuvent que favoriser, au contraire, à la fois la fuite des cerveaux, que j'ai évoquée en une autre occasion, et celle des capitaux ou des entreprises vers l'étranger.
Il est certain que les mesures fiscales qui sont prises actuellement et l'abaissement futur de la durée hebdomadaire du travail à trente-cinq heures nous mettent sur une pente très dangereuse à cet égard.
Dès lors, il me paraît important qu'une commission d'enquête soit constituée pour étudier de manière approfondie et impartiale les effets du passage aux trente-cinq heures. Je ne comprends d'ailleurs même pas que l'on conteste la nécessité de cette commission d'enquête, qui nous permettra de réfléchir tous ensemble, calmement, à ce très grave problème.
Il me paraît de bonne méthode de peser les conséquences des mesures qui sont envisagées à l'aune de l'intérêt du pays, car c'est cela qui doit toujours guider nos décisions. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Philippe Marini, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Je souhaite simplement vous rappeler, mes chers collègues, que le texte sur lequel nous allons nous prononcer et qui résulte de l'examen par la commission des finances de la proposition de résolution de M. Blin et de plusieurs de ses collègues porte sur les conséquences financières, économiques et sociales de la décision de réduire à trente-cinq heures la durée hebdomadaire du travail, puisque cette décision est à nos yeux un fait annoncé solennellement, et que, en ce moment même, les membres du Gouvernement expliquent à travers tout le pays combien elle est, à leurs yeux, fondée.
C'est en fonction de ces éléments d'analyse que la commission des finances vous demande d'adopter la proposition de résolution, modifiée.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission desfinances sur la proposition de résolution n° 75 (1997-1998).
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des finances.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ? ...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 59:

Nombre de votants 318
Nombre de suffrages exprimés 318
Majorité absolue des suffrages 160
Pour l'adoption 221
Contre 97


La résolution est adoptée.
M. Emmanuel Hamel. Cela nous permettra d'y voir clair et d'agir en conséquence !

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CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE
SUR LA RÉGULARISATION DES ÉTRANGERS
EN SITUATION IRRÉGULIÈRE

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 432, 1996-1997) de M. José Balarello, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de résolution (n° 411, 1996-1997) de M. Henri de Raincourt et des membres du groupe des Républicains et Indépendants, apparenté et rattachés administrativement tendant à créer une commission d'enquête pour procéder à un examen approfondi des procédures en vigueur en matière de régularisation des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français et pour en évaluer les conséquences économiques et financières.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des lois, dans sa séance du 24 septembre 1997, a adopté une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête chargée de recueillir des informations sur les régularisations d'étrangers en situation irrégulière opérées depuis le 1er juillet 1997.
Je me permets de rappeler les termes de l'article unique de la proposition de résolution adoptée par la commission, car nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen font référence, dans la motion qu'ils ont déposée et qui va être examinée tout à l'heure, au texte de la proposition de résolution initiale :
« En application de l'article 11 du règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête chargée de recueillir des informations sur les régularisations d'étrangers en situation irrégulière, opérées depuis le 1er juillet 1997.
« Cette commission d'enquête est composée de vingt et un membres. »
La commission des lois a examiné tout d'abord la recevabilité de la proposition qui lui a été soumise, puis l'opportunité de la création d'une commission d'enquête sur le sujet visé.
La commission des lois a conclu à la recevabilité de la proposition de résolution.
Je rappelle les termes des deuxième et troisième alinéas de l'article 6 de l'ordonnance de 1958, modifiés par la loi du 20 juillet 1991 :
« Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées.
« Il ne peut être créé de commissions d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours... »
Dans le cas présent, la constitution de cette commission d'enquête était souhaitée afin de recueillir des informations et d'éclairer le Sénat, ainsi que l'opinion publique, sur la régularisation importante et rapide d'étrangers en situation irrégulière. Elle entre parfaitement dans le cadre législatif.
Cette commission aura pour objet d'examiner les méthodes employées par l'administration ainsi que les critères qu'elle retient pour procéder, ou non, aux régularisations. De même, elle permettra d'évaluer le nombre exact de titres de séjour délivrés et la répartition par catégorie d'étrangers et par département, afin d'apprécier les conséquences de ces opérations de régularisation.
Aussi la commission des lois estime que la proposition de résolution n° 411 est conforme aux dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958 sans qu'il soit nécessaire d'interroger le Gouvernement sur l'existence de poursuites judiciaires.
Sur la question de l'opportunité, à la majorité, la commission des lois a répondu affirmativement.
L'exposé des motifs de la proposition de résolution indique que la France met en place les mesures nécessaires pour garantir aux étrangers qui vivent sur son territoire dans le respect des lois la meilleure intégration possible. Il souligne la nécessité de poursuivre cet accueil dans les conditions les plus favorables tout en préservant l'identité nationale de la France, ce qui suppose une législation rigoureuse et clairement appliquée.
En effet, l'immigration fait partie de l'histoire de notre pays et a, en un siècle, provoqué un accroissement bénéfique de la population, cet accroissement étant de 10 millions d'habitants. A aucun moment, jusqu'à ce jour, ce brassage n'a cependant menacé la cohésion de notre pays, l'intégration des jeunes, en particulier par l'école, s'étant faite rapidement et sans difficulté.
Cependant, depuis vingt ans, les conditions économiques et sociales ainsi que le développement des communications, tant en France que dans le monde, ont changé les données du problème et rendu inéluctable un contrôle des flux migratoires.
La maîtrise de l'immigration apparaît d'autant plus impérieuse qu'elle s'inscrit également dans le cadre d'une coopération avec nos partenaires européens, concrétisée par l'accord de Schengen du 14 juin 1985 et la convention d'application du 19 juin 1990.
Tel est, mes chers collègues, l'esprit dans lequel est proposée la constitution d'une commission d'enquête sur les conditions de régularisation d'étrangers en situation irrégulière en France.
La commission des lois souligne que la commission d'enquête ne doit pas être constituée dans un esprit polémique et qu'elle correspond au pouvoir de contrôle dont le Parlement est investi.
Le problème des régularisations a pris une dimension politique, nous le savons tous, à la suite de l'occupation par une centaine de « sans-papiers » de l'église Saint-Bernard.
La loi Debré a pu régler quelques situations difficiles. Le nouveau gouvernement a souhaité aller plus loin en prenant, le 24 juin 1997, une circulaire relative au réexamen de la situation de certaines catégories d'étrangers en situation irrégulière.
Le nombre des demandes de régularisation sera sans doute supérieur aux prévisions du Gouvernement puisque, selon quelques informations, ce sont environ 150 000 requêtes qui ont été déposées à la clôture du délai pour le dépôt des demandes, soit le 1er novembre 1997.
Quant au nombre des régularisations, il pourrait en définitive se révéler plus important que celui qu'avait envisagé le Gouvernement, ce qui ne constituerait pas une surprise puisque les années 1981 et 1982 avaient vu la régularisation de 133 000 étrangers.
En tout état de cause, il paraît légitime de s'assurer des conditions d'application de la circulaire, d'autant que certaines informations laissent percevoir des différences d'interprétation entre les départements, c'est-à-dire entre les services préfectoraux.
Il appartiendra à la commission d'enquête de vérifier si les conditions de régularisation sont bien conformes à la loi ou, le cas échéant, à la circulaire, à moins qu'il n'y ait une anticipation administrative du projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile, examiné en ce moment par le Parlement.
Comme l'a indiqué M. le président de la commission des lois, la commission d'enquête ne peut avoir pour finalité de procéder à une étude d'ensemble sur l'immigration, encore moins sur l'immigration clandestine, par définition difficile à appréhender.
La commission d'enquête adoptera donc une démarche pragmatique et elle se trouvera tout naturellement conduite à effectuer des investigations sur place dans les services départementaux, pour y recueillir des informations pratiques.
La proposition de résolution initiale prévoyait que la commission d'enquête évaluerait les conséquences économiques et financières des régularisations. La commission des lois a estimé que la commission d'enquête aurait évidemment cette mission et qu'il n'était donc pas nécessaire de l'indiquer expressément dans le texte de la résolution.
Les investigations porteront non seulement sur les régularisations déjà opérées, mais également sur celles qui seront accordées pendant la durée d'existence de cette commission d'enquête. Elles ne se limiteront pas à l'application de la circulaire du 24 juin 1997, des régularisations pouvant être décidées, comme cela a été conseillé aux préfets, dans le cadre plus général fixé par l'avis du Conseil d'Etat du 22 août 1996.
En outre, une étude des législations des pays autres membres de l'Union européenne et de leurs pratiques en la matière pourra être utilement entreprise par la commission d'enquête.
Au cours des débats, le groupe socialiste et le groupe communiste républicain et citoyen se sont montrés favorables, d'une manière générale, au principe du contrôle de l'exécutif avec « un droit de tirage » accordé à l'opposition ; c'est ce qu'a confirmé, d'ailleurs, notre collègue Guy Allouche ce matin. Toutefois, la tonalité de l'exposé des motifs de la proposition de résolution les a conduits à voter contre la consitution de la commission d'enquête proposée.
La commission des lois, dans sa majorité, a cependant estimé opportune la création de cette commission d'enquête, qui entre dans le cadre du pouvoir de contrôle du Sénat.
Telles sont les raisons pour lesquelles, monsieur le président, mes chers collègues, la commission des lois a adopté cette proposition de résolution, qu'elle soumet au vote du Sénat. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le rapporteur, cette commission d'enquête que vous proposez de mettre en place tend à étudier les conditions dans lesquelles s'opère la régularisation de ceux qui sont appelés les « irréguliers » sur notre territoire ; vous vous appuyez sur la circulaire ministérielle de M. Chevènement du 24 juin 1997.
Cette circulaire a été publiée à peine cinq jours après que son objet a été évoqué par le Premier ministre. Je vous donne lecture d'un extrait de la déclaration de politique générale prononcée le 19 juin 1997 par le Premier ministre :
« La France, vieux pays d'intégration républicaine, s'est construite par sédimentation, creuset donnant naissance à un alliage d'autant plus fort que ses composants étaient divers et nombreux. C'est pourquoi le droit du sol est consubstantiel à la nation française. Rien n'est plus étranger à la France que le discours xénophobe et raciste. La France doit définir une politique d'immigration ferme et digne, sans renier ses valeurs, sans compromettre son équilibre social.
« L'immigration est une réalité économique, sociale et humaine qu'il faut organiser, contrôler et maîtriser au mieux en affirmant les intérêts de la nation et en respectant les droits de la personne. Une politique d'intégration républicaine, déterminée et généreuse, propre à recueillir l'assentiment de nos concitoyens, sera mise en oeuvre. La république accueille ses hôtes selon ses lois, qui doivent être claires et précises. L'immigration irrégulière et le travail clandestin - dont je sais qu'il n'est pas le seul fait des étrangers - seront combattus sans défaillance parce que l'un et l'autre compromettent l'intégration et parce qu'ils sont contraires à la dignité des immigrés.
« La politique de coopération avec les Etats d'immigration prendra en compte l'objectif de la maîtrise des flux migratoires.
« La législation sur la nationalité, le droit des étrangers et l'immigration, rendue complexe et parfois incohérente par trop de modifications successives, fera l'objet d'un réexamen d'ensemble. »
M. Jean-Pierre Schosteck. Je ne sais pas si cela va arranger les choses !
M. Guy Allouche. « Une mission interministérielle, réunissant autour de M. Patrick Weil des représentants des ministères de l'intérieur, de l'emploi et de la solidarité, et de la justice, présentera ses conclusions d'ici à deux mois. Un projet de loi sera présenté à la prochaine session du Parlement. »
M. Jean-Pierre Schosteck. Hélas !
M. Guy Allouche. C'est ainsi !
Je poursuis ma lecture : « Sans attendre, le Gouvernement a décidé de mettre fin à certaines situations inextricables, qui résultent des contradictions de la législation en vigueur. Des instructions seront données aux préfets, dans les prochains jours, pour qu'ils procèdent, sur le fondement de critères précis, à un examen attentif et personnel de ces situations. »
Voilà ce que disait M. Lionel Jospin, le 19 juin dernier.
La circulaire de M. Chevènement est justifiée par la nécessité de sortir de la situation absurde des étrangers que la loi actuelle ne permet pas d'expulser, sans pour autant leur donner le droit à la régularisation. Cela explique la rapidité qui a présidé à son élaboration.
Elle est fondée sur des critères précis, définis avant les élections législatives conséquence - faut-il le rappeler ? - de la dissolution prononcée par le Président de la République. Elle repose sur les critères déterminés par le collège des médiateurs et complétés par l'avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Elle tire également les conséquences des dispositions de la convention européenne des droits de l'homme, que la France a signée.
Les catégories d'étrangers concernées sont les suivantes : les conjoints de Français ; les conjoints d'étrangers en situation régulière, sous certaines conditions ; les conjoints de réfugiés statutaires ; les enfants d'étrangers en situation régulière entrés en France hors regroupement familial ; les étrangers malades lorsqu'ils sont atteints d'une pathologie grave ; les étudiants en cours d'études supérieures ; les personnes n'ayant pas le statut de réfugié politique et qui pourraient néanmoins courir des risques vitaux en cas de retour dans leur pays d'origine ; les familles étrangères constituées de longue date en France ; enfin, les étrangers sans charge de famille régularisables, à titre exceptionnel.
Telles étaient les catégories définies avant même la dissolution opérée par M. le Président de la République.
Les deux dernières catégories - plus difficiles à délimiter - dépendront de l'appréciation subjective des préfets. C'est peut-être à celles-ci que M. Christian Bonnet faisait allusion en commission des lois lorsqu'il soulignait que la circulaire pouvait se prêter à des différences d'appréciation suivant les départements.
Il faut avoir à l'esprit que le ministre de l'intérieur a été interpellé à de nombreuses reprises et de manière insistante sur les conséquences de la circulaire du 24 juin 1997, au moyen de questions d'actualité au Gouvernement, de questions écrites, de questions orales sans débat et à l'occasion d'auditions sur le budget de son ministère.
Dans ces occasions, le ministre de l'intérieur a rappelé un certain nombre de points.
En premier lieu, la circulaire n'a pas créé l'immigration irrégulière ; cette situation préexistait à son élaboration. En revanche, elle tend à régler le cas des étrangers irrégularisables et inexpulsables du fait de la législation antérieure.
En deuxième lieu, s'agissant du délai de la procédure, des directives ont été données pour que les demandeurs puissent bénéficier d'un entretien personnalisé. Mais, quoi qu'il en soit, le processus de réexamen s'achèvera le 30 avril 1998.
En troisième lieu, tous les étrangers qui ne seront pas régularisés retourneront dans leur pays. Une commission interministérielle a été mise en place afin de déterminer les conditions de retour conformes à la dignité et de réfléchir à une politique de codéveloppement avec les pays d'immigration.
Enfin, en quatrième lieu, cette insistance manifeste de la droite sur un tel sujet apporte de l'eau au moulin de l'extrême droite et témoigne de la crise d'identité qu'elle traverse aujourd'hui.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Guy Allouche. En réponse à une question écrite posée par notre collègue Alex Türk, qui lui demandait le nombre d'étrangers régularisés et le sort des personnes qui n'auront pu bénéficier de cette régularisation, le ministre de l'intérieur a précisé plusieurs points dans sa réponse publiée au Journal officiel des questions écrites du Sénat du 4 décembre 1997, jour de l'examen à l'Assemblée nationale du projet de loi relatif aux étrangers.
Premièrement, le Gouvernement entend non pas procéder à une régularisation systématique de tous les étrangers séjournant irrégulièrement en France, mais remédier à des situations individuelles inextricables ou humainement difficiles.
Deuxièmement, à la date du 31 octobre, le nombre de ressortissants étrangers ayant déposé une demande de régularisation de leur situation administrative était de l'ordre de 150 000.
Troisièmement, le nombre de personnes qui auraient pu bénéficier d'une admission exceptionnelle au séjour à cette même date était de l'ordre de 5 000.
Quatrièmement, à ce chiffre, il convient d'ajouter près de 12 600 récépissés de demande de titre de séjour qui doivent normalement déboucher sur la délivrance d'un titre de séjour, une centaine d'autorisations provisoires de séjour et un millier de bénéficiaires du regroupement familial sur place.
Cinquièmement, lorsque la délivrance d'un titre de séjour ne sera pas possible, au vu des dossiers des intéressés, les représentants de l'Etat dans les départements prendront à leur encontre une décision motivée de refus de séjour suivie d'une invitation à quitter le territoire.
Enfin, sixièmement, les ressortissants étrangers dont l'admission exceptionnelle au séjour aura été refusée pourront bénéficier du programme d'aide à la réinsertion dans leur pays, mis en oeuvre par l'Office des migrations internationales, l'OMI.
Mes chers collègues, la création d'une commission d'enquête sur les régularisations est inopportune - je dis bien : « inopportune » - car le processus mis en place par la circulaire ne s'achèvera que le 30 avril 1998.
Pourquoi demander la création d'une commission d'enquête sur les régularisations alors que la transparence est totale.
M. Jean-Pierre Schosteck. Oh !
M. Guy Allouche. Oui, elle est totale, mon cher collègue ! Le ministre répond aussi bien aux questions écrites qu'aux questions orales qui sont posées sur ce point précis !
D'ailleurs, je vous invite, mon cher collègue, vous qui représentez le département des Hauts-de-Seine, à consulter le préfet, comme je l'ai fait moi-même dans mon département du Nord ; il vous communiquera les chiffres précis.
Les travaux de la commission d'enquête sur le terrain constitueront un doublon par rapport à la mission du ministère de l'intérieur qui recueille les données mensuelles enregistrées par les préfectures.
Tous les dossiers établis dans le cadre de cette procédure seront remis à l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure, l'IHESI. D'ailleurs, ils serviront de base à des travaux de recherche sur l'origine et les causes de l'immigration.
La référence à l'examen des conséquences économiques de la procédure de régularisation risque, une nouvelle fois, d'accréditer l'idée fausse qu'immigration égale chômage, thème récurrent de la droite extrême.
Sur le plan budgétaire, on peut attendre un équilibre entre les droits versés à l'OMI par les personnes régularisées et l'aide au retour qui sera versée aux personnes qui auront vu leur dossier rejeté car elles ne répondaient pas aux critères définis par la circulaire.
La transparence étant complète, la création de cette commission d'enquête permet de supposer qu'il s'agit, là aussi, d'une opération politique. En effet, le champ d'investigation de cette commission est limitée à la « circulaire Chevènement » et ne s'étend pas aux procédures de régularisation antérieures. Or cette dernière circulaire a pour objet - dois-je le rappeler une fois de plus ? - de résoudre la situation inextricable d'étrangers non régularisables et non expulsables du fait des lois « Pasqua-Debré ».
Enfin, cette opération politique risque de se retourner contre ses auteurs, car elle représentera, en réalité, ce que l'on pourrait appeler le « relevé des compteurs » de la gestion des gouvernements précédents, les gouvernements Balladur et Juppé, lesquels se sont pourtant targués - nous avons tous à l'esprit une certaine formule que je vous rappellerai dans un instant - d'avoir mené une politique radicale de lutte contre l'immigration clandestine. Mes chers collègues, que nous sommes loin de la fameuse expression : « immigration zéro » !
On voit l'effet de la lutte que vous avez menée ! En effet, comme l'a dit M. Chevènement à plusieurs reprises, s'il nous faut régulariser aujourd'hui ceux que l'on appelle des irréguliers - il ne s'agit en aucun cas de clandestins car, vous en conviendrez, les clandestins ne se montrent pas à la télévision -...
M. Gérard César. Si !
M. Guy Allouche. ... c'est qu'ils étaient déjà là !
Ils sont entrés irrégulièrement, voilà quelques années, malgré les lois Pasqua puis les lois Debré ! Je précise que je ne m'en réjouis pas.
M. Gérard César. Très bien !
M. Guy Allouche. Autant je suis partisan d'accueillir avec toute la dignité requise les personnes qui sont appelées à venir sur notre sol dans des conditions régulières et conformes à la loi, autant je n'accepte pas que cette loi soit violée et que se trouvent sur notre sol des personnes qui n'ont pas vocation à y être.
Telle est donc la situation actuelle.
Si des dossiers doivent être examinés, ce sont ceux des étrangers en situation irrégulière qui étaient présents sur notre territoire avant le 1er juin 1997, date à laquelle le Gouvernement de M. Lionel Jospin est entré en fonction.
Enfin, monsieur le rapporteur, vous avez rédigé un rapport pour lequel je vous félicite car il est tout à fait conforme au débat intéressant que nous avons eu en commission des lois, et je vous en remercie. Je me souviens d'ailleurs que M. le président de la commission des lois avait demandé que cette commission d'enquête ne soit pas créée tout de suite car elle risquait, selon lui, de prendre fin avant même que l'opération de régularisation soit achevée.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. J'ai été entendu !
M. Guy Allouche. Mais comme toujours, monsieur le président de la commission. Quand le bon sens s'exprime, pourquoi ne pas l'entendre ? En disant cela, je suis sincère.
M. Charles Pasqua. Méfiez-vous des Grecs !
M. Guy Allouche. Ai-je la tête et l'âme d'un Grec, monsieur Pasqua ? Je ne vois d'ailleurs rien là de désobligeant ?
M. Charles Pasqua. Ce n'est pas de vous que je parlais. Je faisais simplement allusion à votre argumentation.
M. Jacques Larché, président de la commission. C'était à moi que M. Pasqua s'adressait.
M. Guy Allouche. Soit !
M. le rapporteur a fait état de ce qui s'est passé en 1981 et en 1982, et je crois l'avoir entendu parler de 133 000 régularisations. Ces étrangers étaient là aussi avant notre arrivée au pouvoir. Le hasard fait que, deux fois de suite, nous avons eu à régulariser des situations qui ne sont pas de notre fait.
M. Jean-Pierre Schosteck. Quelle fatalité !
M. Guy Allouche. Je ne vous accuse pas ! Nous n'allons pas nous livrer à ce petit jeu. Je ne peux pourtant pas m'empêcher de vous dire que c'est la deuxième fois que nous avons à régulariser la situation de ceux à qui vous prétendiez interdire l'accès au territoire français.
Cent cinquante mille dossiers ont été déposés ; mais j'ai la conviction qu'un plus grand nombre de personnes sont concernées sur le sol français.
C'est ainsi que dans mon département, le Nord, où le nombre d'étrangers en situation irrégulière est assez important, certains n'ont pas déposé leur dossier pour la simple raison qu'ils ne remplissent pas les critères requis. Ils sont pourtant bien sur notre territoire.
Voilà la situation que nous avons effectivement à traiter aujourd'hui.
Ma conviction est que tous ces étrangers ne seront pas régularisés. Certains seront invités à quitter notre territoire...
M. Henri de Raincourt. Par une lettre ?
M. Guy Allouche. ... non pas dans des charters, non pas dans des conditions humaines mais dans le respect de la personne.
M. Henri de Raincourt. Donc par une lettre !
M. Charles Pasqua. Vous visez Mme Cresson ? Ce n'est pas très convenable !
M. Guy Allouche. Elle n'a fait qu'en imiter d'autres, monsieur Pasqua, et vous montrer la voie, à vous et à M. Debré !
Les étrangers en situation irrégulière mais irrégularisables seront invités, disais-je, à quitter le territoire. Nous verrons à ce moment-là comment faire.
Mes chers collègues, nous estimons que cette commission d'enquête est inopportune. C'est la raison pour laquelle nous voterons contre la proposition de résolution. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'été 1996, avec son cortège de manifestations des sans-papiers, a révélé à l'opinion publique que des hommes et des femmes étaient voués à une « sous-vie » en France ou bien contraints à un retour forcé dans leur pays, qu'ils y aient des attaches ou non, qu'ils y soient menacés ou non.
Ce mouvement nous a appris que l'on pouvait avoir été un immigré en règle et basculer d'un seul coup dans l'illégalité. Pourquoi ? Parce que les lois ont changé.
C'est ainsi que les lois dites Pasqua et Méhaignerie sur l'immigration et sur la nationalité sont apparues sous leur vrai visage : celui de véritables machines à fabriquer des clandestins, celui d'armes destinées à fragiliser les étrangers installés dans notre pays.
Les sans-papiers sont bel et bien le fruit des politiques menées successivement depuis 1974 en matière d'immigration.
M. Charles Pasqua. Y compris quand vous étiez au Gouvernement !
M. Pierre Lefebvre. En sortant de l'ombre et en revendiquant des papiers pour tous, ils ont lancé un pavé dans la mare du consensus politique qui prévalait depuis des années sur l'idée que l'« immigration zéro » était possible et nécessaire.
La lutte des sans-papiers a reçu le soutien d'une grande part de la population et les nombreuses actions menées autour d'eux ont montré que le regard sur l'immigration a commencé à changer, que le voile de certaines contrevérités a commencé à se déchirer.
Les sans-papiers ont exprimé clairement leur refus d'être désignés comme des boucs émissaires, comme des clandestins, comme des immigrés illégaux.
La focalisation artificielle sur le thème de l'immigration dédouane les responsables politiques de la crise, du chômage et de l'insécurité, autant de problèmes irrésolus.
Dans les quartiers défavorisés, les relations humaines sont devenues difficiles, voire inexistantes, et il est plus facile de désigner son voisin comme responsable de ses malheurs que le pouvoir lointain.
La crise envenime les rapports entre populations française et population immigrée. Mais, en faisant porter la responsabilité de la situation à cette dernière, on se trompe d'adversaire.
La droite et l'extrême droite entretiennent savamment le racisme et la xénophobie pour mieux diviser les plus pauvres. Or, les Français, comme les immigrés, sont victimes des mêmes choix politiques dans notre société où domine l'argent.
Autrefois, l'intégration se faisait par l'école, le travail, le syndicalisme, le mouvement ouvrier ou le service militaire. Dans ma région, le Nord - Pas-de-Calais, l'intégration réussie de la communauté polonaise est un témoignage éclatant.
M. Charles Pasqua. C'est vrai !
M. Pierre Lefebvre. Aujourd'hui, avec la crise, les facteurs d'intégration ne fonctionnent plus et l'exclusion gagne du terrain.
A la suite des manifestations des sans-papiers, a été adoptée la loi « Debré » qui était censée remédier aux lacunes des lois dites Pasqua et Méhaignerie mais qui, en fait, a non pas inversé la logique des lois précédentes, mais l'a, sans aucun doute, renforcée. Elle a d'ailleurs été, chacun doit s'en souvenir ici, accueillie par de nombreuses protestations et manifestations dans les rues de Paris, notamment tout près du Sénat.
Pour notre part, nous avons, à l'époque, combattu et rejeté cette nouvelle loi d'exception à l'égard des étrangers. En séance publique, mon ami M. Robert Pagès avait dénoncé les dispositions de ce texte qui persistaient « à pratiquer des amalgames entre demandeurs d'asile et immigrés clandestins, entre étrangers en situation régulière et ceux qui ne le sont pas, entre terroristes et immigrés, entre délinquants et immigrés provoquant la suspicion, alimentant des préjugés racistes et xénophobes à leur encontre, ceux-là même que développe depuis des années le Front national ».
Depuis les dernières grandes manifestations contre la loi « Debré », il s'est produit un événement dans notre pays : des élections législatives anticipées se sont déroulées marquées par la victoire de la gauche. D'aucuns avancent l'idée selon laquelle les manifestations des sans-papiers contre la loi « Debré » auraient quelque responsabilité dans l'échec de la droite à ces élections.
Ce changement de majorité a fait naître chez les sans-papiers un grand espoir de voir leur situation administrative et humaine prise en considération.
C'est ainsi que la circulaire du 24 juin 1997 du ministère de l'intérieur devait corriger la loi « Debré » et permettre la régularisation des sans-papiers. Des dizaines de milliers d'immigrés - 140 000 demandes environ ont été officiellement recensées - sont donc allés se déclarer à leur préfecture, condition indispensable à leur régularisation.
Ne faudrait-il pas d'ailleurs considérer le dépôt d'une demande à la préfecture comme la preuve d'une volonté d'intégration ?
Au 1er novembre, date de clôture du dépôt des demandes de régularisations, seules 10 000 personnes sur les 140 000 immigrés demandeurs ont obtenu des papiers ; on parle de 60 000 à 90 000 refus. On est donc très loin des centaines de milliers de candidats à la régularisation prédits par la droite et les renseignements généraux.
La France n'atteindra certainement pas les quelque 200 000 régularisations effectuées récemment par l'Italie, le Portugal ou la Grande-Bretagne, ni les 132 000 régularisations intervenues entre 1981 et 1983.
C'est dire combien nous jugeons démagogiques, scandaleuses et sources de xénophobie les motivations de la droite sénatoriale pour demander la constitution d'une commission d'enquête sur les régularisations.
Permettez-moi de vous lire les termes de l'exposé des motifs, qui sont outrageants pour les immigrés mais aussi pour tous ceux qui ont à coeur de défendre un tant soit peu ce qui touche à l'humain :
« Une telle opération est une invitation à l'immigration clandestine. Seront tentés de venir en France non seulement les étrangers depuis leur pays d'origine, mais aussi ceux résidant sur le territoire européen. Le nombre de demandes de régularisation est estimé d'ores et déjà à 100 000. »
« Considérant cet état de fait, mesure-t-on consciemment et de façon responsable l'impact aux yeux du monde de la démarche entreprise ? Peut-on accepter et concevoir d'encourager le non-respect des lois ? »
« De plus, la France a le devoir de réduire ses déficits publics. »
M. Philippe François. C'est vrai !
M. Pierre Lefebvre. « Or, a-t-on évalué les conséquences économiques et financières qui découleront de ce mouvement de régularisation ? »
Le raz-de-marée des régularisations n'aura pas lieu. Il faut arrêter ce discours, qui alimente tous les excès, surtout sur un sujet aussi sensible que celui de l'immigration.
En fait, avec cette demande de création de commission d'enquête sur les procédures de régularisation, les sénateurs de la majorité sénatoriale tentent, après l'éclatement de la droite à la suite de son échec cuisant du mois de juin dernier, de revenir sur la scène politique en agitant le spectre de l'immigration cher à M. Le Pen.
Or, en l'état actuel, on ne peut que regretter les conditions restrictives contenues dans la circulaire, la lenteur du processus de régularisation ainsi que l'arbitraire dont font preuve les préfectures.
Les moyens matériels et humains mis à disposition pour effectuer les régularisations restent insuffisants, ce qui a pour effet de ralentir le traitement des dossiers.
De plus, la visite médicale de l'Office des migrations internationales, l'OMI, imposée par l'administration aux immigrés qui demandent leur régularisation, est facturée 1 050 francs, ce qui, comparé au tarif conventionné d'une visite médicale de 110 francs, est totalement exorbitant et constitue, avec les taxes consulaires de 1 300 francs environ, un obstacle sérieux à la régularisation d'une population souvent en situation de précarité extrême.
D'autre part, pour réussir le processus de régularisation entamé par le Gouvernement, un moratoire sur les reconduites à la frontière nous semble indispensable.
Par ailleurs, souvent débordées, les préfectures adoptent des méthodes dissuasives. C'est ainsi, par exemple, qu'à Paris les dossiers sont invariablement et souvent plusieurs fois renvoyés à l'expéditeur. A Bobigny, l'administration convoque les candidats à plusieurs reprises en leur demandant des documents différents à chaque fois. De façon générale, il est difficile pour les étrangers de fournir tous les justificatifs demandés.
Les militants dénoncent les difficultés et les incohérences de l'administration. Les dossiers sont traités de façon inégale selon les préfectures. C'est ainsi qu'à Paris les critères sont plus sévères qu'ailleurs. De surcroît, les erreurs sont fréquentes à propos de la date d'entrée en France des demandeurs.
En dépit des consignes du ministère, certaines préfectures sont plus sévères que d'autres ; certaines régularisent des célibataires, d'autres non.
Pour notre part, nous souhaitons que la circulaire soit appliquée de manière souple, dans des délais raisonnables, pour permettre à tous ceux et à toutes celles qui ont osé sortir de l'ombre de s'intégrer au grand jour dans notre société.
Il faut sortir les irréguliers de l'irrégularité, les clandestins de la clandestinité, sans quoi on alimente le travail clandestin et les employeurs de main-d'oeuvre clandestine.
Or, à l'heure actuelle, s'agissant des régularisations, le compte n'y est pas.
D'ailleurs, la pétition lancée par des artistes et des personnalités diverses atteste des regrets ainsi que de l'inquiétude de certains quant à la procédure de régularisation engagée par le Gouvernement et soulève de réelles questions : quid des étrangers qui ne seront pas régularisés ? Resteront-ils en France, en se tapissant dans l'ombre, craignant à tout instant un contrôle de police ? Seront-ils expulsés ? Certainement !
Plus qu'un règlement comptable, les sans-papiers demandent un geste politique de la part du Gouvernement.
Pour notre part, nous estimons, au-delà de la polémique sur les chiffres, qu'une autre politique de l'immigration est possible.
Il faut penser l'immigration autrement et considérer l'étranger comme quelqu'un qui, par sa culture et sa différence, apporte à la France.
D'ailleurs, un rapport de l'INED, l'Institut national d'études démographiques montre chiffres à l'appui, que, depuis près d'un siècle l'immigration et l'accueil des étrangers fondent l'identité de la France.
Contrairement à certaines idées trop répandues et fausses, les immigrés tendent à être des contributeurs nets au budget de l'Etat et des organismes de sécurité sociale.
Ainsi, ils paient plus d'impôts et de cotisations qu'ils ne reçoivent d'avantages en transferts sociaux de toutes sortes.
Quant aux immigrés clandestins, du fait de leur situation illégale, ils ne reçoivent pas les transferts sociaux auxquels ont droit les immigrés en situation régulière.
En conséquence, quoi qu'en disent ceux qui brandissent sans cesse l'épouvantail de l'immigration clandestine, cette dernière ne peut être rendue responsable du déficit des comptes sociaux.
De plus, il faut que cesse l'amalgame entre travail clandestin et immigration.
En effet, le travail illégal ne concerne qu'une minorité des 1 500 000 immigrés actifs.
Parmi les personnes exploitées dans le travail illégal, 15 % sont des immigrés dits clandestins, environ 40 % des immigrés réguliers, le reste concerne des Français.
Il nous appartient de combattre le travail illégal et de réprimer les organisateurs de filières d'immigration dont le chiffre d'affaires explose à l'échelle mondiale.
Les travailleurs clandestins, exploités par des employeurs peu scrupuleux, véritables esclavagistes des temps modernes, doivent être considérés comme des victimes, et non comme des délinquants.
M. Philippe François. On pourrait ouvrir des goulags !
M. Pierre Lefebvre. Je vous laisse la responsabilité de vos propos, mon cher collègue !
La France doit avoir une politique de coopération ouverte sur le monde, notamment avec les pays anciennement colonisés, au lieu de maintenir des bases militaires pour protéger des régimes corrompus.
Il faut favoriser un nouveau type de relations internationales, en remplaçant la mondialisation de la France et de l'affairisme par la mondialisation des coopérations ayant pour objet le codéveloppement des peuples.
Cela implique, notamment, d'annuler la dette qui étrangle ces pays et de taxer les mouvements de capitaux et de devises.
Cela suppose également des échanges réciproques de personnes entre pays, sans ingérence ni spoliation : il peut s'agir de l'envoi de salariés français - ouvriers, techniciens, cadres - et, réciproquement, de l'accueil d'étrangers afin de les former pour donner à leur pays les moyens de devenir autonomes, en considérant ces femmes et ces hommes comme étant capables de prendre leur destin en main.
Un tel type de collaboration contribuerait à combattre le chômage à la fois ici et là-bas car, tant que la misère et la répression séviront dans ces pays l'immigration se poursuivra.
Or, ces pays dits pauvres sont, en réalité, dotés de richesses insoupçonnées, mais brisées par la loi du marché international dictée par le fonds monétaire international. Il nous revient donc de construire un nouvel ordre économique international.
Telle est notre conception d'une politique d'immigration généreuse, respectueuse des droits de l'homme et solidaire des pays d'où viennent les migrants.
Notre démarche se situe donc totalement à l'opposé de celle de la droite qui, en proposant cette commission d'enquête contre les régularisations, tente de rassurer son électorat, sensible aux thèses xénophobes et à celles de l'extrême droite.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, solidaires des sans-papiers et attentifs au bon déroulement des régularisations, s'opposent vivement à la création de cette commission d'enquête qui a bel et bien pour objet de rejeter « l'autre », de rejeter celui qui est différent. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste, républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Pasqua.
M. Charles Pasqua. Je n'avais pas envisagé d'intervenir dans cette discussion. Le débat sur la politique de l'immigration aura lieu dans notre assemblée lorsqu'elle aura à examiner le projet de loi présenté par le Gouvernement et défendu par M. Chevènement. A cette occasion, nous aurons le loisir de comparer nos positions respectives.
Ce qui est en cause cet après-midi - c'est du moins ce que j'avais cru comprendre, mais la parole est bien entendu libre dans notre assemblée, et vous venez d'en apporter la démonstration, monsieur Lefebvre - c'est l'examen d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions de régularisation des étrangers actuellement en situation irrégulière sur le territoire français. C'est bien de cela qu'il est question !
Chacun d'entre nous peut, bien sûr, présenter une batterie d'arguments afin d'expliquer pour quelles raisons tant d'étrangers sont entrés clandestinement dans notre pays et pourquoi les conséquences de cette immigration posent problème.
Mais il est deux choses qu'il ne faut pas confondre et, je le regrette, dans votre intervention, mon cher collègue, vous avez donné l'impression - c'est en tout cas mon sentiment - de les mêler.
Il y a des étrangers qui sont entrés régulièrement sur notre sol. Dès lors, ils ont exactement les mêmes droits et les mêmes devoirs que tous ceux qui sont sur notre territoire, qu'ils soient français ou pas. Toute tentative de discrimination ou toute démarche xénophobe à leur égard ne peut qu'être condamnée.
Puis il y a ceux qui entrent, ou sont entrés de manière irrégulière sur notre territoire. J'avais eu l'occasion, en ma qualité de ministre de l'intérieur, en 1993, de même qu'en 1986, de dire que nous ne pouvions considérer comme un crime le fait que les étrangers qui n'ont pas dans leur pays des conditions de vie normales essaient de les trouver ailleurs. Il n'en reste pas moins que notre situation économique ne nous permet pas d'accueillir tous ceux qui le voudraient.
J'ajouterai - et c'est un sujet dont nous aurons l'occasion de débattre lors de l'examen de la modification du code de la nationalité - qu'il est un principe dont nous ne pouvons pas accepter la mise en cause : celui de la souveraineté nationale. C'est à la France et aux Français de décider par eux-mêmes du nombre et de la qualité des étrangers qu'ils souhaitent accueillir sur leur sol. Nous ne devons pas nous laisser imposer par tel ou tel le choix de s'installer dans notre pays.
Je ne me lancerai pas dans des comparaisons en recherchant combien d'immigrés ont été régularisés en 1982, ou pourquoi on régularise la situation d'autres immigrés actuellement. Cependant, il faut noter que - et c'est un fait contesté par personne chaque fois que l'on régularise un grand nombre d'étrangers en situation irrégulière, cela incite - le ministre de l'intérieur qui est actuellement en fonction le sait bien - d'autres étrangers à essayer d'entrer irrégulièrement sur notre territoire, avec l'espoir de voir leur situation régularisée un jour. Le débat de fond, nous l'aurons !
Je voudrais ajouter quelques mots à la suite des propos tenus tout à l'heure par M. Allouche - je n'étais pas dans l'hémicycle, mais je les ai entendus dans mon bureau.
Ce qui me surprend et me choque dans vos propos, monsieur Allouche, c'est la contestation du principe même de la création de commissions d'enquête.
M. Guy Allouche. Mais non ! M. Raymond Courrière. La création de commissions d'enquête politiciennes !
M. Charles Pasqua. Mais si, monsieur Allouche ! En effet, les commissions d'enquête, les commissions de contrôle et les missions d'information sont un élément capital du contrôle du Gouvernement par le Parlement. Vous n'avez pas à vous formaliser de la création de ces commissions d'enquête. En d'autres temps, vous les avez souhaitées.
J'ajouterai - et je l'avais déjà dit à mes propres amis lorsque j'étais au gouvernement - que le Gouvernement lui-même serait parfois bien inspiré en ne voyant pas d'un mauvais oeil la création de commissions d'enquête. En effet, elles permettent souvent d'obtenir des représentants ou des dirigeants de l'administration, qui s'expriment sous la foi du serment, des renseignements qu'autrement on ne nous donne pas.
La question qui se pose et à laquelle vous-même êtes incapable de répondre parce que vous ne le savez pas, pas plus que moi, est la suivante : combien d'immigrés actuellement en situation irrégulière le Gouvernement va-t-il régulariser ?
M. Raymond Courrière. Tous ceux qui répondent aux critères retenus !
M. Guy Allouche. Un certain nombre !
M. Charles Pasqua. « Un certain nombre », ce n'est pas un chiffre ! Alors, combien ? Quels sont les critères de cette régularisation ? Quant à ceux qui ne seront pas régularisés, que va-t-on en faire ?
M. Guy Allouche. Réponse le 30 avril !
M. Charles Pasqua. Je répète : quant à ceux qui ne seront pas régularisés, que va-t-on en faire ?
Voilà les les questions qui se posent.
Enfin, puisque vous avez tout de même ouvert le débat général sur l'immigration irrégulière, vous savez aussi bien que moi que le problème auquel est confrontée la France, à l'heure actuelle, ce n'est pas la situation des étrangers, qu'ils soient en situation régulière ou irrégulière, qui souhaiteraient s'intégrer dans la société française, ce que notre société a toujours été capable d'assumer c'est la présence sur notre sol d'étrangers, qu'ils soient en situation régulière ou en situation irrégulière - et dans ce dernier cas, c'est pire - qui refusent l'application des lois de la République et qui s'opposent aux principes démocratiques. Le véritable problème auquel nous sommes confrontés, c'est celui-là, plus que tout autre !
M. Guy Allouche. Il faut que la loi passe !
M. Charles Pasqua. C'est à ce problème-là qu'il faudra apporter une réponse si l'on veut mettre fin à la situation actuelle. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

Question préalable



M. le président.
Je suis saisi par Mme Luc, MM. Duffour, Pagès et les membres du groupe communiste républicain et citoyen d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur les conclusions de la commission des lois sur la proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête pour procéder à un examen approfondi des procédures en vigueur en matière de régularisation des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français et pour en évaluer les conséquences économiques et financières (n° 432, 1996-1997). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Duffour, auteur de la motion.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, mes chers collègues, nous opposons la question préalable non par opposition au principe des commissions d'enquête, mais tout simplement parce que nous contestons la façon dont celles-ci - la précédente comme l'actuelle - se mettent en place, ainsi que le caractère très politicien qui sous-tend leur formation.
Le groupe communiste républicain et citoyen ne partage pas les conclusions de la commission des lois.
Voici une commission d'enquête qui risque de porter fort mal son nom. L'énoncé de sa mission qui était déjà, avant correction, tout un programme - « procéder à un examen approfondi des procédures en vigueur en matière de régularisation des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français et en évaluer les conséquences économiques et financières » - mélangeait sans pudeur les genres.
Si la commission des lois, dans sa sagesse, a atténué la virulence du propos, la question reste identique sur le fond.
En effet, ne jouons pas sur les mots. J'entends bien les propos de M. le rapporteur, et je connais sa mesure. Il n'en reste pas moins que les réponses nous ont déjà été énoncées pour une bonne part. Elles relèvent d'une opération inopportune - vous voulez, en effet, juger les résultats d'un processus qui prend fin dans quatre mois - et dangereuse, car certains de nos collègues, dont quelques-uns sont sûrement ici, ne vont pas hésiter à souffler sur les braises et à alimenter les craintes et les rejets dont l'extrême droite fait son miel.
M. José Balarello a assorti son propos à notre tribune de considérations discutables.
Nous aurons un débat de fond en janvier et nous ne tomberons pas dans la précipitation que certains souhaiteraient. Ce grand problème ne mérite pas d'être traité à la sauvette, avec des arguments sommaires. Je crains que les auteurs de cette résolution, que je ne confonds pas avec l'ensemble de la commission, n'aient choisi d'attiser les passions et de s'engager à la hâte, pour ne pas être en reste avec leurs collègues de l'Assemblée nationale sur cette question sensible, pour tenter de faire bonne figure sur un créneau que l'extrême droite occupe sans vergogne.
Ce choix est très regrettable. Nous savons que cette tentation traverse fortement les rangs de la majorité sénatoriale. Les banderoles brandies dimanche dernier dans les Alpes-Maritimes par le maire de Nice et ses amis donnent une image bien déplorable du débat politique. Certaines voix dans l'opposition, d'ailleurs, s'en plaignent, et c'est heureux.
Le Gouvernement a choisi, avec sa circulaire de juillet et le projet de loi actuellement en débat, une option qu'il voulait apaisante et, si possible, consensuelle. M. le ministre de l'intérieur a insisté ici même, à plusieurs reprises, sur sa fermeté et sur son refus de tout laxisme envers quiconque se situerait en marge de la loi. Certaines de ses propositions et de ses propos ont d'ailleurs suscité quelques interrogations dans la gauche plurielle. Nous y reviendrons le moment venu, mais nous étions sans illusion sur vos réactions.
Parce que, pour beaucoup d'entre vous, vous ne voulez pas vous dégager d' a priori idéologiques, vous avez une vision peureuse de l'avenir de la France, vous ne croyez pas en la force d'intégration d'un discours républicain fort et généreux, vous prenez du coup le risque d'alimenter la xénophobie, vous choisissez une pente apparemment facile qui ne fait face à aucun des problèmes posés et, si elle était suivie, condamnerait à la désespérance des gens qui sont régulièrement sur notre sol.
L'entrée sur notre territoire de personnes étrangères en situation régulière et l'intégration de ces dernières ne sont pas des thèmes sur lesquels on peut tricher. Il ne faut pas faire croire à l'invasion étrangère !
Le flou volontaire entretenu autour de la question de l'immigration cultive le malentendu et conforte l'opinion publique dans un usage approximatif des termes « immigration » ou « étranger » ; il déplace la frontière entre étrangers et Français à l'intérieur même de l'ensemble des nationaux, et fragilise notre identité nationale en conférant dans les faits une légitimité inférieure à une partie de nos concitoyens.
Alors, ne mélangeons pas les questions. Ne confondons pas « sans-papiers » et immigrés illégaux. Il n'a jamais été question ni de distribuer des papiers sans critères ni d'ouvrir totalement les frontières.
Les choses étant ce qu'elles sont aujourd'hui, une sorte de remise à plat du dossier est nécessaire pour traiter humainement, de manière la plus précise et la plus individuelle possible, la situation de ces personnes, en mettant en place des critères d'équité, et non des critères de division.
C'est cette vue humaniste, fidèle aux traditions d'accueil, aux valeurs universelles et singulières de la France, accompagnée d'une attitude responsable concernant la maîtrise des flux migratoires, qui permettra que l'on arrête de considérer les immigrés comme une menace, alors qu'ils ont toujours été une chance pour la France.
Mes propos méritent-ils débat ? Sans aucun doute. Mais nous insistons et insisterons pour que vous réfléchissiez avant de créer une commission qui risque de n'avoir d'enquête que l'affichage. Ne biaisez pas avec les vraies questions. Attendez le déroulement de l'expérience en cours pour juger. Nous souhaiterions que vous résistiez au mirage d'un gain de quelques voix pour, avec la minorité sénatoriale, faire front à la xénophobie ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Y a-t-il un orateur contre ?...
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mon propos sera bref, car cette motion se détruit d'elle-même, en quelque sorte.
Je regrette que notre collègue Paul Lefebvre ne soit plus là, car je l'aurais remercié de nous avoir démontré avec excellence le caractère pluriel de la majorité. Nous avons en effet deviné, à l'entendre, que l'action actuelle de M. le ministre de l'intérieur ne le satisfaisait en aucune manière. D'ailleurs, il a tout à fait raison ! Il a cité quelques manifestations de « sans-papiers ». Pour son information, je lui aurais indiqué - mais vous lui transmettrez mon message, monsieur Duffour - que ces manifestations continuent. Des artistes ô combien généreux s'émeuvent parce qu'ils estiment que l'action engagée est insuffisante.
A ce premier remerciement, j'en ajouterai un second : puisque les choses vont mal et que l'action engagée est insuffisante, c'est l'occasion ou jamais de créer une commission d'enquête ! Nous pourrons ainsi indiquer tous ensemble au Gouvernement les éléments qu'il convient d'améliorer. Et, je vous en prie, laissez de côté les allusions à l'extrême droite, au racisme, à la xénophobie ! Nous sommes fatigués de ces affirmations successives. Considérez plutôt nos intentions !
Que se passe-t-il actuellement ?
Les 140 000 dossiers déposés sont examinés par les préfectures. Est-il illégitime de vérifier si les préfets obéissent à leur ministre ? Tel n'est en effet pas toujours le cas ! Nous savons bien, malheureusement, que, dans bon nombre d'occasions - j'y reviendrai lors d'autres débats - l'inertie et l'insuffisance de l'administration réduisent à néant les intentions du législateur.
Sur ce point particulier, il est tout à fait impératif et nécessaire que les préfets fassent leur métier.
Il est du devoir du Parlement, en tout cas du Sénat - mais si l'Assemblée nationale voulait le faire parallèlement à la Haute Assemblée, nous en serions ravis - de vérifier si la circulaire du ministre de l'intérieur, qui est ce qu'elle est et qui n'a été l'objet d'aucune contestation de notre part, est effectivement appliquée. Et si elle est effectivement appliquée, à quoi va-t-elle aboutir quant au nombre des régularisés ? Vous ne pourrez pas éviter le problème que notre ami Charles Pasqua vous a posé : puisque l'on ne va pas régulariser tout le monde - vous avez été le premier à nous le dire - que va-t-on faire des autres ?
M. Philippe François. Au goulag !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Le goulag ? Je ne sais pas.
M. Michel Duffour. Quelle forme de dialogue ! Je ne vois pas quel est le rapport, monsieur François !
M. Guy Allouche. Pourquoi pas le Club Méditerranée ?
M. Jacques Larché, président de la commision des lois. Le goulag ou le Club Méditerranée, il y a donc le choix ! Je préférerais malgré tout que nous nous en tenions aux réalités.
La réalité est la suivante : il y a un stock d'hommes et de femmes dont il faut faire quelque chose. Nous considérons qu'il est du devoir du Parlement de voir comment, s'agissant d'une affaire importante qui peut toucher à l'ordre public, les choses vont se passer.
Qui vous dit en effet que les 20 000 ou les 30 000 sans-papiers à qui un certificat, qui vaudra je ne sais quoi, aura été délivré n'auront pas la tentation de manifester, de troubler l'ordre public, le jour où, hélas ! peut-être, on leur dira qu'on ne peut rien faire pour eux ?
N'est-ce pas notre devoir de parlementaires de suggérer au Gouvernement des mesures qui préviendraient peut-être cet état de choses ? N'est-ce pas notre devoir de parlementaires, grâce aux moyens que nous offre la création d'une commission d'enquête, d'aller au-devant de difficultés que nous ne souhaitons en aucune manière voir se produire, mais qui peuvent néanmoins survenir ?
La signification d'un motion tendant à opposer la question préalable vous est connue, mes chers collègues : son adoption entraîne le rejet du texte, étant entendu qu'il n'y a pas lieu de débattre. Eh bien si, il y a lieu de débattre, à l'heure actuelle, non pas de l'immigration en général, mais d'un problème ponctuel, à savoir la façon dont les choses se passent, l'application de la circulaire et le sort qui sera réservé aux personnes qui ne pourront peut-être pas être régularisées.
Je crois, pour ma part, qu'il y a bien lieu de débattre, que la commission d'enquête est par essence le moyen qui est à notre disposition, et que c'est effectivement notre devoir d'y recourir.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur la motion n° 1. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
M. José Balarello. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. J'indiquerai à M. Allouche que son intervention justifie presque en elle-même la création d'une commission d'enquête.
Si j'ai bien noté, mon cher collègue, vous avez dit qu'il y a en réalité bien plus de 150 000 clandestins, nombre d'entre eux n'ayant pas déposé de dossier. Je crois que c'est là un fait sur lequel la commission d'enquête devra se pencher ! Vous avez affirmé également qu'il y avait différentes interprétations dans les préfectures concernant les deux dernières catégories visées par la circulaire du 24 juin 1997 : d'une part, les étudiants ayant des succès significatifs - qu'entend-on par « succès significatifs » - et, d'autre part, les réfugiés pouvant courir des risques vitaux en cas de retour dans leur pays d'origine.
S'agissant de cette seconde catégorie, j'ai touché le problème du doigt, dernièrement, lorsque, à la frontière franco-italienne, les fonctionnaires m'ont indiqué qu'un convoi de 700 Kurdes était annoncé et que de tels convois étaient assez fréquents. En effet, les Kurdes viennent de Turquie et d'Irak, pays où, comme vous le savez, ils subissent des persécutions ; ils passent par la Turquie via la Grèce, Patras, Brindisi, le sud de la botte italienne. Les Italiens ne savent qu'en faire et ils s'en débarrassent vers la France. Généralement, les Kurdes veulent gagner l'Allemagne, mais ce pays les refoule. Alors, que fait-on de ces convois de Kurdes ? Actuellement, tant en Irak qu'en Turquie, sont organisées de véritables filières, bien évidemment payantes : quelquefois, ces braves gens vendent tout leur avoir pour gagner le mirage des pays occidentaux !
Voilà donc une première justification de la commission d'enquête.
M. Lefebvre nous dit également que certaines préfectures sont plus strictes que d'autres et qu'il y a des différences dans l'interprétation de la circulaire.
Raison de plus pour créer cette commission d'enquête !
Un mot, maintenant, concernant la manifestation de Nice.
Dans Nice Matin, trois députés, M. Ehrmann, doyen de l'Assemblée nationale, ainsi que MM. Rudy Salles et Jacques Peyrat, ont protesté contre l'émission de Michel Field, Public, diffusée sur TF 1 le 7 décembre dernier.
Je vous lirai non pas la protestation de mes collègues parlementaires, qui appartiennent, l'un au RPR, l'autre à l'UDF, mais simplement, monsieur Duffour, la note de la rédaction de Nice Matin , dont les journalistes étaient sur place, parue dans l'édition du 10 décembre 1997.
« Outre la large banderole tendue en tête de cortège et portant l'inscription "La France se mérite", des pancartes plus radicales de ce défilé, comme nous l'avons rapporté dans notre journal du dimanche 7 décembre portaient la mention "Halte à l'invasion de la France", et non pas "Les étrangers dehors", comme l'a indiqué Michel Field dans son émission. »
M. Michel Duffour. Et M. Pasqua, dans la même émission ?
M. José Balarello. Je n'ai pas vu l'émission de M. Pasqua,...
M. Michel Duffour. C'est la même émission !
M. José Balarello. ... mais la note que j'ai lue faisait suite aux affirmations du journaliste de TF 1, qui, elles, étaient contraires à la réalité !
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Nous voterons la question préalable déposée par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen.
Permettez-moi d'apporter ici quelques éléments d'appréciation sur les propos que j'ai entendus.
Si je me suis mal fait comprendre par M. Pasqua, j'en suis navré. Bien qu'il soit parti, mais je pense qu'il lira le Journal officiel et que l'on ne manquera pas, de toute manière, de lui rapporter mon propos, je voudrais lui dire que je demeure, que nous demeurons toujours favorables aux commissions d'enquête. C'est une prérogative parlementaire, et il faut absolument veiller à ce qu'elle soit préservée.
Ce que nous contestons, c'est parfois leur objet, parfois leur opportunité. En la circonstance, nous ne sommes pas hostiles à la création d'une commission d'enquête chargée d'étudier la manière dont se déroulent ou se dérouleront les régularisations - nous l'avons dit en commission - mais nous pensons que cette commission d'enquête pourrait être mise en place lorsque les opérations de régularisation seront plus avancées. Aujourd'hui, en effet, les réponses qui seront fournies par les préfectures pourront varier d'ici au 30 avril, en fonction des différents cas qui vont se présenter. La réponse qu'un préfet pourra donner à la date du 10 ou du 12 janvier ne sera pas forcément la même que celle qu'il pourra donner au mois de mars ou, éventuellement, au mois de mai prochain.
J'en suis absolument d'accord : quel que soit le gouvernement en place, il faut que subsiste la possibilité de réunir des commissions d'enquête. Mais je lance de nouveau un appel à la majorité sénatoriale : acceptez que la minorité dispose également de ce droit ; sans cela, vous faussez les règles du jeu et la démocratie n'est pas respectée. Ce n'est pas une supplique de notre part. Nous demandons tout simplement le respect d'un droit. Il n'est pas normal que la majorité sénatoriale, qui est la minorité nationale, revendique ce droit pour elle-même quand la gauche est au pouvoir et que, dans tous les cas de figure - j'insiste sur ce point - cette même majorité sénatoriale refuse à la minorité du Sénat, lorsqu'elle le demande, la constitution d'une commission d'enquête.
Monsieur le président de la commission des lois, je viens d'apprendre que vous étiez tout aussi insatisfait que nos collègues qui se sont exprimés, mais je ne suis pas sûr qu'il s'agisse de la même insatisfaction. Je ne suis pas certain, en effet, que vous soyez favorable à la solution que certains demandent - mais cela n'a pas été dit ici ce soir -, c'est-à-dire des papiers pour tous. M. le ministre de l'intérieur s'est déjà expliqué longuement sur le sujet. Il a même traité d'irresponsables ceux qui réclamaient des papiers pour tous.
Vous l'avez rappelé, un certain nombre de dossiers ont été déposés ; certains aboutiront à une régularisation. Et les autres, demandez-vous ? Raison de plus pour qu'un entretien personnalisé détermine s'ils relèvent de la procédure de régularisation ou pas. Pour ce faire, il faut effectivement entreprendre ces démarches.
Le moment venu, le Gouvernement verra ce qu'il y a lieu de faire. Il a déjà indiqué que ces étrangers-là seront invités à regagner leur pays.
Mes chers collègues, pardonnez-moi d'insister, mais nous héritons pour la seconde fois de cette situation : en 1981-1982 et en 1996-1997. Dans les deux occasions, ces irréguliers étaient présents sur le territoire national avant que nous n'arrivions au pouvoir.
Monsieur Balarello, j'ai regardé l'émission en question, et j'ai constaté que M. Pasqua ne semblait pas du tout approuver ce qui s'est fait à Nice.
M. José Balarello. Mais non !
M. Guy Allouche. C'est ce que j'ai cru comprendre. Il a même employé des termes un peu plus forts que les miens.
Monsieur Balarello, vous nous dites que sur une pancarte, un calicot, ou une banderole, était inscrit le mot « invasion ». Je vous dis, moi : attention aux mots !
M. Raymond Courrière. C'est le front national !
M. Guy Allouche. Je vous ai vu, avec votre belle écharpe tricolore, défiler bras dessus, bras dessous avec vos collègues.
M. José Balarello. C'est évident !
M. Guy Allouche. Très bien ! Vous étiez dans votre rôle. Vous partagez ce point de vue, soit ! Mais attention aux slogans !
M. José Balarello. Mais j'avais vu les sept cents Kurdes quelques jours auparavant !
M. Guy Allouche. Attention : lorsque l'on emprunte à d'autres des termes comme celui d'« invasion », je ne pense pas que l'on serve la cause républicaine ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable, repoussée par la commission.
Je rappelle que son adoption aurait pour effet d'entraîner le rejet des conclusions du rapport de la commission des lois.

(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. Nous passons donc à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - En application de l'article 11 du règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête chargée de recueillir des informations sur les régularisations d'étrangers en situation irrégulière opérées depuis le 1er juillet 1997.

« Cette commission d'enquête est composée de vingt et un membres. »
La commission des lois propose de rédiger ainsi l'intitulé de la proposition de résolution : « Proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête chargée de recueillir des informations sur les régularisations d'étrangers en situation irrégulière opérées depuis le 1er juillet 1997. »
Je vais mettre aux voix les conclusions du rapport de la commission des lois.
M. Jacques Habert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. La discussion que nous venons d'avoir montre à l'évidence que la constitution d'une commission d'enquête est tout à fait nécessaire. Les points de vue contraires qui ont été exprimés nous prouvent que ces questions méritent d'être étudiées de manière approfondie.
Bien entendu, nous voterons pour cette proposition de résolution tendant à la constitution d'une commission d'enquête.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de résolution n° 411 (1996-1997).

(La résolution est adoptée.)

11

DIVERSES MESURES URGENTES
RELATIVES À L'AGRICULTURE
Adoption des conclusions du rapport
d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 155, 1997-1998) de M. Gérard César, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur la proposition de loi (n° 8 rectifié, 1997-1998) de MM. Gérard César, Alain Pluchet, Michel Alloncle, Louis Althapé, Henri Belcour, Jean Bernard, Roger Besse, Jean Bizet, Yvon Bourges, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Désiré Debavelaere, Michel Doublet, Gérard Fayolle, Hilaire Flandre, Philippe François, Yann Gaillard, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Bernard Hugo, Jean-Paul Hugot, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Jacques de Menou, Roger Rigaudière, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, Jacques Valade, Alain Vasselle, Serge Vinçon et les membres du groupe du Rassemblement pour la République, apparentés et rattaché administrativement, MM. Jean Huchon, Louis Moinard, Alphonse Arzel, Bernard Barraux, Michel Bécot, Marcel Deneux, Francis Grignon, Pierre Hérisson, Rémi Herment, Kléber Malécot, Louis Mercier, Jean Pourchet, Jacques Rocca Serra, Michel Souplet et les membres du groupe de l'Union centriste et rattachés administrativement, MM. Henri Revol, Jean-Paul Emin, Mme Janine Bardou, MM. Jean Boyer, Marcel-Pierre Cleach, Jean-Paul Emorine, Mme Anne Heinis, MM. Jean Pépin, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Charles Revet et les membres du groupe des Républicains et Indépendants, apparenté et rattaché administrativement, MM. Jean-François-Poncet, Georges Berchet, Fernand Demilly, Bernard Joly, Jean-Marie Rausch, Raymond Soucaret, Jacques Bimbenet, Paul Girod, Pierre Jeambrun, Pierre Laffitte, André Vallet, Jean Grandon, Jacques Habert, Philippe Adnot, Philippe Darniche, Hubert Durand-Chastel, Alfred Foy, Jean-Pierre Lafond, André Maman et Alex Türk, portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. M. Gérard César, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'objectif du texte de la commission des affaires économiques et du Plan est de permettre l'adoption de mesures urgentes en faveur de notre agriculture.
La commission considère comme primordiales ces dispositions. Cette appréciation procède, monsieur le ministre, d'une analyse minutieuse de l'environnement national, communautaire et international dans lequel évolue notre agriculture.
A l'échelon national, l'année 1996 a été marquée par une quasi-stagnation du revenu agricole. Par ailleurs, les crédits affectés au ministère de l'agriculture et de la pêche ayant trait à l'installation et à la modernisation sont en baisse, alors que l'on constate une hausse des dépenses d'administration de plus de 2 %. En outre, en reportant au premier semestre de 1998 l'examen du nouveau projet de loi d'orientation agricole, monsieur le ministre, le Gouvernement a pris le risque de présenter un texte soit trop tardivement pour influer sur les propositions de la Commission européenne au sujet de la réforme de la politique agricole commune, soit trop tôt pour en tenir compte.
La commission regrette, par ailleurs, l'orientation qui se dégage du document préparatoire au projet de loi d'orientation agricole présenté au mois de septembre dernier par le Gouvernement. Il m'a semblé que ce document était construit sur l'hypothèse que la France disposait de deux agricultures. L'une serait compétitive, adonnée à la production de masse, capable d'affronter le marché mondial, dépourvue de vocation territoriale et relevant de la juridiction européenne. L'autre, très axée sur la qualité, mais moins productive, souffrant de handicaps naturels, fragile, bénéficierait prioritairement des aides nationales.
Cette distinction nous laisse perplexes, monsieur le ministre, car d'abord elle est sommaire et, ensuite, elle pourrait, se révéler dangereuse. En effet, si l'on concentrait la majeure partie du bénéfice d'un traitement communautaire sur les exploitations qui relèvent de la logique de marché, c'est vers elles qu'iraient l'essentiel des crédits européens.
A l'échelon communautaire et international, la commission constate que, quelques années à peine après la dernière réforme de la politique agricole commune, un nouvel exercice reprend, qui risque de remettre en cause les fondements sur lesquels la politique agricole commune était construite.
Le schéma soumis par Bruxelles dans le cadre de l'Agenda 2000 n'est certes pas définitif. Mais il traduit malheureusement un alignement anticipé sur les positions de Washington.
Les conséquences d'une telle attitude sont très sérieuses, monsieur le ministre.
D'une part, la Commission renonce à aborder la future négociation à partir d'un modèle commun, conforme aux réalités agricoles européennes telles qu'elles existent.
D'autre part, pour réaliser cette adaptation, elle n'envisage qu'un seul instrument, la baisse systématique de tous les prix. Stratégie sommaire, qui, même si elle correspond à certains de nos objectifs, tourne le dos, pour l'essentiel, à notre conception d'une agriculture enracinée dans la diversité historique de ses terroirs.
Face à la situation créée par les propositions de Bruxelles, il serait regrettable que la France se contente de réactions ponctuelles, concernant tel ou tel aspect particulier du dossier. C'est une reconstruction d'ensemble des propositions de la Commission européenne que la France doit proposer.
Le texte que la commission des affaires économiques vous propose, monsieur le ministre, reprend la quasi-intégralité des mesures figurant dans la proposition de loi signée par l'ensemble de la majorité sénatoriale. Il la complète par des mesures urgentes relatives à l'organisation économique et au contrôle des structures.
Ces conclusions, que nous allons examiner à la veille du Conseil européen du Luxembourg, revêtent, dès lors, une valeur de symbole. C'est un signal fort que le Gouvernement français doit s'efforcer de prendre en compte.
Ces conclusions ne s'opposent en aucune façon au futur projet de loi d'orientation agricole ; elles le préparent en permettant la mise en place de mesures dont notre agriculture a besoin rapidement et ouvrent un véritable débat sur des questions aussi fondamentales que le fonds agricole, le contrôle des structures, l'organisation économique, le statut du conjoint, l'installation, la coopération en agriculture et la politique de qualité alimentaire.
C'est pourquoi la commission des affaires économiques souhaite que ces dispositions fassent l'objet du consensus qu'appellent la sauvegarde et la promotion d'un modèle agricole français spécifique au sein de l'Union européenne et dans le monde en général.
Les conclusions de la commission comptent vingt-sept articles, dont dix-huit proviennent de la proposition de loi n° 8 rectifiée. Je tiens à vous préciser, monsieur le ministre, que ce texte a été soumis, au cours de nos auditions, à l'ensemble des organisations professionnelles, qui y sont en grande partie très favorables.
Le titre Ier porte sur l'entreprise agricole et comprend deux articles :
L'article 1er introduit une nouvelle rédaction de l'article relatif au financement des exploitations agricoles. Le texte proposé apporte deux innovations.
En premier lieu, il est mentionné expressément que l'attribution de l'aide financière prend en compte l'intérêt du projet d'un point de vue économique, environnemental et social. On trouve ici le souci d'affirmer la trifonctionnalité de l'agriculture, c'est-à-dire ses fonctions économique, sociale et territoriale.
En second lieu, l'aide accordée peut être interrompue, ou même faire l'objet d'un remboursement.
L'article 2 institue un fonds agricole et en définit les modalités de transmission.
L'entreprise agricole aujourd'hui n'est pas reconnue en tant que telle, car elle n'existe qu'à travers l'addition de différents actifs mobiliers ou immobiliers.
Cet article, monsieur le ministre, consacre l'autonomie juridique de l'entreprise agricole organisée autour d'un fonds agricole, comme cela a été fait pour l'artisanat.
La commission considère comme urgent que, après la reconnaissance de l'exploitation sur un plan économique, la question de son organisation juridique soit abordée.
Le problème de la cessibilité du bail rural est au coeur du débat sur la reconnaissance de l'entreprise agricole en tant qu'universalité juridique. La commission considère que si, à terme, il semble opportun en la matière de franchir une étape supplémentaire en ouvrant de nouveaux cas de cessibilité du bail, cette démarche doit être progressive et s'effectuer en concertation avec l'ensemble des organisations concernées.
Outre la question du bail rural et de sa cessibilité éventuelle, la création de ce fonds agricole soulève inévitablement le problème de l'hypothétique valeur patrimoniale des références de production.
La commission propose un dispositif permettant la transmission, à titre gratuit, en même temps que celle du fonds, des références de production ou droits à aides.
Selon les informations obtenues, la création d'un fonds agricole est à même d'éviter le démembrement d'exploitations viables. Ainsi, l'estimation du nombre d'exploitations concernées pourrait être de 2 000 à 5 000 par an.
Le titre II porte sur le contrôle des structures des exploitations agricoles.
La commission a souhaité insérer un titre supplémentaire relatif au contrôle des structures, une réforme du contrôle étant de plus en plus urgente. L'inadaptation actuelle de ce système empêche, en effet, environ un millier d'installations chaque année.
Ce titre II relatif aux structures agricoles comprend six articles.
L'article 3 comporte, monsieur le ministre, plusieurs innovations.
Tout d'abord, il est précisé que l'exploitation des biens peut être effectuée à titre individuel ou sociétaire ; il est ainsi pris acte de l'importance actuelle du développement des sociétés en agriculture.
Par ailleurs, la lutte contre le démembrement d'entreprises viables, qui n'apparaissait dans aucun texte, devient l'un des objectifs prioritaires du contrôle.
L'article 4, quant à lui, regroupe l'ensemble des opérations soumises à autorisation préalable dans un même dispositif.
Outre une fusion de l'ensemble des opérations soumises à autorisation préalable, les innovations les plus importantes sont les suivantes.
Les exploitations individuelles et les sociétés sont assimilées en matière de contrôle des structures lors de l'installation, de l'agrandissement ou d'une réunion d'entreprises agricoles. Ce traitement diffère donc du droit en vigueur.
L'article 4 prévoit, en outre, qu'intervient un contrôle des démembrements en cas de suppression d'une exploitation dont la surface est au moins égale à l'unité de référence, en cas d'opération ramenant la surface d'une exploitation en dessous du seuil de référence et en cas de suppression d'un bâtiment essentiel pour l'entreprise.
La commission juge qu'il est urgent, monsieur le ministre, que soit harmonisé un tel contrôle, tant sur le plan des personnes physiques ou morales que sur celui de la nature des opérations réalisées.
L'article 5 fixe les différentes modalités d'examen de la demande d'autorisation par l'autorité administrative en matière de contrôle des structures.
L'article 6 est un article de coordination.
L'article 7 modifie l'article L. 331-8 du code rural. En effet, le dispositif actuel n'offre comme seule possibilité à l'autorité administrative que de transmettre le dossier au procureur de la République en cas de non-respect de la réglementation du contrôle des structures. En outre, le code rural prévoit comme unique sanction économique l'impossibilité de bénéficier des aides publiques à caractère économique ; cette réglementation se révèle donc peu opérante. Or, les dispositions proposées permettent, tout en respectant les droits de la défense, une gradation des mises en demeure avant d'aboutir à la sanction pécuniaire.
La commission considère, monsieur le ministre, comme urgente la mise en place d'une véritable mesure administrative permettant de sanctionner véritablement ceux qui ne respectent pas la loi.
L'article 8 fixe les modalités permettant la contestation de la sanction pécuniaire proposée à l'article 7.
Le titre III porte sur l'organisation économique de la production et sur l'organisation interprofessionnelle agricole.
La commission souhaite insérer un nouveau titre afin de proposer un règlement rapide des difficultés rencontrées actuellement par les organisations de producteurs ainsi que par les organisations interprofessionnelles agricoles. Ce titre comporte deux articles.
L'article 9 tend à proposer une refonte des organisations de producteurs afin de développer et de clarifier l'organisation économique de ceux-ci.
Le texte proposé par cet article se différencie sur un certain nombre de points du droit existant.
L'article 9 précise que toute personne morale, pourvu qu'elle soit constituée volontairement et majoritairement de producteurs, peut être reconnue comme organisation de production, au lieu d'énumérer une liste limitative comme le fait actuellement le code rural.
La double règle concernant la formation d'une organisation de producteurs est simplifiée puisqu'il est précisé que toute organisation de producteurs doit couvrir un secteur de production pour accroître la valorisation des productions agricoles dans le respect des règles communautaires.
Le contrôle, effectué par les producteurs, est absent de la législation existante à l'instar de la fixation de seuils minimaux.
Il en est de même pour la distinction entre les deux types d'organisations de producteurs, l'un relatif à la mise au marché, l'autre à la commercialisation. Cette disposition, prévue à l'article 3, est ignorée actuellement par le code rural.
Les conclusions de la commission énumèrent l'ensemble des mesures que peuvent édicter les organisations de producteurs. Par ailleurs, contrairement à la législation existante, il est clairement indiqué que ces règles « s'imposent » aux membres des organisations de producteurs. Enfin, la prise en compte du facteur statistique afin de mieux gérer l'offre est un élément important.
Si le principe de la priorité des aides publiques à la production organisée est maintenu, sa modulation en fonction du degré d'organisation de l'organisation de producteurs et de services apportés aux membres est une innovation.
La commission considère comme nécessaire, monsieur le ministre, une telle démarche, qui consiste à encourager le regroupement des producteurs.
On peut estimer que deux tiers des organisations de producteurs se trouveront dans le niveau supérieur de l'organisation économique et un tiers au niveau inférieur.
L'article 10 actualise les dispositions relatives à l'organisation interprofessionnelle en tenant compte des nouvelles conditions économiques :
Sur la constitution des organisations interprofessionnelles, le texte proposé prévoit que l'organisation interprofessionnelle regroupe aussi des organisations professionnelles de la distribution.
Alors que le dispositif législatif actuel est silencieux sur le retrait de la reconnaissance sur ce point, le texte proposé pour l'article 1er prévoit les modalités de ce retrait.
En outre, sont précisées les différentes missions exercées par ces différentes organisations. A cette occasion, les organisations interprofessionnelles veulent et peuvent associer en tant que de besoin les organisations représentatives des consommateurs.
Ce dispositif ne se traduit pas par des dispositions juridiques supplémentaires, monsieur le ministre ; au contraire, il tient compte des simplifications ou améliorations suggérées par les organisations elles-mêmes. Il vise, en particulier, à favoriser la prise en compte de la distribution dans les politiques de filière et à associer, lorsque c'est souhaitable, les consommateurs.
Le titre IV porte sur des dispositions fiscales. Il comprend trois articles.
L'article 11 vise à accorder aux associés de coopératives le bénéfice de l'abattement sur les dividendes que les coopératives reçoivent de leurs filiales et qu'elles reversent à leurs sociétaires.
L'article 12 modifie la rédaction de l'article 730 bis du code général des impôts, permettant ainsi de substituer au droit proportionnel un droit fixe pour la cession de parts de sociétés civiles agricoles en matière de droits d'enregistrement.
L'article 13 a pour objet d'étendre aux parts sociales de coopératives la déduction des sommes consacrées à l'acquisition et à la création d'immobilisations nécessaires à l'acquisition de stock ou de produits animaux.
Le titre V porte sur le statut du conjoint. Il comprend huit articles.
L'article 14 est relatif au conjoint « collaborateur ».
L'objectif de la réforme est non pas seulement de créer au profit des conjoints un nouveau statut leur garantissant des droits à retraite améliorés, monsieur le ministre, mais aussi de passer d'un « statut résiduel » à un statut délibérément choisi lorsque ces conjoints n'ont pas souhaité devenir co-exploitant ou associé de société.
L'article 15 modifie le code rural relatif au droit à la retraite forfaitaire des conjoints présumés participant aux travaux de l'exploitation. Selon les prévisions effectuées par la commission, la rachat de points permettra à ceux qui l'effectueront d'acquérir un supplément de retraite d'environ 6 000 francs par an moyennant des cotisations de 44 000 francs, soit un délai de récupération d'un peu plus de sept ans.
On peut évaluer le nombre de ces conjoints âgés de cinquante-cinq à soixante ans participant aux travaux qui auront racheté des points avant de prendre leur retraite à environ 5 100 personnes par an, soit 25 500 personnes de 1998 à 2003.
L'article 16 tend à insérer dans le code rural un nouvel article relatif à la retraite des conjoints « collaborateurs d'entreprise ».
Les conjoints qui opteront pour ce nouveau statut acquerront dorénavant des droits non plus seulement à la retraite forfaitaire mais également à la retraite proportionnelle, à concurrence de seize points par an.
Toutefois, les effets de cette réforme ne se feront sentir que progressivement. Aussi, la commission souhaite qu'une possibilité de rachat de points de retraite proportionnelle soit proposée aux conjoints qui, ayant eu le statut de conjoint participant aux travaux, opteront pour le statut de conjoint collaborateur ou accéderont à celui de chef d'exploitation.
La commission estime, monsieur le ministre, que cette mesure ne devrait entraîner aucun coût budgétaire durant la phase 1998-2003. Elle pourrait même se traduire temporairement par des recettes supplémentaires résultant des rachats de points à taux avantageux.
Au-delà de 2003, compte tenu de la démographie et des conditions réglementaires prévues pour le rachat, les effectifs des conjoints susceptibles d'être concernés par la mesure se réduisent par rapport à la période antérieure. La mesure n'entraîne aucun coût pour le BAPSA jusqu'en 2001. Ensuite, le coût augmente progressivement et sera de toute façon limité.
L'article 17 complète le code rural en précisant qu'il appartient au chef d'entreprise de payer la cotisation de retraite du collaborateur d'entreprise. C'est une disposition de coordination.
L'article 18 permet la prise en charge totale des frais de remplacement en cas de maternité.
L'article 19 vise à insérer dans le code rural un article permettant au conjoint survivant ou divorcé de bénéficier d'une créance de salaire différé. Le mécanisme proposé tend à étendre la créance du salaire différé au conjoint survivant du chef d'entreprise agricole qui a participé directement et gratuitement à l'activité de l'entreprise pendant au moins dix ans.
L'article 20 tend à compléter le code civil compte tenu de la création d'une créance de salaire différé au profit du conjoint survivant ou divorcé.
L'article 21 modifie les dispositions du code rural relatives à la détermination de l'assiette des cotisations dues au régime de protection sociale des personnes non salariées des professions agricoles. Cette réforme présente un grand nombre d'avantages, monsieur le ministre.
Concernant les exploitants, la mise en place d'une assiette forfaitaire provisoire de cotisations sociales permet d'assurer que les cotisations sociales appelées aux exploitants dès le début d'activité seront représentatives des revenus réellement dégagés par l'activité.
D'un point de vue financier, la disposition concernant le transfert entre époux devrait permettre d'écarter le risque d'« évasion d'assiette » à laquelle on pouvait assister dans certains cas.
Cette réforme aura donc une incidence financière faible, contribuant plutôt à mettre fin à des situations mal comprises par les intéressés et à avoir un effet de moralisation sur le prélèvement.
Le titre VI porte sur le titre d'emploi saisonnier agricole et les groupements d'employeurs. Il comprend deux articles.
La création, au début de l'année 1997, du titre « emploi saisonnier agricole » par voie réglementaire concernerait 600 000 saisonniers. Cet article vise donc à consacrer, par la voie législative, ce dispositif que la commission considère comme une réelle avancée.
L'article 23 permet aux CUMA, les coopératives d'utilisation de matériel agricole en commun, de participer aux groupements d'employeurs sans inconvénient fiscal au titre de la taxe d'apprentissage et de la taxe professionnelle.
Ce système devrait être, monsieur le ministre, sans incidence financière puisque l'exonération de la taxe d'apprentissage et de la taxe professionnelle est d'ores et déjà accordée aux exploitants agricoles, aux groupements d'employeurs composés d'exploitants agricoles et aux CUMA.
Le titre VII porte sur la qualité et la valorisation des produits agricoles et alimentaires. Il comprend quatre articles.
L'article 24 vise à la création d'un institut national de la qualité des produits agricoles et alimentaires.
Cet article a notamment pour objectifs d'améliorer la lisibilité des signes officiels de qualité et leur promotion auprès des consommateurs et des opérateurs économiques ; d'assurer la coordination, en particulier entre l'institut national des appelations d'origine, l'INAO, et la Commission nationale des labels et certifications, la CNLC, pour permettre une meilleure cohérence entre les appellations d'origine contrôlées, les AOC, les labels, les certifications de conformité et la certification du mode de production biologique, sans empiéter sur leurs fonctions respectives ; enfin, d'établir un lien permanent avec les instituts de recherche, mais aussi avec les organismes pouvant assurer le développement des démarches de qualité.
L'article 25 modifie le code de la consommation, en offrant la possibilité de mentionner un nom géographique sur les labels et certifications de conformité en dehors de l'indication géographique protégée.
Le code de la consommation dispose qu'un label ou une certification de conformité ne peut mentionner un nom géographique si celui-ci n'est pas enregistré comme indication géographique protégée.
Une telle disposition interdit donc à un produit générique de mentionner sa provenance dans le cadre d'un label ou d'une certification, alors qu'il peut le faire dans le cadre du droit général. Elle freine le développement des labels et certifications de conformité, oriente vers l'indication géographique protégée des produits qui n'en relèvent pas et ne répond pas aux attentes des consommateurs, qui souhaitent être informés sur la véritable origine du produit.
C'est pourquoi il est proposé de modifier le code de la consommation pour autoriser un produit bénéficiant d'un label ou d'une certification de conformité à mentionner un nom géographique, en l'absence d'indication géographique protégée.
Cependant, si ce n'est pas une indication géographique protégée, cette mention ne pourra pas figurer dans la dénomination de vente du produit.
L'article 26 modifie le code de la consommation en rendant nécessaire, pour les organismes certificateurs, l'accréditation par une instance reconnue par les pouvoirs publics.
La modification du code de la consommation a pour objet de se conformer à la réglementation européenne en rendant l'accréditation par le comité français d'accréditation, le COFRAC, obligatoire, et en transférant cette compétence d'accréditation de la commission nationale des labels et certifications au COFRAC.
L'article 27, enfin, modifie le code de la consommation afin de corriger les distorsions de concurrence entre les produits certifiés et les produits standards.
Sous réserve des ces observations, je demande au Sénat d'adopter la proposition de loi dans le texte résultant des conclusions de la commission. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Si vous le permettez, monsieur le président, j'interviendrai en fin de débat.
M. le président. Très bien, monsieur le ministre.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 58 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 41 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.
Je rappelle au Sénat que, à la reprise de la séance, il a été décidé que nous siégerions ce soir après le dîner, si nécessaire. Nous « pousserons » jusqu'à vingt heures, mais pas au-delà.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai le seul orateur à prendre la parole au nom du groupe de l'Union centriste, car mon ami Jean Huchon, qui aurait souhaité intervenir ce soir, a dû regagner son Maine-et-Loire natal.
Monsieur le ministre, pourquoi se soucier de l'agriculture quand on est membre du Gouvernement d'un grand pays développé, où la population active agricole diminue sans cesse et représente désormais environ 5 % de la population active totale, où la surproduction agricole ne cesse de croître en volume ?
Je vois deux séries de raisons pouvant motiver un tel souci : les unes sont politiques, les autres économiques.
J'aimerais tout d'abord développer les premières.
Vous avez tenu, monsieur le ministre, lors d'un récent débat dans cette assemblée, les propos suivants : « La fonction principale que j'assigne à l'agriculture, c'est de produire pour l'alimentation. » Nous en avons pris note.
Cela signifie donc que l'agriculture doit produire pour nourrir les hommes, c'est-à-dire assurer une fonction vitale, au sens étymologique du terme - il faut manger pour vivre. Mais en France, aujourd'hui, de même qu'en Europe, continent qui est déjà notre marché, et dans tous les pays où ne se pose plus la question de la subsistance des populations, les comportements alimentaires ont profondement changé au cours des années récentes.
En effet, sur la fonction de nutrition se greffe aujourd'hui une exigence essentielle pour tous les opérateurs économiques qui contribuent à la fourniture de denrées alimentaires pour les hommes, à savoir les attentes des consommateurs en matière de qualité et de sécurité sanitaire.
Il est une autre raison politique que je tiens à évoquer, qui, bien que peu souvent exprimée, est cependant présente dans nos réflexions. En effet, sans apparaître « ringard », on peut affirmer, monsieur le ministre, que la population agricole joue aujourd'hui dans notre pays un rôle particulier, que l'on a de la peine à identifier du fait de sa localisation en milieu rural et du fait de la nature du travail en agriculture, individuel et à responsabilité personnelle ; pourtant, confrontée à la réalité des conditions de vie en milieux difficiles, cette population contribue d'une manière particulière à apporter au pays des valeurs nécessaires à son équilibre social, que le monde urbain, trop jeune encore sans doute, n'a pas jusqu'à présent réussi à développer au même degré.
S'agissant des raisons économiques qui justifient que l'on s'intéresse à l'agriculture, il faut noter que les politiques économiques suivies par la majorité des pays industriels visent à amener les prix des matières premières agricoles au niveau le plus bas possible, souvent en dessous des prix de revient.
C'est là une première difficulté, car on crée, par diverses mesures de correction ou de compensation, par des dispositions catégorielles de nature économique ou sociale mais rarement fiscale, par des décisions administratives de toute nature liées à l'imagination souvent fertile des organisations agricoles et des fonctionnaires des différents ministères qui interviennent dans ce dossier, les conditions d'une économie agricole toujours artificielle.
C'est le schéma simple, qui se complique avec l'intervention de l'Union européenne, laquelle élabore elle aussi une politique agricole commune et des mesures d'application spécifiques. S'ajoutent encore à ce dispositif, depuis quelques années, les règles de l'organisation mondiale du commerce, l'OMC, et des mesures régionales très peu coordonnées entre elles.
Les raisons que je viens d'exposer, monsieur le ministre, sont sans doute celles qui motivent l'action de tout gouvernement d'un pays développé ayant une capacité de production agricole permettant au moins l'autosuffisance.
Mais notre pays, la France, jouit d'une situation géographique particulière, détient une surface agricole par habitant au-dessus de la moyenne, bénéficie d'un climat tempéré, présente une répartition des conditions naturelles et des conditions de production permettant toutes les productions végétales et animales.
Bref, monsieur le ministre, la France est un pays qui, en moins de quarante ans, est devenu le premier exportateur de produits agricoles transformés dans le monde, devant les Pays-Bas, et le deuxième exportateur de produits agricoles non transformés, devant les Etats-Unis. Ces deux postes ont contribué au solde positif du commerce extérieur de la France dans une proportion allant de 35 % à 40 % au cours des cinq dernières années.
Lorsque l'on possède une telle richesse, on se doit de la regarder avec les yeux de Chimène et de lui prodiguer en permanence une sollicitude particulière.
Tout d'abord, il est essentiel que les agriculteurs tirent la meilleure part de leur revenu de la vente de leurs produits, et les prix de marché doivent être aussi élevés que possible. Ce point doit constituer une préoccupation permanente, car les mesures complémentaires en faveur de l'agriculture coûteraient d'autant moins cher.
A ce propos, est-il légitime que le consommateur français, dont le pouvoir d'achat est convenable, ne consacre pas une partie suffisante de ses revenus à son alimentation ? J'ai donné la réponse à cette question à travers le constat que j'ai dressé au début de mon intervention s'agissant du comportement inéluctable des gouvernements des pays industrialisés riches en matière de prix des denrées alimentaires et, par voie de conséquence, d'agriculture et de revenu agricole. Nous avons d'ailleurs tacitement accepté cette situation.
Le décor est ainsi à peu près campé.
Vous avez, monsieur le ministre, la responsabilité de l'administration du premier secteur économique français, dont les performances peuvent être constantes en termes d'apport à la croissance et à l'équilibre socio-économique du pays, mais aussi en matière d'aménagement du territoire et de qualité de l'environnement.
En effet, les performances de ce secteur peuvent être maintenues, à condition que l'on ne se trompe pas dans les orientations qu'il faut donner à l'agriculture. Or c'est sur ce dossier que vous avez un rôle essentiel à jouer, c'est sur ce dossier que se bâtit le souvenir qui restera, monsieur le ministre, de votre passage rue de Varenne.
Nous avons appris, pour la plupart d'entre nous par la presse, que vous aviez mis en place des groupes de travail en vue de la préparation d'un texte d'orientation. On nous dit que leur composition est hétérogène, mais ils travaillent activement. Cependant, la représentation nationale n'a pas encore été consultée, ce qui donne toute son importance au débat de cet après-midi.
Que faut-il faire pour l'agriculture ? Le monde change, et l'environnement de notre pays et de notre agriculture se modifie chaque jour. Par conséquent, l'agriculture et l'industrie agroalimentaire doivent aujourd'hui, dans le contexte général d'évolution de nos sociétés, faire face à de nouvelles exigences. Les questions de santé, le respect de l'environnement, la gestion des espaces ruraux constituent ainsi autant de défis à relever.
A cet égard, nul ne peut nier les mutations ni refuser la réalité. Gardons-nous de l'erreur qui consisterait à laisser croire qu'il suffirait de s'adapter en fonction du passé pour être maître de l'avenir. Monsieur le ministre, la France n'échappera pas aux défis qui s'annoncent et qui imposeront parfois de véritables ruptures avec le passé.
Ainsi, l'agriculture, mais aussi, à un degré moindre, la forêt française, devront être prêtes à affronter le défi que constituent le futur élargissement progressif de la politique agricole commune aux pays d'Europe centrale et orientale et l'internationalisation croissante des échanges dans le cadre de l'organisation mondiale du commerce.
Il est donc nécessaire de créer les meilleures conditions pour relever ce défi, en anticipant et en agissant de manière volontariste, voire offensive. Vous ne ferez pas l'économie, monsieur le ministre, d'une réflexion sur le secteur agricole et alimentaire, composé, pour la plus grande partie, d'entreprises nombreuses et familiales. Vous constaterez alors que, pour créer de la valeur ajoutée et des emplois, c'est-à-dire pour conserver un nombre important d'agriculteurs, il faut poursuivre la politique déjà engagée, qui consiste à relancer l'installation des jeunes, à accentuer l'effort de formation et de qualification des actifs et à favoriser le développement de la capacité d'innovation des entreprises.
Il vous faudra également revoir, parfois avec courage, le statut des exploitations et des personnes non salariées qui y travaillent, rouvrir le dossier de la fiscalité des entreprises et des successions, étudier à nouveau la question de la transmission des droits à produire, redéfinir les missions de l'enseignement agricole, donner plus de cohérence aux relations entre la recherche agronomique et les objectifs de la politique agricole et alimentaire.
Il vous faudra encore, monsieur le ministre, envisager comment pourrait être amplifié le rôle de la filière agricole et agroalimentaire, aujourd'hui forte de la qualité de ses produits, de sa diversité et de ses savoir-faire régionaux, afin qu'elle devienne le véritable créateur d'emplois en milieu rural, enrayant dans certaines régions l'inéluctable déclin de la population active agricole, lié à l'âge des agriculteurs en place et à la trop faible taille des exploitations qui se libèrent. Il sera nécessaire, à ce stade, de réfléchir au rôle de la coopération agricole et à son ancrage particulier au territoire.
Pour prendre en compte l'aménagement du territoire dans votre démarche, il serait bon, monsieur le ministre, que vous vous penchiez sur la politique des structures des exploitations agricoles, sur les conditions de leur transmission et de leur agrandissement, sur le fonctionnement des commissions départementales d'orientation et sur le rôle joué par les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER. Il conviendra également, à cet égard, d'inclure dans le champ de votre réflexion le secteur forestier, lequel recèle un potentiel important, qui, sous certaines conditions restant à préciser, pourrait permettre de constituer une filière bois performante.
Vous devrez aussi, monsieur le ministre, nous indiquer comment vous comptez soutenir les initiatives en cours, dont certaines sont déjà porteuses de réussites, visant à faire jouer un rôle à l'agriculture française en matière de fourniture d'énergie : la biomasse, les biocarburants relèvent en effet de la production agricole !
Je vous ai livré une longue série de réflexions, trop longue, certes, monsieur le ministre, et incomplète, j'en suis sûr, mais je ne doute pas que vous saurez l'incorporer dans vos futurs projets et la transformer en mesures techniques.
En conclusion, je souhaite que vous preniez la dimension réelle du problème : nous avons une agriculture forte, mais inégalement forte, dont la vocation est nationale, européenne et internationale, mais qui s'inquiète de son avenir. Bref, notre agriculture attend un texte ouvrant des perspectives et précisant mieux les contours de son devenir.
Il reste cependant à tenir compte d'une contrainte importante, qui justifie notre débat de cet après-midi : le calendrier.
En effet, il faut que soit définie, en raison des négociations en cours à l'échelon de l'Europe et de l'OMC, une position française solide, s'appuyant sur une loi d'orientation déjà votée.
Nous espérons, monsieur le ministre, que vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour respecter les délais qui nous sont imposés et répondre à nos attentes. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Grandon.
M. Jean Grandon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a une dizaine de jours, lors de la discussion du budget du ministère de l'agriculture, nous nous étions élevés contre certaines carences dudit budget. J'avais moi-même relaté un manque de visibilité sur le volet social.
Cette proposition de loi portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture répond, dans une large mesure, aux préoccupations exprimées alors. Elle a une ambition sociale et les mesures qu'elle prévoit sont bonnes pour notre agriculture. Tout cela garantit l'avenir de la profession et la prépare à affronter, dans les meilleures conditions, les négociations européennes et internationales de demain.
Le processus d'installation des jeunes agriculteurs est accentué, et ce afin de faire perdurer une agriculture dynamique par le renouvellement de ses forces vives.
Plusieurs décisions spécifiques vont dans la bonne direction, notamment celle qui permet le contrôle des structures des exploitations agricoles.
Ambitieuse, cette proposition l'est, car elle confère un statut de collaborateur d'entreprise au conjoint non exploitant du chef d'exploitation.
Ce statut permettra de faire bénéficier le conjoint de droits à la retraite des non-salariés des professions agricoles, ainsi que d'une retraite forfaitaire sous certaines conditions. Il met fin aux situations critiques de personnes qui, ayant travaillé toute leur vie sur l'exploitation, se voient privées de toute reconnaissance sociale pour leurs vieux jours.
La revalorisation des droits les plus faibles est prise en considération, ce qui est important au regard de la modicité des sommes perçues par les retraités du secteur agricole.
Cette proposition de loi répond aux préoccupations de notre monde économique contemporain. Elle vise notamment à lutter contre le chômage par la simplification des formulaires d'embauche des saisonniers agricoles.
De plus, elle protège le consommateur par la création d'un institut national de la qualité des produits agricoles et alimentaires chargé du contrôle des utilisations des AOC et des labels.
Toutes ces dispositions, ces objectifs multiples mais complémentaires, vont dans le sens d'une garantie de l'avenir du monde agricole et surtout d'un nouveau pacte entre la nation et les agriculteurs.
Autant de raisons, de motifs, de considérants pour voter la proposition de loi qui nous est soumise. ( Applaudissements sur les travées du RPR. )
M. Jacques Habert. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bony.
M. Marcel Bony. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la déclaration que je vais vous lire a été rédigée par mon collègue et ami Fernand Tardy, qui est membre du groupe socialiste et vice-président de la commission des affaires économiques. Il aurait souhaité vous la présenter lui-même, mais il a dû partir précipitamment en province pour une raison impérative.
Le groupe du RPR de la commission des affaires économiques du Sénat soumet au suffrage des sénateurs une proposition de loi portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture.
Dans son exposé des motifs, comme dans le communiqué de presse diffusé le jour de la discussion du rapport en commission des affaires économiques, le promoteur du projet souligne le caractère urgent de cette proposition de loi, qui doit, paraît-il, influencer et conforter les positions françaises lors des discussions sur la réforme de la politique agricole commune à Bruxelles, et regrette le peu d'empressement du gouvernement Jospin pour présenter un nouveau projet.
Cet argument est mensonger et fallacieux. (M. Philippe François s'exclame.)
En effet, lors de la présentation du projet de loi d'orientation Vasseur, le ministre de l'agriculture d'alors avait regretté le retard du projet de loi présenté par l'ancien gouvernement par rapport « aux discussions sur la réforme de la politique agricole commune, déjà bien engagées à Bruxelles ».
Par la suite, la discussion de ce projet de loi a été retardée plusieurs fois par le gouvernement Juppé.
Puis, il y a eu la dissolution, et, à notre connaissance, ce ne sont pas les socialistes qui ont dissous l'Assemblée nationale, mais bien le Président de la République, issu des rangs du RPR.
S'il y a du retard pour l'adoption d'un projet de loi d'orientation agricole, les responsables sont le gouvernement d'Alain Juppé, le Président de la République et l'ancienne majorité, c'est-à-dire ceux qui, aujourd'hui, déplorent ce retard.
Après la dissolution, et dès son discours d'investiture devant le Parlement, M. Lionel Jospin a indiqué qu'il reprendrait « le plus rapidement possible » la loi d'orientation.
Bien entendu, cette loi devait être modifiée, puisque nous n'avons ni la même philosophie ni les mêmes opinions sur le développement futur de notre agriculture.
Ces modifications concernant une loi importante de plus de 160 articles ne peuvent pas se faire rapidement, et la discussion du texte gouvernemental aura lieu au cours du premier semestre de l'année 1998, comme l'a précisé à plusieurs reprises M. le ministre de l'agriculture.
Je tenais donc, dans un premier temps, à rétablir les responsabilités de chacun dans le retard concernant ce texte de loi.
Fallait-il déposer une proposition de loi pour pallier ce retard ? Nous répondons par la négative.
Cette proposition de loi est, en effet, une duperie.
Elle reprend les principaux chapitres de la loi d'orientation Vasseur. Le groupe du RPR ne semble pas avoir encore compris que les Français ont voulu un changement de politique (M. Philippe François s'exclame.) , y compris dans le secteur agricole, et ce n'est pas en remplaçant le texte Vasseur mort-né par une proposition de loi émanant de ses amis que l'on va dans le sens indiqué par le suffrage universel.
Cette proposition de loi est une duperie car ses promoteurs savent bien qu'elle n'a aucune chance de venir en discussion devant l'Assemblée nationale, le Gouvernement étant maître de l'ordre du jour. Et, y viendrait-elle, qu'elle n'aurait aucune chance d'être votée par la majorité de l'Assemblée nationale.
M. Philippe François. On le dira aux organisations syndicales !
M. Marcel Bony. Cette proposition de loi est une duperie, car elle accumule les mesures sans en chiffrer l'impact budgétaire, qui est considérable.
A ce sujet, je veux souligner que si cette proposition de loi comportait dix-sept articles lors de son dépôt, elle en comptait déjà vingt-sept lors de la discussion en commission des affaires économiques, et ce avant qu'aucun amendement ne soit déposé.
Je ne doute pas que les démagogues qui ont rédigé ce texte ajoutent de nouveaux articles par voie d'amendements. Pourquoi se gêner quand on a comme unique but de faire une opération politicienne à quelques mois de la discussion de la loi d'orientation agricole proposée par le gouvernement Jospin sur le même sujet ?
M. Philippe François. Faux ! Mensonge !
M. Marcel Bony. Cette proposition de loi est, en effet, une duperie : à qui fera-t-on croire que les négociateurs de Bruxelles attacheront de l'importance à un texte non voté, déposé par les opposants au Gouvernement, qui, lui, négocie à Bruxelles et qui, grâce à la pugnacité et à la compétence de son ministre de l'agriculture, M. Louis Le Pensec, a déjà obtenu des modifications significatives de la nouvelle politique agricole commune, dans le sens voulu par les organisations professionnelles de notre pays ?
Mais, aux yeux du groupe socialiste du Sénat, le dépôt de cette proposition de loi a une signification beaucoup plus grave pour le fonctionnement de la Haute Assemblée !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques et du Plan, pourrait en témoigner : le groupe socialiste a toujours participé avec sérieux aux travaux de cette commission. Certes, très souvent, nous n'avons pas été d'accord avec les positions des commissaires de la majorité. Cependant, nous avons participé assidûment à des commissions d'études importantes dont les travaux ont fait l'objet de publications que nous avons souvent approuvées.
A aucun moment nous n'avons essayé, par des manoeuvres quelconques, de nous servir du travail du législateur à des fins purement électorales.
Ce sérieux des commissaires de la commission des affaires économiques et du Plan va être mis en cause par des pratiques consistant, pour l'opposition, à présenter des textes doublant des textes gouvernementaux.
M. Philippe François. Faux !
M. Marcel Bony. Ces textes n'ont aucune chance d'être votés par le Parlement, mais ils offrent une panoplie de mesures utilisable comme support d'une campagne électorale !
M. Philippe François. Nous sommes le Parlement !
M. Marcel Bony. De telles pratiques sont indignes du Sénat et elles marquent d'une ombre inutile la qualité de nos anciennes relations.
Cette proposition de loi est un texte d'opportunité, c'est un texte politicien, c'est un texte pernicieux, car c'est le commencement d'un processus fait de travaux inutiles, mal étudiés, qui ne peut que ternir l'image de marque de la commission des affaires économiques et du Sénat.
Parce qu'ils ne veulent en aucune façon être les complices de tels agissements, les commissaires socialistes de la commission des affaires économiques, qui ont quitté la commission au cours du débat, et les membres du groupe socialiste ne prendront pas part à la discussion des articles. Ils entendent ainsi protester contre des pratiques qui n'ont rien à voir avec le travail parlementaire normal.
Nous le disons tout net à M. le président de la commission des affaires économiques : jamais ce texte n'aurait dû franchir la barrière de la commission, jamais il n'aurait dû venir en discussion devant la Haute Assemblée.
Beaucoup de membres centristes de la commission nous ont d'ailleurs fait part de leur indignation. Certains ont quitté, sans bruit, la séance. Il a fallu toute l'autorité du président de cette commission pour rassembler les différentes fractions de la majorité sur ce texte inutile. En échange de quoi ? Contre la promesse que son groupe en serait aussi signataire ! Ainsi, pour quelques bénéfices électoraux, le président de la commission des affaires économiques s'est associé à cette manoeuvre indigne du Parlement !
Les commissaires du groupe socialiste, outrés, sauront se souvenir, dans leurs positions futures, de son attitude.
Le combat politique peut être rude, difficile, mais, jusqu'à ce jour, il régnait au Sénat une certaine sérénité grâce aux relations que nous entretenons les uns avec les autres.
La proposition de loi déposée par le groupe du RPR...
M. Philippe François. Par la majorité du Sénat, et pas seulement par le groupe du RPR !
M. Marcel Bony. ... et soutenue maintenant par les autres groupes de la majorité sénatoriale, est un texte qui va à l'encontre de cette harmonie maintenue à travers nos diversités.
Se servir de textes législatifs comme d'instruments exclusifs de propagande est très dangereux pour notre crédibilité.
Gardons nos forces, notre sagesse, nos connaissances plurielles pour amender, corriger, bonifier le futur texte de loi d'orientation en préparation aujourd'hui, en étroite collaboration avec le monde professionnel agricole, plutôt que de vouloir refaire le monde seuls, à des fins politiciennes !
Le groupe socialiste réprouve cette pratique et laissera à la majorité de la Haute Assemblée la responsabilité de ce mauvais coup que nous dénonçons.
J'ajouterai, monsieur le président, paraphrasant le mot de Boissy d'Anglas, que si l'Assemblée nationale est l'imagination de la République, le Sénat risque aujourd'hui, par une telle démarche, de ne plus en être la raison. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Vigouroux.
M. Robert-Paul Vigouroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qui pourrait insinuer que le Sénat néglige l'agriculture ? Le 5 novembre, nous avons tenu un débat de six heures ; le 2 décembre, pendant sept heures trente, nous avons librement discuté du budget de l'agriculture, discussion au cours de laquelle chacun a pu s'exprimer comme je l'ai fait.
Nous devons, dans les prochains mois, examiner la loi d'orientation que vous présenterez, monsieur le ministre.
L'essentiel n'est pas de défendre le passé. Il est de défendre l'avenir. La terre n'est pas nostalgique d'un pouvoir. Les agriculteurs, les viticulteurs, les éleveurs et les autres sont cependant inquiets et délivrent ce message aux élus que nous sommes dans ce monde si paradoxal, où la famine côtoie la surproduction.
Voici un débat de fin d'année ou, plutôt, une proposition de loi. Ses raisons ? Qu'importe si une avancée en résulte, car les objectifs communs sont en cause : communs pour nous, communs dans l'Europe commune.
Vous pourrez donc, monsieur le ministre, nous livrer vos perspectives, au-delà de la loi de finances, nous indiquer les grands lignes de la politique agricole française que vous défendrez, dès demain, au Conseil européen. Ce débat va permettre d'orienter la politique agricole européenne, à laquelle nous sommes, sur ces diverses travées, je pense très attachés, car la majorité des sénateurs emporte plus de terre à ses souliers que de goudron.
Si la diversité de l'Europe, dans le domaine agricole ou tant d'autres, pose à chaque pays ses propres problèmes lors des nécessaires accords, nous ne devons pas oublier que solidarité et entente en son sein sont indispensables sur le marché mondial.
La défense de notre agriculture, de son effort économique, passe nécessairement par un bon positionnement dans les marchés mondiaux, dans une Europe unie et décidée à se faire respecter. Nous savons aussi que l'agrandissement de l'Europe ajoutera quelques difficultés à surmonter ; le chemin est encore long.
La proposition de loi qui nous est présentée par la majorité sénatoriale envisage en six titres notre destin agricole, du producteur au consommateur, comme un rappel des lois qui, au long de ces dernières années, ont réglementé l'agriculture dans le sens de la modernisation et du développement, en 1960, 1962, 1980 et 1995.
Des successions de lois, dont aucune n'efface les autres, et, de réglementation en réglementation, le législateur n'enserre-t-il pas trop le citoyen dans un corset qui devient carcan ? Une réglementation trop rigoureuse, c'est comme les « passages cloutés » de nos rues : on ne la respecte pas.
D'autant qu'en plus des droits et des devoirs du milieu agricole, et ce dans des contrées différentes, et de la diversité de la production, nous connaissons depuis peu la pression des consommateurs, devenus, en raison des scandales et des problèmes de pollution, très exigeants sur les produits d'origine agricole. Nous avons vu s'installer des commerces spécialisés, et des labels s'afficher parfois. En ce domaine aussi apparaît une alimentation à deux niveaux, car les prix diffèrent.
La qualité du vendu ne doit pas, de plus, être facteur elle-même de pollution.
La pollution est liée, pour les céréales, à une production trop intensive, à l'emploi d'engrais chimiques et de pesticides, et, pour la production de viande bovine, à l'emploi des farines contaminées. Sinistre euphémisme que d'utiliser le terme « farine » quand on songe à partir de quoi ces produits alimentaires sont fabriqués. A ma connaissance, encore aucun fabricant n'a été inquiété ni poursuivi.
Pis, ne vient-on pas d'apprendre que le Gouvernement britanique avait annoncé, ce 3 décembre, une série de mesures visant à interdire la commercialisation de nouveaux produits d'origine bovine, telle la côte de boeuf, un risque, fût-il minime, d'une transmission à l'homme de la fameuse « maladie de la vache folle » étant réapparu ? Une frontière biologique qui fait sourire, sourire tristement. La maladie est, ou n'est pas, transmissible à l'homme : voilà l'absolue vérité.
La pollution est liée également, pour les producteurs de porcs, à un rejet trop important des nitrates dans les nappes phréatiques.
Je souhaite, monsieur le ministre, que, lors des futures négociations avec nos partenaires européens, vous obteniez que soient intégrés tous ces faits.
Cette réforme pour le XXIe siècle doit nous permettre, tous ensemble, de nous défendre dans la nouvelle OMC face aux Etats-Unis ; la loi d'orientation aura pour but de fixer nos objectifs dans les prochaines décennies.
La politique agricole commune européenne ne peut être dissociée de l'aménagement du territoire, de la protection de la nature, de la désertification des campagnes, de la concurrence mondiale.
Il faut préserver nos atouts liés à la labélisation des produits. Qui n'est pas amateur d'un bon poulet de Bresse, d'un canard de Challans, d'une viande d'agneau de pré-salé... sans oublier les pieds et paquets de Marseille...
M. Philippe François. Ah, ça c'est bon !
M. Robert-Paul Vigouroux. ... la viande du Limousin et le boeuf de Bazas... ma liste est loin d'être exhaustive ! Les Japonais ont su faire connaître le fameux boeuf de Kobé. Mais encore faut-il continuer à trouver ces produits entièrement naturels et pouvoir aussi les acheter !
Vous indiquez, mes chers collègues, que l'agriculture représente 85 % de notre territoire et 3,5 millions d'emplois induits. Pour conserver ce tissu, il est important de développer l'installation des jeunes, même non issus de ce milieu.
On a souvent évoqué, ces dernières années, la nécessité d'en faire les « jardiniers » de la nature. Je l'ai lu, monsieur le ministre, dans vos projets : vous souhaitez qu'une aide financière de l'Etat, sous forme de contrats, soit proposée à ces jeunes afin qu'ils entretiennent l'espace rural. Cela leur permettrait de ne pas trop s'endetter dès leur intallation.
Un autre point important est de les inciter à se regrouper beaucoup plus en CUMA pour que le coût de la mécanisation soit moins lourd pour chacun.
Monsieur le ministre, la proposition de loi présentée par la majorité sénatoriale sera, selon toute vraisemblance, votée dans cet hémicycle.
M. Philippe François. Nous l'espérons !
M. Robert-Paul Vigouroux. Vous présenterez au début de l'année 1998 votre propre projet, dont nous débattrons alors.
A chaque année sa récolte. Pour moi, j'attendrai le printemps !
M. le président. La parole est à M. François.
M. Philippe François. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour ce qui me concerne, il est évident que je ne peux pas cacher la satisfaction que j'éprouve, contrairement à d'autres, une proposition de loi déposée par la totalité de la majorité sénatoriale examinée aujourd'hui par la Haute Assemblée.
En effet, ce texte nous permettra d'adopter des mesures urgentes en faveur de notre agriculture, mesures qui répondent aux demandes légitimes des organisations professionnelles et du monde agricole en général.
Cette proposition de loi tend, d'une part, à créer de la valeur ajoutée et des emplois, à maintenir un nombre important d'agriculteurs, à poursuivre la relance des installations de jeunes agriculteurs et, d'autre part, à faire de la politique de la qualité alimentaire un atout décisif dans la compétition internationale.
Je ne reviendrai pas, bien sûr, sur l'excellent rapport de notre collègue Gérard César, qui a brillamment présenté le dispositif. Je m'associe pleinement, bien entendu, aux nouvelles dispositions introduites par la commission des affaires économiques, même si les socialistes ne nous ont pas fait l'honneur de participer à nos travaux !
Je souhaite néanmoins attirer votre attention, monsieur le ministre, sur trois dispositifs phares qui sont, à mes yeux, essentiels pour l'avenir de notre agriculture.
Le premier est l'entreprise agricole.
L'article 1er fixe les objectifs prioritaires de l'aide financière de l'Etat accordée aux entreprises agricoles. Cette aide doit ainsi aller en premier lieu vers l'installation des jeunes agriculteurs, la modernisation, le regroupement, la reconversion partielle ou totale des entreprises en vue d'améliorer leur viabilité, et elle doit prendre en compte l'intérêt du projet d'installation en matière économique, environnementale et sociale.
En outre, cette aide peut être aussi interrompue, voire faire l'objet d'un remboursement, si l'entreprise ne satisfait plus aux conditions de mise en valeur de l'espace agricole ou forestier - ne l'oublions pas - soit au schéma directeur départemental des structures agricoles, soit enfin au projet départemental d'orientation de l'agriculture. Les choses sont claires, nettes et bien bordées.
De plus, l'entreprise agricole n'étant pas reconnue en tant que telle aujourd'hui, l'article 2 reconnaît un fonds agricole, comme cela a été fait, je le rappelle, pour le commerce et l'artisanat avec l'article 22 de la loi du 5 juillet 1996.
N'est-il pas urgent, monsieur le ministre, qu'après la reconnaissance de l'exploitation agricole sur un plan économique la question de son organisation juridique soit abordée ?
En effet, cette mesure permet non seulement la transmission et le nantissement du fonds agricole ainsi constitué en vue de favoriser l'installation d'un jeune agriculteur, mais aussi une clarification entre le patrimoine privé de l'exploitant et son patrimoine professionnel, notamment en cas de difficultés, comme nous en avons toujours rencontré dans le monde agricole.
La reconnaissance de ce fonds nécessite par ailleurs la mise en place d'un registre des fonds agricoles qui pourrait pleinement s'inscrire dans le registre de l'agriculture prévu dans le code rural.
Par conséquent, le dispositif proposé me semble trouver sa place dans la relance de la politique d'installation amorcée en 1995. Il est à même d'éviter le démembrement d'exploitations viables, qui disparaissent à raison de 2 000 à 5 000 par an, et il apporte une contribution générale à la politique de l'emploi, puisque de 2 à 3 emplois sont liés indirectement à une installation agricole.
Le deuxième point majeur, monsieur le ministre, est le statut du conjoint. Il vient d'être évoqué par mon collègue M. Grandon. J'y reviendrai donc brièvement.
Le texte crée un nouveau statut, celui de conjoint collaborateur d'entreprise, l'objectif étant ici d'offrir aux conjoints d'agriculteurs qui ne souhaitent pas devenir coexploitants ou associés de société un nouveau statut amélioré par rapport à l'actuel statut de conjoint participant aux travaux, dans la mesure où les droits d'assurance.
Le texte institue également une assiette forfaitaire provisoire de cotisations sociales pour les chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole qui débutent dans leur activité.
Il prévoit également que les conjoints ayant participé aux travaux avant de s'installer en qualité de chef d'exploitation verront leurs cotisations assises sur la part correspondant à leur participation aux bénéfices dans les revenus du foyer fiscal.
Enfin, pour le conjoint reprenant l'exploitation, l'assiette des cotisations sera constituée par les revenus dégagés par le cédant.
Quand on sait que la retraite forfaitaire actuelle du conjoint participant aux travaux est modeste, le dispositif proposé me semble constituer une évolution majeure.
En effet, aujourd'hui, dans le meilleur des cas, cette retraite forfaitaire est tout au plus égale à l'allocation aux travailleurs salariés, soit 17 417 francs par an en valeur 1997 - vous voyez à quel point je peux être précis. Et ce sont près de 139 000 conjoints d'exploitants agricoles qui se trouvent actuellement dans cette situation.
Le dispositif permet donc aux conjoints qui opteront pour ce nouveau statut d'acquérir dorénavant des droits non plus seulement à la retraite forfaitaire, mais aussi à la retraite proportionnelle, à concurrence de seize points par an, moyennant le versement par le chef d'exploitation d'une cotisation de 12,5 % sur une assiette fixée forfaitairement à quatre cents fois le SMIC. C'est clair !
Au terme d'une carrière de 37,5 années accomplies dans ces conditions, les intéressés seront assurés de percevoir une pension de retraite globale, retraite forfaitaire et retraite proportionnelle cumulées, de 29 249 francs exactement par an en valeur 1997, soit une amélioration de l'ordre de 71 % par rapport au statut actuel.
J'évoquerai un troisième et dernier point : la qualité et la valorisation des produits agricoles.
Le texte qui nous est soumis crée l'institut national de la qualité, chargé d'orienter la politique des signes de qualité et d'origine en France.
Cet institut a notamment pour objectif l'amélioration de la lisibilité des signes officiels de qualité et leur promotion auprès des consommateurs et des opérateurs économiques, la coordination entre l'institut national des appellations d'origine et la commission nationale des labels et certifications pour permettre une meilleure cohérence entre tous les signes de qualité existants, et l'établissement d'un lien permanent avec les instituts de recherche et les organismes de développement des démarches de qualité.
Le texte offre, par conséquent, la possibilité de mentionner un nom géographique sur les labels et certifications de conformité, en dehors de l'indication géographique protégée. Il se conforme, en outre, à la réglementation européenne en rendant obligatoire l'accréditation par le comité français d'accréditation. Il encadre, enfin, l'utilisation de l'indication de provenance.
Par conséquent, le dispositif proposé fait de la politique de qualité un élément essentiel de notre politique agricole et alimentaire. Je tiens à rappeler que ce dispositif correspond à une recommandation de notre groupe exprimée lors de l'épisode dramatique de la crise de la vache folle. Une véritable politique de qualité tant au plan national que communautaire est, vous n'en doutez pas, monsieur le ministre, le gage de la pérennité et du développement de notre agriculture.
Toutes ces mesures sont essentielles pour affirmer le modèle agricole français et pour assurer son avenir au sein de l'Union européenne.
Comme l'a souligné notre rapporteur, cette proposition de loi ne s'oppose en aucune façon au futur projet de loi agricole que vous allez soumettre au Parlement, monsieur le ministre. Elle prépare un avenir positif, en permettant la mise en place de mesures dont notre agriculture a besoin aujourd'hui, en ouvrant un véritable débat sur les questions fondamentales qu'elle soulève.
A la veille du Conseil de Luxembourg, cette proposition de loi revêt bien, dès lors, une valeur de symbole. En l'occurence, monsieur le ministre, l'enjeu est de taille : c'est la défense de notre modèle agricole.
Dans un environnement international et communautaire incertain, il est en effet impératif de doter notre agriculture des instruments nécessaires pour lui permettre de répondre pleinement aux attentes de notre société.
N'oublions pas que la perspective qui se présente pour de nombreux produits agricoles n'est pas très prometteuse en Europe. A supposer que la politique actuelle soit maintenue, un fort écart subsistera, malheureusement, nous le savons tous, entre les prix de l'Union européenne et les prix mondiaux au cours des prochaines années dans beaucoup de secteurs.
Or, compte tenu des engagements qui ont été contractés dans le cadre du cycle de l'Uruguay, s'agissant en particulier des aides à l'exportation, des excédents non exportables apparaîtront sans aucun doute après l'an 2000 dans l'Union européenne.
Un excédent structurel était déjà prévu pour la viande bovine avant que la situation ne se dégrade et ne s'aggrave avec la crise de la vache folle.
Cette crise, qui a entraîné, dès le mois de mars 1996, un effondrement des cours de la viande bovine et un fort recul de la consommation, n'a fait qu'amplifier des excédents structurels qui existaient depuis longtemps en Europe et dont les origines sont multiples.
Des difficultés croissantes vont aussi se présenter dans les secteurs des céréales, du sucre, du vin, de l'huile d'olive, du lait écrémé en poudre et pour certains autres produits laitiers, l'Union européenne risquant de perdre de plus en plus de terrain sur des marchés mondiaux en expansion.
Ce phénomène va irrémédiablement s'aggraver avec les propositions de réforme de la Commission de Bruxelles, qui préconise la suppression de la protection aux frontières, la réduction des subventions à l'exportation et la refonte des aides intérieures.
Monsieur le ministre, sachez que le groupe du Rassemblement pour la République s'oppose fermement à ces propositions, qui ne préservent ni la préférence communautaire ni l'identité agricole européenne.
M. Christian de La Malène. Très bien !
M. Philippe François. Nous n'accepterons jamais le fait que la Commission européenne n'ait pas la volonté politique de défendre de façon différenciée les intérêts de chacun de nos secteurs agricoles et qu'elle ne tienne pas compte des spécificités régionales de l'Europe.
Par conséquent, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est un signal d'alarme que nous adressons au Gouvernement.
Pour conclure, je tiens à dire que je juge regrettable le comportement de nos collègues socialistes, qui ont refusé de participer au débat démocratique que menait la commission des affaires économiques.
Je regrette que notre collègue Marcel Bony ait cru devoir sortir de la salle des séances. Je ne lui en veux pas des propos qu'il a tenus, pas plus que je n'en veux à notre collègue Fernand Tardy, qui a rédigé l'intervention ; je pense qu'il s'est laissé aller à quelque excès dans sa rédaction.
J'estime toutefois nécessaire de relever le caractère insultant de certains mots.
Je ferai d'abord remarquer qu'il ne s'agit pas d'une proposition de loi du seul groupe du RPR, mais qu'elle émane de l'ensemble de la majorité du Sénat de la République.
Je dirai ensuite que le Gouvernement n'a jamais annoncé le dépôt d'un projet de loi sur l'agriculture avant le débat que nous avons eu le 5 novembre, où nous avons dit - c'est moi-même qui, de cette tribune, l'ai fait, rappelez-vous, monsieur le ministre - que nous avions l'intention de déposer une proposition de loi sur le sujet.
Il se trouve que, trois jours après, le Premier ministre a annoncé, à la radio, qu'il envisageait de déposer un projet de loi.
Les propos mensongers de nos collègues sont donc bien insultants, et je tiens à ce qu'il soit acté que je les considère comme tels.
Je regrette que ceux qui ont parlé de « duperie » et de « mensonge » ne soient pas présents : on pourrait dire que, pour leur part, ils font preuve de lâcheté. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, je dois sur-le-champ corriger une inexactitude dans les propos que vient de tenir M. François.
C'est dans le discours de politique générale qu'il a prononcé au mois de juin que M. le Premier ministre a fait part de la volonté du Gouvernement de déposer un projet de loi d'orientation agricole.
M. le président. La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, soucieuse de l'avenir du territoire national et des hommes qui le composent, la majorité sénatoriale a pris la décision de déposer une proposition de loi portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture.
N'y voyez là, monsieur le ministre, aucune manoeuvre politique ou stratégique quelconque.
Considérez plutôt notre inquiétude, reflet de l'inquiétude de nos agriculteurs face aux échéances qui s'annoncent.
Au-delà de cette proposition de loi, qui est examinée ce jour même par notre assemblée, c'est un signal fort que nous adressons aux chefs d'Etat européens ; qui se réuniront les 12 et 13 décembre à Luxembourg, signal pour rappeler que l'agriculture française ne doit pas être oubliée ou sacrifiée au sein des grands débats géopolitiques.
Nous voulons démontrer que l'agriculture européenne peut garder son identité et sa spécificité, cette approche ne procédant pas d'une vision réductrice, passéiste ou protectionniste. Il s'agit tout simplement de la projection d'un modèle agricole qui nous est propre et que nous devons faire partager à nos partenaires en le rendant conforme aux règles de l'OMC.
Pourquoi une telle attitude, une telle approche me direz-vous ? Tout simplement parce qu'elle est la seule à bien prendre en compte le territoire et les hommes, ces deux paramètres déterminant le fondement et l'équilibre de notre société.
Ce texte s'inspire, en effet, en grande partie du projet de loi d'orientation déposé par M. Philippe Vasseur, le 6 mai dernier, sur le bureau de la Haute Assemblée, qui avait fait l'objet d'importantes concertations avec l'ensemble des organisations professionnelles et était fondé, sur le concept d'un « nouveau contrat entre l'agriculture et la société ».
Ce concept est plus que jamais d'actualité dans une « société d'inquiétude », qui a perdu un certain nombre de ses valeurs et de ses repères.
Parmi les sept titres de cette proposition de loi, qui couvrent, me semble-t-il, une grande partie des activités agricoles, je voudrais m'attacher à préciser les points qui concernent le problème des structures et de l'organisation économique.
L'inadaptation actuelle du contrôle des structures empêche environ un millier d'installations chaque année. Il convient, en effet, de pallier la dérive de la création des formules sociétaires, utilisées à seule fin de détourner la politique de contrôle des structures et qui favorise l'agrandissement des exploitations.
Cet état de fait existe dans beaucoup de départements français, et il est préjudiciable au renouvellement des générations.
Sans constituer un environnement législatif par trop coercitif, nous devons adapter notre politique des structures aux réalités d'aujourd'hui et aux objectifs de demain, conserver un nombre suffisant d'exploitations familiales à taille humaine et donner aux formules sociétaires une réglementation plus claire assortie d'éventuelles pénalités.
Je souhaite, monsieur le ministre, que les modifications des articles du code rural correspondantes retiennent toute votre attention.
Je me réjouis de la modernisation des organisations de producteurs instituées par la loi du 8 août 1962. Il était, en effet, important que ces groupements de producteurs s'insèrent désormais dans l'organisation commune des marchés et se trouvent ainsi soumis aux directives communautaires.
J'ai noté avec grand intérêt la priorité donnée, en matière d'aide publique, à la production organisée et, surtout, la modulation de cette aide publique en fonction du degré d'organisation.
J'ai noté également la rationalité de l'organisation interprofessionnelle par produit et son articulation entre le plan national et les différentes zones de production.
En ce qui concerne les rapports avec la grande distribution, si l'on peut se réjouir des avancées qui ont été réalisées par rapport à l'ordonnance de 1986, de nombreux progrès restent à faire, la présence de ses représentants au sein des organisations professionnelles étant importante. La recherche d'un meilleur partage de la valeur ajoutée est et doit rester une orientation majeure des organisations de producteurs. A cette fin, la place de la coopération est fondamentale. Il conviendrait de créer un fonds de modernisation des industries agro-alimentaires et, notamment, de la coopération.
En effet, les coopératives doivent relever le défi en adaptant les produits agricoles à des marchés de plus en plus segmentés et conquérir leurs parts grâce à des produits mieux identifiés.
Or, l'organisation économique actuelle des coopératives répond surtout à une logique de filière. Il faudrait donner aux coopératives les moyens financiers leur permettant de s'adapter à ces nouveaux enjeux.
Permettez-moi, monsieur le ministre, au-delà des objectifs de cette proposition de loi, de replacer l'agriculture française dans son contexte international et de vous parler des biotechnologies.
L'agriculture française a fait, au cours de la dernière décennie, des progrès considérables en termes de productivité, une productivité qui l'a portée aux tout premiers rangs des pays producteurs et exportateurs de produits agricoles transformés.
Cela dit, les progrès réalisés en termes tant de restructuration que de productivité s'essoufflent et il importe aujourd'hui d'aborder de nouvelles orientations pour notre agriculture.
Les biotechnologies font partie intégrante de ces évolutions. La France ne doit pas s'en désintéresser.
Voilà une quinzaine d'années, nous étions en avance sur le plan de la recherche fondamentale, de l'aveu même des Américains. Aujourd'hui, ce sont les firmes américaines qui ont une avance importante dans les domaines d'applications industrielles.
Je salue à nouveau le courage politique et la clairvoyance dont vous avez fait preuve en prenant la décision, le 27 novembre 1997, d'autoriser la culture du maïs transgénique.
Je regrette la cacophonie qui s'est fait entendre depuis au sein du Gouvernement, et je redoute les conséquences induites sur nos industries de transformation de déclarations qui tiennent plus de l'idéologie que de l'approche scientifique.
Le 19 septembre dernier, la Commission européenne a adopté un règlement, dit « règlement nouveaux aliments », prévoyant un étiquetage spécifique obligatoire des denrées alimentaires produites à partir du soja, du maïs génétiquement modifiés, dès lors qu'il n'y avait pas équivalence par rapport à un aliment conventionnel, non issu des biotechnologies.
Cette réglementation n'a que peu clarifié la situation puisqu'elle ne définissait pas la notion d'équivalence. Dès lors, des appréciations différentes peuvent apparaître entre les divers pays de l'Union européenne.
Ce flou juridique a conduit les industriels français de l'agroalimentaire à définir, le 20 novembre dernier, en concertation avec les entreprises de la distribution, une position commune en la matière, préconisant de faire figurer sur l'étiquette des aliments contenant une protéine nouvelle, issue du transgène, la mention suivante : « issu d'organisme génétiquement modifié », ou « génétiquement modifié », ou encore « modifié par les biotechnologies modernes ».
En pratique, cette mention aurait concerné les farines de soja, les protéines de soja et leurs dérivés, les farines, les semoules et gluten de maïs, qui entrent dans la composition de certains aliments.
Cette solution, adoptée d'ores et déjà par certains de nos partenaires européens, semblait fondée sur le bon sens. J'ai cru comprendre qu'elle recueillait l'assentiment des administrations françaises concernées. Elle permettait de répondre à l'impératif de transparence en matière alimentaire, tout en étant réaliste.
Ces orientations ont été remises en cause par la proposition du 3 décembre dernier de la Commission européenne : dans un nouveau projet de règlement, elle souhaite que l'étiquetage soit obligatoire dès lors qu'un aliment contient de l'ADN génétiquement modifié ou, si l'aliment n'en contient pas, s'il est possible d'y prouver la présence de protéines génétiquement modifiées.
Cette nouvelle définition du critère d'équivalence que propose de donner la Commission est trop large et conduira inévitablement à une banalisation de la mention « contient des OGM » sur les étiquettes de nombreux produits, y compris ceux dont la composition sera identique aux produits conventionnels, ce qui nuit à la bonne information du consommateur.
Si l'option de la Commission est retenue, c'est en effet la quasi-totalité des dérivés du soja et du maïs qui devraient être étiquetés. Reste à savoir si le consommateur pourra s'y retrouver.
M. Gérard César, rapporteur. Effectivement !
M. Jean Bizet. Je ne le pense pas.
En outre, la Commission recommande d'apposer, dans certains cas, sur l'étiquette des aliments, la mention « est susceptible de contenir des organismes génétiquement modifiés ».
Cette formulation très floue ne peut qu'entraîner la confusion et une inquiétude légitime dans l'esprit du consommateur. Ne revient-elle pas à dire que les industriels de l'agroalimentaire ne maîtrisent pas la composition de leurs produits ? Comment une telle information sera-t-elle ressentie par le consommateur ?
Les préjudices qui pourraient en résulter pour nos entreprises françaises, très présentes sur ce secteur, sont lourds. Leurs représentants se sont d'ailleurs inscrits en faux contre le projet de règlement et en ont averti la Commission européenne.
Le Comité permanent pour les denrées alimentaires, composé de représentants des Etats membres, doit se réunir pour discuter de la proposition de la Commission le 17 décembre prochain. S'il n'adopte pas la proposition de la Commission, celle-ci sera renvoyée au Conseil des ministres, qui devra en décider.
Je tenais, monsieur le ministre, à attirer votre attention sur ce point précis. Je formulerai maintenant trois souhaits.
Premièrement, il ne faudrait pas que le projet de règlement soit adopté en l'état, car le consommateur ne s'y retrouverait pas.
Deuxièmement, il conviendrait de mettre en place dans les quinze Etats membres une définition harmonisée de la notion d'équivalence, fondée sur la présence de protéines modifiées à partir de certains seuils.
Troisièmement, il importerait de définir des méthodes scientifiques de contrôle harmonisées, permettant la vérification des mentions portées sur les étiquettes.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de bien vouloir prendre conscience de cette problématique et d'apporter une réponse rapide sur ces trois derniers points. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Belcour.
M. Henri Belcour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre monde paysan connaît actuellement une crise sévère. Certes, il faut être objectif et le reconnaître : cette crise n'est pas récente et ses causes sont avant tout profondément structurelles.
On a souvent accusé notre Haute Assemblée - et je me suis laissé dire que certains continuent ces temps-ci à la montrer encore du doigt - d'être l'émanation outrancière de la sphère rurale et de lui accorder une attention tout particulière pour une importance qui, selon les mêmes, est devenue bien relative. Les principaux intéressés que sont les habitants de nos campagnes auront toute latitude pour apprécier. Ils savent au moins que le Sénat, qui leur prête toujours une oreille attentive, perçoit parfaitement les explications de la véritable crise d'identité qu'ils subissent.
Tout d'abord, le modèle de développement instauré par les grandes lois d'orientation mises en place par le général de Gaulle en 1960 et en 1962 demande à être redéfini, bien qu'ayant fait ses preuves durant plusieurs décennies.
Par ailleurs, alors que des efforts en matière de productivité sont consentis sans relâche, le revenu agricole diminue sans cesse.
En outre, la politique agricole commune, devenue incontournable, est aujourd'hui plutôt mal vécue et passe pour être davantage une contrainte qu'un atout. Plus globalement, le monde rural sent son décalage avec les villes s'accentuer, alors même qu'il se voit éloigné des véritables centres de décision, qu'ils soient nationaux, communautaires ou internationaux.
Il faut donc reconnaître que les difficultés sont nombreuses et que le milieu agricole s'avère très complexe. Par voie de conséquence, les remèdes sont loin d'être aisés à définir et à appliquer.
Au total, à certains moments, les agriculteurs peuvent apparaître durement éprouvés. Il pèse alors sur eux une grave menace de découragement et de démobilisation. Ils ont besoin d'un véritable projet fédérateur qui leur donne encore des perspectives d'avenir.
Leurs organisations professionnelles, dont le dynamisme n'est plus à démontrer, ne sauraient être mises en cause. Il suffit pour cela d'évoquer le grand rassemblement qui s'est tenu mardi, à Charolles, et qui, tout en prouvant la capacité de mobilisation des syndicats agricoles, a une fois de plus révélé leur aptitude à proposer des alternatives réalistes. Telle est notamment la volonté de nos éleveurs du Massif central.
En fait, la balle est dans le camp du politique. Et c'est là où nous nous devons d'intervenir.
Après un débat fructueux qui a permis à notre Assemblée de faire le point sur la situation de notre agriculture, après l'examen des crédits prévus pour l'année à venir, et au moment même où un Conseil européen doit préparer les négociations concernant la future Organisation mondiale du commerce, il faut à présent agir sans tarder.
C'est ce à quoi s'est attachée la majorité sénatoriale en élaborant cette proposition de loi.
Tout à l'heure, mon collègue Gérard César, au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, a parfaitement défini les enjeux et détaillé les dispositions de ce texte.
Pour ma part, je soulignerai la nécessité de certaines mesures qui sont ainsi prônées.
S'agissant des entreprises agricoles, il est proposé de fixer les objectifs prioritaires des aides financières de l'Etat. A cet égard, on ne saurait ignorer l'importance de la transmission des exploitations pour la pérennité de l'agriculture, et ce plus particulièrement dans les zones défavorisées. C'est pourquoi l'effort en faveur de l'installation des jeunes agriculteurs est une nécessité impérieuse.
Rappelons, à ce sujet, que les chiffres ne cessent de diminuer : alors que l'on comptait 33 000 installations en 1987, on n'en dénombrait plus que 15 000 en 1995. En ce qui concerne un département qui me tient à coeur - la Corrèze bien sûr ! - l'association départementale pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles a examiné, cette année, 80 dossiers d'installation, contre 109 l'an dernier.
Or, s'il perdure, ce phénomène affectera de manière funeste la vie des terroirs, par le défaut de mise en valeur des potentialités naturelles locales susceptibles d'induire à la fois des emplois et de la richesse.
Aussi ne peut-on que se féliciter de voir cet impératif traduit dans le présent texte. Prévoir une priorité des aides relatives à l'installation des jeunes dans des entreprises modernes et viables, c'est assurer les conditions nécessaires à la pérennisation d'une véritable agriculture compétitive.
En matière fiscale, il est proposé de substituer aux droits proportionnels un droit fixe pour la cession de parts de sociétés civiles agricoles. Là aussi, il est particulièrement opportun d'alléger les coûts de transmission des entreprises en matière de droits d'enregistrement.
On contribue ainsi au développement des exploitations sociétaires, dont les bienfaits en agriculture ne sont plus à démontrer.
Sur le plan social, il faut remédier rapidement à la situation de précarité avancée dans laquelle se trouvent aujourd'hui de nombreux retraités agricoles. En prévoyant un statut mieux défini du conjoint d'exploitant, il est envisagé, notamment, une amélioration en matière de droit à la retraite proportionnelle.
Rappelons à ce sujet que le projet de loi d'orientation préparé par M. Philippe Vasseur comprenait, à la demande du Président de la République, un volet concernant les retraites des agriculteurs. Ce dispositif avait pour objet la revalorisation progressive des pensions les plus faibles, de manière à assurer aux chefs d'exploitation, à leurs conjoints et aux aides familiaux un niveau minimal de revenus comparable à celui qui existe dans les autres secteurs d'activités. Le présent texte donne suite à cette volonté.
Je souhaite évoquer à présent un point qui me paraît également essentiel dans le cadre des actions à favoriser dans le domaine agricole et alimentaire.
Pour ma part, je suis tout à fait convaincu, comme bon nombre d'exploitants, qu'une agriculture moderne et performante, compétitive sur les marchés et dynamique à l'exportation, doit s'appuyer sur des productions de qualité et d'authenticité. Nos concitoyens - des faits récents le prouvent - sont et seront de plus en plus exigeants à ce sujet. Il était donc indispensable de rappeler cet impératif dans un texte d'orientation. Cela est fait par le biais de la création d'un Institut national de la qualité des produits agricoles et alimentaires.
Dans ce domaine, les deux instances existantes, à savoir l'Institut national des appellations d'origine, ainsi que la Commission nationale des labels et certifications, accomplissent parfaitement leurs missions. Une instance chargée d'orienter la politique de signes de qualité et d'origine en France était néanmoins nécessaire.
Les différentes dispositions qui figurent dans la présente proposition de loi ne sauraient s'opposer à un futur projet de loi d'orientation agricole. Notre but est essentiellement d'ouvrir un débat préparatoire, rendu nécessaire par l'impérieuse sauvegarde et la promotion d'un type français d'agriculture spécifique au sein de l'Union européenne.
Ces propositions, soumises au Sénat à la veille du Conseil de Luxembourg, ne sauraient laisser le Gouvernement indifférent. Elles sont, pour la plupart, ardemment attendues et soutenues par l'ensemble des acteurs du monde agricole. Il est donc indispensable de redéfinir une cohérence entre la loi d'orientation et la réforme de la politique agricole commune.
Les agriculteurs attendent rapidement un cadre d'action, monsieur le ministre. C'est à cette condition que nous pourrons infléchir le débat communautaire. Ne décevons pas nos agriculteurs ! (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai été un signataire un peu tardif, mais un signataire résolu, de cette proposition de loi, bien que j'aie par instant, sur tel ou tel point, sinon quelques états d'âme du moins quelques réticences.
Monsieur le ministre, si j'ai signé cette proposition de loi, c'est parce que je crois qu'en cette période d'incertitude les agriculteurs ont besoin qu'on leur adresse un signe.
La réforme de la politique agricole commune inquiète de nombreuses personnes. La mondialisation des marchés inquiète, elle, l'ensemble de nos compatriotes, lesquels oublient que, dans cette mondialisation, il y a un « challenge » , comme disent les Américains, terme qui est interprété chez eux comme un motif d'émulation, d'espoir et de volonté, mais qui est souvent perçu chez nous comme un motif de démobilisation, de crainte et de repli.
Nos agriculteurs doivent sentir que la représentation nationale et, si possible, le Gouvernement ont pour eux un minimum d'attention et souhaitent les aider à disposer des instruments qui leur permettent de moderniser leurs exploitations, de s'adapter à la fois aux conditions nouvelles des marchés sur lesquels ils déversent leurs produits et à l'évolution des marchés mondiaux.
Or notre pays souffre d'un certain nombre de handicaps, qui tiennent peut-être à nos traditions, mais aussi à la nécessité de créer un équilibre entre la conception civile que nous avons de l'exploitation et la manière dont le ministère de Bercy - après celui de la rue de Rivoli : M. Deneux connaît bien les combats qui sont menés depuis vingt-cinq ans ! - aborde la question de l'imposition de l'agriculture, oubliant totalement les caractéristiques très spécifiques de cette activité, l'énormité des capitaux engagés rapportés au chiffre d'affaires annuel et, bien entendu, aux bénéfices que peut dégager l'exploitation.
Tout cela mérite que l'on ouvre à nouveau une série de débats, car les agriculteurs ont besoin d'entrevoir les prémices d'une solution.
Monsieur le ministre, même si, personnellement, sur le fond, je peux avoir quelque perplexité, je crois que les pistes qui vous sont tracées au travers de cette proposition de loi ont au moins le mérite de réveiller un certain nombre d'assoupissements intellectuels, voire moraux, qui avaient tendance à s'emparer de notre pays s'agissant des rapports de notre population, de nos gouvernants et du Parlement avec notre agriculture, qui demeure l'une des forces majeures de notre pays.
N'oublions pas qu'elle est l'une de nos forces exportatrices les plus sûres et les plus constantes ni qu'elle est exposée à des concurrents très résolus qui veulent l'empêcher d'accéder aux marchés internationaux.
Notre agriculture a besoin de s'adapter.
Il faut encourager l'installation des jeunes et réorganiser les structures.
Nos agriculteurs ont besoin de sécurité dans les domaines juridique, financier et fiscal.
Cette proposition de loi ouvre des pistes de réflexion que nous devons explorer. Nous ne pouvons pas laisser le voile de l'oubli, ou de l'indifférence, recouvrir une nouvelle fois tous les problèmes du monde agricole.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, je me réjouis de ce débat. J'espère que vos réponses apporteront un message d'espoir que nous pourrons transmettre aux agriculteurs, qui constituent une partie importante de la population de nombreux départements, dont celui que je représente. Nos agriculteurs ont en effet besoin de voir s'ouvrir devant eux des perspectives autres que le fameux « paquet Santer », qui, entre nous soit dit, a de quoi inquiéter s'il n'est pas assorti de contrepartie. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, après avoir consulté M. François, vice-président de la commission des affaires économiques, il ne me semble pas que nous puissions achever l'examen de cette proposition de loi d'ici à vingt heures.
Nous allons donc interrompre maintenant nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Paul Girod.)

présidence de M. Paul Girod,
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion des conclusions du rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture.
Je rappelle que la discussion générale a été close avant la suspension.

Demande de renvoi à la commission



M. le président.
Je suis saisi par MM. Lefebvre, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen d'une motion n° 8, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission les conclusions de la commission des affaires économiques et du Plan sur la proposition de loi de M. Gérard César et plusieurs de ses collègues portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture (n° 155, 1997-1998). »
Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contaire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à M. Lefebvre, auteur de la motion.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres du groupe communiste républicain et citoyen ont déposé une motion de renvoi à la commission, car la proposition de loi portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture qui doit être examinée ce soir leur paraît inopportune. Ce texte témoigne en effet, à leur sens, d'une politique politicienne qu'ils ne peuvent accepter.
En effet, la majorité sénatoriale se doit de respecter la volonté populaire et donc le Gouvernement en place, tout en jouant son rôle de force d'opposition dans le contexte actuel, rôle que personne ne conteste ici. Ce sont les règles du jeu politique. Nous sommes bien évidemment favorables aux initiatives parlementaires.
Néanmoins, la proposition de loi examinée aujourd'hui cherche à précéder une loi d'orientation agricole en cours d'élaboration qui devrait être examinée par le Sénat au printemps prochain. Une telle démarche, relevant de l'opposition de blocage ou de l' a priori , ne nous semble pas digne - je vous le dis franchement, cher Gérard César - de représentants élus qui sont responsables et qui veulent faire avancer les choses.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, présentera son projet de loi d'orientation agricole prochainement. Il sera alors temps de débattre du contenu de ce texte et de le modifier éventuellement, selon les règles parlementaires.
La présente proposition de loi, qui reprend en fait l'essentiel du projet de loi d'orientation déposé par M. Vasseur, entend se substituer ou, en tout cas, précéder la loi d'orientation du Gouvernement.
Cela n'enrichira en rien le débat sur l'avenir de notre agriculture, question essentielle pour notre pays qu'il nous faut considérer avec sérieux et sereinement, et non pas utiliser à des fins de « manoeuvre » politicienne.
Notre demande de renvoi à la commission vise à attendre l'examen du projet de loi d'orientation agricole pour discuter du contenu de la présente proposition de loi, laquelle s'inscrira alors parfaitement dans le débat. Cela ne pourra d'ailleurs qu'accroître la cohérence et donc la pertinence de la discussion, qui gagnerait sans aucun doute à une présence beaucoup plus soutenue de nos collègues ! (Sourires.)
En effet, je le répète, il est essentiel pour notre agriculture de trouver de nouvelles solutions, de nouveaux axes de développement, un dynamisme qui lui permette de répondre aux défis actuels et de s'imposer, dans sa spécificité, aux niveaux européen et international. Je pense que nous sommes tous d'accord sur ce point. Les agriculteurs attendent beaucoup du Gouvernement comme de l'ensemble des élus pour améliorer leur situation souvent difficile.
Or la réforme de la politique agricole commune se dessine. Elle implique, en l'état, une mise en concurrence exacerbée des agriculteurs sur le marché mondial par l'abaissement des prix agricoles à la production au niveau des cours mondiaux et par la suppression à terme de la préférence communautaire.
En fait, cette réforme constitue un véritable « acte de guerre » contre l'agriculture familiale française et, plus généralement, contre une agriculture européenne de qualité.
Le projet est de toute évidence fortement marqué par une logique capitaliste et productiviste, avec les conséquences d'accentuation des déséquilibres écologiques et territoriaux, la baisse du revenu de la majorité des agriculteurs et la disparition de très nombreuses exploitations.
Il est donc plus que jamais nécessaire, pour notre pays, de donner une nouvelle orientation à cette réforme de la politique agricole commune, sous peine de mort de notre agriculture. La France, en tant que première puissance exportatrice de produits agricoles en Europe, en a les moyens.
Nous nous félicitons que telle soit également la volonté du ministre de l'agriculture ; ce dernier a en effet défendu à plusieurs reprises les intérêts de l'agriculture française à Bruxelles contre les pressions fortes de démantèlement et de libéralisation. M. Louis Le Pensec a notamment affirmé qu'il n'accepterait pas le projet de réforme en l'état, ce qui nous paraît une bonne chose.
La France doit oeuvrer à réorienter le projet vers une approche privilégiant l'agriculture diversifiée de qualité, respectueuse de l'environnement, des territoires et, surtout, des hommes qui la font.
La loi d'orientation agricole qui sera examinée au printemps pourra constituer une base de référence française témoignant de notre vision de l'avenir de l'agriculture lors des négociations à Bruxelles.
Le document préparatoire de la loi d'orientation agricole, qui a été présenté par M. Le Pensec voilà quelques mois, nous semble comporter de nombreux éléments intéressants pour la logique de la future loi, confirmés dans les priorités du budget, même si certaines lacunes et insuffisances sont toutefois à regretter, selon nous.
Nous nous félicitons notamment de la volonté affirmée de contrôler les structures et de limiter les concentrations des exploitations ainsi que de la priorité donnée à l'installation des jeunes, élément indispensable pour la survie de notre agriculture dans sa diversité.
D'autres choix nous semblent judicieux : le développement d'une agriculture diversifiée, de la qualité et de la sécurité sanitaire, la volonté de replacer le territoire au coeur de la politique agricole, l'amélioration de l'enseignement.
Au-delà de la question de l'agriculture stricto sensu , un grand débat de société doit s'instaurer, en France, sur l'avenir du monde rural. Cela concerne l'ensemble de nos territoires et donc de notre société. Ce débat devrait inclure l'ensemble des acteurs avec les agriculteurs.
L'agriculture française doit faire face à un contexte et à des défis nouveaux.
Il faut y répondre avec la volonté de donner la priorité soit aux hommes, à la qualité et aux territoires dans laquelle elle s'inscrit, soit, à l'inverse, à la performance quantitative dans un contexte de guerre économique et de liberté des marchés profitant à quelques grands groupes.
La démarche du Gouvernement nous semble pouvoir aller dans le bon sens, même si nous restons très vigilants et si nous attendons la loi d'orientation agricole et l'attitude gouvernementale lors des négociations à Bruxelles.
Si nous sommes par ailleurs favorables à un débat incluant l'ensemble des propositions, selon les règles démocratiques, nous refusons les procès d'intention et les artifices de procédure.
Dans ces conditions, je réaffirme notre volonté, dans un souci d'efficacité et de cohérence, de voir le contenu de la présente proposition de loi examiné lors du débat que nous aurons au printemps prochain. Je propose donc à l'ensemble du Sénat de voter cette motion à l'ensemble du renvoi à la commission pour permettre une confrontation réellement démocratique des idées.
M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?...
Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Mes chers collègues, nous avons tous pris acte de l'annonce par M. le Premier ministre, lors de la déclaration de politique générale du Gouvernement, de la préparation d'un projet de loi d'orientation agricole.
Or, comme vous le savez certainement, M. Vasseur avait déposé sur le bureau du Sénat, le 6 mai dernier, un projet de loi d'orientation sur l'agriculture.
En reportant au deuxième trimestre de 1998 le dépôt du nouveau projet de loi d'orientation agricole, le Gouvernement n'a pas pris la pleine mesure des enjeux en cause. En effet, ce texte risque d'arriver soit trop tard pour influer sur les propositions de la Commission européenne au sujet de la politique agricole commune, soit trop tôt pour en tenir compte.
Par ailleurs, je tiens à préciser que la proposition de loi qui a fait l'objet d'un examen par la commission des affaires économiques avait été déposée sur le bureau du Sénat le 1er octobre 1997. Les commissaires ont donc eu tout loisir d'en prendre connaissance. Quant aux propositions du rapporteur pour les conclusions à donner sur le texte, elles ont été exposées de façon détaillée par mes soins lors de notre réunion du mardi 3 décembre. Nous nous sommes donc, me semble-t-il, prononcés en connaissance de cause.
Par conséquent, je saisis mal le sens et l'intérêt de la motion de renvoi à la commission déposées par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen.
J'ajouterai, à l'adresse de M. Bony qui, malheureusement, a quitté l'hémicycle un peu trop tôt, que l'origine du retard du projet de loi d'orientation déposé par M. Vasseur est surtout à rechercher dans les arbitrages interministériels, qui ont été fort longs, et dans l'attitude du ministère de l'économie et des finances.
Vous savez bien en effet, monsieur le ministre de l'agriculture et de la pêche, que, quel que soit le gouvernement, Bercy est toujours précis, directif et décisif en matière financière. Chaque ministre doit en tenir compte.
Je crois d'ailleurs savoir, monsieur le ministre, que la concertation sur votre projet de loi d'orientation agricole est marquée par de longs monologues. Est-ce pour cela que le nouveau texte est retardé ?
J'ajouterai, à l'intention de MM. Bony et Lefebvre, que l'initiative des lois, sous la Ve République, appartient concurremment au Gouvernement et au Parlement. Par conséquent, avec le dépôt de cette proposition de loi, c'est la démocratie que je défends dans cette enceinte, tant au nom de la commission des affaires économiques que de la majorité sénatoriale, à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.
Estimant tout à fait indispensable qu'une proposition de loi voie le jour au sein de la Haute Assemblée, j'émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur la demande de renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Monsieur le ministre, ainsi que vous l'avez souhaité, je vous donne maintenant la parole, pour répondre aux orateurs et pour donner l'avis du Gouvernement sur la demande de renvoi à la commission.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieures les sénateurs, les groupes de la majorité du Sénat ont souhaité mettre à l'ordre du jour de vos travaux une proposition de loi portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture.
Monsieur le rapporteur, vous avez rappelé que le Gouvernement prépare, en concertation avec l'ensemble des partenaires concernés, un projet de loi d'orientation agricole qui sera soumis au Parlement au cours du premier semestre de 1998.
Vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'après l'annonce qui en a été faite par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale du mois de juin, je suis venu présenter devant vous les grandes lignes de ce projet de loi au cours d'un débat d'orientation qui s'est tenu au sein de la Haute Assemblée le 5 novembre dernier. Je précise que, dès septembre, vous aviez été destinataires d'un courrier précisant les lignes de force de ce projet de loi.
Nous en avons reparlé à l'occasion de l'examen du budget du ministère de l'agriculture et de la pêche, que vous avez examiné le 2 décembre dernier.
Vous êtes donc informés des travaux engagés par le Gouvernement dans ce domaine et du calendrier selon lequel ces travaux sont conduits.
Un groupe de concertation s'est réuni chaque semaine depuis trois mois au ministère de l'agriculture et de la pêche. Je voudrais insister, à ce propos, sur ma volonté de conduire une concertation réelle, approfondie et large pour préparer un texte s'appuyant sur la prise en compte de l'ensemble des points de vue. Le groupe de travail, dont je répète qu'il s'est réuni chaque semaine, aura rassemblé des représentants professionnels agricoles et agro-alimentaires dans leur diversité.
Ainsi, hier matin encore, j'avais une réunion de travail avec le président de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA, la présidente du centre national des jeunes agriculteurs, le CNJA, et le président de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture, l'APCA. J'ai cru noter que, dans les auditions auxquelles vous avez procédé, aucune de ces personnes n'a pu être entendue, soit qu'elles n'y tenaient pas, je pense au président de l'APCA, soit qu'elles se soient fait représenter.
Au-delà de ces représentants professionnels, ce groupe de travail a réuni également les représentants des consommateurs, des associations écologistes, des salariés de l'agro-alimentaire, du monde de la recherche et de l'enseignement. Je ne peux pas citer tout le monde, mais je voulais insister sur ma volonté d'organiser la confrontation des points de vue la plus large possible pour préparer ce texte.
Un projet de texte sera préparé avant la fin de l'année, et il fera l'objet de concertations complémentaires.
Ce texte pourra être examiné en conseil des ministres dans la première moitié de l'année 1998, afin d'être soumis au Parlement avant l'été.
Tel est le calendrier qui guidera mon action dans ce domaine au cours des prochains mois. Il me semble suffisamment précis et court pour répondre à l'attente légitime des agriculteurs et de tous leurs représentants, qui souhaitent voir définies les lignes de force de la politique agricole, celle que notre pays entend mettre en oeuvre dans les années qui viennent.
Vous motivez néanmoins par l'urgence la nécessité d'examiner dès aujourd'hui un certain nombre de mesures, dont certaines pourraient prendre place dans le projet de loi que je viens d'évoquer.
Le rapport de la commission des affaires économiques et du Plan explique à ce propos qu' « en reportant au premier semestre 1998 l'examen du nouveau projet de loi d'orientation agricole, le Gouvernement a pris le risque de présenter un texte soit trop tardivement pour influer sur les propositions de la Commission européenne au sujet de la réforme de la politique agricole commune, soit trop tôt pour en tenir compte ».
Je note, d'ailleurs, que le rapport que je viens de citer n'est pas exempt de contradictions, puisqu'il indique, un peu plus loin, que « cette proposition ne s'oppose en aucune façon au futur projet de loi d'orientation agricole : elle le prépare en permettant la mise en place de mesures dont notre agriculture a besoin rapidement en ouvrant un véritable débat ».
S'il ne s'agissait que d'ouvrir le débat, je pense que nous l'avons déjà largement fait entre nous et que nous aurons, d'ailleurs, encore de nombreuses occasions de le poursuivre afin de le conduire jusqu'à son terme.
Mais j'en reviens à cette idée d'urgence.
Quel est le calendrier que nous avons devant nous ?
Sous quarante-huit heures, se réunit à Luxembourg un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne pour examiner dans toutes ses dimensions ce qu'il est convenu d'appeler l'Agenda 2000, c'est-à-dire, notamment, les décisions que l'Union européenne doit prendre en matière d'élargissement de l'Europe des Quinze à un certain nombre de pays d'Europe centrale et orientale ainsi que les règles budgétaires pour la période 2001-2006.
Comme je l'ai dit cet après-midi lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement, la France entend bien lier son accord à l'engagement des négociations sur l'élargissement et à l'affirmation des principes concernant un certain nombre de politiques structurelles, singulièrement la politique agricole.
Les responsables syndicaux qui ont rencontré la semaine dernière tant M. le Premier ministre que le chef de l'Etat ont entendu dire, à ces deux niveaux, la volonté de la France de voir l'Europe prendre en compte l'affirmation d'une identité agricole européenne et avoir les moyens de son ambition. Le respect de la ligne directrice financière agricole garantit que la réforme aura ces moyens.
Le volet qui concerne la réforme de la politique agricole commune de cet Agenda 2000 a été examiné au cours de trois sessions du conseil des ministres de l'agriculture en septembre, en octobre et en novembre. J'apporte ces précisions car j'ai entendu, à plusieurs reprises, dans cette enceinte, mentionner les « futures négociations » de la réforme de la PAC. Elles ne sont pas futures ; nous y sommes ! Mais que l'Europe ait devant elle d'autres grands rendez-vous, ceux des négociations concernant l'élargissement et l'organisation mondiale du commerce, c'est incontestable.
S'agissant de la réforme de la PAC, un premier examen a donc eu lieu, qui s'est conclu par l'adoption d'une résolution sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir dans quelques instants.
Le débat sur la réforme de la PAC au sein des conseils des ministres des Quinze ne reprendra sans doute pas avant le printemps, lorsque seront connues les propositions de règlement auxquels la Commission va se mettre à travailler ou travaille déjà, dans certains cas.
Ce que l'on peut prévoir des négociations laisse penser que celles-ci pourraient être conclues à la fin de l'année 1998, c'est-à-dire après les élections en Allemagne. Toutefois, il ne s'agit que de mon pronostic, et les négociations pourraient se poursuivre, après tout, en 1999.
Il faut avoir ce calendrier en tête pour juger de l'opportunité du moment auquel notre projet de loi d'orientation agricole nationale devra être discuté et adopté par le Parlement.
J'ai indiqué mon souhait de voir ce projet de loi soumis à la discussion des parlementaires dans le courant du premier semestre de 1998. Il traduira une vision cohérente, un projet pour l'agriculture, que je défends aussi bien à Bruxelles qu'à Paris.
De ce point de vue, je peux vous dire de la façon la plus nette que je n'ai pas attendu l'adoption de la loi d'orientation agricole pour défendre à Bruxelles les intérêts de nos agriculteurs et l'ambition que j'entends bien donner à la politique agricole française et européenne.
Je voudrais vous rappeler, notamment, que j'ai pu présenter de façon extrêmement détaillée les objectifs qui sont les miens, notamment dans la négociation sur la réforme de la PAC à l'occasion du conseil des ministres de l'agriculture du 17 novembre dernier.
A cette occasion, j'ai indiqué que, si une réforme de la politique agricole commune était souhaitable pour de nombreuses raisons, qui tiennent aussi bien à ses difficultés internes de fonctionnement qu'aux évolutions internationales prévisibles - un certain nombre d'entre vous ont évoqué les excédents auxquels nous pourrions être confrontés - je ne pourrais pas, et le Gouvernement français ne pourrait pas accepter le projet de la Commission s'il n'était pas amendé de façon très substantielle. En d'autres termes, les propositions du paquet Santer ne sont pas, en l'état, acceptables.
MM. Emmanuel Hamel et Pierre Lefebvre. Très bien !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. J'ai d'ailleurs présenté devant vous, il y a peu, les amendements très importants que je demande à la Commission de prendre en compte pour améliorer son projet.
J'ai défendu à Bruxelles l'idée qu'une réforme de la politique agricole commune devait permettre de préserver les moyens d'intervention publique pour organiser les marchés et défendre l'agriculture communautaire, sa diversité et ses spécificités.
Au nombre des propositions du paquet Santer, figure, en effet, l'abandon des moyens d'intervention publique, outil qui, pourtant, en période de crise, a montré sa pertinence et son efficacité. Il n'est pas question pour la France d'accepter la liquidation de la politique agricole commune et de s'en remettre à la concurrence sauvage comme seule règle avec laquelle les agriculteurs devraient désormais compter.
M. Emmanuel Hamel. Il n'en est pas question, vous avez bien raison !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je me suis également battu pour que le conseil des ministres de l'agriculture reprenne ce point de vue, dans la perspective du sommet européen de Luxembourg, en insistant sur la nécessité de préserver les moyens de financement de la politique agricole commune à venir. Très concrètement, cela signifie que la ligne directrice agricole budgétaire, telle qu'elle est prévue, dans son principe et dans ses modalités de calcul, d'ici à l'année 2006, doit être préservée.
J'ai refusé - et vous avez été nombreux à rejeter cette proposition de la Commission - le recours à la baisse généralisée des prix pour tous les principaux secteurs de production agricole comme solution aux difficultés d'adaptation que l'agriculture européenne pouvait être conduite à rencontrer dans les années à venir.
Je n'accepte pas la proposition de la Commission qui consisterait à diminuer le prix garanti des produits laitiers et à instaurer un mécanisme de primes à la vache laitière pour compenser les effets négatifs de cette baisse de prix sur le revenu des agriculteurs. ( M. le rapporteur fait un signe d'approbation.)
Si je refuse la proposition de baisse des prix du lait, c'est parce que je considère qu'elle porte en germe la remise en cause, à moyen terme, du régime des quotas laitiers.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Or ce régime, malgré les inconvénients qu'il peut comporter, a été, depuis plus de dix ans, le meilleur garant du maintien d'une production laitière sur l'ensemble du territoire français. Je suis convaincu que sa remise en cause serait lourde de conséquences extrêmement néfastes pour cette production et, surtout, pour sa répartition sur l'ensemble du territoire.
M. Emmanuel Hamel. Vous avez raison !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je me bats également pour que les propositions de la Commission en matière d'organisation commune du marché de la viande bovine soient revues de fond en comble.
J'ai également récusé la baisse de 30 % du prix institutionnel de la viande bovine proposé par la Commission. En effet, cette mesure ne me paraît pas répondre aux difficultés auxquelles est confrontée cette filière, qui demeure fragile, car la baisse des prix à la production ne se répercute pas mécaniquement à la consommation. De ce fait, la relance espérée de celle-ci risque de ne pas être au rendez-vous, tandis que le revenu des éleveurs se trouverait compromis à coup sûr.
M. Emmanuel Hamel. Bonne analyse !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. J'ai demandé que la Commission fasse d'autres propositions, fondées sur un ajustement limité des prix au niveau nécessaire pour maintenir la compétitivité de la viande rouge par rapport à la viande blanche, et qu'elle arrête des mesures adaptées de maîtrise de la production, portant à la fois sur le troupeau laitier et sur le troupeau allaitant.
Le revenu des éleveurs bovins doit être préservé, comme nous le rappellent chaque semaine les manifestations régionales. Nous savons tous qu'il figure déjà parmi les plus bas de la profession agricole, et une nouvelle dégradation de la situation ne serait pas acceptable. C'est pourquoi les baisses de prix devront être intégralement compensées.
Par ailleurs, l'apport que cette activité représente en matière d'occupation du territoire doit être pris en compte dans le calcul des aides directes au revenu des éleveurs de viande bovine.
Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, je veille très scrupuleusement à ce que la baisse du prix des céréales ne soit pas l'occasion d'une remise en cause de la préférence communautaire, ni de l'apparition d'un déséquilibre entre la culture des céréales, d'une part, et celle des oléagineux, d'autre part. J'ai d'ailleurs fait des propositions précises devant le conseil des ministres de l'agriculture pour que cet équilibre soit préservé, et j'ai souligné le fait que les dispositions en vigueur avaient permis de développer dans notre pays des filières industrielles à partir des oléagineux et des oléo-protéagineux.
Je souhaite que cette réforme de la politique agricole commune soit l'occasion d'instaurer des mécanismes qui permettent une meilleure répartition des aides entre les agriculteurs et une meilleure prise en compte des différentes fonctions que remplit l'agriculture.
En effet, celles-ci, cela a été dit à cette tribune, ne se résument pas, nous le savons bien, à la production de denrées alimentaires. C'est pourquoi je soutiens l'idée d'un plafonnement communautaire des aides, tel que proposé dans le « paquet Santer » et surtout la possibilité de moduler celles-ci sur un plan national, en vertu du principe de subsidiarité. En utilisant plus finement les outils de la politique agricole, nous pourrons en corriger les effets négatifs et rééquilibrer les choses en mettant un coup d'arrêt à la concentration des exploitations et des productions.
Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, je n'ai pas attendu l'adoption de la loi d'orientation pour affirmer une conception de l'agriculture pour notre pays et pour défendre celle-ci devant les instances appropriées.
Cette conception ne vise pas, je vous rassure tout de suite, à organiser deux agricultures, l'une axée sur le marché mondial et qui trouverait son aire de croissance privilégiée dans les zones agronomiques les plus favorisées, et l'autre qui serait une agriculture subissant des handicaps naturels, fragile et bénéficiant prioritairement des aides publiques. Ce dualisme - ayons l'honnêteté de le reconnaître entre nous - est largement favorisé par les mécanismes actuels de la politique agricole commune et, pour tout dire, par les mécanismes qui existent à l'échelon communautaire depuis les débuts de la construction européenne.
Ce sont des vérités souvent rappelées que 80 % des aides vont à 20 % des exploitations ou que la politique agricole commune, en faisant appel presque exclusivement à des mécanismes de distribution des aides en fonction des quantités produites ou de la taille des exploitations, a conforté celles dont la taille et le volume de production sont les plus importants, étant d'ailleurs, ces exploitations, situées généralement dans les zones agricoles les plus favorisées. C'est précisément cet état de choses qu'il faut modifier, en défendant la même politique à Bruxelles, à Paris, ou dans le Massif central.
Telle est l'ambition que nous poursuivons à travers le projet de loi d'orientation auquel nous travaillons actuellement.
Le contrat territorial d'exploitation, qui sera le nouvel instrument de la politique agricole que je proposerai par le biais de ce projet de loi, s'adressera à l'ensemble des exploitations agricoles de notre pays, où qu'elles soient situées et quelle que soit leur activité. Son objet est non pas d'instaurer ou de renforcer je ne sais quel dualisme entre les exploitations agricoles, mais de substituer à des systèmes d'aides publiques fondés sur des règles d'attribution mécaniques liées à un volume de production une relation contractuelle entre les agriculteurs et les pouvoirs publics qui prenne en compte tous les aspects de l'activité des exploitations agricoles.
Les responsables professionnels que j'ai reçus hier ont tenu à souligner l'intérêt qu'ils portaient à ce concept de contrat territorial d'exploitation.
Il s'agit de traduire dans les faits la nécessité d'instaurer un nouveau contrat entre l'agriculture et la nation.
Ce contrat reposera sur la volonté de maintenir une agriculture vivante sur tout le territoire remplissant toutes les fonctions que les citoyens attendent d'elle. Cela implique qu'il soit mis un terme à la concentration des exploitations et à l'accroissement permanent de leur taille au détriment de l'installation de jeunes agriculteurs.
A ce propos, j'entends bien prendre les mesures nécessaires pour permettre un contrôle effectif du développement des exploitations sous forme sociétaire - j'ai bien entendu les observations de M. le rapporteur - contrôle qui est impossible dans l'état actuel de notre droit.
Je souhaite également favoriser l'information des candidats à l'installation sur les terres qui se libéreront et prévoir l'obligation d'établir, chaque année et dans chaque département, un rapport public sur l'installation, qui fera le bilan de l'utilisation des terres libérées.
J'ai le souci de veiller à ce qu'il y ait une totale cohérence entre les positions défendues par le Gouvernement au plan communautaire et les mesures qu'il entend promouvoir au plan national.
En disant cela, je crois répondre, mesdames, messieurs les sénateurs, à votre préoccupation s'agissant de la date d'adoption du projet de loi d'orientation. Présenté dans le courant de l'année 1998, il viendra à son heure pour concrétiser, à l'échelon national, les orientations que le Gouvernement défend aujourd'hui à l'échelon communautaire. Il contiendra les outils dont nos agriculteurs ont besoin pour conforter la présence d'une agriculture vivante sur l'ensemble du territoire.
Renvoyer l'adoption d'un tel texte à une date postérieure à celle de la réforme de la PAC serait bien entendu une erreur. En effet, cela en modifierait totalement le contenu et ne permettrait pas d'affirmer la cohérence que je viens d'évoquer. Il s'agirait non plus alors d'une loi d'orientation, mais d'une loi d'adaptation à une réforme déjà adoptée, voire d'une loi de compensation des effets éventuels de cette réforme. Elle manquerait naturellement l'objectif qui lui est fixé et ne permettrait pas de répondre aux grandes questions qui nous sont posées.
La proposition de loi qui est présentée aujourd'hui ne répond pas, quant à elle, à cette ambition ; elle n'y prétend d'ailleurs pas, puisque M. le rapporteur indique qu'elle ne s'oppose ni ne se substitue à un futur projet de loi d'orientation.
Elle en reprend cependant certaines têtes de chapitre, en s'inspirant largement du projet de loi présenté par mon prédécesseur. Ce texte, faut-il le rappeler ? ne faisait pas l'unanimité. Il était inspiré par une certaine vision de l'agriculture plus soucieuse de performances économiques sur les marchés extérieurs à l'Union européenne que de défense d'une agriculture diversifiée, nombreuse et vivante sur l'ensemble du territoire.
Ce texte contesté a d'ailleurs fait l'objet, à la demande des professionnels de l'agriculture, de lettres rectificatives qui n'ont jamais donné lieu à un examen en bonne et due forme, les électeurs en ayant décidé autrement.
M. Philippe François. Pour d'autres raisons !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. La démarche consistant à reprendre des fragments d'un projet contesté pour en proposer l'adoption en dehors de tout projet d'ensemble et de toute concertation préalable approfondie ne me paraît pas appropriée.
Une loi d'orientation ne peut pas être préparée et approuvée à la sauvette. Son élaboration suppose au contraire un travail sérieux, en concertation avec les agriculteurs et leurs représentants, car préparer ce nouveau contrat entre l'agriculture et la nation implique bien entendu qu'un dialogue s'instaure avec toutes les composantes de la société. Je m'attache à cette démarche depuis ma prise de fonction, et je considère que ces efforts ont été utiles et ont débouché sur la conception d'idées nouvelles.
La même logique guidera les travaux de réflexion qui seront conduits par M. Jean-Louis Bianco, député et ancien président de l'office national des forêts, qui vient d'être chargé par M. le Premier ministre de préparer un projet de loi de modernisation sur la forêt.
M. Philippe François. Il n'a jamais vu un arbre de sa vie !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je regrette de vous avoir entendu, monsieur François.
M. Philippe François. Vous pensez comme moi, monsieur le ministre !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Pas du tout ! C'est parce que je tiens en haute estime Jean-Louis Bianco et que je ne doute pas de sa connaissance des problèmes de la forêt que j'ai chaudement approuvé sa désignation.
M. Philippe François. L'estime n'a rien à y voir !
M. le président. Je vous en prie, mon cher collègue !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je partage l'opinion des sénateurs qui ont présenté cette proposition de loi sur au moins un point : l'agriculture française ne saurait se contenter de quelques mesures ponctuelles, et nous devons lui offrir un cadre cohérent susceptible de garantir son développement à long terme.
Les éléments que j'ai rassemblés au cours du travail de préparation du projet de loi que le Premier ministre m'a demandé de mener à bien permettront au Gouvernement de vous soumettre, à brève échéance, un texte reflétant une conception d'ensemble de l'agriculture et de son avenir. Je tiendrai compte, bien entendu, du débat que nous avons eu aujourd'hui.
Je ne peux pas répondre à chacun des intervenants, mais j'ai pris bonne note des remarques qui m'ont été adressées. Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande de bien vouloir prendre en compte également le point de vue que je viens d'exposer, la cohérence qu'il traduit et l'assurance que je suis venu vous apporter qu'il vous sera donné très rapidement l'occasion d'examiner un texte d'ensemble, dont je pense qu'il permettra d'écrire une nouvelle page de la politique agricole et d'infléchir réellement celle-ci pour préparer notre agriculture à affronter l'avenir.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est parce que le projet de loi que je vous présenterai bientôt répond à l'ambition de tracer une logique d'ensemble et non au souci de prendre des mesures ponctuelles que le Gouvernement n'entrera pas dans la discussion de chacun des articles de la proposition de loi, à laquelle il ne saurait souscrire. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous demander quelle est votre opinion précise sur la motion tendant au renvoi à la commission.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je ne participerai pas à la discussion sur les articles.
S'agissant de la motion, je crois qu'il découle de ce que j'ai dit qu'il me paraît judicieux de se donner le temps de réfléchir, de continuer à travailler et d'engager une concertation. Le Gouvernement peut donc comprendre les motivations de ses auteurs.
M. le président. J'entends bien, monsieur le ministre, mais êtes-vous favorable ou défavorable à la motion de renvoi à la commission, ou bien vous en remettez-vous à la sagesse du Sénat ? Pardonnez-moi de vous torturer ! (Sourires.)
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Cela ne m'est pas une torture ! J'émets un avis favorable sur la motion.
M. le président. C'est bien ce que je pensais, mais il fallait que cela fût dit.
M. Gérard César, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard César, rapporteur. Je souhaiterais faire remarquer à M. le ministre que la commission des affaires économiques a procédé à des auditions.
Ainsi, j'ai rencontré personnellement le président de la confédération française de la coopération agricole, la CFCA, le directeur de la mutualité sociale agricole, M. Lenoir, deux secrétaires généraux adjoints de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles et les vice-présidents du centre national des jeunes agriculteurs. Je crois qu'il s'agit là d'interlocuteurs qualifiés ! Quant à l'assemblée permanente des chambres d'agriculture, l'APCA, elle m'a adressé un courrier, et comme je suis aussi président d'une chambre d'agriculture, je crois être à même de représenter cet organisme.
Je tenais à faire cette mise au point, suite aux propos qu'a tenus M. le ministre.
Par ailleurs, monsieur le président, je demande un scrutin public sur la motion de renvoi à la commission.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Qu'il me soit simplement donné acte que les trois présidents de grandes organisations que j'ai cités n'ont pas été auditionnés !
M. Gérard César, rapporteur. Cela leur a été demandé !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Certes, mais je note qu'ils n'ont pas été auditionnés.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 8, tendant au renvoi à la commission, acceptée par le Gouvernement.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe communiste républicain et citoyen, l'autre, de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 60:

Nombre de votants 244
Nombre de suffrages exprimés 244
Majorité absolue des suffrages 123
Pour l'adoption 22
Contre 222

M. Gérard César, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard César, rapporteur. Je note que le groupe socialiste brille par son absence ! Cela montre combien il s'intéresse à l'agriculture !
M. le président. Nous passons donc à la discussion des articles.

TITRE Ier

DE L'ENTREPRISE AGRICOLE

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - L'article L. 341-1 du code rural est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. L. 341-1. - Les objectifs prioritaires de l'aide financière de l'Etat accordée aux entreprises agricoles sont :
« - l'installation de jeunes agriculteurs encouragée par la politique d'installation définie à l'article L. 330-1 ;
« - la modernisation, le regroupement, la reconversion partielle ou totale des entreprises en vue d'améliorer leur viabilité.
« L'aide financière prend en compte l'intérêt du projet en matière économique, environnementale et sociale. Sauf lorsqu'elle a revêtu la forme de prêts, elle peut être interrompue si l'entreprise ne satisfait plus aux conditions de mise en valeur de l'espace agricole ou forestier, mentionnées au schéma départemental des structures agricoles défini à l'article L. 312-1 ou au projet départemental d'orientation de l'agriculture défini à l'article L. 313-1. Dans tous les cas, elle peut donner lieu à remboursement si ces circonstances sont imputables au fait de l'exploitant et non à une modification du schéma ou du projet susmentionnés. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2



M. le président.
« Art. 2. - II est créé dans le code rural un article L. 341-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 341-4. - Le fonds exploité, dans l'exercice d'une activité agricole au sens des dispositions de l'article L. 311-1, par une personne physique ou morale qui n'a pas la qualité de commerçant est dénommé fonds agricole.
« Sont seuls susceptibles d'être compris dans le fonds agricole l'enseigne et le nom professionnel, la clientèle et l'achalandage, les marques, le mobilier professionnel, le cheptel, le matériel ou l'outillage servant à l'exploitation du fonds ainsi que les autres droits de propriété industrielle qui y sont attachés.
« Ce fonds agricole peut faire l'objet d'une vente ou d'un nantissement dans les conditions et sous les formalités prévues par la loi du 17 mars 1909 relative à la vente et au nantissement du fonds de commerce et sous réserve des dispositions du présent chapitre et des textes pris pour son application.
« Lorsque ce fonds est cédé pour permettre l'installation d'un candidat encouragé par la politique d'installation définie à l'article L. 330-1, les références de production ou droits à aides sont transmis gratuitement en même temps que le fonds. Le cessionnaire doit impérativement en informer le représentant de l'Etat dans le département dans un délai d'un mois.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe en tant que de besoin les modalités d'application du présent article. »
Par amendement n° 2, MM. Souplet, Deneux et les membres du groupe de l'Union centriste proposent de supprimer cet article.
La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. L'article 2 de la proposition de loi prévoit la création d'un fonds agricole pouvant faire l'objet d'une vente ou d'un nantissement dans des conditions analogues à celles qui sont prévues pour la création d'un fonds de commerce, décrites par la loi du 17 mai 1909.
Ce fonds agricole comprendrait, à l'exclusion de tout autre élément, l'enseigne et le nom professionnel, la clientèle et l'achalandage, les marques, le mobilier professionnel, le cheptel, le matériel ou l'outillage servant à l'exploitation, ainsi que les autres droits de propriété industrielle qui y sont attachés.
Il ressort d'une analyse des éléments constitutifs d'un tel fonds au regard des différents éléments fondant la valeur d'une exploitation agricole que le but visé par le législateur ne pourrait être atteint qu'en incluant dans ledit fonds des actifs incorporels que la politique agricole ou les règles de droit en vigueur ne permettent pas d'y intégrer : droit au bail ou droits à primes. S'agissant des droits à primes, on pourrait même craindre que la création d'un tel fonds ne vienne apporter un support juridique à une remise en cause de la nature de ces droits, et cela irait à l'encontre des souhaits de la profession agricole.
Il est donc proposé de supprimer l'article 2 de la proposition de loi.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. M. Deneux sait ce que je pense de cet amendement, puisque nous avons eu l'occasion d'aborder ce problème en commission.
Je comprends sa logique. Néanmoins, je tiens à préciser que la création de ce fonds agricole doit être considérée comme une mesure symbolique vis-à-vis des agriculteurs.
En outre, il est aujourd'hui hors de question de modifier les règles applicables au bail rural ou aux droits à primes, comme cela est clairement indiqué dans le rapport.
Dans ces conditions, je demande à M. Deneux de retirer son amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, comme je l'ai indiqué, le Gouvernement n'entend pas participer à la discussion sur les articles.
M. le président. Monsieur Deneux, l'amendement est-il maintenu ?
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, pour respecter la sérénité de la discussion, je retire cet amendement.
Mais je reste sur mes positions ; le débat ne m'a pas convaincu.
Je prends date pour une discussion future. Le retrait de l'amendement n'a pas d'autre objet que de permettre d'engager sur ce sujet un vrai débat, et ce n'est pas possible ce soir, dans la formation où nous sommes.
M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

TITRE II

DU CONTRÔLE DES STRUCTURES
DES EXPLOITATIONS AGRICOLES

Articles 3 à 8



M. le président.
« Art. 3. - L'article L. 331-1 du code rural est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. L. 331-1 . - Le contrôle des structures des entreprises agricoles concerne exclusivement l'exploitation, à titre individuel ou en société, des biens, quelle que soit la nature de l'acte en vertu duquel en est assurée la jouissance et notamment dans les cas mentionnés à l'article L. 441-1.
« Il a pour but :
« 1° De favoriser l'installation des jeunes agriculteurs et notamment de ceux remplissant les conditions de formation ou d'expérience professionnelle ;
« 2° D'empêcher le démembrement d'entreprises agricoles viables pouvant permettre l'installation d'un ou plusieurs jeunes agriculteurs ;
« 3° De favoriser l'agrandissement des entreprises agricoles dont les dimensions, les références de production ou de droits à aides sont insuffisantes au regard des critères dans le schéma directeur départemental des structures. » - (Adopté.)
« Art. 4. - L'article L. 331-2 du code rural est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. L. 331-2 . - Sont soumises à autorisation préalable les opérations suivantes :
« 1° Les installations, les agrandissements ou les réunions d'entreprises agricoles au bénéfice d'une entreprise agricole détenue par une personne physique ou morale, lorsque la surface totale mise en valeur excède le seuil fixé par le schéma directeur départemental des structures.
« Ce seuil est défini par référence à une surface qui, par nature de culture, permet d'assurer la viabilité d'une entreprise ;
« 2° Quelle que soit la superficie en cause, les installations, les agrandissements ou les réunions d'entreprises agricoles ayant pour conséquence :
« a) De supprimer une entreprise agricole d'une superficie au moins égale à l'unité de référence ou de ramener la superficie d'une entreprise agricole en deçà de ce seuil ;
« b) De priver une entreprise agricole d'un bâtiment essentiel à son fonctionnement, sauf s'il est reconstruit ou remplacé ;
« 3° La participation en tant qu'associé, dans une société à objet agricole, de toute personne physique ou morale, dès lors qu'elle participe déjà à une autre entreprise agricole constituée sous forme individuelle ou sociétaire ;
« 4° Le départ ou la cessation d'activité d'un associé pour toute entreprise agricole constituée sous forme sociétaire dont la surface totale dépasse deux fois l'unité de référence ;
« 5° Les créations ou extensions de capacité des ateliers hors sol, au-delà d'un seuil de capacité de production.
« Pour déterminer la superficie totale mise en valeur, il est tenu compte des superficies exploitées par le demandeur sous quelque forme que ce soit en France ou dans un autre pays de la Communauté européenne, ainsi que des ateliers de production hors sol évalués par application des coefficients mentionnés au dernier alinéa de l'article L. 312-5. En sont exclus les bois, landes, taillis, friches et étangs autres que ceux servant à l'élevage piscicole, sauf les terres mises en valeur en application de l'article L. 125-1 dans les départements d'outre-mer. » - (Adopté.)
« Art. 5. - L'article L. 331-3 du code rural est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. L. 331-3 . - L'autorité administrative se prononce sur la demande d'autorisation en se conformant aux orientations définies par le schéma directeur départemental des structures agricoles applicable dans le département dans lequel se situe le fonds faisant l'objet de la demande. Elle doit notamment :
« 1. Observer l'ordre des priorités établi par le schéma départemental entre l'installation des jeunes agriculteurs et l'agrandissement des entreprises agricoles, en tenant compte de l'intérêt économique et social de maintien de l'autonomie de l'entreprise faisant l'objet de la demande ;
« 2. S'assurer, en cas d'agrandissement ou de réunion d'entreprises, que toutes les possibilités d'installation d'exploitations viables ont été considérées ;
« 3. Prendre en compte les références de production ou droits à aides dont disposent déjà le ou les demandeurs ainsi que ceux attachés aux biens objets de la demande en appréciant les conséquences économiques de la reprise envisagée ;
« 4. Prendre en compte la situation personnelle du ou des demandeurs, notamment en ce qui concerne l'âge et la situation familiale ou professionnelle et, le cas échéant, celle du preneur en place ;
« 5. Tenir compte du nombre d'emplois non salariés et salariés, permanents ou saisonniers sur les entreprises concernées ;
« 6. Prendre en compte la structure parcellaire des entreprises concernées, soit par rapport au siège de l'entreprise, soit pour éviter que des mutations en jouissance ne remettent en cause des aménagements réalisés à l'aide de fonds publics.
« L'autorisation peut n'être délivrée que pour une partie de la demande, notamment si certaines des parcelles sur lesquelles elle porte font l'objet d'autres demandes d'autorisation au titre de l'article L. 331-2. » - (Adopté.)
« Art. 6. - I. - Les articles L. 331-4, L. 331-5, L. 331-6, L. 331-7 et L. 331-14 du code rural sont abrogés.
« II. - Les articles L. 331-8, L. 331-9, L. 331-10, L. 331-11, L. 331-13, L. 331-15 et L. 331-16 du code rural deviennent respectivement les articles L. 331-4, L. 331-5, L. 331-6, L. 331-7, L. 331-10, L. 331-11 et L. 331-12 du code rural. » - (Adopté.)
« Art. 7. - L'article L. 331-8 du code rural est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. L. 331-8 . - Lorsqu'elle constate qu'un fonds est exploité contrairement aux dispositions du présent chapitre, l'autorité administrative met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine et qui ne saurait être inférieur à un mois.
« La mise en demeure mentionnée à l'alinéa précédent prescrit à l'intéressé soit de présenter une demande d'autorisation, soit, si une décision de refus d'autorisation est intervenue, de cesser l'exploitation des terres concernées.
« Lorsque l'intéressé, mis en demeure de présenter une demande d'autorisation, ne l'a pas formée dans le délai imparti, il est mis en demeure de cesser l'exploitation des terres concernées dans le même délai.
« Lorsque la cessation de l'exploitation est ordonnée, l'intéressé est mis à même, pendant le délai qui lui est imparti, de présenter ses observations écrites ou orales devant toute instance ayant à connaître de l'affaire.
« Si, à l'expiration du délai imparti pour cesser l'exploitation des terres concernées, l'autorité administrative constate que l'exploitation se poursuit dans des conditions irrégulières, elle peut prononcer à l'encontre de l'intéressé une sanction pécuniaire d'un montant compris entre 2 000 et 4 000 francs par hectare. La surface prise en compte correspond à la surface de polyculture-élevage faisant l'objet de l'exploitation, ou son équivalent, après, le cas échéant, application des coefficients d'équivalence résultant, pour chaque nature de culture, de l'application du premier alinéa de l'article L. 331-5.
« Cette mesure pourra être reconduite chaque année s'il est constaté que l'intéressé poursuit l'exploitation en cause.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article. » - (Adopté.)
« Art. 8. - L'article L. 331-9 du code rural est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. L. 331-9 . - La décision prononçant la sanction pécuniaire mentionnée à l'article L. 331-8 est notifiée à l'exploitant concerné, qui peut la contester, avant tout recours contentieux, dans le mois de sa réception, devant une commission des recours dont la composition et les règles de fonctionnement sont fixées par décret en Conseil d'Etat.
« Les recours devant cette commission sont suspensifs. Leur instruction est contradictoire.
« La commission, qui statue par décision motivée, peut, soit confirmer la sanction, soit décider qu'en raison d'éléments tirés de la situation de la personne concernée, il y a lieu de ramener la pénalité prononcée à un montant qu'elle détermine dans les limites fixées à l'article L. 331-9, soit décider qu'en raison de l'insuffisance des preuves il n'y a pas lieu à sanction. Dans les deux premiers cas, la pénalité devient recouvrable dès notification de sa décision.
« La décision de la commission peut faire l'objet, de la part de l'autorité administrative ou de l'intéressé, d'un recours de pleine juridiction devant le tribunal administratif. » - (Adopté.)

TITRE III

DE L'ORGANISATION ÉCONOMIQUE
DE LA PRODUCTION ET DE L'ORGANISATION
INTERPROFESSIONNELLE AGRICOLE

Articles 9 et 10

M. le président. « Art. 9. - Les articles L. 551-1 et L. 551-2 du code rural sont remplacés par l'article L. 551-1 suivant :
« Art. L. 551-1 . - Peuvent être reconnues en qualité d'organisation de producteurs, par l'autorité administrative, après avis du Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire, les personnes morales volontairement et majoritairement constituées par des producteurs d'un même secteur de production agricole installés dans une zone territoriale correspondant à la réalité économique des adhérents et à la réalité géographique du bassin de production, qui s'associent pour accroître la valorisation des productions agricoles dans le respect des règles communautaires et du droit de la concurrence et, à cet effet, pour :
« - adapter la production à la demande des marchés, en quantité et qualité ;
« - mettre en oeuvre des dispositifs de contractualisation avec l'aval et des cahiers des charges aux exigences renforcées ;
« - se doter d'une responsabilité économique et commerciale réelle, propre à consolider le rôle et la place des producteurs dans les filières de production, transformation, commercialisation ;
« - favoriser la concentration de l'offre et instaurer une transparence des transactions ;
« - promouvoir des méthodes de production respectueuses de l'environnement.
« Ces personnes morales doivent être contrôlées durablement par les producteurs qui y détiennent la majorité des voix et s'agissant de sociétés de capitaux, de la majorité du capital. Elles sont soumises à des seuils minimaux, en nombre de producteurs et en volume d'activité, fixés par décret.
« Pour atteindre les objectifs visés ci-dessus, deux niveaux d'organisations sont distingués :
« - au premier niveau, des associations économiques de producteurs, qui ne sont pas propriétaires des marchandises et n'assurent pas elles-mêmes la vente, mais doivent définir avec l'aval un cadre contractuel commun ;
« - au deuxième niveau, des groupements économiques de producteurs qui vendent, en pleine capacité commerciale, soit en tant que propriétaires ou soit en tant que mandataires, la production de leurs adhérents et disposent ainsi d'une pleine responsabilité économique et commerciale.
« Les organisations de producteurs édictent des règles imposées à leurs membres pour la communication de leurs prévisions de production ainsi qu'en matière de conditions de production et de commercialisation.
« Les organisations de producteurs bénéficient de priorités dans l'attribution de l'aide que l'Etat peut apporter pour l'organisation de la production et des marchés, en conformité avec les règles communautaires. Les aides décidées sont modulées en fonction du niveau d'organisation, des services rendus aux membres et des engagements de ceux-ci.
« La reconnaissance apportée peut être retirée par l'autorité administrative compétente, après avis du Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire, lorsque cette autorité constate que l'organisation de producteurs ne réunit plus les conditions de sa reconnaissance. » - (Adopté.)
« Art. 10. - L'article 1er de la loi n° 75-600 du 10 juillet 1975 relative à l'organisation interprofessionnelle agricole est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. 1er . - Les groupements constitués par les organisations professionnelles les plus représentatives des familles de la production agricole et, selon les cas, de la transformation, de la commercialisation et de la distribution, peuvent faire l'objet d'une reconnaissance en qualité d'organisations interprofessionnelles pour l'autorité administrative compétente après avis du Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire, soit au niveau national, soit au niveau d'un bassin ou d'une zone de production, par produit ou groupe de produits déterminés.
« Une seule organisation interprofessionnelle peut être reconnue par produit ou groupe de produits. Lorsqu'une organisation interprofessionnelle nationale est reconnue, les organisations interprofessionnelles de bassin ou de zone constituent des comités de cette organisation interprofessionnelle nationale et sont représentés au sein de cette dernière.
« Seules peuvent être reconnues les organisations interprofessionnelles dont les statuts :
« - prévoient la désignation d'une instance de conciliation pour les litiges pouvant survenir à l'occasion de l'application des accords interprofessionnels ainsi que les modalités de cette conciliation ;
« - disposent qu'en cas d'échec de celle-ci, le litige est déféré à l'arbitrage ;
« - désignent l'instance appelée à rendre l'arbitrage et en fixent les conditions. L'exécution de la sentence arbitrale et les recours portés contre cette sentence relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ;
« - prévoient la constitution et les modalités de fonctionnement d'une commission associant les organisations professionnelles représentatives de la distribution lorsque celles-ci ne sont pas membres de l'organisation interprofessionnelle.
« La reconnaissance peut être retirée après avis du Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire. Les conditions de reconnaissance et de retrait de reconnaissance des organisations interprofessionnelles sont fixées par décret.
« Les organisations interprofessionnelles reconnues ont pour missions principales, dans le cadre des règles admises aux niveaux communautaire et national, et en particulier du droit de la concurrence :
« - de favoriser le dialogue et les rapports entre les différentes familles professionnelles d'une même filière de produits ;
« - de renforcer le partenariat entre producteurs, transformateurs, négociants et distributeurs et d'encourager les démarches contractuelles, en particulier par l'élaboration de contrats de branche ;
« - de permettre une meilleure adaptation des produits aux marchés, aux plans qualitatif et quantitatif ;
« - de contribuer à la gestion des marchés et de favoriser la promotion des produits.
« Pour le bon exercice de ces missions, elles peuvent associer en tant que de besoin les organisations représentatives des consommateurs.
« Les organisations interprofessionnelles peuvent être consultées sur les orientations et mesures des politiques de filière les concernant. »

Article additionnel après l'article 10



M. le président.
Par amendement n° 7 rectifié, M. Bizet propose d'insérer, après l'article 10, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le ministre de l'agriculture présente annuellement au Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire un rapport sur l'état de l'organisation économique de la production et de l'organisation interprofessionnelle agricole. »
La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet. Cet amendement permet à tous les acteurs concernés de disposer d'un état des lieux précis sur l'organisation économique de la production et sur l'organisation interprofessionnelle agricole.
Ce rapport annuel est indispensable quand on sait que les groupements de producteurs sont aujourd'hui directement dans l'organisation commune des marchés et trouvent donc soumis au respect de nombreuses directives communautaires et les acteurs de l'interprofession doivent perpétuellement s'adapter aux nouvelles conditions économiques.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7 rectifié, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 10.

TITRE IV

DISPOSITIONS FISCALES

Article 11



M. le président.
« Art. 11. - I. - Au 3 de l'article 158 du code général des impôts, il est ajouté un 7° ainsi rédigé :
« 7° Revenus correspondants aux redistributions de dividendes d'actions émises en France ou de produits de parts de sociétés à responsabilité limitée soumises à l'impôt sur les sociétés qui sont reçus par les sociétés coopératives agricoles et leurs unions dans les conditions prévues à l'article L. 523-5-1 du code rural. Toutefois, cet abattement ne s'applique pas lorsque les redistributions sont encaissées par des associés qui détiennent, directement ou indirectement, plus de 35 % du capital de la société distributrice des dividendes ou produits. »
« II. - Les dispositions du I s'appliquent à compter de l'imposition des revenus de 1998.
« III. - Les pertes de recettes éventuelles résultant pour l'Etat de l'application du I et II sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. » - (Adopté.)

Article additionnel après l'article 11



M. le président.
Par amendement n° 3, MM. Souplet, Deneux et les membres du groupe de l'Union centriste propose d'insérer, après l'article 11, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les dispositions suivantes sont insérées après le deuxième alinéa de l'article 151 septies du code général des impôts :"Les plus-values réalisées dans le cadre d'une activité agricole bénéficient d'une taxation progressive lorsque le chiffre d'affaires est compris entre le double de la limite du forfait et 2 000 000 F".
« Cette taxation progressive est réalisée conformément au barème suivant :



CHIFFRE

d'affaires

PART TAXABLE

des plus-values

« Inférieur à 1 MF 0 %
« Compris entre 1 et 1,2 MF 10 %
« Compris entre 1,2 et 1,4 MF 20 %
« Compris entre 1,4 et 1,6 MF 40 %
« Compris entre 1,6 et 1,8 MF 60 %
« Compris entre 1,8 et 2 MF 80 %
« Supérieur à 2 MF 100 % »

La parole est à M. Deneux.

M. Marcel Deneux. Les entreprises françaises sont exonérées de toute imposition sur les plus-values lorsque le chiffre d'affaires est inférieur à 1 million de francs. Ce seuil est loin d'être suffisant pour l'agriculture, où le chiffre d'affaires est excessivement élevé par rapport au revenu dégagé. Il faut donc alléger cette taxation, notamment en incitant les cédants à proposer leur capital d'exploitation à un jeune qui s'installe avec le bénéfice des aides.
Ainsi, il est nécessaire de mettre en place une taxation progressive des plus-values, pour éviter un effet de seuil que nous connaissons bien lorsque le chiffre d'affaires dépasse 1 million de francs et tant qu'il n'atteint pas 2 millions de francs.
A compter de 2 millions de francs, la taxation serait normale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 11.

Article 12



M. le président.
« Art. 12. - I. - A l'article 730 bis du code général des impôts, les mots : "groupements agricoles d'exploitation en commun et d'exploitations agricoles à responsabilité limitée mentionnées au 5° de l'article 8" sont remplacés par les mots : "sociétés civiles à objet agricole" ».
« II. - Les pertes de recettes éventuelles résultant pour l'Etat de l'application du I sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »- (Adopté.)

Articles additionnels après l'article 12



M. le président.
Par amendement n° 4, MM. Souplet, Deneux et les membres de l'Union centriste proposent d'insérer, après l'article 12, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 818 du code général des impôts est rétabli dans la rédaction suivante :
« Art. 818 . - Pour les groupements agricoles d'exploitation en commun visés à l'article L. 323-1 du code rural et les exploitations agricoles à responsabilité limitée visées à l'article 8-5° du présent code, le droit fixe mentionné aux articles 809, 810, 811 et 812 est réduit à 500 francs. »
La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Cet amendement a pour objet de faire en sorte que le droit fixe qui est mentionné aux articles 809, 810, 811 et 812 du code général des impôts soit réduit à 500 francs chaque fois qu'il s'agit d'un groupement agricole d'exploitation en commun, GAEC, ou d'une société d'exploitation en agriculture.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 12.
Par amendement n° 5, MM. Souplet, Deneux et les membres du groupe de l'Union centriste proposent d'insérer, après l'article 12, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 1594 F du code général des impôts est ainsi modifié :
« a) Dans le I, les mots : "réduit à 6,40 %" sont remplacés par les mots : "réduit à 0,60 %".
« b) Le II est supprimé.
« c) Dans le premier alinéa du III, les mots : "dans les zones prévues au II" sont supprimés. »
La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Cet amendement vise à généraliser, sur l'ensemble du territoire national, le taux du droit départemental de 0,60 % à toutes les acquisitions d'immeubles ruraux effectuées par les jeunes agriculteurs bénéficiaires des aides à l'installation ou par les acquéreurs qui s'engagent à louer les biens acquis par bail à long terme à un jeune agriculteur bénéficiaire des aides à l'installation.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 12.

Article 13



M. le président.
« Art. 13. - I. - Le troisième alinéa de l'article 72 D du code général des impôts est complété in fine par les mots suivants : "ou pour l'acquisition de parts sociales de sociétés coopératives agricoles reçues par les articles L. 521-1 à L. 526-2 du code rural". »
« II. - Les pertes de recettes éventuelles résultant pour l'Etat de l'application du I sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. » - (Adopté.)

Article additionnel après l'article 13



M. le président.
Par amendement n° 6, MM. Souplet, Deneux et les membres de l'Union centriste proposent d'insérer, après l'article 13, un article additionnel ainsi rédigé :
« La seconde phrase du premier alinéa du II de l'article 1647-00 bis du code général des impôts est remplacée par deux phrases ainsi rédigées : "Ce dégrèvement bénéficie au fermier à proportion de l'impôt foncier mis à sa charge par les dispositions du bail. Les obligations déclaratives sont celles mentionnées au I." »
La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Cet amendement vise à modifier la répartition du dégrèvement d'impôt foncier accordé de droit par l'Etat lorsque les parcelles sont exploitées par un jeune agriculteur bénéficiaire des aides à l'installation, entre ce dernier et le propriétaire bailleur.
Cette mesure confère un caractère incitatif à la location au profit d'un jeune agriculteur.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 13.

TITRE V

STATUT DU CONJOINT

Articles 14 à 18



M. le président.
« Art. 14. - Il est ajouté un article L. 321-5 au code rural, ainsi rédigé :
« Art. L. 321-5 . - Le conjoint du chef d'exploitation ou d'entreprise agricole qui n'est pas constituée sous la forme d'une société ou d'une coexploitation entre les conjoints peut y exercer son activité professionnelle en qualité de collaborateur d'entreprise agricole.
« Le conjoint de l'associé d'une entreprise agricole constituée sous la forme d'une société peut également avoir la qualité de collaborateur d'entreprise lorsqu'il y exerce son activité professionnelle et n'est pas associé de ladite société.
« L'entreprise agricole mise en valeur par les conjoints doit répondre aux conditions prévues pour des époux au dernier alinéa du I de l'article 1003-7-1. L'option pour la qualité de collaborateur doit être formulée par le conjoint en accord avec le chef d'entreprise dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat.
« Le collaborateur d'entreprise agricole bénéficie de droits à l'assurance vieillesse des personnes non salariées des professions agricoles dans les conditions prévues aux chapitres IV et IV-1 du titre II du livre VII, ainsi que d'une créance de salaire différé dans les conditions prévues au chapitre 1er du titre II du livre III. » - (Adopté.)
« Art. 15. - L'article 1122-1 du code rural est modifié comme suit :
« I. - La première phrase du premier alinéa est ainsi rédigée :
« Le conjoint du chef d'exploitation ou d'entreprise agricole, sous réserve des dispositions du dernier alinéa du présent article, et les membres de la famille ont droit à la pension de retraite forfaitaire dans les conditions prévues au 1° du premier alinéa de l'article 1121. »
« II. - Après le dernier alinéa, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« A compter du premier jour du mois suivant la publication du décret prévu à l'article L. 321-5, la qualité de conjoint participant aux travaux au sens de la troisième phrase du premier alinéa du présent article ne peut plus être acquise. A titre transitoire, pendant cinq ans à compter de la publication de la loi n° du , les titulaires de cette qualité qui atteignent durant cette période l'âge de soixante ans peuvent, pour les périodes durant lesquelles ils ont participé aux travaux de l'entreprise agricole, acquérir des droits à la pension de retraite proportionnelle moyennant le versement des cotisations correspondantes. Un décret précise les modalités d'application du présent alinéa et notamment le mode de calcul des cotisations, la période et le nombre maximum d'années pouvant faire l'objet du rachat. » - (Adopté.)
« Art. 16. - Il est inséré au code rural, après l'article 1122-1, un article 1122-1-1 ainsi rédigé :
« Art. 1122-1-1 . - I. - Le conjoint du chef d'exploitation ou d'entreprise agricole mentionné à l'article L. 321-5 qui a exercé une activité non salariée agricole en qualité de collaborateur d'entreprise a droit à une pension de retraite qui comprend :
« 1° Une pension de retraite forfaitaire dans les conditions prévues au 1° de l'article 1121 et sous réserve des dispositions du premier alinéa de l'article 1121-1 ;
« 2° Une pension de retraite proportionnelle dans les conditions prévues, selon le cas, au 2° de l'article 1121 ou au 2° de l'article 1142-5.
« Les personnes mentionnées au premier alinéa du présent I peuvent, dans un délai de deux ans suivant la publication de la loi n° du et pour les périodes antérieures au 1er janvier 1998, qui seront définies par décret, pendant lesquelles elles ont cotisé et acquis des droits en qualité de conjoint au régime d'assurance vieillesse des personnes non salariées des professions agricoles en application de l'article 1122-1 et du a de l'article 1123, acquérir des droits à la pension de retraite proportionnelle moyennant le versement de cotisations afférentes à ces périodes. Les conditions d'application du présent alinéa sont fixées par un décret qui précise notamment le mode de calcul des cotisations et le nombre maximum d'années pouvant faire l'objet du rachat.
« Le conjoint survivant du collaborateur d'entreprise a droit, dans les conditions énoncées au premier alinéa de l'article 1122, à une retraite de réversion d'un montant égal à un pourcentage, fixé par décret, de la retraite forfaitaire et de la retraite proportionnelle dont bénéficiait ou eût bénéficié l'assuré décédé. Lorsque le conjoint survivant est titulaire d'avantages personnels de vieillesse ou d'invalidité, il est fait application des dispositions prévues au troisième alinéa de l'article 1122.
« II. - Les chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole qui ont participé aux travaux de l'exploitation en qualité de conjoint peuvent également acquérir des droits à la retraite proportionnelle au titre de cette période, dans les conditions prévues à l'avant-dernier alinéa du I du présent article. » - (Adopté.)
« Art. 17. - Au b de l'article 1123 du code rural, la première phrase est ainsi rédigée :
« b) Une cotisation due pour chaque chef d'exploitation ou d'entreprise et une cotisation due pour chaque aide familial majeur au sens du 2° de l'article 1106-1 ainsi que pour le conjoint collaborateur d'entreprise mentionné à l'article L. 321. » - (Adopté.)
« Art. 18. - Dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1106-3-1 du code rural, le mot : partielle est supprimé. » - (Adopté.)

Article additionnel après l'article 18



M. le président.
Par amendement n° 1, M. Huchon et les membres de l'Union centriste proposent d'insérer, après l'article 18, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 1120-2 du code rural est complété par un second alinéa ainsi rédigé :
« Elle peut être accordée à partir de l'âge de cinquante-cinq ans au conjoint survivant continuant l'exploitation visé au cinquième alinéa de l'article 1122. »
La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Actuellement, le conjoint survivant continuant l'exploitation dispose d'une pension de réversion dès l'âge de cinquante-cinq ans. Le montant de cette pension est cependant dérisoire.
Dès l'âge de soixante ans, le conjoint survivant qui a poursuivi l'exploitation a droit à une retraite forfaitaire dont le montant est faible en raison le plus souvent de son absence de statut.
Il convient donc de permettre à cette catégorie de personnes de bénéficier dès l'âge de cinquante-cinq ans de ce que l'on appelle habituellement le droit combiné.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Il s'agit d'un amendement très important, qui concerne en particulier les veuves continuant l'exploitation. La commission et son rapporteur y sont très favorables.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 18.

Articles 19 à 21



M. le président.
« Art. 19. - II est créé dans le code rural un article L. 321-21-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 321-21-1 . - Le conjoint survivant ou divorcé du chef d'une entreprise agricole qui justifie par tous moyens avoir participé directement et effectivement à l'activité de l'entreprise pendant au moins dix années sans recevoir de salaire ni être associé aux bénéfices et aux pertes de l'entreprise bénéficie d'un droit de créance d'un montant égal à trois fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance annuel en vigueur au jour du décès dans la limite de 25 % de l'actif successoral. Ce droit est garanti sur la généralité des meubles par le privilège inscrit au 4° de l'article 2101 du code civil, sur la généralité des immeubles par le privilège inscrit au 2° de l'article 2104 du code civil et sur les immeubles par une hypothèque légale. Le cas échéant, le montant des droits propres du conjoint survivant dans les opérations de partage successoral est diminué de celui de cette créance. » - (Adopté.)
« Art. 20. - I. - Le quatrième alinéa du 4° de l'article 2101 du code civil est complété par les mots : « et la créance du conjoint survivant, instituée par l'article de la loi n° du ».
« II. - Le quatrième alinéa du 2° de l'article 2104 du code civil est complété par les mots : « et la créance du conjoint survivant, instituée par l'article de la loi n° du ». - (Adopté.)
« Art. 21. - L'article 1003-12 du code rural est ainsi modifié :
« a) Le III est ainsi rédigé :
« III. - Les cotisations sont calculées, à titre provisionnel, sur une assiette forfaitaire lorsque la durée d'assujettissement ne permet pas de connaître les revenus professionnels servant de base à celles-ci et font l'objet d'une régularisation lorsque ces revenus sont connus. Par dérogation aux dispositions prévues au premier alinéa du II du présent article, les cotisations sont calculées, pour la première année, sur les revenus d'une seule année et, pour la deuxième année, sur la moyenne des revenus des deux années. Un décret fixe les modalités d'application de ces dispositions.
« Toutefois, par dérogation au précédent alinéa, lorsqu'un conjoint s'installe en qualité de coexploitant ou d'associé au sein d'une coexploitation ou d'une société formées entre les conjoints et qu'il a participé aux travaux de ladite entreprise agricole et a donné lieu à ce titre au versement de la cotisation prévue au a de l'article 1123 pendant la période prise en compte pour le calcul des cotisations en application du premier alinéa du II ou du premier alinéa du VI du présent article, il n'est pas fait application de l'assiette forfaitaire provisionnelle et ses cotisations sont calculées sur la part, correspondant à sa participation aux bénéfices, des revenus agricoles du foyer fiscal relatifs, selon les cas, à la période visée au premier alinéa du II ou au premier alinéa du VI du présent article.
« Par dérogation au premier alinéa du présent III, en cas de transfert de la qualité de chef d'entreprise entre des conjoints quel qu'en soit le motif, les cotisations dues par le conjoint poursuivant la mise en valeur de l'entreprise sont assises sur la totalité des revenus professionnels agricoles du foyer fiscal au cours de la période visée, selon le cas, au premier alinéa du II ou au premier alinéa du VI du présent article. Il en est de même lorsqu'une entreprise est transformée en société par des conjoints.
« Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont applicables que si la consistance de l'exploitation ou de l'entreprise n'est pas affectée, à l'occasion des modifications visées auxdits alinéas, au-delà de proportions définies par décret. »
« b) Le IV devient le V.
« c) Il est créé un nouveau IV ainsi rédigé :
« IV. - L'assiette des cotisations est déterminée forfaitairement dans les conditions fixées par décret lorsque les personnes non salariées des professions agricoles ayant la qualité de gérant ou d'associé de société ne sont pas soumises à l'impôt sur le revenu dans l'une des catégories mentionnées au I du présent article. » - (Adopté.)

TITRE VI

TITRE D'EMPLOI SAISONNIER AGRICOLE
ET GROUPEMENTS D'EMPLOYEURS

Articles 22 et 23

M. le président. « Art. 22. - Il est créé dans le titre Ier du livre VII du code rural un chapitre IV intitulé : "Titre emploi saisonnier agricole", qui comporte un article 1000-6 ainsi rédigé :
« Art. 1000-6 . - L'employeur qui, lors de l'embauche d'un salarié pour des travaux saisonniers, remet au salarié et à la caisse de mutualité sociale agricole les parties qui leur sont respectivement destinées du document appelé » titre emploi saisonnier agricole « est réputé satisfaire aux obligations prévues par les articles L. 122-3-1, L. 143-3, L. 212-4-3, L. 320 du code du travail, et par les articles 1028 et 1031 du code rural, ainsi qu'aux déclarations au titre de la médecine du travail et du régime des prestations mentionnées à l'article L. 351-2 du code du travail.
« L'inscription sur le registre unique du personnel est réputée accomplie lorsque les employeurs tiennent à la disposition des personnes mentionnées au troisième alinéa de l'article L. 620-3 du code du travail et pour chacun des salariés concernés un double du document prévu ci-dessus portant un numéro correspondant à leur ordre d'embauchage. La tenue du livre de paie prévue à l'article L. 143-5 du code du travail est alors également réputée accomplie.
« Le titre emploi saisonnier agricole est délivré par les caisses de mutualité sociale agricole à la demande des employeurs qui font appel, au moyen d'un ou plusieurs contrats de travail à durée déterminée, à des salariés relevant de l'article 1144, 1°, 2°, 3° et 5°, du code rural, à l'occasion de travaux saisonniers. Il peut également être demandé aux mêmes fins par les coopératives d'utilisation de matériel agricole.
« Par dérogation à l'article L. 143-2 du code du travail, lorsqu'il est fait usage de ce titre, les salariés sont rémunérés à l'issue de chaque campagne saisonnière et au moins une fois par mois. Par dérogation aux dispositions de l'article 10 de la loi n° 86-966 du 18 août 1986 portant diverses mesures relatives au financement des retraites et pensions, la mention des cotisations patronales de sécurité sociale, d'origine législative, réglementaire ou conventionnelle n'est pas obligatoire sur le titre emploi saisonnier agricole.
« Un décret fixe les dispositions d'application du présent article et notamment les conditions dans lesquelles l'autorité administrative détermine, au plan départemental, les travaux saisonniers, ainsi que les mentions qui doivent figurer sur le titre emploi saisonnier agricole, les parties de ce document qui doivent comporter la signature du salarié, et les conditions et délais dans lesquels celles-ci sont remises à ses destinataires. » - (Adopté.)
« Art. 23. - I. - 1. Le 3° du 3 de l'article 224 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« 3° Les groupements d'employeurs composés d'agriculteurs, de sociétés civiles agricoles ou de coopératives d'utilisation de matériel agricole en commun, constitués selon les modalités prévues au chapitre VII du titre II du livre 1er du code du travail, à la condition que chacun des employeurs du groupement bénéficie lui-même de l'exonération. »
« 2. Les dispositions du 1 s'appliquent aux rémunérations versées à compter du 1er janvier 1998.
« II. - 1. Le deuxième alinéa de l'article 1450 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« En sont également exonérés, lorsqu'ils fonctionnent dans les conditions fixées au chapitre VII du titre II du livre 1er du code du travail, les groupements d'employeurs constitués exclusivement d'exploitants individuels agricoles, de sociétés civiles agricoles ou de coopératives d'utilisation de matériel agricole en commun, à la condition que chacun des employeurs du groupement bénéficie lui-même de l'exonération. »
« 2. Les dispositions du 1 s'appliquent aux cotisations dues au titre de l'année suivant celle de la publication de la présente loi et des années postérieures.
« III. - 1. Les pertes de recettes éventuelles résultant pour l'Etat de l'application du I ci-dessus sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
« 2. Les pertes de recettes éventuelles résultant, pour les collectivités territoriales et leurs groupements, des dispositions du II ci-dessus sont compensées par la majoration à due concurrence de la dotation globale de fonctionnement. Les pertes de recettes éventuelles résultant pour l'Etat de la majoration de la dotation globale de fonctionnement sont compensées par la majoration, à due concurrence, des droits sur les taxes mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. » - (Adopté.)

TITRE VII

QUALITÉ ET VALORISATION
DES PRODUITS AGRICOLES

Articles 24 à 27

M. le président. « Art. 24. - Il est créé au chapitre V du titre 1er du livre 1er du code de la consommation une section III bis ainsi conçue :

« Section 3 bis

« Politique de la qualité et Institut national
de la qualité des produits agricoles et alimentaires

« Art. L. 115-26-5 . - Un Institut national de la qualité des produits agricoles et alimentaires est constitué, pour une durée de dix ans éventuellement renouvelable, sous la forme d'un groupement d'intérêt public composé de l'Etat, de l'Institut national des appellations d'origine ainsi que d'autres personnes morales de droit public ou privé représentant notamment les collectivités territoriales, les chambres consulaires, les organisations professionnelles et les organisations de consommateurs. Il est doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière.
« Le Président de l'Institut national de la qualité des produits agricoles et alimentaires est nommé par un arrêté conjoint du ministre en charge de l'agriculture et du ministre en charge des finances.
« L'Institut national de la qualité a pour mission :
« - d'assurer la cohérence nécessaire des reconnaissances officielles de qualité et d'origine, dans le respect de la spécificité de ces différentes reconnaissances et des institutions qui les délivrent ;
« - de veiller à la cohérence en matière d'utilisation de mentions géographiques ;
« - de mener des actions communes d'étude et de recherche, d'incitation et de soutien ;
« - d'associer étroitement les différents partenaires à l'élaboration et à l'application de ces actions ;
« - d'assurer une évaluation permanente de l'efficacité de la politique menée ;
« - de contribuer à la promotion et à la défense des reconnaissances et des protections précitées, sous réserve des compétences de l'Institut national des appellations d'origine.
« Un décret en Conseil d'Etat définit les conditions d'approbation de la convention par laquelle est constitué le groupement d'intérêt public, ainsi que les règles de contrôle de celui-ci. » - (Adopté.)
« Art. 25. - Le premier alinéa de l'article L. 115-23-1 du code de la consommation est remplacé par les dispositions suivantes :
« Le label ou la certification de conformité ne peut comporter une mention géographique non enregistrée comme indication géographique protégée que dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. Ces conditions ne peuvent prévoir l'utilisation de cette mention dans la dénomination de vente. » - (Adopté.)
« Art. 26. - Le premier alinéa de l'article L. 115-23-2 du code de la consommation est remplacé par les dispositions suivantes :
« Les labels agricoles et les certificats de conformité sont délivrés par des organismes certificateurs qui ont été accrédités par une instance reconnue à cet effet par les pouvoirs publics. Ces organismes sont agréés par l'autorité administrative. » - (Adopté.)
« Art. 27. - L'article L. 115-26-4 du code de la consommation est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. L. 115-26-4 . - L'utilisation d'indication d'origine ou de provenance ne doit pas être susceptible d'induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques du produit, de détourner ou d'affaiblir la notoriété d'une dénomination enregistrée comme appellation d'origine protégée, indication géographique protégée ou comme attestation de spécificité ou, de façon plus générale, de porter atteinte, notamment par l'utilisation abusive de mentions géographiques dans une dénomination de vente, à la protection réservée aux appellations d'origine protégées, aux indications géographiques protégées et aux attestations de spécificité.
« Un décret en Conseil d'Etat pris en application de l'article L. 214-1 fixe en tant que de besoin les conditions d'application du présent article. » - (Adopté.)

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Je vais mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
M. Gérard César, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard César, rapporteur. La commission a fait un travail important et cette proposition de loi va permettre un certain nombre d'avancées. Tout à l'heure, M. le ministre a reconnu qu'il tiendrait compte de ce texte dans son projet de loi.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. De ce qui a été dit dans cette enceinte !
M. Gérard César, rapporteur. Monsieur le ministre, je profite de cette occasion pour vous remercier.
Ce texte est important pour la réussite économique des producteurs, les structures agricoles, l'installation de jeunes agriculteurs, les retraites et la qualité des produits.
Je veux également remercier M. Deneux d'avoir retiré son amendement n° 2. J'y suis d'autant plus sensible que cela a été pour lui un déchirement. Nous savons tous la part qu'il prend dans les débats agricoles, l'intérêt qu'il porte à la PAC et aux relations économiques.
M. Emmanuel Hamel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Monsieur le ministre, je vous remercie des propos très fermes que vous avez tenus tout à l'heure, s'agissant notamment de ce que seront vos relations avec Bruxelles à l'occasion de l'examen des orientations nouvelles de la politique agricole.
J'exprime le voeu que vous ayez l'élégance démocratique de faire en sorte que cette proposition de loi ne reste pas confinée dans les limites du Palais du Luxembourg, mais que, grâce à l'active intervention du Gouvernement, elle soit rapidement discutée à l'Assemblée nationale.
Elle constituera une excellente préface aux autres projets que vous nous soumettrez et que nous adopterons s'ils sont le signe d'une volonté du Gouvernement de renforcer encore la puissance de l'agriculture française dans la compétition internationale, pour le bien non seulement des agriculteurs, mais de toute la France ! (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Philippe François. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. François.
M. Philippe François. Monsieur le président, je veux simplement dire combien j'ai été impressionné dans ce débat, d'abord, par le fait qu'un ministre du Gouvernement de la République refuse de participer à l'examen des articles d'une proposition de loi déposée par le Parlement de la République et, ensuite, par la façon dont M. le ministre a répondu à nos questions.
Cela m'a rappelé ce qui se passait dans ma jeunesse. Il arrivait, en effet, quand on demandait à un étudiant de faire une dissertation sur Lamartine, qu'il rende une dissertation sur Jean-Jacques Rousseau ou sur Voltaire !
Ainsi, monsieur le ministre, nous avez-vous parlé de tout à fait autre chose que de la proposition de loi dont nous débattions aujourd'hui. Cela m'a choqué.
Il est une autre chose qui m'a tout particulièrement choqué, monsieur le président, et c'est pourquoi je tiens à ce que cela soit dit, c'est qu'une partie du Sénat ait refusé de participer au débat. On peut être pour ou contre un texte, mais on participe à sa discussion ! Or, j'ai le regret de dire que le groupe socialiste s'est abstenu d'une façon désobligeante à l'égard des institutions de la République. Il fallait le souligner.
Enfin, monsieur le ministre, vous avez repris certains des propos que j'avais tenus tout à l'heure à la tribune. J'avais expliqué que le Gouvernement n'avait jamais fait allusion au dépôt d'un quelconque projet de loi agricole avant que je n'annonce, au cours du débat du 5 novembre dernier, notre intention de déposer une proposition de loi.
J'ai pris acte de votre réponse, à savoir que le Premier ministre avait annoncé son intention de présenter un projet de loi d'orientation agricole durant la campagne électorale (M. le ministre fait un signe de dénégation.)... ou dans son discours de politique générale, ce qui revient au même !
Nous, parlementaires, nous avons été tellement impressionnés par le flot de promesses qu'il avait faites que nous ne risquions pas de prendre celle-là au sérieux ! Elle l'était.
Il faut retenir de tout cela que c'est en toute bonne foi que le Sénat de la République a déposé une proposition de loi sur l'agriculture. Elle reprend, peut-être, les propositions de certains de vos prédécesseurs, mais elle reste quand même une initiative de notre maison.
Comme nous vous l'avons dit, monsieur le ministre - le rapporteur, beaucoup de nos collègues et moi-même - cette proposition n'empêche le Gouvernement de déposer un projet de loi sur le sujet. Ce texte est complémentaire.
Enfin, j'ai regretté - ne m'en veuillez pas - que vous ayez fait fi de nos propos, avec, excusez-moi de le dire, une certaine désinvolture.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, je ne peux pas laisser passer les propos de M. François.
M. Philippe François. C'est évident !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Il est trop avisé de la différence qu'il y a entre discours de campagne électorale et allocution d'investiture devant le Parlement pour ne pas mesurer que l'annonce faite par le Premier ministre, dès le mois de juin, de sa volonté de présenter au Parlement un projet de loi d'orientation agricole représentait un engagement solennel et, pour le ministre de l'agriculture et de la pêche, tout simplement l'ordre de se mettre au travail.
Je m'y suis mis d'emblée, dans l'esprit et selon la méthode que j'ai précisés, et je suis donc venu ce soir dire, en écho à vos propos, le sens de ma démarche et l'ambition que j'avais pour l'agriculture.
Je vais, à coup sûr, décevoir M. Hamel, dans la mesure où je ne vous affirmerait pas que le texte adopté par le Sénat ce soir sera présenté avec le soutien du Gouvernement devant une autre assemblée. Je crois avoir été suffisamment clair.
Chacun, en quelque sorte, a joué sa partition.
Le ministre du gouvernement de la République, pour sa part, n'a pas le sentiment d'avoir fait preuve de désinvolture. Il a, au contraire, engagé ici, au long de ces heures, un débat républicain. Certes, nous avions des divergences, à commencer par la logique respective de nos projets. J'en ai pris acte, et cela explique que je ne pouvais pas souscrire à ce qui a été proposé ici ni entrer dans la discussion de chacun des articles. Chacun, je crois, l'aura bien compris.
M. Emmanuel Hamel. C'est très regrettable !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je n'ai rien d'autre à ajouter ; j'ai été suffisamment explicite au cours de mes différentes interventions.
Cela dit, compte tenu des grandes échéances internationales qui attendent l'agriculture française, il m'était apparu important que le Sénat soit pleinement informé de ce qui m'anime, dans ce qui est une véritable bataille, un des grands enjeux pour l'avenir de l'agriculture. Tout va se jouer au cours du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement dans quelques heures, puis, plus largement ensuite, tout au long de l'année 1998.
J'ai montré, au cours de nombreuses années passées au Gouvernement, ma volonté de dialogue tant avec l'Assemblée nationale qu'avec le Sénat et, singulièrement, avec vos commissions. Je n'ai pas le sentiment, ce soir, d'avoir failli à cette pratique.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 61:

Nombre de votants 228
Nombre de suffrages exprimés 228
Majorité absolue des suffrages 115
Pour l'adoption 222
Contre 6

M. Gérard César, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard César, rapporteur. Monsieur le président, je regrette, moi aussi, que le groupe socialiste et que le groupe communiste républicain et citoyen n'aient pas participé au vote, et je note que la majorité sénatoriale, et elle seule, soutient son agriculture !
M. Philippe François. Très bien !

12

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
CONSTITUTIONNELLE

M. le président. J'ai reçu de MM. Claude Estier,Germain Authié, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Pierre Biarnès, Robert Castaing, Gilbert Chabroux, Jean-Pierre Demerliat, Rodolphe Désiré, BernardDussaut, Aubert Garcia, Claude Haut, Georges Mazars, Jean-Marc Pastor, Guy Penne, Jean Peyrafitte, Bernard Piras, Roger Rinchet, Gérard Roujas, Fernand Tardy, Henri Weber et les membres du groupe socialiste et apparentés une proposition de loi constitutionnelle portant titre II à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
La proposition de loi constitutionnelle sera imprimée sous le numéro 166, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

13

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de MM. Georges Mouly et Josselin de Rohan une proposition de loi visant à modifier la composition de la commission départementale d'attribution des licences de débits de boissons.
La proposition de loi sera imprimée sur le numéro 167, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

14

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- proposition de règlement CE du Conseil concernant la conclusion de l'accord sous forme d'échange de lettres modifiant l'accord sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et la République de Bulgarie, relatif à l'établissement réciproque de contingents tarifaires pour certains vins, et modifiant le règlement CE n° 933-95, portant ouverture et mode de gestion de contingents communautaires tarifaires pour certains vins.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-981 et distribuée.

15

DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Lambert, rapporteur général, un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le projet de loi de finances rectificative pour 1997, adopté par l'Assemblée nationale (n° 156, 1997-1998).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 168 et distribué.
J'ai reçu un rapport déposé par M. Henri Revol, vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, sur les images de synthèse et le monde virtuel : techniques et enjeux de société, établi par M. Claude Huriet, sénateur, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 169 et distribué.

16

DÉPÔT DE RAPPORTS D'INFORMATION

M. le président. J'ai reçu de M. Nicolas About un rapport d'information fait au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne sur le système ferroviaire japonais.
Le rapport d'information sera imprimé sous le numéro 170 et distribué.
J'ai reçu de Mme Josette Durrieu un rapport d'information fait au nom des délégués élus par le Sénat sur les travaux de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe au cours de la session ordinaire 1996 de cette assemblée, adressé à M. le président du Sénat, en application de l'article 108 du règlement.
Le rapport d'information sera imprimé sous le numéro 171 et distribué.

17

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 15 janvier 1998, à seize heures et le soir.
Discussion du projet de loi de finances rectificative pour 1997 (n° 156, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale.
Rapport (n° 168, 1997-1998) de M. Alain Lambert, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 15 décembre 1997, à onze heures.
Scrutin public ordinaire de droit lors du vote sur l'ensemble de la première partie.
Scrutin public ordinaire de droit lors du vote sur l'ensemble.

Délais limites pour les inscriptions de parole
dans la discussion générale
et pour le dépôt des amendements

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au fonctionnement des conseils régionaux (n° 27, 1997-1998) : délai limite pour le dépôt des amendements, lundi 15 décembre 1997, à dix-sept heures.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la nationalité (n° 145, 1997-1998) :
- Délai limite pour les inscriptions de parole de la discussion générale, mardi 16 décembre 1997, à dix-sept heures ;
- Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 16 décembre 1997, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à vint-trois heures dix.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON









Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON

ANNEXES AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du jeudi 11 décembre 1997


SCRUTIN (n° 58)



sur la motion n° 1, présentée par M. Guy Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, tendant à opposer la question préalable à la proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences, pour l'économie française, de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires.

Nombre de votants : 318
Nombre de suffrages exprimés : 318
Pour : 96
Contre : 222

Le Sénat n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Pour : 16.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (22) :

Pour : 6. _ MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André Boyer, Yvon Collin, Mme Joëlle Dusseau et M. Robert-Paul Vigouroux.
Contre : 16.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (95) :

Contre : 95.

GROUPE SOCIALISTE (75) :

Pour : 74.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Michel Dreyfus-Schmidt, qui présidait la séance.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (58) :

Contre : 57.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. René Monory, président du Sénat.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (45) :

Contre : 45.

Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (9) :

Contre : 9.

Ont voté pour


François Abadie
Guy Allouche
Bernard Angels
François Autain
Germain Authié
Robert Badinter
Jean-Michel Baylet
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Marcel Bony
Nicole Borvo
André Boyer
Jean-Louis Carrère
Robert Castaing
Francis Cavalier-Benezet
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
William Chervy
Yvon Collin
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Jean Derian
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Michel Duffour
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Joëlle Dusseau
Claude Estier
Léon Fatous
Guy Fischer
Aubert Garcia
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Dominique Larifla
Pierre Lefebvre
Guy Lèguevaques
Claude Lise
Paul Loridant
Hélène Luc
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
Michel Manet
Marc Massion
Pierre Mauroy
Georges Mazars
Jean-Luc Mélenchon
Louis Minetti
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Jean-Baptiste Motroni
Robert Pagès
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean Peyrafitte
Jean-Claude Peyronnet
Louis Philibert
Bernard Piras
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Roger Quilliot
Jack Ralite
Paul Raoult
René Régnault
Ivan Renar
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent
Franck Sérusclat
René-Pierre Signé
Fernand Tardy
Odette Terrade
Paul Vergès
André Vezinhet
Marcel Vidal
Robert-Paul Vigouroux
Henri Weber

Ont voté contre


Nicolas About
Philippe Adnot
Michel Alloncle
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Alphonse Arzel
Denis Badré
Honoré Bailet
José Balarello
René Ballayer
Bernard Barbier
Janine Bardou
Michel Barnier
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Henri Belcour
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
François Blaizot
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Yvon Bourges
Philippe de Bourgoing
Jean Boyer
Louis Boyer
Jacques Braconnier
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Guy Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Camoin
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Jean Cluzel
Henri Collard
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Pierre Croze
Charles de Cuttoli
Philippe Darniche
Marcel Daunay
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
André Egu
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
Gérard Fayolle
Hilaire Flandre
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yann Gaillard
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Jacques Genton
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Jean-Marie Girault
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Jean Grandon
Francis Grignon
Georges Gruillot
Jacques Habert
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Bernard Hugo
Jean-Paul Hugot
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Jean-Pierre Lafond
Pierre Lagourgue
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Edouard Le Jeune
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Marcel Lesbros
François Lesein
Maurice Lombard
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Jean Madelain
Kléber Malécot
André Maman
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Jacques de Menou
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Daniel Millaud
Louis Moinard
Georges Mouly
Philippe Nachbar
Lucien Neuwirth
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Sosefo Makapé Papilio
Charles Pasqua
Michel Pelchat
Jean Pépin
Alain Peyrefitte
Bernard Plasait
Régis Ploton
Alain Pluchet
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Christian Poncelet
Jean Pourchet
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Philippe Richert
Roger Rigaudière
Jean-Jacques Robert
Jacques Rocca Serra
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Maurice Schumann
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Xavier de Villepin
Serge Vinçon

N'ont pas pris part au vote


MM. René Monory, président du Sénat, et Michel Dreyfus-Schmidt, qui présidait la séance.

Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification et conformes à la liste de scrutin ci-dessus.

SCRUTIN (n° 59)



sur l'article unique des conclusions du rapport de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, sur la proposition de résolution de MM. Maurice Blin, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan, Louis Souvet et Jean Arthuis, tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires.

Nombre de votants : 318
Nombre de suffrages exprimés : 318
Pour : 221
Contre : 97

Le Sénat a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Contre : 16.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (22) :

Pour : 16.
Contre : 6. _ MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André Boyer, Yvon Collin, Mme Joëlle Dusseau et M. Robert-Paul Vigouroux.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (95) :

Pour : 94.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Gérard Larcher, qui présidait la séance.

GROUPE SOCIALISTE (75) :

Contre : 75.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (58) :

Pour : 57.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. René Monory, président du Sénat.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (45) :

Pour : 45.

Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (9) :

Pour : 9.

Ont voté pour


Nicolas About
Philippe Adnot
Michel Alloncle
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Alphonse Arzel
Denis Badré
Honoré Bailet
José Balarello
René Ballayer
Bernard Barbier
Janine Bardou
Michel Barnier
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Henri Belcour
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse Jacques Bimbenet