M. le président. « Art. 24. _ Le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes est évalué pour l'exercice 1998 à 91,5 milliards de francs. »
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. J'y renonce, monsieur le président.
M. Emmanuel Hamel. C'est un signe de désapprobation à l'égard de l'action de la Commission !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Denis Badré, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat de cet après-midi n'est ni anecdotique ni marginal. Il porte en effet sur 91,5 milliards de francs, montant du prélèvement sur nos recettes à réserver au budget des Communautés européennes.
C'est lourd ! C'est en effet plus de 8 % de nos dépenses civiles, hors paiement d'intérêts. C'est presque le triple des crédits affectés directement à notre agriculture par notre budget national. Ce débat est d'ailleurs également important parce qu'il nous donne l'occasion d'examiner un budget européen qui apporte à cette agriculture près de deux fois ce que lui réserve notre propre budget.
En chiffres arrondis, 90 milliards de francs représentent notre cotisation à l'Europe, 60 milliards de francs, le retour agricole de l'Europe vers la France et 30 milliards de francs, l'effort propre de la France pour son agriculture.
Enfin et surtout, ce débat est important, car nous attendons de ce budget qu'il donne à l'Union européenne les moyens d'exprimer concrètement la volonté commune des Quinze de faire converger leurs économies, de renforcer leur cohésion, d'affirmer la présence de l'Europe sur la scène mondiale.
Ce débat est donc tout simplement important parce qu'il concerne l'Europe, l'Europe qui représente plus que jamais pour nous un formidable enjeu, toujours un grand rêve, encore un long chemin et, certainement, une ambition exigeante pour chacun d'entre nous.
Oui, ce débat est essentiel, alors que l'Europe entre de nouveau dans une décennie historique, avec la mise en place de l'euro, la définition de nouvelles perspectives financières, les négociations devant déboucher sur un élargissement sans précédent et, nous l'espérons, un renforcement indispensable des institutions !
J'aurais pu, inversement, minimiser l'importance de l'enjeu en indiquant que, après tout, 91,5 milliards de francs, ce n'est qu'à peine plus de 1 % de notre PIB et donc seulement le tiers de notre déficit. Cela aurait été un effet de dialectique un peu facile.
Je n'utiliserai cet argument que pour redire au passage qu'un déficit du budget national de 3 % du PIB est encore excessif et pour répéter que celui-ci n'est dû ni à Maastricht ni à l'Europe.
Je relativiserai davantage la portée de notre débat en indiquant que nous sommes appelés à nous prononcer sur une de ces « cotisations volontaires obligatoires » - j'aime la formule ! - dont les eurocrates spécialistes de la PAC ont le secret, cotisations dont le montant est fixé et non négociable, et dont le principe lui-même n'est pas discutable.
Nous savons bien, en effet, que le niveau du prélèvement dont nous débattons provient de décisions antérieures largement irréversibles, prises dans le cadre de négociations qui sont diplomatiques, autant sinon plus que budgétaires.
Nous savons bien aussi que, si nous refusions de voter ce prélèvement, nous prendrions le risque d'une grave crise européenne, crise dont la responsabilité serait imputée à la France puisque celle-ci se serait mise en infraction au regard de ses engagements.
Je note tout de suite que nos partenaires allemand et néerlandais, dont la foi dans l'Europe n'est pas à confirmer, se posent avec force et dans les mêmes termes exactement les mêmes questions.
Pour forcer le trait, j'ajouterai que, si le montant du prélèvement est imposé et fixé ne varietur sans possibilité d'amendement à 91,5 milliards de francs, il reste, en fait, largement indicatif, ou incertain, comme vous voudrez. Il constitue, en réalité, une évaluation hypothétique d'un budget encore virtuel, la procédure budgétaire européenne n'étant pas achevée.
L'expérience prouve d'ailleurs que, finalement, le prélèvement s'avère différent. Jusqu'à présent, il a toujours été révisé à la baisse. En 1997, pour la première fois, il a été réévalué de 1 milliard de francs, passant à 88 milliards de francs alors que la loi de finances l'avait arrêté à 87 milliards de francs.
Cela dit, ces 91,5 milliards de francs que l'on nous appelle à verser au budget communautaire représentent bien une stricte obligation pour la France, obligation qui s'impose à notre parlement national.
Alors, me direz-vous, à quoi bon en discuter ?
Je rappelle que le principe de ce débat a représenté, il y a quelques années, une grande conquête du président de la commission des finances, M. Christian Poncelet.
En l'état actuel de l'histoire du budget européen, il me paraît bon que nous puissions ainsi nous exprimer sur un sujet essentiel et que nous le fassions de manière aussi critique et constructive que possible, compte tenu des enjeux.
Alors, si vous nous écoutez, monsieur le ministre, et si vous pouvez vous faire notre interprète au Conseil des ministres, à Bruxelles, notre débat sera vraiment utile !
A l'approche de la définition de nouvelles perspectives financières pour la période allant de l'an 2000 à 2006, le temps nous semble venu de faire rapidement des propositions.
La France doit préparer cette échéance budgétaire capitale de 1999 comme elle prépare l'Union économique et monétaire ou l'élargissement, avec autant de sérieux, d'ambition et, si possible, d'imagination.
Il faudra passer un jour - et le plus tôt sera le mieux - d'un budget des Communautés à un véritable budget de l'Union, un budget qui construise vraiment l'Europe, un budget lisible par les citoyens, un budget dont l'architecture ait une signification, dont les dépenses, par leur montant et leur répartition, traduisent de vrais choix, dont le financement s'inscrive dans des perspectives claires et adaptées.
Il reste, mes chers collègues, de tous ces points de vue, du chemin à parcourir. Il est donc urgent de nous mettre en route.
Je le dis clairement, le projet de budget européen pour 1998 ne nous satisfait pas. Sans doute le Conseil a-t-il freiné un peu la dérive dépensière qu'avait, une fois de plus, manifestée la Commission. Il a ramené de 2,9 % à 0,7 % la progression des crédits de paiement. Mais 0,7 %, c'est encore trop !
Le budget européen est essentiellement un budget d'intervention, qui n'a pas à supporter de dette et qui a à payer très peu de fonction publique. Le budget européen est donc arbitrable presque au premier écu, demain au premier euro ; de quoi faire rêver ceux qui peinent à équilibrer les budgets nationaux !
Je rappelle que, dans le budget français, 16 % des dépenses concernent le service de la dette et que près de la moitié servent à payer la fonction publique.
On doit donc pouvoir attendre de la Commission qu'elle accepte de réduire ses propositions de dépenses. C'est certainement possible. Pour cela, monsieur le ministre, le Conseil, en véritable acteur politique, doit donc s'exprimer plus fortement. Limiter l'augmentation des dépenses à 0,7 % reste un échec. Veillons à ce que cet échec de la programmation financière du budget européen ne devienne pas un échec pour l'Europe, et même de l'Europe. Les citoyens des Etats de l'Union attendent mieux. L'Europe doit donner l'exemple, faute de quoi nous verrons les Européens se détourner d'elle.
M. Emmanuel Hamel. Cela commence, heureusement !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Ne serait-il pas temps, monsieur le ministre, d'inverser les méthodes de construction du budget européen ? En effet, une simple reconduction des dépenses provoquerait déjà mécaniquement une augmentation de notre contribution nationale. Par ailleurs, une progression de 0,7 % entraîne un dérapage de la contribution française de plus de 5 %.
L'Europe gagnerait à se fixer non pas un objectif de progression plus ou moins ralentie de ses dépenses, mais bien un objectif de baisse du niveau des contributions qu'elle prélève dans chaque pays : ce sont ces prélèvements sur les Etats qui sont concrets pour les autorités budgétaires des membres de l'Union : ce sont eux qui sont appréciés -, pas toujours positivement ! - par les contribuables, donc par les citoyens de l'Europe.
Le budget européen doit construire l'Europe comme le budget national doit donner ses meilleures chances à la France. Or, si nous récusons l'idée selon laquelle les Français pourraient s'accommoder d'une progression constante des prélèvements qu'ils supportent, nous avons la conviction que la dérive des prélèvements européens rendra l'Europe insupportable aux contribuables nationaux. Il faut donc d'urgence l'enrayer.
Quel que soit l'usage qui sera fait de ces crédits, le budget européen discréditera l'Europe aux yeux des opinions publiques, s'il dérape.
L'an dernier, M. le président Poncelet citait cette formule du général de Gaulle : « L'Europe est une cathédrale à la construction exigeante, mais dont les rayons irradient bien au-delà des fidèles qui s'y pressent. »
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est exact !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Pour rayonner, l'Europe doit être bien plus qu'un budget. Elle ne vit pas, loin de là, que de son budget, et il nous faut combattre sans complaisance une conception étroitement « budgétariste » de la construction européenne. Et c'est un « budgétaire » qui vous le dit !
Mais plus d'Europe, ce n'est pas toujours plus de crédits sur un toujours plus grand nombre de lignes. Je ne dis pas cela en l'air : certains imaginent précisément, aujourd'hui, qu'il serait intéressant de créer une nouvelle ligne pour soutenir l'emploi. Cette idée part, évidemment, d'une bonne intention, mais elle est, malheureusement, de celles dont l'enfer est pavé. Ce serait, évidemment, non seulement une ligne mais aussi des crédits et des procédures supplémentaires dans un domaine budgétairement déjà lourd, où règne déjà une certaine complexité et où l'intervention publique doit tout spécialement être lisible et efficace. De grâce, dans ce domaine sensible, plus encore qu'ailleurs, faisons jouer la subsidiarité !
L'emploi ne se décrète pas à Bruxelles, il se crée sur le terrain, avec et par les entreprises. Que Bruxelles et les Quinze retiennent des objectifs communs et harmonisent la réglementation, c'est parfait. Il faut le faire. Mais, ensuite, que chacun assume ses responsabilités !
Une telle innovation - la création d'une ligne budgétaire sur l'emploi - risquerait de déboucher sur une confusion croissante, discréditant nos politiques de l'emploi et, ce qui est également grave, débouchant sur moins d'Europe. Elle n'apporterait en effet de satisfaction qu'à ceux qui cherchent des excuses à leur difficulté à trouver des solutions locales.
Non, nous ne voulons plus voir l'Europe transformée en bouc émissaire de tous les maux que nous ne savons pas traiter dans chacun de nos Etats !
L'an dernier, j'avais exprimé la crainte que les Allemands, de loin les plus gros contributeurs nets, ne refusent de continuer à payer pour les autres, portant ainsi un coup irrémédiable à la construction européenne. Je renouvelle l'expression de cette crainte, dont certaines déclarations récentes ont malheureusement confirmé le bien-fondé.
Je parlais aussi, à l'instant, des Pays-Bas. Un tel discours pourrait très vite être tenu en France, en Italie, en Autriche et dans d'autres pays.
Nous arrivons, monsieur le ministre, à une limite. Les ressources propres traditionnelles de l'Europe ne financent plus que 15 % des dépenses européennes. Pour plus de 85 % donc, celles-ci sont désormais couvertes par les contribuables des Etats, et le déséquilibre s'accentue.
Ce qui a été accepté au début comme une facilité temporaire - appeler directement les Etats à cotiser - risque très vite de devenir un poison pour l'Europe, et ce poison fera des ravages dans les pays principaux contributeurs nets, qui sont ceux dont on attend le plus pour construire l'Europe.
Paradoxalement, les ressources que sont les contributions des Etats, assises sur les bases de TVA ou calculées sur le PNB - peu importe, de ce point de vue-là - ne sont qualifiées de « propres » que de manière impropre.
Elles résultent de calculs. Chaque Etat se livre effectivement à des calculs subtils pour voir quel système lui est le plus favorable. Il s'agit là plus d'une compétition intra-européenne que d'une construction européenne. Sans signification et sans élan, cette conception ne passe plus, aujourd'hui. Elle joue contre l'Europe et contre chacun de ses membres.
De plus, le système est fragile et très déresponsabilisant pour les acteurs communautaires comme pour les Etats de l'Union.
Son lien avec les réalités économiques est ténu. La contribution française, assise sur notre PNB, aura doublé de 1993 à 1997, ce qui est bien loin d'être le cas, malheureusement, de la progression de notre PNB lui-même.
En outre, la combinaison de la ressource calée sur l'assiette de TVA et de celle qui est assise sur le PNB pose une série de problèmes au regard de la sincérité comme de l'harmonisation des contributions des Etats membres. Comme je les détaille dans mon rapport, je n'y reviens pas, sauf pour souhaiter que l'instance de coordination de la lutte anti-fraude mise en place voilà un an montre rapidement son efficacité.
En souhaitant que la réflexion sur la nature des recettes du budget communautaire soit donc reprise, je n'ignore pas, mes chers collègues, que ce débat se heurtera très naturellement à de vraies difficultés de fond, puisque lever l'impôt est une prérogative de souveraineté nationale et qu'il faut veiller au consentement démocratique à l'impôt.
Notre rapporteur général nous invite à prendre la mesure des phénomènes de concurrence fiscale en Europe et insiste sur l'impérieuse nécessité d'en corriger les effets. Sans doute devons-nous donc nous demander en particulier si la substitution d'une vraie ressource aux actuelles contributions des Etats membres ne pourrait pas être l'occasion de faire coup double : d'abord, en luttant contre toutes les formes de concurrence et, malheureusement aussi, de fraude fiscale ; ensuite, en jetant les bases d'un système de financement du budget européen qui soit plus responsabilisant.
Tout ne va pas encore pour le mieux dans la meilleure des Europes budgétaires.
Pourtant, nous devrions pouvoir fabriquer un budget européen à la rigueur exemplaire.
Pourtant, nous devrions pouvoir compter sur un budget européen qui prépare l'élargissement. Las ! dans son Agenda 2000, la Commission dévoile sa vision de la programmation budgétaire pour la période 2000-2006, et celle-ci nous inquiète, monsieur le ministre. La Commision table, en effet, sur une progression des dépenses européennes de 3,5 % par an, soit un rythme qui risque d'être supérieur à celui de la croissance escomptée en Europe.
C'est inacceptable, lorsque tout doit être fait, au contraire, pour réduire le poids des prélèvements obligatoires, qui atteignent en Europe un niveau excessif. C'est inacceptable, alors que les dépenses européennes sont des dépenses de pure intervention. C'est inacceptable, quand les règles européennes de discipline budgétaire imposent aux Etats de réduire leurs dépenses propres.
Mais analysons d'un peu plus près le catalogue des dépenses proposées pour 1998.
J'observe, tout d'abord, que les dépenses agricoles, dépenses obligatoires qui représentent toujours environ la moitié du total, apportent une contribution essentielle à l'apparente maîtrise des crédits. J'aimerais, monsieur le ministre, que vous puissiez me confirmer que les abattements réalisés sur ces dépenses vous paraissent réalistes et qu'ils sont rendus réellement possibles par la réduction de la différence entre les cours mondiaux et les cours européens de nos grandes productions, ou que vous nous disiez s'ils procèdent, au contraire, de décalages d'exécution, ce que je redoute quelque peu.
Si la première hypothèse est la bonne, il nous faudra tirer les enseignements d'une évolution lourde, encore largement imprévisible en 1992, à Edimbourg, et il faudra le faire en ayant en perspective l'élargissement. C'est d'ailleurs, je pense, cette évolution des cours qui a permis d'absorber sans trop grande douleur budgétaire la malheureuse affaire de la « vache folle », en restant sous la ligne directrice de la politique agricole commune.
En sens inverse, je remarque que le montant des crédits de paiement des fonds structurels s'accroît sans cesse, sur un rythme actuellement considérable de 4,2 % par an, les crédits d'engagement progressant, pour leur part, de 6,3 %. Ces augmentations ne peuvent, elles, être acceptées en l'état.
A voir la croissance ininterrompue des crédits d'actions structurelles, le budget européen est devenu, de fait, un véritable budget de transferts entre Etats. Cette évolution est, en théorie, justifiée par le besoin d'un rapprochement des conditions économiques réelles prévalant dans les Etats membres de l'Union. Malheureusement, les progrès réalisés sur ce chemin semblent encore inégaux. Ces politiques devraient être progressivement recentrées sur ce qui construit vraiment l'Europe, donc sur la cohésion.
Mis à part les moyens affectés à la cohésion, dans le domaine des politiques structurelles plus encore qu'ailleurs, le principe de subsidiarité devrait être strictement respecté ! Je crois que ce serait également de notre intérêt national.
Nous savons qu'un travail d'évaluation de l'impact des aides structurelles a été lancé par la Commission de Bruxelles. Connaissez-vous, monsieur le ministre, ses premières conclusions ?
Pouvez-vous également nous confirmer que tout est fait par Bruxelles pour assurer une bonne cohérence entre l'augmentation des crédits d'actions structurelles du budget européen et les efforts propres réalisés par les Etats qui en bénéficient ?
Je dois aussi, malheureusement, relever à nouveau l'importance considérable de la sous-exécution budgétaire. S'agissant des crédits structurels, celle-ci s'élevait à 29,5 milliards d'écus, soit davantage que le montant total des crédits de paiement prévus pour 1998. Un an de retard, donc ! Imaginez l'indignation que provoquerait une situation équivalente pour le budget de la France !
Je souhaitais, là aussi, que vous nous donniez votre sentiment et que vous nous indiquiez vos intentions afin que soit rapidement et radicalement mis un terme à ce dérapage. Celui-ci est, en effet, désastreux pour le budget. Bien plus, il nuit gravement à la crédibilité de la politique qu'il finance.
Au passage, je ne suis pas certain que notre pays lui-même ait tout mis en oeuvre pour consommer vite et bien ce type de crédits européens. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez faire le point à cet égard et, le cas échéant, prendre, là aussi, les dispositions voulues pour redresser la situation. La France sera mal fondée à dire qu'elle tient à ces aides si sa diligence à les mettre en oeuvre peut être mise en doute.
Les dépenses des politiques internes et celles qui sont consacrées à l'action extérieure de la Communauté représentent ensemble environ 11 % des crédits européens, une grosse moitié au bénéfice des politiques internes, une petite moitié pour les actions extérieures.
Les dépenses relatives aux politiques internes, avec plus de 4,8 milliards d'écus, représentent 5,7 % du budget européen. Elles sont en repli sensible, puisque les crédits de paiement qui leur sont réservés baissent de 8 %, les crédits d'engagement ne diminuant, eux, que de 3,8 %.
Je pense que ces crédits, précisément, devraient faire l'objet d'une attention toute particulière. S'ils sont bien ciblés et bien utilisés, contrairement aux crédits des politiques structurelles, ils sont de ceux qui ont une vocation évidente à construire directement l'Europe.
La plus grosse part de ces crédits - deux tiers du total - est destinée à financer le quatrième programme cadre de recherche et développement, ou PCRD, auquel devrait très prochainement succéder un cinquième. Dans ce domaine aussi, il est essentiel de bien analyser la situation au regard tant des intérêts nationaux que de la construction de l'Union, afin de pouvoir préparer sérieusement ce prochain PCRD.
Au lieu de promouvoir de grands projets européens de recherche et de mobiliser les chercheurs européens autour de ces projets exceptionnels, le quatrième PCRD a donné trop souvent l'impression un peu déplaisante de constituer une « tirelire européenne de la recherche », sans réelle plus-value. Je ne peux donc que vous demander la plus extrême vigilance lors de la définition du cinquième programme. Les crédits européens de recherche ne doivent pas être présentés, et parfois perçus par les chercheurs eux-mêmes, comme une deuxième chance pour obtenir un financement à leurs projets. C'est un peu dévalorisant, et pour la recherche et pour nos chercheurs.
Je remarque d'ailleurs incidemment qu'à ce « jeu » l'efficacité de nos chercheurs laisse à désirer - bien sûr, ce n'est pas leur métier - puisque la France, malgré son potentiel de recherche, ne bénéficie que de 12 % des versements européens en la matière. On doit, à l'inverse, saluer la performance des chercheurs belges ou néerlandais qui, elle, est bien meilleure.
Sur le plan comptable, nous n'aurions donc pas grand-chose à perdre à une renationalisation de la polique de la recherche. Cependant, ce n'est pas ce que je demande, car nous perdrions le principe du « faire ensemble ». Ce sont les possibilités de faire jouer les synergies entre laboratoires qui tomberaient. Je regrette que ce ne soit pas vraiment elles que favorise pour l'instant le PCRD ! Tout cela est fâcheux pour la recherche et très mauvais pour l'Europe ! Il faut ici soit une révision déchirante et profonde, soit une démonstration rapide et claire de l'intérêt du système en vigueur. Je doute que vous puissiez la faire.
Avec 8,6 % des crédits de politique interne, nous n'avons pas le sentiment que les réseaux transeuropéens, qui nous tiennent à coeur, jouissent d'une réelle priorité. Cela reste assez inexplicable s'agissant, ici, de crédits qui, eux, tout à la fois construiraient l'Europe et pourraient soutenir l'activité économique et l'emploi par leurs effets directs ou induits. Mais, là aussi, nous notons des difficultés d'exécution. Puisque des disponibilités budgétaires existent, il faut les mobiliser rapidement pour lancer concrètement un programme de grands projets et, dans le même temps, il faut réunir de nouveaux moyens pour les mener à leur terme. Ce serait bien mieux que d'accroître les crédits européens en faveur de l'emploi de 150 millions d'écus sans préciser leur destination !
Monsieur le ministre, moins de théorie et plus de pratique servirait l'Europe, l'Europe des citoyens ! Si, vraiment, 150 millions d'écus sont disponibles, affectons-les d'urgence aux réseaux transeuropéens ; ils serviront alors autant, sinon plus, l'emploi ; en même temps, ils façonneront l'Europe sur le terrain sans donner lieu à critique.
Les crédits d'actions extérieures, eux, construisent l'identité de l'Europe dans le monde et poussent ses membres à se rapprocher et à relever ensemble les vrais défis du moment. Ils représentent 5 % des crédits européens. Avec 27,7 milliards de francs, ils atteignent tout de même près du double de ceux de notre ministère des affaires étrangères. Ils sont nécessaires ; encore faut-il qu'ils soient affectés à de véritables priorités mises en oeuvre avec un grand souci d'exemplarité.
Dans ce cadre, l'effort consacré aux actions méditerranéennes serait désormais supérieur à celui qui est dirigé vers nos partenaires de l'Est.
Je me félicite de voir l'Europe confirmer l'intérêt qu'elle porte à son sud. Il ne faut cependant pas que ce soit par redéploiement budgétaire au détriment de l'effort engagé à l'Est. Je m'interroge, à cet égard, sur le développement des actions lancées pour faciliter l'élargissement. Si les procédures actuelles ne sont pas assez performantes, améliorons-les ! Ne les remettons pas en cause, ne relâchons pas notre effort ! Tôt ou tard, bien ou mal, l'élargissement se fera. Pour nos partenaires de l'Est comme pour nous, il faut qu'il intervienne dans les meilleures conditions possibles et qu'il renforce l'Europe. Insuffisamment préparé et mal conduit, il pourrait au contraire se retourner contre nous et ruiner l'Europe, dans tous les sens du terme.
Je regrette, enfin, que les autres initiatives dites « extérieures », en particulier l'aide alimentaire ou humanitaire, voient leurs dotations réduites. L'image de l'Europe dans le monde mérite mieux, et je ne voudrais pas que l'humanisme, fierté de notre vieux continent, reste une philosophie à usage interne.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Nous ne pouvons accepter un effacement, même relatif, de notre continent dans le monde. Il nous faut continuer à nous montrer dignes de l'intuition des fondateurs de l'Europe, qui, à Yaoundé et à Lomé, ou avec la mise en place du Fonds européen de développement, ont d'emblée voulu et su faire rimer « construction européenne » avec « élan, ouverture et générosité ». C'est, pour nous, une nécessité morale. Il se trouve que c'est également notre intérêt bien compris. Je le dis en pensant aussi au débat qui s'est engagé ce matin à l'Assemblée nationale.
Ce rapide survol du projet de budget européen pour 1998 confirme qu'à dépenses diminuées on pourrait être plus efficace, du strict point de vue budgétaire comme du point de vue de la construction européenne. Une réflexion s'impose concernant le financement du budget européen. Nous ne pouvons plus ni éluder ni même reporter le débat sur les priorités d'affectation de ce budget. Cette réflexion et ce débat, nous devons les lancer à Paris pour qu'ils puissent être bien conduits à Bruxelles. Je précise que, si nous sommes devenus « contributeurs nets », nous sommes encore loin derrière l'Allemagne. C'est donc aussi en particulier avec notre partenaire d'outre-Rhin que nous devons rapidement approfondir ces sujets.
Je ne développe pas ici l'analyse sur le « retour » national des crédits européens. Nous l'avons fait en commission des finances et le rapport développe largement cette question. Je considère en effet que cette approche des « retours nets » n'a rien d'européen. Au demeurant, nos contributions représentent non pas le total des ressources du budget européen, mais seulement 85 % et toutes les dépenses ne sont pas localisables dans les Etats, mais seulement 75 % d'entre elles.
Alors, les comparaisons comptables - 85 % de ressources, 75 % de dépenses - ont-elles encore un sens ? Je ne le pense pas, et c'est heureux qu'il en soit ainsi !
Si, en effet, quinze Etats se sont unis, ce n'est ni pour fonder un syndicat de défense ni pour créer une société d'intérêts mutuels. Si nous travaillons ensemble, c'est évidemment pour être plus efficaces dans ce que nous avons chacun à faire, mais c'est aussi et surtout pour développer, ensemble, une politique commune et pour, ensemble, mieux servir la paix. Or, à cet égard, comment affecter à chaque Etat un « retour » des crédits de politique extérieure ? Ce serait un non-sens, car la paix n'a pas de prix !
Je constate que l'adoption de l'euro par la France soulève moins de contestations que dans le passé, et je m'en félicite. Sa mise en place est, en effet, un événement historique de première grandeur.
M. Emmanuel Hamel. Tragique grandeur ! C'est la grandeur de la France qui disparaît !

M. Denis Badré, rapporteur spécial. De même que je n'aime pas voir le traité de Maastricht réduit à des « critères », de même il nous faut veiller à ce que cette mise en place de l'euro ne se fasse pas de manière honteuse. Le pacte de stabilité budgétaire, si performant et nécessaire soit-il, doit permettre son succès et non l'occulter. Et la stabilité budgétaire va dans le sens et de la convergence et de la santé de chacune de nos économies.
Je me retrouve donc bien là dans le cadre de notre débat budgétaire national en disant qu'il ne faut ni nous disperser ni céder au laxisme. La construction européenne est dans une phase cruciale. Nous devons la vivre comme un appel à nous projeter dans l'avenir et à aller à l'essentiel, sur de vraies priorités. Demandons-nous où nous en serions si l'idée de construire l'Europe n'avait pas été lancée il y a cinquante ans.
M. Daniel Hoeffel. Bravo !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Demandons-nous où nous en serons dans cinquante ans si nous ne trouvons pas aujourd'hui la force d'aller de l'avant avec autant de rigueur que de détermination. Cessons de voir dans la construction européenne une suite infinie de caps à franchir et d'écueils à éviter. Voyons au contraire dans chaque nouvelle étape une nouvelle chance à saisir pour affirmer une grande rigueur et pour affermir une détermination lucide, exigeante et active.
Nous devons entraîner nos partenaires en choisissant l'avenir. C'est l'attitude que nous devons adopter budget après budget. Et c'est intentionnellement que je ne précise pas si je parle du budget national ou du budget européen. Je parle, en fait, des deux !
Alors, l'échéance de 1999 et la définition de nouvelles perspectives budgétaires pourront être saisies comme une chance pour servir mieux les intérêts de notre pays dans l'Europe.
Monsieur le président, mes chers collègues, je vous invite à adopter l'article 24, comme l'a fait notre commission des finances, mais dans un contexte de grande vigilance, en attendant du Gouvernement qu'il adopte à Bruxelles une attitude qui sera d'autant plus européenne qu'elle sera plus rigoureuse. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 26 minutes ;
Groupe socialiste : 23 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 20 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 18 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 13 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 6 minutes.
La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. le rapporteur spécial, Denis Badré, a excellemment présenté l'article 24 du projet de loi de finances, qui évalue à 91,5 milliards de francs le prélèvement sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes. M'inspirant de son travail, je voudrais faire quatre remarques.
Première remarque, le mot « évaluation » est doublement justifié.
Tout d'abord, cette inscription budgétaire a ceci de particulier que nous intervenons avant la fin de la procédure communautaire, procédure complexe, qui doit s'achever en décembre devant le Conseil et le Parlement de Strasbourg. Or, il est fréquent que celui-ci revienne sur certaines réductions de crédits opérées par le Conseil, par rapport à l'avant-projet budgétaire de la Commission, et rétablisse les choix initiaux de cette dernière. Le dernier mot de ce dialogue n'est donc pas encore connu.
Ensuite, et surtout, l'exécution du budget communautaire est d'habitude fort différente des intentions proclamées, ce qui est vrai pour les recettes, comme pour les dépenses.
En recettes, des écarts seront nécessairement constatés par rapport aux prévisions au titre de la ressource TVA et de la ressource complémentaire fondée sur le produit national brut, ressource qui joue, comme on le sait, le rôle de variable d'ajustement. Le fait que la part de ce que M. Badré, dans son rapport écrit, appelle les « vraies » ressources propres - droits de douanes et prélèvements agricoles - tende à diminuer constitue une menace pour la solidité d'un système budgétaire qui reposera de plus en plus sur la bonne volonté des Etats membres.
En dépenses, on constate une importante sous-consommation des crédits - M. Badré vient de le souligner - notamment dans les actions structurelles, qui représentent un gros tiers du budget communautaire, en dépit de la priorité politique affichée en faveur de ces actions depuis le Conseil d'Edimbourg, priorité que les perspectives d'élargissement ne font que renforcer. La sous-exécution constatée pour la période 1994-1996 était de l'ordre de 10 %, quoiqu'elle ait été quelque peu réduite depuis pour les crédits d'engagement.
En paiements, le décalage reste impressionnant : 46 % de crédits inexécutés en 1996. Notre pays ne se situe d'ailleurs pas à un rang remarquable pour la consommation des fonds structurels qui lui sont destinés.
J'en viens à ma deuxième observation : il s'agit d'un budget de rigueur...relative.
La rigueur du budget présenté par le Conseil, sur la base de l'avant-projet budgétaire de la Commission, a été saluée dans le document - « le jaune » - que le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie nous a transmis.
Alors que la Commission avait préparé un avant-projet budgétaire pour 1998 en progression de 2,1 % pour les crédits d'engagements et de 2,9 % en crédits de paiement, le Conseil budgétaire du 24 juillet 1997 a limité ces progressions : 1,9 % pour les crédits d'engagement, soit 90,9 milliards d'écus, et 0,7 % pour les crédits de paiement, soit 82,9 milliards d'écus ; M. le rapporteur spécial vient de dire ce qu'il en pensait. Les fonds structurels ont été la principale cible de cet effort d'économie. Mais on n'arrive pas pour autant à cette « croissance zéro » qui, pour la deuxième année exécutive, avait été proclamée comme le but de la manoeuvre, puisque l'accroissement des crédits de paiement est de 0,7 % par rapport à 1997. « Rigueur apparente », dit M. le rapporteur spécial, qui souligne, en outre, la progression rampante des dépassements non obligatoires par rapport aux dépassements obligatoires. Je ne peux que lui emboîter le pas.
Il est vrai que ces dépenses non obligatoires incluent traditionnellement les fonds structurels, que l'on peut bien considérer comme obligatoires depuis le Conseil d'Edimbourg. Ces dépenses d'actions structurelles augmentent de 4,2 %, contre 2,3 % en 1997, alors que les crédits agricoles, avec un pourcentage d'amputation de 0,4 %, sont pratiquement stables.
L'agriculture, qui représente une petite moitié du budget communautaire - 47 % - et concerne principalement notre pays, est donc relativement moins bien traitée que les fonds structurels qui dépassent maintenant le tiers de ce budget - 37 % - et qui en intéressent beaucoup d'autres. Il est clair, compte tenu de l'élargissement, que le principal enjeu du débat budgétaire dans les années à venir se fixera sur ces dépenses-là.
Ma troisième observation est liée à la croissance considérable de notre contribution au budget communautaire. Celle-ci est d'ores et déjà considérée par la direction du budget, après la dette et la fonction publique, comme l'une des variables non maîtrisables de la dépense publique.
Sur les dix dernières années, la croissance du prélèvement sur recette nous a fait passer de 1,25 milliard de francs en 1997 à 91,5 milliards de francs aujourd'hui, soit plus de 6 % de nos recettes fiscales, avec, grosso modo, à l'intérieur de cette période, une phase de croissance rapide, jusqu'en 1994, une petite stagnation de 1994 à 1996, et une reprise de la croissance depuis.
En 1996, notre pays apparaît donc comme le deuxième contributeur au budget européen, avec une part de 17,6 %, loin, il est vrai, derrière l'Allemagne et ses 30 %, mais nettement devant l'Italie - 12,1 % - et le Royaume-Uni - 10,8 %. Surtout, nous sommes devenus contributeurs nets : en 1995 - c'est la dernière année au cours de laquelle le montant global des paiements de la Communauté à la France est cerné précisément - la France encaissait 16,1 %, contre 17,4 % en 1994, et décaissait 17,5 %. Pour ma part - je m'en excuse auprès de M. le rapporteur spécial - je ne suis pas absolument opposé à une démarche comptable de cette nature.
Cette différence en notre défaveur représentait plus de 14 % du prélèvement sur recette que l'on nous demande de consentir.
Cette situation s'explique par la montée en puissance des actions structurelles, qui vont d'abord aux pays les moins avancés de l'Union, phénomène que l'élargissement de celle-ci ne fera qu'amplifier. Plus pressant encore sera donc notre devoir de réfléchir en permanence, d'une part, à la qualité et à la rigueur de la gestion budgétaire et, d'autre part, même si nous n'affichons pas la volonté d'un « juste retour » comptable à la Thatcher, à - comment dire ? - la « juste part » qui doit nous être consentie.
J'en viens enfin à ma quatrième observation : la France paiera de plus en plus et recevra de moins en moins.
Nos gouvernements, quelle que soit leur couleur, se sont toujours exprimés sur ce point avec une décence qui touche à la timidité. Est-ce le souvenir d'une époque où la France agricole apparaissait comme le principal demandeur ? S'agit-il d'un complexe à l'idée de passer pour un mauvais Européen ou d'une crainte d'encourager les Allemands dans leur tentation, de plus en plus visible, d'emboîter le pas à la Grande-Bretagne ?
Pourtant, l'Europe n'est jamais aussi solide que lorsque l'intérêt de chacun est respecté. Nous aurions donc tort de ne pas méditer bien des avertissements qui nous viennent d'outre-Rhin, notamment, par exemple, cette phrase d'un gourou de la Bundesbank, M. Otman Issig, figurant dans un entretien accordé tout récemment au quotidien Le Monde : « Au niveau européen, il n'y a pas de volonté politique de payer encore plus pour les autres Etats. Une telle situation créerait d'ailleurs des tensions politiques. »
La contribution nette de la France n'est connue que pour l'année 1995, qui était la première année de l'Union européenne à quinze. Des raisons conjoncturelles, liées notamment à la sous-exécution du budget 1994 et à l'augmentation des retours agricoles, ont fait que le problème, alors, n'est pas devenu politiquement sensible. Pourtant, le Gouvernement écrit, au début du « jaune » sur les relations financières avec l'Union européenne - il faut le féliciter de sa franchise, bien que pudiquement dissimulée dans un document technique - que « la France est un pays structurellement contributeur net ». Elle le sera de plus en plus.
Avec l'élargissement, cette nécessité historique proclamée par le Président de la République à Varsovie, nous devrons nécessairement nous serrer pour faire une place aux autres. On ne peut déclarer que l'on croit à la grande Europe - ce n'est autre chose que l'Europe tout court, réintégrée dans son unité historique, une fois rasé le mur de Berlin - et se refuser aux efforts indispensables. Six Etats sont sur la ligne de départ, dont trois sont pratiquement entrés. L'Europe des Quinze deviendra celle des Vingt et un, et - qui sait ? - des Vingt-cinq.
Comme toutes les négociations se bousculent et qu'il nous faut à la fois faire l'euro et l'élargissement, revoir nos règles institutionnelles et budgétaires, réformer la politique agricole commune et les fonds structurels, nous ne pouvons nous employer à franchir soigneusement une haie après l'autre, ce qui serait pourtant nécessaire. Cela explique en partie le demi-ratage d'Amsterdam, appréciation à dessein modérée.
Nos intérêts sont menacés tant sur le plan agricole que sur celui des actions structurelles, qui devraient être abordées par le Conseil de Luxembourg de décembre 1997, et ont, en fait, peu de chances d'être réglés avant le Conseil de Vienne, à la fin de 1998. En effet, il faudra bien, entre temps, et avant d'obtenir une décision définitive, laisser passer les élections allemandes de l'automne prochain.
M. Christian de La Malène. C'est vrai !
M. Yann Gaillard. Personne ne se fait d'illusion là-dessus, au moins s'agissant des actions structurelles, puisque, en ce qui concerne l'agriculture et le « paquet Santer », il faudra bien aboutir à des décisions avant les élections allemandes. Nous ne pouvons laisser dans l'expectative nos agriculteurs les plus menacés, à savoir les éleveurs, surtout ceux de viande bovine, et les producteurs d'oléagineux et de protéagineux.
La délégation du Sénat pour l'Union européenne, sous la houlette de son président, M. Genton, se préoccupe du dossier structurel, qui nous met bien évidemment sur la brèche. Il semble que la Commission entende jouer sur le délai nécessaire pour faire entrer les nouveaux membres dans le système. Une réduction du nombre d'objectifs, avec priorité au futur objectif 1, qui n'intéresse plus que nos départements d'outre-mer, et au fonds de cohésion qui, par définition, n'est pas pour nous, devrait malgré tout nous laisser espérer, au titre des nouveaux objectifs 2 et 3, le maintien d'un certain flux. La procédure du phasing out , pour parler bruxellois, permettrait une sortie en douceur pour nos régions industrielles et agricoles déprimées. Un rapport sera présenté la semaine prochaine à ce sujet à la délégation pour l'information de notre assemblée.
M. Jacques Genton. Très bien !
M. Yann Gaillard. Mais les mesures auxquelles nous devons faire face dans les mois à venir ne porteront pas seulement sur les dépenses de transfert. Elles concernent aussi les recettes. Nous ne pouvons qu'être attentifs à la réticence de certains contributeurs, qui s'estiment exagérément taxés. L'Allemagne, qui a fait part, au mois d'octobre, d'un projet de réforme du système de calcul des contributions financières et dont la ferveur européenne semble bien émoussée, n'acceptera pas de contribuer indéfiniment, en net, à 50 % des dépenses communautaires. Les Pays-Bas semblent partager cette manière de voir.
Le fameux axe franco-allemand semble, sinon brisé, du moins faussé, depuis Amsterdam, où notre partenaire ne nous a suivis ni sur la réforme de la Commission ni sur les majorités qualifiées.
M. Jacques Genton. Et voilà !
M. Yann Gaillard. Cela promet à nos gouvernants bien des nuits blanches. Il est vrai que les nuits de l'Europe, depuis le demi-siècle qu'elle essaie de se faire, n'ont jamais été des nuits du 4 août !
Eppur si muove, « et pourtant elle tourne » - n'est-ce pas, monsieur Blin ? - en dépit des difficultés de toute nature, de la mondialisation, de l'ombrageuse tutelle américaine et des divergences naturelles entre les intérêts des peuples libres et égaux en droit qui constituent l'Europe, chacun s'estimant légitimement porteur d'une part de son message.
Ce débat sur l'article 24 du projet de loi de finances n'est certes pas le moment le plus indiqué pour déboucher sur des considérations géopolitiques. Qu'à tout le moins il soit l'occasion de constater que, sur les travées de cette assemblée, à l'exception peut-être d'une petite minorité - et encore, je n'en suis pas sûr ! - nous sommes tous attachés à la construction européenne.
M. Jacques Genton. Très bien !
M. Yann Gaillard. Cet effort historique est actuellement partagé entre le Président de la République, que nous soutenons, et le Gouvernement, que nous combattons, en vertu de notre devoir d'opposition républicaine.
A ce titre, il nous est permis de nous montrer - comment dire ? - plus royaliste que le Président de la République, par exemple quand nous avons à apprécier la consistance des résultats obtenus à tel ou tel « sommet », comme à celui d'Amsterdam, sur le plan institutionnel, ou à celui de Luxembourg, sur le plan social. Mais nul ne peut mettre en doute notre attachement, singulièrement celui du groupe au nom duquel je m'exprime, à l'Europe, une Europe qui ne défasse pas la France, comme l'on disait naguère, mais une Europe qui nous contraigne aussi à nous adapter au monde tel qu'il est, fût-ce au prix de certains renoncements idéologiques.
A Amsterdam, quand il s'est résigné au pacte de stabilité et de croissance, le Premier ministre a fait un premier pas. Nous ne doutons pas qu'il sera contraint d'en faire d'autres sur cette voie douloureuse, et nous l'y encouragerons au besoin ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'approuve le projet de budget des affaires européennes présenté par le Gouvernement, tout comme je souscris aux principales observations présentées par le rapporteur spécial, M. Denis Badré, en particulier lorsqu'il affirme que le budget des Communautés européennes est loin d'être parfait et lorsqu'il préconise un certain nombre d'orientations destinées à le rendre plus conforme à notre attente.
Je voudrais cependant assortir cette approbation de trois séries d'observations.
La première concerne la politique des fonds structurels.
Si la politique agricole commune absorbe environ 50 % du budget des Communautés européennes, les fonds structurels représentent déjà environ 30 % de ce budget, et nous ne doutons pas que, année après année, cette proportion va augmenter.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Hélas !
M. Daniel Hoeffel. La génération des fonds structurels en cours avait donné lieu à une répartition entre douze Etats. La prochaine négociation concernera environ vingt pays.
Malgré une certaine augmentation des crédits destinés aux fonds structurels, nous devrons donc faire preuve d'une extrême vigilance et d'une très grande rigueur pour que la répartition à venir se fasse dans des conditions de justice et d'efficacité maximales, ce qui, je le conçois, n'est pas facile.
Mais trois objectifs doivent être atteints.
Le premier, comme vient de le rappeler M. le rapporteur spécial, c'est que le principe de la subsidiarité préside à la répartition, car la subsidiarité est toujours gage d'efficacité.
Le deuxième objectif, c'est de veiller à ce que la cohésion soit le principe essentiel guidant la négociation sur la répartition des fonds structurels. Jusqu'à présent, ceux-ci ont probablement trop souvent été saupoudrés ; mais, pour l'avoir vécue, je connais les servitudes d'une telle négociation : au début, on part sur la base de principes fermes, et, à la fin de la négociation, lorsqu'il s'agit de mécontenter le moins de partenaires possible, on est souvent naturellement amené à succomber à la tentation du saupoudrage.
Puissions-nous, compte tenu du fait que les crédits ne sont pas indéfiniment extensibles et que le nombe des partenaires entre lesquels les fonds structurels doivent être répartis augmente, parvenir à ce que le principe de cohésion et de solidarité reste le principe fondamental en fonction duquel la négociation sera engagée.
Troisième objectif, enfin, il faut que, dans la répartition des fonds structurels au sein de notre pays, les collectivités locales puissent être davantage que par le passé associées à cette répartition proprement dite.
Il n'y a pas de véritable subsidiarité si l'Etat, dans la répartition, n'associe pas vraiment les collectivités locales chargées de veiller à la concrétisation des programmes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Ma deuxième observation concerne les réseaux transeuropéens.
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Ah !
M. Daniel Hoeffel. Je crois que nous devons y être profondément attentifs...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Oh oui !
M. Daniel Hoeffel. ... et cela pour quatre raisons, et pas seulement, monsieur le président de la commission des finances, pour le seul argument que vous me soupçonniez de présenter tout à l'heure.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est un argument fort, monsieur Hoeffel !
M. Daniel Hoeffel. La première raison, le premier argument, c'est évidemment le fait qu'à mon avis l'aide à l'emploi en Europe passe d'une manière pratique et concrète par la réalisation de réseaux transeuropéens.
M. Jacques Genton. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Je crois profondément, même si certains en doutent, que les grands travaux sont générateurs d'emplois. Si l'Europe veut se montrer efficace sur ce plan, elle doit s'engager dans le programme de réalisation des réseaux transeuropéens. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE - Mme Pourtaud applaudit également.)
Deuxième argument, les réseaux transeuropéens prioritaires - il y en avait quatorze - ont été définis d'un commun accord par tous les Etats membres de l'Union européenne lors du sommet d'Essen, en décembre 1994. Il y avait même été décidé qu'un certain nombre de ces réseaux devaient être entrés dans la phase de début des travaux avant la fin de l'année 1996.
Nous en sommes, hélas ! loin, les seuls crédits dépensés au titre des réseaux transeuropéens l'ayant été pour des études. Puisse enfin venir le temps du passage des études aux travaux !
Le troisième argument tient au fait que si, parfois, au sein de nos populations européennes, s'exprime un certain doute quant à l'efficacité et quant à la nécessité de l'Europe, c'est parce qu'elles ont le sentiment que, sur un certain nombre de plans, je pense notamment à l'emploi, l'Europe ne leur paraît pas être en mesure d'agir concrètement. Les réseaux transeuropéens sont une occasion offerte à l'Union européenne de se manifester sur un plan concret et sur un plan pratique.
Enfin, dernière observation sur ces réseaux transeuropéens, je crois qu'ils sont un élément fort pour traduire dans les faits une politique d'aménagement du territoire européen. Ces réseaux valent plus que n'importe lequel des schémas d'aménagement du territoire que l'on pourrait être amené à élaborer au niveau européen.
Ma troisième et dernière série d'observations, vous n'en serez pas étonnés, tient à la position de Strasbourg dans sa mission européenne.
Strasbourg est le siège du Conseil de l'Europe depuis plus de quarante ans et le siège du Parlement européen depuis toujours.
M. François Lesein. Il faut un TGV !
M. Daniel Hoeffel. Je vais y venir, mon cher collègue. Ne me soupçonnez pas d'oublier ce à quoi je veux parvenir !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. N'ayez aucun complexe !
M. Daniel Hoeffel. Je crois qu'il est parfois nécessaire de rappeler que certaines institutions européennes siègent ailleurs que dans la capitale de l'Alsace. Cela entraîne quelques servitudes, notamment pour les collectivités territoriales de cette région.
La Cour de justice européenne a récemment confirmé Strasbourg dans son rôle : la ville doit être et rester le siège du Parlement européen. Cela étant, une vigilance de tous les instants reste nécessaire, et cette vigilance se manifeste à quatre niveaux.
Il faut, tout d'abord, une position ferme du Gouvernement français quant à l'affirmation de la nécessité de préserver Strasbourg comme siège du Parlement européen. (M. le ministre acquiesce.) Cette vigilance, les gouvernements successifs en ont fait preuve. Monsieur le ministre, je vous fais entièrement confiance pour qu'elle soit préservée.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Ah oui !
M. Daniel Hoeffel. Par ailleurs, Strabourg constitue une implantation favorable pour les institutions européennes. A cet égard, l'achèvement en cours d'un nouvel hémicycle pour le Parlement européen, distinct de celui du Conseil de l'Europe, est une bonne chose. Il a pu être réalisé grâce à une garantie d'emprunt conjointe de l'Etat français et des trois niveaux de collectivités territoriales. C'est une servitude lourde, mais que nous acceptons volontiers d'assumer si elle permet de contribuer à affirmer la position de Strasbourg.
M. Jacques Genton. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Il faut également assurer des liaisons aériennes fiables avec le siège d'institutions européennes. Sur ce plan, les élus qui siègent tant au Parlement européen qu'au Conseil de l'Europe sont les témoins réguliers de plaintes relatives à l'insuffisance des liaisons aériennes, plaintes qu'une ponctualité de moins en moins respectée vient largement attiser.
Enfin, il y a évidemment la liaison TGV.
M. François Lesein. Ah !
M. Daniel Hoeffel. Au moment où Paris va être relié en une heure vingt à Bruxelles, il faut que les incertitudes, que les fluctuations quant au TGV-Est fassent place à une affirmation claire de notre volonté française de le réaliser... (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. ... et que la certitude quant aux perspectives de réalisation se substitue à l'incertitude.
Voilà, monsieur le ministre, quelques observations qui viennent s'ajouter à l'approbation du projet de budget que vous présentez, une approbation qui, pour moi, pour nous, les membres du groupe de l'Union centriste, est l'expression d'un acte de foi en l'avenir de l'Europe, d'un acte de foi dans le respect des échéances fixées sur tous les plans quant à la volonté de construction de l'Europe.
Mes observations ne concernent que les moyens pour mieux parvenir à atteindre cet objectif. Je souhaite, comme M. le rapporteur spécial tout à l'heure, que la rigueur à laquelle se soumettent tous les pays membres de l'Union européenne imprègne aussi et de plus en plus les Communautés européennes. Ce n'est pas douter de l'Europe que de rappeler cette exigence. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 24 est le plus court, mais aussi le plus lourd du projet de loi de finances pour 1998. Il ne comporte que trois lignes : « Le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes est évalué pour l'exercice 1998 à 91,5 milliards de francs. » Au prix de la ligne, il ne fait aucun doute que c'est bien l'article le plus pesant du projet !
Ce montant - 91,5 milliards de francs ! - représente à lui seul six fois et demie le budget du ministère des affaires étrangères - 14,4 milliards de francs. Ou, si vous voulez, mes chers collègues, une autre comparaison, le volume total des crédits que nous accordons, cette année, simultanément à la justice - 25 milliards de francs - au ministère de l'agriculture et de la pêche - 35 milliards de francs - à la coopération - 6 milliards de francs - et aux anciens combattants - 26 milliards de francs.
Pour être juste, il faut dire, dès l'abord, que les Communautés européennes retournent vers notre pays une partie de ces crédits - 56,7 milliards de francs l'an dernier - sous forme d'aides diverses, notamment à l'agriculture. Mais il n'en reste pas moins que des contributions très importantes - de l'ordre de 35 milliards de francs - vont à Bruxelles et n'en reviennent pas. Nous avons le droit et le devoir de savoir où elles passent.
Or nous sommes plutôt mal renseignés à cet égard. Je lis dans l'introduction de l'excellent rapport de notre rapporteur spécial, M. Denis Badré, ces deux phrases révélatrices : « L'évaluation figurant dans le projet de loi de finances a ses mystères. » Voilà que Eugène Sue a franchi le Quiévrain ! Seconde phrase : « Le vote - sur l'article 24 - est un vote largement contraint et partiellement aveugle. »
Contraint ? Certainement, puisqu'il s'agit du respect par la France d'engagements internationaux qu'elle a signés. Mais pourquoi « aveugle ? » Nous ne voulons pas de cette cécité et mon intervention, monsieur le ministre, a pour objet de vous demander de nous éclairer.
Certes, vous n'avez pas, nous n'avons pas la maîtrise de ces crédits. Mais au moins en avons-nous une connaissance précise ? La transparence vous semble-t-elle suffisante ? Les documents budgétaires qui vous ont été communiqués, et que nous pouvons voir partiellement dans les rapports, vous semblent-ils satisfaisants ?
Quelques points de détail m'intriguent.
Je relève, par exemple, que la France prend entièrement à son compte le transport des 626 députés européens, dont 87 Français, dans leur déplacement mensuel entre Bruxelles et Strasbourg, et comble à cette occasion le déficit d'exploitation des lignes aériennes desservant la capitale alsacienne. Oh ! il ne s'agit que de 28 millions de francs, mais est-il normal que ce soit notre pays qui assume complètement, et seul, cette dépense de navette entre Bruxelles et Strasbourg ?
Un autre point me semble beaucoup plus important, et à vrai dire extrêmement grave. Ce sont les fraudes dont nous avons beaucoup entendu parler cette année. Selon le rapport de la commission d'enquête sur le régime de transit communautaire en date du 20 février 1997, le rapporteur Edward Kellett-Bowman estime que le volume global des pertes dues aux irrégularités commises dans le cadre du régime de transit au sein de l'Union européenne s'élève, depuis 1990, au moins à 1 milliard d'écus, soit près de 7 milliards de francs. Et encore, précise le rapport, ce chiffre ne représenterait que 30 % du total estimé des fraudes, qui portent, est-il dit, particulièrement sur les fonds structurels, sur les remboursements agricoles et sur les trafics d'alcool et de cigarettes. Fort heureusement, on ne parle pas ici de la drogue, dont les experts, comme chacun le sait, sont à Amsterdam.
Sur ces malhonnêtetés, mes chers collègues, nous n'avons pas le droit de rester aveugles !
A cet égard, nous nous félicitons de l'initiative prise par la Commission européenne, qui a engagé des poursuites contre l'un de ses anciens directeurs du tourisme, qui a été inculpé avec huit de ses collègues fonctionnaires. Ces personnels ont été licenciés pour « irrégularité de gestion et détournement de fonds » et ils sont incarcérés depuis le mois de janvier dernier.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour faire preuve de la plus grande vigilance dans le triste domaine des prévarications bruxelloises.
Il est navrant, aussi, qu'au moment même où toutes les nations de l'Union européenne tentent de réduire leurs dépenses et se privent de toutes sortes de nécessités afin d'arriver, dans le trop bref délai du 1er janvier 1999, aux fameuses normes de Maastricht, ceux qui ont à Bruxelles la charge administrative de la Communauté ne semblent pas, eux, se priver.
Dans le budget de l'ensemble, nul ne rechigne là-bas aux dépassements et aux augmentations. Ainsi, les 91,5 milliards de francs mentionnés au début de mon propos correspondent, selon le rapport, « à un niveau supérieur de 4,5 milliards de francs par rapport à l'estimation figurant dans la loi de finances pour 1997 et de 3,5 milliards de francs par rapport à celle du projet de loi de finances rectificative pour l'année en cours », soit plus de 4 % d'augmentation. Cela me paraît inacceptable.
A un moment où la Communauté européenne recommande à tous ses membres économie et rigueur en même temps qu'elle édicte règles et contraintes, le siège et l'état-major non seulement ne donnent pas l'exemple, mais ne respectent ni leurs propres directives ni leurs propres orientations !
Dans ces conditions, faut-il suivre la recommandation de nos rapporteurs et voter, malgré tout, cet article 24 ? Pour ce qui concerne les sénateurs non inscrits, ils attendront, monsieur le ministre, les réponses que vous apporterez aux questions que je viens de poser et aux suggestions que je viens de faire.
Mais, rassurez-vous, mes chers collègues, nous garderons dans nos esprits et dans nos coeurs la grande volonté de tout faire pour que l'Europe réussisse. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Emmanuel Hamel. Laquelle ?
M. le président. La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 24 du projet de loi de finances nous donne chaque année l'occasion de débattre, dans cette assemblée, des grandes questions européennes.
A ce sujet, je voudrais faire trois remarques préliminaires.
La première porte sur les sommes en jeu. Le prélèvement sur les recettes de l'Etat au profit du budget des Communautés européennes est évalué par l'article 24 du projet de loi de finances pour 1998 à 91,5 milliards de francs, soit 1,08 % du produit intérieur brut de la France. C'est considérable.
Nous aurions tort de négliger cette contribution qui, comme le souligne notre excellent rapporteur spécial, représente six fois le budget des affaires étrangères et deux fois et demi celui de l'agriculture.
Cette observation m'amène à présenter une deuxième remarque.
L'élaboration et l'exécution du budget des Communautés européennes échappe presque totalement au contrôle des parlements nationaux.
Chaque année, l'Assemblée nationale et le Sénat présentent des rapports, adoptent des résolutions, mais sans véritable pouvoir, sinon sans influence. Le véritable pouvoir appartient au Conseil et au Parlement européen, qui sont seuls à même de peser sur les choix budgétaires, par exemple en freinant ou en bloquant le processus de décision.
Chaque année, le ministre des finances et son collègue chargé des affaires européennes nous écoutent, puis s'en vont à Bruxelles négocier au nom de la France sans que le dernier mot revienne au Parlement, pourtant comptable des deniers publics devant le peuple.
Mes chers collègues, je ne souhaite pas revenir sur les origines de cette situation, qui appartiennent à l'histoire de la construction européenne. Je voudrais simplement souligner que le récent traité d'Amsterdam n'apporte aucun progrès en la matière.
Si le Parlement européen voit ses prérogatives substantiellement renforcées, l'association des parlements nationaux ne progresse guère.
Comme le souligne notre collègue M. Christian de La Malène dans son excellent rapport sur le traité d'Amsterdam, le Parlement s'est vu reconnaître des pouvoirs croissants, notamment en matière budgétaire. Il détient ainsi le dernier mot dans la procédure budgétaire sur les dépenses non obligatoires et cherche, depuis des années, à accroître ses prérogatives sur les dépenses obligatoires pour lesquelles le Conseil européen décide théoriquement en dernier ressort.
Le traité d'Amsterdam n'ayant pas clarifié la classification entre dépenses obligatoires et non obligatoires, on peut craindre de voir resurgir des différends entre le Parlement européen et le Conseil des ministres sur l'étendue de leurs responsabilités.
A l'inverse, les parlements nationaux ne sont évoqués que dans un protocole. Celui-ci garantit un délai de six semaines pour l'examen des propositions législatives avant que le Conseil ne se prononce à leur sujet ; en revanche, il n'apporte rien en matière de contrôle budgétaire.
Ma troisième remarque découle de la précédente et concerne plus particulièrement le Conseil, qui est le seul maître en matière budgétaire avec l'Assemblée de Strasbourg.
J'ai récemment eu l'honneur, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, de rédiger un rapport sur la réforme des modes de décision. Nous savons que cette réforme a échoué et que le traité d'Amsterdam a renvoyé à plus tard l'adaptation du vote à la majorité qualifiée dans la perspective de l'élargissement.
A ce sujet, je souhaite attirer l'attention du Sénat et du Gouvernement sur l'abscence de prise en compte des contributions financières des Etats membres dans la pondération des votes au Conseil.
Alors que l'Europe des Six était un ensemble relativement homogène, la Communauté actuelle regroupe des Etats entre lesquels les différences de développement sont plus sensibles.
L'absence de prise en compte des efforts de chaque Etat entraîne un déphasage entre la pondération des votes au Conseil et les responsabilités financières. En analysant l'année 1994, dernière année pour laquelle les chiffres sont disponibles, on constate ainsi que le Portugal, la Grèce et l'Irlande, qui ont ensemble plus de voix que l'Allemagne, fournissent au total 3,4 % des recettes du budget communautaire, soit dix fois moins que l'Allemagne. De même, il apparaît que la France et l'Allemagne fournissent à elles seules 53 % des recettes communautaires, alors qu'elles ne peuvent, à elles deux, constituer une minorité de blocage.
Si l'on considère, par ailleurs, la contribution nette des Etats membres, on peut constater que la solidarité financière communautaire repose principalement, dans la durée, sur un groupe assez réduit d'Etats membres, notamment l'Allemagne, les Pays-Bas et la France. Or, ces trois pays, qui ensemble assurent approximativement les quatre cinquièmes des versements nets au budget communautaire, peuvent, arithmétiquement, être mis en minorité au sein du Conseil lorsqu'il s'agit de décider des dépenses.
Certes, on ne saurait fonder la pondération des voix au Conseil sur une approche purement financière, qui serait la négation même de la solidarité communautaire. Néanmoins, il me semble utile, à l'occasion de l'examen de l'article 24, de rappeler la nécessité de prendre en compte les contributions financières dans les règles de pondération des votes au Conseil. N'en tenir aucun compte, alors que les règles de décision sont également très éloignées des réalités démographiques, contribuerait à affaiblir la légitimité des décisions.
Importance des sommes en jeu, pouvoirs budgétaires limités des parlements nationaux, nécessité de mieux prendre en compte les contributions financières des Etats membres dans les règles de pondération des votes, telles sont les trois remarques que je souhaitais formuler.
Monsieur le ministre, la France a officiellement exigé une nouvelle réforme institutionnelle avant tout élargissement. Dans cette perspective, il me paraît nécessaire que le Gouvernement prenne en compte les inquiétudes que je viens d'évoquer et que partagent de nombreux parlementaires.
Après avoir évoqué la forme, je voudrais maintenant aborder le fond.
Notre rapporteur spécial a très bien présenté les principales caractéristiques du projet de budget des Communautés européennes, puis ses observations sur la contribution financière de la France. Je voudrais, pour ma part, placer ce budget en perspective et revenir sur les conséquences financières de trois dossiers essentiels : l'emploi, la politique agricole commune et l'élargissement.
Tout se passe en effet comme si, dans ces trois domaines, chacun négociait sans mesurer réellement les implications budgétaires. Les chiffres cités sont souvent fantaisistes et correspondent soit à des dépenses déjà engagées, soit à des paris sur l'avenir.
Prenons l'exemple de l'emploi. Vendredi dernier, à Luxembourg, les chefs d'Etat et de gouvernement des quinze pays membres de l'Union européenne ont adopté une stratégie comportant une « approche nouvelle pour l'emploi » et quatre « lignes directrices » pour 1998. Mais quelles seront leurs conséquences au plan budgétaire ? Qui financera la politique d'amélioration de la capacité d'insertion professionnelle ?
Dans un délai de cinq ans, les Etats membres devront offrir un « nouveau départ » à tout jeune avant qu'il n'atteigne six mois de chômage, sous forme de formation, de reconversion, d'expérience professionnelle, d'emploi, ou de toute autre mesure propre à favoriser son insertion professionnelle. Ils devront également offrir un nouveau départ aux chômeurs adultes avant qu'ils n'atteignent douze mois de chômage, par un des moyens précités ou, plus généralement, par un accompagnement individuel d'orientation professionnelle. De même, chaque Etat membre se fixera un objectif d'au moins 20 % de chômeurs se voyant proposer une formation.
Ces objectifs sont louables, mais il est permis de s'interroger sur leur financement. Devons-nous considérer que leur financement sera assuré sur les seuls budgets nationaux, ou bien qu'il existera des aides européennes spécifiques ? Dans l'hypothèse d'aides spécifiques, quel serait leur impact sur le budget des Communautés européennes ?
Monsieur le ministre, je pense qu'il serait bon que vous nous précisiez, au-delà des déclarations et des bonnes intentions, la réalité des engagements financiers pris lors du Conseil européen sur l'emploi.
J'ai lu avec beaucoup d'attention les conclusions de la présidence du Conseil. Les seuls chiffres cités portent sur des initiatives déjà engagées.
La première réside dans un plan d'action de la Banque européenne d'investissement visant à mobiliser jusqu'à 10 milliards d'écus supplémentaires en faveur des petites et moyennes entreprises, des nouvelles technologies, de nouveaux secteurs et des réseaux européens.
La seconde initiative résulte d'un accord entre le Parlement européen et le Conseil sur un redéploiement de crédits et comporte la création d'une nouvelle ligne budgétaire destinée notamment à aider les petites et moyennes entreprises à créer des emplois durables. Il est prévu de consacrer à cette ligne 450 millions d'écus sur les trois ans à venir.
Mes chers collègues, le Premier ministre a déclaré que, « aux critères de Maastricht visant la monnaie unique s'ajoutent désormais les objectifs de Luxembourg visant la croissance et l'emploi ».
Mais, si nous connaissons bien les contraintes budgétaires imposées par les critères de Maastricht, l'incertitude subsiste pour ce qui concerne les objectifs de Luxembourg. Il serait souhaitable que le Gouvernement nous donne des précisions sur ce point, ce qui permettrait au Sénat d'évaluer la pertinence du parallèle fait entre Maastricht et Luxembourg.
En ce qui concerne la politique agricole commune, je voudrais simplement rappeler que ses crédits devraient s'élever à plus de 40 milliards d'écus en 1998, soit 260 milliards de francs, dont une bonne part profite à la France.
Le 19 novembre dernier, les ministres de l'agriculture des quinze pays membres de l'Union européenne ont émis un premier avis sur les aménagements de la PAC préconisés par la Commission européenne dans son Agenda 2000.
A l'heure où les agriculteurs s'inquiètent d'une baisse accélérée des prix garantis, il est essentiel que la France impose le maintien de moyens budgétaires importants, tout en évitant que nos paysans ne deviennent des assistés, ce qu'ils ne veulent pas.
Cet engagement est d'autant plus nécessaire dans la perspective de l'élargissement à l'Est, qui constitue, sur le plan budgétaire, la principale source de préoccupation. L'élargissement va en effet lourdement aggraver les déséquilibres existants, puisque les futurs adhérents verseront peu au budget communautaire et recevront beaucoup.
De plus, si l'on conserve les règles actuelles de pondération des votes à la majorité qualifiée dans une Union de vingt-six Etats membres, les futurs adhérents, qui ont au total 106 millions d'habitants et représentent une faible capacité contributive, auront plus de voix que les quatre plus grands Etats, qui regroupent ensemble 255 millions d'habitants et assurent 75 % des recettes du budget communautaire.
Il paraît donc indispensable que la France s'attache à prévenir des déséquilibres d'une telle ampleur. Le groupe des Républicains et Indépendants sera très attentif sur ce point.
De manière plus générale, le principal danger réside dans la sous-évaluation manifeste du coût de l'élargissement, que ce soit pour l'agriculture, les fonds structurels ou les autres politiques communes.
Tout se passe comme si certains avaient déjà oublié la réunification et l'effort financier considérable entrepris par l'Allemagne pour intégrer les Länder de l'Est, peuplés de seulement 16 millions d'habitants.
Sachant que plus de cent millions d'Européens de l'Est frappent aux portes de l'Europe, la comparaison est facile à faire.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Oh oui !
M. James Bordas. L'Union européenne court le risque de voir ses finances exploser à un moment où certains Etats membres, dont l'Allemagne, premier contributeur, ont clairement fait connaître leur volonté de voir diminuer leur participation.
L'Europe doit s'engager sur la voie de l'élargissement en pleine connaissance de cause et en en mesurant toutes les conséquences budgétaires.
Nous devons dire la vérité aux Français afin d'éviter que l'élargissement ne conduise à une désillusion et à une perte de confiance dans l'Europe elle-même.
Le groupe des Républicains et Indépendants y veillera tout particulièrement et approuvera, avec la même vigilance, la contribution française au budget des Communautés européennes pour 1998. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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