SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Transmission du projet de loi de finances (p. 1 ).

3. Décision du Conseil constitutionnel (p. 2 ).

4. Fonctionnement des conseils régionaux. - Suite de la discussion d'une proposition de loi (p. 3 ).
MM. le président, Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Suspension et reprise de la séance (p. 4 )

Discussion générale : MM. le secrétaire d'Etat, Paul Girod, rapporteur de la commission des lois ; Jacques Larché, président de la commission des lois ; Hubert Haenel, Jean-Pierre Raffarin.

5. Modification de l'ordre du jour (p. 5 ).
MM. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer ; Jacques Larché, président de la commission des lois.

Suspension et reprise de la séance (p. 6 )

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE

6. Fonctionnement des conseils régionaux. - Suite de la discussion d'une proposition de loi (p. 7 ).
Discussion générale (suite) : MM. Henri de Raincourt, Jean Chérioux, Jean-Jacques Hyest, Daniel Eckenspieller, Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer ; Paul Girod, rapporteur de la commission des lois ; Michel Duffour.
Renvoi de la suite de la discussion.

7. Candidatures à une commission d'enquête (p. 8 ).

Suspension et reprise de la séance (p. 9 )

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

8. Loi de finances pour 1998. - Discussion d'un projet de loi (p. 10 ).
Discussion générale : MM. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances ; Christian Poncelet, président de la commission des finances ; Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE

Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Josselin de Rohan, Xavier de Villepin, Philippe Adnot, Roland du Luart.

9. Souhaits de bienvenue à une délégation de parlementaires américains (p. 11 ).

10. Loi de finances pour 1998. - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 12 ).
Discussion générale (suite) : M. René Régnault.

11. Modification du calendrier budgétaire (p. 13 ).

12. Nomination des membres d'une commission d'enquête (p. 14 ).

Suspension et reprise de la séance (p. 15 )

13. Loi de finances pour 1998. - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 16 ).
Discussion générale (suite) : MM. Paul Girod, Paul Loridant, Philippe Marini, le secrétaire d'Etat, André Egu, Jean-Pierre Fourcade, le ministre, Gérard Miquel, Yvon Collin, Jacques Oudin, Denis Badré.
Renvoi de la suite de la discussion.

14. Dépôt d'une proposition de loi organique (p. 17 ).

15. Dépôt de propositions de loi (p. 18 ).

16. Dépôt d'une proposition de résolution (p. 19 ).

17. Dépôt de propositions d'acte communautaire (p. 20 ).

18. Dépôt de rapports (p. 21 ).

19. Dépôt de rapports d'information (p. 22 ).

20. Dépôt d'avis (p. 23 ).

21. Ordre du jour (p. 24 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à onze heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

TRANSMISSION
DU PROJET DE LOI DE FINANCES

M. le président. M. le président a reçu aujourd'hui, transmis par M. le Premier ministre, le projet de loi de finances pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 84, distribué et renvoyé au fond à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation et, pour avis, sur leur demande, à la commission des affaires culturelles, à la commission des affaires économiques et du Plan, à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la commission des affaires sociales et à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

3

DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le président. M. le président a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 19 novembre 1997, le texte d'une décision rendue par le Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi organique relative à la fiscalité applicable en Polynésie française.
Acte est donné de cette communication.
Cette décision du Conseil constitutionnel sera publiée au Journal officiel , édition des lois et décrets.

4

FONCTIONNEMENT
DES CONSEILS RÉGIONAUX

Suite de la discussion d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi (n° 27, 1997-1998), adoptée par l'Assemblée nationale, relative au fonctionnement des conseils régionaux.
Mes chers collègues, la commission des lois n'a pas achevé l'examen des conclusions du rapport de M. Paul Girod sur cette proposition de loi. En conséquence, son président, M. Jacques Larché, demande que la discussion en séance publique soit reportée d'un quart d'heure.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Monsieur le président, dans la mesure où la commission des lois poursuit l'examen de la proposition de loi relative au fonctionnement des conseils régionaux, le Gouvernement ne peut qu'être favorable à la demande formulée par son président.
M. le président. En conséquence nous allons interrompre nos travaux pendant un quart d'heure.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinq, est reprise à onze heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.
Nous allons donc aborder la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au fonctionnement des conseils régionaux.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'Assemblée nationale a adopté, lors de sa séance du 9 octobre dernier, une proposition de loi relative au fonctionnement des conseils régionaux, aujourd'hui soumise à votre examen.
Cette proposition de loi a recueilli un large accord, à l'issue d'un riche débat. Son adoption a traduit une volonté affirmée de favoriser un meilleur fonctionnement de l'institution régionale et une plus grande exigence démocratique, poussant à la clarté des engagements et des choix politiques.
Avant de revenir sur le fond de ce dispositif, je souhaite saluer la démarche et le travail accomplis. On ne peut que se féliciter, en effet, des conditions dans lesquelles le Parlement a fait jouer sa faculté d'initiative. C'est d'autant plus remarquable que la proposition de loi porte sur un sujet particulièrement important, touchant à nos institutions.
Le texte voté par l'Assemblée nationale est le fruit d'un travail et d'une concertation approfondis : il résulte de la proposition établie par le rapporteur de la commission des lois à partir de plusieurs propositions de loi déposées par Mme Aubert, MM. Ayrault, Mazeaud et Blanc.
La diversité des composantes politiques ainsi intéressées traduit le besoin d'apporter, de manière concrète et rapide, de réelles améliorations face aux difficultés rencontrées dans le fonctionnement des conseils régionaux, en particulier au moment de l'élection du président et du vote du budget.
Cette proposition de loi définit, vous le savez, deux dispositifs tendant, d'une part, à instaurer plus de clarté dans les candidatures soumises à l'assemblée régionale pour l'élection de son président et, d'autre part, à faciliter le vote du budget régional.
Qu'il n'y ait pas d'ambiguïté : chacun connaît la réalité de ces difficultés et le contexte, juridique et politique qui peut contribuer à les accroître, compte tenu du mode de scrutin régional.
Chacun connaît également les raisons qui ont conduit le Gouvernement à ne pas proposer la modification de ce mode de scrutin à quelques mois des élections portant sur le renouvellement des conseils régionaux.
Comme M. le ministre de l'intérieur l'a indiqué devant l'Assemblée nationale, la démocratie et la compréhension par les citoyens des règles du jeu ne s'accommodent pas de tels changements à la veille des échéances.
On ne peut pour autant se contenter de laisser perdurer, sans apporter les corrections nécessaires, les difficultés que j'évoquais il y a un instant. C'est la démarche qu'a souhaité effectuer l'Assemblée nationale et à laquelle le Gouvernement a souscrit.
Le texte qui vous est soumis comporte donc deux dispositifs reprenant les conclusions auxquelles la commission des lois de l'Assemblée nationale était parvenue, une disposition ayant par ailleurs été votée, sur la base d'un amendement, par harmonisation avec les règles prévues par le code général des collectivités territoriales pour les conseils municipaux et les conseils généraux.
Le premier dispositif concerne l'élection du président du conseil régional. L'objectif est celui d'une plus grande transparence quant au programme envisagé par le candidat à la présidence et à l'équipe sur laquelle il compte s'appuyer pour le réaliser.
La déclaration et la liste qui seront demandés aux candidats constitueront une formalité nécessaire, même si rien ne sera changé quant aux pouvoirs reconnus au président en matière de délégation, comme s'agissant des règles constitutives de la commission permanente et du bureau.
L'assemblée connaîtra d'emblée le programme proposé et l'équipe susceptible de le conduire.
Le second dispositif est certainement le plus important : c'est l'instauration d'une motion de défiance, susceptible d'être présentée lorsque la procédure budgétaire normale n'a pas permis de faire adopter le budget dans les délais prescrits par le code général des collectivités territoriales, c'est-à-dire en principe le 31 mars ou le 15 avril.
Plutôt que renvoyer systématiquement à la procédure de règlement du budget, par défaut, la proposition de loi rend désormais possible à l'exécutif régional de tenter une seconde chance, sauf à ce qu'une motion présentée et votée par la majorité absolue des membres composant le conseil régional fasse aboutir un autre budget.
Un tel mécanisme ne peut se comprendre que parce qu'il porte sur l'acte politiquement le plus important de la collectivité : le budget, préparé par le président, en fonction de ses options et de son programme, et voté par la seule assemblée délibérante.
Les mécanismes introduits ne visent nullement à limiter le libre jeu du débat politique au sein des assemblées locales ; tout au contraire tendent-ils à renforcer la capacité des collectivités régionales à s'administrer librement, par le biais de leurs conseils élus.
En effet, il n'est pas conforme au principe de la libre administration des collectivités et de la décentralisation que des risques croissants de blocage dans la prise de décisions aussi importantes que le vote du budget amènent finalement l'Etat à trancher.
Il est par ailleurs souhaitable que les régions disposent d'une stabilité suffisante pour agir conformément à leur vocation, en visant le long terme, l'aménagement et le développement de leur territoire.
Les règles envisagées placent donc chacun devant ses responsabilités, en subordonnant la motion de défiance à la constitution d'une majorité absolue, les signataires s'en faisant connaître, afin d'éviter toute manoeuvre dilatoire ou purement politicienne d'un groupe minoritaire.
Les prérogatives de l'exécutif régional sont préservées puisque c'est lui qui garde l'initiative de présenter un nouveau projet, même si le caractère exceptionnel de la situation paraît légitimer l'association du bureau à la prise de décision.
Le mécanisme présenté vise également l'efficacité et la rapidité en déroulant la procédure dans une série d'étapes encadrées dans des délais très courts.
La procédure devrait donc globalement se révéler plus rapide que la procédure actuelle de saisine de la chambre régionale des comptes par le préfet. Si elle peut apparaître complexe, elle présente, je le répète, le mérite essentiel de faire intervenir en priorité l'assemblée, de préférence au représentant de l'Etat et au juge financier.
La proposition de loi comporte, enfin, une disposition complémentaire, issue d'un amendement, précisant les conditions dans lesquelles un conseiller régional refusant de remplir ses missions peut être déclaré démissionnaire par le juge administratif.
L'article ainsi inséré dans le code général des collectivités territoriales transpose aux instances régionales les règles déjà prévues pour les conseils municipaux et les conseils généraux. C'est donc une mesure d'harmonisation contribuant à un meilleur fonctionnement des conseils régionaux.
Tels sont les objectifs de la proposition de loi qui vous est soumise, et je ne vous ai pas dissimulé l'approche positive que le Gouvernement avait réservée à cette dernière.
M. le ministre de l'intérieur avait exprimé devant l'Assemblée nationale une réserve ; je ne puis que la reprendre aujourd'hui. Le vote de la motion de défiance peut conduire à l'adoption d'un budget que l'exécutif battu sur son projet serait tenu de mettre en oeuvre.
Or, il n'est pas douteux que le président, qui a conduit avec le bureau la procédure jusqu'à son terme, a choisi d'engager sa responsabilité sur ce projet. Les conséquences d'un tel échec pourraient donc en être plus nettement tirées.
Il reste que le texte soumis à votre examen responsabilise les assemblées régionales et leur exécutif dans la procédure budgétaire et organise une plus grande transparence. Il répond aussi à l'exigence démocratique attachée au fonctionnement des assemblées délibérantes et renforce la continuité de l'action des collectivités, conformément à l'esprit de la décentralisation. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la régionalisation, pièce essentielle de la décentralisation, a présenté un certain nombre de caractéristiques particulières par rapport aux transferts de responsabilité en direction des conseils municipaux et des conseils généraux. C'était en effet la première fois que la transformation en collectivité territoriale de plein exercice d'une collectivité assez nouvelle dans notre droit - c'est la plus récente - était conditionnée par l'élection de son conseil délibérant au suffrage universel.
Les régions ont, jusqu'en 1986, continué à fonctionner, pendant trois ou quatre années, suivant l'ancien système, sous la forme d'une sorte de syndicat d'investissement interdépartemental, « inter-grandes villes », qui avait fait preuve d'une certaine inefficacité aux yeux de certains, d'une certaine efficacité aux yeux de beaucoup d'autres.
Ce dispositif permettait, dans les domaines qui pouvaient être considérés comme régionaux et qui, d'ailleurs, avaient été assez largement repris dans les compétences transférées par les lois de 1983, de mettre en place un système de discussion, d'harmonisation, qui n'était pas sans mérite.
Toujours est-il que la novation est intervenue en 1986, date à partir de laquelle les conseils régionaux ont été élus suivant les modalités d'une loi électorale nouvelle et inchangée depuis : proportionnelle départementale intégrale avec un seuil de 5 %.
Cela a abouti au fait que, dans un certain nombre de conseils régionaux, pratiquement depuis le début, il n'y a eu que des majorités relatives.
En conséquence, le fonctionnement des conseils régionaux en est assez largement imprégné. Il est dominé par cette double constatation : d'une part, comme au temps de républiques passées, certains groupes charnières exercent peut-être plus d'influence qu'ils ne représentent de voix, et quelquefois cela propulse certains de leurs membres à des niveaux de responsabilité qui ne semblaient pas envisageables au départ ; d'autre part, sur quelques options de fond, la cohérence des choix d'un vote à l'autre est parfois quelque peu réduite.
Il n'empêche que le système fonctionne, avec plus ou moins de difficultés, mais il fonctionne.
C'est d'ailleurs ce qu'avait été conduit à constater un groupe de travail du Sénat réuni à la demande de la commission des lois et dans lequel l'ensemble du Sénat était représenté.
Après plusieurs mois de travaux, de nombreuses auditions et pas mal d'échanges de vues internes, ce groupe de travail a fini par aboutir - à la fin de l'année 1995, voire au début de l'année 1996 - à la conclusion qu'il était impossible d'envisager un changement de mode de scrutin qui serait à la fois suffisamment consensuel et suffisamment efficace.
Il est vrai que les pistes à explorer sont extraordinairement diverses.
Le scrutin proportionnel dans une circonscription régionale aurait abouti, pour les très grandes régions, à un vote sur une liste unique de 213 candidats, donc presque trois fois plus que sur les listes pour les élections européennes, sachant que, pour ces dernières, nos concitoyens s'estiment déjà complètement dépossédés et éloignés de la réalité des choix.
Il aurait donc fallu prévoir d'éventuels découpages pour les grandes régions. Mais comment aurait-on pu expliquer qu'un département, petit ou moyen, d'une grande région soit découpé parce que la région est grande alors qu'un département petit ou moyen d'une région plus petite ne le serait pas ? Bref, le système était tellement inextricable qu'il n'a pas été proposé de le réformer, en tout cas pas au Sénat.
Il y a eu ensuite un changement de gouvernement. Le gouvernement précédent n'avait pas poussé l'affaire plus loin. Le nouveau gouvernement s'est déclaré, quant à lui, prêt à tenir compte d'un consensus, qui n'était d'ailleurs guère plus probable après le changement de majorité qu'avant. En conséquence, il n'a pas, lui non plus, engagé la réforme du mode de scrutin. Les élections se dérouleront donc selon le système actuel.
Certains prétendent que c'est épouvantable, que les régions sont bloquées et que les budgets peuvent ne pas être votés !
Mes chers collègues, il faut relativiser.
Voilà maintenant douze ans que les régions existent. Elles sont au nombre de vingt-deux en France métropolitaine. Cela implique le vote de 264 budgets, et même, compte tenu des décisions modificatives, trois fois 264 votes ! Or, cela a abouti, en définitive, à trois échecs. Deux se sont produits dans la même région - dus, selon le témoignage de certains présidents de régions recueillis lors du groupe de travail dont je parlais tout à l'heure, probablement plus à l'affrontement de deux hommes qu'à une confrontation politique majeure - et un, plus récemment, dans la région parisienne.
Avec trois cas sur trois fois 264 votes, on ne peut tout de même pas parler d'un blocage permanent et fondamental des régions !
Dans ces trois cas, le budget a été réglé par le préfet. Or, selon les auteurs des quatre propositions de loi qui ont été déposées à l'Assemblée nationale, c'est une mauvaise méthode que de faire régler par le préfet le budget d'une région.
Il est vrai que c'est assez contradictoire avec l'esprit de la décentralisation, encore que ce ne soit pas original. Lorsqu'on se trouve avec un conseil municipal bloqué, avec un conseil général bloqué, la procédure est la même et l'on applique le même système, avec l'instruction préalable par la chambre régionale des comptes - les délais sont donc relativement longs - et l'arrêt par le préfet d'un budget qui est identique à celui que propose la chambre régionale des comptes, voire modifié - cela s'est d'ailleurs produit, me semble-t-il - par des décisions motivées.
Il est vrai que le délai est assez long : si l'on part de la fin du mois de mars, on risque d'aboutir à la fin du mois de juin, ce qui fragilise quelque peu l'action des régions. C'est la première critique.
Il y en a deux autres, qui sont plus fondamentales. La première, c'est le fait que les budgets des régions ainsi arrêtés par le préfet sont des budgets fragilisés dans leurs objectifs, en particulier parce qu'il s'agit principalement de budgets d'investissement.
Si l'on peut concevoir qu'un préfet règle pratiquement ex nihilo un budget de fonctionnement dans la mesure où la continuation des actions engagées et la permanence des services font que la marge d'arbitrage est faible en matière d'investissement, en revanche, la marge est beaucoup plus grande et, par conséquent, le rôle du préfet peut être beaucoup plus déviant par rapport à la réalité de la vie régionale.
Il faut toutefois nuancer cette observation, car s'il s'agit certes, pour une grande part, de décisions d'investissement, ces décisions sont prises la plupart du temps suivant des procédures s'étalant dans le temps, avec arrêt de programme, délibération de programme, crédits de paiement délégués ou non.
Cette procédure est donc beaucoup moins arbitraire et au coup par coup qu'un budget d'investissement ne s'appliquant pas à des opérations de grande ampleur, comme celles dont sont censées s'occupper les régions, théoriquement exclusivement les régions. Mais, de région à région, les moeurs en matière d'aménagement du territoire et la conception même du rôle de la région dans l'aménagement du territoire peuvent varier, allant du financement des très grandes infrastructures plus ou moins surveillées jusqu'à la participation aux investissements dans la moindre commune, pour la moindre réalisation, en fonction d'articulations régionales parfois quelque peu surprenantes.
La deuxième critique de fond qui peut être faite en ce qui concerne ce budget d'investissement est, celle-là - je le reconnais - assez gênante.
Pour une bonne part, les budgets d'investissement sont engagés par les conseils régionaux en application de contrats de plan. Or le préfet de région, à qui va être dévolu le rôle d'arrêter le budget définitif, en a été le signataire pour le compte de l'Etat. Il se trouve donc être à la fois celui qui a signé pour une partie et celui qui exécute ou met en musique pour l'autre partie.
L'objection n'est pas sans intérêt, elle a un fond de vérité, même si l'on peut concevoir que la parole donnée engage tout le monde et qu'être le liquidateur d'une situation dans laquelle on a pris des responsabilités ne vaut pas a priori un procès en suspicion. En conséquence, même si l'objection est forte, elle n'est pas absolue.
Certains de nos collègues de l'Assemblée nationale - mais pas du Sénat, je le rappelle - siégeant sur divers bancs, ont pensé qu'il fallait essayer de mettre en place un mécanisme d'arbitrage, voire de passage en force des budgets régionaux pour le cas où les majorités relatives, plurielles et différentes, voire singulières, seraient en difficulté.
Leur démarche a abouti au dépôt de quatre propositions de loi.
Trois d'entre elles traitent en majeure partie de l'adoption du budget régional.
Trois d'entre elles traitent du président du conseil régional et sont animées par une idée dominante que je résume ainsi : en cas de difficulté d'adoption du budget, il faut mettre en place une procédure qui s'apparente à l'article 49-3 de notre Constitution, à la motion de défiance constructive bien connue chez nos voisins d'outre-Rhin aux règles applicables dans certaines collectivités territoriales à caractère particulier, telle l'Assemblée de Corse, où le dépôt d'une motion implique, si elle est adoptée, le renversement du président.
Voilà pour les propositions de loi de MM. Mazeaud et Pandraud, d'une part, de M. Ayrault et de Mme Aubert, d'autre part. Quant à nous, nous n'allons pas jusqu'à cette extrémité.
Par ailleurs, un autre de nos collègues députés, M. Jacques Blanc estime qu'après tout, dans tout cela, ce qui est important, c'est la permanence de l'exécutif et de son président. Par conséquent, il faut, selon lui, s'inspirer de la Constitution de la Ve République pour faire élire le président du conseil régional directement par l'ensemble des électeurs de la région, en dehors de l'élection du conseil.
C'est à partir de ce matériau disparate et relativement récent - si j'ai bien compris, les auteurs ont attendu de savoir si M. le Premier ministre actuel franchirait ou non le Rubicon d'une réforme du scrutin régional - que ces propositions ont vu le jour.
Ces propositions ont donc été déposées à la fin du mois de septembre. L'Assemblée nationale en a délibéré au début du mois d'octobre et a adopté un texte qui, par bien des aspects, est assez surprenant.
En effet, si ce dernier retient l'idée d'un budget alternatif, s'il retient l'idée d'une « adoption », assez complexe d'ailleurs, de ce budget alternatif et l'adoption sans vote du budget originel si la motion n'est pas votée, il a introduit par ailleurs toute une série de novations dans d'autres domaines et a totalement supprimé la responsabilité de l'exécutif. En effet, le président de région reste en place pour exécuter un budget qui peut être extraordinairement différent de celui sur lequel il avait travaillé et fait délibérer le conseil régional.
Quel est le déroulement de la procédure ? D'abord, il faut constater qu'à la date du 31 mars - on est obligé d'attendre cette date - il n'y a pas de budget. Il faut ensuite que le président de la région réfléchisse à un budget modifié par rapport à son budget originel, éventuellement modifié par des amendements qui ont été présentés en séance et qu'il retient. Il faut encore que le président du conseil régional fasse approuver ce budget par son bureau, instance qui jusqu'ici n'a jamais eu de pouvoir délibératif puisqu'il s'agit de « l'assemblée du président », des élus auxquels il a donné des délégations. De plus, si le bureau ne parvient pas à se mettre d'accord avec le président - car le bureau, lui aussi, a le pouvoir de reprendre certains amendements et d'en écarter d'autres que le président avait cru acceptables - si le bureau n'accepte pas la mouture en question, il faut saisir le préfet.
Certains de mes amis diraient que c'est comme autrefois quand il y avait une faillite : on prenait son chapeau et ses gants et on allait voir le président du tribunal de commerce ! On crée une situation comparable : le président est confronté à ses créanciers - si je puis dire - aux membres de son propre bureau, en fait - pour traiter d'un budget qui a pu être totalement modifié entre le moment où lui-même s'est engagé dans cette procédure et le moment présent. Le président, disais-je, est en quelque sorte en face de ses créanciers et, s'il n'est pas d'accord avec eux, il prend son chapeau et va voir non pas le président du tribunal de commerce, en l'espèce, mais le préfet de région.
En revanche, si le président du conseil régional se met d'accord avec son bureau, il soumet le projet de budget auquel il est parvenu. A ce moment-là, une motion de défiance peut être déposée, comportant un budget alternatif. Enfin, au bout d'un certain délai, assez bref d'ailleurs, le conseil régional tranche.
Si la motion alternative est adoptée, le budget y afférent est adopté. Le président reste en place, ses vice-présidents et son bureau aussi. Pourtant, les uns et les autres ont été battus. En conséquence, tous les battus restent en place pour continuer à travailler.
Le Sénat appréciera à sa juste valeur la logique d'un tel système !
Dans cette procédure un peu complexe, une chose est passée à la trappe, une autre est apparue.
Ce qui est passé à la trappe, c'est le rôle du comité économique et social régional. Dans notre système régional, ce dernier joue un rôle tout à fait original et constructif, qui est d'ailleurs salué par les présidents de région comme étant un apport positif pour le fonctionnement des régions.
Il a été obligatoirement consulté, de par la loi, par le président du conseil régional, qui lui a envoyé son projet de budget initial, sur lequel il est amené à délibérer et à formuler un certain nombre d'observations.
On peut concevoir - c'est d'ailleurs le cas actuellement - qu'il relève de la latitude et de la liberté normale d'une assemblée délibérante de modifier, par voie d'amendements, le projet initial. Mais on reste dans la logique du projet initial.
En revanche, sur un budget alternatif, certes proposé par la majorité absolue du conseil régional, mais qui, par définition, est alternatif par rapport à celui du président et procède donc d'un autre esprit, le comité économique et social régional ne serait pas amené à formuler des observations.
Il me semble pourtant que, sur un acte extraordinairement majeur, grave, solennel, qui, même s'il n'aboutit pas à renverser l'exécutif, constitue quand même un changement d'orientation pour la région, le comité économique et social régional devrait à tout le moins être consulté, pendant un délai qui ne serait pas nécessairement très long. La commission des lois vous proposera un amendement dans ce sens.
Ce qui est apparu, c'est, à l'article 4, une notion bizarre : le président serait obligé de demander l'approbation de ceux à qui il a donné des délégations sur ses initiatives, alors qu'ils dépendent exclusivement des décisions de délégations qu'il leur a données.
Cette idée curieuse de collégialité a été refusée par le Parlement à l'occasion de tous les votes qui ont été émis sur le fonctionnement des collectivités territoriales, que ce soit avant ou depuis la mise en place de la décentralisation.
On a toujours considéré, en effet, que l'exécutif, c'était le président ou le maire, suivant le cas, et que, ensuite, le reste de l'exécutif procédait de lui par voie de délégation. Or, là, tout à coup, la partie non pas subordonnée mais n'existant que par délégation de l'exécutif a un rôle officiel, se prononçant d'ailleurs dans des conditions dont on ne dit pas que ce sont des conditions de majorité. Il est seulement précisé qu'elle approuve, mais on ne sait pas très bien comment.
S'agit-il du système, bien connu dans l'histoire des Etats-Unis, du président Lincoln, qui, après avoir consulté son cabinet et constaté un vote de dix voix contre et d'une voix pour, la sienne, concluait que le « pour » l'avait emporté ? C'est une façon de concevoir les choses ! Apparemment, ce n'est pas franchement ce système que les auteurs de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale avaient à l'esprit !
Cette collégialité subite se retrouve à l'article 3, alors que la disposition ne figurait dans aucune des propositions de loi qui ont servi de base à la discussion de l'Assemblée nationale.
Cet article 3 mérite qu'on s'y attarde quelque peu. De quoi s'agit-il ? Avant chaque tour de l'élection du président - la procédure sera donc renouvelée tour après tour, s'il y a plusieurs tours - ce dernier doit déposer une déclaration écrite résumant les orientations générales de son action - cela pourrait être concevable, mais encore faudrait-il savoir qui en sera le dépositaire - et fournir la liste des personnes à qui il donnera délégation.
Il ne s'agit plus de l'élection d'un homme ; il s'agit de l'élection d'une planète et de ses satellites, couplés au nom, dit-on, de la transparence ! En commission, ce matin, certains ont dit qu'il se profilait derrière une telle disposition des arrière-pensées précises. Soit ! Mais si ces arrière-pensées sont de caractère contingent, je ne suis pas certain, la commission non plus d'ailleurs, qu'il soit tout à fait opportun de faire des lois de circonstance au gré des événements. Passons sur ce sujet...
La procédure est stupéfiante. En effet, selon les textes, c'est le président qui est dépositaire de l'exécutif, et les délégations qui émanent de lui, de sa volonté seule, sont révocables à tout moment.
Quelle sera la position d'un président d'exécutif élu nominalement sur une liste de personnes à qui il donnera délégation en leur demandant de respecter totalement, au nom de la bonne éducation et des bonnes habitudes, les engagements pris avant l'élection - tout au moins les annonces faites, car ce ne sont pas des engagements - quand il s'apercevra à l'usage que l'un de ses vice-présidents, pour des raisons variées - évolution personnelle sur les plans philosophique ou politique, ou simplement pour des raisons de caractère, voire d'état de santé - ne doit plus conserver la confiance qui lui a été accordée ? Cette personne peut même être amenée à démissionner, piégée par le cumul des mandats. En effet, le système actuel peut le contraindre à abandonner l'assemblée régionale dont il fait partie. J'en sais quelque chose, cela m'est arrivé !
Quid de la solidarité du système ? Quid aussi de sa régularité ?
De tradition républicaine constante, dans toutes nos assemblées, le rôle du doyen d'âge s'est toujours limité, après un discours d'usage, à être le maître de la police de la séance pendant laquelle est élu le président par un vote à bulletin secret et sans débat. Il n'a jamais eu le rôle de recevoir quoi que ce soit, encore moins de communiquer des documents à l'Assemblée, ce qui constitue déjà l'amorce du débat.
Dans le dispositif de l'Assemblée nationale, c'est pourtant bien à cette novation majeure du rôle du doyen d'âge que nous assistons.
Première observation d'ordre juridique global : quel serait le degré de survie au regard de la législation de degré supérieur ? Je n'en sais rien.
J'en viens à la liste des délégués. La loi précise qu'un président de conseil régional ne peut déléguer qu'à un vice-président membre de la commission permanente ou à d'autres membres du conseil régional en cas d'empêchement des vice-présidents. Fort bien !
L'ennui, c'est qu'au moment où l'on élit le président nul ne sait comment sera composée la commission permanente, ni le doyen d'âge, ni le conseil, puisque la première délibération qui suit l'élection du président a pour objet l'adoption du règlement intérieur qui fixe la composition de la commission permanente, le nombre de ses vice-présidents, etc.
Comment peut-on demander à quelqu'un de donner la liste des personnes à qui il donnera délégation, alors qu'il ne connaît pas le nombre de délégués possible, et qu'il sait encore moins qui sera élu, l'élection des délégués en question n'intervenant qu'après, quand la commission permanente sera elle-même désignée, soit par le système de l'élection proportionnelle, soit, dans certaines régions, par appel nominal, soit par simple affichage, comme cela se fait, ici ou là, après accord entre les groupes politiques ?
Très honnêtement, il semble curieux de voir la loi - imposer comme étant une formalité importante - au nom de la transparence, je veux bien ! - l'énumération d'une liste de personnes à qui on donnerait délégation avant même de savoir si elles pourraient seulement être élues aux postes pour lesquels on considère que cette délégation serait possible !
Monsieur le secrétaire d'Etat, cela semble être le fruit d'une incohérence intellectuelle. De plus, cela aboutira, à l'évidence, puisque plusieurs tours seront vraisemblablement nécessaires, à des difficultés internes au sein de chaque majorité relative potentielle, dans la mesure où la liste pourra changer d'un tour à l'autre, avec, par conséquent, des frustrations, des ambitions, des marchandages dont on n'a pas idée !
Vous me direz que certaines compositions de gouvernement se sont révélées, après une élection présidentielle, quelque peu différentes de ce que l'on attendait ! On a vu aussi, dans tel ou tel gouvernement, émerger parfois, à des postes à responsabilité, des personnalités inattendues, et constaté des sensibilités peut-être moins évidentes que ce que l'on aurait pu penser !
Mais, après tout, cela fait partie de la vie politique, et tout le monde s'en accommode, de la même manière que tout le monde s'accommode du système actuel de vote des budgets régionaux.
La commission des lois a donc estimé que, dans cette proposition de loi de l'Assemblée nationale, beaucoup de dispositions devaient être réformées.
La question qui se pose est de savoir s'il faut accepter le principe d'une modification du système d'adoption du budget des conseils régionaux et, si tel est le cas, comment il faut l'organiser. Tel a été l'objet du débat qui s'est engagé en commission ce matin, par conséquent un peu tardivement, peut-être, sur le plan calendaire, mais qui a été riche et profond.
Il en est ressorti que l'introduction d'une nouveauté de ce genre suscite une méfiance générale, sauf, bien entendu, chez les membres de la commission qui sont très proches de ceux qui, à l'Assemblée nationale, ont voté le texte en question dans l'enthousiasme, voire, dans une proportion moindre, de ceux qui l'ont voté avec une certaine résignation. (Rires.) M'exprimerais-je clairement ? Comme c'est curieux !
M. Guy Allouche. Commentaire abusif !
M. Paul Girod, rapporteur. Cette méfiance résulte - je dois le dire à M. le secrétaire d'Etat et au Sénat - des nombreuses auditions de présidents de région auxquelles j'ai procédé. Il n'a pas toujours été simple, d'ailleurs, de prendre rendez-vous avec nos collègues, qui sont fort occupés !
J'ai consulté neuf présidents de région, y compris la totalité de ceux qui ne partagent pas l'option politique qui est la mienne.
Tous m'ont dit qu'ils ne voulaient à aucun prix de ce texte : pour citer des noms, M. Rufenacht, ce qui pourrait peut-être vous étonner un peu, M. Savy, Mme Blandin, M. Blanc, M. Valade. Ils considèrent en effet que, si le système des conseils régionaux est imparfait, il fonctionne et permet néanmoins des arbitrages internes susceptibles d'arranger les choses.
Je sais que d'autres aspects globaux d'ordre politique sont évoqués ici ou là. Certains même m'ont dit qu'ils étaient plus faciles à régler dans un système juridique au sein duquel les acteurs n'étaient pas bloqués pour adopter les délibérations du conseil régional, et qu'il était plus facile d'éviter les difficultés sans la menace d'une sanction juridique derrière.
Je laisse à chacun la responsabilité de ses affirmations. Bien entendu, en tant que rapporteur, je n'ai pas d'opinion sur cet aspect du problème.
La commission des lois a essayé de reconstruire un texte qui tienne debout. Pour ce faire, elle a d'abord procédé à un nettoyage un peu formel. En effet, il est curieux qu'on commence, dans un texte législatif, par supprimer des articles de coordination. On se garde bien, habituellement, de faire la « toilette » d'un code avant de l'avoir modifié !
J'ai été, par conséquent, conduit à proposer à la commission trois amendements qui renvoient dans un article « balai » les dispositions de nettoyage qui se trouvent curieusement aux articles 1er, 2 et 5, si mes souvenirs sont exacts.
J'ai ensuite exprimé devant la commission des lois, qui a bien voulu me suivre, mon hostilité totale à l'article 3, celui qui prévoit cette procédure curieuse d'élection des présidents de conseil régional, déjà à moitié dépouillés de leurs pouvoirs, ce qui remet en question tout le droit de délégation, sur lequel repose, depuis toujours, le fonctionnement de nos assemblées.
Cela remet également en question le rôle du président d'âge. Lorsqu'on commence à toucher à quelque chose d'aussi fondamental, on risque d'aboutir, par voie de conséquence, comme une pelote que l'on dévide, à des résultats tout à fait inattendus.
J'ai, enfin, proposé à la commission, qui a bien voulu me suivre, de remettre de l'ordre dans la motion de défiance, qui ne recueille d'ailleurs pas un assentiment aussi large qu'on pourrait l'imaginer. Mais la commission a bien voulu se résigner à la voie que je lui ouvrais.
Cette motion peut être déposée par un tiers du conseil régional, et non pas par la moitié de ses membres. Sinon, cela reviendrait à dire qu'elle est adoptée pour ne jamais servir.
Par ailleurs, son adoption doit avoir lieu à la majorité absolue du conseil régional et elle doit aussi entraîner le remplacement du président. En effet, si on se met d'accord pour voter un contre-budget, on ne peut pas demander au président en place de l'exécuter. On se doit de désigner, à la majorité absolue, quelqu'un en qui on a confiance.
Bien entendu, dès lors, nous proposons de faire disparaître la consultation du bureau, qui n'est plus justifiée. D'ailleurs, je le rappelle, le bureau est composé du président et de ceux à qui il a donné délégation. Mais aucun texte n'oblige le président à donner délégation à qui que ce soit ! Le président peut même retirer leur délégation à tous les membres du bureau avant la réunion de celui-ci : il est alors seul pour discuter avec lui-même, ce qui, évidemment, facilite le débat ! Mais ce n'est pas forcément le genre de caricature qu'il est souhaitable de voir s'offrir à l'opinion publique ! (Sourires.)
En revanche, j'ai proposé à la commission, qui a, là encore, bien voulu me suivre, la réintroduction du comité économique et social dans la procédure, en lui accordant huit jours pour délibérer sur le budget alternatif et formuler ses observations. Cela me semble être le minimum de ce que l'on doit à cette institution originale de nos régions, qui n'est pas, à mon avis, suffisamment utilisée dans la réalité.
Reste le problème des délais.
Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale aboutit ipso facto à ce que l'on ne puisse enclencher la procédure que le 1er avril puisqu'il faut attendre l'expiration d'un délai qui court jusqu'au 31 mars. Je vous propose donc, mes chers collègues, d'avancer ce délai du 31 mars au 20 mars et de prévoir que, en cas de rejet par l'assemblée délibérante du budget préparé par le président, la procédure s'enclenche dès le lendemain du vote tendant au rejet. Il n'y a aucune raison d'attendre encore quelques jours.
J'indique au passage que, à la suite d'observations formulées par des présidents de conseils régionaux, je vous proposerai probablement de fixer au 30 avril, au lieu du 15 avril, la date d'adoption des budgets des années de renouvellement. Il apparaît en effet, à l'usage, que, si la discussion budgétaire se déroule entre l'élection du conseil régional et le 15 avril, les délais sont vraiment trop courts.
Je propose un délai malgré tout relativement réduit, de sorte qu'on puisse régler la question en moins de trente jours, ce qui semble à peu près compatible avec une bonne administration des régions. Il ne me paraît pas possible d'envisager qu'un président soit soumis à la loi de son opposition pour exécuter ce contre quoi il a combattu.
Voilà, mes chers collègues, très brièvement résumée, la position de la commission des lois. Bien sûr, on pourrait disserter longuement, en particulier sur ce passage d'un exécutif « incarné » à un exécutif pluriel ou collégial qui nous est proposé subrepticement, ainsi que sur ce système étrange d'élection des présidents de conseils régionaux, qui comporte, en outre, une modification du rôle du doyen d'âge, à propos de laquelle on n'a sûrement pas assez réfléchi.
Sous réserve d'un certain nombre d'amendements, la commission des lois vous proposera l'adoption de l'ensemble du texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, si j'en juge par l'insistance tout à fait légitime que M. le ministre des relations avec le Parlement a mise, au cours de divers entretiens et en conférence des présidents, pour que ce texte soit inscrit dans des délais relativement brefs, celui-ci revêt une certaine importance pour le Gouvernement.
Cette importance nous serait d'ailleurs sans doute plus clairement apparue - ne voyez, dans cette remarque, rien de désobligeant à votre égard, monsieur le secrétaire d'Etat - si M. le ministre de l'intérieur, puisque le sujet relève de sa responsabilité, avait été présent pour nous dire son sentiment sur des dispositions qui - notre rapporteur l'a dit avec la clarté et la compétence qui sont la marque de toutes ses interventions - posent tout de même quelques problèmes.
Il est, au demeurant, permis de se demander s'il ne s'agit pas d'un texte de circonstance. Peut être eût-il été intellectuellement honnête d'adopter, à l'égard de ces dispositions, la ligne de conduite que nous suivons lorsque nous est soumis un texte relatif à des élections et que de telles élections doivent se tenir dans un proche avenir. Ne sommes-nous pas à quelques mois des élections régionales ? Compte tenu du délai qui nous en sépare, il est envisageable d'apporter quelques modifications de détail à la législation actuelle ; on peut prévoir, par exemple, qu'un conseiller régional disparu est déclaré démissionnaire : ce n'est pas un problème d'importance nationale, et l'on peut essayer de le régler.
Mais convient-il, à quelques mois des élections régionales, de débattre sur des dispositions qui modifient fondamentalement, et dans des conditions techniques tout à fait contestables, à la fois la nature et le fonctionnement - les deux aspects sont liés - des assemblées régionales ?
Sans aller jusqu'à dire que vous avez eu recours à un truc, j'ai tout de même le sentiment que vous avez utilisé un procédé, celui de la proposition de loi, même si personne n'oserait douter que le dépôt de celle-ci a été spontané. Quoi qu'il en soit, le fait qu'il s'agisse d'une proposition de loi vous a privé de deux phases de procédure qui, si elles avaient pu être observées, vous auraient évité bien des erreurs.
Ce texte est un montage que je n'ose pas qualifier de juridique.
M. Josselin de Rohan. C'est un magma !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Si vous aviez pris vos responsabilités en recourant au procédé habituel du projet de loi, vous auriez évidemment recueilli l'avis du Conseil d'Etat, et je ne pense pas que, sur un certain nombre de points, celui-ci aurait pleinement avalisé ce qui nous est aujourd'hui soumis et qui a découlé des délibérations de l'Assemblée nationale.
Et puis, dans son intention, un tel texte était, me semble-t-il, digne d'un conseil des ministres. En évitant le passage au conseil des ministres, vous avez empêché le Président de la République d'émettre les remarques, voir les remontrances, qu'il peut, comme il en a le droit, juger bon de formuler sur des textes intéressant le fonctionnement de nos institutions.
Cela est regrettable, car le Président de la République aurait peut-être estimé nécessaire de vous dire, dans le cadre de ses prérogatives, ce que, après tout, il eût été normal qu'il vous dît.
Je m'interroge, en outre, sur la signification profonde de ce texte, et je m'en inquiète.
La démocratie doit fonctionner librement. Or, nous avons toujours tendance à encadrer plus étroitement lorsque nous pensons, à tort ou à raison, que tel ou tel aspect de la vie de nos institutions présente des défauts de fonctionnement. On a tout à l'heure démontré parfaitement que, sur un nombre substantiel de budgets régionaux, trois seulement n'avaient pu être votés. On ne peut donc en conclure que les régions ne fonctionnent pas !
Mais, au lieu de faire ce simple constat, on invente des procédures telles qu'on finit pas enserrer le jeu démocratique dans une sorte de carcan dont on se demande si, finalement, il ne se retourne pas contre ceux qui entendent l'imposer.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne suis jamais passé dans cette assemblée pour un régionaliste farouche, mais les régions existent et elles sont ce qu'elles sont.
De même, la loi électorale est ce qu'elle est, et je ne suis jamais passé dans cette assemblée pour un partisan déterminé du scrutin proportionnel.
Quant au peuple, on ne peut pas en changer ! Le peuple est ce qu'il est, et il dira, à l'occasion de toutes les élections, ce qu'il entendra dire, que cela nous plaise ou non.
Je ne suis pas sûr qu'en prenant des précautions que l'on croit judicieuses on puisse parvenir, dans le contexte d'un certain nombre de résultats, à assurer contre vents et marées à la région la stabilité que nous souhaitons tous qu'elle connaisse. Car enfin, nous n'avons jamais eu, dans les douze ans qui viennent de s'écouler, le sentiment que le fonctionnement d'une région avait, à un moment quelconque, abouti à une sorte de crise susceptible de mettre en cause l'unité nationale !
Je sais que l'un de nos collègues, que j'aime bien, a songé à une élection du président de région au suffrage universel direct ! Je lui ai dit : « Jacques, tu serais peut-être duc de Languedoc, mais il y aurait un prince ou un comte d'Alsace, un duc d'Ile-de-France,...
M. Henri de Raincourt. Un duc de Bourgogne ! (Sourires.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... mais oui, un duc de Bourgogne, et un duc de Bretagne ! (M. Josselin de Rohan sourit.)
M. Guy Allouche. Vive la République ! (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Bref, on les collectionnerait, et ce serait tout à fait pittoresque.
Je n'entrerai pas dans le détail de ce qui nous est proposé. M. Paul Girod a parfaitement analysé tous les dispositifs qui, à l'Assemblée nationale, dans un climat oecuménique, ont jailli des imaginations, notamment de celle de son rapporteur.
Vraiment, les bras m'en tombent ! On aboutit, lorsque tous ces dispositifs sont mis bout à bout, à une monstruosité juridique allant à l'encontre de tous les principes. D'ailleurs, on ne voit même pas comment, dans certaines circonstances, ils pourraient être mis en oeuvre.
Faut-il énumérer toutes les entorses au droit que fait apparaître ce texte ?
S'agissant de la modification de la nature de la région, je sais bien que l'on fait de la politique dans un conseil régional.
M. Hubert Haenel. Trop !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je me souviens de ce qu'écrivait Léon Blum, ce grand ancêtre, dans un de ses plus célèbres rapports au Conseil d'Etat, à propos d'activités qui étaient « teintées de service public ». Eh bien, la région est « teintée de politique », il ne faut pas se le dissimuler, mais elle demeure, en droit, une collectivité administrative. Ses actes sont placés sous le contrôle du juge administratif et ils doivent donc être rangés, de manière générale, dans le cadre de ce qui est placé sous tutelle. La tutelle est une des manifestations du caractère administratif de l'acte qu'effectue la région.
Or, voilà qu'on nous propose d'introduire dans le fonctionnement des conseils régionaux un mécanisme qui est purement politique. On dit que c'est un système à l'allemande. Cela figurait plutôt dans les cartons de la malheureuse IVe République : à l'époque, chaque fois qu'on essayait de réaliser une réforme institutionnelle, mais que celle-ci se heurtait aussi bien à la droite qu'à la gauche, on invoquait la notion de défiance constructive. Mais cela n'a jamais fonctionné, ni en Allemagne, ni ailleurs.
M. Jean-Jacques Hyest. C'est dissuasif !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Par conséquent, on invente des procédures et on se demande si, de ce fait, il est nécessaire d'y recourir.
On vous a dit qu'il était aberrant d'imaginer que le président du conseil régional fournisse la liste des membres auxquels il donnera délégation. En tant que juriste - nous nous excusons de l'être ! - nous connaissons tous la technique de la délégation. La nature même de la délégation est qu'elle est...
M. Hubert Haenel. Intuitu personæ !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Effectivement, je vous remercie, cher ami ! Elle est également révocable à tout moment. Dès lors, comment le système de délégation qui a été inventé pourrait-il aboutir à une procédure satisfaisante ?
Enfin, le texte qui est issu des travaux de l'Assemblée nationale contient la plus grande des incohérences : le nouveau projet de budget établi par le président du conseil régional devra être soumis pour approbation au bureau du conseil régional.
Ce système aboutit - nous pouvons tous le constater - au comble de l'absurdité : si le projet de budget n'est pas approuvé, le président du conseil régional devra appliquer le budget qui vient d'être voté.
Quelle autorité demeurerait entre les mains d'un président du conseil régional si l'on adoptait un dispositif de ce genre ? Si tel devait être le cas, peut-être serait-il préférable que celui-ci soit élu au suffrage universel direct, plutôt que de voir son pouvoir à ce point affaibli.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les lois de circonstance sont toujours de mauvaises lois car, souvent, elles sont votées dans la précipitation. Je dois reconnaître que nous l'avons évité. Il arrive également qu'elles soient de nature à se retourner contre les intentions de ceux qui ont entendu les proposer. Pour ma part, je me suis rallié à la sagesse de la proposition de notre rapporteur, à mon corps défendant, certes, mais je n'en ai pas moins voté ce qu'il nous propose et je continuerai à le soutenir.
Il ne nous paraît pas utile de toucher à l'institution régionale telle qu'elle est. Elle est fragile. Nous qui représentons les communes, les départements, nous avons derrière nous des siècles d'histoire, des siècles de pratique.
La région est ce qu'elle est. Elle est souvent utile, je n'en disconviens pas, mais, dans le même temps, elle doit s'ancrer dans notre tradition. Je suis persuadé que certains de ceux qui sont ici font tout ce qui est en leur pouvoir pour que cet ancrage se produise et donne les meilleurs résultats possibles. Ces résultats - je m'en réjouis pour mes rapports avec la région d'Ile-de-France - sont extrêmement précieux pour l'action que nous menons.
Nous avons dit sincèrement ce que nous pensons. Je sais que M. le ministre chargé des relations avec le Parlement s'est quelque peu étonné du délai dont nous avons voulu disposer. Toutefois, après l'excellent rapport de M. Paul Girod, qui repose sur des consultations approfondies, et après avoir entendu, j'en suis sûr, tout ce que vous diront les membres de la Haute Assemblée qui souhaitent intervenir, vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'Etat, que le délai que nous vous avons réclamé - et que nous vous réclamerons peut-être encore - était absolument nécessaire.
En effet, le Sénat a le souci de ne pas accepter - je ne dirai pas des élucubrations, ce serait désagréable - mais à tout le moins des textes dont ni les principes ni les modalités ne correspondent à ce que nous souhaitons, c'est-à-dire assurer à la région la stabilité, que nous sommes tous ici unanimes à juger indispensable. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour le bon fonctionnement de la démocratie locale, il nous faut des collectivités locales efficaces. Les conseils régionaux ne relèvent pas, loin de là, de cette catégorie. Vous en conviendrez tous !
La réforme qui nous est proposée aujourd'hui n'est pas à la hauteur des problèmes. Au contraire, elle ajoute à la complexité et même, j'ose le dire, à certains dévoiements actuels que nous avons pu constater dans le fonctionnement de certains conseils régionaux.
Certes, une réforme de fond sur les conseils régionaux est nécessaire, mais elle doit concerner l'ensemble du dispositif de décentralisation, afin de le clarifier et de l'approfondir.
Quel est l'état des lieux, tel que j'ai pu le constater et, trop souvent, le déplorer depuis près de six ans, en tant que conseiller régional d'Alsace ?
La plupart des dysfonctionnements observés sont la conséquence non pas des règles de fonctionnement des conseils régionaux mais du mode de scrutin régional. C'est donc d'abord le mode de scrutin qu'il convient de réformer. Ensuite, nous examinerons les règles de fonctionnement.
Après les brillants exposés de M. Jacques Larché, président de la commission, et de M. Paul Girod, rapporteur, je vous indiquerai simplement ce que j'ai sur le coeur à propos, précisément, du mode de scrutin régional et de ses conséquences fâcheuses.
Pourquoi faut-il le réformer ? Parce que le mode de scrutin actuel et les pratiques qui s'ensuivent procèdent d'une conception de la démocratie que je qualifierai de dévoyée par le système de la proportionnelle intégrale.
M. Paul Masson. Très bien !
M. Hubert Haenel. Nos concitoyens ont le sentiment, lorsqu'ils élisent les conseils régionaux, qu'ils peuvent choisir en fonction des sensibilités les plus diverses ; puis, à peine leurs conseils régionaux élus, ils déchantent. Ils constatent et déplorent le spectacle désolant - je dis bien « désolant » - du fonctionnement des conseils régionaux. Ils imaginent aussi, d'ailleurs, ce qui se passe en coulisse.
Trop souvent, les minorités, les groupes que l'on peut qualifier de « marginaux » et les groupuscules mènent la danse, font et défont les décisions au prix de quelques attentions bien calculées et, de toute façon, au mépris de la démocratie. La situation est voisine de celle de la IVe République et de son Parlement tenu parfois par certains clans. Imaginez-vous une démocratie dans laquelle ce sont toujours les minorités qui arbitrent, au profit, bien entendu, des plus petits dénominateurs communs, bien éloignés de la notion que nous nous faisons de l'intérêt général ?
La démocratie, rythmée par des élections précédées d'un débat pluraliste, exige de celles et de ceux qui sollicitent les suffrages de leurs concitoyens la clarté et la transparence de ce qu'il est convenu d'appeler - on l'a trop souvent oublié - le pacte républicain : pourquoi se présente-t-on ? Sur quel projet ? Avec qui gouverne-t-on et pour quoi faire ?
Les Français exigent la clarté et le respect de ce pacte passé avec eux au moment des élections pour une durée déterminée : six ans.
Comment s'étonner alors devant le spectacle donné par le fonctionnement de certaines assemblées générales, qui succombent aux tentations de l'extrême droite ?
Si les conseils régionaux constituent un élément essentiel du dispositif de décentralisation, pourquoi les maintenir dans ce qui s'apparente à un statut de nain politique et administratif ? Si tel n'est pas le cas, alors faisons l'économie d'un étage qui vient se superposer aux communes, aux intercommunalités, aux pays, aux départements, que sais-je encore ! Il en résultera des dépenses en moins. Voilà des économies toutes trouvées ! Je ne plaide pas, à l'évidence, pour cette thèse.
En revanche, si les régions ont un sens - c'était l'option du général de Gaulle et c'est la mienne - il est urgent de les doter de compétences visibles et lisibles, d'une majorité claire et cohérente, d'un exécutif qui repose sur un socle démocratique capable de donner une impulsion et une réalité aux compétences régionales dans les domaines de l'aménagement du territoire et de la planification, des schémas régionaux, des transports collectifs, de la formation professionnelle et des lycées. C'est le minimum qu'exige la démocratie, dont on nous rebat si souvent les oreilles ces temps-ci.
Mais cette réforme, si nécessaire si l'on se place ne serait-ce que du point de vue du contribuable, de l'administré ou tout simplement du citoyen, n'aura pas lieu parce que, une fois de plus, la région est sacrifiée sur l'autel de certains intérêts partisans. Il s'agit d'une attitude incohérente et déconcertante de la part de tous ceux qui se réclament, d'une manière ou d'une autre, de la décentralisation et de l'Europe.
La construction européenne et la décentralisation constituent, à mes yeux, les chevaux de bataille de certains leaders bien placés sur l'échiquier politique. On les entend proclamer sans cesse la nécessaire clarification et l'indispensable approfondissement de la décentralisation, véritable point d'appui et levier d'une France moderne et en mouvement. Or, partout en Europe, le niveau intermédiaire de collectivité locale qui émerge entre les Etats de l'Union européenne est le niveau régional, que cela plaise ou non !
Dès lors, la France peut-elle rester, en Europe, le pays le plus mal « outillé » au sens du mécano institutionnel ? Telle est la vraie question !
Le débat est escamoté. En effet, ainsi réduit à un problème de calendrier - on invoque toujours le calendrier, ce n'est jamais le bon moment ! - arbre qui cache la forêt des bonnes questions, le véritable débat n'aura pas lieu avant les prochaines élections. D'ailleurs, il n'aura peut-être jamais lieu !
Quelle est la raison d'être des régions ?
Les conseils régionaux, en tout cas dans une région comme la mienne, expriment bien, me semble-t-il, la réalité et l'avenir d'une entité géographique, historique, économique et culturelle.
Veut-on ou non les voir émerger ? Je crains que non parce que les conseils régionaux risquent, aux yeux de certains, d'exprimer le minimum d'identité provinciale. Dans cette conception, il faut, bien sûr, les maintenir à tout prix dans une situation inférieure, de peur qu'émergent dans notre pays des forces locales et des équilibres territoriaux.
Quel rôle voulons-nous réserver aux régions ?
Dans les régions, le débat a lieu, le plus souvent, entre deux conceptions : région faible ou région forte. Mais le vrai débat n'est pas celui-là ! La place des régions ne peut être que la conséquence du rôle qu'on veut leur faire jouer, de la définition des fonctions qu'aucun autre niveau de collectivité locale ne peut remplir à leur place.
Je souhaite vous livrer quelques pistes qui plaident en faveur d'une réforme du mode de scrutin.
Les conseils régionaux ont vocation à devenir, dans le cadre d'un Etat « dégraissé » et recentré sur ses fonctions régaliennes, des lieux de cohérence, de coordination et de concertation avec les autres collectivités locales et l'Etat, pour aménager le territoire régional, planifier les équipements structurants, simplifier les procédures de décision, enfin, rendre plus lisibles la démocratie locale et la fiscalité : qui fait quoi et avec qui ; qui décide et qui paie ? Ainsi, le contribuable, l'administré ou tout simplement le citoyen s'y retrouveront et pourront exercer effectivement le contrôle et l'animation démocratiques.
Finalement, les conseils régionaux pourraient se voir retirer toute une série de compétences, sauf deux. Ils devraient être la réplique régionale du Commissariat général du Plan et de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale. Un point c'est tout. Leur vocation est non pas de gérer, mais d'assurer la cohérence des politiques de dimension régionale et de réfléchir sur les actions à mener.
Pourquoi ne parvenons-nous pas à réformer le mode de scrutin régional ? Il ne faut pas, nous dit-on la main sur le coeur, changer les règles du jeu six mois avant les élections. Allons donc ! Le débat ne date pas d'hier ; le problème se pose depuis 1986.
Les tentatives de réforme n'ont pas manqué face au spectacle souvent désolant qu'offraient certains conseils régionaux. Souvenez-vous des élections de certains présidents de conseils généraux en 1992 ! La même situation va se reproduire dans quelques mois. Quelle mascarade !
Les raisons essentielles, non avouées, de cette absence de réforme sont, me semble-t-il, tout autres. Elles sont de nature politicienne. Ne soyons donc pas surpris si les électeurs, désorientés, trompés, désespérés, en ont assez de la classe politique classique tout entière et se tournent vers l'extrême droite !
J'en arrive au calendrier des élections.
Les élections régionales auront lieu en même temps que les élections cantonales. Les Français risquent de ne plus rien comprendre. Le premier dimanche de mars, ils voteront, d'une part, pour des listes de candidats au conseil général selon un scrutin majoritaire à deux tours qu'ils connaissent bien et, d'autre part, pour des listes de candidats au conseil régional selon un scrutin à la proportionnelle intégrale à un seul tour.
Ainsi, au soir de ces élections, les conseils régionaux seront définitivement élus. L'affichage médiatisé des résultats, les commentaires et les interprétations de toutes sortes sur les scores du Front national et des groupuscules « médiatico-agissants » perturberont immanquablement le choix des électeurs pour le deuxième tour des cantonales.
Les élections régionales constituent également une sorte de sondage grandeur nature - s'il en est - alors que ceux-ci sont interdits. Quel curieux système ! Vous pouvez imaginer les coulisses des états-majors et des salles de presse ! D'aucuns tablent sans doute sur un défoulement des électeurs pour conserver leurs chances dans d'autres élections. Est-ce bien raisonnable ? Est-ce bien responsable, monsieur le secrétaire d'Etat ?
En conclusion, on peut s'étonner qu'un gouvernement qui a donné à la France la grande réforme de la décentralisation n'aille pas aujourd'hui jusqu'au bout de celle-ci, en l'approfondissant et en la clarifiant.
Compte tenu de ces observations, la modification que vous nous proposez, monsieur le secrétaire d'Etat, n'a, à mes yeux, aucun sens, sinon, d'accentuer encore un peu plus l'aspect « IVe République » du fonctionnement de trop nombreux conseils régionaux. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce débat est réellement passionnant. Il était utile de donner du temps à la commission des lois pour lui permettre d'approfondir cette proposition de loi et, en fin de compte, de lever certaines ambiguïtés.
Il est clairement apparu qu'au fond les régions ne sont pas malades. Il est d'ailleurs assez paradoxal de constater que ce sont souvent les plus jacobins qui s'étonnent de voir, de temps en temps, un préfet administrer. Il n'y a rien d'infamant à ce que celui-ci intervienne de temps à autre pour résoudre des problèmes au nom de l'Etat afin de donner les moyens à l'institution régionale d'agir au service du public. Certes, cette situation ne doit pas se multiplier à l'excès, mais si nous nous référons aux douze dernières années, on ne peut tout de même pas prétendre qu'il y ait eu une trop grande tutelle des préfets sur les budgets régionaux !
M. Paul Masson. C'est le bon sens !
M. Jean-Pierre Raffarin. Je le répète, les régions ne sont pas malades. La Bretagne et l'Alsace ont, certes, une identité régionale forte et ancienne, mais même les régions de création plus récente présentent toutes des taux d'adhésion de plus de 60 %. Ce taux est même de 66 % pour la région Poitou-Charentes. Ce n'était pas évident !
Les régions ont assumé leurs compétences en matière d'éducation et de formation. Elles ont recouru à des formules plus innovantes. Je pense notamment au capital-risque, qui a favorisé la création d'entreprises.
M. Henri de Raincourt. Ah, ça oui !
M. Jean-Pierre Raffarin. Des initiatives importantes sont souvent prises par les régions en matière d'emploi, par exemple. Des groupements d'employeurs sont créés pour répondre aux problèmes d'emploi, de flexibilité et de souplesse.
Le succès des régions en matière de lycées est reconnu. Elles sont intervenues là où l'Etat n'agissait pas. Actuellement, 50 % des budgets régionaux sont consacrés à la matière grise, à la qualité du matériel mais aussi à la sécurité des lycéens. Lorsqu'on a découvert l'ampleur du problème de l'amiante, on a été bien content de trouver des régions dynamiques pour répondre à ces problèmes de sécurité des jeunes Français !
Souvenez-vous, par exemple, de la loi Giraud ou des lois quinquennales ! S'agissant du développement de l'apprentissage, 1996 a été une année record dans notre pays, grâce, notamment, à l'action des régions.
Je pourrais multiplier les exemples de réussite.
J'insisterai sur le succès très important de la contractualisation et, tout d'abord, celui de la contractualisation supra-régionale avec l'Etat. Le contrat de plan peut, certes, être modifié et amélioré, mais nous nous rendons bien compte que, dans notre pays, il faut défendre la cohérence nationale, sans laquelle notre pays serait fragile.
Il faut aussi valoriser l'initiative locale. Le contrat de plan permet de maintenir la cohérence nationale et de tenir compte des initiatives locales. C'est une bonne chose pour l'Etat et les régions. Les fonds structurels, à l'échelon européen, devraient être intégrés à ce type de dynamique.
Je citerai, ensuite, la contractualisation infra-régionale et le contrat de ville. L'Etat est heureux de pouvoir s'appuyer sur les régions. Certaines d'entre elles ont conclu des contrats de territoire, ou de terroir, qui viennent appuyer l'initiative communale, qui est très importante dans notre pays.
Après le succès d'une décentralisation voulue, l'Etat recourt aujourd'hui à une décentralisation qui semble quelquefois être une figure imposée. Quand il se heurte à des problèmes qu'il ne réussit pas à résoudre, il a tendance à se tourner vers les régions. Voyez le plan Université 2000 ! Comment peut-on faire face au développement de l'Université ? M. Allègre, m'a-t-on dit, chercherait à élaborer un plan Université 3000.
La SNCF incapable aujourd'hui de maîtriser ses dettes, même en les transférant dans une société extérieure, et de faire face aux difficultés auxquelles elle est confrontée, fait appel aux régions par le biais d'expérimentations. L'Etat s'associe aux régions dans le domaine des transports -, c'est le cas avec la SNCF, par exemple -, ou en matière de santé par le biais des agences régionales. Je pourrais parler aussi des déchets.
Je pourrais citer nombre d'exemples tendant à démontrer que la dimension régionale a apporté beaucoup dans notre pays, même si certains dysfonctionnements se sont produits qu'il convient de corriger.
Mais pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, voulez-vous verrouiller les régions, la démocratie locale ? Pourquoi voulez-vous laisser penser que le pouvoir doute de ses alliés ?
Le sénateur qui vous parle, monsieur le secrétaire d'Etat, a dirigé pendant six ans une région avec une majorité relative. En fin de compte, combien d'erreurs ont pu être évitées grâce au dialogue qu'il faut instaurer, grâce au temps que l'on prend pour observer et écouter ! Combien de discussions ont été nécessaires ! J'ai été élu par 25 voix sur 55. Mes dernières orientations budgétaires ont été votées par 31 voix sur 55. Le dialogue et la concertation sont donc possibles.
Je voudrais vraiment vous persuader que le budget des collectivités territoriales, contrairement à celui de l'Etat, n'est pas un rendez-vous annuel. Il se discute tous les jours. Quid des décisions modificatives que nous devons prendre plusieurs fois par an ? Quid de tous ces débats qui font du budget un acte permanent de la gestion ? Combien de fois par an faut-il revenir sur la formule qui est ainsi proposée ? Il ne faut pas jouer la force contre le dialogue ; ce serait une erreur majeure.
Nous devons voter le budget au mois de décembre, afin que les financements puissent être mis en place dès le 1er janvier. Puis, au cours du premier trimestre, les bases et les informations qui nous viennent de l'Etat conduisent à corriger certains éléments, notamment des taux ou des exonérations, et ce jusqu'à la fin du premier semestre. Le budget s'accompagne donc de rendez-vous légaux qui rendent le verrouillage qui nous est proposé difficile à appliquer.
Il faut aussi tenir compte du fait que le clivage partisan, disons-le clairement, n'est pas la règle quotidienne de fonctionnement des assemblées territoriales.
Le clivage urbain-rural vaut le clivage PS-PC ; le clivage, dans bien des régions, entre le pays vert, la ruralité, et le pays bleu, le littoral, est également important. Il peut aussi y avoir un clivage entre les générations, sur certains dossiers, sur les thèmes importants d'avenir, tels que l'agriculture biologique ou les routes. Vouloir en permanence ramener la gestion locale au clivage national revient à politiser le débat et à développer l'esprit partisan, alors qu'il faut, au contraire, valoriser les ententes.
Il ne faut pas transposer les problèmes nationaux à l'échelon local, pas plus qu'il ne faut transposer les problèmes locaux à l'échelon national.
Je prends un exemple concret, celui de l'autoroute Fontenay-le-Comte-Rochefort.
MM. Maurice Blin et Jean-Jacques Hyest. Ah !
M. Jean-Pierre Raffarin. Cette autoroute relie la Vendée à la Charente-Maritime. A La Rochelle, un débat a eu lieu à ce sujet. M. Crépeau y est favorable, mais son adjoint « vert » et son adjoint communiste y sont hostiles. S'ils se battent sur le terrain, ils n'en votent pas moins de la même manière à l'Assemblée nationale.
Pourquoi superposer les deux débats ? Pourquoi toujours verrouiller le débat démocratique ? Laissons M. Crépeau gérer les conflits avec les Verts dans son département et être à la tête du groupe charnière à l'Assemblée nationale au côté des Verts. Laissons un peu de souplesse ; tout le monde peut en avoir besoin, monsieur le secrétaire d'Etat. Ne verrouillons pas l'ensemble des systèmes. Ne cherchons pas à contraindre systématiquement nos alliés. Pourquoi les enfermer dans un accord qui les lie ? Pourquoi vouloir s'attaquer à la liberté de vote ? Pourquoi ne pas faire confiance aux collectivités territoriales ?
Monsieur le président, compte tenu de l'heure, je ne reprendrai pas les très bons arguments que M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur ont brillamment présentés.
Je pense, notamment, au débat sur le doyen d'âge. J'ai assisté au discours d'ouverture de la session du Parlement européen prononcé par M. Autant-Lara. Ce discours du doyen d'âge, affilié au Front national, a suscité un débat. On a bien vu les difficultés qui en sont résulté. Le rôle du doyen d'âge est d'organiser les débats et non de faire la police. Je conçois d'ailleurs mal que les propositions avancées ne soient pas suivies de débat.
Et puis, certains ont évoqué, à juste titre, le mandat impératif, la délégation révocable. Je passe sur ces différents points fondamentaux.
En conclusion, la démocratie s'éclaircit par les urnes ; la crainte du vote fragilise la démocratie. S'agissant du Front national, je crois que toutes ces manoeuvres donnent le sentiment à l'opinion qu'on veut chercher à éluder le véritable débat. Au fond, la vraie victoire s'obtient dans les urnes, grâce à la démocratie. Les manoeuvres nourrissent plutôt les rangs des politico-sceptiques. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)

5

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à ce point du débat, je propose que nous poursuivions aujourd'hui même, de quinze heures à seize heures, la discussion générale de cette proposition de loi. Cette discussion générale, compte tenu de l'ordre du jour, ne pourra pas être close aujourd'hui, mais je pourrai ainsi répondre aux premiers intervenants.
En l'instant, je tiens d'ores et déjà à remercier M. le président de la commission des lois, M. le rapporteur et les premiers orateurs qui se sont exprimés de la contribution qu'ils ont apportée à ce débat.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur la proposition de M. le secrétaire d'Etat ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Le propos de M. le secrétaire d'Etat est d'une telle courtoisie que je ne puis qu'accéder à cette demande. Nous reprendrons donc nos travaux à quinze heures.
Toutefois, faisons un deal, monsieur le secrétaire d'Etat. (Sourires.) Puisque nous ne pourrons en terminer aujourd'hui- il s'agit d'un texte important, qui pose nombre de problèmes techniques, vous en êtes vous-même persuadé - je propose que nous n'achevions la discussion générale qu'après l'examen du projet de loi de finances pour 1998.
M. le président. L'ordre du jour de cet après-midi est donc ainsi modifié.
Le Sénat va maintenant interrompre ses travaux ; il les reprendra à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean Faure.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

6

FONCTIONNEMENT
DES CONSEILS RÉGIONAUX

Suite de la discussion d'une proposition de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au fonctionnement des conseils régionaux.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme l'a fait ce matin, au nom du groupe des Républicains et Indépendants, notre collègue Jean-Pierre Raffarin, je voudrais, à mon tour, vous faire part de notre sentiment sur les conditions d'examen de ce texte.
Je fais partie de ceux qui, ce matin, ont écouté les remarquables développements de notre rapporteur, M. Paul Girod, et du président de la commission des lois, M. Jacques Larché. Après les avoir entendus, je crois que l'on peut considérer que la demande formulée par la commission des lois, qui a souhaité disposer de suffisamment d'éléments, qui a souhaité entendre les réponses aux questions que M. le rapporteur a posées en son nom, qui a donc souhaité disposer de suffisamment de temps pour se prononcer sur ce texte très important pour l'avenir et le fonctionnement de nos régions, était tout à fait justifiée.
Quoi qu'il en soit, je tiens à rendre hommage à la ténacité avec laquelle le président de la commission des lois et son rapporteur ont essayé de faire comprendre à chacun que l'on ne pouvait délibérer en quelques instants sur un tel sujet.
Il est vrai que l'idée est intéressante, mais il est non moins vrai que, si le texte qui nous a été transmis par l'Assemblée nationale devait être adopté en l'état, il n'aboutirait pas à l'effet escompté, car il ne favoriserait probablement pas une meilleure gestion et un meilleur fonctionnement des régions. Il s'agit en effet, pardonnez-moi l'expression, d'une véritable « usine à gaz » qui, je crois, provoquerait une paralysie dont la région n'a pas besoin, nous en sommes les uns et les autres convaincus.
Enfin, élément supplémentaire de difficulté, il n'était pas évident pour nous de travailler sans support, sans rapport écrit.
Mais j'en viens au fond de la présente proposition de loi.
Le Parlement est donc invité à décider que, avant chaque tour de l'élection à la présidence d'un conseil régional, les candidats devront adresser au doyen d'âge une déclaration écrite présentant les grandes orientations de leur action pour la durée de leur mandat ainsi que la liste des membres du conseil auxquels ils donneront délégation pour la constitution du bureau.
Une telle disposition, à l'évidence, serait tout à fait nouvelle. Elle serait choquante, et ce serait probablement, comme cela a été dit par le président Larché, une disposition de circonstance.
Dès lors, nous sommes fondés à penser que la présente discussion survient avant les élections régionales pour contraindre la droite à s'allier publiquement à l'extrême droite, mais peut-être davantage encore, par précaution et par prudence, pour pouvoir assurer la cohésion d'une majorité nationale aujourd'hui plurielle qui, dans bien des régions - je ne pense pas seulement au Nord - Pas-de-Calais - est parfois singulière.
Cela dit, tenons-nous-en à quelques éléments de droit.
Tout d'abord, il n'est pas obligatoire de former un bureau. Par ailleurs, un président peut n'accorder aucune délégation. Ensuite, un candidat à la présidence ne peut pas indiquer par avance la liste des membres du bureau ni les éventuelles délégations qui s'y rattacheraient dès lors que l'assemblée n'a pas encore décidé le nombre des membres de la commission permanente, qui peut varier de quatre jusqu'à l'effectif total des membres du conseil régional. Enfin, le président élu ne devient exécutif qu'à l'instant de son élection, et à cet instant-là seulement. Sous sa propre responsabilité, il accordera ou non, tout au long de l'exercice de sa présidence, des délégations à tel ou tel de ses collègues, et il pourra d'ailleurs les leur retirer en fonction de ce qu'il jugera utile, modifiant par la même, évidemment, la composition du bureau.
Cette proposition de loi accumule donc les anomalies juridiques, pour ne pas dire plus.
Les règles qu'elle édicte sont tout à fait inédites en droit français et s'écartent profondément du corpus cohérent et général des collectivités territoriales tel qu'il découle des lois de décentralisation et des codes actuels.
Pourquoi les conseils régionaux seraient-ils soudain régis par des règles profondément distinctes de celles qui sont appliquées dans toutes les assemblées françaises ?
Par ailleurs, l'interdiction de tout débat sous la présidence du doyen d'âge installant l'assemblée constitue une règle d'usage constante. S'il appartient sans doute au doyen d'âge d'en décider - le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 16 janvier 1987, a bien considéré qu'il appartenait au doyen d'âge de décider s'il y aurait débat ou non - nous savons bien les uns et les autres, pour siéger dans différentes assemblées, qu'il ne peut s'agir que d'un débat concis, limité, rigoureusement équilibré et encadré, et que c'est donc, à l'évidence, tout à fait exceptionnel.
Le législateur a ainsi voulu préserver la sérénité de l'élection du président d'une collectivité ou d'un maire.
Si la proposition de loi qui est soumise à notre examen devait être appliquée, il y aurait donc, me semble-t-il, sinon violation d'une règle républicaine, du moins évolution curieuse de cette règle, car on imagine mal qu'aucun débat ne puisse avoir lieu à la suite de déclarations faites par le doyen d'âge, qui, je le répète, n'a jamais reçu une telle mission.
Il me semble que ce dernier point est tout à fait négatif, en particulier au regard de la sérénité qui doit normalement présider à l'élection du président d'un conseil régional.
Par ailleurs, comment publier une liste de noms sans connaître de façon précise la réaction des intéressés, qui pourraient dès lors publiquement accepter cette délégation ou la refuser, créant ainsi une confusion supplémentaire qu'il n'est évidemment pas besoin d'organiser par une loi ?
Enfin, et pour conclure sur le fond, le mandat impératif est interdit en droit français. Sans doute concerne-t-il, selon l'article 27 de la Constitution, les seuls membres du Parlement, mais on aurait vraiment peine à comprendre pourquoi il ne s'appliquerait pas aux exécutifs des principales collectivités territoriales. Il y a là, me semble-t-il, une règle qui doit s'appliquer.
Dès lors, à quoi la déclaration que le candidat à la présidence devrait faire engagerait-elle celui-ci - s'il était élu - ou les éventuels titulaires des délégations qui seraient données à tel ou tel membre du conseil régional ?
Si l'on prend acte de l'interdiction de tout mandat impératif du président nouvellement élu, en fait, cela ne l'engagerait en rien et n'aurait aucune conséquence ; par conséquent, ce serait tout à fait inutile.
Si l'on accepte cette règle nouvelle et inédite, le président pourrait alors se trouver frappé, en quelque sorte, de sanction s'il modifiait, tout au long de son mandat, ses délégations, et probablement sa présidence s'en trouverait-elle déstabilisée.
Mes chers collègues, nous nous trouvons donc, me semble-t-il, dans une situation qui est confuse, invraisemblable et qui, en l'état, ne peut être acceptée par le Sénat.
M. Jean Chérioux. Monsieur de Raincourt, m'autorisez-vous à vous interrompre ?
M. Henri de Raincourt. Je vous en prie, mon cher collègue.
M. le président. La parole est à M. Chérioux, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean Chérioux. Mon cher collègue, ce que vous venez de dire concernant le mandat impératif me trouble énormément. Je me demande d'ailleurs s'il n'y a pas là matière à saisir le Conseil constitutionnel.
Vous avez dit vous-même que la Constitution n'interdisait le mandat impératif que pour les parlementaires, mais il est certain que, à l'époque où la Constitution a été élaborée, puis adoptée par le peuple français, il n'y avait pas d'exécutif dans les départements et les régions.
Par conséquent, il y a là un élément nouveau et l'on peut se demander s'il ne serait pas souhaitable de connaître la position du Conseil constitutionnel à ce sujet.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Mon cher collègue, je vous remercie. Naturellement, je n'ai pas qualité pour répondre en lieu et place de M. le rapporteur ou de M. le président de la commission des lois. Je crois, malgré tout, que ce que disait ce matin M. Larché est tout à fait exact : si nous avions travaillé d'une autre manière, à partir d'un projet de loi plutôt que d'une proposition de loi, nous connaîtrions déjà l'avis du Conseil d'Etat sur cette question.
M. Jean Chérioux. Tout à fait !
M. Henri de Raincourt. Par ailleurs, nous verrons bien, à l'issue des travaux parlementaires, ce que sera le texte et s'il y a ou non lieu de consulter le Conseil constitutionnel. Si cela est nécessaire, il sera alors possible, à mon avis, de trouver soixante sénateurs ou soixante députés pour introduire un tel recours devant le Conseil constitutionnel.
Le Sénat se doit donc d'affirmer avec une certaine fermeté, voire avec une certaine solennité - il s'agit en effet de la défense de la démocratie - qu'un membre d'une assemblée doit rester libre de son comportement politique tout au long de son mandat. Il en va de la dignité des élus, ainsi que de la crédibilité de nos différentes instances représentatives.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, s'il est intéressant que la discussion générale sur cette proposition de loi ait été engagée, il convient maintenant de donner à M. le rapporteur la possibilité d'en examiner toutes les implications afin que le texte qui résultera de nos travaux concoure, si tel est vraiment l'objectif, à l'amélioration du fonctionnement des conseils généraux et ne soit pas, en réalité, qu'une loi de circonstance à petit usage politique ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'Assemblée nationale a adopté, à la suite du dépôt de quatre propositions de loi, un texte relatif au fonctionnement des conseils régionaux dont l'objet est l'adoption sans vote du budget régionaux en cas de situation de blocage.
Ainsi se verrait transposé en droit français le mécanisme du vote de défiance constructif, bien connu non seulement de nos voisins allemands, même s'il n'a jamais été appliqué - tout comme l'article 49-3 de la Constitution, on sait qu'il existe, mais on l'utilise le moins possible ! - mais aussi de nos collègues corses. En effet, l'article L. 4422-20 du code général des collectivités territoriales dispose que « l'assemblée de Corse peut mettre en cause la responsabilité du conseil exécutif par le vote d'une motion de défiance. »
Je reviendrai ultérieurement sur les institutions corses. Après tout, pourquoi ne pas faire fonctionner l'ensemble des régions à l'image de l'assemblée de Corse ? Mais ce serait un autre système, puisque la Corse est dotée d'un conseil exécutif, qui n'existe pas dans les autres régions.
Certains sont même allés jusqu'à comparer ce nouveau dispositif à l'article 49-3 de la Constitution, qui permet au Gouvernement ne disposant pas de la majorité absolue d'engager sa responsabilité pour obtenir l'adoption d'un texte. Cette procédure a d'ailleurs bien fonctionné pendant quelques années.
Permettez-moi de dire, mes chers collègues, que cette comparaison n'a aucun fondement dans la mesure où la séparation des pouvoirs n'existe pas dans les collectivités : après avoir préparé son budget, le président le fait voter, puis l'exécute.
M. Henri de Raincourt. Voilà !
M. Jean-Jacques Hyest. D'ailleurs, j'irai plus loin en disant que je me pose de sérieuses questions sur l'ensemble de ce texte, qui vise à modifier le mode d'adoption du budget à la veille des prochaines élections régionales et dont la pertinence et la légitimité face aux problèmes des conseils régionaux ne me paraissent pas sauter aux yeux.
Certes, la région est la seule collectivité locale française dotée d'une assemblée élue au scrutin proportionnel. D'ailleurs, c'est peut-être son problème.
De plus, elle reste une collectivité jeune puisque, alors que la commune remonte à la nuit des temps - elle est l'héritière des paroisses - et que le département vient de fêter ses deux siècles d'existence, la région a été créée en tant qu'établissement public en 1972, même si quelques institutions existaient auparavant. En 1982, les lois de décentralisation lui ont accordé son statut actuel et, en 1986, elle est devenue une collectivité territoriale de plein exercice par l'élection de ses conseillers au suffrage universel direct. D'ailleurs, certains pensent que le système antérieur, sous la forme d'un établissement public regroupant les collectivités départementales et communales, avait sa légitimité et avait plutôt bien fonctionné en matière d'aménagement du territoire et de grands projets.
M. Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest. La création des régions a même failli ne jamais avoir lieu : il faut en effet se souvenir que les révolutionnaires craignaient - on sait pourquoi ! - les circonscriptions trop étendues qui auraient permis d'établir des corps administratifs assez forts pour entreprendre de résister au chef du pouvoir exécutif. Dieu nous garde de l'élection au suffrage universel direct des présidents de région !
On se souvient aussi du rejet du projet référendaire, le 27 avril 1969. Par conséquent, les régions ont connu des difficultés pour émerger et pour trouver leur place dans les institutions françaises.
Néanmoins, les régions ont vu leurs compétences, leurs responsabilités et leurs moyens budgétaires et financiers considérablement augmentés : le budget total des régions atteignait, en 1995, 70 milliards de francs, soit 10 % du total consolidé des budgets de l'ensemble des collectivités territoriales.
Institutionnellement, la région a évolué. Forte de son assemblée élue au suffrage universel direct et de son exécutif propre désigné par celle-ci, elle s'appuie sur une administration structurée et autonome ne dépendant plus en rien du préfet et des services de l'Etat.
Aujourd'hui, dans l'ensemble, les régions fonctionnent normalement, avec des majorités stables, même si elles sont parfois relatives, capables d'élaborer et d'adopter leur budget de façon satisfaisante.
Comme l'a indiqué M. le rapporteur, au cours de ces douze dernières années, seulement deux conseils régionaux sur vingt-deux se sont trouvés dans l'impossibilité de voter le budget présenté par leur président avant la date limite prévue par le code général des collectivités territoriales : la Haute-Normandie, en 1995 et 1996, et l'Ile-de-France, en 1997. On peut d'ailleurs se demander pourquoi, en 1997, le conseil régional d'Ile-de-France n'a pu adopter son budget dans les temps, alors qu'il y était toujours parvenu auparavant : la proximité d'une année électorale a sans doute rendu les choses plus difficiles, certains nourrissant l'espoir d'obtenir la majorité relative. Des tensions en sont résultées, alors que, précédemment, en grande majorité les élus du conseil régional étaient globalement d'accord sur les options importantes.
On peut, bien entendu, se demander pour quelles raisons le vote de défiance constructif est introduit subitement. Nous savons qu'il y a eu au sein de la majorité actuelle, comme au sein de la majorité précédente, un large débat sur le fait de savoir s'il conviendrait ou non de modifier le mode de scrutin pour les prochaines élections régionales. Comme il n'y a guère d'unanimité dans ce domaine, pratiquement sur toutes les travées d'ailleurs, le Gouvernement a finalement accepté une solution échappant au statu quo et parvenant à contenter les différentes composantes de sa majorité.
Si le Gouvernement estime qu'il n'a pas le temps, ce qui est largement critiquable, pourquoi ne pas attendre ? Peut-être parce que le parti socialiste considère que, dans un certain nombre de régions, la majorité plurielle ne recueillera pas, après les prochaines élections, la majorité absolue des voix, et donc des sièges. Or, pour pouvoir gouverner, il ne restait plus qu'une solution : un aménagement fonctionnel de la procédure d'adoption du budget.
Si tels sont bien les motifs de cette réforme, permettez-moi, mes chers collègues, de considérer que nous ne pouvons guère cautionner ce texte qui, tel qu'il est rédigé aujourd'hui, ne résout rien.
J'en viens au dispositif proposé. Concrètement, si le projet de budget présenté par le président du conseil régional n'est pas adopté à la date limite, celui-ci peut présenter un nouveau projet, c'est-à-dire le projet initial modifié, le cas échéant, par des amendements venus dans le débat. Le budget est alors considéré comme adopté douze jours après sa communication au conseil régional, sauf dépôt d'une motion de défiance présentée par un tiers des membres de ce dernier.
La proposition de loi introduit un verrou puisque la motion de défiance, qui doit présenter un contre-budget et une déclaration politique, doit être adoptée par la majorité absolue des membres du conseil régional. Cette disposition - on le voit bien - résoudrait peu de cas et serait à l'origine d'une pagaille considérable dans les conseils régionaux.
Si aucune motion de défiance n'est votée, le budget, considéré comme adopté, sera tout naturellement exécuté séance après séance, tout au long de l'année, par la commission permanente et, parfois, par le conseil régional, comme l'a fort bien expliqué M. le rapporteur. Or, cette commission, désignée pour partie à la représentation proportionnelle, peut, elle aussi, s'opposer à telle ou telle proposition du président. Dans ces conditions, le budget, bien que considéré comme adopté, ne pourra même pas être exécuté dans les faits.
Il y a un autre sujet d'inquiétude : en cas de budget de « substitution », celui-ci serait exécuté par le président du conseil régional en place. En effet, le texte adopté par l'Assemblée nationale écarte tout lien entre le maintien en fonction du président et le vote du budget. En définitive, le conseil régional pourrait donc être gouverné par une minorité.
Par ailleurs, comme l'a fort bien souligné M. le rapporteur, la loi fait obligation au conseil régional de saisir pour avis le comité économique et social de tout projet de budget. Rien de tel n'est prévu par la proposition de la loi votée par l'Assemblée nationale.
Enfin, la proposition de loi dispose - ce point nous a beaucoup perturbés, en raison de l'absence de lien direct avec le texte - que « les candidats à la fonction de président du conseil régional adressent au doyen d'âge une déclaration écrite présentant les grandes orientations de leur action pour la durée de leur mandat et la liste des membres du conseil auxquels ils donneront délégation en vue de la constitution de son bureau. »
D'une part, le président se trouve obligé de présenter pour le bureau le nom de candidats dont il n'a pas la certitude qu'ils seront élus membres de la commission permanente. D'autre part, cette disposition introduit le principe de collégialité dans la désignation du bureau du conseil régional, notion totalement inconnue de nos collectivités territoriales. Si certains ont peut-être en mémoire le Comité de salut public, les comités de sûreté générale ou le Consulat, un tel dispositif est cependant peu intégré dans nos institutions actuelles.
A propos du bureau, j'aimerais rappeler que la comparaison avec les institutions régionales de Corse n'est pas pertinente. En effet, comme je l'ai indiqué au début de mon propos, la Corse a la particularité d'avoir un conseil exécutif.
M. Daniel Eckenspieller. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est l'existence de ce conseil qui donne toute sa légitimité à la motion de défiance que peut voter l'assembée de Corse. Il faudrait donc, pour donner un semblant de cohérence aux dispositions adoptées par l'Assemblée nationale, prévoir un conseil exécutif pour tous les conseils régionaux.
M. Paul Girod, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est une autre chose !
M. Jean-Jacques Hyest. Cela pourrait être une autre proposition ! Après tout, on réfléchit.
Sans aller plus loin dans l'analyse du caractère largement improvisé du texte, nonobstant les efforts du rapporteur de l'Assemblée nationale, qui a essayé de rassembler des mesures relativement contradictoires, je voudrais terminer mon propos en suggérant une autre solution, et ce même si les propositions du rapporteur m'agréent. En effet, nous pouvons quand même formuler d'autres solutions en vue de poser les vrais problèmes des conseils régionaux !
M. Paul Girod, rapporteur. On peut toujours faire mieux !
M. Jean-Jacques Hyest. Ce texte n'apporte pas de solution de fond, et le seul motif qu'on puisse lui trouver est un but post-électoral. Or, je considère que le législateur doit traiter les problèmes sérieusement et éviter autant que faire se peut les lois de circonstance.
Si nous souhaitons vraiment que les régions soient plus fortes et mieux gouvernées, il n'y a pas d'autre solution que de leur donner une majorité cohérente et stable.
Pour ce faire, il faut changer le mode de scrutin. Il est encore temps, quoi qu'on en dise d'opérer cette modification, mais il faudrait une volonté politique commune ; or, je ne sais si elle existe.
Si l'on s'engageait sur cette voie, qui est bien plus sage que celle qui nous est proposée aujourd'hui, il nous faudrait encore être attentifs à la nature de la réforme suggérée. En effet, on se souvient des élections régionales de 1992 et des conséquences absurdes, pour ne pas dire ubuesques, entraînées dans certains cas par le système de la représentation proportionnelle : ainsi, certaines régions n'ont pu être gouvernées qu'après négociation avec des groupes charnières, ce qui a donné à des élus se réclamant d'une liste écologiste, d'une liste « Chasse, pêche, nature et traditions » ou, hélas ! du Front national, un pouvoir tout à fait exorbitant par rapport à leur représentativité réelle.
On ne pourra corriger ces défauts et revenir à plus d'efficacité et de démocratie qu'en modifiant fondamentalement le mode de scrutin. C'est dans ce sens que pourrait être adopté, pour les élections régionales, le système en vigueur pour les élections municipales dans les communes de plus de 3 500 habitants, et je proposerai un amendement sur ce point.
Il s'agirait d'un scrutin mixte à deux tours, alliant représentation proportionnelle et scrutin majoritaire. Un certain nombre de députés ont d'ailleurs également envisagé cette solution, notamment M. Adrien Zeller, président du conseil régional d'Alsace, et un certain nombre de membres du groupe de l'UDF à l'Assemblée nationale.
Je crois que, si l'on veut donner, comme nous le souhaitons tous, davantage de stabilité à la région - comme l'ont expliqué un certain nombre de collègues, cette institution doit avoir un avenir, compte tenu de l'environnement européen - il faudra mettre en oeuvre une réforme du mode de scrutin.
A cet égard, s'agissant des communes, rappelez-vous que la réforme qui avait été proposée à l'époque avait été très critiquée, alors que personne, aujourd'hui, ne voudrait remettre en cause le scrutin municipal.
Par conséquent, si l'on veut faire de la région une collectivité territoriale de plein exercice, assumant les responsabilités particulièrement importantes qui sont les siennes, et qui pourraient même l'être davantage si nous approfondissions la décentralisation, encore inachevée à ce jour, il faut engager cette réforme de fond.
Nul d'entre nous n'a intérêt à ce que les régions soient ingouvernables. C'est pourquoi notre groupe soutiendra le texte proposé par notre rapporteur, M. Paul Girod, mais en souhaitant que l'on aille jusqu'au bout et que l'on réforme en profondeur le mode de scrutin régional de façon que puissent se dégager des majorités stables, permettant ainsi aux régions de fonctionner convenablement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les régions sont devenues, depuis leur création, en 1972, grâce à leur dynamisme, des partenaires essentiels tant de l'aménagement du territoire que de la protection de notre environnement ou encore de la réalisation des grands équipements.
Les régions sont, en outre, les acteurs indispensables de la formation des jeunes, d'une part, avec la construction et l'équipement des lycées, d'autre part, avec l'organisation et le financement de la formation professionnelle et de l'apprentissage.
Les régions apparaissent donc aujourd'hui comme l'échelon le mieux adapté pour gérer certaines politiques, et notamment des sujets sensibles, particulièrement proches des préoccupations de nos concitoyens. Je pense, par exemple, aux transports.
Mais, en l'état actuel, certaines d'entre elles ne peuvent faire face avec toute l'ampleur et l'efficacité nécessaires à toutes ces missions. En effet, force est de constater que l'absence de majorité au sein des conseils régionaux suscite de graves difficultés de fonctionnement.
Cette absence de majorité, vous me permettrez de le rappeler, concerne la plupart des régions, puisque seules quatre régions disposent d'une majorité homogène : l'Auvergne, la Franche-Comté, la Basse-Normandie et les Pays-de-la-Loire.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Et la Guadeloupe !
M. Guy Allouche. Il parlait des régions métropolitaines !
M. Daniel Eckenspieller. Et la Guadeloupe, en effet.
Dans les autres conseils régionaux, la constitution d'une majorité passe obligatoirement par des accords avec un ou plusieurs groupes charnières très minoritaires, mais qui, par là même, jouent souvent un rôle clé disproportionné par rapport à leur représentativité réelle.
Je rappellerai qu'en 1992 vingt conseils régionaux n'ont élu leur président et leur exécutif qu'à la majorité relative.
Je rappellerai également que ces difficultés se retrouvent après l'élection du président, car de telles majorités de coalition associant des groupes très largement minoritaires sont, par nature, des majorités instables.
Cette instabilité compromet le fonctionnement et la saine gestion des régions. De plus, elle empêche la continuité et l'efficacité de l'action régionale.
C'est ce qu'ont fait valoir plusieurs présidents de conseils régionaux qui ont été entendus dans le cadre du groupe de travail constitué au sein de la commission des lois, groupe de travail présidé par notre collègue Lucien Lanier et dont notre excellent collègue Paul Girod était le rapporteur.
Ainsi, l'un d'entre eux, se référant à sa propre expérience, a déploré les difficultés permanentes que lui posait l'absence de majorité nette, notamment au moment du vote du budget. Il a évoqué les débats interminables que requièrent des modifications, même de portée modeste, au point qu'une véritable « quête aux voix », selon ses propres termes, est nécessaire sur chaque amendement, aussi mineur soit-il.
Il convient donc d'apporter des modifications substantielles au système actuel.
Deux solutions s'offrent à nous : ou bien réforme de fond, à savoir la réforme du mode de scrutin pour que l'exécutif régional puisse s'appuyer, au sein du conseil régional, sur une majorité stable et claire, mais où la représentation des minorités est assurée ; ou bien une « réformette » qui consiste à changer les modalités de vote des budgets en instaurant une sorte de vote de confiance des assemblées régionales en cas de non-adoption du budget régional dans les délais prévus par la loi du 2 mars 1982. Il s'agirait en quelque sorte de mettre en place un système proche de celui qui existe à l'Assemblée nationale avec l'article 49-3 de la Constitution.
S'agissant de la première solution, à savoir la réforme du mode de scrutin, ce sujet revient périodiquement à l'ordre du jour. Il a fait l'objet de nombreuses réflexions et négociations, au cours des dernières années, qui n'ont jusqu'à présent - je le reconnais bien volontiers - faute d'un certain courage politique, jamais abouti. Le groupe de travail préconisait, quant à lui, en mai 1997, de ne pas modifier le mode de scrutin d'ici aux prochaines élections régionales prévues en 1998, mais il ne rejetait pas formellement une telle hypothèse.
Si la réalisation « à froid », c'est-à-dire au cours des dernières années, était impossible, elle l'est, je le concède, encore plus « à chaud », c'est-à-dire à quelques mois du renouvellement des conseils régionaux.
Toutefois, elle est indispensable. L'extension des compétences régionales justifie un débat de fond, qui ne peut malheureusement pas avoir lieu aujourd'hui avec l'examen de cette proposition de loi.
Aussi, j'encourage vivement le Gouvernement à réunir toutes les formations politiques de ce pays pour rechercher un consensus aussi large que possible sur un type de scrutin régional qui permette la pérennisation, dans son principe, de la représentation des minorités, atténuée cependant dans son ampleur par une prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête.
La seconde solution consiste à changer les règles de la procédure budgétaire ; c'est ce qui nous est proposé dans le texte que nous examinons aujourd'hui. Si l'on considère que l'acte essentiel des conseils régionaux est le vote du budget, il peut apparaître en effet nécessaire de doter l'exécutif régional de procédures lui permettant d'organiser le vote d'un budget alternatif lorsque le projet qu'il a élaboré n'est pas adopté faute de majorité.
La procédure de règlement d'office du budget implique le dessaisissement des élus et risque, à terme, de laisser aux chambres régionales des comptes et aux préfets la possibilité d'exercer un véritable pouvoir de substitution.
Il est aisé de comprendre la tentation de certains de mettre en place cette pratique, contraire à la décentralisation et à notre conception de la démocratie locale, et de proposer une procédure tendant à modifier le fonctionnement des assemblées régionales en instaurant un système de vote de confiance en cas de non-adoption par les procédures ordinaires. Mais n'est-ce pas prendre le problème à l'envers ?
De plus, cette procédure ne va pas jusqu'au bout de sa logique puisqu'elle ne prévoit pas le corollaire du budget alternatif, c'est-à-dire l'élection d'un nouveau président.
Par ailleurs, vous me permettrez d'exprimer les plus grandes réserves sur l'article 3 du texte adopté par l'Assemblée nationale. En effet, cette disposition oblige chaque candidat à l'élection à la présidence du conseil régional à adresser une déclaration écrite présentant son programme, mais aussi, et surtout, la liste des membres du bureau qui l'entoureront le moment venu et auquel il donnera délégation.
Or, dans l'esprit de nos institutions, le président du conseil régional est le seul membre de l'exécutif. L'adoption de l'article 3 nous entraînerait vers la dérive d'un exécutif collégial qui ne correspond pas du tout à nos pratiques institutionnelles. De plus, n'oublions pas que le président demeure libre de retirer à tout moment leur délégation aux membres du bureau, ce qui vide de toute substance le dispositif de l'article 3 et frise l'incohérence.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, bien que ce texte vise à éviter les jeux subtils de majorités de circonstance qui risquent à terme de nuire à l'image même de la région, échelon important de nos institutions, seul, je le répète, un débat de fond précédant une réforme du mode de scrutin peut montrer à nos concitoyens que nous ne nous résignons pas à l'existence de régions difficilement gouvernables.
Dans ces conditions, notre groupe ne peut se prononcer favorablement sur cette proposition de loi telle qu'elle a été adoptée par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord, au nom du Gouvernement, à me féliciter que la discussion générale ait pu s'engager sur ce texte relatif au fonctionnement des conseils régionaux, sachant combien la Haute Assemblée, avec sa vigilance et toute sa compétence, s'intéresse à tout ce qui touche aux institutions locales.
A ce stade de la discussion, je souhaite répondre aux premiers intervenants, notamment à M. Paul Girod, rapporteur, et à M. Jacques Larché, président de la commission des lois, pour préciser la position du Gouvernement sur ce sujet, sachant que la suite de la discussion de ce texte sera renvoyée à une date ultérieure qui reste à déterminer.
Nombre d'orateurs l'ont souligné, le conseil régional élu au suffrage universel est une institution récente. Nous avons l'expérience de deux mandatures seulement. A partir de cette expérience, il faut donc essayer de tirer quelques conclusions pour assurer un meilleur fonctionnement de cette institution régionale.
J'ai entendu, dans le débat, deux diagnostics. Ainsi, M. Raffarin, président du conseil régional de Poitou-Charentes, a dit que les régions n'étaient pas malades, ce qui est la réalité, dans leur fonctionnement au quotidien.
Ainsi, depuis j'ai entendu M. Haenel qui disait très exactement que les régions avaient donné le spectacle désolant de conseils rappelant la IVe République. Il a également évoqué la mascarade des élections des présidents de conseils régionaux en 1992.
Les appréciations sont donc divergentes, au moins dans la majorité sénatoriale, s'agissant du fonctionnement de ces institutions. A certains moments, les institutions régionales ont effectivement pu connaître des crises profondes, des crises politiques.
Quelle est l'objet de la proposition de loi qui est présentée et que le Gouvernement soutient ?
Cette proposition de loi vise à consolider l'institution régionale, et non pas à la réformer en profondeur à travers la modification du mode de scrutin. Ainsi que le Premier ministre l'avait indiqué dès sa prise de fonction, si une réforme pouvait être envisagée, il fallait qu'elle fasse l'objet d'un large consensus.
Vous avez parlé de loi de circonstance. Mais qu'aurait-on dit si le Gouvernement avait présenté une réforme du mode de scrutin à quelques mois d'élections si importantes, sinon qu'il s'agissait d'une modification à la va-vite, pour des raisons d'opportunité politique ?
Le Premier ministre a donc souhaité que les groupes parlementaires représentant les différentes composantes politiques du pays se saisissent de cette question et parviennent à un consensus sur la réforme du mode de scrutin.
Ce consensus n'a pas pu être trouvé. Il est vrai que, souvent, des divergences traversent même les groupes politiques s'agissant du mode de scrutin pour la désignation des conseillers régionaux !
Le Gouvernement s'en est donc remis, plutôt que de réagir à chaud sur un sujet controversé, à l'initiative parlementaire.
Je dirai à M. Jacques Larché que, si l'on déplore trop souvent, dans le fonctionnement de nos institutions, que le Parlement joue un rôle insuffisant dans l'initiative de la loi, il y a lieu de se réjouir, en l'occurrence, d'avoir à légiférer aujourd'hui sur le fonctionnement des institutions régionales.
Le Parlement, à travers l'Assemblée nationale, a donc pris cette responsabilité, et je pense que cette dernière a été assumée de façon à régler a minima un certain nombre de problèmes de fonctionnement des institutions régionales.
Le Gouvernement soutient ce texte, qui est la synthèse d'un certain nombre de propositions de loi provenant d'horizons politiques différents.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition qui est soumise aujourd'hui à votre réflexion vise à conjuguer deux éléments : la clarté et la stabilité.
La clarté, d'abord, en ce qui concerne l'élection des présidents des conseils régionaux. Ainsi, l'article 3, dont nous avons longuement discuté, vise à assurer une plus grande transparence s'agissant du programme et de l'équipe sur laquelle le candidat à la présidence du conseil régional souhaite s'appuyer. Cette clarté me paraît nécessaire.
En tenant ces propos, je me réfère à l'année 1992, à cette année particulièrement riche en situations confuses pour l'opinion publique. Le citoyen qui s'exprime lors des élections régionales charge des élus de le représenter, il faut donc éviter toute confusion politique préjudiciable à l'analyse au moment où il exerce son choix.
En réponse aux inquiétudes qui ont été exprimées par votre rapporteur, M. Paul Girod, mesdames, messieurs les sénateurs, sachez que, si la déclaration et la liste constitueront une formalité nécessaire, elles ne modifieront néanmoins pas les pouvoirs reconnus au président en matière de délégation et ne porteront pas atteinte aux règles constitutives de la commission permanente. Il ne s'agit donc pas d'un mandat impératif, contrairement à ce qu'a dit M. de Raincourt.
M. Jean Chérioux. Alors, cela ne sert à rien !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Nous ne sommes pas dans ce contexte.
Le second élément, c'est la stabilité.
Il s'agit, d'abord, de la stabilité budgétaire, qui est nécessaire pour gérer les régions.
En effet, à l'occasion de l'adoption du budget de régions dont la gestion est assurée avec des majorités relatives, il y a eu des blocages, voire des marchandages. Ces derniers n'ont certes pas abouti à une crise contraignant l'institution préfectorale à régler le budget. Néanmoins, il n'ont pas contribué à la promotion de l'image des régions dans l'opinion publique.
Ainsi, dans un certain nombre de régions, chaque année, l'adoption du budget donne lieu à de très longues discussions. Je ne crois pas que l'image de ces régions en sorte grandie auprès des citoyens.
Les procédures du vote de défiance constructif et de l'article 49-3 de la Constitution ont également été évoquées.
Quant à la procédure qui vous est proposée par cette proposition de loi, elle tend à assurer, comme je l'ai déjà dit, la stabilité budgétaire, le vote du budget étant l'acte politique principal d'une assemblée élue.
Ce dispositif a évidemment un aspect dissuasif, monsieur Hyest, parce qu'il vise à éviter les coalitions de circonstance qui seraient organisées pour détruire, et non pour construire ou faire fonctionner l'institution régionale.
M. Guy Allouche. Très bien !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Il reste une question qu'après un long débat l'Assemblée nationale a tranchée d'une façon sur laquelle le Gouvernement a exprimé des réserves. En effet, l'Assemblée nationale a décidé que le vote du budget ne pouvait pas être l'occasion d'un changement d'exécutif.
Le Gouvernement s'interroge sur ce point, tout comme la commission des lois du Sénat.
Quelles seront les conséquences d'un échec du rejet de budget préparé par l'exécutif ? Peut-on admettre qu'un exécutif ait la charge d'exécuter un budget élaboré par une autre majorité ? Il y a là, effectivement, une contradiction sur laquelle la réflexion doit s'engager.
Quoi qu'il en soit, l'Assemblée nationale a privilégié la stabilité, c'est-à-dire l'efficacité et la rapidité de l'adoption d'un budget émanant d'une collectivité territoriale.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons l'occasion lors de la discussion des articles de la proposition de loi qui vous est soumise, de revenir sur différentes questions qui ont été abordées, notamment sur le rôle respectif du bureau et du président.
J'ai pris bonne note, par ailleurs, que la commission des lois du Sénat avait émis un avis globalement favorable sur cette proposition de loi, sous réserve de l'adoption d'un certain nombre d'amendements.
Cette proposition de loi peut effectivement être améliorée. Je souhaite donc que le débat devant votre assemblée se poursuive, d'abord lors de la discussion générale, ensuite à l'occasion de l'examen des différents articles. Ce texte pourrait ainsi obtenir un large assentiment.
C'est dans cet état d'esprit que le Gouvernement entend poursuivre la discussion de cette proposition de loi, qui doit permetre à la fois de garantir la stabilité des politiques régionales et d'assurer la clarté des choix politiques, et ce au moment où il va être procédé à un choix déterminant pour une période de six années, à savoir le choix d'un président.
Tel est l'esprit du texte adopté à une large majorité par l'Assemblée nationale et qui doit être retenu, sous réserve de l'adoption d'amendements constructifs, par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, je propose que nous entendions, en dernier lieu, M. Duffour, qui devra en avoir terminé avant seize heures.
M. Henri de Raincourt. Il faut le laisser utiliser son temps de parole !
M. Paul Girod, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur le président, je vous demande de ne pas déclarer close la discussion générale après l'intervention de notre collègue M. Duffour. En effet, d'une part, il n'est pas prévu de limitation des temps de parole dans cette discussion et, d'autre part, la commission aura probablement un certain nombre de précisions à apporter après l'intervention de l'ensemble des orateurs.
M. le président. Telle n'était nullement mon intention, monsieur le rapporteur.
Vous avez la parole, monsieur Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je n'avais, bien évidemment, pas du tout l'ambition de clore la discussion ! (Sourires.)
Depuis quelques jours et, ici même, hier, en séance publique, nous avons constaté que cette proposition de loi soulevait les passions.
Cette question, qui est d'une grande importance puisqu'elle a trait au fonctionnement de l'institution régionale et qu'elle constitue donc un élément de la démocratie, mérite un examen empreint d'une plus grande sérénité que celle qui a présidé, hier, à nos débats.
Je souhaite tout d'abord remettre en question l'équation, dangereuse de notre point de vue, que l'on pose ici et là : proportionnelle égale instabilité.
Comme l'indiquait le rapport de M. Girod du mois de mai 1996, qui découlait des travaux du groupe de travail sénatorial portant sur le mode de scrutin régional, sur 104 budgets examinés depuis 1993, deux seulement n'auraient pas été adoptés - dans le même département, d'ailleurs - soit moins de 2 % du total.
La France, aujourd'hui, ne souffre pas d'un excès de pluralisme. Cela doit être, selon nous, réaffirmé clairement. Ce qu'on appelle la « crise de la politique » réside non pas dans une instabilité découlant du scrutin à la proportionnelle mais, fondamentalement, dans les promesses non tenues ou même dans le sentiment de la population que les promesses ne peuvent être tenues aujourd'hui et que les politiques seraient impuissants.
Notre position est constante. Elle est certes minoritaire dans cette enceinte, mais je veux la réaffirmer. Nous estimons que la représentation proportionnelle, non caricaturée, n'a vraiment rien d'« ubuesque », comme l'a dit l'un de nos collègues, et qu'elle peut même constituer une grande expérience de citoyenneté.
L'exemple de la citoyenneté vient d'en haut et, pour faire vivre cette citoyenneté, ce pluralisme, efforçons-nous, en tous lieux, d'écouter les minorités et de constituer des majorités solides sur le plan des idées.
Nous sommes fermement convaincus que c'est le dialogue, et non pas une accumulation de verrous, qui peut faire vivre la démocratie.
Après une première analyse, le texte voté par les députés ne nous apparaît pas antinomique avec le souhait que je viens d'exposer.
S'il s'agit d'une adaptation pour renforcer, voire sauvegarder, le scrutin à la proportionnelle, nous ne nous en plaindrons pas, bien au contraire. Mais le mécanisme complexe et parfois peu limpide dans sa rédaction qui nous est proposé pourrait toutefois, s'il n'est pas amélioré, nous conduire sur des voies que nous ne souhaitons pas prendre.
L'article 3 de la proposition de loi va indéniablement dans le sens d'une clarification, ce que nous approuvons.
En effet, que le candidat à la présidence de la région précise les grandes orientations de son éventuel mandat et rende publique la coalition sur laquelle il veut s'appuyer donne davantage de sens à l'élection du président.
Au-delà de remarques techniques, souvent judicieuses d'ailleurs, présentées par notre rapporteur, le débat ne peut être déconnecté de la conjoncture politique.
Depuis des mois, la vie parlementaire est ponctuée de petites phrases de responsables politiques d'une partie de l'opposition qui banalisent d'éventuelles alliances avec le Front national.
Ce n'est pas un mince problème et les arrière-pensées ne sont donc pas du côté de la majorité de gauche, à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Sur l'article 4, notre jugement est plus mitigé que sur l'article précédent.
La procédure qu'il instaure comporte en effet, nous semble-t-il, beaucoup d'éléments qui, certes, pourraient éviter des blocages dans le fonctionnement des institutions, mais qui, dans le même temps, pourraient susciter une forte pression sur les minorités.
Nous ne pensons pas que le fait d'encourager des groupes à se transformer en lobby rende un grand service à la démocratie. Cependant, renforcer de manière trop drastique la mécanique majoritaire en négligeant le droit d'amendement des groupes d'opposition ne rend pas non plus service à la démocratie.
Quoi qu'il en soit, l'article 4 est loin de n'avoir que des défauts. Mais à force de vouloir peaufiner la proposition de loi, n'est-on pas amené à quelque peu la dénaturer, en fixant, par exemple, la barre des signataires à plus de 50 % ?
Ne la dénature-t-on pas également en ne laissant pas la possibilité à des opposants de convaincre leurs pairs par la discussion, par le dépôt d'amendements ?
Ne sous-estimons-nous pas l'esprit de responsabilité des élus en mettant en place des verrous aussi solides ?
Il est nécessaire - la proposition de loi va d'ailleurs dans ce sens - que le budget soit remanié et enrichi après le premier vote qui l'a sanctionné.
Que le bureau ait sa part dans ce travail nous semble indispensable. Mais pourquoi s'en tenir là ? N'y a-t-il pas intérêt à poursuivre le débat ?
C'est en ce sens que nous proposons, par la voie d'un amendement, d'instaurer une seconde lecture sur la base du budget amendé par le président et son bureau. Nous proposons, par ailleurs, que le droit d'amendement soit rouvert à cette occasion. Je crois que les assemblées régionales et les minorités s'en porteraient mieux.
Enfin, je ne pense pas qu'il soit juste, si le budget est rejeté une deuxième fois - c'est ce que vient de dire M. le secrétaire d'Etat - que le président soit chargé d'exécuter un budget qu'il n'a pas voulu. Selon nous, une nouvelle élection du bureau et du président devrait, dans ce cas, pouvoir se dérouler.
Sous toutes ces réserves, nous estimons ce texte acceptable dans son ensemble.
Il peut, il doit permettre d'apporter la preuve que la proportionnelle constitue le mode de scrutin le plus juste, favorisant l'expression du pluralisme et correspondant fondamentalement à l'idéal démocratique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à une séance ultérieure.

7

CANDIDATURES
À UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

M. le président. L'ordre du jour appelle la nomination des membres de la commission d'enquête chargée de recueillir les éléments relatifs aux conditions d'élaboration de la politique énergétique de la France et aux conséquences économiques, sociales et financières des choix effectués.
En application de l'article 11, alinéa 2, du règlement, la liste des candidats présentée par les présidents des groupes et le délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe a été affichée et les candidatures seront ratifiées, s'il n'y a pas d'opposition, dans le délai d'une heure.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. René Monory.)

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

M. le président. La séance est reprise.

8

LOI DE FINANCES POUR 1998

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale. [N°s 84 et 85 (1997-1998).]
Dans la discussion générale de ce projet, moment toujours très important de la vie du Sénat, la parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget étant une véritable somme de chiffres, de prévisions et d'analyses, comment en proposer une lecture simple qui le rende intelligible et révèle l'orientation politique qui l'inspire ?
Ce souci aura guidé nos travaux, ceux que nous menons depuis plusieurs semaines, sous la bienveillante, éminente et rassurante autorité de Christian Poncelet, avec tous les commissaires de la commission des finances, auxquels je veux exprimer ici ma gratitude.
Afin de donner un caractère plus concret à l'exercice qui nous réunit aujourd'hui, j'ai choisi de conserver un fil conducteur tout au long de mon propos, en cherchant à répondre à cette double question : d'une part, ce budget prépare-t-il ou non la France à son ouverture sur le monde et, d'autre part, donne-t-il à notre jeunesse toutes les chances pour réussir son avenir ?
Tout d'abord, il convient de souligner que ce budget s'inscrit dans un espace économique qui est devenu sans frontières, aussi bien pour les marchés que pour les hommes.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, votre hypothèse de 3 % nous semble un pari, risqué, car fondé sur l'accélération de la croissance pour atteindre un niveau que nous n'avons pas connu depuis longtemps et qui est supérieur à notre potentiel.
Le timide mouvement de reprise amorcé se confirmera-t-il, alors que les pays d'Asie du Sud-Est sont ébranlés par la crise financière que l'on sait, alors que les prévisions de croissance outre-Atlantique se détériorent, alors que le passage à la troisième phase de l'Union économique et monétaire peut se révéler difficile pour les pays européens dont les monnaies ne sont pas à l'abri d'un mouvement de spéculation et alors que, en France, le Gouvernement introduit, selon la commission des finances, des facteurs aléatoires supplémentaires ?
Il le fait, d'abord, en prévoyant une reprise de la consommation des ménages, alors qu'il décide, dans le même temps, une surtaxation de l'épargne qui suscitera des réflexes d'épargne de précaution supplémentaire et alors qu'il remet en cause la politique de la famille.
Il le fait, ensuite, en espérant une reprise de l'investissement, alors que, dans le même temps, il resserre l'étau fiscal sur les entreprises par des prélèvements supplémentaires, alors qu'il ouvre, sous la menace d'une loi, le débat sur les trente-cinq heures, alors qu'il remet en cause les exonérations de charges sur les bas salaires, alors qu'il envoie aux investisseurs étrangers des signaux aussi négatifs que la suppression des provisions pour licenciement.
Certes, la prévision est par nature aléatoire. Mais était-il bien opportun, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, quand la France doit montrer sa capacité à s'imposer dans « une économie de marché ouverte », de vouloir faire la morale au monde en se prétendant capable de modifier seul le partage de la valeur ajoutée ?
Si j'ai voulu insister sur la fragilité de cette hypothèse de croissance, c'est parce que tous nous connaissons son importance décisive sur nos finances et nos déficits publics ; souvenons-nous de 1992 !
J'en viens à l'équilibre budgétaire. Je m'attacherai d'abord au solde fixé à 3,05 % du produit intérieur brut.
Dans le contexte que je viens de décrire, un tel solde devient fragile, alors qu'il est le garant de notre crédibilité dans le monde, en particulier vis-à-vis de nos principaux partenaires, crédibilité relative puisque nous occupons l'avant-dernier rang dans les prévisions de l'Union européenne.
Pourtant - faut-il le rappeler, mes chers collègues ? - contrairement à ce que l'on peut dire parfois ici, ce solde n'est pas une coquetterie comptable. Il n'est pas non plus la punition d'une imprudente promesse faite à Maastricht. Il est une impérieuse nécessité de saine gestion, une obligation morale absolue à l'endroit de nos enfants et de nos petits-enfants ; c'est un engagement qui doit être partagé par la nation tout entière et rassembler toutes les sensibilités politiques républicaines.
Ne nous leurrons pas, la signification réelle qui s'attache au déficit est claire je pense en particulier ; au déficit de fonctionnement du budget de l'Etat, qui atteindra encore cette année 100 milliards de francs. Elle révèle cruellement que nous n'osons pas prélever sur nos compatriotes ce que nous nous croyons autorisés à dépenser en leur nom.
Faut-il rappeler que 3 % du PIB, c'est 16 % du budget de l'Etat, c'est encore 100 milliards de francs de trop pour simplement stabiliser la dettes et non pas même la réduire - et que ces 3 % du PIB conduisent à accroître encore, en 1998, notre stock de dette de 257 milliards de francs ?
Il ne suffit plus que les gouvernements se rejettent mutuellement la responsabilité de la dette. Cette dette, il faut la réduire ; ce budget n'y parvient pas, et la trajectoire qu'il dessine n'annonce pas sa stabilisation avant l'an 2000.
La France de demain, celle de nos jeunes, se voit donc invitée une nouvelle fois à se préparer au remboursement de ce qui s'apparente bien, disons-le, à une forme de lâcheté de nos générations.
Si la nécessité impérieuse de réduire nos déficits n'a plus à être démontré, il faut proclamer bien haut qu'il ne faut surtout pas les réduire en alourdissant davantage les prélèvements.
Cela me conduit directement à parler des recettes pour constater que, contrairement à la présentation qui en a été faite, les prélèvements obligatoires, selon la commission des finances, ne baisseront pas en 1998. L'évolution présentée par rapport au PIB ne change rien à la réalité des faits : les cotisations et les impôts prélevés sur les Français augmentent bel et bien en 1998.
Et, pour être mieux mesurée, cette augmentation doit être analysée à législation constante afin de ne pas encourager les gouvernements, pour l'avenir, à répartir les augmentations d'impôts dans trois textes différents ; je pense à ce que nous appelons vulgairement le MUFF, c'est-à-dire le projet de loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, au projet de loi de financement de la sécurité sociale et au présent projet de loi de finances.
Mes chers collègues, si l'on tient compte de l'effet des mesures fiscales du MUFF - 24 milliards de francs en 1997 et 17 milliards de francs en 1998 - de la suppression de l'allégement de l'impôt sur le revenu votée l'an passé - 17 milliards de francs - des effets du projet de loi de financement de la sécurité sociale - 12,7 milliards de francs - et des effets du projet de loi de finances pour 1998, le total des nouveaux prélèvements instaurés par l'actuel Gouvernement depuis sa prise de fonctions sera de 80,2 milliards de francs.
Voici enfin élucidé le mystère du budget « infaisable » !
Voilà comment un budget réputé « infaisable » devient soudain un budget « faisable », presque « simple » à boucler - je parle sous votre contrôle, monsieur le président de la commission des finances.
Les vives critiques que vous avez émises, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, à l'encontre du précédent gouvernement, sur les augmentations qu'il avait décidées, sont apparemment déjà oubliées puisque ces hausses sont non seulement maintenues mais doublées, selon les calculs que je viens de faire.
La France est désormais seule à s'engager dans cette fuite en avant fiscale ; elle est seule à assurer l'équilibre par l'accroissement de l'impôt ; elle est seule à ne pas croire aux vertus de la diminution de la dépense.
« L'exception française » - pour reprendre l'expression désormais consacrée - devient celle où les prélèvements sont les plus lourds du G7, celle ou la dépense y est aussi la plus forte.
A l'heure où les entreprises réexaminent leur localisation, c'est-à-dire la localisation de leurs emplois, en Europe et dans le monde, est-il réaliste, est-il prudent, est-il responsable d'ajouter toujours de nouveaux prélèvements ?
A l'évidence, la spirale infernale de l'augmentation des prélèvements ne sera jamais brisée dans notre pays sans un engagement politique formel de tenir la dépense. Tel sera, si vous en êtes d'accord, mes chers collègues, l'un des messages forts du Sénat.
J'en viens précisément aux dépenses.
Les dépenses sont en augmentation de 26 milliards de francs, dont 21 milliards de francs au titre du budget général.
Cette progression de 21 milliards correspond, pour 19 milliards de francs, aux dérives spontanées des frais de personnel et, pour 2 milliards de francs, à la charge de la dette. Elle confirme une rigidité - une sorte de fatalité - de la dépense que le Sénat connaît bien puisque sa commission des finances l'a souvent analysée.
Le Gouvernement pourrait méditer utilement ce que MM. Nasse et Bonnet ont préconisé dans leur rapport d'audit : « Agir sur la dépense est le seul moyen de réduire les déficits. »
M. Jean Delaneau. Très bien !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Le Gouvernement pourrait également méditer utilement ce que la commission des finances avait écrit et que vous aviez approuvé à plusieurs reprises, mes chers collègues, à savoir : « Lorsque l'essentiel des diminutions de dépenses provient des baisses de transfert et des salaires publics, l'ajustement connaît la réussite ; lorsque les dépenses se maintiennent, lorsque les investissements accusent une chute importante, c'est l'échec ! ».
Hélas, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le projet de budget qui nous est présenté ne répond pas à ces recommandations, qui sont pourtant un préalable au succès.
Alors même que le Sénat avait regretté la croissance des effectifs publics en 1996, qu'il avait apprécié la diminution inscrite en 1997, le projet de budget pour 1998 opère un nouveau changement de cap en prévoyant la création de 6 500 emplois nouveaux. La pression sur la dépense va s'accroître encore avec la création annoncée de 350 000 emplois jeunes.
Dans ces conditions, comment ne pas redouter, que, à l'instar de ce qui eut lieu dans les années quatre-vingt, le Gouvernement laisse filer la dépense, laisse se creuser le déficit ?
Je rappelle que les crédits civils de rémunérations et charges sociales se sont accrus, entre 1987 et 1996, de près de 120 milliards de francs et que les retraites ont augmenté de 58 milliards de francs sur la même période.
Parallèlement, les dépenses d'intervention de l'Etat, qui représentent près de 500 milliards de francs, continuent d'augmenter, conséquence de l'empilement de mesures et de l'incapacité à choisir et à évaluer l'efficacité.
Ainsi, les transferts sociaux ne sont toujours pas sous contrôle. Un exemple en témoigne : le total des crédits consacrés au RMI, à l'allocation pour adultes handicapés et aux aides personnelles au logement augmente encore de façon très sensible - de 5 milliards de francs - ce qui porte leur augmentation depuis 1992 à près de 70 %.
Il résulte de ce qui précède que le seuil de 3 % est atteint de la pire manière, c'est-à-dire en coupant dans les dépenses d'investissement.
L'investissement, surtout l'investissement militaire - je ne traiterai pas de ce point ; le président Xavier de Villepin le fera, comme d'habitude, excellemment - devient la variable d'ajustement et continue d'être réduit de 8 milliards de francs.
La politique de baisse du coût du travail est sérieusement infléchie - de 6,5 milliards - et les économies présentées comme telles ne sont souvent que des jeux d'écriture ou de simple constatation.
Le constat est clair : la maîtrise des dépenses n'est pas au rendez-vous. On mesure ce contresens historique à l'aune de l'intransigeance budgétaire de nos partenaires, qui, il faut le rappeler, sont aussi nos concurrents.
Face à ce constat, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le message de la commission des finances du Sénat est clair : une autre politique budgétaire est nécessaire ; une autre politique budgétaire est possible : elle passe par une vraie politique de réduction de la dépense publique.
La commission des finances, mes chers collègues, ne peut donc vous recommander d'adhérer aux choix du Gouvernement, qui vont à l'encontre des conclusions qu'elle a sans cesse formulées depuis 1992.
Aussi ai-je mandat de vous proposer de marquer, sans ambiguïté, la volonté du Sénat de persévérer avec constance dans la voie de la maîtrise des dépenses et d'inscrire l'oeuvre de redressement dans la durée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Aussi ai-je mandat de vous proposer de ramener le montant des dépenses du budget général à celui de la loi de finances initiale pour 1997 et de geler, par voie de conséquence, les 21,3 milliards de francs de dépenses supplémentaires.
La commission des finances vous propose d'engager deux démarches complémentaires : d'une part, d'opérer des économies sur des crédits consacrés à des éléments que nous jugeons contestables de la politique du Gouvernement dans trois domaines principaux, la fonction publique, l'emploi, l'éducation nationale ; d'autre part, d'opérer une réduction forfaitaire aux titres III et IV des budgets sans affecter les dépenses en capital ni celles qui sont affectées aux missions régaliennes de l'Etat.
Cette solution est la seule qui soit à la portée du Parlement, celui-ci ne disposant pas, comme l'exécutif, des instruments d'expertise et de synthèse budgétaires qui permettent l'ajustement des économies par chapitre. Celles-ci seront donc adoptées par titre.
Quels sont les éléments contestables de la politique du Gouvernement ?
Trois politiques méritent de faire l'objet d'une vive contestation de la part du Sénat, dans l'optique que j'indiquais au début de mon propos, à savoir l'avenir de la France et l'avenir des jeunes.
La première politique contestable est celle de la fonction publique.
Comment ne pas s'inquiéter de voir notre pays emprunter une voie exactement opposée à celle de ses concurrents ?
Avec le quart de ses emplois occupés par des fonctionnaires, la France se retrouve leader européen en la matière.
De 1973 à 1996, la France aura créé 1 600 000 emplois publics et détruit quelque 600 000 emplois dans le secteur privé.
Parallèlement, depuis 1987, les emplois publics auront diminué de 22 % en Angleterre ; l'Allemagne en aura supprimé 250 000 et les Pays-Bas les auront réduits de 0,4 % par an.
Comment s'obstiner au point de ne déceler aucun lien entre la montée du chômage et la progression des emplois publics ?
Comment rester sourd aux mises en garde successives faites par des experts ? Sans même parler de M. Choussat, je citerai M. Jean Picq : « L'Etat ne connaît pas le nombre de ses fonctionnaires ». Je citerai également M. Alain Minc : « La fonction publique a le choix entre évoluer aujourd'hui avec intelligence ou subir demain un séisme statutaire ».
M. Gérard Delfau. C'est un expert en faillites !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Non, décidément, il ne sera pas possible de rendre la France compétitive, conquérante, si une grande partie de son potentiel humain reste confiné dans un système étatique ancien, antérieur à l'ouverture de nos frontières. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Mme Hélène Luc. Monsieur Lambert, nous aurions aimé vous l'entendre dire plus tôt !
M. Alain Lambert, rapporteur général. La deuxième politique contestable est celle de l'emploi.
Mes chers collègues, le fléau du chômage, avec son cortège de drames humains, est insupportable, et tout le monde en est d'accord.
Evitons néanmoins que notre hâte, que notre aspiration sincère à mettre fin à cette situation ne nous conduisent à empiler chaque année des mesures nouvelles qui, par leur coût et leurs effets pervers, aggravent encore le mal.
Comment ne pas remarquer que la courbe des dépenses affectées à l'emploi est sans effet sur la courbe du chômage ?
Le moment n'est-il pas venu de dire non à la création de nouveaux emplois publics ?
Le temps n'est-il pas venu pour nous de dire clairement que la politique préconisée par le Sénat, c'est : moins d'emplois publics, pour plus d'emplois privés ; moins de dépenses publiques, pour moins d'impôts sur le travail ; moins de lois, moins de réglementations, pour moins de rigidité du marché du travail ?
Le moment n'est-il pas venu de dire au pays que la politique pour l'emploi traduit un arbitrage sournois au bénéfice de ceux qui ont un emploi contre ceux qui n'en ont pas ?
Qui aura le courage de dire au pays, sinon le Sénat, que chaque relèvement du SMIC, pour favorable qu'il soit à ceux qui travaillent, éloigne, chaque fois davantage de l'accès à l'emploi ceux qui n'en ont pas ?
Qui osera dire que la France est, dans bien des secteurs, plus robotisée que le Japon, parce que le coût du travail peu qualifié y est excessif ?
M. Gérard Delfau. Il fallait y remédier !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Mes chers collègues, la politique du Gouvernement en matière d'emploi n'est pas celle qui permettra à la France de réussir son ouverture, l'ouverture de son économie sur le monde, celle qui offrira un avenir aux jeunes. Cette politique ne peut être la nôtre !
M. Claude Estier. C'était celle de M. Juppé !
M. Alain Lambert, rapporteur général. La troisième politique qui me paraît contestable concerne l'éducation nationale.
En ce domaine, pourquoi ne pas tout simplement suivre M. Christian Sautter lui-même, qui, dans son livre La France au miroir du Japon,...
M. René Régnault. Bonne lecture !
M. Alain Lambert, rapporteur général. ... dont je vous recommande la lecture, préconise de « diminuer les effectifs de l'Etat, en ne remplaçant qu'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, au motif que nous avons bien assez de fonctionnaires pour assumer les tâches traditionnelles et prendre en charge les responsabilités nouvelles » ?
MM. Charles Descours et Philippe Marini. Bravo !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Vous pouvez en effet applaudir, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Ivan Renar. Allez les choeurs !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il est vrai aussi qu'il assortit sa proposition d'une mise en garde dont je n'ai sans doute pas assez tenu compte : « Quiconque suggérerait qu'en raison de l'évolution démographique il serait sage de diminuer le corps des instituteurs et des professeurs de collège pour accroître le nombre d'enseignants dans les lycées ou dans l'enseignement supérieur se ferait critiquer de tout côté. »
Eh bien, monsieur le secrétaire d'Etat, chiche !
J'en arrive à ma conclusion.
La politique traduite dans le budget qui nous est présenté aurait pu légitimement justifier un rejet du Sénat. Mais c'eût été priver ce dernier de la possibilité de proposer des solutions alternatives souhaitables et possibles.
Aussi, mes chers collègues, la commission des finances vous proposera-t-elle d'adopter un budget corrigé, comportant les ajustements nécessaires.
Ce faisant, le Sénat fera apparaître les vrais enjeux ; il proposera une autre politique, une politique qui marque la volonté que la France reste un grand pays, la quatrième puissance industrielle du monde.
Non, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le Sénat ne vous suivra pas dans ce qu'on appelle à tort « l'exception », mais qui n'est que « l'illusion » française.
M. Daniel Goulet. Très bien !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Non, mes chers collègues, n'engageons pas notre jeunesse dans cette voie sans issue de l'exception française.
Comme nous avons pu le constater lors des journées mondiales de la jeunesse, les jeunes n'ont pas peur. Ce sont nos générations qui ont peur. Les jeunes, eux, ont l'audace et le courage pour inventer l'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Ils ne se font aucune illusion sur le mirage des « droits acquis », car ils savent que ces droits sont « acquis » contre eux.
La France sait, au fond d'elle-même, qu'il lui faut se réformer. Elle en a le génie. Mais encore faut-il que ses gouvernements abandonnent leurs mauvaises habitudes, à savoir dépenser plus et donc imposer plus, reporter les déficits sur les générations futures, freiner le dynamisme des entreprises et pratiquer la traque fiscale sur les plus courageux de nos compatriotes, au risque de les encourager à fuir à l'étranger.
La politique préconisée par la commission des finances vise à donner à la France et aux Français l'ambition, l'envie d'entreprendre, à donner à notre jeunesse l'envie de partir à la conquête du monde, non pour imposer un modèle économique périmé, mais pour éclairer le chemin, non pas celui de l'exception, mais celui de l'identité française, cette identité qui sait concilier performance et cohésion, efficacité économique et harmonie sociale, cette identité qui saura faire partager à l'Europe et au monde une des valeurs essentielles de notre République, à savoir la primauté et la dignité de la personne humaine. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à l'orée du troisième millénaire, la France doit rompre définitivement avec toute tentation de rester immobile dans un monde en révolution.
La France doit vaincre sa propension naturelle à fuir la réalité, combattre sa tendance spontanée à se réfugier dans une prétendue singularité - la trop fameuse « exception française » - et lutter contre son aptitude éprouvée à rechercher, lorsqu'elle se trouve confrontée à des difficultés, des boucs émissaires pour justifier ses atermoiements et ses peurs.
La mondialisation induite par la victoire du marché, accélérée par l'ouverture des économies et amplifiée par l'explosion des nouvelles technologies de l'information constitue, à l'évidence, un phénomène inéluctable, irrésistible et surtout irréversible.
Plutôt que de diaboliser cette nouvelle donne économique, notre pays doit se préparer à l'affronter pour, en quelque sorte, l'apprivoiser, en tirer parti et renouer de manière durable avec la croissance.
Au-delà des différences dans nos sensibilités politiques, en demeurant bien légitimes dans une démocratie, c'est notre devoir et notre honneur de femmes et d'hommes politiques que de promouvoir une pédagogie du réveil, du sursaut et du redressement de la France.
Cette adaptation de la France à son nouvel environnement économique et géopolitique passe, nous le savons tous, par des réformes structurelles dont la conception et l'application exigent de tous, sans exception, du courage et de la détermination.
A mes yeux, le prélude à cette indispensable mutation de notre pays réside, d'une part, dans l'urgente nécessité de « dégraisser le mammouth » que constitue l'Etat et, d'autre part, dans l'ardente obligation de réussir l'euro, qui devrait faire de l'Union européenne un bouclier contre les excès de la mondialisation. (Applaudissements sur quelques travées du RPR ainsi que sur les travées de l'Union centriste.)
M. Xavier de Villepin. Très bien !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est à l'aune de ce double impératif catégorique, la réduction des dépenses publiques et la réussite de la monnaie européenne, que je voudrais, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, porter une appréciation, la plus objective possible, sur votre projet de budget.
Mais auparavant, monsieur le ministre, je tiens à saluer l'habileté médiatique dont vous avez fait preuve lors de la présentation de ce budget.
M. Josselin de Rohan. Il est bien placé ! (Sourires.)
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Par la magie du nombre trois, érigé pour l'occasion en nombre d'or - 3 % de croissance, 3 % de déficit - et par le prompt renfort de prélèvements supplémentaires, un budget réputé infaisable s'avère un exercice aisément surmontable, presque un jeu d'enfant ! Le parcours du combattant s'est transformé en une promenade de santé ! (Sourires.)
M. Roland du Luart. Pas pour le contribuable !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Cela mérite que nous y réfléchissions. Comme disent les paysans de chez moi, il y a là quelque chose qui n'est pas très clair. Mais ainsi qu'on l'a sussuré, les contribuables vont bientôt découvrir ce qu'il en est exactement.
M. René Régnault. Certains contribuables !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Comme vous le savez, monsieur le ministre, la commission des finances est très attachée à la réduction des dépenses publiques ; M. le rapporteur l'a rappelé avec force, persuasion et compétence dans son excellente intervention.
Nous sommes en effet persuadés que la croissance molle que connaît la France depuis le début des années quatre-vingt-dix trouve son origine dans l'excès de nos dépenses publiques, qui asphyxie notre économie.
Lourdes au point de représenter 55 % du produit intérieur brut, les dépenses publiques ne peuvent qu'alimenter les prélèvements obligatoires, nourrir les déficits, grossir l'endettement de l'Etat, gonfler la charge de la dette, restreindre les marges d'action des gouvernements et hypothéquer l'avenir de nos enfants et petits-enfants. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Les Français doivent savoir que le montant des prélèvements obligatoires opérés sur leurs revenus, soit 46 % du produit intérieur brut, excède de près de quatre points la moyenne des pays de l'Union européenne. C'est, à l'évidence, un handicap.
Cet écart équivaut - on ne le sait pas assez - à une ponction supplémentaire, à un surcroît de prélèvements de plus de 300 milliards de francs par an.
M. Roland du Luart. Et l'on s'étonne que la croissance soit molle !
M. Michel Moreigne. Mais vous en êtes largement responsables !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Pour ma part, je ne peux m'empêcher d'effectuer un rapprochement entre ce triste record en matière de prélèvements obligatoires et le niveau de notre chômage, qui est supérieur de deux points à la moyenne européenne.
M. Michel Sergent. Et l'augmentation de la TVA ? C'est vous !
M. René Régnault. C'est votre héritage !
M. Claude Estier. Tout cela, il fallait le dire l'année dernière !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. A un niveau aussi exorbitant, les prélèvements obligatoires...
M. René Régnault. Ils sont la conséquence de la politique que vous avez conduite et qui a été sanctionnée !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. ... étouffent l'initiative privée, démotivent les forces vives de la nation et poussent les jeunes talents à l'exil, ce qui est encore plus grave pour l'avenir de notre pays.
M. Charles Descours. Eh oui !
M. Philippe Marini. Même M. Attali le dit !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Les Français doivent également savoir qu'en 1998 l'Etat consacrera près de 100 milliards de francs, sur les centaines de milliards qu'il empruntera, à la couverture d'une partie de ses dépenses de fonctionnement.
Mes chers collègues, Maastricht ou pas Maastricht, l'entreprise France ne peut plus continuer à vivre au-dessus de ses moyens et tenter de survivre à crédit.
Il est donc impératif de réduire les dépenes publiques. Telle est la démarche que, dans l'intérêt du pays, devra emprunter, bon gré mal gré, tout gouvernement. Cette cure d'amaigrissement permettra d'alléger la pression fiscale, de libérer l'initiative privée et de rapprocher la croissance de notre économie de son rythme de progression potentiel, afin de faire, enfin, reculer le chômage.
Or, sur le front de la maîtrise des dépenses publiques, ce projet de budget nous semble, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, faire preuve de trop de timidité.
En effet, les charges de l'Etat augmentent plus rapidement que l'inflation, alors que le gouvernement précédent avait, lui, procédé à leur gel.
Pour les dépenses de fonctionnement, la dérive est plus inquiétante, car elles progressent plus de deux fois plus vite que la hausse des prix.
En revanche, les dépenses d'investissement, alors que ce sont elles qui préparent l'avenir, continuent de diminuer. Ainsi, sur un budget d'environ 1 600 milliards de francs, à peine 10 % seront consacrés à l'investissement public, lequel est, au demeurant, pour l'essentiel, assumé par les collectivités territoriales. Cela n'est pas suffisant pour préparer l'avenir.
De plus, le projet de budget comporte des « bombes à retardement ». Tel est le cas, à mes yeux, de l'arrêt du processus de diminution des effectifs des fonctionnaires et, surtout, du début de financement des emplois-jeunes, qui déboucheront inéluctablement sur une intégration dans la fonction publique d'Etat et dans la fonction publique territoriale.
M. Josselin de Rohan. Bien sûr !
M. René Régnault. Vous ne préféreriez tout de même pas que ces jeunes soient au chômage !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il est vrai qu'on ne tire pas sur le père Noël, même si l'on n'y croit plus ! (Sourires.)
Il reste que nous vivons dans un pays où les emplois publics représentent plus du quart des emplois salariés. C'est le taux le plus élevé au sein de l'Union européenne.
En définitive, le Gouvernement s'est contenté d'un service minimum pour se conformer, ric et rac, à l'impératif de bonne gestion d'un déficit public à 3 %.
M. Claude Estier. Ce n'est déjà pas si mal !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Et encore ce résultat minimaliste n'est-il obtenu que grâce à l'excédent de trésorerie - de 0,2 % - dégagé par les collectivités locales et par le renfort d'un recours à l'impôt pour obtenir, et assez rapidement, des recettes supplémentaires.
A cet égard, deux observations s'imposent.
En premier lieu, l'ampleur des prélèvements supplémentaires est masquée par la dispersion des diverses mesures entre le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Au-delà du manque de lisibilité que provoque cet éparpillement, il entraîne une multiplication des intervenants dans le processus d'élaboration et de discussion de la loi fiscale.
Désormais, deux ministères et deux commissions par assemblée, aux logiques et aux cultures différentes - monsieur le ministre, vous ne sauriez me démentir sur ce point - cohabitent pour la confection de la norme fiscale.
Cette parcellisation des tâches ne semble pas constituer un facteur d'efficience législative et il faudra, j'en suis convaincu, revenir sur ce schéma.
En second lieu, le choix des « cibles » mises à contribution témoigne de la rémanence de certaines pesanteurs idéologiques que je croyais rangées dans les oubliettes de l'histoire.
A qui demande-t-on des sacrifices ? Aux entreprises, aux épargnants, grands et petits, et surtout aux désormais fameuses « classes moyennes supérieures »...
M. Jean-Pierre Fourcade. Les « aisés » !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. ... puisqu'on appelle maintenant ainsi les classes moyennes.
Ces dernières sont, en effet, victimes d'un tir groupé avec l'abandon du processus quinquennal d'allégement de l'impôt sur le revenu, la diminution de la réduction d'impôt afférente aux emplois à domicile, la mise sous condition de ressources des allocations familiales et la réduction du montant de l'allocation de garde d'enfant à domicile.
L'objectivité commande toutefois de reconnaître que le projet de budget contient, en revanche, des mesures potentiellement positives. Tel est le cas des dispositions destinées à favoriser l'éclosion et à assurer l'essor des entreprises innovantes, notamment dans le domaine des technologies de l'information, où se situent les emplois de demain.
Cependant, ces mesures ne pourront produire leur plein effet que si leurs aspects positifs ne sont pas contrariés par un environnement fiscal, juridique et culturel globalement défavorable à la création de richesses. On paraît, en quelque sorte, vouloir une chose et son contraire.
Je ne manifeste pas d'hostilité de principe à un basculement des cotisations salariales sur la contribution sociale généralisée, à condition que cette montée en puissance de la CSG s'accompagne d'un allégement de l'impôt sur le revenu, conçu comme un prélude à la réforme de celui-ci.
A maints égards, la CSG constitue un impôt moderne, avec son assiette large, sa mise à contribution de tous les Français et de presque tous les revenus, ainsi que son prélèvement à la source.
Le temps me semble donc venu de faire preuve d'audace fiscale, et je propose de fusionner la CGS et l'impôt sur le revenu pour donner naissance à une nouvelle contribution, dont le socle serait constitué d'une cotisation forfaitaire du type CSG, à assiette élargie, sur laquelle viendrait se greffer une surtaxe progressive.
En définitive, la commission des finances regrette que la solution de facilité du recours à des recettes supplémentaires ait dispensé le Gouvernement d'un réel effort d'économies.
Bien plus, la commission considère que la maîtrise des dépenses publiques passe par la recherche d'économies structurelles, qui ne peuvent résulter que d'une approche nouvelle de la dépense et, surtout, d'une réforme de l'Etat.
A ce sujet, trois pistes doivent être explorées.
Tout d'abord, les dépenses publiques doivent faire l'objet d'une mise à plat et d'une évaluation systématique de leur efficacité. A cet égard, les aides à l'emploi, qui se caractérisent par un phénomène d'empilement, de stratification et de sédimentation, constituent, à l'évidence, une terre d'élection pour l'évaluation. C'est ce à quoi il faudra que les uns et les autres, exécutif et législatif, nous nous consacrions.
Il nous semble pour le moins curieux, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'on rogne sur les crédits alloués à la politique d'allégement du coût du travail peu qualifié dans le secteur marchand sans en avoir évalué au préalable les effets et de surcroît, afin de commencer à financer les emplois-jeunes, qui constituent l'antichambre de l'intégration dans la fonction publique et qui, bien sûr, ne procurent pas de richesses à répartir.
Par ailleurs, il nous paraît indispensable de procéder à une nouvelle délimitation du périmètre d'intervention de l'Etat et à une nouvelle définition de ses modalités d'action. Il s'agit de dépouiller l'Etat des missions dont il s'acquitte si mal, celles d'Etat gestionnaire et d'Etat actionnaire.
Il est donc indispensable de poursuivre jusqu'à son terme le processus de privatisation de toutes les entreprises publiques du secteur concurrentiel, sans s'arrêter au « et, et » - et privé et public - qui a remplacé le « ni, ni » d'hier - ni privatisations ni nationalisations. Cela constitue, en quelque sorte, un prétexte pour nous conduire à l'immobilisme.
En l'occurrence, le Gouvernement doit laisser vivre les fonds de pension, qui, en dégageant une épargne motivée, permettront tout à la fois d'absorber les privatisations et d'assurer la pérennité française de nos principales sociétés industrielles et financières.
Peut-être pourriez-vous nous dire, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, où vous en êtes en ce qui concerne ces fonds de pension, pour lesquels nous attendons les décrets d'application, sauf à modifier le texte initial.
M. Philippe Marini. Ce serait tout à fait opportun !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il s'agit enfin, et surtout - M. le président du Sénat le répète sans cesse, et je reprends son propos - de relancer la décentralisation, qui est au milieu du gué, en ouvrant aux collectivités locales de nouveaux territoires d'intervention.
Bien sûr, ces avancées ne pourront avoir lieu que si l'Etat respecte un code de bonne conduite dans ses relations financières avec les collectivités territoriales.
A ce propos, force est de constater que le projet de budget, qui respecte l'esprit, sinon la lettre, du pacte de stabilité, ne comporte pas de turpitudes pour les budgets locaux. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Gérard Delfau. Quelle objectivité !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Effectivement ! Je vous remercie de le souligner, mon cher collègue ! Vous voyez que l'opposition s'efforce de faire preuve d'objectivité !
M. René Régnault. On fera le bilan !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Si je fais le bilan de l'action passée, je crois que vous aurez des regrets à exprimer !
M. Claude Estier. Tout n'est pas noir !
M. Jean-Pierre Fourcade. Tout n'est pas noir, mais tout n'est pas rose non plus !
M. Josselin de Rohan. C'est un tour de passe-passe !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Toutefois, le projet de budget soulève des interrogations et suscite des inquiétudes.
La principale interrogation porte sur le mécanisme de remplacement du pacte de stabilité, qui arrive à échéance à la fin de l'année 1998.
Je souhaite que vous nous indiquiez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, comment vous allez construire le prochain pacte de stabilité, si toutefois vous avez l'intention de maintenir un pacte de stabilité entre les collectivités locales et l'Etat.
L'inquiétude majeure concerne l'avenir de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales...
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. ... et le devenir de la cotisation patronale après le sursis qui a été accordé, sursis destiné à assurer le succès du plan emplois-jeunes.
M. Josselin de Rohan. Des élections aussi !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. D'après les informations que nous avons pu recueillir, au terme de l'exercice 1998, après la ponction effectuée sur les crédits de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales au bénéfice de la compensation démographique et après la réduction des actifs par rapport aux retraités, nous risquons de nous trouver en présence d'un déficit d'environ 3 milliards de francs, ce qui conduira tout naturellement à une augmentation des cotisations patronales.
Le second élément auquel il convient de se référer pour porter une appréciation sur ce projet de budget, c'est dans son degré de contribution à la réussite de l'euro.
En effet, un fonctionnement harmonieux et efficace de l'union monétaire européenne repose sur une convergence fiscale et sociale pour conjurer le risque d'une concurrence stérile entre les pays membres de l'Union européenne. Prenons garde aux délocalisations intra-européennes, faute d'avoir harmonisé les régimes fiscaux et sociaux !
Or, dans cette nouvelle donne européenne, qui constitue une nouvelle frontière, la France est, à l'évidence, handicapée par un coût du travail plus élevé que dans la plupart des pays européens et par le poids des prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises.
La France doit donc relever le défi de sa compétitivité fiscale et sociale.
Au regard de cet impératif, le projet de budget s'apparente davantage à un budget de résignation à l'euro qu'à un budget de préparation de notre pays à ladynamique de l'euro. En effet, loin de promouvoir l'indispensable convergence fiscale, le budget organise, au contraire, la divergence.
C'est ainsi que le Gouvernement a choisi de relever le taux de l'impôt sur les sociétés au moment même où le libéral de gauche qu'est Tony Blair préfère, lui, le baisser. La décision du Gouvernement français sera lourde de conséquences, car elle risque de prolonger la panne de l'investissement des entreprises, de différer le retour de la croissance et de rendre virtuelle l'hypothèse des 3 % sur laquelle il a bâti son projet de budget pour 1998.
En outre, le vieillissement de l'appareil productif ne pourra manquer d'entraîner un retard technologique, qui se traduira par la fabrication de produits moins performants.
Ce phénomène d'obsolescence induira, à terme, des pertes de parts de marchés, alors que l'exédent commercial dégagé par la France représente, depuis 1992, le principal, sinon l'unique, moteur de notre faible croissance.
La compétitivité de nos entreprises ne pourra, en outre, qu'être affectée par les trente-cinq heures, qui renchériront les coûts de production, si cette réduction de la durée hebdomadaire du travail est imposée de manière autoritaire et uniforme, sans négociation décentralisée et sans répartition équitable de sa charge entre l'Etat, les entreprises et les salariés.
Enfin, l'abandon du processus quinquennal d'allégement de l'impôt sur le revenu, le relèvement du taux de l'impôt sur les sociétés et l'alourdissement de la fiscalité de l'épargne constituent trois séries de mesures qui alimentent l'instabilité de la règle fiscale.
Cette insécurité, qui s'accompagne parfois d'effets « économiquement » rétroactifs, est condamnable : elle brouille les choix des agents économiques, qu'elle incite à l'attentisme, et elle risque de dissuader les investisseurs étrangers, qu'elle invite à la prudence.
Le monde évolue rapidement, mais la France semble prendre son temps. Elle musarde et s'offre même le luxe d'aller à contre-courant de ses partenaires européens, comme dans l'aventure des trente-cinq heures.
C'est précisément pour appeler l'attention de nos concitoyens sur les risques lénifiants et anesthésiants de ce budget que la commission des finances a décidé de proposer au Sénat d'infléchir, de corriger le projet de loi de finances dans le sens de ses préoccupations, en cohérence, je le rappelle, avec ses propositions des années précédentes.
Utilisant toute la mince marge de manoeuvre dont elle dispose, la commission des finances a adopté une démarche qui repose sur ce que j'appellerai trois « commandements » : sanctuariser le montant du déficit budgétaire au niveau fixé par le Gouvernement ; éliminer, dans toute la mesure du possible, les prélèvements fiscaux supplémentaires et préserver le processus quinquennal d'allégement de l'impôt sur le revenu ; enfin, et surtout, geler, en francs courants, le montant des dépenses au niveau atteint en 1997.
Rompre avec le cercle vicieux du toujours plus - toujours plus de dépenses, toujours plus d'impôt - tel est le message que le Sénat souhaite adresser aux Françaises et aux Français.
N'ayons pas peur, mes chers collègues, de défendre avec force nos convictions. La démocratie exige que nos concitoyens disposent aujourd'hui d'une alternative crédible. (M. du Luart fait un signe d'approbation.)
Le Sénat a un devoir d'alerte.
Rappelons à nos concitoyens les exigences du principe de réalité.
Refusons que des utopies généreuses, qui auraient dû rester des slogans à finalité électorale, se transforment en drames économiques et en erreurs historiques.
Tous ensemble - je dis bien « tous ensemble » - luttons pour que la France conserve toute sa place dans le concert des nations libres, prospères et solidaires. (Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Guy Fischer. C'est la lutte finale !
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, sous l'autorité du Premier ministre, Christian Sautter et moi-même vous présentons aujourd'hui, après son examen par l'Assemblée nationale, le premier projet de loi de finances de cette législature.
Il a pour vocation, vous en conviendrez, de traduire, dans les faits et dans les chiffres, les engagements que la nouvelle majorité a pris devant le peuple à l'occasion de la dernière campagne électorale.
M. René Régnault. C'est vrai !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ces engagements concernent principalement l'emploi. C'est en effet notre préoccupation à tous, sur l'ensemble des travées, j'en suis sûr, même si nous n'avons pas tous les mêmes méthodes ou les mêmes propositions pour tenter de porter remède au chômage.
L'emploi est clairement la finalité de la croissance. Toutefois, notre action doit également s'orienter dans une autre direction, celle de la solidarité : la solidarité est un moteur de la croissance, dont nous ne pouvons pas nous passer,...
M. René Régnault. Tout à fait !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... tant il est vrai que notre pays n'est jamais aussi beau et aussi puissant que lorsqu'il est juste.
M. René Régnault. Très bien !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est la raison pour laquelle le projet de loi de finances que nous vous présentons comporte des mesures tendant à la fois à assainir la situation de l'emploi et, parallèlement, à améliorer parfois, à magnifier, lorsque cela a commencé bien avant nous - les différentes composantes qui permettent d'en affirmer la solidarité.
Je souhaite exposer brièvement ce projet devant vous, en formulant cinq remarques.
Premièrement, s'agissant de la méthode, Christian Sautter et moi-même désirons modifier, avec votre accord et avec votre participation, le calendrier un peu traditionnel de la préparation de la loi de finances.
En effet, il nous apparaît que celui-ci est beaucoup trop tardif et qu'il entraîne des débats trop précipités. Tous ceux qui, à la commission des finances, participent ou ont participé dans le passé à la discussion des projets de loi de finances reconnaîtront volontiers que leurs conditions d'examen ne sont pas satisfaisantes ; M. le rapporteur général l'indiquait encore tout à l'heure au début de son intervention.
En outre, cette année, le décalage de quelque huit semaines avec lequel ce projet de loi de finances a été préparé en raison des élections législatives - au demeurant, je ne m'en plains pas, mais le temps de travail s'en est trouvé raccourci - nous a conduits, les uns et les autres, à oeuvrer dans des conditions encore plus difficiles que par le passé.
La proposition que nous formulons n'est pas révolutionnaire. Néanmoins, elle peut améliorer les choses. Elle se résume en trois points.
Tout d'abord, dès le mois de juin, le Gouvernement transmettra aux assemblées une situation des finances publiques sur laquelle, si elles le désirent - je le souhaite ! - les commissions des finances pourront entendre les explications des responsables des finances publiques. Ainsi, un débat aura lieu sur la situation à mi-année et sur la situation prévisionnelle pour l'année suivante.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est ce que demande la commission des finances, monsieur le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'en suis ravi, monsieur le président !
Ensuite, le Gouvernement rendra public, avant la fin du mois de juillet, le cadrage général de la loi de finances qu'il se propose de présenter au Parlement pour l'année suivante, c'est-à-dire le niveau des dépenses, des recettes, et donc du déficit.
Enfin, nous pourrons ainsi déposer, dans les tout premiers jours du mois de septembre, sur le bureau des assemblées, le projet de loi de finances, de sorte que les commissions concernées puissent travailler pendant tout ce mois et mieux s'informer sur le maquis des chiffres évoqué tout à l'heure par M. le rapporteur général.
Seule la difficulté à comprendre parfois certains chiffres peut d'ailleurs expliquer les critiques qui ont été émises et auxquelles je voudrais maintenant répondre !
Ma deuxième remarque a trait, bien évidemment, à la croissance. Celle-ci joue un rôle extrêmement important, surtout pour l'emploi, mais aussi, dans une certaine mesure, moindre il est vrai, pour le budget.
Comme vous le savez, la prévision de croissance sur laquelle a été établi ce budget est de 3 %.
M. Philippe Marini. C'est très optimiste !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est beaucoup par rapport au passé, mais c'est sans doute, encore trop peu par rapport à ce qu'il nous faudrait, et la croissance trop faible des années qui viennent de s'écouler est l'une des causes, même si c'est loin d'être la seule, chacun le reconnaîtra, de l'augmentation du chômage pendant la même période.
Cette prévision de 3 % est jugée par certains trop optimiste. Or, la Commission européenne vient d'estimer que la croissance atteindrait 3,1 % en France, et le Fonds monétaire international, généralement peu soucieux de faire des cadeaux aux gouvernements qui annoncent un taux de croissance, a validé ce taux de 3 %.
Néanmoins, il s'agit, j'en conviens, d'une prévision, et certains peuvent faire observer, à juste raison d'ailleurs, que, depuis l'établissement de celle-ci, certains événements se sont produits. Ceux-ci ne remettent-ils pas en cause le taux annoncé ?
Un événement majeur est notamment survenu ; je veux parler de la crise financière en Asie. Il convient donc de nous interroger ensemble, et je le fais devant vous, sur les conséquences prévisibles à ce jour pour notre taux de croissance de ce qui s'est passé sur les places financières asiatiques.
En réalité, comme chacun peut le pressentir, la crise financière asiatique aura sans doute des conséquences sur le taux de croissance des pays concernés. La croissance très élevée qu'ils enregistraient va certainement être freinée de façon significative durant quelques mois, voire peut-être un an.
Mais, comme vous le savez aussi, la part de nos exportations vers ces pays est assez modeste ; elle varie, selon les pays, entre 3 % et 5 %. Le passage de 8 % à peut-être 3 % ou 4 % du taux de croissance de ces pays n'aura, en fin de compte, que des conséquences assez marginales sur nos exportations. Ne convient-il pas cependant d'en tenir compte ?
Il s'avère que, dans le même temps, l'hypothèse de croissance sur laquelle le budget a été bâti se fondait sur un ralentissement des économies anglo-saxonnes plus important que celui que nous constatons. En fait, ces économies n'ont pas connu de ralentissement. Nous avons même constaté avec surprise que l'économie américaine continuait d'avoir un cycle de croissance extrêmement long. Il en est de même pour nos amis britanniques. Dans ces conditions, ceci compensant cela en termes d'effet direct réel sur la croissance, nous n'avons pas aujourd'hui à modifier notre prévision.
Pour autant, n'y-aura-t-il pas un effet financier en dehors des exportations ? On pourrait l'imaginer, mais un examen attentif de la situation - à cet égard, nous pouvons nous référer à la crise de 1987 - nous permet de constater que, tout comme cette année-là, les pertes enregistrées par les épargnants sur les marchés boursiers ne font que compenser la hausse très rapide enregistrée depuis le début de l'année et que, au total, le bilan reste largement positif.
D'autre part, nous pouvons également constater que la crise de 1987, qui a été pour le moment plus profonde que celle que nous connaissons, n'a pas entraîné, en 1988, bien au contraire, un ralentissement de la croissance.
Il ne convient pas de sous-estimer ce qui se passe sur les marchés asiatiques, mais il ne convient pas non plus pour le moment d'en surestimer l'importance sur notre croissance ni sur celle de nos voisins européens. Je maintiens donc, évidemment avec les réserves d'usage s'agissant d'une prévision, le taux de 3 % qui vous a été annoncé.
M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général, ce dernier avec plus d'inquiétude encore, se sont interrogés sur notre taux de croissance. Je veux croire que leurs questions témoignaient d'une certaine inquiétude et n'étaient pas un motif de réjouissance.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il faut toujours souhaiter le succès de la France !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Telle est mon opinion, et je ne voudrais pas que l'on puisse reprocher au rapporteur général de la commission des finances du Sénat, comme Chateaubriand l'écrivait à propos de Charles X, d'avoir parfois compté les malheurs de son pays au nombre de ses espérances.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je le répète, je ne souhaite que le succès de la France !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'en suis certain, monsieur le rapporteur général, et, dans ces conditions, puisque nous souhaitons tous ici que cette prévision de croissance se réalise, ne laissons pas accroire l'idée que c'est impossible. Nous atteindrons, l'année prochaine, ce taux de 3 %.
M. Roland du Luart. L'ennui, c'est que Bercy se trompe toujours !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Par ailleurs, il faut prendre en compte la réalité. Or, nous constatons que la consommation redémarre : le troisième trimestre enregistre une croissance de 2,7 % par rapport au deuxième trimestre, ce qui est important. Je sais, comme vous, que les statistiques sur la consommation sont assez fluctuantes, mais, enfin, mieux vaut qu'elles soient positives !
Tout laisse donc à penser que nous connaissons bien un redémarrage de la consommation. La politique du Gouvernement a d'ailleurs beaucoup accompagné ce redémarrage de la consommation par différentes mesures concernant le SMIC, l'allocation de rentrée scolaire ou d'autres domaines.
Plus inattendu est le redémarrage plus précoce que prévu de l'investissement. La croissance assez sensible des importations de biens d'équipemement est bienvenue. Les statistiques tendent à prouver - je le dis encore une fois avec les réserves d'usage s'agissant de prévisions - que la reprise de l'investissement pourrait être plus rapide que nous ne l'avions prévu, ce qui laisse à penser, là encore, que notre prévision n'a pas de raison d'être remise en cause.
M. le rapporteur général a déclaré que les mesures proposées à l'Assemblée nationale par le Gouvernement dans le projet de budget, en ce qui concerne notamment la fiscalité de l'épargne, risquaient, de manière paradoxale mais intéressante, de gonfler celle-ci alors qu'elle est moins rémunérée en termes nets puisque plus imposée, parce que les épargnants auraient plus besoin d'épargner.
Ce raisonnement que ceux qui connaissent bien ces problèmes ont reconnu trouve son origine dans une thèse développée en 1954 dans la revue américaine d'économie par deux économistes au nom italianisant, Endo et Modigliani, thèse selon laquelle, contrairement à une idée courante, l'épargne est d'autant plus abondante qu'elle est mal rémunérée.
Cette thèse est intéressante et je salue là, d'ailleurs, la référence implicite de M. le rapporteur général. Malheureusement, force est de reconnaître qu'elle n'a jamais été vérifiée dans les faits et que, beaucoup plus traditionnellement, les Français épargnent seulement quand leur placement rapporte.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Nous dresserons un bilan dans un an !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Dans ces conditions, la fiscalisation accrue de l'épargne, sur laquelle je reviendrai, tendrait plus à accroître la consommation qu'à la diminuer.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Ou alors les épargnants délocalisent leurs placements !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est un autre sujet, monsieur le président, mais vous avez raison et nous pourrons y revenir. En tout cas, je ne crois pas beaucoup à la thèse de la reconstitution de l'épargne.
Pour conclure sur la croissance, je dirai que, bien évidemment, nul ne peut garantir un taux de croissance. J'entendais tout à l'heure un sénateur dire que Bercy s'est souvent trompé. Certes ! Mais peut-être m'autoriserez-vous à dire que, parfois, le Sénat aussi ! (Sourires.)
En tout état de cause, l'expérience la plus récente n'est pas mauvaise, car la prévision de croissance établie pour 1997 par les mêmes services mais sous un autre gouvernement se réalisera. Espérons donc que l'habileté dont ont fait preuve les fonctionnaires des finances dans les prévisions pour 1997 ne sera pas démentie par leur analyse pour 1998.
Le troisième point que j'aborderai, après la méthode et la croissance, concerne le déficit. Celui que nous vous proposons dans ce projet de loi de finances s'élève à 3 %. Je ne sais, monsieur le président, si le chiffre 3 a un caractère magique, mais les mathématiciens savent bien qu'il a des propriétés particulières. En tout cas, nous ne l'avons pas choisi.
Ramener le déficit à 3 %, contrairement aux affirmations que je viens d'entendre était une opération délicate. En effet, il est apparu en milieu d'année, grâce à la fois à l'audit des finances publiques réalisé par MM. Bonnet et Nasse, auquel on a fait référence tout à l'heure, et aux déclarations faites par le Premier ministre sortant au nouveau Premier ministre - chacun les connaît puisqu'elles ont été publiées par la presse - que le déficit serait plutôt situé entre 3,5 % et 3,7 %.
Revenir à un déficit de 3 % n'était pas nécessairement une opération simple, d'autant que ce taux, vous le savez comme moi, doit être augmenté de 0,4 à 0,5 point du PIB en raison du versement de la soulte de France Télécom. Par conséquent, il s'agissait de faire passer le déficit de 4 %, et non de 3,6 %, à 3 %.
Certains ont parfois mis en doute le travail accompli par les fonctionnaires de la Cour des comptes. Je ne pense pas que ce soit le cas de l'un d'entre vous et l'esprit républicain qui prévaut dans notre société veut que, fort heureusement, les fonctionnaires sont rarement critiqués. Certains avaient peut-être cette tentation, mais, en tout cas, nul ne mettra en doute les déclarations de M. Juppé.
Nous avions donc, quelles que soient nos sources, la certitude, au milieu de l'année, que le déficit réel était de l'ordre de 4 %.
Nous voulons le ramener à 3 % pour deux catégories de raisons.
La première, qui a été évoquée par les orateurs précédents, a trait à nos engagements européens. Oui, il est vrai que nous voulons faire l'euro parce que nous avons une certaine idée de la France, selon laquelle la souveraineté que nous aurons du point de vue monétaire, et qui sera partagée avec nos partenaires autour d'une monnaie devenue unique, vaut mieux qu'une apparente souveraineté sans partage lorsque notre monnaie n'est gérée que par nous et que nous savons bien, en réalité, à quel point elle est dépendante d'autres décisions.
M. Jacques Genton. Très bien !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous voulons faire l'euro parce que nous avons aussi une certaine idée de l'Europe, selon laquelle ce grand continent a sa place. Par conséquent, les efforts qui ont été entrepris jusqu'à maintenant et qui se poursuivent pour lui donner un marché unique, un marché intérieur sans frontières, une normalisation industrielle, doivent porter leurs fruits. Ceux-ci ne seront véritablement à notre disposition que si nous détenons le dernier élément qui complète le marché unique, à savoir une monnaie pour tous.
La monnaie unique permettra aux entreprises, notamment aux plus petites d'entre elles, d'éviter les risques de change - les petites et moyennes entreprises n'ont pas les moyens de gérer leur trésorerie en devises. Elle permettra aussi d'éviter les dévaluations compétitives, dont nombre de nos secteurs ont souffert, au cours des dernières années, parce que tel ou tel pays de l'Union européenne recourait à cet artifice pour rendre ses exportation plus compétitives. Elle présentera donc beaucoup d'avantages pour nos entreprises, comme pour nos concitoyens.
Enfin, vous voulons également l'euro parce que nous avons une certaine conception du monde, selon laquelle l'Europe n'est pas appelée à jouer les rôles de second rang.
Si nous voulons que notre continent dispose d'un moyen d'intervention économique, d'une présence monétaire sur la planète qui lui permette non pas de combattre mais de contrebalancer la puissance des Etats-Unis d'Amérique et du dollar, nous devons disposer ce cet instrument monétaire, sinon nous renonçons, pour une durée que je ne peux pas évaluer,...
M. Roland du Luart. C'est vrai !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... à faire entendre sur la scène économique du monde la voix de l'Europe.
Voilà pourquoi nous voulons que la monnaie unique se réalise. Il faut, à cette fin, vous le savez comme moi, remplir un certain nombre de critères et force est de reconnaître - je le dis sans esprit polémique - que la situation que nous avons trouvée après les élections disqualifiait la France.
Il fallait donc prendre des mesures. Je reviendrai peut-être sur ce point brièvement tout à l'heure. Ces mesures ont été prises et doivent nous permettre de parvenir à un déficit qui n'excède pas 3 %.
Vous aurez d'ailleurs à examiner, dans quelque temps, le collectif budgétaire que M. Christian Sautter et moi-même vous soumettrons pour boucler cette année et vous pourrez constater que l'effort qui a été entrepris - chose rare dans les annales de la République, en tout cas au cours de ces dernières années - permettra aux dépenses publiques de se situer en fin de compte, en 1997, à un niveau indentique à celui qui a été voté par le Parlement.
Cette situation devrait sembler à tous naturelle, mais nous savons bien que l'exécution des lois de finances a malheureusement donné lieu, année après année, à des dépassements que tous les sénateurs s'accorderont sans doute volontiers à juger inconsidérés. Eh bien, cette année, le collectif que nous vous présenterons sera équilibré, comme l'ont été d'ailleurs les décrets d'avance ! Dans ces conditions, les dépenses nouvelles ayant toutes été financées par des annulations de crédits, vous trouverez bien, au bout du compte, un total de dépenses publiques égal à celui qui a été voté par le Parlement.
Aurai-je la facétie de rappeler que, parmi les dépenses nouvelles qu'il a fallu financer, quelques-unes n'incombaient pas vraiment au nouveau gouvernement et relevaient peut-être parfois d'une certaine sous-estimation des dépenses initiales ? Certaines étaient évidemment imprévisibles : je pense aux opérations militaires extérieures ; c'est bien normal. D'autres étaient tout de même plus prévisibles.
Vous constaterez que 650 millions de francs sont inscrits dans le collectif pour rendre compatibles les charges de l'Etat en matière de retraite des fonctionnaires avec ce qui, évidemment, était calculable dès le début de l'année et qui avait pourtant été omis.
De la même manière, les sommes nécessaires à la réévaluation du traitement des fonctionnaires n'étaient pas toutes présentes. De même, ce que le prêt à taux zéro dit « prêt Périssol » nécessitait a été sous-estimé de quelque 2 milliards de francs, si j'ai bonne mémoire.
Bref, vous trouverez, au total, un ensemble de dépenses que, bonne fille, le nouveau gouvernement solde au nom du précédent. Mais il le solde sans augmenter le total des dépenses. Je pense que tous ceux qui, ici, à l'instar du président de la commission des finances et de M. le rapporteur général, souhaitent une maîtrise des dépenses publiques reconnaîtront l'effort qui a été fait en la matière ! Mais nous y reviendrons lors de l'examen du collectif.
M. Philippe Marini. C'est grâce au contribuable ! (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Non, monsieur le sénateur ! Pendant quelques instants, vous avez dû penser à autre chose. En effet, je ne peux pas imaginer que vous n'ayez pas compris que, lorsque le total des dépenses est le même que celui qui a été voté en début d'année, le contribuable n'a rien à voir dans l'affaire. Ce sont des dépenses en moins qui compensent des dépenses en plus. Cela me semble un équilibre dont vous conviendrez.
M. Philippe Marini. On l'obtient par des recettes supplémentaires !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il n'y a pas de recettes supplémentaires en cause lorsque l'on parle d'une égalité entre le total des dépenses réalisées et le total des dépenses votées ! Cela veut dire que les dépenses nouvelles ont été compensées par des annulations de dépenses.
M. Gérard Delfau. C'est évident !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si vous souhaitez argumenter ainsi sur le déficit, nous y reviendrons tout à l'heure. Reconnaissez avec moi - ou alors, le dialogue devient difficile, si l'on remet en cause les axiomes de l'arithmétique ! - que lorsque la dépense totale est égale à celle qui a été votée, c'est qu'il n'y a pas de dépenses supplémentaires et que, par conséquent, tout ce qui pouvait venir en excédent a été financé par la diminution d'autres dépenses. Jusque-là, il me semble, honnêtement, que la position du Gouvernement est solide.
Seconde catégorie de raisons conduisant à ramener le déficit à 3 % : nous ne pouvons pas continuer, nous tous, quelle que soit notre couleur politique, à avoir un budget dans lequel le service de la dette est passé, en quelques années, d'environ 10 % à près de 20 %, limitant par là de plus en plus, et à terme totalement, les capacités d'intervention de l'Etat.
M. Claude Estier. C'est exact !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. le président Poncelet rappelait tout à l'heure, à juste raison, que l'investissement public est insuffisant. Je n'entre pas dans son raisonnement en disant qu'il aurait pu être beaucoup plus élevé cette année. Je crois que, malheureusement, c'était impossible. Toutefois, je concède qu'il est aujourd'hui insuffisant par rapport aux besoins de notre pays. En effet, chacun le sait, le service de la dette croît fortement et « mange » toutes les possibilités.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il est donc impératif que nous soyons capables de limiter le service de la dette. Or, nous ne pouvons pas raisonnablement espérer le limiter à l'avenir par la baisse des taux, car ceux-ci sont déjà très faibles. Par conséquent, la seule vraie manière pour limiter le service de la dette, c'est de limiter la dette elle-même, et, pour ce faire, il faut limiter le déficit. Il y a là un impératif pour nous tous.
Plus on croit - peut-être pas de la même manière sur toutes les travées - que le budget de l'Etat doit servir au fonctionnement de l'économie et est un instrument dont le Gouvernement doit utiliser chacune des possibilités en faveur de l'économie, plus on doit être favorable à la réduction du déficit pour permettre de dégager de nouvelles marges de manoeuvre.
Ceux qui sont très libéraux - il y en a sans doute parmi vous - peuvent dire : peu importe, laissons le déficit augmenter, laissons le service de la dette exploser, l'Etat ne pourra plus intervenir ; c'est tant mieux, moins il intervient, mieux c'est ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Josselin de Rohan. On ne peut pas raisonner comme cela !
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est une caricature du libéralisme !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est en effet une caricature !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous ne le dites même pas ! S'il y avait des extrêmistes au Sénat, ils le diraient peut-être, mais il n'y en a pas !
En tout cas, je me tourne vers ceux qui, dans cette assemblée, souhaitent, comme moi, que la dépense publique soit efficace au service du pays. Pour cela, il faut que le Gouvernement en retrouve la maîtrise et, pour ce faire, le service de la dette doit diminuer !
Mais on peut aller plus loin. Dans notre pays, la dette publique rapportée au PIB est passée en quinze ans - sous différents gouvernements, de toutes les couleurs ; la question n'est pas de chercher les responsabilités - de 20 % à 57 %. Comparé à celui d'autres pays, ce taux se regarde encore avec une certaine admiration. Certains pays sont à plus de 100 %, mais nous ne sommes pas obligés de nous comparer aux plus mauvais.
Ce qui est important, c'est que ce taux baisse. Nous ne pouvons laisser - et là aussi cela dépasse les clivages politiques (M. le président de la commission des finances fait un signe d'assentiment) - aux générations qui suivent, à nos enfants, à nos petits-enfants, une situation dans laquelle la dette publique augmente, signifiant par là que nous avons financé nos propres dépenses sur des impôts qu'ils devront payer.
Dans ces conditions, je considère que c'est un devoir absolu de l'ensemble de notre collectivité nationale, et donc du Gouvernement qui est là pour la représenter, de se mettre en situation de faire baisser le ratio de la dette publique par rapport au PIB.
Si nous continuons au rythme que nous avons engagé cette année, le ratio de la dette publique par rapport au PIB commencera à baisser en l'an 2000, pour la première fois de notre histoire. Je ne sais quel sera le Gouvernement en place à ce moment-là et je sais encore moins quel sera alors le ministre de l'économie et des finances, mais si, d'aventure, je devais être celui-là, ce serait pour moi - et je pense pour vous qui peut-être voterez le projet de budget, aujourd'hui ou demain - une grande satisfaction de constater que nous aurons rendu, par ce biais-là, à notre pays, un véritable service en faisant en sorte que, autant que faire se peut, chaque génération assume ses propres charges et ne reporte pas sur les générations suivantes des charges indues.
Cela suppose, évidemment, que nous diminiuons notre déficit, et c'est donc une raison qui, pour moi, vaut au moins autant que celle que j'énonçais tout à l'heure.
C'est pourquoi ce projet de budget vous est présenté avec un déficit de 3 %, et, encore une fois, l'effort à faire était considérable compte tenu du dérapage à mi-année et de la disparition de la soulte de France Télécom.
Pour y parvenir - ce sera ma quatrième remarque - nous avons, autant qu'il était possible, maîtrisé la dépense.
J'ai bien entendu les remarques faites par M. le rapporteur général et par M. le président Poncelet. J'en vois quelle est la part naturelle dans une assemblée comme la vôtre. Je considère toutefois que l'effort qui a été fait - jamais suffisant, me dira-t-on, très bien ! - est considérable.
C'est la première fois depuis vingt ans que les dépenses du budget général s'accroissent au même rythme - à vrai dire un tout petit peu moins, mais ne chicanons pas - que les prix, autrement dit que leur croissance en francs constants sera nulle.
M. Alain Lambert, rapporteur général. C'est la deuxième fois !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'espérais que cette remarque qui me donne l'occasion de faire un commentaire (Sourires), ou plutôt deux, que j'aurais peut-être trouvé malvenus - parce que je ne prends pas plaisir à critiquer mes prédécesseurs - si vous ne m'y aviez pas incité. Toutefois, devant une telle provocation, je ne peux que réagir. (Nouveaux sourires.) C'est la deuxième fois, dites-vous, monsieur le rapporteur général, et vous pensez sans doute à l'année dernière.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Nous verrons !
M. Philippe Marini. A l'année 1987 !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je suis moins formel que vous ; il faudrait que je vérifie. Pour être tout à fait honnête, j'avais le sentiment que cela remontait à vingt ans mais peut-être est-ce dix ans.
En tout cas, pour l'année dernière, chacun de vous aura noté - car aucun sénateur ne peut se laisser abuser de cette manière - que la notice explicative du budget de 1997 qui a été diffusée à la presse ne comportait pas les mêmes chiffres que le budget qui a été présenté. Le décalage de 10 milliards de francs qui existait entre les deux pouvait donner le sentiment, lorsqu'on lisait la notice explicative, qu'il y avait effectivement une croissance très faible des dépenses, mais la réalité était un peu différente. Si, d'aventure, certains d'entre vous n'avaient pas fait ce constat à l'époque, je les invite à le faire dans les jours à venir ; c'est toujours extrêmement instructif.
Autre remarque : un calcul qui introduirait les comptes d'affectation spéciale, les comptes spéciaux du Trésor, peut conduire, en effet, à une comparaison qui met à égalité l'année dernière et cette année. Toutefois, nous le savons tous, l'estimation des comptes spéciaux du Trésor est pour le moins aléatoire. Ils peuvent varier d'un jour à l'autre. Dans ces conditions, il est raisonnable de considérer les dépenses réelles du budget.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Nous verrons lors de l'examen des articles !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous verrons à l'arrivée ! Dans ces conditions, je ne retiens même pas ce que je disais tout à l'heure sur la sous-estimation d'un certain nombre de dépenses. En effet, vous pourriez me dire que, cette année, certaines dépenses ont peut-être été sous-estimées. Je ne retiens donc pas cet argument.
La présentation qui a été faite l'année dernière, d'une part, et la volonté de mêler aux dépenses réelles du budget ce qui se passe sur les soldes et les comptes spéciaux du Trésor, d'autre part, font que, lorsque l'on regarde véritablement les chiffres - je suis sûr que vous aurez tous à coeur de le faire - on constate que cette année - je n'en tire pas une gloire excessive, mais cela a été difficile -, pour la première fois depuis vingt ans - quelqu'un a dit 1987, je vérifierai - nous avons une croissance nulle de la dépense en termes réels.
J'ai bien entendu que le Sénat proposait de la rendre nulle non pas en francs constants mais en francs courants. Comme, en francs courants, elle augmente de 21 milliards de francs, à savoir 18 milliards de francs pour l'augmentation de la rémunération des fonctionnaires induite par les procédures existantes et 3 milliards de francs pour l'augmentation du service de la dette, donc deux augmentations qui étaient inévitables, vous proposez de diminuer la dépense de 21 milliards de francs. Nous verrons comment vous les imputez ces 21 milliards de francs.
Vous avez dit tout à l'heure que vous ne disposiez pas de la possibilité de faire une imputation par chapitre. Toutefois, je suis sûr que, au cours de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances, vous aurez à coeur de nous dire, sur tel sujet ou sur tel autre : si nous le pouvions, nous retirerions telle somme.
En effet, 21 milliards de francs, cela ne se trouve pas facilement, mesdames, messieurs les sénateurs. Lorsque l'on veut les retirer, il faut vraiment dire où on les prend.
Au demeurant, pardonnez-moi cette facétie, mais vous vous souvenez sans doute que l'accroissement du budget de 1997 sur 1996 était de 25 milliards de francs. Honnêtement, vous seriez plus crédibles si, l'année dernière, vous aviez empêché cette augmentation. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes. - M. Renar applaudit également.)
Nous avons fait ce qui était en notre pouvoir pour maîtriser la dépense, et d'autres efforts devront encore être consentis. Dans le collectif, vous verrez que, pour 1997, l'effort de maîtrise est de l'ordre de 40 milliards à 50 milliards de francs par rapport à l'estimation de l'audit.
Certes, il n'y a pas de secret : diminuer la dépense de quelques dizaines de milliards de francs par rapport à l'estimation figurant dans l'audit, cela signifie des économies sur certains postes, et ce n'est pas indolore. Néanmoins, on ne peut pas vouloir que les dépenses publiques soient maîtrisées sans qu'aucun budget soit touché. Nous verrons donc dans le détail, budget par budget, quelles décisions ont été prises.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que la dépense publique est par nature mauvaise, au contraire. Je pense cependant qu'elle ne se justifie que quand elle est efficace. Chaque franc que les Français paient au titre de leur impôt doit être employé de la façon la plus efficace possible, et ce qui compte, c'est l'efficacité de cette dépense publique.
Vous ne pourriez, pas plus que moi, je pense, mesdames, messieurs les sénateurs, accepter un budget qui serait deux fois moins important, mais dont la moitié serait gaspillée ou utilisée sans efficacité. Le problème est non pas tellement de savoir si la dépense publique est supérieure ou inférieure de 1 % à celle de nos voisins, mais de savoir si l'utilisation que nous faisons des deniers publics est efficace. De ce point de vue, le débat que nous aurons, je l'espère, tout au long de l'année qui vient pour la préparation du projet de loi de finances pour 1999 nous permettra d'avancer sur cette question de l'efficacité de la dépense publique.
Je conclurai mon propos par une cinquième remarque, en vous priant, mesdames, messieurs les sénateurs, de m'excuser d'avoir été long.
Cette remarque touche, bien entendu, puisque j'ai évoqué le déficit et la dépense, à la fiscalité. Sur ce sujet, le Gouvernement ne croit pas à la théorie du « grand soir fiscal », qui ferait que l'on déposerait d'un seul coup, sur le bureau des assemblées, un gros dossier entouré d'une faveur rose, rouge ou verte (Sourires) , en disant : « Voici la réforme fiscale ! ».
La réforme fiscale est quelque chose qui se fait en continu ; d'autres l'ont engagée avant nous - pas toujours dans les directions qui nous conviennent, mais c'est cela la démocratie. Nous avons donc commencé, à travers ce projet de budget, un début de réforme, et d'autres sujets - j'y viendrai tout à l'heure - devront être abordés plus tard.
Ce début de réforme vise à rééquilibrer les prélèvements sur le travail et le revenu du capital.
Tout à l'heure, M. le président de la commission des finances s'insurgeait contre l'existence d'une loi de financement de la sécurité sociale telle qu'elle existe. Je ne veux pas, du haut de cette tribune, me prononcer pour ou contre, mais je crois me rappeler que cette modification résulte d'un vote des assemblées réunies en congrès, à laquelle la majorité sénatoriale n'a pas dû être absente.
Un sénateur socialiste. Eh oui !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous en prie, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Sur ce point, la commission des finances, dans les travaux préparatoires comme en séance publique, avait émis les plus expresses réserves, au motif qu'il risquait d'y avoir des télescopages préjudiciables aux contribuables. Aujourd'hui, cela se vérifie !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne suis pas en désaccord avec ce qu'a pu penser la commission des finances du Sénat et je regrette que, dans sa sagesse - et dans sa majorité -, le Sénat n'ait pas suivi sa commission des finances.
M. Jean-Pierre Fourcade. Pas moi !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous n'allons pas entamer ce débat maintenant, monsieur Fourcade !
M. Jean-Pierre Fourcade. On ne peut pas toujours revenir en arrière !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certes ! Au demeurant, personne ne propose de revenir en arrière : allons de l'avant !
Mais je ne veux pas m'immiscer dans un débat entre deux éminents sénateurs qui, de surcroît, ont été tous les deux nos prédécesseurs à Christian Sautter et à moi-même. Donc, vous traiterez ce débat à l'intérieur d'un huis clos sénatorial. (Sourires sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Il reste que le rééquilibrage de la pression fiscale entre les revenus du travail et les revenus du capital est une orientation que le Gouvernement souhaitait mettre en oeuvre. Il le fait, et, si je comprends que certains puissent critiquer cette orientation, elle n'en est pas moins sans doute la principale caractéristique de l'évolution de la fiscalité retenue au travers de ce budget.
Une autre caractéristique est le refus de l'aggravation du déséquilibre, déjà trop fort dans notre pays, entre la fiscalité indirecte et la fiscalité directe.
Je voudrais, là aussi sans facétie, relever une contradiction entre le président de la commission et le rapporteur général, d'une part, et le Gouvernement, d'autre part.
J'ai entendu que la commission proposait de diminuer de 21 milliards de francs les dépenses - j'ai dit tout à l'heure quel était mon scepticisme à cet égard - et d'utiliser la ressource ainsi dégagée à poursuivre la baisse de l'impôt engagée par le gouvernement précédent - je ne me trompe pas ? - ... (M. le rapporteur général sourit.)
Vous ne confirmez pas ?... C'est pourtant bien ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur général !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Nous y viendrons lors de la discussion des articles !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous attendez la suite ? Vous avez raison ! (Rires.)
J'ai entendu dans la même déclaration qu'il convenait de poursuivre l'harmonisation fiscale entre les pays européens, car c'était un point important.
Je suis d'accord avec vous sauf que, comme vous le savez, notre pays est celui dans lequel la fiscalité directe est la plus faible et la fiscalité indirecte la plus forte.
M. Michel Sergent. Eh oui !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il faut donc quand même savoir vers quoi nous voulons converger ! Si nous voulons que notre structure de prélèvements en direction des ménages converge vers la moyenne européenne, alors c'est le chemin inverse qu'il faut prendre : il faut diminuer la TVA - ce à quoi le Gouvernement est favorable - et l'obtenir soit par la baisse des dépenses - c'est le mieux, et c'est ce que le Gouvernement veut essayer de traduire dans les budgets à venir - soit par l'augmentation des impôts directs, ce que je ne recommande pas. Mais, à tout le moins, ne baissons pas les impôts directs, car, si nous les baissons, nous nous éloignons de ce que font tous nos partenaires européens.
M. Michel Sergent. Evidemment !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si l'on veut la convergence, on ne peut pas vouloir la réforme Juppé ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. M'autorisez-vous à vous interrompre de nouveau, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Convenez, monsieur le ministre, que, en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, l'harmonisation est intervenue à une certaine époque, mais que l'on s'en écarte aujourd'hui. Le gouvernement précédent en porte peut-être une responsabilité, mais le vôtre davantage, monsieur le ministre, car hier, c'était 10 %, alors qu'aujourd'hui, c'est 15 % en plus.
La fiscalité d'ensemble sur les sociétés représentait hier 33,3 ; aujourd'hui, nous en sommes à 41,6.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous remercie, monsieur Poncelet, de me rappeler ce point. Nous avons déjà eu ce débat à propos du MUFF, mais il mérite d'être repris à l'instant, et j'allais l'oublier.
Cependant, avec la surtaxe de M. Juppé et celle que le Gouvernement vient de mettre en oeuvre, nous serons à 41 %, soit un taux inférieur à celui de l'Allemagne et de l'Italie.
Par ailleurs, la surtaxe de 15 % que le Parlement a votée au titre du MUFF est, comme vous le savez, temporaire ; dans deux ans, elle aura disparu, car vous l'avez votée temporaire. (Murmures sur les travées du RPR.) Or, l'habitude du Gouvernement, vous le constaterez, est de respecter ce que fait le Parlement. Il le fait même pour des dépenses que vous avez votées l'année dernière, sous un autre gouvernement. Dès lors, vous pensez bien qu'il le fera pour ce qu'il a proposé lui-même !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il faut le faire pour la réforme fiscale et pour les réductions qui ont été décidées !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne peux pas vraiment vous garantir que le caractère temporaire vaille autant pour la réforme de M. Juppé, et je ne me souviens d'ailleurs pas qu'à l'époque le Sénat ait refusé de voter cette surtaxe au nom de sa pérennité.
M. René Régnault. Absolument !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Dans ces conditions, reconnaissez que la réforme de cette année a quand même meilleure allure que celle des années précédentes !
M. Josselin de Rohan. Parce que c'est vous qui la proposez ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Pourquoi ne pas supprimer la surtaxe de l'année précédente, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Parce qu'elle est temporaire, monsieur le rapporteur général !
Quoi qu'il en soit, continuez à soutenir le Gouvernement dans son effort sur la dépense et nous pourrons baisser les impôts, y compris, peut-être, la surtaxe de M. Juppé. Mais, ce jour-là, que me direz-vous ? Qu'il ne faut pas la supprimer parce que c'est celle de M. Juppé, ou qu'il faut la supprimer parce que c'est de l'impôt ? Cruel dilemme que nous aurons à examiner plus tard, lorsque les ressources que nous aurons dégagées par la maîtrise des dépenses le permettront.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Les contribuables ne feront pas la différence !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En attendant, il est certain - et j'en terminerai sur ce sujet - qu'il faut tout de même couper la tête à un canard qui court depuis un peu trop longtemps, celui de la hausse des prélèvements.
Lorsque la somme des prélèvements fiscaux est, au bout d'une année, celle qui a été votée par le Parlement en début d'année, je vois mal comment on peut dire qu'il y a hausse des prélèvements. Que certains prélèvements se soient substitués à d'autres, que certains aient moins rapporté que prévu et que d'autres les aient remplacés, certes ; que, éventuellement, ce ne soient pas les mêmes contribuables qui soient touchés et que l'on veuille critiquer cela, c'est tout à fait loisible. Mais, lorsque la masse des impôts ne varie qu'à 2 ou 3 milliards de francs près, alors les prélèvements sont les mêmes.
M. Philippe Marini. La pression fiscale, c'est ce que paient les contribuables ! Que paie chacun d'eux ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certains paient plus, d'autres paient moins !
M. Hilaire Flandre. Allez voir sur le terrain !
M. Philippe Marini. Ce n'est pas une abstraction, la pression fiscale !
M. Roland du Luart. Ce sont toujours les mêmes qui paient !
M. Hilaire Flandre. Nous vous amènerons des feuilles d'impôts !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ce ne sont pas les mêmes qui ont payé !
M. Philippe Marini. Justement !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Oui, justement !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'ai plaisir à cet échange entre sénateurs ! Mais je dois dire que je rejoins plus volontiers ce que j'ai entendu sur ma gauche que ce que j'ai entendu sur ma droite.
M. Philippe Marini. Le contraire vous créerait des problèmes !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pas du tout ! Je sais avoir la même objectivité que M. Poncelet. (Sourires.) Or, en l'occurrence, force est de reconnaître que ce ne sont pas les mêmes. Mais personne n'a prétendu que nous souhaitions que ce soient les mêmes !
M. Philippe Marini. C'est plus pour les entreprises !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce que nous disons, c'est que la pression globale d'ensemble n'a pas augmenté, et les statistiques de l'INSEE le montrent.
Certes, au sein de la pression d'ensemble, ce ne sont pas les mêmes qui sont touchés, mais si vous croyez, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, que c'est une critique que vous nous adressez là, vous vous trompez. Nous considérons, au Gouvernement - et, je pense, dans l'opposition sénatoriale - que c'est un compliment que vous nous faites que de nous reprocher d'avoir su ainsi modifier la structure du prélèvement fiscal. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Josselin de Rohan. Notamment sur l'impôt !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pour 1998, la recette fiscale augmente de 3,1 %, tandis que la croissance nominale augmente de 4,2 %. Chacun d'entre vous pourra assez rapidement en déduire que la pression fiscale va diminuer, et il aura raison.
M. Philippe Marini. CSG non comprise ! Vous « saucissonnez » !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. CSG non comprise, en effet. Mais laissez-moi terminer : si vous me « saucissonnez » moi aussi, je ne pourrai plus produire mes arguments ! (Rires.)
Pour ce qui est de la pression fiscale d'Etat, je maintiens les chiffres que je viens d'évoquer. Lorsque l'on introduit ce qui se passe pour la CSG, le constat est que cela ne change pas beaucoup, puisque, comme chacun le sait, la CSG représente pour sa plus grosse masse un transfert de cotisations maladie, ce qui ne change rien au prélèvement total. Mais, comme il ne s'agit que de sa plus grosse masse et qu'il y a un petit prélèvement en plus, M. Marini n'a pas tout à fait tort et, effectivement, la baisse de la pression fiscale que nous pouvons attendre en 1998 n'est pas aussi importante que le laissaient entendre les chiffres que j'évoquais à l'instant. Elle passera cependant - ce sont des chiffres prévisionnels, j'en conviens - de 46 % à 45,9 %.
Vous me direz que ce n'est pas beaucoup. Mais c'est beaucoup mieux que la croissance régulière du taux de pression fiscale depuis quatre ans, qui est passé de 42 % à 46 % dans le budget que vous avez voté l'année dernière, à la même époque.
M. René Régnault. Eh oui ! Cela va dans la bonne direction.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Christian Sautter détaillera devant vous, en dépenses comme en recettes, les priorités qui ont été choisies, et chacun constatera qu'elles sont conformes aux engagements du Gouvernement.
Avant de terminer, je voudrais rappeler à ceux d'entre vous qui voudront bien l'entendre que ce gouvernement n'est en place que depuis six mois. Or, voilà neuf mois, presque jour pour jour - c'était le 21 février, nous sommes le 20 novembre - une rumeur commençait à enfler dans l'ensemble du pays - elle allait devenir une décision - celle de la dissolution.
Lorsque les Français - comme vous, sans doute, et comme moi - se sont interrogés sur les raisons de cette dissolution, nombreuses ont été les hypothèses. L'une a pris force dans l'esprit de nos concitoyens, selon laquelle le budget serait tellement difficile à boucler pour 1997 et à préparer pour 1998 qu'il valait mieux organiser les élections avant qu'après. Les confidences faites par M. Juppé à M. Jospin, lorsqu'il lui a transmis ses pouvoirs, n'ont d'ailleurs fait que renforcer, après les élections, il est vrai, cette impression.
Pourtant, nous vous présentons ce projet de budget sans drame, avec un déficit de 3 %, avec des priorités financées, avec probablement une baisse des prélèvements obligatoires - avec en tout cas une stabilisation - et je ne vois pas ce qu'il y a là de miraculeux. Il n'y a pas de miracle budgétaire dans cette affaire ! Il n'y a pas non plus d'artifices budgétaires, il y a simplement une maîtrise très rigoureuse de la dépense.
M. Josselin de Rohan. Il y a la croissance, aussi. Cela peut aider !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le sénateur, j'avais scrupule à parler trop longtemps, mais puisque vous m'y invitez si gentiment,...
M. Josselin de Rohan. Mais oui : je vous écoute sans me lasser !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... je vais me livrer à un petit calcul que vous aurez le loisir de vérifier.
L'année dernière, vers février-mars, les prévisions de croissance établies par l'administration s'élevaient à 2,7 %. Aujourd'hui, j'estime cette croissance à 3 % - vous me dites que c'est trop optimiste, mais là n'est pas le débat - et je prévois donc un supplément de croissance de 0,3 %, ce qui équivaut à 24 milliards de francs de PIB puisque, vous le savez, le point de PIB peut être évalué à 80 milliards de francs. Or, il faut savoir que cette hausse de 24 milliards de francs du PIB représente, dans la mesure où le prélèvement de l'Etat est grosso modo de 15 %, près de 3 milliards de francs de recettes fiscales supplémentaires. Et encore, je le voudrais bien car, comme vous le savez, une part du PIB provient de l'exportation et l'exportation ne rapporte pas de TVA.
Comme vous le savez aussi, une bonne part de notre système fiscal voit ses recettes assises sur l'activité de l'année précédente. L'impôt sur le revenu, ou encore l'impôt sur les sociétés, se fondent sur l'activité de l'année passée. La croissance de 1998 n'a donc rien à voir avec les recettes de 1998. Pour 1999, vous aurez raison, mais pour 1998 le supplément de croissance rapportera, selon les calculs du ministère des finances, environ 1 milliard de francs de recettes fiscales supplémentaires. Vous voyez que nous sommes loin de la cinquantaine de milliards de francs qu'il a fallu trouver !
C'est donc bien la maîtrise des dépenses et non pas la croissance qui est à l'origine du résultat que nous vous présentons.
J'ai cité beaucoup de chiffres, je m'en excuse auprès de vous, mais permettez-moi d'en citer encore une série qui, sur le plan économique - mais il n'y a pas, Dieu merci ! que l'économie - me semble illustrer l'histoire de notre pays au cours de ces dernières années.
Chaque année, il est intéressant d'examiner ce qui, dans l'accroissement du produit intérieur brut, c'est-à-dire dans celui de la richesse nationale, est prélevé par le secteur public. Vous trouverez sans doute que ce prélèvement est toujours trop élevé, mais je n'entrerai pas dans ce débat.
En 1994 - je ne remonte pas plus loin - 48 % de l'accroissement de la richesse produite ont été ponctionnés par le secteur public : Etat, sécurité sociale, collectivités locales... Comme le taux de prélèvement obligatoire était, à l'époque, inférieur à 48 %, cet incrément a entraîné logiquement la hausse des prélèvements obligatoires que nous avons connue pendant cette période.
En 1995, ce ne sont plus 48 %, mais 57 % de l'accroissement de la richesse nationale de l'année qui ont été prélevés par le secteur public. Ce chiffre de 57 %, nettement supérieur au taux de prélèvement obligatoire moyen, a conduit à un alourdissement supplémentaire de la pression fiscale.
En 1996, année dont tous les Français se souviennent, que s'est-il passé ? La TVA a augmenté de 2 %, tandis que 89 % de l'accroissement de la richesse nationale ont été prélevés par le secteur public. Et l'on s'étonne que la croissance ait été cassée ! Et l'on s'étonne que les Français aient trouvé insupportable que l'effort supplémentaire fourni pendant l'année ait été intégralement ponctionné par la sphère publique !
En 1997, nous allons revenir à un taux de 57 % ou 58 %.
Mais, en 1998, mesdames, messieurs les sénateurs, nous passerons à 41 %, soit un taux inférieur à celui des prélèvements obligatoires, ce qui est une autre manière de montrer que ce dernier baissera. Pour la première fois, l'incrément sera moindre que la moyenne, et c'est pour cela que le taux de prélèvement obligatoire baissera.
Pour la première fois donc, depuis de nombreuses années, nous sommes à 40 % ou à 41 %, résultat que, sans doute, nous pouvons encore améliorer, mais qui n'avait pas été atteint dans le passé, surtout pas cette fameuse année 1996, de triste mémoire pour les Français, singulièrement pour la majorité de l'époque, qui lui doit pour beaucoup, je pense, son échec électoral subséquent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de budget n'est pas la quadrature du cercle. Il est l'expression de choix difficiles sur les dépenses, d'orientations politiques sur la structure des recettes et de la volonté de s'engager dans une politique budgétaire différente.
Année après année, le Gouvernement vous présentera un budget qui poursuivra dans la même direction.
L'année prochaine, je l'ai dit devant la commission des finances, nous souhaitons travailler sur la fiscalité locale. Si le Sénat et sa commission des finances en sont d'accord, nous travaillerons pendant toute l'année en relation étroite. Certes, au bout du compte, le Gouvernement tranchera, mais nous aurons ainsi tracé ensemble les voies de la réforme de cette fiscalité locale dont chacun s'accorde à reconnaître, sans doute surtout au Sénat, qu'elle mérite quelques aménagements.
Tel est donc le chantier que nous ouvrons pour cette année et sur lequel j'invite la Haute Assemblée à travailler avec nous. De la sorte, maîtrisant la dépense, diminuant le déficit, réformant la structure des prélèvements obligatoires, année après année, le Gouvernement sera en situation de fournir au pays le budget dont il a besoin.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en vous priant de pardonner la longueur de mon propos, je laisse maintenant à M. Sautter le soin de vous donner de plus amples détails sur la structure des dépenses comme sur la structure des recettes. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, laissez-moi vous dire d'emblée l'honneur que j'éprouve à vous présenter, pour la première fois, le projet de loi de finances.
Ainsi que l'a dit à l'instant M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le projet de budget pour 1998 est tout à la fois économe et conforme aux priorités du Gouvernement : priorité à l'emploi et à la création d'activités, priorité aux équipements collectifs, priorité à la solidarité et aux grands services publics de la vie quotidienne.
Ces priorités figuraient dans le projet initial du Gouvernement, mais elles sortent renforcées de la première lecture à l'Assemblée nationale.
Monsieur le rapporteur général - parviendrai-je à vous en convaincre - le projet de budget qui vous est présenté est bien un projet en faveur de la jeunesse, car il donne la priorité à la croissance. Or, la langueur dont souffrait à cet égard notre pays depuis six ans ouvrait peu de perspectives à la jeunesse. C'est donc un projet de budget pour la croissance, pour l'emploi, pour la formation, pour la recherche.
Un budget pour l'emploi, disais-je. Les dépenses en faveur de l'emploi s'élèvent en effet à 156 milliards de francs environ et connaissent une progression de 3,6 %.
Vous vous préoccupez, monsieur le rapporteur général, de l'emploi des jeunes. Nous mobiliserons 8 milliards de francs pour 1998, ce qui devrait permettre à 150 000 jeunes d'accéder non pas à un emploi de fonctionnaire, mais à un véritable emploi d'intérêt général, bien rémunéré et formateur. Cette décision du Gouvernement, qui a été préfinancée pour la fin de l'année 1997, a été saluée par une première réaction très encourageante des élus locaux et de nos concitoyens - les jeunes, leurs parents, leurs grands-parents. Il y a là un progrès à souligner.
Vous avez insisté, monsieur le rapporteur général, sur l'augmentation des dépenses. Fallait-il donc, pour financer ces investissements utiles en faveur de l'emploi des jeunes, tailler dans les dispositifs d'aide aux chômeurs de longue durée, ces personnes qui, en raison de leur âge, de leur handicap, de leur longue inactivité, ont quelques difficultés à retrouver un emploi ? Le Gouvernement a décidé, et il assume ce choix avec une certaine fierté, de conserver ces dispositifs, de façon qu'aucun Français, quel qu'il soit, ne reste au bord de la route.
Le deuxième budget en augmentation est celui de l'éducation nationale. Il s'élève à 334 milliards de francs, en hausse de 10 milliards de francs, soit 3,1 % de plus que l'année précédente. On relève la création de 1 537 postes budgétaires, dont 1 354 dans l'enseignement supérieur. Ces créations sont indispensables pour assurer le bon fonctionnement de nos écoles et de nos universités, pour renforcer notre capacité d'enseignement et de recherche, pour lutter contre l'exclusion en milieu scolaire et pour familiariser nos jeunes à l'usage des nouvelles technologies.
Dans un exposé particulièrement charpenté, monsieur le rapporteur général, vous avez fait allusion à la fonction publique et, en particulier, à l'éducation nationale. L'administration centrale de l'éducation nationale est, certes, fort étoffée et le ministre compétent a d'ailleurs pour ambition de redéployer sur le terrain un certain nombre de postes budgétaires de l'administration centrale.
J'adopte un instant votre raisonnement : vous souhaitez diminuer de 21 milliards de francs les dépenses de l'Etat prévues dans le projet de budget que nous présentons. J'ai lu dans la presse que vous proposiez de réduire de 10 milliards de francs le budget de l'éducation nationale, mais je vous accorde que vous n'avez pas repris ce chiffre aujourd'hui. Un observateur peu avisé - mais il n'y en a pas ici - dirait qu'il est facile de trouver 10 milliards de francs d'économies sur un total de 335 milliards de francs. Or, ce n'est pas si simple.
Je vous suggère donc plusieurs pistes, que nous pourrons explorer ensemble dans les jours qui viennent.
Si l'on veut diminuer le budget de l'éducation nationale de 10 milliards de francs, on peut, première solution, réduire les effectifs d'enseignants et de personnels techniques de 58 000 personnes. Est-ce ce que souhaite la majorité sénatoriale ? Deuxième solution, on peut supprimer l'ensemble du système des bourses et les aides apportées notamment aux cantines. Cela fait aussi 10 milliards de francs, mais est-ce ce que vous souhaitez ? Troisième solution - il y a peut-être là une piste intéressante -, on peut réduire d'un quart les aides à l'enseignement privé ! Est-ce vraiment ce que vous souhaitez ? (Sourires.)
Enfin, dernière solution qui mérite méditation, on peut transférer aux collectivités locales le fonctionnement et l'équipement de l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur !
D'ailleurs, si, comme vous l'avez dit à juste titre, monsieur le rapporteur général, il ne faut pas toucher aux missions régaliennes, j'estime avec le Gouvernement et, j'en suis sûr, avec la majorité de la Haute Assemblée, que l'éducation nationale est bien une mission régalienne de l'Etat dans notre pays et qu'elle n'a pas à être confiée au secteur privé, comme cela peut se faire au-delà des océans.
Ces solutions esquissées et ces questions posées, nous somme impatients, M. Strauss-Kahn et moi-même, de débattre des 21 milliards de francs d'économies que vous allez suggérer !
M. Alain Lambert rapporteur général. Je n'ai jamais parlé de 10 milliards de francs !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Si vous ne les prenez pas sur l'éducation nationale, vous les prendrez ailleurs. Mais nous aurons l'occasion d'en discuter.
Mme Hélène Luc. Monsieur le rapporteur général, vous vous plaignez chaque année de la faiblesse des crédits. Où allez-vous trouver ces économies ?
M. Jean Chérioux. Votre catalogue est bien choisi, monsieur le secrétaire d'Etat, mais on ne peut pas dire qu'il soit sans arrière-pensées !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. On a le catalogue que l'on peut, monsieur le sénateur !
Ce projet de budget consacre une vraie progression des dépenses en faveur de la recherche. L'enveloppe allouée au budget civil de recherche et de développement technologique, qui atteint 53 milliards de francs, progresse de 6,2 %. Est-ce une dépense inutile, alors que l'on sait qu'aux Etats-Unis - référence qui n'est pas mauvaise en la matière - la conjugaison de financements d'Etat et de financements privés pour la recherche industrielle est une source de compétitivité ?
Je n'aurai garde d'oublier, dans ce projet de budget, les dispositions visant à aider à développer les activités des entreprises petites et moyennes, qui sont les principales créatrices d'emplois, comme il est facile de le constater.
A cet instant, je souhaite m'élever contre certaines affirmations que l'on peut lire ici ou là et auxquelles M. Poncelet a fait écho quand il a parlé d'exil. Il est très important - c'est un point sur lequel nous pourrons, me semble-t-il, être unanimes - que la « natalité » d'entreprises en France, particulièrement dans le domaine des hautes technonologies, progresse par rapport à ce qu'elle a été dans un passé récent ou lointain.
Aussi avons-nous prévu deux dispositions pour encourager fiscalement les créateurs d'entreprises. Il s'agit, d'une part, de bons de souscription d'actions bénéficiant d'un régime fiscal favorable, d'autre part, de la possibilité offerte à ces créateurs d'entreprise de différer l'imposition des plus-values qu'ils pourraient réaliser lorsqu'ils vendent une entreprise qu'ils ont lancée avec succès, dans le cas où les sommes sont réinvesties dans des entreprises dynamiques.
Je mentionnerai également l'institution d'un crédit d'impôt-emploi de 10 000 francs par emploi supplémentaire créé, dans la limite de cinquante emplois chaque année. Voilà une mesure qui favorise les PME et qui pourrait « diffuser » sur l'ensemble du territoire.
A la suite d'objections sévères formulées par Bruxelles, nous avons pris des dispositions importantes en faveur des petites entreprises du textile, de l'habillement, des cuirs et peaux, secteurs d'activité auxquels, je le sais, vous êtes nombreux à être attachés. Sachez que le Gouvernement partage votre préoccupation.
Après avoir insisté sur l'importance des mesures fiscales et des dépenses en faveur de la croissance, je rappelle que ce projet de budget est aussi consacré à l'investissement collectif.
M. Poncelet a déploré, à juste titre, la diminution des investissements civils. Je pense que nous aurons l'occasion de constater que, tous financements confondus - moyens budgétaires et comptes d'affectation spéciale -, ces investissements civils progresseront l'an prochain, c'est une bonne nouvelle, de 5,6 % en autorisations de programme et de 2,4 % en crédits de paiement. J'ajoute que ces investissements supplémentaires seront principalement consacrés aux transports, notamment les transports collectifs, au patrimoine culturel ainsi qu'à la justice.
Par ce projet de budget, nous cherchons à renforcer la solidarité entre les Français car, M. Strauss-Kahn l'a dit, le développement de notre pays repose sur sa cohésion. Le projet de loi de finances pour 1998 comporte donc ces dépenses à finalité sociale auxquelles M. le rapporteur général a fait allusion ; il conforte le budget de la santé, de la solidarité, de la ville - ces budgets augmentent de 3,1 % - et reprend une tendance à la hausse des aides personnalisées, qui ont été revalorisées en juillet 1997 et qui vont croître encore en 1998.
Cet accent mis sur la solidarité est maintenant encore plus appuyé, et ce sous l'impulsion de la majorité de l'Assemblée nationale. J'en donnerai deux illustrations.
Tout d'abord, les retraites les plus faibles des actifs agricoles ont été majorées très sensiblement ; il s'agit des conjoints qui ont travaillé sur les exploitations agricoles ou d'aides familiaux qui n'ont pas suffisamment cotisé. A ce titre, 680 millions de francs ont été ajoutés. J'espère que vous confirmerez cette augmentation.
Ensuite, vous trouverez dans le projet de budget d'importantes mesures en faveur des anciens combattants d'Algérie. Là aussi, nous pourrons sans doute facilement nous entendre.
En ce qui concerne la fiscalité, comme M. le ministre de l'économie l'a précisé, nous avons limité les inflexions fiscales en ce qui concerne les entreprises et les particuliers dans le sens d'une plus grande équité, de façon que l'impôt soit payé d'abord et avant tout en fonction du montant des revenus et non pas seulement en fonction d'héritages du passé et, parfois, de l'habileté de tel ou tel.
Le pacte républicain suppose, comme cela figure dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'équité fiscale. Un certain nombre de mesures qui vous sont proposées vont dans ce sens.
Je ne peux toutes vous les présenter aujourd'hui - nous aurons l'occasion d'y revenir - mais j'en détaillerai une : il s'agit de la souscription des parts de copropriété de navires.
Cette mesure était a priori intéressante. Néanmoins, son coût, estimé à quelque 400 millions de francs, s'est finalement élevé à 2 milliards de francs. De plus, contrairement à ce qui était espéré, la construction navale et la marine marchande françaises n'ont pas bénéficié considérablement de cette disposition.
Par conséquent, nous cherchons en la matière une manière de dépenser mieux, tout en soutenant notre construction navale et notre marine marchande.
Il en va de même dans d'autres domaines : je pense, par exemple, à la déduction des investissements réalisés dans les départements et les territoires d'outre-mer.
Sur ce point, si le principe d'un investissement privilégié dans les DOM-TOM est bon, il faut cependant accroître le rendement en termes d'emplois. C'est pourquoi l'agrément prévu par la loi sera délivré véritablement en fonction de l'impact effectif sur l'emploi dans les DOM-TOM, impact qui sera contrôlé a posteriori.
De plus, quelques dispositions mineures ont été ajoutées pour éviter que certains contribuables ne profitent de cette loi pour s'exonérer, par exemple, de l'impôt de solidarité sur la fortune. Ainsi, l'Assemblée nationale a conservé le caractère entièrement déductible de l'investissement dans les DOM-TOM, mais a décidé que les déficits d'exploitation ne pourraient être imputés que sur des revenus de même nature.
M. Roland du Luart. Cela vide la disposition de sa substance !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Mais nous aurons l'occasion de reparler de tous ces points.
Il est important de constater que, après la première lecture du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, la part des ménages dans les 14 milliards de francs de recettes supplémentaires est passée de 5 milliards de francs, ce qui était déjà extrêmement modeste, à 2,5 milliards de francs, et ce grâce à des prélèvements supplémentaires limités sur les entreprises, la suppression de la déductibilité des provisions pour licenciements étant la mesure essentielle.
La non-augmentation des prélèvements sur les ménages français, en 1998, permettra à ces derniers de retrouver, après impôt, les hausses de revenus qu'ils avaient avant impôt. L'analyse budgétaire rejoint ainsi l'analyse économique. Je citerai deux chiffres pour bien montrer le contraste : en 1998, nous prévoyons - certains économistes prévoient même davantage - une hausse de revenu disponible des ménages, après inflation, de 2,3 %. Or, en 1996, après une formidable ponction fiscale sur les ménages, le pouvoir d'achat des familles françaises avait baissé de 1,6 %, et la langueur de la croissance y trouve facilement une explication.
Ce projet de budget vise également à améliorer la vie quotidienne de tous les Français et à permettre à tous les citoyens ou les résidents de notre pays, où que soit leur domicile - cela fait partie du modèle français et peut-être de l'exception française - d'avoir accès à une même qualité de services collectifs. Il y a là un point important de notre civilisation et il n'y a aucune raison de jeter le service public avec l'eau du bain de la mondialisation !
Pour illustrer ce point, je citerai le budget de la culture, qui est en hausse de 3,7 %, si on laisse l'audiovisuel de côté. S'élevant actuellement à 0,95 % du budget de l'Etat, il atteindra rapidement 1 %, comme la majorité s'y est engagée. Il est important de constater que l'effort de restauration du patrimoine est repris, que la démocratisation de l'accès à la culture est renouvelée : l'éducation artistique va être renforcée et une action en vue de la diffusion de la politique culturelle sur l'ensemble du territoire est entreprise.
Le budget de la justice est également très important pour la vie quotidienne des Français : il est en progression de 4 % avec - c'est vrai, et il ne faut pas, à mon avis, le regretter - 762 créations d'emplois. Je dirai d'ailleurs à M. le rapporteur général que le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, auquel il a fait une allusion bienveillante, supprime, quant à lui, 550 emplois. Nous sommes donc dans une logique de redéploiement des effectifs de fonctionnaires et non dans une logique de progression de ces derniers.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Puissiez-vous être imités.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Les Français sont également attachés à la sécurité, et le budget du ministère de l'intérieur va connaître une croissance de 3,6 %. Faut-il le regretter ? Personnellement, j'assume pleinement le fait que 8 250 agents de sécurité financés grâce à la nouvelle procédure des emplois-jeunes assurent la sécurité aux abords des écoles et rétablissent le droit dans les zones urbaines sensibles. Ce sont, à mon sens, de bonnes décisions, que vous aurez à coeur, j'en suis sûr, de voter lorsque le projet de budget correspondant viendra en discussion devant vous.
Le projet de budget de la défense suit, c'est vrai, les injonctions de M. le rapporteur général, puisqu'il diminue de 2,1 % par rapport à 1997. Toutefois, cette réduction ne remet pas en cause le processus de professionnalisation des armées, qui se poursuit, la création d'effectifs militaires expliquant le chiffre de 6 500 que vous avez cité, monsieur le rapporteur général.
Les moyens de fonctionnement baissent de 1,3 milliard de francs, ce qui est conforme à la réduction du format des armées. Quant à la dotation en crédits d'équipement - nous aurons l'occasion de revenir sur ce point - elle est cohérente avec la poursuite de la réalisation des objectifs stratégiques de la loi de programmation, qu'il s'agisse de la modernisation de nos forces ou de nos capacités opérationnelles.
J'aborderai un dernier point : le projet de budget des collectivités locales, auquel M. le président de la commission des finances a bien voulu faire allusion en disant qu'il ne comportait pas de turpitudes, ce que j'ai pris comme un compliment.
C'est un point important. M. le Premier ministre a effectivement décidé de ne pas majorer, en 1998, les cotisations des collectivités locales à la CNRACL, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales.
Cela dit, le problème de la CNRACL est posé : l'évolution démographique pèse sur cette caisse, et je ne peux évidemment, par fonction et par conviction personnelle, que m'associer à l'appel lancé par M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie à votre Haute Assemblée, en particulier à la commission des finances, pour que nous trouvions ensemble des solutions.
Monsieur Poncelet, vous m'avez interrogé sur la suite donnée au pacte de stabilité. M. le Premier ministre a eu l'occasion de dire, lors du congrès de l'Association des maires de France, que nous chercherions ensemble, par la méthode du dialogue et non par celle de la décision unilatérale, qui avait été employée en 1995, à nouer une convention conciliant les objectifs de l'Etat et ceux des collectivités locales en la matière.
J'ajouterai que l'Assemblée nationale, à la demande de sa majorité - certaines dispositions ont d'ailleurs été adoptées à l'unanimité - a pris trois mesures importantes pour les collectivités locales.
Premièrement, le Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée, le FCTVA, est maintenant accessible immédiatement aux groupements de communes, alors que, jusqu'à présent, seules les communes pouvaient en bénéficier, et ce, avec un retard de deux ans. Il s'agit là d'une disposition coûteuse pour l'Etat, mais la dépense a été inscrite dans le projet de budget.
Deuxièmement, les bases d'imposition sur les propriétés bâties, qui auraient dû rester stables, si l'on avait prolongé la référence, traditionnelle depuis 1981, à l'indice de la construction, progresseront - le Gouvernement, après mûre réflexion, a accepté cette augmentation - de 1,1 %.
Troisièmement, afin de favoriser les zones de revitalisation rurale, revitalisation à laquelle le Gouvernement, comme beaucoup d'entre vous, est attaché, il est prévu, dans le prolongement de la loi d'orientation sur le développement et l'aménagement du territoire, que, désormais, les sociétés voulant reprendre des entreprises en difficulté ou décentraliser des établissements industriels, bénéficieront pendant cinq ans d'une exonération de la taxe professionnelle.
J'ajoute - c'est, je crois, une disposition novatrice - que, lorsque des artisans employant des salariés créeront de nouvelles activités dans ces zones de revitalisation rurale, ils bénéficieront, eux aussi, de l'exonération de taxe professionnelle pendant cinq ans, l'Etat prenant à sa charge la différence.
En conclusion, sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que le projet de budget soumis à votre examen - j'espère d'ailleurs que vous voudrez bien l'approuver - constitue une première étape pour vivifier la croissance, pour renforcer l'emploi et la justice sociale dans notre pays, tout en assurant pleinement nos engagements européens, auxquels nombre d'entre vous sont très fortement attachés.
Ce projet de budget vise à accompagner la reprise de l'activité économique et à redonner confiance à tous ceux qui, dans notre pays, consomment, investissent, embauchent et créent des richesses. Dans cette perspective, il maîtrise les dépenses et stabilise les prélèvements obligatoires.
L'Etat va donc retrouver donc peu à peu des marges d'action pour redonner espoir à la jeunesse et pour détromper tous les sceptiques qui ne voient dans le chômage et l'accroissement des inégalités qu'une fatalité à subir. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 104 minutes ;
Groupe socialiste : 85 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 69 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 55 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 26 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 14 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon propos portera sur les conditions dans lesquelles le Gouvernement présente le projet de budget pour 1998, sur les orientations de celui-ci, sur les modifications apportées par l'Assemblée nationale, sur les propositions du groupe communiste républicain et citoyen et sur celles de la majorité de la commission des finances.
Le 2 mai prochain, nous connaîtrons le nom des pays qui entreront dans l'euro. La Grande-Bretagne a renoncé. L'Allemagne est à la recherche de 58 milliards de recettes supplémentaires. Mais on peut d'ores et déjà affirmer que la France sera présente. Telle est la volonté du gouvernement français.
Les choix budgétaires du Gouvernement expriment cette volonté. Le déficit, en pourcentage par rapport au produit intérieur brut, se montait à 4,1 %, en 1996, et à 3,1 % en 1997. Il sera de 3 % en 1998. Un premier objectif est atteint.
Mais les chiffres sont là : cette diminution est obtenue par une modération des dépenses de l'Etat décrétée artificiellement. Il s'agit bien, en effet, d'une décision très artificielle. Rien ne justifie la diminution des dépenses de onze budgets civils, ni une diminution des besoins, ni une croissance à 3,1 %, ni une baisse de l'inflation.
C'est une véritable loi d'airain du déficit à réduire qui est le moteur de ce budget. Cette course effrénée à la réduction des dépenses se révèle malthusienne, inefficace et perverse pour le niveau de vie des Français.
Les grands équilibres du budget sont fixés par une limitation globale d'augmentation des dépenses de 1,4 %, soit le taux d'inflation envisagé.
De plus, le projet de loi de finances entérine un arrêt du processus engagé de baisse de l'impôt sur le revenu et revalorise de 1,1 % le barème. Ce sont l'impôt sur le revenu et l'ensemble des seuils indexés sur le barème qui sont concernés. Ce sont des mesures contestables pour la plupart. Mais le budget comprend, en revanche, des propositions nouvelles exprimant un début de modification du traitement fiscal, de l'épargne et des revenus du travail.
Nous sommes donc encore assez loin de ce qui est nécessaire en matière de justice fiscale et sociale. L'absence de mesures plus audacieuses par extension de l'assiette des prélèvements prive le budget de ressources nouvelles.
Un problème majeur se pose alors. En quinze ans, la part des salaires dans les richesses est tombée de 68 % à 62 % ; celle des profits a progressé de 25 % à 31 % ; celle du chômage de 7,3 % à 12,5 %.
Le budget de 1998, faible par les ressources nouvelles, n'aura d'influence sur la stabilisation du chômage qu'à la fin de l'année 1998. La contribution sociale généralisée rapportera, en 1998, de 300 milliards de francs à 350 milliards de francs, c'est-à-dire autant, sinon plus, que l'impôt progressif. Or, avec la contribution sociale généralisée, ce sont les salariés et les retraités qui sont touchés et mis à contribution. Dans le même temps, encore trop de revenus financiers sont exonérés. Du fait de cette insuffisance des ressources, les collectivités locales se retrouvent, une fois de plus, cette année, dans le cadre étroit du pacte de stabilité.
La dotation globale de fonctionnement forfaitaire n'augmente que de 0,55 % et l'enveloppe du pacte de stabilité de 1,36 % ; la dotation de compensation de taxe professionnelle sert, une fois de plus, de variable pour ajustements avec une baisse globale de 4,85 % de son montant en francs constants.
A l'Assemblée nationale, les députés du groupe communiste et apparenté ont présenté de nombreuses propositions pour infléchir certains choix et décider d'autres mesures financières complémentaires ou modificatives.
Elles portaient notamment sur une réforme démocratique de la fiscalité, la création de tranches supplémentaires sur les plus hauts revenus, la remise en cause de la mise sous condition de ressources des allocations familiales dans la loi de financement de la sécurité sociale. La TVA pourrait être réduite sur les abonnements EDF-GDF et sur un minimum de consommation d'énergie par foyer.
La fiscalité peut être un levier pour l'emploi. Nous sommes partisans des aides aux petites et moyennes entreprises, dont les ressources pourraient être relevées par l'augmentation des plafonds des CODEVI.
L'injustice de la taxe d'habitation doit être réduite et le mode de calcul sur le foncier bâti revu pour les revenus les plus modestes.
Pour réduire de façon non pas formelle mais efficace l'endettement de l'Etat, ne serait-il pas possible d'instaurer un emprunt obligatoire à faible taux par mise à contribution des banques, des compagnies d'assurances et des hauts revenus que fait prospérer l'endettement de l'Etat ?
Une réforme du crédit est vitale pour une relance de l'investissement civil qui ne dépassera pas 70 milliards de francs. Sans investissement, aucune production nouvelle ou accrue, aucun plan de relance de notre économie ne sont possibles.
De même, dégager des moyens nouveaux pour la santé et les hôpitaux, accorder les allocations familiales dès le premier enfant ne suppose-t-il pas que l'on instaure des cotisations sur les revenus financiers, notamment ceux des entreprises, et que l'on taxe les laboratoires pharmaceutiques, qui réalisent des profits exorbitants ?
Voilà, monsieur le ministre, ce que proposaient mes amis à l'Assemblée nationale. Vous n'avez pas répondu.
Ces modifications au projet de budget initial restent toujours à faire. Vous avez d'ailleurs reconnu que celles qui ont été apportées à l'Assemblée nationale ont été mineures et ne portaient que sur cinq milliards de francs au plus. Vous reconnaissez, en outre, que le projet de loi de finances repose sur une hypothèse de croissance économique dont la réalisation était par nature aléatoire.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Eh oui !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il est vrai que, sans volonté politique affirmée, il est difficile de faire naître une croissance nouvelle.
Vous avez précisé, monsieur le ministre, que « la prévision de croissance établie pour 1997 se confirmait aujourd'hui et laissait présager que l'objectif de 3 % de croissance serait tenu pour 1998 ». Vous avez même indiqué que « cet objectif était inférieur au chiffre de 3,1 % de croissance envisagé par la Commission européenne ». Autrement dit, la France atteindra l'objectif du déficit maîtrisé, mais ne pourra pas atteindre l'objectif de croissance proposé.
Il s'agit d'un problème politique majeur : soit la réduction des dépenses maintient la France dans la médiocrité - ce sont les propositions que vous faites, messieurs Lambert et Poncelet - soit cette réduction des dépenses de fait est le terreau sur lequel peut se développer une politique de croissance nouvelle et de développement économique.
J'insisterai sur cette seconde partie de l'alternative.
Comment, avec des dépenses à volume constant, peut-on avoir comme objectif une nouvelle réduction des déficits ?
La gestion active de la dette a des limites. En 1989, l'écart entre le coût moyen de la dette et le taux de croissance était nul. L'effet boule de neige des charges de la dette était coûteux. Mais, en 1996, cet écart atteint 4,5 %. Il faut donc que la croissance en volume progresse d'au moins 4 % pour réduire la différence. Les effets de la dette ne sont négociables, de l'avis des experts, qu'à un niveau de 85 %. Le Gouvernement le dit, et là, bien entendu, il a tout à fait raison. C'est la progression de la croissance qui stabilisera le stock de la dette, contiendra l'effet boule de neige de la charge d'intérêts et mobilisera les ressources fiscales pour financer le budget pour 1998 en maintenant à l'identique le taux des prélèvements obligatoires.
Comment fabriquer cette croissance qui ne peut pas être espérée de façon providentielle ?
La réduction des déficits avec un minimum de relance ne produira pas une croissance nouvelle. Il faut bien voir également que la croissance n'a plus un rendement aussi fort en recettes fiscales.
Le pari sur l'exportation produit une croissance affaiblie en rendement, car cette dernière ne génère pas de TVA ; la stagnation des revenus des salariés actifs ne permet plus de progression des recettes fiscales ; la consommation, ralentie, porte prioritairement sur des produits de première nécessité, donc, comme chacun sait, moins taxés ; la politique menée ces dernières années visait surtout à réduire les produits financiers et à accorder des privilèges fiscaux renouvelés.
Comment, dans un tel environnement, la croissance pourrait-elle naître sous forme de génération spontanée ?
Nous pensons que la France a aussi besoin d'un grand projet national de mobilisation de ses ressources pour le développement économique et la production de la richesse. D'ailleurs, dans son histoire, elle a démontré que c'était toujours autour d'une politique audacieuse de renaissance ou de développement fondée sur les atouts et les richesses du pays que l'on pouvait non pas attendre, mais fabriquer de la croissance.
Nous déposerons donc un certain nombre d'amendements pour favoriser cette marche du pays vers la croissance, notamment par des mesures favorables au pouvoir d'achat et à la consommation, à l'emploi, au logement, aux collectivités territoriales et à l'allégement de la pression fiscale. Nos amendements se répartiront en cinq catégories.
Un premier groupe portera sur la suppression de certains plafonnements concernant les veuves et les retraités, sur la fiscalisation des allocations maternité, sur la suppression des abattements forfaitaires accordés à certaines professions, ainsi que sur la déclaration commune d'union de fait, sur laquelle nous reviendrons.
Un deuxième groupe portera sur des recettes nouvelles, à savoir la taxation des mouvements de capitaux, l'amortissement des investissements immobiliers privés, la majoration de l'impôt sur les sociétés, la remise en cause de l'avoir fiscal et la non-restitution de celui-ci, et enfin l'extension de l'assiette pour le calcul de l'impôt sur la fortune et la suppression de l'allégement pour personnes à charge.
Un troisième groupe visera à proposer des abaissements de taux de TVA et le relèvement du plafond des CODEVI, les comptes pour le développement industriel.
Un quatrième groupe portera sur les finances locales et tendra à relever le plancher de la taxe professionnelle et le plafonnement de la taxe professionnelle à la valeur ajoutée, à augmenter la dotation globale de fonctionnement, à modifier le taux de remboursement du fonds de compensation de la TVA.
Un dernier amendement, de caractère très politique, visera à réduire la contribution française au budget de l'Union européenne.
Je me permettrai d'insister sur ce dernier amendement. Actuellement, la France, dans la répartition des charges européennes, donne plus qu'elle ne reçoit. C'est déjà beaucoup, certains disent beaucoup trop. Mais l'élargissement de l'Union entraînera des charges nouvelles. A combien se monteront-elles pour notre budget : 30 milliards de francs, 40 milliards de francs, 50 milliards de francs ? Peut-être 60 milliards de francs, annoncent certains !
Quelles seront, en la matière, les nouvelles attributions du conseil de l'euro qui est en voie de création ? Est-ce lui qui décidera ou avalisera-t-il les exigences financières de la banque centrale ?
La question est politique, mais aussi budgétaire, et même économique. N'envisage-t-on pas, actuellement, des réductions de 30 % du prix de la viande bovine ?
Confirmez-vous que la France devrait, de plus, rembourser environ 500 millions de francs payés aux agriculteurs et que Bruxelles trouverait injustifiés ?
Si nos amendements étaient retenus, un pas nouveau serait fait en direction d'une croissance nouvelle qui, pour commencer à être efficace, devrait atteindre les 4 %.
Notre groupe se situe dans une gauche plurielle, qui cherche une politique nouvelle. Il est lui-même un groupe pluriel. Nos analyses et nos propositions sont donc forcément nuancées, voire différentes, mais elles sont toujours fondées sur un objectif unique d'importance majeure : une politique de progrès s'appuyant sur un budget novateur et ambitieux.
A ce propos, je veux donner notre avis sur les propositions faites par vous, messieurs Lambert et Poncelet, et par la majorité de droite de la commission des finances.
Vous allez présenter un contre-budget. Celui-ci comporte, en fait, un seul terme au niveau de l'objectif et une méthode simpliste !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Simple ! Pas « simpliste »...
Mme Marie-Claude Beaudeau. ... et inefficace au niveau de la construction budgétaire.
Vous l'écrivez, votre politique se résume simplement : dépenser moins pour prélever moins ; donner à la France et aux Français l'ambition, l'envie d'entreprendre et de partir à la conquête du monde ;...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Bonne idée !
Mme Marie-Claude Beaudeau. ... ouvrir le chemin qui concilie performance et cohésion, efficacité économique et harmonie sociale en France et en Europe.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Parfait !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le rapporteur général, avec tout le respect que je vous dois, je suis obligée de rappeler que vous osez écrire que ce serait le devoir et l'honneur du Sénat d'incarner une telle politique, car ce serait celle de la responsabilité et du progrès.
M. Alain Lambert, rapporteur général. En effet !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous vous trompez, et vous le savez.
Il ne faut pas que votre contre-budget puisse faire illusion.
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau. La politique que vous proposez est celle du renoncement et du recul pour la France. Le rapport que vous avez présenté est bien, en effet, celui du renoncement.
Je me suis efforcée de démontrer que la croissance, contrôlée et mise au service du pays et des Français, était notre chance.
A la page 33 du tome I du rapport général, vous affirmez, au contraire, que la progression éventuelle de la croissance française remet en cause l'insertion de l'économie française dans son environnement international.
Vous écrivez : « C'est évidemment préoccupant, d'autant plus que le Gouvernement devrait avoir pleine conscience de l'inopportunité d'une gestion économique et sociale isolée de celle des partenaires, c'est-à-dire non coordonnée avec eux. »
A la page précédente de ce même rapport, pour étayer votre raisonnement, vous partez d'un tableau dans lequel l'évolution du produit intérieur brut des pays industrialisés démontrerait que notre pays connaîtrait une activité plus soutenue que les autres.
M. Alain Lambert, rapporteur général. C'est ce qu'il faut souhaiter !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je me demande si vous le souhaitez !
Cette évolution de plus de 3 % est supérieure à celle de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de l'Italie, de la Belgique, des USA, du Canada ou du Japon.
Vous semblez le regretter. N'est-ce pas du renoncement ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Non !
Mme Marie-Claude Beaudeau. J'estime, nous estimons, notre groupe estime - et, je pense, la gauche tout entière ainsi, je le sais, que d'autres collègues sur d'autres travées - que si cette prévision de croissance se réalisait, ce serait un bon point pour la France et le niveau de vie des Français.
Votre diminution systématique des prévisions budgétaires ne serait pas seulement une politique de renoncement, voulant moins de croissance et de progrès. Ce serait aussi une politique de recul pour le pays.
Onze budgets civils dans ce projet de loi de finances sont déjà en baisse. Avec votre réduction systématique de dépenses, combien d'autres voulez-vous voir diminuer ?
Vous finiriez par faire plonger l'ensemble du budget dans le recul. Nous avons déjà, avec ces onze budgets en diminution, une situation inédite. M. le ministre de l'économie et des finances le reconnaît.
Depuis cinquante ans, nous n'avions pas connu une telle situation. Mais la commission des finances souhaite aller plus loin encore. Renoncer à un projet de croissance, de produit intérieur brut plus important, c'est en fait - je vous renvoie ici au dictionnaire, messieurs de la majorité - un abandon, une démission.
Votre projet de réduction du budget est l'antithèse de l'ambition pour la France. Nous ne vous suivrons pas et, sans attendre, nous affirmons que nous voterons contre votre contre-budget parce qu'il ne sert pas les intérêts de notre pays, parce qu'il ne sert pas son avenir. A moins que la sagesse ne vienne, mais nous en doutons ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. de Rohan. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voilà un budget authentiquement socialiste, garanti d'origine...
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est gentil !
M. Josselin de Rohan. ... dans sa conseption, dans son élaboration et, bien entendu, demain, dans son application.
Le projet de loi de finances soumis à notre examen n'est pas le reflet du socialisme rampant, du socialisme « dégriffé » des années quatre-vingt-dix, mais bien un retour du socialisme à la française le plus authentique.
Grâce à lui, nous constituerons une exception que l'Europe ne nous enviera pas.
Nous retrouvons dans ce budget les caractéristiques traditionnelles des budgets de la gauche, plurielle ou singulère : accroissement de la dépense publique, aggravation des prélèvements obligatoires et accentuation du tout-Etat.
M. Marc Massion. Vous ne l'avez pas lu !
M. Josselin de Rohan. Nous sommes reconnaissants à M. le président de la commission des finances et à M. le rapporteur général d'avoir su, dans leurs très remarquables analyses orales et écrites du projet de loi de finances, démonter ou mettre en lumière les artifices, les tours de passe-passe et les mécanismes sur lesquels repose le budget ainsi que les dangers auxquels il nous expose.
Ils ont notamment montré combien aléatoires étaient les prévisions de croissance sur lesquelles est fondée la loi de finances et combien elles risquaient, en dépit des affirmations de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - j'espère n'avoir oublié aucun qualificatif - d'être contredites par les turbulences financières de ces dernières semaines et par les variations du cours du dollar.
Ils ont décrit les dispositions contestables utilisées par le Gouvernement pour équilibrer ce budget, telle l'imputation de 20 milliards de francs aux dotations en capital destinées aux entreprises publiques non privatisables sur le compte d'affectation spéciale du produit des entreprises privatisables, telle la débudgétisation que constitue la prise en charge de l'entretien du réseau routier national par le FITTVN, le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables.
Ils ont dénoncé, à juste titre, le montage en trompe-l'oeil que représente l'affichage d'une croissance de la dépense publique de 1,36 % obtenue grâce à une diminution massive de crédits de la défense qui affectera durement la capacité opérationnelle de nos armées, réduira sévèrement l'emploi dans nos industries de l'armement et videra de sa substance la loi de programmation militaire.
M. Serge Vinçon. Ô combien !
M. Josselin de Rohan. M. le président de la commission des finances, qui est un homme dont je salue l'indulgence, n'a pas voulu parler de « turpitude » à propos de la CNRACL, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.
M. Paul Loridant. Nous n'avons pas de leçon à recevoir dans ce domaine !
M. Josselin de Rohan. Il est vrai qu'il n'y a pas, pour l'instant, d'augmentation de la cotisation !
Je ne veux pas croire que celle-ci soit différée seulement pour des raisons bassement électorales. J'ai cependant le sentiment, compte tenu de l'équilibre prévisible de cette caisse, que nous reculons pour mieux sauter.
M. Marc Massion. Vous en avez usé et abusé !
M. Josselin de Rohan. Je crains malheureusement que l'augmentation ne soit différée.
M. Jacques Oudin. C'est un risque !
M. Josselin de Rohan. Mais quoi que puissent dire ou écrire les analystes et les observateurs les plus avertis des questions financières, rien ne vient ébranler les certitudes de nos gouvernants.
J'ai la faiblesse de penser que ses années sabbatiques n'ont pas appris grand-chose à la majorité plurielle. Elle revient aux affaires avec la même vision passéiste du développement économique que jadis, avec la même constance dans l'erreur.
Revêtons-nous de nos préjugés, disait Jean Cocteau, ils nous tiennent chaud.
Pourtant, les mêmes causes ayant les mêmes effets, ce budget est lourd de conséquences pour l'avenir, par ce qu'il présage autant que par ce qu'il engage.
Cette fois-ci, la dépense publique n'est pas réhabilitée, elle est magnifiée.
Sans attendre la loi de finances, deux entreprises publiques, la SNCF et La Poste ont été « incitées » à accroître leurs recrutements sans aucune considération pour les engagements contractés en vue de rationaliser une gestion qui coûte très cher aux contribuables.
M. Serge Vinçon. Cent cinquante milliards de francs !
M. Josselin de Rohan. Grâce au zèle ardent de son très médiatique cornac, le « mammouth » a gonflé les effectifs de l'éducation nationale de 40 000 unités.
Les efforts de redéploiement et de meilleure organisation des agents de la fonction publique esquissés par le gouvernement Juppé sont réduits à néant.
Pourtant, 27 % des emplois en France ressortissent au secteur public, contre 16 % chez nos partenaires de l'Union européenne. Si nous arrivions simplement à la moyenne européenne, nous réaliserions une économie de 400 milliards de francs, représentant 25 % du budget.
Comme l'écrit dans sa note au Gouvernement l'inspecteur général des finances Jean Choussat : « Il est vain d'imaginer que l'on parviendra à améliorer la compétitivité de notre économie, à relancer la croissance, à résorber les déficits, tant que l'on continuera à ignorer superbement les enjeux qui s'attachent à la principale entreprise du pays ? »
La réponse nous est apportée par la loi de finances : en 1998, les dépenses de fonctionnement croîtront de 3,15 %, soit deux fois plus vite que le taux d'inflation. L'Etat ne diminue pas son train de vie.
La conséquence de l'augmentation de la dépense publique, c'est une hausse des prélèvements obligatoires.
Cette hausse ne saurait être justifiée par le manque de rentrées fiscales prévues pour l'exercice 1997 puisque le rendement des impôts est bien supérieur à ce qui était attendu, du fait d'une reprise de la croissance.
Rapporté au PIB, les prélèvements seront supérieurs à 45,9 %, taux qui nous range parmi les pays où les prélèvements sont les plus lourds. Pour en prendre la mesure réelle, monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, il faut prendre en compte les majorations intervenues en 1997 au titre non seulement des mesures d'urgence d'ordre financier, mais également le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, qui représente 4,5 milliards de francs qui s'ajoutent aux 24 milliards de francs prévus par les MUFF.
Il est, enfin, audacieux de laisser présager une baisse de la fiscalité locale sachant que les transferts de l'Etat vers les collectivités locales croîtront de 1 % et que ces dernières devront assurer 20 % du financement des emplois-jeunes.
Plutôt que de réduire le déficit des finances publiques en réduisant la dépense, le Gouvernement choisit de maintenir ou d'augmenter ces dernières et de recourir, une fois encore, à l'impôt, au risque de provoquer, un jour, la révolte des contribuables.
Toute révérence gardée, M. Strauss-Kahn, dans l'exercice auquel il se livre à propos du budget, nous fait penser, comme le rappelait complaisamment un journaliste, au clown Albert Grock.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Me permettez-nous de vous interrompre, monsieur le sénateur ?
M. le président. Monsieur de Rohan, autorisez-vous M. le ministre à vous interrompre ?
M. Josselin de Rohan. Quand j'aurai terminé mon propos, M. le ministre pourra dire tout ce qu'il a à dire.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous êtes donc deux fois grossier, monsieur le sénateur !
Mme Hélène Luc. Cela ne se fait pas !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Quoi qu'il en soit, Grock était un très grand artiste.
Dans un numéro célèbre, il s'efforçait, en vain, en dépit de gants d'une longueur immense, d'atteindre, à partir de son tabouret, un piano à queue dont il était séparé par une très grande distance.
M. Marc Massion. C'est passionnant !
M. Josselin de Rohan. Au lieu de rapprocher le tabouret du piano, il entreprenait à grand-peine et avec force mimiques, de rapprocher le piano du tabouret, à la grande joie du public.
C'est l'exercice auquel vous vous livrez, monsieur le ministre, en refusant de diminuer la dépense publique et en augmentant les impôts.
La fiscalité frappera trois cibles privilégiées : les grandes sociétés, la famille et l'épargne.
En accroissant de 24 milliards de francs la fiscalité sur les entreprises, le Gouvernement va à l'encontre de ce qui se fait dans les pays voisins, notamment en Grande-Bretagne ou en Allemagne, qui envisagent d'alléger l'impôt sur les sociétés.
De nouveau, nos entreprises figureront, en Europe, dans le quart le plus imposé.
Leur compétitivité en sera affectée, surtout si, de surcroît, elles doivent supporter les conséquences d'une diminution du temps de travail.
Leurs investissements seront sans doute réduits, alors que tout le monde s'accorde à reconnaître la faiblesse du niveau des investissements en France.
M. Marc Massion. Ça repart !
M. Josselin de Rohan. C'est, une fois encore, l'emploi qui fera les frais de cette décision car, selon une formule célèbre, les investissements d'aujourd'hui sont les emplois de demain.
La faiblesse des fonds propres de nos entreprises, jointe à une rentabilité nettement inférieure à celle de leurs concurrents étrangers, en fait des proies faciles pour des groupes étrangers.
Enfin, les surcoûts auxquels elles sont astreintes conduiront à de nouvelles délocalisations et à de nouveaux exodes à l'étranger de jeunes entrepreneurs ou de jeunes cadres, dont notre pays a cependant un cruel besoin.
M. Philippe Marini. Comme le dit M. Attali !
M. Josselin de Rohan. Le Gouvernement atteint, en second lieu, les familles.
La loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale conjuguent des dispositions qui frapperont la classe moyenne. On peut la baptiser « classe moyenne supérieure », c'est tout de même la classe moyenne.
Cette catégorie de la population sera touchée par la suppression de la demi-part du quotient familial accordée aux personnes seules ayant élevé leurs enfants. Un million de Français devraient être affectés par cette décision, comme ils le seront par l'abandon des réductions d'impôts décidées par le gouvernement précédent.
Nous avons eu récemment l'occasion de discuter longuement des conséquences pour les familles de la division par deux de l'AGED et du versement des allocations familiales sous condition de ressources, qui pénalisent respectivement 65 000 et 450 000 familles.
Nous avons dénoncé ces atteintes au principe de l'égalité et de l'universalité de la sécurité sociale.
Les deux mesures entraîneront des difficultés sérieuses pour les ménages désireux d'accéder à la propriété et qui, pour obtenir un prêt bancaire, ont fait figurer ces ressources dans leur plan de financement.
Elles conduiront des mères de famille à renoncer à leur travail faute de pouvoir rémunérer une garde.
Elles pourraient aussi conduire des personnes ayant à charge un conjoint handicapé nécessitant une aide soignante à domicile à faire hospitaliser le malade où elles seraient dans l'impossibilité de payer la garde.
Où est l'économie pour les finances publiques ?
Votre dernière cible, c'est l'épargne. En 1998, l'épargne sera taxée de 20 milliards de francs supplémentaires.
La pénalisation de l'assurance vie et les prélèvements arrêtés par la loi de financement de la sécurité sociale répondent à des préoccupations moins économiques qu'idéologiques : il faut alléger la pression sur le travail en augmentant celle qui pèse sur le capital.
En outre, l'idée selon laquelle, en taxant l'épargne, on incitera nos compatriotes à consommer davantage est un leurre, ainsi qu'en témoigne l'évolution de l'ARS, l'allocation de rentrée scolaire.
L'épargne des Français est trop largement encore une épargne de précaution, une assurance contre la précarité de l'emploi ou contre les perturbations économiques et sociales.
En imposant à l'excès l'épargne, le Gouvernement s'expose à trois risques : la délocalisation, la mobilisation des épargnants et la chute de l'investissement.
Dans une Europe sans barrières, la délocalisation de l'épargne n'est qu'une formalité.
Il n'y a pas de croissance sans investissement, ni d'investissement sans épargne. Comme le notait fort judicieusement M. Izraelewicz dans un remarquable article paru dans Le Monde : « L'épargne exige un effort, un renoncement. Sa diabolisation comme l'instabilité fiscale risquent à terme d'assécher cette source de la croissance... et de favoriser aussi le passage sous capitaux étrangers de nombre d'entreprises françaises. »
M. Philippe Marini. Très juste !
M. Josselin de Rohan. Le « tout Etat » est, enfin, l'une des caractéristiques saillantes de cette loi de finances. A l'ère de l'économie mondiale et de l'euro, dans un univers où la circulation des biens et des capitaux ne rencontre plus guère de barrières, la France continue à privilégier l'étatisme.
Le ralentissement ou l'arrêt des privatisations ne permettra pas à nos entreprises publiques appartenant aux secteurs concurrentiels de bénéficier des capitaux ou des partenariats nécessaires pour conserver ou conquérir des parts de marché. La gestion de ces entreprises demeurera, hélas ! encore trop soumise à des considérations politiques et non aux impératifs de leur développement.
Quels investisseurs étrangers accepteront d'être, même indirectement, les partenaires de l'Etat français quand il s'agira de s'allier à une entreprise publique ?
Pouvons-nous durablement continuer à être les seuls en Europe à conserver un transport aérien public, une entreprise de télécommunications publique, une industrie aéronautique au sein desquels l'Etat conserverait une part majeure du capital ?
Pendant que le Gouvernement freine ou tergiverses un peu partout des alliances se nouent au-dessus des frontières, des conglomérats se constituent qui, parce qu'ils seront plus puissants et plus riches que nos entreprises nationales, priveront ces dernières de leurs débouchés et les marginaliseront.
C'est, une fois de plus, l'emploi qui sera victime de l'idéologie.
La logique à laquelle obéit la politique économique de la gauche plurielle nous semble bien singulière.
Elle entend privilégier l'emploi, mais elle fait peser de lourdes contraintes sur les entreprises du secteur marchand en accroissant les prélèvement obligatoires et en leur imposant une réduction de la durée du travail, ce qui accroîtra leurs coûts et affectera leur compétitivité, au risque, bien sûr, de les amener à freiner les embauches.
Bien pis, elle affecte au financement d'emplois publics des sommes destinées à compenser les charges d'entreprises qui appartiennent à des secteurs exposés à une concurrence étrangère anormale.
Au lieu d'abaisser les charges pesant sur les employeurs de main-d'oeuvre non qualifiée, ce qui permettrait la création d'emplois, l'Etat s'apprête à consacrer 35 milliards de francs au financement d'emplois qui sont pudiquement qualifiés d'émergents et d'utilité sociale, mais qui sont des emplois publics à peine masqués.
Un gouvernement de gauche se devrait de militer pour plus d'égalité. Or, que constatons-nous ?
Chaque jour, l'écart se creuse davantage entre un secteur public rigide, protégé par ses statuts et ses avantages divers, et pesant lourdement sur les finances publiques, et un secteur marchand, exposé à la concurrence et toujours plus sollicité pour combler les déficits : d'un côté la sécurité, de l'autre la précarité ; d'un côté la dépense, de l'autre les charges.
On mesure mal l'amertume et les rancoeurs que suscite cette situation ainsi que les risques, à terme, pour la cohésion sociale. On ne mesure pas encore non plus les conséquences sur notre économie.
N'est-ce pas l'un des bons esprits de la gauche, conseiller du défunt président Mitterrand, qui décrit de manière saisissante l'émigration à l'étranger des jeunes informaticiens, des chefs d'entreprise et des innovateurs, parce qu'ils ne trouvent pas, dans notre pays, l'environnement ou le climat propice à leur épanouissement ?
A terme, la chape de plomb qui pèse sur notre pays aura les mêmes conséquences que la révocation de l'édit de Nantes, qui a fourni à la Prusse, la Hollande et l'Angleterre des élites dont la France a été cruellement privée par l'intolérance de son roi. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Enfin, on ne saurait proclamer son adhésion au renforcement de la construction européenne et à l'instauration de l'euro, et mener une politique qui soit, en fait, contraire à de tels objectifs.
La limitation du déficit budgétaire, critère de qualification pour l'euro, a été acquise au prix d'un relèvement sensible des prélèvements fiscaux. Elle ne saurait être indéfiniment reconduite.
Il n'y a pas, à terme, de salut possible sans diminution de la dépense publique. Tous les pays d'Europe l'ont entreprise, sauf la France.
Il n'y a pas de perpective de développement possible, tant pour les entreprises que pour les particuliers, sans une réforme de la fiscalité conduisant à son allégement et à sa simplification. Tous nos partenaires en sont convaincus, sauf nous. Nous passons peut-être pour une exception, mais, hélas ! pas pour un exemple. Singulière originalité que celle qui risque de nous exposer à la compassion plutôt qu'à l'admiration !
M. le rapporteur général du budget, M. le président de la commission des finances et les membres de la commission se sont livrés à un effort très méritoire pour montrer ce que devrait être un budget répondant aux impératifs réels de notre économie.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Merci !
M. Josselin de Rohan. Nous sommes sans illusions sur le sort réservé à cette construction, mais elle permet à tout le moins de montrer qu'une autre gestion des finances publiques est possible, à condition que prévale une autre conception de l'économie.
Cette conception est fondée sur la conviction que la voie de la croissance et de la prospérité passe par celle de la liberté.
Il faut cesser de décourager, de pénaliser et de contraindre tout ce qui, dans ce pays, innove, crée et produit. Il faut profiter des perspectives que nous offre la mondialisation de l'économie ou l'élargissement de l'Europe pour ouvrir à nos entreprises de nouveaux marchés. Pour ce faire, le rôle de l'Etat est bien moins d'aider nos entreprises que de créer autour d'elles un environnement favorable à leur expansion.
Il faut cesser de consacrer des sommes considérables aux aides à l'emploi, qui, contrairement aux déclarations publiques, continuent de s'empiler les unes sur les autres sans résultats probants. Il faut, au contraire, consacrer la plus grande partie de ces crédits à l'allégement des charges sociales. Il faut, enfin, que l'Etat cesse de prélever, pour le financement de ses dépenses, des capitaux dont nos entreprises ont un besoin essentiel pour investir.
C'est assez dire combien nous sommes éloignés de la vision du Gouvernement et peu enclins à émettre un jugement favorable sur sa politique.
M. Marc Massion. On l'avait compris !
M. Josselin de Rohan. « Au-delà des chiffres, c'est un état d'esprit qu'il faut changer. Retrouver un projet, redonner le sentiment que l'avenir du monde se joue ici, que la France dans vingt ans aura quelque chose de neuf à dire aux autres parce qu'elle aura su recevoir, accueillir et choyer ceux qui risquent. »
Qui s'exprime de la sorte ? Un ultralibéral, un suppôt du capitalisme et des puissances d'argent ? C'est M. Jacques Attali, dans un article auquel j'ai fait allusion et qui résume avec lucidité la conjoncture que nous affrontons et la direction dans laquelle il faut que nous nous engagions. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
C'est assez dire que nous ne trouvons, dans ce projet de budget, aucun motif d'espérer, aucun remède aux difficultés de notre économie, aucune réforme des structures périmées.
Nous voterons le budget rectifié issu de nos délibérations, comme nous repousserons tout projet qui ne prendrait pas en compte nos avertissements, nos préoccupations et nos suggestions.
Mais au-delà des péripéties du débat parlementaire, c'est au pays que nous nous adressons...
M. René Régnault. Vous vous êtes déjà adressés à lui, et il vous a répondu !
M. Josselin de Rohan. ... pour le mettre en garde contre les illusions entretenues par la démagogie, les séductions de la facilité et les tentations du reconcement. Si nous censurons la politique actuelle, c'est parce qu'elle nous paraît contraire à l'intérêt national, en ce qu'elle masque aux Français la réalité et qu'elle tourne le dos au futur ! (Protestations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
La vérité se fera un jour. Fasse pour la France qu'elle ne soit pas trop cruelle ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - Nouvelles protestations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Un sénateur sur les travées du RPR. La vérité, ça fait mal !
M. René Régnault. Quelle vérité ? La vôtre ?
M. le président. La parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, lors du récent débat sur le projet portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même vous avions exprimé notre vive inquiétude au vu des premières orientations budgétaires du Gouvernement.
Notre assemblée est à présent saisie du projet de budget pour 1998, dont la préparation a été accompagnée d'un audit des finances publiques et de nombreuses concertations. Malgré ces précautions, il faut reconnaître, malheureusement, que ce projet confirme nos craintes quant à la volonté réelle du nouveau pouvoir de continuer la courageuse action de ses prédécesseurs contre les principaux maux dont souffre notre pays depuis de trop longues années.
Or, en cette fin de vingtième siècle, la croissance constante des dépenses et de l'emploi publics n'est pas, ou n'est plus, un soutien efficace à la croissance et une solution au problème du chômage.
Cette progression constante des dépenses est une des causes majeures de l'augmentation des prélèvements obligatoires qui ont servi à les financer.
La pression fiscale, dans notre pays, a un effet négatif sur l'activité, sur le dynamisme des acteurs susceptibles d'investir et de créer des emplois : son augmentation va de pair avec l'augmentation dramatique du chômage.
Ce Gouvernement ne semble pas avoir réellement conscience de cette situation puisque sa politique tend, au contraire, à aggraver la taxation du capital productif.
Le projet de budget a, selon nous, trois défauts rédhibitoires.
D'abord, il se fonde sur des hypothèses économiques incertaines.
Ensuite, l'effort de maîtrise des dépenses publiques est insuffisant.
Enfin, du fait de ce laxisme budgétaire relatif, le Gouvernement est contraint d'accroître sensiblement les prélèvements sur les entreprises, les épargnants et les ménages, ce qui laisse prévoir des conséquences préjudiciables, à la fois sur l'investissement et pour la consommation intérieure.
En premier lieu, le projet de budget pour 1998 repose sur des prévisions de croissance aléatoires.
Certes, prévoir l'évolution de l'économie est devenu un art difficile pour tous les gouvernements depuis le début de la crise, dans les années 1973 et 1974. Depuis cette période, nous vivons une suite de récessions et de reprises économiques cycliques. Ces perturbations économiques sont de plus en plus rapprochées, compte tenu à la fois de l'ouverture des marchés, de la grande sensibilité de l'investissement, et donc de l'emploi par rapport à la demande extérieure, et, enfin, de la fluidité des capitaux au niveau mondial.
Ainsi, derrière l'optimisme affiché par leurs chiffres, les experts, y compris ceux du ministre des finances, reconnaissent que la reprise actuelle reste vulnérable. Ils redoutent, en particulier, un choc boursier plus important encore que celui que nous vivons à cause de la crise asiatique.
Ce nouveau krach pourrait avoir pour conséquence, notamment, une chute du dollar, dont la hausse, ne l'oublions pas, a stimulé nos exportations. Tabler dans le projet de budget sur un maintien du dollar à six francs au cours de l'année 1998 paraît donc, monsieur le secrétaire d'Etat, un pari audacieux. Il en est de même pour les taux d'intérêt, annoncés stables, quand il est possible qu'ils progressent, notamment sur le long terme.
Une chose est fort probable : selon l'OCDE, l'impact négatif de la crise en Asie du Sud-Est sur la croissance des vingt-neuf pays occidentaux pourrait être d'ores et déjà de 0,2 % cette année et en 1998. Le niveau de la demande extérieure en 1998 est donc incertain.
Plus grave encore, la demande intérieure, qui devrait, selon les instituts de conjoncture, assurer 90 % de la croissance en France, risque, de son côté, de pâtir des importantes ponctions que les responsables gouvernementaux envisagent, malheureusement, au détriment de certaines familles. Je pense aux 5 milliards de francs d'économies opérées sur les prestations familiales et également à un certain nombre de mesures fiscales contenues dans ce projet de budget. Quant aux retombées positives éventuelles de la conférence salariale, elles restent pour le moment problématiques.
Au-delà de ces incertitudes, le tort majeur de ce gouvernement est de consentir un effort insuffisant de maîtrise des dépenses publiques, malgré ce que vous nous avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat.
En dehors même de la contrainte européenne, le devoir de tout gouvernement devrait être d'accentuer l'effort de réduction du déficit public, réduction engagée dès 1993.
Il nous faut impérativement assainir et moderniser notre économie face aux mutations que connaît l'environnement international ; pour les marchés financiers, toute politique laxiste est interprétée comme un signe de faiblesse de l'économie.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est juste !
M. Xavier de Villepin. Une politique budgétaire rigoureuse est la condition sine qua non de la baisse des taux d'intérêt. Cette baisse est aujourd'hui essentielle pour notre économie dans la mesure où c'est un moyen de favoriser l'investissement privé et, en même temps, de réduire la charge de la dette.
Au-delà des tendances politiques des gouvernements des uns et des autres, l'ensemble des pays de l'Union sont d'accord pour mener une politique d'assainissement des finances publiques. Il en va ainsi de l'Allemagne,...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Contrairement à ce que l'on dit !
M. Xavier de Villepin. ... notre principal partenaire, de l'Espagne, dirigée par un premier ministre de centre droit, ou de l'Italie, dont le gouvernement de centre gauche est soutenu par le parti communiste.
M. Jacques Legendre. Voilà qui est intéressant !
M. Xavier de Villepin. Avec ou sans le traité de Maastricht, les pays de l'Union européenne auraient été contraints de mener une politique de rigueur ; l'endettement public était devenu trop insupportable : il était passé de 56,1 % du PIB à 73,2 % en 1996.
En second lieu, la réduction du déficit est effectivement nécessaire au respect des critères permettant la réalisation de la monnaie unique, qui est une vraie chance pour la France et pour l'Europe.
A ce sujet, je dirai que le Gouvernement entend respecter les engagements européens, mais, monsieur le secrétaire d'Etat, dans une version minimale. Ainsi, nonobstant le caractère aléatoire des prévisions économiques retenues, le budget devrait, sur le papier, respecter le critère des 3 % du PIB pour les déficits publics.
Cependant, l'effort de redressement des comptes devrait en rester là, alors que le montant du déficit budgétaire est nettement supérieur aux dépenses en capital et à la charge de la dette.
Ainsi, notre pays va continuer à financer des dépenses de fonctionnement par des recettes d'emprunt et le stock de la dette continuera à croître en 1998, en valeur absolue comme en proportion du PIB.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Et consacrer une partie de l'emprunt au financement de dépenses de fonctionnement est tout à fait contraire aux principes de bonne gestion !
M. Xavier de Villepin. La maîtrise des dépenses, dans ce budget, risque donc de se révéler insuffisante, alors que, contrairement aux souhaits de certains, le futur euro devrait constituer une monnaie forte, ainsi que le remarquaient récemment MM. Raymond Barre et Jacques Delors dans un éditorial commun.
C'est d'ailleurs la motivation du futur pacte de stabilité monétaire, dont le principe a été adopté par la France et qui sera imposé à tous les membres de la future Union économique et monétaire.
L'effort que notre pays n'accomplira pas en 1998. lui sera demandé, tôt ou tard, dans les années à venir.
M. Roland du Luart. Assurément !
M. Xavier de Villepin. Il n'en sera que plus douloureux.
Le retour aux vieux démons de la dépense publique était perceptible dès les premières décisions prises par le Gouvernement. Je pense à la réutilisation des 10 milliards de francs de crédits gelés en février 1997 par le précédent gouvernement et aux premières embauches dans le secteur public.
Dans le projet de loi de finances pour 1998, on note également un certain relâchement en matière de dépenses, notamment de dépenses de fonctionnement.
Selon le Gouvernement, les dépenses de l'Etat, dont la croissance est fixée à 1,36 % pour une inflation de 1,4 %, connaîtraient « la plus faible évolution depuis quinze ans ». Or, le taux de 1,36 % est déjà trois fois supérieur à la tendance effectivement enregistrée entre juillet 1996 et juillet 1997, période pendant laquelle on n'a pas dépassé 0,5 %.
Je rappelle que, sur ce plan, l'évolution n'était que de 0,8 % en 1987, sous le Gouvernement de M. Chirac.
Ce qui est plus inadmissible encore, c'est la progression des dépenses de fonctionnement de l'Etat : celles-ci augmentent en effet de 1,4 % en francs constants, contre 0,5 % seulement en 1996, sous le gouvernement de M. Juppé.
Quant aux dépenses d'investissement, créatrices d'emplois, elles sont sacrifiées, en particulier celles qui touchent à la défense nationale. Conséquence de ces arbitrages : la loi de programmation militaire ne sera pas respectée en 1998. Nous le déplorons très fortement et nous ne manquerons pas de le dire à l'occasion du débat sur le budget de la défense.
Non seulement aucune politique de réduction des dépenses courantes n'est envisagée, mais les bénéfices des efforts entrepris par les précédents gouvernements sont anéantis du fait, notamment, d'une reprise du recrutement dans la fonction publique.
Or, selon l'OCDE, les effectifs des administrations publiques en France représentent déjà 25 % environ de l'emploi total, contre 16 % en RFA et 14,5 % en Grande-Bretagne. Cette différence explique en grande partie l'écart qui existe entre notre pays et ses partenaires en matière de dépenses publiques !
De 1993 à 1997, les précédents gouvernements ont commencé, avec un courage certain, à réduire les effectifs de la fonction publique ; ainsi, 5 000 postes ont été supprimés en 1996, principalement grâce au non-remplacement des personnes partant à la retraite.
M. Roland du Luart. Très juste !
M. Xavier de Villepin. Voilà à présent que notre pays est en train de recourir de nouveau à cette vieille recette keynésienne consistant à créer des emplois en grande partie artificiels et rémunérés par la collectivité nationale.
C'est le cas des 350 000 emplois-jeunes qui doivent être créés sur cinq ans. Or, nous ne sommes plus, monsieur le secrétaire d'Etat, en 1932 ou 1933. Dans l'histoire récente de l'économie française, chaque fois que l'on a accru les effectifs des agents publics, ce fut au détriment du nombre des emplois productifs.
Comme le montre M. Jean Choussat dans sa récente note sur les effectifs de l'administration, « quand la population d'âge actif y a augmenté de cent, la France a détruit dix-huit emplois privés et créé vingt-sept emplois publics, quarante-cinq chômeurs et quarante-six inactifs ».
Loin de réduire le chômage, le recrutement de nouveaux fonctionnaires tend, à terme, à l'aggraver.
L'autre défaut de ce budget découle logiquement de ce qui précède : l'excès de dépense publique entraîne une augmentation sensible des impôts et taxes. La croissance des recettes fiscales nettes sera, en 1998, de 4 % environ par rapport à la loi de finances initiale pour 1997 et de 3,1 % par rapport à la loi de finances de 1997 révisée, soit une hausse de plus de 51 milliards de francs, comme l'a justement indiqué notre rapporteur général dans le tome I de son rapport.
A titre de comparaison, dans le projet de budget précédent, les recettes nettes ne connaissaient qu'une évolution très faible, de 0,4 % environ. Si cette hausse très sensible des recettes provient en partie de la croissance économique, elle a aussi pour origine des mesures fiscales dont les principales cibles sont les familles, les épargnants et, avant tout, les entreprises.
A lui seul, en 1998, le secteur productif risque d'être ponctionné de 31 milliards de francs, si l'on ajoute les 9 milliards de francs prévus dans le budget aux 22 milliards de francs de prélèvements contenus dans le projet portant diverses mesures urgentes. Et je n'intègre pas le coût, à terme, du passage aux trente-cinq heures, problème sur lequel notre collègue Jean Arthuis et le groupe de l'Union centriste ont demandé la création d'une commission d'enquête.
Alors que les gouvernements de MM. Balladur et Juppé avaient consacré près de 43 milliards de francs supplémentaires à l'allégement du coût du travail pour les bas salaires, vous vous apprêtez, monsieur le secrétaire d'Etat, à limiter ou à remettre en cause certains dispositifs d'exonérations, comme celui qui est applicable au secteur textile.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Eh oui !
M. René Régnault. Il y a une directive européenne !
M. Xavier de Villepin. Certes, tout en augmentant a priori la pression fiscale, pour les entreprises comme pour les ménages, ce gouvernement annonce des allégements pour 1999 et l'an 2000. Mais la question est de savoir si, dans ce délai, il disposera des marges nécessaires à de telles mesures, qui pourraient toucher, s'agissant des entreprises, et en particulier des PME, la taxe professionnelle ou les cotisations patronales.
Dans l'immédiat, nos gouvernants semblent compter sur une supposée santé financière des entreprises, qui pourrait permettre à celles-ci « d'assumer » sans encombre ces majorations d'impôt.
En réalité, que constate-t-on actuellement ?
Il est vrai que les entreprises se sont désendettées, ces dernières années. Leur structure financière reste cependant toujours moins favorable que celle de leurs concurrentes étrangères : les dettes représentent 58 % de leurs bilans, contre 34 % seulement en Allemagne. Par ailleurs, elles ne sont pas complètement à l'abri d'une augmentation des taux d'intérêt dans les prochains mois ou les prochaines années.
C'est donc un pari dangereux que prend le Gouvernement : le risque de dispositions fiscales comme celles que vous nous proposez est d'accroître encore l'écart existant, en termes de prélèvements pesant sur les entreprises, entre la France et ses principaux partenaires et concurrents européens.
Déjà, les entreprises de dimension internationale prennent leurs dispositions afin de revoir à la baisse leurs bases imposables en France.
Je ne m'étendrai pas sur le grand péril que constitue la délocalisation des activités et des entrepreneurs, sans oublier, bien entendu, la fuite de l'épargne,...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Cela, c'est grave !
M. Xavier de Villepin. ... cette épargne qui est pourtant indispensable à une réelle reprise de l'investissement, dont la France a impérativement besoin.
Simultanément, nos voisins conduisent une politique inverse, en allégeant les charges sur les sociétés privées.
Parmi les « nouveaux dragons », ces partenaires européens qui attirent un nombre croissant d'entreprises de haute technologie, on trouve des pays comme les Pays-Bas ou l'Irlande. L'un est dirigé par un social-démocrate, l'autre par un conservateur. Leurs remèdes contre le chômage, fort efficaces dans les deux cas, se recoupent : ils comprennent une baisse massive des charges, corrélative à un effort de rationalisation des dépenses publiques et des transferts sociaux, la maîtrise des coûts salariaux et un effort particulier en matière de formation professionnelle.
Nous ne devons pas sous-estimer les conséquences négatives sur la consommation et l'investissement de l'augmentation des impôts acquittés par les ménages et les épargnants. Si l'on intègre les mesures figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale, ce sont au moins 20 milliards de francs qui vont être prélevés directement sur les Français. L'année dernière, le budget adopté pour 1997 prévoyait a contrario des allégements de 16 milliards de francs.
A ce sujet, le Gouvernement a décidé de remettre en cause la réforme sur cinq ans de l'impôt sur le revenu, que la majorité sénatoriale avait soutenue l'an dernier. Cette réforme avait un double avantage : un allègement sans précédent, dans notre pays, de l'impôt et la suppression d'un certain nombre de niches fiscales qui nuisent à son rendement.
Prétextant une « dérive » du déficit au premier semestre de 1997, vous avez décidé, monsieur le secrétaire d'Etat, de remettre en cause le vote du Parlement. Nous le regrettons vivement. En revanche, le groupe parlementaire auquel j'appartiens soutiendra l'amendement de la commission des finances tendant à rétablir le barème de l'impôt sur le revenu proposé par le gouvernement Juppé.
Voilà donc pour l'analyse non exhaustive d'une loi de finances qui ne peut manifestement pas satisfaire mon groupe et notre majorité sénatoriale.
A ce stade de mon intervention, je souhaite rendre hommage à la démarche réfléchie et ouverte de la commission des finances du Sénat. De concert avec les autres commissions du Sénat et les groupes de la majorité, elle est parvenue à élaborer un projet de budget corrigé dont nous partageons tout à fait la philosophie.
Se situant clairement dans la continuité des budgets précédents, ce projet allie lucidité et rigueur, face aux défis auxquels notre pays est confronté, tant il est vrai que la mondialisation des marchés, l'évolution rapide des techniques et l'émergence de nouveaux concurrents industriels génèrent à la fois d'immenses opportunités mais aussi des difficultés certaines.
Il est donc primordial de réformer, dès que possible, nos structures économiques et sociales, issues de l'après-guerre, afin de permettre à la France de disposer d'un maximum d'atouts dans un contexte inédit. A la veille, nous l'espérons, de l'instauration de la monnaie unique européenne, le projet de loi de finances pour 1998, monsieur le secrétaire d'Etat, vous en offrait l'opportunité. Malheureusement pour notre pays, vous ne l'avez pas saisie.
Il appartient à présent à l'opposition et à sa représentation parlementaire au sein du Sénat d'offrir aux Français un projet économique alternatif. Ce sera l'objet de nos débats.
Sous le bénéfice de ces observations, et après avoir rendu de nouveau hommage à l'excellent travail réalisé par la commission des finances, à son président, M. Christian Poncelet et à son rapporteur général, notre ami Alain Lambert, le groupe de l'Union centriste soutiendra le budget corrigé proposé par l'ensemble de la majorité sénatoriale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, m'exprimant au nom de l'union des sénateurs non inscrits, je souhaite indiquer d'emblée que nous nous situons dans la ligne définie par la commission des finances, sous la houlette de son très puissant président, M. Poncelet (Rires sur les travées de l'Union centriste et du RPR) , et à la lumière de l'avis éclairé de son rapporteur général, M. Lambert.
Nous tenons à souligner le courage politique de cette ligne en ce qui concerne la maîtrise des équilibres financiers, sachant combien il eût été plus confortable de nous contenter de critiquer l'insuffisance des crédits ou l'augmentation des prélèvements obligatoires.
Nous soutenons cette ligne responsable. A titre personnel, voilà plusieurs années que je présente l'examen du fascicule budgétaire dont j'ai la charge en rappelant qu'un bon budget est non pas celui qui augmente le plus, mais celui qui utilise au mieux les crédits dont il dispose.
M. Alain Lambert, rapporteur général. C'est vrai !
M. Philippe Adnot. Pour autant, cette attitude doit être approfondie et étendue à l'analyse des conséquences du projet de budget sur les entreprises et les particuliers : le niveau des prélèvements aura des répercussions sur l'emploi, par la diminution de la compétitivité des entreprises ou la baisse du pouvoir d'achat des citoyens.
A ce sujet, il nous paraît important de souligner que ce projet de budget, après les mesures prises dans le MUFF, consolide et alourdit les prélèvements décidés par le gouvernement précédent. En effet, ce dernier avait accru l'impôt sur les sociétés de 10 % ; son successeur le consolide et l'accroît de 15 %, ce qui représente 25 %.
En matière de pression fiscale, le gouvernement de M. Jospin, c'est « Juppé plus » : 120 milliards de francs pour M. Juppé ; 120 milliards de francs plus 50 milliards de francs pour M. Jospin.
M. Hubert Durand-Chastel. Très bien !
M. Philippe Adnot. Nous devons également appréhender ce budget sous l'angle de la pertinence de l'utilisation des crédits de l'Etat, notamment de l'investissement et des conséquences des choix opérés.
Force nous est de constater que l'apparent équilibre a primé sur toute autre considération.
Dans tous les budgets, priorité a été donnée à l'augmentation des dépenses de fonctionnement. Jamais la dépense n'a été considérée pour ce qu'elle engageait comme transformation de la société, comme évolution qualitative de notre activité économique, donc d'avenir pour notre jeunesse, alors même que, sous nos yeux, nous pouvons mesurer les effets des choix opérés par le tandem Clinton Al Gore en faveur des métiers de l'avenir et leurs implications en termes de valeur ajoutée.
Au-delà de ce budget, de son évolution qualitative et quantitative, nous souhaitons attirer votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, mais aussi la vôtre, la nôtre, mes collègues, sur l'inefficacité de la maîtrises des équilibres budgétaires si, ensuite, au fil des textes, nous laissons se développer tous les ingrédients d'une société de plus en plus pesante, rigide et suradministrée.
Nous venons d'examiner le texte relatif au financement de la sécurité sociale : l'allongement de la durée de vie de la Caisse d'amortissement de la dette sociale est une véritable bombe à retardement pour les générations suivantes. Je prends date pour constater les méfaits du manque de volonté d'expliquer la vérité aux Français.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il est important de la dire !
M. Philippe Adnot. Il n'est pas un texte, qu'il soit d'origine parlementaire ou gouvernementale, qui ne crée les conditions de nouvelles réglementations, de nouvelles charges. Les motivations sont toujours généreuses. Les obligations normatives décidées par Bruxelles sont, bien souvent, à l'origine de ces nouveaux textes. Ce n'est pas une excuse !
Nous tenons à réaffirmer ici que le problème majeur du chômage et de son cortège de difficultés ne pourra trouver de solution que dans l'allégement des contraintes fiscales et administratives, que dans la libération des énergies créatrices, que dans l'affirmation d'une dépense publique orientée vers la création de richesse collective.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. Philippe Adnot. Tout le reste, même marqué du sceau des bonnes intentions, est illusoire. Cette ligne de conduite suppose l'effort de tous, le vôtre aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, le nôtre demain. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, face à nos compatriotes, face à nos enfants, face à notre histoire, nous avons pour mission d'inscrire notre pays parmi ceux qui relèveront les défis d'une économie mondialisée toujours plus exigeante.
Cette réussite, c'est la clef de l'emploi, de la prospérité et de l'harmonie sociale.
Cette réussite, que nous appelons tous de nos voeux, conduit à opérer des choix difficiles, parfois douloureux. Mais différer ces choix, c'est les rendre demain encore plus difficiles, encore plus douloureux.
La caractéristique essentielle de ce projet de budget et, précisément, de retarder ces choix, voire d'aggraver les contraintes qui entravent notre dynamisme économique.
Ce projet de budget retarde les choix nécessaires en aggravant la pression fiscale et sociale sur les cadres, fer de lance de notre économie, et sur les classes dites « moyennes supérieures », qui sont la cible naturelle de toutes les ponctions nouvelles. Cette attitude dogmatique est dangereuse dans une économie ouverte, européenne, mondiale.
En interrompant la réforme quinquennale de l'impôt sur le revenu, en maintenant des taux marginaux très élevés, en ponctionnant l'épargne, en démantelant la politique familiale applicable à ces catégories de revenus, on offre sans doute à une partie de l'électorat une satisfaction d'ordre politique.
Mais est-ce ainsi que l'on motivera les cadres, les professions libérales et les entrepreneurs individuels, bref tous ceux dont dépendent directement les performances de nos entreprises ? Est-il vraiment responsable de pénaliser le travail, le risque et la réussite ?
Peut-on, dans le même temps, signer le traité d'Amsterdam, qui défend - ce sont ses propres termes ! - « une économie de marché ouverte où la concurrence est libre » et prendre des mesures nationales incompatibles avec l'esprit d'entreprise ?
M. Jacques Oudin. Très juste !
M. Roland du Luart. Pour ma part, je considère que le volet fiscal du projet de budget qui nous est soumis n'est pas favorable à notre économie, et que, de fait, il est en contradiction avec nos engagements européens. Ses effets négatifs s'additionneront à ceux d'un système fiscal qui, aux dires de tous les experts que la commission des finances a entendus, a déjà pour effet de procurer un rendement réel négatif au patrimoine d'un grand nombre de ménages, dès lors que l'on prend en compte la cascade d'impositions qui lui sont attachées.
En France, hélas ! la fiscalité des revenus et celle du patrimoine incitent à la délocalisation, à l'optimisation, à l'évasion et, je le déplore, au travail clandestin. Politiquement correcte ou non, cette réalité incontournable, nous feignons de l'ignorer parce qu'elle nous dérange.
La commission des finances a régulièrement averti les gouvernements précédents des risques encourus, avec, il est vrai, un succès modeste l'an dernier. Elle est donc parfaitement dans son rôle lorsqu'elle réitère ses avertissements : notre système fiscal conduit à la fuite légale des capitaux et - ce qui est plus grave - à l'évaporation de l'assiette imposable.
D'ailleurs, je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous indiquiez le nombre de personnes qui ont quitté la France depuis le déplafonnement décidé par M. Juppé l'an dernier.
Regardons quelques instants autour de nous : les cadres français les plus performants se tournent vers l'étranger ; nos concurrents anglais viennent en France vanter les charmes fiscaux de la région du Kent ; les entreprises sont contraintes de se livrer à des contorsions juridiques pour minorer la part des salaires versés en France ; pis encore, nombre d'élèves, parmi les plus brillants, à peine sortis de nos universités ou de nos grandes écoles, ont désormais pour priorité de trouver un emploi à l'étranger, notamment sur la place de Londres. Quand nous en discutons avec eux, ils nous accusent de « ringardise », de ne rien comprendre à l'économie mondiale. Ont-ils vraiment tort, mes chers collègues ?
Les éléments de fiscalité des entreprises contenus dans ce projet de loi de finances participent de cette « exception française », que M. le rapporteur général a raison de rebaptiser « illusion française ».
Là encore, il suffit de parcourir la presse ou de constater ce qui se passe dans nos départements pour mesurer les évolutions de notre système productif : les PME françaises les plus dynamiques - notamment celles du secteur agro-alimentaire - sont absorbées par leurs concurrentes européennes ; les grandes sociétés délocalisent à l'étranger des pans entiers de leur activité ; les investisseurs étrangers détiennent près de la moitié de la capitalisation boursière de nos plus belles valeurs.
Quelles réponses apportons-nous à cette perte de substance économique ?
Nous aggravons l'impôt sur les sociétés. Nous incitons les grandes entreprises de transformation des métaux, du raffinage pétrolier ou de vente par correspondance à se redéployer à l'étranger.
Nous faisons entendre aux investisseurs étrangers que la France sera désormais le seul pays développé à ne plus admettre la déductibilité des provisions pour licenciement et que son Gouvernement veut contraindre les entreprises à modifier la répartition de la valeur ajoutée.
Nous incitons les épargnants à souscrire des contrats d'assurance vie auprès de compagnies étrangères.
Nous modifions, enfin, la fiscalité de l'épargne dans un sens défavorable aux actions, à l'épargne à risque, qu'il faudrait justement encourager.
Mes chers collègues, je ne veux nullement jouer les Cassandre, car j'ai confiance dans les réserves d'énergie de notre vieille nation. Toutefois, mon devoir de lucidité me commande d'énoncer devant vous les risques que la politique d'aggravation des prélèvements obligatoires du Gouvernement fait courir à notre économie.
Sans vouloir polémiquer, je rappellerai que, pour les années 1997 et 1998, les prélèvements obligatoires s'élèvent à 80 milliards de francs et que, pour la seule année 1998, ils représentent indiscutablement 56 milliards de francs.
Nous affaiblissons l'esprit d'entreprise et nous divisons le pays en dressant les employés des secteurs « exposés » contre les fonctionnaires du secteur « abrité ».
Nous instituons un système fiscal radicalement différent de celui de nos partenaires européens et nous aggravons les prélèvements qui font fuir l'emploi.
Nous orientons notre épargne nationale vers les emplois les moins productifs, en nous refusant tant à créer des fonds de pension dynamiques qu'à réviser les mécanismes de l'épargne administrée.
Pourtant, dans le même temps, le Gouvernement signe le traité d'Amsterdam, réaffirme son attachement à l'euro et préconise une harmonisation fiscale européenne. Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour prédire que cette politique du « grand écart » ne pourra pas être menée pendant très longtemps et que les réalités les plus évidentes ne pourront être occultées durablement.
Ni la croissance des investissements étrangers en France, ni les excédents de notre balance commerciale, ni même les résultats financiers de nos entreprises ne doivent nous bercer d'illusions. Comme l'Allemagne, car nous conduisons la même politique que celle qu'elle a menée depuis une dizaine d'années, nous allons voir les investissements étrangers en France décroître et les investissements français à l'étranger se développer.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Cela a déjà commencé !
M. Roland du Luart. Absolument, je vous l'accorde. Nous le constatons, précisément, parce qu'il ne fera plus bon produire en France. Il suffit d'interroger certains grands chefs d'entreprise pour s'apercevoir qu'ils vont prendre des décisions.
Comme en Allemagne, nos grandes entreprises trouvent dans leurs filiales étrangères l'essentiel de leurs profits, ce qui poussera les fonds de pension actionnaires à exiger d'elles de « réduire la voilure » en France.
Quant aux excédents de notre balance commerciale, ils proviennent, pour une très large part, de la forte croissance de la demande mondiale et de la faiblesse de nos investissements.
Mes chers collègues, ces indicateurs ne sauraient susciter l'optimisme béat. Ils doivent nous convaincre que la France va perdre de sa substance industrielle et de son dynamisme économique. L'étude que la commission des finances a commandée à l'institut Rexecode le démontrerait, si jamais nous en doutions.
En matière de dépenses, le projet de loi de finances qui nous est transmis ne correspond pas non plus aux dures exigences de l'heure.
Sans doute la croissance assez élevée du PIB en 1998 pourra-t-elle masquer provisoirement cette absence de maîtrise de la dépense publique.
Mais, dès lors que nous retrouverons le sentier de notre croissance potentielle, ce que les simulations de l'OFCE prévoient, apparaîtront des déséquilibres graves ; ce seront les mêmes que ceux que nous avons connus depuis 1993, quand la « réhabilitation de la dépense publique », lancée en période de forte croissance, a montré ses graves conséquences en période de croissance ralentie. L'histoire budgétaire de notre pays sera ainsi faite d'erreurs renouvelées. Quel dommage, assurément !
Les facteurs d'emballement de la dépense publique sont réunis dans le projet de budget que nous examinons.
Les effectifs de la fonction publique repartent à la hausse, alors même que les dépenses de personnel et de retraite se sont accrues de 200 milliards de francs en dix ans. Il faut se souvenir que le non-remplacement du départ en retraite d'un fonctionnaire sur cinq pendant dix ans ne représenterait qu'une économie de 16 milliards de francs en 2007, alors que les 350 000 emplois-jeunes nous coûteront, à court terme, 35 milliards de francs de plus.
Rien n'est fait, par ailleurs, pour réformer les régimes spéciaux de retraite des fonctionnaires, alors que le poids de ces retraites se sera accru en francs constants, en 2010, de 70 milliards de francs. Il y a pourtant urgence, compte tenu de l'inertie de ces dispositifs et de la pyramide des âges ; ainsi, une réforme qui réduirait de 1 % chaque année pendant dix ans le montant moyen des nouvelles pensions concédées ne procurerait que 3,9 milliards de francs d'économies en 2007, soit 2,5 % du montant total des pensions.
Le courage montré en son temps par le gouvernement de M. Balladur pour les retraites du secteur privé n'a pas fait d'émules, c'est le moins que l'on puisse dire. Or, nous savons tous, depuis le Livre blanc de M. Michel Rocard, que ce dossier sera explosif dans les dix prochaines années.
Rien n'est fait non plus, bien au contraire, pour réduire la part de l'Etat dans la prise en charge de la fiscalité locale. Même si les mesures prises en matière de taxe d'habitation sont généreuses, elles se traduisent par plus de un milliard de francs de prise en charge supplémentaire par l'Etat, ce qui rend encore plus préoccupante l'évolution des concours passifs de l'Etat aux collectivités locales.
En effet, la véritable question est la suivante : peut-on être généreux quand on finance cette générosité par le déficit budgétaire et par l'emprunt ? Cette question vaut, mes chers collègues, pour l'ensemble des dépenses sociales de l'Etat, pour lesquelles notre rapporteur général nous a cité des chiffres fort préoccupants. La générosité à crédit est-elle autre chose que l'habillage comptable de la faiblesse et de l'irrésolution ?
M. Denis Badré. C'est une bonne formule !
M. Roland du Luart. De surcroît, je constate que le Gouvernement accélère les débudgétisations de dépenses, qu'il s'agisse des aides personnelles au logement, des subventions aux entreprises publiques, des crédits routiers ou des aides à la presse.
Les transferts de crédits budgétaires vers des comptes spéciaux du Trésor ont un effet optique bienvenu sur la croissance des dépenses, mais ils participent néanmoins de cette absence de maîtrise de la dépense que nous ne pouvons que déplorer. Notre rapporteur général a raison de souligner que les charges réelles de l'Etat s'accroîtront plus en 1998 qu'en 1997. Pour illustrer cet exemple, il suffit de prendre en compte les conséquences de l'augmentation de la durée de vie de la CADES.
Le groupe des Républicains et Indépendants ne peut donc se rallier aux orientations d'un gouvernement qui n'améliore le solde budgétaire que grâce à une ponction fiscale considérable, masquant ainsi l'accroissement préoccupant de la dépense.
Pour ma part, je suis sincèrement inquiet des effets de cette politique, effets que nous ne percevrons que dans quelques mois, lorsque les contribuables auront pris la mesure des efforts nouveaux qui leur sont demandés.
M. Marc Massion. Quels contribuables ?
M. Roland du Luart. Ceux qui paient l'impôt !
M. René Régnault. Ceux qui ne peuvent pas se débrouillent pour ne pas le payer !
M. Roland du Luart. Vous savez fort bien que seuls 48 % de Français paient l'impôt. Il s'agit d'un problème d'assiette.
Je pense notamment aux retraités, qui subiront à la fois la diminution de la déduction de 10 % non compensée par la baisse du barème, le plafonnement de la demi-part des personnes seules ayant élevé des enfants, le plafonnement de la restitution de l'avoir fiscal, qui touchera des dizaines de milliers de retraités modestes, et la diminution de 50 % de la réduction d'impôt pour les emplois à domicile, si nécessaires à nombre de nos anciens, sans oublier l'aggravation de la CSG, qui viendra ponctionner le revenu de leur épargne. L'ensemble de ces mesures, prises, hélas ! sans aucune concertation ni vision d'ensemble, auront des conséquences que nous aurons bientôt, mes chers collègues, à mesurer.
Je pense également à toutes les personnes physiques et aux entreprises qui se verront appliquer des prélèvements fiscaux et sociaux considérablement alourdis sur les plus-values qu'ils auront pu réaliser en 1997.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je dois vous avouer que cette rétroactivité de fait me choque profondément, qu'elle s'applique aux ventes de fonds de commerce ou à des réalisations d'actifs rendues nécessaires par les accidents de la vie. L'Etat ne s'honore guère lorsqu'il reprend sa parole et qu'il change les règles du jeu en cours de partie.
Je comprendrais très bien que des nouvelles mesures s'appliquent à compter du dépôt de la loi de finances. Mais il n'est pas normal de changer la donne, à partir du 26 septembre, pour des dispositions qui ont été prises par les contribuables sur la base de la précédente loi de finances.
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est vrai !
M. Roland du Luart. Le Gouvernement ne s'honore pas davantage lorsqu'il applique aux ménages recourant à des emplois à domicile une rigueur qu'il se garde bien de s'imposer à lui-même, puisqu'il augmente le nombre des emplois publics. S'il fallait une preuve supplémentaire que l'emploi public chasse l'emploi privé, elle serait ainsi apportée.
Parce qu'il ne maîtrise pas la dépense et qu'il accroît les prélèvements obligatoires en valeur absolue, ce projet de budget ne peut être accepté en l'état par le Sénat. Le rapporteur général et le président de la commission des finances du Sénat l'ont démontré tout à l'heure avec précision et persuasion. Au nom du groupe des Républicains et Indépendants, je leur apporte donc tout notre soutien dans cette entreprise difficile mais salutaire de correction de ce budget.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce n'est qu'en maîtrisant la dépense que nous pourrons baisser les impôts et relancer la croissance. Ce n'est qu'en maîtrisant la dépense que nous cesserons de sacrifier les intérêts légitimes des générations à venir.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Très bien !
M. Roland du Luart. Ce n'est qu'en maîtrisant la dépense que nous accomplirons notre mission de rétablissement des grands équilibres, condition indispensable de notre compétitivité dans l'Europe de la monnaie unique et donc de la préservation du pacte social à la française. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)

9

SOUHAITS DE BIENVENUE
A` UNE DÉLÉGATION
DE PARLEMENTAIRES AMÉRICAINS

M. le président. Mes chers collègues, j'ai l'honneur de saluer la présence dans notre tribune officielle d'une délégation de membres du Sénat et de la Chambre des représentants des Etats-Unis d'Amérique, conduite par M. Jim Kolbe, représentant de l'Etat d'Arizona.
Au nom du Sénat, j'adresse à cette délégation tous nos souhaits de bienvenue et forme des voeux pour que son séjour en France se déroule dans les meilleures conditions et qu'il soit l'occasion de renforcer nos liens d'amitié et de renouer les échanges entre nos assemblées parlementaires. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le secrétaire d'Etat se lèvent et applaudissent.)
M. Christian Sautter, sécrétaire d'Etat au budget. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, sécrétaire d'Etat. Monsieur le président, permettez-moi d'associer le Gouvernement à vos souhaits de bienvenue. Les Etats-Unis sont une grande démocratie, et je suis très heureux, au nom du Gouvernement, de saluer cette importante délégation. (Applaudissements.)

10

LOI DE FINANCES POUR 1998

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de la loi de finances pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Régnault.
M. René Régnault. Monsieur le secrétaire d'Etat, le projet de loi de finances que vous nous présentez répond aux engagements pris devant les Français. Il s'agit d'un budget pour la croissance, pour l'avenir et pour la solidarité.
Il s'inscrit dans la nouvelle politique demandée par les Français et que mène, avec bonheur, le Gouvernement depuis juin dernier. Il s'agit d'une politique responsable, transparente, proche des préoccupations des Français, porteuse d'un projet pour notre société, à l'aube de l'an 2000, conciliant l'efficacité économique nécessaire dans une économie ouverte et concurrentielle et la solidarité, qui permet à chacun d'être reconnu et d'avoir sa place dans cette société, non seulement par l'emploi mais aussi par l'exercice des droits fondamentaux au logement, à la santé, à l'éducation et à la sécurité.
C'est un budget pour la croissance, disais-je. Même s'il convient encore de faire preuve de prudence, nous observons une accélération progressive, trimestre après trimestre, de la croissance, qui nous permet raisonnablement d'espérer sortir de la conjoncture de fond qu'a connue notre économie au cours de ces dernières années et qui a été caractérisée par une croissance molle.
Deux raisons principales expliquent, selon moi, cette situation.
La première a trait à une politique monétaire inadaptée. Aujourd'hui, ce débat est en grande partie dépassé puisque le dollar est reparti à la hausse et que les taux d'intérêt sont désormais relativement peu élevés. Toutefois, il faut être vigilant et ne pas céder aux tentations, ainsi que l'a montré la récente et regrettable hausse des taux. Comme quoi, en économie, il faut être prudent et savoir raison garder !
La seconde raison de la situation dont nous avons hérité tient à la stagnation de la demande. Le moteur de la demande interne est bloqué depuis plusieurs années, ce qui s'explique notamment par une faible consommation des ménages, conduisant à de faibles investissements. Trois causes principales peuvent être avancées.
La première tient à l'accroissement de l'épargne de précaution, du fait, notamment, de la hausse du chômage.
La seconde est la stagnation, voire la réduction, du pouvoir d'achat, constatée chaque année par la majorité des Français. Un seul chiffre illustrera mon propos : le pouvoir d'achat des salariés a baissé de 1,6 % en 1996. Les augmentations de salaires ont été globalement très faibles, et le partage des revenus entre salaires et profits s'est effectué à l'avantage de ces derniers. A cela s'ajoutent ce qu'il convient d'appeler deux tours de vis fiscaux, l'un du gouvernement de M. Balladur et l'autre de celui de M. Juppé.
M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Et le troisième du présent gouvernement !
M. René Régnault. La troisième cause de la stagnation de la demande est une politique budgétaire et fiscale à contresens, qui a consisté à renforcer l'offre - plus de 200 milliards de francs d'allégements de charges ont été décidés pour les entreprises alors que leurs résultats étaient globalement convenables - et à pressurer la demande, pourtant défaillante, en creusant les inégalités. C'est ainsi que l'augmentation de la CSG fut appliquée sans baisse des cotisations, et que sont intervenus le RDS, la hausse des impôts indirects, à concurrence de 150 milliards de francs environ, et la baisse des impôts directs.
Les gouvernements précédents portent donc une grande part de responsabilité dans la persistance de cette croissance molle avec, notamment, ses conséquences sur l'emploi.
Le 1er juin dernier, les Français, sollicités par le président de votre majorité,...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Le Président de la République !
M. René Régnault. ... ont clairement condamné cette politique et voté pour une nouvelle, fondée sur le soutien à la demande et permettant d'obtenir enfin une croissance rapide et pérenne de la consommation et de l'investissement.
Des mesures ont déjà été prises, dont on peut constater les premiers effets. Je songe, notamment, au quadruplement de l'allocation de rentrée scolaire et au transfert des cotisations sur la CSG, avec un gain de plus de 1 % de pouvoir d'achat pour les salariés.
Ce projet de loi de finances poursuit dans cette voie en prévoyant notamment une baisse de la TVA sur le logement social, une déduction d'impôt pour l'entretien de la résidence principale, une augmentation des aides personnelles au logement, une réduction de la taxe d'habitation pour de nombreuses familles moins favorisées et le rétablissement de la réduction d'impôt pour frais de scolarité, pour ne citer que quelques exemples.
L'inversion des priorités est également manifeste au travers de l'arrêt de la progression des prélèvements obligatoires enregistrée depuis 1993 et fort bien illustrée par M. le ministre de l'économie, voilà quelques instants.
Les prélèvements de l'Etat baissent de 0,2 point dans le PIB, pour ne représenter plus que 15 %. Au total, les prélèvements obligatoires diminueront même légèrement, passant de 46 % à 45,9 %.
La majorité du Sénat parle cependant « d'une hausse des impôts considérable », plus de 51 milliards de francs en 1998.
M. Alain Lambert, rapporteur général. C'est un constat !
M. René Régnault. Les mesures nouvelles d'augmentation des impôts sont pourtant inférieures à 14 milliards de francs.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Par rapport à quoi ?
M. René Régnault. Toutefois, M. le rapporteur général inclut des mesures prises en 1997. Il n'a pas vu ou feint de ne pas voir qu'il y a eu un 1er juin 1997.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Si !
M. René Régnault. Il inclut des mesures visant à compenser les insuffisances de recettes de cette année et l'abandon de la réforme Juppé ; tout le monde sait maintenant que cette remarquable et très médiatisée réduction de l'impôt sur le revenu n'était pas financée.
Cette mauvaise querelle, bassement politicienne, de la part de l'ex-majorité est donc, à nos yeux, peu convaincante, d'autant moins qu'elle est soulevée par ceux qui avaient réussi le tour de force d'augmenter de deux points les prélèvements obligatoires, soit environ 200 milliards de francs.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Pourquoi ne les baissez-vous pas ?
M. Marc Massion. Chaque chose en son temps !
M. René Régnault. Nous assurons un certain nombre de priorités. Tout à l'heure, M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, en faisant référence à la règle des trois - et non pas à la règle de trois ! (Sourires) - a montré quelles étaient les priorités du Gouvernement pour l'immédiat. Nous y adhérons, et vous aussi, dans votre for intérieur.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Mais vous maintenez tous les impôts que vous critiquez !
M. René Régnault. Lorsque la situation se sera encore améliorée, nous pourrons aller plus loin.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. On verra !
M. René Régnault. Il est vrai, monsieur le rapporteur général, que les prévisions du Gouvernement éveillent en vous une crainte, en elle-même fort louable. Vous parlez d'optimisme excessif, de pari fort et d'effets pervers de la nouvelle politique économique. Votre crainte mérite d'être examinée.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Avec bienveillance ! (Sourires.)
M. René Régnault. Il se pourrait en effet que se répète le précédent de 1995, dans lequel la phase de reprise de l'économie s'était essoufflée. Toutefois, la raison, je l'ai dit, en était l'absence de moteur interne, due en grande partie au serrage de vis fiscal. En l'occurrence, nous pouvions parler d'effets pervers de la politique économique.
Or, la politique économique du gouvernement de M. Jospin permet justement la relance de la demande interne, et vous en constatez les premiers effets. Elle évite les erreurs précédentes - que vous persistez par ailleurs à défendre, monsieur le rapporteur général - et c'est pourquoi nous sommes, quant à nous, optimistes. De plus, je doute fort que les Français puissent, pour leur part, davantage vous croire aujourd'hui que voilà quelques semaines.
Déjà, les premiers éléments de la réussite apparaissent. Le pouvoir d'achat augmente désormais de manière significative et des emplois sont créés. En 1998, ces mouvements devraient être amplifiés, avec un gain de pouvoir d'achat du revenu disponible de 2,3 % et environ 200 000 créations d'emplois nettes.
La demande anticipée par les chefs d'enteprise est également largement positive. L'investissement devrait, là encore, selon toute vraisemblance, repartir, et de manière soutenue. Les dernières enquêtes le confirment. Il s'agit d'un constat qui résulte de l'analyse des faits.
Cette politique de soutien de la demande et d'accompagnement de la reprise permettra donc, après 1997, année de transition, année d'accélération progressive de la croissance, que 1998 soit la première - et nous nous en réjouissons tous, je pense, dans cette enceinte, comme ailleurs - ...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Eh oui, il faut souhaiter le succès de la France !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Monsieur Régnault, comme l'a écrit La Fontaine, « en toute chose, il faut considérer la fin » !
M. René Régnault. S'agissant de la fin, je vous invite à anticiper le constat que nous devinons : avec la croissance qui repart et qui s'accélérera progressivement, 1998 sera, nous l'espérons bien, la première de plusieurs années de croissance solide permettant de rattraper les retards accumulés et de réduire le chômage, et ce à partir d'une économie et de finances publiques assainies.
Budget de soutien à la politique d'accompagnement de la reprise, ce budget est également porteur d'avenir et est orienté résolument vers la jeunesse.
D'abord, il inscrit clairement notre pays dans l'Europe. Les budgets de 1997 et de 1998 portent une contrainte historique, qui a été rappelée. En effet, ils servent de référence pour la mise en place de la monnaie unique européenne. Or, compte tenu des mauvais résultats des budgets précédents, nous étions assez loin du critère des 3 % de déficit. Toutes les prévisions impartiales du printemps (M. le rapporteur général sourit.), émanant d'experts incontestables et incontestés, étaient supérieures à 4 %.
La dissolution avait d'ailleurs été largement dictée - c'est de notoriété publique, ce n'est plus contesté, même si cela fait un peu sourire - par cette situation et par la perspective d'une politique de rigueur pour atteindre les critères de Maastricht.
Or, il n'est pas imaginable que la France prenne le risque politique de l'échec de cette grande idée, indispensable pour que l'Europe retrouve une certaine liberté d'action, et puisse parler en position de force par rapport à nos partenaires pour mettre fin aux dérèglements monétaires et financiers.
Il fallait donc corriger ces déficits et revenir dans l'épure des 3 %, ce qui impliquait un effort de plus de 80 milliards de francs. Celui-ci a été accompli dans la loi portant mesures d'urgence à caractère fiscal et financier, et dans le présent projet de budget par la stabilisation des dépenses de l'Etat en termes réels, ce qui est tout de même une performance assez importante pour être remarquée et soulignée. Cela traduit la volonté politique de réserver la croissance de la richesse à la solidarité.
Signalons que cela a été fait sans artifices ni dissimulation, contrairement aux budgets précédents, qui accumulaient les annonces non financées, (M. Jean Chérioux proteste), telles que la réduction de l'impôt sur le revenu, les recettes exceptionnelles, la sous-estimation des déficits et les prévisions artificielles.
M. Jean Chérioux. Et le gouvernement Bérégovoy ? Pour ce qui est de la sous-estimation des déficits, il s'y connaissait ! (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. René Régnault. Ah ! monsieur Chérioux, je ne vous avais pas encore entendu !
Ensuite, c'est un budget d'avenir, car il permet d'envisager rapidement la fin de l'augmentation de notre dette publique.
On a assez dit cet après-midi à quel point c'était important. Vous-même, monsieur le président de la commission, et vous aussi, monsieur le rapporteur général, vous avez beaucoup insisté sur l'état de la dette publique, suffisamment pour convenir avec nous que les choix actuels et l'action conduite par le Gouvernement vont dans la bonne direction.
Ce budget permettant d'envisager rapidement la fin de l'augmentation de notre dette publique...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Et le report de la dette sociale ?
M. René Régnault. On s'en occupe aussi, monsieur le rapporteur général ! Et c'est heureux, car on ne peut pas dire que le Sénat nous ait beaucoup aidés pour réduire la dette sociale !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Le report de la dette sociale, c'est l'avenir ?
M. René Régnault. En 1998, le déficit primaire sera d'environ 20 milliards de francs, soit une réduction de plus de moitié par rapport à 1997. Or un Etat qui s'endette est un Etat qui reporte la charge des dépenses sur les générations futures et qui perd les marges de manoeuvre pour toute action budgétaire.
Faut-il rappeler que la dette publique a quasiment doublé depuis 1992, avec une augmentation de 81 %, soit 1 700 milliards de francs, et une hausse de 30 000 francs par Français ? Le service de la dette représente désormais plus de 20 % des dépenses, ce qui est considérable.
Enfin, ce budget est un budget d'avenir, car, dans ce contexte de rigueur, il dégage les moyens nécessaires à la construction de la société de demain.
Je l'ai dit, cette société doit permettre l'efficacité économique nécessaire dans une économie ouverte et concurrentielle. C'est pourquoi ce projet de budget prévoit un soutien aux PME innovantes.
Mais l'efficacité économique, ce sont aussi les infrastructures, et l'augmentation de 6,2 % des crédits d'équipements civils est, à cet égard, une bonne chose ; c'est également l'intelligence et la recherche, la formation des hommes, secteurs dans lesquels on ne peut que saluer l'effort réalisé dans ce projet de budget.
La société de demain doit également permettre à chacun de trouver sa place, par l'emploi d'abord, mais aussi par l'exercice des droits fondamentaux au logement, à la santé, à l'éducation, à la sécurité, à la justice et à la culture.
Tous ces secteurs sont privilégiés dans ce projet de budget. Les crédits pour l'emploi progressent de 9,3 %, et 8 milliards de francs sont consacrés à la mise en place de 150 000 emplois-jeunes. Les crédits croissent de 8,6 % pour le logement, de 3,1 % pour l'éducation nationale, l'action sociale et la santé, de 2,1 % pour l'intérieur, de 4 % pour la justice et de 3,7 % pour la culture.
Ces priorités ne trouvent pourtant pas grâce aux yeux de la majorité sénatoriale, qui nous propose de faire des coupes claires dans ces budgets.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Pas dans celui de la justice !
M. René Régnault. Dans la plupart d'entre eux !
Elle nous propose de supprimer les crédits pour les emplois-jeunes, pour le financement des trente-cinq heures, pour l'augmentation du salaire des fonctionnaires. Ce sont des choix qu'elle entend assumer, y compris devant la jeunesse.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Nous y reviendrons lors de l'examen de la deuxième partie !
M. René Régnault. Chers collègues de la majorité sénatoriale, c'est ce que vous vous préparez à faire, mais c'est ce que vous pouvez encore éviter de faire.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je le répète : nous en reparlerons lors de l'examen de la deuxième partie !
M. René Régnault. J'en prends acte et je vous donne rendez-vous. Par conséquent, nous pouvons penser que la majorité sénatoriale changera de position à la suite des explications apportées par les uns et les autres ; cela l'honorerait.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il n'est pas interdit de rêver !
M. René Régnault. Chers collègues de la majorité sénatoriale, minorité dans le pays, vous semblez ne pas avoir entendu la volonté démocratique de notre pays. Elle a sévèrement condamné votre politique,...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Et, dans le passé, la vôtre !
M. René Régnault. ... celle que vous souteniez dans cet hémicycle. (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) Elle en a appelé une autre, celle que, avec courage, détermination et dans le respect du pacte républicain, conduit le gouvernement de M. Lionel Jospin.
Pourtant, vous vous obstinez, parfois à grand peine, à opposer un autre budget, celui des causes de la dissolution du printemps dernier, celui que la majorité démocratique du pays a condamné, celui de l'échec de la France. La majorité sénatoriale n'entendrait-elle qu'elle même et serait-elle incapable de saisir l'expression du suffrage universel ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Selon vous, toute opposition est-elle illégitime ?
M. René Régnault. Voudrait-elle se condamner et en même temps condamner l'institution qui est la nôtre, la Haute Assemblée ?
Ne sauriez-vous, monsieur le rapporteur général, entendre que les préoccupations de quelques grands propriétaires fonciers, des détenteurs substantiels d'épargne, des gros actionnaires...
M. Alain Lambert, rapporteur général. L'argument est nouveau !
M. René Régnault. ... et, indirectement, des entreprises à travers le souci que vous marquez des préoccupations pour la rémunération des dividendes ? (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) Je m'interroge sur les motivations qui peuvent être les vôtres.
Pour être cohérent, il faut, bien entendu, diminuer - c'est votre proposition - les dépenses publiques, les charges sociales, réduire le nombre de fonctionnaire sans dire lesquels, car toutes les communes rurales veulent un instituteur, tout le monde veut plus de sécurité, plus de gendarmes, de policiers, dans les quartiers des villes comme en milieu rural. Mais avec quoi ? (Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants.)
Vous proposez d'affaiblir la solidarité au détriment des producteurs de richesses, des plus faibles, des plus démunis.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Absolument pas !
M. René Régnault. Alors, il faut le dire clairement. Nous, les socialistes de la Haute Assemblée, sommes profondément en désaccord avec votre logique, vos choix, vos orientations politiques et sociales. Nous soutenons ce qui répond à l'attente de la volonté large et profonde du pays.
M. Alain Lambert, rapporteur général. C'est la démocratie !
M. René Régnault. C'est en effet la démocratie qui a dégagé une majorité sur un projet que le Gouvernement met en oeuvre et que nous appuyons.
M. Jean Chérioux. On verra la suite !
M. René Régnault. Troisième appréciation : c'est un budget pour une meilleure justice sociale.
Au contraire des gouvernements précédents qui allégeaient l'impôt direct et accroissaient l'impôt indirect, c'est-à-dire l'impôt le plus inéquitable, l'objectif de la réforme fiscale, qui sera réalisée sur l'ensemble de la législature, c'est un impôt direct plus juste et des impôts sur la consommation moins lourds.
La première étape est effectuée dans ce budget, avec l'effacement d'un certain nombre d'avantages excessifs sur les impôts sur les sociétés et sur le revenu. C'était une des priorités du groupe socialiste du Sénat. Il en avait tenu compte dans les propositions qu'il avait faites l'année dernière, et nous sommes heureux d'en voir aujourd'hui les traductions. Par exemple, le plafond de réduction d'impôt pour les emplois à domicile sera ramené à 22 500 francs au lieu de 45 000 francs, ce qui touche 5 % des bénéficiaires et 0,25 % des familles.
Il faut poursuivre et, progressivement, revenir à un impôt réellement progressif.
Les investissements dans les DOM-TOM et dans la construction et la réparation navales devront également être revus afin que soit trouvé un système adéquat évitant tout effet d'aubaine pour ceux que l'on pourrait qualifier de « privilégiés » et qui ont pu trouver ici une bonne raison d'effacer une partie de l'impôt qu'ils avaient à acquitter.
De même, sur l'impôt sur les sociétés, nous proposerons des amendements contre l'évasion fiscale.
La baisse de la TVA est également engagée dans ce budget. Nous proposerons au Gouvernement de nouvelles avancées en la matière.
Enfin, le groupe socialiste du Sénat est très attentif à la fiscalité écologique et à la fiscalité locale. De profondes réformes devraient être réalisées l'année prochaine. Là encore, nous proposerons plusieurs pistes de réflexion et certaines avancées pourraient être réalisées dans ce projet de budget.
Sur la fiscalité écologique, en attendant une réforme de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, il est indispensable d'encourager l'achat de véhicules propres et de réformer le calcul de la puissance fiscale.
Les collectivités territoriales et leurs établissements publics de coopération sont des partenaires incontournables de l'action de l'Etat pour la réussite de ses objectifs fondamentaux ; le plan emplois-jeunes en est la dernière illustration.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la volonté et la détermination des maires sont réelles ; leur sens des responsabilités, de responsabilités nouvelles et actuelles, est évident, vous l'avez vérifié ce matin. En témoigne l'attention soutenue et positive qu'ils viennent de réserver aux ministres et au Premier ministre, au discours duquel ils ont été particulièrement attentifs, lors du congrès de l'Association des maires de France qui vient de se tenir à la porte de Versailles.
Face aux efforts demandés, les élus locaux ont apprécié l'engagement du Gouvernement de ne pas modifier le taux de cotisation à la CNRACL en 1998 ; toutefois, monsieur le secrétaire d'Etat, il faut convenir que l'avenir de la caisse est posé et que sa participation de 18,7 milliards de francs pour 1996 à la solidarité nationale est très importante.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. On verra cela après les élections ! (Sourires.)
M. Alain Lambert, rapporteur général. On ne peut pas tout faire en même temps !
M. René Régnault. Les attentes sont très grandes également dans des domaines essentiels de la vie locale et la réforme de l'intercommunalité est aujourd'hui à un tournant de son évolution.
Il faut que l'esprit fondamental qui a dicté les dispositions de la loi du 6 février 1992 soit concrètement et effectivement garanti - mieux, consolidé - grâce à une coopération fondée sur la notion de projet commun avec un élargissement du champ des compétences, tout en assurant solidarité, transparence et démocratisation par un partage équitable des ressources - je pense notamment à la taxe professionnelle unique - et une meilleure lisibilité par les citoyens-administrés et par l'ensemble des élus municipaux du territoire de coopération.
Est alors ici posée la question de la place et de la part du suffrage universel direct.
En 1998, nous assisterons aussi à la sortie du pacte de stabilité financière. Les collectivités territoriales qui, au cours de cette période, ont été privées d'une part substantielle des dégrèvements de taxe professionnelle doivent se voir reconnaître un meilleur traitement. Elles doivent notamment bénéficier des fruits de la croissance.
Face à leurs engagements et à leurs charges - emplois, environnement, solidarité, etc. - nous proposerons que leurs ressources pour 1998 soient abondées au travers du produit du relèvement de la contribution minimum de taxe professionnelle. Nous déposerons un amendement en ce sens.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Ah !
M. René Régnault. Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, nous attendons des engagements précis et concrets quant à la mise en oeuvre de la réforme de la fiscalité locale qui a été engagée en 1990 et dont l'application en 1999 devrait être un objectif absolu.
Sur toutes ces questions, notamment sur celle de l'évolution de l'intercommunalité et de la solidarité financière qui la sous-tend, les débats qui suivront seront pour nous l'occasion d'approfondir nos analyses et nos propositions.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous ne doutons pas de la volonté du Gouvernement. Nous attendons ses réponses - nous savons qu'il travaille - et nous attendons ses engagements. D'ores et déjà, le groupe socialiste veut l'assurer de son soutien constructif et sans réserve. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Le contraire nous aurait surpris !

11

MODIFICATION
DU CALENDRIER BUDGÉTAIRE

M. le président. En accord avec la commission des finances, le Gouvernement demande que :
- le mercredi 26 novembre 1997, l'examen de l'article 24 relatif à la contribution de la France au budget de l'Union européenne, initialement prévu le matin, ait lieu à quinze heures ;
- le mercredi 3 décembre 1997, les crédits du commerce extérieur soient examinés avant les crédits relatifs aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat ;
- et que, le jeudi 4 décembre 1997, les crédits du tourisme soient discutés en tête de l'ordre du jour.
L'ordre du jour des séances des mercredi 26 novembre, mercredi 3 décembre et jeudi 4 décembre 1997 est ainsi modifié.

12

NOMINATION DES MEMBRES
D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

M. le président. J'informe le Sénat que la liste des candidats à une commission d'enquête a été affichée et n'a fait l'objet d'aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée, et je proclame MM. Claude Belot, Georges Berchet, Jean Besson, Jean Boyer, William Chervy, Charles Descours, Hubert Durand-Chastel, Jean Faure, Mme Anne Heinis, MM. Rémi Herment, Lucien Lanier, Pierre Lefebvre, Jean-François Le Grand, Gérard Miquel, Alain Pluchet, Mme Danièle Pourtaud, MM. Henri Revol, André Rouvière, Michel Souplet, René Trégouët et Jacques Valade membres de la commission d'enquête chargée de recueillir les éléments relatifs aux conditions d'élaboration de la politique énergétique de la France et aux conséquences économiques, sociales et financières des choix effectués.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures quinze.)



M. le président.
La séance est reprise.

13

LOI DE FINANCES POUR 1998

Discussion d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, un certain atavisme, la formation que j'ai reçue et la fierté que j'ai d'exercer un mandat parlementaire après un autre mandat d'élu font que je ne voue pas un culte excessif à la précaution oratoire ou à la « langue de bois ».
Je me sens donc tout à fait libre de vous adresser un discours qui sera un peu le contrepoint de celui que j'adressais l'année dernière, à pareille époque du haut de cette tribune, à vos prédécesseurs, monsieur le secrétaire d'Etat, discours dans lequel je n'avais pas exagérément mâché mes mots pour dire ce que je pensais du budget qu'ils nous présentaient.
M. le rapporteur général s'en souvient peut-être, j'avais été amené à dire au ministre de l'économie et des finances et au secrétaire d'Etat au budget de l'époque à quel point j'étais frappé de constater, alors qu'ils nous présentaient un budget que je jugeais bon, qu'ils n'avaient eux-mêmes pas l'air d'y croire ; et je le leur reprochais.
J'avais en effet le sentiment que, dans les projections de l'évolution des recettes et de l'économie pour l'année qui s'annonçait, ils avaient tendance à ne pas présupposer que les qualités de la politique qu'ils nous proposaient permettraient d'améliorer la situation.
Or, si je devais aujourd'hui vous faire un reproche, monsieur le secrétaire d'Etat, ce serait de trop y croire ! (M. le secrétaire d'Etat lève les bras au ciel.) Ceux qui n'y croyaient pas, je le constate,...
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Ont été battus !
M. Paul Girod. ... ont dû quitter le pouvoir au moment où l'effet de leur politique nous donnait un taux de croissance de 1 % sur un trimestre !
M. Alain Lambert rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Ça va, ça vient ! (Sourires.)
M. Paul Girod. Vous, vous y croyez tellement que vous êtes parti sur des hypothèses - que je souhaite que ce soient les bonnes pour mon pays - d'un taux de croissance de 3 %, d'un taux d'inflation de 1,4 % et d'un dollar à 6 francs, le tout reposant sur une économie qui reprend son essor. Qui ne souhaiterait que vous ayez raison ?
L'ennui, c'est que vous y croyez tellement qu'avant même que vos prévisions ne se soient réalisées, vous avez déjà, du moins dans votre esprit, me semble-t-il, redistribué pour une bonne part les fruits de cette croissance, et ce avec une ardeur théologique qui me fait frémir.
Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est bien de croire à la croissance de l'économie, mais il faut d'abord commencer par ne pas la casser ! Or, je ne suis pas persuadé que certaines des annonces qui ont été faites ces derniers temps aillent dans ce sens.
Remettre en cause, sans le dire, l'avance technologique que nous avons en matière nucléaire en arrêtant le programme Superphénix, remettre en cause, sans le dire, le dynamisme de nos entreprises en annonçant, dans les conditions que l'on sait et avec le côté contraignant que l'on sent, les trente-cinq heures obligatoires pour un certain moment, tout cela me semble un peu aventuré.
J'ai écouté avec attention M. le ministre de l'économie tout à l'heure : discours de grande qualité, certes, mais dans lequel un point précis me gêne. Vous comprenez, nous a-t-il dit, la « confiscation » que nous allons en quelque sorte opérer sur les fruits de l'expansion de la France en 1998 ne sera que de 41 %, alors qu'elle a été de 86 % il y a quelque temps.
Voilà une manipulation que l'on peut faire avec certitude a posteriori sur des chiffres avérés, mais qu'il est peut-être un peu risqué de faire a priori sur des chiffres futurs, surtout quand on est soi-même maître, au moins dans la projection, et du numérateur et du dénominateur de la division.
Or, je crains que ce ne soit là que l'effet de votre confiance, de votre volonté d'y croire et que tout cela ne vous mène sur des voies curieuses. Pourquoi ? Parce que vous sacrifiez à l'idéologie, et je vais vous en donner un exemple.
Dans les toutes premières pages d'un des rapports accompagnant le projet de loi de finances, vous écrivez que ce budget se caractérise tant par ses ambitions pour l'emploi que par sa volonté de justice sociale.
Dès lors, je vous pose une question simple, monsieur le secrétaire d'Etat : un emploi est-il bon quand vous le trouvez idéologiquement justifié et mauvais quand vous le trouvez idéologiquement discordant par rapport à vos convictions ? Pour être plus précis, comme je l'ai déjà dit à Mme Aubry de haut de cette tribune, où est la logique ?
Est-ce de préférer un emploi rémunéré totalement sur fonds publics, qui coûte au budget de l'Etat 80 000 francs, le reste étant à la charge des collectivités locales, et dans des domaines d'activité flous ? Est-ce de considérer que cet argent public dépensé pour une part au détriment des collectivités locales est justifié parce que l'emploi est créé par la collectivité, et par conséquent économique ? Est-ce de considérer comme injuste, scandaleux et invraisemblable que l'on finance par une réduction d'impôt de 45 000 francs au maximum un véritable emploi créé par une famille ? Expliquez-moi pourquoi dépenser 100 000 francs, c'est bien, tandis que dépenser 40 000 francs c'est mal, et ce pour crééer un emploi dans les deux cas !
De la même manière, vous avez tendance à nous dire qu'il faut « charger la barque » des grandes entreprises. Moi je veux bien, c'est facile à dire, mais nos grandes entreprises françaises sont-elles, par rapport à leurs concurrentes mondiales, en situation de se faire ponctionner encore un peu plus, au motif qu'elles sont grandes ? Je n'en suis pas persuadé, et je constate que, pour l'instant, on voit plus d'OPA étrangères sur des entreprises françaises en mal de finances que d'OPA françaises sur des sociétés étrangères que l'on devait à je ne sais quelle prospérité fantastique des entreprises françaises. D'ailleurs, le deuxième assureur français en est réduit à appeler les Allemands au secours pour résister aux Italiens !
M. Philippe Marini. Oui, ce n'est pas merveilleux !
M. Paul Girod. Cela ne me semble pas être le signe de perspectives financières remarquables pour nos assureurs.
Tout cela me donne à penser, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous avez davantage mis l'accent sur ce que vous appelez la « justice sociale », ce qui, dans bien des cas, n'aura d'autre résultat que l'inefficacité économique. Ce que vous croyez être une politique au service de l'emploi n'est raisonné qu'à partir d' a priori idéologiques sur ce qu'est le bon emploi.
Moi, je ne suis pas du tout persuadé - le monde entier a fait la preuve du contraire - que ce soit l'emploi collectivement décidé et publiquement financé qui soit le vrai emploi pour les années qui viennent.
Or, tout votre projet de budget - je ne parle pas ici des grandes masses, ni du fait qu'on prenne de l'argent aux militaires pour le distribuer à je ne sais qui - est fondé sur cette présupposition, affichée dès la première page comme étant sa colonne vertébrale.
Monsieur le secrétaire d'Etat, quelle que soit votre bonne volonté, dont je ne doute nullement, quelle que soit la sincérité de vos convictions, je crains qu'à force de vouloir avoir raison contre le monde entier pour élaborer le budget de la France, vous ne nous entraîniez, nous et notre peuple, une nouvelle fois, comme en 1988, quand on a rétabli la priorité de la dépense publique par rapport à l'économique, sur de curieuses voies. Et un jour ou l'autre, à force, vous, d'y avoir cru trop, comme à force, pour vos prédécesseurs, d'y avoir cru insuffisamment, nous risquons d'un camp à l'autre, d'en payer le prix politique, quand le pays tout entier devra payer le prix de l'inefficacité fondamentale de ces mesures.
Voilà ce que je voulais dire en guise de réflexion générale.
Permettez-moi maintenant une réflexion plus particulière sur les collectivités locales, domaine que je connais un peu, dans lequel, certes, je peine parfois,...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Ne soyez pas trop modeste !
M. Paul Girod. ... mais dans lequel aussi, sous la conduite éclairée du président du comité de finances locales et du président de la commission des finances du Sénat, je fais chaque jour des découvertes supplémentaires.
Je suis quelque peu sidéré. Vous dites ne pas diminuer les transferts de ressources, ou à peine, et encore avec des compensations de l'Etat en direction des collectivités locales. Je ne reviens longuement ni sur l'historique de l'affaire, ni sur la discussion quasi théologique de savoir ce qui appartient vraiment aux collectivités locales et ce qui appartient à l'Etat, ni sur la manière abusive avec laquelle la comptabilité publique, en particulier, et l'ensemble du ministère des finances, en général, ont tendance à considérer les flux financiers qui vont de l'Etat vers les collectivités territoriales, oubliant souvent ceux qui vont en sens inverse. Je relève seulement que, dans le même temps où, dites-vous, vous ne diminuez pas les concours de l'Etat, vous multipliez allègrement les charges qui vont s'imposer aux collectivités territoriales.
Je ne parle même pas de l'emploi des jeunes. Tout le monde le sait, les 2 milliards de francs, au moins, que coûtera la mesure seront prélevés sur les impôts locaux, parce qu'il n'y a pas d'autres moyens d'arbitrer.
Tout le monde sait aussi que le climat de laxisme vis-à-vis des syndicats qui préside à la mise en oeuvre de la loi sur les services de secours et d'incendie, dont vous n'êtes pas les auteurs, je vous le concède, va faire peser sur les départements et les communes des charges nouvelles très différentes de celles qui avaient été envisagées au moment du vote de la loi.
M. Philippe Marini. Hélas !
M. Paul Girod. De surcroît, j'ai entendu M. Allègre nous promettre ici même un plan pour l'Université, dont le financement, comme il nous l'a déjà laissé entendre, exigera probablement que nous mettions « la main à la poche », et c'est une litote !
Quant à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, vous êtes peut-être les premiers à avoir inventé le pompage, même si vous n'êtes certainement pas les seuls à l'avoir poursuivi. Or, cette fois-ci, comme il n'y a plus rien à pomper, vous allez pomper à l'extérieur pour endetter le système, et l'on retrouvera tout cela évidemment l'année prochaine. Cela permet un effet d'annonce pour 1997 ; cela promet aussi quelques perspectives difficiles pour 1998.
Soit ! Seulement tout l'équilibre de ce que l'on a appelé le pacte financier entre l'Etat et les collectivités territoriales - vous dites que vous le maintenez, et je vous en remercie - repose sur le fait que la compensation des réductions financières décidées par l'Etat et mises à la charge des collectivités locales est financées en partie par une taxe professionnelle minimale dont le taux a été fixé voilà maintenant deux ans à un niveau relativement faible.
Nous devions disposer des leçons tirées de cette affaire. Je n'ai pas le sentiment, mais peut-être ai-je mal lu vos documents budgétaires, que quoi que ce soit y figure sur le sujet et encore moins que l'on en tire quelque leçon que ce soit.
Par conséquent, de deux choses l'une : ou la discussion qui va se dérouler tout au long de l'année 1998 sur le renouvellement ou la sortie du pacte va intégrer les dimensions de cette nouvelle taxe professionnelle nationale minimale, destinée à alimenter l'Etat alors que, en principe, c'est un impôt local - dans ce cas-là, nous sommes évidemment preneurs d'éclairages et de réponses - ou il n'y a rien et, d'avance, nous sommes déçus et surtout inquiets de l'avenir des rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales.
Voilà donc, monsieur le secrétaire d'Etat, une observation sur la théologie et des questions sur les finances locales.
Je crains que vous ne tombiez, avec ce projet de budget, sur l'un des grands défauts que j'ai tendance à reprocher à votre famille de pensée : vous prenez une photo de la société française et vous y repérez un certain nombre d'anomalies que vous réparez en vous plaçant de votre point de vue, en particulier celui de la justice sociale.
Ce faisant, vous oubliez qu'une photo est un instantané, alors que la vie, c'est du cinéma, au sens de l'évolution des choses ( M. le rapporteur général rit ), et vous ne vous préoccupez guère des dérivés se situant derrière les anomalies de la photo, dérivés qui sont beaucoup plus positifs que vous ne l'admettez.
Le plus bel exemple en est la société économique américaine, qui a redémarré avec ce que l'on a appelé « les petites boulots », mal payés peut-être mais qui ont remis tout le monde au travail. Ces petits boulots ont abouti à ce que tous les emplois créés aux Etats-Unis soient aujourd'hui payés largement au-dessus de la moyenne des rémunérations de ce pays ; ils ont redonné aux Etats-Unis une dynamique économique, après une période certes difficile, mais au cours de laquelle tout le monde, individus compris, a été contraint de prendre ses responsabilités.
Je crains que vous n'ayez oublié cette leçon-là et que, pour des motifs tout à fait louables sur le plan sentimental - j'allais presque dire moral - de redistribution, ...
M. Michel Sergent. Quarante millions d'Américains vivent en dessous du seuil de pauvreté ! Quel exemple !
M. Paul Girod. ... vous n'arriviez qu'à casser le système et à nous faire rater une nouvelle fois le train d'une modernisation générale du monde, qui aurait pu se faire avec nous, qui se fera sans nous et dont je crains qu'elle ne se fasse contre nous ! ( Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. ) M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lors des dernières élections législatives, nos concitoyens ont rejeté le précédent gouvernement et la suffisance dont il faisait preuve. A un nouveau tour de vis de la rigueur, les citoyens ont répondu par la priorité à l'emploi et par la réponse à la lancinante question sociale. A la manoeuvre que constituait la dissolution de l'Assemblée nationale, ils ont opposé la transparence. A la mondialisation et à la dictature des marchés, les citoyens de notre pays ont préféré la République et la nation.
En posant quatre conditions au passage à l'euro, dont trois avaient d'ailleurs été proposées au débat, à gauche, par le Mouvement des citoyens, lors de son congrès de Saint-Nazaire, à l'automne 1996, Lionel Jospin a permis la victoire de la nouvelle majorité plurielle et a retrouvé la confiance du peuple.
Tout cela, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, n'est pas sans rapport avec le projet de loi de finances pour 1998. En effet, ce dernier, dont j'analyserai un peu plus loin l'impact sur les collectivités locales, repose sur une hypothèse de reprise de la croissance d'environ 3 %. J'en dirai quelques mots.
La reprise de l'activité économique demeure fragile,...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Ah !
M. Paul Loridant. ... car elle est, jusqu'à ce jour, essentiellement stimulée par des facteurs exogènes à l'économie française. Notre croissance repose essentiellement sur la demande étrangère, c'est-à-dire sur les exportations, tirées entre autres par une série de réajustements de parités monétaires, notamment l'appréciation du dollar.
M. Philippe Marini. Tout à fait !
M. Paul Loridant. Ceux qui, comme les membres du groupe communiste républicain et citoyen, ont dénoncé depuis de nombreuses années le monétarisme et la politique du franc fort ne peuvent que se réjouir de cette reprise annoncée de la croissance. La preuve a été donnée qu'un léger réajustement des parités monétaires permet une meilleure compétitivité de la France.
A ce titre, les membres du groupe communiste républicain et citoyen regrettent vivement le relèvement des taux d'intérêt directeurs décidé par le conseil de la politique monétaire, alors que, à notre avis, absolument rien ne justifiait cette décision,...
M. Michel Sergent. Ça, c'est la Banque de France !
M. Paul Loridant. ... et certainement pas la loi qui fait obligation à la Banque de France d'accompagner l'économie...
M. Michel Sergent. Eh oui !
M. Paul Loridant. ... et non pas de suivre béatement la Bundesbank . En effet, cela est lourd de conséquences, aussi bien pour les entreprises que pour les ménages ou les finances publiques.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous connaissez mieux que moi cette réalité : la charge de la dette payée aux banques et aux institutions financières représente, hélas ! aujourd'hui, la troisième dépense du budget de l'Etat et équivaut au budget de la défense nationale.
La reprise de la croissance sur des bases saines nécessite, selon nous, une relance de la demande interne. Cela suppose une poursuite de la revalorisation des salaires engagée par le Gouvernement, en juillet dernier, avec la hausse de 4 % du SMIC. La plupart des économistes soulignent aujourd'hui la faiblesse de la consommation, qui résulte, en grande partie, de la politique de rigueur salariale. Selon une étude publiée par l'INSEE le 2 octobre dernier, le salaire net a baissé de 1,3 % en France en 1996.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen ne sauraient trop encourager le Gouvernement à poursuivre les efforts de revalorisation du pouvoir d'achat. Et que l'on ne vienne pas nous parler, comme à chaque fois, de la compétitivité des entreprises confrontées à la compétition internationale ! Si l'on prend en compte le coût unitaire des marchandises, c'est-à-dire le coût corrigé par la productivité des salariés qui les fabriquent, l'Europe est actuellement plus compétitive que la Malaisie ou l'Indonésie.
J'en viens au pacte de stabilité et aux collectivités locales.
Le Gouvernement va vraisemblablement bénéficier d'une conjoncture économique favorable - je le souhaite, en tout cas - bien que fragile. Il convient tout de même de rappeler que l'exercice n'était pas aisé, voire jugé comme impossible sans un nouveau tour de vis, notamment à l'égard des salariés par le gouvernement Juppé . C'est à partir de ce constat que la décision de dissoudre l'Assemblée nationale a été prise par le Président de la République.
Ce projet de budget est donc critiquable sur certains points. Il est en effet trop économe et centré sur le respect scrupuleux, pour ne pas dire comptable, des 3 % de déficit budgétaire, critère principal du passage à la monnaie unique.
Ce projet de budget présente néanmoins, à mes yeux, deux aspects positifs.
En premier lieu, un rééquilibrage de l'effort de solidarité est consenti au profit des salariés et des ménages modestes.
Lors de la discussion du projet de loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, le groupe communiste républicain et citoyen avait approuvé la démarche du Gouvernement visant à demander aux grandes entreprises un effort de solidarité par le relèvement du taux de l'impôt sur les sociétés.
En second lieu, une véritable priorité est donnée à la création d'emplois et à la jeunesse.
M. le ministre de l'économie et des finances a été maire d'une commune de banlieue.
M. Philippe Marini. Il est toujours premier adjoint au maire !
M. Paul Loridant. Vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, avez été préfet de la région d'Ile-de-France. Vous connaissez donc aussi bien que nous les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Sur fond d'aggravation de la crise économique et du développement du chômage, les élus font face à des situations souvent difficiles à gérer.
Je limiterai mon propos aux conséquences financières pour les communes, bien que les élus de ces dernières aient également à gérer les tensions sociales, notamment avec les jeunes.
A titre d'exemple, aux Ulis, ville dont je suis maire, les dépenses consacrées à l'action sociale tendent, hélas ! à croître chaque mois, et ce beaucoup plus vite que les recettes. De nouvelles couches sociales s'adressent aujourd'hui aux services sociaux pour trouver une solution à leurs problèmes de loyers impayés, de dettes à EDF, ou pour exposer des situations de surendettement dont mon collègue Jean-Jacques Hyest et moi-même avons pu mesurer la progression, à l'occasion du travail réalisé en vu de la rédaction d'un rapport.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Travail très sérieux et important, monsieur Loridant ! Il convient de le souligner devant notre assemblée !
M. Paul Loridant. Je vous remercie, monsieur le président de la commission des finances.
Dans un contexte de désengagement financier et de transfert de charges qui demeure, les communes se trouvent parfois obligées de choisir entre la réduction de leurs interventions et la hausse de la fiscalité locale. Parfois, elles doivent assumer les deux.
De l'aveu de nombre de mes collègues maires, certains de ces derniers se retrouvent contraints de choisir entre l'important et l'essentiel. J'ajoute que la réduction drastique des ressources des collectivités locales explique en partie l'atonie de la demande et la crise du secteur du bâtiment et des travaux publics. Quand reconnaîtra-t-on enfin le rôle important que jouent les collectivités locales dans l'économie, notamment par leurs investissements ?
Depuis quelques années, grâce à une gestion active de la dette, les collectivités territoriales sont parvenues à réduire leurs charges en ce domaine.
Toutefois, je me permets d'insister à nouveau sur le coup d'arrêt donné par le gouverneur de la Banque de France et par le Conseil de la politique monétaire à la baisse des taux d'intérêt, et ce sans aucune justification macro-économique. Ce coup d'arrêt sera lourd de conséquences si, comme je le crains, il devait se renouveler et provoquer un processus de remontée des taux.
Lors du débat sur la modification du statut de la Banque de France, j'avais insisté sur la nécessité de maintenir le contrôle du politique sur l'économique ; que n'avais-je alors entendu sur l'incontournable indépendance ! Mais de quelle indépendance parle-t-on ? La Banque de France est simplement passée de la tutelle du pouvoir politique, c'est-à-dire du peuple, à travers vous, monsieur le secrétaire d'Etat, à la tutelle des marchés financiers, qui exigent des taux d'intérêt élevés pour rémunérer la rente. Voilà la réalité que nous vivons !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. Paul Loridant. Monsieur le secrétaire d'Etat, nous tenons à saluer les efforts du Gouvernement en matière de création d'emplois pour les jeunes. Le plan emplois-jeunes, toujours perfectible, est la première tentative sérieuse depuis longtemps de répondre aux attentes de la jeunesse, même si cela ne va pas sans poser des interrogations pour les collectivités locales, notamment en ce qui concerne la charge qui leur incombera.
De la même manière, nous saluons les efforts budgétaires en faveur de l'éducation nationale, notamment la création du fonds d'aide pour les cantines scolaires, car, dans notre pays, mes chers collègues, des familles ne peuvent plus assumer financièrement le déjeuner de leurs enfants.
L'impulsion donnée à la création de postes dans le domaine de la recherche est une mesure tout à fait positive, car elle concourt au rayonnement scientifique de notre pays.
De même, la décision de réhabiliter des logements sociaux va dans le bon sens.
Les collectivités locales - en tout cas celles que nous administrons - sont prêtes à assurer la réussite du plan emplois-jeunes.
Les attentes et les espoirs sont énormes, et vous devez comprendre l'inquiétude des collectivités locales qui auront à prendre en charge 20 % du salaire, les frais de formation et d'encadrement inhérents à ce plan emplois-jeunes dans un contexte financier difficile pour elles. Le groupe communiste républicain et citoyen proposera donc des amendements raisonnables afin d'accroître leurs ressources, ce qui est d'ailleurs légitime, compte tenu des pertes qu'elles ont dû assumer au cours des dernières années avec le désengagement de l'Etat.
Nous avions pris l'habitude de nous attendre au pire en matière d'évolution des dotations de l'Etat. Je dois dire que nous avons rarement été déçus !
Le gouvernement Juppé avait en quelque sorte imposé aux collectivités locales le pacte de stabilité. J'avais, à l'époque, dénoncé ce marché de dupes, puisque l'Etat assurait aux collectivités locales la stabilité d'une enveloppe financière globale sans garantir la stabilité des règles.
Comme le souligne l'Association des maires de France, le pacte de stabilité, dans sa lettre, est respecté dans le projet de loi de finances pour 1998, et nous ne pouvons que nous réjouir de l'absence de nouveaux transferts de charges. Par ailleurs, nous apprécions que les collectivités locales ne fassent pas l'objet d'une tentative de réduction des compensations versées au titre de la fiscalité locale.
Nous apprécions également la stabilisation des cotisation à la CNRACL, même si le procédé pour y parvenir - des avances de trésorerie pouvant aboutir à la levée d'un emprunt - soulève quelque méfiance...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Ah oui !
M. Paul Loridant ... et ne fait peut-être que repousser l'heure des échéances.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Pas « peut-être » ! Sûrement !
M. Paul Loridant. Doit-on engager une réflexion de fond sur les mécanismes de solidarité financière entre les différents régimes sociaux concernés ? C'est sans doute nécessaire. Le Gouvernement a tenu à poursuivre la mise en oeuvre du pacte de stabilité afin de respecter les engagements pris unilatéralement par l'Etat envers les collectivités locales. Dont acte !
Cependant, monsieur le secrétaire d'Etat, nous tenons à attirer votre attention sur l'absolue nécessité d'engager des discussions avec les collectivités locales, pour gérer la sortie de ce pacte et en négocier éventuellement un nouveau. En tout cas, il ne devra pas être imposé comme le précédent. Mais j'ai bien compris, à la suite du propos tenu par M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, que telle était bien l'intention du Gouvernement.
A notre sens, la réflexion sur les relations futures entre l'Etat et les collectivités locales devra s'articuler autour de trois points : la question des institutions et des compétences, la question des concours financiers de l'Etat, qui devront prendre en compte la progression réelle des charges des collectivités locales et reconnaître leur rôle en matière économique et sociale, et, enfin, la question de la réforme de la fiscalité. A cet égard, le futur système fiscal devra assurer une plus grande justice sociale.
Le groupe communiste républicain et citoyen a l'intention de voter ce projet de budget, monsieur le secrétaire d'Etat, si toutefois la majorité du Sénat ne le modifie pas de façon fondamentale. (Sourires.)
Nous le voterons parce qu'il marque un réel effort de justice sociale, une priorité accordée aux questions essentielles de l'emploi, de la solidarité et de la jeunesse. C'est sur ces points que nous serons jugés par nos concitoyens. Aussi serons-nous attentifs, monsieur le secrétaire d'Etat, au respect des engagements pris.
L'urgence absolue, à nos yeux, c'est l'emploi et la question sociale. C'est pourquoi, s'il le faut, nous resterons des adversaires résolus d'une construction européenne si elle se confirme dans son rôle de cheval de Troie de la mondialisation libérale. Nous ne ménagerons pas nos efforts auprès du Gouvernement afin d'aider à la réussite du pacte républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.) M. le président. La parole est à M. Marini. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Michel Sergent. C'est le libéralisme pur et dur qui arrive !
M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues...
M. René Régnault. Allez-vous citer M. Attali ?
M. Philippe Marini. Je n'ai pas l'intention de citer M. Jacques Attali ; il a déjà été cité très opportunément tout à l'heure par M. Josselin de Rohan.
M. Michel Charasse. Ce n'est pas forcément une bonne référence ! (Sourires.)
M. Philippe Marini. Il écrit bien et il est agréable à lire. Par les temps qui courent, cela mérite d'être souligné, surtout lorsqu'on est d'accord sur le fond.
M. René Régnault. Vous manquez de références chez vous !
M. Philippe Marini. Mes chers collègues, nous avons entendu tout à l'heure M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie exposer les grandes lignes du projet de budget...
M. René Régnault. Brillamment !
M. Philippe Marini. Je vous en prie, ne m'interrompez pas sans cesse !
M. René Régnault. Exposer brillamment !
M. Philippe Marini. J'allais le dire !
Vous me permettrez sans doute de poursuivre, mon cher collègue !
M. le président. Monsieur Régnault, si l'on vous avait aiguillonné ainsi pendant votre intervention, qu'en auriez-vous pensé ?
Veuillez poursuivre, monsieur Marini.
M. Philippe Marini. Nous avons donc entendu tout à l'heure M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie présenter les grandes lignes de son projet de budget. Il l'a fait avec beaucoup de brio, puis il est parti. J'espère que nous le reverrons dans le cours de la discussion de ce projet de loi de finances, notamment lors de l'examen des articles !
Bien entendu, mon propos ne doit pas être mal interprété, et je voudrais saluer l'écoute très attentive et les contributions très concrètes que M. le secrétaire d'Etat nous a déjà apportées dans cet hémicycle, lorsqu'il y est venu, à plusieurs reprises, nous présenter un certain nombre de textes.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Philippe Marini. Je voudrais toutefois souligner, à la suite de l'exposé, en effet très brillant, que nous avons entendu cet après-midi, que le projet de budget pour 1998, tel qu'il est conçu, me semble, en forçant à peine le trait, pouvoir se résumer par deux termes : illusionnisme et facilité. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. René Régnault. Ce n'est pas sérieux !
M. Philippe Marini. Je commencerai par l'illusionnisme, c'est-à-dire par la faculté de présenter de manière brillante...
M. René Régnault. La vérité !
M. Philippe Marini. ... des données qui sont souvent assez éloignées de la réalité ou qui, en tout cas, la sollicitent de manière assez prononcée.
Le ministre s'est appuyé sur les résultats de l'exécution de l'exercice 1997, sur le solde à la fin de l'année -, qui est tenu, en effet -, pour nous présenter les options retenues par le Gouvernement pour 1998, et il s'est félicité à cette tribune d'être parvenu à atteindre, dès le 31 décembre 1997, les fameux 3 %.
J'ai sous les yeux un commentaire assez élogieux qui s'intitule : Le miracle budgétaire de Dominique Strauss-Kahn, et quand je lis le contenu de l'article, je commence à m'expliquer les choses - vous verrez, à ce propos, à quoi je veux en venir avec le terme d'« illusionnisme ».
« La croissance n'a, semble-t-il, pas suffi à juguler tous les dérapages, notamment celui des comptes de la sécurité sociale, dont le montant estimé à 20 milliards de francs n'a jamais été budgétisé. Cela est un satisfecit. C'est pourquoi le Gouvernement s'est vu contraint de compléter la croissance des recettes par la réduction de ses dépenses - très bien ! - mais il ne faut y voir aucune volonté politique claire. En effet, quand on passe les différentes coupes budgétaires au crible, il ressort que la majorité des économies sont plus automatiques que choisies - l'auteur de l'article en apporte une excellente illustration - meilleur exemple, les 7 milliards de francs d'économies réalisés sur les charges financières ». Bravo ! Pourquoi ? « Baisse des taux d'intérêt,...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Philippe Marini. ... 3,5 % de référence de taux courts, hypothèse d'ailleurs transposée sur 1998 alors que ce niveau de 3,5 % est aujourd'hui inférieur au taux du marché. Donc heureuse opportunité sur 1997, pari hasardeux sur 1998 et, en effet, M. Strauss-Kahn a raison de relier la considération du résultat 1997 et la prévision de 1998. »
Je passe sur un certain nombre d'autres exemples, et je cite simplement la conclusion du journaliste, parce que je l'approuve totalement : « Le miracle ressemble plus à une habile communication politique qu'à un réel exploit comptable. »
A l'appui toutefois du premier terme que j'ai utilisé, je voudrais, mes chers collègues, reprendre quelques points qui ont été évoqués tout à l'heure par M. le ministre dans son exposé. Cela me permettra de montrer que la présentation qu'il a faite de certains sujets prend quelque liberté avec la réalité, notamment avec la réalité des comptes publics.
M. Jacques Legendre. C'est bien dit !
M. Philippe Marini. En ce qui concerne, précisément, ce solde au 31 décembre 1997, il nous a dit en substance qu'il avait tenu les dépenses - nous avons vu pour partie ici ce qu'il convient d'en penser - et que, ayant exécuté avec rigueur et avec vertu le budget de 1997, il avait constaté au total que l'exercice n'était pas si difficile que cela, en particulier pas aussi difficile que le prétendait l'ancien Premier ministre en quittant ses fonctions.
M. René Régnault. Ce dernier s'est trompé, alors !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il a été trompé !
M. Philippe Marini. Mais il faut quand même se souvenir, mes chers collègues, que l'ancien Premier ministre n'avait pas, à sa disposition, lui, 24 milliards de francs de recettes supplémentaires, qui proviennent, sur l'année 1997, de la loi dite « MUFF » - que j'appelle souvent, parce que je ne me souviens pas toujours de cet intitulé, le « DDSK » : « diverses dispositions Strauss-Kahn ». (Sourires.) Ce n'est pas une critique, c'est une simple appellation facile à mémoriser.
Je rappelle la réalité comptable : 24 milliards de francs de recettes supplémentaires. Certes, avec une telle somme il n'est sans doute pas si difficile que cela, monsieur le secrétaire d'Etat, d'améliorer de 14 milliards de francs le solde budgétaire ! Sans ces 24 milliards de francs, eh bien, arithmétiquement, le solde budgétaire se serait dégradé de 10 milliards de francs ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur Marini, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Philippe Marini. Je vous en prie.
M. René Régnault. La ficelle est trop grosse !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur Marini, je ne peux pas vous laisser dire qu'avec 24 milliards de francs de recettes supplémentaires tout s'arrange !
Je dois vous rappeler que les deux auditeurs - que, je crois, personne ne conteste - ont conclu qu'il manquait à l'Etat quelque 16 à 17 milliards de francs de recettes au milieu de l'année 1997 : 17 milliards de francs de moins et 24 milliards de francs de plus, cela ne fait pas 24 milliards de francs de recettes nouvelles !
Il est clair, d'après les chiffres dont nous disposons, qu'il manquera effectivement, par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale de 1997, environ 15 à 16 milliards de recettes.
Les 24 milliards de francs que vous qualifiez de miraculeux viennent, pour les trois quarts, combler un déficit de recettes qui avaient été prévues et qui n'ont pas été effectivement perçues.
M. Michel Sergent. Très bien !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Marini.
M. Philippe Marini. Je veux vous rappeler, pour ma part, que le précédent gouvernement avait gelé 10 milliards de francs de crédits qui ont été remis au pot...
M. Jean-Pierre Fourcade. Exact !
M. Philippe Marini. ... et que des dépenses ont été engagées, dépenses qui n'ont sans doute pas contribué à relancer la consommation comme vous l'eussiez espéré !
Mais arrêtons là et reconnaissons simplement que les choses sont complexes, en tout cas beaucoup plus complexes que ne nous l'a dit M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, cet après-midi, dans sa présentation très habile...
M. René Régnault. Vous êtes bien placé pour parler d'habileté !
M. Philippe Marini. ... mais, à mon avis, quelque peu tronquée par rapport à la réalité.
Je veux aussi rappeler, sur un autre point - je passe maintenant à 1998 - que la hausse des charges réelles du budget est de 1,87 % - confer la page 103 du tome I du rapport général - alors qu'en 1997 elle était de 0,81 %.
Il est donc faux de prétendre que le budget de 1998 est un budget plus vertueux ou au moins aussi vertueux, du point de vue de la hausse des dépenses, que celui de 1997.
J'ajoute que ces chiffres comprennent bien les comptes d'affectation spéciale, comme cela est indiqué très clairement par notre rapporteur général, je le répète, à la page 103 de son rapport.
S'agissant du taux des prélèvements obligatoires, M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie nous demande d'être admiratifs, car celui-ci serait en baisse en 1998.
Cela semble heurter un peu l'entendement, mais c'est néanmoins la thèse qu'il soutient.
M. René Régnault. C'est pourtant la réalité !
M. Michel Sergent. C'est de l'arithmétique !
M. Philippe Marini. Ecoutez, mes chers collègues, la série de chiffres suivante !
Avec 45,9 % de prélèvements obligatoires, chiffre que je ne conteste pas pour 1998, le Gouvernement est, en effet, au-dessus du taux de 1996, qui était de 45,7 %, et un peu au-dessous de celui de 1997, qui, en exécution, sera probablement de 46 %. Mais pourquoi ? Parce que, en 1997, par la loi MUFF, on a prélevé 24 milliards de francs supplémentaires. Quand on évalue une fraction, il faut regarder le numérateur et le dénominateur ! Cela est encore, mes chers collègues, de l'arithmétique élémentaire.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Et voilà !
M. René Régnault. Ce n'est pas la réalité !
M. Philippe Marini. Cela étant, ne nous battons pas sur les chiffres. C'est la réalité.
Vous ne pouvez le contester, les choses sont plus complexes que n'a bien voulu le dire, avec son talent et son brio, à certains égards d'illusionniste - j'admire la technique - M. le ministre. Les choses sont plus complexes que ce qui nous a été dit. Il y a un certain nombre d'effets de manche qu'il vaut mieux ne pas laisser passer.
M. Michel Sergent. C'est vous qui compliquez les choses !
M. Philippe Marini. J'en viens maintenant à mon second terme : la facilité.
L'Etat utilise des prévisions économiques dont on peut espérer qu'elles se réalisent, en effet, et qui lui donnent de nouvelles marges de manoeuvre.
Quelles sont les prévisions économiques pour 1998 ?
D'abord une croissance de 3 %. Aujourd'hui, beaucoup d'observateurs sont partagés sur ce taux et les instituts de conjoncture présentent des pourcentages compris dans une fourchette dont le taux de 3 % est plutôt la branche haute.
On prévoit également un taux d'investissement des entreprises de 4 %. Y croit-on vraiment lorsque l'on entend nombre de chefs d'entreprise exprimer leur attentisme, notamment parce qu'ils craignent de devoir réorganiser leur processus de production du fait de l'obligation, d'ici peu, de calculer différemment les heures de travail et, concrètement, de passer aux trente-cinq heures hebdomadaires obligatoires ?
Croit-on que l'instabilité fiscale, que les doutes que l'on peut avoir sur l'évolution du droit du travail, croit-on que l'évolution très défavorable de la fiscalité sur les sociétés puissent entraîner autre chose que l'attentisme chez les chefs d'entreprise ? Et imagine-t-on que cet attentisme puisse se traduire par autre chose que par un chiffre un peu moins favorable que les quelque 4 % d'augmentation des investissements des entreprises ?
S'agissant de la consommation des ménages, on anticipe une hausse de 2 %, soit un doublement du taux de croissance enregistré en 1997. Peut-être un tel taux est-il avéré sur les trois derniers mois, mais de là à le transposer sur toute l'année 1998, il y a peut-être un pas un peu audacieux !
Pour ce qui est des exportations, la prévision de croissance est de près de 6 %. Je souhaite que nous y parvenions, mais nous allons subir les conséquences de la crise économique et financière que connaissent l'Asie du Sud-Est et le Japon. Cette crise peut se traduire par une dépression des courants d'exportation qui affectera au moins certaines professions. Atteindra-t-on les 6 % ? Il n'y a rien là de bien certain.
De la même façon, un dollar à six francs est une hypothèse que l'on pouvait sans doute raisonnablement faire au moment où le projet de loi de finances a été préparé, mais qui est aujourd'hui entourée d'un certain nombre d'incertitudes, chacun en conviendra.
La conjoncture des taux d'intérêts doit également être considérée comme incertaine pour l'année 1998. Nous souhaitons tous que les structures financières du Japon tiennent le coup et qu'une fragilisation du système financier international ne soit pas induite par la crise qui est survenue inopinément en Asie du Sud-Est. Mais, s'il devait y avoir de graves tensions sur les marchés internationaux, liées en particulier à des besoins de financement des administrations publiques au Japon, il est clair que les taux d'intérêt se tendraient et que nous en subirions les conséquences, à tous les échelons, y compris au niveau du budget de l'Etat.
A travers cette énumération, je veux montrer que ce qui était sans doute raisonnable l'été dernier l'est peut-être un peu moins aujourd'hui et qu'on a pris des hypothèses économiques assez favorables, permettant de dégager des marges de manoeuvre.
Ces marges de manoeuvre, qu'en a-t-on fait ? A mon avis, elles sont bien mal mises à profit dans ce budget. C'est ce que j'appelle la facilité.
J'ai en effet le sentiment, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'en ce début de législature vous êtes à peu près dans la même position que le gouvernement de M. Michel Rocard en 1988-1989 : devant une tendance porteuse de la conjoncture, on avait laissé dériver la dépense publique. A l'époque, on parlait même de « réhabilitation de la dépense publique », expression aujourd'hui un peu obsolète.
M. Michel Charasse. Elle est tout à fait d'actualité !
M. Philippe Marini. Que s'est-il passé ensuite ? Lorsque les chiffres de la croissance et d'autres variables économiques ont été moins bons, on a constaté un déséquilibre extrêmement difficile à corriger, compte tenu de ce qu'avait été la dérive de la dépense publique. Et il a fallu plusieurs années pour revenir à un déficit public un peu plus raisonnable par rapport au PIB : pour être précis, il a fallu attendre 1993. Cela était largement lié à l'emballement qui s'était produit au début de la législature 1988-1993.
Pour ma part, monsieur le secrétaire d'Etat, je crains que vous ne soyez, par excès d'optimisme, sur la même pente.
Lorsqu'on examine le projet de budget, on constate que les dépenses d'intervention progressent de 1,6 % et les dépenses de fonctionnement de 2,8 %, soit deux fois plus vite que l'inflation.
Le ministre de l'économie a raisonné sur les charges totales de l'Etat, qui augmentent de 1,8 %. Moi, je vous parle des dépenses de fonctionnement. Or, une progression qui représente le double de l'inflation, ce n'est assurément pas la rigueur.
Quant aux dépenses d'investissement, le président Poncelet l'a relevé très justement, elles sont en recul de plus de 4 %.
Il est clair que, dans ces conditions, nous sommes bien loin des réformes de fond qu'il faudrait réaliser, notamment en ce qui concerne l'organisation de l'Etat.
Au lieu d'alléger l'Etat pour lui permettre de bien réaliser ses missions cruciales, nous créons, à la frontière entre emplois publics et emplois privés, quelque chose de très original, de très innovant et même d'« émergent », en termes de quasi-fonction publique : les emplois-jeunes.
Ceux-ci répondent sans doute à des préoccupations justifiées de la part de ceux qui vont en bénéficier, mais ils vont se traduire, en année pleine, par une dépense de l'ordre de 35 milliards de francs, ce qui sera un facteur important de réduction de nos marges de manoeuvre pour l'avenir.
Ces 35 milliards de francs, il faudra bien les compenser par ailleurs, si vous entendez, monsieur le secrétaire d'Etat, rester fidèle aux objectifs de convergence européenne que vous affirmez viser. Il faudra les compenser dans les délais impartis pour rejoindre le groupe des pays susceptibles de bénéficier de la monnaie unique. Or, avec des prévisions conjoncturelles fragiles, avec de nouvelles rigidités dans notre budget, avec une marge de manoeuvre réduite pour l'avenir, nous prenons des risques.
Nous prenons en particulier le risque de devoir un jour donner un sérieux coup de frein qui sera nécessairement très pénalisant, et ce sera un tournant terriblement difficile non seulement pour votre gouvernement mais aussi pour les Françaises et les Français.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Et c'est nous qui devrons l'opérer, ce tournant !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Ce n'est pas sûr !
M. Philippe Marini. Ce n'est pas un cas de figure théorique. Vous savez comme moi, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'emballement des chiffres peut produire des effets tout à fait inattendus.
Je voudrais évoquer brièvement la dérive concernant les effectifs de la fonction publique, même si nous allons y revenir lors de la discussion des articles de la seconde partie.
Bien sûr, il faut dénoncer la bombe à retardement que représentent les emplois dits « emplois Aubry ».
Mais il faut aussi rappeler que la France est un pays où 25 % des actifs vivent de l'Etat, soit en qualité de fonctionnaire, soit en qualité de bénéficiaire de rémunérations versées à un titre ou à un autre par l'Etat.
Parmi les pays européens, la France est dans doute le seul dont les fonctionnaires ont vu, au cours de la période récente, leur rémunération moyenne augmenter par rapport au PIB.
Sur la longue période, tous gouvernements confondus, entre 1980 et 1995, le nombre des fonctionnaires engagés en France a atteint 1,1 million, alors que, dans le même temps, les effectifs du secteur marchand chutaient de 900 000 unités. Est-il fortuit de rapprocher ces deux chiffres ? Je ne le crois pas lorsque j'observe que, ailleurs, les diminutions éventuelles des effectifs du secteur marchand sont bien moindres et que ce chiffre de 900 000 fait de nous les détenteurs du record d'Europe en la matière.
Je remarque également que tous les pays où les dépenses publiques ont été réduites ont vu s'accroître très significativement leur emploi productif, quelles que soient les équipes au pouvoir. Vous savez fort bien, mes chers collègues, que, parmi les pays qui ont fait cette expérience, figurent autant de pays dirigés par des équipes social-démocrates ou de gauche que de pays dirigés par des gouvernements conservateurs, libéraux ou démocrates-chrétiens.
En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, je me bornerai à rappeler que, pour 1998, en additionnant les différents textes habilement scindés qui nous ont été présentés - MUFF, financement de la sécurité sociale, budget - il y a bien 65 milliards de francs de prélèvements supplémentaires. Et je vous fais grâce de la taxe sociale sur le tabac, du relèvement de la TIPP et du prolongement de la CRDS ! Vous en conviendrez, ces 65 milliards de francs de prélèvements supplémentaires témoignent d'un certain dérapage et peuvent nous inspirer quelques craintes pour l'avenir.
Monsieur le secrétaire d'Etat, lors de la discussion des articles, nous aurons l'occasion de revenir sur bon nombre de dispositions qui apparaissent critiquables, notamment dans le domaine de la fiscalité de l'épargne.
A cet égard, je voudrais saluer l'exercice remarquable qui a été effectué par M. le rapporteur général dans le cadre du rapport qu'il vient de diffuser à la presse (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste) et qui montre bien que, en matière de fiscalité de l'épargne, il faut s'en tenir à quelques règles fortes - les sept piliers de la sagesse, comme il les a appelées - en particulier la non-rétroactivité. Si ces règles ne sont pas respectées, cela se paie en termes de confiance, d'investissements et d'emplois. (M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie regagne l'hémicycle.)
M. Alain Lambert, rapporteur général. M. le ministre est arrivé à votre demande, mon cher collègue ! (Sourires.)
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen. Bis ! Bis !
M. Michel Sergent. Il faut recommencer votre exposé !
M. Michel Moreigne. L'« illusionniste » est de retour !
M. Philippe Marini. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne crois pas que vous toléreriez que je reprenne mon exposé, d'autant que plusieurs collègues de mon groupe doivent encore intervenir. Je vais donc interrompre mon propos, en regrettant que M. le ministre de l'économie et des finances n'ait pas pu entendre les quelques commentaires que je me suis permis d'énoncer, mais je suppose qu'ils lui seront rapportés.
Je voudrais simplement ajouter que je souscris à la ligne très claire qui a été définie par la majorité de la commission des finances : ne pas aggraver le déficit public, maintenir les dépenses publiques en francs courants au niveau de 1997, procéder aux économies nécessaires. Mieux vaut, monsieur le ministre, les décider au Parlement que de les voir intervenir au Journal officiel, quelques jours après le vote de la loi de finances, à travers des mesures de régulation budgétaire.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ça, vous savez faire !
M. Philippe Marini. Notre principe est un principe de transparence, et nous nous efforçons de le respecter.
Par ailleurs, ne décourageons pas l'épargne, l'investissement et l'emploi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, Dominique Strauss-Kahn et moi-même comptions répondre à la fin de l'ensemble des interventions aux remarques constructives ou aux critiques formulées sur ce projet de budget. Cependant, dans la mesure où nous venons d'être qualifiés d'illusionnistes par M. Marini, je voudrais tout de suite apporter un certain nombre de rectifications.
Si je restais sur le mode badin qui a été celui de M. Marini, je lui dirais que la soulte de France Télécom est un gros lapin qui a été tiré d'un chapeau, un lapin de 37,5 milliards de francs. (Sourires sur les travées socialistes.) Il est bien vrai que nous n'avons pas été capables de trouver une ressource équivalente !
Puisque M. Marini a principalement évoqué l'année 1997, réservant sans doute ses remarques sur le projet de budget pour plus tard, je veux rappeler que, en 1997, il y a eu 24 milliards de francs de recettes supplémentaires, qui sont venues compenser 16 milliards de francs de recettes manquantes, du fait d'une surestimation des recettes de TVA. Le chiffre que vous avez cité n'est donc pas exact.
M. René Régnault. Faites chercher M. Arthuis ! (Sourires.)
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. S'agissant des dépenses, les auditeurs, que tout le monde respecte, ont souligné qu'il y avait 30 milliards de francs de dépenses non couvertes.
L'illusionnisme, me semble-t-il, c'est d'avoir fait le budget de l'an dernier et de s'être retrouvé en juillet sur une trajectoire qui, puisque vous aimez les métaphores, ne conduisait pas du tout à l'orbite de l'euro, qui nous envoyait complètement à l'extérieur.
L'illusion, c'était le budget de l'an dernier. La réalité - nous aurons l'occasion d'en reparler à propos du collectif budgétaire -, c'est que nous sommes parvenus, comme l'a dit si bien M. Strauss-Kahn, en gageant les dépenses non gagées par des économies, à stabiliser les dépenses de 1997 et à entrer ainsi dans la perspective de l'euro, ce à quoi, je pense, vous êtes attaché, monsieur Marini.
Au lieu de dénoncer les illusions du Gouvernement, vous devriez saluer la réalité d'un effort qui a été accompli en 1997 et qui va être prolongé en 1998 pour atteindre cet objectif que nous partageons : que la France fasse partie du peloton des monnaies européennes qui vont se rallier à l'euro.
M. Michel Sergent. Très bien !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Dominique Strauss-Kahn et moi-même répondrons aux autres intervenants, notamment à Mme Beaudeau et à M. Régnault, le moment venu. Mais vous avez commis trop d'erreurs, monsieur Marini ; vous avez employé un langage trop persifleur pour qu'on puisse laisser passer cela sans réagir immédiatement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Egu.
M. André Egu. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il ne me paraît pas nécessaire d'insister sur les différentes raisons qui motivent notre soutien au projet de budget corrigé par la commission des finances et l'ensemble de la majorité sénatoriale ; de nombreux intervenants les ont évoquées et mon collègue Xavier de Villepin les a très bien explicitées, au nom du groupe de l'Union centriste, tout à l'heure.
Plusieurs réunions d'élus à l'échelon national et local, en particulier le congrès des maires, m'ont permis de noter un certain nombre d'interrogations et d'inquiétudes de nos collègues élus locaux. J'essaierai de m'en faire l'écho dans mon intervention, qui portera donc sur les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales.
M. Michel Moreigne. Ah !
M. André Egu. Les concours de l'Etat aux collectivités locales atteindront 250 milliards de francs environ en 1998, soit une progression de 0,28 % par rapport à la loi de finances de 1997 révisée, alors que le taux d'inflation prévisionnel est de 1,4 %. Toutefois, si l'on prend comme référence les concours inscrits dans la loi de finances initiale pour 1997, la progression s'élève à 2,8 %.
Les parlementaires et élus locaux que nous sommes apprécient à sa juste valeur l'effort financier accompli par l'Etat en direction des collectivités locales dans un contexte économique difficile.
Cependant, il convient de rappeler que les lois de décentralisation ont eu pour effet d'importants transferts de charges - d'autres intervenants l'ont dit avant moi, sur toutes les travées - de l'Etat vers les collectivités territoriales, sans que les moyens financiers, matériels et techniques correspondants aient pu être transférés.
Les collectivités, grâce à la maîtrise de leurs dépenses de personnel, à la rationalisation de la gestion des services sociaux et malgré un effort sans précédent d'équipement scolaire, ont réussi, jusqu'à une période récente, à contrôler la croissance de leurs dépenses de fonctionnement.
Néanmoins, depuis lors, cette maîtrise des dépenses a été compromise du fait, d'une part, de la situation économique et sociale et, d'autre part, de la diminution des concours financiers de l'Etat.
Monsieur le ministre, comme vous le savez, les dépenses d'aide sociale des départements augmentent de manière très inquiétante.
Par ailleurs, de nouvelles charges pèsent de plus en plus sur les budgets des communes : il s'agit, notamment, des dépenses qui résultent de normes d'origine nationale ou européenne en matière de sécurité, d'assainissement et d'environnement.
Selon mes informations, la mise aux normes des services publics d'eau et d'assainissement devrait coûter au moins 200 milliards de francs d'ici à 2005 : 60 milliards de francs pour les seuls investissements en matière de traitement des déchets ménagers ! Quant à la mise aux normes des équipements sportifs, son coût dépasserait 30 milliards de francs.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour aider les collectivités à procéder à ces mises aux normes ?
Comment réagissent les élus face à ces perspectives ? Les maires sont de plus en plus conscients de leurs responsabilités en matière de sécurité à l'égard de l'ensemble de leur population, mais ils veulent que tout se fasse dans la concertation, la transparence et dans la durée.
On peut néanmoins s'interroger sur l'influence de tels ou tels industriels ou techniciens qui contribuent parfois à certains excès normatifs.
S'agissant du traitement des déchets, la suppression, à l'horizon 2002, des décharges contrôlées semble utopique dans certaines régions. Effectivement, ces décharges n'ont jamais été aussi bien contrôlées et elles rendent de grands services.
Sommes-nous vraiment certains qu'il s'agisse d'une mauvaise solution sur le plan technique et environnemental ? Aujourd'hui, des experts particulièrement avertis pensent le contraire !
Le précédent gouvernement avait demandé qu'une étude d'impact des mesures concernées soit effectuée de façon précise par l'administration. Par ailleurs, il avait apporté aux communes des aides pour la mise en oeuvre des mesures urgentes, par exemple pour le désamiantage, et une réponse avait été donnée à propos du problème de l'équarrissage.
De son côté, l'actuel gouvernement a annoncé que le calendrier de mise en application des nouvelles normes d'environnement serait respecté, ces dernières étant peut-être un peu allégées, nous a dit le ministre de l'intérieur. C'est également ce qu'a indiqué récemment Mme Dominique Voynet. Il reste au Gouvernement à traiter le problème du financement, qui demeure le plus important et le plus inquiétant pour les communes.
On parle aussi d'une réforme de la taxation, en 1998, dans le secteur des déchets, ainsi que des financements publics concernant la politique de l'eau. Force est de constater que ce problème essentiel n'est pas pris en compte dans le projet de budget.
Il faut également noter d'autres dépenses induites, comme celles qui résultent de la départementalisation des services d'incendie et de secours ou de la création des emplois-jeunes.
A propos du plan emplois-jeunes, il sera difficile pour les employeurs locaux de ne pas intégrer les titulaires desdits emplois dans la fonction publique territoriale quand ils seront arrivés au terme de leur contrat.
Monsieur le ministre, je souhaite vous faire part de l'inquiétude de nombreux élus locaux du fait de l'écart croissant entre l'évolution des recettes et l'évolution des charges des collectivités, ce qui crée un « effet de ciseaux », qui devient quelquefois difficilement supportable.
C'est ce que mettent en lumière très clairement le rapport de l'observatoire des finances locales, présenté en 1997 par notre collègue Paul Girod, ainsi que les différents rapports budgétaires de la commission des finances sur la décentralisation, réalisés par notre autre collègue Michel Mercier.
Nous risquons donc d'assister, dans les prochaines années, à une nouvelle hausse des impôts locaux et, pour les collectivités qui en ont la capacité, à un recours plus important à l'emprunt. Rappelons que la hausse des impôts locaux devrait atteindre près de 10 milliards de francs cette année.
Par ailleurs, en raison des restrictions budgétaires, les élus locaux sont obligés de limiter au minimum les dépenses d'investissement, ce qui n'est pas sans conséquence pour les carnets de commandes des entreprises et la situation de l'emploi. D'autant que l'Etat a tendance, lui aussi, à réduire ses propres dépenses en capital depuis plusieurs années.
Dans un contexte aussi incertain, comment évolueront les dotations de l'Etat en 1998 ? Nous avons besoin d'être rassurés sur ce point !
M. René Régnault. C'est votre pacte de stabilité !
M. André Egu. Je dirai tout d'abord un mot du pacte de stabilité financière, institué en 1996 sous l'ancien gouvernement et visant à lier pour trois ans l'Etat et les collectivités locales.
Il s'agit, en fait, d'assurer à l'enveloppe constituée par les concours de l'Etat et la dotation de compensation de la taxe professionnelle une progression indexée sur l'évolution des prix à la consommation hors tabac, le Gouvernement s'engageant à ne pas modifier cette indexation pendant la durée du pacte.
A cet égard, j'ai bien entendu, monsieur le ministre, votre proposition de consultation et d'échanges avec les représentants des élus et avec, je l'espère, l'Association des maires de France et le comité des finances locales.
Le pacte de stabilité sera globalement respecté en 1998.
En revanche, certaines des modalités d'application de ce pacte appellent quelques réserves.
Ainsi, pour 1998, la dotation globale de fonctionnement sera calculée par rapport au montant de 1997, révisé à la baisse sur la base des derniers indices connus, soit environ 308 millions de francs de manque à gagner pour les collectivités locales. La DGF devrait donc augmenter de 1,38 % seulement si l'on prend pour référence la DGF initiale pour 1997.
M. René Régnault. C'est l'effet de l'amendement Auberger !
M. André Egu. Je signale que cette hausse ne représente que 0,7 % pour les communes qui bénéficient de la seule dotation forfaitaire.
Conséquence de la régularisation négative de la DGF, la dotation de compensation de la taxe professionnelle est en baisse de 4,85 %, hors compensation de la réduction pour embauche et investissement.
S'agissant des compensations d'exonérations et de dégrèvements, il faut noter une réduction globale de 2,9 %, la baisse atteignant 25,78 % pour la contrepartie de l'exonération de taxe foncière et 19,1 % pour les compensations des cotisations relatives à la fiscalité locale. L'Etat marque ainsi sa volonté de limiter au minimum les effets sur le budget de ce que l'on appelle les « dotations passives ».
Quant au fonds de compensation de la TVA, le FCTVA, il est évalué à 20,72 milliards de francs, soit un montant supérieur aux crédits qui devraient être consommés en 1997, à savoir 20,3 milliards de francs.
En ce qui concerne le FCTVA, notre ami Alain Lambert, rapporteur général, a été notamment à l'origine, l'année dernière, d'un amendement qui accordait le bénéfice du fonds aux communautés de communes pour les travaux sur la voirie, même lorsqu'elles n'en sont pas propriétaires. Il s'agit d'une mesnure de simplification très appréciée des élus.
Par ailleurs, je note que l'Assemblée nationale a adopté un article 18 septies qui élargit le bénéficie du FCTVA aux communautés de communes pour toutes les opérations dont elles ont la compétence.
Nous attendons de connaître la position du Gouvernement sur cet important dossier.
S'agissant également de la fiscalité et du délicat problème des bases locatives, je vous rappelle qu'il est toujours question du dépôt d'un projet de loi portant incorporation dans les rôles d'imposition des nouvelles évaluations cadastrales issues de la loi du 30 juillet 1990 : lors de la dernière réunion du comité des finances locales, son examen a été annoncé par le Gouvernement pour le printemps 1998, pour une mise en application en 1998-1999. Nous en prenons acte !
Si cette réforme aboutit, elle le devra pour beaucoup au comité des finances locales, présidé par notre collègue Jean-Pierre Fourcade, qui avait émis des remarques très judicieuses sur le contenu du projet alors préparé par l'ancien ministre, M. Dominique Perben.
Quant à la taxe professionnelle, il conviendrait de parvenir à plus d'équité dans les taux, car les écarts demeurent toujours trop importants, malgré les aménagemente effectués par les gouvernements précédents.
Un moyen efficace pour permettre le rapprochement des niveaux de taxation est, selon nous, l'institution d'une taxe professionnelle au niveau des regroupements intercommunaux.
Qu'on le veuille ou non, la taxe professionnelle unique au même taux, répartie équitablement sur le territoire d'un établissement public de coopération intercommunale, est le meilleur vecteur d'une solidarité intercommunale. Il faut en terminer avec les chasses gardées et les égoïsmes financiers !
M. René Régnault. Très bien !
M. André Egu. C'est ce que nous pratiquons dans l'ensemble des dix-neuf communes qui appartiennent au pays de la Roche aux Fées, en Ille-et-vilaine, je peux donc témoigner de la satisfaction unanime de mes collègues maires !
Un amendement présenté par M. le rapporteur général va dans le sens d'un déverrouillage des taux de taxe professionnelle au sein des regroupements de communes à fiscalité propre.
M. René Régnault. Nous en avons aussi déposé un ! Vous pouvez le voter !
M. André Egu. Comme nous parlons de la taxe professionnelle, qui est source de convoitise et d'inégalité, j'ajouterai qu'il est urgent d'augmenter la cotisation minimale pour la porter à 1 %, afin de favoriser la péréquation au profit des régions et des communautés les plus pauvres. En effet, nous attendons toujours une véritable et grande réforme de la taxe professionnelle pour en faire un impôt plus juste, mieux réparti et plus efficace ; mais nous aurons l'occasion d'en reparler.
Peut-être sa mutualisation et sa transformation en un impôt national redistribué équitablement constituent-elles des voies intéressantes à explorer, avec évidemment une assiette revue et modernisée.
En ce qui concerne la CNRACL, la non-augmentation des cotisations des collectivités locales en 1998, comme en 1997, fait suite à un dérapage des taux les années passées, sans que les collectivités locales aient été consultées. Cela étant, les problèmes financiers de la caisse demeurent : l'année prochaine, le déficit sera encore très élevé. Notons que le Gouvernement a annoncé une concertation, au printemps prochain, en ce qui concerne la pérennisation de la CNRACL.
Dans l'immédiat, la majorité sénatoriale a, encore récemment, exprimé son désaccord avec des solutions à court terme, qui ne règlent en rien le grave problème du déséquilibre financier du régime. Le 14 novembre dernier, le Sénat a marqué avec raison son désaccord avec la disposition de la loi de financement de la sécurité sociale autorisant la caisse à emprunter dans la limite de 2,5 milliards de francs par an.
Tout comme l'année dernière, nous estimons qu'il convient de corriger le système des compensations entre les régimes de retraite qui est à l'origine de la moitié des dépenses de la CNRACL.
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. André Egu. Le dernier sujet que je souhaite évoquer concerne le statut des maires sur les plans financier et fiscal. En 1992, le Parlement a adopté un projet de loi relatif à l'exercice des mandats locaux qui n'a que partiellement répondu à l'attente des élus.
La charge de travail et le poids de plus en plus lourd des responsabilités civiles et pénales liées à la gestion d'une commune, même petite, sont trop souvent mal récompensés.
Les indemnités, même revalorisées, sont encore faibles ; au-delà d'un certain niveau, elles sont fiscalisées. Le système de crédit d'heures mis en place est difficilement praticable, notamment dans les entreprises privées. Il est très difficile d'être maire lorsque l'on relève du secteur privé.
Cette situation n'est pas saine, car une partie des forces vives de notre pays peut ainsi difficilement s'engager dans la vie locale.
Nonobstant les améliorations apportées au statut des élus en 1992, il convient donc, dès que possible, d'aller plus loin, dans l'intérêt même de la démocratie locale.
En conclusion, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, la mise en oeuvre d'une décentralisation efficace suppose le respect par l'Etat de trois principes fondamentaux : tout d'abord, le maintien des règles d'indexation des dotations allouées aux collectivités, afin de favoriser la planification budgétaire de celles-ci ; ensuite, le principe d'automaticité dans la répartition ; enfin, l'efficience dans cette répartition, c'est-à-dire la réalisation effective des objectifs de péréquation.
La mise en oeuvre du pacte de stabilité financière est un pas important dans cette direction. Néanmoins, les transferts de charges et l'augmentation constante des dépenses, notamment sociales, rendent probablement nécessaire une réforme plus profonde des dispositifs existants. En tout état de cause, la sortie du pacte de stabilité financière en 1999 impose une remise à plat.
A ce sujet, j'approuve la proposition de la commission des finances du Sénat et de M. Michel Mercier tendant à élargir la notion de pacte de stabilité aux transferts de charges nouvelles.
Une autre piste à explorer est probablement le développement de l'intercommunalité qui permettrait sans doute de très importantes économies d'échelle. Un projet de loi devrait nous être présenté en ce sens au cours de l'année prochaine, ce dont, bien évidemment, nous nous réjouissons.
Nous souhaitons vivement que ce texte s'inspire du projet de votre prédécesseur et dont mon collègue et ami Daniel Hoeffel a été l'un des principaux inspirateurs.
Pour conclure, je tiens à rendre hommage à l'excellent travail d'ores et déjà accompli par la commission des finances, notamment par son président et son rapporteur général. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après tant d'excellentes interventions, notamment celles de M. le président et de M. le rapporteur général de la commission des finances, je limiterai mon propos à deux questions essentielles.
A cette fin, j'examinerai simultanément le projet de loi de finances qui nous est soumis et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont nous avons longuement débattu la semaine dernière.
Laissant de côté les hypothèses macroéconomiques, les rapports entre l'Etat et les collectivités locales, sujets que des esprits très autorisés ont évoqué tout au long de la journée, et les problèmes particuliers soulevés par tel ou tel crédit, j'exprimerai deux inquiétudes.
En premier lieu, la stratégie en matière de lutte contre le chômage qui sous-tend ce projet de loi de finances sera-t-elle efficace ?
En second lieu, l'orientation choisie en matière de prélèvements fiscaux et sociaux qui résulte de ces deux textes va-t-elle dans le bon sens ?
S'agissant de la stratégie en matière de lutte contre le chômage, nous constatons aujourd'hui que l'économie française a recommencé à créer des emplois. En effet, près de 100 000 emplois ont été créés au cours des douze derniers mois. Ce n'est toutefois pas suffisant pour faire face à l'augmentation naturelle de la population active, qui est de l'ordre de 150 000, mais les bons indices conjoncturels sur lesquels est fondé ce budget montrent que, en dépit de la crise intervenue sur les marchés asiatiques et d'autres problèmes auxquels nous sommes confrontés, nous devons être capables de créer 200 000 emplois, en solde net, au cours des douze prochains mois. Et c'est là que nous commencerons à voir le chômage diminuer.
La hausse du dollar, les bonnes performances de nos exportations et la bonne tenue de la consommation, à l'exception du secteur automobile qui continue à stagner, m'amènent à ne pas remettre en cause les deux paris du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Le premier pari consiste à dire que les prélèvements obligatoires n'augmenteront pas en 1998. Effectivement, si le taux de croissance atteint 3 %, ce pari sera gagné, ce que nous souhaitons tous.
Le second pari, toujours sous réserve que le taux de croissance atteigne 3 %, est de limiter le déficit budgétaire à 3 %.
Je pars donc de ces constatations pour m'interroger sur l'emploi.
L'accent mis par le Gouvernement sur les emplois-jeunes, d'une part, et sur la réduction de la durée du travail, d'autre part, ne me paraît pas aller dans le bon sens.
En effet, les emplois-jeunes, dont nous avons longuement débattu en cette enceinte, risquent d'accroître le poids du secteur public dans la population active. Je rappelle que, en France, un peu plus de 6 millions de nos concitoyens travaillent aujourd'hui dans le secteur public et parapublic, contre seulement 13,4 millions dans le secteur privé marchand, auxquels s'ajoutent un peu plus de 2,2 millions de travailleurs indépendants. Or, ce sont ces quelque 16 millions de Français qui tirent toute l'activité.
Tous les problèmes liés à la création d'emplois et à l'alimentation des caisses publiques de l'ensemble des structures, qu'il s'agisse de l'Europe, de l'Etat, des régions, des départements ou des communes, sont fonction de l'activité de ces 16 millions de Français, qui se demandent parfois si l'effort qui leur est demandé n'est pas trop important.
Or, s'agissant des emplois-jeunes dont la création vient d'être adoptée, les calculs effectués à partir des mesures annoncées par le ministre de l'éducation nationale, le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice montrent que près de la moitié des emplois financés jusqu'à la fin de 1998 seront des emplois de parafonctionnaires, le coût s'élevant à 4 milliards de francs.
C'est une mauvaise méthode que d'utiliser les emplois-jeunes pour renforcer les effectifs déjà trop nombreux de la fonction publique.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Par ailleurs, ce qui est encore plus grave, pour financer les huit milliards de francs de crédits affectés aux emplois-jeunes, le Gouvernement a redéployé les 150 milliards de francs de crédits affectés à l'emploi. Or, ce redéploiement, qui aurait pu concerner certains mécanismes que la Cour des comptes, la commission des finances et nous-mêmes avons jugés trop peu efficaces ou tout au moins comme présentant un rapport coût-avangage assez faible - je pense notamment aux contrats initiative-emploi - a porté principalement sur l'allègement des charges sociales sur les bas salaires et sur le financement de l'alternance.
Or, mes chers collègues, le fait de réduire de 130 000 à 100 000, de 1997 à 1998, le nombre des contrats de qualification est une erreur, en matière d'emploi. Cette réduction du nombre des contrats de qualification et l'augmentation parallèle du nombre des emplois dans la fonction publique ne permettront pas d'apporter des solutions durables au problème de l'emploi, d'autant que l'on pourrait aussi mentionner la réduction de 7,5 % des crédits destinés aux indemnités versées aux entreprises qui embauchent des apprentis et d'autres mécanismes qui se sont traduits par des redéploiements de crédits.
S'agissant des trente-cinq heures, autre volet de la politique gouvernementale, la méthode adoptée n'est pas bonne. La loi Robien que nous avons votée commence à produire des résultats parce qu'elle est fondée sur une négociation,...
M. Philippe Marini. Au niveau de l'entreprise !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... parqu'elle est facultative, qu'elle se situe au niveau de l'entreprise et parce qu'il existe une aide budgétaire certes importante, mais moins que celle qui est allouée aux emplois-jeunes ou à d'autres mécanismes, tels les contrats initiative-emploi ou les contrats emploi-solidarité.
Les crédits prévus dans le budget de 1998 pour l'application de la loi de Robien s'élèvent à 2,2 milliards de francs. Il eût été préférable de laisser ce dispositif s'appliquer, quitte à voir, au bout d'une ou de deux années, s'il est possible, à travers une loi-cadre, de réorganiser ce mécanisme et de rendre obligatoire la négociation pour un certain nombre d'entreprises qui n'y auraient pas adhéré.
Le dispositif annoncé à la fin de la fameuse conférence qui s'est tenue le mois dernier a, quant à lui, le double inconvénient de geler les négociations sociales - la reprise des négociations sur l'UNEDIC n'est pas du tout certaine, ce qui retardera le redémarrage de l'économie - et d'entraîner des augmentations de charges que la mondialisation de l'économie rendra très difficiles à supporter.
Permettez-moi d'ajouter à ce tableau la réduction de la déduction fiscale accordée pour les emplois familiaux. J'ai longuement évoqué l'aspect anti-familial de cette mesure dont nous avons débattu la semaine dernière.
Mais enfin, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, cette déduction fiscale instituée en 1992 a permis de créer chaque année, depuis 1993, quelque 50 000 emplois !
Etait-il réellement nécessaire de revenir sur cette déduction ? Etait-il nécessaire de supprimer l'aide à la création d'activités par les travailleurs indépendants ? Etait-il nécessaire de réduire l'allocation de garde d'enfant à domicile ?
Toutes ces mesures auront un effet négatif sur l'emploi, effet qui sera compensé, nous dit-on, par les emplois-jeunes. Je crois que c'est une erreur. C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je suis inquiet. Vous prenez en effet un risque en truffant l'objectif de relance de l'emploi d'une série de mesures négatives qui casseront des mécanismes qui fonctionnent au profit de formules dont on ignore les effets, qu'il s'agisse des emplois-jeunes ou de la réduction du temps de travail. La croissance devra être forte et durable...
M. Philippe Marini. Espérons-le !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... pour que les 200 000 emplois que l'on s'apprête à créer l'année prochaine entraînent une diminution réelle du taux de chômage.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Ma seconde question a trait aux prélèvements fiscaux et sociaux, auxquels j'associerai l'impôt sur le revenu, la CSG et tous les prélèvements, taxes et contributions, qui sont le fruit d'une imagination débordante.
Je me demande si l'orientation, choisie depuis quelques mois, ne risque pas de faire de notre pays un cas particulier en Europe. Bien entendu, je n'évoquerai pas le poids total des prélèvements obligatoires. Qu'il s'agisse de 45,9 % ou de 46 %, peu importe ! Nous sommes parmi les trois ou quatre pays de l'Union européenne à avoir le taux de prélèvements le plus élevé.
Je reviens d'une mission sénatoriale au Danemark. J'ai pu me rendre compte de quel paradis il s'agissait ! En effet, la pression fiscale dépasse 50 %. Le régime en vigueur est merveilleux, si ce n'est que les Danois quittent leur pays, que le système de santé entièrement gratuit se traduit par un blocage absolu et des problèmes chroniques dans les hôpitaux, qu'il n'est pas possible de créer des activités privées dans le secteur de la santé et que les responsables de ce pays sont extrêmement marris de constater que, depuis quinze ans, les prévisions de durée de vie des hommes et des femmes ont reculé,...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... alors que dans tous les autres pays elles avaient augmenté.
Cependant, si je regarde en même temps le budget de la sécurité sociale et celui de l'Etat, je constate que c'est toujours le contribuable qui paie et que ce contribuable n'a que faire de nos débats sémantiques pour savoir si ce qu'il paie est un impôt, une cotisation, une taxe ou une redevance. Ce qu'il voit, c'est l'addition, et celle qu'il va connaître du fait des décisions que vous avez prises, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, risque d'être assez difficile à supporter.
Le plan Juppé de réforme de l'impôt sur le revenu, que vous avez arrêté, avait une logique. Il baissait le barème applicable à la généralité des revenus et il supprimait un certain nombre d'avantages ou de niches fiscales.
Je salue l'astuce consistant à supprimer la réduction des taux du barème général tout en conservant la surveillance et la démolition de l'ensemble des niches fiscales.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Pour l'instant !
M. Jean-Pierre Fourcade. Voyez les retraités : on leur a dit que le taux global de l'impôt allait baisser et qu'en même temps on réduirait la déduction de 10 % pour frais généraux, puisqu'ils n'en supportent pas. Aujourd'hui, on leur confirme la réduction de la déduction de 10 %, mais il n'est plus question de baisse du barème général. Par conséquent, je crois qu'ils ne seront pas très contents. Mais passons ! Il s'agit de détails, et les esprits qualifiés de la commission des finances vous feront sur ce point leurs observations en temps utile.
Je constate qu'il existe en Europe deux grands systèmes d'organisation des prélèvements obligatoires.
Il y a, d'une part, le modèle anglo-nordique, qui prévaut en Grande-Bretagne, en Suède, au Danemark et en Finlande et qui fait peser sur les ménages la plus grande partie du financement de l'Etat et des collectivités locales, ainsi que celui de la protection sociale.
Il y a, d'autre part, le système franco-allemand, dans lequel une séparation existe entre le financement des collectivités publiques et celui de la protection sociale, le financement des collectivités publiques étant plutôt assuré par l'impôt, avec quelques exceptions, et celui de la protection sociale résultant de cotisations fondées sur les salaires ou sur une base un peu plus large.
Chacun des systèmes a ses avantages et ses inconvénients.
Dans le système anglo-nordique, les entreprises, si elles supportent un impôt sur les sociétés élevé, ne paient pas de charges sociales, et la totalité du financement de la protection sociale repose sur les ménages. Dans le système français ou allemand existait un mécanisme de partage des charges entre les entreprises et les ménages. Cependant, je constate que, à l'heure actuelle, l'orientation que vous prenez, monsieur le ministre, nous mène vers un système mixte, qui consiste à transférer une partie du financement de la protection sociale sur les ménages, par le développement de la CSG, tout en laissant inchangées les cotisations pesant sur les entreprises, aussi bien pour la famille, pour la maladie que pour la vieillesse.
M. Philippe Marini. C'est additionnel !
M. Jean-Pierre Fourcade. Vous êtes déjà à un taux de CSG de 7,4 %. C'est un taux très élevé. Il est tellement élevé qu'il n'est applicable ni aux retraités, ni aux fonctionnaires, ni à un certain nombre de catégories de travailleurs indépendants. Aussi, il faudra fixer des taux différents ou prévoir des astuces sur l'assiette, ou encore des compensations pour les uns ou pour les autres.
Je constate que ce développement de la CSG, donc ce transfert sur les ménages, ne s'est pas accompagné d'une diminution des cotisations pesant sur les entreprises. Par conséquent, nous allons vers un système mixte, unique en Europe, dans lequel nous aurons à la fois une forte imposition des ménages, d'une part pour les collectivités locales et l'Etat et, d'autre part, pour le financement de la sécurité sociale, et une forte imposition des entreprises, également pour ces deux financements.
Nous serons les champions toutes catégories de ce système mixte, que tout le monde regarde en Europe avec des yeux étonnés.
Je sais bien que mon éminent ami, le président Poncelet vous dit : « Tant que nous y sommes, revenons à la période d'avant 1959 et transformons la CSG en taxe proportionnelle, l'impôt sur le revenu devenant une surtaxe progressive. » C'est une thèse, mais elle ne va pas avec le maintien des cotisations patronales au niveau actuel.
D'autres, au contraire, disent : « Laissons à la CSG son côté de contribution sociale et rendons la entièrement déductible.» Mais alors, faut-il conserver une assiette spécifique pour le remboursement de la dette sociale, dont notre ami Adnot a parlé tout à l'heure ? Faut-il avoir une CSG qui frappe l'épargne, l'ensemble des revenus, etc ?
Ce sont des sujets tout à fait importants.
Ma crainte est qu'en semant à tout vent des mécanismes fiscaux sans ne jamais rien supprimer nous ne nous condamnions, d'une part, à avoir un système tout à fait hétérodoxe par rapport au système européen - dans la perspective de l'euro, c'est inquiétant - et, d'autre part, comme il faudra bien réagir à la compétition européenne, à obliger l'Etat, qui, déjà, dépense 46 milliards de francs pour compenser l'excès de charges sociales, à prendre demain en charge un certain nombre d'autres cotisations pour rétablir l'équilibre.
Je rappelle en effet que seules les entreprises sont créatrices d'emplois véritables. Or, dans la situation actuelle - des cotisations à base trop étroite, à taux trop élevé pour la famille, pour la maladie et pour la vieillesse - elles ne résisteront pas à la création de l'euro et à l'harmonisation des politiques économiques.
Les initiatives de cette année ont sans doute été prises pour des raisons d'équité, mais il faudra rapidement leur tourner le dos pour des raisons d'efficacité, sinon le système ne fonctionnera pas, sauf à renoncer à l'ensemble de nos objectifs européens.
Telles sont les deux questions que je voulais exposer, de manière sommaire et forcément grossière, mais elles sont primordiales étant donné la voie dans laquelle nous nous sommes engagés.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Ce sont des questions à régler d'urgence !
M. Jean-Pierre Fourcade. Le Gouvernement s'est donné les moyens de réduire le déficit du budget à 3 % du produit intérieur brut. Je lui en donne acte et l'en félicite, car c'était difficile.
Certains disaient même, dans les services de votre administration, monsieur le ministre, que c'était impossible.
M. Philippe Marini. Il ne faut jamais les croire !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il ne faut, en effet, jamais les croire. Ils le disent tous les ans, et ce depuis un temps immémorial.
M. Christian Sautter, sécrétaire d'Etat. Qui les a crus ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Je suis plus âgé que vous et je l'ai toujours entendu dire. Leur métier est d'affoler le pouvoir politique pour qu'il prenne un certain nombre de mesures.
Ainsi, Pinay avait un jour, sur une note de la direction du budget, supprimé la retraite des anciens combattants parce que ses services lui avaient expliqué que cette mesure permettrait de sauver le franc. (Sourires.) C'était évidemment une bêtise. On devrait raconter cette histoire à tout ministre des finances prenant ses fonctions. Elle est en effet intéressante et permet d'éviter un certain nombre d'erreurs.
Le projet de budget que nous examinons taxe les entreprises et l'épargne, M. Marini l'a dit, et il crée un certain nombre de difficultés pour les familles. Il ne va pas dans le bon sens en ce qui concerne tant la lutte contre le chômage que l'orientation de la politique fiscale. C'est pourquoi il faut le corriger, et c'est la raison pour laquelle je soutiendrai, comme la majorité du Sénat, les propositions courageuses qui sont présentées par la commission des finances. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Merci !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je voudrais d'abord m'excuser de n'avoir pas pu entendre M. Marini qui, si j'ai compris ce qui m'a été rapporté, méritait d'être entendu pour être critiqué.
Je souhaite, en l'instant, répondre à M. Fourcade dont j'apprécie la modération, quand bien même je ne partage pas un certain nombre d'opinions qu'il a émises.
Vous avez terminé, monsieur le sénateur, en parlant de la fiscalité de l'épargne. Vous n'avez pas développé ce point, mais j'ai compris que votre prédécesseur l'avait fait. J'ai compris, en entendant la phrase un peu lapidaire qui a été la vôtre, qu'il l'a évoquée pour la critiquer, ce qui, dans une certaine mesure, n'est pas, de ma part, une déduction très difficile.
M. Philippe Marini. Le contraire nous surprendrait !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. On peut gloser à l'infini sur l'intérêt qu'il y a à fiscaliser plus l'épargne au motif que, dans notre pays, les revenus du capital ne le sont pas assez, ou, au contraire, à ne pas le faire. C'est un problème d'orientation politique ; chacun prend sa responsabilité ; il est bien normal que nous puissions avoir des opinions divergentes.
M. Michel Charasse. C'est comme la religion : on y croit ou on n'y croit pas !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce que je ne voudrais pas, c'est qu'il y ait une erreur sur l'ampleur du mouvement.
Les quatre points de CSG - car je suppose que c'est de cela qu'il s'agit principalement - représentent, sur un rendement hypothétique de 5 % pour un produit d'épargne, 20 points de base, c'est-à-dire 0,2 point sur les 5 %.
Un financier averti comme l'est M. Marini - mais comme le sont, par définition, tous les sénateurs - consulte sans doute régulièrement les statistiques que publient les journaux financiers sur les rendements, par exemple, des SICAV. Or, on constate que, sur les quelques centaines de SICAV qui existent en France, entre la plus rentable et la moins rentable, la différence se situe entre 200 et 300 points de base.
Pourtant, personne ne considère qu'il y a là une mise à mort de l'épargnant, alors qu'il risque de s'orienter vers la SICAV la moins rentable plutôt que vers celle qui est la plus rentable. Eh bien ! celui-là est finalement rémunéré 300 points de base en dessous de celui qui a eu la chance de choisir la meilleure SICAV, S'agissant de ce dernier, vous me rétorquerez que c'est la récompense de son génie et du bon choix qu'il a fait. Certes, mais cela signifie que dans la mesure où le choix d'un produit d'épargne plutôt qu'un autre peut entraîner, sans que cela mette à mal l'économie dans laquelle nous sommes, une différence de rendement de l'ordre de 300 points de base, on peut difficilement prétendre que les 20 points de base de prélèvements supplémentaires liés à la CGS déstabilisent notre système.
M. Philippe Marini. Vous irez jusqu'où avec ce raisonnement ? Jusqu'à 15 % ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Que l'on dise qu'il faille aller dans l'autre sens, c'est, je l'ai dit, un choix politique, et chacun a le droit de le défendre. Mais on ne peut pas prétendre qu'avec 20 points de base, comme je l'ai entendu dire, peut-être pas par M. Marini - je n'étais pas présent et je m'en excuse - mais, en d'autres occasions, par certains commentateurs de l'opposition nationale, l'épargne française est matraquée. Il faut raison garder.
M. Philippe Marini. Ce qui est en cause, c'est la confiance !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Marini, vous évoquez la confiance. Tous les indicateurs sur la confiance des consommateurs et des épargnants sont à un niveau environ deux fois supérieur à ce qu'ils étaient il y a un an.
M. Philippe Marini. C'est une mauvaise référence ! (Rires sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certes, je ne vous le fais pas dire !
M. Fourcade a abordé deux questions : l'emploi à travers les emplois-jeunes et les trente-cinq heures, ainsi que les prélèvements obligatoires.
S'agissant des emplois-jeunes, si je comprends bien l'esprit de votre remarque, monsieur Fourcade, ce n'est pas une mauvaise mesure en soi. En effet, la préoccupation pour les jeunes existe dans votre propos. Vous dites que les emplois-jeunes vont augmenter le poids du secteur public. Je veux à la fois vous rassurer et vous interroger indirectement.
Cela n'augmentera pas le poids du secteur public. Ce sont certes des emplois qui sont financés par de l'argent public, mais il s'agit d'emplois temporaires. D'ailleurs, j'espère que la plupart de ces jeunes n'utiliseront pas la totalité de la durée possible et qu'ils iront avant les cinq ans qui leur sont offerts se présenter sur le marché du travail parce qu'ils auront eu une expérience d'un an de deux ans ou de trois ans. Tel est l'esprit de la mesure.
En tout état de cause, au pire, au bout des cinq ans, il faudra bien qu'ils quittent cette situation qui leur est faite pour un temps puisque d'autres viendront derrière.
M. Christian Poncelet, M. le président de la commission des finances. Cela ne sera pas facile !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Rien n'est facile, monsieur le président ! C'est évidemment difficile mais, de mon point de vue, c'est encore plus difficile, de ne rien proposer tout de suite !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. L'entrée est facile, mais la sortie sera particulièrement difficile, ce qui pourra entraîner des mouvements extrêmement importants de la part de la population !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est le contraire du Sénat, où l'entrée est difficile. (Sourires.)
M. Michel Charasse. Entrez ou sortez, mais cessez ce va-et-vient ridicule ! (Nouveaux sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En tout cas, nous essayerons de faire en sorte que la situation et la formation qui leur seront données pendant ces cinq ans leur permettent d'aller sur le marché du travail dans de meilleures conditions qu'avant.
Vous le savez comme moi, parce que vous êtes tous des élus, nous rencontrons des jeunes, par dizaines, qui nous disent : « J'ai envoyé mon curriculum vitae et l'on m'a répondu que l'on cherchait quelqu'un possédant deux ans d'expérience professionnelle ». Comment voulez-vous que ces jeunes aient deux ans d'expérience puisque personne ne les a jamais embauchés ? Après avoir travaillé dans les associations, dans les collectivités locales, dans les différentes structures susceptibles de les accueillir, ils pourront alors se présenter sur le marché forts d'une expérience de deux ou trois ans.
Ce ne sera pas facile, monsieur Poncelet, j'en suis d'accord, mais ce sera plus facile qu'aujourd'hui, et, honnêtement, je crois qu'il ne faut pas être trop inquiet de ce point de vue.
En revanche, vous avez déploré, monsieur Fourcade, la diminution de la réduction d'impôt s'agissant des emplois à domicile. J'ai du mal à comprendre pourquoi, lorsque 50 000 francs ou 60 000 francs d'argent public sont utilisés pour diminuer le coût d'un emploi à domicile, ce serait une bonne utilisation de l'argent public pour l'emploi, alors qu'à l'inverse, quand la somme est utilisée pour payer le salaire d'un jeune, ce serait une mauvaise utilisation de l'argent public en faveur de l'emploi. Honnêtement, ce ne sont pas les questions de statut et de durée qui sont ici en cause !
Que l'on refuse toute aide à l'emploi, soit ! C'est une position ultralibérale - ce n'est d'ailleurs pas celle que vous défendez - mais elle a le mérite de la cohérence. Toutefois, à partir du moment où l'on accepte l'idée que l'argent public peut être efficacement utilisé en direction de l'emploi - ce qui n'est pas toujours le cas : il arrive que ce soit inefficace - alors pourquoi considérer qu'il vaut mieux 60 000 francs de réduction d'impôt en faveur d'un ménage plutôt aisé pour lui permettre d'embaucher une personne à domicile plutôt que de créer directement un emploi pour un jeune ? Certes, je veux bien admettre que l'embauche de l'employée de maison n'aurait peut-être pas eu lieu sans l'aide de l'argent public, mais pourquoi l'embauche direct d'un jeune, avec ce même argent, serait-elle une mauvaise mesure ? Il n'y a pas une différence fondamentale !
La seule question qui se pose, c'est qu'au bout du compte, si nous voulons faire un effort pour les jeunes, l'effort doit alors cibler directement les jeunes, et c'est bien ce qu'a fait le Gouvernement : la conception qui nous a guidés, dans l'élaboration du plan pour les jeunes, c'est que, au-delà de l'emploi, c'est bien autre chose qui est en cause. C'est en effet un devoir moral qui nous incombe à nous, adultes, que de ne pas laisser les jeunes entrer dans l'âge adulte par le chômage, sans savoir ce qu'est l'emploi, avec des parents qui sont souvent eux-mêmes au chômage, avec un frère ou une soeur aînée qui ne travaille peut-être pas non plus, en ignorant donc ce qui fait notre vie quotidienne : se lever tous les matins pour aller travailler. Voilà ce qui structure notre société, c'est ainsi que l'on gagne sa vie.
C'est pourquoi, si je considère volontiers comme équivalentes les deux sommes que j'évoquais tout à l'heure, je préfère, à un moment où le problème de l'emploi des jeunes est aussi aigu, consacrer cet argent à l'emploi des jeunes plutôt qu'à un autre emploi. Non pas que ce soit meilleur par nature, mais parce que le problème du chômage des jeunes dans notre société, aujourd'hui, est extrêmement grave.
Vous avez évoqué les contrats de qualification en regrettant qu'ils soient passés de 130 000 à 100 000. Mais, si 130 000 contrats avaient été prévus pour l'année dernière, seuls 100 000 ont été réalisés. Le raisonnement que nous avons tenu est qu'il n'y en aurait pas plus l'année prochaine, malheureusement, qu'il n'y en a eu l'année dernière. Si, d'aventure, les contrats de qualification se développaient à un point tel que, finalement, l'ajustement à la dépense réelle auquel nous avons procédé cette année se révélait trop sévère, n'ayez crainte, je serais trop content d'avoir à financer le complément.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je le comprends !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Honnêtement, je crois qu'il vaut mieux procéder ainsi plutôt que de multiplier les CES. Je comprends bien votre critique, monsieur le sénateur, mais tout de même ! De 1992 à 1995, le nombre de CES est passé de 400 000 à 750 000, et vous conviendrez avec moi qu'ils ont les mêmes défauts que ceux que vous dénonciez tout à l'heure, plus d'autres encore, car ils ne comprennent qu'une formation dérisoire - quand il y en a une ! - parce qu'ils sont beaucoup plus précaires, parce que, dans l'ensemble, ils n'ont pas toutes les qualités que l'on peut attendre des emplois-jeunes.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais certainement, monsieur le sénateur !
M. le président. La parole est à M. Fourcade, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, je vous remercie de me répondre aussi complètement.
Je ne dirai qu'un seul mot : le Sénat a bataillé contre le Gouvernement et contre l'opposition sénatoriale pour introduire la notion de formation dans les emplois-jeunes. Mais nous avons été battus par la majorité de l'Assemblée nationale.
Mais nous estimions que le progrès considérable qu'il fallait réaliser dans ce cadre consistait à obliger les employeurs à donner une formation à ces jeunes. Mais personne ne nous a écoutés, ni la majorité de l'Assemblée nationale ni le Gouvernement.
Aussi, ne venez pas nous dire maintenant qu'il fallait prévoir la formation ! Persuadez Mme Aubry de la nécessité d'inclure cette formation auprès des employeurs des emplois-jeunes !
M. Philippe Marini. Ce n'est pas si facile !
M. le président. Monsieur le ministre, veuillez poursuivre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Fourcade, je partage votre préoccupation sur la formation, à ceci près que, nous le savons, la plupart des employeurs seront des collectivités locales et que le Sénat est le Grand Conseil des communes de France. Par conséquent, si telle est votre orientation, je suis sûr que les maires la suivront et que la formation qui est prévue dans le texte se déroulera, même si quelques personnes sont réticentes.
J'évoquerai d'un mot les trente-cinq heures. Vous semblez attribuer beaucoup de mérites à la loi Robien. Personnellement, j'en vois au moin un : la loi Robien a convaincu les partis de l'ex-majorité - de l'opposition d'aujourd'hui - qu'une réduction du temps de travail avait quand même du bon.
On peut préférer tel mécanisme ou tel autre, on peut préférer la loi Robien.
M. Philippe Marini. Il ne faut pas de couperet !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Marini n'a pas été convaincu ? Quoi qu'il en soit, une majorité suffisante a été convaincue pour adopter cette loi contre l'avis de M. Marini.
M. Philippe Marini. Non !
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Très volontiers !
M. le président. La parole est à M. Marini, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Philippe Marini. J'ai toujours été favorable à la loi Robien, monsieur le ministre. Je me suis permis - veuillez me le pardonner : c'est le fait de mon tempérament peut-être un peu fougueux - de vous interrompre en refusant tout couperet, parce que je visais ce que vous vous apprêtez à faire, vous.
Mais je considère, comme M. Fourcade, que la loi Robien a une grande vertu, qui est de permettre la négociation dans l'entreprise.
M. le président. Monsieur le ministre, veuillez poursuivre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. La loi qui sera votée permettra de la même manière la négociation d'entreprise ! L'entreprise est le seul niveau où la négociation peut être conduite correctement, vous le savez, et il n'est pas nécessaire d'avoir étudié la question bien longtemps pour être d'accord sur ce point.
M. Jean-Pierre Fourcade. Cela, c'est bien !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Fourcade a dit en substance qu'une adaptation de deux ans aurait été nécessaire avant, éventuellement, d'élaborer une loi-cadre qui puisse être imposée aux entreprises réticentes.
Mais c'est ce qui s'est passé : il y a eu deux ans de loi Robien, et maintenant nous faisons la loi-cadre ! Cela devrait vous convenir puisque c'est exactement votre mécanique que nous mettons en oeuvre, à cette différence près qu'au lieu d'attendre encore deux ans, nous considérons que les deux premières années, qui sont les deux ans de loi Robien, se sont écoulées et que le moment est venu de faire la loi-cadre.
En tout cas, n'ayez crainte pour ce qui est du blocage que vous appréhendez dans la négociation puisque l'une des grandes fédérations professionnelles, l'Association française des banques a d'ores et déjà engagé - il ne s'agit donc pas de projet - la négociation avec ses syndicats, afin de réviser la convention collective de la banque en incluant, évidemment, la question des trente-cinq heures dans cette négociation.
Si nous voulions bien tous ici regarder les choses positivement et voir dans l'instrument qui est en train de se mettre en place une incitation pour que la négociation sur la réduction du temps de travail, au niveau le plus décentralisé, s'engage, je suis convaincu que nous obtiendrions gain de cause.
Si seule la majorité mène le combat, elle sera la seule à en recueillir les fruits, mais je suis prêt à partager avec l'opposition les bienfaits qui résulteront de la réduction du temps de travail.
M. Philippe Marini. Sans parler du prix que cela coûtera !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cela coûtera moins cher que la loi Robien !
Sur les prélèvements obligatoires, il est vrai que la notion de frais professionnels des retraités a été jugée un peu surprenante.
Vous avez dit que certains avantages avaient été supprimés avec la réforme Juppé en échange de la baisse des impôts, mais que cette baisse n'a pas été opérée cette année. Or, cette année, il y a eu une baisse de 25 milliards de francs ! Je me permets en effet de vous rappeler que le Gouvernement a considéré que, la parole de l'Etat étant engagée, la baisse de l'impôt sur le revenu qui avait été votée pour cette année serait mise en oeuvre. Chacun en convient, et, par conséquent, il fallait prendre des mesures pour financer cette baisse.
En réalité, vous le savez bien, cette baisse de 25 milliards de francs de l'impôt sur le revenu n'était pas financée...
M. René Régnault. Eh oui !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... et, si l'on fait les comptes globalement, que constate-t-on ? La réalité fiscale de l'année 1997 est simple : la baisse de l'impôt sur le revenu - 25 milliards de francs - était, pour quelques milliards de francs, compensée par les mesures en question. Il fallait donc bien les prendre. Après, il manquait, en gros, une vingtaine de milliards de francs, et ce sont ceux que nous avons dû aller chercher auprès des entreprises. Nous l'avons fait en augmentant l'impôt sur les sociétés au mois de juillet, mesure qui n'a été rien d'autre que le financement de la baisse de l'impôt sur le revenu que vous aviez votée sans en prévoir le financement. Pourquoi, en effet, manquait-il, aux termes mêmes de l'audit, tellement de milliards de francs à l'arrivée ? Parce que la baisse de l'impôt sur le revenu n'était pas financée dans le projet de loi de finances initial !
Au total, il y aura donc bien eu baisse de l'impôt sur le revenu cette année.
J'en viens à la famille, qui constitue un sujet très important.
Je voudrais rappeler au Sénat, et à M. Fourcade en particulier, que les mesures concernant la famille ont été nombreuses : le gel des prestations, en 1996, a fait perdre 7 milliards de francs de pouvoir d'achat aux ménages, chacun s'en souvient ; la revalorisation trop faible des allocations familiales, en 1995 - ce qui était d'ailleurs contraire à la loi - a conduit à la condamnation de l'Etat, qui a dû rembourser 3 milliards de francs, chacun le sait aussi ; la fiscalisation des indemnités de maternité a rapporté 5 milliards de francs à l'Etat, et vous conviendrez avec moi que ce n'est pas ce gouvernement qui a décidé cette mesure - il n'aurait pas osé, d'ailleurs ! - non plus que la suppression de la déduction des frais de scolarité, pour 1,4 milliard de francs, que nous avons rétablie.
Honnêtement, on ne peut pas dire que nous sommes des « famillicides » et vouloir présenter la majorité précédente comme ayant tout fait pour la famille ! A la lumière de la liste que je viens d'évoquer, on peut quand même avoir quelques doutes et relativiser...
Enfin, vous avez fait une analyse intéressante de l'évolution de la mixité de notre système de prélèvements. Cela mérite réflexion.
Ce sujet, certes un peu académique, a aussi des conséquences pratiques et vos remarques semblent fondées. Il faut en effet choisir un système, tant il est vrai que le mélange des genres ne favorise pas la clarté ; je partage votre sentiment sur ce point.
Au-delà de la beauté du système fiscal, à laquelle certains de mes conseillers sont très attachés, ce qui compte, économiquement parlant, c'est le total des prélèvements. Il est préférable que le système soit simple et homogène, mais, je le répète, c'est le total réel des prélèvements qui compte.
Or, j'ai trouvé, monsieur le sénateur - vous avez commencé par là et c'est par là que je terminerai - votre réquisitoire sur le niveau des prélèvements obligatoires plus sévère que celui que j'aurais osé faire moi-même.
En 1992, nous étions en dessous de 44 %. C'était déjà beaucoup ! Puis vous avez voté, au début de l'année 1997, une loi qui portait ce taux à 46 %. Ainsi, au cours des années 1993, 1994, 1995 et 1996 et compte tenu de la loi de finances qui a été votée par la précédente majorité pour 1997, les prélèvements obligatoires auront augmenté de plus de deux points.
Les critiques que vous avez faites sont donc extrêmement sévères, me semble-t-il, à l'égard de la majorité précédente. Je ne crois pas, pour ma part, que j'aurais pu aller aussi loin. Mais venant de vous, cela ne m'étonne pas, car vous êtes un esprit à la fois acéré et indépendant.
Quoi que ce soit, ceux de mes prédécesseurs qui ont présenté des projets de loi de finances organisant à ce point la hausse des prélèvements obligatoires doivent frémir en vous entendant ! En effet, vous venez de faire de leur gestion la critique la plus dure que j'ai entendue depuis longtemps.
Mais il me semble que c'est un genre dans lequel vous vous plaisez, car vous avez aussi fait une critique extrêmement sévère... j'allais dire du Président de la République ; je ne me le permettrais pas : disons du précédent Premier ministre, en affirmant qu'il ne faut jamais croire les services. Peut-être avez-vous raison. Mais qui les a crus, sinon le précédent gouvernement qui, abusé, semble-t-il - c'est votre thèse, en tout cas - par les services, a décidé de dissoudre l'Assemblée nationale ? Par chance, cette dissolution n'a pas atteint la Haute Assemblée, ce qui nous vaut le plaisir d'être ensemble aujourd'hui...
M. Michel Charasse. Nous n'aurions pas marché !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Là encore, vous avez été d'une férocité à l'égard du chef du gouvernement précédent - encore que ce ne soit pas vraiment lui qui a signé le décret de dissolution - dont je vous savais certainement capable, mais qui en tout cas n'était pas habituelle dans votre bouche.
M. Jean-Pierre Fourcade. Ce n'était pas la vraie raison !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si je me suis permis de prendre la parole aussi longtemps, c'est parce que je voulais saluer la lucidité, mais aussi le dureté avec laquelle M. Fourcade a jugé les années qui viennent de s'écouler, que ce soit en termes de politique de la famille - j'ai rappelé tout à l'heure les méfaits qui ont été accomplis puisque des milliards de francs se sont évaporés des poches des ménages - que ce soit en matière de prélèvements obligatoires - M. Fourcade a fustigé la hausse très importante de ces dernières années - ou que ce soit, enfin, en termes d'erreurs politiques d'un gouvernement qui, croyant par mégarde ou par inconscience les services administratifs, s'est laissé aller à des gestes politiques que certainement je ne réprouve pas - puisque, encore une fois, ce serait mal venu de ma part - mais qui, je le comprends, vous ont déçus. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Miquel.
M. Gérard Miquel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la discussion budgétaire est traditionnellement l'occasion pour les parlementaires de parler de fiscalité, et plus précisément de réforme fiscale. Chacun la souhaite, tout le monde en parle, mais force est de constater que, sur ce sujet, les mêmes mots ne recouvrent pas le même contenu.
Pour la droite, le précédent gouvernement nous l'a montré sans ambiguïté aucune, la réforme fiscale est synonyme de baisse d'impôts pour les entreprises et pour les ménages les plus aisés.
L'idée communément défendue par les libéraux en matière fiscale est celle d'une relance de l'économie couplée à la lutte contre le chômage. La diminution des charges des entreprises doit permettre de relancer l'offre ; la diminution des taux d'imposition des ménages assujettis aux taux marginaux les plus élevés, seuls capables d'investir, doit permettre, elle, une relance de la demande.
Pour pallier les pertes de recettes correspondantes, car tout cela comporte un coût, le gouvernement de M. Juppé, comme on le sait, a accru les prélèvements indirects et a ponctionné ainsi tous les contribuables, y compris les plus pauvres, au point d'ailleurs de porter à un niveau sans précédent nos prélèvements obligatoires et de freiner en parallèle la consommation et la croissance.
Notre approche de la réforme fiscale est tout autre. Ce budget ne pouvait à lui seul réformer l'ensemble des dispositions dont nous souhaitions la modification. Pour être acceptée, une réforme fiscale doit être expliquée et traduite de manière progressive dans les faits. Avec deux mois seulement pour préparer ce projet de loi de finances, il aurait été illusoire de vouloir tout et tout de suite.
Néanmoins, une première étape nous est proposée, et nous l'approuvons sans réserve.
Avant de revenir sur les axes de nos choix présents et à plus long terme dans ce domaine, je voudrais insister sur deux points.
D'une part, la fiscalité, selon nous, doit aller de pair avec la justice sociale, pour des raisons d'équité, mais également parce que la croissance est générée par l'ensemble des Français, y compris les plus modestes. Durant trop longtemps, la fiscalité a servi de levier économique au profit de ceux qui avaient déjà la capacité de s'enrichir, sans qu'au total notre pays, dans son entier, en voie le retour.
D'autre part, il conviendrait enfin que, dans notre pays, chacun s'interroge sur le rôle de l'impôt. Les comparaisons internationales dont on nous rebat les oreilles, à droite, au motif que notre taux de prélèvements obligatoires par rapport à notre PIB est beaucoup trop élevé, n'ont pas de sens.
Certes, en 1995 - au passage, c'était sous la droite - notre taux de prélèvements était de 44,5 %, contre 35,3 % pour le Royaume-Uni et 27,9 % pour les Etats-Unis. Mais à quoi sert de comparer ce qui n'est pas comparable ? Dans les pays cités, toutes sortes de dépenses courantes, en matière de santé ou d'éducation, par exemple, sont prises en charge par la sphère privée.
Par ailleurs, la proportion de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté est gigantesque, dans ces pays-là.
Le niveau des prélèvements obligatoires doit donc être apprécié par rapport au niveau des dépenses collectives. Nous préférons offrir aux Français un bon niveau de service public, qui résulte de l'histoire de notre pays, parce que nous savons que c'est ainsi que les couches les plus modestes de notre population seront en mesure d'avoir, tout simplement, accès à ce type de dépenses.
Comparons le sort de deux chômeurs malades et ayant des enfants scolarisés, l'un aux Etats-Unis et l'autre en France. Chacun voit aisément combien notre système est nécessaire pour prendre en compte les cas les plus dramatiques !
A quoi sert de diminuer les charges des entreprises si c'est pour offrir du travail précaire et mal payé ?
A quoi sert de réduire outrageusement les dépenses publiques si c'est pour empêcher le plus grand nombre de profiter de ce que notre société peut offrir de meilleur ?
Aucune étude n'a démontré les relations entre le taux de croissance et le pourcentage des prélèvements obligatoires. Un changement brutal du taux des prélèvements obligatoires est, en revanche, le signe d'un changement de société.
On voit bien, d'ailleurs, l'incohérence des tropismes de la droite, qui plaide pour le moins-disant fiscal tout en laissant déraper à la fois déficits et prélèvements.
Voilà à quoi mène une politique qui n'est orientée qu'en faveur d'un petit nombre de Français !
Ce qu'il importe de juger, comme le soulignait le rapport Ducamin, c'est le degré de satisfaction, qui résulte, pour la population, de ce taux de prélèvements obligatoires.
En réalité, bien plus que de savoir si l'on paie trop d'impôt, il s'agit de se demander si, en retour, chacun reçoit, en termes de redistribution, un niveau acceptable de service public.
Au total, les prélèvements doivent être maîtrisés, mais ils ne doivent pas être stigmatisés, comme ils le sont par la droite, parce qu'ils servent d'outils à une politique.
Je tracerai maintenant quelques-uns des principaux axes de réflexion en matière fiscale sur lesquels nous devrions réfléchir dans les prochaines années.
Tout d'abord, notre fiscalité est trop complexe. Non seulement nous avons beaucoup d'impôts, peut-être trop, mais, qui plus est, pour chacun, il existe trop de régimes dérogatoires. Nos mesures fiscales sont souvent trop interventionnistes et donc discriminatoires. Ce sont ces discriminations qui aggravent les injustices.
Pour prendre l'exemple de l'impôt sur le revenu, l'actuelle opposition nationale s'est toujours émue des taux marginaux trop élevés. Cela, en fait, relève de la théorie.
En effet, par le jeu subtil de ce que l'on appelle pudiquement « l'optimisation fiscale », les contribuables les plus riches, parce qu'ils ont les moyens d'effectuer un certain nombre de dépenses, échappent au barème voté par le Parlement. Les cas les plus flagrants sont connus ; il arrive même à certains, qui bénéficient pourtant de revenus considérables, de ne pas payer d'impôt du tout. En parallèle, les contribuables qui ont juste de quoi vivre et qui ne peuvent s'offrir de telles dépenses paient au taux plein leur impôt sur le revenu, sur la base de ce barème.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Supprimez les niches et diminuez les taux marginaux !
M. Gérard Miquel. Vouloir le baisser, comme s'y était engagée la droite, sans prévoir au préalable une réforme d'assiette, relevait d'un choix contestable.
Le Gouvernement a pris, en la matière, une excellente mesure dans ce projet de loi de finances, qui consiste à diminuer de moitié la réduction d'impôt pour l'emploi de personnel de maison, laquelle, on s'en souvient, avait été instaurée par le gouvernement de M. Balladur pour diminuer, en fait, insidieusement le taux marginal de la plus haute tranche du barème.
Que l'on ne nous parle pas de classes moyennes sur ce sujet ! C'est pourtant ce qui a été dit, hélas ! et nous l'avons encore entendu aujourd'hui. Chacun sait qui emploie à plein temps un employé à domicile : pas les smicards ! Le même raisonnement vaut pour les investissements quirataires.
Nous souhaitons, pour notre part, aller plus loin et raisonner de manière globale. Nous vous proposerons un amendement tendant à limiter, dans des proportions raisonnables, le champ de l'ensemble des réductions d'impôt en fonction de l'impôt lui-même.
L'outil fiscal, en matière de levier, doit avoir un rôle incitatif et ne pas être simplement synonyme d'effet d'aubaine.
Les réductions d'impôt ou les déductions du revenu imposable ne sont pas les seules à venir amoindrir la progressivité de l'impôt sur le revenu. Il y a aussi le fait que cet impôt est calculé sur un revenu global, certes, mais qui n'est que la somme algébrique de revenus issus de différentes catégories, fiscalement traitées de manière différente.
Le Gouvernement a pris de bonnes mesures sur l'assurance vie, sur l'avoir fiscal, sur le plan d'épargne en actions. Il convient de poursuivre à l'avenir et d'empêcher les nombreux montages astucieux permettant au total d'échapper à cet impôt.
Pour ce qui concerne la fiscalité des revenus du capital, et afin de limiter les risques de fuite des capitaux, seule la création d'une retenue à la source au niveau européen, notamment sur les revenus d'obligations, permettra de rééquilibrer le système. A cet effet, il sera nécessaire de mener à bien des négociations avec nos partenaires européens.
L'impôt sur le revenu est le seul impôt progressif, nonobstant ces mesures d'allégement. Il est donc le seul qui tienne compte de l'ensemble de la situation du contribuable. C'est le seul qui puisse réduire les inégalités de revenus. Son niveau est déjà faible en France. Il convient d'endiguer les évasions et d'arrêter de le diminuer davantage. Il représente 13,9 % de nos recettes, contre 36,3 % aux Etats-Unis, 27,4 % au Royaume-Uni et 26,4 % en moyenne dans l'Union européenne.
Si l'on réfléchit à l'orientation d'une fiscalité spécifique propre à relancer la croissance en temps de crise, il nous semble qu'il faut relancer la consommation, c'est-à-dire la demande. Mais pas, comme le fait la droite, au profit de ceux qui ont déjà beaucoup ; en faveur de ceux qu'un petit coup de pouce fiscal pourra amener à réaliser des dépenses qu'ils n'auraient pas décidées sans cela.
De ce point de vue, la TVA est un bon instrument fiscal à encourager. Le Gouvernement a pris une excellente mesure sur les logements sociaux. Nous proposerons des amendements allant dans le même sens, même si le passage au taux réduit impose à notre pays des négociations avec ses partenaires européens. Il convient de fixer une ligne et de s'y tenir.
J'ajouterai que favoriser fiscalement la consommation va dans le bon sens puisque cela permet de réduire l'écart de traitement fiscal entre ceux qui peuvent épargner et les autres.
Voilà, brièvement résumées, quelques-unes des pistes de réflexion que je voulais lancer. Ce budget constitue une première étape. Il sera suivi par d'autres, qui permettront, j'en suis sûr, sur la durée de la législature, de poursuivre notre chemin vers plus d'efficacité et plus de justice. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, c'est toujours avec le même intérêt que nous sommes amenés, chaque année, à exposer notre point de vue sur l'équilibre général de la loi de finances.
Acte majeur parmi nos activités parlementaires, l'examen du budget est un moment fort attendu, particulièrement cette année puisque le projet de loi de finances a été élaboré par un gouvernement issu d'une nouvelle majorité.
C'est un budget qui rompt avec les précédents, si ce n'est juste peut-être un point commun dans les principes ; je veux parler des critères de convergence. Ils imposent à nos dirigeants, quelle que soit leur sensibilité, la maîtrise des finances publiques. L'actuel gouvernement n'est donc pas le premier à devoir suivre cette ligne, mais il sera, je le crois, le premier à s'y tenir.
Je considère personnellement que c'est une bonne chose, car, au-delà de la monnaie unique et des impératifs européens, nous ne devons pas faire peser sur la jeunesse, sur nos enfants, donc sur l'avenir, les risques afférents à un trop lourd endettement de l'Etat.
Si l'Europe nous incite donc à la parcimonie, il y a plusieurs façons de gérer le budget. Et là, l'étiquette politique reprend le dessus en déterminant telle ou telle priorité.
Je dois dire que, pour ma part, je préfère les choix opérés cette année à ceux qui ont été effectués auparavant, et ce pour plusieurs raisons.
La première, mes chers collègues, c'est qu'on nous présente enfin un budget sincère, sans artifices comptables. Il fut une époque, qui n'est pas très éloignée, où les tours de passe-passe budgétaire étaient coutumiers. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous l'avoir rappelé. Parfois, on utilisait, sans le dire, les recettes des privatisations pour minorer le déficit de l'Etat. Parfois encore, on reculait les échéances en omettant, par exemple, d'inscrire les quelques milliards de francs dus à l'UNEDIC. Cette année, la vérité des comptes a été rétablie, et je m'en félicite. La Cour des comptes devrait apprécier.
Il est un deuxième point positif, qui n'est pas directement lié au contenu du présent texte, mais qui mérite néanmoins d'être souligné, M. le ministre lui-même en a parlé dans son intervention. Je veux parler du projet qui consiste à associer davantage députés et sénateurs à l'élaboration du projet de budget.
Je ne peux que me réjouir de cette idée sur laquelle, je crois, tout le monde ici peut s'accorder. Il est en effet temps de nous céder une plus grande marge de manoeuvre dans la préparation du budget de l'Etat. La nouvelle procédure que vous envisagez devrait permettre d'améliorer notre information, nos délais et, par conséquent, notre capacité de réponse aux grandes lignes initialement fixées. Le rôle du Parlement ne peut que s'en trouver valorisé et, bien entendu, renforcé.
Je voudrais maintenant m'arrêter sur les raisons fondamentales qui me poussent à juger le texte sous un jour favorable.
Sur le plan strictement comptable, la réduction du déficit du budget de l'Etat à 3 % est une sage décision. Comme je viens de le dire, il est important à la fois de respecter nos engagements européens et de ne pas hypothéquer l'avenir.
C'est, de plus, un budget de redéploiement en ce qui concerne les dépenses. S'agissant des prélèvements au titre des recettes, on peut remarquer avec satisfaction que le Gouvernement arrive à les contenir. A partir d'une masse identique, l'effort est redistribué dans la perspective d'une meilleure justice sociale, ce dont nous pouvons nous féliciter.
Ensuite, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez rappelé que le budget reposait sur deux principes : l'emploi comme finalité de la croissance et la solidarité comme moteur. Je souscris bien évidemment à ce projet. La France a atteint un ...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Yvon Collin. ... niveau insupportable de chômage : 12,5 %, cela correspond à plus de trois millions de personnes en difficulté, à deux points de plus que la moyenne des pays européens et à un taux de chômage nettement plus élevé qu'aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. La France est à la traîne. L'emploi est un point noir pour nos concitoyens, particulièrement pour notre jeunesse.
L'emploi doit donc être une priorité. Il faut d'ailleurs reconnaître que ce n'est pas une préoccupation nouvelle : tous les gouvernements affichent de bonnes intentions en ce domaine, ce qui est bien normal. La différence réside dans les moyens choisis.
Avec plus de 155 milliards de francs de crédits, le projet de budget consacré à l'emploi augmente de plus de 3,5 %. La loi relative à l'emploi des jeunes devrait profiter de cette manne. Ce texte démontre à lui seul, par son audace et son volontarisme, la vigueur de l'effort consenti pour lutter contre le chômage. On devrait passer enfin d'une déclaration de priorité à une réalité, ce qui serait nouveau, tant les effets d'annonce se sont trop souvent soldés par des mesurettes inefficaces, mais pourtant servies et resservies.
Je constate, pour l'approuver, que cette nouvelle approche en faveur de l'emploi n'a pas oblitéré les dispositifs classiques destinés aux personnes qui connaissent des difficultés d'insertion en raison de leur âge, de leur handicap ou de la durée de chômage.
Les augmentations de crédits accordées à l'éducation, à la justice, à la recherche et au développement, à l'aménagement du territoire, à la santé, à la solidarité et à la ville me semblent toutes déceler une volonté de répondre aux besoins les plus fondamentaux de notre société.
Qu'est-ce qu'une société avec une école appauvrie ? Qu'est-ce qu'une société avec une justice encombrée ? Qu'est-ce qu'une société en panne de recherche ? Qu'est-ce qu'une société avec un territoire dense d'un côté et un désert de l'autre ? Qu'est-ce qu'une société avec une santé à deux vitesses ? Qu'est-ce qu'une société avec une exclusion croissante ? Enfin, qu'est-ce qu'une société avec des banlieues au bord de l'explosion ?
C'est une société qui régresse, c'est un pays qui n'offre plus à ses citoyens le minimum de bien-être, c'est un pays qui quitte la modernité pour s'enfoncer vers le déclin.
Heureusement, ce tableau est exagérément noirci, et l'on n'en est pas là. Mais je veux dire qu'il faut choisir les bonnes priorités pour ne pas s'approcher du modèle que je viens de décrire. Et le projet de loi de finances pour 1998, même s'il ne règle pas tout, prend en tout cas la bonne direction, celle d'une société moderne, juste et solidaire.
Je voudrais toutefois vous faire part de quelques inquiétudes qui, si elles ne remettent pas en cause mon adhésion au projet de budget, me tiennent néanmoins à coeur.
La première concerne l'hypothèse de croissance retenue pour arrêter le projet de budget. La croissance française se situerait à 3 %. C'est une très bonne nouvelle pour notre pays puisque c'est deux fois plus que ces dernières années. Les consommateurs et les investisseurs devraient reprendre confiance.
Toutefois, nous devrions nous méfier des excès d'optimisme. En 1995, le budget avait été bâti sur une prévision de croissance située autour de 2,8 %. Or, la croissance n'avait finalement été que de 1,3 %. Pour l'année dernière, la prévision a été un peu meilleure, mais tout de même la croissance réalisée a été inférieure à la croissance prévue. Il serait donc souhaitable de faire preuve d'une grande prudence en ce domaine, car les conséquences sont connues : les recettes sont moins élevées que prévu et, en cours d'année, interviennent des gels de crédits ou des collectifs un peu douloureux. Je souhaite, bien sûr, que ces prévisions soient bonnes, mais l'expérience passée m'invite à la prudence, monsieur le secrétaire d'Etat.
Ma seconde inquiétude - mais c'est plutôt un souhait - concerne la réforme fiscale.
Voilà maintenant un bon moment que l'on entend parler de réforme fiscale et que l'on ne voit toujours rien venir. Vous avez abordé ce point, monsieur le secrétaire d'Etat, et j'ai cru comprendre, à travers les documents budgétaires, que cette réforme se ferait de façon graduelle.
Il est certain que le niveau de complexité de notre fiscalité impose un certain temps pour la réformer. Toutefois, outre le problème de la pression fiscale et de la mauvaise répartition du fardeau, il faudrait dès aujourd'hui clarifier notre fiscalité en fusionnant certains de ses éléments : ainsi, la contribution sociale généralisée, le remboursement de la dette sociale et l'impôt sur le revenu ne devraient faire qu'un.
Une fiscalité complexe, ce n'est pas seulement une question de manque de lisibilité, c'est aussi un problème de justice dans la mesure où elle offre le moyen à certains de minorer leur revenu. Or, cette possibilité n'est ouverte qu'à une poignée de privilégiés : ceux qui peuvent s'offrir un expert-comptable talentueux pouvant les faire bénéficier de niches fiscales.
Pour toutes ces raisons, il faudrait une réforme urgente. Je comprends que, comme l'a dit, M. le ministre, il n'y aura pas de « grand soir fiscal ». En effet, c'est un chantier impressionnant. Toutefois, il est vraiment plus que nécessaire d'engager cette réforme.
En tout cas, en attendant, je me réjouis aussi de votre projet de réforme des impôts locaux. Trop longtemps retardée, cette réforme est également indispensable. Je suis certain que la commission des finances du Sénat participera activement à ce travail, sous l'autorité bienveillante de son talentueux président, M. Christian Poncelet.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Merci !
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, parce qu'il marque une rupture avec les précédents budgets, parce qu'il met l'accent sur la solidarité et l'emploi et, enfin, parce qu'il maîtrise les finances sans offrir la rigueur aux plus démunis, mes collègues radicaux et moi-même soutiendrons le projet de loi de finances pour 1998. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en ouvrant ce débat, nous avons au moins trois certitudes.
La première, c'est que la France se trouve dans le peloton de tête des pays européens pour l'importance des taux de prélèvements obligatoires. Nous en avons longuement parlé, et c'est pourquoi je n'insisterai pas.
Toutefois, je m'étonne toujours de cette logique dépensière qui imprègne à la fois nos esprits et tous nos rouages administratifs et politiques. Chaque fois qu'un ministre affirme qu'il a un bon budget, il sous-entend que ce dernier est en augmentation. J'avoue que cela me fait parfois frémir !
L'un de vos prédécesseurs s'enorgueillissait de « réhabiliter les dépenses publiques ». L'addition de toutes les lois récentes aboutit à 80 milliards de francs de prélèvemens supplémentaires.
Le débat que nous avons eu récemment sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale a encore été un exemple de cette logique dépensière. Alors que le taux d'augmentation de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM, était fixé, cette année, à 1,7 %, il sera l'année prochaine de 2,2 % ; de surcroît, de nombreux fonds spéciaux ont été ajoutés autour de cet objectif. De nouvelles taxes ont été créées : il en est ainsi de la taxe sociale sur le tabac, qui vient s'ajouter aux droits de consommation.
Bref, nous avons désormais, monsieur le secrétaire d'Etat - vous le savez bien, puisque vous êtes en charge des problèmes budgétaires et fiscaux - deux centres de décision en matière de taxes sociales et fiscales : Bercy et le ministère des affaires sociales, et, au Sénat, la commission des finances et la commission des affaires sociales. Cela fait beaucoup, et cela crée parfois certaines incohérences. Je ne crois pas que nous pourrons continuer à ce rythme et à ce niveau.
L'épargne des sociétés, comme celle des particuliers, est l'une des plus taxées d'Europe, dans un marché particulièrement ouvert où la mobilité des capitaux et des investissements sera très grande. Cela peut susciter certaines inquiétudes.
Je voudrais vous faire part de notre deuxième certitude. Elle concerne notre tare en matière d'investissement.
Au niveau atteint par les déficits publics et en raison de la rigidité des dépenses de fonctionnement, nous constatons depuis plusieurs années une baisse des investissements publics de l'Etat et, maintenant, une stabilisation de ceux des collectivités locales.
Mais c'est de l'investissement privé et surtout de l'investissement industriel que je voudrais parler.
C'est un point sur lequel la quasi-totalité des analystes économiques sont d'accord : le taux d'investissement de l'industrie française est à un point bas historique. Il ne représente désormais plus que 2,6 % du produit intérieur brut, contre 3,5 % dans les années soixante-dix et 3 % au cours de la décennie quatre-vingt.
Certes, nous constatons une légère reprise, mais nous souffrons d'un retard chronique sur tous nos grands concurrents : les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, le Japon et même l'Italie.
Il est vrai que la croissance mondiale tire notre propre croissance ; mais cette croissance appelle des investissements, et près de la moitié des investissements des soixante-sept plus grands groupes français s'effectue désormais à l'extérieur de nos frontières.
Dans un monde ouvert, cela n'a rien d'anormal ; mais ce qui est critiquable, c'est que notre politique de surtaxation et de surcoûts pousse les entreprises à réduire leur croissance au niveau national.
Moins de croissance, moins d'investissements, c'est forcément moins de créations d'emplois. Cela m'amène à notre troisième certitude : la France demeure l'un des pays développés où le taux de chômage est parmi les plus élevés.
La création d'emplois publics, ou aidés, ne pourra apporter aucune solution durable à ce drame national - notre collègue Yvon Collin vient de le souligner - sans le dynamisme des entreprises du secteur marchand, bref, sans le soutien et la confiance des entreprises privées.
Or, nous devons bien constater qu'actuellement cette confiance fait quelque peu défaut.
Ces trois faiblesses structurelles - prélèvements publics trop élevés, chômage trop important, investissements insuffisants - ne disparaîtront pas rapidement.
C'est donc avec ces lourdeurs et ces handicaps que nous nous dirigeons vers une Europe ouverte, avec une monnaie unique. Dans l'économie unifiée qui sera celle de demain, je crains que nos faiblesses n'apparaissent de façon éclatante et n'entraînent plus de délocalisations de nos capitaux, de nos entreprises, voire de nos cadres, bref de nos forces vives.
M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général ont formulé des analyses convergentes que nous partageons.
Il y a toutefois une évidence : il faut mettre au point une politique fiscale qui puisse drainer l'épargne et stimuler les investissements dans certains secteurs.
Vous l'avez d'ailleurs compris, puisque vous adopté cette démarche pour les petites entreprises. Mais pourquoi ne l'avez-vous pas fait également pour les autres ?
Si un aménagement fiscal permet de développer des investissements et de créer des richesses ou des emplois, il serait regrettable d'y renoncer.
Je crois d'ailleurs plus à l'efficacité du levier fiscal qu'à celle des subventions : le premier est un instrument actif, les secondes sont plutôt passives.
Le premier exemple que je voudrais donner est celui de notre politique fiscale dans le domaine maritime. Par l'article 8 du projet de loi de finances, le Gouvernement supprime le dispositif fiscal qui avait été mis en place en faveur du financement des navires par la loi de juillet 1996.
Il s'agit d'ailleurs là d'une particularité bien française : nous avons incontestablement la médaille d'or de l'instabilité fiscale, ce que certains appellent le « yo-yo » fiscal.
M. René Régnault. C'est ce que vous aviez commencé à faire !
M. Jacques Oudin. Nous défaisons avec une rapidité prodigieuse ce que nous venons de mettre en oeuvre.
Nous estimons que cette décision est une mauvaise action.
Personne ne peut contester le déclin considérable de notre flotte de commerce, passée en moins de trente ans de la cinquième à la vingt-huitième place mondiale. Nous disposons de 210 navires marchands, alors que l'Allemagne en possède plus de 1 400, ainsi que la flotte la plus moderne de porte-conteneurs.
Il y a une explication à cette situation : l'insuffisance du système fiscal d'incitation à l'investissement dans ce secteur. Tous les pays qui ont su développer leur flotte de commerce n'ont pu le faire que grâce à un système d'aménagement fiscal.
La comparaison des différents systèmes montre que celui que nous avions mis en place était loin d'être le plus généreux et qu'il était, de surcroît, particulièrement encadré, puique toutes les décisions étaient soumises à l'agrément du ministre de l'économie et des finances. Ce dernier avait donc la possibilité de mesurer parfaitement l'ampleur de l'investissement et de ses retombées économiques et sociales.
En quelques mois, le nombre de projets s'est développé, l'espoir est revenu, et le dynamisme renaissait dans le monde maritime.
Pour des raisons idéologiques,...
M. René Régnault. D'équité !
M. Jacques Oudin ... vous souhaitez supprimer ce dispositif qui, au-delà des grands navires, commençait à susciter un nombre important de petits projets dont beaucoup auraient été financés par les fonds communs de placement maritime mis en place par la loi.
Pour justifier votre décision, vous avez avancé des arguments non fondés : le faible nombre de navires construits dans nos chantiers navals, alors que ceux-ci sont spécialisés dans les bâtiments à haute valeur ajoutée ; le coût par emploi créé, alors que vous n'avez comptabilisé que les emplois de navigants et non tous les emplois induits à terme ; enfin, le coût global du dispositif qui serait plutôt à l'inverse, la démonstration de son intérêt et de son efficacité.
Le deuxième exemple concerne la loi Pons. Ce système fiscal mis en oeuvre depuis dix ans, même s'il est perfectible, permet de drainer chaque année vers nos départements d'outre-mer autant d'épargne que l'Etat distribue de subventions. Et, là encore, le ministre des finances est au coeur de la procédure d'agrément.
Vous avez certainement compris qu'il existe un lien étroit et profond entre notre politique maritime et notre politique en faveur du développement de nos départements et territoires d'outre-mer. Si vous freinez l'une, vous allez forcément freiner la seconde.
Enfin, mon troisième exemple concernera le secteur autoroutier.
Votre administration n'a jamais beaucoup aimé les autoroutes. Et pourtant, voilà un secteur qui joue un rôle économique majeur dans notre développement économique et dans l'aménagement du territoire.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Comme vous avez raison !
M. Jacques Oudin. La France est une des principales plaques autoroutières de l'Europe. Avec le réseau autoroutier qui structure notre territoire national, nous drainons 50 % du trafic - avec moins de 5 % des accidents mortels - et la quasi-totalité de l'augmentation de ce même trafic.
Voilà, de surcroît, un secteur qui s'autofinance complètement grâce à une politique intelligente de concession et de péréquation des péages.
Grâce à la réforme engagée en 1993 par le gouvernement de M. Balladur, nous avions pu annoncer l'achèvement du réseau autoroutier dans un délai de dix ans.
M. René Régnault. Non financé !
M. Jacques Oudin. Mais vous avez trouvé tous les défauts à notre système autoroutier, alors même que d'autres pays commencent à nous envier : les sociétés seraient trop endettées, alors que nous finançons avec des emprunts sur quinze ans des équipements qui dureront plus de cent ans ; le kilomètre d'autoroute coûterait trop cher - 45 millions de francs - alors que nous avons nous-mêmes largement suscité ces augmentations avec la loi sur les paysages, la loi sur l'air ou la loi sur l'eau ; enfin, les nouvelles sections ne seraient pas rentables parce qu'elles desservent des régions enclavées ou éloignées.
Mais c'est justement là, monsieur le secrétaire d'Etat, la logique de l'aménagement du territoire et la justification de la politique de péréquation des péages ! Ce sont les sections les plus rentables qui financent les sections les moins rentables, ce sont les riches qui financent les pauvres.
M. Paul Loridant. Normal !
M. Jacques Oudin. Bref, grâce à ce levier extrêmement puissant qu'est le comité des investissements économiques et sociaux, le CIES, et à la participation active du ministère de l'environnement, ce sont près de 500 kilomètres d'autoroutes qui seraient actuellement en passe d'être gelés.
Voilà un bilan qui touche tous ceux qu'intéresse l'aménagement du territoire !
M. Alain Lambert, rapporteur général. On ne peut imaginer que ce soit possible ! M. Jacques Oudin. C'est une mauvaise action envers l'aménagement du territoire, envers nos entreprises et envers l'emploi, bref, envers toute notre économie.
Rappelez-vous en effet, monsieur le secrétaire d'Etat, que peu d'entreprises acceptent désormais de s'installer ou de se développer dans des zones éloignées d'un échangeur autoroutier.
Nous avons toujours constaté que l'investissement était au coeur de la croissance et que cette dernière était la condition essentielle des créations d'emplois.
Or, votre politique n'est pas favorable à l'investissement, en dépit de taux d'intérêt tout à fait attractifs. Elle aura donc des conséquences tout à fait négatives sur l'emploi.
Les exemples que j'ai cités sont parfaitement illustratifs d'une politique qui obère les chances de la France dans une Europe et un monde en évolution rapide.
Comment voudriez-vous, dans ces conditions, que nous puissions approuver un tel projet de budget ? (Applaudissements sur le banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous semblez avoir utilisé la totalité des marges de manoeuvre offertes par la baisse des taux d'intérêt et par une croissance plus soutenue en cette fin d'année. Et vous affichez un objectif auquel nous souscrivons, à savoir le respect des critères permettant l'entrée dans l'union monétaire. Mais, comme je le disais déjà lors du débat sur le MUFF, cette exigence représente vraiment un minimum compte tenu de la situation de nos finances publiques !
N'oublions pas en effet qu'un déficit de 3 % du PIB, c'est toujours 260 milliards de francs d'emprunts nouveaux qui vont venir peser sur l'encours de notre dette. A ce rythme, la France voit un autre critère - l'encours de la dette rapporté au PIB - continuer à se détériorer. Il approche aujourd'hui dangereusement le seuil de 60 % à ne pas dépasser !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Exact !
M. Denis Badré. Il y a bien là, en fait, un problème franco-français dans lequel ni l'Europe ni Maastricht n'ont la moindre part de responsabilité. Ne disons donc surtout pas que nous ramenons notre déficit à 3 % à cause de l'Europe, ni même que nous le faisons pour l'Europe. Disons plutôt que nous le faisons pour la France !
Notre déficit, qui était de 1,5 % du PIB en 1990, a explosé entre 1990 et 1993 pour atteindre un maximum de 5,6 % à cette dernière date, installant ainsi la France dans la spirale infernale : déficit, dette, prélèvements.
Voilà un an, nous avions procédé à une analyse distinguant, dans le budget, les dépenses d'investissement et les dépenses de fonctionnement. Une telle approche amène à constater que la France emprunte pour couvrir ses dépenses de fonctionnement, ce qui est absolument interdit à nos communes !
Le rapprochement de deux chiffres du budget est à cet égard saisissant : en dépenses, apparaît une annuité de 238 milliards de francs à régler ; en recettes devrait apparaître, si on ne l'appelait pudiquement déficit, un emprunt d'une somme à peine supérieure de 260 milliards de francs pour équilibrer le budget.
Nous savons bien que les recettes ne sont pas affectées. On peut cependant considérer que, s'il n'y avait pas d'annuité à régler, l'emprunt serait lui-même à peu près inutile. Un mauvais esprit pourrait donc tout de même être tenté de dire que nous empruntons pour acquitter notre dette. Nous sommes dans la spirale ! Nous sommes surtout dans une position impossible dans laquelle ni nos communes ni les particuliers n'ont le droit de se mettre. Quel banquier prêterait à son client pour que celui-ci lui rembourse sa dette ?
Ramener le déficit à 3 %, c'est donc bien. C'est poursuivre la décélération engagée depuis 1993 par les gouvernements de MM. Balladur et Juppé. Mais ce n'est pas suffisant ! En 1993, à 5,6 % de déficit, l'encours de la dette enflait très vite et, avec l'encours, l'annuité à payer l'année suivante aussi. Et le budget correspondant était chaque année encore plus difficile à boucler. A 3 %, l'aggravation est simplement moindre. Mais il s'agit toujours d'une nouvelle aggravation de l'annuité qui continue à progresser.
Dans les conditions actuelles de configuration de notre dette et de structure des taux d'intérêts, il faudrait encore réduire de moitié notre déficit, de plus de 100 milliards de francs donc, pour que l'encours soit simplement stabilisé ! Et il faudrait faire encore mieux pour commencer seulement à redresser la situation.
Encore faut-il noter que la baisse des taux d'intérêt est venue opportunément à notre secours. L'annuité à régler a doublé depuis 1990, passant de 120 à 240 milliards de francs. Elle aurait triplé si les taux d'intérêts étaient restés ceux de 1990. Si vous aviez eu à régler 360 milliards de francs et non 240 milliards de francs, monsieur le secrétaire d'Etat, vous auriez dû trouver 120 milliards de francs supplémentaires. Auriez-vous, pour ce faire, choisi d'augmenter encore l'impôt - il aurait fallu majorer de 50 % l'impôt sur les sociétés ou de 40 % l'impôt sur le revenu - ou bien auriez-vous enfin décidé de vous attaquer à la dépense publique ?
En fait, nous pensons qu'il est possible de réduire le déficit en agissant sur la dépense publique et de retrouver ainsi le chemin de l'emploi en profitant d'un redémarrage de la croissance.
Un exemple éminent : entre 1992 et 1996, les Etats-Unis ont ramené leur déficit de 4,5 % à 1,5 % du PIB, en réduisant notamment leur effectif de fonctionnaires de 270 000. Eh bien, cela n'a pas empêché l'économie américaine de créer 10 millions d'emplois.
Mes chers collègues, c'est avéré : la réduction de la dépense publique contribue à ramener la confiance, et la volonté et le pragmatisme valent toutes les idéologies.
C'est dans cette logique, monsieur le secrétaire d'Etat, que s'inscrit la démarche de la commission des finances, démarche qu'ont très clairement présentée son président M. Christian Poncelet, et le rapporteur général, M. Alain Lambert.
L'objectif de réduction du déficit n'étant contesté par personne, cette démarche repose sur quatre principes : moins de déficit, moins de dépenses publiques, des prélèvements allégés et, parmi les dépenses, priorité aux moyens destinés à l'exercice des missions régaliennes de l'Etat et aux investissements créateurs d'emplois. Je souscris évidemment sans réserve et aussi activement que possible à cette démarche.
Pour terminer sur le sujet du déficit, je répète que ce n'est pas l'Europe qui a mis la France en difficulté. C'est bien plutôt la France qui doit d'urgence recoller au peloton de ses partenaires européens si elle veut éviter le déclin susceptible de découler plus rapidement qu'on ne pense d'une fuite des capitaux et des cerveaux.
C'est avec un peu d'amertume que j'entendais, voilà quelques semaines, Vitautas Landsbergis, président du parlement lituanien, me dire, sur le ton de la boutade, que, lorsque la France serait revenue à 1,5 % de déficit, chiffre atteint aujourd'hui par la Lituanie, la Lituanie pourrait l'accueillir dans l'Europe qu'elle envisage de construire autour de Vilnius.
Monsieur le secrétaire d'Etat, réduire la dépense publique est une nécessité absolue. Je ne vois évidemment pas d'autre solution, alors que nous voulons par priorié et simultanément réduire les déficits et alléger les prélèvements.
Il me semble que ce n'est pas ce que vous faites. Il y a un an, M. Jupé réduisait de 7 000 les effectifs de la fonction publique. Tous redéploiements inclus, vous choisissez maintenant de l'augmenter.
Plus généralement, non seulement vous ne réduisez pas les dépenses, mais vous les augmentez de 2,6 %, si l'on excepte les crédits de la défense, dont la malheureuse diminution risque d'être très grave pour notre sécurité et pour l'emploi. On doit pouvoir faire mieux. C'est le sens de la démarche engagée par la commission des finances.
Bien sûr, réduire la dépense publique, c'est s'obliger à engager l'indispensable réforme de l'Etat. La majorité d'hier avait mesuré la difficulté de cet exercice. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous ne pourrez éluder cette réforme !
Réduire la dépense publique, c'est aussi faire le choix d'une autre spirale, vertueuse celle-ci : confiance, croissance, emploi.
Qu'il s'agisse de l'Etat ou des entreprises, il n'y a pas d'autre voie. Vous savez bien aussi que les citoyens eux-mêmes n'attendent pas d'autres choix de notre part. Veillons à ce que les prélèvement obligatoires n'asphyxient ni les Français ni la France !
En ce qui concerne les recettes, derrière l'annonce d'une légère baisse des taux de prélèvements obligatoires, se profile en réalité une augmentation très importante : près de 80 milliards de francs, ainsi que le rappelait le rapporteur général.
Les prélèvements nouveaux, très ciblés sur les entreprises et les catégories que vous avez décidé de désigner comme relativement aisées, créent, au-delà de leur effet direct, un climat d'insécurité juridique et d'attentisme peu favorable à l'investissement, d'autant plus que l'objectif d'un allégement du taux marginal de l'impôt sur le revenu est remis en cause.
Au niveau de la dernière tranche, ce qui reste un effort supplémentaire demeurera donc taxé à 54 % au titre de l'impôt sur le revenu, auxquels il faudra ajouter 7,5 % de CSG, 0,5 % de CRDS et, dans certains cas, le nouveau prélèvement social unifié de 2 %. Voilà qui nous mène à 64 %, de quoi décourager les plus entreprenants !
Pour certains, il s'agit donc bien d'un « matraquage ». Elu de la région parisienne, j'ai l'occasion de croiser un grand nombre de familles, de celles que vous qualifiez d'« aisées ». Avez-vous vraiment chiffré l'impact de toutes les mesures prises, en ajoutant à la réduction de l'aide aux emplois familiaux les mesures de votre projet de loi de financement de la sécurité sociale ?
La vraie question ne serait-elle pas d'abord de comparer, à revenus égaux, les niveaux de vie d'un célibataire et d'une famille nombreuse ? Vous passez votre temps, au contraire, à opposer entre elles les familles ayant des revenus différents ! Le vrai problème n'est ni de dresser les familles les unes contre les autres ni, bien sûr, d'appauvrir tout le monde. Il vaudrait mieux encourager le maximum de Français à faire le choix de la famille. Ce choix est vital pour notre pays !
Et c'est bien dans ce contexte qu'il faut analyser les mesures du projet de loi de finances touchant à l'impôt sur le revenu, sur le détail desquelles je ne reviens que très rapidement l'heure l'exige.
J'évoquerai brièvement la suppression du remboursement de l'avoir fiscal lorsque le montant de l'impôt sur le revenu est insuffisant pour l'imputer. Cette suppression diminuera considérablement l'intérêt de ce mécanisme et aboutira à modifier le rendement brut d'un titre selon la situation de l'actionnaire au regard de l'impôt sur le revenu. Voilà qui est très peu satisfaisant pour les entreprises et très surprenant pour l'esprit !
J'évoquerai, enfin, le régime de l'assurance vie qui voit fondre ses avantages fiscaux. Ce durcissement, intervenant après celui qui a été opéré en 1996, compromettra l'intérêt de ce type de placement qui, rappelons-le, constituait aussi une source importante et intéressante pour le financement de la dette publique.
Cela risque, en outre, d'entretenir des tensions sur les taux longs et de diriger l'épargne soit vers des produits liquides, soit vers des destinations étrangères.
De plus, il devient désormais très difficile de constituer une retraite régulière par la capitalisation. Cela rend plus urgente la mise en place effective des fonds de pension. A la suite des déclarations faites hier par M. Strauss-Kahn, j'aimerais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous puissiez nous rassurer, en confirmant qu'elle ne souffrira plus de retard.
Mes chers collègues, nous déplorons tous le retard de notre industrie en termes d'investissements. Le vieillissement de notre appareil de production est effectivement préoccupant.
Un tel phénomène s'explique essentiellement par la médiocre rentabilité du capital en France. Meilleure, c'est vrai, qu'au début de la décennie, elle demeure beaucoup trop faible par rapport aux performances de nos concurrents étrangers, notamment anglo-saxons.
Ce constat relativise, monsieur le secrétaire d'Etat, la thèse de l'« excellente santé » des entreprises et de leur capacité à absorber toute nouvelle augmentation du coût du travail.
Nous sommes forcés d'admettre que la France a perdu de son attractivité auprès des investisseurs étrangers. Depuis 1996, les investissements directs de nos entreprises hors de nos frontières se sont intensifiés, alors que ceux des étrangers dans l'Hexagone se tassent. Cette dégradation manifeste bien un handicap en termes de coût du travail. M. Michel Sergent. Apocalypse Now ! (Rires sur les travées socialistes.)
M. Denis Badré. Le commissaire Mario Monti, auditionné par notre commission des finances, reprenait avec force, il y a quelques jours, l'idée selon laquelle il faut aujourd'hui rééquilibrer la fiscalité des revenus du travail et celle des revenus du capital.
Malheureusement, là où tous les partenaires de la France choisissent de le faire en allégeant la fiscalité des revenus du travail, vous, seul contre tous, vous choisissez plutôt le rééquilibrage par l'alourdissement de la fiscalité pesant sur les revenus de l'épargne.
Ainsi, chez nous, tout sera plus lourd qu'ailleurs ! Nous ne pourrons donc plus, désormais, nous contenter d'être meilleurs que les autres, ce qui reste le cas : il nous faudra être bien meilleurs pour supporter ce nouveau handicap, pour pouvoir continuer à rivaliser, donc à exister.
Je crois, monsieur le secrétaire d'Etat, que votre politique économique pèche par une forme de refus de la réalité économique mondiale et par une confiance inébranlable en l'« exception française ».
Ainsi, selon vous, la politique libérale menée depuis dis-sept ans en Grande-Bretagne sous les gouvernements conservateurs et travaillistes serait inapplicable en France parce que les Français ne pourraient accepter la « flexibilité » ! (Protestations sur les travées socialistes.)
Quant au dialogue social à la néerlandaise, la réponse est la même : nos compatriotes ne supporteraient pas une telle discipline !
Rêvons pourtant un instant : nous serions tous heureux que puisse voir le jour, chez nous, un accord entre patronat et syndicats du type de celui qui a permis aux Pays-Bas de ramener en quinze ans le chômage de 11 % à 6 %.
M. Michel Sergent. Mais nous n'avons pas le même patronat !
M. Denis Badré. Nos amis néerlandais, avec un grand pragmatisme, et sans recourir à la loi, ont su combiner réduction de la durée du travail, développement du temps partiel et modération des salaires. En France, au contraire, nous sommes condamnés à penser que tout doit passer par l'Etat, que tout doit être formalisé dans la loi. Non, on ne gouverne pas l'économie par décrets. On fait plutôt progresser les sociétés avec des idées, des projets, du travail, des investissements, donc avec les hommes. ( Exclamations sur les travées socialistes. ) Et les femmes ! ( Ah ! sur les mêmes travées. )
L'ancienne majorité gouvernementale avait essayé de sortir de cette logique en engageant courageusement, mais peut-être trop tôt ou trop vite, des réformes de structures. Elle n'a pas été comprise. Sans doute une autre « manière » aurait-elle été nécessaire, compte tenu de la difficulté de l'entreprise. Mais il est toujours facile de juger après. Je pense, en tout cas, que nous devons tous regretter les occasions manquées. Il faudra y revenir tôt ou tard, monsieur le secrétaire d'Etat, et le plus tôt sera le moins mal.
La préparation des esprits impliquera sans doute un très gros effort d'explication. A nous, sénateurs, de contribuer, par des propositions courageuses et cohérentes, à la prise de conscience indispensable au redressement de notre pays.
Mes chers collègues, l'avenir dépend de notre aptitude à analyser avec lucidité les difficultés du moment. Il dépend aussi de notre capacité à centrer nos choix sur l'essentiel. ( M. le président de la commission des finances applaudit. )
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

14

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
DE LOI ORGANIQUE

M. le président. J'ai reçu de MM. Claude Huriet, Edouard Le Jeune, Bernard Barraux, Jacques Baudot, Jean Bernadaux, Henri Le Breton, Jacques Machet, Jean Madelain et Louis Moinard une proposition de loi organique tendant à assurer la représentation des retraités au Conseil économique et social et dans les comités économiques et sociaux régionaux.
La proposition de loi organique sera imprimée sous le n° 92, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

15

DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. Edouard Le Jeune une proposition de loi tendant à prendre en compte pour l'octroi d'une retraite anticipée aux anciens combattants d'Afrique du Nord la durée du temps passé au-delà de la durée légale du service militaire entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 93, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de MM. Jean-Paul Delevoye, Jean Delaneau, Jean Faure, Paul Girod, Gérard Larcher, Louis Althapé, Paul Blanc, Joël Bourdin, Henri Collard, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Alain Dufaut, André Dulait, Philippe François, François Gerbaud, Charles Ginésy, Jean-Marie Girault, Georges Gruillot, Pierre Hérisson, Daniel Hoeffel, Jean-Paul Hugot, Charles Jolibois, Pierre Laffitte, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Maurice Lombard, Roland du Luart, René Marquès, Philippe Marini, Georges Mouly, Jean Pépin, Jean Puech, Henri de Raincourt, Roger Rigaudière, Louis-Ferdinand de Rocca-Serra, Josselin de Rohan, Jean-Pierre Schosteck, Louis Souvet et Alain Vasselle une proposition de loi relative à la taxe professionnelle de France Télécom.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 95, distribuée et renvoyée à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Pierre Laffitte une proposition de loi permettant à des fonctionnaires de participer à la création d'entreprises innovantes.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 98, distribuée et renvoyée à la commission des affaires culturelles sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, permettant à l'enfant orphelin de participer au conseil de famille.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 99, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

16

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION

M. le président. J'ai reçu de Mme Marie-Madeleine Dieulangard une proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du règlement, sur :
- la proposition de règlement (CE) du Conseil modifiant le règlement 3094/95 et prorogeant les dispositions pertinentes de la septième directive du Conseil concernant les aides à la construction navale ;
- la proposition de règlement (CE) du Conseil établissant de nouvelles règles pour les aides à la construction navale (n° E-936).
La proposition de résolution sera imprimée sous le numéro 100, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

17

DÉPÔT DE PROPOSITIONS
D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- proposition de règlement CE du Conseil concernant l'approbation d'un échange de lettres entre la Communauté européenne et la République de Hongrie sur certaines modalités d'importation de produits agricoles.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-960 et distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- lettre rectificative n° 1 à l'avant-projet de budget pour 1998, section III, Commission.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-961 et distribuée.

18

DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Lambert, rapporteur général, un rapport, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sur le projet de loi de finances pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale (n° 84, 1997-1998).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 85 et distribué.
J'ai reçu de M. Charles Descours, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 91 et distribué.
J'ai reçu de M. Paul Girod un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au fonctionnement des conseils régionaux (n° 27, 1997-1998).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 94 et distribué.

19

DÉPÔT DE RAPPORTS D'INFORMATION

M. le président. J'ai reçu de M. Bernard Barbier un rapport d'information, fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, sur les perspectives macroéconomiques à moyen terme (1997-2002).
Le rapport d'information sera imprimé sous le numéro 96 et distribué.
J'ai reçu de Mme Marie-Madeleine Dieulangard un rapport d'information, fait au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, sur le régime communautaire des aides à la construction navale (proposition d'acte communautaire E-936).
Le rapport d'information sera imprimé sous le numéro 97 et distribué.

20

DÉPÔT D'AVIS

M. le président. J'ai reçu de MM. Philippe Nachbar, Marcel Vidal, Ambroise Dupont, Jean Bernadaux, Albert Vecten, Jean-Pierre Camoin, Jean-Louis Carrère, Pierre Laffitte, François Lesein, Jean-Paul Hugot, Alain Gérard, James Bordas et Jacques Legendre, un avis, présenté au nom de la commission des affaires culturelles, sur le projet de la loi de finances pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale (n° 84, 1997-1998).
L'avis sera imprimé sous le numéro 86 et distribué.
J'ai reçu de MM. Alain Pluchet, Josselin de Rohan, Henri Revol, Aubert Garcia, Francis Grignon, Jean Besson, Jean-Marie Rausch, Jean-Jaques Robert, Mme Odette Terrade, MM. Michel Souplet, Jean Pépin, Jean Boyer, Georges Gruillot, William Chervy, Mme Josette Durrieu, MM. Charles Ginésy, Bernard Hugo, Georges Berchet, Jean-François Le Grand, Jacques Rocca Serra, Pierre Hérisson, Rodolphe Désiré et Gérard Larcher un avis, présenté au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, sur le projet de loi de finances pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale (n° 84, 1997-1998).
L'avis sera imprimé sous le numéro 87 et distribué.
J'ai reçu de MM. André Dulait, Guy Penne, Mme Paulette Brisepierre, MM. Jean Faure, Michel Alloncle, Serge Vinçon, Hubert Falco et André Boyer un avis, présenté au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur le projet de loi de finances pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale (n° 84, 1997-1998).
L'avis sera imprimé sous le numéro 88 et distribué.
J'ai reçu de MM. Jean Chérioux, Louis Boyer, Paul Blanc, Louis Souvet, Jean Madelain, Bernard Seillier, Marcel Lesbros, Pierre Lagourgue et Jacques Bimbenet un avis, présenté au nom de la commission des affaires sociales, sur le projet de loi de finances pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale (n° 84, 1997-1998).
L'avis sera imprimé sous le numéro 89 et distribué.
J'ai reçu de MM. André Bohl, Paul Masson, René-Georges Laurin, Germain Authié, Georges Othily, Michel Rufin, François Blaizot et Jean-Marie Girault un avis, présenté au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur le projet de loi de finances pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale (n° 84, 1997-1998).
L'avis sera imprimé sous le numéro 90 et distribué.

21

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au vendredi 21 novembre 1997, à dix heures :
Suite de la discussion du projet de loi de finances pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale (n°s 84 et 85, 1997-1998). (M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.)
Discussion générale (suite).
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.
Aucun amendement aux articles de la première partie de ce projet de loi de finances n'est plus recevable.

Délai limite pour les inscriptions de parole
dans les discussions précédant l'examen des crédits
de chaque ministère

Le délai limite pour les inscriptions de parole dans les discussions précédant l'examen des crédits de chaque ministère est fixé à la veille du jour prévu pour la discussion, à dix-sept heures.

Délai limite pour le dépôt des amendements
aux crédits budgétaires
pour le projet de loi de finances pour 1998

Le délai limite pour le dépôt des amendements aux divers crédits budgétaires et articles rattachés du projet de loi de finances pour 1998 est fixé à la veille du jour prévu pour la discussion, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée le vendredi 21 novembre 1997, à une heure.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON






A N N E X E

Règles et calendrier de la discussion du projet de loi de finances pour 1998,
adopté par la conférence des présidents du 4 novembre 1997
et modifié par le Sénat dans sa séance du 20 novembre 1997
Discussion des articles et des crédits


DATE

DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

DURÉE PRÉVUE

Jeudi 20 novembre 1997
A 16 heures et le soir. Discussion générale 6 h 30

Nota. - Délai limite pour le dépôt des amendements aux articles de la première partie à 16 heures.

Vendredi 21 novembre 1997

A 9 h 30 . Discussion générale (suite et fin) 2 h 30

Nota. - La commission des finances se réunira l'après-midi pour l'examen des amendements aux articles de la première partie.

Lundi 24 novembre 1997

A 10 heures, 15 heures et le soir. Examen des articles de la première partie 10 h 30

Mardi 25 novembre 1997
A 9 h 30, 15 heures et le soir. Examen des articles de la première partie (suite) 11 heures

Mercredi 26 novembre 1997

A 9 h 30, 15 heures et le soir.
Nota. - La discussion relative aux affaires européennes interviendra à l'occasion de l'examen de l'article 24. Nota. - A 17 h 30, dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.


Examen des articles de la première partie (suite)
A 15 heures : Examen de l'article 24 : évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes
Examen des articles de la première partie (suite et fin)
Eventuellement seconde délibération sur la première partie Explications de vote sur l'ensemble de la première partie. Scrutin public ordinaire de droit

3 h 30


3 heures

4 h 30

Jeudi 27 novembre 1997

A 9 h 30, 16 h 30 et le soir. Nota. - A 15 heures : questions d'actualité au Gouvernement ; projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du quatrième protocole (services de télécommunications de base) annexé à l'accord général sur le commerce des services.


Education nationale, recherche et technologie :
I. - Enseignement scolaire
II. - Enseignement supérieur (+ articles 63 bis et 63 ter )
III. - Recherche et technologie
Affaires étrangères et coopération : II. - Coopération (et francophonie)


3 h 30
2 h 30
1 h 30
2 h 30

Vendredi 28 novembre 1997

A 9 h 30, 15 heures et le soir.

Affaires étrangères et coopération : I. - Affaires étrangères

4 heures
. Culture 4 heures
. Communication (crédits du Conseil supérieur de l'audiovisuel, d'aides à la presse et à l'audiovisuel inscrits au budget des services généraux du Premier ministre ; article 48 et lignes 46 et 47 de l'état E annexé à l'article 44) 3 heures

Lundi 1er décembre 1997

A 9 h 30. Eventuellement, nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998.A 15 heures et le soir.

Emploi et solidarité : I. - Emploi

3 h 30
.
II. - Santé, solidarité et ville : - santé et solidarité
3 heures
. - ville et intégration 1 h 30

Mardi 2 décembre 1997

A 10 heures, 15 heures et le soir. Agriculture et pêche (+ article 62 A) 4 h 30
. Budget annexe des prestations sociales agricoles 1 heure
.

Intérieur et décentralisation : - sécurité

2 h 30
. - décentralisation 2 h 30

Mercredi 3 décembre 1997

A 9 h 30, 15 h 30 et le soir. Nota. - La commission des finances se réunira à 14 heures pour examiner les articles non rattachés de la deuxième partie.


Economie, finances et industrie :
I. - Charges communes (+ article 63)
Comptes spéciaux du Trésor (articles 34 à 38, 38 bis, 39 à 43 et 43 bis )
Economie, finances et industrie : II. - Services financiers (et consommation)


1 heure
1 heure
. Budget annexe des Monnaies et médailles 0 h 10
.
Services du Premier ministre : I. - Services généraux
0 h 30
. II. - Secrétariat général de la défense nationale 0 h 30
. III. - Conseil économique et social 0 h 15
. IV. - Plan 0 h 30
. Budget annexe des Journaux officiels 0 h 10
.
Economie, finances et industrie : III. - Industrie (et poste)
3 heures
. Commerce extérieur 1 heure
.
Economie, finances et industrie : IV. - Petites et moyennes entreprises, commerce et artisanat
2 heures

Jeudi 4 décembre 1997

A 9 h 30, 15 heures et le soir.

Equipement, transports et logement : V. - Tourisme

1 heure
. I. - Urbanisme et services communs 1 heure
.
II. - Transports :
1. Transports terrestres
2. Routes 3. Sécurité routière

2 h 30
.
4. Transport aérien 5. Météorologie
2 heures
.
Budget annexe de l'aviation civile
IV. - Mer :
- marine marchande - ports maritimes
1 h 30
. III. - Logement 3 heures

Vendredi 5 décembre 1997

A 9 h 30, 15 heures et le soir. Nota. - Délai limite pour le dépôt des amendements aux articles non rattachés de la deuxième partie, à 17 heures.


Aménagement du territoire et environnement :
I. - Aménagement du territoire
II. - Environnement (+ articles 62 B, 62 C et 62 D) Défense
5 heures
.
- exposé d'ensemble et dépenses en capital (article 30).
- dépenses ordinaires (article 29).
2 h 30 2 heures
. Fonction publique et réforme de l'Etat 1 h 30

Samedi 6 décembre 1997

A 9 h 30, 15 heures et éventuellement le soir. Outre-mer 4 heures
. Anciens combattants (+ articles 62, 62 bis, 62 ter et 62 quater ) 2 heures
. Jeunesse et sports 2 h 30
. Eventuellement discussions reportées.

Lundi 8 décembre 1997
A 9 h 30. Budgets annexes de l'ordre de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération 0 h 20
. Justice (+ article 67) 3 heures

A 16 heures et le soir. Nota. - La commission des finances se réunira à 14 heures pour examiner les amendements aux articles non rattachés de la deuxième partie.

Articles de la deuxième partie non joints aux crédits 6 h 30

Mardi 9 décembre 1997

A 9 h 30, 15 heures et le soir.

Suite et fin de la discussion des articles de la deuxième partie non joints aux crédits.
Eventuellement seconde délibération.
Explications de vote.
Scrutin public à la tribune de droit.


MODIFICATIONS
AUX LISTES DES MEMBRES DES GROUPES
GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE
(88 membres au lieu de 87)

Ajouter le nom de M. Bernard Fournier.

RÉUNION ADMINISTRATIVE DES SÉNATEURS
NE FIGURANT SUR LA LISTE D'AUCUN GROUPE
(9 au lieu de 10)

Supprimer le nom de M. Bernard Fournier.

NOMINATION
DES MEMBRES D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

Au cours de la séance du jeudi 20 novembre 1997, ont été proclamés membres de la commission d'enquête sur la politique énergétique de la France :
MM. Claude Belot, Georges Berchet, Jean Besson, Jean Boyer, William Chervy, Charles Descours, Hubert Durand-Chastel, Jean Faure, Mme Anne Heinis, MM. Rémi Herment, Lucien Lanier, Pierre Lefebvre, Jean-François Le Grand, Gérard Miquel, Alain Pluchet, Mme Danièle Pourtaud, MM. Henri Revol, André Rouvière, Michel Souplet, René Trégouët et Jacques Valade.

NOMINATIONS DE RAPPORTEURS

Projet de loi de finances pour 1998 (n° 84, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale :
Rapporteur général : M. Alain Lambert.
Rapporteurs spéciaux :

BUDGETS


RAPPORTEURS SPÉCIAUX

I. - BUDGETS CIVILS

A. - Budget général

Affaires étrangères et coopération :

I. - Affaires étrangères M. Jacques Chaumont.
II. - Coopération M. Michel Charasse.
Agriculture et pêche M. Joël Bourdin.

Aménagement du territoire et environnement : I. - Aménagement du territoire
M. Roger Besse.
II. - Environnement M. Philippe Adnot.
Anciens combattants M. Jacques Baudot.
Communication audiovisuelle M. Jean Cluzel.
Culture M. Maurice Schumann.

Economie, finances et industrie :
I. - Charges communes M. Claude Belot.
II. - Services financiers M. Bernard Angels.
III. - Industrie M. Bernard Barbier.
IV. - Petites et moyennes entreprises, commerce et artisanat M. René Ballayer.
Commerce extérieur Mme Maryse Bergé-Lavigne.

Education nationale, recherche et technologie :
I. - Enseignement scolaire M. Jacques-Richard Delong.
II. - Enseignement supérieur M. Jean-Philippe Lachenaud.
III. - Recherche et technologie M. René Trégouët.

Emploi et solidarité :
I. - Emploi M. Emmanuel Hamel.
II. - Santé et solidarité M. Jacques Oudin.
III. - Ville et intégration M. Philippe Marini.

Equipement, transports et logement :
I. - Urbanisme et services communs M. Henri Collard.

II. - Transports :
Transports terrestres M. Auguste Cazalet.
Routes et sécurité routière M. Gérard Miquel.
Transport aérien et météorologie M. Yvon Collin.
III. - Logement M. Henri Collard.

IV. - Mer :
Marine marchande M. René Régnault.
Ports maritimes M. Marc Massion.
V. - Tourisme M. Paul Loridant.
Fonction publique et réforme de l'Etat M. Philippe Marini.

Intérieur et décentralisation :
Sécurité M. Guy Cabanel.
Décentralisation M. Michel Mercier.
Jeunesse et sports M. Michel Sergent.
Justice M. Hubert Haenel.
Outre-mer M. Roland du Luart.
Presse M. Jean Cluzel.

Services du Premier ministre :
I. - Services généraux M. Henri Torre.
II. - Secrétariat général de la défense nationale M. Michel Moreigne.
III. - Conseil économique et social M. Claude Lise.
IV. - Plan M. Claude Haut.

B. - Budgets annexes

Aviation civile M. Yvon Collin.
Journaux officiels Mme Marie-Claude Beaudeau.
Légion d'honneur. - Ordre de la Libération M. René Régnault.
Monnaies et médailles M. Claude Haut.
Prestations sociales agricoles M. Joël Bourdin.

II. - DÉFENSE
Exposé d'ensemble et dépenses en capital M. Maurice Blin.
Dépenses ordinaires M. François Trucy.

III. - AUTRES DISPOSITIONS
Comptes spéciaux du Trésor M. Yann Gaillard.


COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES

Rapporteurs pour avis :

BUDGETS


RAPPORTEURS
Culture M. Philippe Nachbar.
Cinéma. - Théâtre dramatique M. Marcel Vidal.
Environnement M. Ambroise Dupont.
Enseignement scolaire M. Jean Bernadaux.
Enseignement agricole M. Albert Vecten.
Enseignement supérieur M. Jean-Pierre Camoin.
Enseignement technique M. Jean-Louis Carrère.
Recherche scientifique et technique M. Pierre Laffitte.
Jeunesse et sports M. François Lesein.
Communication audiovisuelle M. Jean-Paul Hugot.
Presse écrite M. Alain Gérard.
Relations culturelles, scientifiques et techniques M. James Bordas.
Francophonie M. Jacques Legendre.


COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET DU PLAN

Rapporteurs pour avis :

BUDGETS


RAPPORTEURS
Agriculture M. Alain Pluchet.
Pêche M. Josselin de Rohan.
Aménagement rural M. Henri Revol.
Industries agricoles et alimentaires M. Aubert Garcia.
Industrie M. Francis Grignon.
Energie M. Jean Besson.
Recherche M. Jean-Marie Rausch.
PME. - Commerce et artisanat M. Jean-Jacques Robert.
Consommation et concurrence Mme Odette Terrade.
Commerce extérieur M. Michel Souplet.
Aménagement du territoire M. Jean Pépin.
Plan M. Jean Boyer.
Routes et voies navigables M. Georges Gruillot.
Logement M. William Chervy.
Urbanisme Mme Josette Durrieu.
Tourisme M. Charles Ginésy.
Environnement M. Bernard Hugo.
Transports terrestres M. Georges Berchet.
Aviation civile et transport aérien M. Jean-François Le Grand.
Mer M. Jacques Rocca Serra.
Technologies de l'information et poste M. Pierre Hérisson.
Outre-mer M. Rodolphe Désiré.
Ville M. Gérard Larcher.


COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES

Rapporteurs pour avis :

BUDGETS


RAPPORTEURS
Affaires étrangères M. André Dulait.
Relations culturelles extérieures M. Guy Penne.
Coopération Mme Paulette Brisepierre.
Défense. - Nucléaire, espace et services communs M. Jean Faure.
Défense. - Gendarmerie M. Michel Alloncle.
Défense. - Forces terrestres M. Serge Vinçon.
Défense. - Air M. Hubert Falco.
Défense. - Marine M. André Boyer.


COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Rapporteurs pour avis :

BUDGETS


RAPPORTEURS
Affaires sociales M. Jean Chérioux.
Santé M. Louis Boyer.
Ville et intégration M. Paul Blanc.
Travail, emploi et formation professionnelle MM. Louis Souvert et Jean Madelain.
Budget annexe des prestations sociales agricoles M. Bernard Seillier.
Anciens combattants M. Marcel Lesbros.
Départements et territoires d'outre-mer (aspects sociaux) M. Pierre Lagourgue.
Logement social M. Jacques Bimbenet.


COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL,
DU RE`GLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNERALE

Rapporteurs pour avis :

BUDGETS


RAPPORTEURS
Intérieur et décentralisation. - Décentralisation M. André Bohl.
Intérieur et décentralisation.- Police et sécurité M. Paul Masson.
Intérieur et décentralisation. - Sécurité civile M. René-Georges Laurin.
Justice. - Services généraux M. Germain Authié.
Justice. - Administration pénitentiaire M. Georges Othily.
Justice. - Protection judiciaire de la jeunesse M. Michel Rufin.
Départements d'outre-mer M. François Blaizot.
Territoires d'outre-mer M. Jean-Marie Girault.