SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Remplacement d'un sénateur décédé (p. 1 ).

3. Création d'une commission d'enquête sur la politique énergétique de la France. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p. 2 ).
Discussion générale : MM. Henri Revol, rapporteur de la commission des affaires économiques ; André Bohl, rapporteur pour avis de la commission des lois ; Mme Anne Heinis, MM. Pierre Lefebvre, William Chervy, Paul Girod, Jacques Valade, Charles Descours.
Clôture de la discussion générale.

Article unique (p. 3 )

MM. Paul Girod, le rapporteur.
Adoption de l'article unique de la proposition de résolution.

4. Fonctionnement des conseils régionaux. - Discussion d'une proposition de loi (p. 4 ).

Demande de levée de séance (p. 5 )

MM. Jacques Larché, président de la commission des lois ; le président, Paul Girod, rapporteur de la commission des lois ; Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement ; Guy Allouche, Pierre Fauchon.
Adoption de la demande de levée de séance.

5. Dépôt d'une proposition d'acte communautaire (p. 6 ).

6. Dépôt d'un rapport (p. 7 ).

7. Ordre du jour (p. 8 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

REMPLACEMENT D'UN SÉNATEUR DÉCÉDÉ

M. le président. Conformément aux articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l'intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat que, en application de l'article L.O. 319 du code électoral, M. Bernard Fournier est appelé à remplacer, en qualité de sénateur de la Loire, M. François Mathieu, décédé le 18 novembre 1997.

3

CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE
SUR LA POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE
DE LA FRANCE

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 71, 1997-1998) de M. Henri Revol, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur la proposition de résolution (n° 34, 1997-1998) de MM. Maurice Blin, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan, Jacques Valade et Henri Revol tendant à créer une commission d'enquête afin de recueillir les éléments relatifs aux conditions d'élaboration de la politique énergétique de la France et aux conséquences économiques, sociales et financières des choix effectués. [Avis n° 63 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons aujourd'hui tend à la création d'une commission d'enquête relative à la politique énergétique de la France.
Celle-ci a pour mission de « procéder à un examen approfondi des conséquences économiques, sociales et financières de la politique énergétique française et de ses éventuelles modifications ».
La commission des affaires économiques, saisie au fond, a conclu à l'opportunité de créer une telle commission d'enquête.
L'énergie n'est pas une marchandise comme une autre ; elle présente des spécificités qui justifient tout l'intérêt que doit lui consacrer la Haute Assemblée. En effet, d'une part, il ne peut y avoir de développement socio-économique sans énergie ; d'autre part, l'énergie relève d'un secteur très capitalistique, dont les investissements s'inscrivent dans le long terme. Les décisions prises aujourd'hui en ce domaine conditionnent donc fortement l'avenir du secteur et, au-delà, les conditions de la compétitivité de notre économie.
Ces décisions sont d'autant plus essentielles que la France, disposant de très peu de ressources naturelles, dépend très largement de l'extérieur pour son approvisionnement en énergie, à l'exception de l'électricité pour laquelle elle a, grâce à son programme électronucléaire, acquis une forte autonomie.
Or le Gouvernement vient de prendre certaines décisions - notamment celle qualifiée d'« irrévocable » par des membres du Gouvernement, de fermer le surgénérateur Superphénix - qui pourraient hypothéquer l'avenir de la filière électronucléaire française. En effet, la résolution des problèmes liés à l'aval du cycle nucléaire, en particulier au traitement des déchets, conditionne les développements futurs de l'énergie nucléaire tant en France qu'à l'étranger.
Cette décision, contestée par les élus comme par les industriels et les personnels concernés, a été prise sans aucune concertation avec les représentants de la nation. Elle s'inscrit, par ailleurs, dans un contexte de mise en cause par certains des conditions dans lesquelles la COGEMA, la compagnie générale des matières nucléaires, exerce son activité de retraitement des déchets.
Dans ces conditions, un volet essentiel de la politique énergétique française menée depuis plus de vingt ans ne risque-t-il pas de voir son avenir peu ou prou hypothéqué, à l'heure où l'avancée française en ce domaine pourrait être menacée par un renforcement de l'engagement d'autres pays dans cette filière ? Tel est le cas, notamment, du Japon. Les Etats-Unis viennent quant à eux - vous l'avez lu abondamment dans la presse - de lever l'interdiction frappant, depuis 1985, la fourniture, par les industriels américains, de centrales nucléaire à la Chine ; vous connaissez l'implication française dans ce pays.
Enfin, dans une communication du 25 septembre dernier, la Commission européenne a affirmé que l'énergie nucléaire constituait un des moyens permettant de produire économiquement de grandes quantités d'électricité sans épuiser les ressources en combustibles fossiles de la planète, alors que celle-ci est de plus en plus confrontée à des problèmes d'environnement liés à la consommation d'énergie provenant précisément des combustibles fossiles.
La demande totale d'énergie dans le monde pourrait s'accroître d'environ 50 % d'ici à l'an 2020 ; elle devra être satisfaite dans un souci de développement durable et de respect de l'environnement.
Dans cette perspective, l'énergie nucléaire n'est-elle pas amenée à occuper une place essentielle, de même que, par le fait, la technologie française, à condition que l'on poursuive les efforts entrepris en matière de recherche et de développement, notamment en ce qui concerne l'aval du cycle ?
Tous ces éléments militent en faveur d'un contrôle par la Haute Assemblée des conditions dans lesquelles les récentes décisions en matière de politique énergétique ont été arrêtées, ainsi que d'une étude des conséquences économiques, sociales et financières de ces décisions.
Au-delà, il convient également de se demander quelles seront les autres solutions susceptibles d'être éventuellement mises en place.
La création d'une commission d'enquête permettra au Sénat d'examiner tous les aspects de la politique énergétique française : production d'électricité, fourniture en gaz, en pétrole, en charbon, énergies renouvelables, économies d'énergie, etc.
Il s'agit, je l'ai dit, d'un domaine essentiel à la vie économique et sociale de notre pays, mais dont la définition a, jusqu'ici, trop largement échappé à l'examen et au contrôle du Parlement.
La commission d'enquête pourra, en outre, étudier l'évolution de la réglementation communautaire et celle des politiques énergétiques de nos principaux partenaires ou concurrents en ce domaine, afin que la représentation nationale dispose des éléments d'information lui permettant de participer pleinement à la définition et au contrôle de la politique énergétique française.
Voilà pourquoi, suivant les conclusions de son rapporteur, et compte tenu de l'avis émis par la commission des lois sur la conformité de la proposition de résolution avec l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée, la commission des affaires économiques vous propose, mes chers collègues, la mise en place de cette commission d'enquête, conformément aux dispositions de l'article 6 de cette ordonnance et de l'article 11 du règlement du Sénat. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. André Bohl, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, saisie pour avis sur cette proposition de résolution, la commission des lois en a apprécié la conformité à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 et à l'article 11 du règlement de notre assemblée.
La commission des lois a constaté que la commission d'enquête qu'il est proposé de créer s'attacherait non à des faits déterminés, mais à la gestion de services publics ou d'entreprises nationales, en vue de soumettre ses conclusions à notre assemblée.
En conséquence, elle a estimé que cette commission d'enquête chargée de recueillir les éléments relatifs aux conditions d'élaboration de la politique énergétique de la France et aux conséquences économiques, sociales et financières des choix effectués satisfait totalement aux exigences de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 et de l'article 11 de notre règlement. Elle a donc émis un avis favorable sur l'adoption de la présente proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'énergie, c'est le moteur de la vie. Elle conditionne le bon fonctionnement de nos activités et leur éventuelle expansion. Sans énergie, il n'y a pas de vie, pas de progrès.
Historiquement, le développement des sociétés a toujours été lié à la quantité d'énergie disponible.
A l'origine, il n'y avait que la force humaine. En fait, il existait aussi l'intelligence humaine, énergie tout aussi immatérielle que les autres, car l'énergie a ceci de particulier qu'on ne la connaît que par ses effets. Et l'intelligence humaine, au cours des temps, s'est ingéniée à capter toutes les formes d'énergie pour les mettre à son service : force de l'animal, forces naturelles, le feu, le vent, le soleil, l'eau qui court. L'homme en a fait des forces maîtrisées dans les voiles, les barrages, les moteurs.
Il est des forces plus mystérieuses, qui unissent entre elles la matière et l'énergie, au coeur desquelles se trouve l'atome, minuscule grain de matière mais formidable réservoir d'énergie, dont il était bien normal que l'intelligence s'emparât au fur et à mesure qu'elle découvrait les lois les plus secrètes de la nature ; elle seule pouvait le faire puisque, cette fois-ci, nos sens n'y suffisaient plus. Et ce fut une sorte de saut dans l'inconnu.
C'est bien le grand problème du nucléaire que de permettre l'exacerbation de tous les fantasmes, des peurs les plus primitives, d'autant que ses effets constatables sont à la hauteur de la démesure, à l'échelle humaine, de cette énergie.
Aujourd'hui, le Sénat est appelé à voter sur la création d'une commission d'enquête permettant de recueillir les éléments relatifs aux conditions d'élaboration de politique énergétique de la France ainsi qu'aux conséquences économiques, sociales et financières des choix effectués. Il s'agit d'une démarche de responsables politiques soucieux de mener des investigations de nature à éclairer les décisions à prendre.
Ces questions sont capitales pour l'avenir de notre pays : elles conditionnent notre capacité future de développement et notre indépendance en matière énergétique. Un pays sans énergie est un pays sans avenir.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la France, ayant épuisé ses réserves naturelles de charbon, de gaz et de pétrole, a investi très tôt dans l'étude et la maîtrise de l'énergie nucléaire, bien avant la crise pétrolière, car, pour assurer son indépendance énergétique, elle ne devait pas être tributaire des aléas des grandes crises du marché mondial.
Les remarquables efforts de nos scientifiques et de nos techniciens, soutenus par les gouvernements successifs, ainsi que le souci de la sûreté des installations - présent dès leur conception - et de la sécurité des populations nous ont permis d'être considérés comme faisant partie des leaders du monde, si ce n'est comme « le » leader mondial dans la maîtrise de cette technologie. C'est suffisamment rare pour être signalé, et nous devons en être fiers.
Mais cette position est menacée, parce que enviée ou redoutée, notamment par le Japon, qui souhaite nous la ravir et ne s'en cache pas - « Notre objectif est de devenir meilleurs que vous », nous disent-ils sans fard - et les Etats-Unis, pour des raisons de domination commerciale qui les poussent à refuser l'idée qu'ils puissent avoir besoin de nous acheter notre technologie.
Trente pays possèdent un parc électro-nucléaire, et la forte croissance de la demande mondiale d'énergie à moyen terme - en particulier dans les pays émergents - estimée à 45 % en 2010, fait que la technologie française en matière nucléaire sera probablement amenée à occuper une place essentielle, à la condition formelle que l'on poursuive les efforts entrepris en matière de recherche fondamentale et de développement, ainsi que M. le rapporteur l'a souligné.
Bien entendu, cela n'exclut nullement la recherche et l'étude des solutions alternatives, y compris celles qui s'appuient sur les énergies renouvelables.
Etant en quelque sorte le sénateur de La Hague - j'habite à une trentaine de kilomètres du site de l'usine - je me suis particulièrement intéressée au nucléaire, sujet difficile, certes, mais capital pour notre pays, je l'ai dit, puisque c'est le nucléaire qui assure l'indépendance énergétique de la France et qu'il fournit plus des trois quarts de notre électricité.
Rappelons que l'électro-nucléaire assure aujourd'hui 17 % de la production d'électricité dans le monde, et 32 % en Europe occidentale.
Dès lors, même si l'énergie nucléaire doit se trouver, sur le plan financier, en compétition avec les combustibles fossiles, il est hautement improbable qu'on cesse de faire appel au nucléaire avant longtemps.
Une autre raison, majeure à mes yeux, milite dans ce sens : l'histoire de l'énergie montre qu'on est toujours allé vers des énergies de plus en plus concentrées en volume, à puissance égale. Or le saut dans l'énergie nucléaire est plus que significatif à cet égard.
Pour illustrer mon propos, je donnerai deux exemples : la quantité d'énergie produite par un gramme de plutonium est égale à celle qui est fournie par une tonne de pétrole ; le rapport entre l'énergie produite par la combustion d'un atome de carbone et celle qui est produite par un atome d'uranium est de 3 à 200 millions. Ce sont là des proportions que l'on ne conçoit que difficilement !
Peut-on penser que le monde acceptera de se priver d'une telle source d'énergie, même si certains pays venaient à l'abandonner ?
En outre, cinquante ans, c'est peu à l'échelle du futur. Plus nous avançons dans le secret de la matière, plus notre responsabilité doit se projeter dans le temps, car les technologies nouvelles sont de plus en plus complexes et difficiles à maîtriser. Elles demandent de longues recherches, donc du temps, beaucoup de temps, et de l'argent, beaucoup d'argent.
Notre responsabilité, c'est de faire les bons choix, c'est-à-dire les choix indispensables à l'avenir du pays, non pas au nom d'une vision idéologique des choses, mais en fonction de la situation réelle du monde tel qu'il est aujourd'hui.
Le mauvais usage de nos connaissances et de ce que l'on en fait est aussi vieux que l'humanité. Il n'a jamais conduit à supprimer la connaissance et le désir de savoir. Nul n'empêchera jamais la recherche de progresser.
En revanche, il nous faut approndir sans cesse notre réflexion pour poser des règles et contrôler l'usage des moyens nouveaux que nous développons, afin de les mettre au service de l'homme et, bien sûr, plus particulièrement de notre population. C'est une question d'éthique.
Or l'objectif de la commission d'enquête sur la politique énergétique de la France, dont la création est proposée au vote du Sénat, est précisément d'apporter au Gouvernement toutes les informations souhaitables pour éclairer ses choix, choix qui devront eux-mêmes être discutés et ratifiés par le Parlement, comme le veut notre Constitution et comme le prévoit expressément la loi de 1991, aux termes de laquelle, en 2006, le Parlement retiendra, sur la base du résultat des recherches, la meilleure solution en matière de gestion des déchets.
A ce titre, il n'est pas inutile de rappeler quelques données simples qui se trouvent brouillées, voire noyées dans le fatras incohérent qui nous inonde de fausses informations, souvent très tendancieuses, voire mensongères, ou d'informations trop techniques pour être compréhensibles du grand public.
L'électricité d'origine nucléaire représente les trois quarts de la production française, à un coût de production très compétitif, d'environ 20 % inférieur à celui du charbon et du gaz.
La France exporte 16 % de sa production, ce qui représente en devises un apport équivalant à dix milliards de francs par an. C'est loin d'être négligeable !
Ces exportations représentent, de plus, uniquement de la valeur ajoutée puisque les charges sont composées des salaires du personnel, qui est français, d'achats effectués en quasi-totalité en France et d'impôts et taxes versés en France.
Par ailleurs, les investissements ont été réalisés pour fonctionner au moins jusqu'en 2010. Ne pas les utiliser est déjà une perte sèche.
Enfin, le coût du retraitement représente entre 5 % et 10 % du coût du kilowattheure.
Sur le plan technique, très schématiquement, on extrait du minerai naturel d'uranium très « impur » qu'on enrichit pour en faire du combustible utilisable dans les centrales. Celles-ci produisent de l'électricité dégageant une première série de déchets, appelés « combustibles irradiés », encore très riches en énergie. L'usine COGEMA de La Hague « retraite » ces combustibles irradiés et récupère 96 % d'uranium faiblement enrichi, 1 % de plutonium, 3 % de déchets dits « ultimes », qui seront vitrifiés pour être stockés.
En effet, le plutonium étant à la fois un combustible et un matériau toxique à très longue vie, il convient de le récupérer et de l'éliminer au maximum des déchets ultimes.
En fin de course, 99,9 % du plutonium vont être utilisés, soit sous forme de MOX dans les réacteurs à eau pressurisée, soit directement dans les réacteurs à neutrons rapides, c'est-à-dire Superphénix.
Au final, il ne restera que 0,1 % de plutonium dans les déchets ultimes.
C'est cette utilisation en cascade du combustible nucléaire qu'on recycle pour récupérer tout ce qui peut l'être qu'on appelle le cycle nucléaire ou cycle du combustible, l'aval du cycle étant représenté par l'usine de La Hague et Superphénix.
Dans l'état actuel de notre technologie, ce cycle s'achève donc sur cette fraction de déchets ultimes, qui sont des produits éminemment radioactifs. Ce sont eux qui posent un problème d'élimination pour l'avenir et font l'objet de la loi de 1991.
On peut constater qu'en dix ans les quantités de déchets ont été divisées par trois. Les dix prochaines années devraient être capitales pour progresser vers des solutions satisfaisantes pour les populations et l'environnement ; on peut l'espérer légitimement.
Mais, à ce terme, la problématique est la suivante : faut-il retraiter pour diminuer le volume à stocker ? C'est ce qui est fait à l'usine de La Hague.
C'est pour stocker ces déchets que sont prévus les laboratoires souterrains expérimentaux, destinés à mesurer l'étanchéité et l'isolation de futurs centres de stockage.
Faut-il stocker les combustibles irradiés sans les retraiter, ce qui représente des volumes assez considérables et comprenant la totalité du plutonium ? C'est ce que font les Etats-Unis, plus par absence de décision, d'ailleurs, que par souci de mener une réelle politique de gestion de l'aval du cycle, qui est actuellement inexistante.
Faut-il poursuivre la recherche fondamentale en matière de transmutation, c'est-à-dire la transformation d'éléments à vie longue en éléments à vie courte par le bombardement du noyau de ces éléments avec des neutrons rapides, ce qui circonscrit la durée du risque dans le temps ?
C'est, après bien des vicissitudes, la tâche qui a été assignée à Superphénix en 1994. Elle consiste à brûler le plutonium et les actinides mineurs, c'est-à-dire les déchets les plus radioactifs, et à expérimenter à l'échelon industriel le bombardement des noyaux de l'atome par des neutrons rapides, avec pour objectif la maîtrise de la transmutation.
D'autres pays, dont le Japon, la Russie et la Chine, se sont d'ailleurs engagés dans cette voie. Nous ne sommes donc pas seuls !
Les investigations menées sur Superphénix par les Républicains et Indépendants dans le cadre du groupe de l'énergie ont déjà permis de constater les éléments de fait suivants.
Refuser la remise en marche de Superphénix équivaut à pénaliser et à retarder de manière significative la recherche fondamentale sur la transmutation, dont l'objectif est de ne pas laisser aux générations futures la gestion de nos propres déchets.
C'est également engager des dépenses considérables, quoi qu'il en ait été dit, pour adapter et prolonger Phénix, prototype précédant Superphénix, déjà vieux de vingt ans, voire pour le remplacer ; pour assurer la maintenance de Superphénix en attendant l'étude du démantèlement, évalué à cinq ou six ans - un réacteur arrêté coûte cher ; enfin, pour supporter les dégâts sociaux et économiques en termes d'emplois, de travail et de revenus, ce qui n'a encore jamais été réellement évalué.
En définitive, cela revient à abandonner notreleadership en matière nucléaire, en laissant le champ libre aux trois pays - Grande-Bretagne, Japon et Russie - qui possèdent des réacteurs à neutrons rapides et poursuivent activement leurs recherches.
Permettez-moi, monsieur le président, mes chers collègues, de regretter vivement l'absence, en cet instant, du représentant du Gouvernement, alors que, précisément, ces problèmes sont tout à fait à l'ordre du jour et constituent la raison même de notre demande de création de commission d'enquête. (Très bien ! sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
En ce qui concerne l'environnement, la sécurité des populations et la santé publique, un certain nombre d'éléments sont à mettre en évidence.
La production de déchets nucléaires, avant concentration pour vitrification, est d'environ un kilogramme par habitant et par an, contre deux mille cinq cents kilogrammes de déchets industriels classiques par habitant et par an, dont l'arsenic, le mercure, l'amiante, le plomb, tous très toxiques et à durée de vie indéterminée.
L'utilisation d'énergies fossiles pour la fabrication d'électricité contribuait, en 1992, pour un tiers des émissions mondiales de CO2.
En France, grâce à l'utilisation de l'énergie nucléaire, le taux de rejet de gaz à effet de serre est deux fois moins important qu'en Allemagne et trois fois moins important qu'aux Etats-Unis.
Entre 1980 et 1994, les rejets de gaz carbonique avaient chuté de 21,7 %. Ce résultat est dû, pour un tiers, à la politique d'économie d'énergie et, pour deux tiers, au programme électronucléaire. La France n'est donc pas en retard en matière d'environnement.
M. William Chervy. M. le ministre est de retour, ma chère collègue !
Mme Anne Heinis. Sur le plan de la sécurité de la population et de la santé publique, le désordre médiatique est à son comble, amplifiant sans cesse un risque perçu alors qu'il est totalement irrationnel, et ce au détriment d'explications claires sur les risques réels.
Comment remonter la pente de ces fantasmes ? Je citerai Georges Charpak, prix Nobel de physique : « Simplement en ridiculisant, preuves à l'appui, ceux qui exagèrent, qui accumulent les chiffres et jouent des craintes des profanes. » C'est plus facile à dire qu'à faire !
M. Jean Boyer. Très bien !
Mme Anne Heinis. M. Charpak poursuit : « La vie s'est pourtant développée durant deux milliards d'années, sur un fond de radiation. A l'intérieur de chaque être humain, il y a encore des atomes radioactifs qui se désintègrent dix mille fois par seconde, tout naturellement... »
Ces propos sont très concrètement illustrés par la campagne de désinformation et de polémiques à caractère fortement antinucléaire, développée autour de l'usine de La Hague et de sa région, alors qu'aucun événement nouveau n'était intervenu. Or il convient d'apporter un certain nombre de précisions.
Premièrement, d'innombrables mesures sont effectuées, et pas seulement par l'exploitant, comme cela est souvent dit à tort.
Deuxièmement, tous les résultats des examens concordent, quels qu'en soient les auteurs, qu'il s'agisse de l'OPRI, du laboratoire départemental, du CRIIRAD - supposé indépendant - ou de l'ACCRO et même deGreenpeace, qui l'a d'ailleurs reconnu devant la commission d'information de La Hague à laquelle j'appartiens.
Troisièmement, la radio-activité artificielle dégagée par l'usine est égale à environ 0,1 % en moyenne de la radio-activité naturelle.
Quatrièmement, la commission Souleau-Spira, chargée d'étudier la validité du rapport Viel sur les cas de leucémies infantiles dans le canton de Beaumont-Hague, a conclu que si les objectifs de la recherche étaient tout à fait louables, en revanche, les résultats obtenus ne permettaient en aucun cas d'affirmer qu'il pouvait exister un excès de leucémies significatif, pas plus que de risques particuliers d'origine nucléaire liés à l'activité de l'usine.
Dès lors, sur quoi reposent ces polémiques ? « Quel chapitre de l'histoire de l'énergie sera-t-il écrit demain ? » C'est la question que pose notre collègue Bernard Barbier, président du groupe de l'énergie. Il ne m'appartient pas d'y répondre !
En tout état de cause, notre responsabilité sera de chercher à concilier les besoins réels des hommes, l'état de la recherche, de nos connaissances et de nos moyens, dans une perspective dite de « développement durable ».
L'objectif de la commission d'enquête est de nous éclairer sur les éléments conditionnant les choix futurs. C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous invite à voter pour la création de cette commission. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
M. le président. La parole est à M. Lefèbvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l'énergie est un besoin vital, d'où l'importance de développer une politique cohérente sur le long terme.
C'est pourquoi nous nous inscrivons favorablement dans l'optique de la création de cette commission d'enquête. En effet, nous sommes de ceux qui préconisent un débat national sur des enjeux aussi décisifs pour notre avenir.
Cette nécessité s'appuie sur un constat : les besoins en matière d'énergie sont loin d'être satisfaits. Dans un pays « développé » comme la France, combien de familles modestes ne chauffent qu'avec parcimonie, maudissant les hivers trop rigoureux ? Ce sont souvent les plus mal logés et les conditions d'isolation thermique agrravent encore leur cas. Parfois, cela va jusqu'à la coupure. Ainsi, huit mille foyers sont actuellement privés d'électricité et de gaz.
La carte des disparités sociales se lit aussi dans la consommation d'énergie, produit pourtant réputé de « première nécessité » : un ménage de cadres consomme en moyenne deux fois plus d'énergie qu'un ménage d'ouvriers. Faut-il enfin parler des quelque quatre cent mille sans-abri que compte notre pays ?
Le tableau est encore plus sombre sur l'ensemble de la planète : trois milliards d'individus sont dépourvus d'électricité ; des pays « émergents » voient leurs besoins croître à mesure que se développent l'industrie, les services, et que s'élève le niveau de vie des populations.
Pour répondre à ces besoins, il faudrait, dans les prochaines décennies, comme le disent les experts, construire chaque année dans le monde des capacités de production égales au parc français actuel. Comment faire ?
Les ressources naturelles sont limitées. Y puiser sans discernement, comme on le fait trop souvent, peut avoir des conséquences dramatiques pour l'humanité tout entière à très brève échéance.
M. Lionel Taccoen, responsable des questions européennes à la direction d'EDF, fait état des ressources de combustibles fossiles : « 44 ans pour le pétrole, 70 ans pour le gaz et quelque 230 ans pour le charbon ».
Choisir les moyens de production les plus dispendieux ou les plus polluants peut s'avérer mortel. Faire des énergies existantes autant de concurrentes en lice sur le marché ne peut qu'enfoncer dans une spirale de gaspillage des ressources naturelles et de non-satisfaction des besoins humains jugés trop peu solvables.
Alors, qu'en est-il de la politique énergétique qui se profile actuellement ?
La France paraissait jusqu'alors à l'abri. C'était d'ailleurs l'objectif que fixait à Electricité et Gaz de France la loi de nationalisation de 1946 qui les instituait : parvenir à l'indépendance énergétique du pays et assumer la sécurité de ses approvisionnements dans le cadre du service public. Les récentes décisions en matière énergétique semblent devoir bouleverser cette donne.
La décision de ne pas construire une centrale au Carnet, le démantèlement programmé du surgénérateur de Creys-Malville, la neutralisation de l'usine de retraitement de La Hague semblent attester d'une volonté gouvernementale de freiner les investissements dans la filière nucléaire, d'où proviennent 82 % de l'électricité produite en France. Il n'est pas question d'agir dans la précipitation sur un dossier aussi sensible. Il ne peut y avoir de décision sans concertation.
M. Charles Descours. Très bien !
M. Pierre Lefebvre. M. Jacques Maillard, physicien au laboratoire de physique corpusculaire du collège de France, estime qu'« en décidant d'abandonner Superphénix, on se prive d'une machine qui ouvrait d'importantes possibilités de recherche ».
La commission d'enquête devrait permettre à tous - scientifiques, spécialistes, élus, salariés - de donner leur avis sur la question de l'abandon programmé du supergénérateur de Creys-Malville, comme sur les autres problèmes posés.
Il faut noter, par ailleurs, qu'entre le moment où est décidée la mise en service d'une centrale nucléaire et son couplage, c'est-à-dire le moment où elle produit effectivement, un délai de dix ans s'écoule.
En parallèle à ce freinage, les centrales thermiques classiques, qui assurent environ 17 % de la production, ferment les unes après les autres et les recherches pour améliorer leurs performances, notamment en matière d'environnement, sont plutôt limitées.
Quant aux bonnes intentions affichées pour favoriser le recours aux énergies douces et renouvelables - celles-ci représentent 1,8 % de la consommation énergétique en France - elles ne se traduisent guère dans les actes.
La France, qui a développé le nucléaire, n'a-t-elle pas le devoir de pousser les recherches dans cette voie pour le rendre toujours plus sûr, toujours plus économe en combustible, en déchets et en rejets polluants ? Autant de questions, d'enjeux, qui méritent bien un débat puisque les choix engagent l'avenir à long terme.
Actuellement, un autre projet suscite chez nous de très fortes inquiétudes : il s'agit de la remise en question du service public de l'électricité et du gaz ainsi que de leur monopole par le biais des deux directives européennes qui définissent les orientations futures en la matière.
La directive « électricité », adoptée en 1996 et devant s'appliquer en droit français au plus tard avant le 19 février 1999, ouvre le marché français à la concurrence. Au final, EDF devrait ainsi céder 40 % de son marché à la concurrence.
La directive « gaz », quant à elle, sera à nouveau débattue le 8 décembre, lors de la réunion du Conseil européen des ministres de l'énergie. Elle consacre la disparition du monopole d'importations destiné à assurer la sécurité de l'approvisionnement en gaz naturel du pays aux meilleurs coûts.
Si ces deux projets étaient mis en oeuvre, EDF et GDF deviendraient des multinationales ordinaires de l'énergie, gérées sur le critère exclusif de la rentabilité, avec un triple statut opposant les personnels entre eux et une activité se tournant vers l'international. Ce serait, à notre avis, la liquidation progressive du service public de l'électricité et du gaz.
M. Alphandéry déclarait récemment dans Les Echos : « EDF va baisser ses tarifs de 14 % en quatre ans... » pour exclure, à la fin de l'interview, toute idée de privatisation en précisant de manière significative : « Il n'y en a pas besoin. ».
A notre sens, l'opération est d'une très grande clarté : face au service public d'EDF-GDF, on tente d'opposer les intérêts des agents qui refusent la flexibilité de leur emploi et leurs conditions de travail à ceux des usagers en faisant miroiter une baisse des factures d'électricité et de gaz que seule rendrait possible la mise en concurrence du service public avec des producteurs privés.
Alors, la vérité doit être dite : c'est grâce au service public - le statut de l'entreprise et son monopole - que EDF et GDF ont permis à la France d'avoir l'électricité et le gaz les moins chers d'Europe, que la stabilité, voire la diminution des prix pour les usagers domestiques ont pu être assurées depuis des années. Comparons avec le service de l'eau, par exemple.
La vérité, c'est encore que si les ressources financières dégagées par EDF-GDF n'étaient plus grevées des prélèvements de l'Etat ou des fonds consacrés à l'internationalisation, ce sont non plus 14 % de réduction en cinq ans, mais 30 %, et ce sont non plus 15 000 jeunes qui pourraient être embauchés, mais 40 000, comme l'ont si bien montré les syndicats. Evidemment, M. Edmond Alphandéry a raison quand il dit qu'il n'y a pas besoin de privatiser.
M. Robert Pagès. Très bien !
M. Pierre Lefebvre. Les deux directives européennes et les décisions du Gouvernement prises sans concertation sur l'abandon de la filière nucléaire nous inquiètent fortement.
Le groupe communiste républicain et citoyen se prononce fermement pour la diversification des sources d'énergie, y compris les énergies renouvelables comme les panneaux solaires ou les éoliennes. La commission d'enquête pourrait utilement y consacrer une partie de son temps.
Mais il ne faut pas être dupe. Ces énergies nouvelles ne suffiront pas à répondre aux besoins d'énergie toujours grandissants. Cependant, il faut les développer pour les usages où elles sont les mieux adaptées.
Ainsi, la filière charbon semble avoir été délaissée. En atteste la fermeture de la plupart des puits français. Ne faut-il pas exiger un état des lieux sur les gisements français de charbon ? Existe-t-il un avenir pour la gazéification du charbon français ?
En diversifiant et en développant les différentes sources pour mieux répondre aux besoins sur le long terme, il ne faut pas omettre les recherches pour la conception d'énergies toujours moins polluantes.
On ne peut pas dissocier de la politique énergétique les questions d'environnement, de sécurité des centrales, de déchets polluants auxquelles nous nous devons de chercher des solutions. Là encore, en la matière, la volonté affirmée du Gouvernement d'abandonner Superphénix transforme la donne.
Pour conclure, nous nous inscrivons donc dans la démarche de création de cette commission d'enquête en émettant cependant le voeu qu'elle puisse collaborer étroitement avec la mission sur l'énergie mise en place à l'Assemblée nationale. (Très bien ! Et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Chervy.
M. William Chervy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par principe, je suis favorable, ainsi que l'ensemble de mes collègues du groupe socialiste, à tout ce qui peut renforcer le rôle et les prérogatives du Parlement, notamment lorsqu'il s'agit de l'une de ses missions essentielles, à savoir le contrôle de l'exécutif.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. William Chervy. Je crois qu'il n'en fait jamais trop et je regrette que, durant ces dernières années, le Sénat n'ait quelque peu mis en somnolence cette compétence. J'aurais aimé que sa diligence s'appliquât lorsque ses amis politiques étaient au gouvernement. Je note - et je ne pense pas me tromper - qu'aucune commission d'enquête n'a été créée par le Sénat quand MM. Balladur et Juppé étaient Premier ministre. C'est pourtant un euphémisme de dire que certaines de leurs décisions ont été contestées et sont contestables.
Aujourd'hui, les demandes de création de commissions d'enquête sont légion ; elles portent sur l'énergie, sur la régularisation des étrangers, sur les infrastructures terrestres d'aménagement du territoire ou encore sur la réduction du temps de travail. Soit ! Souhaitons que, pour l'avenir, la Haute Assemblée exerce ses prérogatives constitutionnelles avec autant de vigilance qu'aujourd'hui, et non pas principalement en vertu de l'opportunité politique.
Cette remarque liminaire étant faite, j'en viens à la proposition de résolution qui nous occupe cet après-midi et qui tend à créer une commission d'enquête « afin de recueillir les éléments relatifs aux conditions d'élaboration de la politique énergétique de la France et aux conséquences économiques, sociales et financières des choix effectués ». J'ai, à ce sujet, plusieurs remarques à formuler.
Je me demande, compte tenu du sujet traité, si une commission d'enquête est l'outil le plus approprié. Il m'aurait paru plus opportun de confier une telle mission à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Celui-ci rend régulièrement des rapports d'une excellente qualité et très fournis. Je pense plus particulièrement aux rapports sur le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires.
S'il s'agit d'examiner l'avenir de notre politique énergétique, de mener une réflexion prospective, comme semble le laisser penser le rapport de notre collègue M. Revol, une mission d'information étendue à l'ensemble des commissions, si nécessaire, me paraissait plus idoine.
S'il s'agit seulement d'évaluer les conséquences de l'arrêt du fonctionnement du surgénérateur Superphénix - et je ne les minimise pas - à la suite de la décision prise par le Gouvernement et réaffirmée par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale, la commission d'enquête, par essence plus inquisitoriale, convient mieux. Il semblerait d'ailleurs qu'il s'agisse là de l'objectif poursuivi par nos collègues signataires de la proposition de résolution. Mais, dans ce cas, il faut le dire clairement.
Mes collègues socialistes et moi-même souhaiterions que le Sénat, dans ses différentes composantes, réfléchisse de manière prospective à l'avenir de notre politique énergétique. C'est là une question fondamentale pour le dynamisme de nos entreprises, mais aussi pour la qualité de vie de l'ensemble de nos concitoyens et, à l'échelle planétaire, pour l'équilibre de notre écosystème. Nous l'avons demandé à plusieurs reprises. Si tel est l'objet de la commission d'enquête, nous ne pouvons pas nous opposer à sa création, bien que, comme je viens de le dire, elle ne me paraisse pas être le meilleur outil.
J'estime que l'article unique de cette proposition de résolution, tel qu'il est libellé, ne répond pas à notre manière d'aborder la question énergétique. Il ne prend en effet nullement en compte la nécessité de définir une politique énergétique dans un souci de développement durable et de respect de l'environnement. L'énergie n'est abordée que sous l'angle économique, social et financier.
Il n'est pas non plus question de prendre en compte le cadre européen de la politique énergétique qui, pourtant, n'est pas sans conséquences sur nos choix. Enfin, il n'est pas clairement exprimé que cette commission d'enquête examinera tous les aspects de la politique énergétique, dans toutes ses composantes : nucléaire, thermique, hydraulique, gaz, pétrole ou encore énergies renouvelables.
Je note que M. le rapporteur de la commission des affaires économiques souhaite que tous ces éléments soient pris en compte, à la suite d'ailleurs des remarques que notre collègue M. Jean Besson, rapporteur du budget de l'énergie, avait formulées auprès de lui. Mais, que voulez-vous, les choses vont mieux en les écrivant. Qui plus est, tel ne me paraît pas être l'esprit de la proposition de résolution, du moins dans son exposé des motifs. Notre rapporteur ne va-t-il pas jusqu'à se demander si la fermeture de Superphénix ne risquerait pas d'« hypothéquer l'avenir de la filière électronucléaire » ? Il me paraît nécessaire, à ce stade, de faire quelques mises au point.
S'agissant, tout d'abord, de Superphénix, je rappelle que l'objet initial de ce programme était de valider la faisabilité de réacteurs surgénérateurs susceptibles de produire plus de matière fissiles que d'en consommer, et ce dans la perspective d'une tension sur le marché de l'uranium naturel. Son prix restant modéré, la surgénération est devenue moins intéressante et surtout trop coûteuse.
En ce qui concerne les modalités de fermeture de Superphénix - il s'agit là d'une question importante - je tiens à préciser que le Gouvernement a, selon les termes mêmes de M. Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, décidé de « se donner le temps de la réflexion pour fixer les modalités d'abandon de Superphénix ».
Il a, par ailleurs, nommé comme médiateur M. Jean-Pierre Aubert, afin de proposer des solutions aux échelons local et régional, notamment en termes d'emplois. Cela prendra du temps. Nous savons tous que l'on ne ferme pas d'un coup de baguette magique une centrale nucléaire.
Quant à une supposée remise en cause de notre choix en faveur du nucléaire, je crois que M. Pierret a été très clair le 7 novembre dernier, lors de sa visite de la centrale nucléaire de Chooz. « L'arrêt de Superphénix, a-t-il déclaré, ne met en rien en cause l'engagement convaincu et durable de la France en faveur du nucléaire. »
Comme je vous l'ai déjà dit, le groupe socialiste ne s'opposera pas à la création de cette commission d'enquête à laquelle il participera même activement. Toutefois, compte tenu des réserves que je viens d'exprimer, il s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'aurais jamais songé à intervenir dans ce débat, si ce n'est peut-être à titre anecdotique pour verser à notre réflexion collective une observation qui, à défaut d'avoir valeur d'avertissement, pourrait servir de fondement à nos réflexions.
Si nous tirons une grande fierté de notre civilisation actuelle, nous le devons moins, contrairement à ce que nous entendons dire allègrement un peu partout, à la qualité actuellement plus développée de nos cerveaux et de nos capacités de recherche qu'à la disponibilité et au coût moins élevé de l'énergie.
Ce n'est pas parce que nous sommes plus intelligents aujourd'hui que voilà deux cents ans que nous sommes capables de mettre les biens alimentaires, les communications et toute une série de biens dits maintenant de consommation courante à la disposition de nos concitoyens dans des conditions telles qu'ils sont abordables pour la plupart, voire la totalité d'entre eux ; c'est bien parce que nous disposons de l'énergie bon marché.
C'est dire l'importance que revêt un tel domaine pour un pays comme le nôtre, qui a pendant longtemps été très en avance par rapport à beaucoup d'autres en la matière et qui, grâce à la politique mise en place dans les années soixante-dix, a pris une avance déterminante en matière d'électricité nucléaire.
Je ne serais donc pas intervenu dans le débat si une information que j'ai glanée dans la presse, voilà deux ou trois jours, n'avait pas alerté le représentant du département de l'Aisne que je suis et qui se souvient avoir ferraillé contre le Sénat tout entier, et contre vous, mon cher rapporteur, voilà quelques années, et sans indulgence particulière pour quelque gouvernement que ce soit, à propos de la gestion des déchets nucléaires à longue durée de vie.
Mon département ainsi que deux autres avaient été alors choisis pour devenir des sujets d'intérêt national puisque, nous disait-on, des « laboratoires » d'enfouissement à grande profondeur de déchets à longue durée de vie allaient y être implantés. Nous, les représentants des départements concernés, avons eu beaucoup de mal à essayer de faire comprendre au Sénat que ce n'était pas aussi simple et que, s'agissant de la réputation de nos départements, de la vie économique locale et de l'équilibre des populations, cela pouvait présenter un certain nombre de dangers que nous dénoncions, sans prudence excessive peut-être, mais avec quelques raisons ; la suite l'a prouvé, au moins en ce qui concerne les raisons psychologiques.
Cela avait abouti à la discussion d'une loi spécifique relative à la gestion des déchets, en particulier des déchets nucléaires.
Toute énergie produit des déchets. Nous savons que les déchets de l'énergie animale se recyclent assez facilement dans la nature. Nous constatons que la gestion des déchets des énergies fossiles n'est pas aussi simple qu'on le dit. En ce qui concerne les déchets nucléaires, le problème est très compliqué.
Cette loi avait été votée à la quasi-unanimité. J'ai fait défaut à cette unanimité pour les raisons que je viens d'exposer. Elle avait prescrit trois voies, l'Etat ayant pris l'engagement qu'elles seraient toutes les trois explorées. Ces trois voies sont les suivantes : le stockage à grande profondeur et à long terme ; la restructuration intime de la matière fissile, autrement dit le retraitement poussé, pour voir dans quelle mesure on ne pourrait pas, en désarticulant ces déchets, obtenir des produits utilisables et réduire la nocivité de ceux qui restent ; enfin, le stockage provisoire en surface.
Or je viens d'apprendre, comme nos collègues sans doute (Signes d'assentiment sur plusieurs travées du RPR.), que, de même que, apparemment, l'une des filières explorables, celle de la désarticulation des déchets à travers Superphénix - il était au départ destiné à d'autres voies mais il pourrait probablement, nous dit-on car je n'y connais rien, être utilisé dans cette direction - a été abandonnée de manière unilatérale, les deux autres voies le sont, également de manière unilatérale, au profit d'un enfouissement à faible profondeur sur le site des centrales.
Nous allons prendre une décision importante sur le plan symbolique. Elle sera, je l'espère, productive sur le plan intellectuel et en ce qui concerne la cohésion de notre nation autour du fait que nous avons besoin et d'énergie à bon marché, pour les raisons que j'ai dites, et d'une avance technologique par rapport à tous nos concurrents dans cette atmosphère de mondialisation que nous connaissons. Au moment où nous allons prendre cette décision, je souhaiterais poser une question à vous-même, monsieur le ministre, et à M. le rapporteur, qui nous propose l'article unique.
Cette question est la suivante : alors que le mot « déchets » ne figure pas dans l'article unique de la proposition de résolution, un certain nombre de réflexions et d'enquêtes sur l'état actuel des perspectives de traitement de nos déchets nucléaires, et des autres déchets énergétiques, d'ailleurs, seront-elles bien incluses dans les travaux de la commission d'enquête et comment relativisera-t-on les choses par rapport à cette loi de 1991 qui est la loi de la République et qui doit donc être exécutée par tous les gouvernements quels qu'ils soient, mais vis-à-vis de laquelle on prend, pour l'instant, quelques libertés ? J'espère obtenir une réponse avant de voter. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'avais pas l'intention de m'exprimer dans la discussion générale, mais le tour qu'elle prend m'y engage. Je voulais, en effet, simplement intervenir dans les explications de vote pour indiquer que le groupe du Rassemblement pour la République soutiendra, bien sûr, cette proposition de résolution.
Notre collègue du groupe socialiste, M. William Chervy, a exprimé un doute en s'interrogeant sur la meilleure façon d'aborder ce problème : faut-il confier le dossier à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ? Ce dernier a très longuement travaillé sur ces questions. De nombreux rapports ont été élaborés d'une façon excellente, tant par nos collègues de l'Assemblée nationale que par certains membres du Sénat. Mais il s'agit de rapports partiels. Aussi, les gouvernements, quels qu'ils soient, ont toujours été certes attentifs, mais un peu distants par rapport aux conclusions de ces rapports.
Ensuite, M. William Chervy a évoqué une mission d'information. Celle-ci n'a pas le poids d'une commission d'enquête, vous-même l'avez dit, monsieur Chervy. Il semble préférable de nous diriger vers un véritable contrôle, par une des assemblées parlementaires, des décisions qui ont été prises ou qui sont susceptibles de l'être et d'apporter éventuellement notre contribution pour éclairer la prise de décision.
Il ne s'agit pas d'« inquisition » de la part du Parlement, pour reprendre le terme que vous avez employé. Je voudrais que cesse ce procès d'intention, car c'en est un ! C'est simplement le souci, qui a été exprimé par Mme Heinis et par M. Jean-François Le Grand, d'obtenir des réponses du Gouvernement.
Récemment, M. Le Grand a posé une question pour savoir qui avait, au sein du Gouvernement, la charge de l'expression gouvernementale. Etait-ce le ministre de l'industrie ou le secrétaire d'Etat au budget ? Il n'a pas eu de réponse claire. Aussi, nous recourons à la création d'une commission d'enquête.
Dans un passé récent, la majorité sénatoriale n'a pas constitué de commission d'enquête, dites-vous. Mais l'opposition sénatoriale s'est-elle mobilisée à cet égard ? Pour ma part, je n'en ai pas le souvenir, je parle sous votre contrôle, mes collègues. Nous rechercherons, bien sûr, si des propositions ont été déposées.
En l'occurrence, il s'agit d'un problème très important. Au-delà de la fermeture de Superphénix et du fonctionnement de l'usine de retraitement de La Hague, c'est la politique énergétique de la France qui est en cause, monsieur le ministre. Elle ne peut pas être décidée sous le coup d'une passion. Il faut que tous les éléments qui la composent soient mûrement réfléchis.
Nous connaissons l'inertie qui prévaut dans ce domaine. En effet, lorsqu'une décision est prise, il s'écoule une dizaine d'année avant qu'elle soit appliquée. Aussi, toute décision, fût-ce à propos de Superphénix, doit être soigneusement pesée.
La loi de 1991 a fixé une limite : l'année 2006. Les organismes chargés de la gestion, notamment de l'énergie nucléaire, doivent se mettre en situation de respecter les termes de la loi.
Cependant, le pouvoir politique, le Gouvernement ne peut pas se contenter de cette situation qui consiste à se mettre en accord avec une loi de République.
Il faut que nous décidions dès maintenant ce que nous ferons. Certains souhaitent que l'on abandonne la filière nucléaire. M. Chervy nous a assurés qu'il n'en est rien s'agissant du groupe socialiste ; je lui donne bien volontiers acte de sa déclaration.
M. William Chervy. Merci !
M. Jacques Valade. S'il s'agit de revoir certains éléments de la politique nucléaire, il faut le dire ! En effet, 77 % de l'énergie électrique française sont d'origine nucléaire. Que ferions-nous en cas de ralentissement ou d'hésitation ?
Nos chercheurs, nos scientifiques, nos techniciens, nos industriels sont connus et reconnus dans le monde entier pour leur compétence dans ces domaines. Nous devons les éclairer et leur dire de quoi sera fait l'avenir de notre pays.
Telle est la raison pour laquelle, non seulement à titre personnel, puisque je suis un des auteurs de cette proposition de résolution, mais aussi au nom du groupe du Rassemblement pour la République, je confirme tout l'intérêt que nous portons à l'adoption de ce texte, que nous voterons. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Monsieur le président, mes chers collègues, je souhaiterais dire quelques mots à la suite de l'intervention de notre collègue Paul Girod.
Après les informations que nous avons lues dans la presse concernant l'élimination des déchets nucléaires, j'aimerais, à mon tour, rappeler ce qu'est, en l'occurrence, la loi de la République, à savoir la « loi Bataille », du nom d'un député socialiste. Celle-ci prévoyait trois types de traitement des déchets nucléaires : l'enfouissement à grande profondeur, le traitement par la filière Superphénix - qui a donné lieu au rapport Curien - et le stockage sur les sites nucléaires, qui était considéré comme une fuite en avant, comme une absence de prise de décision revenant à confier les véritables décisions aux générations futures.
Voilà quelques semaines, nous avons auditionné la commission mise en place par le gouvernement précédent et confortée par le présent gouvernement concernant l'étude sur les trois sites retenus.
Cette commission, composée de scientifiques de très haut niveau qui ne sont contestés par personne a - je peux le dire, puisque ses conclusions sont parues dans la presse, qui est au courant de tout, et je ne suis donc plus tenu par le secret de nos délibérations - éliminé l'un des sites.
Les deux autres sites d'enfouissement profond se trouvent dans des départements différents, mais les sols y sont argileux. Nous lisons, depuis la semaine dernière, que pour conforter, ou plutôt pour stabiliser la majorité plurielle - pour être tout à fait franc, il s'agit d'éviter que Mme Voynet avoue devant ses troupes qu'elle n'a rien fait - on essaie, après avoir décidé d'arrêter Superphénix, de renoncer à l'enfouissement à grande profondeur sur les trois sites étudiés, dont deux paraissent pourtant convenir. Par conséquent, on préconise la solution que les écologistes français n'avaient cessé de fustiger, c'est-à-dire celle que les Américains avaient retenue, dans un pays où les déserts sont, on le sait, très étendus, ce qui n'est pas le cas en France.
Pour ma part, je souhaite que, compte tenu des éléments nouveaux qui sont parus dans la presse la semaine dernière, la commission d'enquête tâche de faire apparaître quelle est la politique du Gouvernement en matière de traitement des déchets nucléaires. Si vraiment il s'agit d'une absence de décision, ce qui serait une scandaleuse fuite en avant, un refus de prise de responsabilité,...
M. William Chervy. C'est faux !
M. Charles Descours. ...nous devrons le dire au pays, afin de faire ressortir les prises de position de ceux qui sont au Gouvernement aujourd'hui et qui, autrefois, se posaient en force de contestation. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique . - Conformément à l'article 11 du règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres, afin de recueillir les éléments relatifs aux conditions d'élaboration de la politique énergétique de la France et aux conséquences économiques, sociales et financières des choix effectués. »
Je vais mettre aux voix l'article unique de la proposition de résolution.

M. Paul Girod. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. L'article unique, dans sa rédaction actuelle, permet-il de pousser les investigations aussi loin que M. Descours et moi-même le souhaitons, s'agissant de l'application réelle des trois voies qui avait été décidée par la loi de 1991 ? M. Descours a d'ailleurs eu raison de souligner que le gouvernement qui l'avait proposée, poussée et fait voter n'était pas précisément un gouvernement pour lequel nous avions, l'un et l'autre, forcément les yeux de Chimène.
Si cela ne figure pas à l'intérieur de la mission de la commission d'enquête, je le dis très franchement : je m'abstiendrai.
M. Charles Descours. On peut proposer un amendement !
M. Henri Revol, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. Je peux rassurer M. Paul Girod - les éléments figurent d'ailleurs de manière détaillée dans le rapport écrit - la commission d'enquête peut examiner tous les chemins possibles...
MM. Jacques Valade et Charles Descours. Très bien !
M. Henri Revol, rapporteur. ... qui conduisent à la définition de la politique énergétique française, je dis bien : « tous les chemins possibles ».
M. Paul Girod. Y compris les voies législatives !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique de la proposition de résolution.
M. Claude Estier. Le groupe socialiste s'abstient.

(La proposition de résolution est adoptée.)

4

FONCTIONNEMENT
DES CONSEILS RÉGIONAUX

Discussion d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 27, 1997-1998), adoptée par l'Assemblée nationale, relative au fonctionnement des conseils régionaux.

Demande de levée de séance



M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. M. le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux faire part au Sénat de l'embarras de la commission et de la difficulté devant laquelle elle se trouve placée : compte tenu de son important calendrier, il ne lui a pas été possible, jusqu'à ce jour, d'étudier comme elle le mérite la proposition de loi relative au fonctionnement des conseils généraux que lui a transmise l'Assemblée nationale.
Nous ne sommes donc pas, pour l'heure, en état de rapporter.Au demeurant, même si nous l'avions pu, les conditions dans lesquelles nous aurions été amenés à étudier ce texte eussent été un peu singulières puisque nous aurions dû, immédiatement après nos travaux, publier un rapport dont nos collègues n'auraient sans doute pas eu le temps de prendre connaissance, ce qui aurait été regrettable compte tenu de l'importance que tout le monde, je crois, attache à cette question.
Dans ces conditions, je demande, monsieur le président, le report de la présente discussion, afin que la commission puisse se réunir. Comme celle-ci doit examiner cet après-midi les différents fascicules budgétaires et que, de surcroît, je dois présider aujourd'hui une commission ad hoc - vous en connaissez l'objet - que, par ailleurs, le rapporteur de la présente proposition de loi est membre de cette commission ad hoc et que nous sommes tenus de respecter des délais absolument impératifs, je ne puis réunir la commission des lois avant demain matin. Le Gouvernement voudra sans doute comprendre notre position !
De plus, sans vouloir être discourtois en cet instant, je m'étonne quelque peu de l'absence au banc du Gouvernement de M. le ministre de l'intérieur. Il a certainement des obligations impérieuses à remplir : nous en avons tous, et je suis moi-même en train de vous exposer les nôtres. Mais peut-être aurait-il été possible que M. Chevènement vienne quand même exposer au Sénat le point de vue du Gouvernement sur ce texte !
Cela étant, monsieur le ministre, vous êtes parfaitement qualifié pour le faire, cela va de soi, comme le ferait tout membre du Gouvernement. N'est-ce pas, d'ailleurs, M. Queyranne qui défendra demain cette proposition de loi devant nous ? Nous l'entendrons, quoi qu'il en soit, avec le plus grand intérêt.
Je renouvelle donc, monsieur le président, ma demande de renvoi de la présente discussion, et je souhaite qu'elle soit soumise immédiatement au vote du Sénat.
M. le président. Si je vous ai bien compris, monsieur Larché, ni la commission ni son rapporteur ne sont prêts à rapporter la présente proposition de loi.
A quelle heure, selon vous, pourrions-nous reprendre nos travaux demain matin ?
M. Paul Girod, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Je ne peux présumer du temps que durera le débat en commission, monsieur le président, mais il s'agit d'un texte important et relativement complexe, qui pose toute une série de questions de principe tout à fait inattendues par rapport au fonctionnement régulier des assemblées délibérantes - quelles qu'elles soient - depuis la fondation de la République.
M. le président. Pourrions-nous ouvrir la séance de demain à dix-heures trente, monsieur Larché ?
M. Jacques Larché, président de la commission. Je préférerais onze heures, monsieur le président, me réservant la possibilité de vous faire savoir quand la commission sera vraiment prête.
M. le président. Le Gouvernement est-il sensible aux arguments développés par M. le président de la commission des lois ?
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est toujours sensible !
Néanmoins, permettez-moi quelques observations.
Tout d'abord, je tiens à dire que M. le ministre de l'intérieur s'intéresse beaucoup à ce texte, comme d'ailleurs l'ensemble du Gouvernement. Il l'a défendu à l'Assemblée nationale, même s'il est vrai que, en raison, notamment, de ses contraintes de l'époque, c'est moi qui ai soutenu la position du Gouvernement au moment de la discussion des articles. Aujourd'hui, pour des raisons analogues, j'ai été délégué pour venir défendre devant la Haute Assemblée la position du Gouvernement par rapport à cette proposition de loi, et c'est sans doute M. Queyranne qui sera présent demain, puisque je dois moi-même assister à des obsèques dont vous connaissez la nature.
Cela étant, j'en viens au fond : votre commission des lois estime ne pas être en mesure de vous présenter un rapport et considère qu'elle n'a pas disposé d'un délai suffisant pour examiner cette proposition de loi.
Je rappelle que ce texte est issu d'une proposition de loi déposée par M. Ayrault et les membres du groupe socialiste de l'Assemblée nationale le 11 septembre 1997. Par ailleurs, MM. Mazeaud et Pandraud avaient eux-mêmes déposé, dès le 23 juillet 1997, une autre proposition de loi qui tendait aux mêmes fins : il s'agissait de faciliter le bon fonctionnement des assemblées régionales. Ces propositions, ainsi que celles de M. Blanc, du 11 septembre, et de Mme Aubert, du 30 septembre, ont été discutées au Palais-Bourbon et adoptées en séance publique le 9 octobre, soit un mois et dix jours avant leur inscription à l'ordre du jour du Sénat.
Cette inscription à l'ordre du jour a été évoquée oralement lors de la conférence des présidents du 28 octobre et elle a été demandée par le Gouvernement le 4 novembre, soit trois semaines avant la séance publique, selon le calendrier habituel. Les prescriptions de l'article 29-3 du règlement du Sénat ont donc été scrupuleusement respectées par le Gouvernement.
Je ferai par ailleurs remarquer que l'ordre du jour prévisionnel du Sénat, publié au Journal officiel du 24 septembre, annonçait la discussion de ce texte dès la deuxième quinzaine d'octobre.
On peut évidemment toujours reprocher au Gouvernement de ne pas avoir inscrit ce texte suffisamment tôt à l'ordre du jour. En même temps, l'agenda de la Haute Assemblée n'a en rien été brusqué par cette inscription !
Le débat de cet après-midi va donc se dérouler sans qu'un rapport écrit ait été distribué. Exceptionnelle, cette procédure n'en est pas moins conforme à la Constitution. Le Conseil constitutionnel a en effet considéré, dans ses décisions des 10 et 11 octobre 1984, que l'absence de rapport n'empêchait pas l'ouverture de la discussion législative. Sinon, ce serait reconnaître aux commissions un droit de veto sur l'ordre du jour prioritaire du Gouvernement, établi en vertu de l'article 48, premier alinéa, de la Constitution.
Cette proposition de loi a commencé à être examinée par les membres de la commission des lois.
Quoi qu'il en soit, si un blocage devait avoir lieu et si la discussion ne pouvait s'engager, peut-être faudrait-il envisager - ce que le Gouvernement s'apprête à faire - le renvoi de ce texte à la commission pour que cette dernière puisse rendre ses conclusions dès aujourd'hui.
Je laisse cela à l'appréciation de la présidence et de M. le président de la commission des lois : il me semble quand même nécessaire d'examiner dans les meilleurs délais ce texte important qui concerne les collectivités locales, institutions de la République, et leur fonctionnement. De plus, cette proposition de loi a été adoptée très largement à l'Assemblée nationale, bien au-delà des rangs de la majorité qui soutient le Gouvernement.
Pour toutes ces raisons, il me semble nécessaire d'engager le plus tôt possible - c'est-à-dire dès aujourd'hui - la discussion générale, avant de poursuivre, éventuellement, demain, la discussion des articles, de manière que le Sénat puisse délibérer sur ce texte d'initiative parlementaire. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Monsieur le ministre, puisque vous vous êtes tourné vers la présidence, permettez-moi de vous dire que la demande exprimée par le président de la commission des lois n'a pas du tout pour objet de porter atteinte à l'ordre du jour prioritaire !
Je vais donc à présent mettre aux voix la demande formulée par M. le président de la commission des lois.
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon une expression devenue célèbre, lorsqu'il y a une volonté il y a un chemin ; mais, lorsqu'il n'y a pas de volonté ou lorsqu'il y a mauvaise volonté, il n'y a plus de voie possible, ni même d'impasse.
Voilà plus de vingt jours que nous savions - il suffisait de lire les conclusions de la conférence des présidents - que cette proposition de loi devait venir en discussion en séance publique aujourd'hui et demain matin, tant et si bien que la commission des lois a désigné, voilà une vingtaine de jours, son rapporteur, notre collègue Paul Girod.
Vingt jours pour établir un rapport, alors que l'on connaissait la date de l'inscription du texte en séance publique, cela peut être court, mais cela peut aussi être long. Cela peut être court si j'en crois ce que vient de nous dire Paul Girod sur la complexité de ce texte. Mais, alors qu'il n'a pas eu le temps, en vingt jours, de rédiger son rapport, voilà qu'en l'espace d'une nuit il va devoir le faire ? La nuit est parfois longue, certes, mais comment comprendre cette incohérence ?
Constitutionnellement, nous pourrions tout à fait engager la discussion générale, même en l'absence de rapport écrit, mais je constate que nous n'allons vraisemblablement pas le faire.
Mes chers collègues, nous nous plaignons souvent, et à juste titre, de nos méthodes de travail. Ne soyons pas nous-mêmes complices ou acteurs de ces mauvaises méthodes de travail ! En effet, même si la commission des lois se réunit demain matin, comme le suggère son président, nous n'aurons pas de rapport écrit au moment où s'ouvrira la séance publique.
Allons-nous délibérer sans connaître le rapport écrit ? Comment ceux de nos collègues qui le désirent pourront-ils intervenir s'ils ne connaissent pas les intentions du rapporteur, et encore moins celles de la commission des lois ? A quel moment allons-nous déposer des amendements, puisque c'est demain seulement que nous commencerons la discussion générale ? Par ailleurs, nous sommes tenus par un calendrier très serré puisque, demain, à seize heures, débutera l'examen du projet de loi de finances pour 1998.
Ce sont donc de très mauvaises méthodes de travail qui nous sont proposées et c'est la première fois que vous m'entendez protester contre de telles méthodes puisque, jusqu'à présent, nous nous en accommodions plus ou moins bien. Mais là, il y a vraiment une mauvaise volonté !
Au demeurant, je ne comprends pas les arguments qui sont avancés ici ou là, sauf peut-être s'il s'agit de masquer une division au sein de la majorité sénatoriale.
M. Henri de Raincourt. Mais non !
M. Jean-Claude Carle. N'ayez crainte !
M. Claude Estier. Il a raison !
M. Guy Allouche. Nous verrons, mes chers collègues : nous avons suivi les travaux de l'Assemblée nationale...
M. Henri de Raincourt. Nous sommes bien meilleurs !
M. Guy Allouche. ... et nous verrons ce que vous ferez lorsque le texte viendra enfin en discussion dans cet hémicycle.
Pour notre part, nous ne pouvons que regretter les conditions dans lesquelles nous sommes appelés à travailler et il va sans dire que nous ne pouvons pas accéder à la demande qui est formulée par M. le président de la commission des lois. L'inscription du présent texte étant prévue à l'ordre du jour depuis longtemps, nous avions largement le temps de nous y préparer.
Je veux ajouter que la commission des lois aurait pu se réunir plus tôt. Certes, elle est actuellement très occupée par les avis budgétaires. Je fais néanmoins remarquer que, la semaine dernière, compte tenu de l'organisation des travaux du Sénat, la commission des lois aurait pu se réunir mercredi ou jeudi pour traiter de cette question et inviter M. le rapporteur à faire un effort.
Tel n'a pas été le cas. La commission ne s'est pas réunie la semaine dernière et, aujourd'hui, on prétexte le manque de temps !
Mes chers collègues, j'ai la faiblesse de penser que c'est vraiment une question de mauvaise volonté. C'est la raison pour laquelle je ne peux accéder à la demande formulée par M. le président de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Très honnêtement, je vais m'abstenir, et ce parce que j'ai été mis directement en cause et parce que cela fait partie de ces événements qui, dans la vie d'un parlementaire, sont plutôt difficiles à supporter.
Permettez-moi de rappeler les dates. Effectivement, monsieur le ministre, le 9 octobre sont publiées au Journal officiel les intentions du Gouvernement pour ce qui concerne la seconde quinzaine du mois d'octobre. Peut-être suis-je totalement sourd, mais je n'ai aucun souvenir qu'ait été évoquée cette affaire lors de la conférence des présidents du 28 octobre. En revanche, elle l'a été le 4 novembre. Toutefois, mes chers collègues, la semaine du 4 novembre précède celle du 11 novembre, semaine peu productive s'il en est ! Je n'ai donc pu avoir de contact avec le Gouvernement que le jeudi 13 novembre, au matin, au cours d'une audition, d'ailleurs longue et riche. Cela m'a permis de demander un certain nombre de documents et de précisions dont d'aucuns pourraient penser qu'ils ne sont pas fondamentaux mais qui, pour le rapporteur, peuvent avoir leur importance, et dont je ne dispose toujours pas, d'ailleurs. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Voilà pour la chronologie !
M. Henri de Raincourt. C'est clair !
M. Paul Girod, rapporteur. Sur le fond, je suis parfaitement prêt à rapporter devant la commission, mais son ordre du jour était tel ce matin que je n'ai pas pu présenter mon rapport. Donc, par définition, il n'y a pas de rapport de la commission. Telle est la situation.
Parce que j'ai été mis en cause, je le répète, je m'abstiendrai. Cependant, si M. Jacques Larché, qui préside la commission des lois avec beaucoup de pugnacité, de courage, de persévérance et de volonté, devait lui aussi être l'objet d'un procès d'intention, alors je voterais ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. J'interviens à mon tour dans ce débat parce que je le trouve, en vérité, extraordinairement surprenant.
Si l'on en croit les propos de notre collègue M. Allouche, et je suis toujours enclin à les trouver fondés, finalement, ce serait la commission des lois qui aurait refusé de faire son travail et qui n'aurait pas traité cette affaire comme elle l'aurait dû.
Mais enfin, de quoi s'agit-il ? Il s'agit des élections régionales. Il s'agit, si je comprends bien, de rendre en quelque sorte les régions gérables, de tirer les leçons des conséquences désastreuses du mode de scrutin actuel et d'essayer d'y remédier pour l'avenir.
Le problème est donc grave, car le fonctionnement des régions dans notre pays est une question qui, au-delà de nous-mêmes, intéresse tous les responsables des régions de France.
Je suis de ceux qui pensent qu'il fallait avoir le courage - si du moins il fallait du courage pour cela, mais ni l'ancien gouvernement ni le nouveau n'ont cru en avoir assez - de réformer le mode de scrutin de manière qu'il soit enfin conforme à l'idée que l'on peut s'en faire dans une démocratie, c'est-à-dire un mode de scrutin où l'on sait pour qui l'on vote et comment on vote. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Claude Estier. Vous applaudissez, mais vous n'avez pas voulu le faire !
M. Jean Chérioux. Nous sommes en démocratie et nous avons le droit d'applaudir quand nous le voulons !
M. Pierre Fauchon. Vous non plus, vous n'avez pas voulu le faire : nous n'avons pas de quoi être plus fiers les uns que les autres !
Pourtant, vous aviez le temps.
M. Guy Allouche. Ce que vous n'avez pas fait en quatre ans, vous vouliez qu'on le fasse en un mois ?
M. le président. La parole est à M. Fauchon, et à lui seul.
M. Pierre Fauchon. L'étalage de vos capacités est tel que nous n'aurions pas été surpris que vous y parveniez en un mois et l'autosatisfaction dont vous faites preuve à tout propos, et parfois hors de propos, donne à penser que vous auriez pu y arriver en aussi peu de temps. Voilà pourquoi je suis étonné que vous ne l'ayiez pas fait ! (Sourires.)
M. Guy Allouche. Que n'auriez-vous dit si l'on avait modifié le mode de scrutin à la veille d'une élection !
M. Pierre Fauchon. Un peu d'humour, cher ami ! On peut tout de même avoir un peu d'humour. (M. Guy Allouche opine.)
Quoi qu'il en soit, comme on n'a pas été capable de résoudre ce problème de la seule façon possible, et de faire fonctionner la démocratie comme elle doit fonctionner, afin que les électeurs sachent pour qui ils votent et qui ils veulent à la tête de leur région - c'est tout de même cela la démocratie - on invente un « machin » extraordinaire, une nouveauté dans notre droit, et qui se compose d'ailleurs de plusieurs volets.
Tout d'abord, les délégations sont annoncées d'avance par le candidat à la présidence. J'en conclus que celui-ci est lié par ces délégations. On va donc élire une équipe, et, puisque l'on ne peut pas retirer par la suite les délégations, on aura ainsi institué la collégialité à la tête des régions. Excusez-moi du peu, mais cela paraît assez extraordinaire, surtout sous la Ve République. C'est tout de même énorme !
Mais le deuxième volet, qui concerne les budgets, est non moins fantastique. Quelques cerveaux particulièrement féconds - je ne dis pas fumeux (Sourires) - se sont penchés sur la question pour aboutir à cette solution extraordinaire selon laquelle, si un budget n'est pas adopté, une majorité se constitue pour signer un nouveau budget et probablement pour le voter. Et encore n'est-on même pas sûr que ses signataires soient encore décidés à le voter le lendemain ou quelques jours plus tard !
Moyennant quoi, ou bien le président reste en fonction, ou bien, dans l'idée des auteurs, il doit partir. Et l'on introduit là dans nos institutions une autre innovation absolument incroyable, étrangère à nos habitudes et dont il nous est bien difficile de mesurer les implications et les conséquences.
On nous dit : « Tout cela, il nous a plu de le rédiger un beau jour. Vous avez un mois pour vous en occuper et donner votre avis. » Et nous bouleverserions la vie des régions françaises, comme cela, en un mois ? Eh bien non, monsieur le ministre, non, non et non !
La commission des lois est là pour vous dire qu'on ne prend pas des mesures aussi graves, d'une aussi grande portée et aussi novatrices sans une réflexion mûrie, sans les consultations préalables qui s'imposent. Que diable ! On est hostile au cumul des mandats ? Soit ! Mais figurez-vous qu'un certain nombre d'entre nous ont renoncé à leur mandat de conseiller régional et ne savent plus très bien où en sont les régions. Ils ont besoin d'entendre et de consulter leurs collègues élus des régions pour savoir ce qu'ils pensent sur une question aussi grave.
M. Claude Estier. Croyez-vous que vous pourrez le faire d'ici à demain matin ?
M. Pierre Fauchon. Non, mon cher collègue, mais je réponds ici à l'accusation de lenteur adressée à la commission des lois !
Tout cela n'est pas sérieux. Ce qu'il faut incriminer, c'est la précipitation qui entoure cette affaire, précipitation dont on se demande d'ailleurs quelles sont les arrière-pensées. (Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) Car je ne pense pas qu'il y ait seulement des pensées dans cette affaire. Pour décider aussi rapidement une telle transformation de nos habitudes, du fonctionnement même de nos pouvoirs publics, il faut qu'il y ait des arrière-pensées ! J'aimerais bien les connaître car, dans mon innocence, j'ai du mal à seulement les imaginer.
M. le président. Monsieur Fauchon, je vous remercie de conclure !
M. Pierre Fauchon. Je conclus qu'on n'a pas le droit, dans une situation comme celle-là, d'accuser le Sénat, et encore moins sa commission des lois, de lenteur, alors que nous ne demandons qu'à réfléchir. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur Fauchon, je ne vois pas au nom de quoi il serait proposé de légiférer sur des arrière-pensées. Ou alors, on pourrait toujours s'interroger sur le point de savoir où sont les arrière-pensées !
Lorsque MM. Mazeaud et Pandraud ainsi que M. Ayrault ont proposé à l'Assemblée nationale de légiférer, avaient-ils des arrière-pensées ? Je ne le pense pas.
M. Jean Chérioux. C'est trop gentil à vous !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. On peut, certes, toujours s'interroger sur les arrière-pensées de ceux qui refusent les propositions de MM. Pandraud, Mazeaud et Ayrault ! Mais tel n'est pas l'objet de notre discussion.
Le Gouvernement n'a pas souhaité changer le mode de scrutin régional six mois avant les élections. C'est une bonne décision. Si nous ne l'avions pas prise, nous aurions naturellement été critiqués.
M. Guy Allouche. C'est évident !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Je ne pense donc pas que la critique vaille de ce point de vue.
Cette proposition de loi, émanant de députés, a été adoptée par l'Assemblée nationale après un large débat. Et le sujet est loin d'être futile, car il s'agit du fonctionnement des conseils régionaux. Comprenez alors ma surprise aujourd'hui.
M. Jean-Pierre Raffarin. Certes !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. N'est-ce pas la vocation première, naturelle et originelle du Sénat, qui assure la représentation des collectivités territoriales de la République, que de débattre d'un texte relatif au fonctionnement des collectivités locales en étant parfaitement informé par un débat préalable en commission ? Car je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous êtes totalement informés de la situation des régions et de l'objet de cette proposition de loi.
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est plutôt compliqué !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. De toute façon, levée de séance ou pas, la discussion se fera sur la base d'un rapport oral ; c'est évident, compte tenu des délais qui sont devant vous et devans nous.
M. Jean-Pierre Schosteck. Ainsi, vous aurez une mauvaise loi de plus !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. J'ai saisi M. le président conformément à l'article 44-5 du règlement du Sénat, d'une motion tendant au renvoi du texte à la commission des lois. Par conséquent, je pense que cette motion de renvoi doit être mise au voix avant même toute autre délibération.
En fonction de ce qui sera décidé par le Sénat, nous verrons comment les uns et les autres envisagent la discussion. Si le renvoi en commission était refusé, il y aurait lieu alors d'apprécier les intentions de chacun.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je ne m'attendais pas du tout à ce que la discussion sur un problème aussi simple prenne le tour qu'elle a pris et ce, en partie de votre responsabilité, monsieur le ministre. Je ne vois pas ici la moindre mauvaise intention. Simplement, ce texte est grave et important ; il transpose un mécanisme purement institutionnel et politique dans le cadre d'une structure de nature administrative et l'on ne voit pas très bien quelles techniques juridiques le justifient.
Vous ne connaissez peut-être pas suffisamment la commission des lois, monsieur le ministre, mais nous avons l'habitude de faire notre travail de manière sérieuse et approfondie, suivant les modalités qui nous paraissent normales et conformes aux intérêts que les auteurs que vous avez cités en référence ont eu sans doute la volonté de promouvoir et de défendre.
La commission entend donc faire son travail, et elle le fera dans les conditions que j'ai indiquées. C'est pourquoi j'ai souhaité, et cette démarche a d'ailleurs la priorité, que le Sénat décide la levée de la séance.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?....
Je mets aux voix la proposition de levée de la séance formulée par M. le président de la commission des lois.

(La proposition est adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous allons interrompre nos travaux et la suite de la discussion est renvoyée à demain matin, onze heures.

5

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- proposition de règlement CE du Conseil portant adoption de mesures autonomes et transitoires pour des accords de libre-échange avec la Lituanie, la Lettonie et l'Estonie concernant certains produits agricoles transformés.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sour le numéro E-959 et distribuée.

6

DÉPÔT D'UN RAPPORT

M. le président. J'ai reçu de M. Patrice Gélard un rapport fait au nom de la commission prévue par l'article 105 du règlement sur la proposition de résolution de M. Michel Charasse tendant à requérir la suspension des poursuites engagées contre M. Michel Charasse, sénateur du Puy-de-Dôme (n° 15, 1997-1998).
Ce rapport sera imprimé sous le numéro 83 et distribué.

7

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 20 novembre 1997 :
A onze heures :
1. - Suite de la discussion de la proposition de loi (n° 27, 1997-1998), adoptée par l'Assemblée nationale, relative au fonctionnement des conseils régionaux.
M. Paul Girod, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
A seize heures et le soir :
2. - Nomination des membres de la commission d'enquête chargée de recueillir les éléments relatifs aux conditions d'élaboration de la politique énergétique de la France et aux conséquences économiques, sociales et financières des choix effectués.
3. - Discussion du projet de loi de finances pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale (n°s 84 et 85, 1997-1998).
M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Discussion générale.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.
Délai limite pour le dépôt des amendements aux articles de la première partie du projet de loi de finances pour 1998 : jeudi 20 novembre 1997, à seize heures.
Personne ne demande la parole ? ...
La séance est levée.
(La séance est levée à seize heures quarante-cinq.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





REMPLACEMENT D'UN SÉNATEUR

Conformément aux articles LO 325 et LO 179 du code électoral, M. le ministre de l'intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat qu'en application de l'article LO 319 du code électoral, M. Bernard Fournier est appelé à remplacer, en qualité de sénateur de la Loire, M. François Mathieu, décédé le 18 novembre 1997.

MODIFICATIONS AUX LISTES
DES MEMBRES DES GROUPES
GROUPE SOCIALISTE
(72 membres au lieu de 71)

Ajouter le nom de M. Jacques Bellanger.

RÉUNION ADMINISTRATIVE DES SÉNATEURS
NE FIGURANT SUR LA LISTE D'AUCUN GROUPE
(10 au lieu de 9)

Ajouter le nom de M. Bernard Fournier.

NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES FINANCES

M. René Ballayer a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 345 (1996-1997) de M. Bernard Plasait tendant à relever le seuil d'exonération de la taxe sur les achats de viandes à laquelle sont assujettis les charcutiers-traiteurs et les bouchers détaillants.
M. Alain Lambert a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 409 (1996-1997) de M. Gérard Braun étendant l'utilisation des droits aux prêts des plans d'épargne logement (PEL) et des comptes d'épargne logement (CEL) à l'achat de mobilier et de véhicule automobile neufs.
M. Alain Lambert a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 66 (1997-1998) de Mme Marie-Claude Beaudeau et des membres du groupe communiste républicain et citoyen relative à la taxation des mouvements de capitaux.
M. Philippe Marini a été nommé rapporteur de la proposition de résolution n° 75 (1997-1998) de M. Maurice Blin et plusieurs de ses collègues tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires.

COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL, DU RÈGLEMENT ETD'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
M. André Bohl a été désigné rapporteur de la proposition de résolution n° 61 (1997-1998) de M. Maurice Blin et de plusieurs de ses collègues tendant à créer une commission d'enquête chargée d'examiner le devenir des grands projets d'infrastructures terrestres d'aménagement du territoire, dans une perspective de développement et d'insertion dans l'Union européenne (dont la commission des affaires économiques est saisie au fond).



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Grille indiciaire de l'enseignement

120. - 14 novembre 1997. - M. Sosefo Makapé Papilio attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie sur la situation paradoxale de trois enseignantes titulaires, employées au service de l'enseignement catholique de son territoire. Il lui expose que ces trois enseignantes furent tout d'abord classées dans la 3e catégorie, dite catégorie des BE-CEAP. Il lui précise qu'en 1996 elles subirent toutes trois avec succès les épreuves du CAP et furent donc reclassées automatiquement dans la 5e catégorie, dite catégorie des CAP, dès le jour de la rentrée scolaire de l'année suivante, c'est-à-dire le 19 février 1997. Jusqu'à cette date, le déroulement de carrière de ces trois enseignantes ne posait aucun problème ni statutairement ni financièrement parlant. Cependant, neuf jours plus tard, le 28 février 1997, fut signé l'avenant à la Convention de 1995, convention régissant les rapports existant entre le Gouvernement de la République française et l'enseignement primaire catholique du territoire des îles Wallis et Futuna. Il lui rappelle que cet avenant comporte une nouvelle grille indiciaire concernant les titulaires du CEAP. Il lui précise que les trois enseignantes concernées, titulaires du CAP, en plus du CEAP, furent refusées à un classement en CEAP nouvel indice plus avantageux, et ce pour un écart de neuf jours seulement. D'où un sentiment d'injustice ressenti par les intéressées. En conséquence, il lui demande de bien vouloir intervenir pour que tous les titulaires du CAP et du CEAP, et pas uniquement les trois intéressées, puissent bénéficier de la grille indiciaire la plus avantageuse les concernant.

Tarif aérien sur la ligne Avignon-Paris

121. - 17 novembre 1997. - M. Alain Dufaut attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur les préoccupations exprimées par les usagers de la ligne aérienne Avignon-Paris, au regard du tarif élevé pratiqué sur cette desserte régionale. Un aller-retour Avignon-Paris, plein tarif, coûte en effet 2 354 francs, alors que le même billet sur la ligne Marseille-Paris revient à 2 050 francs, soit environ 15 % de moins pour une distance pourtant supérieure. La longueur insuffisante de la piste de l'aéroport Avignon-Caumont nécessitait jusqu'à présent l'octroi d'une dérogation pour l'atterrissage de certains appareils, justifiant ainsi le maintien d'un tarif plus élevé. Cette particularité n'existe désormais plus, puisque des travaux pour allonger la piste de 200 mètres ont été réalisés récemment. C'est donc à bon droit que les collectivités locales et la chambre de commerce et d'industrie d'Avignon et du Vaucluse, dont l'effort financier pour mettre en oeuvre ces travaux s'est révélé considérable, souhaitent ardemment que celui-ci se traduise par une baisse conséquente des tarifs au profit des usagers de la ligne. Compte tenu, par ailleurs, du rôle joué par cette desserte en matière d'aménagement du territoire, et d'autant plus que celle-ci s'avère rentable, il souhaite son intervention en faveur d'une baisse de tarif de la liaison Avignon-Paris. Aussi, il lui demande quelle est sa réaction face à cette requête et s'il envisage de prendre des mesures en ce sens.

Avenir des sapeurs-pompiers

122. - 17 novembre 1997. - M. Alain Dufaut attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les légitimes préoccupations exprimées par les sapeurs-pompiers ainsi que par les élus locaux face aux menaces planant sur l'application des deux lois n° 96-369 du 3 mai 1996 relative aux services d'incendie et de secours et n° 96-370 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers. Les propositions présentées par le Gouvernement à l'occasion de la dernière réunion du conseil supérieur de la fonction publique territoriale, le 15 octobre dernier, au cours de laquelle celui-ci a émis un avis défavorable sur quatre projets de décrets relatifs aux pompiers (organisation des services d'incendie et de secours, amélioration statutaire, régime indemnitaire et régime de travail des sapeurs-pompiers professionnels), provoquent la colère des intéressés, qui insistent sur la nécessité de favoriser la mise en cohérence de l'organisation et du fonctionnement du service public d'incendie et de secours, objectif majeur de la réforme engagée en 1996. Ayant pris acte de sa volonté, exprimée le 4 novembre dernier dans le cadre d'une séance de questions d'actualité à l'Assemblée nationale, de mener à bien cette réforme, fruit d'un important travail de concertation ayant abouti à un compromis accepté par l'ensemble des parties, il lui demande de bien vouloir lui préciser ses intentions concernant le règlement de ce dossier.