SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Décès d'un ancien sénateur (p. 1 ).

3. Déclaration de l'urgence d'un projet de loi (p. 2 ).

4. Communication du Gouvernement (p. 3 ).

5. Conférence des présidents (p. 4 ).
MM. le président, Robert Pagès.

6. Rappels au règlement (p. 5 ).
Mme Hélène Luc, MM. le président, Ivan Renar.

7. Création de l'établissement public « Réseau ferré national ». - Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p. 6 ).
Discussion générale : MM. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme ; François Gerbaud, rapporteur de la commission des affaires économiques.

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE

MM. Hubert Haenel, rapporteur pour avis de la commission des finances ; Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques ; Pierre Hérisson, Jean-Jacques Robert, Aubert Garcia.

Suspension et reprise de la séance (p. 7 )

MM. Claude Billard, François Lesein, Jean-Pierre Fourcade, Jean-François Le Grand, Jean-Luc Mélenchon, Ivan Renar, Guy Cabanel, Jacques Habert, James Bordas, Marcel Deneux, Léon Fatous, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Bernard Joly.
Clôture de la discussion générale.
Renvoi de la suite de la discussion.

8. Transmission d'un projet de loi (p. 8 ).

9. Dépôt de propositions de loi (p. 9 ).

10. Dépôt d'une proposition d'acte communautaire (p. 10 ).

11. Retrait d'une proposition d'acte communautaire (p. 11 ).

12. Ordre du jour (p. 12 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le procès-verbal de la séance précédente a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté.

2

DÉCÈS D'UN ANCIEN SÉNATEUR

M. le président. J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jean Béranger, qui fut sénateur des Yvelines de 1977 à 1986.

3

DÉCLARATION D'URGENCE
D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Paris, le 21 janvier 1997.

« Monsieur le président,
« J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'en application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement déclare l'urgence du projet de loi portant création de l'établissement public "Réseau ferré national", déposé sur le bureau du Sénat le 16 octobre 1996.
« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération. »

« Signé : Alain Juppé. »


Acte est donné de cette communication.

4

COMMUNICATION DU GOUVERNEMENT

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre une communication en date du 21 janvier 1997, relative à la consultation des assemblées territoriales de la Polynésie française, de la Nouvelle-Calédonie et des îles Wallis-et-Futuna sur le projet de loi portant réforme de la procédure criminelle.
Acte est donné de cette communication.

5

CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS

M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat :
A. - Mercredi 22 janvier 1997, à neuf heures trente et à quinze heures :

Ordre du jour prioritaire

Suite du projet de loi portant création de l'établissement public « Réseau ferré national » (urgence déclarée) (n° 35, 1996-1997).
B. - Jeudi 23 janvier 1997 :
A neuf heures trente :

Ordre du jour prioritaire

1° Suite du projet de loi portant création de l'établissement public « Réseau ferré national » ;
A quinze heures et le soir :
2° Questions d'actualité au Gouvernement ;
L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant onze heures ;

Ordre du jour prioritaire

3° Suite de l'ordre du jour du matin.
C. - Eventuellement, vendredi 24 janvier 1997, à neuf heures trente et à quinze heures :

Ordre du jour prioritaire

Eventuellement, suite du projet de loi portant création de l'établissement public « Réseau ferré national ».
D. - Mardi 28 janvier 1997 :

Ordre du jour établi en application de l'article 48,
troisième alinéa, de la Constitution

A neuf heures trente :
1° Proposition de loi de M. Alain Joyandet et plusieurs de ses collègues visant à modifier le code général des collectivités territoriales de façon à élargir les compétences des districts (n° 34, 1996-1997) (rapport n° 117, 1996-1997) ;
La conférence des présidents a fixé au lundi 27 janvier 1997, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de loi ;
A seize heures :
2° Proposition de loi de M. Jean-Marc Pastor et plusieurs de ses collègues (n° 23, 1996-1997) et proposition de loi de M. Jean-Pierre Camoin et plusieurs de ses collègues (n° 142, 1996-1997) tendant à organiser la lutte contre les termites ;
La conférence des présidents a fixé au lundi 27 janvier 1997, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements.

Mercredi 29 janvier 1997, à quinze heures :

Ordre du jour prioritaire

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant les articles 54, 62 et 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (n° 163, 1996-1997) ;
La conférence des présidents a fixé au mardi 28 janvier 1997, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de loi.
Jeudi 30 janvier 1997, à neuf heures trente et à quinze heures :

Ordre du jour prioritaire

Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, créant les plans d'épargne retraite (n° 179, 1996-1997) ;
La conférence des présidents a fixé au mercredi 29 janvier 1997, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de loi.
Mardi 4 février 1997 :
A neuf heures trente :
1° Douze questions orales sans débat :
L'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement.
N° 507 de M. Daniel Hoeffel à M. le ministre délégué à la jeunesse et aux sports (utilisation des crédits accordés à l'Office franco-allemand pour la jeunesse au titre de l'année 1996) ;
N° 517 de M. Gérard Larcher à M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme (financement du chantier de la déviation de la RN 12 à Jouars-Pontchartrain [Yvelines]) ;
N° 525 de M. Jean Boyer à M. le ministre du travail et des affaires sociales (statut des bénévoles) ;
N° 526 de M. Jean Boyer à M. le ministre de la culture (taux de TVA applicable à la mise à disposition de matériel d'orchestre) ;
N° 527 de M. Jean-Jacques Robert à M. le ministre du travail et des affaires sociales (non-reconduction de la prime versée en faveur des contrats de qualification) ;
N° 531 de M. Gérard Delfau à M. le ministre du travail et des affaires sociales (mise en place des médicaments génériques dans le cadre de la maîtrise des dépenses de santé) ;
N° 532 de M. Jean-Jacques Robert à M. le ministre délégué au budget (modalités de prélèvement de la contribution au fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France) ;
N° 533 de M. Léon Fatous à M. le garde des sceaux, ministre de la justice (situation des juridictions d'Arras) ;
N° 534 de Mme Marie-Claude Beaudeau à M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat (application de l'article 13 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996) ;
N° 535 de M. André Vallet à M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme (réalisation de la deuxième tranche de la déviation de la ville de Salon-de-Provence) ;
N° 536 de M. André Vezinhet à M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme (réforme du permis de construire) ;
N° 537 de M. René Rouquet à Mme le ministre de l'environnement (problèmes posés par la construction d'une usine d'incinération) ;

Ordre du jour prioritaire

La conférence des présidents a fixé :
_ au mardi 4 février 1997, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi ;
_ à cinq heures, la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le lundi 3 février 1997.
Mercredi 5 février 1997, à dix heures trente et à quinze heures :

Ordre du jour prioritaire

I. - Jeudi 6 février 1997 :
A neuf heures trente :

Ordre du jour prioritaire

A quinze heures :
2° Questions d'actualité au Gouvernement ;
L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant onze heures ;

Ordre du jour prioritaire

Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...
M. Robert Pagès. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. La conférence des présidents vient de décider un certain nombre de modifications tout à fait dommageables à notre travail parlementaire. En effet, chacun d'entre nous établit un calendrier en fonction duquel il donne des rendez-vous et rencontre des organisations. C'est notre travail, et il est important ! Ces modifications nous mettent dans des situations très difficiles.
M. le président. Monsieur Pagès, aucune modification n'est intervenue puisque l'ordre du jour n'avait pas été arrêté.
M. Robert Pagès. Si !
M. le président. Je vous rappelle que notre travail principal est de légiférer !
M. Robert Pagès. En tout cas, des séances de nuit ont été introduites, qui n'étaient pas prévues !
Les commissions ont arrêté des dates de réunion.
La commission des finances, qui est saisie pour avis sur ce texte, doit recevoir M. Trichet ! Demain après-midi, la commission des lois se réunit alors que se poursuivra dans l'hémicycle un débat fort important auquel, bien évidemment, les commissaires des lois ne pourront pas assister !
Il est de mauvaises habitudes dont il faudrait absolument se débarrasser si nous voulons accomplir un travail vraiment intéressant et être crédibles auprès de nos administrés. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. Y a-t-il d'autres observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue de séances ?...
Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents s'agissant de l'ordre du jour établi en application de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution ?...
Les propositions de la conférence des présidents sont adoptées.

6

RAPPELS AU RÈGLEMENT

Mme Hélène Luc. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, mon intervention, qui se fonde sur les articles 36 et 39 du règlement, concerne l'organisation de nos travaux.
Je tiens une nouvelle fois à m'élever contre la volonté du Gouvernement de faire passer en force son projet de réforme de la SNCF, malgré l'opposition claire d'organisations syndicales de l'entreprise représentant plus de 70 % des salariés. La déclaration de l'urgence sur ce texte est significative de cette volonté.
Vous avez même refusé jusqu'à présent, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, l'organisation d'une consultation des salariés sur les dispositions que vous proposez. Bien sûr, vous avez reçu les syndicats, monsieur le ministre, mais cela ne remplace pas la consultation demandée par les cheminots.
Rien ne peut motiver un tel refus, si ce n'est la peur du désaveu d'une grande majorité du personnel.
M. Charles Descours. L'Etat, c'est nous !
Mme Hélène Luc. Je sais que vous allez me dire que l'intérêt général doit primer sur l'intérêt d'une corporation.
M. Charles Descours. Exact !
M. Jean-Luc Mélenchon. On va en parler, de l'intérêt général !
Mme Hélène Luc. Ecoutez la suite, mes chers collègues !
En l'occurrence c'est justement le souci de l'intérêt général, mis en cause par cette réforme - nous allons vous le démontrer en détail durant les jours à venir - qui motive les principales organisations de cheminots, et qui nous motive !
Les cheminots, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ont toujours mis en phase leur action revendicative avec le souci de la collectivité : cela a été vrai, qui peut le nier ? durant la Résistance ; cela a été vrai durant le mouvement de novembre et décembre 1995, où la lutte des cheminots a rejoint, soutenu et porté les revendications majoritaires du peuple français à l'égard du plan Juppé de réforme de la sécurité sociale ; cela a été vrai pendant la période de grand froid, où les cheminots n'ont compté ni leur temps ni leur peine.
Le Parlement qui, à notre sens, doit être un lieu de démocratie, peut-il accepter qu'une réforme soit ainsi imposée à la grande majorité du personnel de l'un des principaux services publics de notre pays ?
Nous devons, mes chers collègues, appeler le Gouvernement à écouter les dizaines de milliers de salariés de la SNCF, qui ont déjà demandé l'organisation d'une consultation : à ce jour, on compte près de 40 000 signatures. D'ailleurs, même dans votre majorité, monsieur le ministre, des questions sont posées.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué officiellement, le 4 novembre dernier, à l'occasion du report de la discussion du projet de loi, que « la concertation sera approfondie dans les semaines qui viennent ».
Devant l'Assemblée nationale, au même moment, vous avez précisé que l'une des raisons du report de ce texte résidait dans le Livre blanc de la Commission européenne, qui avait « ajouté de l'inquiétude et du doute ».
En quoi cette inquiétude et ce doute sont-ils aujourd'hui levés ?
La pression de la Commission européenne pour la déréglementation du chemin de fer est toujours aussi forte et déterminée.
Pourquoi reprendre aujourd'hui la discussion sur le même texte, alors que la concertation n'a pas été approfondie et alors que les menaces de déréglementation imposées par la Commission sont toujours aussi fortes ? Je vous demande donc, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, de favoriser la consultation des salariés, qui permettra d'éclairer le nécessaire débat de la représentation nationale.
Il faut mettre en accord vos paroles et vos actes, monsieur le ministre ! C'est cela la démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Charles Descours. Ce n'est pas un rappel au règlement ! On est dans le débat !
M. le président. Madame Luc, votre intervention n'est pas vraiment un rappel au règlement ! Elle concerne le texte que nous devons examiner à partir d'aujourd'hui. Vous pourrez donc vous exprimer sur cette question autant que vous le voudrez.
Mme Hélène Luc. Si, c'est un rappel au règlement de principe !
M. Ivan Renar. Je demande la parole pour un rappel au règlement. (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan. Non ! Non !
M. Charles Descours. Ça suffit !
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Mon intervention se fonde sur l'article 29 de notre règlement, qui, je le rappelle, organise les travaux de la conférence des présidents et définit ses compétences.
La conférence des présidents qui s'est tenue ce jour, à midi, a profondément modifié, quelques heures à peine avant le débat, le déroulement de l'ordre du jour de notre assemblée.
M. le président. Monsieur Renar, je ne vous permets pas de dire cela ! Ce matin, s'est tenue une conférence des présidents qui s'est prononcée de façon claire et précise sur l'ordre du jour, lequel a été voté pratiquement à l'unanimité, sauf peut-être par Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Pas à l'unanimité !
M. Ivan Renar. Monsieur le président, ce soir, nous devions siéger jusqu'à vingt heures. Pour ma part, j'avais pris un rendez-vous, comme beaucoup de nos collègues, à vingt heures trente.
M. le président. Toutes les conférences des présidents apportent des modifications ! Sinon, elles seraient inutiles !
M. Josselin de Rohan. On a le droit de le faire ! C'est nous qui décidons !
M. Ivan Renar. Deux séances de nuit ont été ajoutées, mardi et jeudi...
M. le président. C'est normal !
M. Charles Descours. C'est démocratique !
M. Ivan Renar. ... et une séance a été ajoutée mercredi matin, malgré la réunion de nombreuses commissions. (Marques d'approbation sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
Bien entendu, les sénateurs de notre groupe sont prêts à travailler la nuit. Ils l'ont déjà maintes fois prouvé par le passé. Les trois-huit, nous connaissons ! (Sourires.)
Nous estimons indispensable que le Parlement exerce dans toute sa plénitude un contrôle efficace de l'activité gouvernementale. Mais la méthode du Gouverement va totalement à l'encontre d'un renforcement du rôle des assemblées. En effet, la session unique, dont nous avions approuvé le principe de longue date mais dont nous refusons l'actuelle organisation, devait favoriser un travail régulier, serein et, surtout, renforcer la maîtrise par le Parlement de son fonctionnement.
Or, depuis octobre 1995, date de l'entrée en vigueur de la session unique, nous constatons que le fonctionnement haché, marqué par de brusques poussées de fièvre législative, demeure, au détriment du pouvoir de contrôle parlementaire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur celles du groupe socialiste. - Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et indépendants).
La précipitation reste systématiquement de mise lorsque le Gouvernement entend faire passer en force des textes difficiles pour lui, socialement et politiquement.
Cela a été notamment vrai au printemps dernier pour le statut de France Télécom. Cela est vrai aujourd'hui avec ce que j'appellerai une « précipitation à retardement » ou une « perversion de l'effet TGV ».
En effet, alors que notre collègue Mme Hélène Luc avait interrogé le Gouvernement lors de la dernière conférence des présidents, qui s'est tenue avant les fêtes de fin d'année, sur le devenir du projet de réforme de la SNCF, un silence de bon aloi - ou de mauvais aloi... c'est selon - fut la seule réponse.
Or après quelques rumeurs, au début du mois de janvier, la conférence des présidents a proposé, le 14 janvier, d'inscrire le texte à l'ordre du jour de la séance publique du 21 janvier, l'examen du rapport en commission des affaires économiques intervenant dès le 15 janvier, sans audition - comme il a été dit - de la moindre organisation syndicale par les commissions saisies. Comment ne pas parler de précipitation dans de telles conditions ?
Vous comprendrez les difficultés d'organisation du travail des groupes parlementaires dans une période de reprise de l'activité qui mobilise les élus de manière importante. Ces difficultés sont d'autant plus dommageables qu'il s'agit d'une réforme essentielle pour l'avenir de notre pays et, j'insiste tout particulièrement, essentielle pour l'aménagement de notre territoire.
C'est pourquoi, monsieur le président, nous nous élevons solennellement contre la nouvelle modification de l'organisation de nos travaux qui est intervenue ce midi et qui a pour seul objet l'adoption à marche forcée du projet de loi, cela au détriment du rôle du Parlement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour un rappel au règlement. (Protestations sur les travées du RPR.)
M. le président. Madame, il y a déjà eu des observations sur la conférence des présidents et deux rappels au règlement faits par des membres du groupe communiste républicain et citoyen. Il n'y en aura pas d'autre ! (Vives protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Il est temps d'en venir au projet de loi inscrit à l'ordre du jour.
M. Robert Pagès. Le rappel au règlement de Mme Borvo sur le Crédit foncier, c'est très important !
Mme Nicole Borvo. Je voudrais effectivement parler du Crédit foncier, qui intéresse tout le pays à l'heure actuelle !
M. Ivan Renar. Oui, c'est très important !
Mme Hélène Luc. Vous ne voulez pas laisser parler Mme Borvo sur le Crédit foncier de France ?
M. Charles Descours. Non !
Mme Hélène Luc. C'était pourtant prévu !
Mme Nicole Borvo. Cela a été demandé !
Mme Hélène Luc. Eh bien, on en parlera tout à l'heure !

7

CRÉATION DE L'ÉTABLISSEMENT
« RÉSEAU FERRÉ NATIONAL »

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 35, 1996-1997), déclaré d'urgence, portant création de l'établissement public « Réseau ferré national ». [Rapport n° 177 (1996-1997) et avis n° 178 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi portant réforme de la SNCF que j'ai l'honneur de vous présenter au nom du Gouvernement a un triple objet.
Il vise d'abord à créer un nouvel établissement public à caractère industriel et commercial qui aura pour objet l'aménagement, le développement et la mise en valeur de l'infrastructure du réseau ferroviaire dans le cadre des principes du service public.
Il tire ensuite les conséquences, dans la définition des mission de la SNCF, de l'existence de ce nouvel établissement public, auquel la SNCF sera d'ailleurs très fortement liée dans l'accomplissement de leurs missions respectives.
Il tend enfin à préciser les conditions du lancement de la régionalisation expérimentale des services régionaux de voyageurs, dont le principe avait été posé par l'article 67 de la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire. Chacun se souvient de la contribution essentielle du Sénat à cette grande loi.
M. Aubert Garcia. On n'en a pas tenu compte !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Avant de vous présenter ce texte, je voudrais, mesdames, messieurs les sénateurs, vous indiquer dans quel esprit a été élaborée la réforme de la SNCF.
Dès ma prise de fonctions, j'ai placé le service rendu à l'usager au coeur de mes priorités.
Cette préoccupation inspire toute mon action, qu'il s'agisse des services de l'équipement ou, bien entendu, de la politique des transports. Je l'ai eue constamment présente à l'esprit tout au long du débat national sur le transport ferroviaire que le Gouvernement a organisé en 1996.
Je le souligne, parce que ce débat a comporté - comme d'ailleurs le projet de loi que le Sénat commence à examiner aujourd'hui - des aspects techniques souvent trop abstraits et ne permettant pas toujours d'avoir une compréhension claire de ce que nous voulons faire.
M. Jean-Luc Mélenchon. Là, c'est clair !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Or, la réforme d'une grande entreprise de service public telle que la SNCF n'a de sens à mes yeux, comme d'ailleurs toute réforme, que si elle est bien comprise et si, à l'arrivée, elle se traduit par un progrès pour ceux à qui ce service s'adresse, c'est-à-dire tous les Français, et aussi pour ceux qui en sont les acteurs, c'est-à-dire les cheminots.
M. René-Pierre Signé. Ce sera difficile de les convaincre !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. La SNCF est en effet une très grande entreprise : créée en 1937, transformée en 1982 par la loi d'orientation des transports intérieurs en établissement public à caractère industriel et commercial, elle est pour les Français en quelque sorte un symbole. Nos concitoyens y sont tous très attachés. Ils ont, à juste titre, le sentiment qu'elle appartient à la nation, dont elle a partagé héroïquement les heures sombres au moment de la bataille du rail, avant d'incarner, la paix revenue, les succès de la technologie ferroviaire française.
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Tous les élus, parlementaires mais aussi élus locaux, se montrent très attentifs à ce qui la concerne.
Aujourd'hui, on l'oublie trop souvent, elle transporte en moyenne chaque année environ 800 millions de voyageurs. Bien sûr, cela ne signifie pas que chaque Français prend personnellement le train quatorze ou quinze fois chaque année. Ce chiffre très élevé doit en effet beaucoup à tous ceux qui, en région parisienne, prennent tous les jours le train entre leur travail et leur domicile.
Cependant, tous les Français, je dis bien tous les Français, ont besoin d'un meilleur service ferroviaire, et ils le souhaitent. Voilà pourquoi la réforme de la SNCF s'adresse à la fois à tous les Français et aux cheminots.
Aux Français, qui sont attachés au transport ferroviaire, elle a pour ambition d'offrir demain un meilleur service, c'est-à-dire de meilleurs trains, des correspondances mieux adaptées, non seulement entre trains, mais aussi entre trains, avions et autobus, une information plus complète, des tarifs plus simples, des gares plus accueillantes, etc.
C'est, bien sûr, l'objet du projet industriel actuellement en cours d'élaboration à l'intérieur de la SNCF, sous la responsabilité de son président, M. Gallois. Sa préparation associe de manière très participative tous les cheminots. Il doit permettre d'identifier tous les domaines dépendant directement des personnels de l'entreprise où des progrès sont possibles pour attirer davantage de clients vers le train.
Je tiens à souligner ici que ce projet industriel avance bien, que son texte a été largement débattu et amendé au sein de l'entreprise depuis le mois de septembre dernier, qu'il prévoit de placer le client au coeur de trente programmes d'action prioritaires et de redéployer une partie des personnels vers le contact direct avec la clientèle.
Comme l'a souhaité le Gouvernement, le projet de loi dont nous allons débattre est directement lié à ce projet industriel. En effet, grâce à l'effort sans précédent que représente le très large désendettement de la SNCF et grâce à l'augmentation des crédits accordés à l'infrastructure et aux services régionaux de voyageurs, il crée incontestablement un contexte de nature à redonner aux cheminots une forte motivation pour rendre aux utilisateurs du train un meilleur service.
Aux contribuables - car les Français sont aussi des contribuables - la réforme, à travers leurs représentants dans les assemblées parlementaires, permettra de mieux connaître et de mieux cerner l'utilisation des importants concours publics alloués au transport ferroviaire.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Désormais, en effet, il sera possible de distinguer facilement ce qui relève, d'une part, de l'entretien et du développement des infrastructures, c'est-à-dire pour l'essentiel des lignes, et, d'autre part, des aides accordées au transport ferroviaire dans le cadre des missions de service public confiées à la SNCF.
Les sommes considérables consacrées chaque année par la collectivité à la SNCF imposent, en effet - et j'y insiste -, de bien clarifier les responsabilités respectives de l'Etat et de la SNCF.
Aux 180 000 cheminots de tous grades et de toutes catégories professionnelles qui font vivre chaque jour la SNCF, ce projet adresse un double message.
Tout d'abord, en réaffirmant les principes du service public et même, dans certains cas, en les explicitant plus clairement que les textes aujourd'hui en vigueur, par exemple lorsqu'il inscrit dans la loi le principe de concours financiers de l'Etat pour les missions de service public de la SNCF, le projet dissipe les craintes parfois exprimées ici ou là de voir disparaître ce qui constitue le service public à la française.
M. Jean-Luc Mélenchon. Sûrement pas !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Par ailleurs, en débarrassant la SNCF de la dette qu'elle avait contractée pour financer l'entretien et le développement de son réseau,..
Mme Marie-Claude Beaudeau. La dette de l'Etat !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. ... ce projet répond directement à une revendication très ancienne, dont le débat national organisé l'an dernier a d'ailleurs fait ressortir la légitimité.
M. Roland du Luart. C'est vrai !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Cette revendication était d'ailleurs très compréhensible, non seulement parce que la SNCF était le seul mode de transport à supporter directement dans ses comptes le financement de son infrastructure, mais aussi parce que le poids écrasant de cette dette privait les cheminots de toute perspective, pour leur entreprise et donc pour eux-mêmes, en anéantissant, en quelque sorte, par avance le produit de leurs efforts.
Enfin, ni le statut ni le régime de retraite des personnels ne sont naturellement, en quoi que ce soit, modifiés par la réforme.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui répond donc à la volonté du Gouvernement de créer les conditions du renouveau du transport ferroviaire dans notre pays.
Au mois de juin dernier, nous avions, Mme Idrac et moi-même, tiré devant vous et avec vous les conclusions du débat national engagé alors depuis plusieurs mois, sur l'initiative du Gouvernement, sur le transport ferroviaire.
Je rappelle, madame Luc, que ce débat a impliqué, tout au long de l'année 1996, les conseils économiques et sociaux régionaux,...
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. ... les conseils régionaux, le Conseil national des transports, le Conseil économique et social, puis, en juin dernier, le Parlement.
M. Jean-Louis Carrère. Vous n'avez pas tenu compte de leur avis !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Relisez les textes, monsieur le sénateur !
M. Jean-Louis Carrère. Je les ai lus !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. J'ai personnellement reçu, avec Mme Idrac, à de nombreuses reprises, depuis un an, chaque fédération syndicale de cheminots afin de les consulter,...
Mme Hélène Luc. Oui, mais c'est autre chose !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. ... de les informer de l'avancement de notre réflexion et de recueillir leurs observations et leurs suggestions.
Personne ne peut, me semble-t-il, affirmer sérieusement que cette réforme n'a pas été longuement, très longuement, mûrie et concertée. (Très juste ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc. Pourquoi refusez-vous la consultation du personnel ?
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Je voudrais ici profiter de l'occasion qui m'est donnée pour remercier le Sénat de sa contribution à ce débat. Depuis plusieurs années, votre assemblée a en effet consacré à la situation de la SNCF d'importants travaux, notamment sous l'impulsion de M. Haenel. Ces travaux ont été précieux pour le Gouvernement par la qualité de leurs analyses comme par les orientations qu'ils contenaient, dont beaucoup, j'y insiste, se retrouvent dans la réforme que nous avons préparée.
A l'issue de ce grand débat national, deux conclusions s'étaient imposées à tous, et je dis bien à tous.
Premièrement, le caractère inacceptable, pour la SNCF, pour les cheminots, comme d'ailleurs pour l'Etat, du statu quo.
Dans ses conclusions, la commission Martinand présentait comme « un risque majeur le statu quo, c'est-à-dire la poursuite de la politique d'accompagnement du déclin, malgré des investissements passés très importants, dont la rentabilité s'avère insuffisante, avec le risque d'aggravation des déséquilibres financiers et des tensions sociales. »
Mme Hélène Luc. Personne ne demande le statu quo !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Ce constat n'a fait depuis lors que se renforcer, et je crois qu'aujourd'hui il s'impose réellement à tous.
J'ai ainsi pu constater, en recevant, il y a encore quelques jours, l'ensemble des organisations syndicales de la SNCF, que toutes, je dis bien toutes, sans aucune exception, considèrent désormais que le statu quo est inacceptable.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est sûr.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Le Gouvernement pour sa part s'en était convaincu dès le mois de juin de l'an dernier et l'avait d'ailleurs fait savoir au Parlement en présentant les principes de la réforme qui se retrouvent aujourd'hui dans le projet de loi qui vous est présenté.
La deuxième conclusion concernait la nécessité de clarifier les responsabilités respectives de l'Etat et de la SNCF en matière d'infrastructures et, corrélativement, de débarrasser la SNCF de la partie de sa dette correspondant au financement de ces infrastructures.
La raison d'être du nouvel établissement public dont la création est prévue par le projet de loi est en effet de permettre à l'Etat, à travers lui, d'assumer complètement à l'avenir ses responsabilités dans l'étude, le financement et le développement des infrastructures.
A ce titre, cet établissement sera doté d'une capacité d'expertise économique et technique des projets d'investissement distincte de celle de la SNCF. Il contribuera ainsi à éclairer l'Etat avant toute décision de création d'infrastructure nouvelle.
On a parfois critiqué le monopole d'expertise de la SNCF, qui aurait été en quelque sorte juge et partie dans la décision de créer des lignes nouvelles. Il serait plus conforme à la réalité de dire que cette confusion des responsabilités convenait apparemment à tout le monde, du moins dans une vision de très court terme.
Elle permettait en effet à l'Etat de décider d'investissements ferroviaires sans supporter directement les conséquences financières de ses décisions, quitte à critiquer a posteriori, dans certains cas, les prévisions de la SNCF, faute, le plus souvent, d'avoir su les expertiser a priori.
Le nouvel établissement mettra fin à cette confusion.
Pour autant, contrairement à ce qui a parfois été avancé, il n'y aura évidemment aucun démantèlement de la SNCF.
M. Marcel Charmant. A voir !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Le nouvel établissement public sera, en effet, une toute petite structure d'environ 200 personnes alors que, je le rappelle, la SNCF en compte près de 180 000.
Le désendettement de la SNCF de la partie de sa dette liée au financement des infrastructures, sur lequel l'accent a été mis très fortement, n'est donc en réalité que la conséquence logique tirée pour le passé de cette clarification des responsabilités instaurée essentiellement pour l'avenir.
Il est vrai, mesdames, messieurs les sénateurs, que l'importance des sommes en cause explique très facilement l'attention portée par les commentateurs. Ce désendettement porte, en effet, sur 134,2 milliards de francs : le Gouvernement suivra, en proposant sur ce point un amendement, les conclusions de l'audit effectué par un cabinet indépendant pour évaluer la dette d'infrastructure. Ces conclusions n'étaient pas encore disponibles au moment du dépôt du projet de loi : le chiffre de 125 milliards de francs correspondait à une étude interne ayant pour terme la fin de l'année 1995 alors que l'audit qui a été effectué par un organisme indépendant s'est conclu à la fin de l'année 1996.
Si la création de ce nouvel établissement public est dictée, d'abord, par le souci de clarification des responsabilités en matière d'infrastructures, la conviction du Gouvernement est que celui-ci constitue aussi la modalité la plus appropriée pour désendetter la SNCF.
Cette analyse avait d'ailleurs été faite, dans le cadre du débat national, à la fois par le conseil national des transports et par le Conseil économique et social. L'un et l'autre avaient en effet suggéré, dans leurs avis, la création d'une structure nouvelle chargée, pour l'avenir, de la responsabilité, du développement et de la modernisation du réseau ferroviaire et, pour le passé, de l'apurement de la dette d'infrastructure de la SNCF.
L'expérience du service annexe de l'amortissement de la dette, créé en 1990 dans les écritures comptables de la SNCF, avait, en effet, montré les limites de ce genre de solution : alors même que l'Etat avait, en 1990, sorti des comptes principaux de la SNCF 38 milliards de francs de dette, il avait laissé subsister tous les mécanismes de reconstitution rapide de cette dette, entretenant la confusion originelle entre les responsabilités qui relèvent de l'Etat en matière d'infrastructures et les comptes de la SNCF.
Je vais maintenant vous présenter rapidement, mesdames, messieurs les sénateurs, les principaux points du projet de loi, qui seront discutés ultérieurement dans le détail.
Je m'en tiendrai pour l'instant à quatre observations principales.
Première observation : ce texte définit tout d'abord les missions respectives de la SNCF et du nouvel établissement public dont il prévoit la création.
Le nouvel établissement aura pour objet « d'aménager, de développer et de mettre en valeur l'infrastructure ferroviaire ». Comme la SNCF, il s'agit d'un établissement public à caractère industriel et commercial. Comme la SNCF, il sera soumis au contrôle économique et financier de l'Etat et, toujours comme la SNCF, il tiendra sa comptabilité selon les règles applicables aux entreprises.
La SNCF assurera, pour le compte de ce nouvel établissement, la gestion du trafic et des circulations sur le réseaux ferré national, ainsi, bien sûr, que le fonctionnement et l'entretien des installations techniques et de sécurité de ce réseau.
La SNCF conservera donc sa double mission de transporteur ferroviaire et de gestionnaire de l'infrastructure.
Deuxième observation : en contrepartie de la prise en charge par le nouvel établissement public d'une dette vis-à-vis de la SNCF de 134,2 milliards de francs, le projet organise le transfert au nouvel établissement public des biens constitutifs de l'infrastructure ferroviaire, ainsi que des terrains et bâtiments non affectés à l'exploitation des services de transport.
Jusqu'à présent, ces biens appartenaient à l'Etat et ils étaient gérés par la SNCF. Le présent projet de loi prévoit qu'ils seront apportés en pleine propriété au nouvel établissement public, ce qui lui permettra de décider, au sein du conseil d'administration, des actes de gestion de son patrimoine - terrains, bâtiments - sauf en ce qui concerne la consistance du réseau, à propos de laquelle les décisions resteront soumises à l'Etat.
Cette formule apportera simplification et efficacité au fonctionnement de l'établissement public industriel et commercial - et facilitera ses relations avec les collectivités territoriales, en maintenant toute garantie sur l'évolution du réseau.
De son côté, la SNCF demeure, dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, gestionnaire des biens dévolus à l'exploitation du service de transport ferroviaire, c'est-à-dire en particulier des gares et des ateliers d'entretien du matériel roulant, mais aussi des magasins et ateliers de réparation et d'assemblage, des équipements des voies, des immeubles administratifs, des biens affectés au logement et aux activités sociales.
Bien entendu, l'Etat conservera toutes ses prérogatives en matière de définition et de consistance du réseau. Cela signifie que les décisions de création de ligne nouvelle, toute comme les éventuels projets de déclassement continueront d'être soumis à l'autorisation de l'Etat.
Troisième observation : je connais bien l'attention que porte le Sénat à tout ce qui concerne la fiscalité locale, dont la SNCF est un très gros contribuable puisqu'elle a versé, en 1995, 2,3 milliards de francs au titre de la taxe professionnelle, 250 millions de francs au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties et 42 millions de francs au titre de la taxe foncière sur les propriétés non bâties.
Je voudrais souligner que, sur ce point, le projet de loi organise en son article 8 un système de double neutralité.
Il s'agit d'abord d'une neutralité pour la SNCF et le nouvel établissement public, dans la mesure où la somme des impôts payés demain par les deux établissements sera égale à la somme payée aujourd'hui par la SNCF.
La neutralité jouera également pour les collectivités locales bénéficiaires, dans la mesure où le produit fiscal désormais supporté par les deux établissements publics sera réparti entre les collectivités locales dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui.
Quatrième observation : l'Etat tirera naturellement les conséquences, dans ses relations financières avec la SNCF, de l'existence du nouvel établissement public.
C'est à lui que sera versée désormais la contribution aux charges d'infrastructures, qui complétera ses autres resssources : dotations en capital de l'Etat, produits de son domaine et péages payés par la SNCF pour l'utilisation du réseau.
De son côté, la SNCF conserve naturellement le bénéfice de tous les autres concours publics qu'elle percevait jusqu'ici, en particulier au titre de ses missions de service public et au titre de ses charges de retraite, concours dont le principe est désormais prévu par la loi.
Certains s'interrogeront peut-être sur la complexité de ce dispositif.
La conviction du Gouvernement est qu'elle est plus apparente que réelle et qu'elle constitue en quelque sorte, cela paraît peut-être paradoxal, le prix à payer pour clarifier les missions respectives du responsable de l'infrastructure et du transporteur ferroviaire.
En outre, l'avant-projet de décret relatif aux missions et au statut du nouvel établissement public prévoit que la SNCF passera avec lui une convention qui précisera leurs relations.
Enfin, cinquième observation : le projet de loi précise les modalités de mise en oeuvre de la régionalisation expérimentale des services régionaux de voyageurs, dont le principe avait été posé par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.
A cet égard, je voudrais simplement rappeler que, grâce à la dotation de 800 millions de francs inscrite dans la loi de finances initiale pour 1997, qui s'ajoute à la contribution versée jusqu'ici au titre de ces services, l'expérimentation se déroulera sans aucun transfert de charges pour les six régions concernées.
Je rappelle également que la mise en oeuvre de cette expérimentation passe par l'élaboration dans chaque région concernée de deux conventions : la première, signée entre l'Etat et la région, a pour objet de délimiter ces services ; la seconde, signée entre la région et la SNCF, vise à définir la consistance et les conditions de fonctionnement de ces services.
Avant de conclure, je souhaiterais remercier chaleureusement le rapporteur désigné sur ce texte par votre commission des affaires économiques, M. François Gerbaud.
Celui-ci m'avait demandé, en novembre dernier, de reporter de quelques semaines l'examen de ce projet afin, d'une part, de dissiper les malentendus qui, selon sa propre expression, paraissaient « à tort ou à raison » subsister dans certains esprits sur les objectifs de la réforme et, d'autre part, de permettre au Gouvernement - cela correspondait d'ailleurs à un souhait que j'avais formulé - d'approfondir, en liaison avec le Sénat, certaines modalités d'application.
M. le Premier ministre a bien voulu, sur la proposition de Mme Idrac et de moi-même, faire droit à cette demande.
Je crois pouvoir dire que ces quelques semaines ont été très utilement mises à profit, tant par le Sénat que par le Gouvernement, et je voudrais en donner trois témoignages.
Tout d'abord, pendant ces quelques semaines, a pu être achevé l'audit d'infrastructure commandé à une cabinet indépendant, ce qui nous a permis de préciser le montant de la dette d'infrastructure de la SNCF, dont le projet de loi prévoit le transfert à la charge du nouvel établissement public. Je rappelle que ce montant est de 134,2 milliards de francs.
Ensuite, nous avons pu ajuster à 8 milliards de francs le niveau de la dotation en capital dont bénéficiera cet établissement public en 1997, somme qui lui permettra de partir sur des bases solides pour remplir l'ensemble des missions qui lui sont dévolues.
Enfin, nous avons pu élaborer les avant-projets de trois décrets d'application de la loi, ce qui a permis, fait exceptionnel, de les présenter au Parlement et aux organisations syndicales avant même le vote de la loi. C'est, je crois, une première.
M. Marcel Charmant. Et si la loi n'est pas votée ?
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Tout cela marque l'aboutissement d'un processus de concertation et de transparence sans précédent dans ce secteur.
Je voudrais donc remercier les deux rapporteurs désignés par le Sénat, M. Gerbaud, rapporteur au fond, et M. Haenel, rapporteur pour avis, qui nous ont aidés l'un et l'autre, pendant ces quelques semaines, à perfectionner le dispositif de notre réforme.
J'y vois, pour ma part, mesdames, messieurs les sénateurs, une forme exemplaire de coopération entre votre assemblée et le Gouvernement, qui laisse fort bien augurer, à mes yeux, les conditions dans lesquelles va se dérouler le débat législatif qui s'engage aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Gerbaud, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lorsque la commission des affaires économiques et du Plan de notre assemblée m'a mandaté pour être l'un des « passagers » de la réforme, me revint à la mémoire ce mot de Paul Valéry : « Le futur n'est plus ce qu'il avait l'habitude d'être. »
C'est à ce débat qui commence que j'offre cette dédicace, tant il est vrai que, pour préparer la SNCF au choc du futur et aux responsabilités du présent, il fallait changer les habitudes d'exister de ce grand service public.
C'est dans cet esprit que la commission des affaires économiques a conduit son analyse.
Elle y a manifesté le souci de bien intégrer le projet de réforme ferroviaire au nombre des nécessaires modernisations des transports.
En effet, après les dockers et les transports routiers, en 1992, la batellerie, en 1994, le transport aérien, en 1995, le moment est donc venu, pour le Sénat, de faciliter l'adaptation du service public ferroviaire à la nouvelle donne de l'économie.
La commission considère que confier le réseau ferré français, propriété de l'Etat, à un nouvel établissement public qui en délègue par l'esprit et par la lettre la gestion exclusive et l'exploitation exclusive à la SNCF est une saine et indispensable clarification des compétences et des responsabilités.
Disant cela, je pense en particulier à celles de l'Etat. En reprenant aujourd'hui la dette de l'infrastructure, il s'offre en quelque sorte à lui-même ce constat : ayant renoncé pendant plusieurs décennies à financer les grands investissements ferrés d'hier, il a accompagné la SNCF, qui n'en avait guère besoin, jusqu'aux limites d'une dette abyssale.
Votre projet, monsieur le ministre, met un terme à cette dérive, et c'est tout votre mérite.
Cependant, pour en arriver là, il aura fallu la grande grève de la fin de 1995. Celle-ci a laissé des traces profondes à la SNCF, parmi ses clients et dans la population, qui en garde souvenirs et craintes.
Comme souvent en France, où les réformes et le changement procèdent de fractures, cette grève, véritable électrochoc, a été à l'origine d'un débat d'une ampleur exceptionnelle ; elle doit donc être source d'un renouveau.
Elle a révélé au grand jour qu'une certaine forme d'organisation du travail avait vécu : monolithisme de l'entreprise, cogestion syndicale de fait, éloignement des dirigeants et des employés, indifférence trop fréquente à l'égard des usagers.
Mais l'heure n'est plus au diagnostic ; elle n'est pas davantage aux critiques, et il ne me paraît pas nécessaire d'en rajouter ! C'est maintenant une ordonnance médicale que nous avons en quelque sorte à dresser. Je m'y tiendrai. Je ne serai, dans cette affaire, je vous le dis, ni avocat, ni procureur !
Avec ce projet de la loi, la SNCF fait peau neuve. Soixante ans après sa naissance, se donne ainsi un laissez-passer pour 2010. Après la nationalisation, en 1937, la reconstruction, entre 1944 et 1947, la loi d'orientation des transports intérieurs, en 1982, voici, d'une certaine façon, la quatrième mue du ferroviaire français.
Il s'agit d'une réforme délicate. Personne ne s'y trompe parmi nous, je le sais.
En vérité, on ne réforme pas la SNCF comme n'importe quelle entreprise, pour la simple raison qu'elle n'est comparable à aucune autre.
D'abord, ses agents sont profondément attachés à l'unicité et à l'unité de la SNCF.
Mme Hélène Luc. Absolument ! Mais il faut en tirer les conclusions !
M. François Gerbaud, rapporteur. La culture cheminote, transmise de génération en génération, y est une réalité vivante. L'encadrement des organisations professionnelles y est puissant.
Ensuite, la SNCF appartient à l'histoire et même à l'imaginaire de notre nation. Auréolée de la gloire acquise dans la « bataille du rail », héroïne de la Résistance, décorée de la Légion d'honneur, la SNCF, citée à l'ordre de l'armée dès 1940, puis à l'ordre de la nation le 4 mai 1951, reste un des fleurons du patrimoine national.
Certes, pour les Français les plus jeunes, et peut-être pour certains d'entre nous, ces faits, qui appartiennent à l'histoire, peuvent paraître bien éloignés. Mais nul d'entre nous, ni vous, ni moi, ne peut se pencher sur le sort de la SNCF sans voir, dans le lointain, le cortège des 8 938 morts et 15 977 blessés qu'elle a donnés à la patrie ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc. Ça, c'est vrai ! Beaucoup de cheminots se sont sacrifiés pour la patrie !
M. François Gerbaud, rapporteur. La SNCF est peu comparable à d'autres entreprises parce que, enfin, la sécurité des circulations sur son réseau est ressentie comme une obligation par le corps social, qui exige le risque « zéro » et accueille tout incident, tout retard ou toute inadaptation aux risques naturels comme une tragédie. Nous en avons fait l'expérience au début de ce mois, et l'un des nôtres plus particulièrement.
Nul ne saurait donc prétendre réformer la SNCF sans prudence ni gravité.
Mais, dans le même temps, l'endettement catastrophique accumulé progressivement en une quinzaine d'années a provoqué la démotivation d'une partie des personnels, qui ne voient pas pourquoi des efforts renouvelés lui sont demandés alors que l'entreprise s'enfonce de plus en plus dans le déficit. Une remotivation s'impose donc d'urgence. Nous la souhaitons au rendez-vous du projet industriel et commercial que le président Gallois lui donne.
Les personnels sont inquiets. La préparation de mon rapport m'a permis de vérifier l'existence de cette inquiétude. Il faut donc la dissiper et montrer que le « non-dit » ou les « arrière-pensées » n'ont aucune chance de l'emporter sur la lettre de la réforme.
Dès la fin de la grève de 1995, le dialogue social a été de nouveau engagé au sein de la SNCF. Le Gouvernement, sur la base du rapport Martinand, élaboré par des experts, a lancé, de février à mai 1996, un débat national sur la SNCF.
Les organisations professionnelles, réticentes ou, pour certaines d'entre elles, opposées à la réforme, ont été informées et largement associées.
Les conseils régionaux et leurs conseils économiques et sociaux, de même que les conseils généraux, ont été consultés. Le Conseil économique et social a rendu un rapport. Le Conseil national des transports a été saisi de deux demandes d'avis. L'Assemblée nationale et le Sénat ont été, au mois de juin dernier, le cadre de débats d'orientation dont chacun a pu apprécier la grande qualité.
Le projet nous est ainsi parvenu en octobre 1996, mais force m'a alors été de constater, à la faveur de mes entretiens - et je remercie M. le ministre de l'avoir rappelé -, qu'il n'était pas mûr sur le plan financier. J'ai donc pris sur moi de demander un supplément d'information et un délai m'a été accordé ; je vous en remercie beaucoup, monsieur le ministre.
Mme Hélène Luc. Les cheminots vous ont tout de même aidé à l'obtenir !
M. François Gerbaud, rapporteur. Durant deux mois, j'ai revu l'ensemble des organisations syndicales représentatives des personnels dont, je dois le dire, le sérieux et l'approche constructive m'ont frappé. J'ai encore rencontré le président de la SNCF, ainsi que vous, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat. Qu'il me soit permis de rendre ici hommage à votre prudence et à votre sens de l'Etat et de vous remercier, ainsi que vos collaborateurs, de l'accueil que vous m'avez réservé.
Je tiens à vous dire aussi que vous avez innové de manière exemplaire. En communiquant à vos interlocuteurs et au Parlement les projets de décret qui vont accompagner la loi, vous avez pris l'initiative d'une totale et loyale transparence. Craignant parfois que les décrets d'application, aux frontières toujours difficiles à définir du législatif et du réglementaire, ne soient pas l'exacte traduction de nos lois, nous ne pouvons que nous réjouir de cette première, qui, espérons-le, fera jurisprudence gouvernementale !
Au total, je veux ici le souligner, rarement projet de loi aura fait l'objet d'une préparation aussi largement concertée.
Le contenu de la réforme vient de nous être exposé en détail. Je n'y reviens pas. Je voudrais seulement souligner combien cette réforme s'articule avec celle que nous avons eue à examiner à la fin de 1994 : la relance d'une politique d'aménagement du territoire digne de ce nom.
La commission des affaires économiques, qui a pris une part décisive à la loi d'aménagement du territoire, sous la houlette de M. le président Jean François-Poncet, ne peut être que très favorable à une telle réforme.
Quelle est l'approche que vous propose notre commission ? Elle repose sur six idées.
Première idée : donner du « souffle » à la réforme.
Le projet de loi, dans sa rédaction actuelle, nous paraît - je m'en suis souvent ouvert à vous, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat - un peu « sec » : il manque de « souffle ».
C'est la raison pour laquelle la commission des affaires économiques proposera d'y intégrer des références explicites aux principes du service public, à la protection de l'environnement, à l'aménagement du territoire et à la promotion du transport ferroviaire dans notre pays.
C'est aussi la raison pour laquelle elle vous invitera à faire expressément mention de trois grands textes fondateurs : la loi d'orientation des transports intérieurs de 1982, la loi de décentralisation de 1982, la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire de 1995.
C'est encore la raison pour laquelle le Sénat souhaitera, sans doute, faire de l'établissement public un vrai service concepteur, capable d'une expertise autonome et chargé de mettre en oeuvre le schéma national du transport ferroviaire prévu par la loi de février 1995.
C'est enfin pourquoi la commission des affaires économiques proposera d'appeler le nouvel établissement public « France Rail », au lieu de RFN.
La deuxième idée, c'est qu'il importe de contribuer à la remotivation des personnels de la SNCF.
En effet, la réforme ne connaîtra le succès que si les personnels s'engagent. Rien ne pourra se faire sans eux, car on ne réforme pas la SNCF sans impliquer les cheminots. Il faut le leur dire et le leur faire comprendre : le dialogue social doit être intensifié et des garanties doivent être apportées. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
A cette fin, le Sénat doit, aux yeux de la commission des affaires économiques, consacrer trois principes : le maintien sous statut SNCF des agents de l'entreprise détachés auprès de RFN, le volontariat des détachements vers RFN des agents de la SNCF, et, plus généralement, le maintien des statuts de l'ensemble des personnels de la SNCF.
La troisième idée, c'est qu'il convient de clarifier les modalités de transfert des biens.
Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi est relativement imprécis s'agissant de la nature des biens transférables à RFN et des modalités de leur inventaire. Le risque existe d'introduire un biais, voire d'ouvrir un litige.
La commission m'a donc chargé, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, de vous demander d'apporter des garanties sur ce point et de nous assurer de la vigilance du ministère sur cette question essentielle de l'inventaire des biens transférables à RFN.
La quatrième idée, c'est qu'il faut faciliter la rationalisation de la gestion de la SNCF.
Pendant trop longtemps, la SNCF n'a cru, pourrais-je dire en simplifiant, qu'en ses ingénieurs et en la prouesse technique. Or il n'y a pas que cela : il y a la clientèle à reconquérir, la gestion financière à améliorer, un système comptable à mettre en place d'urgence, outil nécessaire à une indispensable lisibilité des comptes.
La mise en place d'une comptabilité digne de ce nom est la première des priorités pour la SNCF comme pour RFN, afin de permettre de calculer précisément les coûts complets de revient et d'assurer un vrai pilotage en matière d'infrastructures et d'exploitation.
De ce point de vue, la reprise de la dette de la SNCF pour un montant significatif est une des conditions du succès de la réforme. En prenant mon bâton de pèlerin depuis novembre dernier, j'ai pu obtenir du Gouvernement, sur la foi de l'audit qui lui a été remis - et je vous remercie vivement de cette avancée, monsieur le ministre - que ce montant, qui était de 125 milliards de francs, soit porté à 134,2 milliards de francs. La commission des affaires économiques a souhaité déposer un amendement à ce sujet.
En outre, il faudra au départ assurer à RFN une dotation en capital de la part de l'Etat qui soit suffisante. Comme vous l'avez vous-même indiqué, monsieur le ministre, le chiffre de 8 milliards de francs sera atteint pour 1997, et je vous remercie là encore d'avoir obtenu 5 milliards de francs supplémentaires par rapport au montant qui nous fut proposé en octobre dernier.
J'en arrive à la cinquième idée : assurer une compensation intégrale des charges financières résultant de la régionalisation.
La commission a en effet souhaité qu'une compensation intégrale des charges imposées aux régions expérimentant la régionalisation des services de voyageurs soit assurée par l'Etat, car il faut les préserver de toute mauvaise surprise financière due à la réforme.
A terme, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, une référence explicite aux lois de décentralisation de 1982 devra pouvoir être faite. En outre, l'expérimentation devra pouvoir être réversible, et un amendement, qui recueille l'accord des présidents de région, sera soumis au Sénat sur ce point.
Enfin, sixième et dernière idée, il faut, s'agissant de la consistance du réseau, consacrer le rôle régulateur des collectivités locales.
Si, comme cela a été rappelé, l'Etat conserve la compétence exclusive pour déterminer la consistance du réseau, la commission des affaires économiques a souhaité réaffirmer l'obligation de consultation préalable de la région, du département et des communes concernées, afin d'éviter toute fermeture intempestive de ligne. Ainsi, nous sommes en harmonie avec les lois de décentralisation, oeuvre essentielle du Sénat.
En conclusion, mes chers collègues, la commission des affaires économiques vous demande de voter le projet de loi, sous réserve de l'adoption des vingt-quatre amendements que j'aurai l'honneur de défendre. Sachez qu'elle considère ce texte comme un aboutissement, mais aussi comme un commencement.
Mes chers collègues, il appartient aujourd'hui au Sénat, dépassant les non-dits de toute sorte, de rendre la SNCF capable de saisir la chance historique que représentent l'allégement de sa dette et la prise en charge de son infrastructure, de mettre les cheminots en situation d'être des gagnants et de leur permettre de ne pas rater, sur le quai de l'imaginaire, la correspondance pour le xxie siècle. (Sourires et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis de la commision des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1992, à une époque où l'on s'intéressait peu ou pas à la SNCF, j'avais obtenu que le Sénat engage une réflexion sur l'avenir de cette entreprise, par le biais d'une commission d'enquête portant sur sa situation financière, certes, mais aussi sur ses missions de service public et sur son rôle éminent en matière d'aménagement du territoire, ainsi que sur ses liens avec les collectivités locales. Les travaux de cette commission, que j'avais menés avec notre collègue Claude Belot et quelques-uns d'entre vous, présents de gauche à droite de l'hémicycle, ...
M. Jean-François Le Grand. Ils sont plus nombreux à droite !
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. ... avaient débouché sur de nombreuses propositions, et je rappelle que le rapport avait été adopté à l'unanimité.
Mme Hélène Luc. Cela ne prouve rien pour le débat d'aujourd'hui !
M. Jean-François Le Grand. C'est vrai !
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Je reviendrai en particulier sur trois de ces suggestions, qui ont été retenues par le Gouvernement.
Tout d'abord, nous avions souhaité que l'Etat assume la plénitude de son rôle vis-à-vis de la SNCF.
M. Félix Leyzour. Très bien !
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Ensuite, nous avions consacré de longs développements aux relations entre la SNCF et les régions, et proposé un partenariat renouvelé.
Enfin, nous avions suggéré que la SNCF se dote d'un véritable projet d'entreprise. (M. Félix Leyzour opine.)
Or je retrouve ces propositions dans les trois piliers de la réforme dont nous débattons aujourd'hui : la création d'un établissement public nouveau manifeste bien, à mes yeux, la volonté de l'Etat d'assumer ses responsabilités dans la définition et le financement du réseau, et la régionalisation rapprochera les services régionaux de voyageurs de leur clients. Enfin, le projet industriel mené sous la houlette du président Gallois et grâce aux efforts de l'ensemble des cheminots rendra à nos concitoyens, j'en suis certain, le goût du voyage en chemin de fer.
Je crois donc qu'il n'est pas exagéré de dire qu'il s'agit de la plus importante réforme ferroviaire depuis 1937. Pour l'entreprise, engagée dans une spirale dépressive mortelle, c'est une véritable renaissance.
La commission des finances a demandé à être saisie pour avis du projet de loi portant création de l'établissement public « Réseau ferré national » en raison des incidences considérables - je dis bien « considérables » - de la gestion de la Société nationale des chemins de fer français sur les finances publiques.
De ce point de vue - M. le ministre vient de le souligner, ainsi que mon collègue François Gerbaud la réforme proposée est de grande ampleur.
Je rappelle que l'effort de la nation en faveur de la SNCF s'élève chaque année à 50 milliards de francs et qu'après la réforme - donc dès cette année - ce chiffre sera porté à près de 60 milliards de francs dans un premier temps.
Le débat très nourri que nous avons eu mercredi dernier au sein de la commission des finances a montré l'intérêt porté par tous nos collègues à ce dossier et, je crois, l'utilité de la saisine de la commission des finances.
Après les excellents propos que vient de tenir M. François Gerbaud, je me limiterai à l'analyse des conséquences financières du projet de loi, m'en remettant, pour l'appréciation sur le fond de la réforme, que j'approuve totalement quant à ses principes, au rapport de la commission des affaires économiques. Je me rallie d'ailleurs en tout point à ce que vient de dire M. Gerbaud au nom de celle-ci.
Pour schématiser, je dirai que la réforme comporte un objectif, quatre acteurs et trois volets.
S'agissant de l'objectif, on peut dire que la réforme de l'organisation des chemins de fer en France contenue dans le présent projet de loi est exclusivement motivée par la volonté de favoriser le redressement de la SNCF et le renouveau du transport ferroviaire dans notre pays.
Sur le plan technique, la SNCF - il faut une fois de plus le souligner - est l'une des meilleures entreprises ferroviaires au monde, sinon la meilleure. Le déclin des chemins de fer sur une longue période en matière de fret, la stagnation qu'ils connaissent pour ce qui concerne le transport de voyageurs, malgré des investissements considérables, sont des phénomènes européens, voire mondiaux.
Une étude du ministère japonais des transports effectuée en 1995 montre d'ailleurs que la compagnie nationale, la JNR, connaissait, voilà dix ans, des difficultés comparables à celles auxquelles la SNCF est confrontée aujourd'hui. La situation des chemins de fers japonais mérite que l'on s'y attarde quelques instants, car les analogies sont frappantes, dans ce domaine, entre la France et ce pays si éloigné des querelles franco-françaises et de l'oeil de Bruxelles.
Ainsi, de 1955 à 1985, la JNR a vu ses parts de marché s'écrouler de 55 % à 23 % pour le transport de passagers et de 52 % à 5 % pour le fret. Par ailleurs, sa masse salariale représentait en 1986 78 % de ses recettes, bien que le nombre de ses salariés fût passé de 430 000 en 1977 à 220 000 en 1986.
Malgré le déclin du transport ferroviaire, le montant des investissements avait pourtant continué de croître fortement - les Japonais ont aussi leur TGV, le Shinkansen - et la dette de la JNR s'élevait, fin 1986, à l'équivalent de 1 700 milliards de francs, soit davantage, à l'époque, que les dettes du Brésil et du Mexique réunies ! Aux chiffres et aux dates près, comment ne pas être frappé par la similitude des situations ?
Pour relativiser encore les choses, il faut dire aussi qu'en termes de parts de marché, le rail français tire plutôt mieux son épingle du jeu que ses partenaires européens. En effet, le trafic assuré par la SNCF a davantage décru dans les quinze dernières années, mais elle conserve des parts de marché plus importantes : 8 % pour les voyageurs et 24 % pour les marchandises, alors que la moyenne européenne est respectivement de 6,6 % et de 15 %.
Or, tous les pays industriels confrontés au déclin de leur transport ferroviaire ont réformé l'organisation de leurs chemins de fer. Chaque pays l'a fait de façon adaptée à ses contraintes, en segmentant les entreprises par métier, comme en Allemagne, ou selon des critères géographiques, comme au Royaume-Uni ou au Japon.
La France doit procéder elle aussi à cette réforme, mais à sa manière. Il y va de l'autonomie de son transport ferroviaire et de celle de son industrie ferroviaire. En effet, si nous perdions cette indépendance, des entreprises comme la Deutsche Bahn pourraient assurer ce service en France, en faisant travailler non plus Alcatel-Alsthom, mais Siemens. Les exemples étrangers nous montrent certes la voie, mais aucun d'eux ne constitue pour nous un modèle ; ce projet de loi le démontre, comme l'ont parfaitement exposé M. le ministre et M. le rapporteur.
La France doit donc impérativement se mettre en situation de compétitivité.
Il n'apparaît pas que ce texte soit présenté, comme d'aucuns le suggèrent, pour répondre à des décisions bruxelloises et qu'il soit la porte ouverte à l'entrée de la concurrence sur le réseau national. Sortir la SNCF de l'ornière où elle se trouve, inverser la tendance au déclin du transport ferroviaire dans notre pays sont des défis qui se suffisent à eux-mêmes. Au demeurant, la réforme qui a eu lieu au Japon et que je citais tout à l'heure ne répondait, et pour cause, ni au souci de s'ouvrir à la concurrence étrangère, ni à une quelconque directive européenne ! Il s'agit, là-bas comme ici, d'un véritable choix de société, qui me paraît dépasser, et de loin, ce type de préoccupation.
M. Charles Descours. Très bien !
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Pour tendre vers cet objectif, quatre acteurs sont en place : l'Etat et la SNCF, mais aussi les régions et, demain, Réseau ferré national, que nous rebaptiserons sans doute au cours de nos débats.
Chacun aura un rôle précis à jouer. L'Etat continuera de fixer la consistance et les caractéristiques du réseau. La SNCF sera le transporteur et le gestionnaire délégué unique des infrastructures. Les régions pourront devenir autorités organisatrices des services intrarégionaux et, tôt ou tard, elles deviendront, tel est mon souhait en tout cas, dans un deuxième temps, autorités coordinatrices des autres autorités organisatrices des transports quotidiens de proximité, c'est-à-dire les transports urbains, suburbains et ruraux - mais cela fera l'objet d'un autre débat. Ce sera l'application concrète des schémas régionaux des transports, qui donneront enfin consistance en région à une politique régionale des transports de voyageurs. RFN, ou France Rail - on l'appellera comme on voudra - jouera le rôle que l'Etat aurait dû assumer de concepteur, de maître d'ouvrage et, surtout, de financeur de l'infrastructure.
La réforme crée des relations financières entre ces acteurs et doit être appréciée en fonction de ce qu'on peut anticiper de la future situation financière de chacun d'eux. A cet égard, le niveau des différents paramètres financiers, qui n'est pas fixé par le présent projet de loi, à l'exception de la dette de RFN envers la SNCF, est d'une importance décisive. J'y reviendrai. En novembre dernier, je vous avais dit, monsieur le ministre, qu'il ne m'était pas possible de rapporter devant la commission des finances sans avoir des indications précises sur les chiffres de la réforme. C'est maintenant chose faite.
Comment cet objectif et ces quatre acteurs vont-ils s'articuler ? Ils se répartiront en trois volets, que j'ai déjà évoqués au debut de mon intervention, comprenant un double mouvement en capital entre RFN et la SNCF, un transfert de compétences aux régions et, enfin, un projet industriel, celui de la SNCF. J'observe que, dans cet ensemble, le projet de loi n'est qu'une pièce, certes importante, parmi d'autres : le projet industriel incombe, sous l'impulsion du président Gallois, à la seule SNCF - et nous savons qu'il est déjà bien avancé - de même que la reconquête commerciale. La régionalisation des services régionaux de voyageurs a déjà été décidée par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire ; elle est concrètement engagée en Rhône-Alpes ; elle le sera bientôt dans les régions Alsace, Pays de la Loire, Centre, Nord - Pas-de-Calais et Provence-Alpes-Côte d'Azur. Seule la création de Réseau ferré national ne dépend que du projet de loi.
Réseau ferré national se voit transférer la pleine propriété des infrastructures de transport, qui, rappelons-le sans cesse, appartiennent à l'Etat, et non à la SNCF. Elles sont évaluées à 134,2 milliards de francs par un cabinet d'audit indépendant. RFN reprendra le même montant de dette à la SNCF. Tout l'art du projet de loi réside dans ce double mouvement : la création de Réseau ferré national efface le déficit accumulé par la SNCF pour le financement indû de l'infrastructure et supprime la source principale de ses difficultés financières. Je rappelle que les deux tiers de la dette de la SNCF sont imputables au financement de l'infrastructure et que, en temps ordinaire, la quasi-totalité de son déficit annuel est liée à l'infrastructure ; je mets à part le cas exceptionnel de l'année 1995 au cours de laquelle la grève a occasionné 5 milliards de francs de déficit.
La SNCF est ainsi déchargée du poids du passé et libérée pour l'avenir des entraves qui anéantissaient ses efforts et démoralisaient son personnel. C'est une différence fondamentale avec les contrats de plan précédents, qui ne la mettaient pas structurellement en situation d'équilibre. Il est normal que la collectivité prenne en charge les infrastructures, et RFN, n'est, à cet égard, qu'un démembrement de l'Etat. RFN n'en doutons pas, permettra à ce dernier de plus et mieux jouer son éminent rôle dans ce domaine.
La régionalisation des services régionaux de voyageurs permettra, à terme, d'éponger le déficit que ces services laissent à la charge de la SNCF. La rationalisation de leur gestion qui en résultera adaptera l'offre de transport à la demande des usagers. Elle ne se traduira pas par une régression du transport ferroviaire, comme le redoutent d'aucuns : bien au contraire, l'amélioration de la qualité de l'offre ferroviaire, mieux adaptée, devrait le faire progresser. Compte tenu des avantages d'intérêt général procurés par la voie ferrée par rapport à la route, les exécutifs régionaux auront à coeur, j'en suis certain, de la développer, mais avec un réalisme accru.
Enfin, par leur projet industriel, les cheminots, tous les cheminots - car rien ne peut se faire sans eux - feront retrouver aux familles et aux entreprises françaises le chemin du train, le goût du train. L'ambitieuse politique commerciale définie au printemps dernier a déjà porté ses fruits au quatrième trimestre de 1996. Chacun prend ainsi peu à peu conscience que cet effort serait vain si RFN n'était pas créé, et c'est un des mérites du report de l'examen du projet de loi que d'avoir fait mûrir les esprits sur ce point.
Les trois volets de la réforme sont donc indissociables.
Cependant, si, dans ses principes, la réforme doit réussir, beaucoup dépend du niveau retenu pour les différents paramètres financiers. Je vous renvoie à mon rapport, dans lequel sont décrits en détail les différents flux. Parmi eux, quatre chiffres revêtent une importance particulière : celui de la dette reprise par RFN bien sûr, mais aussi celui du péage acquitté à RFN par la SNCF, celui de la compensation forfaitaire attribuée par l'Etat aux régions et, surtout, celui de la contribution de l'Etat aux charges d'endettement de RFN, seul apport financier entièrement nouveau dans le circuit. Le report de la discussion, et c'est un autre de ses mérites, monsieur le ministre, a été mis à profit pour préciser ces différents paramètres, et surtout, je crois, pour les fixer à un niveau réaliste, si bien que les conditions de la réussite de la réforme se réunissent peu à peu.
Comme notre collègue M. François Gerbaud, j'ai fait valoir au Gouvernement que la réforme ne pourrait avoir d'effets positifs si le jeu était à somme nulle au départ : la situation financière de la SNCF est désespérée, la répartir entre l'entreprise et RFN ne la rendrait pas saine par miracle. Il fallait donc s'attendre à un effort significatif de l'Etat dans l'immédiat pour soutenir le fonctionnement de RFN, mais aussi la charge de sa dette à l'égard de la SNCF et les investissements nouveaux qui, tels que le TGV Est-européen, ne pourront se réaliser sans d'importantes subventions publiques.
Ce n'est que par la suite que l'Etat devrait pouvoir réduire sa charge, grâce aux économies que les enchaînements vertueux de la réforme ne manqueront pas d'entraîner, en ramenant des voyageurs et du fret vers le rail.
Ainsi, l'Etat a augmenté son effort de 800 millions de francs pour assurer la réussite de l'expérience de régionalisation.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, tous les orateurs auront sans doute droit à un supplément de temps de parole ?
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Le niveau du péage que la SNCF paiera à RFN pour l'utilisation des infrastructures restera modéré en 1997 et 1998 : 5,85 milliards de francs puis 6 milliards de francs. Pendant quelques années, ce péage devra tenir compte de la fragilité de la situation financière de la compagnie, bien que cet élément ne fasse pas partie des critères théoriques de tarification.
La dette inscrite au passif de RFN vis-à-vis de la SNCF devait initialement s'élever à 125 milliards de francs, somme largement forfaitaire et qui tient compte des possibilités de l'Etat. Elle sera finalement de 134,2 milliards de francs.
Pour soulager RFN, l'Etat lui accordera une dotation en capital de 8 milliards de francs en 1997.
J'en viens à ma conclusion.
Il me semble que les conditions de réussite de la réforme sont désormais réunies : l'Etat accomplit un réel effort au départ pour que les effets bénéfiques de la réforme puissent se développer. Par la suite, le dialogue entre RFN et la SNCF entraînera une réduction des coût d'infrastructure ; la régionalisation rendra les services régionaux plus performants et le chiffre d'affaires de la SNCF devrait augmenter grâce au projet industriel. La collectivité nationale sera finalement gagnante.
Cette réforme est ambitieuse, indispensable au redressement de la SNCF, bien qu'on ne puisse malheureusement pas garantir ce redressement, tant il est vrai que de multiples facteurs, notamment conjoncturels, nous échappent.
En adoptant ce projet de loi, mes chers collègues, vous permettrez à la SNCF non seulement de survivre, mais surtout de se développer, de reconquérir la part irremplaçable de trafic, tant voyageurs que fret, qui lui revient dans le cadre d'une politique des transports digne de ce nom, et ainsi de rester la première entreprise ferroviaire du monde. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique à Mme Luc que le rapporteur pour avis, M. Haenel, avait droit à vingt minutes et qu'il n'a utilisé que dix-neuf minutes et seize secondes !
Mme Hélène Luc. Je croyais que le temps de parole d'un rapporteur pour avis était de dix minutes.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Je crois que tout a été dit, par vous-même, monsieur le ministre, et par les excellents rapporteurs, MM. Gerbaud et Haenel, ce dernier étant, comme chacun le sait, un précurseur s'agissant des sujets relatifs à la SNCF. Par conséquent, mon intervention sera brève ; ne vous inquiétez donc pas, madame Luc.
Mme Hélène Luc. Je ne suis pas inquiète !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. D'abord, je voudrais rendre hommage à la persévérance et au courage dont vous-même, monsieur le ministre, et vous aussi, madame le secrétaire d'Etat, avez fait preuve dans un dossier difficile, sur lequel vous avez rencontré des obstacles que nous avons encore tous à l'esprit et qui ne vous ont pas arrêtés. Comme tous nos concitoyens, j'éprouve un attachement profond pour la SNCF. Dans un article paru récemment dans un quotidien du matin, vous avez parlé vous-même, monsieur le ministre, d'un « attachement romantique ». Eh bien, j'ai cru me reconnaître dans cette expression.
Je formulerai donc quelques observations, qui ne feront que confirmer ce que nous venons d'entendre.
Le présent projet de loi n'est pas une baguette magique, qui permettra de résoudre tous les problèmes de la SNCF. Vous ne l'avez d'ailleurs pas prétendu, monsieur le ministre. Pas de baguette magique donc. Le redressement de la SNCF sera, nous le savons tous, une oeuvre de longue haleine, qui dépendra essentiellement de l'effort de la SNCF et de son personnel. Encore faut-il jeter les bases de cet effort. Je suis convaincu que le texte que vous nous soumettez répond à cette exigence.
Ma conviction est fondée sur quelques considérations qui me paraissent relever de l'évidence.
En premier lieu, vous l'avez dit et personne ne le conteste, le statu quo est intenable. Compte tenu d'un déficit d'exploitation qui s'est élevé à 16,5 milliards de francs l'an dernier et qui, d'après les prévisions, devrait atteindre 15 milliards de francs en 1997 pour un chiffre d'affaires de 56 milliards de francs, compte tenu d'une dette cumulée qui s'élevait à 175 milliards de francs en 1995 et qui serait de 208 milliards de francs aujourd'hui, il n'est plus possible de laisser cette situation se poursuivre sans intervenir. Le moment est, sans aucun doute, venu d'agir, car le péril existe.
En deuxième lieu, et je reprends les propos de M. Haenel, la SNCF n'est pas, et de loin, le seul réseau ferroviaire qui connaisse des problèmes. On peut même dire qu'il n'y a pas, dans les pays développés, un seul réseau ferroviaire qui n'ait pas dû faire face au déclin - car il s'agit bien d'un déclin - du transport ferroviaire par rapport aux autres moyens de transport.
Tous ces pays ont fait face à leurs difficultés par une réorganisation profonde de leur système. Bien entendu, les solutions ont varié d'un pays à l'autre en fonction des contraintes géographiques, de l'ampleur de l'endettement, ainsi que de la philosophie économique dominante dans chacun d'eux. Des pays comme le Japon ou la Grande-Bretagne ont choisi, en vertu d'une philosophie libérale à outrance qui n'est pas la nôtre, la privatisation, le fractionnement du réseau en fonction de grandes régions géographiques. On a donc fait éclater les réseaux et on les a privatisés.
D'autres pays, aux philosophies plus proches de la nôtre, mais pas forcément identiques à la nôtre, comme l'Allemagne ou la Suède, ont choisi la voie de la séparation entre l'infrastructure, confiée à une administration publique, et la gestion du transport, confiée, elle, à un opérateur ferroviaire. Monsieur le ministre, c'est dans cette voie que vous vous êtes engagé.
Si je me suis permis de rappeler ces exemples étrangers, ce n'est pas tout à fait par hasard : je souhaitais en effet démontrer que les difficultés que nous connaissons ne sont pas singulières et que, en outre, la voie que vous avez choisie, l'orientation que vous avez prise, la solution que vous avez retenue ont fait leurs preuves. Ainsi, la Commission européenne relevait récemment que cette solution avait permis le redressement du système ferroviaire suédois.
La séparation entre l'infrastructure et la gestion du trafic, au sein d'un ensemble qui conserve son unité, sa personnalité, le monopole des circulations ferroviaires et, naturellement, son caractère de service public est, à mon avis, une voie prometteuse. Elle répond d'ailleurs très exactement, me semble-t-il, à une, sinon à la principale des revendications formulées pendant les événements de décembre 1995, événements qui, comme vous le disiez tout à l'heure, monsieur le ministre, ont au fond donné raison à ceux qui, parmi le personnel de la SNCF, n'ont cessé de dire que le déficit reproché à la SNCF lui était indûment attribué. L'Etat, en effet, assume le financement des voies navigables, il se charge, par péage ou autrement, du financement de son service et de son équipement routier. Or, il n'en fait pas autant pour la SNCF, ayant même imposé à cette dernière des emprunts qui constituent une charge à laquelle il n'y a aucun moyen de faire face.
M. Jacques Genton. Et voilà !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Il est bien évident que la séparation apporte l'élément essentiel qu'est la clarté ; elle entraîne la transparence et - on peut du moins l'espérer - la sincérité dans l'évaluation des comptes et dans le jugement que l'on portera, demain, sur les efforts qui seront faits par les uns et par les autres, singulièrement par l'Etat, d'un côté et par la SNCF, de l'autre, ainsi que par les régions.
J'en viens à un problème qui découle du premier, à savoir celui de la division de la dette : comment ne pas vous dire, monsieur le ministre, que nous aurions tous souhaité que l'Etat prenne en charge la totalité de la dette ? (Eh oui ! sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Il est d'ailleurs probable que, si vous pouviez dire ce que vous pensez, vous ne seriez pas en désaccord avec nous ! Mais hélas ! les réalités budgétaires sont ce qu'elles sont !
M. Claude Billard. Vive Maastricht !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Les contraintes budgétaires - vous le savez comme moi - sont le résultat d'une continuité dont nous devons tous assumer la responsabilité.
Monsieur le ministre, je relève simplement que la séparation, la répartition de la dette à laquelle il a été procédé n'est pas arbitraire, puisqu'elle est fondée sur un audit dont je n'ai pas de raison de contester la sincérité. Entre nous, je serais d'ailleurs bien en peine de le faire.
Le passif a été transféré avec les actifs, comme cela se fait habituellement dans ce type de situation. Si cette manière de procéder ne résout certes pas tous les problèmes, elle paraît néanmoins logique.
Ayant dit cela, monsieur le ministre, j'indiquerai simplement que ce projet de loi ne répond bien entendu pas à toutes nos interrogations. Vous me permettrez d'en citer quelques-unes : comment le Réseau ferré national va-t-il faire face à la charge d'une dette dont, d'ailleurs, le projet de loi ne prévoit ni la durée ni le taux d'intérêt demandé ?
M. Félix Leyzour. Bonne question !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Qui va payer ?
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Il nous manque en effet des précisions ; nous nous posons donc des questions et, naturellement, monsieur le ministre, nous vous interrogeons à cet égard.
Mme Hélène Luc. C'est une bonne question !
M. Aubert Garcia. Pas de réponse !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Une autre question consiste aussi à se demander comment la SNCF assumera la part de la dette qui lui est imputée, à savoir 75 milliards de francs.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Voilà !
M. Claude Billard. C'est exact !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. C'est là une interrogation qu'on ne peut pas ne pas se poser.
Enfin, monsieur le ministre, je me permettrai d'ajouter une troisième question concernant les régions. (Très bien ! sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Marcel Charmant. Eh oui !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Qu'arrivera-t-il si les expériences régionales conduisent les régions à hésiter devant le cadeau qu'on leur propose ? Je sais bien qu'il ne sert à rien de poser ces questions,...
M. Marcel Charmant. Ah si !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques... que l'on va procéder à des essais et que l'on verra bien ce que les régions en diront. Comme M. le rapporteur pour avis l'a rappelé, c'est le Sénat lui-même qui a demandé que l'on s'engage dans cette voie, dans le cadre d'une régionalisation dont - ne l'oubliez pas, mes chers collègues - l'une des préoccupations était de faire en sorte que chaque région, y compris la région parisienne, assume la charge de son déficit de fonctionnement.
MM. François Gerbaud, rapporteur, et Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Tout à fait !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Pour le moment, tel n'est pas le cas !
Mme Hélène Luc. Cela aboutira à la fermeture de lignes dans les régions !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Madame, nous verrons ! Ne jetons pas le mauvais oeil à ce qui démarre. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.) Je tenais à poser loyalement ces questions.
Monsieur le ministre, ce projet de loi constitue le socle à partir duquel le redressement de la SNCF devient possible.
M. Jean-François Le Grand. Très bien !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Encore faut-il - c'est clair - que chacun fasse les efforts de suivi qui s'imposent.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ce sont toujours aux mêmes que l'on demande !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Il doit en être ainsi non seulement de la SNCF - comme je le disais au début de mon propos, c'est d'elle, en définitive, que dépendra le succès de la réforme - mais aussi de l'Etat, qui doit accompagner avec scrupule et fidélité la SNCF dans les efforts qu'elle fera.
Je voudrais, pour terminer, exprimer ma confiance dans la réussite de cette réforme, une confiance qui est fondée sur ce que j'évoquais tout à l'heure, à savoir l'attachement du personnel à son outil de travail qu'est la SNCF - c'est un attachement peut-être unique dans le pays - et l'attachement des Français à leur réseau ferroviaire. Là est à mon avis le meilleur atout de réussite, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Marcel Charmant. Vous avez posé de bonnes questions !
M. Félix Leyzoure. Mais il faudra apporter des réponses !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 71 minutes ;
Groupe socialiste, 62 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 53 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 44 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 28 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, tout à l'heure, M. François Gerbaud a cité Paul Valéry ; moi, je citerai M. Hubert Haenel (Sourires.),...
M. Roland du Luart. Ce n'est pas pareil !
M. Pierre Hérisson. ... selon qui « France Rail sera le renouveau du transport ferroviaire dans notre pays ».
A ce propos, monsieur le ministre, je vous indique que les sénateurs, dans leur grande sagesse, ont pensé que le terme « ferré » était plus adapté à la traction hippomobile, d'une autre époque, qu'à la traction électrique d'aujourd'hui ; mais ils n'en feront pas une affaire d'Etat.
La situation actuelle - c'est bien là l'essentiel - n'est plus tenable. En effet, les comptes de la SNCF sont inquiétants : record de déficit, record d'endettement, difficultés qui entravent depuis longtemps son fonctionnement et, surtout, son évolution et sa modernisation. Autant dire que la réforme est urgente et indispensable !
Le texte que nous examinons aujourd'hui ne constitue pas seulement un projet de loi de désendettement ; il crée les conditions structurelles capables d'éviter un nouveau déséquilibre financier. La plupart des acteurs savent que le report de la réforme, mais aussi son échec, condamneraient la SNCF à disparaître.
Alors que nos partenaires européens ont engagé une refonte de leurs transports ferroviaires - la crise, dans ce secteur, n'est en effet pas une particularité française ! - la France ne pouvait rester à l'écart de ce mouvement et laisser le chemin de fer poursuivre son déclin. Il présente pourtant des avantages collectifs en matière de sécurité, d'environnement, de service public et d'aménagement du territoire. Tel est bien l'enjeu en termes d'aménagement.
La fuite en avant dans les déficits et dans l'endettement n'est plus supportable pour la SNCF, de la même manière qu'elle ne l'est plus pour l'Etat et la sécurité sociale. Le coût de la modernisation devra malheureusement intégrer le prix du retard de ces mesures trop longtemps différées. Ce projet de loi est un outil de transparence qui permet à l'Etat d'afficher ses intentions. La création des lignes sera de la compétence de France Rail, si toutefois le terme est retenu. Dans le domaine de l'intermodal, l'Etat affichera ce qu'il met sur le fer comme ce qu'il met sur la route.
La clarté doit constituer le ferment du succès des réformes que le Gouvernement engage depuis plus de dix-huit mois. Il faut encore et encore réaffirmer que c'est non pas la construction européenne mais la situation dans laquelle se trouve l'entreprise qui nous impose de réformer nos chemins de fer.
Cette situation ne peut durer plus longtemps. Il nous faut engager cette modernisation, car nos services publics, comme l'Etat, doivent s'adapter en permanence pour mieux répondre aux attentes des usagers et aux légitimes exigences, voire aux impatiences des contribuables.
La méthode retenue par le Gouvernement a permis de sortir la réflexion des cercles confinés d'experts et de lui donner une audience à la mesure des enjeux considérables du transport ferroviaire. Ce débat a permis de faire prendre conscience à tous les acteurs au sein de la SNCF, comme dans l'opinion publique, que la réforme était plus que nécessaire et très urgente.
En privilégiant en toutes circonstances la transparence et la concertation avec l'ensemble des acteurs du transport ferroviaire, le Gouvernement a recherché l'adhésion du plus grand nombre, à défaut d'une adhésion unanime, souvent inaccessible dans une démocratie. Chacun, en tout cas, a pu s'exprimer, et c'est en bonne connaissance de cause que le Parlement, possédant aujourd'hui tous les éléments d'appréciation, peut engager l'examen des dispositions législatives nécessaires à cette modernisation.
Les deux piliers de la réforme sont clairs : d'une part, la répartition des responsabilités par la création d'un nouvel établissement public chargé des infrastructures et, d'autre part, la décentralisation des décisions au plus près des populations concernées, à travers la régionalisation des services de voyageurs et dans l'objectif du « service aux voyageurs ».
Il était temps que l'Etat, comme il le fait pour les routes nationales, assume les charges financières des infrastructures ferroviaires par le biais d'une société. A cet égard, je voudrais préciser que les 134 milliards de francs sont bien la totalité de la reprise de la dette des seules infrastructures, mais de toutes les infrastructures !
Mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même sommes très attachés à cette notion de répartition des responsabilités. On a vu trop souvent, au cours de ces dernières années, les conséquences néfastes et souvent douloureuses pour le contribuable de responsabilités confuses aboutissant, de fait, à une totale absence de responsabilités.
La SNCF pourra désormais se consacrer à une priorité : répondre aux besoins de ses clients et satisfaire leur demande, avec pour seul objectif de redonner aux voyageurs comme aux chargeurs l'envie de reprendre le train. C'est ce que souhaitent les Français dans leur très grande majorité. Ils l'ont d'ailleurs clairement exprimé lors de la grande enquête lancée par la SNCF au printemps dernier et ils l'ont également fait savoir avec plus de vigueur, et parfois avec une pointe d'irritation, à l'occasion des perturbations liées aux intempéries.
La SNCF ne pourra plus faire état de cette dette qu'elle n'a pu maîtriser, notamment pour la partie liée à la construction des lignes à grande vitesse dont la décision découle de choix gouvernementaux.
Cette réforme tant attendue pèsera lourd dans le budget de l'Etat. En 1997, les crédits publics consacrés au transport ferroviaire devraient augmenter de 30 %. Ce secteur devient ainsi le domaine qui connaîtra la croissance la plus importante au sein du budget de la nation.
Pour une fois, avec ce projet, le Gouvernement n'a pas repris d'une main ce qu'il donnait de l'autre. Cette année, l'Etat apportera ainsi à RFN quelque 8 milliards de francs pris sur les recettes de privatisation. Mais qu'en sera-t-il dans les années à venir ? Où l'Etat trouvera-t-il cette somme qui, au regard de la dette léguée en héritage à RFN - 134,2 milliards de francs - est bien faible ?
Pour autant, la réforme que vous nous soumettez devrait assurer la pérennité de la SNCF. La rémunération que RFN lui versera pour la gestion de l'infrastructure approchera, en 1997, les 17 milliards de francs. En contrepartie, la SNCF versera une redevance pour infrastructures à RFN évaluée à 5,8 milliards de francs et bloquée en 1997 et 1998 à ce niveau, hors objectif 1999. Il aurait été souhaitable - mais était-ce possible, monsieur le ministre ? - d'étendre à la trosième année ce blocage de la redevance. L'équilibre financier en aurait été facilité !
N'aurait-il pas fallu aller plus avant pour aider le transporteur dans sa mission de service public et reprendre en totalité, c'est-à-dire au-delà des infrastructures, la dette de la SNCF ? En effet, dans bien des cas, l'aménagement du territoire doit primer sur l'absence de rentabilité d'une ligne, par exemple.
Le second pilier de la réforme qui nous est proposée, à côté de la création du nouvel établissement public chargé des infrastructures, porte sur le transfert aux régions de l'organisation des services de voyageurs. Vous vous en doutez, il s'agit là d'un sujet cher au Sénat. Cette régionalisation découle directement des dispositions votées lors de l'adoption de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.
Cette nouvelle organisation est pour nous, sénateurs, aussi importante que la reprise des infrastructures. Elle est un vecteur essentiel de la modernisation du transport ferroviaire et du service public des transports. Il s'agit de rapprocher au maximum le service public de ses utilisateurs.
Les principes dont le Gouvernement et les régions concernées ont souhaité entourer l'expérimentation me semblent sains : transparence, réversibilité, transfert de compétences sans transfert de charges, autant d'éléments qui feront de la régionalisation, aujourd'hui au stade expérimental, une perspective attrayante pour les régions et un ballon d'oxygène pour la SNCF.
Il conviendra toutefois de veiller, à l'approche de la généralisation de l'expérimentation, à ce que ces principes soient bien respectés. M. François-Poncet nous a d'ailleurs fourni tout à l'heure sur ce point des précisions intéressantes. Nous devons veiller de très près à cette expérimentation, et plus particulièrement à celle qui sera réalisée dans la région Rhône-Alpes. Bien entendu, il importe que le réseau demeure national dans le cadre du nouvel établissement public. Il conviendra, en outre, qu'un effort important soit engagé afin de remettre à niveau un réseau qui s'est par endroits dégradé. La SNCF a, au cours de ces dernières années, privilégié le développement de nouvelles infrastructures au détriment de l'entretien du réseau existant. Je souhaite que le nouvel établissement public puisse rapidement dresser un état des lieux du réseau actuel, afin que soit défini un programme pluriannuel de remise à niveau du réseau traditionnel.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Il en a besoin !
M. Pierre Hérisson. Membre de l'exécutif d'une région choisie pour l'expérimentation, j'évoquerai brièvement les bienfaits de ce second pilier de la réforme.
Dans une région où circulent quotidiennement 740 trains, représentant 60 000 voyageurs par jour et 17 millions de kilomètres parcourus annuellement par l'ensemble des motrices, la régionalisation des services de voyageurs trouve tout son intérêt parce qu'elle est proche des préoccupations des usagers au quotidien.
Rappelons que la SNCF devrait réaliser, en région Rhône-Alpes, un chiffre d'affaires voyageurs de 1,62 milliard de francs en 1996, soit une croissance supérieure à la moyenne nationale.
Les transports express régionaux, les TER, suivent une progression tout aussi soutenue que les grandes lignes. Le chiffre d'affaires des TER devrait approcher les 540 millions de francs en 1996.
En prenant en charge les services de voyageurs, la région répond à la préoccupation immédiate des usagers du transport ferroviaire. C'est un enjeu d'aménagement du territoire autant que de développement économique. Qui mieux que la région peut contribuer à améliorer, à optimiser l'utilisation du réseau ferroviaire qui la traverse ? En traitant le problème ligne par ligne, en adaptant les horaires, en revoyant les correspondances, en surveillant la qualité des matériels utilisés, la région pourra remplir pleinement un rôle de proximité que, avouons-le, l'Etat ne sait pas très bien remplir.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. Pierre Hérisson. La région pourra rendre le transport collectif plus attractif en veillant à améliorer l'accueil et le service offert aux voyageurs, en développant une politique tarifaire plus adaptée aux besoins et aux moyens des usagers.
La régionalisation fonctionne bien. En Rhône-Alpes, les premiers résultats se font sentir. Un seul exemple : la ligne Annecy-Grenoble-Chambéry a connu une progression de fréquentation de l'ordre de 18 %. Par ailleurs, sur un total de 650 trains régionaux, la région en a créé 92 en 1996.
Avant de conclure, je tiens à saluer, au nom de mon groupe, nos rapporteurs, MM. François Gerbaud et Hubert Haenel, pour la très grande qualité de leur travail et la pertinence de leurs propos. Leurs propositions vont, j'en suis sûr, contribuer à améliorer le texte qui nous est soumis.
Le groupe de l'Union centriste est, pour sa part, favorable à ces propositions. Nous considérons, par exemple, qu'il est indispensable d'intégrer des références explicites au principe du service public, à la protection de l'environnement, à l'aménagement du territoire et à la promotion du transport ferroviaire.
Il est également nécessaire, monsieur le ministre, d'intensifier le dialogue social et de veiller à maintenir le statut des personnels.
La réforme qui nous est proposée aujourd'hui porte la marque d'une forte ambition : il s'agit de donner au transport ferroviaire des perspectives de renouveau, quand il semblait condamné à un déclin inexorable, à une mort lente par non-assistance à personne morale en danger. Elle porte aussi la marque du courage et du sens des responsabilités, après tant d'années de refus de regarder la réalité en face avec lucidité.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, le groupe de l'Union centriste est prêt à accompagner cette modernisation, à vous soutenir et à vous défendre si nécessaire. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Robert.
M. Jean-Jacques Robert. Je tiens avant toute chose à vous remercier, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, de cette réforme de la SNCF que vous avez tenu à présenter d'abord devant notre assemblée.
J'associe également à ces remerciements nos deux rapporteurs, M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, qui a été l'un des premiers à se pencher sur la réforme de la SNCF et qui a inspiré la régionalisation, et M. François Gerbaud, rapporteur au fond au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, qui a su donner un véritable souffle à ce projet de loi avec l'objectif constant et déterminé de dépasser le non-dit, permettant ainsi à la SNCF de saisir l'opportunité irremplaçable que lui offrent l'allégement de sa dette et la prise en charge de son infrastructure. Ce dernier a favorisé également un engagement important sur la reprise de la dette et obtenu un délai de réflexion supplémentaire apprécié.
Au-delà de la répartition proposée, la SNCF reste une entreprise publique industrielle et commerciale. Unique transporteur ferroviaire public, elle doit mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour faire face à ses concurrents en développant des parts de marchés.
Habituée à une position dominante et exclusive, la SNCF a négligé sa stratégie commerciale, ses clients, au préjudice de son rôle d'aménagement et de développement du territoire, et parfois de ses missions de service public.
Avec une culture d'entreprise fondée sur des volumes budgétaires globaux et ne s'intéressant pas aux coûts et aux marges dégagés par chaque activité, en donnant la priorité à la technique plutôt qu'au client, ce système ultracentralisé remontant au XIXe siècle n'est pas du tout adapté aux situations économiques présentes.
Je voudrais maintenant attirer votre attention sur les conditions de la reconquête commerciale, indispensable aujourd'hui.
Avec 134,2 milliards de francs de reprise de dette par le nouvel établissement créé, Réseau ferré national ou, mieux, France Rail, comme dit M. Gerbaud, la dette propre de la SNCF est estimée à 70 milliards de francs environ, ce qui signifie que le chiffre d'affaires en 1995, évalué à 52 milliards de francs, devrait augmenter de 20 % au moins pour permettre à la SNCF d'être en position véritablement compétitive.
Comment la SNCF peut-elle faire 20 % de recettes supplémentaires, c'est-à-dire accroître le nombre de ses voyageurs annuels de 800 millions ?
Donner envie aux clients de voyager par le train, telle est la cible ! La réussite ne sera au rendez-vous que par la conviction du personnel, son engagement à l'ouverture et à de nouvelles méthodes.
Le fonctionnement de l'entreprise doit être calqué sur celui d'une véritable entreprise commerciale, ce qui est difficile à obtenir avec l'organisation actuelle. Nous constatons en effet que, sur les 180 000 salariés de cette entreprise, 13 000 sont rattachés au siège social. La SNCF est ainsi un véritable ministère des trains !
A cela s'ajoute la présence de deux courants concurrents : l'un, fortement majoritaire, est constitué de techniciens attachés aux valeurs ancestrales de la SNCF ; l'autre, moins important, regroupe des entrepreneurs soucieux de promouvoir une organisation moderne avec de nouvelles méthodes de gestion.
C'est là la cause de la situation que nous connaissons, et le bilan annuel de la Cour des comptes le souligne : diminution de l'offre, dégradation de la qualité du service, accroissement de la fraude et de l'insécurité - c'est un problème connexe - méthodes de tarification coûteuses et compliquées.
Tout naturellement, le client insatisfait s'est détourné chaque fois qu'il l'a pu de ce mode de transport.
En ce qui concerne l'offre et la qualité du service, la SNCF se doit de remettre le client au centre de ses préoccupations. La recherche des gains de productivité a trop fréquemment conduit à substituer les machines aux hommes, à tel point que, parfois, les réseaux et les sites sont devenus des lieux hostiles.
J'évoquerai successivement les gares, les trains et les services de marchandises.
Les gares sont parfois mal entretenues, et leur propreté laisse à désirer ; elles emploient un personnel rare et régulièrement insuffisant ; elles manquent de confort et d'accès, il faut chercher les salles d'attente et les sièges ; les guichets sont mal conçus et occasionnent de longues files d'attente ; des services informatisés complexes renvoient trop souvent aux guichets, les billetteries automatiques pour les petits parcours régionaux sont trop compliqués ; en outre, les gares sont mal fréquentées, par des bandes et des voleurs à la tire ; comble de l'ironie, il arrive que les agents soient amenés à veiller sur les distributeurs automatiques de billets pour en expliquer l'utilisation !
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous livrer à cet égard une anecdote : dans une région que je connais bien et que vous fréquentez, le distributeur automatique, situé à l'extérieur de la gare, se trouve face au soleil, ce qui fait qu'il est quasiment impossible de lire les informations délivrées par cette machine informatique dernier cri !
Bref, la SNCF doit activer son concept de gare. Que celle-ci soit grande ou modeste, la gare doit être un lieu d'accueil, de convivialité, de communication.
Revaloriser la gare, c'est proposer de nouveaux services complémentaires à l'offre principale de transport, à l'instar de la politique commerciale des aéroports, qui ont su favoriser de nouvelles activités, créer des emplois, et donc drainer une clientèle.
La gare doit être un centre où s'organise le stationnement des voitures, où les lignes de bus urbains et d'autocars interurbains sont en correspondance, où les taxis sont présents à toute heure, où l'accessibilité pour les piétons, les cyclistes, les motards a été soigneusement étudiée et où l'on est en sécurité jour et nuit.
C'est dans cet esprit que la commission des affaires économiques et du Plan a prévu, sur l'initiative de notre collègue François Gerbaud et dans le cadre de la loi relative au commerce et à l'artisanat, une dérogation pour les surfaces inférieures à mille mètres carrés en gare ferroviaire. En effet, le commerce de gare est une activité intéressante comme lieu de chalandise : multiple par ses offres, accessible par ses transports, ouverte à des heures souvent en décalage par rapport aux autres commerces de la ville ou du village, c'est une activité permanente, active et vivante.
La SNCF doit développer ses relations avec les élus locaux et les commerçants voisins, favoriser une politique d'enseigne susceptible de donner des repères, conjuguer qualité et rendement financier, la qualité favorisant d'ailleurs le rendement financier.
Cette politique d'ouverture est essentielle : la gare doit s'ouvrir sur la ville, la ville doit entrer dans la gare.
M. Guy Cabanel. Très bien !
M. Jean-Jacques Robert. Avec 3 500 gares en France et un total de 2 millions de mètres carrés de surface, nous avons un élément favorable pour la reconquête commerciale, la création d'emplois et donc l'augmentation du chiffre d'affaires, qui est bien l'objectif visé.
J'en viens aux trains. Les trains ne sont pas sûrs. On a souvent le sentiment d'y être abandonné, sans défense.
La sécurité est la condition première d'une confiance à retrouver, du goût du transport aisé, pratique et agréable. Les horaires doivent être respectés ; les contrôleurs et les agents de parcours doivent communiquer avec le client ; on doit lutter contre la fraude.
La lutte contre la fraude et l'insécurité est une condition majeure du renouveau commercial.
Voici des exemples aux conséquences désespérantes : les actes de malveillance dans les trains ont augmenté de près de 18 % en 1995 ; on a relevé 834 agressions sur l'ensemble du territoire en 1993 ; sur 17 299 actes délictueux constatés en 1993, seulement 7 352 ont donné lieu à des interpellations. L'insécurité dans les gares et dans les trains n'a cessé de progresser ces dernières années.
A cet égard, vous me permettrez d'évoquer mon département, l'Essonne : entre 1975 et 1990, les déplacements en voiture particulière y ont augmenté six fois plus que les déplacements en transports collectifs, alors que de nouvelles lignes étaient créées, sur Corbeil et sur Malesherbes et que de nouveaux matériels à deux étages étaient mis en service.
La situation s'est encore aggravée depuis cinq ans puisque le volume des déplacements en voiture a continué à croître alors que celui des déplacements en transports en commun a stagné.
L'insécurité, je le répète, est l'une des raisons principales de cette désaffection.
M. Jean-Luc Mélenchon. Bah, bah, bah !
M. Jean-Jacques Robert. On sacrifie la sécurité à la rentabilité. Je le dis ici depuis 1989. Permettez-moi, monsieur le ministre - ce n'est pas vous qui étiez alors en charge du dossier - de rappeler ce que je disais alors : « Il faut reconnaître que nous avons fait fausse route en réduisant, au nom de la sacro-sainte rentabilité,... »
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah !
M. Jean-Jacques Robert. « ... des crédits qui auraient permis d'être, de jour et de nuit, partout présent sur le terrain, en laissant aller les choses et en acceptant, en fait, tacitement une situation qui, pour les voyageurs, devient chaque jour plus insupportable. »
M. Jean-Luc Mélenchon. Très juste !
M. Jean-Jacques Robert. Parmi les voyageurs, femmes, jeunes collégiens, personnes âgées, handicapés sont ceux qui sont le plus exposés aux agressions. Aujourd'hui, ils ne se risquent plus à voyager dans ces conditions.
M. Jean-Luc Mélenchon. Il ne faut pas exagérer !
M. Jean-Jacques Robert. Il est urgent de prêter une attention toute particulière aux doléances des millions de voyageurs franciliens, dont la fréquentation traduit une des missions essentielles de service public dévolues à la SNCF, à savoir donner à chacun la possibilité de se rendre à son travail et d'en revenir, pour un prix acceptable, dans des conditions convenables de confort et à l'heure.
La fraude, quant à elle, est estimée par la SNCF, en moyenne, à 12 % ou 13 % des recettes. Elle atteindrait, en réalité, 30 % en Ile-de-France, voire plus dans certains trains circulant en soirée ou la nuit. Ce manque à gagner, que l'on appelle commercialement « démarque inconnue », et qui est bien trop important, représente un véritable gisement de recettes.
Plus qu'à la réalité statistique, c'est au sentiment généralisé d'insécurité qu'il convient de s'attacher, afin d'enrayer la tendance qui conduit désormais à considérer les trains et les gares comme des lieux de tous les dangers, et donc à éviter.
Pour être un transporteur apprécié, la SNCF doit se donner les moyens nécessaires et arrêter de réduire le personnel. Donnons-nous les moyens, et d'abord en personnel !
M. Jean-Luc Mélenchon. Trés bien !
M. Jean-Jacques Robert. Le succès viendra, à coup sûr, rentabiliser ce choix, et les 20 % de chiffre d'affaires supplémentaires seront atteints rapidement. La SNCF doit embaucher pour occuper tout son terrain et répondre aux besoins et à la demande.
Si vous refusez ce choix cartésien,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Qu'est-ce que Descartes vient faire là-dedans ?
M. Jean-Jacques Robert. ... mieux vaut dire que c'est une mission impossible et qu'il était inutile, alors, de faire l'effort de transformation que le Gouvernement consent au travers de ce projet de loi.
Quant au service de marchandises de la SNCF, il est confronté depuis longtemps à un concurrent redoutable, le transport routier.
Le transport routier est un moyen de transport rapide, sûr, allant de porte à porte, mais c'est également un moyen qui peut être programmé, dont les tarifs peuvent être négociés et qui offre des services diversifiés, adaptés à tous les cas de transport.
La SNCF, quant à elle, n'offre pas, dans un grand nombre de cas, toute cette gamme de services. Les gares ne sont plus le guichet de proximité pour cette spécialité du transport de marchandises, c'est-à-dire les petits et moyens colis, les conteneurs et les wagons.
Les colis sont parfois pillés parce qu'ils ont été identifiés par des malfaiteurs, qui ont trop facilement accès aux locaux de stockage et de distribution. Les délais d'acheminement ne sont pas contrôlables.
Les interlocuteurs sont anonymes. Ce service important mériterait, de la manutention à la livraison, du personnel connu et identifié.
Les tarifs devraient être simples et négociés en fonction de la qualité de la clientèle et de la nature du transport.
Ecologiste, on peut rêver de développer le transport de camions sur les wagons, mais, réaliste, on doit être efficace pour assurer un service qui ne demande qu'à utiliser le rail, à condition, toutefois, d'étudier avec soin les coûts, d'indiquer les délais et d'assurer la bonne fin du transport.
Les filiales - il y en a entre 350 et 400 - semblent trop nombreuses. Je m'intéresse, pour ma part, à celles dont l'activité s'exerce dans le cadre des réseaux nationaux. Elles sont, à mon avis, trop nombreuses pour un service bien identifié à des coûts bien étudiés.
Cette dispersion semble être plus un handicap qu'un atout ; elle ne permet pas une direction efficace et une unité de l'image de marque. Elle peut même susciter une concurrence interne qui pourrait être malsaine en ce qu'elle affecterait les résultats financiers. C'est un risque d'atteinte à l'identité forte que la SNCF veut affirmer.
Je dirai simplement, pour conclure, que mon objectif, en abordant la situation nouvelle sous son aspect économique, industriel et commercial et en expertisant les méthodes passées, était non pas de critiquer - la critique est souvent trop facile à exprimer - mais d'afficher une ambition nécessaire pour une entreprise chère à nos coeurs, qui va nous faire honneur et dont les résultats, nous le souhaitons, seront enviés. Ces résultats, elle les obtiendra grâce à un personnel qualifié, fier de son entreprise, bénéficiant, enfin, des moyens attendus depuis des années et accordés dans un climat favorable, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, grâce à votre action personnelle persévérante.
Le groupe du RPR et moi-même, confiants dans l'esprit et la volonté de réussite de notre SNCF new look, nous approuverons ce projet. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Garcia.
M. Aubert Garcia. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le président de la commission des affaires économiques et du Plan a débuté son intervention en disant que presque tout avait été dit, moyennant quoi, dans les minutes qui ont suivi, je l'ai entendu poser quelques questions que je n'avais pas encore entendues et qui, pour être précises, n'en étaient pas moins pertinentes.
A l'occasion de la question d'actualité que j'avais posée au Gouvernement, au nom du groupe socialiste, à la suite du retrait provisoire du projet de loi sur la création de l'EPIC Réseau ferré national, j'avais insisté tout particulièrement sur la nécessité d'une réforme rapide de la SNCF, dont l'assainissement des comptes présentait un caractère d'extrême urgence.
J'avais souligné que le texte que vous nous proposiez, monsieur le ministre, s'il ne nous paraissait pas susceptible de résoudre les problèmes graves qui se posaient à notre société nationale, risquait a contrario d'en générer un certain nombre d'autres et présentait des dangers pour l'unicité de la SNCF, pour son rôle dans le service public et, dans un avenir plus ou moins lointain, pour le statut des personnels de l'entreprise.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, c'est, à quelques ajustements près et avec quelques explications complémentaires, le même texte que vous nous présentez de nouveau, et les deux mois qui viennent de s'écouler n'ont en fait apporté que bien peu de réponses précises aux questions que nous avions posées.
La première de ces questions est toujours la même : qu'est-ce que RFN et pourquoi serait-il indispensable de le créer et d'aller, ce faisant, au-delà des exigences de la circulaire 91/440, qui ne demandait, en fait, qu'une séparation comptable ?
Est-ce le nouvel organisme indépendant, propriétaire à part entière des infrastructures ferroviaires et chargé de leur avenir, que l'on présentait il y a deux mois ?
D'ailleurs, monsieur le ministre, ne serait-il pas utile de préciser plus clairement, compte tenu de l'inquiétude qui se manifeste chez certains élus régionaux, et bien que cela soit implicite dans le texte, la prise en compte par RFN des réseaux dont la responsabilité de l'exploitation doit être transférée aux régions ?
A moins que cet EPIC ne soit qu'un simple organisme de stockage de la dette passée - je n'ai pas dit « structure de cautionnement », car il n'en a pas les caractéristiques - et un maître d'ouvrage délégué par l'Etat en liaison étroite avec la SNCF, comme M. Martinand nous le décrit aujourd'hui.
Cette seconde conception semble bien être celle de ce dernier, en effet, lorsqu'il répond devant la commission des affaires économiques : « RFN, c'est l'Etat. » Cela semble aussi être la vôtre, car vous l'avez vous-même qualifié tout à l'heure de « toute petite structure ».
Pauvre RFN, handicapé dès sa création par les 134,2 milliards de francs de dettes dont personne ne sait encore aujourd'hui - les deux mois passés ne nous ont, sur ce point, apporté aucune précision - d'où vont lui venir les moyens d'y faire face !
Ils viendront pour partie, dites-vous, de la redevance d'utilisation payée par la SNCF. Sans doute ! Mais cela ne saurait constituer qu'une faible partie de ses ressources, car on ne comprendrait pas comment cette opération pourrait être salutaire pour la SNCF, si elle devait, même après les deux ans d'une sorte de moratoire bloquant cette redevance, voir le montant de celle-ci augmenter au point de couvrir, sinon la totalité, tout au moins une partie importante des annuités d'emprunt dont vous prétendez la soulager aujourd'hui.
Si tel n'est pas le cas, et si la redevance doit rester raisonnable, d'où viendra le reste ? De l'Etat, oui, sans doute, et le transit par RFN présenterait, certes, alors, l'avantage de ne pas faire apparaître dans la dette nationale cette tranche supplémentaire à un moment où les prochaines échéances européennes imposent la réduction de cette dette. Mais, là encore, si nous avons des chiffres pour l'année 1997 - 8 milliards de francs - rien n'est sûr pour l'avenir.
Alors, est-ce de l'emprunt que le nouvel EPIC tirera ses ressources nécessaires ? Cela se comprendrait, bien qu'il fût déjà lourdement endetté pour les dépenses d'aménagement nouveau, d'entretien et de remise à niveau des infrastructures dont il a la responsabilité. Mais emprunter pour payer sa dette, même si c'est une manoeuvre qui se pratique, cela porte un nom, la cavalerie, et ne relève pas d'une orthodoxie financière particulièrement rigoureuse.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est vrai !
M. Aubert Garcia. Je voudrais maintenant évoquer les perspectives d'avenir que ce texte réserve à la SNCF elle-même. On me dit que se trouver soulagé de la responsabilité de 134 milliards de francs de dette, ce n'est pas rien ; certes, et j'aurais mauvaise grâce à ne pas le reconnaître.
D'ailleurs, cet effet d'annonce impressionne beaucoup l'opinion publique quand la presse s'en fait l'écho et sans doute aussi les cheminots eux-mêmes, auxquels on a expliqué que chacun d'entre eux se levait tous les matins avec plus de 3 000 francs de dette pesant sur sa tête. Il y a là de quoi vous démoraliser, surtout - et ce n'est qu'une parenthèse - si viennent à surgir des difficultés catastrophiques comme celles de ce début d'année et que l'exploitation qui en est faite laisse entendre haut et fort que vous êtes incapable de faire face à vos responsabilités.
Pourtant, au même moment, la fermeture sans préavis des autoroutes, telles que l'A 7, qui a bloqué ou jeté sur des routes dangereuses des milliers d'automobilistes, n'a été reprochée à personne - surtout pas aux sociétés concessionnaires ! - et n'a fait l'objet que de commentaires modérés.
Un sénateur socialiste. Très bien !
M. Aubert Garcia. Mais fermons la parenthèse et revenons au projet en discussion aujourd'hui.
La dette globale de la SNCF est estimée à ce jour à 208 milliards de francs. Elle restera, allégée des 134,2 milliards de francs affectés à RFN, de 73,8 milliards de francs, et ce pour un chiffre d'affaires annuel oscillant entre 50 et 56 milliards de francs.
S'il est un critère sur lequel les économistes sont à peu près d'accord, c'est qu'une entreprise ne peut fonctionner normalement que si sa dette reste inférieure à 50 % de son chiffre d'affaires. Si elle atteint les 50 %, l'entreprise est en danger ; si elle dépasse ce chiffre, elle risque fort la faillite.
Il apparaît donc clairement qu'avec 74 milliards de francs de dette pour 56 milliards de francs de chiffre d'affaires, et bien que vienne s'ajouter l'apport de l'Etat, que je n'oublie pas, la SNCF, si l'on en reste là, risque fort d'être condamnée à l'échec.
Voilà pourquoi nous continuons à penser que ce texte ne règle aucun des deux problèmes essentiels : il ne règle pas le problème de la dette, en créant deux sociétés endettées au lieu d'une ; il n'assure pas à la SNCF les conditions du redressement de sa situation, en lui laissant un endettement qui la met pratiquement dans l'impossibilité de le réussir.
Au-delà des aspects financiers que je viens d'évoquer, je souhaiterais évoquer maintenant un certain nombre de problèmes qui ne manqueront pas d'apparaître du fait de la création de RFN. Les uns découleront des rapports entre RFN et la SNCF, et tout d'abord au niveau du découpage et du partage des infrastructures, dont il faut bien avouer qu'ils ne sont pas des modèles de simplicité ni de clarté : les rails, les quais et certains bâtiments à l'un les gares et d'autres bâtiments à l'autre. Le seul franchissement d'une porte pour passer des responsabilités de RFN à celles de la SNCF me paraît devoir induire sinon des frictions, tout au moins quelques sérieuses difficultés.
Par ailleurs, par la création de RFN, en allant au-delà de ce qui est exigé par la directive 91-440, vous prétendez vous libérer de la réglementation communautaire et vous nous assurez que l'EPIC propriétaire du réseau ferré national pourra réserver à la SNCF le monopole de l'utilisation de ses voies, et ce sans passer par l'impérative obligation de recourir à la procédure d'appel d'offres. Cette procédure, si elle nous est un jour imposée - je pense là à la menace que constitue le Livre blanc européen - ouvrira largement les portes aux opérateurs privés et donc à l'éclatement de la SNCF. L'exploitation de certaines lignes particulièrement rentables ne manquera pas, soyons-en persuadés, de les intéresser et il me surprendrait qu'ils ne fassent pas le nécessaire pour que les textes européens nous soient imposés dans toute leur rigueur.
Quid alors de l'unicité de la SNCF, à qui ne restera à exploiter que les lignes déficitaires, ce qui ne l'aidera pas à redresser sa situation ? Comme le résumait de façon drastique notre collègue Marcel Charmant : « Les lignes rentables auront des transports privés et les lignes déficitaires seront privées de transports. »
M. Jean-Luc Mélenchon. Bien dit !
M. Aubert Garcia. Quel avenir alors pour le service public et le droit au transport pour tous ? Quel devenir enfin, à plus ou moins longue échéance, pour le statut des personnels de la société nationale, dont on prétend aujourd'hui qu'il ne saurait être remis en cause ?
Persuadé que le choix qui est fait dans cette loi de la création de RFN, structure indépendante, créera plus de difficultés et de risques pour la SNCF - soixante ans après sa création en 1937, date que nous n'oublions pas ! - qu'il n'apportera de vraies solutions, le groupe socialiste votera contre ce texte ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux afin de pouvoir assister à la réception offerte par M. le président du Sénat. Nous les reprendrons à vingt et une heure trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à vingt et une heure trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi portant création de l'établissement public « Réseau ferré national ».
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Billard.
M. Claude Billard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi sur la réforme de la SNCF qui nous est soumis est d'une extrême importance tant pour la nation, à laquelle appartient l'organisation et l'exploitation du transport ferroviaire, que pour le personnel de cette grande entreprise. Il est également important tant du point de vue des enjeux, des défis auxquels il prétend répondre, que des conséquences extrêmement graves et néfastes des réponses qui sont apportées.
L'objectif de ce texte est, en apparence, d'adapter le service public du transport ferroviaire à la nouvelle donne économique à l'approche de cette fin de siècle. Cette intention est, certes, louable, mais tout dépend du sens que l'on veut donner à cette adaptation.
La SNCF, comme les autres modes de transports, connaît depuis plusieurs années une crise réelle. Depuis maintenant plus d'un an, le secteur des transports, dans son organisation et par les pressions à la déréglementation et à la concurrence résultant de l'intégration européenne qu'il subit, est au coeur des contradictions de notre société. Tour à tour, le transport aérien, la SNCF, le transport routier, ont connu d'importants conflits sociaux, qui ont révélé avec force ces contradictions et ont posé publiquement le débat.
La puissante lutte unitaire des cheminots de l'hiver 1995, le soutien qu'elle a recueilli dans le pays, portaient l'exigence du maintien et du développement de la SNCF, le refus de laisser les choses en l'état. C'est, en effet, une nécessité si l'on veut donner à la SNCF les moyens d'une nouvelle ambition.
Mais ce n'est pas dans cette voie, au vu des réponses apportées, que propose de s'engager le Gouvernement.
L'un des enseignements à tirer des luttes des cheminots et des routiers est que ce qui fondait leurs revendications était un même refus de la déréglementation voulue par la Commission de Bruxelles, à l'oeuvre dans le secteur des transports.
Ainsi, on ne peut comprendre les projets de réforme qui sont en cours dans le secteur des transports sans les mettre en relation avec la volonté inscrite dans le traité de Maastricht de privatisation et de déréglementation qui sévit dans tous les pays de l'Union européenne, qui ouvrirait les secteurs publics à la concurrence sur simple recommandation de la Commission de Bruxelles.
C'est précisément dans l'engrenage de la déréglementation et de l'ouverture à la concurrence que s'engage le projet de loi.
Vous êtes, monsieur le ministre, resté sourd à ce qui est monté du pays et du personnel de la SNCF et qui était apparu dans le conflit important de l'hiver 1995. Vous avez, certes avec habileté, saisi cette occasion pour proposer une réforme qui permette, à terme, à la déréglementation d'exercer ses ravages. Je dis « avec habileté » parce que vous prétendez, notamment, que rarement projet de loi aura fait l'objet de tant de concertations. Se concerter, consulter, écouter, n'est pas forcément entendre et prendre en compte ce qui s'est dit.
Vous consultez depuis un an, mais pour quel résultat !
Dès la fin de la grande grève de 1995, vous avez tenté de renouer le dialogue social et, sur la base du rapport Martinand, un débat sur la SNCF a eu lieu de février à mai 1996. En juin, le Parlement a été le cadre d'un débat d'orientation au cours duquel le Gouvernement a été conduit à prendre un certain nombre d'engagements concernant le reprise de la dette par l'Etat, le maintien de l'unicité de l'entreprise, des garanties à apporter sur le statut des cheminots et leur régime de retraite.
En octobre 1996, un projet de loi a été publié, dont vous avez retardé l'examen au prétexte qu'il était mal compris et demandait donc à être mieux expliqué. Et, voilà quinze jours environ, vous avez reçu les organisations syndicales pour leur présenter le même projet, assorti de quelques promesses financières. Mais, quant à l'essentiel, nous en sommes au même point ! Vous avez consulté et écouté tout en gardant l'objectif de faire passer vos choix, de faire prévaloir vos solutions initiales.
Il est révélateur, à cet égard, qu'après avoir assuré que la réforme ne se ferait pas sans et a fortiori contre les cheminots, vous vous félicitez de l'approbation de six organisations syndicales. Vous occultez simplement l'essentiel, qui ne peut pas vous avoir échappé : celles qui s'opposent à votre projet de loi sont trés largement majoritaires dans le personnel !
Une telle concertation est un trompe-l'oeil. Cela est clairement apparu lorsque l'organisation syndicale majoritaire dans l'entreprise, la CGT, vous a demandé de faire procéder à une consultation des cheminots sur la réforme proposée, non pas pour donner ou non leur feu vert, mais pour que le Parlement puisse légiférer en toute connaissance de cause.
M. Gérard Braun. La pression !
M. Claude Billard. A cette exigence démocratique, vous avez répondu par la négative.
La réforme de la SNCF qui nous est soumise prétend apporter des solutions, en particulier sur la dette. En vérité, elle aura de graves conséquences sur le mode de fonctionnement et les missions de service public du transport ferroviaire.
Certes, la situation que connaît actuellement la SNCF avec son endettement est insupportable, et personne n'envisage d'en rester au statu quo.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Très bien !
M. Claude Billard. Le mouvement de 1995, tout comme le débat d'orientation, a permis de faire reconnaître la responsabilité de l'Etat dans les décisions de grands programmes d'investissement, donc dans les causes essentielles de l'endettement, qui s'élève aujourd'hui à quelque 208 milliards de francs.
Or le Gouvernement, loin de libérer la SNCF du fardeau de la dette, en transfère 134,2 milliards de francs vers le nouvel établissement public « Réseau ferré national », qui devient propriétaire des infrastructures. Ce tour de passe-passe, ce jeu d'écritures, cette somme non inscrite au budget de l'Etat vous permet ainsi de rester dans le cadre défini par les critères de convergence du traité de Maastricht.
Dans ces conditions, et pour répondre à sa mission, le nouvel établissement public n'aura d'autres solutions que le recours à l'emprunt, la fermeture de lignes, les recettes tirées des péages qu'il facturera à la SNCF pour l'utilisation des infrastructures. En outre, les contributions actuelles de l'Etat aux charges d'infrastructures ne sont pas garanties sur plusieurs années, comme elles l'étaient auparavant par contrat.
Au total, avec ce qui nous est proposé, il n'y aurait plus une entreprise rongée par la dette et les charges financières, mais deux, toutes deux endettées et livrées aux règles des marchés financiers. C'est une véritable bombe à retardement qui est programmée !
L'Etat a une dette, il doit la payer ! Rien dans l'organisation actuelle de la SNCF ne s'y oppose. D'autres pays européens s'y sont employés : je pense en particulier à l'Allemagne, qui a effacé les 300 milliards de francs de dettes de sa compagnie nationale et qui lui accorde des prêts gratuits de quinze à quarante ans pour ses investissements.
Il n'était donc pas nécessaire de créer un établissement spécifique pour régler le problème de la dette. Il était possible, dans le cadre législatif actuel, que l'Etat, comme c'est déjà le cas, exerce la propriété des infrastructures au travers de la SNCF, ce qui permettait d'assurer cette maîtrise puisque la séparation comptable existe depuis 1992, en application de la directive européenne 91/440.
Il était possible encore de transférer tout ou partie de la dette dans le service annexe de l'amortissement qui existe au sein de l'entreprise.
Enfin, on aurait tout aussi bien organiser la sortie de la dette par la création d'un organisme financier chargé à la fois du désendettement et des infrastructures.
Le rôle de l'Etat ne pourrait naturellement pas se borner à une prise en charge de la dette alors que les organismes financiers prêteurs ont déjà empoché plus de 120 milliards de francs d'intérêt. Ces organismes prêteurs sont, pour l'essentiel, des investisseurs institutionnels auprès de qui l'Etat a la possibilité d'intervenir pour agir sur la structure de la dette. Mais cela suppose une condition politique : être résolu à s'attaquer à la domination des marchés financiers sur l'économie nationale et sur la construction européenne.
D'autre solutions existaient donc que cette séparation institutionnelle. Mais, confronté aux critères de Maastricht, vous n'avez par voulu les envisager. Quoique vous en disiez, ce projet de loi ne permet aucunement de préserver la SNCF de la déréglementation. La logique de la déréglementation y est au contraire insidieusement acceptée.
Monsieur le ministre, vous avez présenté ce projet comme étant une réponse originale et spécifiquement française à la situation de la SNCF et à sa nécessaire adaptation aux défis européens, affirmation discutable car, en Espagne par exemple, un projet de même nature a été élaboré par le gouvernement pour réformer le transport ferroviaire.
En réalité, chez nous comme en Espagne, la solution préconisée est conforme aux demandes de la Commission de Bruxelles, qui souhaite ne pas s'en tenir à la séparation comptable, mais qui veut séparer physiquement les infrastructures des activités. Un rapport de la Cour des comptes avait ainsi relevé que la privatisation des chemins de fer britanniques s'était faite à partir de la distinction physique entre les infrastructures et l'exploitation.
Vous affirmez vous opposer au Livre blanc de la Commission, mais vous mettez en place une architecture qui va dans le même sens et vous acceptez la création de corridors ferroviaires qui permettront la mise en concurrence de différents opérateurs pour le transport des marchandises. En outre, il faut considérer, dans la même logique, que si la SNCF n'était pas en mesure d'augmenter suffisamment sa participation pour rétablir l'équilibre du futur établissement public, la résistance aux pressions d'autres opérateurs pour utiliser le réseau national ne serait pas de longue durée. C'est cela qui est sous-jacent dans votre réforme.
Certes, vous prévoyez de faire amender votre texte par des dispositions garantissant notamment l'impossibilité de mettre en concurrence la SNCF avec d'autres sur l'entretien, la modernisation, la construction des infrastructures. Ce serait de bien piètres garde-fous, de peu de poids par rapport à la possibilité de leur opposer les directives européennes qui prendraient appui sur l'existence de deux entités distinctes.
Non, décidément, votre projet de réforme de la SNCF n'est pas de nature à répondre efficacement aux défis auxquels elle est confrontée. Il est lourd de dangers pour l'avenir du transport ferroviaire national.
Nous lui opposons une autre logique qui se fonde sur les besoins des usagers, de la nation, des cheminots. Cette volonté de développement du service public doit s'appuyer sur plusieurs axes.
D'abord, la qualité du service public doit permettre le droit au transport pour tous dans des conditions tarifaires identiques, ce qui suppose la sauvegarde des péréquations tarifaires et un maillage du territoire faisant du réseau ferré l'élément structurant de l'aménagement du territoire. Cela nécessite, avant tout, l'arrêt des fermetures de lignes, de gares, des suppressions d'emplois. Cela suppose également la remise à niveau du réseau pour favoriser la complémentarité des modes de transports.
Cette complémentarité est essentielle pour le fret, à des fins évidentes de sécurité, d'économies d'énergie, mais aussi de valorisation locale des activités et de volonté de résister à la déréglemenation dans ce secteur. Nous proposons, par exemple, de garder GEODIS au sein de la SNCF pour faire de cette société un pôle de multimodalité du transport des marchandises et non un lieu de guerre économique. Nous proposons encore que l'activité fret du ferroviaire soit reconnue comme un service public.
Enfin, le développement du service public du transport ferroviaire passe par de nouveaux critères et de nouvelles missions qui lui seraient assignés pour toujours mieux répondre aux soucis d'un aménagement du territoire équilibré et de résorption des inégalités sociales et géographiques.
Il s'agit, d'abord, de favoriser la création d'emplois qualifiés et la formation, la préservation de l'environnement et l'économie de ressources naturelles, la promotion de coopérations internationales s'affranchissant des règles de guerre économique sur un marché libéralisé, particulièrement en Europe.
De telles missions nécessitent à l'évidence le maintien de l'unicité de l'entreprise et du monopole public du transport ferroviaire.
Vous comprendrez, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, que, dans ces conditions, le groupe communiste républicain et citoyen s'oppose résolument à votre texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Mélenchon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, depuis déjà fort longtemps, les constats sur la situation préoccupante du chemin de fer français abondaient, sans qu'en soient vraiment tirées pour autant les conséquences !
Il semble que l'Etat comme la SNCF se soient, d'une certaine manière, accommodés de l'ambiguïté, voire de l'opacité, qui a prévalu durant des décennies sur leur responsabilité respective dans cette situation devenue grave.
Le résultat est là pour la SNCF : 200 milliards de francs d'endettement et des pertes annuelles croissantes, évaluées pour 1995 à 12 milliards de francs.
Il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui ce sont les cheminots, d'abord, et l'ensemble des Français, ensuite, usagers et contribuables, qui souffrent de ce lourd tribut.
Il a fallu un conflit social majeur dans notre pays, celui de l'automne 1995, pour que, sous la pression de l'opinion publique, les pouvoirs publics et les syndicats s'accordent à reconnaître l'impossibilité du statu quo. Cela a sans doute été le seul aspect positif de cette confrontation.
Sur l'initiative du Gouvernement, une concertation nationale s'est engagée, en France, sur l'avenir du transport ferroviaire, au sein des conseils régionaux, des conseils économiques et sociaux et des assemblées, concertation qui a permis de mettre à plat les difficultés de la SNCF et de poser enfin concrètement les enjeux dans un contexte national et européen.
Après un an de débats, la réforme de la SNCF est enfin mise sur les rails, si vous me permettez l'expression. Et rien ne semble pouvoir l'arrêter, pas même les résistances de toutes natures ni les intempéries.
Si la nécessité d'un changement profond est devenue, il est vrai, incontournable, il ne faut pas néanmoins mésestimer les inquiétudes qu'il suscite. Seules la compréhension et l'acceptation - non résignée mais volontaire - de la réforme par tous les acteurs concernés permettront de créer les conditions favorables de sa réussite. Mais est-ce suffisant, monsieur le ministre, pour justifier le caractère d'urgence que vous avez appliqué à votre projet de loi ? La précipitation n'est pas toujours bonne. Souvenons-nous, mes chers collègues, du dernier projet sur la sécurité sociale, pour lequel, dès le 20 décembre, M. le ministre faisait marche arrière ! Réfléchissons et n'allons donc pas trop vite. Il faut de la « concertation-débat » !
Sauver la SNCF passe, à l'évidence, par une forte résorption de sa dette. Mais - les orateurs précédents l'ont dit à cette même tribune - il apparaît clairement que l'Etat porte une importante part de responsabilité dans le niveau d'endettement de l'entreprise - qui n'est pas nouveau, je vous l'accorde - en ayant poussé celle-ci à des investissements nouveaux dont elle ne pouvait pas assumer le financement.
Cette situation financière dramatique n'est pas non plus sans lien avec les déficits de fonctionnement de l'entreprise et l'effritement des parts de marché. Le développement du réseau routier et l'attraction du trafic aérien sur les longues distances ont mis à mal une structure engluée par des corporatismes, des archaïsmes et des comportements irresponsables.
Sauver la SNCF suppose aussi de clarifier les relations entre l'Etat et la société nationale en identifiant leurs responsabilités et leurs charges respectives. L'Etat doit assumer pleinement ses choix en matière d'investissements nouveaux et laisser la SNCF se concentrer sur sa véritable mission de service public et son véritable métier, c'est-à-dire le transport des voyageurs et des marchandises par le rail.
La mise en place d'un nouvel établissement public, le RFN, chargé de l'aménagement, du développement et de la mise en valeur du réseau national, et reprenant, à ce titre, la partie importante de la dette de la SNCF correspondante, répond apparemment à ces exigences, mais mérite néanmoins mûres réflexions.
Il demeure néanmoins certaines incertitudes, notamment sur les termes du transfert de la dette à RFN. Comment, et surtout où et dans quel délai le nouvel établissement trouvera les moyens de rembourser la dette de 134,2 milliards de francs dont il héritera ? Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, où notre ministre du budget va trouver une telle somme compte tenu des difficultés actuelles ?
De plus, comment la SNCF pourra-t-elle disposer d'une marge de manoeuvre suffisante pour remplir sa mission en s'assurant un redressement durable avec une dette résiduelle de près de 70 milliards de francs ? Il faut nous expliquer où l'on trouvera ces sommes.
Il n'est pas apporté de réponses claires à ces questions dans votre projet de loi, monsieur le ministre.
Enfin, la question de l'avenir du transport ferroviaire doit prendre place dans une réflexion plus globale sur les transports. La définition des priorités d'investissements futurs devra tenir compte des impératifs de réduction des dépenses publiques, bien sûr, mais aussi de l'opportunité de choix rationnels entre les divers modes de transport et, surtout, des potentialités offertes par l'Europe. Celle-ci peut ouvrir au rail de nouvelles perspectives, notamment dans le transport à grande vitesse, sur les distances transeuropéennes et le transport des marchandises.
La réforme de la SNCF prévoit une expérimentation dans six régions qui se sont portées volontaires pour la réaliser. Cette initiative intéressante, fondée sur la loi du 4 janvier 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, a été amorcée après une consultation auprès de neuf régions. Six d'entre elles ont été retenues.
Il serait intéressant de connaître les raisons qui ont prévalu dans le choix du ministère ainsi que l'importance des réseaux concernés et des volumes/trafics qu'ils permettaient d'écouler au cours des dernières années.
Par ailleurs, cette expérimentation est prévue pour l'année 1997. Certaines régions candidates se sont déjà préparées à la mettre en oeuvre et c'est heureux.
Il reste qu'elle ne pourra devenir effective qu'après le vote de la loi et la parution des décrets. Je souhaite avoir des assurances sur la manière de réaliser cette transition en cours d'année ou sur le fait qu'elle sera reportée d'une année. On peut s'interroger.
Enfin, monsieur le ministre, sans remettre en cause ni l'unité du réseau ferré ni l'identité et les missions de la SNCF, j'aimerais insister sur la nécessité pour cette dernière de se préparer - je compte sur vous pour cela - à la concurrence européenne dans un grand marché unifié. Pour l'instant, on ne voit pas où l'on en est dans ce domaine.
Sous réserve, monsieur le ministre, des réponses positives que vous nous apporterez, j'en suis sûr, à toutes ces interrogations, notamment sur le point de savoir où l'on trouvera l'argent, j'apporterai mon soutien à ce projet de loi. Ce ne sera pas un soutien enthousiaste, vous vous en doutez, pas plus que celui de certains de mes collègues du RDSE ; mais il sera dicté par le souci de ne pas faire perdurer une situation dommageable pour l'entreprise, pour ses personnels et pour la qualité d'un service public dont je souhaite qu'il devienne, grâce à ce projet de loi, s'il est adopté, un service au public ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons est un texte important.
Il marque, de la part de l'Etat, un effort financier tout à fait considérable, d'autant plus considérable que nous sommes dans une période de ressources maigres et d'activité faible.
Il résulte d'un très long processus de concertation, de conciliation et d'interrogations, ainsi que du regard porté sur ce qui se passe dans les pays voisins.
Il représente, à ce titre, un moment important pour l'avenir de la SNCF.
Le fait de siéger depuis plusieurs années au sein du conseil d'administration de cette entreprise m'a valu la joie de voir quatre ou cinq présidents successifs tenter de la redresser !
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. C'est le dernier ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, la réforme que vous nous proposez constitue une bonne base de départ. Il s'agit d'un élément nécessaire au redressement de la SNCF. Mais il est clair que des conditions supplémentaires devront être remplies pour que cet essai soit transformé. C'est évidemment sur ces conditions supplémentaires que j'insisterai, après avoir toutefois approuvé la base de départ.
A ce propos, les deux rapports, que j'ai lus attentivement, montrent clairement que le « trépied » sur lequel vous vous appuyez - c'est-à-dire la distinction juridique entre exploitation et gestion des infrastructures, le début de l'expérience de régionalisation des services de voyageurs et la mise en oeuvre d'un véritable projet industriel - réunit les trois axes d'une réforme attendue, même si on peut penser que d'autres éléments auraient pu être retenus. Il faudra en effet régler un jour les problèmes de fret et mettre de l'ordre dans la concurrence interne qui existe au sein de la SNCF, notamment entre le rail et la route.
Je trouve cependant que ces trois axes sont judicieux, et le projet de loi, qui concerne, pour l'essentiel, la distinction entre l'exploitation et la gestion des infrastructures, va, me semble-t-il, quelle que soit la référence que l'on adopte, aussi loin que possible en l'état actuel des finances publiques.
Il est en effet difficile d'expliquer aux chefs de petite entreprise confrontés à des problèmes de trésorerie ou d'emprunts pour financer leurs investissements qu'une grande partie de l'effort national est consacré au redressement de la SNCF, du Crédit lyonnais et du Crédit foncier.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Tout à fait ! C'est parfaitement exact !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il conviendrait tout de même, dans ce pays, de relativiser un peu les choses et d'essayer de répartir l'ensemble des ressources publiques sur tous les secteurs de l'économie, au lieu de les concentrer sur certains secteurs caractérisés par des structures anciennes et, dans un certain nombre de cas, par des statuts protégés.
L'effort de l'Etat est donc considérable. Je sais, monsieur le ministre, que vous avez promis au rapporteur de la commission saisie au fond de l'intensifier encore un peu plus, ce qui me donne un léger regret, car il me semble qu'il aurait été plus pédagogique, vis-à-vis de l'ensemble de ceux qui s'intéressent à ce sujet, de faire en sorte que, dès 1997, le compte de l'exploitant soit équilibré. Nous y sommes presque,...
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Il le sera en 1999 !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... puisqu'il doit faire apparaître en 1997 un petit déficit. Mais il eût été préférable d'atteindre l'équilibre dès cette année, car cela aurait constitué un instrument de mesure de l'efficacité de la réforme beaucoup plus présentable pour l'ensemble des partenaires sociaux et aurait permis de bien voir quel était l'objet essentiel de celle-ci.
Cela dit, l'effort que vous engagez est tout à fait important, monsieur le ministre.
On me dit que le compte du transporteur sera équilibré en 1999 au plus tard...
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. J'en accepte l'augure.
Je n'avais pas voté le budget pour 1996, parce que les hypothèses économiques sur lesquelles il reposait ne me paraissaient pas fondées et parce que le déficit des comptes du transporteur me semblait beaucoup trop important : les économies proposées pour tenter de réduire celui-ci n'étaient pas, à mon avis, suffisantes. J'espère que je pourrai voter le budget de 1997, si du moins je suis toujours membre du conseil d'administration de la SNCF.
J'en viens maintenant aux conditions supplémentaires, lesquelles concernent aussi bien l'entreprise que l'Etat.
Pour ce qui concerne l'entreprise, le projet industriel actuellement en préparation va, me semble-t-il, dans le bon sens, et quelques débats sur ses grandes lignes ont déjà eu lieu au sein du conseil d'administration. Il tend à mobiliser l'entreprise au service de ses clients, chargeurs ou voyageurs, à mieux distinguer ce qui est important de ce qui l'est moins dans l'exploitation et à faire évoluer un certain nombre de structures qui sont, à l'heure actuelle, tout à fait surannées.
Par rapport à ce projet, trois conditions supplémentaires s'imposent.
Premièrement, il faut qu'enfin une véritable comptabilité analytique soit mise en place à tous les échelons de l'entreprise (M. le ministre acquiesce.), car, pour apprécier les efforts de productivité, il faut pouvoir les mesurer, dans une entreprise qui est plus habituée à contrôler la régularité des trains que l'amélioration de sa productivité.
Il faut donc changer de culture et mettre en place une véritable comptabilité analytique, qui ne soit pas une simple addition ! En effet, à l'heure actuelle, il n'y a pas d'instrument de passage de la comptabilité générale à la comptabilité analytique. Or le fait, pour une entreprise dont le chiffre d'affaires est supérieur à 50 milliards de francs et la masse salariale égale à cette même somme, de ne pouvoir passer de l'une à l'autre me paraît regrettable. Il est alors inutile de parler d'amélioration de la productivité, puisque l'on n'est pas capable de la mesurer !
Deuxièmement - et les événements de l'hiver l'ont montré - il est clair que, dans l'optique du projet industriel, il faut raccourcir les lignes hiérarchiques. La distance qui sépare le président du contrôleur, lequel est assailli par les clients et ne sait que leur répondre, parce que les mécanismes d'information sont insuffisants, est trop grande, et la complexité de la structure est telle, entre les directions fonctionnelles et les directions régionales, que, à l'heure actuelle, en cas de dysfonctionnements, personne ne sait exactement ce qu'il faut faire en temps utile, ce qui laisse au client une impression désastreuse.
Cela vient à mon avis d'une trop grande richesse de la structure hiérarchique, qui comprend un trop grand nombre de niveaux. Là encore, comme dans beaucoup d'entreprises, il faut simplifier l'organigramme et donner à ceux qui sont au contact des clients, chargeurs ou voyageurs, des responsabilités qu'ils n'ont pas à l'heure actuelle,...
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... tant ils sont tenus d'en référer à une hiérarchie qui elle-même doit rendre des comptes... et ainsi de suite. Il en est ici comme dans un ministère - vous savez de quoi je parle, monsieur le ministre ! (Sourires.) - au sein duquel la lutte entre les différentes directions est plus importante que la mobilisation pour atteindre l'objectif commun.
La SNCF me paraît souffrir de ce défaut jusqu'à la caricature, et il faut donc décloisonner et simplifier, pour en arriver à des structures explicables.
M. Gérard Braun. C'est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade. Enfin, troisièmement - et c'est le point le plus délicat ; mais la concertation à laquelle vous avez procédé devrait constituer, à cet égard, une bonne préparation - le préavis de grève déposé chaque matin...
Mme Michelle Demessine. Ah !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... - et quand je dis « le »...
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. C'est « les » qu'il faudrait dire !
M. Jean-Pierre Fourcade. Oui : il y en avait quarante-sept, l'autre jour !
Le préavis de grève, disais-je, ne doit pas devenir la forme habituelle du dialogue social dans l'entreprise...
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... - il est en général suivi de peu d'effet, mais il entraîne parfois des conséquences importantes, et personne ne peut savoir au moment de son dépôt s'il entravera l'exploitation - et pour cela il faut que les organisations d'un côté, la direction et ses services de l'autre,...
M. Bernard Piras. Surtout la direction !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... consentent un effort partagé pour que les conflits soient traités en amont.
Je voudrais essayer de dépassionner ce débat.
J'ai entendu évoquer tout à l'heure, à plusieurs reprises, la notion de service public. Cela recouvre d'abord le service du public et la continuité de celui-ci. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Tant que ce souci ne sera pas entré dans la culture de l'entreprise, on aura beau additionner les dations ou les remises de dette, il ne se passera pas grand-chose !
Mme Hélène Luc. Il faut la qualité et la concertation !
M. Jean-Pierre Fourcade. La qualité, madame Luc, c'est la continuité du service. Sinon, il n'y a plus de service public !
M. Félix Leyzour. Et le dialogue social ?
M. Jean-Pierre Fourcade. J'ai dit que le dialogue social était nécessaire, avec un effort partagé de la direction...
Mme Michelle Demessine. Puisse-t-elle vous entendre !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... et des organisations syndicales.
J'ai entendu tout à l'heure M. Billard dire qu'il aurait fallu organiser un référendum dans l'entreprise avant de soumettre le texte au Parlement. Permettez-moi de penser que c'est là une conception tout à fait particulière de la démocratie, dans laquelle on demande l'avis des organisations syndicales avant de s'en remettre à la représentation nationale !
Ce n'est pas notre conception de la démocratie ! (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Hélène Luc. Ça, c'est clair !
M. Jean-Luc Mélenchon. Du côté du patronat, il y a moins de personnes à consulter !
M. Jean-Pierre Fourcade. J'écouterai tout à l'heure, monsieur Mélenchon, ce que vous direz sur ce sujet important !
S'agissant du rôle de l'Etat, je crois que l'une des faiblesses du texte qui nous est présenté - faiblesse que nos deux rapporteurs ont d'ailleurs relevée, avec le sérieux que nous leur connaissons - tient à ce qu'il faut abandonner le pilotage budgétaire à l'année d'un organisme aussi lourd pour établir a minima une prévision budgétaire à trois ou quatre ans.
Il est très difficile de mettre en place un organisme nouveau en s'appuyant sur les audits pour savoir quelle est la consistance des biens, avec une connaissance imprécise des recettes et des dépenses - mais on sait que ces dernières seront importantes - sans avoir un éclairage à plus long terme. Il faut donc désormais que, dans sa gestion du secteur public, l'Etat établisse une double projection : une projection budgétaire annuelle, bien sûr, puisque c'est la règle de l'annualité budgétaire, et chaque année le budget doit être discuté et voté par le Parlement, et une projection pluriannuelle glissante sur quatre ou cinq ans, permettant de situer la première et d'y voir ainsi plus clair.
C'est un élément qui, à mon avis, pourrait rassurer l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse du personnel ou de la direction. Je ne crois pas que l'on puisse continuer à diriger une grande entreprise au moyen d'une technique budgétaire annuelle. Tous les grands organismes dans le monde sont maintenant gérés dans une optique pluriannuelle.
Il vous appartient donc, monsieur le ministre, puisque vous êtes un novateur, de mettre en place un système pluriannuel permettant de baliser l'avenir et de donner un certain nombre de directives claires à l'ensemble des opérateurs.
Par ailleurs, nous raisonnons encore, en matière de politique tarifaire, comme si les retombées sur l'indice des prix à la consommation des modifications tarifaires constituaient le point essentiel. Nous avons tous bien connu ce réflexe à l'époque où l'inflation était forte. Nous en sommes sortis, et il faut que l'administration française en prenne conscience et s'aperçoive que l'on n'est plus obligé d'augmenter les tarifs de la RATP au mois d'août pour des raisons techniques liées au calcul de l'indice des prix. Il faut que l'exploitant, qui sera désormais maître de la conduite de l'entreprise, soit aussi maître de sa politique tarifaire et qu'on en finisse avec des gadgets qui se cumulent, telle la carte Kiwi...
M. Bernard Piras. Vous auriez dû être directeur de la SNCF !
M. Jean-Pierre Fourcade. J'ai une certaine expérience de ces choses, monsieur Piras !
M. Bernard Piras. Je le constate !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il faut que la politique tarifaire soit beaucoup plus souple et qu'elle permette au chemin de fer de faire face à la concurrence de l'avion et de la route.
Il vaudrait mieux adopter une perspective tarifaire sur plusieurs années, avec un contrôle, à la fin de chaque exercice, de l'incidence des décisions prises, plutôt que de s'enfermer dans des grilles et dans des discussions infinies pour savoir si l'on majore de 0,5 franc ou de 0,75 franc le prix du kilomètre/passager ou le prix du kilomètre de la tonne chargée.
C'est une révolution culturelle,...
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Effectivement !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... mais elle s'impose à l'Etat du fait de la mutation de notre société et de l'évolution du cadre dans lequel nous vivons. C'est l'autre condition qui permettra, en ce qui concerne l'Etat, d'améliorer le processus de réforme.
Enfin, dernière condition - c'est la plus difficile à remplir, monsieur le ministre, et en étudiant ce qui s'est passé depuis une quinzaine d'années en matière d'investissements, vous constaterez qu'elle est fondamentale - le mécanisme de la décision d'investissement doit être complétement revu. S'il est normal et souhaitable que l'exploitant ait la maîtrise absolue de son effort d'investissement en matière de maintenance, aussi bien pour les infrastructures que pour le matériel, il dépend du trafic, du volume, de l'ancienneté des matériels, des achats, etc. - et si l'effort consenti par l'entreprise doit être le plus important possible, parce que c'est la garantie de la sécurité et du bon fonctionnement, des équipements, il faut aussi que la décision d'investissement pour les extensions de capacité fasse l'objet d'une procédure moins compliquée que celle qui est en vigueur actuellement.
En effet, la procédure actuelle est complexe et inefficace.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Totalement !
M. Jean-Pierre Fourcade. Par conséquent, je suggère trois mesures.
La première, c'est la suppression du FDES, qui ne sert à rien. Les deux entreprises de transport qui sont au FDES ont fait les pires bêtises depuis dix ans, et le FDES a toujours dit oui. Bien sûr, on y fait siéger un certain nombre de personnes, en général des retraités, qui sont très contentes de s'occuper de ces dossiers qui ne contrôlent pas l'investissement ! ( Exclamations sur les travées socialistes.)
Par ailleurs, les propositions d'investissement que l'on présente à la décision politique sont, hélas ! insuffisamment étudiées et ne comportent pas suffisamment de marge d'imprévu.
Il serait donc utile - c'est la deuxième mesure que je propose - d'instaurer au sein de la direction des transports de votre ministère une petite cellule, composée de quelques personnes de qualité, chargée de recenser les projets, de les chiffrer, de faire des études contradictoires de manière à vérifier le bien-fondé de telle ou telle proposition d'investissement - qui correspond toujours à la vieille théorie selon laquelle lorsqu'on a décidé de faire une première tranche, on est bien obligé de continuer, quelle que soit la dérive des coûts.
Dans la compétition internationale, une entreprise ne peut pas ne pas se préoccuper des coûts de ses investissements.
Il faut aussi - c'est ma troisième proposition - de modifier le mécanisme de décision pour les investissements visant à augmenter les capacités. Il s'agit d'un élément fondamental de la réussite de l'opération. Cela doit s'imposer aussi bien à l'établissement public d'infrastructure qu'à la société d'exploitation elle-même.
Monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, je voterai ce projet de loi, car il me paraît nécessaire.
Je souhaite que vous acceptiez d'examiner les quelques propositions complémentaires que je formule et qui constituent, selon moi, la clé du succès de l'opération.
Je comprends que certains s'opposent à ce genre de modification. Il est tellement plus facile d'être subventionnné par le contribuable, sans rien changer !
M. Jean-Luc Mélenchon. Oh !
M. Jean-Pierre Fourcade. Cependant, il faut tout de même que cela finisse, car nous ne pouvons continuer à faire porter le poids de cette situation par la partie de notre pays qui est directement exposée à la compétition internationale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.) Sinon, c'est le chômage qui sert de variable d'ajustement !
Il faut donc soutenir ce projet de loi.
M. Bernard Piras. Démagogie !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il n'y a pas, d'un côté, le personnel de la SNCF et, de l'autre, l'Etat. Il y a aussi les clients, chargeurs et voyageurs,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Les usagers et la nation !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... et c'est à eux qu'il faut penser !
M. Jean-Luc Mélenchon. Et les usagers ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Je dis « les clients » et vous, vous dites : « les usagers ». C'est notre différence de culture.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est clair ! Merci de le reconnaître !
M. Jean-Pierre Fourcade. Vous n'êtes pas sortis du système d'avant le mur de Berlin ! Voilà notre différence ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste. - Exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Qu'est-ce que le mur de Berlin vient faire avec la SNCF ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Eh bien, c'est « aux clients » qu'il faut penser en adoptant ce texte ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Le Grand.
M. Jean-François Le Grand. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je vais raccourcir un peu mon intervention puisque, tout à l'heure, notre excellent collègue Jean-Jacques Robert a, pour l'essentiel, abordé les sujets importants ; je m'associe bien sûr totalement aux propos qu'il a tenus.
Je voudrais tout de même revenir sur un point, qu'il a d'ailleurs traité en préambule de son propos, à savoir l'hommage qu'il faut rendre au Gouvernement d'avoir eu le courage d'engager une telle réforme. Monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, vous avez en effet osé présenter la première grande réforme de l'entreprise publique depuis sa création en 1937.
M. Aubert Garcia. Léon Blum !
M. Jean-François Le Grand. Cette réforme a fait l'objet d'un grand débat national. Elle est le fruit d'une large concertation avec tous les acteurs concernés par la pérennité et le développement de notre transport ferroviaire. Soyez-en félicités.
Permettez-moi de prolonger l'hommage en direction de nos deux rapporteurs.
Il convient de féliciter tout d'abord M. François Gerbaud, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan, saisie au fond, pour la pertinence de sa réflexion, la clarté de ses avis et l'esprit d'ouverture qui l'a animé tout au long de ce travail. J'ai, pour ma part, souvent l'occasion de constater cet esprit d'ouverture. En effet, en présidant le conseil supérieur de l'aviation marchande, j'ai la chance de bénéficier de ces qualités, à propos notamment - je me tourne vers vous, madame le secrétaire d'Etat - de l'éventuelle proposition relative à une modification du conseil supérieur de l'aviation marchande : M. Gerbaud est l'un des initiateurs de cette proposition.
Il convient également de rendre hommage à M. Hubert Haenel. Dès 1992, il a attiré l'attention - à l'époque, il a été le seul à le faire - sur les sombres perspectives qui se profilaient à l'horizon pour la SNCF. En 1993, il a présidé excellemment la commission d'enquête diligentée par le Sénat. Cette commission d'enquête préconisé un certain nombre de mesures et on retrouve trois d'entre elles dans les objectifs que cherche à atteindre le présent projet de loi. C'est le meilleur hommage que l'on pouvait rendre au travail de M. Haenel. Qu'il soit, lui aussi, remercié d'avoir fait honneur au Sénat en étant à l'origine d'une réflexion de cette nature et de cette qualité.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Jean-François Le Grand. La loi vise trois objectifs.
Le premier, c'est la clarification des responsabilités de l'Etat et de la SNCF dans la gestion des infrastructures, la SNCF, unique exploitant ferroviaire, devant ainsi se recentrer exclusivement sur son savoir-faire, c'est-à-dire son rôle de transporteur public.
A cet égard, certains orateurs qui m'ont précédé sont intervenus sur les quelque 400 filiales qui constituent le groupe SNCF. Il est effectivement souhaitable que des précisions soient apportées sur l'avenir de ces filiales et, peut-être, la nécessité de les réorganiser.
Le deuxième objectif est le désendettement de la SNCF.
Je tiens à saluer ici le geste du Gouvernement qui, en désendettant l'entreprise publique pour un montant de 134,2 milliards de francs, d'une part lui donne une chance inespérée d'amorcer réellement sa reconquête commerciale...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Inespérée ?
M. Jean-François Le Grand. Inespérée, parfaitement !
D'autre part, ce geste du Gouvernement affirme la volonté de celui-ci de voir le renouveau de notre transport ferroviaire dans le cadre d'une véritable politique nationale des transports.
M. Jean-Luc Mélenchon. On l'attend toujours !
M. Jean-François Le Grand. Le troisième objectif vise à préciser les conditions de l'expérimentation de la régionalisation prévues dans le cadre de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, ce qui constitue par ailleurs un des points fondamentaux de cette réforme.
Au-delà de ces trois objectifs les plus explicites, le présent projet de loi a aussi le mérite de rendre spécialement plus transparente et plus efficace, à travers des décisions d'investissements et des choix décidés pour la tarification d'infrastructures, la politique conduite par l'Etat dans le domaine du transport ferroviaire.
Avant la réforme, les décisions ne relevaient qu'indirectement de l'Etat, par le biais de la procédure des contrats de plan, et se noyaient largement dans l'ensemble des activités de la SNCF.
Désormais, à travers le budget d'investissements de Réseau ferré national, on pourra clairement apprécier l'effort consenti en faveur du réseau ferroviaire et le comparer avec celui produit pour les autres réseaux d'infrastructure de transports. Quant au système de tarification, l'évolution de sa structure et des prix pratiqués permettront d'identifier sans ambiguïté les priorités engagées par l'Etat.
A plusieurs reprises, notamment lors des avis budgétaires émis sur le budget annexe de l'aviation civile ou du transport aérien, j'ai eu l'occasion d'évoquer, voire d'invoquer, la nécessaire organisation de la multimodalité du transport.
Grâce aux deux instruments ainsi créés, Réseau ferré national et le système de tarification, la volonté de mettre en place une véritable politique intermodale de transports cessera d'être seulement incantatoire. En réservant à chaque mode un rôle efficace, en les rendant concurrents et complémentaires, l'Etat atteint deux buts.
Le premier, c'est la maîtrise des facteurs de développement de chacun, le deuxième, c'est une meilleure gestion des économies d'énergie, une diminution des risques et des nuisances encourus par nos concitoyens, donc un meilleur écobilan de la société.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce n'est pas pour demain !
M. Jean-François Le Grand. Je reste d'ailleurs persuadé, conformément à la démonstration pertinente faite par la commission « réseaux et territoires » de la DATAR, que, pour assurer la cohérence des choix en matière d'infrastructures, il faut coordonner la mise en oeuvre des principaux instruments de la politique des transports - la réglementation, la tarification, le choix des investissements, le mode de financement - à un niveau global et dans un concept d'intermodalité, et ce au-delà du cloisonnement actuel des structures administratives et des circuits sectoriels de financement.
Est-il nécessaire de rappeler que l'extension des réseaux ne peut trouver sa pleine efficacité que dans une étroite synergie entre les projets spécifiques de développement économique et social des territoires, d'une part, et le développement du mode de transport le plus pertinent et le mieux adapté aux besoins, d'autre part ?
Je l'ai dit, mais j'y reviens néanmoins en quelques mots : une véritable politique des transports ne peut être que globale et intermodale.
Certaines projections en matière d'intermodalité de trafics interurbains conduisent, dans des hypothèses vraisemblables d'évolution de la croissance économique, de la tarification et de l'offre de transport, à une croissance globale des trafics.
Pour les voyageurs, cette croissance serait de l'ordre de 2,4 à 3,2 % par an, légèrement supérieure à celle du PIB - 1,9 % à 2,9 % par an - mais inférieure à celle des vingt dernières années - qui était de 4 % par an - du fait d'une certaine saturation de la demande routière et aérienne.
En ce qui concerne les marchandises, la croissance prévisible est de 2,1 % par an, dans la continuité des tendances passées, principalement tirée par le trafic international.
Si on extrapole les tendances actuelles, les parts de marché de la route continueraient donc à augmenter. La répartition entre les modes de transport risque, par conséquent, d'être très sensible aux politiques tarifaires, aux décisions d'investissements prises par les pouvoirs publics et aux politiques commerciales menées par les opérateurs. S'agissant des marchandises, la part de marché de la route varierait de 78 % à un peu plus de 85 %, selon les hypothèses ; elle n'était que de 75 % en 1992.
En ce qui concerne les politiques commerciales menées par les opérateurs, permettez-moi, sans aucune flagornerie, de saluer ici l'effort de redressement de la situation entrepris par le président Gallois et par son équipe, de même que par ceux qui travaillent dans l'entreprise.
On ne parle plus d'usagers, monsieur Mélenchon, on parle de clients ! C'est un changement profond d'attitude et de culture.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ça c'est clair !
M. Jean-François Le Grand. C'est clair et nécessaire !
En très peu de temps, l'image de la SNCF s'est améliorée. Même si le comportement de cette société suscite encore des incertitudes et des hésitations, son image globale commence à s'améliorer et chacun à l'extérieur sent que quelque chose bouge et commence à évoluer.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. Jean-François Le Grand. Que les auteurs soient donc félicités, mais plus encore encouragés à prolonger l'effort ; la réussite sera aussi à ce prix.
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Jean-François Le Grand. Dans ce contexte, l'Etat pourra, dans les mois à venir, faire apparaître les signes concrets de son engagement en faveur d'un rééquilibrage rail-route, en particulier dans le transport des marchandises. La SNCF est d'ores et déjà en concurrence dans ce contexte multimodal.
Ainsi, on peut attendre du dispositif proposé aujourd'hui, d'une part, qu'il se traduise par une réallocation des ressources en direction des infrastructures ferroviaires et, d'autre part, qu'il permette, à travers la tarification d'infrastructures, à la fois la prise en compte de la situation financière de la SNCF et la nécessité d'une harmonisation des conditions de concurrence entre les différents modes de transport ; ce que disait tout à l'heure M. Fourcade sur la nécessité d'une visibilité à moyen terme en matière de financement s'inscrit tout à fait dans ce concept.
La réallocation des ressources en direction des infrastructures ferroviaires et la prise en compte systématique des alternatives lorsque sont programmés les investissements en infrastructures du transport public doivent désormais marquer la politique de l'Etat.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Ah oui !
M. Jean-François Le Grand. En effet, dans ce cadre, une attention toute particulière devra être portée au réseau classique. Le programme prioritaire du projet industriel de la SNCF, qui attend de Réseau ferré national une remise à niveau du réseau classique, est à cet égard fondamental.
Bâtir un réseau est une chose, faire en sorte qu'il soit utilisé de façon optimale en est une autre, tout aussi essentielle. En la matière, il n'est pas nécessaire d'être agrégé d'économie pour comprendre que le prix auquel la SNCF pourra accéder à ce réseau constituera un élément déterminant pour le développement du transport ferroviaire. Un niveau de redevance d'infrastructures trop élevé ne pourrait qu'étrangler financièrement la SNCF et l'inciter soit à réduire ses orientations, soit à augmenter ses prix, ce qui, dans la durée, aurait le même impact négatif sur les trafics.
M. François Gerbaud, rapporteur. Très bien !
M. Jean-François Le Grand. Je me réjouis de voir que vous avez tenu compte de cette contrainte globale, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, puisque, conformément à votre engagement de ne pas reprendre d'une main ce que vous donnez de l'autre, vous prévoyez, dans un avant-projet de décret, de bloquer, en 1997 et en 1998, le niveau des redevances perçues sur la base des 6 milliards de francs. Vous tenez ainsi compte de la situation financière d'une SNCF encore fragile, chargée des 70 milliards de francs de dettes du transporteur, et qui doit s'attaquer sérieusement à son redressement dans le cadre de son projet industriel.
Au sein de cette enveloppe globale, la répartition de ce coût d'accès au réseau entre les différents trafics et composantes du réseau aura un impact immédiat sur la compétitivité du réseau ferré par rapport au réseau routier.
M. François Gerbaud, rapporteur. Il a raison !
M. Jean-François Le Grand. Vous l'avez bien compris puisque vous mettez en place, dans ce même avant-projet de décret, un mécanisme qui, au travers de multiples modulations, permet d'exprimer de réels choix de politique des transports.
Ainsi vous sera-t-il possible, afin de promouvoir le transport combiné, par exemple d'alléger très sensiblement son coût d'accès aux infrastructures, voire de l'annuler.
De même, afin de rétablir un certain équilibre avec le transport routier de marchandises, pourrez-vous envisager de différencier très nettement les redevances au titre, d'une part, des voyageurs et, d'autre part, du fret, en abaissant sensiblement les secondes pour les rendre beaucoup plus compétitives.
M. François Gerbaud, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-François Le Grand. Enfin, dans un souci d'aménagement et de développement du territoire - sachez que c'est une préoccupation constante de la commission des affaires économiques et du Plan -, et d'équité avec la situation constatée pour le réseau routier, vous aurez la possibilité de limiter les redevances perçues sur les réseaux qui sont les moins fréquentés mais qui permettent le maillage de notre territoire, tout en relevant celles qui sont perçues sur les itinéraires les plus chargés.
La tarification d'infrastructures sera ainsi le révélateur de la politique du développement du transport ferroviaire que vous entendez conduire. Elle permettra d'apprécier clairement, au travers des niveaux choisis, la volonté réelle de parvenir à un rééquilibrage des conditions de concurrence entre les différents modes de transport.
En conclusion, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, je tiens de nouveau à vous féliciter d'avoir agi en responsables, d'avoir engagé sur un an une concertation large et ouverte, vous rendant, l'un comme l'autre, le plus disponibles possible, d'avoir recherché sans arrêt et à chaque instant le consensus et de l'avoir quasiment obtenu. (Protestations sur les travées socialistes.) Vous avez en tout cas obtenu l'accord d'une partie de ceux que vous avez contactés.
M. Jean-Luc Mélenchon. Bonjour le consensus !
M. Jean-François Le Grand. Cependant, il faudra tout faire pour éviter que, une fois la loi votée, la SNCF ne se laisse gagner par le syndrome de la citadelle imprenable qui s'était emparé de la compagnie Air France dans les années quatre-vingt, période pendant laquelle, alors que l'on se livrait aux délices de la nationalisation, les grandes compagnies aériennes étrangères, quant à elles, s'organisaient pour conquérir les marchés !
M. François Gerbaud, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-François Le Grand. Je pourrais aussi évoquer - mais M. de Rohan serait mieux à même que moi de le faire - le transport maritime, dont on connaît aujourd'hui la situation et qui a évolué sur un même mode.
Rien ne peut plus être définitivement gravé dans le marbre, comme autrefois.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. Jean-François Le Grand. L'homme veut se déplacer de plus en plus vite, de plus en plus loin,...
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. De plus en plus souvent !
M. Jean-François Le Grand. ... avec la meilleure qualité de service et en payant de moins en moins cher.
L'immatériel est transporté en quelques fractions de secondes d'un bout à l'autre du monde. Les produits matériels tendent eux aussi vers cette plus grande mobilité. Qu'on le veuille ou non, et quelle que soit la philosophie, politique ou d'une autre nature, que l'on peut développer, sachons bien que l'offre des transporteurs doit se plier à cette exigence.
Ne seront encore transporteurs, dans l'avenir, que ceux qui auront su être, rester ou devenir performants au sein d'un même mode de transport, mais plus encore dans un contexte multimodal.
MM. François Gerbaud, rapporteur, et Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Jean-François Le Grand. Dans cet esprit, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, le groupe du RPR votera votre texte.
Sans doute entendrez-vous, ici ou là, des interventions et quelques discours incantatoires qui mêleront l'utopie et la démagogie...
M. Jean-Luc Mélenchon. Oh ! La vôtre, par exemple !
Mme Hélène Luc. Prenez vos responsabilités !
M. Jean-François Le Grand. ... et conjugueront le non-pragmatisme au discours politicien. (Protestations sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Sachez que, en ce qui nous concerne, nous résisterons à cette vue manichéenne des choses. Vous avez mis le train sur la bonne voie ; nous vous accompagnerons jusqu'à la gare ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc. Pourquoi donnez-vous des leçons à tout le monde, monsieur Le Grand ? Pourquoi jugez-vous les interventions avant qu'elles aient lieu ?
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Josselin de Rohan. Ah ! Voilà l'imprécateur en chef !
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, il faudrait que le groupe socialiste soit bien naïf pour croire un seul instant aux déclarations d'intention qui président au projet de réforme qui nous est présenté !
Au demeurant, la musique et les paroles nous sont connues : nous les avons déjà entendues à propos de la sécurité sociale, que vous avez sauvée, comme chacun sait, en la laissant à moitié morte sur le bord de la route, à propos de France Télécom et de toute la série de privatisations qui sont sur votre tableau de nuisances, ou votre tableau de chasse ! Par conséquent, vous ne serez pas étonnés d'apprendre que nous ne croyons ni à votre réforme ni à vos intentions.
Je juge d'ailleurs que nous sommes moins en présence d'un texte que d'un prétexte : c'est non pas un grand dessein en matière de politique du transport, mais un trompe-l'oeil qui nous est proposé. Ce que nous devons étudier traduit moins la mise en oeuvre d'une pensée loyalement exposée, quoique les divers orateurs des groupes de la droite de cette assemblée s'y emploient dans la discussion générale, qu'une arrière-pensée non dite.
Votre projet, si on le prend pour ce qu'il affirme être, n'est en effet ni cohérent, ni sérieux, ni crédible. Si on vous croyait sur parole, c'est-à-dire sur texte, on constaterait que vous êtes non pas le Zorro volant au secours de la pauvre dame SNCF pourchassée par son déficit, mais bien plutôt ce capitaine des Shaddoks qui croit bien faire en faisant compliqué quand on peut faire simple !
MM. Josselin de Rohan et Jean-François Le Grand. Oh là là !
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais votre projet redevient cohérent, sérieux, crédible et même plein d'un certain génie tactique si on lit tout haut ce qui est dit tout bas dans le sous-titrage crypté de la version originale.
J'affirme que la dette, en dépit de son poids incontestable et du handicap qu'elle représente pour la société nationale dont nous traitons, est une fois de plus un alibi : vous voulez privatiser le service public du transport ferroviaire. Ne pouvant le faire d'un seul coup, car il vous faudrait « avaler » en même temps tous les cheminots et une bonne partie de l'opinion républicaine, vous vous en donnez les moyens en organisant un dispositif qui y conduit tout droit, à petits pas.
Avec la création de deux sociétés là où il n'y en avait qu'une, avec le système de relations que vous organisez entre elles, vous réunissez les éléments qui produiront de la logique privée, du marché privé, du statut privé, de l'objectif privé, à la gloire du client...
M. Bernard Piras. C'est vrai !
M. Josselin de Rohan. Et vous, du contribuable !
M. Jean-Pierre Fourcade. Pas à la gloire, mais au service !
M. Jacques Machet. Tout à fait !
M. Jean-Luc Mélenchon. ...dont vous monopolisez les choix, dans tous les compartiments de l'activité de ces sociétés, tous les jours, en tous lieux et en tous temps.
Au demeurant, la politique de filialisation mise en oeuvre au cours de ces dernières années a amplement confirmé la méthode. C'est cette mécanique dont il faut saisir pleinement la dynamique pour comprendre l'avenir que vous préparez au service public du transport ferroviaire.
Rien ne vous obligeait à séparer en deux établissements publics distincts l'activité du transport ferroviaire. On vous l'a d'ailleurs déjà dit. La directive européenne fulminée par les eurocrates contre le service public du transport ferroviaire ne l'exige pas. Nous avons tous la même lecture de cette directive, et nous avons tous noté, monsieur le ministre, votre déclaration hostile à l'idée d'aller plus loin, jusqu'à la séparation, lorsque les eurocrates l'ont suggérée. Et pourtant, vous le faites ! Pourquoi ?
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. C'est vous qui avez accepté la directive 91/440 !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est, selon moi, parce que toute la dynamique vers la privatisation repose sur ce que vont être les relations de ces deux sociétés et les logiques qu'elles devront nécessairement faire leurs, compte tenu des conditions dans lesquelles vous les créez.
RFN reçoit la charge de 9 milliards de francs de frais financiers par an. Il est convenu qu'il ne demandera pas plus de 6 milliards de francs de droits de péage à la SNCF pour son exploitation des lignes, en tout cas pendant les deux prochaines années. D'où viendra la différence ? Notez bien que je ne traite pas à cet instant des investissements à venir, auxquels pourraient et devront être affectées les dotations de l'Etat. Il faudra bien qu'il en soit ainsi, compte tenu des carences et des vétustés déjà constatables aujourd'hui, tant pour les équipements que pour les ouvrages d'art. Je ne fais là que citer les rapports des experts. Comment, d'ailleurs, ferais-je pour le savoir, autrement ?
Par conséquent, où sont, pour RFN, ainsi lesté, les ressources supplémentaires accessibles ?
Les réponses sont évidentes et se situent dans la logique des projets que nous avons déjà examinés chaque fois qu'il a été question du changement de statut du service public : d'une part, l'ouverture des lignes à de nouveaux exploitants s'acquittant donc de péages supplémentaires ; d'autre part, la réduction des coûts liés à la conception, à la réalisation et à l'entretien des équipements.
Vous prétendez que la SNCF sera le prestataire de services exclusif dans ces matières. L'esprit, si l'on vous suivait, se perdrait alors à s'efforcer de deviner quel pourrait bien être l'intérêt de l'existence de deux sociétés, s'il s'agit de reproduire le jeu à somme nulle qui prévaut, avant votre réforme, dans une entreprise aux comptes intégrés.
C'est donc que la vérité, ici, une fois de plus, est dissimulée. Le code des marchés publics oblige RFN à procéder à des appels d'offres. Toutes les entreprises privées y auront donc accès, et la règle du moins-disant s'appliquera.
M. Bernard Piras. C'est évident !
M. Jean-Luc Mélenchon. Si elle venait à ne pas s'appliquer, vous la réclameriez bien vite !
Faut-il dire quel est le paramètre central qui permet d'être le « moins-disant » lorsque l'on est confronté au marché, aux offres du « mieux-faisant » et du plus expérimenté dans ce domaine qu'est, de l'avis général, la SNCF elle-même ? C'est évidemment le coût salarial ! Par conséquent, du point de vue de l'économie globale, c'est bien par une plus grande diffusion de la précarité, de la flexibilité et des bas salaires que se paiera l'abaissement des coûts d'équipement à la charge de RFN. Nous en avons déjà des exemples que je vais évoquer dans un instant.
La logique comptable montre une nouvelle fois ce qu'elle est : un point de vue étroit qui « externalise » tous les coûts sociaux de la vie en société que suppose la production.
De son côté, l'exploitant, c'est-à-dire la SNCF maintenue, est, lui aussi, enfermé dans cette logique. Vous lui laissez plus de 70 milliards de francs de dettes ; tous les experts consultés s'accordent pour dire que cette charge ne lui permet pas d'avoir la tête hors de l'eau et de repartir d'un pied ferme.
Ce n'est pas distraction ou oubli ! A mon avis, il y a une raison : c'est là le moyen de maintenir la pression maximale qui oblige l'exploitant à la fuite en avant dans la course à la rentabilité telle que vous la concevez.
L'intérêt comptable de la SNCF est, dès lors, de se concentrer sur les lignes rentables. On sait où elles sont et, surtout, où elles ne sont pas ! Deux chiffres résument cette situation : 1,3 milliard de francs de déficit pour les lignes régionales, 700 millions de francs de bénéfices pour les grandes lignes.
On entendra donc très bientôt parler de nouveau, mes chers collègues, des 6 000 kilomètres de voies que, voilà peu encore, on suggérait de fermer.
Depuis - je le sais - a lieu l'expérimentation des lignes sous gestion régionale. Pour l'instant, on jure que le transfert de compétence s'accompagnera « au centime près » d'un transfert de moyens.
De telles promesses ne valent strictement rien dans la durée, comme le savent tous ceux qui ont vécu la décentralisation. Au bout du compte, les années passant, la demande se diversifiant et se précisant, on sait qu'il s'agit d'un transfert de charges et de responsabilités. C'est la loi du genre !
Au demeurant, d'ores et déjà, la note de la remise à niveau du réseau concerné est salée. Elle est, si j'en crois les experts, d'un montant de 2 milliards de francs d'investissement annuel pendant cinq ans.
Et je ne dis rien des conséquences sur l'aménagement du territoire, sur l'égalité d'accès aux transports qui se trouve posée entre régions riches et régions pauvres.
J'ai noté - je vous l'indique avec amusement - ce qui est dit de la nécessité d'un fonds de péréquation en la matière. Il est tout de même extravagant de voir réinventer l'Etat et sa puissance régulatrice par ceux-là mêmes qui sont en train de le démanteler !
A cette forme particulière d'ajustement structurel, la SNCF, sous le poids de sa dette, ajoutera encore ce qui est devenu, on le sait, l'une de ses habitudes les plus constantes au cours des dernières années : la filiation des activités. Jusqu'à ce jour, la filialisation a toujours été l'antichambre plus ou moins directe, d'un côté, de la privatisation, et, d'un autre côté, à tout le moins, d'une remise en cause profonde du statut des salariés appelés à travailler sous contrat privé dans ces filiales.
Je citerai pour exemple la Compagnie nouvelle de conteneurs, filiale de la SNCF. On avait d'abord juré qu'elle serait une filiale cheminote et on avait organisé un double statut, avec des travailleurs sous contrat privé et des travailleurs sous contrat cheminot. Mais, progressivement, on a considéré les travailleurs cheminots sous contrat cheminot comme bien encombrants ; on constate, aujourd'hui, que les salariés sous contrat privé sont de loin les plus nombreux, et on commence à se demander si le statut des cheminots continuera à s'appliquer dans cette société.
Telle est la démonstration que je voulais faire tout à l'heure, à l'appui de l'argument que j'avançais de la poussée constante vers la privatisation par la grande logique comptable de la réduction des coûts qui ne se juge que par entreprise, comme chacun le sait, sans tenir aucun compte de l'économie globale.
Au-delà, il faut savoir qu'il existe à la SNCF une véritable furie de la filialisation, et l'on ne compte plus les suggestions dans ce domaine. Si l'on en croit certains - les bureaux d'études, les laboratoires d'essais - toutes les capacités d'expertise devraient en faire l'objet.
La même mentalité se constate jusque dans le détail à propos de la division « matériels et équipements ». On connait déjà des ateliers, au sein d'une même unité de production, dont on se flatte qu'ils aient réussi pour leur propre compte une relation privilégiée clients-fournisseurs !
Et je n'ai rien dit, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, des liaisons dangereuses, et à mes yeux coupables, qui existent déjà entre la SNCF et tel grand groupe que l'on croyait pourtant spécialisé dans la distribution de l'eau, mais qui a pourtant déjà pris pied de bien des manières dans le dispositif !
Je ne penserai, à cet égard, qu'à une chose : par exemple, à ce qui est en train de se tramer autour du projet Télécom-développement, qui vient si opportunément apparaître pour compléter le dispositif de privatisation déjà prévu, par ailleurs, du côté de France Télécom.
Nous savons d'avance ce qu'il adviendra : d'ici peu, vous, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, sinon l'un de vos successeurs, reviendrez devant le Parlement pour expliquer l'avantage qu'il y aura à donner à l'une et à l'autre compagnie toute la liberté d'aller au bout de ses objectifs et de son potentiel nouveau.
M. Jean-François Le Grand. Ce n'est pas bête ! C'est une idée !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous nous direz, comme cela a été dit dans le débat sur France Télécom, qu'il faut distinguer, pour être moderne, les missions de service public des outils qui en permettent la réalisation...
M. Jean-François Le Grand. Forcément ! Ce n'est pas nouveau !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... et que, comme ces missions de service public - que vous prétendez, bien sûr, toujours vouloir défendre - s'adressent à des clients... et non pas à des usagers, peu leur chaut que ces moyens soient de propriété sociale et nationale ou qu'ils soient des moyens privés ou mixtes, puisqu'en définitive tout cela n'a aucune espèce d'importance à nos yeux.
M. Jean-François Le Grand. L'essentiel, c'est que cela marche !
M. Jean-Luc Mélenchon. On entendra alors M. Fourcade compléter à la tribune ses démonstrations et nous dire que tout ce qui compte, c'est que cela soit efficace et peu coûteux pour la collectivité.
Comme l'efficacité est une notion sur laquelle les appréciations sont libres, surtout dans une situation de monopole, il ne restera qu'un paramètre : le coût. Dès lors que ce coût est acquitté par un... client et non plus par un usager, à ce montant, si l'on venait à le juger excessif, sera opposée, en toute logique libérale, la liberté du choix de consommer ou non du transport collectif.
M. Josselin de Rohan. Cette liberté existe déjà, monsieur Mélenchon !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ainsi, en fin de course, ce qui était un droit - l'accès égal aux transports en commun - deviendra une option de la société marchande.
Enfin, je vous le dis, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne saurait mener honnêtement, intellectuellement, le débat que nous avons et que nous devons avoir sur le sort réservé aux transports ferroviaires sans le placer dans son contexte naturel, celui de la politique des transports en général dans notre pays.
La situation de la SNCF ne s'est pas dégradée par fatalité, ni surtout par incompétence de ses agents, que vous soupçonnez toujours d'être pétrifiés dans des conservatismes - lesquels signifient seulement qu'ils veulent être les héritiers, les bénéficiaires des luttes du passé, ils ont remportées à la sueur de leur front. (Murmures sur les travées du RPR.)
Je juge même que le choix d'équiper le pays de liaisons ferroviaires à grande vitesse ne saurait être honnêtement le bouc émissaire de service pour expliquer la situation, même s'il faut redire que l'Etat aurait dû en avoir la charge.
La quatrième puissance du monde est bien capable de s'offrir un réseau de transports à grande vitesse, et nous n'avons pas à lui en faire le reproche, surtout lorsqu'il s'agit d'une technologie de pointe !
Le rail, en France, dépérit parce qu'on lui a préféré, en toutes circonstances et par tous les moyens, la route.
De 1980 à 1995, les infrastructures routières ont absorbé 64 % du total des investissements d'infrastructures, contre 28 % pour un ensemble dans lequel on fait entrer la SNCF, la RATP et l'ensemble des systèmes de transports en commun urbains.
M. Jean Delaneau. Qui a géré le pays pendant dix ans, au cours de cette période ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Pour les trente dernières années, la part du réseau routier s'élève à 70 %.
Quel est le bilan financier, humain, environnemental, social de ce dispositif si lourdement privilégié ?
M. Jean Delaneau. Quelle critique pour vos amis !
M. Jean-Luc Mélenchon. Quand le fait-on figurer dans les argumentaires, lorsque l'on produit tant de bonnes raisons contre le service public et la SNCF ? Quelles sont les performances des gestionnaires, de ces « libres entrepreneurs » qui nous garnissent de routes ?
La dette du réseau routier est égale à quatre fois ses recettes ! Quand la collectivité dépense 57,5 milliards de francs en 1994 pour l'entretien et la construction du rail, elle paie 100 milliards de francs pour la route, pollution et sécurité comprises.
Et tout prouve que cette orientation ne sera nullement freinée ou inversée, mais tout au contraire accentuée. Qu'on en juge : les simulations du ministère des transports ne prévoient l'extinction de la dette routière qu'au prix d'une augmentation de 4 % par an du trafic routier pour toute la durée des concessions accordées.
Etonnons-nous, après cela, que nous soyons le seul pays d'Europe qui n'ait aucun objectif de réduction des pollutions atmosphériques liées au trafic routier ! Oui, le seul pays d'Europe dans cette situation !
Finissons ce tableau : le gouvernement Balladur a décidé de réaliser en dix ans, au lieu de quinze - parce que là, ça urge ! -, le schéma national autoroutier et d'y affecter 140 milliards de francs.
A l'issue de cette période, la France cumulera entre 12 000 et 15 000 kilomètres d'autoroute. On compte, dans le même temps, 300 kilomètres de voies ferrées supplémentaires, qui s'ajouteront aux laborieux 1 300 kilomètres mis en service depuis vingt ans.
Si l'offre s'est dégradée, si le réseau s'est appauvri, si le transport multimodal n'a pas décollé, si le transport ferro-route n'existe qu'à l'état de trace - alors que, dans des pays voisins, on en a fait une obligation, comme on devrait le faire nous-mêmes chez nous, qui n'avons pas vocation à être ce lieu de transit où chacun peut venir, tant qu'il le veut et tant qu'il le peut, polluer gratuitement les équipements payés, pour le coup, par les clients locaux - et si la route a été privilégiée, ce n'est pas non plus un hasard : elle est la vache à lait de la taxation grâce aux taxes intérieures sur les produits pétroliers. Elle est le royaume des bétonneurs, elle est le moyen quasi gratuit mis à la disposition du transport de marchandises, vital pour les stratégies de production à flux tendus qui sont, paraît-il, le nec plus ultra de l'externalisation des coûts de production entreprise par entreprise.
La capitalisation organisée du rail devant la route s'est encore récemment manifestée avec éclat, lorsque vous avez décidé la privatisation du premier transporteur routier de notre pays, pesant sur 4 % du total du marché - peut-être nos collègues ne le savent-ils pas tous - à savoir la SNCF, par l'intermédiaire d'une de ses filiales, le GEODIS. Or cette privatisation n'a pas rapporté un franc de plus-value à la SNCF, tout en lui rendant impossible toute démonstration et de la complémentarité rail-route : la GEODIS figurait en effet parmi la horde de ces patrons routiers qui ne connaissent que la concurrence sauvage entre eux et avec la transport ferroviaire.
On comprend peut-être que la SNCF s'en soit débarrassée, mais quel autre usage aurait-on pu faire d'un outil de cette nature... et des démonstrations qui pèseraient bien plus lourd que des déclarations d'intention bien tardives, comme celles que nous entendons actuellement ?
Vous avez donc bradé un outil, et cela suffit à porter jugement sur ce que valent vos belles déclarations sur la nécessaire complémentarité entre le rail et la route !
Je ne le dis pas seulement pour vous, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mais également pour ceux de nos collègues qui sont venus ici réciter à nouveau la nécessité de cette complémentarité en faisant comme si tout ce que je viens de dire n'avait pas eu lieu.
Le prix payé de cette préférence pour la route par la collectivité est terrible. Il n'est jamais pris en compte, parce que jamais on ne raisonne en termes d'économie globale, mais toujours en termes d'économie particulière, entreprise par entreprise.
En termes d'énergie, la consommation de ce secteur a crû de 50 % depuis 1973. Elle représente aujourd'hui 61 % de la consommation pétrolière dans notre pays depuis 1992 et l'on pronostique que, au cours de la décennie qui vient, on arrivera jusqu'à 71 % à quantité transportée égale, soit une efficacité énergétique des quantités transportées deux à trois fois inférieure à celle du rail, tout cela pour produire plus de la moitié des pollutions atmosphériques constatées et 87 % de celles qui sont liées aux monoxydes de carbone.
Voilà de quoi nous devrions débattre au moment où nous traitons de l'avenir du réseau ferré national ! Une fois de plus, il ne sera pas question de développement durable, socialement et écologiquement soutenable, mais, encore une fois, de comptabilité à court terme, sans perspective ni dessein pour le modèle de développement du pays.
Le lien social, je le dis même si le sujet peut sembler éloigné à cet instant, est, encore une fois, l'enjeu de ce débat. A travers l'un de ses services publics, c'est encore la République qui est en cause.
Oui, monsieur le ministre, oui, madame le secrétaire d'Etat, oui, monsieur Fourcade, notre divergence d'appréciation doit être encore portée sur un autre plan qui contient tous ensemble les registres de critiques que je viens déjà de développer.
Souvenons-nous-en toujours : on ne peut traiter du sort du service public autrement qu'avec précaution et délicatesse car, en France, le service public, c'est la République en acte et, en France, c'est la République qui fonde la nation.
Le service public, c'est la propriété sociale. Sa logique ne peut être celle de la propriété privée. L'une et l'autre ont leur place dans un système d'économie mixte. Toutefois, si l'exercice de la propriété privée d'un moyen de production peut être encadré et valorisé par l'incitation publique, le contraire conduit toujours irrémédiablement à la dislocation de l'outil public.
La propriété sociale ne peut avoir d'autre objectif que l'intérêt général, qui se gouverne dans le temps long - lequel est le contraire du temps court qui prévaut dans l'initiative privée - et contre les inégalités spontanées que la vie renouvelle sans cesse.
La logique privée est celle du temps court et de la profitabilité particulière. Chaque service public répond à l'exercice d'un droit fondamental dont la République se porte le garant et dont elle assure à chacun un égal droit d'accès.
S'agissant du transport en commun public, on touche, contre l'inégalité d'accès géographique, contre le désordre spontané des allées et venues nécessaires à chacun, contre l'inégalité des moyens devant la liberté de circuler, à l'idée centrale d'unité et d'indivisibilité de notre République. Cette idée a un sens géographique, humain, social.
Vous rompez le caractère intégré et unifié de l'entreprise publique qui porte cette idée sous prétexte d'efficacité - combien de fois avez-vous cité ce mot ! - dont le modèle serait, bien sûr, dans la propriété privée.
Alors, je vous interroge : si tel est le cas, si le modèle de l'efficacité, c'est la séparation, comment expliquez-vous que les sociétés ferroviaires nipponnes ou nord-américaines soient des sociétés intégrées qui possèdent tout à la fois l'exploitation et l'infrastructure ?
Comment expliquez-vous qu'au moment où l'on discute de la construction de la ligne qui va de Londres au tunnel sous la Manche les opérateurs qui proposent leurs services mettent comme condition qu'ils soient à la fois exploitant et propriétaire de la ligne ? Je livre ce point à votre réflexion...
Dans cette conception, à l'inverse, la péréquation de l'entreprise intégrée est la règle d'or de la gestion de la propriété sociale.
Le bénéfice vient au secours du déficit, ce qui est facilement acquis au secours de ce qui l'est difficilement. C'est vrai d'une ligne de voie ferrée à l'autre, d'un secteur d'activité ferroviaire à l'autre, parce que c'est à ce prix, avec cette méthode, que se construit le long terme et qu'il peut se maîtriser. Le long terme, c'est-à-dire, ici, une unité et une indivisibilité toujours plus fortes de la République et de la nation.
Je juge que c'est aussi de cela qu'il est question aujourd'hui, et non pas simplement d'un exercice comptable. C'est cela qui est en cause une nouvelle fois : oui, il s'agit encore du choix entre la République sociale et la jungle libérale.
Et je ne peux pas juger autrement, madame le secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, venant de vous, membres du gouvernement de M. Juppé, la réforme que vous nous proposez, parce qu'elle vient après celle de la sécurité sociale, celle de France Télécom et celle des fonds de pension, et avant celles, inéluctablement, d'EDF et de La Poste.
Oui, tout cela forme un tout, une politique, une vision de la France avec les privatisations - à un franc ou plus - avec cette dislocation progressive, minutieuse, souvent habile de ce que je considère, moi, comme le coeur battant de notre République.
Dans la confrontation qui nous oppose, je forme le voeu que le peuple fasse entendre sa voix, si les nôtres, ici, ne vous dissuadent pas. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon ami Claude Billard a montré tout à l'heure les dangers inhérents à la séparation entre l'infrastructure et l'exploitation du transport ferroviaire dans notre pays. Pour ma part, je souhaite m'arrêter sur le volet « régionalisation » de ce projet de loi.
Il va de soi que l'on ne saurait séparer les deux piliers de cette réforme, tant il est vrai que l'éclatement de la SNCF en deux établissements aura des conséquences sur le type de régionalisation.
Les élus communistes n'ont eu de cesse de travailler, depuis plus de quinze ans, à la décentralisation, à la démocratisation du transport ferroviaire, en concertation avec les cheminots et les usagers.
Nous avons toujours souligné le niveau pertinent que constitue la région en termes de recensement des besoins, de nouveaux trafics pour la SNCF, à condition qu'on lui donne les moyens matériels et humains.
L'expérience que nous menons, avec une réussite certaine, dans la région Nord-Pas-de-Calais depuis près de vingt ans ne peut éluder les risques de déstabilisation du service public provoqué par ce projet, émanation des directives européennes, qui ouvrent la porte à une concurrence sauvage.
En effet, à la lecture de certaines coupures de presse, on peut s'inquiéter du maintien de la SNCF comme opérateur unique.
Un élu régional de Bretagne, s'exclame : « Enfin ! Nous allons pouvoir mettre en concurrence la société nationale... ».
Le président de la région Alsace, l'une des six régions pilotes, brandit la possibilité accrue de transfert de dessertes du rail vers la route avant même que ne soit prise une quelconque décision.
Qui, de ces ultras ou du ministre, faudrait-il croire ?
Il est vrai que tout cela a mûri depuis une décennie au sein de la Commission européenne afin de libéraliser le transport ferroviaire. Sur le fond du problème des transports régionaux, la réalité est simple : ils sont un élément essentiel de développement du territoire, mais ils sont largement déficitaires.
Les activités des TER pour 1995 font apparaître une contribution de l'Etat aux recettes approchant 50 % du total. Ainsi, sur 8,15 milliards de francs de recettes, 3,99 milliards proviennent de la contribution de l'Etat.
Cela veut dire concrètement qu'il s'agit d'un choix politique de l'Etat, dont tout désengagement aurait des conséquences graves pour le transport voyageurs, pour les usagers.
Cette remarque est d'autant plus vraie que la situation des infrastructures et celle du matériel nécessitent des investissements importants, ne serait-ce que pour maintenir le réseau en l'état actuel.
Le cabinet d'études KPMG explique que l'effort de modernisation nécessiterait environ 43 milliards de francs d'investissement - infrastructures plus matériel roulant - sur quinze ans. Bien entendu, je me place derechef dans cette optique de modernisation, d'accroissement de l'offre aux usagers et de reconquête du trafic par la SNCF. Sinon, quelle chance aurions-nous de réussir cette expérience de régionalisation ?
Aucune région ne peut fournir un tel effort d'investissement sans rogner sur l'offre, sur la sécurité ou sans chercher à faire passer des trains à moindre coût par d'autres opérateurs.
Et c'est là que le bât blesse. Les régions ne peuvent remplacer ni la SNCF, ni France Rail, c'est-à-dire procéder à des emprunts et s'endetter outre mesure sur le dos des contribuables.
Vous parlez de régionalisation, mais les moyens affectés ne suivent pas. Notre rapporteur lui-même le souligne à la page 88 de son rapport : sur les 1,9 milliard de francs qui manquent, au titre de 1995, pour assurer un fonctionnement adéquat des services régionaux, il reste 1,1 milliard de francs à trouver.
La question, dès lors, est de savoir comment cette relative pénurie va pouvoir être gérée par les régions. En effet, dès que la décision sera effective, les six régions autorités organisatrices des transports devront équilibrer leur compte du transport ferroviaire.
Il est facile d'imaginer les pressions en tout genre auxquelles vont être soumis les élus régionaux.
Les décisions les plus lourdes seront celles de la fermeture ou du maintien de certaines lignes, de la suppression de postes de travail. Quand on leur expliquera qu'une ligne est fortement déficitaire et qu'elle ne peut être exploitée en l'état, les élus régionaux seront placés devant une terrible responsabilité, d'autant que la fermeture de lignes locales est destructrice de trafic sur les lignes régionales et nationales, en particulier, dans les régions où la densité de population est assez faible.
Reporter cette responsabilité sur les régions est tellement plus simple ! C'est pourquoi j'appelle à la vigilance des usagers et des cheminots dans ce domaine.
Le plus simple ne serait-il pas, monsieur le ministre, d'annuler le décret d'application de la directive européenne 91/440, qui ira à l'encontre de l'organisation du TER, réalisée, elle, en harmonie avec les besoins des usagers et les aspirations des cheminots ?
Oui, il y a nécessité de mettre en oeuvre une gestion décentralisée, désétatisée et démocratisée du service public national de transport ferroviaire.
Cela requiert plusieurs exigences, qui relanceraient l'entreprise SNCF : le maintien de toutes les lignes nationales ainsi que des TER à leur niveau, dans un souci de cohérence nationale ; une participation financière de l'Etat à hauteur des besoins d'infrastructure recensés et prenant en compte le nécessaire renouvellement du matériel et sa remise à niveau, car on ne peut se satisfaire d'une dotation forfaitaire ; la mise en oeuvre d'une péréquation tarifaire entre les régions ; la prise en compte du trafic de marchandises dans cette gestion décentralisée, afin de l'inscrire dans un critère de service public et aussi dans les schémas régionaux de transport ; la prise en compte et le renforcement de l'intervention des citoyens pour toute modification ou amélioration, par le biais d'enquêtes, par exemple : le renforcement des institutions et des structures permettant l'information - transparence et publication des études et enquêtes - et l'intervention des élus concernés, des cheminots, des usagers.
Il faut entendre les cheminots. Faire sans les cheminots, c'est, d'une certaine façon, faire contre eux. Aux rapports conflictuels qui risquent de surgir dans le cadre de la réforme, je préfère les rapports de concertation, voire de coopération, avec tous les intéressés qu'assurerait une décentralisation démocratisée.
Voilà, mes chers collègues, ce que je souhaitais dire sur le type de régionalisation qui nous est proposé.
Pour ma part, je reste persuadé que l'éclatement de la SNCF en deux entités fait courir de graves dangers à cette expérimentation.
La SNCF que nous souhaitons doit être construite en accord avec tous ceux qui sont concernés par un développement des transports ferroviaires s'inscrivant dans un renforcement du service public.
Pour ces raisons, nous sommes opposés à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens, tout d'abord, à rendre hommage au Gouvernement, qui a engagé le débat sur l'avenir du chemin de fer français depuis déjà un an et qui a pris la décision de présenter ce projet de loi au Parlement malgré les immobilismes et les conservatismes auxquels il s'est heurté. Je ne sous-estime pas l'importance de ces attitudes, nourries, le plus souvent, des inquiétudes suscitées par les perspectives du changement.
Ce texte n'a pas de caractère d'opportunité. Il n'a rien à voir avec les difficultés ferroviaires induites par les troubles climatiques du 2 janvier dernier. Ces troubles, qui ont affecté gravement les usagers, mériteraient une analyse après le vote du projet de loi réformant notre système ferroviaire.
Face au caractère ardu de la réforme de la SNCF, certains auraient pu être tentés de reporter aux calendes grecques les discussions nécessaires et les choix indispensables mais difficiles. Vous vous êtes saisi de la question avec détermination, monsieur le ministre. Je salue votre courage face à une situation de la SNCF chaque jour plus dégradée.
Une réforme de la SNCF s'impose-t-elle ? Oui !
Le bilan financier dramatique de la société nationale, dû à la régression des parts de marché, aux pertes d'exploitation et à l'endettement massif, plaide en faveur de la réforme d'une structure née voilà soixante ans, en 1937.
La montée en puissance, depuis trois à quatre décennies, du transport routier, favorisé par le prix du gazole et la souplesse de ses livraisons, ainsi que le développement du transport aérien intérieur ont gravement concurrencé la SNCF.
Les difficultés de la reconquête commerciale, dans un climat général de libéralisation et de déréglementation contenu notamment dans les dispositions de la directive communautaire 91/440, soulignent, s'il en est besoin, le caractère intenable du statu quo .
Par son poids économique, son rôle social, ses implications en termes d'aménagement du territoire, la SNCF concerne chaque citoyen.
Aujourd'hui, les Français, comme les cheminots eux-mêmes, sont légitimement inquiets devant l'évolution toujours plus négative d'une entreprise à laquelle ils sont attachés.
Au risque de laisser s'engager la SNCF dans une voie sans issue, ce constat, aujourd'hui connu de tous, doit appeler, à l'évidence, des choix et des orientations profondément nouveaux.
La crise ferroviaire n'est pas propre à la France. Elle a déjà touché, à des degrés divers, tous les pays développés. Beaucoup ont entrepris, ces dernières années, d'importantes réformes. Il me semble nécessaire d'évoquer brièvement leurs expériences.
Bien que les Etats-Unis présentent une économie ferroviaire très singulière, l'analyse de la situation est intéressante à titre non d'exemple mais de scénario.
Les Etats-Unis ont depuis longtemps abandonné le rail à la loi du marché.
A l'exception des zones urbaine de forte densité, en liaison avec le métro, le rail ne transporte aujourd'hui quasiment plus de voyageurs, détournés par l'attrait du transport aérien et du réseau routier.
En revanche, le trafic des marchandises sur les moyennes et longues distances est demeuré très important.
La situation de la plupart des compagnies ferroviaires américaines apparaît aujourd'hui stabilisée. Celles-ci entretiennent elles-mêmes leurs infrastructures, tant bien que mal, sans recevoir d'aides publiques.
Le Japon, de son côté, constitue une expérience à suivre avec attention, compte tenu des similitudes avec l'Europe : longue tradition d'une entreprise publique et haute densité démographique urbaine.
Sans entreprendre la séparation de l'infrastructure et de l'exploitation, le Japon a scindé la compagnie nationale, selon une répartion régionale, en entreprises indépendantes et rapidement privatisées. L'essentiel de la dette a été reprise par l'Etat et transférée dans une société financière.
Cette réforme a stimulé favorablement l'économie ferroviaire japonaise, aujourd'hui redevenue bénéficiaire grâce à une expansion commerciale remarquable. L'amortissement de la lourde dette de la société financière demeure néanmoins un problème.
Pour la France, les exemples européens sont, évidemment, les plus riches d'enseignement.
La Grande-Bretagne a choisi la voie radicale en opérant une séparation complète entre l'infrastructure et l'exploitation, et en privatisant l'ensemble de ses activités.
Le démantèlement du réseau en une multitude d'entités autonomes peut susciter quelques inquiétudes, notamment sur le risque d'une désorganisation des services ferroviaires.
Nul ne connaît encore les effets possibles de ce bouleversement sur la compétitivité du chemin de fer, sur le montant des subventions suceptibles d'être accordées ou non par l'Etat et sur les investissements nouveaux.
Pour ces raisons, et parce que le chemin de fer ne tient pas un rôle majeur dans l'économie des transports britanniques, ce modèle de réforme ne saurait valoir pour la France.
Fondée sur l'assainissement financier, la séparation des activités et la privatisation, la réforme opérée en 1994 par l'Allemagne est également profonde. L'Etat fédéral a transformé l'entreprise nationale Deutsche Bahn en entreprise de droit commercial. Il a régionalisé le service public et transféré à sa charge la dette et les droits acquis des personnels. Il s'est également engagé dans un vaste programme de financement des investissements.
Se rapprochant de la réforme proposée en France, la réforme allemande va néanmoins plus loin. Le principe de la privatisation et de la concurrence généralisée à l'ensemble du réseau a en effet été accepté.
Si des problèmes et des interrogations, notamment sur la viabilité du nouveau système de financement des investissements, subsistent, les premiers résultats sont extrêmement encourageants. Après des années de pertes croissantes, la Deutsche Bahn a dégagé, à l'issue d'un an d'application du nouveau dispositif, un bénéfice net d'impôts de 180 millions de marks. Cette démarche comporte évidemment des éléments spécifiques à ce pays. Le problème d'intégration posé par la réunification a été déterminant dans l'effort de l'Etat.
A la lumière de ces comparaisons, le projet de réforme de la SNCF dont le Sénat débat aujourd'hui est-il de nature à répondre aux principaux enjeux de la situation présente ?
Ces enjeux sont ceux de l'assainissement financier, de la modernisation du service public et de la reconquête commerciale face aux autres modes de transports, sans négliger les possibilités offertes par l'Europe, notamment en matière de liaisons nouvelles transfrontalières, en particulier pour le fret.
Comme vous l'avez présentée, monsieur le ministre, l'architecture générale de la réforme s'appuie sur les trois piliers suivants : la clarification des responsabilités, la régionalisation et le projet industriel.
La clarification réside pour l'essentiel dans la création d'un établissement public industriel et commercial dénommé « Réseau ferré national », héritant des infrastructures ferroviaires et d'une partie de la dette de la SNCF. La société nationale, quant à elle, est confortée dans sa double mission de transporteur ferroviaire et de gestionnaire de l'infrastructure.
L'imbrication des responsabilités a conduit jusqu'à présent à des confusions et à une déresponsabilisation des acteurs. Le dispositif du projet de loi permet de faire assumer pleinement et directement ses choix à l'Etat en matière de développement des infrastructures, de donner une meilleure autonomie de gestion à la SNCF et de mieux identifier les obligations et les charges des missions de service public. A cet égard, le principe de « qui décide paye » me paraît sain.
En revanche, je souhaite exprimer quelques interrogations sur la nature, la durée et l'importance de l'effort financier réellement engagé pour désendetter la SNCF.
Vous nous avez fort bien présenté, monsieur le ministre, les principes de la réforme et les fonctions générales de RFN sur les plans technique et financier. Mais, s'agissant de la reprise d'une partie de la dette de la SNCF par Réseau ferré national, la solution retenue peut paraître complexe à qui n'est pas familier des exigences juridiques et comptables.
En effet, selon la rédaction quelque peu ambiguë de l'article 6 du projet de loi, la dette inscrite au passif de RFN est une dette vis-à-vis de la SNCF, qui continue donc à porter la dette qu'elle a contractée, tandis qu'une créance équivalente au montant repris par Réseau ferré national est inscrite à son actif.
N'aurait-il pas été plus simple et compréhensible de transférer directement la dette à Réseau ferré national et alléger du même coup les écritures de la SNCF ?
Par ailleurs, l'endettement global de la SNCF a atteint plus de 200 milliards de francs, alors que la dette inscrite au passif de Réseau ferré national est prévue pour un montant de 125 milliards de francs dans le projet de loi. L'Etat s'est engagé - et la commission des affaires économiques a déposé un amendement en ce sens - à porter le montant de la reprise à 134,2 milliards de francs. Cette somme correspondrait notamment au financement d'infrastructures réalisées pour le réseau TGV. Il restera donc environ 70 milliards de francs à la charge de la SNCF et l'on peut prévoir dès maintenant de lourdes annuités en capital et en intérêts. Je suis persuadé que, déchargée totalement du poids du passif, la SNCF est capable d'atteindre l'équilibre comptable à l'échéance de 1999, comme cela a été envisagé. Mais je crains que cette dette résiduelle ne porte en elle le germe d'une nouvelle dérive de la situation financière de l'entreprise.
Enfin, comment Réseau ferré national remboursera-t-il la dette qui lui sera transférée ? Comment financera-t-il l'entretien des infrastructures actuelles en même temps que les nouveaux investissements ?
Toutes ces interrogations renvoient à la dotation en capital du futur établissement, dont vous avez confirmé le montant annuel de 8 milliards de francs. Réseau ferré national doit disposer de ressources stables. Mais sans doute faudrait-il réviser ou réorienter la politique d'investissements futurs en la concentrant sur le développement du trafic et non toujours sur un aléatoire gain de temps.
La proposition du Gouvernement est déjà courageuse et constitue un effort louable. Mais sera-t-elle suffisante pour ouvrir la voie à un redressement durable ?
La volonté des pouvoirs publics ne suffira pas à résoudre tous les problèmes. La SNCF devra aussi se donner les moyens internes de ce redressement. Le projet industriel que vous évoquez, autour duquel la SNCF va se mobiliser, devra tenir compte de tous les gisements de productivité.
La reconquête de la clientèle, fondée sur un service public de qualité, est un premier défi. La SNCF fait peser un poids croissant sur le contribuable alors qu'elle n'est pas en mesure de répondre de manière satisfaisante à un critère fondamental du service public, la continuité, sans même parler de la satisfaction de ses clients en temps ordinaire... Je fais incidemment allusion aux derniers dysfonctionnements constatés lors des retours de début d'année. Mais il est vrai que ce n'était pas un temps ordinaire : le gel et la neige, en quantité exceptionnelle, étaient au rendez-vous !
Sans doute faudra-t-il recentrer la SNCF sur ses missions et ses métiers et aborder avec confiance l'ouverture sur l'Europe et ses réseaux.
L'Europe ne doit pas toujours être considérée comme un épouvantail ou une contrainte ; il faut y voir une nouvelle donne qui offre une chance de développer les activités nationales.
Les performances techniques et la valeur du personnel de la SNCF lui permettent sûrement de jouer un rôle majeur dans un grand marché unique.
J'en viens au troisième pilier de la réforme, la régionalisation. Je suis convaincu de la nécessité de rapprocher les décisions des usagers. Qui peut le mieux, en effet, déterminer les besoins en services régionaux et conduire les arbitrages que les régions elles-mêmes ?
Mais celles-ci auront-elles le courage de faire des choix difficiles et de dégager les ressources nécessaires pour répondre aux vraies demandes locales et assurer la promotion du trafic régional ainsi que la modernisation des services ?
A partir de ces observations et de celles qui ont été exprimées depuis le début de ce débat, quelles pourraient être les améliorations à apporter au projet de loi ?
Je ne reviendrai pas en détail sur les amendements proposés par la commission des affaires économiques et la commission des finances, dont les rapporteurs, nos collègues François Gerbaud et Hubert Haenel, ont exposé les motifs. Je tiens à les assurer de mon soutien. Ces amendements traduisent en effet, pour l'essentiel, les préoccupations ou les inquiétudes formulées ici.
La commission des affaires économiques a notamment fait référence explicite aux principes du service public, à la protection de l'environnement, à l'aménagement du territoire et à la promotion du transport ferroviaire. Je ne peux que m'en réjouir.
Je souhaite insister sur l'objet de deux amendements que j'ai déposés. Ils portent sur la représentation des usagers dans les conseils d'administration de Réseau ferré national et de la SNCF.
A un moment où la SNCF souffre non seulement d'un déficit financier mais aussi d'un déficit d'image, il me paraît primordial de restaurer la confiance des usagers, qu'ils soient voyageurs ou chargeurs de marchandises. Pour cela, il n'y a pas de meilleure méthode que de les associer étroitement à la définition des choix et stratégies pour améliorer le service public.
Paralysé par les déficits et les contraintes budgétaires, le chemin de fer est pourtant porteur de bienfaits collectifs, de progrès techniques ainsi que protecteur de l'environnement.
Il faut, avant tout, lui ouvrir des perspectives d'évolution. Le projet de réforme, auquel la majorité du groupe du RDSE apportera son soutien, lui offre une chance de retrouver un équilibre comptable d'ici à l'an 2000. Je le souhaite.
Cet équilibre sera difficile à réaliser et sans doute fragile. Le pari repose sur la capacité de l'entreprise elle-même à consolider son redressement, sur la volonté de ses personnels à y participer, sur la solidité du partenariat avec l'Etat et avec les collectivités territoriales, et, enfin, sur la confiance des usagers.
Tout comme la nationalisation du chemin de fer a ouvert, en 1937, au réseau français morcelé des perspectives nouvelles, souhaitons que, soixante ans après, la création de Réseau ferré national ait un impact bénéfique. Pour un renouveau du transport ferroviaire en France et aussi en Europe, je voterai le projet de loi en discussion afin de mettre un terme à une situation d'incertitude qui ne peut perdurer sans faire courir de graves dangers au devenir de la SNCF et de ses personnels.
La tâche sera rude, mais, pour la qualifier, me vient à l'esprit la devise de Guillaume d'Orange : « Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »
Dans les aléas de l'application du projet de loi, il faut que le Gouvernement puisse compter sur le soutien ferme et déterminé du Parlement. C'est ce soutien que nous voulons, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, apporter aujourd'hui au Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nul ne peut nier qu'une réforme complète des chemins de fer français est nécessaire, urgente, indispensable.
Trop longtemps, nous nous somme flattés du fait que nos matériels ferroviaires étaient les meilleurs, que nos trains étaient les plus perfectionnés, les plus confortables, les plus rapides du monde. Nous avons mis en vitrine nos TGV, dont nous sommes fiers, à juste titre. Nous avons, il est vrai, cherché à les vendre à l'extérieur, malheureusement sans succès. Les étrangers, tout en reconnaissant nos prouesses techniques, ne s'y sont pas laissés prendre. « Tout cela est fort beau », ont-ils dit, « mais à quel prix ? »
Le prix, nous ne le connaissons que trop. La société chargée de gérer ce remarquable ensemble ne détient pas seulement le record de la vitesse sur rail ; elle collectionne aussi les records sur d'autres plans, moins flatteurs.
Dans le domaine financier, son endettement record atteint 208 milliards de francs ; les frais financiers de la dette représentent 11 milliards de francs ; la subvention publique record s'élève à 50 milliards de francs par an ; malgré cela, la société enregistre un déficit record de 12,5 milliards de francs en 1996, ce qui est d'ailleurs un peu mieux que les 17 milliards de francs que nous a valus en 1995 la grande grève de novembre et de décembre.
Le numéro de janvier de la revue Capital a calculé que la SNCF coûte 1 000 francs par an à chaque contribuable français, même à ceux qui ne prennent jamais le train !
Dans le domaine administratif, notre société nationale détient aussi bon nombre de records : sur un effectif de 180 000 personnes, 40 000, soit environ le quart, sont en surnombre dans les bureaux des grands centres, surtout à Paris, où le taux d'encadrement dépasse 32 %, contre 11 % en moyenne dans les entreprises normales. Les dépenses de personnels sont records, elles aussi, puisqu'elles sont supérieures au chiffre d'affaires de la compagnie, soit 50 milliards de francs par an. L'entreprise compte aujourd'hui deux retraités pour un actif, chiffre record !
Enfin, pour représenter ces personnels, défendre leurs intérêts et maintenir leurs effectifs en même temps que leurs avantages, on ne compte pas moins de 3 000 permanents rémunérés par la SNCF. Ceux-ci, groupés dans huit syndicats reconnus et de nombreuses filiales, accomplissent un travail incessant : il ne se passe pas de jours sans que la direction ne reçoive un ou plusieurs préavis de grève - on a parlé de dizaines. La France, hélas ! détient aussi et constamment le record des grèves.
Notre pays est le seul parmi les grands à ne pas avoir une loi disposant qu'en cas de grève dans le service public un service minimum devra être accompli et respecté...
M. Roland Courteau. Et voilà !
M. Jacques Habert. ... avec une exception pour l'audiovisuel, d'ailleurs, grâce à l'un de nos rapporteurs. C'est le seul pays dans lequel, du jour au lendemain, des secteurs entiers d'activité peuvent être paralysés sans que, légalement, on puisse vraiment remédier à cette situation.
Comme vous le savez, mes chers collègues, des propositions ont été faites à plusieurs reprises dans le passé, dans notre enceinte comme à l'Assemblée nationale, pour alléger les difficultés des usagers et prévoir un service minimum obligatoire. M. Fourcade a exprimé avec beaucoup d'éloquence à quel point il était ridicule que la grève devienne, quelquefois préventivement, le début de toute discussion en matière de travail.
Cela doit absolument cesser, mais nous n'avons pas voulu présenter - ce que nous aurions pu faire à l'occasion de la discussion de ce projet de loi - un amendement allant dans ce sens parce que, comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, ainsi que plusieurs orateurs, nous notons actuellement un climat de compréhension qui nous laisse espérer des bases plus saines de négociation.
Tous les personnels des chemins de fer français, les cheminots, sont fonctionnaires. Ce n'est plus le cas dans la majorité des autres grands pays d'Europe, et notamment en Angleterre, en Allemagne et aux Pays-Bas, qui, à cet égard, ont déjà accompli tout ou partie des transformations recommandées par la Commission de Bruxelles.
Le Gouvernement français, lui, se montre très bienveillant pour les personnels de la SNCF : il a annoncé qu'il ne toucherait pas à leurs statuts. Il ne reviendra pas non plus sur les avantages acquis, et notamment la retraite à cinquante ans pour les roulants. (Murmures sur les travées socialistes.) Cette mesure, compréhensible pour les mécaniciens et conducteurs de trains des romans de Zola et des films de Renoir et de Gabin, n'est certainement plus très justifiée aujourd'hui.
Enfin, pour compléter la description de la SNCF actuelle, je dirai que, sur le réseau ferré, 20 000 kilomètres sont déficitaires. Ce sont le plus souvent les lignes reliant entre elles les petites villes de province qui sont les moins fréquentées et les plus onéreuses. Sur les 100 kilomètres du trajet Limoges - Brive, par exemple, chaque passager coûte 720 francs par an à la SNCF et donc au contribuable. Il ne fait guère de doute que l'autocar serait plus rentable.
En France, comme il est écrit dans un article très souvent évoqué cette semaine « les apparatchiks du rail ont un fâcheux penchant pour la réflexion théorique éloignée des réalités économiques. Leurs prévisions en matière de coûts et de recettes sont souvent contredites par les faits. » Ainsi, le TGV-Nord, épinglé par la Cour des comptes, n'a transporté que 6 millions de passagers en 1996 contre 18 millions prévus. Lors de l'élaboration du schéma directeur du TGV de 1992, 4 000 kilomètres de lignes à grande vitesse pour 150 milliards de francs d'investissement étaient envisagés pour amener le train rapide à Toulouse, Bordeaux ou Turin. Or, comme le souligne un récent rapport, aucun de ces TGV n'aurait été rentable, faute d'une concentration suffisante de population dans les régions desservies.
Tels sont quelques-uns des éléments qui expliquent l'état des chemins de fer français sur lequel nous nous penchons aujourd'hui. Devant le gouffre des déficits qui se creuse sans cesse, le bilan est, reconnaissons-le, plutôt effrayant. Un quotidien parisien écrivait, hier 20 janvier, que « la SNCF est dans une situation de mort clinique » et n'hésitait pas à indiquer en titre que le débat ouvert aujourd'hui au Sénat ne serait rien moins qu'une « opération survie ».
En quoi consiste donc cette opération ? Quelle est la nature de la réforme qui constitue le projet du Gouvernement ? Vous-même, monsieur le ministre, puis nos deux rapporteurs, MM. Gerbaud et Haenel, et le président de la commission des affaires économiques l'avez excellemment présenté, et je ne vais pas répéter ce qui a déjà été expliqué à cette tribune.
Le temps m'étant compté, je me bornerai à trois observations et à deux questions.
Ma première observation concerne l'importance, la nouveauté, l'originalité du projet de loi. Le texte qui nous est proposé est, certes, le plus important sur les chemins de fer depuis la création de la SNCF, voilà soixante ans, en 1937.
Au duo entre l'Etat et la société est substituée une organisation qui se traduit d'abord par l'éclatement de la SNCF en deux entités : la société elle-même et un nouvel organisme, l'établissement public « Réseau ferré national » - appellation qui changera peut-être au cours de la discussion des articles.
Cet établissement public sera propriétaire des infrastructures - on y a déjà fait allusion - mais il reprendra à sa charge les 134 millions de francs correspondant à l'endettement lié à la réalisation des infrastructures décidées par le Gouvernement. Par conséquent, dorénavant, la SNCF ne pourra pas invoquer, pour expliquer ses difficultés, les charges d'une dette dont elle n'était pas responsable.
Ma deuxième observation est la suivante : la SNCF devra s'entendre avec les régions, qui deviendront des décideurs en matière de transports régionaux ; ce sont précisément ceux-là qui sont les plus déficitaires. L'expérience de cette régionalisation lancée par la loi dans six régions s'étendra sans doute à d'autres régions. Il s'agit là d'une nouvelle orientation, d'une collaboration d'un potentiel certain.
J'en viens à ma troisième observation : la réforme, hélas ! coûtera cher, très cher. En 1997, le budget consacré au transport ferroviaire - hors subvention pour la retraite des cheminots - devrait augmenter de 30 %. Le chemin de fer deviendra ainsi le domaine qui connaîtra la plus forte croissance des crédits engagés par l'Etat dans les mois à venir ; provisoirement, nous l'espérons.
Une première question se pose donc : où trouvera-t-on les 8 à 10 milliards de francs nécessaires pour faire face à ces charges nouvelles ?
M. Jean-Pierre Masseret. Chez les riches !
M. Jacques Habert. Comment le financement sera-t-il assuré à l'avenir ?
Ma deuxième question se rapporte aux observations que j'ai formulées au début de mon propos sur quelques-uns des maux actuels de la SNCF : monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, dans le cadre de cette réforme, la plupart des maux dont j'ai souligné l'importance et la multiplicité pourront-ils être amoindris, voire supprimés ? Nous voulons l'espérer.
En tout cas, il fallait agir, c'est évident ! Nous en sommes tous d'accord ! Le Gouvernement, après plus d'un an de réflexion, d'études, de concertation, a entrepris avec courage une réforme complexe qui, pour la première fois, semble emporter l'adhésion de la majorité des syndicats. D'autres attendent avec prudence les effets des décisions qui seront prises.
Nous espérons que cette réforme réussira. Nous remercions le Gouvernement pour le courage dont il a fait preuve en s'engageant dans cette voie délicate. En tout cas, nous le soutiendrons pour que le service public des transports ferroviaires connaisse enfin le renouveau dont notre pays pourra être fier. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.) M. le président. La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, M. Nicolas About participant aux Pays-Bas à une mission chargée de la lutte contre les stupéfiants, il m'a demandé, sachant que nous partagions la même opinion sur ce projet de loi, d'intervenir à sa place.
Voici donc venu le temps de la vérité et du courage, qui ouvre la route vers l'espoir. Je tiens, sans plus attendre, à saluer l'action du Gouvernement, qui a suivi la réflexion engagée après les grèves de décembre 1995. Je salue aussi son courage : il présente un texte qui ne se contente pas de colmater les brèches, mais permet d'entrevoir des perspectives nouvelles pour le transport ferroviaire en France.
Vous auriez pu, monsieur le ministre, comme vos prédécesseurs, alléger quelque peu la dette de l'entreprise nationale en invitant celle-ci à prendre de bonnes résolutions. Vous avez choisi de rompre avec une logique qui a conduit la SNCF à une situation financière calamiteuse.
Cet après-midi, vous avez présenté un projet de loi ambitieux. Je me félicite à cet égard que la décision en la matière revienne au Parlement. L'ampleur des enjeux financiers, mais surtout le fait que l'avenir du transport ferroviaire concerne l'ensemble des citoyens justifiaient que la décision finale nous appartienne.
Ce texte me semble être sous-tendu par une salutaire volonté de clarification.
Clarification, avec la création d'un nouvel établissement public chargé de l'aménagement, du développement et de la mise en valeur de l'infrastructure. Cette évolution permettra d'avoir enfin une image claire du coût de la réalisation des infrastructures et de prendre des décisions en toute connaissance de cause.
Jusqu'à présent - vous le rappeliez cet après-midi, monsieur le ministre - l'Etat et la SNCF se sont parfaitement accommodés d'une opacité de leurs relations, qui a contribué à la situation financière dans laquelle se trouve la SNCF aujourd'hui.
La création de ce nouvel établissement publ ic s'accompagne d'un allégement tout à fait significatif de la dette de la SNCF. Jamais un pareil effort n'avait été fait, et je me permets de souhaiter que l'on n'ait plus jamais à le refaire.
Cette loi est véritablement l'occasion d'un nouveau départ pour la SNCF.
Clarification également, avec le transfert aux régions de la gestion des services régionaux de voyageurs. Cette évolution est dictée par le bon sens ; elle permettra de rapprocher la décision de l'usager. Les régions sont mieux à même que l'Etat d'apprécier les besoins, les demandes de la population et les moyens adéquats pour assurer le service public du transport.
Pour le service public aussi, ce projet de loi conduira à une clarification. Nous pourrons enfin savoir quel est le contour des missions de service public. En effet, le service public a trop souvent servi à justifier l'inefficacité et la lourdeur. (Protestations sur les travées socialistes.)
C'est pourquoi on ne répétera jamais assez que le service public, ce sont des missions et ces missions de service public ce n'est pas à une entreprise de les définir, mais à nous parlementaires. C'est d'ailleurs ce que nous avons fait il y a peu avec France Télécom, secteur ouvert à la concurrence, mais où n'en existent pas moins des missions de service public.
Il me paraît plus indispensable que jamais de veiller à l'existence d'un service public de haut niveau sur l'ensemble de notre territoire.
Mais ce n'est pas la SNCF qui est un service public, c'est le transport de voyageurs !
La SNCF est une entreprise, et je souhaite qu'elle se comporte de plus en plus comme une entreprise. C'est son intérêt, c'est l'intérêt de ses salariés, c'est l'intérêt des clients, c'est l'intérêt des contribuables, c'est l'intérêt de la nation.
En définitive, je ne crois pas que le niveau du service public soit nécessairement proportionnel à l'endettement ou au déficit de l'entreprise qui est chargée de l'assurer. Je crois, au contraire, que compétitivité et service public ne sont pas antinomiques, à condition que chacun - Etat, région, SNCF - prenne ses responsabilités.
Ce projet de loi me semble également salutaire, parce qu'il donnera à la SNCF les moyens de mettre au point un véritable projet d'entreprise et d'être compétitive sur le marché européen.
Le transport ferroviaire a une pertinence évidente sur les distances européennes et la SNCF doit bénéficier de tous les moyens pour se développer sur ce créneau. Elle a d'ailleurs déjà entrepris de le faire puisqu'elle est à l'origine du projet de réseau européen de TGV et des premières rames internationales à grande vitesse que sont Thalys et Eurostar. Elle a également créé des sociétés de gestion avec la plupart de ses voisins pour faciliter la circulation des trains d'un pays à l'autre.
Je suis convaincu que le désendettement de la SNCF lui permettra de valoriser encore mieux sa compétence sur le marché européen.
Puisque je parle de l'Europe, permettez-moi de vous dire que le moment choisi pour mener à bien cette réforme me paraît particulièrement opportun. Aucun texte communautaire ne nous oblige aujourd'hui à réformer nos chemins de fer. C'est notre responsabilité et nous le faisons parce que c'est l'intérêt de la France.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Ça c'est vrai !
M. James Bordas. Actuellement, la France est parfaitement en règle au regard des directives communautaires existantes. Je trouve très sain que nous n'attendions pas qu'un futur texte communautaire intervienne pour mener à bien des réformes que nous devons faire dans l'intérêt de notre entreprise nationale.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Très bien !
M. James Bordas. Cela doit permettre de moderniser l'organisation du transport ferroviaire sans renoncer à tout ce qui a permis ses nombreux succès au cours des dernières décennies.
En revanche, les réflexions qui sont conduites à l'échelon communautaire doivent être un stimulant, un élément de notre réflexion. Il est vrai que la Commission européenne, lorsqu'elle aborde ces questions, le fait parfois avec une certaine brutalité, que nous avons quelquefois pu regretter. Toutefois, elle est tout à fait dans son rôle, me semble-t-il, en lançant des pistes de réflexion, comme elle l'a fait avec son Livre blanc.
Ce Livre blanc ne contient aucune mesure normative ; c'est un document d'orientation destiné à susciter le débat. Nous ne sommes pas d'accord avec toutes les orientations de ce document. Par conséquent, disons-le et discutons afin que les décisions qui en sortiront peut-être plus tard soient conformes à nos intérêts ! Cette méthode vient d'être expérimentée avec succès dans le secteur postal, où les Etats membres de l'Union européenne sont parvenus à un accord tout à fait conforme aux intérêts de la France.
Je crois, par exemple, que les propositions du Livre blanc sur les chemins de fer en matière sociale sont insuffisantes et que l'unification européenne implique un effort d'harmonisation en ce domaine. On a vu dans le transport routier les conséquences que pouvait avoir l'absence de réflexion sur ce sujet.
De même, les propositions de large ouverture à la concurrence du transport de fret et du transport international de voyageurs paraissent à tout le moins prématurées, puisque la directive de 1991, qui autorisait une concurrence tout à fait limitée, n'a fait l'objet d'aucune application.
Restons cependant vigilants, de manière à ne jamais nous laisser prendre de vitesse, comme cela a pu parfois être le cas dans d'autres secteurs.
Il nous faut donc être attentifs aux propositions européennes. Le contrôle que nous pouvons désormais exercer sur ces propositions par l'intermédiaire des résolutions que nous votons dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution est très précieux : il nous évite d'être les derniers informés des réformes qui seront mises en oeuvre dans notre pays.
Par ailleurs, nous devons être attentifs aux réformes conduites par nos partenaires européens. Il ne s'agit pas de copier nos voisins ; nous sommes parfaitement à même de définir une solution originale pour la modernisation du système ferroviaire français. Mais les expériences de nos voisins peuvent alimenter notre réflexion. J'ai pu observer, pour ma part, que la réforme britannique récemment mise en oeuvre et souvent qualifiée d'ultra-libérale était, en fait, beaucoup plus pragmatique qu'il peut y paraître au premier abord, dans la mesure où, pour les transports de voyageurs, le monopole national a certes disparu, mais a été remplacé par des monopoles régionaux sous la forme de concessions de service public.
Il est encore trop tôt pour dresser le bilan de cette réforme, mais les Britanniques ont eu le courage d'entreprendre la transformation d'un système ferroviaire caractérisé par une grande vétusté du réseau, ce qui n'est pas du tout le cas du sytème français.
En Allemagne, l'Etat a repris à sa charge la totalité de la dette de la Deutsche Bahn, ainsi que les surcoûts liés aux charges de personnel. Les Länder ont par ailleurs vu leurs compétences accrues.
Dans les deux cas, on a rapproché la décision du citoyen. C'est ce que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, et c'est la seule voie qui permettra à la France de disposer d'un système ferroviaire moderne, compétitif et répondant aux attentes des citoyens.
C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants votera ce projet de loi. Il offre, en effet, de nouvelles perspectives au rail en France, en adaptant notre système pour le rendre plus efficace, sans renoncer, je le répète, à ce qui a fait sa force dans le passé. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Grâce au projet de loi que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre, les chemins de fer français vont franchir une étape essentielle.
Nous avions craint de voir cette réforme abandonnée après le report de l'automne dernier. Cependant, le projet de loi est là ; notre inquiétude n'était donc pas fondée.
Permettez-moi tout d'abord de rendre hommage à M. Gerbaud, rapporteur, et à M. Haenel, rapporteur pour avis, pour le remarquable travail qu'ils ont accompli et pour les rapports très documentés dont nous avons pu disposer.
Monsieur le ministre, je tiens aussi à rendre hommage au courage et à la persévérence dont vous avez fait preuve dans la préparation de ce texte.
La concertation à l'intérieur de l'entreprise et avec les régions, qui a été exemplaire, a constitué le préalable indispensable à une véritable solution de redressement pour la SNCF, comme l'a rappelé la commission des affaires économiques.
M. Martinand, qui a su avec la compétence que nous lui connaissons éclairer ce projet, a eu cette phrase significative : « Le transport ferroviaire n'assure plus la desserte fine de l'ensemble du territoire ; il n'y a donc plus à proprement parler de service public ferroviaire. »
La réforme doit être à la hauteur du constat. Néanmoins, mes chers collègues, permettez-moi de rappeler que le bénéficiaire principal de la réforme doit être le client, c'est-à-dire le voyageur, dont les besoins doivent être satisfaits en termes de qualité, de sécurité et de coût. Il est étonnant que cet aspect soit si rarement évoqué dans les commentaires entendus ici ou là sur cette réforme. Et pourtant, tout ce que nous aurons à faire, à mettre en oeuvre, à créer, à modifier, doit répondre à cette seule priorité : le service du client.
Du débat national, quatre enjeux ont été dégagés, que chacun ici a rappelés : la clarification des responsabilités respectives de l'Etat et de la SNCF, l'allégement de la dette, la reconquête des clients et la régionalisation des services de voyageurs.
Après avoir rappelé les éléments essentiels qui nous font approuver le principe de cette réforme, j'insisterai sur les points financiers qui sont de nature à la consolider, mais qui restent encore un peu obscurs aujourd'hui.
M. le président Monory le rappelait lors d'un récent colloque, « en matière d'infrastructures de transports, toute réforme doit aujourd'hui prendre en considération deux aspects : l'approche européenne et l'action décentralisée ».
L'avenir des réseaux de chemins de fer est fortement déterminé par la perspective européenne. Mais, au moment où les pays européens considèrent les chemins de fer comme un facteur important d'intégration et de développement durable, les opérateurs ferroviaires, au premier rang desquels la SNCF, sont financièrement exsangues et donc incapables d'aller de l'avant.
Pourtant, le rail est un moyen de transport performant sur le plan économique dès qu'il s'agit de longues distances, de liaisons entre grandes métropoles et de zones européennes à fortes densités économique et démographique.
L'apport du transport ferroviaire à la politique d'aménagement du territoire ou à celle de la protection de l'environnement n'est pas négligeable. A nous donc d'en tenir compte.
Ce développement au niveau de l'Europe passe par une solution spécifiquement française adaptée au secteur. Cette voie est formalisée par les directives européennes sur les chemins de fer. Elle s'inscrit dans les politiques de service public et de développement des réseaux.
Mais, au-delà d'une simple directive, c'est aussi un nouvel horizon qui se met en place et qui impose des stratégies adaptées.
Votre projet de loi répond à ce défi : il offre un cadre pertinent pour faire de l'entreprise nationale de chemin de fer une société gérée de manière moderne, et de la juxtaposition des réseaux nationaux un véritable maillage international, sous réserve, bien sûr, d'« interopérabilité » et de moyens nouveaux pour financer les futures infrastructures.
Outre l'harmonisation européenne, il convient de souligner aussi une plus grande implication locale. Je serai bref sur cet aspect, car mon ami Pierre Hérisson est longuement et brillamment intervenu sur ce sujet tout à l'heure.
Les partenaires concernés, l'Etat, la SNCF et les conseils régionaux, doivent bien comprendre l'enjeu de la régionalisation du transport des voyageurs.
Il nous faut conduire rapidement et activer cette modification. Elle permettra de mener une véritable politique de proximité en matière ferroviaire et d'y associer très directement les représentants des usagers.
Ces évolutions et l'ensemble des dispositions qui en découlent, tant en France que dans les pays voisins, montrent qu'il y a là l'occasion d'un renouveau pour un mode de transport aujourd'hui dans l'impasse.
Dans la pratique, la concertation entre les directions régionales de la SNCF, les conseils régionaux et les associations d'usagers améliore toujours sensiblement la qualité des dessertes, l'adéquation des horaires aux besoins des voyageurs et le respect du matériel.
Il va cependant de soi que ce transfert de compétence doit être opéré à coût nul pour les régions dans la mesure où les conditions de financement ultérieur du service rendu aux usagers seront fixées par des conventions entre la SNCF et les régions.
Redisons-le clairement, monsieur le ministre, la réforme de la SNCF que nous sommes en train de réaliser a pour principal objectif de rendre un meilleur service aux voyageurs pour le meilleur coût. Cet objectif est prioritaire. Il y va de la pérennité de la réforme.
En effet, si celle-ci n'est pas adaptée aux conditions de mobilité des clients ni élaborée dans un cadre économique et financier moderne, elle est vouée à un échec redoutable : s'il n'y a plus de clients, il n'y a plus d'entreprise !
Nous approuvons donc les modalités de la réforme. Elles permettent de répondre aux quatre enjeux définis à l'issue du débat national tout en préservant l'intégrité de la SNCF.
Cependant, si l'on veut que le nouvel établissement public soit viable et ne soit pas uniquement une structure de cantonnement de la dette, il faut veiller à assurer clairement une gestion saine en ce qui concerne le financement et la maintenance des infrastructures actuelles et nouvelles, ainsi que la charge de la dette.
On peut légitimement s'interroger sur les aspects financiers de la réforme.
Ils permettront le redressement durable de la SNCF et la viabilité de l'établissement public nouveau, responsable de l'infrastructure.
L'allègement de 134,2 milliards de francs représente un effort sans précédent des pouvoirs publics. Il faut le dire, c'est une chance unique pour l'avenir de la SNCF. Les syndicats de cheminots ne s'y trompent d'ailleurs pas : leur relative modération actuelle vaut intérêt à défaut d'adhésion.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah ?
M. Marcel Deneux. En revanche, si l'on se place du point de vue du nouvel établissement public chargé de gérer l'infrastructure, les aspects financiers méritent un examen attentif. Le texte dont nous discutons laisse subsister quelques points d'interrogation à ce sujet.
Tout d'abord, je souhaite indiquer que si nous approuvons le montage financier, profitable à la SNCF, il ne faudrait pas que celui-ci se fasse au détriment de Réseau ferré national, qui apparaîtrait ainsi, dès sa création, comme un futur gouffre financier à la charge du contribuable. Je ne veux pas rappeler ici des précédents ô combien douloureux.
Il est absolument indispensable de connaître, lors de la création de Réseau ferré national, la nature de sa dette en termes de durée et de taux. Au moment où je parle, nous n'avons pas d'éléments de réponse totalement satisfaisants, ce que la commission des affaires économiques a d'ailleurs déploré à plusieurs reprises.
L'audit remarquable effectué par le cabinet d'expertise comptable Coopers & Lybrand sur les comptes de l'infrastructure de la SNCF ne nous a pas, lui non plus, apporté de réelles précisions sur ces points.
J'ajoute, en marge de cet aspect, que la SNCF, exploitante du réseau, devra assurer le règlement de sa propre dette et retrouver un équilibre de compte d'exploitation satisfaisant pour éviter de retomber dans les erreurs du passé.
On peut s'interroger sur la manière dont seront fixées les différentes rémunérations et prestations entre Réseau ferré national, la SNCF et d'autres opérateurs éventuels.
Il est bien évident que, compte tenu du faible apport en fonds propres dont sera doté Réseau ferré national lors de sa création, les recettes liées à l'exploitation et à l'utilisation du réseau vont jouer un rôle fondamental dans la gestion de l'établissement public, notamment dans la capacité de remboursement de sa dette, qui reste très élevée.
Or, là, le législateur est singulièrement tenu à distance pour les modalités fines d'attribution de ces recettes. Des questions restent en effet sans réponse.
Comment sera calculée la tarification liée à l'usage de l'infrastructure ?
Comment prendra-t-on en compte les zones fortement utilisées et les zones d'aménagement du territoire ?
Comment sera réellement calculée la rémunération du gestionnaire délégué de l'infrastructure ?
Quel sera le poids réel de Réseau ferré national face à la SNCF ?
Comment sera assurée la charge des futurs investissements que l'on ne manquera pas de reprocher à RFN en cas de report ou d'annulation ?
Quelle sera la marge de manoeuvre réelle du conseil d'administration de RFN face à l'Etat, à la SNCF, aux conseils régionaux ?
Des décrets vont intervenir prochainement pour la mise en oeuvre de la réforme. Ils apporteront les réponses aux questions posées en matière financière. Du moins, je l'espère.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Vous les avez !
M. Marcel Deneux. Le Parlement peut-il être assuré que ces textes réglementaires répondront à ses interrogations ?
Côté fiscal, il existe également des incertitudes quant aux conséquences du transfert de propriété des biens immobiliers de la SNCF vers Réseau ferré national.
Compte tenu du régime spécifique d'imposition de la SNCF et des ressources fournies aux communes - 22 000 communes - sont concernées, le risque existe de voir Réseau ferré national frappé plus lourdement sur le plan fiscal, à cause d'un partage moins équitable des bases d'imposition.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. J'ai répondu.
M. Marcel Deneux. Ne va-t-on pas assister mécaniquement à une réduction des ressources communales du fait de la nouvelle répartition de l'assiette fiscale ? (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
En ce qui concerne la valeur des biens transférés, notre rapporteur se demande si ce point relève du domaine réglementaire. Je tiens à faire remarquer en toute cordialité, cher collègue, qu'il est souhaitable que le législateur y soit associé, tout simplement en raison des conséquences - rappelées plus haut - de ces dispositions sur les recettes fiscales des collectivités locales.
Je souhaite que mes craintes ne soient pas toutes fondées.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Elles ne sont pas fondées.
M. Marcel Deneux. Mais, dans le cas inverse, les collectivités locales sauraient nous rappeler notre responsabilité !
Je vais terminer mon propos en insistant une nouvelle fois sur l'importance qu'auront les ressources de Réseau ferré national sur la viabilité générale de notre réforme.
Au risque de me répéter - mais je sais que je reprends là les préoccupations de notre commission - je rappelle que sur les sources de revenus affectées à Réseau ferré national aucun montant n'est clairement arrêté ; les recettes prévues n'assureront pas automatiquement la viabilité de ce nouvel établissement public.
Mais nous allons sans doute être rassurés par vos réponses, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat.
Le mérite principal de ce texte est la clarification entre la SNCF et le nouvel établissement public. La séparation est une voie prometteuse. Cela a été prouvé ailleurs.
En cantonnant la dette, on permet à la SNCF de retrouver une situation plus normale, on permet à l'ensemble du personnel de cette grande entreprise de se remobiliser et, on peut l'espérer, à l'entreprise elle-même de retrouver un niveau de résultat compatible avec la nécessaire pérennité du service public. La réussite est à ce prix. Les efforts ne sont pas terminés.
Il appartient au Gouvernement, au cours des prochains mois, de créer à tous les stades les conditions assurant un avenir à l'ensemble cohérent SNCF et Réseau ferré national, avenir qui consacrera le renouveau du transport ferroviaire en France.
Je reconnais avoir été parfois un peu sévère et pointilleux dans mon intervention. Mais ne vous méprenez pas, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, j'adhère à ce projet.
Par mes propos, je souhaite contribuer à la réussite complète de cette réforme, à la nécessité de laquelle je crois. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Fatous.
M. Léon Fatous. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les événements des mois de novembre et de décembre 1995 ont clairement démontré qu'une profonde et importante réforme s'imposait au sein de la SNCF.
Cette réforme se devait d'être en phase avec les directives européennes et, surtout, capable d'amener, dans des conditions favorables, la SNCF dans le troisième millénaire.
Votre Gouvernement en avait pleinement pris conscience dès le printemps 1996. Il nous proposait un large débat sur l'avenir du transport ferroviaire en juin 1996, débat qui a malheureusement été faussé par l'annonce de la création d'un établissement public industriel et commercial quelques jours avant que l'ensemble des parlementaires aient pu exposer leur vision d'avenir.
Ce grand effet médiatique de votre part laissait penser que Réseau ferré national allait enfin permettre à la SNCF de se désendetter et de trouver une nouvelle voie vers l'équilibre financier, l'apaisement social et le développement indispensable de ses infrastructures.
Votre proposition devait être débattue en novembre 1996 au Sénat, mais, pour des raisons encore indéterminées, elle a été repoussée à 1997. Nous y sommes !
Il est vrai que les fins d'année sont devenues pour vous des périodes délicates.
L'année 1996 n'a pas échappé à la règle, puisque vous avez eu à régler un autre conflit, dans le secteur du transport routier, et à faire face aux conséquences de la vague de froid qui a paralysé pendant quelques semaines la France entière.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Nous n'y étions pour rien !
M. Léon Fatous. Le texte que vous nous présentez aujourd'hui n'est rien d'autre que le projet que vous nous aviez promis en juin dernier, à l'exception cependant d'un transfert de dette différent et de l'usage d'une nouvelle dénomination pour l'établissement « Réseau ferré national », qui serait baptisé « Réseau national de France » ou « France rail ».
Notre position n'a pas changé concernant ce projet : nous voyons dans votre proposition non pas l'annonce d'une véritable réforme, mais simplement un transfert de dette inutile, dangereux et totalement inefficace.
Il est inutile, car rien, pas même la directive européenne 91/440, ne vous obligeait à créer un nouvel établissement public. Une simple séparation de comptabilité au sein de la SNCF suffisait pour répondre aux exigences de l'Europe et de l'avenir.
M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien !
M. Léon Fatous. Il est dangereux, car cette scission entre une société qui sera chargée de l'exploitation et une autre qui gérera les infrastructures constitue un démantèlement de la SNCF et ouvre la voie à la privatisation.
En effet, quand bien même ce ne serait pas votre volonté - je vous l'accorde - le fait même de séparer les deux établissements aboutira à soumettre RFN aux contraintes de la législation relative aux marchés publics. Une dérogation ne sera à cet égard d'aucun secours, car elle devra tenir compte des directives européennes.
Ainsi, RFN et la SNCF risquent d'être confrontés à des tracasseries juridiques. Si l'on s'en tenait à une simple séparation comptable de la gestion des infrastructures et de l'exploitation, comme l'exige la directive européenne 91/440, sans aller aussi loin que le prévoit le projet de loi, une telle difficulté ne se poserait pas.
Ce transfert de dette est enfin inefficace, car le problème posé par celle-ci reste entier : les 208 milliards de francs de dette sont simplement répartis entre deux établissements, et il apparaît dès lors impossible de redresser la situation financière de la SNCF à l'horizon de l'an 2 000.
En somme - j'ai déjà dénoncé ce fait lors des discussions budgétaires - vous n'avez pas la véritable volonté politique de relancer le rail, notamment en ce qui concerne le fret.
On a pourtant pu constater, ces derniers jours, les conséquences désastreuses, pour l'environnement et pour la qualité de l'air, du développement à outrance du transport routier.
Pour toutes ces raisons, ce projet de loi ne nous convient pas. Il manque d'ambition, et ne constitue pas la véritable réforme tant attendue par les cheminots et par l'ensemble des Français, qui devrait être l'occasion d'une réflexion globale sur notre politique des transports.
Par ailleurs, le personnel de la SNCF n'est pas - ou très peu - évoqué dans le texte, alors qu'il se trouvait à l'origine du conflit de novembre 1995.
Je comprends donc fort bien sa déception et son scepticisme à l'égard des mesures que vous proposez et surtout ses inquiétudes quant à l'avenir de son statut.
Les dernières intempéries ont pourtant montré à quel point était nécessaire la présence humaine dans les gares. Chaque jour, et plus encore ici en région parisienne, des faits nous prouvent combien il est important, pour la sécurité, le confort et l'accueil des usagers, que des effectifs suffisants soient présents. Or l'automatisation se développe partout, et les distributeurs remplacent petit à petit le personnel, ce qui vide les gares et les rend inhumaines...
Si M. Gallois souhaite, comme son prédécesseur, gagner son pari, c'est bien sur la qualité de l'accueil et du service rendu aux clients qu'il doit agir.
Mais bien au-delà de la simple question des effectifs, le véritable problème reste celui de la motivation de ce personnel compétent et soucieux de servir au mieux son entreprise.
Or, par la « réformette » que vous proposez, monsieur le ministre, vous ne leur insufflez pas cette motivation nécessaire à la réussite et au redressement de la SNCF.
En effet, ils ne voient là qu'un projet inquiétant qui risque, tôt ou tard, d'aboutir à la remise en cause de leur statut. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, M. Haenel, rapporteur de la commission des finances consultée pour avis sur le projet de loi portant création de l'établissement public « Réseau ferré national », a défini deux préalables devant être clairement exprimés.
Le premier est de considérer que la réforme proposée crée des relations financières nouvelles entre quatre partenaires : l'Etat, la SNCF, RFN et les collectivités territoriales.
Mais - c'est le second préalable, tout aussi important - le niveau des différents paramètres financiers doit être fixé. Or il ne l'est pas dans le projet de loi qui nous est soumis.
La réponse financière donnée par le Gouvernement est cependant fort claire ; on peut en mesurer toute l'insuffisance, la perversité et la gravité pour l'avenir de la SNCF et du transport ferroviaire dans notre pays.
Cette réponse prend en compte d'autres soucis que celui du simple équilibre financier de la SNCF, car la préoccupation prioritaire du Gouvernement, c'est la réduction des déficits publics en vue du passage à la monnaie unique.
En effet, pour limiter le montant du déficit budgétaire à 3 % du produit intérieur brut, le Gouvernement a déjà réduit, dans la loi de finances pour 1997, le volume des crédits de vingt-cinq budgets civils sur vingt-huit.
Avec la réduction de ce déficit à 2 % du PIB que vous voulez imposer en 1998, la réduction touchera, et plus fortement encore, la totalité des budgets.
M. Gerbaud, rapporteur de la commission des affaires économiques, consacre les pages 40 et 41 de son rapport à ce qu'il appelle « la problématique de Maastricht ». Certes, monsieur le rapporteur, il y a problème, mais vous ne proposez pas la bonne solution !
Dans la loi de finances pour 1997, le Gouvernement a ainsi transféré 35 milliards de francs de France Télécom vers le budget de l'Etat. Pour votre part, monsieur le ministre, vous transférez le déficit de la SNCF à un nouvel organisme, RFN, pour ne pas avoir à le supporter.
Le Gouvernement a donc fait siens les profits de France Télécom, mais vous refusez de faire vôtre le déficit de la SNCF.
En outre, la dette de la SNCF n'est pas une dette : elle est un résultat financier voulu par le Gouvernement. En effet, sur 213 milliards de francs de « dette », 175 milliards de francs représentent une dette effective, tandis que 38 milliards de francs correspondent au service de l'amortissement de la dette, que vous avez souhaité et organisé.
La SNCF est entrée, depuis 1993, dans une spirale de l'endettement, sans que l'Etat fasse une analyse réelle ou apporte un remède efficace. Avec un chiffre d'affaires consolidé de 74 milliards de francs en 1995, les dettes à plus d'un an se montaient à 193,5 milliards de francs et les frais financiers atteignaient le chiffre record en valeur absolue de 15,9 milliards de francs.
Alors que jusqu'en 1991 la situation paraissait pouvoir être maîtrisée, le désengagement de l'Etat et son désintérêt ont conduit la SNCF à engager des investissements importants financés seulement par l'emprunt, ce qui a entraîné un alourdissement des frais financiers.
L'effondrement rapide des résultats financiers de l'entreprise a été prévu, voire favorisé. Ainsi, les deux contrats de plan précédents ont engendré 100 milliards de francs de charges financières, payées intégralement grâce aux recettes provenant des usagers et du travail des cheminots. La SNCF a payé des frais financiers exorbitants et n'a, en outre, jamais pu transférer les profits dégagés par ses secteurs rentables et certaines de ses filiales.
Aujourd'hui, le seul préalable qui s'impose est la reprise par l'Etat de ce déficit de la SNCF et sa transformation en dette publique, avec conversion de la durée de remboursement et des conditions d'indexation. Il serait également souhaitable et possible de décider le rachat des titres en circulation, avec conditions incitatives, et d'envisager la collecte de ressources par certains intermédiaires financiers - SICAV monétaires, compagnies d'assurance - tenus de supporter le coût de l'opération. L'Etat pourrait alors continuer d'apporter sa garantie de remboursement.
Votre préalable est l'éclatement de la SNCF pour cause de déficit, le nôtre est le rééquilibrage des relations entre entreprises publiques dotées de services financiers, établissements de crédit et budget de la SNCF.
Votre préalable est insuffisant pour sauver la SNCF, mais vos propositions sont perverses sur le plan financier. Elles reproduiront les mêmes effets, pour des raisons fort simples : elles excluent la sortie de la dette de la comptabilité de la SNCF, sa restructuration et sa déconnexion d'avec les taux des marchés financiers.
Des solutions existent pourtant, qui mériteraient au moins d'être explorées. Mais vous n'envisagez nullement de possibles recettes nouvelles et complémentaires, comme l'utilisation de fonds européens ou le retour d'investissements qui ont permis de constituer des provisions considérables. Celles de GEC-Alsthom, par exemple, représentent 75 milliards de francs en SIVAC monétaires.
Vous n'envisagez nullement la recherche de nouvelles rentrées financières pour la SNCF. Pourtant, les plus-values financières liées aux opérations immobilières autour des gares et des dessertes nouvelles par TGV pourraient être taxées quant aux compagnies d'assurance, grâce à la couverture du risque lié au transport, elles ont dégagé, après remboursement des sinistres, un solde positif de 19 milliards de francs. Serait-il illogique d'affecter une partie de cette somme à l'amélioration de la sécurité des transports ?
La SNCF est un sigle et une réalité qui servent de vecteur, de label, de carte de visite, de support publicitaire à l'industrie ferroviaire. Serait-il illogique que l'entreprise en reçoive un juste retour financier ?
De plus, l'Etat profite largement, par le biais de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, du transport routier. Le produit de la TIPP était, en 1996, de 148,5 milliards de francs. Serait-il illogique de prévoir un prélèvement sur celui-ci pour financer les opérations d'investissement en vue de développer des infrastructures nouvelles de transport ?
Bien entendu, une maîtrise politique du dossier s'impose pour articuler ces mesures avec des pratiques démocratiques de contrôle, des décisions concernant le financement à tous les niveaux, des conseils consultatifs des 210 succursales de la Banque de France, des CODEF à la constitution de conférences financières régionales.
Dans les faits, ces mesures d'ensemble permettraient d'assainir les finances de la SNCF, mais, surtout, elles définiraient fondamentalement une mission nouvelle dévolue au service public, un nouveau rôle pour le crédit et les banques, une perspective de mixité à prédominance publique et sociale. L'établissement public RFN devra, pour vivre, s'épanouir au sein de ces concordances nouvelles, ou alors il s'enlisera, à son tour, dans le déficit et subira le sort de la SNCF.
Nous n'étions pas, monsieur le ministre, pour le statu quo, mais la réforme que vous nous proposez à travers ce projet de loi ne règle rien. Elle compromet tout développement d'une société nationale du chemin de fer français, mais surtout tout développement harmonieux de l'ensemble des moyens de transport. Certaines lois votées antérieurement prévoyaient qu'un nouvel équilibre serait à trouver entre transports aériens, fluviaux, terrestres et ferroviaires. Mais vous provoquez un déséquilibre en sacrifiant le rail français, la SNCF, le service public et des générations de cheminots.
Telles sont, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, les raisons pour lesquelles le groupe communiste républicain et citoyen rejette catégoriquement votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui vise à établir un cadre juridique précis pour la première grande réforme du transport ferroviaire depuis 1937. Les adaptations intermédiaires ont plus apporté des réponses à des situations installées que tenté une approche prospective. Le bilan dressé en 1995 fournit, pour les cinq dernières années, des chiffres qui indiquent un repli de 20 % pour le transport de voyageurs, un recul de quatre points pour le fret et un passif dont nous connaissons l'ampleur.
Entrée dans l'histoire nationale il y a soixante ans, la SNCF fait partie du patrimoine hexagonal. L'action de ses agents, dans les moments difficiles, reste inscrite dans nos mémoires. La réforme de la société nationale est d'autant plus délicate à mener que son identité d'entreprise est forte. L'inquiétude des cheminots a ainsi conduit leurs organisations représentatives à repousser par deux fois la signature du pacte de modernisation proposé. En dernier ressort, et malgré une réelle concertation, l'unanimité du conseil d'administration n'a pas été obtenue.
S'il était urgent de clarifier les relations contractuelles entre l'Etat et la SNCF, compte tenu de la situation axée sur une combinaison étroite du service public et de l'économie de marché, il était également nécessaire de procéder à un état des lieux exhaustif et d'engager un dialogue social nourri sur ce sujet. A cet égard, il semble que cette forme d'échanges n'aboutit que lorsque le conflit a éclaté, alors qu'elle devrait être le moyen de l'éviter. Il semble que les conséquences de la grève de 1995 ont entraîné une prise de conscience chez les agents du rail et repositionné le rôle du client.
Selon M. Louis Gallois, président de la SNCF, les pertes financières de l'établissement sont importantes mais ne sont pas inéluctables. Il a jugé que celui-ci n'était pas tourné vers les clients : il prétend produire du transport ferroviaire et non pas du service de transport de clients. Cela signifie, toujours selon M. Gallois, que les moyens financiers et humains ne sont, d'une certaine manière, pas affectés au service des clients, mais sont affectés au service des trains !
Cette analyse nous est précieuse au moment où nous allons décider du transfert de la dette et du reliquat du déficit qui restera à supporter par la SNCF, et donc de sa résorption. La commission des affaires économiques et du Plan du Sénat s'apprête, par voie d'amendement, à porter, lors de la création de Réseau ferré national, l'aide destinée à diminuer le passif de l'entreprise de 125 milliards à 134,2 milliards de francs.
Restera donc, au terme de l'exercice écoulé, en endettement, une somme sensiblement équivalente au chiffre d'affaires. Or on considère qu'une entreprise est en danger quand son endettement est supérieur à la moitié de son chiffre d'affaires.
Quelles sont les chances de la SNCF de se ressaisir et d'équilibrer ses comptes ? Monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, je voudrais être convaincu que nous ne mettons pas sur pied une entité vouée au transfert de passif.
Toujours sur le plan financier, je souhaiterais quelques précisions sur l'approvisionnement du nouvel établissement. La cession à RFN d'actifs immobiliers pour 130 milliards de francs sera complétée par une dotation provenant d'un compte recevant le produit des privatisations. Quelle est la situation de ce compte ? Combien recevra RFN ? Devra-t-on attendre de nouvelles opérations différées ?
A l'issue de nos débats, la SNCF se verra confier l'exploitation et l'entretien des infrastructures ferroviaires. Elle sera soumise aux règles applicables aux entreprises de commerce et soumise au contrôle économique, financier et technique de l'Etat, mais devra aussi assurer un service public. C'est ainsi que seront exigés la continuité et le même accès pour tous.
La continuité sous son aspect spatial s'articule sur l'aménagement du territoire et pose le problème de la rentabilité. Trente liaisons représentent un tiers du trafic ; soixante-dix autres un autre tiers et le troisième regroupe quatre mille liaisons. Le projet de loi que nous examinons complète les dispositions de l'article 67 de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire en confiant aux régions l'organisation des services régionaux de voyageurs de la SNCF, avec compensation des charges transférées.
La saisie de proximité est tout à fait fondamentale pour apporter des réponses adaptées aux besoins identifiés, qui ne peuvent l'être qu'ainsi. L'extension d'une certaine compétence des régions au réseau du fret est souhaitable. La Haute-Saône accueille la plaque tournante mondiale des pièces détachées des automobiles Peugeot. Le rail représente 59 % du volume total des mouvements d'expédition atteignant 50 000 tonnes par an. L'amélioration des conditions d'acheminement susciterait une évolution favorable du trafic et stimulerait l'implantation d'activités utilisatrices.
Le fer repensé reste un moyen de désenclavement évitant les dérives sécuritaires, sociales, énergétiques et environnementales du transport monomodal routier. L'alibi de la vitesse et de l'urgence absolues né en partie d'une caricature des techniques modernes d'optimisation de la productivité industrielle et de la notion de « flux tendus » doit être combattu.
En ce qui concerne la continuité temporelle, et sans toucher au droit de grève, il conviendrait d'instituer un service minimal que tout citoyen est, lui aussi, en droit d'exiger. Il faudra le négocier. Une proposition de loi émanant de notre collègue Jean-Pierre Fourcade visait à introduire cette mesure. Ce matin encore, il était fait état de débrayages sur le réseau Nord qui n'affecteraient pas certaines lignes de prestige. L'usager moyen, si je peux m'exprimer ainsi, mérite une mise à disposition de liaisons conformes aux engagements pris. Cet aspect des choses appelle un traitement qui ne saurait tarder.
Cette continuité a également été rompue par les conditions climatiques. De graves intempéries, qui, selon moi, n'ont rien d'exceptionnelles, puisque leur fréquence d'apparition se rapproche, ont fortement perturbé le trafic ferroviaire au point de l'interrompre en raison de l'impossibilité d'alimenter en énergie les motrices. Il a été indiqué que, au regard des coûts et des probabilités des risques d'entrave, n'avaient pas été retenus les équipements qui permettent une utilisation permanente des installations.
Quand elle est possible, la maîtrise des risques, fussent-ils à faible pourcentage, doit être assurée. Compte tenu des nouvelles attributions de compétences, quel va être le cheminement d'une décision impliquant un investissement important ? Certes, les champs de compétence seront organisés par voie réglementaire, mais il est dès à présent utile d'avoir une approche claire.
En conclusion, ce réaménagement nécessaire à un assainissement indispensable à la poursuite de la mission de la SNCF doit être conçu aussi comme un pari sur l'avenir européen. L'ouverture du réseau, si elle est inéluctable, requiert néanmoins la prudence, ce qui n'est pas antinomique. L'exceptionnelle technicité, reconnue à l'échelon mondial, son avance et la substance du TGV, l'engagement des agents, l'existence d'une clientèle fidélisable et d'un réseau cohérent, tous ces atouts confortent le transport ferroviaire français comme élément porteur d'avenir dans le combiné multimodal qui se mettra en place. Il est impératif de réussir, de donner à la SNCF les moyens de vivre. Je voterai donc le projet. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste. - M. le rapporteur pour avis applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

8

TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'amélioration des relations entre les administrations et le public.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 181, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

9

DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. Christian Demuynck une proposition de loi tendant à interdire l'importation, l'élevage, le trafic et la détention d'animaux susceptibles de présenter un danger aux personnes sur le territoire français.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 182, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de MM. Jean-Pierre Cantegrit, Jacques Habert, Charles de Cuttoli, Pierre Croze, Paul d'Ornano et Xavier de Villepin, Mme Paulette Brisepierre, MM. Hubert Durand-Chastel et André Maman une proposition de loi tendant à reporter temporairement le renouvellement de quatre membres du Conseil supérieur des Français de l'étranger élus dans la circonscription d'Algérie.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 183, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

10

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- proposition de décision du Conseil autorisant les Etats membres à continuer à appliquer à certaines huiles minérales utilisées à des fins spécifiques les réductions de taux d'accise ou les exonérations d'accises existantes, conformément à la procédure prévue à l'article 8 paragraphe 4 de la directive 92/81/CEE.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-767 et distribuée.

11

RETRAIT D'UNE PROPOSITION
D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une communication, en date du 20 janvier 1997, l'informant que la proposition d'acte communautaire numéro E-166 « communication de la Commission relative au programme d'action pour encourager le développement de l'industrie audiovisuelle européenne (MEDIA) (1991-1995) et proposition de décision du Conseil modifiant la décision 90/685/CEE concernant la mise en oeuvre d'un programme d'action pour encourager le développement de l'industrie audiovisuelle européenne (MEDIA) (1991-1995) » a été retirée le 10 janvier 1997.

12

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 22 janvier 1997, à neuf heures trente et à quinze heures :
1. Examen d'une demande, présentée par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information en Australie et en Nouvelle-Zélande afin de contribuer à donner un nouvel élan aux relations politiques bilatérales entre la France et chacun de ces deux pays.
2. Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 35, 1996-1997) portant création de l'établissement public « Réseau ferré national ».
Rapport (n° 177, 1996-1997) de M. François Gerbaud, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.
Avis (n° 178, 1996-1997) de M. Hubert Haenel, au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.

Délais limites

Conclusions de la commission des lois sur la proposition de loi visant à modifier le code général des collectivités territoriales de façon à élargir les compétences des districts (n° 117, 1996-1997) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 27 janvier 1997, à dix-sept heures.
Proposition de loi de M. Jean-Marc Pastor et plusieurs de ses collègues (n° 23, 1996-1997) et proposition de loi de M. Jean-Pierre Camoin et plusieurs de ses collègues (n° 142, 1996-1997) tendant à organiser la lutte contre les termites :
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 27 janvier 1997, à dix-sept heures.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant les articles 54, 62 et 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (n° 163, 1996-1997) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 28 janvier 1997, à dix-sept heures.
Proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, créant les plans d'épargne retraite (n° 179, 1996-1997) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 29 janvier 1997, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 22 janvier 1997, à zéro heure vingt-cinq.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SÉANCES DU SÉNAT
établi par le Sénat dans sa séance du mardi 21 janvier 1997
à la suite des conclusions de la conférence des présidents

Mercredi 22 janvier 1997, à 9 h 30 et à 15 heures :

Ordre du jour prioritaire

Jeudi 23 janvier 1997 :
A 9 h 30 :

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures et le soir :
2° Questions d'actualité au Gouvernement ;
(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;

Ordre du jour prioritaire

Eventuellement, vendredi 24 janvier 1997, à 9 h 30 et à 15 heures :

Ordre du jour prioritaire

Mardi 28 janvier 1997 :

Ordre du jour établi en application de l'article 48,
troisième alinéa, de la Constitution

A 9 h 30 :
1° Proposition de loi de M. Alain Joyandet et plusieurs de ses collègues visant à modifier le code général des collectivités territoriales de façon à élargir les compétences des districts (n° 34, 1996-1997) (rapport n° 117, 1996-1997) ;
(La conférence des présidents a fixé au lundi 27 janvier 1997, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements) ;
A 16 heures :
2° Proposition de loi de M. Jean-Marc Pastor et plusieurs de ses collègues (n° 23, 1996-1997) et proposition de loi de M. Jean-Pierre Camoin et plusieurs de ses collègues (n° 142, 1996-1997) tendant à organiser la lutte contre les termites ;
(La conférence des présidents a fixé au lundi 27 janvier 1997, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements.)

Ordre du jour prioritaire

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant les articles 54, 62 et 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (n° 163, 1996-1997) ;
(La conférence des présidents a fixé au mardi 28 janvier 1997, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de loi.)

Ordre du jour prioritaire

Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, créant les plans d'épargne retraite (n° 179, 1996-1997) ;
(La conférence des présidents a fixé au mercredi 29 janvier 1997, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de loi.)
A 9 h 30 :
1° Douze questions orales sans débat :
(L'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement.)
- n° 507 de M. Daniel Hoeffel à M. le ministre délégué à la jeunesse et aux sports (Utilisation des crédits accordés à l'Office franco-allemand pour la jeunesse au titre de l'année 1996) ;

- n° 517 de M. Gérard Larcher à M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme (Financement du chantier de la déviation de la RN 12 à Jouars-Pontchartrain [Yvelines]) ;

- n° 525 de M. Jean Boyer à M. le ministre du travail et des affaires sociales (Statut des bénévoles) ;

- n° 526 de M. Jean Boyer à M. le ministre de la culture (Taux de TVA applicable à la mise à disposition de matériel d'orchestre) ;

- n° 527 de M. Jean-Jacques Robert à M. le ministre du travail et des affaires sociales (Non-reconduction de la prime versée en faveur des contrats de qualification) ;

- n° 531 de M. Gérard Delfau à M. le ministre du travail et des affaires sociales (Mise en place des médicaments génériques dans le cadre de la maîtrise des dépenses de santé) ;

- n° 532 de M. Jean-Jacques Robert à M. le ministre délégué au budget (Modalités de prélèvement de la contribution au Fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France) ;

- n° 533 de M. Léon Fatous à M. le garde des sceaux, ministre de la justice (Situation des juridictions d'Arras) ;

- n° 534 de Mme Marie-Claude Beaudeau à M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat (Application de l'article 13 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996) ;

- n° 535 de M. André Vallet à M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme (Réalisation de la deuxième tranche de la déviation de la ville de Salon-de-Provence) ;

- n° 536 de M. André Vezinhet à M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme (Réforme du permis de construire) ;

- n° 537 de M. René Rouquet à Mme le ministre de l'environnement (Problèmes posés par la construction d'une usine d'incinération) ;

Ordre du jour prioritaire

(La conférence des présidents a fixé :
- au mardi 4 février 1997, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi ;

- à cinq heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateur des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 3 février 1997.)

Ordre du jour prioritaire

Jeudi 6 février 1997 :
A 9 h 30 :

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures :
2° Questions d'actualité au Gouvernement ;
(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;

Ordre du jour prioritaire
COMMUNICATION RELATIVE À LA CONSULTATION
DES ASSEMBLÉES TERRITORIALES

le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une communication, en date du 21 janvier 1997, relative à la consultation des assemblées territoriales de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et des îles Wallis-et-Futuna sur le projet de loi portant réforme de la procédure criminelle.
Ce document a été transmis à la commission compétente.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Problèmes posés
par la construction d'une usine d'incinération

537. - 17 janvier 1997. - M. René Rouquet appelle l'attention de Mme le ministre de l'environnement sur les conséquences de l'alerte à la pollution de niveau 2 déclenchée par Airparif le 13 janvier dernier, qui a mis directement en cause la centrale à combustion EDF de Vitry-sur-Seine, celle-ci se voyant immédiatement contrainte de réduire sa production de moitié. Incriminée comme lors d'une précédente alerte au dioxyde de soufre intervenue en novembre 1995, cette centrale est située dans le périmètre direct d'une zone fortement urbanisée, sur un secteur où sont déjà concentrées de nombreuses industries polluantes, et qui est voué à accueillir prochainement, outre une turbine à combustion, une usine d'incinération dont le principe vient d'être voté par l'assemblée départementale. Face à une telle concentration de nuisances atmosphériques qui portent une atteinte grave à la santé de milliers d'habitants de ce secteur, et plus particulièrement des communes d'Alfortville, de Choisy-le-Roi, de Maisons-Alfort et de Vitry, il lui demande en conséquence si elle est déterminée à mener le combat, avec les élus et les populations concernées, pour s'opposer à la construction de cette usine d'incinération.

Politique d'installations des grandes surfaces

538. - 21 janvier 1997. - M. Philippe Richert attire l'attention de M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat sur la loi du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, portant sur la réforme de l'urbanisme commercial - dont les décrets d'application ont été publiés en décembre 1996 - et plus particulièrement sur la question des demandes déposées devant les commissions départementales d'équipement commercial. Il lui rappelle que la loi précise que c'est l'emploi qui est pris comme un des critères majeurs d'attribution. Ainsi, il paraît important, avant d'attribuer les autorisations à des grandes surfaces notamment, de considérer la rentabilité globale du centre commercial dans lequel elles désirent s'installer. L'exemple du centre Parinor, situé dans la Seine-Saint-Denis, mérite d'être signalé. Celui-ci opérationnel depuis 1974, a eu une rentabilité croissante jusqu'en 1991, mais celle-ci s'est infléchie par la suite. De nouveaux investissements ont eu lieu, créant de nouveaux emplois, et aujourd'hui tous les secteurs commerciaux confondus semblent satisfaits et l'installation d'autres grandes surfaces sur ce site pourrait infléchir davantage la rentabilité du centre Parinor. Moins de rentabilité est synonyme à terme de moins d'emplois. Aussi, il lui demande quelle recommandation il donnerait aux autorités locales chargées d'instruire les dossiers et d'attribuer les autorisations, pour qu'elles harmonisent rentabilié et emploi, dans la perspective d'installations, peut-être hasardeuses, de grandes surfaces, sachant qu'il n'y a aucune vertu à ajouter une concurrence lorsque l'offre est remplie.

Réglementation relative
à l'implantation des réseaux de grande distribution

539. - 21 janvier 1997. - M. Bernard Barraux appelle l'attention de M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat sur la loi du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, portant sur la réforme de l'urbanisme commercial, qui a prévu l'établissement d'un programme national de développement et de modernisation des activités commerciales et artisanales par le Gouvernement qui est, en fait, un plan d'occupation des sols au niveau des centres commerciaux urbains. Il lui précise que cette mesure traduit la volonté du Parlement d'équilibrer la paysage commercial français, de régler les questions de concurrence et d'harmoniser la liberté d'entreprendre et que ces réformes, engagées au printemps dernier, ne doivent pas se borner à accroître la rente de situation des grandes chaînes de magasins déjà installées. Il lui demande, en conséquence, s'il ne serait pas judicieux de demander aux autorités compétentes en matière d'urbanisme commercial et de concurrence - à savoir les préfectures, la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF), les commissions départementales d'équipements commerciaux - d'endiguer les excès de la grande distribution et ses pratiques souvent déloyales, notamment en excluant de facto le dossier d'implantation d'une enseigne de très grande distribution qui tenterait de s'installer - en toute déloyauté - devant une enseigne plus modeste, mais dont les efforts et les investissements ont été avérés. Il lui indique que cette situation se produit souvent, trop souvent, et ruine non seulement l'emploi local mais aussi l'esprit d'entreprise.