SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Contrat de concession du Stade de France. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p. 1 ).
Discussion générale : MM. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois ; Guy Drut, ministre délégué à la jeunesse et aux sports ; Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Hélène Luc.
Clôture de la discussion générale.

Article unique (p. 2 )

MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Philippe François.
Adoption de l'article unique de la proposition de loi.
M. le ministre délégué.

Suspension et reprise de la séance (p. 3 )

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

3. Questions d'actualité au Gouvernement (p. 4 ).

RÉTABLISSEMENT DE LA PAIX CIVILE EN CORSE (p. 5 )

MM. Jacques Oudin, Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur.

VERSEMENT DE SUBVENTIONS
À L'ASSOCIATION LE PATRIARCHE (p. 6 )

MM. Franck Sérusclat, Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances.

RELATIONS ENTRE LES PME ET LES SERVICES FISCAUX (p. 7 )

MM. Jean-Louis Lorrain, Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances.

ACTIONS EN FAVEUR
D'UNE MEILLEURE ORIENTATION DES JEUNES (p. 8 )

MM. Jean-Claude Carle, François d'Aubert, secrétaire d'Etat à la recherche.

POLITIQUE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE (p. 9 )

MM. Georges Mouly, Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale.

SUPPRESSION D'EMPLOIS CHEZ ALCATEL (p. 10 )

MM. Félix Leyzour, Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications.

LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION CLANDESTINE (p. 11 )

MM. Alain Gournac, Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur.

RETRAIT DE L'ORDRE DU JOUR
D'UN PROJET DE LOI CONCERNANT LA SNCF (p. 12 )

M. Aubert Garcia, Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'Etat aux transports.

EMPLOI TEMPORAIRE DE POLICIERS MUNICIPAUX (p. 13 )

MM. Jean-Paul Amoudry, Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation.

LUTTE CONTRE LA PANDÉMIE BUREAUCRATIQUE (p. 14 )

MM. Christian Bonnet, Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation.

PARTICIPATION DE L'EUROPE DU SUD
À LA MONNAIE UNIQUE (p. 15 )

MM. Hubert Durand-Chastel, Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice.

Suspension et reprise de la séance (p. 16 )

PRÉSIDENCE DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT

4. Moyens de la justice. - Discussion d'une question orale avec débat (p. 17 ).
MM. Pierre Fauchon, auteur de la question ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Mme Nicole Borvo, MM. Charles Jolibois, Alain Lambert, Hubert Haenel, Christian Bonnet, José Balarello, Jacques Larché.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice.
Clôture du débat.

5. Décision du Conseil constitutionnel (p. 18 ).

6. Dépôt de propositions de loi (p. 19 ).

7. Dépôt d'une proposition de résolution (p. 20 ).

8. Dépôt d'une proposition d'acte communautaire (p. 21 ).

9. Ordre du jour (p. 22 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

CONTRAT DE CONCESSION
DU STADE DE FRANCE

Adoption des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 62, 1996-1997) de M. Jean-Patrick Courtois, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi de MM. Jean-Jacques Hyest, François Lesein et Jean-Patrick Courtois relative au contrat de concession du Stade de France à Saint-Denis.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont est saisi aujourd'hui le Sénat tend à lever, par une mesure de validation, l'insécurité juridique qui, à la suite d'une décision juridictionnelle récente, pourrait affecter le contrat de concession du Stade de France à Saint-Denis et, par là même, mettre en cause la bonne préparation de l'organisation de la Coupe du monde de football par la France en 1998.
Dans un peu plus d'un an, notre pays accueillera cette grande manifestation sportive. L'effet que la qualité de l'organisation d'une telle manifestation aura sur l'image internationale de la France justifie pleinement que, dans le respect des principes constitutionnels, tous les moyens juridiques soient réunis, notamment pour réaliser le grand stade de 80 000 places implanté à Saint-Denis.
Après vous avoir rappelé brièvement le cadre général dans lequel est préparée l'organisation de la coupe du monde de football, je vous exposerai les motifs qui fondent la présente proposition de loi.
La construction d'un grand stade à Saint-Denis a justifié l'intervention préalable du législateur pour lever certains obstacles juridiques qui tenaient à la non-comptabilité de cet équipement avec les documents d'urbanisme en vigueur, aux délais requis pour la mise en oeuvre éventuelle de procédures d'expropriation et aux conditions de réalisation de l'équipement lui-même.
Ainsi, la loi du 31 décembre 1993 a autorisé cette opération d'aménagement qui comprend, d'une part, la création d'un grand stade - qualifié d'équipement sportif d'intérêt national - à Saint-Denis, dans le département de la Seine-Saint-Denis et, d'autre part, comme l'avait souhaité le Sénat, l'édification d'infrastructures de sécurité rendues nécessaires par la création et l'utilisation du grand stade sur le terrain « caserne de Rose », à Dugny.
La loi permettait, en outre, l'utilisation de la procédure d'extrême urgence en matière d'expropriation, disposition qui n'a d'ailleurs pas été utilisée puisque les acquisitions ont été effectuées à l'amiable.
Enfin, cette loi lève tout doute sur l'autorité concédante en précisant que l'Etat pourra concéder, sur les terrains dont il aura la disposition, la construction et l'exploitation du grand stade, et ce en application de son article 4.
Deux décrets, pris en 1994 et en 1995, ont précisé le contenu de l'opération d'aménagement.
Un premier décret, en date du 23 décembre 1994, a concerné la réalisation du grand stade sur le site dit du « Cornillon Nord », à Saint-Denis.
Cette opération doit notamment comporter un programme d'équipements sportifs comprenant un grand stade d'une capacité d'environ 80 000 places, ainsi que des locaux utilisés pour son exploitation et son animation, un stade annexe, des locaux d'exploitation, et, enfin, environ 6 000 places de stationnement.
La société d'économie mixte d'aménagement de la zone d'aménagement concerté du « Cornillon Nord » a, par ailleurs, été créée le 2 novembre 1994.
Cette société est dotée d'un capital de 30 millions de francs, dont 51 % sont détenus par l'Etat.
Enfin, à la suite d'une procédure de consultation, le contrat de concession pour le financement, la conception, la construction, l'entretien et l'exploitation du Stade de France à Saint-Denis a été attribué à la société Consortium Grand Stade.
Aussi, après la signature du contrat de concession, le 29 avril 1995, et la délivrance du permis de construire, le 30 avril 1995, les travaux de construction ont débuté dès le 2 mai 1995.
Après dix-huit mois de chantier, 55 % des travaux avaient été réalisés, la date d'achèvement de l'ouvrage étant fixée au 30 novembre 1997.
Le montant total de l'investissement est contractuellement fixé à 2,664 milliards de francs. Au 30 octobre 1996, les dépenses payées - 1,424 milliard de francs - ou engagées - 250 millions de francs - s'élèvent à 1,674 milliard de francs environ.
Sur 2,664 milliards de francs d'investissements, plus de un milliard de francs sont ou seront confiés à des entreprises sous-traitantes, en particulier, pour plus de 250 millions de francs, à des entreprises locales de Seine-Saint-Denis. Sur la durée totale du chantier, plus de 200 entreprises différentes sont appelées à intervenir.
Il convient de souligner, par ailleurs, que le chantier du Stade de France a permis la création de plus de 200 emplois au profit de la population du bassin d'emploi de Saint-Denis.
Il n'est, enfin, pas inutile d'apporter des précisions sur les perspectives d'exploitation de ce grand équipement.
Selon les informations que nous avons pu recueillir, outre l'accueil, chaque année, de quarante à cinquante grandes manifestations sportives, parasportives ou musicales, le Stade de France aura vocation à assurer quotidiennement des activités de congrès, séminaires, colloques et salons destinées aux entreprises. Il proposera, en outre, un ensemble d'activités commerciales ou de services.
En année courante d'exploitation, la société d'exploitation du Stade de France devrait réaliser un chiffre d'affaires d'environ 300 millions de francs.
L'exploitation de cet équipement sera créatrice d'emplois à raison d'une centaine d'emplois permanents et de plus de 1 000 emplois ponctuels et à temps partiel pour le déroulement de manifestations exceptionnelles qui réuniront plus de 50 000 spectateurs.
Les jeunes des quartiers environnants devraient être prioritairement concernés par ces emplois, qui constitueraient une première étape en vue de leur insertion professionnelle et sociale.
Huit villes, par ailleurs, ainsi que Paris, en ce qui concerne le Parc des Princes, ont engagé des opérations de rénovation et, souvent, d'agrandissement de leurs stades pour accueillir les matches de la Coupe du monde.
La construction du Stade de France a donné lieu à différents contentieux, certaines procédures ayant précédé l'attribution de la concession, d'autres ayant été engagées postérieurement à cette attribution.
Tous les recours ont été rejetés, à l'exception d'un seul. En effet, un jugement du 2 juillet 1996 du tribunal administratif de Paris a annulé la décision du Premier ministre en date du 29 avril 1995 d'approuver et de signer le contrat portant concession de la conception, de la réalisation, du financement, de l'entretien et de l'exploitation du Stade de France.
Ce jugement, qui a été frappé d'appel par l'Etat devant la cour administrative d'appel de Paris, fait peser une insécurité juridique sur le contrat de concession, que la présente proposition de loi tend à lever.
Pour prononcer cette annulation, le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la considération suivant laquelle le contrat de concession n'avait pas respecté le règlement de la consultation selon lequel aucune subvention d'exploitation ne pourrait être envisagée en faveur du concessionnaire.
Il a, en effet, considéré que l'un des mécanismes de compensation prévus par le contrat de concession en cas de circonstances imprévisibles et extérieures au contrat...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. ... pouvait s'analyser comme un système de subventions instituées au profit du concessionnaire, même en l'absence d'événements imprévisibles et extérieurs aux parties, circonstance qui, dans le droit commun des concessions de service public, est de nature à justifier une indemnisation au profit du concessionnaire.
Or, le versement de subventions d'exploitation étant exclu par le règlement de la consultation, le tribunal a considéré que les stipulations du contrat méconnaissaient, sur ce point, les prescriptions fixées par le règlement de la consultation et qu'en cela elles portaient atteinte au principe d'égal accès des candidats à l'octroi de la concession.
Le tribunal a jugé que ces stipulations n'étant pas divisibles des autres stipulations du contrat, elles entachaient d'illégalité l'ensemble de la convention litigieuse et, par voie de conséquence, la décision du Premier ministre de la signer.
Il a en conséquence annulé - comme le lui demandaient les requérants - la décision du Premier ministre de signer le contrat concédant la construction et l'exploitation du Stade de France à Saint-Denis.
Le souci d'éviter le développement de contentieux d'une ampleur telle que ceux-ci entraîneraient des risques considérables pour la réalisation de l'opération, notamment la suspension des travaux, fonde, compte tenu de l'urgence dictée par l'organisation de la prochaine Coupe du monde, la validation proposée du contrat de concession du Stade de France.
Il convient de relever que l'annulation prononcée par le tribunal administratif de Paris a porté non pas sur le contrat de concession lui-même, mais sur la décision du Premier ministre de signer ce contrat.
Or, conformément à une jurisprudence traditionnelle, la décision de passer le contrat est un acte détachable de celui-ci.
En dépit de l'annulation prononcée, le contrat de concession en lui-même est toujours en vigueur.
Il n'en demeure pas moins que le contrat se trouve désormais exposé à une très grande insécurité juridique.
D'une part, des tiers pourraient demander au juge de tirer les conséquences de ce premier jugement et de prononcer l'annulation du contrat.
D'autre part, le concessionnaire pourrait lui-même, le cas échéant, saisir le juge aux mêmes fins.
Il paraît donc difficilement envisageable que le contrat de concession, dont la durée est de trente ans, puisse être exécuté dans des conditions satisfaisantes.
Une annulation du contrat lui-même impliquerait une nouvelle procédure, nécessairement longue et complexe, donc difficilement compatible avec l'urgence de la réalisation de ce grand équipement sportif.
La commission des lois a examiné la mesure de validation soumise au Sénat avec le souci qu'elle soit conforme aux exigences constitutionnelles et qu'elle respecte en particulier l'indépendance des juridictions.
Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l'intérêt général doit motiver une mesure de validation législative.
Tel est le cas. C'est bien l'image même de la France dans le monde, que l'accueil de cette manifestation sportive tend à promouvoir, qui serait mise en cause. Conscient de cet enjeu et de la place qui serait celle du Stade de France dans l'ensemble des équipements sportifs de notre pays, le législateur a lui-même tenu à le qualifier d'équipement sportif d'intérêt national ; il s'agit là de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1993.
Concrètement, suivant les précisions recueillies, l'insécurité juridique qui frappe le contrat de concession rend d'ores et déjà impossible la mobilisation des fonds bancaires nécessaires au financement privé et à la bonne conclusion des relations contractuelles que le concessionnaire doit établir avec les nombreux sous-traitants requis pour achever l'ouvrage.
Enfin, sur le plan financier, l'Etat devrait reprendre à son compte la partie de l'investissement à la charge du concessionnaire, soit 1,4 milliard de francs mobilisables en 1997. Il devrait, en outre, supporter les coûts générés par la désorganisation du chantier afin d'essayer d'assurer la construction du Stade de France dans les délais requis.
Au-delà des enjeux mentionnés ci-dessus, le risque économique et financier auquel l'Etat se trouverait exposé est donc considérable.
Après avoir analysé la proposition de loi au regard des exigences constitutionnelles, la commission des lois a considéré que ce texte, fondé sur des motifs d'intérêt général, ne méconnaissait pas ces exigences telles qu'elles ont été définies par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Elle vous suggère néanmoins d'en préciser la rédaction afin de la coordonner avec les dispositions de la loi du 31 décembre 1993 et pour faire réserve des droits éventuels des tiers à indemnisation. Il paraît, en effet, nécessaire de lever toute ambiguïté sur ce point, la validation proposée n'ayant pas pour objet de faire obstacle à la mise en oeuvre éventuelle de ces droits.
La commission vous propose, en conséquence, d'adopter la présente proposition de loi dans la rédaction qu'elle vous soumet. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Guy Drut, ministre délégué à la jeunesse et aux sports. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, la France s'est vu confier la charge d'organiser la prochaine Coupe du monde de football. Cette manifestation réunira, je vous le rappelle, trente-deux équipes qui disputeront soixante-quatre matches, entre le 10 juin et le 12 juillet 1998. Neuf matches seront joués au Stade de France, dont le match d'ouverture, une demi-finale et la finale de la compétition.
Le Gouvernement est très conscient de l'effet que pourra avoir la qualité de l'organisation de cette manifestation au Stade de France sur l'image internationale de notre pays et donc de l'ardente nécessité de réunir les conditions juridiques pour que cet équipement soit réalisé, mis en service et exploité dans les délais impartis.
Déjà la loi du 31 décembre 1993 autorisant l'Etat à considérer la construction et l'exploitation d'un grand stade de quatre-vingt mille places en vue de la Coupe du monde de football de 1998 a marqué la volonté du Parlement de lever certaines difficultés juridiques qui auraient pu s'opposer à la réalisation de cet équipement, en autorisant notamment l'Etat à en concéder la construction et l'exploitation, seule formule compatible avec son édification et sa mise en service dans les délais impartis.
Depuis cette date, l'attribution de la concession a fait l'objet d'une grande consultation internationale qui a réuni dix-huit candidats de qualité. A l'issue d'une phase d'analyse des projets par un jury, l'Etat a librement négocié, comme l'y autorise la loi, avec les deux lauréats désignés par le jury, avant d'arrêter son choix définitif en signant, le 29 avril 1995, le contrat de concession avec le consortium Bouygues - Dumez - SGE.
Les travaux de construction du stade, qui ont démarré dès le début du mois de mai 1995, sont maintenant très avancés. La structure de l'arène ainsi que ses escaliers monumentaux sont presque totalement achevés. La toiture en charpente métallique est en cours, les travaux de second oeuvre ont déjà commencé. Restent à réaliser la couronne basse des gradins - soit l'équivalent du stade Charléty - les travaux d'habillage et de décoration intérieure et extérieure du stade, et, enfin, la pose de la pelouse qui a déjà été plantée dans une gazonnière. J'ai plaisir à rappeler devant M. Jacques Larché et M. Philippe François que cette gazonnière est située en Seine-et-Marne...
M. Henri de Raincourt. Quel heureux hasard !
M. Guy Drut, ministre délégué. Enfin, la préparation de l'exploitation, notamment le choix des meilleurs prestataires, est déjà bien avancée. Tous ceux qui ont visité le chantier sont unanimes à reconnaître la beauté de l'ouvrage, la qualité de sa construction et la compétence du concessionnaire retenu.
Tous les travaux de desserte du stade sont en cours de réalisation, à savoir la construction des deux gares du RER et le réaménagement de la station de métro, le réaménagement des voiries alentours et la couverture de l'autoroute A 1. Tous les maîtres d'ouvrage, l'Etat, le département, la commune, la SNCF, la RATP et, bien sûr, le consortium sont mobilisés pour que l'ensemble des ouvrages et équipements ferroviaires et routiers soient terminés à temps pour la Coupe du monde.
Compte tenu de la notoriété du projet, dernier grand chantier national du siècle, il était inévitable que certains des candidats évincés, pour des motifs divers et variés, saisissent les tribunaux. Avant même la signature du contrat, ce ne sont pas moins de six ordonnances et un jugement qui ont été rendus par le tribunal administratif de Paris, tous en faveur de l'Etat.
Malheureusement, le dernier jugement du 2 juillet 1996 du même tribunal, en annulant la décision du Premier ministre de signer le contrat de concession du stade, au motif que deux alinéas d'un article du cahier des charges n'auraient pas été en stricte conformité avec le règlement de la consultation, a entraîné une relative insécurité juridique du contrat.
Ce jugement ne remet nullement en cause le caractère de concession du contrat ; il rappelle seulement l'obligation qui pèse sur l'autorité concédante de tirer les conséquences des règles de consultation qu'elle avait choisies de s'imposer, sans y être obligée, avant de désigner librement le concessionnaire.
Toutefois, le climat d'incertitude qui pèse actuellement sur le contrat se fait déjà sentir sur la mobilisation des fonds bancaires nécessaires au financement privé - le rapporteur l'a rappelé - et sur les relations contractuelles que le concessionnaire doit établir avec de nombreux sous-traitants pour achever l'ouvrage et préparer son exploitation.
Certes, l'Etat a fait appel de ce jugement sur la base d'arguments qui paraissent très pertinents, mais il serait hasardeux de lier le sort de la Coupe du monde à l'issue de la procédure contentieuse en cours.
En effet, il faut être réaliste : pour accueillir cette compétition, c'est ce stade, déjà largement réalisé, et pas un autre, qui peut et doit être construit. C'est ce concessionnaire, et pas un autre, qui peut et doit sans attendre préparer et tester les conditions d'exploitation de l'équipement qu'il construit pour être en mesure d'accueillir, dans un premier temps, la Coupe du monde de football et, ensuite, espérons-le, de nombreuses autres compétitions.
A moins de vingt mois de l'ouverture de la Coupe du monde, aucun aléa juridique ne doit entraîner la suspension des travaux et la préparation de l'exploitation du stade, stérilisant ainsi les efforts de tous, mais surtout ceux de la région, du département, de la commune, pour mener à bien le projet.
La présente proposition de loi n'a pas pour objet de rouvrir un débat sur le choix de l'implantation ou le dispositif de concession retenu. Nous avons déjà tranché, et ce débat est derrière nous. Son unique objet est de valider le contrat de concession qui a été signé, le 29 avril 1995, entre l'Etat et la société Consortium Stade de France, afin qu'aucun risque juridique ne puisse peser sur la bonne réalisation de l'ouvrage dans les délais impartis et son exploitation dès 1998. C'est pourquoi le Gouvernement est favorable à l'adoption de la proposition de loi soumise aujourd'hui à votre assemblée. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les élus, « Voici qu'une immense clameur m'arriva du Stade ». Cette célèbre phrase de Sénèque, reprise par les concepteurs de l'image donnée au Stade de France, reflète bien l'ampleur des attentes des Séquano-Dionysiens face à la construction du plus grand stade de France.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Circenses !
M. Christian Demuynck. La proposition de loi qui vise à valider le contrat de concession conclu le 29 avril 1995 entre l'Etat et la société Consortium Stade de France est d'une importance capitale pour la poursuite de ce fantastique chantier.
Pour l'heure, ainsi que M. le rapporteur et M. le ministre nous l'ont dit, les banques qui financent l'ouvrage peuvent être tentées de ne pas débloquer des prêts nécessaires à la poursuite des travaux du fait de l'instabilité juridique causée par le jugement du tribunal administratif du 2 juillet, jugement qui, comme l'a rappelé avec brio et d'une manière complète notre collègue rapporteur M. Jean-Patrick Courtois, a annulé la décision du Premier ministre de signer le contrat de concession du stade, au motif que deux alinéas du cahier des charges n'auraient pas strictement respecté le règlement de la consultation.
L'adoption de cette proposition de loi permettrait ainsi de clarifier la situation et de valider ce contrat.
Ce stade permet déjà aux habitants de la zone de solidarité et du département de bénéficier de travaux d'infrastructures considérables. Ces chantiers, vous les connaissez : il s'agit du prolongement de la ligne n° 13, de la création d'une gare routière à la station « Université de Saint-Denis », de l'aménagement de la station de métro « Porte de Paris », de la construction de la gare RER D du Stade de France, de la couverture de l'autoroute A1, mais aussi de nombreux autres aménagements réalisés par la direction départementale de l'équipement, EDF-GDF et les villes riveraines du chantier.
Le Stade de France est aussi un formidable moyen d'intégration sociale. Je pense bien évidemment aux emplois locaux créés par sa construction, mais aussi aux chantiers annexes, notamment avec la SNCF, la RATP et tous les autres intervenants économiques et financiers grâce auxquels des entreprises du département ont décroché des contrats.
En septembre 1996, 325 demandeurs d'emplois locaux ont travaillé à un moment donné pour le chantier du Stade de France. En juin 1996, 209 d'entre eux travaillaient sur le site - 81 en insertion et 128 qualifiés, dont 160 pour la zone de solidarité. Sans oublier les 250 emplois qui seront créés par l'implantation du plus grand Décathlon d'Europe, au pied du Stade de France, grâce à l'amendement Béteille qui avait permis d'exclure la zone du stade de l'application de la loi sur les grandes surfaces.
Bien que la phase des travaux de gros oeuvre touche bientôt à sa fin, le Stade de France met d'ores et déjà en place une politique de pérennisation des postes ainsi créés, en synergie avec la plate-forme pour l'emploi et les autres maîtres d'ouvrage des chantiers de la zone. On le voit, monsieur le ministre, ni l'emploi ni les entreprises n'ont été oubliés dans la construction du stade ou des chantiers annexes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vive la dépense publique !
M. Christian Demuynck. Dites-le aux jeunes de Seine-Saint-Denis qui assisteront à la Coupe du monde !
Que ce soit la DICOM, la SANEM, le Consortium ou tous les autres partenaires de ce projet, chacun s'est fortement investi dans ce formidable chantier avec une compétence et un acharnement exemplaires qu'il faut saluer. Il convient donc que soit adoptée cette proposition de loi pour que tous les efforts nécessaires à la réalisation dans les délais du Stade de France ne soient pas réduits à néant.
J'ai bien conscience, monsieur le ministre, que la suite de mon intervention n'est pas liée directement au contrat de concession du Stade de France, mais je tiens à vous faire part du sentiement des élus de la majorité présidentielle du département sur ce projet.
Ils en sont en effet tenus à l'écart et sont étonnés de voir que le comité régional de la Coupe du monde, coprésidé - pour ne pas dire présidé - par M. Braouezec, député-maire communiste de Saint-Denis, n'est exclusivement composé que d'élus de l'opposition gouvernementale, à part mon ami Raoul Béteille qui a dû véritablement se battre pour en faire partie, alors qu'il avait été président d'honneur des Amis du Grand-Stade, tenant de nombreuses réunions publiques d'information bien avant que soit choisi le lieu d'implantation de l'actuel Stade de France et à un moment où la ville de Saint-Denis refusait son implantation.
Ce projet a pourtant été mené à terme par l'actuelle majorité, ses gouvernements s'y étant fortement investis. Mais, pour l'heure, ce sont les élus de gauche qui en tirent les bénéfices. La récupération politique de ce vaste chantier est d'ores et déjà engagée.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Parlez-en des bénéfices !
M. Christian Demuynck. Laissez-moi terminer, monsieur Dreyfus-Schmidt. Vous allez intervenir juste après moi dans cette discussion !
Un exemple parmi tant d'autres : les maires du département ont reçu une lettre signée du député-maire de Saint-Denis pour les convier à une réunion d'information sur la commercialisation des places, ce qui, à ma connaissance, devait être assuré directement par le comité français d'organisation de la Coupe du monde.
De plus, à ce jour, je ne connais pas un seul élu de la majorité présidentielle qui ait reçu des comptes rendus des réunions de ce comité ! Pourtant, j'imagine que les travaux ont déjà commencé !
Demain, si l'on n'y prend pas garde, personne ne se souviendra que c'est la majorité qui a permis sa réalisation, et les jeunes finiront par croire que c'est le maire communiste de Saint-Denis qui est à l'origine du projet.
Jacques Chirac a voulu ce stade, les gouvernements d'Edouard Balladur et d'Alain Juppé ont permis sa réalisation, et ce sont les communistes qui l'exploitent politiquement !
Il faut reprendre la main, monsieur le ministre, et c'est dans ce sens que je terminerai cette intervention, en me faisant l'écho des aspirations des élus de la majorité présidentielle du département, et notamment de deux conseillers municipaux de Saint-Denis, Henry Bernadac et Pierre Pougnaud, avec qui nous avons travaillé à l'élaboration des propositions suivantes.
Le grand débat, si j'en crois ce qui se dit ou ce qu'on peut lire dans la presse, est de savoir si ce seront les rugbymen, à l'occasion du Tournoi des cinq nations, ou les footballeurs, à l'occasion d'un match international, qui inaugureront la pelouse. Pour moi, les premiers joueurs à fouler la pelouse du Stade de France doivent être des jeunes footballeurs du département, qui pourraient s'affronter dans le cadre d'un tournoi des jeunes espoirs de la Seine-Saint-Denis, dans des conditions qui restent, évidemment, à définir.
Il me semble également que ce comité pourrait attribuer des places gratuites aux villes du département, en fonction du nombre de licenciés dans les clubs sportifs, cela afin de récompenser les jeunes qui, par exemple, se sont distingués dans leur discipline.
Enfin, monsieur le ministre, il conviendrait de mettre en place, et je pense qu'il n'est pas trop tard, une cogestion du comité par les quarante maires du département. Il faut que chacun des habitants se sente représenté au sein des organisations qui sont chargées de la mise en place de cette Coupe du monde. Cette représentativité politique permettrait notamment, en matière de gestion et de distribution des places, d'assurer une transparence totale et de faire taire, s'il y en a, les mauvaises langues.
Il faut que tous ceux, jeunes et moins jeunes, qui habitent la Seine-Saint-Denis participent à ce formidable projet quelle que soit leur ville, et que « la clameur » qui jaillira du stade en juin 1998 témoigne de la formidable mobilisation des Séquano-Dyonisiens autour de la réalisation du plus grand stade français. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais essayer, comme le préopinant, d'élever le débat. Je le dis tout de suite : en l'état, le groupe socialiste ne pourra pas voter la proposition de loi dont le Sénat est saisi ce matin.
Qu'il soit possible maintenant au Parlement d'inscrire à son ordre du jour des propositions de loi aussi bien au Sénat, ce qui se faisait déjà, qu'à l'Assemblée nationale est un progrès considérable que nous avons salué. Il ne faudrait pas néanmoins que cette procédure permette de confondre vitesse et précipitation, et encore moins qu'elle soit détournée comme ce serait le cas si, par exemple, le Gouvernement, pour des raisons diverses, demandait à des parlementaires de déposer des propositions de loi au lieu de déposer lui-même un projet de loi. Loin de rehausser le Parlement, loin de renforcer ses droits, cette nouvelle procédure reviendrait alors à abaisser le Parlement. Or il nous semble bien que ce soit ainsi dans l'affaire qui nous réunit ce matin.
De quoi s'agit-il ? Quel est le but de la proposition de loi ?
Ce texte tend à valider une décision prise par un Premier ministre et annulée par un tribunal administratif, et pas le moindre puisqu'il s'agit du tribunal administratif de Paris.
Outre qu'une telle proposition est choquante, c'est évidemment le Gouvernement qui est concerné au premier chef. Lorsque, tout à l'heure, nous avons entendu M. le ministre, nous avions l'impression de lire le rapport de notre collègue M. Courtois. En effet, il a développé très exactement les mêmes arguments, parfois à la lettre près. C'est pourquoi, tout en restant nous-mêmes courtois (Sourires) et en n'affirmant rien, nous nous demandons si ce n'est pas le Gouvernement qui a demandé à nos collègues MM. Hyest, Courtois et Lesein de déposer cette proposition de loi !
Pour quelle raison ? Parce que ce serait plus rapide que de déposer un projet de loi. En effet, une proposition de loi n'est pas soumise au Conseil d'Etat. Mais, en la matière, il n'y a aucune urgence - je le démontrerai tout à l'heure - d'autant que, depuis qu'existe la session unique, nous ne redoutons plus de voir nos travaux interrompus à la fin du mois de décembre.
Par ailleurs, en l'espèce, l'avis du Conseil d'État aurait été particulièrement intéressant à recueillir pour le Gouvernement, car qui est mieux placé que le Conseil d'Etat, même dans une autre formation que la section du contentieux bien sûr, pour donner son avis sur l'éventuelle validation législative d'une décision de l'exécutif annulée par un tribunal administratif ? Et je ne parle même pas de l'Office d'évaluation de la législation, qui aurait pu, lui aussi, donner son avis en la matière !
Quelle est la thèse du rapporteur ? J'exposerai, ensuite, celle du groupe socialiste.
M. le rapporteur tire argument de la nécessité de tenir l'engagement de la France. Bien évidemment, nous sommes ici unanimes à vouloir que les engagements de la France soient tenus, à faire en sorte qu'ait lieu en France, en 1998, la Coupe du monde de football.
Nous venons en outre d'entendre un de nos collègues de Seine-Saint-Denis dire - ce qui, d'ailleurs, figure également dans le rapport - qu'une telle entreprise favorise la création d'emplois. Je me suis permis tout à l'heure de l'interrompre, il m'en excusera, mais je suis partisan du dialogue ; et, s'il veut m'interrompre, je n'y vois pas d'inconvénient...
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, lorsque vous présidez les travaux du Sénat, vous n'admettez pas de telles interruptions. N'invitez donc pas vos collègues à y procéder !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je permets toujours qu'il y ait des interruptions, lorsqu'on demande à m'interrompre, je ne le refuse pas et, lorsque j'entends l'un de nos collègues dire quelque chose pendant que je m'exprime, j'essaie de l'entendre pour pouvoir éventuellement lui répondre.
En entendant notre collègue M. Demuynck, disais-je, je me félicitais que, apparemment, sur toutes les travées du Sénat, y compris sur les siennes, l'on pense que la dépense publique a un intérêt lorsqu'elle crée des emplois et qu'il vaut donc mieux dépenser que de faire des économies drastiques. Mais nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet lors de la discussion budgétaire.
En tout cas, s'il s'agissait de faire que le stade soit terminé pour la Coupe du monde, nous serions évidemment d'accord, dès lors que les droits de ceux qui ont été écartés de la concession, qui ont été « lésés », d'après le tribunal administratif, seraient préservés. C'est ce que M. le rapporteur a proposé.
Cela nous paraît, en vérité, un minimum. Mais nous, nous nous posons des questions et nous ne sommes obligés de croire ni M. le rapporteur ni le Gouvernement, lorsqu'ils nous donnent des assurances semblables à celles qu'apportait Mme Alliot-Marie à cette tribune, le lundi 13 décembre 1993, quand elle disait à propos du projet de loi relatif à la réalisation d'un grand stade à Saint-Denis en vue de la Coupe du monde de football de 1998 : « Ce projet de loi précise quelques points de procédure en supprimant tout risque de contentieux. »
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on a beau être ministre, on peut se tromper, puisque les contentieux - vous l'avez reconnu, monsieur le ministre - ont été tout au contraire extrêmement nombreux.
Or, il nous semble - j'essaie d'être prudent et je n'oublie pas qu'il s'agit d'une première lecture - que la construction du Grand Stade n'est pas en cause et que le véritable problème n'est pas là.
Vous avez affirmé, monsieur le ministre, que le Grand Stade était très avancé. Nous avons même noté que, à défaut d'accueillir cette installation à Melun-Sénart, les parlementaires de Seine-et-Marne ont une compensation, puisqu'ils ont la gazonnière. (Sourires.) Si, donc, le Grand Stade est presque terminé, la procédure administrative, elle, en est à ses balbutiements.
Tout récemment, un appel a été interjeté par l'État du jugement du tribunal administratif de Paris, qui, lui-même, n'a fait qu'annuler non pas la concession, comme vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, et vous aussi, monsieur le ministre, mais la décision du Premier ministre de signer cette concession. Si bien que la cour administrative d'appel de Paris va statuer, puis, éventuellement, le Conseil d'État. A supposer que les requérants gagnent à tous ces échelons, ils seraient amenés à demander sans doute la nullité de la concession elle-même au tribunal administratif de Paris. Puis l'une des parties interjetterait évidemment appel devant la cour administrative d'appel de Paris et le contentieux serait soumis au Conseil d'État une deuxième fois.
Le temps que cette procédure, à laquelle vous voulez mettre fin par cette proposition de loi, arrive à son terme normal, le Grand Stade serait en tout état de cause terminé depuis bien longtemps !
Là n'est donc pas le véritable problème que la proposition de loi cherche à résoudre. Je sais bien que l'on nous assure que, en raison de l'incertitude juridique, il est difficile de mobiliser les banques. Mais nous avons du mal à croire que Bouygues, Dumez et la Compagnie générale des eaux, qui forment le Consortiun Grand Stade S.A., aient des difficultés à obtenir des crédits de la part des banques...
Quel est alors le véritable problème ? Il nous semble qu'en réalité le Gouvernement refuse d'être traité comme il agit vis-à-vis des collectivités locales.
Tous les jours, sur instruction du Gouvernement, les préfets défèrent des concessions passées par des communes, des départements ou des régions aux chambres régionales des comptes.
Si celles-ci constatent ou pensent constater une inégalité entre les candidats à une concession, elles l'annulent et éventuellement transmettent le dossier au Parquet pour poursuites pénales du chef de délit de favoritisme. Voilà comment le Gouvernement traite les collectivités ! Or, il demande pour lui-même un tout autre traitement.
Au surplus, par la validation de la concession, le concessionnaire continuerait à se voir garanti par l'Etat l'équilibre financier de son exploitation.
Le Gouvernement aurait pu concéder, d'une part, la construction et, d'autre part, l'exploitation. Il a choisi de concéder l'une et l'autre au même concessionnaire en l'assurant, en cas de déficit d'exploitation, de ce que le tribunal administratif qualifie de subventions, subventions qu'excluait formellement la consultation.
Certes, le Gouvernement n'était pas obligé d'exclure au départ cette possibilité de subventions d'équilibre : encore fallait-il que tous les candidats à la concession soient traités également. Or ceux qui ont été écartés n'avaient pas pu, dans leur proposition, tenir compte de cette éventuelle garantie financière, prétendument exclue et finalement consentie par le Gouvernement au Consortium Grand Stade SA, c'est-à-dire à Bouygues, Dumez et la Compagnie générale des Eaux.
C'est cette iniquité, relevée par le tribunal administratif de Paris, que la proposition de loi a, nous semble-t-il, pour but sans doute, pour résultat en tout cas, de pérenniser.
Voilà pourquoi nous ne pouvons pas, en l'état, voter cette proposition de loi. Pourquoi, me direz-vous, ne votez-vous pas contre ? Parce que notre thèse, différente de la vôtre, n'est encore qu'une hypothèse et qu'il convient, selon nous, d'approfondir les recherches et la discussion. Nous sommes en première lecture, l'Assemblée nationale va être saisie de cette proposition de loi et nous espérons qu'elle sera éclairée par nos débats, c'est-à-dire par vos interventions, mais également par les nôtres.
En définitive, et pour aujourd'hui, le groupe socialiste ne prendra pas part au vote. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est un pays de sport et elle avocation à l'être plus encore, nous en sommes persuadés : les brillants résultats de nos athlètes aux derniers jeux Olympiques d'Atlanta sont là pour en attester.
La France est également un pays organisateur d'événements sportifs de premier plan. Est-il besoin de rappeler le rôle historique qu'a joué notre pays dans la renaissance des jeux Olympiques ou dans la création de la Coupe du monde de football ? Ces dernières années, la France fut encore organisatrice des jeux Olympiques d'hiver, en Savoie, en 1992, et des Jeux méditerranéens, en 1993.
La candidature de Lille aux jeux Olympiques de 2004, que, avec nos amis Ivan Renar et Michelle Demessine, nous soutenons activement, consacrerait une nouvelle fois, si elle était retenue, le talent de notre peuple comme maître d'oeuvre en la matière.
Par l'organisation de la Coupe du monde de football en 1998, notre pays sera de nouveau au coeur d'un grand événement. D'une certaine façon, les centaines de millions d'habitants de la planète qui suivront cette compétition vivront pendant trois semaines en direct avec la France. C'est dire si cet événement, riche en enthousiasme et en investissement humain, est prometteur pour notre pays. La France se doit, pour être à la hauteur de cette ambition, de rassembler, tant au sein du mouvement sportif qu'au-delà, toutes celles et tous ceux qui sont prêts à se mobiliser en vue d'assurer la réussite de cette manifestation.
Par son ampleur même, celle-ci implique la responsabilité nationale et suppose un engagement plein et entier de l'Etat. Cet engagement concerne, bien entendu, notamment, la réalisation des infrastructures.
La construction du grand stade de Saint-Denis, baptisé Stade de France - ce qui en fait le stade de tous - doit être menée à son terme. Cet équipement, nous avons été nombreux à l'appeler de nos voeux : au-delà même du mouvement sportif, toutes les sensibilités et composantes qui font l'identité de notre pays se sont jointes pour appuyer ce projet.
Avec bien d'autres, dont vous-même, monsieur le ministre, me semble-t-il, j'ai fait partie, dès le début, du comité de parrainage. Nous n'avons pas à regretter de nous être ainsi engagés. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion d'admirer, lors de la présentation du projet qui a été faite au Sénat par ses concepteurs en 1994, toute sa force et toute son élégance. Invitée à une visite de chantier en juin dernier, j'ai également pu mesurer la prouesse que représente cette réalisation et les défis technologiques qui y sont relevés.
A l'évidence, le Stade de France peut et doit devenir un atout pour notre pays, dès lors qu'il sera en mesure d'accueillir des manifestations de renommée nationale et internationale. Il permettra aussi de valoriser la vie culturelle, sportive et sociale de la ville de Saint-Denis, du département de la Seine-Saint-Denis et de toute la région parisienne.
Monsieur le ministre, vous connaissez les engagements pris à cet égard par mes amis Robert Clément, président du conseil général, et Patrick Braouezec, député-maire de Saint-Denis, pour que cette opération soit exemplaire en matière d'intégration sociale, économique et humaine, s'agissant notamment de la jeunesse, mais aussi en termes d'urbanisme, avec le volet des infrastructures concernant les futures dessertes routières et ferroviaires de ce site.
Le Stade de France est porteur d'une grande et authentique ambition pour notre pays et pour nos concitoyens. C'est pourquoi les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont constamment proposé la budgétisation intégrale des crédits nécessaires à sa réalisation. Malheureusement, nous n'avons pas été entendus.
La question reste posée : pourquoi le Grand Stade n'a-t-il pas eu le même financement que la Bibliothèque nationale de France ou l'Opéra Bastille ? Pourquoi ce recours à des expédients comme les prélèvements exceptionnels sur le FNDS, qui s'opèrent au détriment du mouvement sportif ?
Certes, nous avons réussi, ici même, en décembre 1994, par un amendement et grâce à la mobilisation du mouvement sportif, à diminuer de 50 millions de francs le prélèvement que le Gouvernement voulait opérer sur le FNDS. Mais cela ne suffit pas.
Le problème reste entier, d'autant que le projet de budget que vous allez nous présenter dans quelques semaines, monsieur le ministre, qui prévoit de nouvelles coupes franches dans les moyens alloués au sport, se situe à l'opposé de l'indispensable réengagement de l'Etat que nous demanderons de nouveau, avec le mouvement sportif, ses responsables et le président du comité national olympique et sportif.
Je tiens tout de même à rappeler que les travaux et les dépenses engendrées par le Stade de France vont permettre à l'Etat de percevoir, au titre de la seule TVA, des sommes autrement plus importantes que celles qu'il a engagées en dotations propres sur ce projet.
Ce désengagement très préoccupant fait place, en contrepartie, à des montages hasardeux et aléatoires, à des financements privés qui alourdissent la dette future et renforcent une emprise, déjà démesurée, de l'argent sur le sport - alors que c'est le rôle social que doit jouer celui-ci qui devrait être renforcé - et placent la France en situation de dépendance à l'égard des banques étrangères.
En effet, selon les informations dont nous disposons, seule l'intervention de capitaux étrangers permettrait de boucler le budget du Stade de France.
Nos inquiétudes quant à l'incertitude juridique évoquée par M. le rapporteur ont été confirmées par la justice administrative. Nous estimons qu'il est hautement regrettable, pour ne pas dire déplorable, d'en arriver à cette situation, une telle réalisation appelant de toute évidence d'autres choix.
Avec les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, je suis particulièrement attachée à l'achèvement de cette infrastructure. Le Grand Stade fera l'honneur de la France et répondra à l'attente de millions de nos concitoyens, sportifs ou simples amateurs, souvent des jeunes qu'on n'a pas le droit de décevoir.
On l'a dit, il faut en particulier permettre à de nombreux jeunes de familles modestes d'assister à cet événement important. C'est à leur intention que le conseil général du Val-de-Marne, dont je suis membre, a projeté d'acheter - j'espère qu'il pourra le faire - un certain nombre de billets, car les moments d'enthousiasme et de ferveur que peut susciter un grand tournoi comme la Coupe du monde ne doivent pas être compromis.
Nous tenons donc, c'est évident, à ce que le chantier se poursuive, mais, monsieur le ministre, cela doit se faire dans la plus grande clarté financière et juridique. Il est de la responsabilité de l'Etat de l'imposer, sous le contrôle vigilant des élus, du monde sportif et de la population en général.
Dans ces conditions, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendront sur cette proposition de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - Sans préjudice des droits éventuels à indemnisation des tiers, est validé le contrat de concession conclu le 29 avril 1995, en application de la loi n° 93-1435 du 31 décembre 1993 relative à la réalisation d'un grand stade à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) en vue de la coupe du monde de football de 1998, entre l'Etat et la société Consortium Grand Stade S.A. (nouvellement dénommée Consortium Stade de France) pour le financement, la conception, la construction, l'entretien et l'exploitation du grand stade (dénommé Stade de France) à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), équipement sportif d'intérêt national. »

Je vais mettre aux voix l'article unique de la proposition de loi.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je prends simplement acte du fait que notre intervention n'amène aucune réponse : ni de la commission ni du Gouvernement. Cela nous renforce dans notre décision de ne pas prendre part au vote.
M. Philippe François. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. François.
M. Philippe François. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous n'en serez pas étonnés, l'ensemble des sénateurs du groupe du RPR voteront sans hésitation cette proposition de loi, soucieux de lever l'insécurité juridique présente et de faire en sorte que l'achèvement de ce stade, qui doit contribuer au prestige de la France,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et de Bouygues !
M. Philippe François. ... ne soit pas retardé.
Avec votre permission, monsieur le président, j'exprimerai nos félicitations à notre collègue Jean-Patrick Courtois, qui, je le signale au passage, rapportait aujourd'hui pour la première fois devant le Sénat.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Philippe François. Je veux également, monsieur le ministre, saluer l'action que vous menez à la tête du ministère de la jeunesse et des sports, car elle contribue largement au rayonnement de la France dans le monde. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
J'indique que la commission des lois propose de rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi : « Proposition de loi relative au contrat de concession du Stade de France à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) ».
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)
M. Guy Drut, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Guy Drut, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, sans revenir sur le débat qui vient de se dérouler, je dirai simplement que, dans cette affaire, nous voulons avant tout être efficaces, de manière que toutes les Françaises et tous les Français qui aiment le sport, les jeunes en particulier, qu'ils soient de Seine-Saint-Denis ou d'ailleurs, puissent profiter de ce fantastique événement qui aura lieu en France à la fin du siècle.
S'agissant de l'événement le plus médiatisé du monde, ce sera en outre, pour notre pays, l'occasion de bénéficier d'une vitrine exceptionnelle, et pas seulement sur le plan sportif.
C'est pourquoi, s'agissant de réunir toutes les conditions permettant à cette manifestation d'être vraiment une grande fête, nous n'avons pas le droit d'hésiter un seul instant.
En conclusion, je remercie les auteurs de cette proposition de loi de leur initiative et la commission des lois de la Haute Assemblée de la qualité de son travail.
M. le président. L'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures trente, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. René Monory.)

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

M. le président. La séance est reprise.

3

QUESTIONS D'ACTUALITÉ

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

RÉTABLISSEMENT DE LA PAIX CIVILE EN CORSE

M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos concitoyens sont de plus en plus irrités, parfois excédés, par le problème de la Corse.
M. Paul Loridant. Est-ce possible ?
M. Jacques Oudin. Depuis vingt ans, la violence règne dans cette région sans qu'aucun répit ne semble apparaître.
L'examen de la situation corse, auquel j'ai procédé dans le cadre d'une mission parlementaire que m'avait confiée le Premier ministre, M. Edouard Balladur, nous conduit à dresser trois constats.
Premier constat : il est vrai que la Corse connaît certaines difficultés économiques qui tiennent à la faible densité de sa population - n'oublions pas qu'elle ne compte que 246 000 habitants - à l'exode important qu'elle a connu, à son insularité et à son éloignement.
Deuxième constat : il est vrai également que la Corse a bénéficié, au cours de cette période, d'une très grande générosité de la République, ce qu'il ne faut pas oublier.
Au-delà d'un statut spécial, d'un régime fiscal dérogatoire pour toutes les catégories d'impôt, la Corse est la région de France qui bénéficie par habitant des aides les plus importantes, tant pour l'investissement que pour le fonctionnement.
Grâce à ces aides, parmi lesquelles figure la dotation pour la continuité territoriale, - plus de 800 millions de francs - la Corse dispose actuellement de la flotte de desserte la plus moderne du monde, de quatre aéroports internationaux, de six ports en eaux profondes, pour une fréquentation touristique largement inférieure à celle d'une île comme la Crète, qui est loin de posséder de tels équipements. Par conséquent, la République ne peut être suspectée d'aucune faiblesse quant à la générosité dont elle fait preuve à l'égard de la Corse.
Le projet de « zone franche », qui ne fait d'ailleurs pas l'unanimité des élus corses, est la dernière manifestation de cette générosité de la République à l'égard de la Corse.
Enfin, le troisième constat est la permanence d'un climat de violence que, malheureusement, aucune tentative de dialogue n'a su éliminer.
Le dialogue est nécessaire au sein de notre République, mais il doit d'abord passer par les élus régulièrement mandatés par la population dans le cadre d'élections démocratiques.
Les poseurs de bombes ne sauraient être considérés comme des interlocuteurs plus pertinents ou plus représentatifs de la population.
Au-delà de ces constats, certains événements récents ont particulièrement choqué et irrité nos concitoyens : le rassemblement qui a regroupé sur le sol corse plusieurs centaines de nationalistes armés ; la pose de bombes sur le continent, que ce soit à la mairie de Bordeaux ou dans d'autres bâtiments publics, par exemple à Aix.
Dans un tel contexte, chacun est conscient qu'aucune mesure de soutien à l'économie n'aura une quelconque efficacité si la paix civile n'est pas rétablie en Corse.
M. le président. Posez votre question, monsieur Oudin !
M. Jacques Oudin. Comment envisager d'investir dans une usine, dans une entreprise, dans un équipement touristique, dans une exploitation agricole, quand cet investissement est menacé en permanence d'être détruit, voire racketté ?
Aucun développement durable n'est envisageable en Corse sans un minimum de paix civile.
Il appartient au Gouvernement de restaurer l'ordre républicain et la paix civile dans cette région à laquelle, en dépit ou à cause de ses malheurs, nous sommes attachés. Nous souhaitons que la Corse prenne à nouveau le chemin du développement et nous comptons sur le Gouvernement, monsieur le ministre, pour l'y aider. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous le savez parfaitement, et peut-être mieux que beaucoup d'autres, le Gouvernement met actuellement en Corse tous les moyens de police, de gendarmerie et de justice en action pour tenter d'enrayer la spirale de la violence criminelle que connaît l'île.
Voilà quelques jours - vous l'avez probablement remarqué -, le service régional de police judiciaire, le SRPJ d'Ajaccio et l'antenne de police judiciaire ont procédé à une série d'interpellations à Bastia et à Calvi, dans le cadre de l'enquête relative à l'attentat à la voiture piégée qui a été commis le 1er juillet dernier à Bastia.
A l'occasion de cette importante opération de police - vous le savez aussi - des armes, des documents, des équipements ont été saisis.
Depuis le début de l'année, monsieur le sénateur, 74 personnes ont été interpellées, 25 ont été déférées à la justice et écrouées. Telle est la réalité de l'action de l'Etat en Corse ! Le reste n'est que commentaire !
Nous continuons à mettre les délinquants hors d'état de nuire. Les investigations de la police, sous le contrôle de la justice, se poursuivent pour identifier et retrouver les auteurs de tous les attentats commis en Corse ou sur le continent.
Comme précédemment, nous parviendrons à les interpeller, à les arrêter et à les déférer devant la justice. En effet, vous le savez, monsieur le sénateur, sans restauration de l'Etat de droit, aucun progrès économique et social n'est possible en Corse.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ailleurs non plus !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Ainsi que l'a dit M. le Premier ministre voilà quelques jours, le terrorisme est une sorte d'insulte à l'avenir de la Corse. Je crois très profondément et très sincèrement que la Corse peut et doit avoir un destin autre que celui que certains veulent lui donner aujourd'hui. Ce destin, dans la paix et le dialogue, est réclamé par l'ensemble des Corses, qu'ils vivent sur le continent ou sur l'île.
Le chemin à tracer est celui du développement, dans le cadre du dialogue républicain, avec les élus des assemblées territoriales. C'est ce que nous faisons, avec fermeté.
Nous identifierons tous les auteurs des attentats non pas simplement d'après des rumeurs, mais à partir d'éléments de preuve.
Parallèlement, nous essayons, avec l'ensemble des élus représentés à l'assemblée territoriale, de préparer un destin autre pour la Corse. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, permettez-moi de vous rappeler la règle que nous nous sommes fixée : chaque orateur dispose de deux minutes et demie pour poser sa question, et chaque ministre dispose du même temps pour y répondre. Je vous demande donc, les uns et les autres, de respecter le temps de parole qui vous est imparti.

VERSEMENT DE SUBVENTIONS
À L'ASSOCIATION LE PATRIARCHE

M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Ma question pourrait s'adresser à plusieurs ministres ; je ne sais lequel me répondra : soit M. Guy Drut, ministre délégué à la jeunesse et aux sports, soit M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale, soit M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Mais peu importe ! Je suis persuadé que, les uns et les autres, partagent le même sentiment que moi, à savoir que les hommes et les femmes de notre temps semblent à la recherche de références spirituelles qu'ils ne savent pas trouver dans l'humanisme laïque ou les religions actuelles : ils se tournent vers des mirages ou des groupements aux noms assez ésotériques, depuis la Scientologie, en passant par la Trilogie analytique, Le grand logis, jusqu'à l'association Le Patriarche. C'est cette association, dont je voudrais brièvement vous parler, qui fait l'objet de ma question.
Tout récemment, on a constaté que cette association recevait des subventions de l'Etat - pas seulement du gouvernement actuel ; elle en a reçu par le passé de presque tous les gouvernements - au motif qu'elle menait une action dans le sevrage des toxicomanes, action qui est caractérisée par des méthodes thérapeutiques particulièrement rudes, que récusent d'autres personnes qui soignent également les toxicomanes, comme M. Olievenstein.
Comptant deux mille à dix mille adeptes, elle envahit, effectivement, les sociétés modernes par ses agissements : elle procède à des achats immobiliers en quantité, pour ensuite recevoir et loger ceux qui frappent à sa porte. Se crée ainsi une situation particulièrement trouble et complexe.
Au fond, ma question est simple : pourquoi continuer à subventionner, contre l'avis même des responsables de la mission de lutte contre la toxicomanie, une activité si douteuse qui, même dans sa partie qui pourrait s'apparenter à une participation à la lutte contre la toxicomanie, n'est pas satisfaisante ?
Cette association dispose de moyens financiers énormes et de réseaux importants. Dès lors, pourquoi ne pas envisager d'attendre que la situation soit quelque peu éclaircie par le rapport que prépare l'Inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, pour verser la subvention ?
Pourquoi ne pas attendre, comme l'a fait le ministre délégué à la jeunesse et aux sports pour la subvention à l'Office culturel de Cluny, d'avoir des éléments plus précis ?
Pourquoi ne pas envisager un contrôle fiscal...
M. le président. Monsieur Sérusclat, vous avez déjà posé votre question ; il ne faut pas la commenter.
M. Franck Sérusclat. Je viens, en effet, de poser ma question, monsieur le président : pourquoi ne pas attendre les conclusions du rapport de l'IGAS pour verser la subvention ? Pourquoi ne pas exercer un contrôle fiscal, qui serait étendu à l'ensemble des associations suspectes ?
Ne voyez pas là une intention polémique de ma part car je sais, je l'ai dit au début de mon intervention, que tous les gouvernements se sont trouvés confrontés à cette situation par rapport à l'association Le Patriarche. Il s'agit tout simplement de lutter contre l'emprise des sectes - nous la constatons tous - et de contrôler l'usage des subventions d'Etat allouées à des associations. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Monsieur Sérusclat, comme vous le savez, le Gouvernement a pris des dispositions pour faire face au développement des sectes. C'est dans cet esprit qu'a été institué un observatoire, notamment à la suite du rapport déposé par M. Alain Gest, rapporteur d'une commission d'enquête à l'Assemblée nationale. Un tel outil est, en effet, indispensable dès lors que la connaissance de ces organisations et de leurs agissements constitue le préalable à toute action efficace.
S'agissant des subventions, sachez, monsieur le sénateur, que MM. Drut, Barrot et Gaymard font preuve d'une extrême diligence, et dès qu'il y a doute, il est procédé aux investigations nécessaires. Dans le cas de l'association que vous venez de citer, tout versement est aujourd'hui suspendu.
Vous avez également évoqué l'idée de recourir au contrôle fiscal. A cet égard, je ferai deux observations.
D'abord, nous devons éviter de concevoir le contrôle fiscal comme un instrument de police. Je vous laisse imaginer à quels dévoiements nous pourrions être conduits. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.) Le contrôle fiscal a pour objet de vérifier que les contribuables ont correctement rempli leurs obligations fiscales. Donc, n'en faisons pas un instrument de police.
M. Philippe François. Effectivement !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Cela étant dit, les associations sectaires ont fréquemment des activités lucratives, normalement passibles des impôts commerciaux. Cela conduit alors les services fiscaux à en programmer le contrôle.
Il n'y a pas si longtemps, vous avez appris qu'une secte a été liquidée à la suite d'un contrôle fiscal. Elle avait des activités lucratives, elle omettait d'assumer ses obligations fiscales et le poids de la dette ainsi mise en recouvrement a mis un terme à son existence.
S'agissant de l'association Le Patriache, les règles du secret fiscal - vous ne serez pas surpris que j'y fasse référence devant vous - ne me permettent pas de vous apporter des informations précises sur sa situation fiscale. Je tiens simplement à vous dire que, en cette matière, le Gouvernement entend assumer pleinement ses responsabilités et recourir aux moyens légaux dont il dispose pour combattre tous les abus et assurer la sécurité publique. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

RELATIONS ENTRE LES PME ET LES SERVICES FISCAUX

M. le président. La parole à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le ministre de l'économie et des finances, dans l'attente d'une reprise économique annoncée par certains indices encourageants - notamment au niveau de la consommation et peut-être aussi des défaillances d'entreprise, qui sont en régression - il importe de renforcer notre tissu industriel, en particulier celui des petites et moyennes entreprises.
Ces dernières représentent en effet 99 % des entreprises de notre pays et 70 % des effectifs salariés. Face à une concurrence de plus en plus sévère, les PME françaises possèdent des atouts incontestables, d'ordre humain et technologique, mais l'Etat doit évidemment apporter sa contribution à l'effort accompli par le secteur productif.
Le premier service qu'il peut rendre aux PME et aux entrepreneurs individuels est évidemment de réduire les prélèvements. Ce sera le cas en 1997, avec la baisse du taux d'imposition sur les bénéfices réinvestis qui passera de 33,33 % à 19 % pour les sociétés dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions de francs, et avec la réduction sur cinq ans de l'impôt sur le revenu.
Mais les chefs d'entreprise attendent aussi des pouvoirs publics qu'ils ne créent pas de frein supplémentaire au développement de leur activité. Je pense notamment à l'insécurité fiscale, dont sont victimes de nombreuses entreprises, sous la forme, par exemple, de contrôles fiscaux, alors que la société est créditrice vis-à-vis de l'administration.
Que comptez-vous faire concrètement, monsieur le ministre, pour améliorer les relations entre les PME et les services fiscaux ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous avez raison de souligner à quel point les PME sont au coeur de notre confiance. Ce sont elles qui vont renforcer le tissu économique dont nous avons tant besoin pour faire de la croissance, pour créer des emplois et pour contribuer à la cohésion sociale.
Il faut d'abord une culture d'entreprise et que les vocations d'entrepreneur soient plus nombreuses. Ce n'est pas l'Etat, ce n'est pas le Gouvernement qui crée les emplois, ce sont les entreprises. Il appartient au Gouvernement de mettre en place l'environnement favorable à la création d'entreprises, à la régénérescence de ce tissu de petites et moyennes entreprises.
Vous avez raison de souligner que le projet de loi de finances pour 1997, qui viendra en discussion dans deux semaines devant le Sénat, a précisément pour objet d'alléger le poids de l'impôt et de redonner des marges de liberté à ceux qui investissent, qui entreprennent, qui assument des risques, qui vont de l'avant, et qui sont nos véritables chances de créer de l'emploi et de contribuer à la cohésion sociale.
Parfois, il existe une suspicion de relations difficiles entre l'administration fiscale et les PME. Je tiens à vous dire que nous veillons à ce que le climat en ce domaine soit le meilleur possible, à ce qu'existe une sécurité fiscale et à ce que l'administration fasse preuve de compréhension vis-à-vis des entreprises. C'est ainsi que vous avez voté au printemps dernier, dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, un dispositif de « rescrit ». En effet, nous avons pu constater que de nombreuses entreprises nouvelles, qui bénéficiaient d'allégements en matière d'impôts sur les sociétés et d'exonérations de taxe professionnelle, étaient soumises, après trois ou quatre ans, d'existence, à un contrôle qui remettait tout en cause, les conséquences étant alors désastreuses.
Grâce à cette procédure, il existera une sécurité fiscale. Celui qui créera son entreprise saura qu'il n'a pas à redouter une remise en cause des avantages dont elle a pu bénéficier. Ce dispositif est la conséquence, je le répète, du vote que vous avez émis au printemps dernier.
Je souhaite qu'un chef d'entreprise, chaque fois qu'il s'interroge sur telle ou telle disposition dont il pense pouvoir bénéficier, ait une relation directe avec l'administration, et que celle-ci lui réponde et le sécurise pour qu'il n'y ait pas de remise en cause ultérieure. C'est un pacte de confiance qui doit s'établir entre l'administration fiscale et les créateurs de PME.
Vous avez posé une question plus précise : est-il bien normal que l'administration aille « chercher des poux dans la tête » de ceux qui ont des créances sur l'Etat ? Je tiens à vous dire que j'ai signé hier une instruction pour les services fiscaux et qu'il sera désormais impossible de procéder à une vérification de comptabilité dans une PME dès lors que cette entreprise aura sur l'Etat une créance de plus de soixante jours. Voilà la décision que nous avons prise ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
J'ajoute que M. le Premier ministre vient de signer une circulaire aux termes de laquelle tous les paiements devront être effectués dans un délai maximal de soixante jours.
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Enfin, je voudrais dire que mon collègue Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat, et moi-même sommes convenus d'ouvrir une réflexion sur le crédit interentreprises et de veiller à ce que les délais de paiement soient réduits : on sait très bien que ce sont les plus grands groupes qui imposent un rapport de forces, au détriment des plus modestes et des plus petits. Nous ne voulons pas que les PME soient mises ainsi en situation difficile du fait de leur vulnérabilité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ou en déconfiture !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Enfin, nous devons, lorsque les entreprises sont en situation difficile, veiller à ce que tous les créanciers, y compris le Trésor public, manifestent de la compréhension pour que des plans de redressement soient mis en oeuvre et préservent ainsi l'emploi. Telles sont les précisions que je souhaitais apporter. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

ACTIONS EN FAVEUR D'UNE MEILLEURE
ORIENTATION DES JEUNES

M. le président. La parole et à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale.
Monsieur le ministre, notre pays est parmi ceux qui font le plus d'efforts pour l'éducation et la formation des jeunes, puisque nous y consacrons 9 700 francs par an et par habitant. Nous disposons, d'ailleurs, du meilleur système éducatif au monde.
Cela étant, les résultats ne sont pas à la mesure des efforts conjugués de la communauté éducative, de l'Etat, des collectivités et des professions. C'est, en effet, en France que les étudiants prolongent le plus leurs études, que l'on compte le plus grand nombre de grandes écoles, mais c'est aussi en France que le chômage des jeunes est le plus élevé.
Cette situation n'est pas seulement conjoncturelle, elle est aussi structurelle ; nous sommes dans une logique fondée essentiellement sur l'offre de formation. Elle est aussi et surtout un véritable problème de société.
En effet, un jeune sur trois veut aujourd'hui faire carrière dans l'enseignement ou la fonction publique. Cela montre la bonne image que nos jeunes ont de ces secteurs. En revanche, cet engouement très important pour la fonction publique nous préoccupe car, dans le même temps, seulement un jeune sur quinze souhaite faire carrière dans le monde industriel et un sur vingt créer son entreprise.
Or, monsieur le ministre, existe-t-il une grande nation sans un secteur productif développé ? Il nous faut donc passer d'une logique de moyens à une logique de besoins, et répondre simultanément tant aux besoins du jeune qu'à ceux de l'économie.
Répondre seulement à la demande du jeune nous conduit aujourd'hui, à cause des effets de mode, à remplir les filières des STAPS - sciences et techniques des activités physiques et sportives. Répondre seulement aux besoins immédiats et totalement adéquationnistes des entreprises serait tout aussi dangereux.
La sélection n'est pas, il est vrai, notre culture. Mais n'est-il pas souhaitable d'aller vers une orientation sélective ? Je me réjouis, monsieur le ministre, de votre volonté de faire de l'orientation une priorité nationale. L'orientation, l'information, plus qu'un problème de logiciels, de documentation, c'est surtout un problème de relations humaines. Elle est d'abord le rôle de la famille, puis celui de l'école, des professeurs, en particulier le professeur principal, des CIO - centres d'information et d'orientation - du monde professionnel et des chambres consulaires.
La situation économique et budgétaire nous interdit toute inflation du nombre de postes et nous incite à développer des actions de partenariat ou de proximité.
Monsieur le ministre, quelles sont donc les actions que vous comptez mettre en place ? Etes-vous prêt à soutenir et à encourager des expériences locales autour des partenaires que je viens d'évoquer ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François d'Aubert, secrétaire d'Etat à la recherche. Monsieur le sénateur, vous avez raison de souligner - vous l'avez fait au début de votre propos - que notre système éducatif est le meilleur au monde, et que l'orientation doit être et est une priorité nationale : c'est la décision du Gouvernement.
Mieux expliquer les filières scolaires, rapprocher l'école et l'université des besoins véritables de l'économie, ce sont là les objectifs du ministre de l'éducation nationale. Il faut être honnête par rapport à ce que l'on entend parfois : le chômage des jeunes, ce n'est pas l'éducation nationale qui le fabrique, c'est la crise économique, avec les difficultés que rencontrent les entreprises.
Il faut rappeler - vous l'avez fait également, monsieur le sénateur - que le Gouvernement est opposé à l'instauration d'une sélection à l'entrée de l'université. En effet, chaque bachelier a le droit de tenter sa chance. Tout en préservant la liberté des choix de l'adolescent, notre politique d'orientation s'efforce toutefois de lui donner une vision concrète, réaliste et positive des possibilités qui s'offrent à lui.
C'est pourquoi le ministre de l'éducation nationale a mis en place, dès cette année, une nouvelle politique d'orientation scolaire. L'école a naturellement son rôle à jouer dans ce domaine, mais aussi, comme vous l'avez souligné, la famille et le milieu social.
En ce qui concerne l'école, une familiarisation en une heure par semaine sera mise en place dès la classe de cinquième, pour faire connaître aux enfants les métiers et les diverses formations ; en classe de seconde, cette démarche prendra un tour nouveau, avec la mise en oeuvre d'une véitable formation à l'orientation. Pendant trois ans, jusqu'en terminale, les lycéens s'interrogeront ainsi sur leurs choix universitaires ou leurs projets en matière de formation professionnelle.
Pour éviter les impasses, comme il s'en produit parfois - vous en avez cité quelques-unes, monsieur le sénateur - il faut informer le mieux possible. Afin que les lycéens de terminale disposent tous d'une information claire et pratique, M. François Bayrou a décidé, en 1996, la publication annuelle à 770 000 exemplaires et la diffusion à tous les lycéens d'un document intitulé Après le bac , mais qui est à lire avant le bac. (Sourires.)
Dans le cadre de la réforme de l'université, l'année universitaire sera désormais organisée en semestres. A l'issue du semestre initial, qui est un temps d'initiation à l'université et à ses méthodes, l'étudiant pourra se réorienter. L'orientation doit être, en fait, l'interrogation première des jeunes lorsqu'ils choisissent un parcours en fonction des études et non des débouchés qui les intéressent.
M. le président. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous signale que vous intervenez déjà depuis trois minutes. Pourriez-vous conclure ?
M. François d'Aubert, secrétaire d'Etat. Je termine, monsieur le président.
Il faut montrer aux jeunes que leurs aspirations ont la même dignité. Le ministre de l'éducation nationale souhaite que les jeunes découvrent le plus tôt possible - et j'ai cru percevoir cette préoccupation à travers votre question, monsieur Carle - la vie de l'entreprise. J'en ai terminé, monsieur le président. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Curieusement, certains jours, on est plus bavard que d'autres ! (Sourires.)

POLITIQUE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

M. le président. La parole est à M. Mouly.
M. Georges Mouly. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, chacun garde en mémoire le vaste débat national sur l'aménagement du territoire. Aujourd'hui, en maints endroits de la France profonde, les responsables éprouvent, pour le moins, le sentiment que l'aménagement du territoire n'est plus une priorité.
La conviction et la volonté du ministre de l'aménagement du territoire ne sont pas en cause, mais, pour l'heure, les faits sont là et je n'en cite que quelques-uns.
Il n'est pas contestable que, globalement parlant, les moyens mis en oeuvre à ce jour sont insuffisants, mais nous retrouverons ce problème au cours du débat budgétaire.
Certes, sur un point précis, le fonds de gestion de l'espace rural, un effort est consenti par le ministre de l'agriculture, effort transitoire cependant puisque, « pour faciliter une politique à long terme, il faut réfléchir à une méthode qui permette de disposer de ressources plus stables ».
En outre, s'il est des textes qui ont connu ou connaissent encore du retard, il en est dont on ne parle plus : il en est ainsi du fonds d'aide aux entreprises qui, cependant, comme tout autre point de la loi concernée, est la manifestation de la volonté du Parlement.
Par ailleurs, quand les schémas sectoriels ou thématiques seront-ils mis en oeuvre ? J'ai le sentiment - mais je souhaite me tromper - qu'un frein y est mis.
Enfin, alors que l'on fait face, dans les conditions que l'on sait, à l'équilibre des transports parisiens, un texte, dont le bien-fondé n'est pas à mettre en cause, a été voté concernant la ville. Que devient donc - et c'est là le souci principal que je veux exprimer - le milieu rural dans l'aménagement du territoire ?
La désertification s'y poursuit, les services publics, dont je ne prétends pas qu'ils doivent forcément rester en l'état, y évoluent en l'absence même, souvent, de concertation avec les élus locaux. Je pourrais continuer, mais je m'arrête là.
Un projet de loi sur le développement rural est en préparation. Quand viendra-t-il en discussion ? Aurons-nous dans ce domaine les moyens d'une politique à la hauteur des besoins ?
Le temps presse. Une loi de première importance a été votée. On a le sentiment qu'elle n'est que péniblement mise en oeuvre. Bref, où en est-on aujourd'hui de l'aménagement du territoire ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale. Monsieur le sénateur, le ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration vous prie de bien vouloir l'excuser de ne pas être au Sénat cet après-midi : il défend en ce moment-même le budget auquel vous venez de faire allusion devant l'Assemblée nationale.
Il m'a chargé de vous dire, en toute amitié, qu'il ne partage pas l'appréciation qui est la vôtre sur la prise en compte du développement rural dans le cadre de la politique d'aménagement du territoire.
En effet, le travail accompli depuis le vote de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire est important : vingt-deux décrets, dont celui qui institue les zones de revitalisation rurale, et neuf circulaires ont été pris tandis que le pacte de relance pour la ville, qui en est pour partie une déclinaison, est en oeuvre, sous l'autorité d'Eric Raoult.
Pratiquement toutes les mesures d'application directe de cette loi, à l'exception du fonds national d'aide aux entreprises que vous avez évoqué et qui n'a pas été créé pour des raisons budgétaires, sont en effet en vigueur depuis le mois de février dernier.
Quant au monde rural, M. le minsitre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration me charge de vous assurer qu'il n'est pas oublié. Je confirme, en son nom, qu'un plan est en cours de préparation. Il fait l'objet d'une concertation interministérielle et devrait être arrêté au début de l'année 1997.
Concernant les schémas sectoriels, aucun frein n'y est mis, mais ils viendront logiquement après que le schéma national en préparation aura arrêté les principes qui doivent présider à leur élaboration.
S'agissant du budget de l'aménagement du territoire, M. Jean-Claude Gaudin sera bientôt devant la Haute Assemblée pour le défendre ; il démontrera alors que, en 1997, sa capacité d'intervention, au travers de ce budget, loin d'être amoindrie,...
M. Roland Courteau. C'est difficile !
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. ... augmentera.
M. Paul Raoult. Il faut rappeler Pasqua !
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Au total, si l'on veut bien considérer que l'année 1996 a vu l'institution des zones de revitalisation rurale et l'amélioration des dispositions qui s'y appliquent, la préparation et le vote du pacte de relance pour la ville, la négociation d'une zone franche pour la Corse, la poursuite de l'élaboration du schéma national et la préparation d'un plan pour le monde rural, il n'y a pas lieu d'être inquiet...
M. Roland Courteau. C'est vous qui le dites !
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. ... ni de douter de l'intérêt que le Gouvernement attache à l'aménagement du territoire et au développement des zones rurales.
M. Paul Raoult. Il faut rappeler Pasqua !
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Telle est, monsieur le sénateur, la réponse que je vous apporte au nom de M. Jean-Claude Gaudin.
M. Roland Courteau. Ce n'est pas très convaincant !
M. Paul Raoult. Pasqua n'est pas là ?

SUPPRESSION D'EMPLOIS CHEZ ALCATEL

M. le président. La parole est à M. Leyzour.
M. Félix Leyzour. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications.
Le 25 octobre dernier, le groupe Alcatel a annoncé la suppression de 1 636 emplois en France, dont 600 sur le site de Lannion. C'est dire que toute la production et une partie de la recherche sont concernées sur ce site.
Cela entraînerait, par ailleurs, la disparition de centaines d'emplois dans la sous-traitance, le commerce, l'artisanat et les services publics, ce qui serait un recul considérable pour toute une région.
Nous ne pouvons accepter cette décision émanant d'un groupe qui se disait prêt à acheter Thomson pour 25 milliards de francs, ...
Mme Hélène Luc. Ah oui !
M. Félix Leyzour. ... décision qui intervient à un moment où Alcatel-CIT connaît une augmentation de 20 % de ses commandes pour la période 1996-1998 et Alcatel-Télécom, une augmentation de 20 % de ses commandes au premier semestre de 1996.
En vue de réaliser le maximum de profits immédiats, Alcatel cherche à délocaliser ses productions vers des pays où le coût de la main-d'oeuvre est faible.
Alcatel ayant bénéficié de l'argent public, il doit, à ce titre, rendre des comptes !
On ne peut qu'être frappé par le fait que la vague d'éclatements, de réductions et de disparitions d'activités dans tout le secteur de l'électronique intervient au moment où le pôle France Télécom-CNET est déstabilisé par la déréglementation et la réorganisation de France Télécom comme une multinationale.
En conséquence, monsieur le ministre, quelles dispositions entendez-vous prendre pour que la direction du groupe Alcatel ne procède pas à ces licenciements, pour que soient gelés les plans de licenciement dans tout ce secteur industriel et que s'engage un grand débat public autour de la filière du multimédia afin que notre pays garde et développe un grand pôle de l'électronique ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. Monsieur le sénateur, vous avez pratiqué l'amalgame, ce que je regrette un peu : il ne faut en effet pas confondre CIT-Alcatel, Alcatel Télécom et Thomson, comme vous avez essayé de la faire.
Les entreprises industrielles sont de plus en plus soumises, qu'on le veuille ou non, à une concurrence qui va croissant. Elles doivent s'adapter aux nouvelles donnes économiques.
Face à ce problème, trois attitudes peuvent être adoptées : soit décider que rien ne doit bouger - c'est votre position - ...
M. Félix Leyzour. Pas du tout !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. ... et prendre le risque de condamner les entreprises à mort, soit s'engager dans le « zéro emploi industriel » et, de fait, dans la délocalisation industrielle et la remise en cause du socle industriel, qui est l'un des fondements du développement économique, soit encore - cette troisième attitude est la mienne - donner aux entreprises privées, dans le secteur concurrentiel, tous les moyens de s'adapter aux conditions de l'évolution du marché.
En effet, une entreprise incapable de faire face à la concurrence au travers de ses produits, de ses marchés ou de ses prix de revient est, d'une manière ou d'une autre, condamnée.
M. Claude Estier. Donc, elle doit licencier !
M. Félix Leyzour. Il faut laisser tout disparaître ?
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. L'entreprise CIT-Alcatel, quoi que vous en disiez, connaît une baisse globale de ses activités sur l'année 1996 ; elle affichera, à la fin de l'année, 500 millions de francs de pertes. En 1997, compte tenu de l'évolution de son activité et malgré les efforts réalisés dans le domaine de l'organisation du travail, de la productivité, de la recherche d'autres produits et de services, le résultat sera comparable.
Cette entreprise ne pourra pas le supporter, car une société ne peut pas accumuler, année après année, les pertes. Elle doit donc s'adapter aux conditions du marché pour vendre ses produits.
M. Paul Loridant. Elle distribue des stocks-options.
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. C'est la raison pour laquelle elle présente un plan économique comportant 1 600 suppressions effectives de postes.
Quelle réponse peut-on apporter à cela ? Tout d'abord, on doit discuter avec la direction de l'entreprise pour bien vérifier qu'un projet industriel est prévu. Le ministère de l'industie procède à cette vérification.
Par ailleurs, lors du comité central d'entreprise, le 5 novembre dernier, la décision a été prise - elle a été soutenue par la direction - de permettre à un cabinet d'expertise, le cabinet Syndex, de vérifier la réalité et la justification du projet industriel proposé par l'entreprise.
Lorsque tout le monde se sera mis d'accord sur l'existence de ce projet industriel, il faudra alors discuter avec l'entreprise pour trouver les moyens permettant de limiter le nombre des suppressions de postes, hélas ! nécessaires, de telle manière que les conséquences sociales sur le personnel soient les plus faibles possible.
Telle est la position qu'il faut adopter ; c'est celle du Gouvernement, notamment du ministre de l'industrie, qui accompagnera l'analyse de ce dossier. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travée du RDSE.)
M. Félix Leyzour. C'est la politique de désindustrialisation !
Mme Hélène Luc. On demande aux Coréens de reprendre Thomson, et on licencie chez Alcatel, qui était candidat à la reprise !

LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION CLANDESTINE

M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Ma question, qui porte sur l'immigration, s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
Permettez-moi tout d'abord, monsieur le ministre, de vous féliciter pour votre action déterminée et efficace dans ce domaine. Lutter contre l'immigration clandestine, c'est non pas refuser, mais au contraire garantir le droit de vivre en France ou d'acquérir la nationalité française à ceux qui le souhaitent et qui en font la demande, à ceux qui accepteront les droits et respecteront leurs devoirs.
L'objectif doit être d'appliquer les lois et de ne pas céder au chantage parce que la France ne peut accepter sur son territoire plus d'immigrés qu'elle ne peut en intégrer.
En effet, seule une politique d'immigration clairement définie peut contribuer à la réussite de la politique d'intégration.
Le conseil des ministres a adopté hier un projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, qui devrait permettre de combler certaines lacunes observées notamment lors de l'affaire des sans-papiers, durant l'été dernier.
Pourriez-vous nous exposer les mesures proposées pour remédier à ces lacunes ?
Je souhaiterais également avoir des précisions sur les dispositions du projet de loi relatif à la coopération européenne pour la lutte contre l'immigration clandestine.
Je sais que c'est un sujet qui vous tient à coeur et pour lequel vous avez beaucoup oeuvré. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais où est Pasqua ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, le projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, adopté par le conseil des ministres, a pour objet d'apporter les réponses nécessaires aux difficultés pratiques observées dans l'application des lois votées en 1993, visant à la maîtrise de l'immigration.
En premier lieu, l'éloignement des étrangers en situation irrégulière ne doit plus se heurter aux obstacles de procédure qui handicapent lourdement et de manière injustifiée l'application de la loi. Les modalités de prolongation de la rétention administrative des étrangers en instance d'éloignement sont en conséquence ajustées, pour tenir compte de l'expérience liée notamment aux événements de cet été.
Dans le même esprit, le texte généralise la rétention judiciaire de trois mois à l'ensemble des étrangers en situation irrégulière, ce qui facilitera leur identification puis leur éloignement.
Le texte apporte deux innovations majeures.
La première est la visite des ateliers par les policiers afin de lutter contre le travail clandestin et le travail irrégulier, à la demande et sous le contrôle du parquet.
La seconde innovation est la visite des véhicules dans la bande des vingt kilomètres au voisinage de nos frontières terrestres, à la diligence des policiers et sous le contrôle du parquet, afin de mieux lutter contre les filières d'immigration par la route, dans des camions ou des autocars.
Le reste renforce également les prérogatives des maires dans la délivrance des certificats d'hébergement, afin d'éviter que cette procédure, sous couvert de visite privée des étrangers en France, ne soit dévoyée pour faciliter l'immigration irrégulière.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Enfin, le texte prévoit de donner une solution à la situation des personnes inexpulsables qui n'ont pas, au vu du droit actuel, vocation à un titre de séjour.
Le projet ainsi résumé constitue un tout équilibré et efficace. Il s'insère dans une démarche d'ensemble du Gouvernement pour que, dans le respect des droits individuels, nos lois soient respectées au bénéfice d'une vraie maîtrise de l'immigration. Les lois que le Parlement a votées sont les lois de la nation : elles doivent être respectées par tous, quels qu'ils soient. C'est cela la liberté ! C'est cela la République ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR. - Protestations sur les travées socialistes.)
M. Paul Raoult. Et les jugements ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Personne, dans cet hémicycle, quelles que soient les travées sur lesquelles il siège, ne peut dire le contraire, car il prendrait alors position contre la République et contre la France ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées socialistes.)

RETRAIT DE L'ORDRE DU JOUR
D'UN PROJET DE LOI CONCERNANT LA SNCF

M. le président. La parole est à M. Garcia.
M. Aubert Garcia. M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme, à qui s'adressait ma question, n'étant pas là, c'est à vous, madame le secrétaire d'Etat, que je la poserai.
Le retrait du projet de loi portant création de l'établissement public à caractère industriel ou commercial Réseau ferré national, après plusieurs mois de discussions et d'auditions au cours desquelles vous aviez fait preuve de beaucoup de détermination, marque de la part du Gouvernement un brusque et radical changement d'attitude, à propos duquel et les politiques et les interlocuteurs syndicaux ont tout lieu de se poser des questions.
Certes, nous étions hostiles au projet tel qu'il nous était présenté, considérant qu'il comportait trop d'imprécisions, en particulier sur le plan financier. Son retrait ne nous chagrine donc pas. Une loi de quatorze articles qui renvoyait à sept décrets de mise en application ne pouvait lever nos craintes quant à l'avenir de la SNCF, de son unité et de sa garantie de rester l'unique exploitant du réseau ferré. Bref, elle nous paraissait contenir, surtout depuis la parution du Livre blanc européen, tous les ingrédients d'un démantèlement possible de notre société nationale et de sa privatisation à échéance.
Il n'empêche que nous avions accepté, depuis le mois de juin, de discuter, persuadés que la réforme que vous proposiez n'était pas la bonne, mais que réforme il devait y avoir.
Aussi vous poserai-je quatre questions.
Quand remettrez-vous sur le chantier parlementaire la réforme de la SNCF ? Dans quelques semaines, dans quelques mois ou plus tard, en tout cas avant les échéances électorales qui s'approchent ?
Comment épongerez-vous la dette qui écrase la SNCF et la reprendrez-vous intégralement, les 125 milliards de francs d'allégement prévus dans votre premier texte ne constituant pas la totalité de la part de dette due aux infrastructures - il s'en faut de 20 milliards de francs en moins ?
Comment assurerez-vous à la SNCF - c'est peut-être le plus important - la garantie de son monopole d'utilisation du réseau national en face des exigences du Livre blanc européen ?
Comment, enfin, réglerez-vous le problème de l'indispensable péréquation interrégionale, afin que la régionalisation, au principe de laquelle nous sommes favorables, ne débouche pas sur une aggravation des disparités d'équipement et de desserte des régions qui tournerait manifestement le dos à l'aménagement du territoire ? (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat. Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'Etat aux transports. Monsieur le sénateur, M. Pons et moi-même avons effectivement proposé au Premier ministre, sur la suggestion de M. Gerbaud, rapporteur devant votre assemblée du projet de loi auquel vous avez fait allusion, de repousser de quelques semaines l'examen de ce texte, afin d'apporter l'ensemble des éclairages nécessaires pour dissiper toute interrogation malencontreuse.
Depuis le début, vous le savez, nous avons voulu placer cette réforme sous le signe de la transparence et de la concertation. Or, dans la mesure où sont apparues, notamment, quelques confusions liées à une coïncidence dans le temps entre le dépôt du projet et la parution du Livre blanc européen, auquel vous avez fait allusion, il nous a semblé qu'il convenait d'être bien au clair sur ces affaires.
Vous savez que le Gouvernement rejette totalement - M. Pons est allé le dire lui-même à Bruxelles au début du mois d'octobre - les orientations de ce Livre blanc en matière de libéralisation.
Vous savez aussi qu'un certain nombre d'audits comptables et financiers, qui doivent permettre d'assurer la lisibilité parfaite du dispositif « Réseau ferré national » quant à ses éléments de dotation en capital, n'étaient pas tout à fait terminés.
Des éléments complémentaires seront apportés aux parlementaires, vraisemblablement au début de l'année 1997, leur permettant de se prononcer en parfaite connaissance de cause sur cette réforme essentielle, dont il est clair, je le dis devant l'ensemble de votre assemblée, qu'elle sera réalisée.

Nous l'avons dit à l'Assemblée nationale, il y a deux jours, je le répète ici : la SNCF doit être désendettée, elle le sera ; les services de voyageurs doivent être régionalisés, ils le seront ; les responsabilités respectives de l'Etat et de l'entreprise doivent être clarifiées, elle le seront. Elles le seront dans la transparence et dans la concertation, et nous aurons l'occasion d'en reparler très prochainement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)

EMPLOI TEMPORAIRE DE POLICIERS MUNICIPAUX

M. le président. La parole est à M. Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation.
Monsieur le ministre, de très nombreuses communes touristiques sont dans la nécessité de recourir à l'emploi temporaire de policiers municipaux pour faire face à leurs obligations d'ordre public en période d'affluence touristique, hivernale ou estivale.
Ce service d'information et de surveillance de la voie publique est indispensable au maintien de la qualité des prestations assurées par les communes supports des stations classées.
Cette pratique a cours, à la satisfaction générale, depuis de nombreuses années dans des collectivités dont la population connaît, pendant quelques semaines, une croissance exponentielle.
Or, le décret du 24 août 1994, qui a défini le cadre d'emploi des policiers municipaux, prévoit que ces agents doivent effectuer, avant leur prise de fonction, une période de formation d'une durée de six mois. Ce texte précise, au surplus, que les missions de surveillance de la voie publique doivent être effectuées par des agents de police municipale, et non par du personnel vacataire.
Cette nouvelle réglementation ne prévoit aucune dérogation et ne tient aucun compte des spécificités régionales, alors que les élus des stations classées ont besoin d'adapter leurs effectifs aux situations locales ou limitées dans le temps. Le manque de souplesse de ce statut contraint nombre d'élus municipaux à enfreindre les textes, sans autre alternative que de produire des actes entachés d'illégalité.
A l'approche de la saison touristique d'hiver, une solution est instamment attendue par les élus des communes concernées, soucieux de se mettre en conformité avec la réglementation.
L'une des solutions, qui aurait leur faveur, consisterait à recruter des policiers non titulaires de façon dérogatoire mais dans des conditions strictement définies, en particulier du point de vue de la formation et des missions confiées à ces personnels.
Monsieur le ministre, d'avance je vous remercie de la suite que vous pourrez réserver à cette requête concernant un problème d'administration locale. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Monsieur le sénateur, nous sommes confrontés à une difficulté d'ordre juridique qui reste pour l'instant sans solution.
En effet, s'agissant d'un métier particulier, celui d'agent de police judiciaire adjoint, il est nécessaire de prévoir un certain nombre de garanties en vue d'assurer l'exercice des libertés publiques à nos concitoyens. C'est la raison pour laquelle la mise en place de ce type de personnel nécessite, d'une part, la vérification d'un minimum de formation et, d'autre part, un agrément du procureur de la République. Dans ce double objectif, il a été effectivement prévu, dans le décret de 1994, que ces personnels devaient être recrutés par concours dans le cadre des statuts de titulaires.
Mais la conséquence de ce dispositif juridique - je le sais bien - est qu'il n'est pas possible pour les communes de faire des recrutements temporaires au cours de l'année.
C'est pourquoi je suis prêt à constituer un groupe de travail avec un certain nombre d'élus des communes touristiques afin de trouver une solution qui soit compatible avec l'essentiel, l'essentiel étant, me semble-t-il, de vérifier la qualité des personnels, d'assurer un minimum de formation et, bien entendu, de remplir les conditions pour obtenir l'agrément du procureur de la République.
Sous ces trois réserves, nous devrions pouvoir trouver une solution permettant de concilier la nécessité d'une police à temps partiel au fil de l'année et la garantie de la qualité du travail effectué par les personnels en cause. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)

LUTTE CONTRE LA PANDÉMIE BUREAUCRATIQUE

M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement convie, à juste titre, les collectivités territoriales à prendre leur part dans le combat pour la résorption des déficits publics.
Il affiche, là encore à très juste titre, une volonté de simplification.
Or, gagne de jour en jour une lèpre bureaucratique.
S'ajoutant à des transferts de charges mal compensés, elle entraîne une aggravation des coûts, elle engendre la confusion, elle accable les élus, elle favorise l'incivisme des spécialistes de l'évasion.
La surabondance, le fatras, le maquis de réglementations toujours pesantes, souvent inutiles, fréquemment contradictoires, parfois absurdes, entravent davantage, mois après mois, quand ils ne la paralysent pas, l'action des responsables.
Pour 1995, l'édition du Journal officiel « Lois et Décrets », en dehors même des débats du Parlement, ne comporte pas moins de 19 248 pages, dans un pays où nul n'est censé ignorer la loi !
Le Gouvernement est-il conscient que cette fièvre normative contribue à affaiblir l'autorité de l'Etat et le crédit qui devrait s'attacher aux textes régissant notre vie en société ?
Ma question est simple : monsieur le ministre, au-delà des promesses qui n'engagent jamais que ceux qui y croient, au-delà des mots, qui sont jusqu'ici autant de cautères sur une jambe de bois, quelles mesures fortes le Gouvernement entend-il prendre pour enrayer cette pandémie ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Henri de Raincourt. La tâche est lourde !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Monsieur le sénateur, l'analyse que vous faites, avec la passion qui est la vôtre, me semble rejoindre, pour l'essentiel, l'analyse que font les Françaises et les Français des difficultés qu'ils ont dans leurs relations avec l'administration, au sens large. Je dirai d'ailleurs que les Français, comme cela ressort d'un certain nombre d'études que j'ai fait effectuer, mettent un peu dans le même sac - si je puis m'exprimer ainsi - l'Etat et les autres éléments de la puissance publique - collectivités locales, services publics divers, y compris de droit privé.
Face à cette situation, nous avons décidé d'engager ce que nous avons appelé « une réforme de l'Etat ». Vous serez donc saisis - ce ne sont pas des mots - en fin d'année, d'un texte qui va bouleverser le fonctionnement de l'administration dans la mesure où il imposera un certain nombre de délais de réponse, où il permettra de supprimer par centaines des régimes d'autorisation administrative...
M. Charles Revet. Très bien !
M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. ... et où il posera le principe, dans de nombreux cas, de la non-réponse valant acceptation. C'est un premier élément.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Deuxième élement, il est bien évident que nous devons mettre un terme, en particulier par rapport aux collectivités locales, à des mesures à caractère administratif qui entraînent des surcoûts.
C'est la raison pour laquelle le Premier ministre a demandé à l'ensemble des membres du Gouvernement dorénavant, avant de proposer quelque réglementation ou quelque projet de loi que ce soit, de réaliser une étude d'impact qui permette de chiffrer de façon précise les surcoûts ou les difficultés que cela peut entraîner aussi bien pour les collectivités territoriales que pour nos concitoyens.
Enfin, s'agissant toujours des aspects réglementaires qui s'imposent en particulier aux collectivités territoriales, je voudrais faire le partage entre deux catégories de réglementations.
Il y a d'abord celles qui concernent le droit commun, en particulier celles qui touchent aux questions de sécurité et qui résultent en général de législations s'imposant à tous, aussi bien aux entreprises qu'aux collectivités territoriales. Celles-là me paraissent ne pas pouvoir faire l'objet de discussion. On ne peut pas faire le partage entre collectivités territoriales et entreprises ou personnes privées, dans la mesure où chacun doit respecter les textes.
Puis il y a toute une série de réglementations ou de législations dont la mise en oeuvre coûtera à l'évidence fort cher - nous le savons déjà - et à propos desquelles il faudra bien que nous nous interrogions pour savoir comment nous pourrons faire face à la charge financière qu'elles représenteront. En effet, elles ont été parfois adoptées dans l'enthousiasme général, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, mais, au fil des années, leur application se révèle fort coûteuse. Nous serons sans doute amenés, monsieur le sénateur, à revenir sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Charles Revet. Très bien !

PARTICIPATION DE L'EUROPE DU SUD
À LA MONNAIE UNIQUE

M. le président. La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le deuxième sommet franco-espagnol vient de se terminer à Marseille, et les relations des deux pays sont exemplaires.
L'Espagne a effectué un décollage économique spectaculaire depuis son entrée dans la Communauté européenne : avec un taux de croissance de 3 %, deux fois supérieur au taux moyen de l'Union européenne, elle occupe le septième rang mondial. Notre voisin ibérique va adhérer à l'OTAN et il est disposé à faire partie du premier groupe de pays qui adopteront, en 1999, la monnaie unique.
Sa vocation méditerranéenne a été soulignée l'an dernier, lors de la réunion de Barcelone, et c'est l'ambassadeur d'Espagne en Israël qui a été choisi par les quinze Etats membres pour suivre le grave problème des relations entre la Palestine et Israël.
Enfin, derrière l'Espagne, les pays latino-américains de langue espagnole et de religion catholique prennent, avec le retour à la démocratie, une force économique de grande importance pour la France, qui occupe aussi une place privilégiée dans ces pays.
La France fait actuellement un effort considérable pour participer à l'euro dès 1999. Il serait évidemment très souhaitable que la peseta puisse aussi être dans le noyau dur de la monnaie unique, tout comme la lire, afin d'y renforcer l'influence latine si nécessaire à une Europe équilibrée et créative, en contrepoids d'un mark dominateur.
Avez-vous le sentiment, monsieur le garde des sceaux, que l'Europe du Sud est bien engagée, et qu'elle pourra se concrétiser dans l'union économique et monétaire ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur Durand-Chastel, permettez-moi tout d'abord de vous présenter les excuses de M. le Premier ministre ainsi que de M. le ministre des affaires étrangères, tous deux retenus, en ce moment même, au sommet franco-britannique de Bordeaux, présidé par M. le Président de la République et par M. John Major.
Il est trop tôt pour connaître avec précision la liste des pays qui participeront définitivement à la monnaie unique. La décision sera prise au début de l'année 1998.
La Commission de Bruxelles a adressé hier, à ce sujet, un signal très positif. En effet, elle prévoit une reprise de la croissance en Europe pour 1997 ; elle estime que la plupart des pays européens pourront se qualifier pour la monnaie unique et conserve un sérieux espoir pour les autres. La Commission souligne d'ailleurs la convergence des efforts de tous.
Précisément, les pays de l'Europe du Sud, l'Italie et l'Espagne, déploient des efforts considérables pour remplir les critères de convergence de Maastricht et être au rendez-vous de la monnaie unique. Ainsi, M. Aznar a fait de la participation de l'Espagne à la monnaie unique, dès son élection en mars 1996, la grande priorité économique et politique de son gouvernement. Comme vient de le faire M. le Président de la République au sommet de Marseille, il nous faut saluer la volonté et le courage de M. Aznar ainsi que du peuple espagnol.
La France apprécie à leur vraie valeur les efforts des autorités de Madrid. Le projet de budget espagnol pour 1997 porte témoignage de leur détermination. Il prévoit de ramener le déficit public à 3 % du produit intérieur brut par une réduction énergique de toutes les dépenses.
L'Espagne est en bonne voie : la peseta semble désormais stabilisée, l'inflation se réduit, les taux d'intérêt baissent. L'Espagne table, pour 1997, sur un taux de croissance de 3 %.
Ces efforts doivent être encouragés et soutenus, car le plus grand nombre possible de pays européens doit entrer dans l'euro dès le mois de janvier 1999. C'est la logique même de l'union économique et monétaire, et de la construction européenne.
Tout cela confirme, mesdames, messieurs les sénateurs, que la monnaie unique sera bien réalité en 1999, comme prévu. L'euro fera de l'Europe une grande zone de stabilité monétaire. Il stimulera la croissance, les investissements et l'emploi en Europe. Pour la France, mais aussi pour tous les pays qui souhaitent l'affirmation de l'indépendance et de la puissance de l'Europe, l'avènement de l'euro sera une chance décisive. (Très bien ! et applaudissements sur des travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix, sous la présidence de M. Michel Dreyfus-Schmidt.)

PRÉSIDENCE DE
M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

4

MOYENS DE LA JUSTICE
DISCUSSION D'UNE QUESTION ORALE AVEC DÉBAT

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 9.
M. Pierre Fauchon interroge M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les moyens qui lui paraissent propres à réduire l'asphyxie des juridictions dont témoignent le taux excessif des affaires classées sans suite au pénal et les trop longs délais de procédure au civil. Il lui demande si, indépendamment d'un redéploiement véritable des moyens de la justice en fonction d'une carte judiciaire fondée sur les réalités actuelles, il ne lui apparaît pas urgent de rechercher les modalités d'un traitement spécifique des contentieux de masse.
La parole est à M. Fauchon, auteur de la question.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le caractère quelque peu confidentiel de cette séance ne doit pas nous affliger outre mesure, puisqu'il s'agit d'évoquer des secrets d'Etat !
Que les auteurs identifiés de délits aient une chance sur deux de n'être pas poursuivis ni même inquiétés, c'est un secret d'Etat ! Et, quand je dis « une chance sur deux », c'est une moyenne, cela peut être plutôt une chance sur quatre, ici ou là, par exemple à Strasbourg, où nous ne nous attendions pas, en vérité, à constater une telle carence.
Que tant d'affaires civiles ne trouvent leur solution qu'au terme de délais insupportables, c'est un secret d'Etat ! Ce sont, ici, des couples en difficulté qui ne peuvent trouver d'arbitre au moment où ils en ont le plus pressant besoin ; ce sont, là, des mineurs délinquants qui ne bénéficieront pas en temps utile de mesures protectrices ; ce sont encore des salariés abusivement licenciés qui ne recevront qu'après de nombreuses années la réparation qui leur est due et dont ils ont besoin maintenant, et non pas dans deux ou trois ans.
Et que dire de la justice administrative...
On croit avoir fait bien des progrès juridiques, techniques et politiques depuis la création des Etats modernes, du moins , on s'en persuade. Pourtant, si le Prince de Danemark, ou son fantôme, revenait parmi nous, il n'aurait aucune raison d'ôter de sa plainte les « lenteurs de la loi » - the delay of the law, si vous le permettez, monsieur le ministre - que Shakespeare lui fait citer au nombre des maux qui rendent l'existence insupportable.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice. Je suis d'accord pour l'anglais de Shakespeare ; c'est celui de McDonald's qui me gêne ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon. Alors, nous sommes d'accord, y compris, je l'espère, pour dénoncer les « délais de la loi » !
La commission des lois s'est inquiétée de cette situation. A la demande de son président, une mission s'est attachée à inventorier les éléments de cette crise de la justice, qui est d'abord, et indépendamment de tel ou tel épisode judiciaire - Dieu sait que nous n'en manquons pas - la crise de ses moyens.
Ne suffit-il pas, pour en prendre conscience, de constater avec notre éminent collègue Christian Bonnet, qui vous a interrogé sur ce point, que le nombre de magistrats n'a guère changé tout au long du siècle ? Et pourtant !
Est-il concevable que l'on ait pu laisser le budget de la justice à un niveau aussi insuffisant, que l'on ait pu préférer depuis tant et tant d'années engloutir l'argent public dans des gouffres monstrueux où il n'avait que faire, en ignorant à ce point les besoins de la mission de justice qui est, avec la sécurité, au tout premier rang des raisons d'être essentielles de l'Etat ?
Telle est pourtant la situation. Vous ne l'ignorez pas, monsieur le garde des sceaux, puisque vous l'avez évoquée à plusieurs reprises, annonçant même une embolie pour le début du siècle prochain.
Mais, comme nous le savons tous, au début du prochain siècle, nous y sommes presque ! Et, compte tenu du taux de classement sans suite et du nombre d'affaires jugées avec des retards insupportables, il nous faut diagnostiquer dès maintenant, au sens strict du terme, une véritable hémiplégie de la justice. Laissons aux historiens le soin d'en rechercher les responsabilités, qui s'étendent sur plusieurs décennies, si bien que nous pouvons parler de cela en toute sécurité, et cherchons plutôt ce que la mission a voulu faire.
Elle a d'abord souhaité mieux connaître la situation pour mieux discerner, parmi les remèdes concevables, ceux qui seraient les plus satisfaisants.
Ceux dont on parle le plus volontiers ne sont pas nécessairement ceux que la mission a retenus comme les plus capables de concilier le souci d'efficacité avec les principes d'une bonne justice.
Dans cette catégorie, je citerai, globalement, la tentation du repli de la justice.
Renonçant à adapter le service à sa mission, il conviendrait, selon certains, de réduire celle-ci, puisque l'on ne peut pas augmenter le service, sous divers prétextes. C'est la démarche de dépénalisation ou de déjudiciarisation qui pourrait permettre, ici ou là, de donner quelques satisfactions à des courants de pensée dont le souci du bien public n'est peut-être pas toujours la principale inspiration.
Nous ne croyons pas qu'il soit digne d'un Etat de droit de faire échapper à la sanction pénale des comportements qui portent atteinte au bien public.
Nous ne croyons pas non plus qu'il soit sain d'attribuer le pouvoir de sanction à des autorités publiques qui n'offrent pas nécessairement les garanties du système judiciaire, en particulier les garanties de la défense.
Nous ne croyons pas en général qu'il existe des « petits litiges » qui seraient indignes de la justice et d'autres, plus graves, qui mériteraient mieux de retenir son attention, parce que la justice est un service public fait pour l'accueil et la satisfaction de tous les justiciables, et non pour le confort du service lui-même.
Nous croyons, en revanche, que chaque catégorie de litige appelle, ou devrait appeler, un mode de traitement judiciaire approprié et que les contentieux de masse, dont la mission a clairement vu que leur envahissement était la cause essentielle du mal actuel, appelaient un mode de traitement approprié, différent de celui des procédures classiques. C'est la principale question dont je souhaite vous entretenir.
Nous croyons aussi qu'il conviendrait avant tout de s'interroger sur le point de savoir si les moyens de la justice, tels qu'ils sont et dans leur limite, sont correctement répartis en fonction de la demande, de telle sorte que soit réalisé entre ces deux termes le minimum de proportionnalité qui devrait s'imposer. C'est la question de la carte judiciaire, question plus immédiate par laquelle je commencerai.
Monsieur le ministre, nous n'ignorons pas vos réserves sur le principe même d'une révision de la carte judiciaire, sur son opportunité, sur la valeur des critiques formulées à son encontre et sur le profit que l'on peut attendre d'une telle démarche.
Mais vous ne pouvez, de votre côté, ignorer que la distorsion entre la carte judiciaire actuelle, héritée, avouons-le, de l'Ancien Régime, et la carte de l'activité judiciaire réelle, plus précisément de la demande de justice, atteint une ampleur proprement scandaleuse. Elle fait apparaître des variations de charge par magistrat allant du simple au double pour les cours d'appel, du simple au triple pour les tribunaux de grande instance et du simple au quintuple pour les tribunaux d'instance.
Est-il concevable de laisser une telle situation perdurer ? Nous ne le croyons pas. Est-il concevable de maintenir indéfiniment des juridictions en état de sous-emploi alors que d'autres sont débordées ? Nous ne le croyons pas davantage.
Notre propos n'est pas, en cet instant, de vous demander de procéder brutalement et radicalement à la modernisation de la carte judiciaire. Nous concevons parfaitement que ce passage pose bien des problèmes et ne peut être que progressif.
Il est plus simplement souhaitable que la carte idéale - disons la carte théorique - soit établie afin que chacun puisse la voir et que, la voyant, les responsables de tous ordres prennent conscience des écarts et de l'importance des inégalités.
Nous croyons en la vertu démonstrative et pédagogique d'un tel exercice pour vous-même, monsieur le garde des sceaux, pour vos services comme pour les élus locaux que nous sommes et qui se sentent très concernés parce que nous croyons qu'en ce domaine, comme dans presque tous les domaines où des réformes sont souhaitables, la première et la plus salutaire des démarches est de voir la vérité en face, et non d'entretenir des clairs-obscurs à la faveur desquels prospèrent tant de routines.
Ma seconde question, qui touche au fond du problème, concerne la possibilité d'instituer, au sein du système judiciaire et non pas à l'extérieur de ce dernier, une procédure spécifique de traitement des contentieux de masse fondée sur les expériences de médiation poursuivies depuis assez longtemps pour qu'il soit possible d'en apprécier les mérites.
Nous nous situons ici dans le droit-fil de l'excellent et illustre rapport de nos collègues Jean Arthuis et Hubert Haenel, dont je salue l'un des auteurs, dans le droit-fil des réflexions de la conférence des premiers présidents de cours d'appel, dans le droit-fil des expériences des maisons de justice, dont nous avons apprécié le climat et les résultats, dans le droit-fil de bien d'autres réflexions.
Nous nous trouvons en correspondance avec les expériences poursuivies à l'étranger, en particulier dans les pays anglo-saxons sous la dénomination alternative dispute resolution.
Il s'agit de constater, avec les premiers présidents des cours d'appel, qui sont peu suspects d'esprit réformiste abusif, que « tous les conflits... n'appellent pas nécessairement une réponse judiciaire, voire juridique... Les "médecines douces" que sont la conciliation, la médiation ou l'arbitrage méritent d'être placées au premier rang des modes de règlement des litiges. »
Les conflits visés ici sont évidemment ceux qui relèvent de ce contentieux juridiquement sommaire et peu différencié que l'on appelle « contentieux de masse » - faute d'avoir trouvé une meilleure formule - qui, quantitativement, envahit les prétoires, créant « l'embolie » dont vous avez parlé.
Au pénal, c'est la petite délinquance - celle qui est classée sans suite - comme nombre d'infractions quasi administratives, au civil, ce sont les litiges familiaux relevant du consentement mutuel, comme la plupart des litiges locatifs ou des litiges relatifs à la consommation.
C'est à l'égard de ces contentieux qu'il convient d'instituer une procédure spécifique qui leur soit qualitativement et quantitativement mieux adaptée, une procédure dans laquelle la conciliation serait privilégiée, étant entendu - et cette condition nous paraît essentielle pour l'efficacité du système - que le « conciliateur » aurait pour mission de trancher au fond le litige en cas d'échec de la conciliation.
En effet, le système qui consiste à tenter une conciliation et à renvoyer ensuite devant une autre juridiction ne nous paraît guère porteur d'économies.
Est-il nécessaire, est-il concevable de créer ou de multiplier de nouvelles instances extérieures au système judiciaire pour satisfaire cette orientation ?
Considérant le risque de compliquer encore notre système judiciaire, donc d'en alourdir inévitablement le coût et d'en aggraver l'opacité pour le justiciable, considérant plus encore le danger de voir les petits litiges échapper aux garanties que seul un système judiciaire cohérent peut apporter et dont le plus modeste des plaideurs ne saurait être privé, la mission ne croit pas qu'il soit possible d'aller dans cette voie très au-delà des expériences actuelles.
Le rôle précurseur très positif de celles-ci mérite d'être clamé et reconnu. Il ne suffit pas à justifier leur systématisation.
N'est-il pas plus simple et plus sûr de constater que les actuels tribunaux d'instance - ou du moins, monsieur le garde des sceaux, ce qu'il en reste, après bien des réformes qui en ont, nous semble-t-il, méconnu l'intérêt et l'importance ! - sont le point de convergence naturel de ces préoccupations et d'en déduire qu'une profonde réforme de ces juridictions pourrait fournir la meilleure réponse aux problèmes spécifiques des contentieux de masse ? On redécouvrirait ainsi les raisons originelles de ce que furent, jusqu'au milieu de notre siècle, les justices de paix, instituées précisément pour résoudre les petits conflits du xixe siècle.
Il n'est pas douteux qu'un important recrutement de magistrats et de greffiers s'imposerait. En ce qui concerne les magistrats, c'est évidemment là que les magistrats à titre temporaire institués par la loi de 1995 - dont le décret d'application est, je crois, en cours d'élaboration - trouveraient leur meilleure raison d'être, qui correspond d'ailleurs très exactement à l'ancienne tradition des juges de paix.
D'ores et déjà, sous des formes et des appellations diverses, nombre d'anciens magistrats ou de professionnels du domaine juridique - nous en avons rencontré plusieurs - jouent un rôle précieux d'auxiliaires, apportant à leur tâche non seulement leur compétence juridique, mais, en outre et peut-être surtout, une expérience des choses de la vie et une disponibilité en temps qui sont les premières qualités attendues de ces nouvelles fonctions. Les magistrats professionnels pourraient et devraient conserver leur fonction et jouer dans ces tribunaux rénovés un rôle directeur.
Cette profonde réforme pourrait s'appliquer au civil comme au pénal, suivant des modalités adaptées à ces deux domaines, prolongeant donc, en les redéfinissant, les compétences et les procédures des actuels tribunaux d'instance et des tribunaux de police.
Nous n'ignorons évidemment pas que la mise au point d'un tel projet pose nombre de problèmes, qui doivent être étudiés, et ce, nous semble-t-il, en coopération avec vos services. Nous sommes disponibles pour une telle démarche.
Aujourd'hui, nous souhaitons savoir si vous pensez, comme nous, qu'une telle réforme peut apporter à la crise de notre justice la réponse d'ensemble qu'elle appelle ou si d'autres mesures de la même ampleur vous semblent préférables, étant entendu qu'en tout cas la continuation des mesures ponctuelles, qui correspond au cours actuel des choses, reviendrait en fait à l'acceptation d'une situation que nous croyons inacceptable. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation de la discussion décidée par la conférence des présidents, en application du deuxième alinéa du 1 de l'article 82 du règlement, les temps de parole dont disposent les groupes sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 21 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
La parole est à M. René-Georges Laurin.
M. René-Georges Laurin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord féliciter la mission d'information constituée au sein de la commission des lois, sous la présidence de M. Jolibois, que je salue ici, en vue d'évaluer les moyens de la justice, et dont le rapporteur, M. Fauchon, vient de nous présenter les principales conclusions.
Les sénateurs du groupe du RPR ont apporté leur contribution à ces travaux.
Dressant le constat d'une justice civile et pénale asphyxiée par l'afflux des demandes, l'inégale répartition des effectifs et l'inadaptation des procédures au traitement des contentieux de masse, la mission partage le diagnostic inquiétant que vous avez vous-même établi, monsieur le garde des sceaux, en évoquant la perspective d'une « embolie » - ce mot est de vous - de la justice à l'aube du troisième millénaire.
Bon nombre des propositions élaborées par la mission afin de remédier à cette véritable asphyxie rejoignent certaines actions déjà engagées par la Chancellerie sous votre impulsion, ou certaines préoccupations que vous avez récemment exprimées.
Même si - et peut-être parce que - elle n'a pu prendre un recul prospectif par rapport à l'action immédiate, la mission propose d'approfondir un peu la réflexion sur certains points. Ainsi en est-il notamment des propositions de la mission qui tendent à rechercher une répartition des moyens plus adaptée à la réalité des flux de contentieux.
Au nombre de ces propositions, je citerai : les redéploiements des effectifs et l'accroissement du nombre des magistrats et des greffiers « volants » ; l'encouragement à la mobilité des magistrats dans le respect du principe constitutionnel de leur inamovibilité ; enfin, la diversification du recrutement et l'évolution vers une spécialisation plus poussée des juridictions.
Au-delà des indispensables recrutements et redéploiements, la mission s'est beaucoup interrogée sur l'actuelle carte judiciaire.
En effet, comme cela a été souligné, cette dernière ne correspond pas toujours à la réalité démographique ou économique de notre pays.
Ainsi que la mission a pu le constater, certains tribunaux de grande instance sont surchargés alors que d'autres ne traitent pas plus de deux cents affaires par an.
Sans bouleverser la carte judiciaire actuelle, il serait opportun de procéder à des ajustements.
Ainsi, ouvrir des guichets uniques, créer des audiences foraines font partie du plan de modernisation que vous avez vous-même proposé, monsieur le ministre, au même titre que la création de maisons de la justice et du droit, dont on apprécie l'utilité.
En effet, selon le rapport Vignoble, 80 % des affaires traitées par les maisons de la justice et du droit auraient été, à défaut, classées sans suite, d'où, me semble-t-il, la nécessité de multiplier leur création.
De même, une meilleure articulation entre le tribunal de grande instance et le tribunal d'instance s'impose ; elle permettrait un meilleur rééquilibrage de la charge de travail entre ces deux tribunaux.
En ce qui concerne l'amélioration des méthodes de travail et le développement de l'assistance aux magistrats, les propositions de la mission rejoignent là encore, sur bien des points, vos projets, monsieur le garde des sceaux : poursuite du renforcement des effectifs des greffes, développement du télétravail, accroissement substantiel du nombre des assistants de police.
Il en est de même de certaines propositions qui tendent à renforcer l'efficacité des procédures comme la généralisation du traitement en temps réel des infractions pénales, laquelle contribue à une réaction plus rapide de l'institution judiciaire face à la délinquance.
Enfin, la principale proposition adoptée par la mission, relative à l'élaboration d'un mode de traitement spécifique des contentieux de masse, répond elle-même à un souci de développer les formules qualifiées de « troisième voie », c'est-à-dire ni classement, ni renvoi devant un tribunal, mais recours à la conciliation, à la médiation, éventuellement à l'admonestation, suivant les modalités s'inspirant notamment de la pratique actuelle des maisons de justice.
Dans le cadre d'une réforme des tribunaux d'instance, il s'agit en effet, pour la mission d'information, de parvenir à une généralisation et à une valorisation des tentatives de conciliation, au civil comme au pénal, pour lesquelles il serait largement fait appel, comme l'a suggéré tout à l'heure M. Fauchon, aux magistrats à titre temporaire créés par le législateur en 1995.
En conclusion, je souhaite que les propositions formulées par la mission d'information de la commission des lois puissent vous aider, monsieur le garde des sceaux, à obtenir, dans des circonstances budgétaires difficiles, le renforcement des moyens indispensables au bon fonctionnement de la justice, sans lequel aucune nouvelle réforme ne pourra être envisagée.
Je voudrais enfin dire un mot d'une question connexe qui ne relève pas des attributions de la mission d'information, mais qui a souvent été évoquée dans la presse ces jours-ci, à savoir le statut de la police judiciaire.
En effet, une modification de ce statut, comme certains l'envisagent, n'est pas à l'ordre du jour et le groupe du RPR n'est pas favorable à un rattachement de la police judiciaire au ministère de la justice car il considère que la situation actuelle correspond à un équilibre satisfaisant.
Un tel rattachement ne pourrait d'ailleurs être envisagé sans qu'un statut analogue soit prévu pour la gendarmerie, qui apporte, elle aussi, son concours à la justice, ce qui apparaît, à l'évidence, difficilement praticable.
Monsieur le garde des sceaux, vous rappeliez que « l'on peut beaucoup attendre et surtout que l'on doit beaucoup exiger de cette institution qui s'appelle la justice ».
C'est la raison de notre débat d'aujourd'hui, et c'est pourquoi nous souhaitons que la justice, grâce à votre ténacité, dispose des moyens qui permettent à tous les Français de se sentir égaux devant elle.
Le groupe du RPR vous fait confiance. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Authié.
M. Germain Authié. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en 1991, une étude du CREDOC, le centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie, faisait apparaître que 71 % des Français estimaient que la justice fonctionnait mal, voire très mal. Ce pourcentage ne semble pas avoir diminué depuis. Le sentiment commun est que la justice est trop lente, trop chère, opaque et inégalitaire.
Ce constat est également fait, à des degrés divers, par différentes organisations syndicales ou professionnelles d'avocats, de magistrats, et par de nombreuses personnes concernées par la justice.
Dans un passé récent, deux éminents magistrats ont qualifié successivement le justiciable français d'« aventurier du monde moderne » et de « conquérant de l'inutile ».
Ce diagnostic, on le retrouve encore tous les jours au niveau des prisons, qui sont surchargées, des services de la justice, qui sont saturés, des magistrats, qui ne peuvent traiter l'ensemble des dossiers faute de moyens humains et matériels.
Tristes constats pour un Etat qui se veut de droit !
La demande de justice a explosé, en France comme ailleurs, et l'augmentation, pourtant réelle, de la productivité et des moyens matériels des juridictions reste loin de compenser les retards accumulés. La justice française a besoin d'être dotée de moyens supplémentaires et de voir moderniser son fonctionnement.
En 1991, la commission de contrôle du Sénat dont j'étais membre, commission bientôt dite « Haenel-Arthuis », du nom de son président et de celui de son rapporteur, réfléchissait sur les modalités d'organisation et les conditions de fonctionnement des services relevant de l'autorité judiciaire.
Son rapport partait d'un implacable constat, celui de deux enquêtes effectuées auprès des Français et des magistrats.
Il apparaissait, premièrement, que, pour la majorité des Français, la justice était lente, difficile d'accès, trop coûteuse, souvent inéquitable et parfois insuffisamment indépendante. Autrement dit, nos concitoyens considéraient que l'institution judiciaire était à réformer en priorité.
Il ressortait, deuxièmement, que, pour les magistrats, c'était la misère de l'institution judiciaire qui en constituait la principale infirmité.
Aujourd'hui encore, la question du niveau, de la répartition et de la gestion des moyens humains et matériels des juridictions demeure à la source des difficultés de fonctionnement de l'institution judiciaire.
Après l'analyse des causes de cette situation, le rapport Haenel-Arthuis invitait à un recentrage de la justice sur la mission régalienne dont elle a la charge et préconisait une réorganisation de l'appareil judiciaire, appuyée sur une magistrature renforcée et confortée.
Il faut bien reconnaître que, depuis cette date, certaines améliorations ont pu être apportées, mais il n'y a eu ni changements structurels significatifs, ni continuité suffisante dans la mise en oeuvre de l'effort budgétaire nécessaire pour mener à bien une entreprise de redressement que tout un chacun s'accorde pourtant à considérer comme indispensable.
Tous les praticiens du droit et les praticiens de la justice affirment qu'il est urgent d'inventer un véritable « plan de justice » moderne, ambitieux, en réponse à la crise de confiance que connaît ce service public.
Trouver des solutions passe nécessairement par la préoccupation de savoir à quels besoins la justice doit répondre, quelle doit être sa place dans la France de l'an 2000 et de quels moyens humains et matériels elle doit disposer.
C'est pour répondre à cette interrogation que la commission des lois a souhaité relancer une dynamique nouvelle en étudiant concrètement, sur le terrain, les voies et moyens de ce redressement. C'est pourquoi elle a constitué une mission d'information dont notre collègue M. Pierre Fauchon, qui en fut le rapporteur toujours dynamique, incisif et inventif, vient de rappeler les principales conclusions et les propositions.
Je n'y reviendrai donc pas dans le détail et me contenterai, monsieur le garde des sceaux, d'attirer plus particulièrement votre attention sur certains aspects de cette crise de l'institution judiciaire que chacun peut constater et sur la nécessité de pousuivre, d'amplifier et surtout de réorienter les efforts entrepris depuis 1981 et relancés, je le rappelais à l'instant, par l'initiative de l'un de vos prédécesseurs, dans le cadre du plan pluriannuel pour la justice.
Ce que l'on appelle communément la crise de la justice, c'est bien, d'abord et avant tout, un problème de moyens.
Notre collègue M. Pierre Fauchon a très justement parlé d'asphyxie, et il a eu raison. « L'embolie menace », avez-vous écrit récemment, monsieur le garde des sceaux. Certaines des juridictions que nous avons visitées connaissent, il est vrai, des délais de jugement d'une longueur inacceptable.
En matière pénale - cela a déjà été dit - le classement sans suite des affaires élucidées est trop souvent devenu un moyen de gestion de la carence. Il en résulte tout à la fois un certain découragement de nos concitoyens et de la police, mais surtout une inégalité de traitement inadmissible suivant les juridictions compétentes pour traiter des faits à juger : cela est uniquement dû au manque de moyens dont celles-ci disposent.
Les moyens sont insuffisants, disions-nous, même s'ils se sont accrus depuis 1980 puisque, dépassant alors à peine 1 % du budget de l'Etat, ils atteignent aujourd'hui 1,5 % de celui-ci, le montant global du budget général ayant lui-même sensiblement progressé dans le même temps.
Il reste que 23 milliards de francs, c'est bien peu, d'autant qu'il faut encore en retrancher les crédits de l'administration pénitentiaire, dont le poids relatif n'a cessé d'augmenter, ainsi que les dépenses d'aide juridictionnelle, dont la part croît de manière exponentielle, de même que les frais de justice ; j'aurai d'ailleurs l'occasion d'en reparler lors du débat budgétaire.
L'effort financier consenti en faveur des juridictions a été relancé, même si la mesure était limitée, par le plan pluriannuel pour la justice. Ce dernier a, en outre, conforté les magistrats en poursuivant l'amélioration de leur situation indemnitaire et s'est accompagné d'une revalorisation protocolaire, vivement souhaitée par les intéressés.
Certaines autres mesures simples et sans doute peu coûteuses pourraient être prises à leur intention - cela nous a été dit - notamment pour faciliter matériellement la mobilité géographique. Cette obligation, fondée à de nombreux égards, cesserait alors de susciter les récriminations qu'elle soulève actuellement.
La mise en oeuvre de ce plan a, certes, permis d'engager la réfection, la modernisation ou l'agrandissement d'un certain nombre de juridictions. Néanmoins, le mauvais état initial du parc immobilier et le coût des réfections nécessaires dans des bâtiments souvent vétustes, mais dont l'intérêt architectural et historique impose le respect, ralentissent les travaux. A cet égard, l'allongement d'une année de l'exécution du plan pluriannuel est donc particulièrement regrettable.
Grâce au programme pluriannuel pour la justice, des engagements ont été pris quant à l'évolution des effectifs des magistrats et des fonctionnaires. Ils constituent un strict minimum, qu'il serait souhaitable de rehausser. En tout état de cause, les effectifs qui pourraient être requis à la suite de nouvelles réformes ne sauraient être prélevés sur cet apport supplémentaire de magistrats.
Là encore, l'effort de planification et sa mise en oeuvre sur les deux premiers exercices doivent être salués, mais l'impulsion initiale, dont on pouvait pourtant douter qu'elle fût suffisante, se trouvera fortement ralentie en 1997. Et je n'aurai garde d'oublier l'insuffisance des recrutements dans les greffes, qui demeure, alors qu'un projet de loi est annoncé qui devrait poursuivre les transferts de compétences en direction des greffiers.
S'agissant des fonctionnaires d'exécution de catégorie C, il est absolument nécessaire d'augmenter leur nombre par rapport à ce qui était prévu dans le plan quinquennal, afin de rendre l'institution judiciaire plus humaine et plus accessible.
Devant l'insuffisance des moyens, tels qu'ils sont envisagés, la proposition de notre collègue Pierre Fauchon tendant à redéployer les effectifs en fonction des besoins objectivement constatés prend tout son sens. Toutefois, la mise en oeuvre de cette proposition doit être précédée d'une évaluation précise des flux dans chaque juridiction et accompagnée de mesures incitatives à la mobilité.
Par ailleurs, l'effort de redéploiement des effectifs de magistrats doit s'accompagner d'une amélioration de l'aide qui leur est apportée dans l'accomplissement de leurs tâches : c'était l'esprit des lois votées en 1994.
Ces lois avaient prévu la constitution, autour du juge, d'équipes placées sous son autorité, comprenant des assistants de justice, des conciliateurs et médiateurs, ainsi que des magistrats recrutés à titre temporaire.
J'observe toutefois avec regret que, si certaines de ces innovations ont été effectivement mises en oeuvre, tel le recrutement d'assistants de justice, d'autres, en revanche, sont restées lettre morte, du moins jusqu'à présent, alors que les crédits correspondants avaient été inscrits aux budgets pour 1995 et 1996. Je fais bien entendu allusion ici aux conseillers de cour d'appel en service extraordinaire et aux magistrats à titre temporaire.
Monsieur le garde des sceaux, il est vital de renforcer considérablement le nombre des assistants de justice. L'avenir est à une magistrature appuyée sur de jeunes juristes compétents et susceptibles à leur tour d'intégrer le corps des magistrats. Les assistants, nous avons pu le vérifier, apportent une aide efficace et précieuse aux magistrats en les déchargeant, par exemple, des travaux de recherche de jurisprudence, de préparation et de mise en forme des décisions, d'où un gain de temps très intéressant pour les juges.
L'amélioration de la productivité des magistrats passe aussi par la modernisation des méthodes de travail. L'informatisation des juridictions doit être poursuivie et les moyens documentaires méritent d'être renforcés.
Je signale par ailleurs que, si certains transferts de compétence ont été effectués au profit des greffiers, allégeant ainsi la charge des juges de missions ne relevant pas véritablement de la fonction juridictionnelle, les missions administratives ou de justice gracieuse incombant aux magistrats sont encore trop nombreuses, sans compter les effets, qu'on pourrait qualifier d'explosifs, de réformes dont les conséquences sur l'évolution du contentieux n'ont pas été évaluées préalablement à leur mise en oeuvre ; je veux bien sûr parler ici du JEX, le juge de l'exécution, et de la procédure de traitement du surendettement des particuliers.
Nous ne pouvons qu'être favorables au développement de tout ce qui, en amont de la justice, est susceptible de résoudre ou de prévenir les conflits. En effet, la carence des médiations sociales traditionnelles - familiales, administratives, syndicales ou politiques - fait trop souvent apparaître le juge comme le premier recours, alors qu'il devrait être le dernier recours.
Pour remédier à cela, il faut développer la conciliation, l'arbitrage et la médiation. A tous les niveaux de la société, et tout particulièrement au sein du tissu associatif, au sens le plus large du terme, il est essentiel d'installer des modes de résolution des conflits. A défaut, compte tenu de l'inflation législative et de la complexité croissante des textes, la France gardera une justice structurellement saturée.
Avant de conclure, je me permets de vous demander, monsieur le garde des sceaux, premièrement, si la volonté du Gouvernement est bien d'assurer la pleine exécution, dans les meilleurs délais, du plan pluriannuel.
Le Gouvernement a-t-il, deuxièmement, l'intention de poursuivre le recentrage du juge sur ses missions ?
Troisièmement, est-il prêt à assortir toute nouvelle réforme de procédure d'une réflexion préalable sur ses conséquences en termes de volume de contentieux, de moyens humains, voire de locaux. Car enfin, où trouvera-t-on, par exemple, les magistrats que vous entendez faire siéger dans les tribunaux criminels départementaux et dans quelles salles d'audience ces nouvelles juridictions se réuniront-elles ?
Quatrièmement, le Gouvernement va-t-il engager une véritable démarche en vue de revitaliser les juridictions d'instance et de diversifier les modes de règlement des litiges, sous leur autorité, en plaçant auprès des magistrats professionnels des personnes compétentes, susceptibles de favoriser la conciliation ou de traiter le petit contentieux dit « de masse », qui ne soulève pas de véritables difficultés juridiques mais qui encombre très souvent les juridictions ?
Cinquièmement, le Gouvernement compte-t-il restructurer l'appareil judiciaire dans son ensemble, afin d'adapter la répartition des juridictions sur le territoire - notamment en termes de moyens humains et matériels - à une France dont la population, on le sait, est devenue très majoritairement urbaine et dont les comportements sociaux et familiaux ont sensiblement évolué ?
Cette adaptation de l'appareil judiciaire passe par un renforcement de la formation des magistrats et par la création de filières spécialisées, notamment en matière économique et financière. Mais elle passe surtout par la mise à disposition rapide des moyens financiers et humains nécessaires.
Notre collègue Pierre Fauchon évoque à plusieurs reprises dans son rapport une justice asphyxiée, débordée, paralysée, une justice hémiplégique. Nous sommes totalement d'accord avec ce diagnostic.
Vous-même, monsieur le garde des sceaux, prévoyez une embolie pure et simple de la justice au début du troisième millénaire si le problème n'est pas traité en urgence. Vous avez malheureusement raison.
Pour ma part, avec mes amis du groupe socialiste, je dirai que, pour être sauvée, la justice a besoin d'un traitement de choc, allant bien au-delà des médecines douces appliquées jusqu'à maintenant. Elle a besoin d'une transfusion massive de crédits et de moyens humains.
Une justice rapide et efficace est une garantie de cohésion sociale, chacun se plaît à le dire et à le répéter. C'est pourquoi la justice française doit être mise d'urgence en mesure de remplir pleinement sa mission vis-à-vis de nos concitoyens : dire le droit dans un délai raisonnable.
Monsieur le ministre, j'espère que notre appel sera entendu et que, très prochainement, vous serez en mesure de nous soumettre un plan d'ensemble, accompagné des mesures financières appropriées, qui rompra définitivement avec la politique à courte vue et attentiste menée jusqu'à ce jour. D'avance, je vous en remercie. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après la publication des conclusions de la mission d'information de la commission des lois chargée d'évaluer les moyens de la justice, constituée en mars dernier et placée sous la présidence de M. Jolibois, la Haute Assemblée dispose de deux heures pour débattre sur le thème : « Quels moyens pour quelle justice ? ». C'est évidemment peu de temps pour un si vaste et complexe sujet. Notre groupe ne disposant, quant à lui, que de neuf minutes pour exposer notre conception de la justice et notre analyse des trente-six propositions de la mission, la tâche qui m'incombe en cet instant est particulièrement ardue.
Permettez-moi, pour commencer, de saluer la qualité et l'importance du travail réalisé par la mission, qui confirme, s'il en était besoin, le constat particulièrement dramatique que le groupe communiste républicain et citoyen dresse depuis des années sur l'état de notre justice et qui nous conduit, chaque année, à rejeter un budget insusceptible de doter tant l'institution judiciaire que l'administration pénitentiaire des moyens permettant de remédier à cette situation.
Car il ne suffit pas de déplorer l'état de délabrement de notre justice ; encore convient-il de tirer les conclusions qui s'imposent et de prendre ses responsabilités.
Si nous approuvons le bilan établi par la mission d'une justice sinistrée, asphyxiée, d'une « justice débordée et paralysée », préfigurant « une embolie » - votre mot a fait mouche, monsieur le garde des sceaux - nous ne saurions nous satisfaire des principales propositions présentées par M. Fauchon pour mettre un terme aux carences constatées.
Que nous dit-on, en effet ?
Il s'agirait, d'après le rapport de M. Fauchon, de recentrer le juge sur ses missions essentielles, de le décharger d'un certain nombre de charges indues et, surtout, de promouvoir des réformes s'attachant à respecter l'impératif de réduction des déficits publics dans le cadre du respect des critères de Maastricht et du passage à la monnaie unique. Le décor est planté !
M. Pierre Fauchon. Vous n'avez pas lu le rapport !
Mme Nicole Borvo. Cette façon d'engager les débats a toujours entraîné, sous prétexte de « recentrer le juge sur sa fonction essentielle, celle de dire le droit », la déjudiciarisation d'un certain nombre de contentieux, la déprofessionnalisation de la fonction de magistrat et, de fait, sa précarisation.
Elle a également justifié une stagnation des moyens alloués à la justice ou leur progression trop faible pour répondre aux besoins et aux attentes des justiciables.
Le projet de budget pour 1997 poursuit dans la même voie : les crédits n'augmentent que de 1,78 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1996. L'inflation se situant aux alentours de 1,5 %, les sommes allouées à la justice sont en fait à peine maintenues et les engagements pris lors de la loi de programmation ne sont pas tenus.
A l'Assemblée nationale, le 22 octobre dernier, mon ami André Gérin se demandait si les chiffres de l'an dernier avaient été à ce point pléthoriques, avec la création de cinquante-huit postes de magistrats et de quatre cent quatre-vingt-dix postes de fonctionnaires, qu'il faudrait aujourd'hui se contenter de trente postes de magistrats, au lieu des soixante prévus par le programme pluriannuel, et de soixante-six postes pour les services judiciaires, au lieu des deux cent quarante prévus ?
Je ne reviendrai pas sur la promesse électorale du candidat Jacques Chirac de porter à 2,5 % la part du budget de la justice dans le budget total de la nation. Avec la progression actuelle, de 415 millions de francs, il faudrait trente-trois ans pour atteindre cet objectif...
Ces propositions sont pourtant toujours présentées en rappelant le rôle essentiel que doit jouer la justice dans notre pays, à la fois comme garant et comme socle de la démocratie, mais aussi comme élément indispensable pour assurer la confiance et l'adhésion de chacun de nos concitoyens à une société juste, égalitaire, garantissant ses droits, quelle que soit sa situation.
Ainsi vous a-t-on entendu préciser, monsieur le garde des sceaux, lors de votre audition devant la mission, que « l'exercice consistant à penser que c'est la demande de justice qu'il faut réduire pour permettre au système de bien fonctionner » vous paraissait « socialement injuste et totalement vain ». C'est pourtant ce que vous faites.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. C'est faux !
Mme Nicole Borvo. L'une des propositions essentielles de la mission d'information consiste à réformer les tribunaux d'instance et les tribunaux de police, « en vue de les adapter aux "contentieux de masse" suivant des modalités s'inspirant de la conception originelle des juges de paix, de l'expérience des actuelles "maisons de justice" et des spécificités de ces contentieux ».
Aussi est-il proposé de recourir plus largement aux magistrats à titre temporaire, ou aux magistrats placés, de généraliser et de valoriser les tentatives de conciliation et, enfin, de redéfinir les compétences à partir du « petit contentieux ».
Nous ne sommes pas fermés, pour notre part, à l'idée de développer la médiation ou la conciliation qui, indéniablement, peuvent favoriser les règlements à l'amiable et éviter de recourir à des procédures coûteuses et longues. Cela étant, nous insistons sur le fait que ces procédures doivent être le produit d'un libre consentement des parties et s'effectuer sous le contrôle de l'autorité judiciaire.
En outre, ce dont nos concitoyens ont besoin, ce n'est pas d'une justice précarisée, mal rendue, duale et arbitraire, rendue par des juges non professionnels, précarisés, par des juges formés en quatre mois ou des conseillers de cour d'appel en service extraordinaire choisis parmi des personnes dites « compétentes » qui pourront être juges de décisions rendues par des professionnels de la justice !
Ce n'est pas non plus du développement de juges de paix, dont la création a été dénoncée comme étant la mise en place de « sous-juges » pour une justice de « deuxième classe » à l'intention d'une couche sociale de citoyens dévalués à qui, en outre, on souhaite limiter la possibilité de faire appel en encadrant strictement cette possibilité, en rendant les citoyens passibles d'amende dans l'hypothèse où cet appel serait considéré comme abusif et en filtrant soigneusement les possibilités de recours devant la Cour de cassation.
Ce dont l'institution judiciaire a besoin, c'est de personnels formés, justement rémunérés, en quantité suffisante, disposant, comme il est proposé à juste titre par la mission, des moyens modernes de communication dont chacun sait qu'ils sont onéreux !
Dans le même esprit que les dispositions précédemment évoquées, il est question d'accroître la limitation du droit d'accès à la justice, sous prétexte que les contentieux connaissent une croissance exponentielle, en restreignant l'aide juridictionnelle alors qu'il conviendrait au contraire de la développer. Dans les pays où l'aide juridictionnelle dispose de moyens suffisants pour s'appliquer, je rappelle que les recours à la justice sont relativement moins importants que dans notre pays.
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, quand les problèmes liés à l'exercice d'une mission essentielle pour un Etat de droit, celui de rendre justice, seront-ils étudiés en fonction des besoins et des attentes de la population, et non en fonction de l'obsession de la productivité ? Quand accepterez-vous de substituer à une logique entrepreneuriale une logique d'efficacité sociale ?
M. Fauchon, dans son rapport, déplore les irrégularités de certaines demandes de justiciables qui contribuent à l'engorgement des tribunaux mais, dans le même temps, il se prononce en faveur d'une précarité accrue et d'un recours plus systématique à des non-professionnels, sous prétexte d'économie budgétaire.
Avouez qu'il y a là une contradiction majeure qui mérite d'être soulignée, tout comme celle qui consiste à dresser un bilan particulièrement négatif de l'état de la justice en France, en acceptant pourtant l'idée qu'il n'existe pas d'autre solution que de poursuivre dans la gestion de la pénurie, dans la voie d'une politique étriquée où il n'y aurait pas d'autre solution pour l'institution judiciaire n'aurait d'autre alternative que de contribuer à la sacro-sainte lutte contre les déficits.
Le juge doit, par ailleurs, nous semble-t-il, être impliqué dans le tissu local et social. Il ne doit pas être confiné dans une tour d'ivoire où sa seule fonction serait de dire le droit, en rupture totale avec la société dont il est, qu'il le veuille ou non, un acteur et un interprète. Comment rendre la justice dans une société sans comprendre ses principales mutations ? Refuser cette évidence, c'est défendre l'idée d'une justice immuable et sacrée.
Telle est la raison pour laquelle nous émettons de sérieuses réserves quant à la proposition de limiter la présence du juge dans certaines commissions extrajuridictionnelles.
Il est par ailleurs proposé d'envisager une réforme de la carte judiciaire, de fixer une durée maximale d'affectation pour les magistrats, de développer leur mobilité et de procéder à des redéploiements d'effectifs ce qui, confirme le rapport, pose la question du principe de l'inamovibilité des magistrats du siège et donc de leur indépendance vis-à-vis de la chancellerie.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Indépendance, tout court !
Mme Nicole Borvo. Sur cette question, se satisfaire de la seule référence au rôle que pourrait jouer le Conseil supérieur de la magistrature dans ce domaine laisse perplexe. Les récentes nominations effectuées au mois de juillet dans la haute magistrature confirment nos craintes.
Si la charge de travail apparaît effectivement diverse selon les juridictions considérées et justifie d'engager une réflexion dans ce sens, nous sommes particulièrement inquiets, dans une situation de stagnation des crédits alloués à la justice, du risque qu'une telle approche ne manquera pas d'engendrer, à savoir la mutation d'un certain nombre de magistrats et de personnels des services judiciaires d'une juridiction où la justice est rendue de manière satisfaisante, dans des délais raisonnables, vers une juridiction surchargée. A terme, le résultat risque fort de se traduire par deux juridictions qui fonctionnent de manière insatisfaisante.
Quant aux redéploiements d'effectifs appelés de ses voeux par la mission, nous mettons en garde contre un dispositif qui risque de combler certains manques criants en ponctionnant des effectifs là où leur présence se révèle pourtant nécessaire. Là encore, le seul moyen de résoudre ces inégalités serait de procéder à un recrutement important de magistrats et de greffiers.
En conclusion, je souhaite insister sur le fait que, dans une société où la justice est mal rendue, les droits de l'homme sont bafoués, et que dans un pays où la justice est sinistrée, la démocratie est en péril. Permettez-moi de citer Jules Michelet pour demander que nous entreprenions une réflexion plus approfondie que ne le permettent les deux heures de débat d'aujourd'hui, afin d'affirmer que la priorité doit être donnée à « une justice digne de ce nom, non payée, non achetée, sortie du peuple et pour le peuple ».
M. le président. La parole est à M. Jolibois.
M. Charles Jolibois. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la question orale posée par notre collègue Pierre Fauchon vient à propos. Elle va me permettre très rapidement d'insister sur les points les plus importants de nos travaux.
La mission d'évaluation des moyens de la justice a été formée sur l'initiative du président de notre commission des lois, M. Jacques Larché, pour étudier un problème fondamental qui revient constamment dans nos discussions, celui des moyens des juridictions. Ce problème était si vaste que nous avons décidé d'exclure, dès le début, l'examen de la question des juridictions administratives et de nous concentrer sur les juridictions civiles et pénales.
Pour mener à bien nos travaux, il fallait, avant tout, une méthode susceptible de donner des résultats fiables pour nous permettre d'établir un constat fiable lui aussi afin que les propositions aient un fondement sûr.
La méthode utilisée a été simple : elle a consisté à beaucoup écouter, à beaucoup nous déplacer et, surtout, à adresser un questionnaire sur lequel j'avoue avoir eu moi-même, au début, quelques hésitations, mais qui a connu un réel succès puisque 81 p. 100 des cours d'appel et 62 p. 100 des tribunaux de grande instance nous ont répondu, ces réponses provenant de l'ensemble du territoire français. Sans être un grand polytechnicien statisticien, je peux dire que ce questionnaire, parfaitement analysé, constitue une base de travail exceptionnelle pour tirer des conclusions.
Nous avons donc dressé un constat qui n'est pas bon pour la justice : moyens mal répartis, délais trop longs et très inégaux. Or, on le sait bien, puisque c'est déjà dit dans l'ancien droit, de trop longs délais conduisent au déni de justice.
Autre élément de ce constat : le nombre des classements sans suite d'affaires pourtant élucidées. Nous avons été attentifs : c'est bien de la proportion des affaires élucidées qui ne donnent pas lieu à poursuites que les magistrats interrogés ont parlé.
Sur la base de ce constat, la mission a fait, dans son rapport, des suggestions ; elle n'a pas tenté de trouver un remède miracle, parce qu'il n'y en a pas, mais elle a ciblé un faisceau d'interventions qui pourraient remédier à l'engorgement qui, nous en sommes tous sûrs, peut entraîner, à plus ou moins brève échéance, l'asphyxie du service public de la justice, dont le rôle - tous les membres de la mission en sont convaincus - constitue pourtant l'un des fondements de la démocratie.
Nous avons constaté, et c'est très important, l'accord des magistrats et des barreaux. Dans le rapport, nous avons cité la conférence des bâtonniers, mais aussi la conférence nationale des premiers présidents de cours d'appel.
Je citerai quelques chiffres, très rapidement : les affaires civiles devant les tribunaux de grande instance, en vingt ans, ont augmenté de 163 % et les affaires en cours de 71 % ; devant les cours d'appel, en neuf ans, l'augmentation a été de 212 %.
Une phrase du rapport des premiers présidents contient tout, comme certaines phrases de Tacite : « Une analyse même sommaire permet de constater que notre organisation, nos moyens humains et matériels, nos règles de procédure, notre formation n'ont pas été conçus pour maîtriser une demande aussi forte. »
Nous avons retenu, monsieur le garde des sceaux, premièrement, qu'il était urgent d'intervenir et d'appliquer des remèdes. Un constat comme celui-là exige des remèdes immédiats ; aussi le rapport contient-il une liste de propositions qui sont compatibles avec la rigueur budgétaire.
Deuxièmement, la justice a besoin de pouvoir donner une réponse au développement du contentieux et à la demande de justice dans des conditions satisfaisantes. Il s'agit d'une priorité évidente : le rapport préconise des solutions qui nous ont parus, à tous, être à notre portée.
Troisièmement, il semble difficile d'envisager d'autres nouvelles réformes que cette urgente adaptation sans en tout cas conduire les études préalables à ces nouvelles réformes et sans l'attribution des moyens supplémentaires nécessaires à chacune d'elles, faute de quoi elles n'auraient pas de portée.
Nous savons, monsieur le garde des sceaux, à quel point vous avez pris conscience de la situation réelle de la justice, situation dont vous aviez d'ailleurs la prémonition avant d'assumer la responsabilité de ce grand ministère, comme le prouvent tout particulièrement vos récentes déclarations.
Ce rapport ne devrait pas être un rapport de plus. Il a été réalisé dans la continuité de ceux qui ont déjà été rédigés ; il résulte de la réflexion en profondeur qu'ont menée les membres de la mission, au premier rang desquels se place M. Fauchon, le rapporteur, que je remercie de son beau et lucide travail.
Par ailleurs, nous avons tous été passionnés de constater l'amour de leur métier dont font preuve les magistrats, les avocats et les auxiliaires de justice que nous avons auditionnés.
Je suis sûr que rapidement, monsieur le garde des sceaux, le dévouement et la conscience professionnelle des si nombreux acteurs de justice de notre pays nous encourageront à trouver les moyens de parvenir à une administration de la justice qui réponde aux besoins d'une grande démocratie comme la nôtre. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Lambert.
M. Alain Lambert. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je prends la parole, au nom du groupe de l'Union centriste, puisque son meilleur porte-parole dans le domaine de la justice, M. Pierre Fauchon, est aujourd'hui consigné dans son rôle d'auteur d'une question orale avec débat et de rapporteur de la mission d'information sur les moyens de la justice.
Je reprends donc un peu de service et je le fais avec d'autant plus de plaisir que j'ai été pendant trois ans rapporteur spécial du budget du ministère de la justice et que j'ai eu la joie d'être rapporteur pour avis de la loi de programme relative à la justice, dont M. Fauchon fut le rapporteur. M. le président de la commission des lois, que je salue, s'en souvient sans doute.
En tant que sénateur, juriste de surcroît, je suis naturellement tenté d'accroître les moyens de la justice. Mais en tant que rapporteur général, j'ai la responsabilité de contenir les déficits. Je vais donc essayer de surmonter cette contradiction. Il n'en demeure pas moins que j'ai gardé la certitude que les problèmes de justice doivent toujours rester au coeur des préoccupations de la représentation nationale puisqu'ils sont au coeur de celles de la nation.
En effet, qu'attendent nos concitoyens de l'Etat ? Ils souhaitent qu'il assure la sécurité intérieure et extérieure du pays et que la justice soit rendue au nom de la République française et du peuple français.
Cette dernière mission a-t-elle été remplie dans des conditions satisfaisantes ? A l'évidence, non, ont dit les orateurs qui m'ont précédé et ceux qui interviendront après moi apporteront sans doute la même réponse. Depuis de nombreuses années, le Parlement, notamment la Haute Assemblée, n'a pas manqué de mettre en lumière les dysfonctionnements d'un système qui ne parvient ni à rendre des décisions dans des délais satisfaisants ni à assurer véritablement la recherche, la poursuite et la répression des crimes et des délits.
Les causes de cette situation sont maintenant bien connues, grâce au remarquable rapport de notre collègue Pierre Fauchon, qui a le mérite d'en discerner toutes les composantes dans la France de 1996.
Il ne s'agit pas de contester la qualité, la compétence et la conscience professionnelle de nos juges. Il s'agit bien, et ce depuis longtemps, d'un problème de moyens matériels que les gouvernements et les majorités successifs n'ont jamais su mettre à la disposition de notre justice. A cet égard, nous portons tous une part de responsabilité.
On a pu constater jusqu'à présent, en dépit de pétitions de principe ou de promesses qui n'ont pas toujours été tenues, une certaine indifférence ou une certaine inattention à l'égard d'une institution dont on imaginait sans doute qu'elle finirait bien par maîtriser l'évolution de la situation.
Or on a enregistré depuis quelques années, tant au regard du contentieux qu'au regard de la délinquance, de véritables bouleversements auxquels notre effectif, quasi inchangé depuis 1910, de 6 000 juges, ainsi que l'a rappelé notre collègue M. Christian Bonnet, n'est plus en mesure de faire face.
Comme M. Pierre Fauchon l'a bien souligné, ce mal est spécifiquement français ; il existe bien 14 000 magistrats dans l'ex-République fédérale d'Allemagne et 8 000 en Italie.
Le contexte budgétaire actuel, nous le savons bien, ne permet pas la mise en place d'une sorte de plan Marshall pour la justice, qui serait pourtant seul de nature à juguler l'asphyxie progressive de nos juridictions.
Pour M. Pierre Fauchon - et je partage son analyse - seule une revalorisation du budget de la justice de l'ordre de 50 % pourrait garantir les recrutements, les formations, les aménagements et les équipements indispensables au désengorgement de notre système judiciaire.
Je suis en même temps obligé de reconnaître l'impossibilité d'engager aujourd'hui des moyens de cette ampleur. Cependant, les principes rappelés par la mission d'information et les mesures qu'elle préconise me paraissent très judicieux.
Oui, il convient désormais qu'aucune réforme se traduisant par une augmentation des tâches judiciaires ne soit envisagée sans la création des moyens correspondants.
Je me demande, monsieur le garde des sceaux, si le Gouvernement ne pourrait pas s'appliquer à lui-même une sorte d'article 40 lorsqu'il propose au Parlement d'instituer une réforme qui nécessite des magistrats supplémentaires.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Alain Lambert. De nombreux exemples ont été donnés ou le seront. Je n'insisterai donc pas.
Oui, il est aujourd'hui urgent de traiter d'une manière spécifique des contentieux de masse qui ne requièrent pas du magistrat les qualités d'analyse et de jugement pour lesquelles il a été préparé.
Sans jamais altérer les conditions d'égalité que nos concitoyens attendent de l'institution judiciaire pour tous les types de contentieux, il apparaît actuellement que de nombreuses solutions pourraient économiser le temps de nos juges ; elles vont d'un recours accru au juge unique à l'attribution, dans de nombreux cas, de fonctions de juges de paix à des greffiers en chef ou même à des personnes bénévoles compétentes dans le domaine juridique.
A cet égard, le rapport de la commission « justice de proximité » de notre excellent collègue Hubert Haenel, qui est d'ailleurs devenu rapporteur spécial du budget du ministère de la justice, et de notre ancien collègue Jean Arthuis a dégagé en 1994 des pistes de réflexion fort intéressantes.
Je souhaite, pour ma part, mes chers collègues, donner « deux coups de projecteur » qui seront de modestes mises en perspectives empruntées à l'approche budgétaire à laquelle je suis actuellement consigné.
Mon premier « coup de projecteur » concerne l'évolution du budget de la justice dans celui de l'Etat depuis quinze ans. Nous constatons une progression régulière, ne le cachons pas, mais extrêmement lente. Le budget de la justice représentait 1,05 % du budget de l'Etat en 1981, 1,1 % en 1984, 1,27 % en 1987, 1,38 % en 1990 et près de 1,49 % en 1993.
Le projet de budget pour 1997 prévoit pour la justice une dotation de quelque 24 milliards de francs, soit 1,51 % du budget de l'Etat, ce qui représente une progression de 1,77 % par rapport à 1996 après, soulignons-le, une augmentation de près de 6 % l'année dernière.
En quinze ans, en dépit des rapports alarmants que j'ai cités tout à l'heure, l'effort de l'Etat en faveur de la justice est passé de 1 % à 1,5 % du budget de l'Etat, soit une augmentation de 50 %. Mais est-ce suffisant ? Non !
J'ai souhaité établir une comparaison - ce sera mon second « coup de projecteur » - avec d'autres budgets appartenant au domaine régalien de l'Etat.
Je ne citerai qu'un exemple : avec 75,7 milliards de francs, le budget de l'intérieur et de la décentralisation représentera 5,8 % du budget civil de l'Etat. Sur ce montant, la partie « administration territoriale, sécurité civile et police nationale » représente les deux tiers, soit 50,56 milliards de francs.
Depuis un certain nombre d'années, le budget de l'intérieur a bénéficié d'une progression régulière de quelque 3 % par an. La Cour des comptes a d'ailleurs reconnu que cette administration faisait l'objet d'un traitement qu'elle a qualifié de « privilégié ».
Pour nos concitoyens, le couple police-justice est indissociable. Il constitue, d'une certaine manière, la chaîne d'un processus aux différentes étapes. Ne faudrait-il pas, dès lors, considérer que ces deux grandes institutions devraient, sur la durée, faire l'objet du même traitement privilégié ?
La progression apparente depuis quinze ans des moyens mis au service de notre justice ne doit pas faire illusion. D'abord, les taux d'augmentation ont toujours été très insuffisants. Ensuite, la base de départ, à savoir 1 % du budget de l'Etat, était faible. C'est le fameux 1 % dont il est tant question pour le budget de la culture.
A cet égard, je ne puis m'empêcher de regretter que, lors des années fastes de la période récente, nous n'ayons pas su mettre à profit les moyens supplémentaires dont l'Etat disposait pour augmenter les crédits de la justice.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Ça, c'est vrai !
M. Alain Lambert. Le reste aussi l'était, monsieur le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Il faut le dire à M. Rocard !
M. Alain Lambert. Nous avons connu, entre 1988 et 1991, une période de forte croissance qui s'est démarquée des années précédentes mais aussi, hélas ! des années suivantes.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. C'est M. Jospin qui a tout pris, alors !
M. Alain Lambert. Les ressources fiscales supplémentaires générées par cette croissance, soit une augmentation de 6,5 % en 1988, de 6,7 % en 1989 et de 5,6 % en 1990, auraient pu être consacrées à la « remise à flot » de notre justice.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. C'est une très bonne analyse.
M. Alain Lambert. Il n'en a rien été. Les statistiques du ministère de la justice le démontrent : en 1988 et en 1989, le budget de la justice représentait 1,37 % du budget de l'Etat alors que les recettes fiscales augmentaient. En 1990, il s'établissait à 1,38 %. Le budget de la justice ne progressait donc pas. Que de temps perdu, mes chers collègues ! (M. le ministre approuve.)
En conséquence, même si, comme je l'indiquais au début de mon propos, nous portons tous une part de responsabilité dans la situation de notre justice, dans le contexte présent, la majorité actuelle n'a pas à rougir de l'effort qu'elle a décidé de fournir.
Je pense au programme pluriannuel pour la justice, présenté par M. Pierre Méhaignerie, que j'ai eu l'honneur de rapporter l'année dernière. Même s'il apparaît malheureusement inévitable de devoir l'étaler sur six ans au lieu des cinq années prévues, ce programme, qui devrait renforcer de 300 magistrats et de 835 greffiers l'effectif de nos juridictions, constituera un net progrès.
Monsieur le garde des sceaux, je crois savoir que vous nous adresserez dans les prochaines semaines un rapport sur l'exécution du programme pluriannuel. Ce rapport, sachez-le, suscite l'intérêt de la commission des finances et, j'en suis certain, de la commission des lois, et nous l'attendons avec impatience.
Je pense aussi au traitement relativement privilégié qui sera celui de la justice en 1997, puisque des cinq ministères « régaliens », il sera le seul dont les effectifs budgétaires progresseront.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tel est le modeste témoignage que j'ai cru pouvoir apporter dans ce débat, au nom du groupe de l'Union centriste.
Permettez-moi de vous livrer, en conclusion, mon sentiment personnel.
La justice est un exemple significatif des réformes que notre pays doit engager pour recentrer l'Etat sur ses missions régaliennes.
M. Hubert Haenel. Absolument !
M. Alain Lambert. A partir des années quatre-vingt, l'Etat a cru pouvoir ou savoir tout faire : il pouvait fabriquer des téléviseurs, exercer le métier de banquier, perdre 10 milliards de francs ici, en perdre 50 voire 100 milliards là.
S'agissant du budget pour 1997 que nous allons adopter, je serai contraint, mes chers collègues, de vous proposer d'inscrire, au titre des dotations en capital de nos entreprises publiques, 27 milliards de francs alors que seuls 24 milliards de francs sont inscrits pour la justice.
Nos concitoyens seront rassurés de voir l'Etat cesser de fabriquer des téléviseurs et de faire le banquier à perte. Ils seraient heureux si nous pouvions dégager tous les moyens possibles pour permettre à l'Etat de retrouver la plénitude de l'une de ses plus nobles missions : rendre la justice. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens tout particulièrement à remercier la commission des lois, notamment son président, M. Larché, et son rapporteur, M. Fauchon, ainsi que le président de la mission d'information, M. Jolibois, d'avoir pris l'initiative d'utiliser les nouvelles possibilités offertes par l'article 48-3 de la Constitution pour organiser un débat sur un rapport d'information.
Il importe en effet que le Sénat sache valoriser ses travaux et faire apprécier l'une de ses qualités essentielles, qui est la continuité de ses préoccupations, voire sa ténacité, mais aussi la sérénité. Le rapport de nos collègues de la commission des lois, nous l'avons vu, s'inscrit dans une continuité sénatoriale ; il est très important de lui donner une résonnance politique par un débat auquel puisse participer chacun des groupes de notre assemblée.
Le Sénat aurait d'ailleurs intérêt, me semble-t-il, à systématiser le recours à une question orale avec débat, non seulement au moment du dépôt du rapport, mais aussi quelque temps après ce dépôt.
En effet, au moment du dépôt du rapport, cette procédure permettrait de démontrer qu'une conférence de presse ne remplacera jamais un débat parlementaire. Quelque temps après le dépôt du rapport, elle serait l'occasion de mieux faire ressortir la spécificité du Sénat. Une question orale permettrait alors de réaliser, en quelque sorte, le suivi des propositions sénatoriales et de demander au ministre en exercice s'il entend donner suite à nos propositions et s'il ne le veut pas, de nous en expliquer les raisons.
Il importe, en effet, que les initiatives que nous sommes amenés à prendre ou les votes que nous sommes conduits à émettre ne soient pas des actes sans lendemain. Il y va du respect que nous devons à nos mandants qui, souvent, regrettent les effets d'annonce, et qui attendent très longtemps avant de pouvoir constater, sur le terrain, les effets d'une décision. C'est un aspect auquel je sais M. le président du Sénat très attaché.
J'ai moi-même déposé, au début de cette année, une proposition de résolution tendant à réformer le règlement du Sénat, afin d'assurer le suivi des travaux de contrôle de notre assemblée.
Cette proposition avait un double objet : d'une part, conférer explicitement aux commissions permanentes la charge de suivre les suggestions de réforme qu'elles ont été amenées à présenter à l'occasion de leurs travaux de contrôle ; d'autre part, instituer une séance spéciale de questions au Gouvernement un an après le dépôt du rapport d'une commission d'enquête. Dans les deux cas, je proposais d'utiliser la procédure de la question orale avec débat dans le cadre des nouvelles dispositions de l'article 48, dernier alinéa, de la Constitution issu de la révision constitutionnelle de 1955.

J'en arrive aux moyens de notre justice. Il s'agit, à mes yeux, non seulement des moyens humains et matériels, mais aussi des procédures, des méthodes et des implantations.
Sur la base des conclusions du rapport d'information, notre collègue M. Fauchon s'interroge, indépendamment du problème de la carte judiciaire, sur les modalités d'un traitement d'un certain nombre de contentieux.
Les conclusions des travaux de la mission d'information s'inscrivent normalement dans le prolongement des travaux et propositions issus de notre Haute Assemblée.
Les précisions, développements et éléments nouveaux apportés par la mission d'information m'apparaissent très précieux.
J'ai particulièrement apprécié que soient mises en relief les conséquences de l'invasion du contentieux dit « de masse » sur l'asphyxie progressive de nos juridictions. Personnellement, je suis convaincu de la nécessité d'un traitement particulier pour un type de contentieux dans lequel - comme le rappelle excellement notre collègue M. Fauchon - « les enjeux juridiques sont peu différenciés et ne devraient pas nécessiter la capacité d'analyse et de jugement propres à la mission du juge ».
Sur ce sujet, il n'est certainement pas inutile, en effet, d'explorer les pistes de réflexion ouvertes par la conférence des premiers présidents des cours d'appels - comme vient de le faire M. Jolibois - en particulier celles qui se fondent sur les expériences menées dans les maisons de justice ou au travers de médiateurs ou de délégués des procureurs.
L'essentiel est d'intégrer au sein des juridictions, dans tous les domaines possibles, une conciliation préalable obligatoire menée par un juge bien identifié, de manière que, en cas d'échec de la conciliation, ce juge puisse rendre lui-même le jugement. Les constats opérés par la mission d'information de la commission des lois confirment le bien-fondé des préoccupations que la Haute Assemblée exprime d'année en année.
Hélas ! monsieur le garde des sceaux, le diagnostic « justice sinistrée : démocratie en danger » reste très largement d'actualité, même si nombre des propositions formulées par le Sénat au fil du temps sont passées dans les textes et dans les faits au cours des dernières années.
Parmi elles, je me permettrai de signaler celles qui ont donné lieu à la profonde réorganisation du Conseil supérieur de la magistrature.

Je rappellerai également que, en juin 1992, les conclusions de la deuxième commission de contrôle sénatoriale chargée d'examiner les modalités d'organisation et les conditions de fonctionnement des juridictions de l'ordre administratif se sont traduites, elles aussi, dans les textes et les faits, en particulier à l'occasion du programme pluriannuel pour la justice prévu par la loi de programme du 6 janvier 1995 relative à la justice.
Enfin, un grand nombre des idées qui furent formulées en février 1994 par la commission sur la justice de proximité furent reprises dans la loi organique du 19 janvier 1995 relative au statut de la magistrature, dans la loi de programme du 6 janvier 1995 relative à la justice et dans la loi du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.
Parmi les innovations préconisées et qui furent suivies d'effets, je citerai : l'institution de magistrats exerçant à titre temporaire ; le recrutement de conseiller de cour d'appel en service extraordinaire ; le développement des maisons de justice ; l'évolution de la conciliation et de la médiation civiles ; l'assouplissement des conditions d'affectation des magistrats « placés » auprès des chefs de cour d'appel ; le recrutement d'assistants de justice, afin de permettre aux magistrats de bénéficier d'une aide à la décision de justice ; enfin, la possibilité pour les juges du tribunal de grande instance de procéder à des audiences foraines dans les tribunaux d'instance, afin de rapprocher la justice du justiciable.
Ces rappels ont tout simplement pour objet de montrer que le Sénat apporte une contribution essentielle - il le prouve encore aujourd'hui ! - à la réflexion sur le fonctionnement de la justice. Le ministre de la justice s'inspire souvent des solutions proposées par la Haute Assemblée !
Cependant, il faut relever ici que, près de deux ans après la promulgation de la loi organique du 19 janvier 1995, les dispositions relatives au recrutement de magistrats exerçant à titre temporaire et celles qui concernent les conseillers de cour d'appel en service extraordinaire n'ont, à ma connaissance, fait l'objet d'aucune application.
En revanche, comme le souligne notre collègue M. Fauchon, le recrutement d'assistants de justice prévu par la loi du 8 février 1995 fait actuellement l'objet d'expérimentations qui, selon les informations qui nous sont fournies, répondent tout à fait à l'attente des magistrats. Il nous paraît donc nécessaire, monsieur le ministre, d'étendre et de développer ce recrutement.
Par ailleurs, il faut noter avec regret que trois propositions fondamentales du Sénat n'ont, à ce jour, pas eu de suite. Nous aimerions en connaître les raisons.
La première proposition concerne la création d'un juge de paix s'inspirant à la fois de l'exemple du juge du livre foncier qui existe en Alsace-Moselle et de celui du magistrate anglais.
La deuxième proposition a trait à la transformation du tribunal d'instance en juridiction de droit commun à laquelle seraient dévolus d'importants « blocs de compétence » qui relèvent aujourd'hui du tribunal de grande instance - ils peuvent d'ailleurs varier avec le temps. Nous avions, en effet, estimé que le tribunal d'instance pourrait ainsi assurer le contentieux des affaires familiales, celui des baux, des élections politiques, celui mettant en cause les organismes sociaux, les troubles de voisinage, la tutelle des majeurs, enfin, bien sûr, celui des contraventions.
Monsieur le garde des sceaux, même sans aller jusque-là, envisagez-vous de faire des tribunaux d'instance les points forts - en quelque sorte, les points d'appui - de la présence du dispositif judiciaire sur l'ensemble du territoire national ? Il s'agit non pas de supprimer les tribunaux d'instance, mais, au contraire, de les renforcer là où ils existent et d'en créer dans les zones urbaines et suburbaines où ils font défaut.
La troisième proposition du Sénat tend à remédier à ce véritable « déni de justice » - j'y insiste - que constitue la pratique des classements sans suite dans le domaine pénal : le taux moyen de ces classements sans suite représente aujourd'hui - on l'a rappelé tout à l'heure - la moitié des affaires dont l'auteur est néanmoins identifié.
La commission sénatoriale sur la justice de proximité avait préconisé la généralisation du traitement en temps réel des dossiers. Dans notre esprit, pour les affaires pénales simples, il convenait que le procureur, informé par les policiers ou les gendarmes, prît sa décision alors que le délinquant se trouvait encore dans les locaux de police. Pour les affaires pénales plus complexes, le parquet devrait assurer le suivi et accélérer le déroulement des investigations par l'intermédiaire d'un bureau d'enquête. Ces nouvelles pratiques impliquaient évidemment des moyens nouveaux, tant en créations de postes qu'en matériel informatique.
Si de nombreux progrès sont constatés ici et là, il n'apparaît pas encore que le traitement des dossiers en temps réel au pénal soit aujourd'hui systématisé. Est-ce exact, monsieur le ministre ? Il me semble cependant que les réflexions du Sénat devraient se poursuivre dans deux domaines.
Certes, mon collègue René-Georges Laurin l'a dit tout à l'heure, le rattachement de la police judiciaire au ministère de la justice n'est pas à l'ordre du jour, et il ne le sera sans doute jamais. Mais pour que reste constant l'intérêt soutenu que le Sénat porte aux difficultés rencontrées par la justice pour exercer pleinement ses missions, il y aura lieu, monsieur le ministre, dans la sérénité mais sans tarder, de clarifier les choses sur un sujet que, curieusement, il est parfois difficile d'aborder publiquement : celui des moyens de la justice. En effet, qu'il s'agisse des parquets ou des juges d'instruction, les officiers de police judiciaire sont bien des moyens attribués à la justice pour remplir l'ensemble de ses missions dans le domaine pénal.
Il faut dire que les observations que nous avons formulées dans notre rapport sur la justice judiciaire n'ont donné lieu, concrètement, qu'à des balbutiements de réponse. Au point où nous en sommes aujourd'hui, il faut nous répondre franchement : soit on estime que ces propositions ne valent rien, auquel cas je m'abstiendrai d'y revenir avant longtemps soit on nous précise les mesures qui peuvent être envisagées dans les années à venir. C'est la commission d'enquête sénatoriale elle-même, et à l'unanimité, qui a émis ce voeu de clarification.
Enfin, j'apporterai une nuance à l'affirmation selon laquelle le remède à la situation d'asphyxie de notre justice passe nécessairement par la modification en profondeur de la carte judiciaire.
Je pense, pour ma part, qu'il s'agit là d'un faux problème et que la suppression de cent juridictions, comme le préconisait le rapport Carrez, n'aurait aucun effet sur « l'embolie » annoncée par vous-même, monsieur le garde des sceaux, pour dans quelques années, puisque vous l'envisagez pour le début du troisième millénaire. Au contraire, il faut tout faire pour renforcer la justice de proximité, en particulier dans les banlieues et les quartiers difficiles où la « présence judiciaire » est souvent tout à fait insuffisante.
Au demeurant, ma conviction semble rejoindre la vôtre, monsieur le garde des sceaux, puisque, lors de votre audition par la mission d'information, le 1er octobre dernier, vous vous déclariez en opposition avec les thèses selon lequelles on ne peut rien faire pour moderniser la justice si on ne supprime pas une centaine de juridictions.
Le sujet qui me paraît mériter un examen sans doute approfondi dans les temps à venir est celui du classement sans suite.
Les statistiques dont nous disposons actuellement montrent que près de la moitié des infractions pénales dont l'auteur est connu font l'objet d'un classement sans suite ; certains tribunaux enregistrent même un taux de près de 80 %.
Le traitement direct des affaires, auquel je faisais référence voilà quelques instants, concerne environ 40 % des affaires soumises au tribunal correctionnel. Il explique sans doute la légère baisse du taux de classement sans suite observé en 1995.
Les disparités entre juridictions néanmoins constatées, en particulier par la mission d'information, méritent, selon moi, une analyse plus fine pour en faire ressortir les véritables causes.
S'agit-il seulement des moyens qui ne seraient pas donnés à la justice ou bien est-ce autre chose ?
Cette question fondamentale, qui met en cause la crédibilité de l'Etat dans sa fonction régalienne consistant à poursuivre et à punir les auteurs de crimes et de délits, justifie à elle seule une étude particulière. Avec votre concours, du moins je le souhaite, monsieur le ministre, nous allons nous y employer.
Comme vous le voyez - mais vous le saviez - l'exercice des missions de justice pose de graves problèmes de moyens et de fond, dont je vous donnerai quelques exemples.
Ainsi, le fondement même de la légitimité du juge est discutée, parfois par les magistrats eux-mêmes. Pour vous avoir entendu récemment sur une radio périphérique, monsieur le ministre, je crois savoir que vous envisagez de rappeler solennellement quel est ce fondement ; ce ne peut être que la loi, avec un « L » majuscule.
La justice apparaît trop souvent comme mal aimée - mais peut-il en être autrement ? - comme maltraitée aussi, dans la mesure où les moyens qui lui sont octroyés demeurent insuffisants. Mais la justice apparaît aussi beaucoup trop souvent, parce qu'elle est révélatrice, comme chacun le sait, de tous les dysfonctionnements et de tous les maux de notre société, comme le bouc émissaire des maux dont souffrent l'Etat, l'ordre républicain et la vie communautaire.
Pouvons-nous laisser la situation se dégrader ? Le risque est grand que s'effrite peu à peu l'un des piliers de notre démocratie et de l'ordre républicain.
C'est pourquoi, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous devons tous ensemble nous atteler, dans le cadre du pacte républicain, qui doit transcender la politique politicienne, à la grande tâche que constitue la réforme de la justice. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l'insuffisance des moyens dont dispose la justice en France a été excellemment mise en lumière par le rapport de la mission d'information.
Je souhaite apporter, à mon tour, chiffres à l'appui, un éclairage sur le délaissement coupable dont fait preuve l'Etat à l'égard du département ministériel dont vous assumez la charge, monsieur le ministre.
Si vous avez réussi à arracher, pour le budget de 1997, un traitement plus favorable que la plupart de vos collègues, il n'en reste pas moins que l'on recrute aujourd'hui moitié moins de magistrats chaque année qu'il y a vingt ans.
Le nombre de magistrats de l'ordre judiciaire s'élevait à 5 802 en 1910. Il était de 6 029 en 1994, année où pour chaque magistrat recruté trente nouveaux avocats ont prêté serment, ratio qui, dix ans auparavant, en 1984, n'était pas de un à trente, mais seulement de un à dix-huit.
Nous ne sommes plus en 1910. La France compte vingt millions de personnes physiques de plus et combien de personnes morales de plus en plus procédurières ! Nous sommes entrés dans une société de contentieux, et ceux qui sont de nature économique et fiscale deviennent de plus en plus complexes.
Le plan quinquennal est étalé sur une année supplémenaire et, dans le même temps, si l'on projette la progression des affaires civiles, le nombre des dossiers nouveaux, après avoir triplé au cours des vingt dernières années, pourrait augmenter de 40 % d'ici à l'an 2000.
Le budget de votre ministère pour 1997 va s'élever à 24 milliards de francs, soit 3 milliards de moins que les dotations prévues - je dis bien « prévues » - pour recapitaliser les entreprises publiques dont l'Etat s'est révélé être un détestable gestionnaire.
Cette situation déplorable n'est, hélas ! que l'un des aspects de la paupérisation d'un Etat touche-à-tout dans ses attributs régaliens - comme vient de le souligner, avec le talent que chacun lui connaît, M. Lambert - et ce n'est certainement pas M. Giacobbi que me démentira sur ce point !
Cet Etat, aujourd'hui, mesure chichement son soutien aux instruments qui constituent le fondement même de la République ...
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Christian Bonnet. ... alors qu'il fait preuve, dans le même temps, d'une générosité trop souvent inconséquente dans le domaine des interventions économiques et sociales, où, comme M. Edmond Maire - qui ne saurait, j'imagine, être considéré comme antisocial - le précisait dans un article remarqué d'un journal du soir en date du 2 novembre dernier, « l'efficacité restait à démontrer ».
J'ai entre les mains un document émanant du Secrétariat général du Gouvernement. Il permet de constater avec stupéfaction que si - et ce n'est là que justice, c'est bien le cas de le dire ! - vous figurez, monsieur le garde des sceaux, dans la hiérarchie des excellences immédiatement après le Premier ministre...
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Certes !
M. Christian Bonnet. ... les affaires étrangères se retrouvent au cinquième rang, derrière l'équipement, et l'intérieur au septième rang, derrière le travail.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. C'est la vie moderne !
M. Christian Bonnet. Très proche collaborateur, et de longue date, de M. le Président de la République, fort de la confiance dont vous bénéficiez de sa part, et de la place éminente qui est la vôtre dans les conseils du Gouvernement, il vous appartient, monsieur le garde des sceaux, de faire en sorte que, « les carottes étant cuites », pour 1997, le projet de budget pour 1998, qui ne va pas tarder à être mis en chantier, traduise l'indispensable recentrage des actions de l'Etat, qu'il ne fasse pas du budget de la justice et du budget de l'intérieur - s'agissant de ce dernier, j'aurai une petite explication amicale avec M. le rapporteur général - des terres de mission. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. Hubert Haenel. La cour d'appel de Nice !
M. José Balarello. Cela fait un siècle que nous l'attendons ! M. le garde des sceaux en est d'ailleurs conscient, puisqu'il est niçois.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ne disposant que de quelques minutes, je limiterai mon propos.
Le rapport dont nous discutons, reprenant certains termes du rapport Carrez, nous rappelle que la carte judiciaire française est le produit d'une stratification historique, reflet de réalités démographiques, économiques et sociales aujourd'hui disparues, la densité géographique des juridictions provenant traditionnellement de l'héritage de l'Ancien Régime et du premier Empire.
Le résultat est le suivant : certaines juridictions ou cours d'appel sont en dessous du seuil d'activité critique nécessaire à un fonctionnement efficace et d'autres croulent sous les affaires.
Les inégalités en matière de charge de travail par magistrat vont - comme le rappelle le rapport de notre commission - de un à deux pour les cours d'appel, de un à trois entre les tribunaux de grande instance et de un à cinq entre les juges d'instance.
MM. Pierre Fauchon et Charles Jolibois, qui, je me plais à le souligner, ont fait un travail remarquable, précisent dans leur rapport que « ces déséquilibres atteignent des records dans les ressorts des cours d'appel d'Aix-en-Provence et Douai avec des niveaux de charges de travail extrêmement élevés ». Vous l'avez compris, monsieur le garde des sceaux, je vais vous parler des cours d'appel qui sont à créer dans les Alpes-Maritimes et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui est aujourd'hui l'une des régions les plus peuplées de France et qui n'a qu'une seule cour d'appel.
Interrogé par mes soins - car je me préoccupe de cette question depuis de nombreuses années - l'un de vos prédécesseurs M. Albin Chalandon, m'avait répondu, le 26 novembre 1986, qu'il attendait de disposer d'un effectif de magistrats suffisant pour installer à Nice les chambres nécessaires sans mettre pour autant en cause ce qui existe actuellement à Aix-en-Provence. Il me demandait alors d'avoir de la patience en me précisant, comme cela figure dans le compte rendu des débats du Sénat publié au Journal officiel : « il faut savoir attendre un peu ». Dans un mois, dix années se seront écoulées.
J'étais également intervenu auprès d'un de vos prédécesseurs, M. Henri Nallet, en 1991 et en 1992.
Le 7 décembre 1994 au Sénat, M. Pierre Méhaignerie, alors garde des sceaux, m'avait répondu : « M. Balarello a souhaité la création d'une cour d'appel dans les Alpes-Maritimes, j'étudie pour commencer l'implantation de chambres détachées de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. »
Le 27 novembre 1995, interrogé par mes soins lors du vote du projet de loi de finances, vous m'avez indiqué - c'était après le dépôt du rapport Carrez qui préconise la création d'une cour dans les Alpes-Maritimes - que cette question faisait l'objet d'une étude approfondie tant sur le plan du principe que sur celui de ses modalités de mise en oeuvre et que deux solutions étaient proposés : la création d'une cour d'appel ou le détachement de chambres de la cour d'appel d'Aix-en-Provence dans le département des Alpes-Maritimes.
Dernièrement, recevant les bâtonniers de Nice et de Grasse - qui se sont mis d'accord et vous connaissez le problème, monsieur le garde des sceaux - vous leur avez précisé, sauf erreur de ma part, que vous étiez d'accord pour la mise en place dans les Alpes-Maritimes de deux ou trois chambres détachées de la cour d'appel d'Aix-en-Provence car, pour des raisons financières, il vous était impossible de faire plus.
Dans une lettre récente que vous avez adressée au maire de Nice, qui est également avocat, vous confirmez cette option.
Aussi, il me serait agréable, monsieur le garde des sceaux, que, profitant de ce débat et du fait que la mission d'information du Sénat conclut, comme d'ailleurs le rapport Carrez, à l'urgente nécessité « de créer des chambres et des juridictions nouvelles, là où les besoins sont évidents », vous me précisiez si vous avez décidé la création dans les Alpes-Maritimes d'au moins trois chambres détachées de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Dans l'affirmative, à quelle date cette création interviendra-t-elle et quelles seront les matières traitées par ces chambres ? Je vous rappelle à cette occasion que les délais de traitement de la chambre sociale, qui juge notamment les affaires prud'homales, sont de trois années ou plus devant la cour d'Aix-en-Provence, ce qui, vous en conviendrez, est difficilement admissible pour des salariés.
Le temps dont je dispose ne me permet pas, monsieur le garde des sceaux, d'aborder les problèmes de fond, qui ont été très bien traités par nos collègues MM. Fauchon et Jolibois. Aussi, je terminerai en évoquant un autre problème.
Devant le flux montant des affaires civiles et compte tenu du besoin de justice de proximité formulé par nos concitoyens, recréez l'esprit, sinon l'appellation, des justices de paix - ces juridictions réglaient en conciliation la moitié des litiges, alors qu'actuellement cela n'est plus le cas - étendez la compétence des tribunaux d'instance, chargez-les notamment de constater l'accord des parties dans les divorces par consentement mutuel. Je suis en effet réticent, comme M. Fauchon, à l'idée émise par certains et selon laquelle il convient de confier cette tâche aux officiers de l'état civil.
La commission Haenel-Arthuis, aux travaux de laquelle j'ai participé, encourageait, en 1994, la consécration des tribunaux d'instance comme juridiction de droit commun. Le rapport de MM. Fauchon et Jolibois va dans le même sens. C'est même sa « principale proposition pour traiter le contentieux dit de masse ». Cela fait longtemps que j'émets un tel point de vue, et M. Fauchon le sait fort bien.
Nous souhaitons, monsieur le garde des sceaux, que ce rapport contribue, dès que les finances du pays seront rétablies, à augmenter très significativement les moyens du ministère de la justice. Nous sommes certains que vous y parviendrez, comme vous avez pu le faire dans le budget de 1996. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Larché.
M. Jacques Larché. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le travail accompli par la mission d'information présidée par M. Charles Jolibois, dont M. Pierre Fauchon était le rapporteur et à laquelle nombre de nos collègues sont associés, peut être considéré comme un modèle de travail sénatorial. J'en veux d'ailleurs pour preuve l'intérêt que suscite, dès sa parution, le rapport qu'ils ont élaboré.
Celui-ci comporte, d'abord, une partie « investigation », qui est un modèle, puis un constat, qui est aussi un modèle car il est totalement objectif, et, enfin, des propositions, qui, étalées dans le temps, peuvent être réalisables et raisonnables. Ce rapport, vous le savez, monsieur le garde des sceaux, est la marque de l'intérêt que le Sénat tout entier porte à l'institution judiciaire et à l'action que vous menez à la tête de la chancellerie.
Que pouvons-nous dire ?
Dans une société en crise, la justice est en déshérence. Je pense qu'il y a entre ces deux propositions un lien de cause à effet. On pourrait pousser plus loin le raisonnement, quelque peu simpliste, en affirmant qu'améliorer la justice permettrait de contribuer à redresser notre société.
Que faut-il faire ?
Ne nous le dissimulons pas, toute réforme est coûteuse. Nous vivons dans un Etat où la situation est absurde sur le plan financier. En effet, 250 milliards de francs vont être consacrés au redressement d'un certain nombre de sociétés qui ont été mal gérées. Or ces 250 milliards de francs représentent dix fois le budget de la justice ! Il est clair que tant que nous serons confrontés à une telle absurdité, à un tel obstacle, ce meilleur accomplissement des fonctions régaliennes de l'Etat, que chacun appelle de ses voeux, sera difficilement obtenu.
Monsieur le garde des sceaux, vous nourrissez tout naturellement et légitimement de grandes ambitions pour la réforme de la justice. Toutefois, ce que je vous demanderai, en cet instant, c'est de donner la priorité à ce que nos concitoyens et les juges considèrent comme essentiel.
Les juges, qui font bien leur métier, réclament une égalité de traitement, afin que certains d'entre eux ne soient pas surchargés de travail. Nous sommes en effet en présence d'une sorte de lointain héritage d'un stakhanovisme qui pourrait paraître dépassé. Il s'ensuit bien évidemment quelques malfaçons dans les décisions de justice rendues. Dans le même temps, disons-le très clairement, d'autres magistrats ont une conception parfaitement honorable de leurs loisirs puisqu'elle correspond à la tâche judiciaire qui leur est confiée et qu'ils peuvent accomplir sans grande difficulté, c'est le moins que l'on puisse dire.
Les citoyens voudraient ne pas être obligés d'attendre la décision judiciaire qui les concerne dans des conditions telles que nous courons de plus en plus le risque de voir la Cour européenne des droits de l'homme de reprocher à la France de ne pas rendre les décisions de justice dans des délais raisonnables.
Le justiciable, enfin, ne voudrait pas être obligé d'attendre la preuve matérielle de la décision prise, afin de ne pas devoir parfois se livrer à de véritables acrobaties pour respecter les délais de recours.
M. François Giacobbi. Eh oui !
M. Jacques Larché. Monsieur le garde des sceaux, je terminerai en formant un voeu très amical. Un jour, le bilan de votre action sera dressé par vous-même ou par d'autres. Aussi, je voudrais que, sur tous les points que je viens de signaler rapidement, qui sont sans doute modestes mais dont l'addition permettrait de parvenir à cette amélioration de la justice que nous souhaitons tous, vous laissiez le souvenir de celui qui, se consacrant à cette amélioration de la justice au quotidien, aura finalement rendu, non seulement à la justice, mais aussi à la société tout entière, le service que nous attendons de lui. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord d'exprimer à mon tour, comme l'ont fait de nombreux d'orateurs, ma gratitude au Sénat tout entier, à sa commission des lois et à la mission d'information « Jolibois-Fauchon » pour le travail accompli en peu de mois : tout cela a en effet commencé en février dernier, au moment où nous discutions, à Versailles, de la révision constitutionnelle.
Je suis heureux que vous me donniez l'occasion de parler du fonctionnement des juridictions autrement que par le tableau rapide et partiel que l'on en fait généralement à l'occasion du débat budgétaire. Celui que nous aurons dans quelques semaines ne dérogera pas à cette règle, que je qualifierai de frustrante.
Je voudrais souligner, comme vient de le faire M. Jacques Larché, président de la commission des lois, que la séance de cet après-midi, pour brève qu'elle soit, marque une étape importante et constitue un exemple de l'excellence du travail du Sénat, en particulier dans le domaine de la justice qu'il a beaucoup exploré depuis plusieurs années.
Avant de répondre aux différentes questions et suggestions, je porterai une appréciation générale sur le rapport de la mission, en indiquant l'action que, pour ma part, je mène dans mon ministère à cet égard.
Tout d'abord, je souligne que je suis en accord complet avec le constat fait par le rapport, qui est, pour l'essentiel, le constat de l'encombrement des juridictions. Je citerai un seul nombre significatif à cet égard : il existe, en moyenne, plus d'un an de stock d'affaires, les cours d'appel connaissant - il faut le dire - la situation la plus critique. A tous les niveaux, l'augmentation des flux d'affaires nouvelles se poursuit. Je vous renvoie naturellement au rapport pour les chiffres détaillés, puisque nos sources sont identiques.
Il est vrai que j'ai eu l'occasion d'employer, voilà quelques mois, un mot que vous avez souvent cité ici : j'avais en effet dit que, si nous ne prenions pas aujourd'hui des mesures, nous serions confrontés, dans quelques années, à une « embolie » ; le rapport évoque, quant à lui, une « asphyxie », une « paralysie » ou une « hémiplégie ». Ce sont de toute façon, comme chacun le sait, des accidents graves ! Par conséquent, quel que soit le vocabulaire, nous devons faire aujourd'hui un effort pour prévenir leur survenue.
Par ailleurs, le constat qui est fait, et que je partage, n'est pas nouveau. En effet, c'est à partir de ce constat, fait notamment par le Sénat en 1992 et en 1994, que des initiatives ont été prises par le Gouvernement. La plus connue d'entre elles est naturellement le programme pluriannuel pour la justice que vous avez adopté au début de l'année 1995 sur la proposition de M. Méhaignerie, mon prédécesseur à la Chancellerie. C'était une réponse essentiellement quantitative - certains s'en sont plaints, d'ailleurs - mais elle demeure tout à fait indispensable, la France n'ayant pas, jusqu'à présent, accompli en faveur de sa justice - c'est le moins qu'on puisse dire - des efforts démesurés. Je partage tout à fait sur ce point les critiques exprimées en termes excellents et véhéments par M. Bonnet.
J'ai poursuivi pour ma part l'effort entrepris par M. Méhaignerie en vue de redresser les moyens de la justice, et je voudrais, à cet égard, citer simplement quelques caractéristiques du budget de 1996 et du projet de budget pour 1997.
En 1996, les 60 créations d'emploi de magistrat ont été localisées par priorité dans les cours d'appel, mais aussi dans les tribunaux pour enfants et dans les services de l'application des peines, où de grands besoins se font sentir.
Parallèlement, 190 emplois de fonctionnaire des greffes ont été créés au titre du programme pluriannuel pour la justice ; mais, au-delà de ce programme, pour venir spécialement en aide aux juridictions les plus en difficulté, 300 emplois d'agent de catégorie C ont été créés. Le recrutement de ces agents est quasiment terminé par voie de concours régionalisés et permettra aux juridictions de disposer, par exemple, des dactylos nécessaires à la frappe des jugements, dont le déficit a été relevé par la mission sénatoriale, comme elle l'avait été antérieurement, notamment par la mission Haenel-Arthuis.
Dans le projet de loi de finances pour 1997, cet effort de création d'emplois est maintenu, bien qu'à un rythme moins soutenu en raison d'un contexte budgétaire rigide que M. le rapporteur général a très bien rappelé, voilà quelques instants.
Ainsi est prévue la création de 30 emplois de magistrat, qui permettront de poursuivre la politique de renforcement des cours d'appel et des tribunaux pour enfants. En outre, 147 emplois de fonctionnaire de catégorie C renforceront la capacité d'exécution des greffes.
Par ailleurs, le budget de 1996 et le projet de loi de finances pour 1997 ont permis de maintenir à hauteur d'environ un milliard de francs chaque année le montant des investissements immobiliers et de doter ainsi l'institution judiciaire d'un patrimoine moderne, facilitant la mise en oeuvre des réformes judiciaires, tout en améliorant les conditions de travail des personnels de justice et d'accueil des auxiliaires de justice et des justiciables.
Mais l'augmentation des flux contentieux est si massive, si continue depuis des années, et semble relever de causes si profondes qu'on ne peut que s'interroger, comme vous l'avez fait tout au long de cet après-midi, mesdames, messieurs les sénateurs, sur la capacité financière de l'Etat à répondre, sur le long terme, par une augmentation parallèle des moyens.
Le mérite du rapport de la mission d'information de la commission des lois est précisément de s'interroger sur les évolutions structurelles qui pourraient permettre de faire face plus efficacement, c'est-à-dire, comme l'a indiqué M. Jacques Larché, avec des moyens raisonnables, aux besoins qui se font jour en matière de justice.
Cette approche est évidemment excellente, et je l'ai adoptée, pour ma part, dès mon arrivée place Vendôme, en faisant préparer un plan de modernisation des juridictions, qui a été rendu public au mois de juin dernier. J'en ai d'ailleurs entretenu la mission d'information lorsqu'elle a bien voulu m'auditionner.
Ce plan, je le rappelle, comporte trois objectifs.
Le premier concerne l'amélioration de la gestion des juridictions.
Par les deux circulaires des 9 octobre 1995 et 8 juillet 1996 ont été créés auprès des chefs de cour les services d'administration régionale et les coordonnateurs de ces services. L'un des objectifs poursuivis est de doter les juridictions de services de gestion composés de gestionnaires compétents, pour assister les chefs de cour dans le domaine de l'administration des juridictions et pour permettre aux magistrats de se recentrer sur leurs fonctions juridictionnelles. Cela correspond à la proposition n° 19 du rapport.
Le deuxième objectif du plan de modernisation est une meilleure utilisation des moyens.
Ainsi est en cours un projet de déploiement des effectifs de magistrats et de fonctionnaires pour tenter de répartir la charge de travail des juridictions de manière plus équitable. Il s'agit de la proposition n° 5 de la mission d'information.
De même, un effort accru de gestion doit permettre de rationaliser l'outil informatique : ce sont les propositions n°s 20, 21 et 22 figurant dans le rapport.
Au pénal, il conviendra tout particulièrement de valider le logiciel permettant de prendre en compte la phase de l'exécution des peines. Ce logiciel a été validé par les juridictions. Restent à régler les modalités de son acquisition et de sa diffusion. Il s'agit d'une forte demande des juridictions, au demeurant justifiée, que la mission sénatoriale a reprise à son compte. Cette diffusion pourrait être effective dès 1997.
Au civil, il convient de rationaliser la gestion des divers logiciels permettant d'assurer les différentes fonctions de la chaîne civile.
L'objectif est d'obtenir que l'informatique civile ne soit pas en quelque sorte accaparée par de trop petites sociétés de service informatique, fragiles sur les plans technique et financier, et de doter les juridictions de contrats de maintenance les protégeant efficacement.
Par ailleurs, il est indispensable de développer une informatique permettant de communiquer avec les professionnels du droit, principalement les avocats, les avoués et les huissiers.
Enfin, le troisième objectif du plan de modernisation pour la justice est de favoriser l'évolution des mentalités et des méthodes de travail, en anticipant sur tous ces points les recommandations de la mission sénatoriale.
Par exemple, nous élaborons actuellement des contrats de juridiction entre l'administration centrale et certaines juridictions, par lesquels sont fixés des objectifs en termes notamment de durée moyenne des procédures et de moyens mis en oeuvre de manière concertée pour y parvenir.
De la même façon, conformément aux propositions n°s 6, 7 et 9 de la mission d'information, je prépare un projet de modification du statut de la magistrature, qui instaure notamment une durée maximale des fonctions de certains chefs de juridiction et qui prévoit de nouvelles obligations en matière de mobilité. Je souligne que nous avons déjà, depuis 1993, rationalisé le recrutement de l'Ecole nationale de la magistrature : désormais, le nombre des recrutements à l'ENM est fixé non plus à partir des départs en retraite mais, comme vous le demandez, à partir de la situation réelle, c'est-à-dire les vacances d'emplois et la situation des juridictions.
Après cette appréciation globale du rapport, en comparaison, si j'ose dire, de l'action de modernisation que j'ai engagée, je voudrais distinguer dans votre propos, monsieur le rapporteur, deux points essentiels, qui sont d'ailleurs ceux sur lesquels vous avez voulu insister : la carte judiciaire et le contentieux de masse.
Sur la carte judiciaire, bien entendu, je ne puis qu'approuver l'esprit et les termes de la proposition qui est placée en tête de votre rapport et qui vise à voir les besoins pris en compte pour la répartition des juridictions. Je suis d'autant plus sensible à cette proposition que le Sénat en général et la mission d'information en particulier se gardent - vous y avez tous insisté cet après-midi - d'une approche technocratique consistant à décider d'ouvrir ou de fermer des juridictions sur la base de critères purement mathématiques. Au contraire, vous préconisez - c'est votre proposition n° 3 - une approche prudente et réfléchie, qui est aussi la mienne.
Le Sénat mieux que toute autre institution sait en effet combien les considérations d'aménagement du territoire, de proximité géographique, de survie d'activités dans les zones rurales doivent être prises en compte dans un tel domaine.
A partir du moment où nous nous gardons de toute approche a priori, ma position sur ce sujet serait donc la suivante : comme certains l'ont rappelé cet après-midi, j'ai déjà dit que je ne voulais pas mettre en oeuvre les propositions du rapport Carrez visant à la suppression de cent juridictions, pour un profit extrêmement réduit sur le plan budgétaire, à savoir quelques petites dizaines de millions de francs par an.
Je crois donc qu'il faut envisager cette question non pas d'en haut, d'une manière mathématique, mais d'en bas, en fonction des besoins. C'est pourquoi, en accord avec mon collègue M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme d'Etat et de la décentralisation, j'ai l'intention de proposer à M. le Premier ministre de lancer une consultation nationale tendant à la définition consensuelle de cette carte judiciaire idéale que vous appelez de vos voeux, monsieur le rapporteur.
Lorsque cette étape de définition consensuelle par le bas aura été franchie, nous verrons, au fil des années, comment nous pourrons mettre en oeuvre la réforme.
Naturellement, s'agissant de l'implantation des juridictions, d'autres voies sont possibles, et nous avons commencé à les emprunter. En particulier, je pense utile d'explorer l'idée de juridiction de première instance unique, qui pourrait, dans certains cas, conserver plusieurs implantations, comme celles des actuels tribunaux de grande instance et d'instance, mais éventuellement spécialisées.
J'ai reçu, il y a quelques jours, l'association nationale des magistrats d'instance. Nous avons envisagé, à cet égard, un travail en commun avec spécialisation d'un certain nombre de tribunaux d'instance dans le même ressort. Il en résulterait une plus grande souplesse et une plus grande efficacité dans chaque juridiction. Cela va tout à fait dans le sens de la proposition n° 2 du rapport.
Par ailleurs, vous le savez, je fais étudier, comme vous le souhaitez, l'idée d'un guichet unique de greffe qui pourrait traiter l'ensemble des contentieux, même si les affaires ne sont pas jugées sur le lieu où se trouve physiquement implanté ce guichet unique.
Je viens, à cet égard, de créer un groupe de travail, présidé par le premier président de la cour d'appel d'Orléans, M. Casorla, à qui j'ai laissé le soin de me faire prochainement des propositions.
En tout cas, je veux dès à présent rappeler que je veille à ce que, par des créations nettes d'emplois ou par redéploiement, les effectifs de magistrats soient mis en harmonie avec les besoins.
En outre, comme le suggère le rapport, je fais également procéder à des expériences de télétravail, notamment au sein de la cour d'appel de Rouen ; cela correspond à la proposition n° 8.
J'ai par ailleurs adressé aujourd'hui même une circulaire, signée par le directeur des services judiciaires, aux chefs de cour concernant la mise en place des audiences foraines, conformément à la loi de programme.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. En ce qui concerne la proposition n° 36 du rapport, qui consiste, en fait, à réorganiser beaucoup plus profondément les tribunaux d'instance - dans l'esprit de M. Fauchon, que je sais amoureux des choses de la Grande-Bretagne, cela me paraît ressembler fort à ce que l'on appelle, de l'autre côté du Channel, les Magistrates'Courts -, je dirai que, bien entendu, dans l'idéal, si les Français étaient des Anglais, nous pourrions la faire nôtre. Mais, comme chacun sait, si les Français étaient des Anglais, il y a beaucoup de choses qui seraient différentes dans notre pays ! (Sourires.)
Trêve de plaisanterie, la juridiction de base me paraît être un élément de notre culture nationale judiciaire. C'est donc avec beaucoup de prudence qu'il faudra envisager une quelconque réforme.
J'ai dit tout à l'heure combien j'étais ouvert à l'idée d'un regroupement, d'un travail en commun des juridictions à la base.
Dans le même esprit, malgré bien des difficultés d'ordre juridique dont vous avez peut-être eu quelque écho, je suis en train de mettre en application les dispositions de la loi de programme concernant les magistrats à titre temporaire et les conseillers de cour d'appel en service extraordinaire. Douze postes ont d'ailleurs été budgétisés.
Le décret afférent est soumis au Conseil d'Etat. L'affaire est juridiquement très difficile. Nous aboutirons sans doute dans quelques semaines. Ainsi, tous ceux qui en ont parlé cet après-midi auront satisfaction.
J'y insiste, monsieur Fauchon, le travail en commun, la spécialisation des juridictions de base, c'est vraisemblablement l'une des voies qui peut permettre d'aboutir à ce que vous souhaitez, à savoir plus de proximité, des juridictions capables de régler l'essentiel du contentieux quotidien, si j'ose dire, mais, encore une fois, sans bouleverser nos structures. C'est en tout cas une voie sur laquelle il faut s'engager.
Terminant mon propos sur la carte judiciaire, je dirai à M. Balarello que, pour ce qui est de la cour d'appel de Nice, les choses sont très simples.
J'ai pris ce dossier au début de l'année, avec, bien entendu, toute la bonne foi nécessaire, car je connais le problème, je connais la revendication.
La situation de la cour d'appel d'Aix n'est pas bonne, je le sais. J'ai donc fait procéder à une étude approfondie, probablement la plus exhaustive. Réalisée par l'inspection générale des services judiciaires, elle a permis de voir et d'entendre tout le monde, et de mesurer de manière extrêmement précise les avantages et les inconvénients de chaque solution.
A la suite de cette inspection, vous l'avez dit vous-même, j'ai décidé de ne pas engager la création d'une cour d'appel à Nice. Mais j'ai également indiqué que, conformément à la loi, nous nous devions d'étudier d'autres manières de rapprocher la justice des justiciables des Alpes-Maritimes. A cette fin, mes services étudient actuellement comment et avec quels moyens nous pourrions mettre en place la formule des chambres détachées dans ce département.
Quant aux contentieux de masse, monsieur Fauchon - j'en ai déjà parlé, à propos de la carte judiciaire, pour les tribunaux d'instance - vous avez tout à fait raison de vouloir « pointer » ce problème, encore que des distinctions doivent être faites dans cette notion.
Ainsi, on ne peut pas assimiler contentieux de masse et longs délais. Bien des contentieux de masse se règlent très vite. Ce n'est pas pour autant que la question que vous posez - ne faut-il pas les traiter autrement ? - n'est pas pertinente.
Quand on parle des contentieux de masse, on a l'impression que c'est cela qui embouteille. En réalité, bien souvent, on le constate, les retards dans certaines cours d'appel ne résultent pas, sauf pour les chambres sociales, du contentieux de masse. Pourtant, il faut parfois attendre quatre ou cinq ans pour parvenir à l'arrêt en cour d'appel.
Si donc il convient de ne pas confondre contentieux de masse et longs délais, votre réflexion, monsieur Fauchon, demeure tout à fait pertinente.
C'est vrai, l'informatique est indiscutablement l'un des moyens de faire face à ces contentieux répétitifs que l'on trouve, par exemple, dans les tribunaux de police, et qui sont les types mêmes du contentieux de masse. De ce point de vue, nous avons beaucoup avancé.
Nous nous sommes engagés dans le développement de la conciliation et de la médiation sans d'ailleurs prendre de position doctrinale sur le point de savoir ce qui est préjudiciaire ou judiciaire et à quel niveau on doit ouvrir ou fermer la porte.
A cet égard, les nouveaux décrets portant application de la loi de 1995 ont été publiés en juillet dernier et très prochainement paraîtra le texte relatif au statut des conciliateurs. Par conséquent, nous avons d'ores et déjà considérablement élargi le champ de la conciliation et de la médiation. Cette dernière sera désormais possible alors même que le juge est saisi. La principale application se fera en matière de juridiction des loyers, qui est typiquement un contentieux de masse, vous l'avez dit, monsieur Fauchon.
En ce qui concerne la procédure civile, je rappelle que, d'ici à quelques semaines, le président Jean-Marie Coulon, qui vient d'être nommé président du tribunal de grande instance de Paris, me remettra son rapport et que 1997 sera l'année d'une réforme, pour l'essentiel réglementaire, que je souhaite importante.
Cette réforme, je la mènerai, naturellement, en concertation avec tous les intéressés - magistrats, auxiliaires de justice, fonctionnaires - mais, bien qu'il s'agisse de textes de nature réglementaire, je consulterai également les parlementaires les plus compétents et les plus intéressés, car il m'apparaît qu'ils ont leur mot à dire.
Si c'est au niveau des cours d'appel que l'on trouve aujourd'hui le goulet d'étranglement le plus inquiétant, notre souci ne doit pas être seulement celui de la longueur des délais, de l'encombrement de la juridiction. Nous devons avant tout maintenir à ce second degré de juridiction, qui peut, pour l'essentiel, être le degré définitif, une qualité juridique et donc refuser ce que j'appellerai un traitement trop industriel des contentieux. D'où le nécessaire recours aux réformes de procédure, à l'augmentation des moyens, mais aussi - plusieurs d'entre nous l'ont évoqué - au recentrage de la justice sur l'essentiel de ses missions.
Il ne saurait être question, sous prétexte que la demande de justice est trop forte pour les moyens de la justice, de réduire cette demande de justice. Ce serait d'ailleurs socialement, je dirai même sociologiquement, tout à fait impossible. Simplement, il faut convenir que, depuis trente ans, la justice s'est mise à faire, à la demande d'ailleurs des gouvernements et du législateur, beaucoup de choses, beaucoup trop de choses, qui, à mon avis, ne relèvent pas de sa compétence.
J'ai confié d'abord, voilà quelques mois, à Alain Lancelot, avant qu'il soit nommé au Conseil constitutionnel, et, aujourd'hui, au professeur Jean-Claude Casanova la mission d'établir un rapport visant à mieux délimiter, dans une société comme la nôtre, le périmètre du droit, le périmètre de la justice et le périmètre du juge, car chacun sait que la justice a, outre des tâches juridictionnelles, des tâches de nature administrative. Ce rapport, qui me sera remis au début de l'année prochaine, donnera lieu ensuite, bien évidemment, à débat public.
Voilà les observations que je voulais faire sur la carte judiciaire et le contentieux de masse.
Vous le voyez, monsieur Fauchon, mes réponses comme mon action se rapprochent beaucoup, dans leur esprit, et de votre intervention et du travail de la mission que vous avez rapporté.
Je veux remercier M. Laurin du soutien qu'il apporte à l'action de modernisation que je viens de décrire, mais aussi de ses propos sur la stabilité des relations entre la police judiciaire et le ministère de la justice.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire, ce n'est pas, à mon sens, au travers d'une réforme administrative que l'on pourra régler les problèmes. Il s'agit bien souvent de problèmes de vie quotidienne qui relèvent des relations entre les hommes, et il est tout à fait clair qu'aucune loi, qu'aucun décret n'y pourra rien changer.
Quant aux problèmes qui relèvent du code de procédure pénale - j'ai déjà eu l'occasion de le dire également - je dirai que le code de procédure pénale est fait pour être appliqué par tous ceux qui y sont soumis.
Monsieur Bonnet, vous vous êtes inquiété de ce que j'appellerai la paupérisation des fonctions régaliennes de l'Etat. Vous avez parfaitement montré que, en matière de justice, c'est devenu une sorte de tradition nationale.
Quels que soient les chiffres que vous avez cités, notamment ceux qui témoignent de la disproportion entre les concours de l'Etat aux entreprises publiques et le budget de la justice, il faut tout de même reconnaître que, depuis quelques années - en gros, 1993 - un effort a été fait. En témoignent le programme pluriannuel de M. Méhaignerie, la loi de finances pour 1996, mais aussi celle pour 1997, à propos de laquelle vous avez bien voulu noter que la justice était dans une situation moins défavorisée que les autres administrations publiques du fait des restrictions budgétaires.
Si mon département ministériel doit, en effet, prendre sa part dans la politique d'assainissement des finances publiques, l'idée de M. le Président de la République et de M. le Premier ministre est bien d'assurer, au fil des années, aux fonctions régaliennes que vous avez justement décrites les ressources qui leur sont nécessaires.
D'ailleurs, toute la politique que nous menons, et qui consiste notamment à privatiser un certain nombre d'entreprises publiques, a précisément pour objet - M. le rapporteur général l'a dit dans son intervention - de faire en sorte que l'Etat puisse consacrer ses moyens et ses forces, c'est-à-dire nos impôts et les ressources qu'il tire de l'activité économique, à ce qui est le coeur de ses missions, et non pas à des activités que d'autres peuvent exercer de manière bien plus rentable que lui...
M. Christian Bonnet. Exactement !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... et qu'en tout cas le citoyen français moyen ne lui demande pas d'abord d'exercer. De ce point de vue, je fais miens les propos qu'ont tenus MM. Jacques Larché, Christian Bonnet et Alain Lambert.
Je remercie M. Charles Jolibois d'avoir rappelé la méthode qui a présidé aux travaux de cette mission. Elle est excellente, en tout cas à en juger par le résultat, tout comme est excellent l'esprit dans lequel la mission a oeuvré. Je le sais pour avoir moi-même été entendu par elle. Je le remercie également d'avoir, à l'occasion de ce débat, apporté une nouvelle fois son soutien précieux à la politique du Gouvernement.
Je crois, monsieur Bonnet, que ce travail peut jouer comme un levier pour que les efforts engagés par M. le Président de la République et par le Gouvernement soient encore davantage accompagnés aussi bien par la représentation nationale que par l'opinion publique qui, comme vous le savez par ailleurs, se pose beaucoup de questions sur la justice.
Monsieur Lambert, vous avez peut-être fait preuve d'un scepticisme excessif quand vous avez relevé une sorte d'impossibilité qu'il y aurait à augmenter le budget de la justice. Je pense, moi, que nous pouvons parfaitement, dans les années qui viennent, à force de volonté, y parvenir. Je citerai deux exemples.
Si l'on totalise les sommes inscrites aux budgets de 1995 et de 1996 ainsi que dans le projet de loi de finances pour 1997, ce sont 2,6 milliards de francs de plus qui sont mis à la disposition de la justice. Par les temps qui courent, 2,6 milliards de francs, ce n'est pas peu, même si ce n'est pas, comme certains l'ont souligné, à l'échelle des contributions qui sont apportées pour recapitaliser telle ou telle entreprise publique, c'est vrai. Mais, tout de même, 2 600 millions de francs de plus entre le début de l'année 1995 et 1997...
De même, monsieur le rapporteur général, et vous y serez sensible, malgré la régulation budgétaire de 1996 qui a frappé l'ensemble des administrations - il le fallait bien, pour tenir les objectifs du budget en regard, notamment, de notre déficit budgétaire - nous avons été traités favorablement par le Gouvernement. Ainsi, alors que le taux de gel est généralement de 15 % sur les dépenses de fonctionnement, nous avons réussi à obtenir du Premier ministre qu'il ne soit, pour ce qui nous concerne, que de 10 %. De la même façon, sur les dépenses d'équipement, nous avons réussi à faire passer le taux de gel ou d'annulation, en général de 25 %, à 3 % pour les crédits de paiement et à 8 % pour les autorisations de programme.
Ainsi, dans un cadre très contraignant - ce n'est pas M. le rapporteur général qui me contredira - nous pouvons concrètement faire triompher la volonté politique au service de la justice.
Monsieur Haenel, j'ai bien noté vos remarques inspirées, notamment, par les travaux de la fameuse mission que vous avez menée voilà quelques années au côté de M. Arthuis.
En ce qui concerne le pénal, le traitement en temps réel comme la troisième voie, c'est-à-dire les alternatives, sont vraiment aujourd'hui bien plus que des expériences. A l'heure actuelle, dans la quasi-totalité des juridictions, elles sont des pratiques courantes, sinon générales. D'ailleurs, j'ai déjà par deux fois donné des instructions aux procureurs généraux pour que la gestion en temps réel des affaires pénales soit généralisée. C'est ce qui se fait désormais.
Je voudrais rassurer, si je le puis, M. Authié, l'orateur du groupe socialiste. Le taux de classement sans suite des procédures pénales reçu par les parquets, comme vous l'avez tous souligné, est important et le sujet méritera, il est vrai, examen. Cela étant, il ne faudrait pas donner à ce taux une signification qu'il n'a pas. La majorité des classements concerne, en effet, des infractions dont les auteurs n'ont pas pu être identifiés par les services de police ou de gendarmerie ; un certain nombre d'autres classements concernent des faits qui ne sont pas apparus constitutifs d'une infraction. Je rappelle que tout fait considéré par une victime comme une infraction ne l'est pas nécessairement car, dans le silence du code pénal ou des différents textes qui prévoient des incriminations, on ne peut pas, à propos de tel ou tel fait et pour les besoins de la cause, inventer une infraction susceptible de s'y appliquer. Voilà comment s'explique l'essentiel des classements.
Le taux de classement ne reflète donc pas, comme on a trop tendance à le dire, le seul exercice par le parquet de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité des poursuites. La statistique tendrait à faire croire que, dans 85 % des cas, le parquet décide de ne pas poursuivre. Cela ne correspond pas du tout à la réalité.
Autre exemple, ces classements sans suite « auteur connu », qui étaient très majoritaires il y a quelques années, sont aujourd'hui descendus à un niveau beaucoup plus faible. Pourquoi ? Tout simplement parce que les alternatives aux poursuites, ce que l'on appelle la troisième voie, ont explosé, puisqu'elles ont augmenté de 114 % entre 1992 et 1995. C'est donc bien qu'en réalité il y a une réponse judiciaire. Il est vrai que cette réponse judiciaire n'est pas toujours la poursuite pénale. Nous aurons, d'ailleurs, l'occasion de travailler sur le sujet.
Au surplus, que signifient les statistiques ? M. Authié a beaucoup insisté sur cet aspect du problème, mais je crois qu'il convient d'être plus nuancé et plus près de la réalité des choses. Bien sûr, le taux de classement est encore trop élevé, mais la situation n'est pas en voie de dégradation. Depuis trois ou quatre ans, la justice, singulièrement les parquets eux-mêmes, répondent mieux, plus vite et davantage à la délinquance, en particulier à la petite délinquance. Le texte que vous avez voté concernant le droit pénal des mineurs, et qui est entré en application au mois de septembre, sera de nature, dans ce domaine si particulier et si important, à nous donner des résultats plus satisfaisants.
Je précise que le projet de statut que je suis en train de préparer, actuellement soumis aux organisations de magistrats, prévoira, comme M. Authié le souhaite, une meilleure mobilité géographique des magistrats.
Monsieur le rapporteur général, puisque vous m'avez posé directement la question, j'aurai l'occasion dans quelques semaines de déposer sur le bureau du Parlement le rapport d'application du programme prévisionnel pour la justice. Vous verrez que ce rapport aboutit grosso modo à une exécution sur 1995-1996 tout à fait satisfaisante. Naturellement, nous allons poursuivre dans le même sens, étant entendu que, en application du plan de réduction des dépenses budgétaires décidé par le Gouvernement, le programme prévisionnel pour la justice, comme le programme militaire, le programme de la police ou du patrimoine et d'autres, est étalé sur une année de plus. C'est là notre contribution à l'effort d'assainissement des finances publiques, qui est indispensable si l'on veut que notre économie reparte sur de bonnes bases.
Nous aurons donc l'occasion, d'ici à quelques semaines, de le vérifier mais, je vous le dis par avance, la situation est assez satisfaisante. Il nous faudra maintenant nous battre pour que, dans la suite de l'application du programme prévisionnel pour la justice, elle le reste.
Madame Borvo, ne le prenez pas en mauvaise part, mais j'ai été un peu étonné du ton assez polémique de vos propos, alors que j'avais précisément constaté cet après-midi que, sur toutes les travées, il y avait eu convergence de vues tant sur l'analyse que sur les propositions.
Je passe sur la forme que vous avez voulu donner à votre intervention. Sur le fond, je ne vois aucune mesure, ou alors je voudrais que vous m'en donniez des exemples, qui, contrairement à ce que vous avez affirmé, limite l'accès des justiciables à la justice. Bien au contraire ! Je vous assure d'ailleurs que, si la demande de justice était entravée dans son expression, cela se saurait. Je me permets donc de mettre les choses au point, puisqu'une bonne partie de votre propos était consacrée à ce thème.
Je me tourne enfin vers M. Jacques Larché. Il est vrai que, dans le rapport ou au cours du débat, certaines juridictions, pourtant fort importantes, n'ont pas été évoquées ; je veux parler des juridictions non professionnelles que sont les tribunaux de commerce, les conseils de prud'hommes - Dieu sait s'ils jouent un rôle important - et les tribunaux paritaires des baux ruraux. M. Jolibois s'en est expliqué, la mission s'est intéressée aux seules juridictions judiciaires et non pas aux juridictions administratives. Par ailleurs, elle ne s'est pas penchée sur les autres missions de la justice, qu'il s'agisse de la protection judiciaire de la jeunesse, qui a fait l'objet d'un rapport de M. Rufin, ou de l'administration pénitentiaire. Au sein des juridictions judiciaires, on ne s'est préoccupé que des juridictions professionnelles. Il y a donc encore de beaux jours pour les missions du Sénat ! (Sourires.)
La justice, pour nos concitoyens ou pour les entreprises, c'est aussi, outre les tribunaux de droit commun composés de magistrats professionnels, tout un monde de juridictions dans lesquelles siègent des magistrats non professionnels, qui ont beaucoup de mérite de le faire et qui rendent une justice dont la qualité, à mon avis, n'est pas toujours reconnue comme elle devrait l'être.
J'ai donc apprécié les propos qu'a tenus M. Jacques Larché et j'ai particulièrement approuvé la fin de son intervention : j'aimerais, en effet, être jugé sur mon bilan. Il faudra voir, en effet, si la justice fonctionne mieux quand je quitterai mes fonctions qu'elle ne fonctionnait lorsque je les ai prises. Monsieur Larché, c'est exactement mon propos. Je ne cesse d'ailleurs de le répéter. Demain, par exemple, je visiterai la cour d'appel de Metz ; aux magistrats et aux fonctionnaires réunis, je dirai précisément que, quelle que soit la médiatisation dont font l'objet tous les autres dossiers, qui sont les seuls dont on parle, c'est celui dont on ne parle pas, c'est-à-dire le fonctionnement interne des juridictions, sujet qui concerne des millions de justiciables trois cent soixante-cinq jours par an, qui constitue pour moi la priorité en matière de justice.
Je vous l'ai d'ailleurs dit quand je suis venu devant les membres de la mission, il y a quelques semaines, le plan de modernisation que je vous ai remis est, pour moi, plus important que beaucoup de grands textes, de grandes réformes ou de questions qui font la première ou la dernière page des journaux, du soir ou du matin. Je remercie donc M. Larché de m'avoir soutenu dans ce sens et, au-delà, je remercie le Sénat d'être, comme moi, attaché à cette priorité.
Cependant, pour ce qui est de la justice en particulier et du droit en général, il est des progrès qui n'ont pas de prix et dont il ne faut pas mesurer le coût, je veux parler des droits de l'homme et des libertés individuelles.
C'est la raison pour laquelle, tout en m'attachant, en priorité, au fonctionnement de la justice, j'ai voulu engager la réforme de la procédure criminelle. A cet égard, la création du deuxième degré de juridiction en matière criminelle me paraît être, en cette fin du xxe siècle, soit deux cent six ans après la création des cours d'assises, un progrès indispensable tant pour la justice de notre pays que pour sa dignité. J'ai fait adopter ce texte par le conseil des ministres ; il sera examiné par le Parlement au début de l'année prochaine, d'abord par l'Assemblée nationale, à condition qu'il soit accompagné d'un engagement formel de M. le Premier ministre d'inscrire au budget de 1998, puisque la réforme entrerait en vigueur à partir du 1er octobre 1998, outre les sommes indispensables au fonctionnement des juridictions, les crédits nécessaires pour la mise en oeuvre de cette réforme en termes de magistrats, de fonctionnaires, de locaux, de salles d'audiences et d'aménagements divers.
En tout cas, ma conception - par là, je rejoins d'ailleurs bien des orateurs qui se sont exprimés cet après-midi - est que nous ne devons pas nous lancer dans une réforme sans avoir les moyens de la mettre en oeuvre. Toutefois, sur certains sujets qui sont essentiels, au sens propre du mot, nous devons pouvoir en même temps mener une action visant à l'amélioration du fonctionnement de la justice et marquer quelques points décisifs en faveur de l'Etat de droit, de la garantie des libertés individuelles et des droits de l'homme.
Avant de terminer, je vous prierai, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir excuser la longueur de ma réponse. Nous pourrions parler encore bien plus longuement de tels sujets. J'ai tenté de répondre de la manière la plus exhaustive possible à chacun d'entre vous.
En fait, nous faisons exactement le même constat et, à peu de choses près, nous en tirons la même analyse. Les solutions que vous proposez, mesdames, messieurs les sénateurs, sont très proches de celles qui sont déjà mises en oeuvre à travers le programme prévisionnel de la justice ou qui le seront à travers le plan de modernisation que j'ai lancé au mois de juin dernier.
Il s'agit maintenant, après ce même constat, cette même analyse, ces mêmes propositions, d'avoir la même volonté de faire entrer ces dernières dans la réalité. Je crois que nous avons les uns et les autres cette volonté.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous dire dès maintenant ma reconnaissance pour le travail qui a été accompli et pour le soutien que le Sénat a apporté en tout temps à l'institution judidiciaire.
Je terminerai par un voeu : que, grâce à vous et à nous tous, le budget de la justice, dans cinq ans, dépasse 2 % du budget de l'Etat. Je pense que nous pouvons y parvenir. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je constate que le débat est clos.

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DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le président. M. le président a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 7 novembre 1996, le texte d'une décision rendue par le Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi relative à l'information et à la consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire, ainsi qu'au développement de la négociation collective.
Acte est donné de cette communication.
Cette décision du Conseil constitutionnel sera publiée au Journal officiel, édition des lois et décrets.

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DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. Edouard Le Jeune une proposition de loi tendant à revaloriser les retraites agricoles.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 69, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Serge Mathieu une proposition de loi relative aux animaux de race canine susceptibles de présenter un danger pour les personnes.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 70, distribuée et renvoyée à la commission des lois, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

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DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION

M. le président. J'ai reçu de M. Xavier de Villepin une proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de la Commission en vue d'un règlement du Conseil relatif au renforcement de la surveillance et de la coordination des situations budgétaires, sur la proposition de règlement (CE) du Conseil visant à accélérer et clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs (n° E 719) et sur les propositions de règlements du Conseil sur l'introduction de l'EURO (art. 109-1 [4°] CE) et sur certaines dispositions y afférentes (art. 235 CE) (n° E 720).
La proposition de résolution sera imprimée sous le numéro 71, distribuée et renvoyée à la commission des finances, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

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DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- lettre rectificative n° 2 à l'avant-projet de budget pour 1997 (section III. - Commission).
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E 724 et distribuée.

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ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 12 novembre 1996 :
A neuf heures trente :
1. Questions orales sans débat suivantes :
I. - M. Nicolas About attire l'attention de M. le ministre du travail et des affaires sociales sur l'absence de liberté de choix en matière de mutuelles pour les titulaires de contrats à durée déterminée.
Il lui demande s'il trouve tolérable qu'un demandeur d'emploi, postulant pour un contrat à durée déterminée, soit contraint de prendre la mutuelle que lui impose son futur employeur sous peine de perdre son emploi. Peut-on accepter que la liberté de choix en matière de protection sociale complémentaire soit refusée aux salariés, sous prétexte qu'ils ont eu la malchance de se retrouver un jour au chômage et qu'ils sont prêts à tout accepter pour en sortir ?
Cette absence de liberté de choix en matière de mutuelles crée pourtant des situations absurdes. Une femme qui voudrait bénéficier de la mutuelle plus avantageuse de son mari doit pourtant y renoncer si elle veut conserver son emploi. Plus grave, une personne malade suivant un traitement médical lourd qui ne peut souffrir aucune interruption hésitera avant de changer de mutuelle pour 3 ou 6 mois, d'autant plus qu'elle risque d'être victime, sur le plan financier, des délais de carence propres à certaines sociétés mutualistes dans les premiers mois de son adhésion. La solution choisie par ces demandeurs d'emploi n'est pas forcément celle que l'on croit. Pour 3 ou 6 mois, ils préfèrent payer deux mutuelles, l'ancienne et la nouvelle, pour être sûrs d'être convenablement indemnisés. Cela, bien souvent au risque de voir leurs ressources diminuer gravement, pour des emplois déjà peu rémunérateurs et non durables.
Il lui demande par conséquent quelles mesures il entend prendre pour garantir aux titulaires de CDD une véritable liberté de choix en matière de protection sociale complémentaire. Il lui demande surtout quand sera mis fin à cet inacceptable chantage à l'emploi auquel se livrent certains employeurs peu scrupuleux, qui profitent de la situation dégradée de l'emploi que connaît aujourd'hui notre pays pour obtenir de leurs salariés ce qu'ils sont bien obligés d'accepter. (N° 440.)
II. - M. André Rouvière attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale sur les demandes de travail à temps partiel souhaitées par un directeur de maison de retraite d'un établissement public. En effet, lors de l'embauche du directeur de l'établissement, l'avis du président du conseil d'administration est sollicité. Or, lorsqu'un directeur dépose une demande de travail à temps partiel, celle-ci lui est accordée ou refusée sans que le président du conseil d'administration ait pu émettre un avis.
Il lui demande comment on peut concilier cette démarche avec la responsabilité qui incombe au président du conseil d'administration et s'il ne serait pas possible que la réglementation précise que l'avis du président est obligatoire. (N° 448.)
III. - M. André Rouvière appelle l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur les événements tragiques qui se sont déroulés à Chypre au mois d'août.
Le 11 août, un jeune Chypriote grec âgé de vingt-quatre ans qui participait à une manifestation pacifique sur la ligne de démarcation qui divise l'île en deux depuis l'invasion turque de 1974 a été battu à mort par des contre-manifestants envoyés par les autorités qui occupent la partie nord de l'île et n'ont jamais été reconnues par la communauté internationale.
Selon un rapport des forces armées de l'ONU en poste à Chypre, ont été repérés dans cette contre-manifestation à la fois des membres d'une organisation extrémiste turque terroriste se faisant appeler « les Loups gris » ainsi que des policiers d'origine turque.
Le 14 août, alors que l'émotion était à son comble, le cousin du défunt, après les funérailles, s'est rendu sans arme sur les lieux du drame et a tenté symboliquement de grimper sur un mât qui portait le drapeau turc. Il a été alors abattu froidement et sans sommation par les policiers et les soldats turcs devant les caméras de télévision du monde entier. Douze autres personnes ont été blessées dont une femme de cinquante ans et deux soldats membres des forces de l'ONU.
Il ressort clairement des images télévisées que la réaction des troupes d'occupation turque a été disproportionnée face à la nature pacifique et démocratique de la manifestation chypriote grecque.
Il apparaît essentiel que la France, patrie des droits de l'homme, condamne avec la plus grande énergie ces actions violentes qui désespèrent la population d'une île victime depuis plus de vingt-deux ans de l'occupation illégale de 40 % de son territoire par les armées d'une puissance étrangère.
En outre, notre pays, comme les Etats-Unis, devrait appuyer toute démarche pour que les coupables de ces meurtres soient poursuivis et rendent compte de leurs actes devant la justice.
Quelle est la position du Gouvernement français et quelles initiatives pense-t-il proposer ou prendre ? (N° 449.)
IV. - Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre du travail et des affaires sociales sur l'application de la convention relative aux droits de l'enfant, adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU, le 20 novembre 1989, et ratifiée par 180 Etats, dont la France.
Elle lui rappelle que chaque Etat signataire s'est engagé à publier annuellement un plan national d'action en faveur des droits de l'enfant.
Elle lui demande de lui faire connaître les résultats obtenus par chaque plan depuis 1990 et les termes et objectifs de celui de 1996, toujours en attente de publication. (N° 469.)
V. - M. Gérard Delfau souhaite interroger M. le ministre délégué au logement sur la dégradation dramatique que connaît, en cette rentrée, l'activité du BTP, de même d'ailleurs que celle des grands travaux d'infrastructures de communication. La chute confirmée des mises en chantier de logements neufs s'accompagne d'une baisse des réhabilitations du patrimoine bâti ancien. Les causes en sont multiples mais la hausse de la TVA et des prélèvements sur les ménages explique largement ce climat de récession.
Or, le projet de loi de finances pour 1997 aggrave cette perspective. Il faut craindre que les dépôts de bilan ne se multiplient et que l'emploi, dont ce secteur est si riche, ne continue à se détériorer brutalement.
C'est pourquoi il voudrait savoir quelles mesures immédiates il compte prendre pour redresser cette situation avant qu'il ne soit trop tard pour des dizaines de milliers de PME et d'artisans. (N° 470.)
VI. - M. Henri Weber attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation sur le problème qu'entraîne, pour les professionnels de la mer et les associations de consommateurs, l'arrêté accordant l'appellation de « coquille Saint-Jacques » aux pétoncles, sous prétexte qu'il s'agit de coquillages de même famille.
Cet arrêté porte un grave préjudice aux pêcheurs hauts-normands qui traitent près de la moitié des coquilles Saint-Jacques produites en France. Le pétoncle, en effet, n'a ni la saveur ni les qualités nutritives de la coquille Saint-Jacques et son prix de revient est deux à trois fois inférieur à cette dernière. Mis sur le marché sous l'appellation « Saint-Jacques », il porterait une concurrence d'autant plus meurtrière à la coquille Saint-Jacques authentique qu'il constitue pour nombre de pays, notamment asiatiques, un article abondant d'exportation.
En conséquence, il lui demande de lui indiquer ce qu'il compte faire pour protéger nos entreprises de pêche et nos consommateurs de cette confusion et de cette concurrence déloyale. (N° 472.)
VII. - M. Georges Mouly attire l'attention de M. le ministre du travail et des affaires sociales sur trois problèmes relatifs à la situation des travailleurs handicapés :
- l'allégement des charges sociales dans le cas où le travailleur handicapé est employé dans le secteur public ;
- la retraite anticipée des personnes handicapées prévue dans le secteur public et non dans le secteur privé ;
- la nécessité de l'internat en cas de création de places de CAT (Centres d'aide par le travail) et par là même le problème des handicapés en maison de retraite après leur sortie de travail. (N° 473.)
VIII. - Mme Gisèle Printz rappelle à M. le ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications la gravité de la situation résultant de l'arrêt de pompage des eaux d'exhaures par la société Lormines.
Il est, en particulier, à souligner la lourde responsabilité de l'Etat qui a autorisé par arrêté l'abandon des mines de la société Lormines sans imposer un bilan hydrologique. Or, dans une affaire similaire, le tribunal administratif de Lille (25 avril 1996) a tranché contre l'Etat en refusant la procédure d'arrêt définitif des travaux de la concession d'Aniche (Nord.)
Dans ces conditions, CODELOR - comité de défense des intérêts des collectivités et des populations des bassins sidérurgiques et ferrifère de Lorraine-Nord - a engagé, d'une part, une procédure administrative contre l'Etat pour faire annuler l'arrêté d'abandon et, d'autre part, une procédure civile contre Lormines pour obtenir réparation financière des dommages subis, évalués à 36 millions de francs.
Alors qu'un nouveau préfet de région vient d'être nommé en Lorraine, il est demandé à l'Etat de reconsidérer sa position et d'imposer à Lormines le respect des dispositions de la loi sur l'eau n° 92-3 du 3 janvier 1992, ainsi que de contraindre la société ARBED à poursuivre l'exhaure après la cessation de ses activités prévue en 1997. Ainsi, les populations ne seront pas une fois de plus pénalisées, elles qui ont déjà payé un lourd tribut aux restructurations minières et sidérurgiques. (N° 474.)
IX. - M. Philippe Richert appelle l'attention de M. le ministre du travail et des affaires sociales sur les problèmes transfrontaliers pouvant apparaître dans les domaines sanitaire et social.
Les législations et modalités en matière de reconnaissance sont en effet encore très différentes d'un pays à l'autre. Cela n'est pas sans poser certaines difficultés aux travailleurs frontaliers qui dépendent de deux systèmes de couverture sociale, celui du pays dans lequel ils exercent une activité professionnelle et celui du pays dans lequel ils résident de manière permanente.
Ces disparités concernent de nombreux domaines, qu'il s'agisse de l'incapacité de travail, du handicap, de l'assurance-dépendance, du remboursement des prestations ou encore de l'achat de médicaments.
Il souhaiterait connaître la position de M. le ministre face aux difficultés pouvant résulter d'une telle situation et les suites qu'il entend y réserver. (N° 476.)
X. - M. Guy Allouche souhaite obtenir de la part de M. le ministre délégué au logement une réponse à la question écrite qu'il lui a posée, le 27 juin 1996, relative au non-respect par la SA HLM Carpi, filiale du groupe Maisons familiales, de la réglementation issue du concours du Comité national des bâtisseurs sociaux - CNBS - élaborée en 1975 et dérogatoire à la réglementation HLM en matière de logements acquis en accession à la propriété.
Compte tenu du caractère extrêmement délicat de ce dossier, il s'étonne qu'aucune réponse ne lui ait été fournie depuis lors.
La réponse qui a été apportée, lors de la séance, à l'Assemblée, des questions orales sans débat du 8 octobre dernier, à l'un de ses collègues député, sur le même sujet ne répond pas aux problèmes posés. En effet, aucune explication n'a été apportée sur le fait de savoir pourquoi l'administration affirme aux accédants qu'elle ne possède pas les fiches d'agrément indiquant les caractéristiques techniques et le prix de leurs logements. Cette absence de ces documents est grave, car les acquéreurs ne peuvent constater par eux-mêmes la réalité des affirmations du ministère du logement quant au respect du concours CNBS par la SA HLM Carpi.
Il s'étonne que l'administration puisse affirmer que tous les éléments démontrent le respect par la SA HLM Carpi de la réduction de prix imposée par ce concours, alors qu'elle déclare dans le même temps aux accédants ne pas être en possession des fiches d'agrément de leurs logements. Dès lors qu'il est établi que ces documents ont été adressés par les ministères du logement et de l'environnement aux directions départementales de l'équipement concernées pour procéder au contrôle effectif de l'application du concours CNBS par la société Carpi et que ces pièces semblent désormais introuvables, il revient à M. le ministre délégué au logement de justifier précisément des documents lui permettant d'attester de la pertinence des contrôles effectués.
Il lui demande donc :
- de lui assurer que sera mise à sa disposition dans les délais les plus brefs la circulaire n° 77-162 du 8 novembre 1977, dont il ne dispose pas, celle-ci n'ayant pas été publiée au Journal officiel ;
- de lui assurer que ses services remettront immédiatement et sans condition, aux accédants qui en feront la demande dans les prochaines semaines, les fiches d'agrément de leurs logements « Alezan », « Futaies » et « Notos » afin qu'ils puissent vérifier par eux-mêmes la violation ou le respect par la SA HLM Carpi du concours CNBS ;
- dans le cas où ces documents ne seraient plus en possession de l'administration, de lui expliquer les raisons de la disparition de ces pièces et de justifier alors précisément de la nature des documents lui permettant d'affirmer que la SA HLM Carpi a effectivement respecté la réglementation dérogatoire du concours CNBS. (N° 478.)
XI. - M. Germain Authié attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation sur la tutelle financière des agences de l'eau sur les conseils généraux.
Afin de réaliser des économies sur le budget du Fonds national de développement des adductions d'eau - FNDAE - le Gouvernement envisagerait, dans le cadre de la loi de finances pour 1997, de retirer le financement provenant actuellement du PMU, ce qui aurait pour conséquence de priver la FNDAE d'un peu plus de la moitié de ses ressources. Il serait par ailleurs prévu, à titre de compensation, que chaque agence de l'eau augmente la part de financement qu'elle attribue au monde rural.
Même si on peut comprendre que la principale priorité actuelle du Gouvernement soit de réduire le train de vie de l'Etat, les mesures concernant le financement de la distribution de l'eau potable et de l'assainissement dans des communes rurales sont surprenantes à plusieurs égards. (N° 479.)
XII. - Mme Nicole Borvo attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur la situation des maîtres auxiliaires.
Alors que les classes sont surchargées, que l'enseignement va en se détériorant, on oblige les titulaires à faire des heures supplémentaires et on licencie sans préavis avec toutes les conséquences économiques et humaines que l'on peut imaginer, des non-titulaires exploités pendant plusieurs années comme bouche-trous.
Pour toutes ces raisons, elle lui demande ce qu'il compte faire pour transformer un tiers des 800 000 heures supplémentaires en emplois stables et qualifiés, garantissant ainsi le réemploi immédiat des maîtres auxiliaires et à terme leur titularisation, ainsi qu'une création de postes en nombre suffisant pour pourvoir aux besoins croissants de l'éducation nationale. (N° 480.)
XIII. - M. André Vallet attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur le statut des équipements sportifs à usage des publics scolaires - collèges ou lycées - et notamment sur la prise en charge financière des équipements sportifs appartenant aux communes.
L'éducation physique et sportive est une discipline d'enseignement à part entière, nécessitant à ce titre des installations adaptées, mais la prise en charge, la gestion et le financement de ces équipements restent très inégalitaires.
En effet, quand cet enseignement est dispensé par des collèges ou des lycées - relevant des régions ou des départements - sur des installations communales, le coût de l'entretien, des réparations et des aménagements des équipements sportifs est aujourd'hui entièrement supporté par les communes, alors que leur utilisation est partagée. Cependant, en dépit de la circulaire de mars 1992 qui invite au conventionnellement entre les collectivités territoriales, et en dépit d'un arrêt du Conseil d'Etat du 10 janvier 1994 qui précise que départements et régions doivent participer au fonctionnement des équipements sportifs, beaucoup de communes, largement dépendantes des subventions des régions et départements, hésitent à réclamer cette participation.
Une intervention du législateur serait sans doute de nature à apporter une salutaire clarification quant à la gestion des équipements sportifs, notamment pour les communes qui en ont la charge, ainsi que pour les institutions qui participent à leur financement.
Il lui demande quelles mesures le Gouvernement envisage de prendre afin de préciser les devoirs de chacune des collectivités concernées par l'utilisation des équipements sportifs appartenant aux communes. (N° 481.)
XIV. - M. Charles Descours attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme sur le problème que rencontrent les maires ruraux quant à la réglementation en vigueur sur l'utilisation des salles polyvalentes pour des activités de restauration.
Aujourd'hui, une circulaire impose aux maires de mettre en place un questionnaire type à faire remplir et signer aux utilisateurs de salles polyvalentes. Les maires doivent également transmettre ces questionnaires, après les avoir contrôlés, aux administrations concernées.
Ce questionnaire, visant à faire respecter les règles de sécurité et d'hygiène et à lutter contre le travail clandestin et le para-commercialisme dans le domaine du tourisme, provoque des réactions diverses chez les élus ruraux.
En effet, si ces derniers reconnaissent le bien-fondé des buts recherchés par cette nouvelle réglementation, les maires ne veulent pas s'ériger en contrôleurs et en censeurs des utilisateurs des salles polyvalentes, qui sont en général des responsables d'associations locales. Ces associations ont de plus en plus de difficultés à subsister et elles supportent mal les contrôles qui leur sont trop souvent imposés, si ce n'est en matière de sécurité.
Les maires estiment qu'il n'appartient pas à eux d'effectuer ce type de contrôle et encore moins d'établir un registre spécial des bénévoles.
Ils estiment que c'est aux administrations concernées d'exercer ces contrôles que les élus locaux n'ont pas, surtout en milieu rural, les moyens d'exercer.
Il lui demande donc en conséquence de bien vouloir l'informer des mesures qui pourraient être prises par le Gouvernement pour assouplir cette nouvelle charge de travail accomplie par les maires. (N° 482.)
XV. - M. Philippe Madrelle appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur le caractère injuste et absurde de la méthode de sélection mise en place par le département du sport de l'université Bordeaux-II. Devant le très grand nombre d'étudiants souhaitant s'inscrire en première année de STAPS - Sciences techniques et activités physiques et sportives - l'université a procédé au recrutement par Minitel. Ce n'est pas le meilleur test d'aptitude à la filière sportive ! 235 étudiants bacheliers ont été inscrits l'an dernier à Bordeaux-II : 350 viennent d'être accueillis dans le hall de l'université faute de locaux.
Face au succès de cette filière sportive et au non-sens du système de sélection choisi, il lui demande de bien vouloir lui préciser les mesures qu'il compte prendre afin d'assurer une formation correcte et des débouchés professionnels aux étudiants concernés. (N° 483.)
A seize heures et le soir :
2. Discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, adopté par l'Assemblée nationale (n° 61, 1996-1997).
Rapport (n° 66, 1996-1997) de MM. Charles Descours, Jacques Machet et Alain Vasselle, fait au nom de la commission des affaires sociales.
Avis (n° 68, 1996-1997) de M. Jacques Oudin, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 12 novembre 1996, à onze heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 12 novembre 1996, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures cinquante.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





NOMINATION DE RAPPORTEURS

COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL, DU RÈGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
François Blaizot a été nommé rapporteur pour le projet de loi n° 56 (1996-1997) portant ratification de l'ordonnance n° 96-782 du 5 septembre 1996 prise en application de la loi n° 96-87 du 5 février 1996 d'habilitation relative au statut général des fonctionnaires de la collectivité territoriale, des communes et des établissements publics de Mayotte.
M. Paul Masson a été nommé rapporteur pour la proposition de loi n° 41 (1996-1997) de M. Serge Mathieu relative au délai de rétention administrative.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Conditions d'octroi de la prime à l'herbe

504. - 7 novembre 1996. - Mme Annick Bocandé attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation sur le peu d'effet produit par la prime à l'herbe dans certains départements. Le problème vient du plafond d'exclusion en chargement fixé pour l'octroi de cette aide. Pour être attractive, la prime à l'herbe devrait être accordée sans plafond d'exclusion. Elle lui demande si une telle mesure pourrait être prise en faveur de la prime à l'herbe.