SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. YVES GUÉNA

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Retrait d'une question orale (p. 1 ).

3. Agriculture. - Débat sur une déclaration du Gouvernement (p. 2 ).
MM. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation ; Bernard Barraux.

Suspension et reprise de la séance (p. 3 )

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

4. Eloge funèbre de Charles Metzinger, sénateur de la Moselle (p. 4 ).
MM. le président, Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.

Suspension et reprise de la séance (p. 5 )

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD

5. Dépôt d'un rapport du Gouvernement (p. 6 ).

6. Agriculture. - Suite d'un débat sur une déclaration du Gouvernement (p. 7 ).
MM. Christian Poncelet, René-Pierre Signé, Félix Leyzour, Raymond Soucaret, Roland du Luart, Marcel Deneux, Jacques de Menou, Jean-Marc Pastor, Robert-Paul Vigouroux, Jean-Paul Emorine, Albert Vecten, Alain Pluchet, Aubert Garcia, Jean-Claude Carle, Alphonse Arzel, Gérard César, Roland Courteau.

Suspension et reprise de la séance (p. 8 )

MM. Jean Huchon, Roger Rigaudière, Bernard Piras, Jean-Paul Amoudry, Gérard Braun, Paul Raoult, le ministre.
Clôture du débat.

7. Communication de l'adoption définitive d'une proposition d'acte communautaire (p. 9 ).

8. Dépôt de rapports (p. 10 ).

9. Dépôt d'un avis (p. 11 ).

10. Ordre du jour (p. 12 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. YVES GUÉNA
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à onze heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

RETRAIT D'UNE QUESTION ORALE

M. le président. J'informe le Sénat que la question orale sans débat n° 475 de M. Yann Gaillard, qui était inscrite à l'ordre du jour de la séance du mardi 12 novembre, est retirée par son auteur.

3

AGRICULTURE

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur l'agriculture.
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de saluer l'initiative prise par le Sénat de ce débat sur la politique agricole de la France.
Je suis donc amené à parler devant vous d'orientation, et ce dans une double perspective. D'abord, je traiterai des difficultés qui sont inhérentes au secteur agricole dans le court terme. Ensuite, parce que je pense que c'est nécessaire, je vous parlerai du long terme. Il me semble que toute décision que nous prenons ou toute action que nous conduisons aujourd'hui doit s'inscrire dans une perspective de plus long terme, en considération des mutations du secteur agricole.
Bien sûr, la conjoncture étant le plus souvent spectaculaire, il est vrai qu'elle nous mobilise beaucoup.
Il nous faut réagir vite dans des conditions toujours difficiles, en nous efforçant non seulement de traiter les effets mais également de nous attaquer aux causes qui ont provoqué les crises.
Sur ces problèmes conjoncturels, j'évoquerai plus particulièrement deux secteurs : les fruits et légumes, d'une part, la viande bovine, d'autre part.
S'agissant des fruits et légumes, notamment des fruits d'été, nous avons rencontré cette année des difficultés importantes. A l'échelon national, nous nous sommes efforcés de mettre en oeuvre des dispositions pour amoindrir les effets de cette crise. Le bilan général que je m'étais engagé à faire sera très prochainement achevé, de sorte que des mesures pourront être prises et annoncées dans les tout prochains jours.
En de telles circonstances, je pense ici à la crise que nous avons vécue cet été, nous avons vu que certaines dispositions législatives étaient insuffisantes, notamment les dispositions par lesquelles nous avons réformé la loi sur la concurrence ainsi que l'ordonnance de 1986. Incontestablement, nous avons pu tirer, à l'occasion de cette crise de l'été, le bilan de cette réforme dont nous avons pu voir qu'elle comportait encore quelques failles.
Le ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation a d'ailleurs pris l'initiative de réunir l'ensemble des partenaires de la filière, en particulier les représentants de la grande distribution, afin d'attirer leur attention sur les dysfonctionnements constatés et de les mettre à contribution. Je dois à la vérité de dire qu'ils nous ont aidés à passer un cap difficile !
Au-delà de ces tensions, au-delà de cette crise de l'été, nous devrons engager des réformes de fond. C'est pourquoi, à l'échelon communautaire, j'ai fait en sorte que soit accélérée la renégociation de la réforme de l'organisation commune du marché, dont les deux axes principaux sont une meilleure adaptation de l'offre au marché, et un rééquilibrage de la place de la production au sein de la filière, en particulier par une réforme et un renforcement de l'organisation économique.
J'ai aussi exigé, et obtenu, à cette occasion, un strict respect des accords de Marrakech. Nous avons, à cet effet, mis en oeuvre des certificats d'importation pour les produits sensibles, ce qui constitue le préalable à la clause de sauvegarde spéciale, qui, en cela, est nécessaire.
J'évoquerai maintenant la deuxième crise, le deuxième point « ultrasensible », je veux parler de la filière bovine.
La crise est grave, mais reconnaissez qu'elle aurait pu l'être encore davantage si la France n'avait pas réagi comme elle l'a fait. En effet, dès le début de cette crise d'une ampleur sans précédent, nous nous sommes employés à anticiper ; nous avons multiplié les mesures, d'abord en matière de protection sanitaire, notre premier souci étant de préserver la santé publique.
Je rappelle que la France a été le premier pays - à l'époque, on le lui avait même reproché - à décréter l'embargo sur les produits bovins en provenance de Grande-Bretagne. De surcroît - j'y insiste - nous avons, dès les premiers jours de cette crise, agi en retenant l'hypothèse que la maladie pouvait être transmissible à l'homme. Je le dis parce que, de temps à autre, paraît dans la presse spécialisée un article indiquant que l'on a trouvé une preuve supplémentaire de la possibilité de la transmission de la maladie à l'homme. Encore une fois, depuis le début, nous avons agi en retenant cette hypothèse afin de donner aux consommateurs français les garanties les plus totales.
D'ailleurs, récemment, dans un établissement parisien dont le nom ne rappelle pas nos provinces françaises - il a plutôt une consonance anglo-saxonne - les services vétérinaires du ministère de l'agriculture ont décelé la commercialisation de viande provenant du pays sous embargo.
Qu'est-ce que cela signifie, sinon que les contrôles sont bien menés et que l'on fait vraiment la chasse aux fraudeurs ? Il faut, à cette occasion, féliciter l'ensemble des services de l'Etat, les services vétérinaires, les services de la répression des fraudes et les services des douanes. Je tiens à vous dire que la sanction doit être suffisamment lourde pour décourager tous les contrevenants - encore que, dans mon esprit, le mot soit faible, car j'estime que ce sont des pratiques proprement délictueuses - de poursuivre dans cette voie parce que le bénéfice escompté, c'est-à-dire l'achat de viande à bas prix, ne vaut pas le risque encouru.
M. Philippe François. Le restaurant sera fermé pendant quinze jours !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. C'est, en effet, ce que j'allais confirmer devant le Sénat. La première sanction est de nature administrative ; il s'agit d'une fermeture de quinze jours, mais cela n'exclut pas que soient engagées des poursuites pénales.
M. Gérard César. Très bien !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Il faut qu'il soit clair pour tout le monde que les fraudeurs en puissance seront sévèrement sanctionnés s'ils passent aux actes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Les contrôles existent, ils seront renforcés et des sanctions seront prises, le cas échéant.
Nous avons adopté des mesures en matière de préservation de la santé publique qui sont d'une extrême rigueur, et nous sommes donc fondés à demander à l'ensemble de nos partenaires de faire preuve de la même discipline.
Au-delà des mesures sanitaires, nous avons aussi multiplié les mesures de soutien au marché, les mesures d'accompagnement financier ou social au bénéfice des producteurs, les mesures de versement d'aides compensatoires - nous l'avons fait en temps et en heure - et les mesures d'aides sectorielles en faveur de l'aval de la production.
Malheureusement, la crise n'est pas terminée, et il reste encore, j'en ai conscience, de nombreuses difficultés à surmonter. La France a obtenu, la semaine dernière, à Luxembourg, vous le savez, la mise en oeuvre d'un second train de mesures d'aides directes aux éleveurs. Puisque vous me faites l'honneur de m'en offrir l'occasion, je vais vous donner la primeur du dispositif que la France met en place, dispositif que je viens, ce matin même, de présenter en conseil des ministres.
Tout d'abord, je le rappelle, nous abordions cette négociation de Luxembourg dans des conditions très difficiles. En effet, la France demandait de nouvelles compensations pour pallier les pertes de revenus subies par les éleveurs, notamment pour tenir compte de la situation des éleveurs de broutards. Nous avions, en face de nous, l'opposition résolue de certains Etats membres.
Le premier compromis de la présidence qui nous était présenté ne faisait que très vaguement allusion à la demande française et n'était pas assorti des décisions nécessaires. La Commission contestait fermement la nécessité de décider de nouvelles aides aux revenus, partant du principe que, compte tenu des cours et des aides déjà apportées, la compensation était suffisante, voire, selon certains, largement suffisante.
Effectivement, nous avions déjà obtenu, pour la France, au mois de juin dernier, un complément de prime sur fonds communautaires portant, au total, sur 1 440 millions de francs. En outre, nous avions ajouté, cette fois, sur fonds nationaux, c'est-à-dire au titre du budget et de la solidarité interprofessionnelle, 600 millions de francs d'aides directes supplémentaires sous forme d'enveloppes départementalisées.
A cela s'ajoutent des allégements importants de charges : report de l'annuité d'emprunt avec prise à notre charge et à la charge des établissements bancaires, notamment du principal financeur de l'agriculture, des intérêts de l'année 1996, report des cotisations sociales et des charges fiscales.
Par ailleurs, pour soutenir les cours, nous avons obtenu de l'Europe une intervention importante en matière d'achats publics en augmentant les plafonds d'intervention en volume, en assouplissant les critères de cette intervention, et, surtout - ce qui est une première - en ouvrant la possibilité de l'intervention pour les broutards.
Au total, nous avons donc soutenu les cours, et la chute de ceux-ci a été moins brutale que nous ne l'avions redouté ; elle n'a pas atteint les abîmes que nous craignions. En outre, nous avons également obtenu une première compensation partielle des pertes de revenus.
Toutefois, nous avons estimé, et nous estimons toujours, qu'il restait de graves problèmes, notamment, je le répète, pour les éleveurs de broutards.
C'était l'enjeu du Conseil européen de la semaine dernière. A cette occasion, nous avons obtenu, vous le savez, une nouvelle enveloppe d'aides exceptionnelles portant sur 500 millions d'écus pour l'ensemble de l'Europe, avec une part de 23,8 % pour la France, soit 770 millions de francs.
Je vous annonce, par ailleurs, que, dans le respect du plafond et de la réglementation communautaire, cette somme sera portée à 1 milliard de francs.
C'est donc 1 milliard de francs supplémentaire qui sera consacré à des aides directes pour compenser les pertes de revenus, 1 milliard de francs qui s'ajoute aux aides déjà existantes.
M. Christian Poncelet. Ce n'est pas si mal !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. J'ai tenu sur ce point à consulter les professionnels, car je crois que c'est ainsi qu'on doit travailler, dans la concertation. Je les ai consultés hier soir et, après avoir parlé avec eux, j'ai pris la responsabilité de décider la mise en place des modalités suivantes.
Tout d'abord, l'attribution des aides sera gérée au niveau des départements. C'est en effet sur le terrain que les choses peuvent être appréciées au mieux. C'est au sein des commissions départementales, qui ont déjà apporté la preuve de leur efficacité, que l'on peut apprécier au mieux s'il faut donner à telle catégorie plus qu'à telle autre, bref, que l'on peut se mettre d'accord sur la répartition.
Chaque département se verra donc attribuer une enveloppe qui sera définie par la combinaison de trois critères.
Le premier critère, le plus important, sera le nombre de vaches allaitantes primées dans le département.
Le deuxième critère sera le nombre des broutards dans le département.
Le troisième critère sera le cheptel bovin total dans le département.
En effet, je ne voudrais pas, à une telle occasion, que certains producteurs se sentent laissés pour compte par rapport à d'autres et qu'à l'occasion de l'octroi d'une aide importante il risque d'y avoir des tensions, notamment entre les producteurs spécialisés de viande bovine et les producteurs laitiers, qui subissent eux aussi préjudice.
Il faut, bien entendu, procéder à une pondération, mais, avec la clé de répartition entre les départements que je viens de présenter et en laissant le soin à chaque commission départementale de juger ce qu'elle doit faire, nous apporterons certainement une réponse globale.
Le montant des enveloppes départementales sera notifié aux préfets dès la semaine prochaine.
Nous avons opéré avec la rapidité qui convenait pour faire face à une telle situation.
Par ailleurs, nous avons pris à Luxembourg deux autres décisions qui entreront en vigueur en 1997 et qui apporteront des compléments d'aides aux éleveurs.
La première concerne la PSBM, la prime spéciale aux bovins mâles, qui, vous le savez, était payée en deux fois : l'une à dix mois et l'autre à vingt et un mois. Il était nécessaire de supprimer le paiement à vingt et un mois, qui constituait un encouragement à l'alourdissement des animaux et, par conséquent, à une croissance des volumes de viande, alors que nous devons au contraire maîtriser ces volumes. Il ne subsistera donc plus qu'une prime, qui sera versée à dix mois.
Je relève au passage que cette modification ne se fera pas au désavantage des producteurs puisque la prime sera majorée de 24 % pour l'année 1997.
La seconde décision consiste à encourager l'élevage extensif. J'insiste sur ce point parce qu'au départ il était question de diminuer les primes actuelles, accordées pour les compléments d'extensification, afin de concentrer la totalité des efforts sur les élevages les plus extensifs.
Nous avons maintenu à son niveau la prime de complément pour extensivité à 1,4 UGB, unité de gros bétail, à l'hectare, mais nous apportons plus à ceux qui pratiquent une plus forte extensivité. Vous voyez de quelles régions je parle ! C'est ainsi que, pour les producteurs qui produisent une UGB à l'hectare, le complément d'extensification sera revalorisé de 44 %.
Je ne vais pas détailler les autres mesures. Je voulais simplement replacer celles que je viens de décrire dans leur contexte et vous indiquer comment nous allions désormais procéder pour répartir les aides directes au revenu.
Pour l'avenir, il faut que nous prenions le plus rapidement possible des dispositions - et la Commission nous a fait une proposition - permettant d'aboutir à l'identification des bovins et à l'étiquetage des viandes et que nous parvenions à la réforme de l'organisation commune de marché de la viande bovine. Nous nous sommes fixé une date butoir, qui est le 31 décembre 1997 ; c'est fondamental.
Je me suis permis de procéder à ce rappel et à ces annonces, mesdames, messieurs les sénateurs, afin de vous montrer que nous apportions des réponses aux problèmes conjoncturels et que, surtout, nous avions la volonté de donner des perspectives à l'ensemble de la filière.
M. Christian Bonnet. Très bien !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Je voudrais maintenant aborder devant vous un certain nombre de thèmes qui font intégralement partie d'une politique à moyen et long terme de la filière agricole et agroalimentaire.
J'évoquerai, tout d'abord, la loi relative à l'équarrissage. Comme vous le savez, l'Etat prend en charge la moitié du coût de la collecte et de l'élimination des cadavres jusqu'au 31 décembre 1996.
Certains ont soutenu qu'il aurait dû tout assumer. Je ne vais pas engager le débat dans cette enceinte.
Compte tenu des problèmes budgétaires que nous connaissons...
M. Henri de Raincourt. Nous aussi !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Je n'en disconviens pas !
Compte tenu des problèmes que nous connaissons, disais-je, nous avons dû agir le plus rapidement possible en nous efforçant de trouver des appuis auprès des collectivités territoriales et de la filière.
De toute façon, il s'agit là d'une mesure d'urgence purement transitoire et chaque département est un cas d'espèce.
Avec le ministre de l'intérieur, j'ai donné des instructions très précises aux préfets pour gérer au mieux cette situation, qui s'achèvera le 31 décembre 1996. Un projet de loi sur l'équarrissage doit en effet être présenté très prochainement en conseil des ministres il sera déposé sur le bureau des assemblées avant la fin de cette année et pourra ainsi entrer en application dès le 1er janvier 1997.
Ce projet de loi vise à régler le problème de l'élimination des cadavres d'animaux en faisant de cette élimination une mission de service public relevant de la compétence de l'Etat. (M. Signé s'exclame.)
C'est une responsabilité. J'ai cru comprendre que les collectivités territoriales voulaient que ce service relève de la compétence de l'Etat ; ce sera donc une compétence de l'Etat faisant l'objet d'une large déconcentration. Je pense être fidèle au principe que j'ai posé tout à l'heure.
Dans sa rédaction actuelle, ce projet de loi prévoit que le service de l'équarrissage sera financé par une taxe additionnelle.
A ce stade de nos réflexions, cette taxe additionnelle pourrait être perçue au niveau de l'abattoir. En seraient redevables ceux qui acquittent la redevance sanitaire d'abattage. Ce prélèvement aurait vocation à se répercuter sur la filière en aval et non pas en amont.
Cela dit, sur le mode de financement, je suis ouvert à la réflexion.
En tout état de cause, les propositions relatives au financement ont été disjointes du projet de loi sur l'équarrissage. Elles devront être examinées à l'occasion de la discussion du projet de loi de finances rectificative de 1996.
J'évoquerai maintenant le projet de loi sur la qualité sanitaire des aliments.
Je le répète, un objectif essentiel de ma politique est la sécurité du consommateur. C'est même le premier objectif, la priorité absolue de mon ministère.
Les 4 000 agents des services vétérinaires du ministère de l'agriculture agissent quotidiennement pour la sécurité du consommateur, mais il était devenu indispensable de leur donner tous les moyens d'agir et de prendre immédiatement les mesures nécessaires au cas où des produits présenteraient des risques au plan sanitaire.
C'est l'objet du projet de loi sur la qualité sanitaire des aliments que je présenterai en conseil des ministres le 27 novembre prochain afin qu'il puisse être examiné par le Parlement au début de l'année 1997.
Ce projet de loi permettra d'améliorer le dispositif existant sur trois points.
Tout d'abord, il permettra d'étendre l'intervention des services de contrôle d'hygiène sur l'ensemble de la chaîne alimentaire, depuis les exploitations agricoles et les élevages jusqu'à la distribution.
Ensuite, il accordera à mes services des moyens supplémentaires pour prendre les mesures d'urgence qui s'imposent : saisie, conciliation, voire destruction des produits suspects, aussi bien pour les produits élaborés sur notre territoire que pour les produits importés.
Enfin, ce projet de loi donnera la même base juridique à la réglementation sur l'hygiène de tous les produits alimentaires, quelle que soit leur origine, végétale ou animale. Notre réglementation sera ainsi plus cohérente et plus claire.
J'attends beaucoup de ce texte très important, qui contribuera certainement à restaurer la confiance du consommateur.
Je précise, mesdames, messieurs les sénateurs, que ce projet de loi sur la qualité sanitaire des aliments ne préjuge en aucun cas l'organisation administrative des contrôles. C'est un autre exercice, qui relève de la réforme de l'Etat.
Le troisième volet a trait aux mesures structurelles résultant de la conférence annuelle agricole, qui s'est tenue le 8 février dernier. Il porte notamment sur l'évolution de la fiscalité agricole et de la revalorisation des retraites.
S'agissant de l'évolution de la fiscalité agricole, nous avons pris un engagement, que nous commençons à appliquer et qui est un élément majeur pour une réforme fondamentale de la fiscalité agricole. Il s'agit d'alléger les charges des exploitations, d'inciter au réinvestissement dans l'entreprise et de protéger le revenu agricole. Pour atteindre ces trois objectifs, nous aurons la déduction pour investissement, la DPI nouvelle manière, la DPI revue et corrigée. Comme vous le savez, cette déduction augmentera de plus de 60 % au cours des trois prochaines années par un relèvement des taux et des plafonds.
Mais, au-delà de ces relèvements, j'insiste sur la prise en compte - c'est une innovation importante - des risques climatiques, épizootiques et économiques dans le nouveau dispositif prévu dans le projet de loi de finances pour 1997.
De cette façon, à la demande de l'agriculteur et lorsque le résultat de l'exploitation sera inférieur de 20 % à la moyenne des résultats des trois exercices antérieurs, la DPI pourra être rapportée au résultat.
Cette mesure correspond à une « provision de propre assureur ». Elle est formulée de façon très souple et elle est bien adaptée, je le crois, à la réalité de l'activité agricole.
L'étude conduite par les centres de gestion sur les effets de cette DPI montre que cette réforme devrait bénéficier à 40 % des agriculteurs assujettis au réel.
Ces derniers devraient en retirer chaque année un avantage fiscal moyen de 4 000 francs et une réduction moyenne des cotisations sociales du même ordre. En cas d'accident climatique, épizootique ou économique, ces chiffres pourraient doubler, voire tripler.
Ces avantages s'ajouteront aux mesures générales de baisse des impôts, applicables aussi aux agriculteurs et engagées dès 1997.
La réforme de la DPI constitue pour l'agriculture un pas important vers la réforme de fond de la fiscalité agricole.
S'agissant du statut des personnes et de la revalorisation des retraites, je vous ai présenté au printemps dernier les principes que je souhaite concrétiser dans la future loi d'orientation.
Il s'agit de leur proposer un véritable statut qui corresponde à de véritables droits, notamment en matière économique et en matière sociale. Ainsi, nous pourrons apporter une réponse satisfaisante aux conjoints futurs retraités.
Toutefois, il subsiste la question des retraités actuels. En 1997, nous ferons un pas important pour la revalorisation des plus petites retraites. J'aurai l'occasion, en vous présentant le budget et les chiffres qui s'y rapportent, de vous montrer que cet effort, parce que nous avons voulu qu'il soit réalisé sans augmentation des cotisations sociales des actifs, se traduit par une contribution budgétaire importante, de sorte que d'autres crédits hors BAPSA subissent eux, au contraire, une érosion. Mais il fallait faire cet effort de solidarité nationale qui s'ajoute aux mesures adoptées en 1994 et en 1995 en faveur des anciens aides familiaux des veuves et des veufs. Nous aurons l'occasion d'en reparler au cours de la discussion sur le budget proprement dit.
Le quatrième volet a trait à l'enseignement agricole, qui est un grand succès. J'ai presque tendance à dire quelquefois que c'est un trop grand succès !
Cet enseignement attire beaucoup de jeunes. Il assure à ces élèves un taux important, et je crois même un taux record, de placement dans la vie active à la sortie de l'école. Je souligne que tous les métiers de la chaîne agroalimentaire et les métiers du monde rural sont aujourd'hui enseignés dans nos établissements.
L'enseignement agricole doit faire l'objet d'un contrat fort entre l'Etat et le milieu professionnel. Ce contrat doit être fondé sur un objectif commun : fournir aux jeunes une formation qui leur permette d'avoir un métier correspondant aux emplois de la filière agroalimentaire ou dans les espaces de productions agricoles et forestières, c'est-à-dire dans l'ensemble du monde rural.
Il ne faut pas compromettre nos efforts en banalisant cet enseignement. Je suis convaincu qu'une croissance excessive des effectifs remettrait en cause la bonne intégration professionnelle des élèves. Pour 1996, l'objectif de croissance que j'avais fixé à 2 % n'a pas été respecté. Les dépassements sont importants, notamment dans le secteur privé, ce qui me pose de graves problèmes.
Je voudrais, avec beaucoup de solennité et de gravité, attirer votre attention sur un point. Si, comme je l'entends dire parfois, il nous faut accueillir dans l'enseignement technique agricole tous les élèves qui se présentent à nos portes, nous sortons de notre vocation.
D'abord budgétairement, je ne pourrai pas y faire face dans l'enveloppe réservée au budget de l'agriculture. De plus, si notre vocation devient non plus de former des élèves dans le cadre d'une filière, mais d'accueillir tous les élèves qui se présentent, y compris ceux qui viennent quelquefois pour corriger certaines failles existant dans d'autres systèmes, très rapidement, on sera amené à se dire que la vocation de l'enseignement agricole n'est plus de dépendre du ministère de l'agriculture, mais que cet enseignement doit être inclus dans un cadre général qui est celui de l'éducation nationale.
Je vous le dis tout de suite, si c'est à cela que l'on veut arriver, il faut continuer comme cette année, c'est-à-dire jouer la politique de l'autruche et accueillir le maximum d'élèves en se disant que l'on verra plus tard. Très vite, on ira dans le mur et l'enseignement agricole échappera au ministère de l'agriculture.
Je ne suis pas certain que tout le monde ait mesuré la gravité des conséquences d'une telle politique. Pour ma part, je dis que ce serait infiniment regrettable. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Henri de Raincourt. Vous avez raison !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Des mesures devront donc être prises en concertation avec l'ensemble des familles de l'enseignement agricole pour veiller à ce que les objectifs de croissance deviennent, enfin, plus réalistes.
Le cinquième volet a trait à la politique d'installation des jeunes en agriculture.
C'est une des grandes priorités de la politique agricole du Gouvernement. C'est un choix de société pour la France et pour notre agriculture, puisque nous voulons une agriculture reposant sur des exploitations à taille humaine, à responsabilité personnelle et soutenue par une dynamique de l'installation des jeunes.
Il y a un an jour pour jour - les hasards du calendrier font que nous célébrons aujourd'hui son premier anniversaire - était signée la charte nationale pour l'installation des jeunes en agriculture. J'ai eu l'occasion, au printemps dernier, de vous présenter l'état d'avancement des nombreuses mesures qui sont prévues dans cette charte et qui doivent nous permettre, rapidement, d'augmenter de 50 % le nombre des installations de jeunes.
Aujourd'hui, toutes les mesures annoncées ont été prises et toutes les mesures prises sont opérationnelles. Tous les décrets et arrêtés nécessaires ont été publiés et les programmes pour l'installation des jeunes en agriculture et le développement des initiatives locales, les PIDIL, ont été approuvés. Les crédits correspondants sont maintenant engagés.
Les résultats observés sur les premiers mois de 1996 sont encourageants. L'augmentation du nombre des installations en 1996 sera comprise entre 5 % et 10 %, ce qui n'est pas mal, et la progression du nombre de jeunes réalisant cette année leur stage « six mois » de préparation à l'installation sera de plus de 30 %. Nous avons obtenu sur ce point un succès.
Il nous reste à sensibiliser davantage les candidats potentiels à l'installation. En effet, il ne suffit pas de mettre en oeuvre des mesures, encore faut-il trouver des porteurs de projets. J'ai lancé à cet égard une « journée de l'installation » dans tous les établissements d'enseignement agricole afin de sensibiliser les jeunes aux chances que représente l'installation et je participerai moi-même demain, sur le terrain, dans trois établissements différents, à des rencontres avec les élèves pour leur montrer que les chances aujourd'hui de s'installer en agriculture sont grandes.
Le sixième volet - qui, je le sais, tient particulièrement à coeur à cette assemblée - concerne la forêt et la filière bois.
La forêt est l'un des grands domaines d'action du ministère de l'agriculture. La France est un grand pays forestier. Avec plus du quart de notre territoire et plus de cent espèces d'arbres différentes, la forêt française est aujourd'hui l'une des plus belles d'Europe, mais surtout, et c'est important, elle est le point de départ d'une filière économique qui assure plus de 550 000 emplois, depuis la sylviculture jusqu'à la fabrication et à la distribution des produits en bois, en passant par l'exploitation de la forêt et la première transformation du bois.
Pour l'avenir, nous devons avoir deux grandes priorités pour notre politique forestière : d'abord la compétitivité de la filière - nous devons tout faire pour que nos industries bénéficient d'une ressource en bois disponible et au meilleur prix - et, ensuite, la prise en compte de l'environnement et de ses contraintes. On parle de plus en plus de gestion durable, d'écocertification.
Mais, là encore, il faut remettre les pendules à l'heure : la France gère sa forêt durablement depuis de très nombreuses années. Grâce au code forestier, à la politique de sagesse des propriétaires, nous avons pu augmenter la superficie de notre forêt de plus de deux millions d'hectares en un demi-siècle, tout en conservant, je l'ai rappelé tout à l'heure, la diversité des espèces.
Aussi en ai-je quelquefois un peu assez d'entendre dire tout et n'importe quoi. Nous, gestionnaires de la forêt - je rends ici hommage en particulier aux propriétaires forestiers - nous savons depuis longtemps être les meilleurs défenseurs de l'environnement forestier.
M. Philippe François. Parfaitement !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Cela doit être dit et répété : la France est un modèle en matière de gestion durable, et il nous faut le faire savoir.
M. Philippe François. Exactement !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Nous en aurons l'occasion lors de la discussion de la future loi d'orientation, qui comportera, je vous l'annonce dès maintenant, un important volet forestier.
J'en viens maintenant au septième volet.
Vous allez sans doute vous demander ce que ce volet vient faire dans la politique agricole. Mais le ministère de l'agriculture doit être considéré, à mon sens, dans toute sa diversité. Il est le ministère du vivant qui s'intéresse à l'ensemble du territoire. A travers la chaîne alimentaire, n'est pas concernée simplement la grande zone rurale de notre pays. Tout le monde l'est, que l'on vive en ville ou à la campagne.
Représentant donc ce ministère du vivant pour l'ensemble des Français, j'ai été conduit à m'intéresser, et sérieusement, aux problèmes posés par les animaux de compagnie. Notre devoir est d'être attentifs à l'amélioration de la qualité de vie de nos concitoyens. Or, vous le savez comme moi, l'animal de compagnie est devenu, pour un grand nombre de Français, un élément incontournable de leur vie quotidienne.
A l'heure actuelle, la loi du 10 juillet 1976 constitue le fondement législatif de l'essentiel des textes qui réglementent la protection animale. Mais il suffit de lire les journaux ou de regarder un peu autour de soi - beaucoup d'entre vous sont, comme moi, des maires - pour constater que des améliorations importantes sont indispensables afin de lutter contre certaines dérives inacceptables, de favoriser une meilleure intégration des animaux en milieu urbain, d'assurer une meilleure protection contre les mauvais traitements, mais aussi de moraliser des activités commerciales.
Les grandes lignes du projet de loi qui devrait être présenté au Parlement au début de l'année 1997 - vous voyez que l'on aura l'occasion de se revoir - s'articulent autour de deux grands axes.
L'un sera consacré aux animaux agressifs et aux animaux errants, l'autre aux dispositions visant à la vente et à la détention des animaux de compagnie. Ne croyez pas qu'il s'agisse là d'un texte mineur. Au vu des réactions qu'il suscite, je peux vous dire qu'il est attendu par des millions, je dirais même des dizaines de millions de Français.
Huitième volet : la réforme de l'Etat.
Je m'apprête, dans les jours qui viennent, à faire des propositions de réorganisation de mon administration centrale, réorganisation qui aboutira à un resserrement des moyens pour des missions qui seront mieux précisées, notamment en matière de politique de l'alimentation et de soutien des filières.
Je souhaite, grâce à cette réforme, que tout ce qui concerne la réglementation de l'alimentation, la normalisation des produits, les règles de qualité et l'ensemble du suivi des contrôles soit bien individualisé au sein de mon ministère.
Parallèlement, une grande direction du suivi des filières offrira les moyens d'une approche plus cohérente entre la production et la transformation.
La réforme de l'Etat s'appliquera également aux services extérieurs du ministère de l'agriculture.
L'ensemble des métiers exercés aujourd'hui par les fonctionnaires du ministère montrent une grande cohérence, que nous devons conserver.
C'est pourquoi M. le Premier ministre a tenu à maintenir les directions départementales et les directions régionales de mes services dans l'ensemble de leurs attributions, sous réserve d'une réflexion sur les synergies à mettre en place en ce qui concerne le contrôle de la qualité alimentaire.
Cela signifie, bien sûr, qu'il faudra rechercher également les moyens pour que l'Etat apporte une réponse cohérente aux collectivités locales en matière d'ingénierie publique. Cela doit se faire dans le respect des identités des directions départementales de l'équipement et des directions départementales de l'agriculture et de la forêt.
Dans les périodes difficiles que nous avons connues au cours de l'été, j'ai été amené à mobiliser l'ensemble des services pour aider les exploitants et les entreprises en difficulté, ainsi que pour verser, conformément à la demande de M. le Président de la République, les aides et les compléments d'aides le plus rapidement possible.
Si nous avons pu le faire, si nous avons pu, notamment, effectuer les paiements dans les délais les plus brefs, c'est grâce à une mobilisation remarquable des agents du ministère de l'agriculture, au dévouement desquels je tiens à rendre hommage. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Il est de l'intérêt général que soit préservée cette capacité de réaction et de mobilisation au profit de l'ensemble de la filière agroalimentaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai tenu à évoquer devant vous, au travers de ces différents volets, certains des fondements de la politique que je conduis et dont vous verrez, lors de l'examen du budget, la traduction en termes de priorités.
Puisque nous sommes dans le cadre d'un débat d'orientation, pour conclure, je voudrais aborder un sujet essentiel pour l'avenir de l'ensemble de notre filière agricole et agroalimentaire : il s'agit, bien entendu, de la future loi d'orientation pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.
Ce texte majeur constituera le cadre nécessaire à l'expansion de nos filières, de nos entreprises et de nos exploitations pour les quinze à vingt années à venir. Nous avons la responsabilité de prendre, ensemble, le recul nécessaire pour opérer les choix qui s'imposent en faisant preuve de l'imagination indispensable à l'ampleur des défis à relever.
La force des lois d'orientation de 1960 et de 1962 est d'avoir su justement ouvrir des perspectives, d'avoir tracé les lignes directrices qui ont permis une formidable modernisation de l'agriculture et un grand développement, notamment à l'exportation, de tout notre secteur agricole et alimentaire.
Mais, en un peu plus de trente ans, le monde a changé de façon fondamentale et nous avons connu de formidables mutations, dont nous devons aujourd'hui tenir compte : l'internationalisation des échanges et des marchés, la modification des comportements des consommateurs, les fantastiques innovations technologiques dans tous les domaines, y compris dans les systèmes de production, l'émergence d'un espace européen, une sensibilisation accrue aux aspects environnementaux et à la limitation des ressources naturelles, la problématique de l'emploi et le rôle fondamental de l'agriculture en matière de valorisation de l'espace rural et de maintien d'un tissu rural vivant, enfin, la complexité accrue de la chaîne agricole et alimentaire, ainsi que l'accroissement du poids des produits transformés.
Vous le voyez, les enjeux sont fondamentaux, multiples, mais nous saurons relever avec succès ces défis si nous savons anticiper. C'est l'objet de la loi d'orientation.
Mais cette loi doit également rendre lisible et accessible à tous la contribution globale et essentielle de l'agriculture pour mieux faire partager notre volonté d'ouverture sur le monde.
Cinq principes fondamentaux doivent traduire cette volonté d'ouverture positive sur le futur.
Premièrement, il nous faut absolument promouvoir, de quelque façon que ce soit, la place de l'agriculture au sein de la société.
Deuxièmement, nous devons réconcilier les différentes logiques - performances économiques, qualité de l'environnement, valorisation de l'espace, qualité et sécurité alimentaires - qui ont de plus en plus tendance à être présentées en termes d'antagonisme.
Nous devons admettre que l'agriculture est diverse. Il convient de le reconnaître et d'agir en conséquence, car l'agriculture appelle des solutions diverses.
Troisièmement, nous devons reconnaître la primauté des personnes.
Quatrièmement, il nous faudra inscrire la notion de durée au centre de cet engagement et de cette responsabilité partagée entre l'Etat et l'initiative privée.
Enfin, cinquièmement, nous devrons affirmer et démontrer la modernité du secteur agricole et agroalimentaire.
Véritable contrat entre l'agriculture et la nation, cette loi d'orientation comportera différents volets, parmi lesquels je citerai la performance des filières et l'organisation économique, la qualité et la valorisation des productions, les entreprises et le statut des personnes, la forêt et la filière bois, la valorisation des espaces ruraux, des paysages et de l'environnement, la recherche, l'enseignement et la formation, bref, tout ce qui, aujourd'hui, a trait à l'agriculture et à l'alimentation.
Notre ambition est grande ; il s'agira donc d'un texte véritablement fondamental.
J'entends dire ici et là, je ne sais pas pourquoi, que, finalement, le Gouvernement ne serait plus trop pressé de soumettre ce projet de loi au Parlement. Foutaise ! J'invite ceux qui se livrent à de telles extrapolations à venir voir ce que nous faisons journellement au ministère : nous travaillons assidûment sur ce projet de loi. Ce matin encore, à l'aube, plusieurs groupes de travail étaient réunis afin de le mettre en forme.
N'en déplaise à certains esprits grincheux ou à ceux qui voudraient toujours couper les cheveux en quatre et voir midi à quatorze heures : cette loi, j'en fais ma priorité. Je veux pouvoir la soumettre au Parlement avant la fin du premier semestre de 1997, vraisemblablement au milieu du premier semestre de 1997. Nous avons à nous atteler à ce travail.
Nous devons être capables d'ignorer les propos de salon tenus ici ou là - je ne dis pas qu'ils viennent du milieu agricole ; je ne sais d'où ils viennent - pour nous empêcher de prendre les orientations nécessaires.
Je le dis très clairement : il est de notre devoir, Gouvernement, Parlement, professionnels, de tracer ensemble pour notre agriculture un cadre valable pour les quinze ou vingt années à venir. C'est un devoir national.
Nous devons nous l'imposer également afin de donner, dès l'année 1997, des signes clairs à nos voisins, au sein de l'Union européenne, bien entendu, puisque, nous le savons, de nouvelles négociations nous attendent, mais également au sein de la communauté internationale dans son ensemble, au moment où l'on commence à parler de la conférence de Singapour. Nous serions coupables si nous ne nous dotions pas de cet outil indispensable que doit constituer la loi d'orientation.
C'est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux que vous m'ayez donné l'occasion, aujourd'hui, de procéder devant vous à cette déclaration et à cette mise au point.
Vous avez voulu un débat d'orientation : je considère qu'il constitue la première phase de discussion de la loi d'orientation. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 57 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 42 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 35 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes.
La parole est à M. Barraux.
M. Bernard Barraux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, le département de l'Allier que nous représentons, M. Cluzel et moi, est un département d'élevage de bovins allaitants de race charolaise. Il a subi la crise de plein fouet.
Certes, depuis quelques années, nous savions que nous aurions un jour à gérer le délicat problème de la baisse de la consommation, aggravée par une augmentation chronique de la production.
Mais cette crise, que dis-je ! cette psychose collective qui s'est abattue sur la viande bovine fut si brutale et d'une telle ampleur que les aides européennes et nationales ne pourront pas compenser toutes les pertes.
Les marchés de l'exportation se sont fermés brusquement au démarrage de la crise. Aujourd'hui, certes, les exportations ont repris, mais pas dans les mêmes proportions et surtout pas au même tarif.
Nous savons, monsieur le ministre, que vous connaissez bien les problèmes que rencontrent actuellement les exploitations d'élevage, mais je voudrais insister sur certaines revendications les plus urgentes à prendre en compte pour assurer la pérennité de ces exploitations.
Dès le début de cette crise, monsieur le ministre, vous avez pris des mesures, et d'abord en matière de protection sanitaire, votre premier souci ayant été de préserver la santé publique. Vous avez ensuite multiplié les mesures de soutien au marché, d'accompagnement financier et social ; vous avez fait en sorte que des aides complémentaires aux producteurs et des aides sectorielles en aval soient versées avec une certaine diligence.
Vous ne pouvez, nous le savons bien, anticiper de tels événements dans le cadre d'une programmation budgétaire. Dès lors, nous comprenons parfaitement que vous ne soyez pas en mesure d'établir les crédits comme si la situation ne devait pas s'arranger : d'où l'absence, dans le projet de budget de l'agriculture pour 1997, de crédits spécifiques supplémentaires.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, nous attendions beaucoup de votre action au sein du Conseil européen des ministres de l'agriculture, et cette action s'est soldée, le 30 octobre dernier, à Luxembourg, par une réussite : l'Europe a accédé à la demande de la France.
Vous avez ainsi tenu vos engagements, et l'ensemble du monde agricole vous en sait gré.
En effet, les ministres de l'agriculture des Quinze ont accepté le compromis - considéré comme celui de la dernière chance dans la crise dite de la « vache folle » - qui est conforme aux revendications de la France. Aux termes de cet accord, la France doit recevoir de Bruxelles, 119 millions d'écus, soit 773 millions de francs, c'est-à-dire près du quart de la nouvelle aide exceptionnelle accordée aux éleveurs européens de bovins frappés cruellement et injustement par la baisse de la consommation de la viande de boeuf.
La France compte environ 3,6 millions de vaches allaitantes, dont la moitié est élevée en troupeaux de broutards dans le Massif central : c'est la principale activité de ma région.
Nos éleveurs recevront donc cette année, au total, 1 321 francs par vache allaitante : 758 francs de prime de base, auxquels se sont ajoutés 350 francs d'aide exceptionnelle de l'été.
Au-delà des mesures conjoncturelles, nous le savons, la question de l'avenir de l'élevage bovin reste posée. Nous devons absolument retrouver la confiance des consommateurs : il faut les convaincre de retourner chez leur boucher. Mais, en tout état de cause, la filière n'évitera pas une réforme de fond.
Il est urgent de rééduquer et d'informer le consommateur, mais en étant bien sûr que les viandes que l'on met sur le marché sont toutes irréprochables.
L'assemblée départementale de l'Allier, dont je suis le vice-président, est bien consciente de la gravité de la situation dans laquelle se trouve l'ensemble de la filière bovine allaitante. Elle constate que le seul véritable moyen pour sortir de la crise est de donner une priorité absolue à l'élevage traditionnel en bassin allaitant.
Le conseil général de l'Allier constate également l'écart important qui subsiste entre l'évaluation des pertes et le montant total des aides annoncées sous différentes formes. C'est la raison pour laquelle, il vous a demandé, monsieur le ministre, de prendre, à l'échelon national, les mesures indispensables qui relèvent du Gouvernement et d'obtenir, par une attitude ferme auprès de nos partenaires et de la Commission, celles qui, non moins indispensables, relèvent des instances européennes.
En matière d'identification et de traçabilité, trois mesures me semblent particulièrement importantes : d'abord, un retour rapide à la pratique du tatouage, seule méthode fiable d'identification ; ensuite, la mise en oeuvre immédiate des dispositions permettant d'assurer la traçabilité du produit afin de garantir son origine, ses conditions d'élevage et son suivi jusqu'au consommateur ; enfin, un contrôle rigoureux de la circulation des animaux dans la Communauté, de l'importation et de toutes les conditions d'élevage.
La démarche de traçabilité et de qualité doit impérativement se faire avec les professionnels de la viande.
En matière d'équarrissage, l'assemblée départementale de l'Allier, prenant acte de l'avis unanime des organisations professionnelles agricoles de ce département, refuse toute participation financière qui viendrait aggraver la charge déjà considérable pesant sur le budget des collectivités locales. Mais vous nous avez, tout à l'heure, monsieur le ministre, donné quelques raisons d'espérer à ce sujet.
La prise en charge des frais d'enlèvement des cadavres d'animaux n'est toujours pas clarifiée. Il semble qu'elle le sera bientôt, et nous nous en réjouissons. Les éleveurs et les communes ont reçu l'assurance qu'ils ne seraient pas sollicités. Mais cet engagement reste verbal et n'a fait l'objet d'aucune confirmation officielle écrite. Or les ordres de réquisition demeurent d'actualité. Nous comptons sur vous pour normaliser cette situation.
Vous nous avez annoncé qu'un projet de loi sur l'équarrissage serait examiné à la fin de cette année selon la procédure d'urgence, de manière qu'il soit applicable dès le 1er janvier 1997. Ni les éleveurs, ni les communes ne doivent faire les frais de cette mesure de salubrité publique. C'est la raison pour laquelle nous attendons ce projet de loi avec beaucoup d'impatience.
Reste à savoir qui paiera la taxe sanitaire : le contribuable, le consommateur, la grande distribution ? Vous avez indiqué quelques pistes, mais pourra-t-on faire en sorte que cette taxe soit clairement identifiée et non pas noyée dans le prix payé directement aux éleveurs ?
Permettez-moi, monsieur le ministre, d'attirer très respectueusement votre attention sur un détail que la presse a toujours passé sous silence.
Les porcs et les volailles consomment de la farine de viande depuis près de quatre-vingts ans. Avant la crise, la France consommait quelque 600 000 tonnes de ce produit, composé à 80 % de protéines. La matière de substitution logique et naturelle est et sera le soya, qui, lui, titre seulement 50 % de protéines. Nous allons donc être conduits à en acheter à nos amis américains 4 millions de tonnes, soit un million de tonnes de plus qu'avant la crise.
Ainsi, il faudra payer pour ramasser les animaux et les déchets destinés aux équarrissages, il faudra payer pour les détruire et il faudra payer pour les remplacer !
Enfin, en matière d'aide au revenu, l'assemblée départementale de l'Allier souhaite un certain nombre de mesures, notamment : la revalorisation des primes directes permettant de compenser intégralement les pertes de l'année 1996 ; la suppression du seuil absolu de 50 % du chiffre d'affaires en viande bovine pour indemniser les éleveurs, avec possibilité d'un examen au coup par coup des dossiers ; la conversion du report des annuités d'emprunt et des cotisations sociales, à hauteur de 30 %, en aides directes, car il est certain que les éleveurs ne pourront pas faire face à l'échéance de 1999 ; enfin, une redéfinition de la politique agricole commune revalorisant l'élevage allaitant.
Lorsqu'on se pose la question de l'avenir de nombreuses exploitations, c'est, tout autant que le problème du revenu, celui des pertes en capital qui doit être envisagé puisque le troupeau constitue un élément très important du patrimoine d'un éleveur. Il est bon de rappeler qu'en matière fiscale les échéances ne sont pas supprimées, mais qu'elles sont seulement allégées et reportées.
Nous connaissons votre détermination, monsieur le ministre, et nous l'apprécions. Nous apprécions en particulier les efforts que vous avez déployés la semaine dernière à Luxembourg.
Je terminerai cette intervention en criant mon indignation, qui est aussi celle de tous les éleveurs du troupeau allaitant, victimes, depuis quelques mois, d'un intolérable acharnement médiatique calomniateur.
Il est de bon ton, aujourd'hui, de jeter le discrédit sur les professions d'agriculteur et d'éleveur. Ceux-ci sont accusés de tous les maux de la terre ! Ils utilisent des engrais pour leurs cultures : donc ils polluent ! Ils utilisent des techniques modernes d'élevage : ils sont donc suspects de vouloir empoisonner l'humanité !
Je sais bien que je prêche un convaincu, monsieur le ministre, mais je crois utile de dire que jamais la protection sanitaire de tous les élevages n'a été aussi bonne. Jamais l'humanité n'a été capable de nourrir autant de monde aussi bien. Ce n'est tout de même pas un hasard si la durée moyenne de la vie est passée de cinquante ans à quatre-vingts ans en trois quarts de siècle. Certes, l'hygiène et la médecine y sont pour beaucoup, mais l'alimentation est la cause essentielle ; c'est donc bien à l'agriculture qu'on doit cet allongement de la vie.
Le terrorisme médiatique dont nos paysans font l'objet doit cesser. Rien ne justifie la perte de confiance dont ils sont victimes. Leurs troupeaux sont sains, encadrés par un corps de vétérinaires exceptionnellement compétents, sous l'autorité de services vétérinaires si rigoureux que, souvent, nous les trouvons un peu tatillons.
Ces « nostalgico-écolos » pour qui, hors de l'inspiration du temps passé, il n'est point de salut, devraient se souvenir que, voilà soixante ans, un paysan nourrissait deux à trois personnes, quand un paysan d'aujourd'hui en nourrit soixante-dix à quatre-vingts. Si nos paysans devaient appliquer à nouveau les méthodes de culture et d'élevage anciennes, nous crèverions tous de faim !
Nos éleveurs n'ont rien à se reprocher et ils doivent, au contraire, être fiers de leur noble tâche.
M. Daniel Hoeffel. Très bien !
M. Bernard Barraux. Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur l'ensemble du groupe de l'Union centriste pour vous renouveler son total soutien. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux. Nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. René Monory.)

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

M. le président. La séance est reprise.

4

ÉLOGE FUNÈBRE DE CHARLES METZINGER,
SÉNATEUR DE LA MOSELLE

M. le président. Mes chers collègues, je vais prononcer l'éloge funèbre de Charles Metzinger. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
La disparition brutale de Charles Metzinger, sénateur de la Moselle, le 10 septembre dernier, prive le Parlement d'un législateur combatif et vigilant.
Le bassin houiller lorrain perd l'un de ses plus ardents défenseurs. Toute la vie de Charles Metzinger est intimement liée à cette région austère. Le devenir de la Lorraine, qui le préoccupait tant, a déterminé bien des choix qui ont marqué son itinéraire personnel et politique.
Charles Metzinger est né en 1929, à Freyming, au sein d'une famille de mineurs. Choisissant de devenir instituteur, Charles Metzinger n'emprunte pas la rude voie de ses pères. Formé à l'école des hussards de la République, pour qui l'enseignement prépare à la citoyenneté, il restera fidèle à cette conception qui nourrit ses aspirations à la démocratisation du savoir et de la culture.
Poursuivant des études universitaires à Nancy et à Sarrebruck, le jeune instituteur obtient une licence de lettres et présente avec succès le CAPES d'allemand. Il enseignera cette langue pendant vingt ans.
Charles Metzinger est élu conseiller municipal de sa ville natale en 1965. Il n'entend pas alors faire une carrière et se met tout simplement au service de ses concitoyens. C'est pourtant le début de trente années de mandat municipal.
En 1971, les communes de Freyming et de Merlebach sont fusionnées. Charles Metzinger est le premier maire de la nouvelle commune. Réélu sans interruption jusqu'en 1995, il lui faudra affronter le déclin inexorable des houillères. Au coeur du bassin minier, la commune de Freyming-Merlebach est gravement touchée par la crise. Très attentif à ce drame, Charles Metzinger tente de promouvoir une autre image de sa ville en engageant une politique culturelle ambitieuse.
Au conseil général de la Moselle, où il est entré en 1967, puis au conseil régional, il met toute son énergie au service de la Lorraine et de ses habitants. Charles Metzinger préside COMREGIO, une association transfrontalière qui regroupe quarante-six communes de Lorraine, du Luxembourg, de Rhénanie et de Sarre. Il oeuvre pour contribuer à faire de cette terre marquée par les conflits un carrefour de rencontres et d'échanges.
Son engagement résolu dans la vie politique locale conduit Charles Metzinger, qui a adhéré au parti socialiste, à solliciter les suffrages de ses concitoyens aux élections législatives de 1981. Il est élu député de la Moselle.
A l'Assemblée nationale où il siège plus de dix ans, c'est un législateur enthousiaste et convaincu. Il trouve à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales un lieu d'expression privilégié pour les questions qui lui tiennent à coeur.
Il défend à la tribune les particularismes institutionnels de l'Alsace et de la Moselle qu'une douloureuse histoire commune a indéfectiblement liées. Il évoque à plusieurs reprises le sort des « malgré-nous », ces compatriotes incorporés de force dans l'armée allemande, victimes du déchirement vécu par la région.
L'éducation et la culture sont au centre de ses préoccupations. Il préconise avec vigueur l'élargissement de l'accès aux filières d'excellence et la démocratisation de la politique culturelle. Il reste le professeur qui défend « l'élitisme pour tous ».
« Si la culture libère, disait-il, elle ne peut être l'apanage de certains seulement, elle doit être ouverte à tous les citoyens. Elle n'est ni un agrément ni un luxe, elle est indispensable. Elle n'est pas à côté de la vie, elle est dans la vie. »
C'est en ce sens qu'il rapporte le projet de loi relatif à la Réunion des musées nationaux.
Travaillant sur des sujets de santé publique, Charles Metzinger se préoccupe aussi de la lutte contre les discriminations de toute sorte. Il s'intéresse à la situation des frontaliers, à l'égalité entre hommes et femmes ou encore aux difficultés des personnes handicapées.
En 1992, Charles Metzinger quitte le Palais-Bourbon pour le Sénat. Ses centres d'intérêt le portent tout naturellement vers notre commission des affaires sociales et vers la délégation pour l'Union européenne.
Les difficultés de son département nourrissent ses réflexions et ses travaux.
Européen de coeur autant que de raison, il connaît les apports de la construction européenne à la reconversion industrielle. La délégation le charge d'une étude sur la sidérurgie en Europe, puis sur l'avenir de la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Il préconise, selon une approche volontariste et résolument moderne, le transfert des activités financières de la CECA à la Banque européenne d'investissement.
Le vote du budget de l'industrie est, pour lui, l'occasion de plaider en faveur de mesures sociales susceptibles d'accompagner la reconversion du bassin houiller lorrain. La réforme du code minier est l'objet de toute son attention.
Tant au sein de sa commission, dont il est vice-président, qu'en séance publique, Charles Metzinger participe activement aux débats de politique sociale. Il suit les discussions sur la protection complémentaire des salariés ou sur la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle. Il défend la nécessité d'une protection sociale élargie. Récemment encore, il était intervenu sur la douloureuse question de l'autisme.
Charles Metzinger n'aura siégé sur nos travées que peu d'années. Mais ce fut assez pour que nous puissions apprécier à leur juste valeur la force de ses convictions, la pondération de son jugement et la qualité de sa participation assidue à nos débats.
Lucide, conscient de la dureté des temps, Charles Metzinger ne perdait pas pour autant l'espoir. Toute son action témoigne d'un attachement indéfectible aux valeurs de solidarité et de citoyenneté.
C'était un homme simple et chaleureux, dont la disparition affecte profondément le Sénat.
A ses amis du groupe socialiste et à ses collègues de la commission des affaires sociales, j'exprime notre grande tristesse.
A son épouse, à ses enfants et à tous ceux auxquels il était cher, j'exprime le témoignage de notre vive émotion.
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais, à mon tour et au nom du Gouvernement, rendre un dernier hommage à Charles Metzinger, qui nous a quittés le 10 septembre dernier.
Il a marqué la Haute Assemblée par sa force de caractère, son grand talent, ses profondes convictions et son souci permanent du bien public.
Charles Metzinger était de ces hommes que, de tout temps, la Lorraine a fournis à la France, et qui sont attachés de façon quasi charnelle à leurs racines.
Issu d'un milieu modeste - son père était mineur - il naît à Freyming, en Moselle, le 13 août 1929 et consacre sa vie entière à la défense de cette région et du bassin houiller.
Il débute sa carrière dans l'enseignement. Après avoir réussi, en 1951, le concours d'entrée à l'Ecole normale d'Avignon, il est affecté comme instituteur à Freyming à partir de 1953.
C'est un professeur très apprécié de ses élèves. Il se montre toujours soucieux de leur réussite scolaire dans la tradition de ces « hussards noirs » de la République qui firent tant pour l'unité de notre nation.
Travailleur acharné, Charles Metzinger poursuit ses études et obtient, en 1976, une licence de lettres et le CAPES d'allemand. Il devient ainsi professeur certifié à Metz puis à Forbach.
Son attention aux autres et son intérêt pour les affaires publiques conduisent tout naturellement Charles Metzinger à entrer en politique. Il est élu conseiller municipal de Freyming en 1965, puis conseiller général en 1967.
Il devient maire de Freyming-Merlebach dès la fusion de ces deux communes en 1971 et jusqu'en 1995. Premier magistrat dynamique, il cherche à donner une autre dimension à sa ville en mettant notamment en place une politique culturelle très ambitieuse. Son sens du contact humain, sa tolérance et son ouverture d'esprit en font un élu local très apprécié de ses électeurs.
Membre du parti socialiste depuis 1974, il est élu député en 1981 et quitte l'Assemblée nationale en 1992, date à laquelle il est élu sénateur.
Parlementaire très actif, toujours préoccupé d'améliorer la situation de ses concitoyens, Charles Metzinger intervient en particulier sur les affaires sociales.
Il prend également très vigoureusement la défense de sa région et du bassin houiller, gravement touchés par la crise et les mutations économiques.
Européen convaincu, il prône un rapprochement des régions frontalières et devient le président du groupe d'amitié France-Autriche.
Charles Metzinger manquera à la Haute Assemblée, où il s'était attiré l'estime de tous par sa franchise, sa rigueur et la passion qu'il mettait dans l'accomplissement de son mandat de parlementaire.
A sa veuve, à ses enfants et à ses petits-enfants, à ses collègues du groupe socialiste et de la commission des affaires sociales, j'adresse, au nom du Gouvernement, l'expression de mes condoléances attristées.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants en signe de deuil.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quinze, est reprise à quinze heures vingt, sous la présidence de M. Paul Girod.)

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport relatif à l'exécution de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.

6

AGRICULTURE

Suite du débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. Nous reprenons le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur l'agriculture.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Poncelet. (M. du Luart applaudit).
M. Christian Poncelet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, sur l'initiative de la commission des finances et sous l'impulsion du président du Sénat, M. René Monory, le Sénat doit tenir trois grands débats d'orientation préalables à la discussion budgétaire : après le débat sur la défense et celui sur la politique étrangère se déroule aujourd'hui le débat sur l'agriculture. Défense, politique étrangère, agriculture : trois débats qui, finalement, touchent à l'idée même que nous nous faisons de l'identité de notre nation, de son histoire et, surtout, de son rayonnement. C'est dire si, pour nous sénateurs, monsieur le ministre, l'agriculture occupe une place de premier rang.
Cette agriculture dynamique, ceux qui l'ont faite et ceux qui la poursuivent aujourd'hui ce sont des femmes et des hommes que nous devons respecter et auxquels nous devons donner les moyens d'exercer leur métier dans les meilleures conditions.
Formation, installation, motivation me semblent être les trois objectifs qui doivent fonder votre action - et la nôtre - en ce domaine.
S'agissant tout d'abord de la formation, nous sommes victimes - vous l'avez vous-même souligné ce matin, monsieur le ministre - de notre propre succès : le niveau des inscriptions dans l'enseignement agricole en témoigne, à l'évidence.
D'ailleurs, cela ne va pas sans susciter des problèmes auxquels certains représentants professionnels nous ont rendus attentifs.
S'il importe de préserver la spécificité de notre système à la française, deux écueils doivent, à mes yeux, être évités : d'une part, celui d'une régulation budgétaire « à la toise », qui limiterait les concours de l'Etat à une progression de 2 % ; d'autre part, celui d'une mise à l'écart relative des formations spécifiques telles que celles qui sont dispensées, par exemple, dans les maisons familiales rurales. Je sais que vous y êtes attentif, monsieur le ministre, et, sur ce point, j'attends de votre part une réponse très précise.
A l'évidence, nous devons ouvrir ensemble ce dossier de la formation, qui devra figurer en bonne place dans la future loi d'orientation agricole, annoncée et confirmée ce matin.
Pour ce qui est, ensuite, de l'installation, des progrès considérables ont été enregistrées en ce domaine, et je rends hommage à votre talent, monsieur le ministre : les crédits du projet de loi de finances pour 1997 ont été fixés, il faut objectivement et loyalement le reconnaître, à un bon niveau.
Je me souviens toutefois que, l'an dernier, à pareille époque, c'est au Sénat qu'ont été dégagés les moyens nécessaires à la mise en oeuvre du fonds spécifique consacré à l'installation des jeunes. Qu'en est-il aujourd'hui ? Pouvons-nous être satisfaits des résultats obtenus grâce à ce fonds nouveau ? Je pose d'ailleurs cette question - pourquoi le dissimuler ? - avec une certaine inquiétude, car mon expérience m'enseigne que notre génie national est souvent plus prompt à créer les fonds d'intervention qu'à les alimenter de façon continue et adéquate. Mais je ne voudrais pas faire de procès d'intention à quiconque. J'attends avec beaucoup d'intérêt les précisions que vous apporterez sur ce point.
Pour l'installation des jeunes, l'oeuvre à accomplir est bien délicate, car il faut concilier l'entrée dans le métier du plus grand nombre possible de candidats avec l'adaptation de la taille des exploitations aux nécessités de compétitivité. C'est une équation particulièrement difficile à résoudre. Pourtant, et avec bien des précautions, je me demande si nous n'allons pas trop vite et trop loin dans la course à la taille.
L'an dernier, monsieur le ministre, vous avez mis en place des conseils départementaux d'orientation agricole chargés d'harmoniser tous les aspects de la politique agricole nationale, auparavant éclatés en de multiples conseils spécialisés. Les informations issues de ces conseils sont-elles de nature à faire progresser la réflexion sur une nouvelle politique d'installation ? Quels enseignements tirez-vous de cette première expérience ? Quelles orientations allez-vous prendre ? Il s'agit d'un débat de fond sur lequel, après d'autres intervenants, je souhaiterais obtenir quelques éclaircissements.
Enfin, en ce qui concerne la motivation, j'ai constaté sur le terrain, monsieur le ministre, que cette motivation - elle est toujours forte chez nos agriculteurs, et nous pouvons nous en réjouir - était parfois mise à mal par notre incapacité à bien communiquer à tous nos concitoyens des messages essentiels sur le degré de performance de notre filière agricole.
Pour illustrer mon propos, je citerai trois exemples, parmi d'autres.
Alors que la France a réalisé des progrès considérables - et coûteux, soulignons-le - en matière génétique, sanitaire et vétérinaire, qui la placent au premier rang dans le monde, ces progrès ne sont pas bien connus et l'on peut lire des contrevérités flagrantes dans la presse non spécialisée. Cela tend à mal informer la population et à ne pas toujours lui faire bien appréhender tout l'intérêt qu'il y a à soutenir ce secteur économique de notre pays qu'est l'agriculture : l'agriculteur aurait pour seul objectif de solliciter des subventions, des concours ou des aménagements de prix.
Alors que les éleveurs se sont lancés avec détermination dans un programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, l'Etat - il faut le dire - n'a pas les moyens financiers de respecter ses engagements. Vraiment, monsieur le ministre, s'il y avait une critique à porter sur votre budget, ce serait cette insuffisance des crédits consacrés au programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole.
Toutefois, connaissant votre attachement au bicaméralisme et mesurant toutes les avancées que vous avez consenties - et nous nous en félicitons ! - à l'Assemblée nationale, je ne doute pas un instant que vous entendez annoncer une bonne nouvelle au Sénat.
Vous allez nous rassurer sur ce point et, à l'avance, je vous en remercie. (Sourires sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Alors que l'équarrissage est une compétence de puissance publique, on a parfois l'impression que les agriculteurs sont rendus responsables des difficultés de ce secteur et que ce serait à eux, et à eux seuls, de payer pour l'enlèvement des cadavres.
C'est inadmissible, comme serait intolérable le recours de principe aux finances des collectivités locales.
Monsieur le ministre, ce que je vais vous dire concerne le Gouvernement tout entier ; par conséquent, soyez notre interprète auprès des autres ministres en conseil des ministres : nos collectivités n'en peuvent plus de financer les conséquences des objectifs ambitieux fixés par d'autres en matière d'assainissement, de déchets, voire peut être demain de pollution de l'air. Maintenant, c'est l'équarrissage qui serait envisagé ! Bien entendu, tous ces mauvais coups nous rendent particulièrement méfiants. La coupe est pleine et les collectivités n'en peuvent plus ! En disant cela, je suis convaincu de traduire sinon l'unanimité, du moins une large majorité de la Haute Assemblée.
Pour en terminer sur le sujet général des normes européennes, je voudrais vous rendre attentif, monsieur le ministre, au rôle indispensable de ce que j'ai appelé « les abattoirs de proximité ». Tout ne doit pas conduire au gigantisme. Je suis prêt à vous le démontrer dès que vous en aurez le loisir.
Qu'il s'agisse de la qualité des produits ou de la préservation de l'environnement, nos concitoyens mesurent mal les progrès accomplis par les agriculteurs. Comme souvent, ils généralisent à partir de ce que j'appellerai des « bavures » ou à partir du comportement de certains, que l'on qualifie à juste titre de « brebis galeuses ». Nous avons là, vous et nous, un grand défi de communication à relever ensemble. Nous avons peut-être aussi à vous aider à faire sortir vos projets de loi sur la qualité alimentaire et sur l'équarrissage, que vous avez annoncés. Il faut discuter du projet de loi sur l'équarrissage avant la fin de l'année, et surtout ne touchez pas aux collectivités locales, et merci de l'engagement ! (Sourires.)
Le projet de loi d'orientation et le projet de loi sur l'équarrissage, où sont-ils ? J'ai tendance à dire qu'ils sont dans le congélateur ou dans le réfrigérateur de l'interministériel. Bien sûr, on est tenté de faire un effet d'annonce. Celui-ci apporte une première satisfaction, puis rien ne vient. On attend. On est déçu et désespéré. C'est une mauvaise démarche. Il faut la modifier.
S'agissant des produits, après les hommes, je souhaiterais aborder plus spécifiquement les problèmes du marché des produits laitiers.
Le solde de notre commerce extérieur en produits laitiers est important et les industries vosgiennes y contribuent largement, je dois le souligner au passage. Mais la concurrence est de plus en plus vive entre pays européens. Cela résulte de l'application des accords du GATT, puisque dès la première année les plafonds de volume de fromage exportés avec restitution ont été atteints. Les déséquilibres constatés sur les marchés des produits laitiers se traduisent par un recours plus fréquent des industriels à l'intervention. Au niveau des producteurs, cette situation entraîne tout naturellement une forte pression à la baisse des prix du lait, qui s'ajoute à la crise bovine - vous voyez le cercle infernal... La puissance de la grande distribution est, en outre, telle que le secteur de la transformation ne peut que répercuter ses baisses de marge sur le producteur qui, en début de parcours, se trouve pénalisé par une remontée des contraintes.
Au niveau européen, enfin, ces problèmes relancent le débat sur le resserrement des quotas, voire leur suppression.
Sur tous ces sujets, monsieur le ministre, j'attends avec impatience de connaître votre stratégie.
Je terminerai mon propos en évoquant la situation de notre filière bois. A cet égard, je vous poserai cinq questions très précises.
Premièrement, qu'allez-vous faire pour combattre les menées des partisans de l'écocertification ?
Deuxièmement, qu'allez-vous faire pour permettre aux forestiers de rester les maîtres chez eux en écartant définitivement les menaces insensées du plan européen baptisé « Natura 2000 » ?
Troisièmement, qu'allez-vous faire pour mettre en oeuvre le plan d'épargne forestière annoncé voilà quelque temps - encore un effet d'annonce - par M. le Premier ministre ?
Quatrièmement, qu'allez-vous faire pour réduire, dans toute la mesure possible, les charges pesant sur la filière en aval, je pense aux taux de la taxe forestière ?
Enfin, cinquièmement, qu'allez-vous faire - j'ai souvent posé la question - pour éviter les boisements anarchiques, notamment en fond de vallée ? Je n'insiste pas sur ce point car, tout à l'heure, mon collègue et ami Gérard Braun évoquera les conséquences néfastes de l'indiscipline dans ce domaine, qui appelle une réglementation.
M. Gérard Braun. Effectivement !
M. Christian Poncelet. Même si le mot « forêt » a disparu de l'intitulé de votre ministère, j'estime qu'il ne saurait y avoir une grande politique agricole sans une grande politique forestière.
Monsieur le ministre, vous le savez, vous avez notre confiance. En retour, nous attendons de vous votre soutien pour l'agriculture. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise profonde et structurelle que connaît l'élevage bovin a souligné les contraintes qui sont liées à sa nature même.
Plus largement, si elle nous a amenés à nous interroger sur le type d'agriculture que nous souhaitons pour la France, elle nous pose une question, plus brutale encore, sur l'avenir de l'agriculture et celui des agriculteurs.
On sait que leur mission dépasse largement une ambition trop restreinte de gains de parts de marché et de suffisance alimentaire.
Gestionnaires du patrimoine naturel, ils sont garants de la sauvegarde d'un environnement de qualité et du maintien de l'équilibre des territoires ruraux auxquels nous sommes tous attachés. Le succès des mesures agri-environnementales, lesquelles devraient d'ailleurs être pérennisées par la conclusion de contrats d'objectif à long terme, manifeste bien ce nouvel état d'esprit.
Quant au FGER, je crois qu'il a été rétabli, tout au moins en partie, et cela me semble être une bonne chose.
La crise agricole actuelle, qui est avant tout une crise due à la surproduction ou à la mauvaise orientation de la production, touche prioritairement et brutalement les éleveurs du bassin allaitant, qui tirent leur seul revenu de la production de viande.
Si près de la moitié de la viande bovine provient de ce bassin, ce sont les bovins femelles que nous mangeons, dont plus de 68 % sont des vaches de réforme laitières.
Sur ce marché européen, les gagnants sont surtout ceux qui mécanisent et rationalisent leur production, au détriment de la qualité.
Dans ces conditions, les éleveurs du bassin allaitant redoutent que la crise actuelle ne vienne renforcer une logique de filière au détriment d'une logique de territoire, compromettant ainsi leur avenir et mettant en danger toute une économie, un ensemble de professions et de services.
La France a la particularité de connaître des systèmes de production diversifiés, dont les intérêts s'opposent les uns aux autres.
L'objet de la réforme de la PAC était de favoriser les systèmes extensifs, pour des questions d'équilibre du territoire et de réduction de la production. Or, si des aides en faveur du système extensif ont été mises en place, on a néanmoins continué à soutenir l'intensification, qui favorise les systèmes laitiers intensifs, pour lesquels la viande représente une seconde production.
Par ailleurs, la réforme a été inefficace en matière de limitation de la progression du poids des carcasses.
Si l'on ajoute à ces difficultés la baisse de la consommation et la remise en cause des débouchés, on ne peut que constater que la régulation du marché se révèle problématique.
Le choix d'une politique de l'élevage n'a jamais vraiment été fait : la viande bovine est donc, comme je l'ai déjà dit, soit un sous-produit d'une production, soit une production spécialisée.
Mais souhaitons-nous favoriser le développement d'une agriculture hypercompétitive, concentrée sur quelques régions, ou bien une agriculture gestionnaire de patrimoine cherchant à se satisfaire des objectifs de qualité et rattachée à ses terroirs. Cela me conduit, monsieur le ministre, à poser la question suivante : qui demain produira la viande bovine française ? S'agit-il des tenants de l'élevage intensif ou de ceux qui pratiquent l'élevage extensif, qui nourrissent leurs bêtes à l'herbe, au foin et aux céréales, autant de gages de qualité.
La réorientation du soutien au profit des systèmes allaitants qui valorisent l'herbe s'impose. Il était indispensable que ces producteurs, éleveurs de broutards, qui vivent une crise dans la crise, bénéficient d'une aide complémentaire. Ainsi, 770 millions de francs viennent de leur être attribués, comme vous l'avez dit ce matin, monsieur le ministre, répartis suivant une clé qui sera, je l'espère, bien acceptée et juste.
C'est une première reconnaissance de leur légitime demande, car on peut mesurer leurs impératifs et leurs handicaps en soulignant leur rôle dans le maintien d'une activité agricole dans les zones où il n'existe pas d'autre alternative, et l'effort qu'ils consentent souvent pour maîtriser la production par la limite des chargements à l'hectare. On peut aussi souligner que leur revenu est déjà à la traîne des revenus agricoles et qu'il existe une attente du consommateur quant aux produits de qualité.
La nécessité de maîtriser la production à long terme s'avère évidente, d'autant qu'elle n'a jamais été assurée. Le quota des droits à prime n'empêche pas de détenir des vaches non primées, soit plus de 300 000 en Europe, dont les trois quarts en France.
La maîtrise du cheptel ne peut concerner le cheptel laitier, le nombre de vaches étant déterminé par l'évolution des quotas laitiers. Elle concerne donc le cheptel allaitant et peut être instituée par un quota de primes plus contraignant se rapprochant d'un quota de production, par une action sur le montant des droits à prime, par la maîtrise du nombre de veaux engraissés en gros bovins et par un retour à un poids des animaux plus compatible avec l'équilibre du marché.
Parallèlement, la possibilité d'abattre des veaux laitiers de huit jours, qui existait dans la PAC de 1992, doit être mise en oeuvre.
La relance de la consommation exige de restaurer la confiance - c'est un atout majeur - et, pour cela, il faut que les consommateurs connaissent la provenance de la viande et ce que l'animal a mangé. Il faut aussi limiter le poids des carcasses pour limiter le poids des portions au détail, sachant que le consommateur pense non pas en termes de prix au kilogramme de viande mais en termes de prix des portions. Or, une entrecôte provenant d'un animal lourd est forcément plus chère.
Cet objectif peut être atteint par l'organisation d'un système strict d'identification et de suivi des produits, apportant les garanties nécessaires quant à l'identification systématique des bovins et à la traçabilité de la viande, de l'exploitation au panier du consommateur.
Il y a urgence, monsieur le ministre. Si l'approche territoriale cède le pas à la logique mercantile productiviste, la manifestation « Massif central mort » aura exprimé des craintes claires.
Une agriculture durable, à dimension humaine, comme vous l'avez dit ce matin, dégageant une valeur ajoutée grâce à une fiscalité de l'entreprise aussi faible que possible, s'intéressant aux filières, maintenant les territoires ruraux, tenant compte du choix des consommateurs et ayant une politique d'installation ambitieuse, voilà ce qui paraît souhaitable.
Il y a, monsieur le ministre, vous n'en doutez pas, une attente très forte du milieu agricole allaitant, qui s'interroge sur sa survie. Des mesures conjoncturelles sont donc nécessaires et urgentes ; des modifications structurelles sont attendues avec impatience et une certaine inquiétude. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Leyzour.
M. Félix Leyzour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous avons aujourd'hui sur la politique agricole de notre pays s'inscrit dans le cadre des débats thématiques voulus par M. le président du Sénat, la majorité RPR-UDF de notre assemblée et le Gouvernement, afin d'écourter par la suite la durée de la discussion budgétaire pour 1997 qui aura lieu à la fin de ce mois.
M. Fernand Tardy. Personne ne l'avait dit ! Très bien !
M. Félix Leyzour. Comme ce fut le cas ces dernières semaines pour la politique extérieure et pour la politique de défense, il s'agit d'un débat sans vote, destiné à permettre à chacun de s'exprimer sur les différents aspects de notre politique agricole sans que cela porte directement à conséquence sur le financement des mesures qui seront ainsi avancées.
M. Fernand Tardy. Très bien !
M. Félix Leyzour. Chacun pourra ainsi dire tout l'intérêt qu'il porte à l'agriculture, à la défense des intérêts de telle ou telle catégorie d'agriculteurs, et nos collègues qui soutiennent le Gouvernement pourront ensuite, dans quelques semaines, voter un budget insuffisant pour faire prendre en compte concrètement, par des mesures financières appropriées, les besoins du monde agricole.
C'est donc un moyen pour certains de faire entendre à peu de frais leurs nuances par rapport à une politique gouvernementale de plus en plus impopulaire, comme l'attestent désormais la montée du mouvement social et tous les instituts d'opinion.
Nous l'avons déjà dit à plusieurs reprises, mais je crois qu'il est encore nécessaire de le répéter : cette procédure, qui tend à déconnecter la discussion de fond de la réalité des votes de chacun, contribue non pas à renforcer le pouvoir législatif du Parlement, mais à cantonner ce dernier dans le rôle d'une simple instance consultative.
M. Fernand Tardy. Effectivement !
M. Félix Leyzour. La réduction de la durée globale du débat portant sur le budget agricole pour 1997 se traduira par une limitation considérable du temps de parole pour parler concrètement du budget.
En tout cas, ce n'est pas la conception que nous avons du rôle des assemblées parlementaires et de l'exercice de la démocratie dont nous souhaitons, au contraire, le développement.
M. Ivan Renar. Il fallait le dire !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. Félix Leyzour. Cette procédure de réduction de la place de la discussion budgétaire s'explique sans doute par la volonté de minorer l'importance de la discussion d'un budget du ministère de l'agriculture qui, l'an prochain, non seulement ne devrait pas suivre le rythme de l'inflation, mais est revu à la baisse par rapport à celui de 1996.
Evidemment, monsieur le ministre, comme vous l'avez fait à l'Assemblée nationale, vous justifierez votre budget, le moment venu, en indiquant qu'il a été élaboré dans un contexte de redressement budgétaire fondé sur la limitation des dépenses et la baisse des prélèvements fiscaux, cet objectif, selon le Gouvernement, étant nécessaire au redressement de la France.
Je ferai observer que la politique du Gouvernement ne limite pas la baisse des prélèvements fiscaux pour tout le monde. Si les revenus financiers sont faiblement mis à contribution, les prélèvements tombent de partout sur les salariés, les familles, les personnes disposant de faibles revenus.
J'ajouterai que sont de plus en plus rares ceux qui osent prétendre qu'il s'agit de redressement de la France. (Oh ! sur certaines travées du RPR.) Le Gouvernement parle, certes, de redressement, mais de plus en plus de Français constatent qu'il s'agit d'enfoncement, et si cela continue, on va droit dans le mur, pour employer une expression un peu triviale mais qui a cours actuellement.
Pour en revenir au projet de budget de l'agriculture, qui a déjà été examiné et adopté par l'Assemblée nationale et que nous aborderons plus en détail dans quelques semaines, si le temps nous le permet, il faut noter que le Gouvernement avait prévu de porter les préretraites de cinquante-cinq à cinquante-sept ans et de ne pas donner un centime au Fonds de gestion de l'espace rural, le FGER.
Conscient du mécontentement provoqué dans les campagnes par ces prévisions d'économie sur le dos de futurs retraités et sur le Fonds de gestion de l'espace rural, il a dû lâcher un peu de lest, mais en restant à l'intérieur de l'enveloppe budgétaire de 35 milliards de francs impartie au budget de l'agriculture, pourtant déjà en recul de 1 % sur celui de 1996.
Il va donc être débloqué de quoi garantir la continuité de la préretraite à cinquante-cinq ans, et 100 millions de francs seront attribués au FGER, alors que les engagements initiaux portaient sur 500 millions de francs ; nous en sommes loin !
Il semblerait que les sommes déplacées soient retirées de la dotation prévue pour le CNASEA, le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles.
En revanche, monsieur le ministre, vous n'avez pas concrétisé la promesse faite lors de la finale de labour, en septembre dernier, à savoir le déblocage de 150 millions de francs supplémentaires pour la réalisation du programme de maîtrise des pollutions dans les bâtiments d'élevage, dont a parlé tout à l'heure notre collègue M. Poncelet.
On sait cependant quels sont les besoins et l'attente des agriculteurs et de tous ceux qui sont attachés à l'amélioration de la qualité des eaux.
A cet égard, deux aspects des choses ne doivent pas être perdus de vue.
Tout d'abord, les besoins sont importants ; les agriculteurs, qui refusent de voir leur activité désignée comme la seule source de pollution, sont bien conscients de la nécessité pour eux de s'inscrire dans une démarche de réduction des pollutions, d'amélioration de l'environnement, de recherche de qualité.
Dans les conditions actuelles, en raison de la faiblesse des revenus d'un grand nombre d'entre eux, les objectifs fixés ne seront pas atteints sans une politique forte de subventionnement des travaux de mise aux normes, et il est illusoire de penser que les collectivités locales pourront se substituer à l'Etat dans ce domaine.
Par ailleurs, les exploitations les plus importantes ont été les premières, par nécessité et du fait de leurs possibilités, à s'engager dans la réalisation de travaux de mise aux normes. La réduction et la limitation des aides vont désormais pénaliser les exploitations moyennes et celles qui sont les plus modestes. C'est dire que, si l'on n'y prend garde, on mettra ces dernières en situation d'être éliminées, ce qui accentuera sans doute la concentration.
Sans prétendre que c'est voulu, je ne suis pas loin de penser que certains ne verront pas d'un mauvais oeil cette possibilité offerte à la concentration !
M. Alain Vasselle. A quel prix !
M. Félix Leyzour. En revanche, ce sera préjudiciable à l'ensemble de notre agriculture, au maintien d'une agriculture pouvant produire, occuper l'espace, aménager le territoire, être source d'activités et d'emplois.
En fait, le projet de budget présenté est étriqué. Il ne participe pas d'une réelle ambition pour l'essor de notre agriculture, dont on parle par ailleurs.
Il est en cela conforme à la politique agricole commune, telle qu'elle a été réformée en 1992 pour favoriser la conclusion des accords du GATT et telle qu'elle est depuis mise en oeuvre par la Commission européenne avec, au bout du compte, la bienveillance de tous les gouvernements des Quinze.
Comme ses partenaires de l'Union européenne, la France, en restreignant volontairement ses capacités productives, se plie à la volonté hégémonique des Etats-Unis et des multinationales américaines de l'agro-alimentaire, quitte à sacrifier des atouts de développement et de coopération.
Entre septembre 1994 et septembre 1995, l'excédent agricole des Etats-Unis a augmenté de 44 %, alors que la France connaît un déficit de 1,6 milliard de francs dans ses échanges de produits agricoles avec ce pays.
Alors que notre pays et les Etats membres de l'Union européenne corsètent leur agriculture dans d'étroits critères, les dirigeants américains, qui conçoivent la nouvelle Organisation mondiale du commerce comme l'instrument de leur politique commerciale, maintiennent leur arsenal protectionniste et viennent même de décider de créer les conditions pour augmenter leurs exportations de 50 % en dix ans.
Pendant que nous poursuivons notre politique de jachère, ils maintiennent leurs aides à l'exportation et mettent même en place un mécanisme d'aide fixe déconnectée de la production et des prix, qu'ils accompagnent de la remise en culture de vingt millions d'hectares de terres arables.
On peut dès lors s'interroger sur la validité de la notion de « prix mondial » sur laquelle est bâtie toute la réglementation de la nouvelle Organisation mondiale du commerce issue des accords du GATT signés à Marrakech en 1993 et qui sert à culpabiliser les agriculteurs français et européens.
C'est d'ailleurs sur cette notion de « prix mondial » que les industries laitières s'appuient depuis quelques semaines pour exiger une baisse de 2 à 3 centimes par litre de lait payé aux producteurs.
A ce propos, monsieur le ministre, on sait que l'association de la transformation laitière a réaffirmé ses préférences pour l'installation d'un double quota, avec prix différenciés en production laitière. Elle souhaite que l'organisation des marchés soit modifiée en conséquence avant l'an 2000 : « Un système de prix différenciés doit être mis en place afin que les exportations aient accès à une matière première laitière européenne à un prix compatible avec l'exportation non aidée de produits laitiers », explique-t-elle.
Si cette orientation prévalait, quand le double prix serait établi, il se trouverait alors de beaux exprits - nous savons qu'il y en a ! - pour demander rapidement que le prix le plus élevé se rapproche de plus en plus du cours mondial, avec toutes les conséquences que l'on devine pour la grande masse des producteurs.
Avec cette pression sur le prix du lait au départ de la ferme, les producteurs de lait pâtissent aussi de la baisse des prix des vaches de réforme et de l'effondrement des cours des veaux.
Evidemment, la situation confine au drame pour les éleveurs spécialisés en viande. Des tentatives sont faites - vous l'avez noté ce matin, monsieur le ministre - pour diviser les producteurs de lait et les éleveurs de troupeaux allaitants. Les uns et les autres sont sur le même bateau, avec ceci de particulier que les éleveurs de troupeaux allaitants sont encore plus touchés que les autres.
L'un des aspects essentiels de la crise actuelle - vous l'avez longuement évoquée ce matin, monsieur le ministre - tient à la diminution progressive de la consommation de viande bovine due à la réduction du pouvoir d'achat des familles, diminution que la maladie dite de la « vache folle » est venue accentuer. Des compensations ont été obtenues, voire arrachées suite à de larges mouvements de protestations,...
M. Alain Vasselle. Grâce à M. le ministre !
M. Félix Leyzour. ... dans des formes parfois inédites qui ont mobilisé les producteurs et qui ont entraîné la sympathie de la population.
Vous nous avez présenté les dernières mesures entrant dans le dispositif d'aide. Nous saluons toujours...
M. Christian Poncelet. Très bien !
M. Alain Vasselle. Il faut saluer M. le ministre !
M. Félix Leyzour. Nous saluons toujours, dis-je, ce qui peut être obtenu pour alléger le poids des difficultés des producteurs. Il reste maintenant à voir comment ces dispositions vont s'appliquer sur le terrain. Nous y serons attentifs, monsieur le ministre, car - vous le savez d'ailleurs mieux que quiconque - la traduction des aides aux éleveurs dépend souvent de conditions qui conduisent à des inégalités, à certaines injustices et à des mécontentements.
Jusqu'à ce dernier train de mesures annoncées, on estimait que les compensations représentaient globalement le quart des pertes. C'est dire si la situation était grave et si elle va demeurer préoccupante.
Puisque nous sommes dans un débat d'orientation, il est permis de se demander si, du côté de l'Union européenne et à divers échelons français, on ne tente pas d'utiliser cette crise pour obtenir, comme le prévoyait la réforme de la PAC, une réduction sensible de notre troupeau allaitant. Une telle solution laisserait finalement plus de place aux importations en provenance des Etats-Unis et des pays d'Europe centrale.
J'ai appris ces jours derniers que, alors que l'Union européenne va subventionner l'abattage des veaux de moins de vingt jours, il n'est nullement envisagé de faire jouer la clause de sauvegarde au sujet du contingent d'importation de jeunes bovins en provenance des pays d'Europe centrale, fixé à 500 000 têtes en 1996. Monsieur le ministre, nous aimerions connaître votre sentiment sur ce sujet qui concerne l'avenir de notre élevage.
A notre avis, les moyens de sauver le secteur de l'élevage et les emplois s'y rattachant existent.
Il est notamment urgent de compenser les pertes subies par les éleveurs. On a dit, monsieur le ministre, que vous aviez fait le forcing à Bruxelles. Nous enregistrons les résultats obtenus. Nous savons que le budget européen est porteur d'excédents qu'il faut s'attacher à employer opportunément en situation de crise.
En outre, il n'est pas interdit de penser, compte tenu de la situation, qu'un fonds d'intervention en faveur de l'élevage pourrait être créé dans notre pays. Il serait constitué grâce aux contributions de secteurs qui, telles les grandes firmes du négoce de l'alimentation animale dans le secteur agroalimentaire, ne s'en sont pas mal sortis ces derniers temps.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. Félix Leyzour. De son côté, le Crédit agricole pourrait aussi y contribuer : à situation exceptionnelle, dispositions exceptionnelles !
Et puisque les problèmes posés par l'équarrissage sont liés à cet ensemble de questions, nous avons là une piste à explorer pour le financement de cette opération.
M. Ivan Renar. Intéressant, cela !
M. Félix Leyzour. Il est déjà acquis - vous l'avez dit ce matin, monsieur le ministre - qu'il s'agira d'un service public relevant de la compétence de l'Etat. Il reste à décider maintenant des modalités de financement.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Par les communes !
M. Félix Leyzour. Cela étant, pour rétablir la confiance des consommateurs et garantir à ces derniers des produits de qualité, que l'on commence par appliquer à tous les pays de l'Union européenne les normes sanitaires française qui sont - il faut le reconnaître et le dire - les plus sérieuses et les mieux contrôlées !
MM. Christian Poncelet, Alain Vasselle et Georges Gruillot. Très bien !
M. Roland du Luart. Vous avez raison !
M. Félix Leyzour. Il serait tout de même paradoxal que, au niveau européen, on soit capable de mettre en place des réglementations tatillonnes fixant la longueur du poisson à pêcher ici et là ou les normes à respecter par le plus petit restaurant, alors que l'on n'a pourtant pas tellement à craindre la rupture de la chaîne du froid, et que l'on soit incapable d'interdire le trafic des farines animales mettant en cause la santé humaine !
C'est une grande question à laquelle nous devons réfléchir.
Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Georges Gruillot et Roland du Luart. Très bien !
M. Alain Vasselle. Nous sommes d'accord avec vous !
M. Félix Leyzour. S'agissant de l'élevage, qui est aujourd'hui au centre de nos préoccupations, il faut mettre en place une politique permettant aux éleveurs de vivre de leur métier, dans le respect de l'environnement et des exigences de qualité pour les consommateurs. Ce ne sera possible qu'avec une juste rémunération de leur travail. Quel que soit l'angle sous lequel on aborde les problèmes, on en vient toujours à cette question centrale du revenu des agriculteurs.
Monsieur le ministre, vous avez aussi évoqué ce matin le deuxième grand secteur, qui est celui des fruits et légumes et qui, d'habitude, est traité par Louis Minetti. Mon excellent ami et collègue est retenu dans son département en raison du voyage dans le sud de la France de la plus haute personnalité de l'Etat. Il reviendra donc sur cette question lors de la discussion du projet de budget.
Je dirai néanmoins que, dans tous les bassins de production, les agriculteurs sont confrontés à la même situation : une pression insoutenable sur les prix due aux importations abusives. On retrouve ici une constante des problèmes que nous rencontrons pour les productions agricoles, comme nous l'avons vu hier pour les produits des pêches marines.
Il faudra bien que cette évolution de l'Europe vers un ultralibéralisme toujours plus accentué soit remise en cause par la construction d'une nouvelle politique européenne. La France peut jouer un rôle essentiel dans ce sens.
S'agissant du débat d'aujourd'hui, une vision à moyen et à long terme de l'agriculture est indispensable ; mais celle-ci est inséparable de décisions immédiates qui relèvent chaque année du budget. C'est aussi à cela que se traduit la volonté d'un gouvernement en matière de politique agricole comme dans les autres domaines. Or, un budget étriqué, même bien présenté, n'a jamais fait une grande politique agricole ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Soucaret.
M. Raymond Soucaret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'actualité douloureuse de ces derniers mois, avec l'affaire de la vache folle, avec la crise à la fois structurelle et conjoncturelle qui a secoué la filière fruits et légumes cet été, a considérablement assombri le ciel de nos campagnes et le moral de nos agriculteurs.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous féliciter chaleureusement pour le combat talentueux et victorieux que vous avez mené à Bruxelles.
Nous savons les difficultés que vous avez rencontrées, nous saluons votre détermination, votre efficacité et votre ténacité, qui ont permis d'obtenir de nos partenaires des mesures adéquates d'intervention sur les marchés et le soutien des revenus. Grâce à vous, ce sont des millions de francs que les éleveurs vont pouvoir se partager.
Mais, au-delà des mesures conjoncturelles, n'oublions pas que cette crise pose la question plus globale de l'avenir de l'élevage bovin.
Un débat sur le seul budget de l'agriculture pour 1997 aurait paru modeste et décevant au regard de ces inquiétudes et des questions fondamentales que posent, pour l'agriculture française, l'élargissement européen, la négociation commerciale internationale, la nécessaire maîtrise des dépenses publiques, les crises sectorielles, les exigences nouvelles du consommateur, les dangers pour l'écosystème des pollutions diverses.
Je me félicite donc que notre assemblée ait pris l'initiative de ce débat avant la fin de cette année, débat qui se poursuivra avec la loi d'orientation annoncée pour le printemps 1997, comme vous l'avez encore confirmé ce matin, monsieur le ministre.
Il s'agit là de préciser nos enjeux, nos choix, nos stratégies.
Quelle force et quelle place pour notre agriculture dans le monde, quel rôle et quelle identité pour nos agriculteurs dans la société, quel lien entre la production et l'espace, quel système d'aides, comment résoudre les disparités dans les soutiens selon les régions et les productions, comment concilier les logiques propres au monde rural et les contraintes extérieures qui s'exercent sur lui ? Autant de questions, non exhaustives, qui appellent l'audace d'un vrai projet d'avenir qui définisse ce que l'on attend de l'agriculture, reconnaisse ses multiples fonctions et oriente son développement durable.
Avant de proposer quelques priorités, permettez-moi de faire un rapide diagnostic de la situation de l'agriculture française.
L'agriculture française tient une place singulière en Europe. Avec 12,7 % des exploitations européennes, la France demeure le premier producteur de l'Union à quinze, atteignant 21,3 % de la production totale.
Malgré cette place et celle qu'elle occupe sur le plan mondial - elle est la deuxième puissance exportatrice agricole - l'avenir de nos campagnes est aujourd'hui menacé.
La population active agricole est passée de 2 749 000 personnes, en 1970, à 1 148 000 en 1993.
Les jachères, qui occupaient 200 000 hectares dans les années quatre-vingt, couvraient 1 900 000 hectares en 1994.
En 1995, on dénombrait 734 800 exploitations, soit deux fois moins qu'en 1970, et, sur ce total, on a recensé, pour la même année, 289 000 exploitations dirigées par un actif ayant plus de cinquante-cinq ans.
De 1990 à 1993, on a enregistré la fermeture de 120 000 exploitations.
Cette évolution, certes largement due au vieillissement de la population agricole mais aussi à quatorze ans de gestion aléatoire, révèle un processus de marginalisation économique.
L'analyse des revenus fait apparaître qu'un tiers des exploitants agricoles, n'ayant d'autres ressources que celles de l'agriculture, ont un niveau de revenus que l'on peut qualifier de « subsistance ».
Là encore, quelques chiffres illustrent cette douloureuse réalité.
En 1981, 23 000 agriculteurs ont demandé à bénéficier des aides au rendement, alors que les organisations professionnelles agricoles et les administrations estimaient le nombre total d'agriculteurs en difficulté à 42 000.
Le Crédit agricole estimait, en 1988, le nombre d'exploitations fragiles à 54 600, contre 68 400 en 1989.
En 1988, les caisses de mutualité dénombraient 12 500 exploitants sans couverture sociale, avec plus d'un an de retard d'exploitation, et 48 000 en retard de paiement.
Des extrapolations à partir du réseau d'information comptable agricole font apparaître une augmentation constante, de 1984 à 1988, des exploitations à risque ; celles-ci passant de 44 000 à 82 000 dans la période considérée.
Voilà pour le diagnostic !
Je suis convaincu, monsieur le ministre, qu'il nous faut retrouver la politique agricole qui fut celle de la France sous la IIIe République et que reflétait le ministère de l'agriculture conçu par Gambetta.
Ce ministère - faut-il le rappeler ? - englobait la production, les échanges, l'éducation, la santé, l'aménagement.
Toutes les grandes questions contemporaines impliquent l'agriculture : la gestion de la mobilité et de la communication, la sauvegarde de la nature et de l'environnement, l'emploi et la santé, les loisirs, l'éducation, la formation et les nouveaux métiers, ainsi que vous l'avez souligné ce matin, monsieur le ministre.
Ce que Gambetta appelait « le ministère de l'intérieur des paysans » doit faire place aujourd'hui à un ministère où la politique agricole proprement dite soit non pas uniquement un dispositif technique mais un grand dessein.
L'agriculture n'est ni une pièce de musée à conserver sous verre pour satisfaire notre sens esthétique, ni l'enfant attardé de la modernité, mais un réservoir de valeurs dont nos sociétés incertaines devraient s'inspirer pour trouver plus de force dans la résolution de leurs problèmes.
Le problème agricole est un problème de société, voire de civilisation. C'est en affrontant le présent et en imaginant l'avenir que le monde agricole assumera son passé. Il faut instaurer un nouveau contrat entre la nation et ses agriculteurs ; l'identité paysanne, comme l'identité rurale, ne sont pas de vains mots.
La politique agricole doit donc s'insérer dans un vaste projet s'articulant autour de la gestion des espaces, de la régulation des productions, de la définition d'une politique alimentaire et de la construction d'un nouveau type de lien social.
Elle engage les politiques régionale, nationale et européenne à la fois sur le plan des structures, de l'aménagement du territoire, de la protection sociale et de la formation, de la santé et de l'hygiène, de l'environnement, de l'industrie et du commerce.
Les trois mots clés sur lesquels notre projet doit se fonder sont « qualité », « territoire » et « métier ». Un ministre du général de Gaulle, Edgard Pisani, l'avait bien compris, lui qui parlait de l'homme, du produit et de l'espace.
J'évoquerai d'abord la question de la qualité. Celle-ci est le pivot du changement économique et culturel à mettre en oeuvre. Elle se décline sur plusieurs registres : qualité gustative du produit, qualité nutritionnelle ou nutritive, qualité sanitaire, qualité de la présentation.
Ne mésestimons pas l'émotion de l'opinion publique, aussi bien dans l'affaire du veau aux hormones que dans celle de l'épidémie de la maladie dite de la vache folle !
Apaiser cette émotion implique une amélioration du produit, mais également une amélioration du processus de sa transformation et de sa distribution.
Je me réjouis que cette politique de l'hygiène et de la qualité ait fait l'objet d'une priorité réaffirmée dans le projet de budget pour 1997. Mais il reste beaucoup à faire pour impliquer la profession agricole, pour rassurer nos concitoyens et pour les convaincre que cette exigence n'est pas incompatible avec le progrès et la technologie.
A ces enjeux, s'ajoutent ceux concernant la qualité du support de production, c'est-à-dire la terre, ce qui me conduit à parler du territoire.
Outre son rôle économique, l'agriculture contribue à l'aménagement du territoire, à la structuration des paysages et à la préservation de l'environnement.
On doit chercher, à cet égard, le meilleur équilibre possible entre la production et l'occupation de l'espace. Cela suppose que les agriculteurs soient motivés et qu'ils partagent le souci commun de mieux gérer cet espace. Or, qu'il s'agisse du fonds de gestion de l'espace rural, de la mise aux normes des bâtiments d'élevage ou des mesures dites « agri-environnementales », les dotations prévues ne sont pas à la hauteur de l'enjeu.
J'appelle de mes voeux la mise en oeuvre de la politique souhaitée par Charles Pasqua et relayée par Jean François-Poncet : la revitalisation de nos communes rurales et le développement du tourisme vert, branche du tourisme qui a connu le plus fort succès depuis une dizaine d'années.
En ce qui concerne le métier, enfin, il s'agit non de réinventer le paysan ou l'agriculteur, mais de réaffirmer le caractère fondamental et essentiel de l'activité agricole.
Cette reconnaissance passe par le renouvellement de la solidarité nationale, la redéfinition du statut socioprofessionnel de l'agriculteur et le soutien à l'installation des jeunes - vous l'avez dit ce matin, monsieur le ministre.
S'agissant de ce dernier point, enjeu majeur au vu de la démographie agricole et de l'évolution du nombre des exploitations, le Gouvernement a affiché sa priorité, dans le projet de budget pour 1997, conformément à la charte nationale pour l'installation des jeunes, signée le 6 novembre 1995. J'en suis heureux et je souhaite que ces efforts budgétaires soient poursuivis dans les années à venir. Par ailleurs, l'atténuation du coût de la transmission des exploitations, notamment par le biais fiscal, reste un dossier ouvert.
J'ai également noté votre décision de ne pas modifier le régime de préretraite jusqu'à son terme du 15 octobre 1997 prévu par la loi de modernisation de 1995.
Vous me permettrez néanmoins d'insister, en souhaitant que soient très rapidement dégagés les moyens budgétaires d'une augmentation des taux des préretraites comme des retraites, leurs niveaux étant très insuffisants, pour ne pas dire indécents.
Les anciens ont droit à la reconnaissance de la nation ; ils ont contribué, depuis quarante ans et plus, à faire de la France la deuxième puissance exportatrice mondiale sur le plan agricole et agro-alimentaire. Cette solidarité doit s'exprimer à travers les retraites.
Je compte sur vous, monsieur le ministre, ainsi que tous les élus nationaux et locaux de la France rurale, pour améliorer la vie quotidienne de nos anciens.
J'ajouterai un mot sur l'idée, en vogue aujourd'hui, d'une réduction du temps de travail. Cette mesure, je ne crains pas de l'affirmer, serait une calamité supplémentaire pour l'agriculture, car l'ensemble de nos concitoyens connaîtraient alors une substantielle baisse de leur pouvoir d'achat.
Telles sont les quelques pistes de réflexion que je souhaitais vous soumettre. Les défis que doit relever le monde rural sont majeurs non seulement pour lui-même, mais aussi pour l'ensemble de la société. L'agriculture française a vocation à assumer le changement et la métamorphose qui affectent aujourd'hui l'ensemble des activités économiques.
Monsieur le ministre, le temps qui m'est accordé au cours de ce débat ne me permet pas de commenter point par point vos propos de ce matin. Je m'efforcerai de le faire lors de la discussion du budget de l'agriculture, le 5 décembre prochain.
Permettez-moi, toutefois, en quelques mots, de vous remercier au sujet de quelques points que vous avez évoqués et qui ont une relation avec les propos que je viens de tenir.
Je vous félicite d'avoir eu le souci d'une répartition équitable des aides apportées aux éleveurs.
Je vous remercie pour vos idées d'amélioration des retraites ou préretraites des agriculteurs.
Je me félicite de votre intention d'être vigilant sur l'enseignement agricole et je souscris à vos projets d'installation des jeunes, de soutien à la forêt et au souci d'un meilleur traitement des animaux de compagnie.
Enfin, je vous remercie vivement pour le grand, le très grand projet de loi d'orientation agricole que, si vous me le permettez, j'appellerai : « loi d'adaptation de l'agriculture et du milieu rural au monde d'aujourd'hui et de demain. »
Pour tout cela, je vous dis merci, monsieur le ministre.
Une fois de plus, j'ai la conviction que la société paysanne donnera l'exemple, parce que, comme le disait Montesquieu, « les paysans ne sont pas assez savants pour raisonner de travers ». (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants ainsi que sur plusieurs travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. du Luart. M. Roland du Luart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les contraintes de l'actualité aussi bien que mon mandat de président du groupe sénatorial de l'élevage me conduisent, bien évidemment, à centrer mon intervention sur la crise dite de la vache folle.
Il me paraît nécessaire, tout d'abord, d'essayer de résumer les connaissances scientifiques dont nous disposons sur cette maladie animale. L'encéphalopathie spongiforme bovine ou ESB constitue une maladie dégénérative du système nerveux central, à l'instar de la tremblante du mouton, connue dès le xviiie siècle. Trois maladies humaines présentent une pathologie comparable, parmi lesquelles la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
L'ESB est associée à la présence d'un agent de transmission non conventionnel, le prion, qui n'est ni une simple protéine, ni un virus. Les études effectuées par des chercheurs anglais ont mis en évidence une certaine parenté génétique entre l'ESB et la maladie de Creutzfeldt-Jakob, cette proximité permettant d'émettre l'hypothèse d'une grande probabilité de franchissement de la barrière des espèces.
Les animaux atteints, dont l'âge est compris entre trois et six ans, présentent de graves troubles du comportement, des troubles locomoteurs et une dégradation de leur état général, ce qui aboutit en quelques semaines ou en quelques mois à une mort inéluctable. La maladie fut observée pour la première fois en 1985, dans le Kent ; 163 000 cas ont été recensés à ce jour au Royaume-Uni, dans 33 000 exploitations, contre seulement vingt-quatre cas en France, heureusement.
Les recherches effectuées par la communauté scientifique imputent avec un grand degré de fiabilité les farines de viandes et d'os consommées par les bovins au cours de la décennie quatre-vingt. En effet, pendant cette période les équarisseurs anglais avaient cessé l'utilisation d'un solvant et abaissé les températures de cuisson des viandes destinées à être transformées en farines. Bien qu'apparue en 1985, le premier cas officiel d'ESB a été enregistré au cours de l'été 1986. Les farines en cause contenaient des sous-produits ovins et bovins. Il semble donc évident que l'allégement des contraintes physiques imposées pour la préparation des farines animales est à l'origine de l'épizootie. Ce constat est confirmé par la diminution rapide de l'ESB à partir de 1994, lorsque le Royaume-Uni a interdit l'utilisation de ces farines.
Je rappelle que, dans notre pays, lorsqu'un animal est reconnu atteint de l'ESB, le troupeau entier est euthanasié et incinéré.
Jusqu'en 1996, ni la communauté scientifique, ni les autorités sanitaires nationales, ni les instances communautaires ne se sont réellement préoccupées de l'ESB. C'est le ministre britannique de la santé publique, M. Stephen Dorrell, qui, dans une déclaration du 19 mars 1996, a ému la communauté internationale en émettant l'hypothèse d'une transmissibilité de l'ESB à l'être humain sous la forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, cette transmissibilité étant imputable à l'alimentation animale. Cette déclaration se fondait sur l'identification de dix cas atypiques de la maladie de Creutzfeldt-Jakob affectant des personnes jeunes.
Dès lors, le doute s'est insinué aussi bien parmi les autorités publiques que chez les consommateurs et les éleveurs.
Le professeur Dominique Dormont, chef du service de neurovirologie du service de santé des armées et du Commissariat à l'énergie atomique, a remis au début de l'été le rapport de la mission qui lui avait été confiée par le Gouvernement. Il conclut, notamment, que, si l'immense majorité des cas d'ESB est due à la contamination par l'alimentation, les résultats actuels ne permettent pas de conclure à l'absence totale de transmission périnatale.
Il y a lieu de souligner que, pour la quasi-totalité des élevages de bovins-viande traditionnels, les farines animales n'ont jamais été utilisées et que cette pratique s'est limitée à quelques exploitations laitières intensives. Cette évidence doit être constamment réaffirmée par les pouvoirs publics et par les élus aux consommateurs afin de pallier une certaine désinformation conduite par les médias, qui, à la recherche du sensationnel, voire du morbide, ont affolé les consommateurs.
De nouvelles études britanniques du professeur John Collinge, publiées en octobre 1996 dans la revue Nature, renforcent la crédibilité des hypothèses quant à la transmission de l'ESB à l'homme sous la forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Si la transmission de la maladie par ingestion de farines de viande d'animaux contaminés ne semble plus faire de doute, aucune infectuosité n'a pu être mise en évidence, fort heureusement, dans le lait. Le comité Dormont ne préconise pas l'interdiction pure et simple des farines de viandes et d'os dans l'alimentation d'autres espèces que les ruminants. Il est en effet observé que les porcs n'ont jamais pu être contaminés par voie orale, pas plus que les volailles, qui semblent insensibles à des tentatives d'infection expérimentale.
Il y a lieu de rappeler qu'en France les farines animales ont été interdites aux ovins et aux caprins en 1994.
Il importe à présent de rappeler les mesures sanitaires engagées.
En 1986, le Royaume-Uni reconnaît officiellement l'épizootie d'ESB.
En 1988, l'ESB devient une maladie à déclaration obligatoire, au lendemain de sa notification officielle à l'Organisation internationale des épizooties.
Le 22 mars 1996, dès l'annonce par le ministre de la santé britannique de l'éventuelle transmission à l'homme de l'ESB sous la forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, la France interdit l'importation de bovins britanniques. Elle est suivie dans cet embargo par l'Union européenne.
Le 28 mars, monsieur le ministre, vous prescrivez la consignation de 76 000 veaux d'origine britannique en cours d'élevage sur notre territoire. Ces veaux ont ensuite été abattus et incinérés.
Le 4 avril, le conseil agricole de l'Union européenne confirme l'embargo et impose au Royaume-Uni le retrait des bovins de plus de trente mois des chaînes alimentaires humaines et animales. Cette mesure implique l'incinération de 2,5 millions d'animaux sur trois ans. Elle est confirmée au sommet européen de Florence, le 21 juin, sommet au cours duquel les Quinze mettent au point un plan d'éradication dont la réalisation par la Grande-Bretagne conditionnera un assouplissement de l'embargo par étape.
Ce plan prévoit l'abattage sélectif des bovins britanniques nés entre 1989 et 1993, et susceptibles d'avoir ingérés des farines animales, soit environ 150 000 animaux.
On doit déplorer que le Premier ministre britannique ait récemment remis en cause les mesures de retrait des bovins de plus de trente mois, alléguant que leur consommation ne faisait courir aucun risque à la population.
Plusieurs autres pays, l'Allemagne, notamment, ont suivi une politique analogue à celle de la France, politique tendant à instituer un embargo sur les animaux et les viandes britanniques.
En ce qui concerne les farines animales, leur utilisation avait été interdite dès le mois de juillet 1988 au Royaume-Uni ; leur importation avait été proscrite en France en août 1989. Le 24 juillet 1990, la France interdisait l'utilisation des farines de viande dans l'alimentation des bovins. En avril 1996, l'Union européenne imposait de nouvelles conditions technologiques de fabrication des farines animales permettant d'inactiver les agents de l'ESB et de la tremblante du mouton, à savoir une cuisson à 133 °C pendant vingt minutes sous une pression de trois bars.
La France a complété ces dispositions le 29 juin, en interdisant l'incorporation dans les farines animales des cadavres d'animaux, des saisies d'abattoirs et du système nerveux central des ruminants. Pour ce qui concerne la gélatine, l'embargo demeure en vigueur.
Bien entendu, les éleveurs spécialisés ont été directement touchés par les conséquences de l'épizootie d'ESB. Depuis dix ans, on déplore, certes, une diminution lente mais régulière de la consommation de viande bovine. Toutefois, l'année 1995 se caractérise par un retournement de tendance, puisque les achats de viande de boeuf par les ménages ont augmenté de 2,1 %, puis à nouveau de 2 % au premier trimestre de 1996.
Au cours de la première vague de la crise, en avril et en mai 1996, les achats des ménages ont diminué respectivement de 16 % et de 17 %, puis ils se sont stabilisés en juin à moins 15 %. Les achats d'abats ont fortement diminué dès le début de la crise, chutant de 35 % par rapport à la même période de l'année 1995.
Lors de la seconde vague de la crise provoquée par l'annonce, d'une part, de la transmissibilité de l'ESB aux macaques, d'autre part, de la circulation en France de farines anglaises, la consommation s'est à nouveau dégradée, accusant une baisse de 25 % pour les achats de viande bovine au mois de juillet et de 45 % pour les achats d'abats.
La mise en place du logo « viande bovine française » a contribué, je le crois, à rassurer les consommateurs, en particulier vis-à-vis de la boucherie traditionnelle. Ainsi, une forte demande de produits bénéficiant d'un label s'est exprimée tant auprès des bouchers que dans les grandes surfaces, cependant que les consommateurs reportaient leurs achats de viande rouge sur d'autres produits, à savoir les poulets sous label - plus 25 % - la viande de cheval - plus 30 % - et les pintades - plus 33 %.
M. Alain Vasselle. Et le poisson !
M. Roland du Luart. Effectivement, sans compter le poisson. Les cours des viandes à la production ont été évidemment fortement affectés par cette diminution du volume des achats, la diminution des prix à la présentation étant de l'ordre de 20 % à 30 %.
Le recours à l'intervention a porté sur 300 000 tonnes. Les règles afférentes au poids et à la qualité des carcasses ont été assouplies, à titre temporaire, pour permettre aux broutards de faire l'objet d'achats publics.
Face à la crise, les pouvoirs publics français ont réagi extrêmement rapidement. Dès le lendemain de la déclaration du ministre de la santé britannique, vous avez prescrit, monsieur le ministre, la fermeture des frontières et la mise en place d'un important dispositif pour identifier les viandes d'origine française. C'est le 25 mars que vous avez annoncé la mise en place du dispositif d'identification de l'origine des bovins que je citais précédemment et qui est géré par l'interprofession Interbev. Le centre d'information des viandes a mené une politique de sensibilisation du public afin, si l'on peut dire, de « dédiaboliser » la viande bovine.
Des mesures ont été engagées dès le mois de juin pour soutenir le revenu des éleveurs, au sommet européen de Florence, les 20 et 21 juin. Les Quinze ont débloqué 850 millions d'écus, 581 millions d'écus étant destinés, d'une part, à relever de 27 écus le montant des primes à la vache allaitante et, d'autre part, à augmenter la prime au bovin mâle de 23 écus.
La France a consacré 66,5 millions d'écus à des aides nationales en faveur des éleveurs les plus sinistrés. Au total, la France ayant obtenu 1,44 milliard de francs de l'Union européenne et utilisé la possibilité d'abonder cette dotation par des crédits nationaux, ce sont en définitive 2,9 milliards de francs qui ont été consacrés au soutien du revenu des éleveurs.
A la fin du mois de juin, monsieur le ministre, vous avez adopté un dispositif tendant à ce que la prime au bovin mâle de 1 000 francs par tête et la prime au maintien du troupeau allaitant de 1 575 francs soient versées dès le 1er août. Le 15 septembre, 600 millions de francs ont été répartis entre les départements au profit des éleveurs les plus en difficulté. Je n'ignore pas, monsieur le ministre, qu'une certaine controverse est née sur l'origine de la moitié de cette dotation de 600 millions de francs, controverse alimentée, en particulier, par l'éventualité de la mobilisation de crédits provenant des secteurs de la production végétale.
Par ailleurs, les producteurs spécialisés bénéficient d'un report de 50 % des cotisations sociales dues pour 1996, et ce jusqu'en 1999. Cela représente, selon vos services, un allégement de 7 500 francs par exploitation, en moyenne. De plus, les éleveurs spécialisés bénéficient d'une prise en charge des intérêts correspondant aux annuités d'emprunt sur la période allant de juin 1996 à juin 1997, l'échéance correspondante étant estimée, globalement, à 2,5 milliards de francs.
Grâce à votre ténacité, monsieur le ministre, et malgré la position réservée de certains de nos partenaires, vous avez obtenu, le 30 octobre dernier, à Luxembourg, la mise en oeuvre d'une mesure additionnelle de soutien aux éleveurs de viande bovine, gravement affectés par la crise. Cette mesure porte sur un montant global de 500 millions d'écus pour l'ensemble de l'Union européenne, dont 23,8 %, soit 770 millions de francs, pour l'élevage français. Cette somme, vous l'avez annoncé ce matin, a été portée à un milliard de francs par le conseil des ministres. Bravo ! monsieur le ministre, pour votre efficacité. Bravo ! pour le service rendu aux éleveurs, aujourd'hui si durement touchés.
En outre, l'Union européenne s'est assigné pour objectif de diminuer d'un million de têtes le cheptel de veaux, afin de contribuer à réguler le marché.
La prime spéciale aux bovins mâles a été augmentée de 24 % pour les animaux ayant atteint dix mois, le versement de la seconde tranche de cette prime pour les taureaux de plus de vingt et un mois étant supprimé afin d'inciter à la production d'animaux plus légers.
La prime à l'encouragement des élevages extensifs a été, sur votre initiative, monsieur le ministre, portée à 345 francs, soit une augmentation de 44 %, cette mesure correspondant à la demande des consommateurs concernant les conditions d'élevage des animaux et la qualité de leur viande.
S'agissant de la gestion des marchés, l'intervention communautaire sur les broutards a été mise en oeuvre dès le 16 septembre, cependant que le retrait des petits veaux a commencé le 11 octobre. A ce jour, plus de 8 000 de ces animaux ont été retirés du marché.
Les entreprises de la filière ont bénéficié de prêts et d'aides spécifiques permettant de pallier les conséquences sur leur trésorerie de la diminution de leurs activités industrielles ou commerciales. Toutefois, certaines de ces entreprises, qu'il s'agisse d'abattoirs ou d'ateliers de transformation, voient leur existence mise en péril par la crise, et l'on peut estimer de 10 000 à 15 000 le nombre des emplois perdus ou menacés.
Cette crise a eu des retentissements sur l'ensemble des agents de la filière, en particulier sur l'industrie de l'équarrissage. La non-valorisation des cadavres et des saisies pourrait représenter un coût de 350 millions à 400 millions de francs par an pour les entreprises d'équarrissage. Les pouvoirs publics ont, dans un premier temps, annoncé qu'ils prenaient à leur charge 50 % de la collecte et de la transformation des cadavres enlevés dans les exploitations. Les compléments financiers ont été apportés à l'échelon des départements. Mais des disparités sont constatées entre les départements, ce qui est malsain. Cette situation rend indispensable une réforme de la loi de 1975 sur l'équarrissage, mais vous vous y êtes engagé ce matin.
Face à la crise liée à l'inquiétude des consommateurs après l'annonce de la poursuite, après 1989, d'importations de farines de viandes britanniques, les administrations concernées - les douanes et la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes - ont effectué de très nombreux contrôles qui ont permis de conclure à un très faible niveau d'infractions.
La crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine a constitué, en l'aggravant, le révélateur d'une crise structurelle de l'élevage bovin. Il est, hélas ! vraisemblable que la consommation des viandes bovines ne retrouvera pas son niveau d'avant la crise. Certains consommateurs ont modifié durablement leurs habitudes alimentaires. Leur exigence de qualité requiert des disciplines renforcées dans les techniques d'élevage, notamment l'abandon définitif de l'utilisation des farines de viande et d'os au profit de farines végétales fabriquées, notamment, avec des oléo-protéagineux. La profession doit intensifier l'action de sensibilisation sur les vertus hygiéniques et gustatives de la viande, en particulier de la viande bovine. Telle est du reste la mission du centre d'information des viandes, que préside M. Marcel Bruel.
Les consommateurs exigent de pouvoir identifier la viande qu'ils achètent. A cet égard, nos compatriotes établissent fréquemment la comparaison avec des vins ou des fromages, qui bénéficient d'une indication géographique de provenance. Il est donc indispensable, monsieur le ministre, de promouvoir la traçabilité des viandes.
L'extensification, qui est déjà largement pratiquée dans les zones de production traditionnelle du troupeau allaitant, peut présenter le double avantage de renforcer les critères de qualité des viandes et de diminuer le cheptel bovin.
L'extensification doit cependant être également appréciée au regard de son objectif - favoriser l'installation du plus grand nombre de jeunes exploitants - ainsi que de ses répercussions sur les conditions d'occupation et d'aménagement du territoire. L'extensification ne doit pas conduire à accroître le dépeuplement des zones d'élevage spécialisé.
La situation structurellement excédentaire de l'Union européenne en viande bovine impose une réforme de l'organisation commune du marché. En effet, le recours massif à l'intervention, le retrait des veaux de huit jours ne sont que des palliatifs face à l'ampleur de la crise. Il est de surcroît illusoire de penser que l'on puisse exporter de la viande bovine sans le versement de restitutions.
La crise de la vache folle a du reste diminué dans des proportions importantes les débouchés à l'exportation.
On peut, en outre, redouter la concurrence de pays où le cheptel n'est pas atteint par l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et l'Argentine, par exemple.
S'agissant des Etats-Unis, il est essentiel que l'Union européenne refuse des exportations de viande provenant d'animaux ayant subi l'implantation d'anabolisants. Si de telles exportations parvenaient en Europe, il n'est pas douteux que l'on assisterait à une campagne de boycottage de la part des consommateurs, campagne qui plongerait la filière bovine dans une nouvelle crise.
M. Christian Poncelet. Très juste !
M. Roland du Luart. Il semble donc que l'Europe doive engager une réforme de l'organisation commune du marché, une réforme visant à diminuer le volume du troupeau européen. A cet effet, il pourrait être envisagé de diminuer les contingents nationaux de droits à prime, voire d'instituer un système de quotas, dans des conditions inspirées mutatis mutandis de la réforme laitière de 1984.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la filière bovine traverse la plus grave crise de son histoire. Des exploitations sont menacées de disparition en amont de la filière, des exploitants subissent des préjudices, d'autres sont victimes de faillites.
Je sais, monsieur le ministre, l'énergie que vous avez déployée depuis le début de la crise, tant au plan national qu'à l'échelon européen. Votre action, comme celle du Gouvernement, a été inspirée par le principe de précaution face à des risques potentiels pour la santé publique et par la volonté de préserver le revenu des éleveurs et la pérennité de leurs exploitations.
Vous avez d'ailleurs donné une priorité, dans votre budget, à la sécurité sanitaire et à l'hygiène alimentaire.
Vos efforts doivent être poursuivis, en liaison avec la profession, en particulier avec la Fédération nationale bovine que préside M. Joseph Daul.
Nous tous, élus, devons nous mobiliser. Je rappelle à ce propos qu'une mission d'information a été constituée à l'Assemblée nationale et qu'elle est présidée par Mme Evelyne Guilhem.
Par ailleurs, une commission d'enquête a été mise en place au Parlement européen pour identifier, plus spécifiquement, la responsabilité des instances communautaires.
Tout doit être mis en oeuvre pour sauver la filière bovine et redonner espoir aux éleveurs. C'est à cette mission que nous ont appelés les éleveurs de Charroux.
Monsieur le ministre, je vous renouvelle pleinement ma confiance et, au nom du groupe des Républicains et Indépendants, je vous exprime notre gratitude pour votre combativité et votre efficacité dans l'action que vous menez en faveur des éleveurs français. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le ministre, mon premier propos sera pour vous dire combien j'ai apprécié l'énergie que vous avez déployée et la manière dont vous avez géré la crise de la filière bovine, et pour vous féliciter de la célérité des réponses que vous avez apportées, qu'elles soient réglementaires ou financières. Soyez assuré de mon admiration pour ce succès obtenu, par vous-même et vos services.
Avant de vous faire brièvement part des réflexions que m'inspire la préparation de la future loi d'orientation, je voudrais centrer mon intervention sur l'un des secteurs les plus prometteurs de notre économie, l'industrie agroalimentaire, sans laquelle il ne peut y avoir de bonne formation du revenu agricole.
L'industrie agroalimentaire française est, à bien des égards, un géant ignoré. Première branche industrielle de la France, avec un chiffre d'affaires de 650 milliards de francs si l'on prend en compte la partie production et de 670 milliards de francs si l'on prend la partie consommation, elle peut être considérée comme l'un des pôles d'excellence de notre pays, puisqu'elle représente 44 milliards de francs de soldes excédentaires dans la balance des paiements, sur les 53 milliards de la balance agroalimentaire.
Au total, ce sont près de 540 000 emplois, dont 72 % situés en milieu rural, et une valeur ajoutée de la branche agroalimentaire plus importante que celle de l'agriculture de production qui font de ce secteur d'activité l'un des premiers à l'exportation à côté de l'aéronautique et de l'industrie automobile.
En outre, c'est une branche dont la croissance ne s'est pas démentie au cours des dernières années : 1,8 % par an. Elle n'a pas été touchée par la crise et par la réforme de la politique agricole commune à part dans deux secteurs : les huiles et le travail du grain. Cette branche a connu une croissance continue.
Toutefois, cette approche favorable n'est pas exempte de contrastes et de carences inquiétantes. La mondialisation des échanges et les désordres monétaires internationaux exacerbent la concurrence. Celle-ci s'aiguise, que ce soit entre pays industriels, ou entre ces derniers et les pays en développement.
De plus, l'innovation étant devenue une arme concurrentielle fondamentale, les entreprises sont contraintes à des adaptations constantes qui peuvent remettre en cause leurs compétences et leur organisation.
La taille insuffisante des entreprises, les lacunes de la seconde transformation, parfois les difficultés du secteur coopératif, nos pratiques culturelles de cloisonnement, notamment dans la gestion de l'information, fragilisent les entreprises agroalimentaires.
Au-delà de ces aspects, il convient de souligner l'absence d'image de ce secteur d'activité au regard de son rôle dans notre économie. Elle existe certes, mais elle est parcellaire, limitée à quelques grandes entreprises, sans effet dynamique réel sur l'ensemble du secteur et sur nos concitoyens.
Il est donc absolument nécessaire, monsieur le ministre, au moment où l'économie mondiale connaît de profondes mutations, de mettre en place une véritable stratégie de consolidation et de conquête pour notre industrie agroalimentaire, afin de la conserver, de la développer, afin de convaincre nos producteurs de l'importance du rôle qu'ils ont à jouer en amont de cette filière.
Pour ma part, je voudrais vous suggérer cinq pistes de réflexion, citer cinq défis essentiels à relever pour répondre aux enjeux qu'affronte cette industrie. Ils devront guider l'action politique de votre ministère, à la fois sur le plan budgétaire et dans le domaine international.
La première de ces pistes concerne bien entendu la sécurité alimentaire. Je sais, monsieur le ministre, qu'il s'agit là de l'une de vos préoccupations - vous nous l'avez rappelé - notamment depuis la survenue de cette terrible crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine.
Mais si celle-ci a constitué un révélateur, elle est aussi l'illustration d'un souci structurel : celui de la préservation de la santé publique, que rien, absolument rien, ne doit menacer.
Je souhaite donc que la portée du prochain projet de loi sur la sécurité alimentaire, que vous vous apprêtez à présenter devant le Parlement, dépasse celle des conflits entre administrations et permette de lever les doutes de nos concitoyens en la matière.
La deuxième piste que je veux évoquer devant vous tient à la capacité à exporter de nos entreprises et aux relations avec nos partenaires dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.
L'avenir de notre industrie agroalimentaire passe bien entendu par le maintien de ses parts de marché en France et dans l'Union européenne, mais surtout par sa capacité à conquérir de nouveaux débouchés hors d'Europe.
Les entreprises doivent s'y préparer, et elles le font. Nous devons les accompagner par le biais d'une réglementation des échanges cohérente et sans faiblesse.
Ainsi, la restructuration en cours du CFCE, le Centre français du commerce extérieur et des organismes spécialisés à l'export ne doit pas provoquer des perturbations qui rendraient le remède pire que le mal. Je pense notamment à la direction des échanges agricoles du CFCE, qui doit être maintenue, voire renforcée.
En ce qui concerne les négociations multilatérales internationales, l'objectif est de ne pas baisser la garde. Les accords décidés dans le cadre du GATT doivent être respectés jusqu'à la date prévue, c'est-à-dire 1999. Nous ne devons pas céder aux sirènes de la renégociation avant terme qui conduirait inéluctablement à la remise en cause de notre système de restitution, lequel doit être maintenu. A Singapour, dans quelques semaines, il faudra montrer, monsieur le ministre, une fermeté sans faille.
La troisième piste concerne l'innovation et les investissements qui doivent être favorisés.
Les entreprises sont, certes, exportatrices, mais elles doivent être aussi innovantes, car c'est l'innovation qui est la clé de voûte de l'industrie agroalimentaire de demain. Le CIAT auquel vous avez participé la semaine dernière l'a bien montré.
A cet égard, la part de recherche-développement dans cette industrie, rapportée au chiffre d'affaires, n'est pas toujours à la hauteur des enjeux. La recherche publique accomplit un travail remarquable grâce notamment, à l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA ; il conviendrait cependant d'orienter encore davantage cette recherche vers la transformation des productions par l'industrie agroalimentaire.
Je dirai un mot sur l'importance des investissements et de la prime d'orientation agricole, la POA. Il convient de ne pas laisser s'amoindrir cette ligne dans votre budget, ni de la confier totalement aux régions. Comme vous le savez, monsieur le ministre, la POA est la contrepartie nationale nécessaire pour mobiliser les concours du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole, le FEGOA et de l'instrument financier d'orientation de la pêche, l'IFOP, dont le montant, sur cinq années, s'élève à 1 823 millions de francs pour 10 milliards de francs d'investissements éligibles.
La quatrième piste a trait aux relations avec la grande distribution.
Nous avons voté récemment une loi visant à modifier l'ordonnance de 1986 et à rééquilibrer les relations commerciales entre les fournisseurs et les distributeurs.
Force est de constater que la mise en place de nouvelles pratiques tarde à s'effectuer. L'attentisme est de rigueur et les méthodes visant à détourner la loi sont à l'oeuvre. Nous devons être vigilants, et sans doute plus attentifs à l'application des dispositions législatives, tout en poursuivant les négociations avec les distributeurs, notamment pour ce qui relève de l'identification des produits et de la sécurité alimentaire.
Je terminerai ce rapide panorama par une cinquième piste, à savoir la nécessité absolue de renforcer la puissance de nos entreprises agroalimentaires nationales en favorisant l'émergence de groupes aptes à affronter la concurrence internationale.
Nous reviendrons plus en détail très prochainement sur le budget de l'agriculture, mais je tiens à vous remercier dès aujourd'hui d'avoir accepté les amendements de l'Assemblée nationale sur la prime d'orientation agricole, sur le fonds de gestion de l'espace rural et sur le régime des préretraites agricoles. Je tiens cependant à vous dire, monsieur le ministre, que, pour ce qui est de la mise aux normes des bâtiments d'élevage, il n'est pas possible d'arrêter les programmes en se fondant sur la seule impossibilité de trouver des moyens financiers dans les caisses de l'Etat.
Un mot encore pour évoquer le conflit qui, dans plusieurs départements de grande culture, dont le mien, la Somme, oppose les professionnels agricoles et les pouvoirs publics sur l'application de la circulaire européenne sur les nitrates. Il est indispensable d'aller vers une solution tenant compte de la position des agronomes, qui oeuvrent depuis plus de dix ans pour la sauvegarde d'un environnement qui est le leur et qu'ils ont su respecter. Il faut favoriser l'adoption de chartes départementales de l'environnement élaborées par tous les partenaires et les engageant tous.
Après ce que vous avez dit ce matin, monsieur le ministre, je souhaite revenir rapidement sur le projet de loi d'orientation agricole.
M. le président. Pardonnez-moi de vous interrompre, monsieur Deneux, mais vous avez dépassé votre temps de parole et vous utilisez celui des autres orateurs de votre groupe.
M. Marcel Deneux. Je termine, monsieur le président.
M. le Président de la République a souhaité mettre en oeuvre une loi d'orientation agricole. Monsieur le ministre, vous avez mis en place des groupes de travail qui ont déposé leurs conclusions ; toutes sont intéressantes et celles du groupe « Prospective » le sont particulièrement. Il vous reste maintenant à préparer un texte en vue de le soumettre au Parlement.
L'agriculture française est très diversifiée : les différents territoires, les différentes filières et les hommes qui contribuent à la production ne relèvent pas tous du même traitement.
Il vous faudra faire preuve de beaucoup d'imagination, parfois de courage, pour apporter les bonnes réponses dans le temps et dans l'espace. Il faut concilier la compétitivité internationale de certaines filières et la capacité d'autres productions à occuper le territoire tout en étant économiquement viables.
Il faut faire preuve d'imagination, juridique et fiscale, en matière de diversification de l'activité des agriculteurs. Il vous faudra proposer un juste équilibre entre un système favorisant l'agrandissement des exploitations existantes et un système plus favorable à l'installation des jeunes agriculteurs.
Il vous faudra imaginer un système favorisant les techniques herbagères tout en restant compétitif.
Ce ne sont là que quelques réflexions. Il y a bien sûr d'autres points à évoquer à l'occasion de ce texte.
Lorsque nous aurons ainsi esquissé le profil de l'agriculture française pour les décennies qui viennent, il vous appartiendra, avec les capacités de conviction et de négociation que nous vous connaissons, de faire prévaloir notre conception de l'agriculture dans l'Europe qui se construit.
La France est le premier pays agricole de l'Union européenne ; c'est à elle de donner l'orientation pour un modèle européen de l'agriculture.
Ne craignez pas d'être un innovateur, monsieur le ministre, soyez ambitieux. Vous trouverez, au Sénat, à vos côtés des hommes pleins de convictions si, en liaison avec les organisations agricoles, vous faites preuve de beaucoup d'audace et de détermination pour conduire notre agriculture sur les voies d'une prospérité retrouvée. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. de Menou.
M. Jacques de Menou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année agricole qui vient de s'écouler a été dominée par de véritables séismes, depuis la crise de la vache folle jusqu'à la crise légumière. Je veux à ce titre, monsieur le ministre, rendre hommage au courage dont vous avez fait preuve dans la gestion de ces crises pour faire valoir les intérêts des agriculteurs français.
Particulièrement dans l'affaire de l'ESB, que ce soit sur le front européen ou mondial, vous avez défendu avec vigueur et dans une totale transparence le double objectif de la défense économique des agriculteurs et de la protection sanitaire du consommateur. Le Gouvernement a su imposer un embargo sur les bovins vivants, sur les viandes et les produits, tout en accompagnant financièrement et socialement les éleveurs par des aides sectorielles. La politique de qualité que vous avez lancée a le grand mérite de rassurer le consommateur, qui veut connaître désormais l'origine et le mode de fabrication des produits, tout en préservant notre compétitivité. Je vous approuve tout à fait dans cette démarche, qui, selon moi, doit être une source de progrès pour demain. Je considère que la traçabilité de nos produits est la meilleure garantie contre les importations incontrôlées.
Toutefois, je me permets d'exprimer mon inquiétude vis-à-vis de nos partenaires qui ne suivent pas forcément le même code de bonne conduite, et dont les produits à risque continuent de pénétrer notre marché.
Aux Etats-Unis, 5 000 décès par intoxication alimentaire sont recensés chaque année. Au même prorata, on devrait en enregistrer 1 000 environ en France ; il n'y en a que trois par an ! Ces statistiques me paraissent troublantes et révèlent que nos efforts ne sont pas partagés.
Alors, oui à une politique de qualité, qui représente au demeurant un coût financier important, mais à la condition de la faire respecter par nos partenaires commerciaux !
Le problème de l'équarrissage illustre bien cette inégalité. Vous interdisez l'utilisation des cadavres et des saisies d'abattoirs pour la fabrication des farines destinées à l'alimentation animale. Ces farines devront être désormais brûlées pour un coût évalué entre 500 et 600 millions de francs.
Je suis le premier à reconnaître le bien-fondé de cette mesure destinée à écarter toute farine suspecte de l'alimentation dans nos élevages. Toutefois, outre son coût très important, environ 15 centimes du kilo de viande, soit pratiquement la marge bénéficiaire de certaines filières - la filière avicole notamment - cette mesure ne peut être efficace qu'à l'échelle européenne ! Or nos partenaires européens s'orientent vers un dispositif de chauffage obligatoire de leurs farines, ce qui va leur coûter beaucoup moins cher, sans pour autant assurer au consommateur une protection absolue.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, peut-on faire cavalier seul ? Nos éleveurs se trouvent pénalisés par rapport à leurs homologues européens, sans pour autant être rassurés sur la qualité de l'alimentation de leurs animaux, car le marché des farines de viande reste très ouvert dans toute l'Europe. Je tiens à rappeler combien la taxe à l'abattage reste une pénalité très forte, même si elle est demandée par le consommateur, alors qu'une éventuelle taxe à la consommation porterait sur les viandes consommées et laisserait notre industrie compétitive.
Comment va-t-on supporter ce coût considérable de 600 millions de francs pour une protection illusoire de nos consommateurs ? Dans un tel contexte, les contraintes imposées aux grands groupes vont s'avérer peu opérantes dans le marché si ouvert qu'est le marché européen !
Vous l'avez rappelé à l'Assemblée nationale, le problème de l'équarrissage recevra une solution législative qui devra entrer en application dès le 1er janvier prochain. Je souhaite que le texte de loi tienne compte des observations que je viens d'évoquer et qui traduisent l'inquiétude des éleveurs et du secteur de la transformation de la viande, préoccupés de leur compétitivité sur le marché des pays européens et, bien sûr, des pays tiers.
Je demeure aussi préoccupé par la politique européenne de production de viande bovine, qui doit aboutir à un contrôle des quantités. J'en citerai un seul exemple : une décision très récente - elle est intervenue la semaine dernière - qui concerne la production des veaux de boucherie.
La Communauté économique européenne a maintenu sa décision sur les « veaux transformés » - huit jours - et octroie une prime de commercialisation précoce des veaux. Je m'en réjouis : cela me paraît aller dans le bon sens. Cette prime est malheureusement calculée sur la base de la réduction de 15 % du poids moyen des veaux de chaque Etat membre, ce qui avantage considérablement nos concurrents hollandais : ils abattent - paraît-il - des veaux beaucoup plus lourds que les nôtres, puisque leur poids moyen est de 30 kilos supérieur. Il faut absolument obtenir un poids moyen européen, sauf à créer une distorsion de concurrence assez considérable dans ce domaine spécifique.
Dans cette actualité agricole orageuse qui ne vous a pas ménagé, je tenais, monsieur le ministre, à vous féliciter des efforts consentis en faveur de l'installation, de l'enseignement restitué dans sa vocation pleinement agricole et rurale - vous l'avez rappelé ce matin - et des crédits d'intervention des offices. Ces mesures méritent d'être saluées, car nous savons tous ici que l'installation et la formation sont les clés du futur pour le monde rural.
Il est aussi important d'exercer notre solidarité à l'égard des retraités, ces acteurs économiques qui ont façonné le visage de notre agriculture moderne. A ce titre, je me réjouis de la revalorisation des pensions de retraite, notamment des plus modestes.
Cependant, j'attirerai votre attention sur les veuves d'agriculteurs, dont le niveau de ressources n'est pas encore décent. Certes, en 1997 entre en vigueur le dernier volet de la loi de modernisation, qui permet aux veufs et aux veuves de cumuler leur retraite avec la pension de réversion. La levée du cumul devrait être complète le 1er janvier 1997, mais cette mesure ne concerne que le sort des personnes veuves depuis 1995.
Or je pense à toutes celles qui, veuves depuis une date antérieure, restent exclues du bénéfice du cumul. La somme forfaitaire de 2 000 francs qui leur a été allouée pour l'année 1995 va progressivement augmenter pour plafonner à 6 000 francs au titre de l'année 1997. Cela les condamne à une existence précaire avec des revenus trop modestes, surtout lorsqu'elles ont encore des enfants à charge. Je parle en connaissance de cause pour avoir reçu à ma permanence nombre de ces femmes courageuses qui, aujourd'hui, s'interrogent sur cette injustice qui leur paraît anormale de la part de l'Etat français. Près de 400 000 personnes sont actuellement dans cette situation de revenus nettement insuffisants.
Je souhaite évoquer, enfin, le problème de l'environnement. La Bretagne est une zone particulièrement sensible du point de vue environnemental, très concernée par le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, le PMPOA. Elle doit, en outre, appliquer le plan de résorption des excédents en zones d'excédents structurels, les ZES, dans nos nombreux cantons : vingt dans le seul département du Finistère.
La dernière contrainte qui touche cette région est l'application de la directive « nitrates ». On le voit, nos agriculteurs doivent se plier à nombreuses contraintes.
Je voudrais à ce titre souligner le remarquable effort de sensibilisation et de responsabilisation des éleveurs à l'égard des enjeux de l'environnement. Cette prise de conscience se traduit sur le terrain par des investissements importants pour adapter les méthodes de production.
Je regrette de constater que les subventions du PMPOA inscrites dans le projet de budget pour 1997 ne correspondent pas aux besoins réels des agriculteurs. La dotation agri-environnementale prévue est de 210 millions de francs, alors qu'une enveloppe d'au moins 350 millions de francs serait nécessaire. Ce qui reste à la charge des éleveurs demeure considérable - je tiens à insister sur l'importance de leur effort personnel - puisqu'ils devront assumer 40 % du montant des travaux, soit 400 millions de francs pour la Bretagne et près de 150 millions de francs pour le Finistère sur les cinq années à venir
Vous aviez annoncé à la rentrée, monsieur le ministre, une « rallonge » budgétaire de 150 millions de francs au titre de 1996. Je n'en retrouve, hélas ! pas trace dans le projet de budget pour 1997.
Je le sais, vous avez vous-même reconnu à l'Assemblée nationale cette insuffisance et vous avez pris l'engagement de trouver « plus de moyens ». Je vous en remercie et j'espère que vous y parviendrez.
En attendant, je souhaite qu'une réflexion puisse s'engager sur les délais accordés aux éleveurs, et sans doute à l'Etat, pour régulariser leur situation financière. Les éleveurs ne ménagent pas leur peine pour s'adapter. En Bretagne, les éleveurs hors-sol se sont déjà mobilisés et des centres de traitement de lisier ont été mis en place. Le procédé SIRVEN d'évaporation du lisier a notamment fait l'objet d'investissements de grande ampleur. J'ai moi-même pris l'initiative d'un grand projet d'usine d'incinération de fientes de volailles destiné à produire de l'électricité. Il devrait bientôt voir le jour, du moins je l'espère. Il permettrait de traiter environ 300 000 tonnes de fientes par an, ce qui soulagerait bon nombre d'aviculteurs.
Des usines de ce type ont déjà fait la preuve de leur efficacité en Grande-Bretagne et des projets existent en Italie et en Allemagne. On le voit, les modes de traitement sont en cours de banalisation, mais il est impossible de régulariser dans l'immédiat les nombreuses exploitations concernées.
Il est clair que ce sont d'abord les gros élevages qui peuvent agir en premier. Mais je pense qu'il faut également encourager les efforts des exploitations de taille moyenne ou modeste.
A ce titre, je m'interroge sur la pertinence des critères actuels pour mesurer le seuil de pollution des exploitations. Le contrôle de la production de l'élevage fondé sur le nombre d'animaux par catégorie me paraît très inadapté. Aujourd'hui, en effet, l'alimentation des bêtes très différenciée peut produire des écarts de rejet azoté de 20 à 30 % !
Il me paraît beaucoup plus rationnel d'asseoir les contrôles sur le calcul du rejet d'azote. Mesurer la production d'azote de l'élevage en fonction, notamment, du mode d'alimentation permettrait de porter un regard plus juste et plus vrai sur le phénomène de la pollution agricole et inciterait les éleveurs à mieux contrôler l'alimentation de l'élevage. Ils doivent aussi conserver la possibilité d'adapter leurs élevages aux besoins du marché - rapport truies/porcelets - tout en restant dans les normes prescrites.
Il y a une réelle volonté chez les éleveurs de respecter l'environnement, monsieur le ministre, mais ils n'ont pas encore tous les moyens pour agir. L'application brutale des contraintes va se traduire par une baisse de la production et des effectifs, soit l'effet inverse de celui qui est attendu ! En Europe, un seuil de 210 unités d'azote à l'hectare a été retenu jusqu'en 1999 ; il sera réduit à 170 à partir de 2002. En France, la réglementation nous oblige, dès maintenant, à respecter ces 170 unités ! Pourquoi aller si vite, si ce n'est pour étrangler la production et décourager nos éleveurs ?
Des élevages qui rejettent moins de 170 unités d'azote à l'hectare vont se trouver devant les tribunaux pour cause de surnombre d'animaux, alors que les Néerlandais, monsieur le ministre, demandent actuellement une dérogation jusqu'en 2010 pour l'application de la directive « nitrates ».
Ces situations extrêmes ne devraient pas exister tant elles me paraissent injustes !
Je voudrais rappeler, monsieur le ministre, la place essentielle que tient l'industrie agroalimentaire en Bretagne avec 40 p. 100 des emplois industriels en Finistère. Pour la maintenir, il faut assurer une production animale importante et de qualité, et non contraindre les exploitants à la réduire. Notre région doit faire face à de graves difficultés économiques. Elle ne peut se permettre de perdre sur tous les tableaux. Nous devons continuer à travailler et à aider les jeunes.
Monsieur le ministre, face à la bonne volonté générale des éleveurs, ne pourrait-on envisager de prolonger un moratoire comme celui qui avait été prévu en 1994 ? Ce délai pourrait être mis à profit par les agriculteurs pour arrêter des solutions économiques à la fois efficaces et durables, sans pour autant que ces derniers soient obligés de réduire brutalement leur production.
J'insiste à cet égard sur l'appui apporté par les collectivités locales dans ce domaine, notamment pour le traitement du lisier, traitement industriel car il ne saurait être question de perdre notre potentiel de production. La performance de notre agriculture sous-tend en effet nombre d'emplois industriels qui jouent un rôle stabilisateur dans l'économie régionale.
C'est pourquoi j'aimerais que l'Etat prenne conscience du fait que les contraintes nécessaires imposées par le respect de l'environnement et auxquelles nos éleveurs sont prêts à se plier ne doivent pas devenir des entraves à la production et au maintien des emplois agricoles et agro-alimentaires, car il y a encore un gisement d'emplois dans l'agro-alimentaire, et nous continuerons à en créer.
J'aimerais, monsieur le ministre, que vous me donniez quelques assurances quant à l'assouplissement des délais ; c'est à ce prix seulement que l'objectif du PMPOA pourra être atteint.
Telles sont les préoccupations dont je voulais vous faire part. Elles reflètent les doutes et les inquiétudes que je rencontre sur le terrain. Il me paraît essentiel de rassurer le monde agricole par le dialogue - je sais conbien vous pratiquez la concertation, monsieur le ministre - mais aussi par une certaine souplesse dans l'application des mesures.
Au nom du RPR, je vous assure de tout mon soutien et de ma confiance pour la tâche que vous avez à mener. Le budget que vous allez nous présenter est, à bien des égards, révélateur du fait que vous avez voulu préserver l'essentiel afin de conserver à notre agriculture sa compétitivité et de lui donner la place qui lui revient sur le marché européen et mondial. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un monde en pleine mutation, dans une économie mondialisée qui conduit à l'uniformisation des produits et à la banalisation de l'homme, dans une concentration urbaine toujours plus accure, le tout géré par cette « bulle » internationale où l'homme politique semble ne plus avoir de pouvoir réel sur l'orientation des choses, ce qui aboutit à l'exploitation de l'homme dans des pays opprimés et concentre nos populations dans des banlieues toujours plus volumineuses, engendrant un coût social toujours plus lourd, « la place d'une agriculture de qualité et d'un monde rural vivant » a de plus en plus de sens.
Dès lors, il faut se poser la question suivante : dans ce domaine, nos politiques vont-elle réellement dans le bon sens ?
J'aborderai essentiellement deux aspects de la question en liant l'actualité aux choix budgétaires que vous nous proposez. Je laisserai à mes collègues le soin de traiter d'autres sujets en regrettant que le débat budgétaire soit écourté, comme si l'on voulait faire oublier la baisse des crédits du budget de l'agriculture.
Mon propos portera tout d'abord sur la solidarité pratiquée par le secteur social agricole à travers le BAPSA et les retraites agricoles.
L'année 1996 aura marqué l'achèvement de la réforme engagée depuis 1990 avec le basculement définitif des cotisations, qui ne reposent plus désormais que sur les revenus agricoles, et le démantèlement de toutes les taxes spécifiques.
Je note une quasi-stabilité du BAPSA, qui s'élève à près de 87 milliards de francs, dans une période où la solidarité avec les professions concernées, par une augmentation plus franche de ce budget, est devenue une nécessité.
Et ce n'est pas en prévoyant des hausses de cotisations et des diminutions de prestations que vous trouverez la solution à ce problème fondamental, monsieur le ministre !
On ne peut analyser le BAPSA sans faire explicitement référence à la problématique d'ensemble dans laquelle il s'inscrit : celle de la réforme du financement de la protection sociale, réforme à propos de laquelle nous sommes en droit de nous interroger puisque, un an après son lancement, le déficit reste près de trois fois supérieur à celui qui était affiché initialement.
Le BAPSA semble bien, aujourd'hui, marqué du même sceau, même si la CSG est un instrument plus juste, pour un niveau de prestation insuffisant.
Je tiens à vous faire part, monsieur le ministre, du manque réel de lisibilité de votre budget du fait de changements astucieux de nomenclatures !
Il serait souhaitable qu'apparaisse la contribution sociale généralisée acquittée par les agriculteurs, dont le produit - 1,4 milliard de francs - ne figure pas dans le BAPSA ; cette CSG finance, pour partie, les allocations familiales - elle se trouve, de ce fait, incluse dans la contribution réservée par la Caisse nationale d'allocations familiales au BAPSA - et, pour une autre partie, le fonds de solidarité vieillesse.
La nouvelle contribution au remboursement de la dette sociale - CRDS - n'est pas non plus mentionnée.
Il manque tout de même bien des éléments dans ce budget annexe !
Parlant de lisibilité, je me dois d'évoquer le volumineux chapitre que le rapport de la Cour des comptes consacre, cette année, au BAPSA, ainsi que les propositions de mise en cohérence de ce budget avec la réforme sociale qu'elle formule, propositions visant à l'utilisation de procédures plus vigoureuses et à l'instauration d'une véritable transparence comptable.
Par ailleurs, j'ai relevé - ce que nous réclamons depuis plusieurs années - l'amorce d'une revalorisation des plus faibles retraites. Elle nous semble toutefois insuffisante et inacceptable car elle devrait relever de la solidarité nationale et non être à la charge de la profession agricole.
Quelques jours après l'adoption d'un projet de loi tendant à instituer une prestation dépendance pour les personnes âgées, dans un contexte de solidarité nationale, il convient d'examiner la situation de ceux qui constituent parfois l'essentiel des habitants de nos communes rurales, je veux parler des retraités de l'agriculture.
Cette génération a exercé souvent sur de petites exploitations et pendant une période transitoire, avant et après 1952 ; elle se trouve de ce fait très pénalisée en matière de points de retraite. Le montant moyen des retraites agricoles est aujourd'hui de l'ordre de 2 400 francs par mois, ce qui paraît indécent. Dès 1993, un groupe de députés de la majorité actuelle avait déposé une proposition de loi traitant de cette question.
Le Président de la République, alors candidat, s'était clairement prononcé pour la fixation d'un taux minimum de retraite agricole à 75 % du SMIC.
En septembre 1995, le Premier ministre confirmait cette volonté.
Vous-même, monsieur le ministre, avez récemment adhéré à cette idée d'un rattrapage effectué entre 1996 et 1998 sans hausse de cotisation.
Nous sommes donc au milieu du gué ; qu'en est-il aujourd'hui de ces propositions ?
Je ne vois rien apparaître de sérieux et de rassurant dans le projet de budget pour 1997.
Quelle est la position du Gouvernement sur cette péréquation nécessaire et sur les engagements pris ? Vous pouvez en mesurer l'importance pour nos zones rurales.
Dans un autre ordre d'idée, je souhaiterais évoquer un deuxième volet lié, lui aussi, à la notion d'aménagement du territoire. « Les hommes, l'espace, le territoire » - ce sont des propos que j'ai entendus tout à l'heure - font partie du discours général sur l'agriculture. Il est tout à fait justifié de vouloir préserver un bon équilibre entre la vocation de production de l'agriculture et sa vocation d'occupation de l'espace. Il faut pour cela parvenir à une réelle motivation de l'agriculture, encouragé dans cette mission.
Or, je suis obligé de constater que, sur le projet de budget, la ligne réservée à la gestion de l'espace rural est certes maintenue, mais non abondée.
Il aura fallu une vive réaction de l'Assemblée nationale pour qu'un rattrapage soit opéré, ce qui est heureux.
Je note aussi que, dans un élan généreux, en 1996, vous avez su l'utiliser pour participer à la prise en charge des effets de la crise de la vache folle sur l'équarrissage.
Près du tiers de notre territoire est consacré à l'élevage, plus particulièrement à l'élevage bovin.
Le problème de la vache folle, lié à la sécurité alimentaire, est clairement posé aujourd'hui dans notre pays. Nous sommes confrontés à une véritable suspicion de la part du consommateur, et nous avons à gérer une filière en crise, connaissant un déséquilibre structurel dû à l'augmentation de la production et à une diminution de la consommation.
Alors que les prix à la production s'effondrent, les prix à la consommation se maintiennent à un trop haut niveau.
Aux consommateurs qui réclament une information sur l'origine des viandes, de l'étable à l'étalage, c'est-à-dire une véritable traçabilité, on n'apporte pas les bonnes réponses en altérant de ce fait à la fois la confiance et la relance de la consommation.
Dans cette perspective, que penser de la diminution de 6 % des crédits destinés aux offices dont c'est l'une des vocations premières ? Avec mes collègues de la zone Massif central, MM. Chervy, Moreigne, Bony, Signé et quelques autres, pressés par une profession aux abois et dans le cadre de consultations fréquentes avec les éleveurs, je peux confirmer ce souhait d'une traçabilité qui devrait rassurer les consommateurs, mais aussi apaiser leur désarroi face à l'inorganisation, tant de la profession que de l'administration. Devant ce grave problème, l'Etat ne peut trouver de solution que sur le moyen terme, par la reconnaissance de l'origine de la viande.
En France, environ 40 % de la viande consommée provient de races à viande d'une qualité exceptionnelle ; il est urgent de préciser cette origine sur l'étalage afin, je l'ai dit, de rassurer le consommateur et surtout d'éviter un amalgame de toutes les viandes au prétexte qu'elles proviennent de France. Seule la viande de race bovin-viande est, aujourd'hui encore, épargnée par la maladie de l'encéphalopathie spongiforme bovine.
Il faut rassurer le consommateur et l'éduquer à la consommation d'une « vraie viande », provenant d'élevages extensifs et traditionnels comme c'est le cas sur la totalité des zones difficiles de montagne ou de piémont, notamment dans notre Massif central, royaume de la vache allaitante élevée à l'herbe et à la farine de l'exploitation. Il s'agit d'un produit de qualité supérieure que le lobby de la viande, pour ne pas dire la « mafia » de la viande, a trop souvent banalisé et mélangé avec d'autres viandes.
Cette première démarche serait de nature à sauver de façon durable une partie de notre élevage et, par là même, à contribuer directement à l'aménagement du territoire par le maintien des petits éleveurs qui continuent à assurer l'occupation de notre espace.
Mais, outre cette impérative nécessité de clarification d'origine et de contrôle et au-delà des marques et labels qui ne concernent que 2 % du marché, il y a cette mission de maintien sur place des hommes et des femmes, mission d'intérêt national pour l'équilibre de notre société.
Pour l'assurer, entre autres mesures, il faudrait prévoir le doublement de la prime à l'herbe à la fois pour des partenaires qui assurent un produit de qualité, mais aussi pour des partenaires qui demeurent dans ces zones souvent difficiles en entretenant l'espace, donc en jouant indirectement un rôle social pour la nation.
Filière économique ou aménagement du territoire, peu importe ! En tout cas, monsieur le ministre, malgré vos efforts notables au niveau européen, je crains malheureusement qu'un choix trop libéral ne fasse son oeuvre destructrice sur ce pan de notre ruralité.
Cela nous inquiète très fortement, et j'attends avec beaucoup d'intérêt vos réponses en espérant que le Gouvernement a malgré tout conscience de l'importance des enjeux. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Vigouroux.
M. Robert-Paul Vigouroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos concernera les productions agricoles rapidement périssables qui, de ce fait, posent des problèmes spécifiques.
Qu'englobe cette terminologie ? Il s'agit de la culture des fruits et des primeurs, appelés aussi légumes de saison, et de l'horticulture. La mise sur le marché de ces produits est particulièrement limitée dans le temps, en raison de leur manque de longévité. Or, avec la vigne, qui connaît de multiples problèmes, ces cultures représentent une part importante des activités agricoles du midi de notre pays, et je me permets de les évoquer plus spécialement, sans pour autant oublier les autres difficultés que rencontre notre agriculture en différentes régions.
La production de fruits et de primeurs, étant donné la brièveté de la période de récolte, est très dépendante des vicissitudes du climat et peut connaître des creux répétés, alors que, paradoxalement, les années favorables conduisent à des surplus et à des méventes, car tout stockage similaire à celui des céréales est, dans la pratique, impossible.
Ce secteur, qui a oeuvré pour se libérer des contraintes climatiques, en particulier par l'utilisation de serres qui augmentent les frais d'exploitation, est actuellement soumis à une concurrence des pays en voie de développement qui pratiquent des coûts salariaux très bas, concurrence qui a été renforcée par une certaine remise en cause de la préférence communautaire par les accords de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, malgré la mise en place des certificats d'importation et la clause de sauvegarde spéciale volume.
La filière des fruits et légumes est aussi victime des différentiels de coûts salariaux avec les pays du sud de l'Union européenne.
Elle est touchée, en outre, par les dévaluations dites « compétitives » que pratiquent certains pays.
Par ailleurs, le secteur des fruits et légumes est fortement employeur de main-d'oeuvre et la lourdeur des charges joue chez nous en sa défaveur. Il représente 40 % de la main-d'oeuvre salariée agricole pour seulement 14 % du produit agricole français.
Toutes ces raisons empêchent les exploitants d'écouler normalement leur production, les invendus entraînant une fausse surproduction chronique.
De nombreuses exploitations surendettées disparaissent, car les agriculteurs âgés, lorsqu'ils ont la possibilité de prendre leur retraite, ne trouvent pas de repreneur. Nos paysages sont de plus en plus « mités » par des terrains laissés à l'abandon.
Maintiendrez-vous, monsieur le ministre, la préretraite à cinquante-cinq ans pour les agriculteurs en difficulté ?
Confitureries et conserveries, qui sont susceptibles de compenser les difficultés d'écoulement direct des produits auprès des consommateurs, disposent de leurs propres circuits, de même que la surgélation.
Notons au passage que la consommation annuelle de confiture par habitant est faible : elle oscille depuis 1990 aux environs de 2,5 kilogrammes seulement. De plus, on constate une augmentation des importations, passées de 7 431 tonnes en 1991 à 16 258 tonnes en 1995, alors que les exportations ont diminué entre ces mêmes dates, passant de 29 698 tonnes à 27 029 tonnes.
L'horticulture, très présente dans les départements du sud de la France, elle aussi souffre, d'autant qu'est envisagée la suppression du CREAT, subvention régionale d'expérimentation dans le domaine de l'horticulture allouée par l'ONIFLHOR, l'office national interprofessionnel des fruits et légumes et de l'horticulture, qui est chargé de la distribution et de la réglementation de la production. Mon collègue Pierre Laffitte se joint à moi pour exprimer ces inquiétudes.
Quant à la viticulture, nous n'en connaissons que trop les difficultés en certaines régions.
Le département des Bouches-du-Rhône, que, avec six de nos collègues, je représente au sein de la Haute Assemblée, est particulièrement intéressé puisque, sans compter les emplois induits, ce sont 18 000 emplois directs qui s'y trouvent concernés. Dans ce département, le revenu net agricole est en diminution. Le revenu national de la filière des fruits et légumes diminuera, selon les prévisions, de 7 % en 1996, alors que, pour la filière bovine, l'évolution sera positive, malgré la crise dite de la « vache folle ».
De plus, de nombreuses exploitations, essentiellement arboricoles, ont été victimes de la grêle qui a sévi en juin et septembre de cette année. Ces phénomènes météorologiques étant rares, les agriculteurs concernés n'étaient pas assurés et n'ont donc aucun recours possible.
Il convient de signaler aussi le fait que les agriculteurs sont soumis à la pression des grossistes et des centrales d'achat, qui imposent des prix très bas aux producteurs et se réservent des marges très importantes.
Monsieur le ministre, je sais que le débat sur la pêche a eu lieu hier, mais comment un élu des Bouches-du-Rhône pourrait-il passer ici sous silence les aléas de la pêche en Méditerranée et les problèmes d'emploi qui en découlent ?
J'évoquerai pour finir la protection de la forêt contre les incendies dans les quinze départements du Sud-Est méditerranéen. Je vous ai fait part dans plusieurs courriers, monsieur le ministre, des craintes de l'entente interdépartementale quant à la diminution des crédits du conservatoire de la forêt méditerranéenne.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Robert-Paul Vigouroux. Ces crédits s'élevaient en 1991 à 100 millions de francs. Dans vos prévisions pour 1997, ils sont ramenés à 62 millions de francs. Or, même si l'on tient compte d'une météorologie favorable, il est clair que les efforts de prévention et d'équipement qui sont menés depuis cinq ans ont abouti à une nette diminution des surfaces brûlées : 15 600 hectares en 1995 contre 55 000 hectares en 1990 ; il semble indispensable de poursuivre cet effort et, donc, de ne pas diminuer les crédits.
En une période où sévit le chômage, tout doit être entrepris pour conserver un potentiel agricole qui contribue à la vitalité d'un département, d'une région, d'un pays, le nôtre.
De tels problèmes nécessitent certes une réflexion, mais aussi des solutions. Nul abandon n'est permis et l'angoisse des uns appelle l'écoute des autres, en vue d'une réponse.
Monsieur le ministre, vous nous avez rassurés, ce matin, sur le projet de loi d'orientation que vous devez présenter au Parlement dans le courant du premier semestre de 1997. Je suis sûr que les débats auxquels il donnera lieu permettront à notre assemblée de s'exprimer à nouveau.
M. le président. La parole est à M. Emorine.
M. Jean-Paul Emorine. Monsieur le ministre, merci de nous permettre de débattre de l'avenir de notre agriculture en cette veille du xxie siècle et à quelques mois de l'examen du projet de loi d'orientation voulu par M. le Président de la République.
Je veux aussi d'emblée vous rendre hommage pour l'action que vous avez conduite cette année face à la crise de la viande bovine, action déterminante au regard de la santé publique. Vous avez, en outre, su faire en sorte que soient dégagés les moyens financiers nécessaires, tant à l'échelon national qu'à l'échelon de l'Union européenne. Soyez-en félicité.
Mon intervention portera essentiellement sur les perspectives que nous pouvons envisager pour notre agriculture.
Nous nous posons souvent cette question, en parcourant notre pays : quel est l'avenir de notre agriculture dans l'Union européenne et dans le cadre des échanges mondiaux ?
Il faut se souvenir que la ruralité est le lieu privilégié de notre histoire nationale et, pour les Français, un lieu de mémoire. C'est pourquoi il nous est difficile d'imaginer, pour demain, une France dont les deux tiers du territoire seraient vidés de leur seule population active, les agriculteurs, une France où les paysages, façonnés par le travail de nos ancêtres, retourneraient à la friche, une France faite de villages, autrefois si vivants, désertés de tous, hormis quelques estivants.
Fort heureusement, nous n'en sommes pas encore là !
Nous devons répondre aux attentes de tous ces hommes et de toutes ces femmes que leur destin a attachés à l'évolution de notre agriculture, qu'ils soient exploitants, salariés ou retraités. Tous réclament une politique agricole à la hauteur des enjeux et des défis auxquels ils sont confrontés. Ces attentes, mes chers collègues, nous sommes nombreux à les connaître et à les comprendre.
En 1994, les débats sur l'aménagement et le développement du territoire ont bien mis en lumière les liens profonds qui unissent nos concitoyens au monde rural. Et l'on peut mesurer chaque jour le poids grandissant qu'ont les activités agricoles et agro-alimentaires en termes d'équilibre de notre commerce extérieur, de maintien de l'emploi ou de préservation de l'environnement.
Quel secteur autre que l'agriculture occupe 80 % du territoire national, tout en représentant, avec ses activités d'amont et d'aval, 16 % des emplois et en dégageant un excédent commercial supérieur à 50 milliards de francs ? Existe-t-il un autre domaine d'activité qui symbolise tout à la fois les valeurs permanentes de notre société et les avancées de la construction européenne ?
L'agriculture française est confrontée aujourd'hui à une situation difficile. Elle doit s'adapter à la politique agricole commune et aux accords du GATT. Nos producteurs agricoles et nos industriels de l'agroalimentaire doivent impérativement augmenter leurs parts de marchés dans un monde où la concurrence se fait chaque jour plus vigoureuse. Tous éprouvent de multiples incertitudes, celles qu'entraîne le prochain élargissement de l'Union européenne, celles que ne peut manquer d'engendrer l'évolution des marchés agricoles mondiaux.
J'en suis profondément convaincu, notre secteur agricole et agroalimentaire dispose de ressources considérables, qui doivent l'aider à relever les défis de l'avenir. Sa principale richesse, ce sont ces hommes et ces femmes qui, par leur créativité et leur ténacité, ont permis à notre agriculture d'augmenter sa productivité et fait de notre pays le deuxième exportateur agroalimentaire mondial.
Votre détermination, monsieur le ministre, constitue un facteur d'espérance.
Nous devons, d'une part, accroître le niveau de performance et de qualité de notre agriculture et, d'autre part, contribuer au développement du territoire et à l'équilibre économique et social de nos espaces ruraux. Ce sont là, à mon sens, les deux priorités fondamentales.
Je soutiens l'ambition qu'a le Gouvernement de développer une agriculture exportatrice, compétitive, occupant l'espace et prenant en compte les contraintes environnementales.
Pour atteindre ces objectifs, il nous faut tout mettre en oeuvre pour adapter notre agriculture aux nouveaux enjeux européens ou mondiaux.
Nos agriculteurs ont à supporter des charges financières, sociales et fiscales souvent excessives, et les candidats à l'installation sont peu nombreux. Nos exploitations ne doivent pas supporter des charges fixes supérieures à celles qui sont constatées dans les pays qui nous entourent, faute de quoi ces charges constitueront un handicap majeur à l'adaptation de notre agriculture.
Je voudrais évoquer ici la part communale de la taxe sur le foncier non bâti, source d'une charge trop importante pour le propriétaire et le fermier. Nous pourrions aller vers sa suppression, ce qui rendrait nos exploitations plus compétitives. Néanmoins, il serait nécessaire que l'Etat compense la perte de recette pour les communes.
En ce qui concerne les droits à produire, il faut préserver la capacité de production de chaque département. Il faut rattacher ces droits à un territoire donné, celui du département, et concilier la localisation des productions avec une bonne gestion de l'espace. Il m'apparaît nécessaire que la gestion des droits à produire n'entraîne pas, pour les exploitants, des délocalisations de productions.
Le financement de l'entreprise agricole doit être adapté, car il nécessite des capitaux importants avec une faible rentabilité. Un fonds de garantie doit être mis en place, avec des fonds de l'Etat, des banques et une participation des jeunes qui s'installent.
Il s'agit avant tout de favoriser la mise en société des exploitations agricoles. Les exploitations en société représentent en effet une exploitation sur dix, soit le quart de la superficie agricole utilisée. La forme sociétaire est adoptée aujourd'hui par deux jeunes sur trois qui s'installent en agriculture. Il y a là une évolution essentielle de notre appareil productif. Logiquement, le principe de l'éligibilité aux aides économiques des exploitations sous forme sociétaire devrait être posé.
L'installation des jeunes doit être également une véritable priorité du Gouvernement, qui s'est assigné pour objectif de parvenir, dans les prochaines années, à 12 000 installations aidées par an. De nombreuses mesures ont été prises depuis près de deux ans dans ce domaine : institution d'un prêt global d'installation, élévation des plafonds des prêts, assouplissement des ratios d'endettement, augmentation de 20 % des montants de la dotation aux jeunes agriculteurs. Elles n'auront malheureusement pas empêché la diminution du nombre des installations.
Il faut réorienter le dispositif de la préretraite uniquement en direction des jeunes candidats à l'installation ou pour conforter les structures de ceux qui sont installés depuis moins de cinq ans.
La valeur ajoutée devra être apportée par les industries agroalimentaires. Mais il est indispensable d'identifier et de certifier nos productions animales en fonction des races, de la région d'élevage, et cela jusqu'aux produits transformés. Dans le cadre de la filière, le suivi doit être garanti à chaque instant, à la naissance de l'animal, dans son mode d'élevage, de l'unité de transformation jusqu'à la distribution. Ce n'est que par des productions de qualité et supposant beaucoup de rigueur que le consommateur reprendra confiance.
Notre pays, à travers ses régions, est riche d'histoire, de traditions et de savoir-faire. Les agriculteurs doivent pouvoir profiter au maximum du fruit de leur travail.
Je vous propose, monsieur le ministre, de prendre en compte, dans la future loi d'orientation, les principaux éléments qui permettraient d'adapter notre agriculture à l'horizon de l'an 2000 : le rôle et le statut de l'entreprise agricole, le statut des personnes, les aides à l'installation, les sociétés et les moyens de transmission et d'installation progressif, la fiscalité, la préretraite, la retraite et les cotisations, l'organisation économique et politique des filières, la recherche et le développement, la qualité et la valorisation des produits agricoles et alimentaires en France et, enfin, l'espace et l'environnement.
Dans cette perspective, le fonds de gestion de l'espace rural doit être pérennisé, grâce à une ressource propre.
Monsieur le ministre, je sais que vous avez beaucoup travaillé à la mise en oeuvre du projet de loi d'orientation en concertation avec les organisations professionnelles. Permettez-moi, en tant que parlementaire agriculteur et rapporteur de la loi de modernisation de l'agriculture, de vous faire part, dans un document, de suggestions personnelles plus détaillées. Je souhaite en toute modestie et avec beaucoup d'humilité que celles-ci puissent tout simplement mieux préparer l'avenir de notre agriculture, mais aussi assurer à nos agriculteurs la rémunération digne d'un si beau mais laborieux métier.
Notre agriculture doit rayonner dans le monde par la qualité de ses produits, mais aussi en assurant aux pays en voie de développement la nourriture de leurs populations.
Je terminerai, monsieur le ministre, par cette citation de Claude Michelet : « Nous avons la chance en France d'avoir les meilleurs agriculteurs du monde, et tout le monde a l'air de penser que c'est normal. » (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Vecten.
M. Albert Vecten. Comme vous le savez, monsieur le ministre, la Haute Assemblée est très attachée à l'enseignement agricole. Les lois de 1984 ont d'ailleurs reconnu qu'il était, dans sa spécificité, une composante du service public de l'enseignement et de la formation, auquel sont associés les établissements privés sous contrat.
Nous avons soutenu les efforts consentis en faveur de la rénovation et de la diversification de cet enseignement. Ces efforts ont été jusqu'à présent une remarquable constante de l'action gouvernementale et ont fait le succès de l'enseignement agricole.
Nous nous félicitons aujourd'hui, comme vous d'ailleurs, de ce succès. L'enseignement agricole a, en effet, administré la preuve que l'enseignement technologique et professionnel pouvait être une voie choisie et une voie de réussite.
Il a démontré sa capacité à offrir des formations adaptées aux exigences d'une production agricole et alimentaire de qualité, mais aussi aux nouveaux métiers qui contribueront à soutenir l'emploi et l'activité en milieu rural.
A ce titre, il apparaît comme le meilleur instrument de la politique d'aménagement du territoire et de revitalisation de l'espace rural.
Il constitue aussi un atout important pour la réussite de votre courageuse politique en faveur de l'installation des agriculteurs.
En effet, vous le savez bien, la désertification des campagnes, après avoir été la conséquence de l'exode rural, est aujourd'hui l'une des raisons pour lesquelles nombre d'agriculteurs ont du mal à trouver un successeur.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous le dis très franchement, nous ne comprenons pas votre volonté de limiter à 2 % la progression des effectifs et de « recentrer » l'enseignement agricole sur les seuls métiers de la production et de l'agroalimentaire.
M. Fernand Tardy. Très bien !
M. Albert Vecten. Nous craignons que le principal effet de ce rétrécissement quantitatif et qualitatif ne soit de compromettre les résultats positifs obtenus depuis plus de dix ans.
Et d'abord, monsieur le ministre, pourquoi 2 % ? Personne n'a pu nous expliquer le choix de ce chiffre. Il paraît d'ailleurs impossible à tenir, sauf à fermer les filières dès qu'on les ouvre. Du reste, en dépit de très nombreux refus d'inscription, aucune composante de l'enseignement agricole n'a pu tenir dans cette marge.
On nous dit que ce contingentement tiendrait au souci de ne pas compromettre les bons résultats de l'enseignement agricole en matière d'insertion professionnelle. Nous pouvons, certes, comprendre ce souci. Mais on ne nous dit pas sur quelles études repose cette analyse apparemment bien pessimiste de l'évolution de l'emploi dans l'agriculture et le monde rural.
On ne nous dit pas non plus, d'ailleurs, si les jeunes refusés par l'enseignement agricole trouveront ailleurs de meilleures chances d'insertion. Personnellement, j'en doute. J'ai interrogé vos services sur le devenir des élèves refusés par les lycées agricoles. On n'a pu me renseigner ni sur leur nombre ni sur leur sort, ce qui m'a d'ailleurs étonné.
Certains établissements privés ont été plus curieux. Ils ont constaté que les jeunes dont ils avaient dû refuser l'inscription se répartissaient en trois groupes. Un tiers environ renonce à poursuivre leur formation, ce qui n'améliorera sûrement pas leurs chances d'insertion. D'autres s'inscrivent dans des stages d'insertion ou de qualification qui, en termes budgétaires, coûtent souvent plus cher à la collectivité qu'une formation scolaire diplômante. Les autres, enfin, se résignent à une « orientation subie » vers une autre filière ou vers l'apprentissage dont les capacités d'accueil et les débouchés ne sont pas non plus illimités.
Beaucoup, en tout cas, vont renoncer, par force, à inscrire dans le milieu rural leur projet professionnel et nourrir cet exode scolaire qui est bien souvent le commencement de l'exode rural.
Monsieur le ministre, personne ne sait quelle sera demain l'évolution de l'emploi. Mais, comme tous ceux qui croient à l'avenir de l'agriculture et du monde rural, comme tous ceux qui constatent l'évolution de la démographie, comme tous ceux qui observent la montée des préoccupations en matière d'environnement, de qualité de l'alimentation, de qualité de la vie tout simplement, j'ai la faiblesse de croire que les formations agricoles et para-agricoles, que les métiers de l'aménagement du territoire et de l'environnement ainsi que les services en milieu rural sont des « créneaux » plus porteurs que bien d'autres.
Il serait paradoxal que ce soit le ministre de l'agriculture qui en soit le moins convaincu et qui veuille décourager les jeunes de s'engager dans les formations correspondantes.
Je vous le dis très clairement, monsieur le ministre, je ne crois pas qu'en limitant l'accès à l'enseignement agricole vous favoriserez l'insertion professionnelle des jeunes.
Je ne crois pas non plus qu'en restreignant les crédits accordés à l'enseignement agricole vous en obtiendrez davantage pour mener d'autres actions. Si certains le croient, ils risquent d'être fortement déçus.
Mais je crains, en revanche, que vous ne compromettiez le succès et l'exemplarité de l'enseignement agricole.
Si, cette année, vous n'avez pas été entendu par les familles et par les jeunes qui souhaitent entrer dans l'enseignement agricole, vous avez au moins été entendu par le ministère du budget, à moins, d'ailleurs, que ce ne soit vous qui ayez entendu ce dernier et souhaité devancer l'appel de la rigueur !
Vous enregistrez une augmentation de 4 à 7 % d'élèves, selon les types d'établissement, alors que les crédits ne progressent que de 2 %. La situation, déjà très tendue de l'enseignement agricole, va encore s'aggraver.
Dans le public, en particulier, les déficits en postes d'enseignants et de non-enseignants vont s'alourdir et la précarité des personnels persister (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
Dans le privé, les engagements pris seront de nouveau reportés. De même, je ne vois pas comment la rénovation indispensable de l'enseignement supérieur et l'effort de recherche dont dépend l'avenir seront financés.
L'enseignement agricole n'a jamais été financé, comme certains voudraient le faire croire, « à guichets ouverts ». Il a toujours été beaucoup moins pourvu que l'éducation nationale, en dépit du principe de parité, et fonctionne depuis plusieurs années, malheureusement, à « flux tendus ».
Votre souci de limiter la croissance des effectifs ne pourra que conforter le ministère du budget dans la tentation de vous mesurer encore davantage vos crédits, menaçant ainsi la qualité que vous voulez préserver. Vous risquez aussi de compromettre la réussite de l'enseignement agricole en termes d'orientation positive et d'insertion scolaire et professionnelle.
Déjà, pour cause de « redéploiement de moyens », le service public ne participe plus à l'essor des formations de niveau V, qui ont démontré, dans l'enseignement agricole, qu'elles sont une véritable voie de réussite et d'insertion.
Mais s'il faut désormais sélectionner les candidats à tous les niveaux, sur quels critères va-t-on le faire ? L'enseignement agricole restera-t-il une voie de réussite ou deviendra-t-il une filière sélective réservée aux titulaires des meilleurs dossiers scolaires, qui ne sont d'ailleurs pas toujours ceux dont le projet professionnel est le mieux affirmé ?
L'enseignement agricole peut-il même rester une composante du service public de l'éducation, s'il refuse de respecter le principe de l'égalité d'accès et d'offrir une chance à tous ? Ou alors il faudrait, monsieur le ministre, que la limitation des effectifs soit justifiée par une garantie d'emploi, mais tel n'est pas, je crois, votre propos.
Pour conclure, monsieur le ministre, je citerai simplement votre discours de rentrée au lycée agricole de Douai : « L'agriculture du siècle prochain ne sera pas celle d'aujourd'hui ; elle sera plus compétitive, mais surtout elle conduira à prendre en compte d'autres notions : l'environnement, les besoins du consommateur. Pour toutes ces raisons, elle fera appel à des compétences de plus en plus pointues. Elle sera, je l'espère, présente sur tout notre territoire et emploiera des centaines de milliers de personnes. »
Je partage, et nous partageons tous, je crois, cet espoir et cette vision. Mais pourrons-nous réaliser ces légitimes ambitions en décourageant des jeunes de s'engager dans les métiers agricoles et para-agricoles ? Telle est l'une des questions que nous devons nous poser dès aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Pluchet.
M. Alain Pluchet. Monsieur le ministre, j'abrégerai quelque peu mon propos car trois collègues de mon groupe doivent encore intervenir. Je n'évoquerai donc pas votre budget puisque nous aurons l'occasion d'en débattre dans quelque temps ni la crise bovine. Je rendrai simplement hommage à votre action, qui est conforme aux souhaits du Président de la République de voir se développer une agriculture forte au sein de notre économie.
Si j'interviens aujourd'hui, monsieur le ministre, c'est pour vous faire part de certaines de mes interrogations et de mes inquiétudes.
Nous avons signé, voilà deux ans, à Marrakech les accords concluant le cycle d'Uruguay. Ce cycle a constitué la plus longue négociation commerciale multilatérale puisqu'il aura exigé sept ans et demi de négociations très difficiles et très controversées pour notre agriculture.
Au moment où les sept pays les plus industrialisés viennent de partager le souhait du Président de la République de maîtriser la mondialisation des échanges commerciaux et où l'Union européenne engage la réforme de ses institutions dans le cadre de la conférence intergouvernementale, ouverte à Turin le 29 mars 1996, il convient de ne pas négliger les questions fondamentales liées au commerce international et concernant directement l'avenir de notre agriculture.
Avec le temps, il apparaît de plus en plus aux Etats, de part et d'autre de l'Atlantique notamment, que les disciplines auxquelles ils ont souscrit voilà deux ans les privent désormais d'une partie des instruments commerciaux ou de soutiens internes dont ils pouvaient user auparavant. Il s'agit là d'une réalité à laquelle vous êtes le premier confronté, monsieur le ministre.
Ma première interrogation porte sur les effets de l'accord de Marrakech relatif aux mesures sanitaires qui dépendront de la façon dont fonctionneront les mécanismes renforcés de règlement des différends au sein de l'Organisation mondiale du commerce.
L'Union européenne n'interdit-elle pas, en effet, depuis 1988, l'utilisation des hormones comme facteur de croissance dans l'élevage et, depuis 1989, l'importation des viandes issues d'animaux traités avec ces substances ? Les éleveurs américains utilisent, pour leur part, des stimulants de croissance et entendent, bien évidemment, exporter leurs produits vers l'Union européenne.
Permettez-moi également de rappeler que les Américains viennent de renforcer à concurrence de 5 milliards de dollars sur cinq ans leurs programmes d'exportation. Il s'agit d'une seconde réalité, même si je sais qu'elle est quelque peu faussée par une année de campagne électorale, moment traditionnel de surenchères outre-atlantique.
Les enjeux économiques et commerciaux des mesures sanitaires sont d'autant plus importants que les domaines d'application potentiels sont nombreux. Je pense, par exemple, à la question du taux de pesticides dans les céréales.
Ma seconde interrogation concerne le respect de la préférence communautaire et la mise en oeuvre des instruments juridiques permettant d'appliquer la clause de sauvegarde spéciale prévue pour l'agriculture.
A plusieurs reprises, la France, soutenue par plusieurs de ses partenaires européens, a demandé la mise en oeuvre de mesures propres à garantir la préférence communautaire. Je pense notamment au secteur des fruits et légumes. Vous avez d'ailleurs évoqué ce sujet dans votre intervention liminaire, monsieur le ministre.
Afin que cesse une certaine paralysie résultant des désaccords entre les Etats membres, selon qu'ils sont principalement importateurs ou producteurs dans ce secteur, n'appartient-il pas désormais à la Communauté européenne de prendre dans les plus brefs délais les mesures indispensables ?
S'agissant toujours de la préférence communautaire, je souhaite aussi attirer votre attention sur la concurrence qui s'exerce de plus en plus par la différentiation des produits. Que propose aujourd'hui la Commission européenne pour que soit reconnue la valeur juridique des indications géographiques de nos produits dans tous les Etats membres de l'Organisation mondiale du commerce ?
Le dernier point que je souhaite évoquer a trait à la nécessité pour l'Union européenne de définir une véritable stratégie agricole.
S'agissant, en particulier, des futurs élargissements de l'Union européenne, n'importe-il pas que les opérateurs européens et les autorités communautaires évitent de négliger les marchés des pays candidats ?
Je pense, en effet, que l'abandon de parts de marché aux opérateurs extérieurs permettra aux pays tiers de se constituer des références dont ils demanderont, le moment venu, et précisément à l'occasion des futures négociations de 1999, la valorisation en compte en application de l'accord de Marrakech.
En outre, je note que les pays engagés dans une démarche d'adhésion à l'Union européenne n'ont pas suffisamment pris en compte, s'agissant du soutien interne à leur agriculture, la limitation de leur marge de manoeuvre, une réalité accentuée par les importantes dépréciations de leur monnaie nationale. Les consultations engagées auprès de l'Organisation mondiale du commerce en ce qui concerne les subventions agricoles en Hongrie témoignent de cette situation.
Un autre signal qui nous démontre la nécessité de définir une véritable stratégie agricole européenne tient à l'attitude même des Etats-Unis. En effet, la nouvelle loi-cadre agricole signée le 4 avril 1996 par le président américain, le Fair Act, dont la mise en oeuvre couvrira les années 1996 à 2002, contient en particulier un volet commercial et un volet de réforme du dispositif de soutien aux grandes cultures. Cela participe d'une stratégie susceptible de déboucher, à terme, sur une nouvelle mise en cause de la politique agricole commune.
Le Fair Act prévoit, notamment, de poursuivre l'élimination des barrières tarifaires, de limiter, à terme, dans les pays concurrents, le soutien à l'agriculture, et d'éliminer les subventions à l'exportation et les organisations centralisées d'achat.
L'Union européenne ne doit-elle pas d'ores et déjà réfléchir à ses intérêts prioritaires, afin d'être en position de force lorsque s'ouvriront, à la date prévue, les négociations en vue de poursuivre le processus de réforme engagé par l'accord du cycle d'Uruguay ?
Tels sont, monsieur le ministre, les différents points sur lesquels je souhaitais attirer votre attention. Ils concernent l'avenir de notre agriculture et celui de la politique agricole commune. Le grand débat agricole d'aujourd'hui nous donne l'occasion, me semble-t-il, de réfléchir à notre stratégie européenne, deux ans après la signature des accords du GATT et à la veille de nouvelles négociations dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Aubert Garcia.
M. Aubert Garcia. Monsieur le ministre, je vous demande de ne voir en moi que le lecteur d'une intervention préparée par notre collègue M. Marcel Vidal, qui, alité, m'a demandé de lui rendre ce service, ce que je fais bien volontiers.
M. le président. Mon cher collègue, notre règlement ne permet pas à un membre de notre assemblée de lire la déclaration rédigée par l'un de ses collègues. Par conséquent, il serait préférable que vous preniez cette intervention à votre compte.
M. Aubert Garcia. Bien entendu, je la prends à mon compte, monsieur le président. Toutefois, compte tenu du sujet abordé et étant donné que l'on cultive peu les olives dans le département du Gers, je voulais en avertir M. le ministre, afin qu'il ne soit pas surpris de la teneur de mon propos. (Sourires.)
M. le président. Il y a bien un olivier en plaine !
M. Aubert Garcia. Il y en a quelques-uns, effectivement !
Secteur indispensable de notre économie et pivot de la politique d'aménagement du territoire, l'agriculture est au centre de toutes nos préoccupations et les crises survenues ces derniers mois ne font qu'accentuer la situation difficile dans laquelle se trouve le monde agricole.
Si les requêtes et les propositions des organisations agricoles se traduisent souvent en questions écrites ou orales, je voudrais utiliser le moment privilégié que constitue ce débat d'orientation sur l'agriculture pour attirer votre attention sur deux domaines : l'un a été à maintes reprises abordé durant la discussion bubgétaire à l'Assemblée nationale puisqu'il s'agit du fonds de gestion de l'espace rural - et, monsieur le ministre, je peux dire en mon nom personnel que je partage l'intérêt qu'il suscite - l'autre, plus rarement évoqué, a trait à l'oléïculture et à la réforme de son organisation commune de marché.
Vous savez, monsieur le ministre, combien la culture de l'olivier a constitué un pôle économique et culturel fort dans le midi de la France. Il est utile de rappeler, de temps à autre, que ce potentiel existe toujours et que, dans ce domaine, la société interprofessionnelle des oléagineux, protéagineux et cultures textiles, la SIDO, joue un rôle discret mais efficace en apportant tous les conseils nécessaires.
A ce titre, il me paraît important de souligner quelques chiffres évocateurs. En 1995, la France a produit 2 000 tonnes d'huile d'olive, soit 2 % de la production européenne. Elle en a consommé sur la même période plus de 60 000 tonnes. Je vous laisse apprécier l'extraordinaire déséquilibre entre une offre aujourd'hui très faible, et qui devrait dans le meilleur des cas doubler, et une demande qui ne cesse de croître. En effet, depuis quelques années, les débouchés de l'huile d'olive sont en progression sensible. Ce produit « typique » de qualité correspond tout à fait aux attentes des consommateurs : santé - un livre du professeur André Charbonnier a récemment démontré les bienfaits de l'huile d'olive dans ce domaine -, protection de l'environnement et appartenance au terroir.
Je profite de l'occasion qui m'est offerte pour vous indiquer que, dans la seule région du Languedoc-Roussillon, 51 % du verger régional est à l'abandon ; certaines oliveraies pourraient être facilement remises en état.
Cependant, force est de constater que nous sommes soumis à des importations toujours plus importantes, comme l'atteste le quota annuel de 80 000 tonnes accordé récemment à la Tunisie sous un régime préférentiel. Il est à noter que ces importations ne sont pas toujours d'excellente qualité.
Qui plus est, la mise en place d'une politique de qualité, indispensable aujourd'hui pour faire face à la concurrence, est loin d'être évidente : en effet, il est hors de question pour les producteurs français de vouloir atteindre la quantité de production d'huile d'olive de l'Espagne, de l'Italie ou de la Grèce.
L'avenir du secteur oléicole français est dans la constitution d'un produit du terroir, épaulé par une appellation d'origine contrôlée. Mais le chemin à parcourir pour arriver à une reconnaissance de qualité semble si difficile, monsieur le ministre, qu'il en décourage plus d'un !
En outre, la réforme de l'organisation commune des marchés de l'huile d'olive, monsieur le ministre, met en péril cette production. Les propositions de la Commission européenne s'orientent vers un remplacement de l'aide à la production par une aide forfaitaire à l'arbre et la suppression du système d'intervention, afin de mettre fin aux fraudes. Or il est vital de maintenir le mécanisme d'intervention et du prix d'intervention afin d'assurer la stabilité des marchés et des prix dans un secteur où les fluctuations de production d'une année sur l'autre sont considérables.
D'ailleurs, on a pu assister à une diminution de la demande d'huile d'olive au cours de la dernière campagne de commercialisation, les prix élevés du marché ayant provoqué une baisse de 15 % à 35 % de la consommation dans l'Union européenne.
De plus, une telle réforme pourrait entraîner des effets néfastes sur la production, la stabilité des prix, la qualité, ou encore l'approvisionnement.
L'application du système d'aide à la production sur la base de la quantité d'huile d'olive réellement produite simplifierait considérablement les contrôles, alors que les orientations envisagées accroîtraient la complexité du système et nécessiteraient de nouveaux mécanismes de contrôle dont l'efficacité n'est pas prouvée.
En outre, les carences de cette organisation commune de marchés sont patentes en matière de politique globale de promotion de la qualité et d'interdiction de commercialisation de mélanges d'huile d'olive avec d'autres huiles.
Enfin, la commission a invoqué une prétendue « situation excédentaire structurelle de l'huile d'olive » en Europe. Cette affirmation me laisse songeur puisque, au même moment, le Conseil oléicole international a appelé les pays producteurs à la protection de « l'authenticité » de la qualité de l'huile d'olive, ce en dépit de la baisse de la production mondiale.
Ainsi, dans le cas où la Commission européenne devrait maintenir ses orientations, elle prendrait la lourde responsabilité de mettre en cause l'existence même d'un élément clé de la civilisation, du paysage, du tissu économique et de l'emploi des régions rurales méditerranéennes de l'Union européenne, et de la France en particulier.
Dans un contexte aussi préoccupant, je souhaiterais, monsieur le ministre, connaître la position du Gouvernement sur cette réforme et les mesures qu'il entend prendre à l'échelon national, afin que l'arbre d'Athéna ne disparaisse pas et que nos enfants et petits-enfants puissent encore longtemps rêver à l'ombre d'un olivier méditerranéen.
Je voudrais, en dernier lieu, monsieur le ministre, attirer votre attention sur l'absence de crédits budgétaires affectés au fonds de gestion de l'espace rural pour 1997 ; je ne suis pas le premier à le faire et ne serai sans doute pas le dernier.
Le FGER constituant le seul fonds spécifique à destination du monde rural prévu par la loi d'orientation sur l'aménagement et le développement du territoire, sa disparition pourrait signifier la perte d'un précieux outil d'animation locale et la remise en cause du lien privilégié entre l'activité agricole et la gestion de l'espace.
En effet, le FGER est devenu, en un an, un excellent outil au service des agriculteurs et de la politique d'animation du milieu local, permettant une véritable valorisation de l'espace rural par les agriculteurs et la reconnaissance de leurs investissements, en temps et en labeur.
Les actions engagées dans le cadre du fonds sont essentielles : elles visent l'entretien et la réhabilitation de l'espace rural, notamment par la lutte contre la déprise agricole, par l'installation de jeunes agriculteurs, l'entretien des prairies et des alpages, ou encore la réhabilitation des vergers traditionnels.
Vous avez, monsieur le ministre, et je vous en sais gré, fait un premier pas lors de la discussion budgétaire sur les crédits de votre ministère à l'Assemblée nationale. Cependant, en raison de l'importance que revêt aujourd'hui la politique d'aménagement du territoire, je vous demanderai d'aller au-delà et de confirmer par un signe tangible l'attachement que le Gouvernement manifeste à l'aménagement de l'espace rural. (Applaudissementssur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le ministre, mon intervention portera uniquement sur l'enseignement agricole, mes deux collègues du groupe des Républicains et Indépendants ayant auparavant traité des autres aspects de la politique de votre ministère.
A une époque où l'on parle trop souvent de ce qui ne va pas, je voudrais commencer mon propos en saluant le succès de cet enseignement agricole, dont vous avez dit vous-même qu'il était « victime de son succès ».
Si vous le permettez, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais m'arrêter quelques instants sur les raisons de cette réussite et vous faire part de quelques inquiétudes.
Les raisons du succès découlent sans doute du fait que l'enseignement agricole a intégré mieux que d'autres la triple réponse que doit apporter tout système de formation : une réponse sociale, c'est-à-dire une réponse au besoin du jeune, à son projet ; une réponse économique, c'est-à-dire une réponse aux besoins de nos entreprises, qu'elles soient agricoles, forestières ou agroalimentaires ; une réponse en matière d'aménagement du territoire, ce que fait parfaitement l'enseignement agricole avec ses 220 lycées publics, ses 640 établissements privés, son réseau de 126 maisons familiales pionnières de l'alternance et de l'apprentissage.
L'enseignement agricole permet de répondre mieux que d'autres à la double inégalité de cette fin de siècle.
La première inégalité est celle de l'emploi : le taux d'insertion des jeunes dans le monde professionnel est, en effet, souvent supérieur à celui d'autres voies.
La seconde inégalité est celle du domicile : les chances ne sont pas les mêmes pour un jeune qui habite une grande agglomération et qui dispose de tout un éventail de formations et pour celui qui, vivant dans une zone rurale, est soumis à un certain nombre de contraintes ou de handicaps.
Grâce à un réseau de proximité, à des capacités d'accueil et d'hébergement, l'enseignement agricole réduit cette inégalité.
L'autre raison du succès est que l'enseignement qui relève de votre ministère a compris, mieux que d'autres et avant d'autres, les vertus d'initiatives partenariales, rassemblant les trois partenaires incontournables et indissociables de tout système de formation.
Le premier partenaire est la communauté éducative, gardienne de la pédagogie.
Le deuxième, ce sont les professionnels : l'une des premières finalités d'une formation professionnelle ou technologique est bien de donner aux jeunes les meilleures chances d'emploi. Permettez-moi de saluer l'attachement de l'ensemble de la profession à cet enseignement, qu'il soit public ou privé.
Le troisième de ces partenaires est la famille : c'est peut-être le plus important et celui que l'enseignement agricole a su le mieux mobiliser.
Le succès des maisons familiales et rurales, par exemple, tient peut-être à leur seule terminologie : le mot « maison » implique la sécurité d'un toit ; l'adjectif « familiale » rappelle que la famille est la cellule de base qui a traversé toute notre histoire ; c'est le premier cercle de décision.
M. Gérard Braun. Tout à fait !
M. Jean-Claude Carle. Quant au terme « rurale », il évoque nos racines, le fondement de notre société.
Monsieur le ministre, j'en viens aux inquiétudes, car je ne voudrais en aucun cas que l'enseignement agricole soit réellement victime de son succès et que la cause première en soit le seul arbitrage budgétaire.
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Ce sera l'éducation nationale !
M. Jean-Claude Carle. D'une part, je comprends et je partage tout à fait votre souci de maîtriser le développement et de faire porter votre effort tout particulièrement sur l'installation des jeunes agriculteurs, afin de faire face au défi numéro un que doit relever notre agriculture.
D'autre part, je suis convaincu que l'on ne mène pas, à terme, une politique sérieuse par la seule inflation budgétaire. Dans un autre secteur, de nombreux exemples le démontrent.
Cependant, monsieur le ministre, si la maîtrise des effectifs est la meilleure garantie de pérennité de l'enseignement agricole, limiter trop sévèrement la croissance présente deux risques majeurs.
Le premier, c'est d'empêcher des jeunes, pour qui cette voie est une deuxième chance, d'accéder à une formation et de leur offrir comme seule alternative la rue ou l'ANPE. Cette mission d'aide ne relève pas uniquement de l'enseignement agricole : c'est une responsabilité première de l'Etat, en partenariat avec les collectivités locales. D'ailleurs, socialement, elle peut peser moins sur les finances de la nation pour peu que nous sachions sortir d'une seule approche budgétaire verticale et cloisonnée.
Le second risque est de voir noyer l'enseignement agricole au sein de la première ligne budgétaire de la nation, donc, à terme, de le voir disparaître.
Cela serait dramatique et préjudiciable à l'ensemble de notre système éducatif, pour lequel il constitue un exemple de réactivité, de souplesse et d'innovation.
Il est, certes, indispensable de rechercher la complémentarité, plutôt que la concurrence ou l'uniformité.
Je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez lever mes inquiétudes à l'égard d'un enseignement auquel, comme l'ensemble de mes collègues du groupe des Républicains et Indépendants - et comme vous, j'en suis persuadé - je suis particulièrement attaché. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Arzel.
M. Alphonse Arzel. Voilà un an, jour pour jour, a eu lieu la signature de la charte nationale pour l'installation des jeunes en agriculture, comme vous l'avez rappelé ce matin dans votre intervention, monsieur le ministre.
Cela a constitué un événement capital et décisif pour l'avenir, cette charte ayant représenté le point de départ d'un nouveau volontarisme en faveur de la politique d'installation.
L'application de la charte d'installation intervient dans un environnement extrêmement difficile. Le gel budgétaire de 15 % des crédits d'intervention qui affecte l'ensemble des ministères aurait pu avoir pour conséquence de réduire de 20 millions de francs les crédits affectés au Fonds pour l'installation et le développement des initiatives locales, le FIDIL. Malgré cette contrainte très forte, vous avez permis, monsieur le ministre, que les crédits du FIDIL en 1996 s'élèvent bien à 150 millions de francs, ainsi que le prévoyait la charte. Vous avez également reconduit la dotation aux jeunes agriculteurs, qui représente 645 millions de francs.
Comme l'an dernier, l'installation des jeunes reste pour vous, monsieur le ministre, l'une des priorités du budget. Nous vous rendons hommage pour cette persistance du soutien à l'installation des jeunes.
Compte tenu de la hausse des remboursements communautaires, la dotation aux jeunes agriculteurs, inscrite dans le projet de loi de finances pour 1997, permettra donc de financer 9 500 installations, au lieu des 8 500 attendues pour cette année.
En outre, la dotation allouée au financement des stages de préparation augmente de 31,7 %, ce qui signifie que les capacités d'accueil des stagiaires seront renforcées.
Mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même approuvons ce choix, monsieur le ministre, et vous remercions d'avoir tenu vos engagements.
Ces crédits conditionnent de manière évidente, l'équilibre et l'avenir des zones rurales.
Face aux départs des exploitants âgés, il est essentiel que la relève soit assurée. C'est à ce prix que l'agriculture continuera à occuper, à gérer et à animer l'espace.
Encourager l'installation de jeunes agriculteurs, avec des projets viables, est essentiel pour l'avenir de notre agriculture et de notre pays, principalement dans la période que nous traversons. Il faut savoir inciter les jeunes à s'installer dans l'agriculture avec un message neuf. Cessons de semer le désespoir et la morosité. Lorsque cela va bien, il faut savoir le dire aussi.
M. Philippe de Bourgoing. Bravo !
M. Alphonse Arzel. Je ne parlerai pas du problème de la « vache folle ». Certains orateurs l'ont évoqué ; d'autres le feront peut-être après moi.
Je voudrais aborder le problème de la préretraite. C'est sans doute, en effet, le sujet le plus sensible sur le terrain.
Dans le projet de loi de finances pour 1997, vous avez proposé, monsieur le ministre, de modifier le régime de la préretraite agricole en créant un système complexe, maintenant l'âge de cinquante-cinq ans pour les éleveurs de bovins, alignant les autres exploitants sur le droit commun, c'est-à-dire cinquante-sept ans, mais créant une dérogation en faveur des agriculteurs en difficulté qui pourraient, pour leur part, partir à cinquante-six ans.
Ces dispositions remettaient en cause un grand nombre de projets. En effet, le changement en cours de programme du critère d'âge d'éligibilité à la préretraite aurait pénalisé de nombreux exploitants agricoles qui avaient commencé leurs démarches et, en conséquence, aurait paralysé un grand nombre d'installations.
Etant donné le nombre de dossiers déjà engagés mais qui n'auraient pas abouti l'an prochain, faute de répondre aux nouveaux critères d'âge, entre 1 000 et 2 000 installations auraient pu se trouver bloquées, sans parler des dossiers qui n'ont pas encore été engagés.
Mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même approuvons, en conséquence, la suppression de l'article 83 du projet de loi de finances qui a été votée par nos collègues députés, ainsi qu'un abondement de 50 millions de francs sur la ligne budgétaire relative à la préretraite. Nous estimons que cette suppression de l'article 83 - qui prévoyait de porter l'âge normal de la préretraite de cinquante-cinq ans à cinquante-sept ans - est la bienvenue. Nous vous remercions, monsieur le ministre, de l'avoir acceptée, et nous rendons hommage à votre esprit d'ouverture.
La loi de modernisation de l'agriculture, adoptée en février 1995 avait prévu d'accorder le bénéfice de la préretraite agricole à cinquante-cinq ans, pour favoriser l'installation des jeunes agriculteurs, tout en permettant à des exploitants fatigués par un travail éprouvant de prendre un repos bien mérité. Il convient donc de maintenir ce système.
Je n'évoquerai pas non plus la mise aux normes des bâtiments d'élevage. Toutefois, venant d'une région où l'élevage est très répandu et connaissant l'effort fait par les agriculteurs en ce domaine, je souhaite que l'on abonde les crédits prévus à cet égard car, en l'état actuel du projet de budget, ils ne permettent pas de répondre à l'attente de tous ceux qui ont engagé la mise aux normes de leurs bâtiments d'élevage.
Enfin, je ne parlerai pas du problème du Fonds de gestion de l'espace rural, pour lequel il semblerait que nous ne disposions pas des crédits nécessaires.
Je conclurai en disant simplement qu'il convient de redonner confiance aux agriculteurs. Il faut qu'ils croient en leur métier, car, comme on le dit, l'agriculture, c'est un beau métier, mais ce n'est pas toujours un bon métier parce qu'il n'apporte pas toujours à ceux qui l'exercent le bénéfice du travail qu'ils font. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. César.
M. Gérard César. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'organisation de ce débat avant le vote du budget de l'agriculture et l'examen du projet de loi d'orientation nous permet d'approfondir un certain nombre de points qui font l'actualité agricole.
Tout d'abord, il m'appartient, monsieur le ministre, comme l'ont fait nombre de mes collègues, de vous féliciter de votre action pendant ces dix-huit mois à la tête du ministère, et ce dans un contexte budgétaire contraignant. Dans la crise de la viande bovine, vous avez été omniprésent.
M. Philippe de Bourgoing. Effectivement !
M. Gérard César. En tant que sénateur, je souligne que nous avons reçu régulièrement des informations qui nous ont permis de communiquer avec les professionnels. Mais vous avez surtout obtenu de Bruxelles et de Bercy les aides financières indispensables pour nos éleveurs et, dernièrement, grâce à votre persévérance, 773 millions de francs de l'Union européenne. Cet effort significatif reste, pourtant, insuffisant pour les éleveurs, plus particulièrement pour les jeunes qui se sont installés récemment, lesquels s'interrogent fortement sur leur avenir ! Faut-il rester ou partir ? Peut-on encore s'installer en tant qu'éleveur ?
Votre soutien leur est indispensable. A moyen terme, une grande campagne promotionnelle de la filière est obligatoire pour relancer la consommation de la viande bovine.
Cette campagne doit être fondée sur les produits de qualité, en provenance du terroir, avec des labels et des indications géographiques protégées, car les prix n'ont pas diminué, pas même chez le boucher du coin ! Ce message fort doit s'appuyer, contrairement à l'attitude de Bruxelles et du ministre de l'agriculture britannique, sur une communication scientifique sans faille qui permette au consommateur de trouver plaisir et santé en consommant de la viande bovine et en apporte une garantie d'avenir aux éleveurs.
Mon collègue M. Roger Rigaudière, sénateur du Cantal, développera plus longuement les aspects relatifs à la viande bovine.
Lors de votre audition devant la commission des affaires économiques et le jour du vote du budget de votre ministère, à l'Assemblée nationale, vous avez apporté des réponses à un certain nombre de questions qui nous préoccupaient. D'abord, vous avez accepté d'abonder de 100 millions de francs le FGER. Comme les crédits pour 1996, à savoir 483 millions de francs, n'ont pas été utilisés, ils feront l'objet d'un report sur 1997 pour un montant de l'ordre de 100 à 150 millions de francs. Le FGER verra ainsi ses ressources augmenter, ce qui lui permettra de financer les actions les plus intéressantes et sans doute plus ciblées.
Ensuite, 20 millions de francs supplémentaires ont été inscrits au titre de la prime d'orientation agricole. Selon moi, cette prime devrait être réservée aux petites entreprises de l'agroalimentaire, de préférence aux coopératives, qui contribuent à maintenir le tissu rural. Les grands groupes peuvent se passer de ces aides, partant du principe qu'il vaut mieux privilégier ceux qui en ont le plus besoin, en particulier en période d'austérité.
Enfin, s'agissant du dispositif de préretraite agricole, vous avez accepté, à l'Assemblée nationale, de ne pas le modifier jusqu'à son terme, à savoir le 15 octobre 1997, prévu par la loi de modernisation de l'agriculture, adoptée en 1995. Nous vous savons gré de cette décision, car la mesure initialement proposée aurait eu pour conséquence malheureuse de retarder l'installation de jeunes agriculteurs, indispensable au renouvellement des agriculteurs âgés.
Dans le cadre du partage du temps imparti à mon groupe, l'autre point important que je veux aborder est le schéma de réorganisation des services déconcentrés de l'Etat et plus particulièrement le rapprochement DDAF-DDE.
Ce projet de rapprochement résulte du rapport sur la déconcentration et la réorganisation de l'administration, qui a conclu à la nécessité d'un « rapprochement fonctionnel » entre les services déconcentrés. Il s'agit d'explorer les possibilités de coopération dans des domaines de compétences communs ou complémentaires. Parmi les termes retenus, on peut citer la gestion et le contrôle de la qualité des eaux, la planification et l'utilisation de l'espace, la prévention des risques naturels et le développement local.
Sans être frileux ni conservateur, il est bon de vérifier l'étude de faisabilité confiée par M. Perben aux préfets de région, d'assurer les expérimentations locales qui doivent être réalistes pour le futur.
Il paraît difficile, dans les grands départements géographiques ou très peuplés, d'envisager de regrouper la DDAF et la DDE en une direction unique, qui traiterait de l'ensemble des prérogatives qu'elles exercent.
Il est intéresssant d'étudier, dans les départements moins peuplés, ou très urbains, ou très ruraux, des simulations à titre expérimental. Rappelons-nous la loi de décentralisation de 1983, qui a confié aux départements un certain nombre de compétences. Souvenons-nous des transferts limités de personnels faits à l'époque par les DDAF ou les DDE vers les conseils généraux.
Qu'en est-il aujourd'hui ? Certains départements ont énormément recruté et emploient plus de collaborateurs que la DDAF, laquelle a pourtant une mission plus large. Il est nécessaire de rappeler que la complexité des problèmes du développement rural rend indispensable le partenariat entre les collectivités territoriales et l'Etat. Il convient donc de clarifier à nouveau les compétences et de donner aux services de l'Etat les moyens de le représenter sans aucun complexe, donc de les rendre capables d'exercer correctement leurs missions régaliennes.
Il y va de la place de l'Etat dans notre monde de demain.
En ce qui concerne le rapprochement DDE-DDAF sur des problèmes très précis, évitons les chevauchements et utilisons les compétences, les contacts établis entre les uns et les autres, dans l'intérêt des agriculteurs et du monde rural.
S'agissant des directeurs régionaux qui exerceraient simultanément les fonctions de directeur départemental du chef-lieu de leur région, je ne suis pas sûr qu'ils puissent occuper les deux fonctions, surtout lorsque le département est important au point de vue agricole, sans courir le risque évident de manquer d'efficacité. De plus, quel serait l'avantage ?
En dehors du domaine de l'eau, dans lequel des missions interservices ont été mises en place sur l'initiative des préfets et dont le pilotage est assuré dans 85 % des cas par un chef de service ou le directeur de la DDAF, et en matière d'ingénierie où on peut estimer qu'une réponse unifiée de l'Etat est intéressante, j'estime que les compétences partagées entre DDE et DDAF doivent faire l'objet d'options locales à étudier cas par cas, et ce très sérieusement.
La psychologie des acteurs locaux, les partenariats habituels sont la base d'une bonne réussite, par exemple pour l'eau potable, l'assainissement, les déchets ménagers, toujours en utilisant les compétences qui sont grandes dans nos DDE et de nos DDAF.
La nécessité s'impose à tous de mener une réflexion approfondie dans chaque département. En attendant, il est urgent de ne rien faire ! Vous avez bien compris, monsieur le ministre, mon hostilité totale à ce projet.
Enfin, pour conclure mon propos, j'aborderai très brièvement un problème qui concerne toutes les régions et plus particulièrement mon département, la Gironde, qui est un département semi-urbain - semi-rural.
Sous l'égide de la chambre d'agriculture, a été signé, entre l'agence de bassin et la DDAF, un protocole relatif au traitement progressif des effluents viticoles, qui ne pose a priori qu'un problème : celui de l'épandage de cette matière organique avec le choix des terrains.
Plus grave est le problème des boues des stations d'épuration urbaines. A cause de leur composition incluant des métaux lourds, les conserveurs refusent de passer des contrats avec les agriculteurs pour les légumes provenant de leurs champs.
M. Paul Raoult. Très juste !
M. Gérard César. Les viticulteurs, les forestiers, les maïsiculteurs ne veulent pas ces boues. Que faut-il faire ? Les incinérer ? Cela paraît une certitude !
La mission de valorisation agricole des déchets - MVAD - est à un « stade clinique dépassé ». L'agriculture ne doit pas et ne veut pas être le dépotoir de l'urbanisation excessive. Elle veut continuer à préserver notre patrimoine, qui s'appelle l'espace rural et que nous voulons léguer en excellent état à nos enfants. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, je souhaite tout d'abord attirer votre attention sur la situation de la viticulture, sujet qui, sauf erreur de ma part, n'a pas encore été évoqué.
Comme vous le savez, le secteur viti-vinicole représente un chiffre d'affaires de plus de 65 milliards de francs, dont 22,5 milliards de francs à l'exportation sur l'ensemble des filières.
Participent à ces filières 450 000 viticulteurs, 1 000 coopératives, 1 200 entreprises de négoce, 75 000 salariés directs et 300 000 emplois induits. C'est dire l'importance de cette activité sur le plan tant économique que social.
Pourtant - force est de le constater - le climat dans ce secteur n'est actuellement pas des meilleurs.
Quel est le constat ? Au niveau communautaire, la récolte est évaluée à 170 millions d'hectolitres, soit 21 millions d'hectolitres de plus qu'en 1995.
En revanche, en France, la situation dans le secteur « vin de table - vin de pays » est équilibrée : la hausse par rapport aux récoltes précédentes déjà très faibles est peu importante et le niveau des stocks est très bas. Dans ces conditions, le marché ne devrait pas craindre de variations sensibles.
Pourtant - je le répète encore - l'ambiance n'est pas des meilleures dans nos régions, notamment en Languedoc-Roussillon, où l'on note un tassement des cours préoccupant et une situation d'attente du marché, orienté à la baisse.
Certes, une distillation préventive vient d'être décidée à l'échelon européen, grâce à laquelle les viticulteurs seront rémunérés à hauteur de 16,7 francs le degré hecto ; mais cette mesure sera sans effet chez nous. Il est donc primordial que nos producteurs n'ayant pas atteint le seuil des 90 hectolitres à l'hectare puissent bénéficier d'un complément national à cette distillation préventive. Cette contribution de l'Etat français, qui a déjà été consentie par le passé, me paraît indispensable pour orienter un marché atone.
Comptez-vous aller dans ce sens, monsieur le ministre ? Il s'agit là d'une demande forte de la profession, qu'il est d'autant plus nécessaire de prendre en compte que le marché des vins de table est en quelque sorte tiré vers le bas en raison de pratiques pour le moins condamnables dans certaines régions françaises. Que penser en effet du déclassement, dans l'une de ces régions, de plus de 200 000 hectolitres de vin d'appellation d'origine contrôlée, enrichis évidemment au saccharose et finalement écoulés sur le marché des vins de table au prix de vingt francs le degré hecto, soit huit francs au-dessous de la moyenne de septembre en Languedoc-Roussillon ?
Que penser également du comportement de certains producteurs de vin blanc qui, en d'autres lieux, n'ont pas recouru à la distillation préventive décidée en août et qui ont de ce fait complètement déstabilisé le marché des vins blancs ?
Bref, le tassement des cours, l'atonie du marché et des pratiques inadmissibles constatées dans certaines régions ne sont pas sans provoquer de sérieux remous chez les viticulteurs. Sachez-le, monsieur le ministre, afin de prendre les mesures qui s'imposent.
Par ailleurs, nos producteurs ont mal vécu l'assujettissement des caves coopératives à la contribution sociale de solidarité des sociétés, la CSSS. Il s'agit là d'un précédent très fâcheux en matière de fiscalité des caves coopératives, et je ne regrette pas d'avoir provoqué un débat en décembre dernier en déposant, avec mon groupe, des amendements de suppression de la CSSS.
Le régime fiscal jusqu'à présent reconnu aux coopératives constitue la contrepartie de leurs obligations et de leur spécificité. Ce sont des sociétés d'hommes et non des sociétés de capitaux. Ces coopératives sont de formidables outils de développement collectif, exemplaires au niveau de la démocratie économique. Ils constituent bel et bien la base de l'économie sociale et remplissent à merveille un rôle socio-économique remarquable, en assurant le maintien du plus grand nombre de viticulteurs à plein temps ou à temps partiel. C'est dire combien il importe de ne modifier ni le statut des coopératives, ni leur spécificité, ni leur fiscalité. Sur ce point, les propos de M. Arthuis, ministre de l'économie et des finances, lors du débat sur le projet de loi de finances pour 1996, avaient été jugés très inquiétants dans nos régions.
Monsieur le ministre, je vous avais entretenu ici même, le 28 mai 1996, d'un autre dossier important : je veux parler de la réforme de l'organisation commune du marché du vin, que certains appellent, sans rire, l'Arlésienne. Sachez, que le déroulement relativement satisfaisant des précédentes campagnes ne modifie en rien l'urgente nécessité de s'orienter vers une réforme de l'OCM dans les délais les plus brefs. Est-ce là votre intention, et pourquoi le retard est-il tel au niveau des instances européennes ?
Par ailleurs, nous avons noté les dispositions transitoires du Conseil des ministres et de l'Union européenne concernant le régime d'arrachage et l'autorisation de plantations nouvelles.
Si, en Languedoc-Roussillon, la profession viticole se félicite de la fin de l'arrachage primé avec abandon définitif, mesure ô combien dévastatrice pour notre région, elle s'insurge en revanche contre la diminution, de l'ordre de 400 millions de francs du budget européen, au titre du FEOGA.
J'avais demandé le 28 mai dernier, ici même, que, parallèlement aux dispositions limitant l'arrachage, soient mises en place des mesures d'accompagnement socio-structurelles financées sur des enveloppes budgétaires importantes allouées à la viticulture.
La nécessité de telles dispositions paraissait d'autant plus évidente que, au-delà du problème structurel qu'il constitue, l'arrachage était devenu une mesure sociale, une sorte de complément de retraite à des pensions notoirement insuffisantes.
Il convenait donc que les crédits dégagés du fait de la limitation de l'arrachage soient consacrés à l'aspect social que je viens d'évoquer et à des mesures positives et dynamiques. Je pensais notamment à un volet social permettant aux viticulteurs âgés de quitter leur métier dans de meilleures conditions avec, par exemple, l'instauration d'une aide à la transmission de l'exploitation et à l'installation des jeunes.
Or, rien n'a été obtenu dans ce sens, et le désengagement supplémentaire de Bruxelles est d'autant plus inacceptable que le budget viticole était déjà minime par rapport à d'autres productions.
Je rappellerai ici que la restructuration du vignoble est financée uniquement, depuis quelques années, par l'Etat français. Il convient - j'y insiste - que soit rétabli dans les meilleurs délais le dispositif communautaire d'aide au réencépagement. Où en est-on sur ce point précis, monsieur le ministre ?
Je ferai une autre remarque, concernant la répartition des droits de plantation et, plus généralement, du droit à produire. Sur ce point, la profession viticole de mon département souhaite en préalable que la possibilité de transfert entre régions soit supprimée, afin d'éviter « que notre potentiel de production ne soit davantage pillé ».
J'en viens à une dernière remarque : à toutes fins utiles, gardons-nous d'envisager tout transfert des droits de circulation vers le financement de la sécurité sociale, car cela modifierait totalement le fondement de ces droits, leur donnant un caractère d'accise, alors qu'ils ont été établis pour permettre à l'administration d'effectuer des contrôles statistiques.
Je souhaite terminer mon propos en évoquant le dossier du blé dur. Les régions méditerranéennes sont également des régions traditionnelles pour la culture de cette céréale. Le département de l'Aude est même devenu le premier département producteur de blé dur en France, avec 45 000 hectares.
Aujourd'hui, l'Union européenne propose une modification du règlement communautaire. Il y est fait état de l'instauration d'une surface maximale garantie pour chaque pays producteur. Or, la survie économique des céréaliers des départements concernés dépendra de la manière dont, dans notre pays, cette surface maximale garantie sera gérée et répartie.
Il importe donc d'assurer aux zones traditionnelles de production une surface maximale garantie égale aux droits à produire historiques, c'est-à-dire 230 000 hectares. Une telle position permettrait le maintien de ce type de culture dans des zones à faible potentiel de production mais à qualité de production élevée, et permettrait, par là même, de pérenniser les exploitations et l'occupation de l'espace dans les zones difficiles. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à vingt-deux heures.)

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur l'agriculture.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Huchon.
M. Jean Huchon. L'heure étant tardive et mon temps de parole réduit, je vais abréger mes propos.
Monsieur le ministre, le ministère de l'agriculture, dont vous avez la charge, est un grand ministère. Mais ne devrait-on pas plus justement parler du ministère des agricultures ?
En effet, l'énorme panoplie des productions recouvre des spécialités très diversifiées, et il serait démagogique et mensonger de prétendre que l'ensemble des filières est en crise. Ce serait céder à la tentation actuelle de dire que tout va mal et que tout est désespéré.
Non ! certaines activités sont rentables. Ainsi, les productions végétales se sont adaptées à la nouvelle PAC avec succès et profit ; la situation est bonne. Il y a cependant un inconvénient, puisque l'on fait appel à une assistance financière européenne et nationale.
Ne vaudrait-il pas mieux que le marché assure une juste rémunération de l'exploitant et une réponse adaptée à la consommation ? Hélas ! monsieur le ministre, vous devez affronter les graves problèmes de la mondialisation et du déséquilibre international. Les producteurs européens sont mis en concurrence directe avec des pays qui n'ont pas les mêmes contraintes salariales, fiscales et sociales.
Cette situation vaut pour toutes les activités de production, qu'elles soient agricoles ou industrielles. Elle est pour l'instant sans solution ou tentative de solution mais il faudra bien que, dans un cadre qui, je crois, ne peut être qu'européen, soit mis fin à une situation qui ne peut que nous conduire vers une crise plus profonde et un chômage en croissance.
Les agriculteurs français attendent avec impatience une monnaie unique assez solidement installée qui règle définitivement les problèmes internes à l'Europe ; je pense notamment aux dévaluations fantaisistes pratiquées par nos voisins au cours de ces dernières années et qui nous ont fait tant de mal. L'Europe incomplète et compliquée que nous pratiquons doit évoluer le plus rapidement possible vers des structures communautaires dignes de ce nom.
Les agriculteurs en sont conscients, ils doivent beaucoup à l'Europe depuis trente ans. Mais nous sommes au milieu du gué et il nous faut avancer pour ne pas être emportés par le courant. Les agriculteurs, mais aussi l'ensemble de la population, souhaitent que des pas décisifs soient rapidement franchis pour que l'avenir de l'agriculture française puisse s'établir sur des bases solides.
Je n'entrerai pas dans les détails, mais je m'associe aux questions qui ont été posées cet après-midi par notre collègue Alain Pluchet. Nous nous en remettons à votre fermeté bien connue, monsieur le ministre, pour que l'agriculture soit défendue - je pense ici aux accords sur le PAC ainsi qu'au renouvellement de contrats avec les Etats-Unis et d'autres pays - et pour que tout soit remis en route.
Dans le court moment qui m'est imparti, je voudrais évoquer deux secteur de l'agriculture qui ont été éprouvés ces derniers mois. Il s'agit de la viande bovine et des fruits et légumes.
Vous avez, monsieur le ministre, fait le maximum, et nous vous en rendons hommage, pour que ce cataclysme qui s'est abattu sur les producteurs de viande ait les conséquences les moins graves possibles. Vous avez dû vous battre contre cette monstrueuse intoxication qui a jeté le discrédit sur un produit et l'opprobre sur les éleveurs. Certes, les autorités anglaises sont coupables, mais la France a, depuis des années, pris les précautions nécessaires. On peut donc être surpris par l'importance donnée à ce danger, alors que les dégâts sont incertains et le nombre des victimes est peu significatif à ce jour.
Ma situation d'ancien éleveur m'enlève toute impartialité. Je me permettrai donc de vous livrer quelques extraits du commentaire d'un journaliste de ma région, critique de télévision - c'est dire qu'il n'est pas spécialiste du problème - mais aussi humaniste : La Marche du siècle , écrit-il, nous a offert sur le dossier lancinant de la vache folle une émission-auberge espagnole : chacun y trouve ce qu'il y apporte. Un peu avant, j'avais eu la curiosité de me procurer sur cette question l'essentiel de la documentation britannique et française, ainsi que les rapports de la Communauté européenne. Celui qui, comme moi, aura consulté cette prose et écouté l'émission ne pourra qu'énoncer ce constat d'évidence : la vache folle représente la plus formidable mystification politico-médiatique de notre temps. » Le journaliste poursuit : « Mais nous portons tous, dans notre sang, une protéine vénéneuse qui met quarante ans à mûrir. Elle s'appelle la vieillesse... Et nous n'entendons pourtant résonner aucun tambour médiatique autour de la maladie d'Alzheimer ou de celle de Parkinson, autres maladies de dégénérescence autrement plus répandues. »
Plus loin, le journaliste conclut : « Aujourd'hui, les séquelles de la vache folle continuent de semer l'angoisse et le doute, qui débouchent sur l'effondrement du marché, la ruine de centaines de milliers de Français.
« Des chercheurs, nous dit-on, auraient déniché un indice à propos de la transmissibilité du prion de la bête à l'homme. La belle affaire ! Cette débauche d'alarmes, d'efforts et de moyens est dédiée à une "épidémie" qui a fait onze morts en trois ans à travers l'Europe... C'est dix fois moins qu'un dimanche d'autoroutes. »
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Jean Huchon. Monsieur le ministre, vous avez obtenu des compensations qui paraissaient, initialement, insuffisantes. Ce que vous nous avez annoncé ce matin nous remplit pourtant d'espoir. Il faut, en effet, espérer que l'enveloppe qui sera répartie d'une façon, je crois, tout à fait rationnelle, en décentralisant la décision, ramènera un peu de sérénité et d'objectivité. Il faut espérer, de même, que les consommateurs retrouveront facilement le chemin de la boucherie, sans suspicion et sans état d'âme.
La production de viande de qualité, élément fondamental et traditionnel de l'agriculture française, ne doit pas injustement sombrer sous le choc d'une tempête médiatique. Il faut que nos éleveurs puissent vivre honnêtement de leur travail. Ils ont eux-mêmes des efforts importants à fournir, sur le plan tant de la qualité que de la transparence de la filière, qui est un énorme problème.
L'origine du produit doit pouvoir être constatée par la ménagère, ce qui n'est pas courant dans l'actuel système de distribution. Des efforts sont déjà faits, mais il faut aller plus loin et faire en sorte que cette traçabilité ne soit pas fantaisiste.
Espérons, avec beaucoup de professionnels, que ce moment difficile pour les producteurs de viande sera l'occasion d'une remise en cause du système de production et de la mise en place rationnelle de la transparence réelle de la filière, dans le respect de toutes ses composantes, y compris les producteurs.
J'en viens maintenant à la production fruitière et légumière. Le Sénat y est sensible, et depuis longtemps. Il y a trois ans, la commission des affaires économiques et du Plan avait mis en place, à ce titre, une mission d'information chargée d'examiner l'ensemble du dossier.
Notre rapport, établi au terme de nombreuses auditions, a abouti à la rédaction de plusieurs dizaines de propositions.
M. le président. Mon cher collègue, il reste très peu de temps à votre groupe et il y a encore un orateur après vous !
M. Jean Huchon. L'esprit général de ces propositions visait à une organisation de la production fondée sur un contrôle des importations et de la distribution. Il est en effet extravagant d'acheter à l'étranger ce dont nous n'avons pas besoin. Il est bien évident que la pression sur les prix pratiquée par les opérateurs de la grande distribution constitue un obstacle majeur à la rentabilité de la production française.
Si les importateurs peuvent se permettre impunément, et avec profit, d'inonder le marché avec des fruits et des légumes produits par des entreprises pratiquant des salaires vingt à trente fois moins élevés que notre SMIC, c'en est fait de la production française, et même de la production européenne ! La récente sortie de l'organisation commune du marché « fruits et légumes » nous donne des espoirs. Cependant, la clause de sauvegarde en cas d'affaissement des cours n'est pas clairement exprimée, et ce vide nous inquiète.
Je ne peux ici détailler cette OCM. Elle a des côtés extrêmement positifs, vous les avez évoqués ce matin, monsieur le ministre. Je suis cependant un peu inquiet. Je voudrais vous entendre confirmer de vive voix l'existence de l'interface entre les certificats à l'importation et les clauses de sauvegarde spéciales. Y a-t-il un mode de calcul du seuil de déclenchement réaliste et efficace ?
Monsieur le ministre, je voudrais exprimer ma satisfaction sur deux points qui ont été longuement évoqués ce matin.
Tout d'abord, vous avez prorogé le dispositif concernant les préretraites. C'est très bien !
Ensuite, pour ce qui est du fonds de gestion de l'espace rural, dont les jeunes avaient apprécié l'utilisation l'année dernière, je rappelle que, prévu par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, il s'agit, pour l'heure, d'un symbole. Il faut considérer qu'il est encore en rodage. Même si certains prétendent que son utilisation n'est pas toujours opportune, il est d'origine trop récente pour en juger. Il devra donc à l'avenir être abondé sérieusement.
Hélas ! l'aide aux bâtiments d'élevage ne connaît pas, pour le moment, un sort aussi favorable. Monsieur le ministre, toute bonne nouvelle sera bien accueillie.
En conclusion, monsieur le ministre, l'agriculture française que vous avez en charge vit, comme l'économie française, une époque tourmentée. Le rôle qu'elle joue dans l'occupation de l'espace, l'aménagement du territoire et l'approvisionnement alimentaire des Français et des Européens mérite largement les soins nécessaires à sa survie.
Dans un cadre européen solide, respectant l'identité des nations mais unissant les possibilités de régions et de climats différents, nous rêvons d'une agriculture prospère dans toutes ses composantes. Avec vous, monsieur le ministre, nous voulons que ce rêve devienne une réalité. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR ainsi que sur certaines travées de RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Rigaudière.
M. Roger Rigaudière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat sur l'agriculture intervient alors que le monde agricole en général et la filière bovine en particulier sont secoués, depuis le mois de mars, par une crise d'une ampleur et d'une gravité hors du commun, provoquée par l'épizootie d'encéphalopathie spongiforme bovine.
Outre un évident et angoissant problème de santé publique, la conséquence la plus spectaculaire de cette calamité a été une chute brutale du revenu des éleveurs, causée par un effondrement de la consommation, et donc des cours de la viande.
Pour autant, la baisse du revenu des éleveurs ne date pas de la crise dite de la vache folle, même si elle s'est accentuée à cette occasion. Il s'agit d'une évolution ancienne qui ne doit pas être masquée par l'augmentation régulière du revenu agricole dans son ensemble, soulignée chaque année par la commission des comptes de l'agriculture de la nation.
Par rapport aux autres productions agricoles, celle de la viande bovine souffre depuis longtemps d'un problème d'excédents structurels. Les causes en sont multiples, qu'il s'agisse de la baisse tendancielle de la consommation de boeuf, d'un accroissement de la production favorisé par la nouvelle PAC ou encore de la limitation des exportations par le GATT. Au total, la combinaison de ces différents facteurs a engendré un enchaînement classique fait d'une surproduction suivie d'une baisse des cours, elle-même suivie d'une baisse des revenus des producteurs.
De façon inévitable, la crise de l'ESB a brusquement amplifié ce déséquilibre structurel.
Dès la fin du mois de mars, un effondrement de la consommation de près de 40 % se répercutait brutalement sur le revenu des éleveurs, les prix à la production atteignant en juillet des niveaux historiquement bas.
On peut dresser un bilan positif des différentes mesures, tant européennes que nationales, qui ont été arrêtées pour faire face à la crise. Elles ont été énergiques, introduites sans retard et bien menées. Elles doivent être saluées.
Jointes en France à un dispositif exemplaire de protection tant de la santé publique que du consommateur, assez vite rassuré sur le contenu de son assiette, elles ont permis aux cours de se stabiliser, voire d'amorcer une légère remontée à partir du mois d'août, et la chute de la consommation a pu être enrayée.
Au total, les dégâts sur le revenu des producteurs ne sont pas négligeables, ils sont même importants, mais l'on a su, jusqu'à maintenant, éviter la catastrophe.
Cela étant, il subsistait jusqu'à ces derniers jours une ombre fâcheuse au tableau des mesures prises. Je songe, en disant cela, à la prise en considération insuffisante du problème des broutards, autrement dit des jeunes bovins ou animaux maigres. L'importance de ce marché est capitale pour l'agriculture de notre pays, qui dégage à elle seule 90 % des exportations de cette catégorie d'animaux au sein de l'Union européenne.
Décidée à la fin du mois d'août, à la demande de la France, l'extension de l'intervention aux animaux maigres mâles s'est effectuée dans des conditions restrictives et dans un contexte d'assez bonne tenue des marchés, ce qui l'a rendue presque inopérante.
Comme marque de l'insuffisance de ces mesures, on assiste aujourd'hui à une baisse des cours du « maigre », correspondant à l'arrivée massive d'animaux sur le marché.
La campagne de commercialisation s'annonce ainsi particulièrement délicate pour 300 000 à 400 000 d'entre eux. Aussi ne peut-on que se réjouir des mesures de revalorisation exceptionnelle que vous avez obtenues de haute lutte, mercredi dernier, au Conseil des ministres de l'agriculture, monsieur le ministre, dans un climat difficile caractérisé par l'hostilité de nos partenaires.
La France sera ainsi mieux armée pour apporter des réponses adaptées aux problèmes de ce marché.
Naturellement, il reste maintenant à définir avec les professionnels des modalités de répartition des aides qui soient les plus justes possible, ainsi qu'à poursuivre l'effort en faveur du marché du maigre sur une période suffisante. Mais, à ce sujet, monsieur le ministre, vous avez déjà ce matin rencontré les professionnels, ce dont nous vous remercions. Quoi qu'il en soit, l'obtention de la nouvelle enveloppe est un succès dont le mérite vous revient, monsieur le ministre, et pour lequel vous méritez nos félicitations.
Cependant, les fonds obtenus ne permettront pas, à eux seuls, de compenser le manque à gagner, qui est considérable.
Mais vous nous avez également apporté des apaisements sur ce point, ce matin.
Un abondement national aux versements européens serait donc nécessaire, comme cela a été fait lorsque les mesures d'ensemble ont été prises au début de la crise.
Il existe pourtant des motifs de satisfaction et d'espérance. Je suis le premier à le reconnaître et à m'en réjouir.
Toutefois, en dépit des perspectives raisonnablement optimistes, concernant les jeunes bovins notamment, de grandes incertitudes continuent à planer sur l'avenir de l'élevage français.
A cet égard, je ferai deux remarques.
Tout d'abord, la modification de l'OCM de la viande bovine, pour laquelle une réflexion a été lancée l'été dernier, montrera rapidement ses limites si elle ne s'accompagne pas d'une remise à plat simultanée de l'ensemble des OCM des différentes productions agricoles. En clair, on ne pourra faire beaucoup plus longtemps l'économie d'une réorientation en profondeur des aides et des soutiens à l'agriculture communautaire, sous peine de trahir la vocation d'efficacité d'un système fondé sur la solidarité.
Sans vouloir déclencher la moindre polémique, je pose tout de même la question : est-il vraiment normal, alors que les mécanismes de redistribution et de soutien de la PAC s'appliquent, qu'on puisse encore observer dans notre pays des variations sur les revenus des exploitants allant du simple au double, selon la nature de leur production dominante ?
Loin de moi l'idée de dresser les agriculteurs les uns contre les autres, je le redis. Mais, dans la mesure où nous prétendons avoir forgé pour notre agriculture un projet de développement commun avec des partenaires multiples - ce qui est une grande et belle idée - le premier des objectifs à atteindre n'est-il pas de permettre un essor harmonieux de cette agriculture, en faisant profiter en priorité ses secteurs les plus fragiles des correctifs de la solidarité communautaire ?
Si la PAC ne répond pas à cette nécessité, elle risque de perdre un peu de son âme et beaucoup de sa diversité, car certaines de ses composantes disparaîtront.
Par ailleurs, parallèlement à la réforme des OCM, il faut engager une réflexion sur la maîtrise de la production, qui est elle aussi inévitable.
Des propositions ont d'ailleurs été faites en ce sens, qu'elles concernent le poids des carcasses à l'intervention, la définition du veau de boucherie ou l'abattage des jeunes veaux. Même si ces dernières dispositions sont quelque peu controversées, elles sont nécessaires.
Quant à ma seconde remarque, que je conçois comme un prolongement naturel de la première, elle concerne le lien fondamental qui, selon moi, unit la vigueur économique du grand bassin allaitant français et l'aménagement du territoire dans le Massif central, lesquels coïncident largement.
Dans une zone menacée par la désertification comme l'est le Massif central, l'aménagement du territoire doit s'appuyer sur un cercle vertueux à trois éléments : de bonnes voies de communication ; une présence humaine suffisante et correctement répartie ; et, enfin et surtout, une vitalité économique entretenue dans le respect de la vocation dominante de l'espace.
Dans la plupart des vingt départements du grand bassin allaitant, cette vocation dominante, c'est le troupeau bovin. Et celui-ci est en excellente adéquation avec l'objectif de répartition harmonieuse de la population, car il s'appuie sur une forme extensive d'élevage.
S'il vient à péricliter, c'est tout l'aménagement du territoire au coeur géographique de notre pays qui sera menacé. Dans chaque petite commune où l'élevage bovin est pratiqué, on verra les exploitants ruinés mettre la clef sous la porte, les commerçants et les artisans fermer leur boutique, et les services publics abandonner un village privé peu à peu de toute vie.
L'étape suivante verra la population jeune céder au mirage des grandes agglomérations, les voies de communication perdre leur utilité et cesser d'être entretenues et améliorées... et la sinistre boucle de la désertification sera alors bouclée !
Au-delà du strict problème de l'économie et des revenus, c'est aussi cette angoissante perspective qu'ont voulu dénoncer les manifestants participant à l'opération « Massif central mort », à la fin du mois dernier.
Avec quatre millions de têtes de bétail, la France détient 40 % du troupeau allaitant de l'Union européenne, la plus large fraction se trouvant dans le Massif central.
Voulons-nous vraiment nous priver de cette richesse et, en même temps mettre en péril cette politique d'aménagement du territoire dont nous proclamons pourtant l'ardente nécessité afin de bien vivre demain ?
Le maintien du troupeau allaitant, c'est indéniable, a un rôle à jouer dans un aménagement du territoire réussi.
Je salue donc comme un signe très encourageant adressé aux professionnels de l'élevage extensif l'abondement par un complément substantiel, annoncé mercredi dernier, de la prime à l'extensification quand la densité du troupeau est inférieure à une UGB - une unité de gros bétail - par hectare.
Enfin, monsieur le ministre, et dans le même ordre d'idée, je me félicite du mémorandum sur l'agriculture et la forêt de montagne que vous venez d'adresser à la Commission européenne.
Tous les élus qui sont, comme moi, attachés à la prise en compte concrète des spécificités de la montagne en attendent beaucoup. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Piras, à qui je souhaite la bienvenue pour sa première intervention à la tribune du Sénat.
M. Bernard Piras. Je vous remercie, monsieur le président.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous livre, en préambule, quelques observations.
Je dois reconnaître l'utilité de ce débat d'orientation sur l'agriculture, mais je regrette sa brièveté au regard de la situation dramatique dans laquelle se trouvent de nombreux exploitants agricoles.
Je salue la manoeuvre visant à restreindre la durée du débat budgétaire sur l'agriculture. Et pour cause !... Il mériterait force discussions.
Je souhaite enfin que le ministre de l'agriculture que vous êtes, monsieur Vasseur - ou votre éventuel sucesseur - organise un véritable débat sur la loi d'orientation agricole, en y associant pleinement le Parlement. Cette loi d'orientation, qui doit tracer les lignes fortes de la politique agricole pour les quinze années à venir, comme vous l'avez formalisé ce matin, doit être l'occasion d'un débat sérieux, approfondi. Ce débat ne peut pas être bâclé.
Ces observations étant présentées en préambule, j'aborderai le secteur des fruits et légumes et le domaine de l'enseignement agricole.
La part du secteur fruits et légumes dans notre agriculture est loin d'être négligeable. En 1995, elle représentait 40 milliards de francs de livraisons, plaçant ce secteur au second rang des produits végétaux, derrière le vin, mais devant les céréales.
Actuellement, en France, 60 000 exploitations produisent des fruits, soit 7,5 % des exploitations agricoles, et 75 000 exploitations produisent des légumes, soit 9 % des exploitations agricoles.
Ces secteurs sont directement liés à d'autres activités telles que l'emballage et les produits phytosanitaires. C'est donc toute une partie de notre économie qui est concernée.
Les problèmes que je vais évoquer concernent donc environ une exploitation sur six en France.
S'il est difficile de généraliser dans la mesure où il est commercialisé vingt sortes de fruits et quarante de légumes, chacune de ces productions ayant ses propres difficultés, il n'est pas outrancier d'affirmer aujourd'hui que l'ensemble de ce secteur connaît actuellement d'énormes difficultés.
La saison 1996 a été dans l'ensemble très mauvaise pour les producteurs de fruits et légumes, qui ont enregistré d'importantes baisses de revenus et qui se retrouvent, pour la plupart, dans des situations financières catastrophiques, beaucoup d'exploitations fruitières étant en dépôt de bilan.
Les situations extrêmes, les producteurs de pêches et de nectarines, d'abricots, de noix, de tomates, de raisins de table les subissent.
Nombreux sont les départements concernés, donc nombreux sont les sénateurs sensibilisés aux situations dramatiques que vivent les exploitants agricoles producteurs de fruits et légumes. Notre collègue Claude Haut, du Vaucluse, avec les producteurs de raisins de table, notre collègue Jean Besson et moi-même dans la Drôme, premier département producteur de pêches et de nectarines, un des premiers départements producteurs d'abricots, connaissent bien le problème.
Si je cite ces deux départements, monsieur le ministre, c'est que, d'une part, je connais bien la situation des exploitations agricoles de ces départements, et, d'autre part, votre prochaine visite dans le sud de la Drôme, aux frontières du Vaucluse - le 12 novembre, je crois - risque d'être mouvementée si les négociations en cours n'ont pas abouti ou, pour parler plus crûment, « si vous arrivez les mains vides ».
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Laissez-moi rire !
M. Bernard Piras. Cette année, les cours des pêches, des nectarines et des abricots se sont effondrés. Ce phénomène s'est accompagné d'une très importante mévente. Les prix de vente ne couvrent pas les coûts de production, ce qui entraîne une perte sèche estimée entre 15 000 francs et 20 000 francs l'hectare.
En 1996, dans le département de la Drôme, 28 % des pêches et 43 % des nectarines sont partis au retrait.
Le retrait a été instauré pour répondre à des difficultés conjoncturelles et non pour constituer un débouché, comme c'est le cas depuis plusieurs années ! Certes, la nouvelle organisation commune des marchés, qui a été adoptée en juillet dernier, prévoit des améliorations.
Voici un autre chiffre pour la Drôme : la moyenne quinquennale du quintal d'abricots sur le cours d'expédition de Valence était de 729,4 francs ; en 1995, elle était de 925 francs ; en 1996, elle n'était que de 456 francs.
A l'échelon national, à la fin du mois de juillet, les cours à l'expédition de la pêche était à moins de 4 francs le kilogramme, alors qu'ils étaient à plus de 6 francs le kilogramme l'année précédente. Pour l'abricot, les chiffres sont encore plus « éloquents », puisque l'on est passé de 8,5 francs à 3,30 francs le kilogramme cette année.
Pour les producteurs, la perte par kilogramme est donc de 1, 93 francs pour les pêches et de 1,78 franc pour l'abricot. Cette chute des cours ne s'est pas accompagnée d'une baisse des charges. En conséquence, bien des exploitations productrices de fruits et légumes sont déficitaires et doivent faire face à d'importantes difficultés budgétaires. Les causes de cette situation sont bien connues des pouvoirs publics puisque, mise à part l'année 1995, ce secteur enchaîne les mauvaises années.
Des réponses doivent être apportées, des réponses immédiates ayant pour seule ambition d'éviter la disparition de nombreuses exploitations ne pouvant faire face à leurs dettes.
Ces mesures d'urgence sont d'ailleurs vivement et avec pugnacité demandées par les organisations agricoles. Il s'agit, tout d'abord, de la prise en charge d'intérêts et d'aménagement du capital, comme pour les producteurs de viande, le traitement doit être équivalent, le prêt de consolidation doit avoir les caractéristiques suivantes : un taux de 2,5 % et une durée de dix ans.
Il s'agit, ensuite, pour compenser les pertes du revenu, de mettre en place des mesures spécifiques d'aides aux producteurs de fruits et légumes en dégageant des enveloppes budgétaires significatives à l'échelon départemental et en assouplissant les critères d'attribution.
Il s'agit, enfin, de mettre en place un plan de paiement échelonné auprès de la MSA. L'échelonnement doit se faire sur une durée longue ; différer le paiement de dix-huit mois ne réglera pas le problème.
Pour ce qui est de l'avenir, il est indispensable de remédier à l'inorganisation de ces secteurs, notamment de l'offre, laquelle est source d'une grande instabilité.
Il faut organiser la production par la mise en place de cadastres fruitiers au niveau non seulement français, mais également européen par la mise en place de certificats de qualité et par la constitution de puissantes organisations de producteurs qui pourront ainsi imposer un prix minimum.
C'est là une profonde remise en cause de la situation actuelle, qui demandera beaucoup de courage et qui nécessitera des moyens incitateurs.
La réforme de l'organisation commune des marchés peut jouer un rôle important, l'un de ses principaux objectifs étant le renforcement du rôle des organisations de producteurs en tant qu'opérateurs commerciaux.
En ce qui concerne l'enseignement agricole, le projet de loi de finances pour 1997 ne répond pas à la demande sociale. Il marque un net coup d'arrêt de la progression du budget et de la valorisation de l'enseignement agricole public. L'instauration d'une norme de progression des effectifs de 2 % a pour conséquence d'empêcher 3 000 jeunes d'accéder à l'enseignement public agricole, qui maintient le sous-encadrement, devenu structurel : tout d'abord, 20 % des enseignants ne sont pas titulaires ; ensuite, les heures supplémentaires et les vacations représentent 25 % des enseignements, enfin, il manque environ 1 000 emplois de personnels ATOSS, de surveillants et de documentalistes.
Cependant, au-delà de ces aspects budgétaires, qui sont importants, c'est l'orientation donnée aux formations dispensées dans l'enseignement agricole qui paraît inquiétante.
Du fait du recentrage vers les formations liées à la production et à la transformation, les formations qui répondaient à la nécessaire diversification du milieu économique rural et agricole sont abandonnées progressivement : il en va ainsi, notamment, du tourisme en milieu rural, des auxiliaires sociales en milieu rural...
J'affirme que les préoccupations du secteur des fruits et légumes et de l'enseignement agricole concernent l'ensemble de notre agriculture.
La logique productiviste, la logique de filière conduisent à des situations telles que celle de la « vache folle ».
Ces logiques ont pour résultat que 80 % de la production française sont assurés par 20 % de la population active agricole installée sur 20 % de la surface agricole utile.
Demain, 150 000 agriculteurs, et non plus 800 000, fourniront-ils la production actuelle ? Devra-t-on se réjouir que la logique du plan Mansholt, élaboré dans le début des années soixante-dix, soit respectée ?
Nous assistons à la dénaturation de certains produits, à la surproduction d'autres, ce qui entraîne des destructions massives et la disparition de nombreux agriculteurs, laquelle accentue une désertification rurale déjà bien avancée.
Il serait sans aucun doute grand temps de repenser le métier d'agriculteur et le rôle que doit jouer notre agriculture dans notre société dite « moderne ».
Il est désolant, à ce titre, de constater que, avant d'être un agriculteur, on est avant tout un arboriculteur, un céréaliculteur ou un producteur d'oeufs ! Autant de branches spécialisées, autant de segmentations, d'éparpillement du milieu et d'appauvrissement de l'identité professionnelle.
Pourtant, le métier d'agriculteur est au centre de trois enjeux qui sont difficilement compatibles, mais qui doivent pourtant l'être : la production d'abord, la gestion du patrimoine ensuite et l'aménagement du territoire enfin. Il est indispensable de tenir compte de ces trois priorités.
L'objectif de la production a été jusqu'à maintenant privilégié par rapport aux deux autres. Mais il paraît de plus en plus évident que l'agriculture de demain doit produire autre chose que des produits consommables et donc matériels, et répondre non seulement à un meilleur aménagement du territoire, mais également à une meilleure gestion du patrimoine.
Pour ce qui est de l'aménagement du territoire, dans le secteur agricole, de nouveaux métiers sont à inventer, qu'ils aient un lien avec la santé, la culture, la gastronomie, le tourisme, la pédagogie ou la formation des enfants.
Dans ces secteurs, le comportement des consommateurs a déjà changé : ils sont de plus en plus demandeurs. De telles activités peuvent, en outre, bénéficier ou répondre à d'autres évolutions de notre société : une urbanisation extrême, la réduction du temps du travail, la semaine scolaire de quatre jours, l'allongement de la vie.
Si, pour l'aménagement du territoire, de nouvelles pistes doivent être approfondies, pour ce qui est de la gestion du patrimoine, ce sont des comportements qui doivent être modifiés. L'eau, la terre, les végétaux, les paysages doivent être pensés non plus comme un capital à exploiter, mais comme un patrimoine à transmettre. Les agriculteurs pourraient devenir les garants de cette richesse. Ils deviendraient ainsi « les producteurs d'un environnement de qualité ».
Tout ce qui vient d'être dit fait la difficulté, mais aussi l'intérêt du métier d'agriculteur. Le pari de l'agriculture future sera de mettre en place un système qui respectera ces trois enjeux. Les pouvoirs publics se doivent de favoriser une telle mutation. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le ministre, je tiens, en avant-propos, à saluer et à rendre hommage à votre action courageuse et efficace à la tête d'un département ministériel confronté à d'âpres difficultés, qui plus est dans un contexte financier et budgétaire particulièrement défavorable.
Je souhaite intervenir plus particulièrement sur le volet montagne de la politique agricole en référence à la situation spécifique du département dont j'ai l'honneur d'être l'élu : la Haute-Savoie.
Avant de vous présenter les souhaits exprimés par les responsables locaux, élus et professionnels, de cette région de montagne, permettez-moi d'en rappeler succintement les caractéristiques et de faire le diagnostic de la situation actuelle.
Le département de Haute-Savoie est classé à 80 % en zone de montagne ; un tiers des communes sont en effet situées en zone de montagne difficile, haute montagne et montagne 1.
Une politique départementale de modulation de l'indemnité spéciale de montagne, l'ISM, est conduite avec l'enveloppe financière résultant des critères nationaux, dans le cadre d'un plafonnement départemental à 40 unités de gros bétail au lieu de 50, et afin de supprimer la haute montagne.
Il faut le dire, l'action de l'Etat à l'égard de l'agriculture de montagne est perçue comme un certain désengagement. Je citerai notamment la suppression des crédits à l'élevage, aux services techniques en montagne, la suppression de la détaxation de l'essence pour les matériels de fauche et de transport, la diminution des crédits aux améliorations pastorales et, enfin, la remise en cause de l'aide à la construction des bâtiments d'élevage.
Cette situation pénalisante est aggravée par le fait que la réforme de la politique agricole commune n'a pas réduit les inégalités de revenus comme cela était escompté. Dans notre département de Haute-Savoie, le phénomène est encore accentué par l'absence quasi totale de financement par les fonds communautaires au titre de l'objectif 5 b.
Pour remédier à cette situation générale défavorable, il paraît souhaitable d'agir dans quatre directions.
La première concerne l'indemnité compensatrice handicaps naturels, l'ICHN.
A cet effet, il serait d'abord souhaitable de déplafonner le taux unitaire de cette indemnité. En effet, le plafond empêche de verser la totalité de la prime complémentaire vache allaitante. Les producteurs de haute montagne ne perçoivent que 95 francs au lieu de 240 francs par bovin.
Il conviendrait ensuite de spécialiser l'indemnité spéciale de montagne en vue de compenser exclusivement les handicaps physiques et de ne pas chercher à lui faire jouer un rôle économique.
Il serait souhaitable, enfin, de supprimer les vingt-cinq premières UGB, de préférence au déplafonnement du nombre d'animaux primés.
La deuxième direction concerne l'investissement.
L'agriculture de Haute-Savoie entend continuer à assumer prioritairement une fonction de production fondée sur des produits de qualité différenciée, en même temps qu'un rôle d'entretien de l'espace. Cette production exige des investissements individuels et collectifs nécessaires à la mise aux normes des ateliers fermiers et coopératifs de transformation du lait et à la conduite des procédures de certification des produits.
Pour atteindre de tels objectifs, il paraîtrait hautement souhaitable que soient notamment assurés, d'abord le maintien de la ligne et l'actualisation de l'aide à la construction et à la modernisation des bâtiments d'élevage, ensuite la revalorisation de l'aide à l'acquisition de matériel de montagne spécifique, notamment la chaîne de récolte des fourrages.
La troisième direction concerne l'entretien du territoire.
Il serait souhaitable d'encourager l'entretien des espaces très pentus identifiés comme « espaces à enjeu paysager » dans les procédures locales de gestion de l'espace, de maintenir à cette fin les ressources du fonds de gestion de l'espace rural et d'accorder un soutien plus fort aux races animales locales, les races Abondance et Tarentaise notamment.
La quatrième et dernière direction concerne les mesures significatives nécessaires au maintien d'un minimum de services sur les territoires ruraux. Je pense notamment à l'aide à la collecte du lait, à la prise en charge des surcoûts montagne des services de conseil à l'élevage, à l'exonération des coopératives d'approvisionnement et de service de la taxe professionnelle et de la CSSS sur la part de chiffre d'affaires réalisée en montagne difficile, haute montagne et montagne 1.
Pour terminer, monsieur le ministre, permettez-moi, d'appeler votre attention sur trois sujets d'actualité qui inspirent localement de vives inquiétudes et préoccupations.
En ce qui concerne les produits, pourriez-vous nous indiquer les perspectives et les échéances de publication du décret sur la provenance et l'indication « montagne » ?
Sur le plan sanitaire, n'est-il pas urgent d'envisager des restrictions, voire l'interdiction temporaire de l'importation d'animaux en provenance de Suisse, comme semblent l'avoir fait les autres pays voisins de la Confédération, pour se prémunir contre le risque de propagation de l'ESB ?
Enfin, en matière de quotas laitiers, ne serait-il pas possible d'autoriser la profession à mettre en oeuvre un plan permanent de rachat des références laitières libérées, plan qui serait financé par une cotisation professionnelle de 0,8 centime par kilo de lait ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Braun.
M. Gérard Braun. Monsieur le ministre, en préambule à mon court propos, je tiens à vous féliciter et à vous remercier de votre action efficace et courageuse au service de notre agriculture et de nos agriculteurs.
Dans un premier volet, je voudrais évoquer le problème de la fragilité de l'activité laitière.
L'agriculture du département des Vosges a en effet pour caractéristique de dépendre principalement de cette activité, au niveau tant de la production, avec près de 2 300 producteurs, que du secteur agroalimentaire, avec 1 800 emplois environ.
Aujourd'hui, les professionnels se heurtent aux déséquilibres constatés sur les marchés des produits laitiers, entraînant la baisse des prix du lait.
Dans ce domaine, la puissance de la grande distribution est telle que le secteur de la transformation ne peut que répercuter ses baisses de marges sur des producteurs déjà touchés par la crise bovine.
Il est dès lors nécessaire d'agir pour prendre en compte cette situation et, à cet égard, trois actions majeures sont à mener prioritairement.
Premièrement, il faut favoriser de nouveaux débouchés, tels que la transformation du lait en poudre pour l'alimentation animale, qui répondrait à un réel besoin dans ce secteur depuis l'interdiction des farines animales directement liée à la crise de la vache folle.
A l'heure actuelle, les aliments donnés aux veaux sont bien souvent d'origine végétale - soja, maïs... - la plupart du temps importés, et contiennent de moins en moins de lait à proprement parler.
La deuxième priorité résulte d'un constat.
La gestion de l'espace dans un massif vosgien est en grande partie assurée par les exploitations laitières. Le maintien d'un espace ouvert et entretenu de façon durable implique de pouvoir pérenniser la collecte du lait produit sur l'ensemble du massif.
Or il se pose actuellement des problèmes au niveau du ramassage et de l'organisation des circuits de collecte dans plusieurs zones. Les entreprises qui effectuent la collecte en montagne étant soumises aux mêmes règles de concurrence que toute autre entreprise laitière, de nombreux aménagements doivent être effectués afin de pérenniser les circuits dans des conditions économiquement acceptables.
Une aide est actuellement sollicitée du fonds national d'aide au développement du territoire pour ce projet concernant le portage du lait, pouvant aller jusqu'à dix kilomètres, et l'aménagement des accès aux exploitations.
Inutile de préciser à quel point ces mesures sont attendues, chacun connaissant le rôle des producteurs dans l'équilibre écologique et économique de la montagne. Comment, par exemple, envisager l'avenir du tourisme estival et hivernal si les parcelles ne sont plus entretenues ? Comment encourager les jeunes agriculteurs à s'installer si les exploitations ne sont plus viables ?
Vous avez annoncé, monsieur le ministre, la présentation, avant la fin de l'année, d'un mémorandum, à la Commission européenne, comprenant cinq thèmes et permettant d'afficher clairement la spécificité montagne à travers la création d'un objectif montagne.
Parmi ces cinq thèmes, vous proposez de rendre éligibles au cofinancement communautaire de nouvelles actions en faveur de la montagne. Le ramassage du lait ne peut vraiment pas être ignoré.
Je souhaite aborder maintenant le problème de l'indemnité spéciale de montagne.
L'ISM est l'aide compensatoire la plus importante en faveur de l'agriculture de montagne. Elle représente à peu près les trois quarts des indemnités compensatoires versées pour l'ensemble des zones défavorisées en France.
Le taux de cofinancement est actuellement de 25 % par le FEOGA-Orientation sur le plan européen.
Pour autant, la reconnaissance de la montagne sur le plan communautaire doit être renforcée et, dans cette optique, il est nécessaire que la Commission améliore sa participation au financement de l'ISM.
Enfin, et ce sera le dernier volet de mon intervention, votre mémorandum aborde un autre grand thème, et il est d'importance dans les Vosges, celui de la forêt et de la filière bois.
Monsieur le ministre, vous dites qu'il faut créer une politique forestière de la montagne en Europe, et je ne peux que souscrire à cette démarche.
Pour ma part, j'estime qu'une des préoccupations essentielles en matière sylvicole demeure, pour un département comme le nôtre, l'enrésinement général en épicéas. Ce problème est très important dans les Vosges, et principalement en zone de montagne, où l'enrésinement « anarchique » en épicéas menace complètement l'espace rural.
M. Christian Poncelet. Très bien !
M. Gérard Braun. Certains villages sont encerclés par des boisements, souvent en petites parcelles et en fond de vallée. En outre, vous le savez, monsieur le ministre, l'épicéa entraîne une acidification des sols telle qu'elle interdit quasiment toute utilisation ultérieure des terrains. Là où pousse l'épicéa, il n'y a plus ni faune, ni flore.
Bien sûr, je ne suis pas opposé au boisement, monsieur le ministre, mais il est nécessaire de définir des priorités et de poser des limites.
Il est urgent de favoriser un boisement « en essences nobles », que ce soient des feuillus - hêtres, chênes, étables, sycomores, etc. - ou des conifères - sapins, mélèzes, douglas... Pour cela, il faudrait envisager de supprimer toute aide au boisement et au reboisement en épicéas, mais, en contrepartie, augmenter les aides pour les autres essences.
Enfin, pour renforcer la lutte contre les boisements anarchiques, il serait utile d'envisager de créer, dans les plans d'occupation des sols des communes, des zones non boisables, comme il existe des zones non constructibles, qui permettraient aux élus d'effectuer un travail préventif efficace et opposable juridiquement au tiers, car la réglementation actuelle des boisements est totalement inadaptée aux problèmes que nous rencontrons.
Monsieur le ministre, les quelques points que je viens de soulever vont certainement, du moins je l'espère, dans le sens de vos préoccupations.
A ce titre, je me réjouis d'apprendre que vous avez demandé que l'on étudie, à titre expérimental, la mise en oeuvre d'une indemnité compensatoire pour inciter à l'exploitation des bois en zone de montagne, dans le cadre d'une véritable politique forestière de montagne. Nous sommes, en effet, tous conscients que la priorité est de permettre la mobilisation des bois venant de forêts qui sont actuellement laissées à l'écart des circuits économiques classiques, et souvent sous-exploitées.
Nous savons que nous pouvons compter sur votre soutien, monsieur le ministre, dans les actions nécessaires et même vitales à mener pour aider notre forêt et la filière bois en général, pour prendre en considération les quelques suggestions qui viennent de vous être présentées. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Raoult.
M. Paul Raoult. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun reconnaît que, malgré une baisse continue de la population active agricole depuis un siècle et demi, l'agriculture française conserve une place déterminante dans notre économie.
Si l'on intègre à nos calculs le poids des industries amont et aval liées à notre agriculture, on se rend compte que l'économie agricole joue un rôle décisif dans notre vitalité économique. De plus, l'agriculture associée à la sylviculture a en charge l'entretien de 80 % de notre espace national.
Or on constate qu'en trois décennies les relations entre l'agriculture et la société ont profondément changé. Le temps de l'ordre immuable et éternel des campagnes est définitivement révolu : paysages, populations, activités se sont profondément transformés et continuent de le faire sans que l'on sache où l'on va, sinon dans le mur !
Les agricultures sont très diversifiées, certaines dynamiques, d'autres en difficulté, d'autres encore en voie de totale disparition. Ces contrastes sociaux et territoriaux sont devenus intolérables et mettent en danger la cohésion sociale et territoriale du monde rural. Il y a là un vaste débat de société sur lequel j'espère, monsieur le ministre, pouvoir revenir à l'occasion de l'examen de votre projet de loi d'orientation.
L'année 1996 a été l'année de profondes turbulences : crise de l'élevage, problèmes dans le secteur des fruits et légumes... C'est donc une crise de l'identité française qui affecte notre pays à travers cette crise agricole. Cela explique le désarroi de nombreux exploitants agricoles. Ils sont confrontés aux poussées perçues comme inexorables du libéralisme économique mondial du tout marché. Ils doivent adopter de nouveaux modes de production de plus en plus productivistes qui créent des problèmes très dommageables à l'environnement.
Le monde rural évolue et se recompose parfois d'une manière insidieuse ou sournoise dans la difficulté et l'incertitude. Aussi nous faut-il aujourd'hui répondre aux interrogations de la profession agricole.
La politique d'installation demeure le souci constant des responsables professionnels : c'est la priorité majeure, vous le dites et vous le répétez souvent.
Il faut permettre aux jeunes de développer et de maintenir des exploitations qui feront la force de notre économie agricole et assureront l'occupation harmonieuse du territoire. Or, malgré votre nouvelle loi, on constate aujourd'hui que les terres libérées participent pour 60 % à l'agrandissement d'exploitations existantes.
Aujourd'hui, nous sommes régulièrement interpellés pour que l'on veille à une meilleure maîtrise d'attribution des droits à produire et des primes qui favorisent les plus riches au détriment des plus jeunes.
Il faut mettre fin à ces dérives en modifiant la loi. Les crédits inscrits restent insuffisants pour couvrir les besoins dans ce domaine : baisse des crédits de bonification à la modernisation, baisse des aides en faveur des OGAF et du soutien à l'agriculture de groupe, baisse des crédits en faveur du démarrage des CUMA et des GAEC, qui sont pourtant des pièces maîtresses de la politique d'installation.
Il me semble que, dans ce domaine, il y a loin des paroles aux actes.
Un autre point, également préoccupant, a trait à la mise aux normes des bâtiments d'élevage, qui concerne aussi nos jeunes éleveurs, et à la nécessaire reconquête de la qualité de l'eau. Les crédits affectés à cette fin sont notoirement insuffisants, ce qui remet en cause les engagements que vous aviez pris antérieurement. La lutte contre la pollution doit demeurer une priorité clairement affichée. Il faut donc assurer une cohérence avec la loi sur l'eau, les exigences du public et la protection de l'environnement.
Les besoins dans ce domaine sont importants, puisque l'INRA estime à 16 milliards de francs le coût des travaux nécessaires. Un effort considérable doit donc être entrepris.
La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire avait permis la mise en place du fonds de gestion de l'espace rural, par lequel on reconnaissait enfin le rôle joué par l'agriculteur en matière d'entretien de l'espace, mais les crédits ont aujourd'hui disparu, alors que des actions pertinentes doivent pourtant être encouragées. De même, les crédits destinés à financer la mise en oeuvre des mesures agri-environnementales subissent une très forte baisse. La politique innovante engagée en vue d'assurer un aménagement rural respectueux de l'environnement est aujourd'hui malmenée, alors qu'elle offre une opportunité de développement durable, grâce à des méthodes de production nouvelles adaptées à la sauvegarde des territoires présentant un grand intérêt naturel.
Tant chez les éleveurs que chez les producteurs de lait, les inquiétudes montent face aux conséquences de la crise de la vache folle. Les agriculteurs réclament la mise en place de dispositifs de maîtrise de la filière bovine afin d'éviter des faillites.
L'élimination des veaux de moins de vingt jours qui est en cours est considérée comme une mesure aveugle qui, mal appliquée, risque d'entraîner, à terme, des perturbations du marché. En outre, elle est mal acceptée par l'éleveur, fortement attaché à son cheptel. Cela reste donc un outil conjoncturel qui ne permettra pas de régler le problème de fond : éviter la surproduction, les stocks coûteux, la chute des cours et des revenus.
Il faut aujourd'hui encourager l'extensification là où c'est possible, là où l'on ne peut faire que de l'élevage pour la production de viande ou de lait avec des méthodes traditionnelles pour mieux maîtriser la production.
La prime à l'herbe, en augmentation pour 1997, reste donc insuffisamment incitatrice par rapport à la prime au maïs, notamment. Elle doit jouer un rôle décisif dans les régions d'élevage.
Il faut encourager l'élevage d'animaux moins lourds en faisant diminuer le poids des carcasses de taurillons.
Une autre inquiétude de la profession est liée à l'attitude récente des Etats-Unis, qui semblent remettre en cause les accords signés. Il faut, sur le plan international, rester ferme et attendre l'ouverture des négociations prévues pour 1999.
Il faut empêcher le démantèlement de notre politique agricole et rejeter avec force l'ultralibéralisme souhaité par les Etats-Unis, dont la logique est totalement inadaptée à l'agriculture.
Aux inquiétudes de la profession s'ajoutent les inquiétudes de l'opinion publique, laquelle réclame une meilleure information sur la qualité et l'origine des produits depuis l'affaire de la vache folle. Il faut retrouver la confiance du consommateur par une meilleure information claire et transparente.
Il faut développer et soutenir les politiques de label et de produits fermiers de qualité.
Par ailleurs, la population rurale souhaite très vivement un soutien aux activités économiques liées à l'espace rural : développement des PME et PMI, activités de loisirs et de tourisme.
Ce que certains appellent les « néoruraux » sont très sensibles et soucieux de leur environnement et du paysage. La disparition des dotations au fonds de gestion de l'espace rural et la baisse des crédits en faveur des mesures agri-environnementales vont à l'encontre de cette nouvelle dimension de la vie de nos campagnes.
Le renforcement du lien et du dialogue ville-campagne est nécessaire à la cohésion sociale et territoriale de notre pays. Encore faut-il s'en donner les moyens financiers si l'on veut faire vivre nos campagnes correctement.
Aussi, monsieur le ministre, face à des problèmes agricoles d'une extrême gravité, on ne peut se contenter de mesures conjoncturelles ; il faut des réformes de fond, qui assurent une plus grande maîtrise des productions. Ce qui a été fait pour la politique des quotas laitiers, il faut se donner les moyens de le faire pour la viande.
Il faut aussi réfléchir sur le mode actuel de répartition des primes, qui conduit à des inégalités inacceptables. Un rééquilibrage est souhaitable entre les différentes filières - céréales, élevage-viande, élevage-lait - en matière de prime à la vache allaitante, de prime au maïs et de prime à l'herbe. Les aides publiques sont, pour les grandes cultures, trois fois plus importantes que pour les fruits et deux fois plus élevées que pour les productions bovines.
Dans le contexte actuel, une refonte de la répartition des primes est nécessaire.
En fait, monsieur le ministre, des contraintes budgétaires vous sont imposées pour répondre à la volonté du Gouvernement de réduire les déficits publics, mais cela ne peut se faire au détriment des agriculteurs, sous peine d'accélérer la désorganisation et la crise du monde rural.
Il faut refonder l'agriculture pour obtenir l'adhésion à la fois des agriculteurs et des citoyens de notre pays.
Pour cela, il nous faut méditer cette pensée de M. Edgard Pisani : « La priorité n'est plus dans le développement de la production, dans l'intensification, mais dans un territoire et une société qui doivent impérieusement vivre autant que produire. » (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Vasseur ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais m'efforcer, dans le temps le plus bref possible, de répondre à vos questions. Mais vous avouerez qu'il est bien difficile, même à cette heure tardive, de faire court sans escamoter le débat auquel vous m'avez invité. Je vais donc essayer de répondre le plus complètement possible, et vous me pardonnerez si, d'aventure, j'omets de répondre à telle ou telle question. Je ne manquerai pas, bien entendu, de vous apporter les réponses que vous attendez dans un cadre autre que celui de ce débat.
J'aborderai tout d'abord les questions relatives aux marchés, en commençant bien entendu par la crise du secteur bovin.
Comme l'ont relevé MM. du Luart, Emorine, Huchon, Barraux, Rigaudière et Pluchet, nous sommes confrontés à une crise d'une gravité exceptionnelle et jusqu'à présent inégalée.
Le président du groupe d'études sur l'élevage, M. du Luart, a brossé un panorama très complet de cette crise et des décisions qu'elle a conduit à prendre.
Vos propos, monsieur le sénateur, constituent une synthèse tout à fait remarquable des événements qui sont survenus depuis le mois de mars dernier et retracent de façon extrêmement précise l'action des pouvoirs publics au cours de ces sept derniers mois.
Je dois rappeler, et je n'insisterai jamais assez sur ce point, que deux objectifs majeurs ont en permanence guidé l'action du Gouvernement : protéger la santé du consommateur ; soutenir le revenu des éleveurs.
Sur le premier point, je considère que nous avons pris, MM. François d'Aubert, Hervé Gaymard et moi, les mesures nécessaires dans le cadre d'une concertation interministérielle permanente. Nous devons rester d'une vigilance extrême. L'ensemble des moyens humains et financiers disponibles sont et resteront mobilisés afin que soit détectée toute fraude ou même, parce que je ne préjuge pas la bonne ou la mauvaise foi de telle ou telle personne prise en infraction, tout manquement aux réglementations établies, même si l'intention frauduleuse n'est pas avérée.
Nous continuerons sur cette voie, en sollicitant constamment l'avis d'experts incontestés pour arrêter éventuellement les mesures nouvelles que pourraient nécessiter les derniers développements scientifiques connus. Depuis le début, nous sommes partis du principe qu'un risque existait et que nous devions le réduire au minimum. Nous avons pris toutes les dispositions nécessaires à cette fin.
Il nous reste, parce que nous sommes en avance en ce domaine à veiller à l'harmonisation des différentes législations en Europe. J'estime que les consommateurs des autres pays européens ont droit à être entourés des mêmes précautions que les consommateurs français.
M. Deneux a évoqué la sécurité alimentaire. Je partage son souhait de voir le projet de loi dont j'ai parlé ce matin concourir à lever les derniers doutes qui pourraient subsister chez nos concitoyens.
En attendant, six arrêtés ont été pris le 10 septembre dernier afin d'imposer les contraintes que nous avons adoptées en matière d'interdiction de certains abats et de règles de composition des farines de viande destinées à l'alimentation animale aux échanges avec nos partenaires de l'Union européenne comme avec les pays tiers.
Je dois dire que cela ne fait pas forcément plaisir à tout le monde et, de temps en temps, nous avons l'impression qu'on nous fait la réponse du berger à la bergère.
Je passe du coq à l'âne, et ne voyez dans ce que je vais dire aucune relation avec les propos que je viens de tenir : j'ai appris aujourd'hui, que les Allemands avaient décidé d'interdire sur leur territoire l'importation de ce qu'on appelle les abats spécifiés. Je les en félicite ! Toutefois il se trouve que ces abats sont interdits à la consommation en France, comme à l'exportation. Nous n'avons donc pas attendu que les Allemands interviennent pour empêcher l'envoi de ces abats spécifiés en Allemagne.
Je pense rassurer M. Amoudry en lui disant qu'a été publié au Journal officiel, le 1er novembre dernier, un avis aux importateurs visant à imposer des conditions très strictes à l'importation de bovins en provenance de Suisse, afin d'exiger les mêmes garanties sanitaires que celles qui sont requises du cheptel français.
Je le répète, si la France a su réagir rapidement en matière de protection des consommateurs, elle a parallèlement su réagir, également très rapidement, pour soutenir ses éleveurs et leur verser, dans des délais très courts, les différentes aides décidées par le conseil des ministres de l'agriculture européens et pour mettre en place des mesures nationales exceptionnelles.
M. Barraux a évoqué des problèmes spécifiques concernant les éleveurs non spécialisés. Soyez sûr, monsieur le sénateur, que nous sommes parfaitement alertés de la situation et que nous ferons notre possible pour traiter le cas des éleveurs les plus en difficulté. Les modalités de répartition que j'ai énoncées ce matin montrent bien que nous laissons une certaine souplesse aux départements pour leur permettre d'apprécier s'il convient d'aider telle ou telle catégorie d'éleveurs en difficulté.
Cela étant dit, je ne voudrais pas que l'on considère cettre crise comme purement conjoncturelle. Elle est plus profonde et plus grave. Nous sommes depuis un certain temps dans une situation structurellement difficile, qui a été évidemment aggravée et mise en lumière par la crise de l'ESB, laquelle n'a fait que rendre plus urgentes la maîtrise de la production et la relance de la consommation.
Au niveau communautaire, nous venons d'arrêter une première série de mesures concernant la maîtrise de la production. Ces mesures doivent d'ailleurs se traduire également par une relance de la consommation, grâce aux garanties que nous offrons à nos concitoyens.
Ces premières mesures portent sur un relèvement sensible de la surprime à l'extensification. Cela permettra, monsieur Rigaudière, à vos éleveurs qui pratiquent déjà un élevage naturellement extensif de voir leur travail mieux récompensé. Cela incitera aussi des éleveurs qui pratiquent aujourd'hui un élevage plus intensif à se tourner, s'ils le peuvent, car tout le monde ne le peut pas nécessairement, vers cette forme d'élevage qui, notamment dans votre région, constitue une belle perspective d'avenir, pour peu que nous soyons en mesure d'y aider.
Les modalités d'attribution de la prime aux bovins mâles sont également revues. Elles devraient permettre, par la suppression du deuxième versement, un abaissement du poids de carcasse, qui a été évoqué par M. Signé.
Cet abaissement du poids de carcasse pourra concerner les veaux de boucherie pour lesquels, outre la prime à la « transformation » intéressant les animaux les plus jeunes, a été instaurée une prime aux animaux abattus à un poids moyen inférieur de 15 % aux pratiques actuelles.
J'entends bien que cette mesure a pu poser quelques problèmes. Mais permettez-moi de vous livrer cette petite information : la France n'est pas seule autour de la table du Conseil des ministres européens de l'agriculture ; il y a quatorze autres partenaires. Lorsque la France revient de cette table de négociation en ayant obtenu satisfaction, on peut tout de même admettre que d'autres pays y trouvent également un peu leur compte.
Cependant, comme l'a fort justement signalé M. de Menou, dans cette affaire, il faut rester prudent afin d'éviter les distorsions de concurrence.
Je donne un mandat précis de négociation à ceux qui représentent la France au comité de gestion « viande bovine », qui doit fixer le niveau de la prime et les modalités de sa mise en oeuvre ; j'estime que nous devrions aboutir à des niveaux de prime différents selon les poids maximaux retenus, afin de corriger, totalement ou en partie, les distorsions de concurrence que M. de Menou a évoquées.
M. Jacques de Menou. Absolument !
M. Philippe Vasseur ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Quoi qu'il en soit, les mesures structurelles dont je viens de faire état ne constitue qu'un premier pas. Nous devons aussi prendre, et le plus rapidement possible, des mesures concernant l'identification, la traçabilité des viandes, de manière à rendre confiance aux consommateurs, aspect du problème sur lequel MM. Barraux et Huchon, notamment, ont insisté.
La Commission nous a proposé deux textes sur ces sujets. Ils sont intéressants, mais ils restent, à mon avis, trop prudents : l'étiquetage informatif des viandes doit être obligatoire, et non, comme nous le propose aujourd'hui la Commission, facultatif.
Il reste que, comme plusieurs d'entre vous l'ont rappelé, en particulier MM. Poncelet et Barraux, la qualité des contrôles effectués en France doit être soulignée, car le nombre extrêmement faible des accidents sanitaires montre qu'il s'agit d'un point tout à fait positif. Je persiste à penser, parfois avec une grande colère, que la mise en avant systématique des faiblesses de nos contrôles est absolument anormale.
M. Christian Poncelet. Très bien !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Il y a vraiment, dans la tête d'un certain nombre de nos concitoyens, le prion de « l'anti-France », et je ne parviens pas à comprendre une telle attitude. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Nous devons, au contraire, saluer la qualité des contrôles et montrer que nos éleveurs n'ont rien à se reprocher !
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. C'est à ce prix que le marché retrouvera durablement un niveau permettant le maintien d'un élevage traditionnel, qui constitue dans certaines zones l'unique système de production offert aux agriculteurs et qui est par là même l'outil de base de l'occupation du territoire.
S'agissant de l'élevage bovin, je ne voudrais pas occulter les difficultés que rencontrent les producteurs de lait et que MM. Poncelet, Leyzour et Braun, notamment, ont évoqués, souhaitant connaître les perspectives d'évolution de ce secteur dans les prochaines années. Ils ont, par exemple, soulevé le problème de la rediscussion du régime des quotas laitiers.
Comme vous le savez, le revenu du producteur de lait est le résultat, pour une part, de la vente du lait, bien sûr, mais aussi, pour une autre part, de la valorisation de ce qu'on appelle improprement les sous-produits viande - je préfère parler des coproduits - qu'il s'agisse du veau ou des vaches de réforme. Ces deux sources de revenu connaissent aujourd'hui, il faut le reconnaître, des évolutions défavorables.
Le marché laitier traverse depuis plusieurs mois de graves difficultés. La faiblesse du marché est en partie liée au dépassement de la campagne 1995-1996 et à l'évolution de la collecte au cours des premiers mois de la campagne actuelle.
Toutefois, les tensions sur les prix du lait sont aussi largement dues à une gestion timorée, pour ne pas dire plus, des restitutions à l'exportation par la Commission.
Nous nous employons sans relâche et sans faiblesse à améliorer le dispositif de régulation.
S'agissant de la gestion présente des quotas, monsieur Amoudry, je vous rappelle que nous avons récemment revu, en janvier dernier, avec la parution d'un nouveau décret, le système de redistribution des quantités libérées. Cette redistribution est désormais opérée à l'échelon départemental. Je n'ai plus un litre de réserve au niveau national : tout reste au niveau des départements ! Conformément au voeu de l'ensemble de la profession et des territoires concernés, c'est maintenant au sein de la commission d'orientation agricole que s'effectuent les redistributions.
J'ajoute que, à la demande des professionnels, nous avons reconduit cette année une nouvelle campagne d'aide à la cessation laitière. Je pense que, grâce à ce dispositif, les professionnels de la Haute-Savoie trouveront les moyens de conduire le plan d'adaptation de leur production laitière ; en tout cas, je le souhaite.
Pour ce qui est de l'avenir des quotas laitiers et de la profession, la discussion est ouverte. Je recevrai prochainement les différentes familles professionnelles - producteurs et transformateurs - dans le cadre de l'interprofession, de manière que nous puissions envisager les perspectives vers lequelles nous devons nous engager. Ce n'est pas si simple, d'autant qu'il faut agir sans précipitation tout en sachant que le temps presse.
S'agissant de la composante viande du revenu des éleveurs laitiers, dont j'ai déjà parlé, la décision relative à la transformation des jeunes veaux, même si elle suscite quelques remous, a au moins permis de relever d'ores et déjà sensiblement le prix de ces animaux. Or nous étions parvenus à des niveaux de prix tout à fait intolérables pour les éleveurs.
J'en viens à une autre crise - j'allais dire à « l'autre crise » -, celle des fruits et légumes, qu'ont évoquée notamment MM. Huchon, Soucaret, Vigouroux, Piras, Pluchet et Vidal.
Je l'ai dit tout à l'heure, nous avons beaucoup progressé dans la réforme de l'organisation commune de marché. Mais il faut tirer les enseignements de la crise de cet été pour passer à la vitesse supérieure. Cet été, nous avons pu constater que la loi qui a réformé l'ordonnance de 1986 avait montré ses limites, au moins en ce qui concerne les produits périssables, comme l'a relevé M. Deneux. Il faudra que, sur le plan législatif, nous en tirions les leçons, dès que l'occasion se présentera.
Pour l'heure, le bilan de cette crise, je vous le confirme, va être très rapidement établi. Mais le problème est complexe.
Vous savez, si jamais je devais me laisser impressionner par quelques manifestations, je n'aurais plus qu'à quitter mon poste sans délai ! (Sourires.)
A mes yeux, pour négocier et se faire entendre, mieux vaut ne pas donner le sentiment que l'on cherche à exercer des pressions. Il faudra peut-être, un jour, dans ce pays, en revenir à des manières plus démocratiques pour se parler. (M. le ministre se tourne vers les travées socialistes.)
Je fais de mon mieux ce que je crois être mon devoir mais, je vous le dis sincèrement, lorqu'on crie trop fort, j'ai du mal à entendre : il vaut mieux me parler en argumentant, en apportant une démonstration, chiffres à l'appui.
Il n'y a pas très longtemps, en pleine crise de la viande bovine, je me suis trouvé en Haute-Loire - M. Rigaudière s'en souvient - alors qu'étaient réunis les représentants des dix-sept départements du Massif central. Après avoir hésité, ils ont choisi de m'emmener dans une exploitation qui n'était pas la plus misérable, qui n'était probablement pas la plus à plaindre et ils m'ont dit : « Nous allons vous faire confiance et vous expliquer ici, sur le terrain, comment les choses se passent, sans rien vous cacher et sans chercher à vous donner des chiffres qui outrepasseraient les pertes réelles. »
Je peux vous dire que j'ai beaucoup appris, ce jour-là. Je peux même vous l'avouer, la décision de prendre à notre charge les intérêts et de reporter l'annuité pour 1996 m'est venue de la discussion qui s'est instaurée ce jour-là. Je préfère ce type de dialogue. Je pense que je n'aurais rien appris si l'on s'était contenté de proférer les slogans habituels.
Je le dis aux éleveurs du Massif central : ils m'ont appris beaucoup ce jour-là et ils peuvent être assurés que les éleveurs leur doivent une bonne partie des mesures que nous avons mises en place.
M. Henri Belcour. Très bien !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Nous avons donc déjà commencé à dresser le bilan de la crise qu'a connue le secteur des fruits et légumes cet été. Nous nous efforcerons de trouver des solutions pour les producteurs les plus touchés par cette crise.
Je n'ai jamais nié que les producteurs de fruits avaient beaucoup souffert et que nous devions apporter des compensations. Cependant, cette crise, qui est tout à fait réelle, n'est pas inattendue, et elle n'est pas exceptionnelle.
Cela doit tout de même nous amener à réfléchir. La solution ne peut consister, tous les ans, à se réunir pour déterminer le montant du chèque. Cette solution ne vaut qu'à titre exceptionnel, devant une baisse conjoncturelle forte. C'est alors que la solidarité doit s'exercer. Mais quand le problème se répète régulièrement, il est clair que des mesures structurelles s'imposent.
Il est indispensable de renforcer les organisations de producteurs et de mettre en place les moyens financiers appropriés pour inciter à une commercialisation maîtrisée et mieux adaptée aux besoins du marché. Cela commence par là !
M. Gérard César. Tout à fait !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Je suis d'accord, bien entendu, pour apporter des solutions conjoncturelles et pour compenser les pertes qu'ont subies les producteurs de fruits, mais, comme pour la viande bovine, cela ne servirait à rien de ne traiter que les effets sans avoir le courage de s'attaquer aux causes.
M. Jean Delaneau. Très bien !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. La création d'un fonds opérationnel cofinancé par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole, le FEOGA, nous permettra d'avancer en ce sens.
La réforme de l'Organisation commune des marchés, c'est aussi la reconnaissance interprofessionnelle à l'échelon communautaire et l'affirmation d'une politique plus ambitieuse.
Parallèlement à ces mesures d'organisation du marché, nous attendons beaucoup de la reconduction des programmes d'arrachage et de l'institution de ces fameux certificats d'importation obligatoires permettant l'application des clauses de sauvegarde prévues par les accords de Marrakech et évoquées par MM. Pluchet, Signé et Huchon.
Je signale à ce propos à M. Huchon que la clause de sauvegarde peut être invoquée pour les produits sensibles lorsque le prix d'importation descend au-dessous d'un seuil lié au prix d'entrée communautaire et que les volumes importés sont excessifs. De tels mécanismes devraient nous permettre de limiter des excès dommageables pour l'économie de toute une filière.
Vous savez d'ailleurs que la France avait fait de ces mesures, qu'il s'agisse des certificats d'importation ou des clauses de sauvegarde, le préalable à toute réforme de l'Organisation commune des marchés. Nous avons obtenu satisfaction, ce dont je me félicite, mais nous n'avons pas pour autant, je le reconnais, tout résolu.
Outre le problème concernant le secteur des fruits et légumes, M. Vigouroux a évoqué l'horticulture, le même office technique intervenant dans le secteur des fruits et légumes et dans celui de l'horticulture.
Vous savez, monsieur Vigouroux, que les professionnels de l'horticulture eux-mêmes n'ont pas souhaité poursuivre dans la voie d'une interprofession, ce que, pour ma part, je regrette profondément.
La liquidation du CNIH, que je déplore, devra être budgétairement absorbée sur 1996 et 1997. Que voulez-vous ? Je suis bien obligé de constater cette carence. Toutefois, ce n'est pas parce qu'il n'y aura pas d'interprofession qu'il n'y aura plus de débat. Nous poursuivrons le dialogue en parallèle avec l'ensemble des familles représentatives de la filière jusqu'à ce que l'ensemble des professionnels trouvent un nouveau moyen de concertation.
Il est parfois facile de protester ou de réclamer. Mais je pense que lorsqu'on fait appel au ciel pour qu'il vous aide, on commence par s'aider soi-même. J'invite l'ensemble des professions, et particulièrement celle de l'horticulture, à s'organiser afin d'être fortes et de pouvoir effectivement mener de véritables politiques.
Monsieur Vigouroux, estimez-vous normal que des professionnels ne puissent pas se mettre d'accord entre eux pour bâtir leur avenir et se tournent vers nous pour nous demander de faire leur travail à leur place ? Ce n'est pas, je le pense, une bonne façon de travailler.
Je suis, pour ma part, tout disposé à m'asseoir autour d'une table avec l'ensemble des professionnels, afin de créer un outil commun, indispensable à la profession. Vous serez le bienvenu, monsieur Vigouroux, si vous souhaitez participer à cet effort collectif.
S'agissant du blé dur, qui a été notamment évoqué par M. Courteau, le régime communautaire actuel consiste à soutenir le revenu des producteurs dans les régions traditionnelles de production, en leur octroyant un supplément spécifique à l'hectare sur la base de droits individuels en sus du versement compensatoire normal aux cérérales.
Mon propos n'est peut-être pas limpide pour les non-spécialistes, mais ceux qui ont l'habitude de traiter des problèmes du blé dur savent très bien de quoi je parle.
Ces dispositions, outre la lourdeur qu'implique la gestion des droits individuels, gênent considérablement l'accès des nouveaux producteurs, notamment des jeunes, à cette culture. En réalité, le système est complètement figé.
La Commission européenne a transmis au Conseil une proposition de modification réglementaire établie sur le principe d'une superficie maximale garantie pour chacun des cinq pays producteurs traditionnels. Ce projet doit être amélioré, notamment en ce qui concerne les surfaces retenues, tant pour leur niveau que pour leur gestion.
Toutefois, compte tenu de l'avancement de la campagne en cours, il ne serait pas correct à l'égard des producteurs de changer de système aussi tardivement, alors que les semis ont déjà commencé. C'est pourquoi j'ai demandé, et obtenu, que ces dispositions ne soient applicables qu'à partir de 1997.
Venons-en maintenant à la viticulture. Ah ! la viticulture ! Des secteurs comme celui-là, j'en redemande ! (Sourires.) Ce secteur est en effet exemplaire. Certes, des difficultés existent encore pour les producteurs de certains vins blancs. Mais nous constatons que certains d'entre eux, notamment dans l'Ouest, s'inspirent de politiques qui ont réussi par ailleurs pour mettre en place celle qui convient et, là, nous sommes tout à fait disposés à les soutenir.
Il faut reconnaître que, au cours des dix dernières années, un effort sans précédent a été accompli par les professionnels, au plan tant de la qualité que de la maîtrise des productions. Cette persévérance et cette volonté commencent à porter leurs fruits.
Je rencontre souvent les responsables des régions viticoles. Monsieur César, je vais très bientôt me rendre dans votre région et j'espère que vous m'accueillerez un verre à la main. (Sourires.)
M. Gérard César. Avec beaucoup de plaisir !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. J'ai un avantage sur nombre d'entre vous. Je suis originaire de la seule région de France qui ne produit pas de vin, mais aussi - et je revendique ce titre devant les Bretons - du département français où la consommation de vin est la plus importante. En effet, n'étant attachés à aucun terroir, nous avons envie de goûter tous les vins. C'est pourquoi j'aborde ces problèmes dans un esprit oecuménique. (Sourires.)
Il n'en demeure pas moins que, lorsque je rencontre les représentants de cette filière, nous parlons de plus en plus de politique structurelle et de moins en moins de conjoncture difficile. Je vous assure que, pour un responsable gouvernemental, cette façon d'aborder les problèmes rend plus confiant en l'avenir.
Je souhaiterais pouvoir aborder l'ensemble des problèmes de la crise bovine, des fruits et légumes et du lait à partir de ces problèmes structurels. Je ne prétends pas que ce qui se fait dans le secteur viticole peut se faire dans tous les secteurs, mais permettez-moi de souligner l'effort qui a été accompli et de rappeler aussi que, de temps en temps, lorsque le besoin s'en fait sentir, nous savons donner un coup de pouce conjoncturel.
Ainsi, au titre des mesures de gestion de marché, nous avions à certains moments obtenu les distillations que nombre de producteurs réclamaient. Nous avions ainsi obtenu 800 000 hectolitres, mais seul le quart a été effectivement distillé. Il ne faut pas se tromper de revendication. Si un combat semble inutile, mieux vaut axer son effort sur ce qui est prioritaire. A force de tout demander, on ne finit par obtenir que ce qui est secondaire. Bref, c'est le passé.
J'ai accédé à la demande des professionnels qui souhaitaient promouvoir l'approvisionnement d'un certain nombre de débouchés autres que le vin, notamment les jus de raisin et les moûts concentrés et rectifiés. Le dialogue que j'ai engagé avec les professionnels a été très constructif. C'est une bonne mesure.
Par ailleurs, j'ai obtenu de Bruxelles que la distillation obligatoire soit régionalisée et non plus effectuée sous la forme d'un quota par pays, afin de mieux prendre en compte la réalité économique propre à chaque région viticole.
Au plan structurel, trois dispositions essentielles ont été adoptées. Il a tout d'abord été mis fin à la politique d'arrachage à « guichets ouverts », qui était mauvaise. Elle est remplacée par un système plus limitatif. Par ailleurs, les décisions d'arracher relèvent des professionnels de chaque région concernée.
Parallèlement, j'ai obtenu un contingent de 2 584 hectares de plantations nouvelles pour les deux années à venir, ce qui n'est tout de même pas rien.
J'ai accepté que soient mises en oeuvre les plantations anticipées dans le secteur des vins de table et des vins de pays, afin que, là aussi, nous puissions accélérer la restructuration du vignoble.
Enfin, s'agissant de la réforme de l'OCM dans le secteur vitivinicole, nous ne sommes pas encore au bout de nos peines. J'occupe mes fonctions actuelles depuis dix-huit mois, et depuis cette date j'entends parler de cette réforme. Nous en sommes à la quatrième présidence et je crois que nous n'aboutirons ni sous la présidence irlandaise ni sous la présidence néerlandaise. Peut-être aurons-nous plus de chance avec la présidence luxembourgeoise, ce qui nous reporte au deuxième semestre de l'année 1997.
En tout cas, même si cette réforme doit nécessiter des délais importants, j'insisterai pour que soit rétablie très rapidement, avant même l'adoption d'une nouvelle OCM, une politique structurelle cohérente, notamment en matière d'aide à la restructuration.
S'agissant de l'oléiculture, qui est une fort belle production, je rappelle que la France est un pays fortement consommateur d'huile d'olive puisque nous en consommons en moyenne 40 000 tonnes par an.
MM. Bernard Piras et Aubert Garcia. Soixante mille tonnes !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. J'ai dit en moyenne : la consommation varie d'une année sur l'autre. Mais on peut effectivement penser, compte tenu de la progression constante, que nous tendons vers une consommation annuelle stabilisée de l'ordre de 60 000 tonnes. Or - je cite ce chiffre de mémoire - nous ne produisons que 2 500 tonnes d'huile d'olive par an. Vous voyez qu'il y a une marge !
Sur le sujet plus particulier de l'oléiculture soulevé par M. Aubert Garcia, inspiré par M. Marcel Vidal, notre action doit se placer à deux niveaux.
A l'échelon communautaire, il est clair que la réforme de l'OCM doit laisser à la France un espace de liberté dans l'évolution de ce secteur, tant en termes de production qu'en termes de qualité. Je m'en suis d'ailleurs entretenu lundi dernier avec ma collègue espagnole, l'Espagne étant le premier pays producteur. En effet, je rejoins tout à fait vos propos, monsieur le sénateur, ce que nous faisons est d'une autre nature que ce qui se fait ailleurs.
Au plan national, nous avons déjà lancé dans le passé des réformes ou des plans de relance de la production de l'huile d'olive. L'évolution vers une reconnaissance de la spécificité des produits de l'olivier, qu'il s'agisse des olives de table ou de l'huile d'olive, s'est traduite par une politique favorisant la mise en place d'appellations d'origine contrôlée. Nous devons effectivement développer une politique de qualité préservant un espace de développement pour nos producteurs d'huile d'olive.
J'en viens à la forêt, au sujet de laquelle sont intervenus avec une grande détermination MM. Christian Poncelet et Gérard Braun. La forêt et la filière bois constituent, je le confirme, un atout formidable pour notre pays et nous devons donc nous donner les moyens d'une politique ambitieuse à cet égard.
M. Gérard Braun. Absolument !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Le Sénat s'était beaucoup ému l'année dernière, à juste titre, j'en conviens, de l'augmentation des frais de garderie des forêts communales. Lorsqu'on me parle gentiment, j'écoute toujours. (Sourires.)
Nous avons alors, je crois, trouvé une solution raisonnable. Pour 1997, nous allons augmenter le versement compensateur de 170 millions de francs, ce qui permettra à l'ONF d'assurer la gestion des forêts communales dans les meilleures conditions possible sans augmentation des frais de garderie des collectivités. Comme vous pouvez le constater, j'ai bien compris et retenu ce que vous m'aviez expliqué l'année dernière.
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Le Fonds forestier national est un autre instrument essentiel de la politique forestière. Certains professionnels qui acquittent la taxe forestière alimentant ce fonds demandent avec insistance la baisse de celle-ci. Je comprends tout à fait cette revendication mais au moment où nous redressons la situation financière du Fonds forestier national, une baisse des recettes n'est pas envisageable sans une diminution corrélative des dépenses. Le minimum raisonnable est déjà fait pour soutenir des actions qui bénéficient à l'ensemble de la filière. Certes, cette position n'est pas irréversible, mais elle m'est imposée par des considérations budgétaires et financières qui dominent l'année 1997.
De nombreux élus sont également intervenus en faveur du conservatoire de la forêt méditerranéenne. Je fais le maximum pour préserver les moyens de ce conservatoire. J'ai demandé qu'il soit procédé à des redéploiements en 1996 afin de maintenir un niveau raisonnable. La dotation qui est prévue en 1997 sera supérieure aux crédits dont nous disposons effectivement cette année ; je fais allusion non pas aux crédits qui sont inscrits, mais aux dépenses réelles. En 1996, nous aurons dépensé 50 millions de francs ; 62 millions de francs sont inscrits pour l'année 1997.
Bien entendu, j'ai conscience que cela ne suffira pas à rattraper totalement la diminution considérable des crédits qui a eu lieu entre 1994 et 1995. Toutefois, je le répète, nous aurons à discuter d'une politique globale ambitieuse pour la forêt dans le cadre de la loi d'orientation.
A ce sujet, M. Poncelet a évoqué le plan d'épargne forestière, qui est préparé par le ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, et qui a été récemment annoncé par le Premier ministre. Je confirme que ce plan sera au coeur de nos propositions en ce qui concerne le volet forestier de la loi.
Quant à l'environnement, il n'est pas question, rassurez-vous, de céder aux pressions d'organisations qui voudraient contrôler et certifier la forêt à notre place.
De même, le gel de la mise en oeuvre de la directive « Natura 2000 » montre bien que, en matière d'environnement, il faut éviter les excès. (Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
Nos forestiers sont prêts, comme ils l'ont toujours été, à prendre en compte les contraintes d'environnement. Mais encore faut-il que celles-ci soient justifiées et raisonnables.
J'en viens maintenant à la politique de qualité, qui est au coeur de mes priorités et qui correspond aux attentes des consommateurs. C'est aussi, d'ailleurs, une façon de développer une agriculture présente sur l'ensemble du territoire et qui assure, par une meilleure valorisation des produits, un juste revenu aux producteurs.
Des opportunités très importantes existent pour développer les signes officiels de qualité, notamment, cela a été dit, dans la viande ou les fruits et légumes, où ces signes officiels n'interviennent que pour 1 % de la production, alors que la demande est très forte sur l'origine et les caractéristiques des produits.
Nous devons aussi réfléchir, dans le cadre de la loi d'orientation, à une simplification du dispositif, aujourd'hui trop peu lisible pour le consommateur, d'autant que l'arrivée des protections juridiques européennes est venue compliquer un peu plus le paysage.
Il ne faut pas mélanger les genres : à la France de définir une politique de qualité et de la promouvoir auprès des consommateurs ; à l'Europe d'étendre, lorsque c'est nécessaire, la protection de certaines dénominations. Mais ce n'est pas à Bruxelles de décider ce qui mérite un label ou comment on fabrique un fromage sous appellation d'origine contrôlée !
De ce point de vue, il faut être clair et net ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Deneux est intervenu, à juste titre, sur l'importance de l'industrie agroalimentaire et la transformation des produits. J'en suis le premier convaincu. Le rôle du ministère est, précisément, de soutenir cette industrie et de lui fournir les moyens de son développement.
L'un des instruments de son développement est la prime d'orientation agricole, la POA, évoquée par M. Deneux, et qui constitue souvent, c'est vrai, une aide décisive pour les PME, notamment parce qu'elle permet, en outre, de faire appel au FEOGA.
Je me réjouis que le débat budgétaire qui a déjà eu lieu à l'Assemblée nationale ait permis d'augmenter de 20 millions de francs la dotation prévue pour 1997.
Cette revalorisation permettra, d'abord, de disposer d'une POA « déconcentrée », destinée aux PME, qui ira au-delà des dotations prévues dans les contrats de plan Etat-régions. M. César a énoncé sa préférence pour une orientation privilégiée vers les PME. Le projet de budget que je vous présenterai va tout à fait dans ce sens.
Elle permettra, ensuite, de maintenir la POA nationale, destinée aux grandes entreprises, à un niveau raisonnable, qui nous permette de ne pas perdre les crédits du FEOGA prévus pour la France.
Elle permettra, enfin, de disposer d'une enveloppe importante pour faire face aux restructurations de certains secteurs ; je pense, en particulier, aux entreprises de la filière viande qu'il faudra sans doute aider à passer un cap difficile après la crise de l'ESB.
Un autre volet fait l'objet de bien des débats, le FGER, au sujet duquel se sont prononcés MM. Aubert, Garcia, Signé et Huchon. Il est vrai que, dans un premier temps, nous n'avions pas affecté de dotation au FGER. Je ne reviendrai ni sur les causes de cette absence de dotation ni sur la façon dont nous avions abordé les problèmes, car cela m'entraînerait trop loin. Toutefois, vous avez pu constater que, là encore, dans le cadre de la discussion budgétaire, une ligne a été prévue et un crédit y a été inscrit, crédit qui se cumulera avec des reports de 1996 sur 1997.
Le troisième sujet budgétaire qui pose problème concerne le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole. Sur ce point, ma réponse ne sera pas de même nature que pour les deux sujets précédents.
Comme l'ont souligné MM. de Menou, Poncelet, Arzel et Raoult, notamment, il s'agit d'un dossier très important.
De nombreuses voix se sont élevées pour souligner des difficultés, au risque de donner l'impression que le programme ne fonctionne pas ou prend du retard.
Sans nier les difficultés, permettez-moi de faire un point rapide.
C'est en octobre 1993 que le programme a été décidé par les ministères de l'agriculture et de l'environnement.
Il avait été prévu que le financement paritaire de l'Etat et des collectivités serait inscrit dans les contrats de plan Etat-régions.
Globalement, les crédits d'Etat prévus pour les cinq années des contrats atteignent 555 millions de francs, soit une annuité moyenne de 111 millions de francs.
Que s'est-il passé ?
En 1994, 42 millions de francs ont été délégués, soit plus du tiers d'une annuité moyenne.
En 1995, les crédits ont atteint 90 millions de francs, c'est-à-dire 80 % d'une annuité moyenne.
En 1996, les crédits se sont élevés à 120 millions de francs, soit plus que l'annuité moyenne, entamant donc le « rattrapage ».
Pour 1997, 210 millions de francs sont inscrits dans le projet de budget pour cette action, c'est-à-dire près de deux fois l'annuité moyenne.
Il s'agit là des crédits d'autorisations de programme ; les crédits de paiement suivent sans aucun retard.
Par conséquent, la difficulté provient, c'est exact, de ce décalage, mais elle est aussi la conséquence d'une mauvaise évaluation initiale des besoins. En effet, d'abord, on avait largement sous-estimé le coût moyen des travaux de mise en conformité qui devraient être réalisés. Ensuite, et surtout, on avait largement minimisé la volonté des éleveurs - et c'est tout à leur honneur ! - d'améliorer leur environnement : ils sont près de 90 % à avoir répondu présents et il faut désormais en tenir compte.
S'agissant des préoccupations exprimées par M. de Menou, je suis persuadé que l'agriculture et l'environnement ne sont pas deux notions qui s'opposent.
M. Jacques de Menou. C'est vrai !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. La déformation de l'information, qui laisse à penser que l'agriculture d'aujourd'hui est à l'origine de multiples pollutions, fait fi du rôle fondamental que jouent les agriculteurs dans la préservation du milieu naturel et dans l'entretien des paysages.
La protection de l'environnement ne doit pas être un frein au développement de l'agriculture ; elle doit en intégrer les contraintes et, à ce titre, je partage vos vues, monsieur de Menou, sur la nécessité d'utiliser et de développer toutes les solutions de traitement des effluents existant afin de permettre le développement des activités agricoles, tout en respectant les impératifs liés à la protection de l'environnement.
M. Jacques de Menou. Je vous remercie !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Pour en revenir au programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole et conclure sur ce point, ce sont 210 millions de francs qui sont inscrits dans le projet de loi de finances pour 1997.
Vous me dites que c'est insuffisant, qu'il faut faire plus ! Je m'engage, d'ici au 5 décembre - à cette date, en effet, nous nous retrouverons pour examiner le projet de budget - à réfléchir pour essayer de trouver une solution qui puisse satisfaire, même si ce n'est que partiellement, la Haute Assemblée. J'espère y parvenir.
Par ailleurs, comme l'ont souligné MM. Braun et Amoudry, le rôle de l'agriculture en zone de montagne est fondamental.
Aussi l'agriculture de montagne fait-elle l'objet d'une attention particulière du ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, qui aime beaucoup la montagne, monsieur Rigaudière, vous devez le savoir ; M. Amoudry peut également en être tout à fait convaincu.
Cette politique forte en faveur de la montagne se traduit, d'abord, par le versement d'indemnités compensatoires. Je serai bref sur ce point afin de simplifier, mais je me tiens à votre disposition pour vous fournir les détails que vous souhaiteriez obtenir.
Elle se traduit, ensuite, par des aides plus importantes pour l'installation des jeunes agriculteurs ou encore pour la modernisation des exploitations, avec des subventions spécifiques pour les bâtiments d'élevage en zone de montagne.
J'avais annoncé, au Puy, que 50 millions de francs supplémentaires seraient dévolus à la montagne cette année. Ils figureront bel et bien dans le projet de loi de finances rectificative de 1996. L'engagement est tenu.
Par ailleurs, les éleveurs de montagne sont également les principaux bénéficiaires de la prime à l'herbe. Le montant de cette prime, qui peut être considéré aujourd'hui comme insuffisant, n'est pas nécessairement voué à rester ce qu'il est. Je vous apporte cette précision parce que nous en avons parlé, à la fois lors de la réforme de l'OCM viande bovine et à propos du mémorandum pour l'agriculture et la forêt de montagne.
La France a bien cadré, en effet, la politique de la montagne qu'elle souhaite mettre en oeuvre. J'ai présenté le mois dernier, lors du conseil des ministres de l'agriculture de l'Union européenne - là encore, l'engagement a été tenu - le mémorandum pour l'agriculture et la forêt de montagne, qui a été accueilli d'une manière encourageante, me semble-t-il, par un certain nombre de nos partenaires.
Je ne détaillerai pas les mesures qu'il contient ; je rappellerai simplement trois points essentiels.
Le premier point tient au renforcement des outils structurels : la revalorisation, que nous demandons, de l'indemnité spéciale montagne, l'ISM ; une incitation à la mise en oeuvre des mesures agri-environnementales, en faisant en sorte que le taux de remboursement au titre du FEOGA-garantie des budgets consacrés aux programmes régionaux agri-environnementaux en zone de montagne passe de 50 % à 75 % ; enfin, une identification « montagne » pour un certain nombre d'actions.
Le deuxième point concerne l'instauration d'une politique de qualité « montagne », assortie de moyens de promotion et de développement des produits agricoles et alimentaires.
Enfin, le troisième point a trait à la mise en place d'une véritable politique communautaire de la forêt et de la filière bois en montagne.
Nous pourrons en reparler si vous le souhaitez, et je vous apporterai alors tous les éléments. Je suis tout à fait prêt à m'entretenir avec ceux d'entre vous que la politique de la montagne intéresse tout particulièrement.
Je passe maintenant - rassurez-vous, je ne serai plus très long - à la politique de l'installation.
Les efforts qui ont été évoqués par MM. Poncelet, Emorine et Leyzour sont indéniables. On peut estimer qu'ils pourraient être supérieurs, certes, mais je constate que, aujourd'hui, il ne s'agit pas d'un problème d'enveloppe financière. Cela me conduit à affirmer qu'une politique ne peut pas se résumer au nombre de zéros que l'on inscrit sur un chèque. La politique, c'est quelque chose de beaucoup plus large, et nous devons accomplir des efforts, afin de favoriser les candidatures et les vocations.
Demain, je vais visiter - et je vous invite tous à le faire - trois lycées agricoles de France pour rencontrer les élèves et leur dire que s'installer c'est un beau métier. Je constate, en effet - j'y reviendrai dans quelques instants - que les jeunes qui sortent des établissements d'enseignement agricole sont loin, très loin, d'être majoritaires à s'installer. Il convient peut-être, là aussi, de prendre des mesures à cet effet. Au départ, commençons déjà par former le nombre d'agriculteurs dont nous avons besoin.
Cependant, je tiens à dire que toutes les mesures d'incitation à l'installation prévues dans la charte d'installation sont maintenant opérationnelles. M. Arzel a déclaré que, quand les choses vont bien, il faut le dire. Eh bien ! disons-le ! En matière d'installation, les choses vont bien : une nouvelle dynamique a été initiée.
Quand je parle d'installation, on me dit que les jeunes doivent avoir des perspectives. Je rétorque alors tout de suite que je ne saurai jamais répondre ce que sera l'agriculture ou le revenu d'un agriculteur dans trente ans ! Voilà vingt ans, j'aurais été incapable de dire ce que je serais devenu dans la vie. Si l'on m'avait dit que, le 6 novembre 1996, je parlerais à la tribune du Sénat, je ne l'aurais jamais cru ! (Sourires.) Il faut donc que les jeunes, en agriculture comme dans d'autres domaines, admettent que l'avenir n'est jamais inscrit nulle part et que ce sont eux qui le bâtiront.
J'insisterai cependant sur un point important : pour s'installer comme agriculteur, il faut certes en avoir envie. A côté de cela, peut-être faut-il aussi dire aux jeunes que ce n'est pas le dernier des métiers et que l'on peut encore gagner sa vie en l'exerçant ! En effet, il ne faut pas regretter de ne pas trouver de candidats à l'installation quand, la veille, on a déclaré que l'on ne parvenait pas à gagner sa vie dans ce secteur. Il y a une contradiction. Par conséquent, il faut dire à la fois ce qui va mal et ce qui va bien.
J'en viens au problème du revenu agricole. A cet égard, nous allons cette année, comme tous les ans, entendre commenter les chiffres ; ces derniers commencent d'ailleurs déjà à sortir. Certaines personnes ont d'ailleurs de la chance : elles sont mieux informées que moi, et je ne sais pas d'où elles tiennent les chiffres qu'elles produisent !
Nous disposons certes de quelques indications, mais elles ont déjà varié par rapport au mois dernier. Comme les revenus agricoles ne seront rendus publics que dans un mois, ils peuvent encore changer. Alors, soyons quand même prudents !
Toutefois, comme M. Rigaudière l'a dit, il faut d'ores et déjà s'intéresser au revenu des éleveurs. Certaines évolutions pourront être favorables. Cependant, je ne pense pas - je le dis tout de suite - que nous atteindrons cette année un niveau de progression équivalent à celui qui a été enregistré l'année dernière. Il sera plus vraisemblablement sensiblement inférieur. L'évolution globale ne sera pas négative, mais, si elle est positive, elle devrait rester, d'après ce que je sais, relativement modérée.
De toute façon, il faut dire et répéter avec acharnement que, quand on sort un chiffre, il ne s'agit que d'une moyenne et que cette dernière, d'une part, correspond à un rattrapage de pertes de revenus subies au cours des années, voire des décennies antérieures, et que, d'autre part, elle recouvre de très fortes disparités, selon les secteurs, les régions, les types d'exploitations. Il faut donc prendre ces chiffres avec beaucoup de précautions. Quels qu'ils soient, nombre d'exploitations sont aujourd'hui dans une situation difficile, et je suis de votre avis à cet égard, monsieur Leyzour.
Je ne voudrais pas que, au moment où sortiront ces chiffres, des commmentateurs, se fondant sur une moyenne statistique, avancent que les efforts déployés par les uns et les autres pour appuyer notre agriculture n'étaient pas aussi légitimes que ce que nous pensions. Je suis, pour ma part, convaincu du contraire : il fallait se mobiliser, et il le faut d'ailleurs encore, car nous n'avons pas encore résolu toutes les crises.
Nous devons aussi savoir de quoi est composé ce revenu et constater que les primes, notamment celles qui résultent de la politique agricole commune, y occupent une place de plus en plus importante. Cela doit nous conduire à des réflexions pour l'avenir.
J'en arrive à un point peut-être un peu plus technique, qui pourrait vous paraître quelque peu anecdotique à côté de mon propos précédent. Mais tel n'est pas, à mon avis, le cas.
M. César a évoqué le rapprochement entre les DDAF et les DDE. Je ne suis pas favorable à une solution qui irait jusqu'à leur regroupement, et ce même dans les départements les plus ruraux. Je crois, monsieur le sénateur, que cela traduit tout à fait vos préoccupations. (M. César fait un signe d'assentiment.) Cela ne m'étonne d'ailleurs pas, car vous connaissez fort bien la réalité rurale. Il est important que nous nous fassions entendre sur le terrain pour éviter que certaines constructions, qui paraissent quelquefois séduisantes dans des bureaux républicains peuplés de gens fort intelligents, ne soient en décalage avec les attentes sur le terrain.
M. Gérard César. Je suis tout à fait d'accord ! Merci !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. J'en viens aux préretraites, sujet traité par beaucoup d'entre vous, en particulier par MM. Huchon, César, Emorine et Arzel : le dispositif communautaire de préretraite en faveur de l'installation vient à échéance en octobre 1997. J'avais donc envisagé, pour des raisons qui ont été évoqués - notamment parce que tous les départs en préretraite ne favorisent pas l'installation et que le fait de mettre à la retraite des agriculteurs alors qu'il n'existe pas nécessairement autant de jeunes prêts à s'installer ne constitue peut-être pas la meilleure politique pour freiner la réduction du nombre d'exploitations - j'avais envisagé, dis-je, que, pour l'année 1997, le même critère d'âge que celui du régime général pouvait être retenu, c'est-à-dire, sauf pour les éleveurs spécialisés de bovins allaitants et pour les agriculteurs en difficulté, l'âge non pas de cinquante-cinq ans, mais de cinquante-sept ans.
Cependant, là encore, j'écoute ce que l'on me dit : j'ai cru comprendre que cette mesure n'était pas opportune. Le dispositif de préretraites sera donc maintenu sans changement jusqu'au mois d'octobre 1997.
Des préretraites, je passe aux retraites : sur ce sujet, il y a, c'est vrai, un problème ancien - ce n'est pas aujourd'hui, en 1996, qu'il faut le découvrir ! - que M. de Menou et d'autres ont évoqué. Nous aurons d'ailleurs à en parler encore dans les mois ou les années qui viennent. Par conséquent, n'en faisons pas un objet de division entre nous. La responsabilité est collective, car les différentes majorités qui se sont succédé n'ont pas entièrement résolu le problème. Depuis deux ou trois ans, nous avons engagé un effort considérable pour augmenter les pensions de 2 millions de retraités agricoles, et ce sans majoration des charges sociales des agriculteurs.
Cet effort sera poursuivi : conformément aux engagements pris à l'occasion de la conférence annuelle agricole de février, le projet de loi de finances pour 1997 prévoit de nouvelles avancées pour les petites retraites agricoles. Je n'entrerai pas dans le détail ; sachez que je tiens ces informations à votre disposition. Nous aurons d'ailleurs l'occasion de reparler de ce point lors de la discussion du projet de loi d'orientation.
Des efforts significatifs seront faits dès 1997. Certes, ils ne régleront pas tout, et il faudra aller au-delà, car nous sommes obligés malheureusement d'agir de façon progressive. Le projet de loi d'orientation peut d'ailleurs être l'occasion de réfléchir, au-delà de 1998, puisque nous engageons une revalorisation pour 1997 et 1998, aux efforts nouveaux en faveur des plus petites retraites. En effet, des engagements ont été pris à l'égard des retraités de l'agriculture.
M. Jacques de Menou. Très bien !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Ces engagements, il nous faudra les tenir !
M. Pastor a évoqué le BAPSA et les problèmes de solidarité s'exerçant à travers son financement. Contrairement à ce qu'il a dit s'agissant de l'absence de solidarité, les cotisations des agriculteurs n'ont pas augmenté, et l'existence d'une subvention d'équilibre budgétaire plus importante en 1997 qu'en 1996 est bien la traduction de la solidarité nationale.
M. Emorine a abordé des sujets relevant du projet de loi d'orientation. Il a évoqué la suppression de la part communale et la taxe sur le foncier non bâti. Je dis tout de suite que la gestion des finances publiques rend actuellement cette suppression extrêmement aléatoire.
M. Emorine a également parlé des droits à produire, de leur gestion et de leur attachement à un territoire donné. C'est là une préoccupation tout à fait fondée, car il importe, bien entendu, d'éviter la délocalisation des productions et de veiller à ce que ces droits se trouvent attachés à un territoire, sauf si cette règle d'attachement à un territoire risque de conduire à une sous-utilisation sur le plan national. Il serait en effet stupide de perdre des droits à produire. Il faut donc savoir assouplir la règle, et c'est ce que nous faisons, par exemple, dans le domaine de la production ovine.
M. Emorine a évoqué le développement des sociétés. Je partage son point de vue. Il convient d'encourager le développement des sociétés, tout en reconnaissant qu'il présente aussi quelques inconvénients. Il ne faudrait pas - tel n'est pas le cas actuellement, mais on ne sait jamais ! - que le recours aux formules sociétaires soit motivé plus par des préoccupations d'optimisation fiscale ou sociale ou par l'accumulation de droits à produire que par la volonté réelle de constituer une société.
C'est là un sujet important, voire un tabou. Mais il faut avoir aussi le courage de poser tous les problèmes. Il faudra aborder ce point dans le cadre du projet de loi d'orientation, sans pour autant remettre en cause une dynamique en faveur des sociétés.
M. Leyzour a fait valoir, dans le cadre du projet de loi d'orientation, la notion de loi d'adaptation du milieu rural aux réalités d'aujourd'hui. Je suis tout à fait d'accord avec son analyse, ce qui le surprendra peut-être !
J'en viens au problème de l'enseignement agricole, sur lequel je voudrais intervenir sans passion. Je ne suis pas d'accord avec MM. Vecten et Carle, qui me reprochent la politique de limitation des effectifs. Je réitère mon appel à la prudence : méfions-nous d'une politique qui pourrait nous conduire à des dérapages incontrôlés. Gardons-nous notamment du danger de voir ces enseignements détachés du ministère de l'agriculture. L'intérêt collectif est en cause : l'intérêt des élèves et de la profession, l'intérêt global de notre pays commandent que cet enseignement de filières - il s'agit en effet d'un enseignement de filières, sinon, pourquoi serait-il rattaché à ce ministère ? - reste du domaine du ministère de l'agriculture.
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Mais pour que cet enseignement de filières justifie son appartenance au ministère de l'agriculture, il faut qu'il reste au coeur des métiers de l'agriculture et de la filière agro-alimentaire ; il importe aussi qu'il trouve sa place au sein du budget du ministère.
Vous m'objectez l'insuffisance des moyens en faveur de l'enseignement. Faites-moi confiance, mesdames, messieurs les sénateurs : si vous me donniez deux fois plus de crédits que ceux dont je dispose dans mon budget, je saurais les utiliser ! (Sourires.)
Je suis un membre du Gouvernement responsable, et je dois donc participer à l'effort collectif de maîtrise des dépenses publiques, objectif auquel j'adhère. Certes, mesdames, messieurs les sénateurs, je pourrais très bien me lamenter devant vous en disant que le montant des crédits de mon ministère est insuffisant, et que je ne peux pas faire plus. Néanmoins, ma responsabilité est d'opérer des choix et de déterminer des priorités.
Ces priorités m'amènent à vous dire deux choses.
Indépendamment des problèmes de fond, sur lesquels je vais revenir, croyez-vous raisonnablement que vous pouvez obtenir pour mon ministère, dans le cadre du budget pour 1997, une rallonge que je pourrais, par exemple, consacrer à l'enseignement agricole ? La réponse est négative, car, sinon, nous échapperions à l'exercice de maîtrise des dépenses publiques que j'évoquais à l'instant.
L'enseignement agricole figure déjà au rang de mes priorités puisque, alors que les effectifs globaux de mon ministère diminuent, quatre-vingts postes d'enseignants seront créés l'année prochaine.
Cela étant, s'il faut consacrer davantage d'argent, quelle politique dois-je supprimer ? Dois-je prendre sur le FGER ? Dois-je diminuer les crédits d'intervention des offices ? Mais alors, il ne faudra plus venir me demander de gérer une crise en cours d'année ! Faut-il que je réduise les crédits consacrés à la recherche ? Faut-il que je diffère la concrétisation de la promesse que nous avons faite concernant les petites retraites? Tel est le problème aujourd'hui !
Il est vraiment facile de dire qu'il faut davantage d'argent. Certes, il en faut plus, mais le salarié que je suis depuis des années a appris à vivre avec l'argent qu'il gagnait à la fin de chaque mois ! Et je suis contraint de faire de même aujourd'hui.
Indépendamment de ces problèmes budgétaires pour l'année 1997, je voudrais vous inviter à vous pencher sur un autre dossier. Pendant des années et des années, l'enseignement agricole a connu des effectifs constants. Entre 1985 et 1992, nous avions, bon an mal an, 130 000 élèves. Depuis 1992, c'est une véritable explosion. Les effectifs ont en effet augmenté de 30 % en l'espace de quatre ou cinq ans, passant, après une période de stabilité, de 130 000 à 170 000 élèves. Tant mieux, me direz-vous, et il faut que cela continue. Je n'en suis pas si sûr.
La croissance des effectifs n'a pas concerné la filière de production, alors que nous ne parvenons pas à satisfaire tous les besoins constatés dans cette filière. Bien sûr, les formations qui ont vu croître leurs effectifs sont parfaitement utiles et légitimes. Il s'agit, notamment, des formations d'aménagement et d'environnement. Cependant, alors que leurs effectifs ont quadruplé, passant de 5 000 à 20 000 élèves, les débouchés correspondants ne sont pas certains. Les effectifs ont également augmenté dans les formations de services aux personnes. Ils ont plus que doublé, passant de 13 000 à 28 000 élèves.
Encore une fois, ces formations sont très utiles, mais je crains que l'on ne me fasse valoir un jour qu'elles ne relèvent pas de la vocation exclusive du ministère de l'agriculture et qu'elles peuvent donc être dispensées dans d'autres établissements.
Le problème social est bien réel, car nous retrouvons, frappant à la porte de l'enseignement agricole, des élèves venus tenter chez nous une deuxième chance, comme l'ont dit MM. Vecten et Carle. Reconnaissez que, dans ce cas-là, nous sortons totalement de notre rôle. Si jamais l'enseignement agricole devait être la session de rattrapage des échecs scolaires connus dans d'autres systèmes, alors il n'incomberait plus au ministre de l'agriculture, ministre des filières agro-alimentaires, et, à ce titre, chargé de former des élèves pour ces filières, de répondre à de telles attentes.
Si nous devons accueillir des élèves sans aucune limitation, en inscrivant tous ceux qui se présentent, je le dis très clairement ; nous devons changer de politique, car il n'est plus de la vocation du ministre de l'agriculture d'être le ministre de l'enseignement rural. Ministre de l'enseignement agricole, oui ! ministre de l'enseignement rural, non ! C'est dans un cadre beaucoup plus large, celui de l'éducation nationale, qu'il faut oeuvrer pour le maintien des écoles dans les villages et faire en sorte qu'il y ait au moins un collège par canton.
Soyons donc très attentifs, la politique dans laquelle on veut nous entraîner, qui consiste à supprimer toute barrière et à laisser entrer dans l'enseignement agricole tous les élèves qui se présentent, nous conduirait, à brève échéance, et même à très brève échéance, à détacher l'enseignement agricole du ministère de l'agriculture. Je sais que ce n'est pas ce que vous voulez, ni ce que veulent ceux qui crient le plus fort. En revanche, ceux qui crient le moins fort s'accommoderaient peut-être davantage de ce scénario catastrophe. Méfions-nous, dans les arguments que nous développons, car nous risquons, demain, de subir un véritable effet boomerang. Et nous pourrons alors nous écrier : « Qu'avons-nous fait ? Nous n'avons pas voulu cela. »
Je le dis très clairement, et un autre à ma place serait sans doute conduit à dire de même, l'avenir de l'enseignement agricole est inscrit dans le cadre des filières, de manière à permettre aux jeunes qui sortent de ces établissements de continuer à trouver un emploi. Cet avenir passe par un contrat entre l'Etat et les établissements - contrat région par région, établissement par établissement - qui portera non pas seulement sur l'évolution des effectifs, mais également sur les filières de formation, sur les objectifs que l'on veut se fixer.
Je le dis avec un peu de passion, parce que je crains, malheureusement, d'être comme Cassandre, dont la prophétie est prise à la légère quand le temps est à la fête, mais qui finit par voir se réaliser les désastres annoncés.
L'équarrissage, nombre d'entre vous l'ont souligné, est un dossier extrêmement difficile. Je pense avoir pris les décisions qu'il était indispensable de prendre dans une période un peu mouvementée.
Je remercie très chaleureusement ceux qui, dans cette épreuve, m'ont apporté leur soutien, comme je remercie très chaleureusement ceux qui m'ont permis d'éviter la multiplication, dans cent départements français, de situations de crise. Qu'ils soient assurés que je n'ai pas la mémoire courte et que je saurai me souvenir du soutien qu'ils m'ont apporté.
Pour le reste, c'est à la mi-décembre, je crois, que le texte doit venir en discussion au Sénat. Il s'agirait d'un service public national financé par des ressources propres dont vous aurez à discuter, non pas à l'occasion de la discussion de ce projet de loi, mais dans le cadre du collectif budgétaire de 1996. Nous réfléchissons à la meilleure solution possible pour ne pas pénaliser la filière de l'élevage, la filière de production de viande française.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je parle depuis maintenant une heure et quart. J'ai le sentiment d'avoir été fort long, mais vous avez posé tellement de questions, soulevé tellement de points passionnants et pertinents sur l'agriculture française... Cela ne me surprend pas, du reste, car je sais que siègent au Sénat des spécialistes de ces matières qui comptent parmi les meilleurs.
M. Gérard César. Les meilleurs spécialistes, n'ayons pas peur des mots !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Monsieur César, je ne vous visais pas personnellement. (Sourires.)
M. Gérard César. Je parlais, bien sûr, pour tous mes collègues !
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Chacun sait que vous êtes tous excellents, mais supportez qu'il puisse y avoir quelques ex æquo. (Sourires.)
Vous aurez l'occasion de reparler de ces problèmes, soit avec moi, soit avec mon successeur, peu importe - encore que je ne désespère pas de me succéder à moi-même - à l'occasion de l'examen du projet de loi d'orientation agricole.
Sur ce point, monsieur Piras, je ne peux pas vous laisser prétendre qu'il s'agit d'un débat hâtif pour une loi d'orientation. Vous ne le pensez pas sérieusement. Un débat hâtif ?
M. Bernard Piras. Monsieur le ministre, je ne vous ai pas accusé ; j'ai simplement souhaité que le débat soit profond, qu'il soit long et qu'il ne soit pas bâclé.
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Monsieur Piras, le débat est profond ; il est long et il ne sera pas bâclé. (Sourires.)
C'est au mois de mars qu'a été lancée l'idée de ce projet de loi d'orientation agricole. Depuis, j'ai réuni des groupes de travail comprenant des représentants de tous les secteurs, des agriculteurs, des industriels, des consommateurs et même de la grande distribution. C'est dire ! J'ai même à plusieurs reprises dit aux parlementaires que s'ils souhaitaient organiser dans leurs circonscriptions des réunions et me faire « remonter » des souhaits concernant le projet de loi d'orientation agricole, j'étais à leur disposition. D'ailleurs, c'est ce que vous avez fait aujourd'hui, puisque vous avez indiqué un certain nombre de pistes que nous pouvions suivre.
Il nous reste cinq ou six mois d'ici au grand débat que nous aurons, dans cet hémicycle, sur le projet de loi d'orientation agricole. Aussi, monsieur Piras, ne venez pas me dire, dans cinq ou six mois, que le débat est un peu précipité. Nous aurons eu un an pour débattre.
C'est ce que nous avons déjà fait au printemps quand je suis venu vous présenter le rapport sur le statut des conjoints et des aides familiaux. C'est ce que nous avons fait aujourd'hui, et de façon fort constructive. Nous avons débattu, nous avons pu exposer nos points de vue, tantôt convergents, tantôt divergents, mais l'exercice de la démocratie le veut ainsi.
Je pense en tout cas vous avoir écoutés et, surtout, entendus et je tiendrai compte de toutes vos suggestions, non seulement dans le débat budgétaire qui nous réunira le mois prochain, mais plus encore dans la préparation de ce qui devra être une grande loi pour l'avenir de notre agriculture. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le numéro 64 et distribuée.

7

COMMUNICATION DE L'ADOPTION DÉFINITIVE D'UNE PROPOSITION D'ACTE COMMUNAUTAIRE
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une communication, en date du 5 novembre 1996, l'informant que la proposition d'acte communautaire E 613 - « proposition de règlement CE du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes. Proposition de règlement du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits transformés à base de fruits et légumes » a été adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 29 octobre 1996.

8

DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marie Girault un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur le projet de loi portant ratification des ordonnances prises en application de la loi n° 96-1 du 2 janvier 1996 d'habilitation relative à l'extension et à l'adaptation de la législation en matière pénale applicable aux territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte et abrogeant certaines dispositions concernant les îles éparses et l'île de Clipperton (n° 493, 1995-1996).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 65 et distribué.
J'ai reçu de MM. Charles Descours, Jacques Machet et Alain Vasselle un rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, adopté par l'Assemblée nationale (n° 61, 1996-1997).
Le rapport sera imprimé sous le n° 66 et distribué.
J'ai reçu de M. Nicolas About un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif aux mesures en faveur du personnel militaire dans le cadre de la professionnalisation des armées (n° 26, 1996-1997).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 67 et distribué.

9

DÉPÔT D'UN AVIS

M. le président. J'ai reçu de M. Jacques Oudin un avis présenté au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, adopté par l'Assemblée nationale (n° 61, 1996-1997).
L'avis sera imprimé sous le numéro 68 et distribué.

10

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 7 novembre 1996 :
A neuf heures trente :
1. Discussion des conclusions du rapport (n° 62, 1996-1997) de M. Jean-Patrick Courtois, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi (n° 38, 1996-1997) de MM. Jean-Jacques Hyest, François Lesein et Jean-Patrick Courtois relative au contrat de concession du Stade de France à Saint-Denis.
A quinze heures :
2. Questions d'actualité au Gouvernement.
3. Discussion de la question orale avec débat n° 9 de M. Pierre Fauchon à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les moyens de la justice :
M. Pierre Fauchon interroge M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les moyens qui lui paraissent propres à réduire l'asphyxie des juridictions dont témoignent le taux excessif des affaires classées sans suite au pénal et les trop longs délais de procédure au civil. Il lui demande si, indépendamment d'un redéploiement véritable des moyens de la justice en fonction d'une carte judiciaire fondée sur les réalités actuelles, il ne lui apparaît pas urgent de rechercher les modalités d'un traitement spécifique des contentieux de masse.
Aucune inscription de parole dans cette discussion n'est plus recevable.

Délai limite pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, adopté par l'Assemblée nationale (n° 61, 1996-1997) :
- Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale, mardi 12 novembre 1996, à onze heures.
- Délai limite pour le dépôt des amendements, mardi 12 novembre 1996, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 7 novembre 1996, à zéro heure dix.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Compensation des dépenses supportées par les communes
en matière d'environnement et de sécurité

502. - 6 novembre 1996. - M. Edouard Le Jeune attire l'attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation sur les dépenses souvent insupportables, mises à la charge des communes, et plus particulièrement des communes rurales. En effet, les normes édictées aux niveau national et européen en matière notamment d'environnement et de sécurité induisent de nouvelles dépenses qui viennent grever les budgets communaux dans un contexte économique et financier difficile. C'est le cas, en particulier, des décrets ou arrêtés du 7 février 1996 sur la protection de la population contre les risques liés à l'exposition à l'amiante, mais également des dispositions législatives et réglementaires relatives à l'assainissement. Il lui demande ce que l'Etat entend faire afin de compenser ces charges indues qui pèsent à la fois sur les collectivités et les contribuables locaux.

Conséquences, pour le département de la Haute-Saône,
du détournement du rapide Suisse L'Arbalète

503. - 6 novembre 1996. - M. Alain Joyandet appelle l'attention de M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme sur le projet de détournement du rapide suisse L'Arbalète de la ligne Paris-Bâle, via Vesoul-Belfort, par Vallorbe-Frasne. En effet, alors même que le ministre a récemment reconnu l'importance, pour le département de la Haute-Saône, du maintien de cette ligne d'intérêt national, le détournement du rapide L'Arbalète aurait des conséquences très néfastes pour le département. C'est pourquoi il le remercie de bien vouloir lui indiquer les dispositions qu'il compte prendre pour compenser cette perte.