SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Commerce et artisanat. - Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence (p. 1 ).

Article 27 (p. 2 )

Amendement n° 36 de M. Hyest, rapporteur pour avis. - MM. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis de la commission des lois ; Pierre Hérisson, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat ; Bernard Dussaut. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 28 (p. 3 )

Amendement n° 37 de M. Hyest, rapporteur pour avis. - MM. le rapporteur pour avis, le rapporteur, le ministre. - Adoption.
Amendement n° 164 du Gouvernement. - MM. le ministre, le rapporteur. - Adoption.
Amendement n° 38 de M. Hyest, rapporteur pour avis. - MM. le rapporteur pour avis, le rapporteur, le ministre. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Seconde délibération (p. 4 )

Demande de seconde délibération sur les articles 5 et 20. - MM. le ministre, Jean-Jacques Robert, le rapporteur. - Adoption.

Article 5 (p. 5 )

Amendement n° A-1 du Gouvernement. - MM. le ministre, le rapporteur, Collard, Dussaut, Jean-Jacques Robert. - Adoption par scrutin public.
Adoption de l'article modifié.

Article 20 (p. 6 )

Amendement n° A-2 du Gouvernement. - MM. le ministre, le rapporteur. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Vote sur l'ensemble (p. 7 )

MM. Michel Bécot, Robert Pagès, Joseph Ostermann, Bernard Dussaut, Henri de Raincourt, Jean-Jacques Robert.
Adoption du projet de loi.
MM. le président, le ministre, le rapporteur.

3. Nomination de membres d'une commission mixte paritaire (p. 8 ).

Suspension et reprise de la séance (p. 9 )

4. Interversion dans l'ordre du jour (p. 10 ).
MM. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice ; le président.

5. Répression du terrorisme. - Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire (p. 11 ).
Discussion générale : MM. Paul Masson, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire ; Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice ; Robert Pagès.
Clôture de la discussion générale.

Texte élaboré par la commission mixte paritaire (p. 12 )

Vote sur l'ensemble (p. 13 )

M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Adoption du projet de loi.

6. Enfance délinquante. - Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire (p. 14 ).
Discussion générale : MM. Michel Rufin, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire ; Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice ; Robert Pagès.
Clôture de la discussion générale.

Texte élaboré par la commission mixte paritaire (p. 15 )

Vote sur l'ensemble (p. 16 )

M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Adoption du projet de loi.

Suspension et reprise de la séance (p. 17 )

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

7. Programmation militaire pour les années 1997 à 2002. Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p. 18 ).
Discussion générale : M. Charles Millon, ministre de la défense.

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE

MM. Xavier de Villepin, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ; Maurice Blin, rapporteur pour avis de la commission des finances ; François Trucy, rapporteur pour avis de la commission des finances ; Guy Cabanel, Yvon Bourges, Bernard Plasait, Jacques Genton, Jean-Luc Bécart.

Suspension et reprise de la séance (p. 19 )

MM. Bertrand Delanoë, Paul Girod, Serge Vinçon.

Suspension et reprise de la séance (p. 20 )

MM. André Dulait, Claude Billard, Guy Penne, Fernand Demilly, Roger Husson, Jacques Machet, Philippe Madrelle, Lucien Neuwirth, Pierre Hérisson, Jean-Luc Mélenchon.
Clôture de la discussion générale.
Renvoi de la suite de la discussion.

8. Dépôt de projets de loi (p. 21 ).

9. Dépôt d'une proposition de loi organique (p. 22 ).

10. Dépôt de propositions de loi (p. 23 ).

11. Retrait de propositions de loi (p. 24 ).

12. Dépôt d'une résolution (p. 25 ).

13. Dépôt d'une proposition d'acte communautaire (p. 26 ).

14. Dépôt de rapports (p. 27 ).

15. Ordre du jour (p. 28 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente-cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

COMMERCE ET ARTISANAT

Suite de la discussion et adoption
d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 381, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat. [Rapport n° 421 (1995-1996) et avis de la commission des lois.]
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l'article 27.

Article 27

M. le président. « Art. 27. - L'article 3 de la loi n° 92-1445 du 31 décembre 1992 relative aux relations de sous-traitance dans le domaine du transport routier de marchandises est ainsi rédigé :
« Art. 3. - Est puni d'une amende de 600 000 F le fait pour le donneur d'ordres de rémunérer les contrats visés à l'article premier par un prix qui ne permet pas de couvrir à la fois :
« - les charges entraînées par les obligations légales et réglementaires, notamment en matière sociale et de sécurité ;
« - les charges de carburant et d'entretien des véhicules ;
« - les amortissements ou loyers des véhicules ;
« - les frais de route des conducteurs des véhicules ;
« - les frais de péage ;
« - les frais de documents de transport et les timbres fiscaux ;
« - et, pour les entreprises unipersonnelles, la rémunération du chef d'entreprise.
« Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables dans les conditions prévues par l'article 121-2 du code pénal de l'infraction prévue au présent article.
« La peine encourue par les personnes morales est l'amende suivant les modalités prévues à l'article 131-38 du code pénal. »
Par amendement n° 36, M. Hyest, au nom de la commission des lois, propose de compléter le texte présenté par cet article pour l'article 3 de la loi n° 92-1445 du 31 décembre 1992 par quatre alinéas ainsi rédigés :
« L'action est engagée par le ministère public, le ministre chargé de l'économie ou son représentant.
« Le transporteur ou le loueur évincé en raison d'un prix trop bas et les organisations professionnelles de transporteurs routiers, de commissionnaires de transport et de loueurs de véhicules industriels, représentatives au niveau national, peuvent se porter partie civile.
« Le ministre chargé de l'économie ou son représentant peut, devant la juridiction compétente, déposer des conclusions et les développer oralement à l'audience. Il peut également produire les procès-verbaux et les rapports d'enquête.
« L'action est prescrite dans le délai d'un an à compter de la date de fin d'exécution du contrat. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Cet amendement tend à réparer un oubli et à réinsérer des dispositions jusqu'à présent en vigueur. Il s'agit des quatre derniers alinéas de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1992 relative aux relations de sous-traitance dans le domaine du transport routier de marchandises.
Effectivement, l'Assemblée nationale ayant abrogé l'article pour le remplacer par d'autres dispositions, une partie du dispositif en vigueur avait disparu. Il était donc nécessaire de réinsérer des dispositions qui doivent continuer à s'appliquer.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a émis un avis favorable sur l'amendement de M. Hyest, qui vient réparer un oubli et améliorer sérieusement la qualité du texte. J'exprime toute ma gratitude à M. le rapporteur pour avis.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 36.
M. Bernard Dussaut. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dussaut.
M. Bernard Dussaut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voterai cet amendement, mais je profite de l'occasion pour me faire l'écho de l'inquiétude grandissante de nos concitoyens face au nombre de poids lourds qui empruntent nos autoroutes. Autour de moi, de plus en plus d'automobilistes en sont même, actuellement, à délaisser certains axes autoroutiers du fait de l'insécurité engendrée par la circulation de ces poids lourds, notamment étrangers. Il est vrai qu'ils occupent pratiquement en permanence une voie sur des autoroutes n'en comptant parfois que deux, comme les autoroutes du Sud, de l'Aquitaine notamment.
Le transport de marchandises fait courir de plus en plus de risques, surtout le transport de produits dangereux, signalés par un petit rectangle orange.
Parallèlement, le président de la SNCF, que la commission des affaires économiques entendait il y a peu, nous disait que la SNCF perdait un million de francs par heure, d'où un déficit important.
Comment faire tout à la fois pour rééquilibrer les comptes de la SNCF par le transport de marchandises et améliorer la sécurité, qui devient de plus en plus problématique sur nos autoroutes ?
Je pense, moi, que seul le coût pourrait finalement inciter au changement de mode de transport. Certains pays voisins ont déjà mis en place des taxes afférentes à la traversée de leur territoire par des transporteurs étrangers.
Je pose la question. Je me demande même si cette disposition n'aggraverait pas la situation, dans la mesure où les transporteurs étrangers, bien entendu, n'y seront pas soumis.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 36, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 27, ainsi modifié.

(L'article 27 est adopté.)

Article 28

M. le président. « Art. 28. - Le titre VI de la loi n° 95-96 du 1er février 1995 concernant les clauses abusives et la présentation des contrats et régissant diverses activités d'ordre économique et commercial est complété par un article 23 bis ainsi rédigé :
« Art. 23 bis . - Est puni d'une amende de 600 000 F tout prestataire de transport public routier de marchandises, et notamment les transporteurs routiers de marchandises, commissionnaires de transports ou loueurs de véhicules industriels qui offrent ou pratiquent un prix inférieur au coût de la prestation et qui ne permet pas de couvrir les charges entraînées par les obligations légales et réglementaires, notamment en matière sociale et de sécurité, ainsi que les charges de carburant et d'entretien, les amortissements ou les loyers des véhicules, les frais de route des conducteurs de véhicules, les frais de péage, les frais de documents de transport, les timbres fiscaux et, pour les entreprises unipersonnelles, la rémunération du chef d'entreprise.
« Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables dans les conditions prévues par l'article 121-2 du code pénal de l'infraction prévue au présent article.
« La peine encourue par les personnes morales est l'amende suivant les modalités prévues à l'article 131-38 du code pénal.
« L'action est engagée par le ministère public, le ministre chargé de l'économie ou son représentant.
« Le transporteur public routier de marchandises, le commissionnaire ou le loueur de véhicule industriel évincé en raison d'un prix trop bas et les organisations professionnelles de transporteurs routiers, de commissionnaires de transports et de loueurs de véhicules industriels, représentatives au niveau national, peuvent se porter partie civile.
« L'action est prescrite dans un délai d'un an à compter de la date de fin d'exécution du contrat. »
Par amendement n° 37, M. Hyest, au nom de la commission des lois, propose, dans le premier alinéa du texte présenté par cet article pour l'article 23 bis de la loi n° 95-96 du 1er février 1995 :
I. - Après les mots : « amende de 600 000 francs », d'insérer les mots : « le fait pour » ;
II. - De remplacer les mots : « qui offrent ou pratiquent » par les mots : « d'offrir ou de pratiquer ».
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. Monsieur le président, cet amendement tend à harmoniser la rédaction proposée pour l'article 23 bis de la loi du 1er février 1995 avec celle qui a été retenue par le nouveau code pénal pour la définition des incriminations.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 37, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 164, le Gouvernement propose :
A. - Dans le premier alinéa du texte présenté par l'article 28 pour l'article 23 bis de la loi n° 95-96 du 1er février 1995, après les mots : « loueurs de véhicules industriels », d'insérer les mots : « avec conducteurs » et, après les mots : « coût de la prestation », de supprimer le mot : « et » ;
B. - Après le quatrième alinéa du texte présenté par l'article 28 pour l'article 23 bis de la loi n° 95-96 du 1er février 1995 d'insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les infractions sont recherchées et constatées dans les conditions prévues à l'article 45, alinéas 1 et 3, 46, 47, 51 et 52 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986. Le procureur de la République est préalablement avisé des opérations envisagées. Les procès-verbaux, qui font foi jusqu'à preuve du contraire, lui sont transmis sans délai. Copie en est adressée à l'intéressé. »
C. - Au cinquième alinéa du texte présenté par cet article pour l'article 23 bis de la loi n° 95-96 du 1er février 1995, après les mots : « le loueur de véhicule industriel », d'insérer les mots : « avec conducteurs ».
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Cet amendement a été soumis à l'Assemblée nationale par Mme Idrac, au nom du Gouvernement.
Les dispositions proposées doivent concourir à moraliser les pratiques de certains professionnels du transport, et ainsi concourir à l'amélioration de la sécurité et du respect des règles de concurrence, qui sont nos objectifs communs.
Ces dispositions nous paraissent importantes même si, naturellement, on aurait pu imaginer - M. Jean-Jacques Robert l'a indiqué - qu'elles figurent dans un autre projet. L'essentiel, puisque nous souhaitons rééquilibrer l'ensemble des relations commerciales, est que le texte sur la concurrence et le projet de loi sur le développement et la promotion du commerce et de l'artisanat constituent, ensemble une action gouvernementale cohérente. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé cet amendement. Je remercie la commission des lois qui, par son propre amendement, améliore la rédaction du texte.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 164, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 38, M. Hyest, au nom de la commission des lois, propose d'insérer, après le cinquième alinéa du texte présenté par l'article 28 pour l'article 23 bis de la loi n° 95-96 du 1er février 1995, un alinéa ainsi rédigé :
« Le ministre chargé de l'économie ou son représentant peut, devant la juridiction compétente, déposer des conclusions et les développer oralement à l'audience. Il peut également produire les procès-verbaux et les rapports d'enquête. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. Cet amendement tend à réparer un oubli en prévoyant que, pour les contrats de prestation de services comme pour les contrats de sous-traitance, en matière de transports routiers de marchandises, le ministre chargé de l'économie peut, à l'occasion d'un procès, déposer des conclusions, les développer lors de l'audience et produire les procès-verbaux et les rapports d'enquête.
Le ministre chargé de l'économie et des finances doit bien entendu conserver, comme par le passé, cette possibilité. C'est la condition de l'équilibre dans les procédures. De surcroît, c'est prévu dans tous les textes relatifs à la concurrence. Il est dommage que cette disposition ait disparu. C'est pourquoi nous vous proposons de la rétablir.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Le Gouvernement est favorable à la position de M. Hérisson sur l'amendement de M. Hyest en faveur du ministre chargé de l'économie et des finances ! (Sourires.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 38, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 28, modifié.

(L'article 28 est adopté.)

Seconde délibération

M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Monsieur le président, conformément à l'article 43, alinéa 4, du règlement du Sénat, le Gouvernement demande une seconde délibération des articles 5 et 20.
M. le président. Je rappelle qu'en application de l'article 43, alinéa 4, du règlement, tout ou partie d'un texte peut être renvoyé sur décision du Sénat à la commission pour une seconde délibération, à condition que la demande de renvoi ait été formulée ou acceptée par le Gouvernement.
Je rappelle, en outre, que, sur la demande de seconde délibération, ont seuls droit à la parole l'auteur de la demande, en l'occurrence le Gouvernement, qui vient de s'exprimer, un orateur d'opinion contraire, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond. Aucune explication de vote n'est admise.
M. Jean-Jacques Robert. Je demande la parole contre la demande de seconde délibération.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Robert.
M. Jean-Jacques Robert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous trouvons au coeur du dispositif que nous avons étudié tout au long de ces deux journées, dans un climat de compréhension et un souci de technique législative de qualité, malgré un calendrier particulièrement défavorable, mais nous avons su surmonter cette difficulté.
L'amendement qui contrarie le Gouvernement et qui a été adopté par notre assemblée est un amendement technique.
Je pense qu'il appartient effectivement aux représentants du peuple que nous sommes de traduire les sentiments de celui-ci à propos de textes sur lesquels, c'est vrai, le Gouvernement s'est engagé, au plus haut niveau, avec des formules-chocs. Faut-il déclencher une guerre avec vous, monsieur le ministre, ou faut-il prendre en considération l'esprit qui inspire les dispositions que vous nous avez proposées au nom du Gouvernement, et étudier si les modifications que nous suggérons, loin d'altérer la sérénité du Gouvernement, enrichissent au contraire ce texte ?
Nous avons proposé, dans le cadre plus que dans l'esprit de la loi Royer, de préserver la liberté de création, d'exploitation et de développement de tous les commerces d'une surface comprise entre 300 et 1 000 mètres carrés, à l'exception des commerces alimentaires. En effet, comme nous l'avons constaté à travers le projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, que j'ai eu l'honneur de rapporter, et le présent projet de loi, que rapporte notre collègue M. Hérisson, les grandes surfaces ont provoqué un dérèglement sur les prix des denrées alimentaires.
Dans notre esprit, nous encadrons le commerce de nature alimentaire en le soumettant à une réglementation à partir de 300 mètres et, entre 300 mètres carrés et 1 000 mètres carrés, ce qui est le seuil antérieur, nous donnons aux autres commerces la liberté de créer des entreprises, de s'étendre. J'avais pris l'exemple d'un magasin de 300 mètres carrés à côté duquel se trouve un magasin de 50 mètres carrés. Avec l'achat de ce magasin, le premier va avoir une superficie de 350 mètres carrés. Il va s'ensuivre le passage devant une commission, qui nécessitera trois mois d'examen et beaucoup de papier. Or vous êtes, monsieur le ministre, le champion de la simplification des procédures administratives !
La majorité qui s'est exprimée sur les travées de notre assemblée, et qui n'était pas une majorité politique, s'est prononcée très sereinement sur un point technique, à savoir ne pas stopper l'économie et permettre, parce que ce sont les petites entreprises qui sont créatrices d'emplois, ce développement dont notre pays a besoin.
Quant à l'aspect pratique, vous le connaissez parce que vous êtes un homme de terrain. Vous avez sillonné tous nos départements et j'ai souvent eu le plaisir de vous retrouver ; vous m'avez alors permis de vous exprimer ce que nous ressentions.
La commission compte sept commissaires. A partir de 300 mètres carrés, toute création, toute extension, tout changement d'enseigne - cela concerne donc tous les petits magasins que nous fréquentons quand nous rentrons dans nos départements, à savoir le petit pompiste, le petit garagiste, le chausseur, le marchand de vêtements - sera soumis à autorisation.
Comment cela va-t-il se passer concrètement ? Le préfet mettra ses fonctionnaires à disposition pour faire l'enquête sur le terrain. Vous vous rendez compte du nombre de dossiers que cela va représenter ! En revanche, avec un seuil de 1 000 mètres carrés, chacun des sept commissaires connaît le site en question - il est souvent allé le voir, il en a entendu parler - et se prononcera en toute connaissance.
En l'occurrence, les fonctionnaires, aussi eminents soient-ils, feront écran. Les représentants des assemblées consulaires et les élus qui siégeront dans la commission ne pourront pas juger.
Je citerai un exemple de la difficulté : le Conseil national de la concurrence, dont j'ai reçu le président et les vice-présidents à trois reprises dans le cadre de l'examen du projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales. Ses vingt et un membres ne traitent que cent vingt dossiers par an. Dès lors, le délai de quatre mois sera insuffisant.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Jean-Jacques Robert. En l'occurrence, il s'agit de vous exprimer non pas sur le fond, mais simplement sur la demande de seconde délibération.
M. Jean-Jacques Robert. Le sujet est important, monsieur le président.
Je vais maintenir mon amendement pour toutes les raisons techniques que j'ai évoquées, car si je ne le faisais pas, M. le ministre serait ennuyé sur le plan réglementaire dans moins d'un an.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur la demande de seconde délibération ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Favorable.
M. le président. Je consulte le Sénat sur la demande de seconde délibération des articles 5 et 20, formulée par le Gouvernement et acceptée par la commission.
La demande de seconde délibération est acceptée.
La commission est-elle prête à rapporter ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Oui, monsieur le président.
M. le président. En application de l'article 43 du règlement, nous allons procéder à cette seconde délibération.
Je rappelle au Sénat les termes de l'article 43, alinéa 6, du règlement :
« Dans sa seconde délibération, le Sénat statue seulement sur les nouvelles propositions du Gouvernement ou de la commission, présentées sous forme d'amendements et sur les sous-amendements s'appliquant à ces amendements. »

Article 5

M. le président. « Art. 5. - L'article 29 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 précitée est ainsi rédigé :
« Art. 29. - I. - Sont soumis à une autorisation d'exploitation commerciale les projets ayant pour objet :
« 1° La création d'un magasin de commerce de détail d'une surface de vente supérieure à 300 mètres carrés lorsqu'il est de nature alimentaire et supérieure à 1000 mètres carrés lorsqu'il est de nature non alimentaire, résultant soit d'une construction nouvelle, soit de la transformation d'un immeuble existant ;
« 2° L'extension de la surface de vente d'un magasin de commerce de détail ayant déjà atteint les seuils visés au 1° ci-dessus ou devant les dépasser par la réalisation du projet. Est considérée comme une extension l'utilisation supplémentaire de tout espace couvert ou non, fixe ou mobile, et qui n'entrerait pas dans le cadre de l'article 19 de la loi n°.......... du .......... relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat ;
« 3° La création ou l'extension d'un ensemble commercial tel que défini à l'article 29-1 atteignant les surfaces de vente totales prévues au 1° ci-dessus ou devant dépasser ces seuils par la réalisation du projet ;
« 4° La création ou l'extension de toute installation de distribution au détail de carburants, quelle qu'en soit la surface de vente, annexée à un magasin de commerce de détail mentionné au 1° ci-dessus ou à un ensemble commercial mentionné au 3° ci-dessus et située hors du domaine public des autoroutes et routes express.
« L'autorisation de création d'un magasin de commerce de détail ou d'un ensemble commercial à dominante alimentaire de plus de 1 000 mètres carrés en périphérie de ville est subordonnée à l'engagement du demandeur de créer un nombre de mètres carrés de surface de vente de produits alimentaires égal au quart de la surface autorisée dans une zone de redynamisation urbaine ou dans une zone de revitalisation rurale, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat ;
« 5° La réutilisation à usage de commerce de détail, d'une surface de vente supérieure à 300 mètres carrés pour un commerce de détail de nature alimentaire et à 1 000 mètres carrés pour un commerce de détail de nature non alimentaire, libérée à la suite d'une autorisation de création de magasin par transfert d'activités existantes, quelle que soit la date à laquelle a été autorisé ce transfert ;
« 6° La réouverture au public, sur le même emplacement, d'un magasin de commerce de détail d'une surface de vente supérieure à 300 mètres carrés pour un commerce de détail de nature alimentaire et à 1 000 mètres carrés pour un commerce de détail de nature non alimentaire, dont les locaux ont cessé d'être exploités pendant deux ans, ce délai ne courant, en cas de procédure de redressement judiciaire de l'exploitant, que du jour où le propriétaire a recouvré la pleine et entière disposition des locaux ;
« 7° et 8° Supprimés.
« 9° Tout changement de secteur d'activité d'un commerce d'une surface de vente supérieure à 2 000 mètres carrés est également soumis à l'autorisation d'exploitation commerciale prévue au présent article. Ce seuil est ramené à 300 mètres carrés lorsque l'activité nouvelle du magasin est à dominante alimentaire.
« I bis . - Les regroupements de surface de vente de magasins voisins, sans création de surfaces de vente supplémentaires, n'excédant pas 2 000 mètres carrés, ou 300 mètres carrés lorsque l'activité nouvelle est à dominante alimentaire, ne sont pas soumis à une autorisation d'exploitation commerciale.
« II. - Les pharmacies ne sont pas soumises à une autorisation d'exploitation commerciale ni prises en compte pour l'application du 3° du I ci-dessus.
« II bis . - Les animaleries ne sont pas soumises à une autorisation d'exploitation commerciale ni prises en compte pour l'application du 3° du I ci-dessus.
« III. - Les halles et marchés d'approvisionnement au détail, couverts ou non, établis sur les dépendances du domaine public et dont la création est décidée par le conseil municipal ainsi que les parties du domaine public affecté aux gares d'une surface maximum de 1 000 mètres carrés ne sont pas soumis à une autorisation d'exploitation commerciale.
« III bis . - La création ou l'extension de garages ou de commerces de véhicules automobiles disposant d'atelier d'entretien et de réparation n'est pas soumise à une autorisation d'exploitation commerciale, lorsqu'elle conduit à une surface totale de plus de 1 000 mètres carrés.
« IV. - L'autorisation d'exploitation commerciale doit être délivrée préalablement à l'octroi du permis de construire s'il y a lieu, ou avant la réalisation du projet si le permis de construire n'est pas exigé.
« L'autorisation est accordée par mètre carré de surface de vente.
« Une nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet, en cours d'instruction ou dans sa réalisation, subit des modifications substantielles dans la nature du commerce ou des surfaces de vente. Il en est de même en cas de modification de la ou des enseignes désignées par le pétitionnaire.
« L'autorisation préalable requise pour la création de magasins de commerce de détail n'est ni cessible ni transmissible. »
Par amendement n° A-1, le Gouvernement propose :
I. - Dans le deuxième alinéa (1°) du I du texte présenté par cet article pour l'article 29 de la loi du 27 décembre 1973, de supprimer les mots : « lorsqu'il est de nature alimentaire et supérieure à 1 000 mètres carrés lorsqu'il est de nature non alimentaire » ;
II. - De rédiger ainsi le début du troisième alinéa (2°) du I du même texte :
« 2° L'extension de la surface de vente d'un magasin de commerce de détail ayant déjà atteint le seuil des 300 mètres carrés ou devant le dépasser... » ;
III. - De rédiger ainsi le quatrième alinéa (3°) du I du même texte :
« 3° La création ou l'extension d'un ensemble commercial tel que défini à l'article 29-1 d'une surface de vente totale supérieure à 300 mètres carrés ou devant dépasser ce seuil par la réalisation du projet » ;
IV. - Dans les sixième (5°) et septième (6°) alinéas du I du même texte, de supprimer les mots : « pour un commerce de détail de nature alimentaire et à 1 000 mètres carrés pour un commerce de détail de nature non alimentaire ».
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Ainsi que M. Jean-Jacques Robert l'a dit à l'instant, notre débat a été très ouvert et très intéressant. Cela nous a permis de mieux comprendre les souhaits des uns et des autres. La discussion a été fructueuse, notamment avec M. Jean-Jacques Robert - j'y reviendrai - mais aussi avec M. Collard, auteur de l'amendement. Nous avons parlé des garages, nous avons vu que nous pouvions avoir une position commune. Le Gouvernement a retenu l'avis du Sénat sur ces sujets. Il était en effet important d'avoir cette discussion et je remercie les sénateurs qui l'ont permise par leurs amendements, grâce auxquels nous avons pu clarifier les choses et améliorer sérieusement et profondément ce texte.
S'agissant de cet amendement, je tiens à rassurer tout à fait M. Jean-Jacques Robert. J'ai bien compris son intervention : nous sommes, sur le fond, d'accord, puisque nous voulons vraiment pouvoir maîtriser la situation.
M. Jean-Jacques Robert craint que, en instituant un seuil trop bas, la commission ne se trouve à un moment quelque peu paralysée par un grand nombre de dossiers et que la maîtrise ne soit pas réelle puisqu'elle serait transférée ainsi à des fonctionnaires, des délégués du préfet, qui pourraient faire l'instruction à la place de la commission.
Sur ce point, je peux donner toutes les garanties à M. Jean-Jacques Robert. Je serai très attentif à cet égard et nous prendrons toutes les dispositions nécessaires en cas de difficulté sur le plan de l'instruction et si la maîtrise n'est pas réelle. J'ai la possibilité réglementaire, en suivant et en observant le fonctionnement des commissions départementales, de bien veiller à ce que leurs membres disposent de tous les moyens permettant d'assurer cette maîtrise, car tel est notre objectif.
Comme plusieurs d'entre vous l'ont dit au cours de ce débat, il s'agit, à travers la commission, d'avoir une volonté non de planification ou de numerus clausus, mais d'instruction publique pour permettre l'émergence des bons projets et l'élimination des mauvais.
C'est donc d'une attitude d'ouverture. M. Jean-Jacques Robert faisait allusion au travail que les uns et les autres nous faisons sur le terrain. Un des grands problèmes de notre société est la lisibilité : plus on multiplie les seuils, plus on crée des zones d'ambiguité, qui sont en fait souvent des zones de manoeuvre et d'imprécision. Le fait d'avoir un seul seuil me paraît plus simple, plus lisible. Je serai très attentif à l'argumentation de M. Jean-Jacques Robert, pour que la commission ne se laisse pas déposséder de son réel pouvoir d'instruction. Message reçu, messieurs les sénateurs !
J'indique d'ores et déjà que je demande un scrutin public sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Dès lors que sa préoccupation relative à l'activité des garagistes réparateurs d'automobiles a été prise en compte, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° A-1.
M. Henri Collard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Collard.
M. Henri Collard. Je remercie M. le ministre et M. le rapporteur d'avoir proposé cet amendement supplémentaire concernant l'exclusion des garages.
En effet, l'amendement que nous avions déposé, avec M. Jean-Jacques Robert et d'autres collègues, visait essentiellement les garages, car nous ne voyions pas comment un garagiste pouvait travailler normalement sur 300 mètres carrés. Comme nous l'avons vérifié - je l'ai moi-même constaté à de nombreuses reprises dans mon département - un garagiste a souvent à côté de son atelier, quelques véhicules à réparer ou à vendre, et ce ne sont pas toujours des véhicules neufs. Or, ces véhicules se retrouvent fréquemment sur la voie publique. Ils représentent un encombrement supplémentaire dans nos communes et dans nos villes. En effet, ils sont sur les parkings, sur le bord des routes ou sur les trottoirs, dans un état plus ou moins bon.
Voilà la raison pour laquelle nous avions souhaité, au moins pour les garages, que le seuil soit porté à 1 000 mètres carrés. Nous l'avons obtenu. Selon moi, c'était la demande essentielle du groupe de réflexion que nous avions constitué. Les collègues qui avaient cosigné l'amendement et moi-même sommes satisfaits. Je prie M. Jean-Jacques Robert de m'excuser si nous n'avions pas tout à fait la même approche sur ce point, mais, sur l'ensemble, nous sommes d'accord.
M. Bernard Dussaut. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bernard Dussaut.
M. Bernard Dussaut. Nous voterons bien évidemment contre cet amendement n° A-1.
L'amendement initial émanait du groupe de l'artisanat de notre assemblée, qui avait souhaité, à l'unanimité, moduler le dispositif en retenant les seuils de 300 mètres carrés pour le commerce de nature alimentaire et de 1 000 mètres carrés pour le commerce non alimentaire.
En effet, des artisans, notamment ruraux, vont être pénalisés. Vous avez évoqué les garagistes, mais c'est aussi le cas des stations-service. On peut également citer les fabricants de meubles, qui ont besoin de surface pour exposer tout simplement leur fabrication. Il ne s'agit pas là de commerces de grande surface.
En l'occurrence, on ne tient pas compte de la pluralité de notre pays et l'uniformité du seuil est en contradiction avec ce point. Par conséquent, nous ne pouvons accepter une telle situation, et je rejoins là les propos de mon collègue M. Jean-Jacques Robert.
M. Jean-Jacques Robert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Robert.
M. Jean-Jacques Robert. J'ai développé très sereinement les arguments qui militent en faveur de la thèse que je défends et qui a été adoptée hier par notre assemblée. Je comprends le Gouvernement, qui souhaite avoir un seuil unique. Mais il ne mesure pas vraiment, je crois, les inconvénients que cela va provoquer.
En effet, je reste intimement convaincu que les dossiers de création, d'extension et de développement de commerces de 300 mètres carrés à 1 000 mètres carrés seront examinés par des fonctionnaires qui ne sont pas des spécialistes de la question. Cela mettra à mal cette harmonie que vous souhaitez dans la composition de la commission en prévoyant un nombre égal d'élus et de représentants techniques.
J'ai noté que le Gouvernement a demandé au Sénat de se prononcer par scrutin public sur cet amendement. Je ne souhaite pas compliquer les choses, car je sens que notre assemblée va suivre le Gouvernement. Par conséquent, je m'abstiendrai lors de ce vote.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° A-1, accepté par la commission.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 113:

Nombre de votants 315
Nombre de suffrages exprimés 295
Majorité absolue des suffrages 148
Pour l'adoption 222
Contre 73

M. le président. Personne ne demande la parole ?
Je mets aux voix l'article 5, ainsi modifié.

(L'article 5 est adopté.)

Article 20

M. le président. « Art. 20. - I. - Sont considérées comme soldes les ventes accompagnées ou précédées de publicité et annoncées comme tendant, par une réduction de prix, à l'écoulement accéléré de marchandises en stock.
« Ces ventes ne peuvent être réalisées qu'au cours de deux périodes par année d'une durée maximale de six semaines dont les dates peuvent être fixées dans chaque département par le préfet selon des modalités fixées par le décret prévu à l'article 22 et ne peuvent porter que sur des marchandises proposées à la vente et payées depuis au moins un mois à la date de début de la période de soldes considérée.
« II. - Non modifié .................. »
Par amendement n° A- 2 le Gouvernement propose, dans le second alinéa du I de cet article, de remplacer les mots : « peuvent être » par le mot : « sont ».
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Je remercie la Haute Assemblée du vote important qu'elle vient d'émettre et je tiens à assurer M. Jean-Jacques Robert de ma vigilance lors de l'application de ce texte.
L'amendement n° A-2 qui vous est proposé concerne les soldes. Il semblerait que, dans l'interprétation que l'on peut donner du texte que vous avez voté cette nuit, un risque d'ambiguïté subsiste, qu'il conviendrait de corriger. En effet, il est prévu que les dates des soldes « peuvent être » fixées par le préfet, alors que le texte précédent mentionnait qu'elles « sont » fixées par le préfet, ce qui impliquait l'obligation pour les préfets d'établir le calendrier des soldes.
En assouplissant le texte par l'emploi du terme « peuvent », on risque d'aboutir, dans un certain nombre de départements, à l'absence de définition des calendriers, ce qui entraînerait un désordre commercial extrêmement préjudiciable.
Par conséquent, il nous faudrait revenir à une position où, en concertation avec les professionnels, les préfets aient l'obligation d'établir un calendrier des soldes.
Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. La commission avait émis un avis défavorable sur l'amendement de M. Jean-Jacques Robert. Dans la même logique, elle est favorable à la proposition formulée par M. le ministre.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° A 2, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 20, ainsi modifié.

(L'article 20 est adopté.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Bécot, pour explication de vote.
M. Michel Bécot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'issue d'un long débat, parfois complexe, mais toujours empreint de grande sincérité, ce texte relatif à la promotion du commerce et de l'artisanat conserve un équilibre général.
Des améliorations substantielles ont été apportées, malgré quelques imperfections qui toutefois ne remettent pas en cause l'économie générale du projet de loi.
Je tiens à saluer l'excellent travail effectué par les deux rapporteurs, MM. Hérisson et Hyest.
Le groupe de l'Union centriste accordera son soutien indéfectible à ce texte, en espérant, bien sûr, que les améliorations qu'il apporte se concrétiseront sur le terrain, seul domaine véritablement important pour l'ensemble des artisans et des commerçants de ce pays.
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la discussion générale qui a eu lieu lundi soir, notre ami Félix Leyzour a analysé les principales dispositions du texte.
Il s'est arrêté sur les deux volets du projet de loi : le volet commercial et le volet artisanal.
Pour ce qui est du volet commercial, la disposition centrale concerne l'urbanisme commercial.
Désormais, à partir d'une surface de trois cents mètres carrés, il y aura une instruction du dossier. Cette instruction se veut plus transparente que ce qui se passe actuellement.
On verra à l'épreuve si le nouveau dispositif permettra de limiter l'implantation et le développement des grandes surfaces.
Il faut dire que celles-ci ont déjà largement, pour ne pas dire totalement, occupé l'espace. C'est la raison pour laquelle ce projet de loi apparaît comme une démarche à peu de frais en direction du petit commerce aujourd'hui inquiet.
Ce qui manque, nous l'avons souligné dans la discussion, c'est une réforme en profondeur de la fiscalité locale en général, et de la taxe professionnelle en particulier, qui ferait en sorte que le petit et le moyen commerce soient proportionnellement moins taxés que les grandes sociétés de l'industrie du secteur des banques et des assurances, ou que les géants de la distribution.
J'ajoute que le sort du commerce et de l'artisanat est lié au relèvement du pouvoir d'achat des familles. Nos collègues de la majorité sénatoriale se sont bien gardés d'aborder cet aspect des choses.
S'agissant de l'artisanat, certaines des dispositions qui ont été votées reprennent des demandes formulées.
Nous avons souligné dans le débat, que les artisans en général sont en attente de mesures qui, au plan tant social que fiscal, leur permettraient de mieux « respirer » économiquement.
Les artisans du bâtiment traversent une situation particulièrement difficile. Nous avons montré comment une intervention budgétaire de l'Etat était de nature à relancer le logement et, par voie de conséquence, l'activité et l'emploi.
Vous avez été discret sur ce chapitre, monsieur le ministre. Sans doute estimez-vous que tel n'est pas l'objet du présent projet de loi. Mais l'interpellation est forte, pressante et le Gouvernement serait bien inspiré de ne pas y rester sourd.
Nous avons pris part à la discussion sans illusion sur la portée de votre texte et avec la volonté de le marquer de quelques amendements qui, s'ils avaient été adoptés, auraient permis d'aller plus loin dans le sens de la protection, de la défense, de la relance de l'activité pour le commerce et l'artisanat.
Le vote que nous allons émettre sur l'ensemble du projet de loi sera un vote d'abstention, qui ne repousse pas les dispositions qui constituent un pas en avant, mais qui, dans le même temps, souligne la portée très limitée du texte.
M. le président. La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous achevons aujourd'hui l'examen marque une réelle rupture avec les politiques précédemment conduites dans le domaine du commerce et de l'artisanat.
En effet, conformément aux engagements du Président de la République et aux orientations définies dans le plan « PME pour la France », monsieur le ministre, avec ce texte vous donnez, aux commerçants et aux artisans les moyens de s'installer et de se développer dans un environnement concurrentiel plus équilibré. Nous ne pouvons que nous en féliciter et vous en remercier.
Ainsi, vous avez eu raison de modifier la loi Royer qui n'a pas pu empêcher un développement accéléré de l'installation de grandes surfaces, au détriment du petit commerce et, bien souvent, de nos centres-villes. Toutefois, vous ne bloquez pas la modernisation des structures existantes ou la création de surfaces nouvelles. En effet, les mesures adoptées allient la prise en compte des besoins et la maîtrise d'un développement équilibré.
Vous avez également eu raison de modifier la composition de la commission départementale d'équipement commercial, afin de la rendre plus équilibrée, plus transparente et plus performante.
Enfin, nous ne pouvons qu'approuver les dispositions concernant la promotion de l'artisanat, notamment le renforcement des qualifications professionnelles dans ce secteur ô combien important !
Nous avons contribué, par nos propositions, à améliorer le texte et à tracer quelques pistes pour l'avenir. Nous vous apporterons notre soutien dans l'exploitation de celles-ci.
Pour toutes ces raisons, je ne vous surprendrai pas, monsieur le ministre, en vous disant que le groupe du RPR votera ce texte et qu'il a apprécié, tout au long de ce débat, votre capacité d'écoute, votre souci de répondre à chacun et votre esprit d'ouverture.
M. le président. La parole est à M. Bernard Dussaut.
M. Bernard Dussaut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l'a rappelé M. le ministre, ce débat constitue une étape vers l'abrogation définitive de la loi Royer à l'horizon 1997-1998, lorsque les schémas territoriaux d'urbanisme commercial auront été établis.
Nous ne remettons pas en cause la nécessité de réviser cette loi, mais nous avons pu constater, tout au long des discussions, nos divergences quant aux méthodes employées pour atteindre cet objectif.
A travers nos amendements, nous avons défendu une certaine idée de l'aménagement du territoire, qui consiste en la prise en compte de réalités incontournables que nous savons fort disparates. Or l'uniformité des seuils que vous nous avez proposés est contraire au caractère pluriel de notre pays : en retenant un seuil de 300 mètres carrés, vous pensez induire un rééquilibrage de l'espace ; pour notre part, nous redoutons une uniformisation qui serait en contradiction avec la notion d'aménagement concerté du territoire.
D'autres que nous ont exprimé leurs doutes à ce sujet, et notre assemblée ne s'y était pas trompée, puisqu'elle avait adopté l'amendement de M. Collard.
Certes, l'amendement que nous avons déposé n'a pas été retenu, mais la notion de modulation qui nous est chère était défendue notamment par certains de nos collègues du groupe de l'artisanat de notre Haute Assemblée.
Pour ce qui est de la composition de la commission départementale d'équipement commercial, quel rôle réservez-vous désormais aux élus au sein de celle-ci ? Nous partageons cette préoccupation avec M. le rapporteur pour avis : la loi Sapin de 1993 avait déjà réduit la représentation des élus au sein de ces commissions dans un souci de rééquilibrage, mais pourquoi retirer à nouveau un poste aux élus ? Estimez-vous, monsieur le ministre, que les élus soient à ce point responsables de toutes les dérives liées à l'application de la loi Royer ? Vos dénégations à ce sujet ne nous ont pas convaincus. Nous estimons quant à nous indispensable que la place et le rôle des élus soient confirmés. Ils sont l'expression de la démocratie, et il nous paraît donc regrettable de réduire leurs prérogatives.
En outre, ce texte ne comporte aucun volet économique. Le plan « PME pour la France » a suscité beaucoup d'espérances dans le monde de l'artisanat. Mais pensez-vous réellement qu'une meilleure qualification professionnelle permettra, à elle seule, la survie des petites entreprises ? En effet, vous savez comme nous que les chiffres sont alarmants : pour la sixième année consécutive, l'activité du bâtiment, secteur qui regroupe 42 p. 100 des entreprises artisanales, régresse.
Pour toutes ces raisons, et malgré les améliorations notables que permet ce texte, le groupe socialiste s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi sur la promotion du commerce et de l'artisanat témoigne, au même titre que celui sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, que nous avons examiné très récemment, de l'intérêt que le Gouvernement et le Parlement portent aux PME qui, nous le savons, jouent un rôle clé dans notre économie.
Ce texte contribuera à la promotion de l'artisanat grâce à la reconnaissance de sa qualification professionnelle.
En ce qui concerne l'urbanisme commercial, il met fin à des distorsions de concurrence pour l'implantation des commerces.
Il ne s'agit pas, pour nous, de légiférer contre les grandes surfaces, qui font désormais partie intégrante de notre mode de vie. Cependant, la liberté de leur implantation ne doit pas, pour autant, vider nos centres-villes et nos campagnes des petits commerces.
L'objectif est donc bien de favoriser le développement harmonieux de l'ensemble de la distribution. Or, vous l'avez vous-même indiqué plusieurs fois au cours du débat, monsieur le ministre, la réalité, aujourd'hui, c'est un million de mètres carrés de plus chaque année. C'est trop !
En vingt-trois ans, l'urbanisme commercial a bien changé, et - on en conviendra - plus en mal qu'en bien. En modifiant la loi Royer, ce projet de loi rééquilibrera le paysage commercial au profit des PME. A cet titre, je me réjouis du résultat du vote qui vient d'intervenir en seconde délibération, et qui permet de revenir à un seuil unique de 300 mètres carrés.
Monsieur le ministre, vous avez, tout au long de ce débat, clairement répondu à nos attentes. Le groupe des Républicains et Indépendants, qui - cela ne vous aura pas échappé - ne vous a pas ménagé son soutien, vous remercie de votre bonne volonté.
Je tiens également à féliciter nos rapporteurs pour la richesse de leurs explications et pour l'esprit d'ouverture dont ils ont constamment fait preuve.
Ce ne sera une grande surprise pour personne que je dise que le groupe des Républicains et Indépendants votera ce projet. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Robert.
M. Jean-Jacques Robert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet, dont nous achevons l'examen, constitue le second volet d'un ensemble qui intéresse le développement économique et commercial, le premier volet étant constitué par le projet sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, que je rapportais par ailleurs.
Grâce à l'action de nos deux rapporteurs, M. Hérisson pour la commission des affaires économiques, M. Hyest pour la commission des lois, nous avons pu faire en commission un travail considérable, qui a permis de présenter les modifications que notre assemblée était en droit de vouloir apporter à votre projet, monsieur le ministre.
Ces modifications, pour nombre d'entre elles, ont été retenues - je n'y reviens pas. A mon avis, elles sont de nature à permettre le développement de l'artisanat et du commerce.
Sur certains points, nous nous sommes opposés parce que nos critères étaient différents, alors que nous avons la même connaissance du terrain et que nos argumentaires respectifs se fondent sur la même technicité.
Il a fallu que vous vous y repreniez à deux fois pour convaincre notre assemblée ; mais c'est le propre de la démocratie, la raison d'être de nos assemblées et la justification de notre mission d'élu national.
Le vote est intervenu, et en bon démocrate je me rallie donc à l'ensemble des textes qui ont été votés, y compris ceux qui vous ont obligé à demander une seconde délibération.
Je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez réellement répondre aux inquiétudes que nous avons soulignées. A mon avis, si vous ne prévoyez pas une réglementation assez minutieuse, mais assez large dans son esprit, toutes les commissions, à brève échéance, seront embourbées et le développement économique de nos petites et moyennes entreprises, puisque le seuil est fixé à 300 mètres carrés, sera limité. Cela, je ne le souhaite pas, et vous pouvez compter sur ma bonne volonté et sur mon action pour qu'il en soit autrement.
Je voterai donc le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
M. Claude Estier. Le groupe socialiste s'abstient.
M. Robert Pagès. Le groupe communiste également.

(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Je tiens, en cet instant, à adresser à la fois mes remerciements et mes félicitations à notre collègue M. Hérisson, qui rapportait pour la première fois en qualité de sénateur. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Ces applaudissements me paraissent mérités.
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux remercier la Haute Assemblée d'avoir adopté ce texte. Elle a permis ainsi de franchir une étape majeure vers un nouvel équilibre commercial dans ce pays, répondant en cela au souhait de M. le Président de la République.
Il y a dans ce pays, vous le savez, des forces très importantes dans le commerce. Mais, si ces forces doivent être équilibrées, elles doivent également être motivées. Or, le présent projet et un texte à la fois de motivation et d'équilibre. Il peut redonner confiance aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat. Je suis très heureux, notamment, que le Sénat ait pu « qualifier » ce texte sur la qualification !
Je veux dire l'amitié qui me lie à M. Hérisson et le respect que j'ai pour le travail qu'il a accompli. Et, puisque vous avez fait allusion, monsieur le président, à sa qualité de « bizuth », qu'il me permette de partager avec lui cette qualité, car c'était également le premier texte que je défendais au poste que j'occupe. Nous avons donc fait nos premiers pas ensemble.
Par-delà la qualité du travail de la commission, son expérience personnelle, ses connaissances, notamment sur l'important dossier du bâtiment, pour lequel la Haute Assemblée a pris des orientations importantes, nous ont beaucoup éclairés. Sur plusieurs points, il a su convaincre le Gouvernement, et je veux l'en remercier.
Je tiens également à dire à M. Hyest combien nous avons apprécié le travail de la commission des lois, qui a peaufiné le texte sur le plan rédactionnel, mais qui l'a aussi amélioré sur le fond. Dans le cadre de la procédure d'urgence, le fait que la commission des lois ait pu se saisir de ce projet de loi a été très utile pour nous. Le texte issu des travaux de la Haute Assemblée est ainsi plus lisible, mieux équilibré et plus solide sur le plan juridique.
Mes remerciements vont encore à tous ceux qui sont intervenus et aux présidents de groupe, MM. de Raincourt, Blin et de Rohan. Ils nous ont permis d'avoir un éclairage complet sur des questions majeures.
MM. Hérisson et Jean-Jacques Robert viennent de rapporter deux textes qui charpenteront dorénavant l'activité économique du commerce et de l'artisanat. Après vingt-trois ans de loi Royer, des conditions nouvelles sont créées.
Les forces économiques vont retrouver une dynamique et l'espoir, et de ce point de vue, elles devront, elles aussi, témoigner de la gratitude à votre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous avez bien voulu signaler, les uns et les autres, qu'il s'agissait de mon premier rapport au Sénat.
Je souhaite, pour ma part, remercier plus particulièrement les administrateurs du Sénat, mais aussi, monsieur le ministre, vos collaborateurs, car, si nous avons parfois fait preuve les uns et les autres de détermination, nous avons travaillé dans la compréhension mutuelle, et le texte que la Haute Assemblée vient d'approuver montre bien que, malgré la détermination qui nous emmenait parfois sur des chemins différents, nous avons pu trouver l'accord qui permet enfin d'apporter les références à une qualification que le secteur du bâtiment et des travaux publics attend depuis de nombreuses années.
La Haute Assemblée, dans sa sagesse, a également su, partant de la considération que l'homme ne se nourrit pas seulement de pain, faire la différence entre la commission départementale d'équipement commercial et la commission départementale d'équipement cinématographique, et bien démontrer qu'à l'avenir il faudra revenir sur l'aspect culturel de ce problème, qui ne se pose pas seulement en termes économiques.
Je veux rappeler, enfin, que plus de trente personnes ont accepté d'être auditionnées dans un délai relativement bref par la commission. Qu'elles en soient remerciées. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

3

NOMINATION DE MEMBRES
D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire sur le texte que nous venons d'adopter.
Il va être procédé immédiatement à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de cette commission mixte paritaire.
La liste des candidats établie par la commission des affaires économiques et du Plan a été affichée conformément à l'article 12 du règlement.
Je n'ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée, et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Jean François-Poncet, Pierre Hérisson, Jean-Jacques Hyest, Jean-Jacques Robert, Henri Revol, Bernard Dussaut et Louis Minetti.
Suppléants : Mme Janine Bardou, MM. Aubert Garcia, Jean Huchon, Bernard Joly, Félix Leyzour, Alain Pluchet et Roger Rigaudière.
Mes chers collègues, avant d'aborder le point suivant de notre ordre du jour, et en attendant l'arrivée de M. le garde des sceaux, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures trente, est reprise à onze heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

4

INTERVERSION DANS L'ORDRE DU JOUR

M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Selon l'ordre du jour initialement fixé, le Sénat devait d'abord examiner les conclusions de la commission mixte paritaire sur le texte relatif à l'enfance délinquante, puis les conclusions de la commission mixte paritaire sur le texte tendant à renforcer la répression du terrorisme.
La commission des lois a souhaité que l'ordre d'appel de ces textes soit interverti ; j'en suis tout à fait d'accord.
M. le président. L'ordre du jour est ainsi modifié.

5

RÉPRESSION DU TERRORISME

Adoption des conclusions
d'une commission mixte paritaire

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 402, 1995-1996) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les conclusions de la commission mixte paritaire sur lesquelles le Sénat est aujourd'hui appelé à se prononcer sont l'aboutissement d'un travail parlementaire dont on peut considérer qu'il a été constructif.
L'esprit de conciliation qui a animé les deux assemblées et le souci de concertation dont vous avez fait preuve, monsieur le garde des sceaux, ont progressivement permis de trouver un point de vue commun sur un certain nombre de dispositions qui restaient en discussion. Nous sommes ainsi parvenus à un texte qui, tout en répondant, me semble-t-il, aux objectifs du projet de loi initial, s'en distingue substantiellement par le dispositif qui vous est aujourd'hui proposé.
Le Parlement a, en effet, complété le texte déposé par le Gouvernement, notamment en précisant la liste des infractions susceptibles de constituer des actes de terrorisme et en prévoyant certaines peines complémentaires, comme l'interdiction de séjour, en cas de condamnation pour terrorisme.
Inversement, le Parlement a expurgé le projet de loi de plusieurs dispositions qui prévoyaient une aggravation des peines encourues pour certaines infractions, plus particulièrement en cas de violences. Le Sénat avait estimé que l'adoption de ces dispositions serait contraire à la cohérence des sanctions prévues par le nouveau code pénal et au principe de proportionnalité des peines. L'Assemblée nationale et vous-même, monsieur le garde des sceaux, aviez partagé dans une large mesure l'analyse de notre assemblée.
Cet esprit de conciliation a sensiblement facilité la tâche de la commission mixte paritaire. En effet, à l'issue de deux lectures au sein de chaque assemblée, seules trois questions demeuraient en discussion.
Première question : fallait-il préciser le caractère intentionnel de l'infraction terroriste ?
Deuxième question : fallait-il prévoir, en cas de destruction non dangereuse pour les personnes, des peines pouvant aller jusqu'à dix ans d'emprisonnement ?
Troisième question : fallait-il exonérer de poursuites pénales les proches d'un étranger qui avaient aidé celui-ci à séjourner irrégulièrement sur notre territoire national ?
Sur la première question, le Sénat avait répondu par l'affirmative. L'Assemblée nationale était opposée à cette précision. Oui, il nous paraissait souhaitable de préciser expressément qu'une infraction ne pourrait être qualifiée de terroriste que si son auteur avait effectivement eu l'intention de participer à une entreprise ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.
Nos collègues députés estimaient que l'article 121-3 du nouveau code pénal - aux termes duquel « il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre » - rendait inutile une telle précision. Nous avions pensé au contraire, tant en première qu'en deuxième lecture, qu'un doute existait en raison de la spécificité de l'acte de terrorisme.
Je ne reviens pas sur le détail de cette appréciation. Je rappelle simplement que l'acte de terrorisme est une infraction à deux étages, car il suppose non seulement une infraction couverte par l'article 121-3 - c'est le premier étage - mais également - c'est le second étage - que cette infraction soit commise dans des circonstances particulières. Or, rien ne permet d'affirmer avec certitude que le principe général s'applique au second étage. Nous avions préféré lever toute ambiguïté - et vous nous aviez d'ailleurs soutenu, monsieur le garde des sceaux - afin d'éviter qu'un délinquant puisse être considéré comme terroriste à son corps défendant.
Comme vous le voyez, sur ce premier point, la divergence était sensible entre les deux assemblées. Elle portait non pas véritablement sur le fond, sur l'objectif à atteindre, mais seulement sur la technique législative permettant d'y parvenir.
La commission mixte paritaire a eu à trancher, et elle s'est ralliée majoritairement à la position du Sénat.
Il sera donc désormais indiqué expressément que l'acte de terrorisme suppose l'intention de participer à une entreprise ayant pour objet de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.
Cela ne signifie pas pour autant - je tiens à le souligner une fois encore, car l'objection a été soulevée - que, par une interprétation a contrario , les infractions pour lesquelles l'intention coupable ne serait pas exigée expressément deviendraient des infractions non intentionnelles. Une telle interprétation est impossible dès lors que ces infractions ne présentent pas la spécificité de l'acte de terrorisme : pour ces infractions ordinaires, nous le précisons à nouveau, le principe de l'article 121-3 du code pénal s'applique sans ambiguïté aucune.
La deuxième question en discussion porte sur l'aggravation des peines encourues pour destruction.
Sur ce point, monsieur le garde des sceaux, ce n'est qu'en seconde lecture que vous aviez accepté la position du Sénat en vous en remettant à sa sagesse.
Nous avions considéré qu'une aggravation des peines pour une destruction non dangeureuse pour les personnes, qui aurait porté ces peines à dix ans d'emprisonnement lorsque trois circonstances aggravantes auraient été réunies, était manifestement disproportionnée. Elle aurait placé les destructions non dangereuses pour les personnes sur le même plan que l'association de terroristes ou les violences ayant entraîné une mutilation permanente. Le rapprochement de ces deux incriminations me paraissait à lui seul éloquent.
En commission mixte paritaire, le rapporteur de l'Assemblée nationale ne s'est pas opposé à la suppression de ce dispositif et la commission mixte paritaire a en conséquence retenu, ici encore, la position du Sénat.
J'en viens à la troisième question : fallait-il, comme nous le proposait le Gouvernement et comme nous l'avaient auparavant proposé nos collègues du groupe socialiste, instituer une exonération de poursuites pénales au profit des proches d'un étranger qui auraient aidé celui-ci à séjourner irrégulièrement en France ?
La question s'était posée en raison d'une différence de traitement difficile à justifier, sauf par référence historique : d'une part, l'article 19 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit un an d'emprisonnement à l'encontre de l'étranger en situation irrégulière ; d'autre part, l'article 21 de cette même ordonnance prévoit cinq ans d'emprisonnement à l'encontre de ceux qui lui prêtent assistance. En d'autres termes, les proches de l'étranger qui lui viennent en aide pour des raisons humanitaires faciles à comprendre et non dans un but lucratif encourent une peine cinq fois supérieure à celle qui est encourue par l'auteur de l'infraction principale.
Le Sénat avait été sensible à cette argumentation, mais il avait considéré qu'elle ne saurait pour autant conduire à exonérer les proches de l'étranger de toutes poursuites pénales.
C'est ce que nous avait proposé en première lecture le Gouvernement.
C'est pourquoi le Sénat avait voté l'amendement de M. le garde des sceaux, mais uniquement pour laisser le débat ouvert. J'avais d'ailleurs souligné à cet instant que cet amendement aurait dû être réécrit par la commission mixte paritaire.
C'est ce qu'elle a fait et j'ai proposé à la commission mixte paritaire un amendement qui a fait l'objet de la part du rapporteur de l'Assemblée nationale d'un sous-amendement de précision, lui-même rectifié par le président de la commission des lois du Sénat, M. Jacques Larché.
Cette discussion en commission mixte paritaire a permis d'aboutir à une nouvelle rédaction de l'article 23 A qui exclut toute poursuite pénale contre les proches de l'étranger sur la base du seul article 21 de l'ordonnance de 1945. Cela signifie que ces personnes pourront être poursuivies sur le fondement d'autres dispositions, notamment - c'est précisé expressément dans le texte de la commission mixte paritaire - sur le fondement de l'article 19, pour complicité au séjour irrégulier.
L'article 21 de l'ordonnance devient donc véritablement réservé aux « passeurs-professionnels ». Par ailleurs, les proches de l'étranger n'encourent plus une peine cinq fois supérieure à celle qui est encourue par l'auteur de l'infraction principale sans être pour autant à l'abri de toutes poursuites pénales.
Il me semble donc que ce dispositif, auquel nous sommes parvenus après négociation et réflexion communes, est équilibré. Nous devons cela à votre initiative, monsieur le garde des sceaux, que je tiens à saluer ici.
Comme vous le voyez, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte adopté par la commission mixte paritaire est quasiment identique à celui qui a été voté par le Sénat voilà un mois.
Je sais bien que le rôle de notre assemblée consiste essentiellement à déplacer un certain nombre de virgules. En l'occurrence, les virgules que nous avons déplacées me paraissent substantielles et elles ont recueilli l'assentiment de l'Assemblée nationale.
Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, du concours que vous avez apporté, par votre compréhension et votre lucidité, à l'élaboration d'un texte difficile.
Je suggère à la Haute Assemblée de bien vouloir ratifier les propositions de la commission mixte paritaire qui sont, dans leurs grandes lignes, les positions du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis vivement que la commission mixte paritaire ait abouti à un texte qui a été adopté hier soir par l'Assemblée nationale et qui est maintenant soumis à la Haute Assemblée.
Je m'en réjouis et j'indique immédiatement que le Gouvernement se rallie complètement au dispositif qui a été adopté par la commission mixte paritaire.
Sur les points qui restaient en litige, les solutions qui ont été trouvées par la commission mixte paritaire sont effectivement de bonnes solutions.
Elles sont de plus équilibrées puisque, s'agissant de l'élément intentionnel, c'est la position du Sénat qui a prévalu et, en ce qui concerne le délit d'aide au séjour irrégulier et l'exonération familiale c'est, au contraire, une solution consensuelle qui a été retenue.
Enfin, sur l'article 15 du titre II, la position qui a été prise - vous vous souvenez sans doute que j'avais laissé largement ouvert le débat sur ce point - est une position raisonnable.
Je tiens à insister tout particulièrement, comme vient de le faire M. le rapporteur - je ne répéterai pas ce qu'il a dit dans le détail - sur le caractère à la fois opportun et juridiquement satisfaisant du texte auquel la commission mixte paritaire est parvenue en ce qui concerne le délit d'aide au séjour irrégulier d'un étranger ayant participé à une entreprise terroriste et l'exonération familiale que nous avions, à la suite de la première lecture au Sénat, envisagée et introduite sous forme d'amendement dans le texte à l'Assemblée nationale.
Je pense que nous aboutissons ainsi à un texte tel que nous l'avons voulu, c'est-à-dire équilibré, d'une part, dans les moyens supplémentaires qu'il donne à la lutte anti-terroriste tels, par exemple, que la perquisition de nuit - celle-ci est très étroitement encadrée par l'autorité judiciaire, ce qui est indispensable, et j'espère simplement que nous n'aurons pas l'occasion de nous en servir - et, d'autre part, quant au respect de nos principes constitutionnels et à la protection des libertés individuelles qui sont parfaitement assurés par les dispositions adoptées conjointement par l'Assemblée nationale et le Sénat.
Voilà pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement souhaite que le Sénat adopte, à la plus large majorité possible, les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite, en préambule à mon intervention et à l'issue de l'examen de ce projet de loi, rappeler que le groupe communiste républicain et citoyen condamne fermement les actes de barbarie du terrorisme et tient à nouveau à s'associer à la douleur des familles des victimes. Il soutient les forces qui luttent, souvent avec efficacité, contre un tel fléau qui tend à imposer ses décisions néfastes par un chantage à la mort de victimes innocentes.
Dès lors, toutes les mesures, tous les moyens ayant pour objectif d'améliorer l'efficacité de la lutte contre le terrorisme doivent être étudiés avec un soin tout particulier.
C'est dans un tel état d'esprit que nous avons abordé l'examen de ce projet de loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire.
Une première remarque, évidente, concerne les sujets pour le moins disparates et sans lien apparent entre eux des différents chapitres de votre texte. Le titre même est riche d'enseignements.
Sauf à vouloir faire l'amalgame entre une insulte ou un outrage et un acte terroriste, on ne comprend pas, en effet, les raisons qui ont conduit le Gouvernement à engager une discussion commune sur des questions aussi différentes que le terrorisme et les atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique. Les débats qui ont eu lieu en première ou en deuxième lecture ne nous ont pas éclairés sur ce point.
De même est-il étonnant de découvrir que les derniers chapitres n'ont rien à voir avec les deux précédents.
Pour revenir à ce qui était, aux dires du Gouvernement, l'objectif premier de ce projet de loi, à savoir améliorer l'efficacité de la lutte contre le terrorisme, force est de constater que cet objectif, certes légitime, ne saurait être atteint par votre texte.
Nous avons eu l'occasion de le démontrer au cours des débats et de rappeler que les forces de police engagées dans la lutte contre le terrorisme disposent de moyens importants.
Vous le savez, mes chers collègues, elles ont obtenu des résultats non pas en utilisant des mesures exceptionnelles - des opérations coups de poing comme les rafles - mais bien en mettant en oeuvre des méthodes traditionnelles d'investigation.
Cela démontre, s'il en était encore besoin, qu'il n'est nul besoin, pour lutter contre toute forme de violence, y compris la plus extrême, d'adopter une législation d'exception dont les conséquences, en termes d'atteintes aux libertés publiques et individuelles, sont bien réelles.
J'en veux pour preuve l'autorisation que vous offrez aux forces de police de perquisitionner de nuit, y compris au cours d'une enquête préliminaire.
J'en veux pour preuve également l'association qui n'a pas manqué d'être faite et que nombre de parlementaires, y compris de votre majorité, ont relevée, entre un étranger et un terroriste.
Ainsi, le délit d'aide à l'entrée et au séjour irrégulier a-t-il été inséré dans la liste des crimes et délits de droit commun auxquels peut être donnée la qualification terroriste s'ils sont commis en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.
Le procès de « mauvaise foi », de « démagogie » ou encore « d'imprécision » que vous nous avez fait à ce propos, monsieur le garde des sceaux, était malvenu. Les associations humanitaires et de défense des droits de l'homme ne s'y sont d'ailleurs pas trompées.
Il est à noter qu'en ce domaine le Gouvernement, compte tenu des réactions de protestation de ces mêmes associations, avait fait voter un amendement par le Sénat, que nous avions adopté comme un moindre mal, tendant à éviter que ne soient poursuivis les proches parents de l'étranger clandestin qui ont aidé ce dernier à séjourner irrégulièrement en France.
L'Assemblée nationale avait refusé de suivre le Gouvernement et le Sénat, considérant qu'une telle disposition modifiant l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France constituait un « cavalier législatif ».
En commission mixte paritaire, un « compromis » aurait été trouvé. Ainsi, toute poursuite pénale à l'encontre du conjoint, des ascendants et des descendants de l'étranger est exclu sur la base de l'article 21 de l'ordonnance précitée, mais la possibilité de poursuivre est offerte au titre de l'article 19 de la même ordonnance.
Sur le fond, nous estimons que, malgré cette petite manoeuvre parlementaire, rien n'est changé : l'amalgame entre terroriste et étranger demeure.
Comme le reconnaissait indirectement M. le garde des sceaux à l'Assemblée nationale, lors de son échange pour le moins animé avec le président de la commission des lois, M. Mazeaud, seule la suppression de la référence au délit d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers dans l'article 1er de ce projet de loi aurait permis d'éviter cet amalgame et n'aurait en rien empêché de poursuivre un étranger - ou ses complices - qui se livre à des activités terroristes sur le sol français.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Ça, c'est vous qui l'ajoutez ! J'ai bien prononcé la première partie de votre phrase, mais la seconde, je ne l'ai pas dite.
M. Robert Pagès. Oui, c'est moi qui l'ajoute, je vous en donne acte.
Bien entendu, nous nous satisfaisons de l'adoption, en commission mixte paritaire, des modifications précisant le caractère intentionnel des infractions pouvant être qualifiées d'infractions liées à une activité terroriste.
De même, nous considérons parfaitement justifié le maintien de la suppression de l'article 15, qui alourdissait à l'excès les peines encourues pour destruction, dégradation ou détérioration d'un bien en cas de cumul de circonstances aggravantes.
Cela étant, vous comprendrez que nous ne saurions donner notre aval à un texte inefficace en matière d'amélioration de la lutte contre le terrorisme, et au surplus attentatoire aux libertés tant publiques qu'individuelles, à un projet qui aggrave, en outre, les peines encourues, déjà lourdes pour qui commet une infraction à l'égard des personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public.
Ce n'est pas en renforçant la répression, en développant une législation d'exception, en flattant une certaine catégorie de la population prompte à accuser de tous les maux les jeunes des banlieues ou les étrangers que vous contribuerez à lutter contre la violence sous toutes ses formes.
Tel est le sens du vote négatif du groupe communiste républicain et citoyen.
M. Jean-Pierre Schosteck. Vous êtes contre le terrorisme, mais vous méprisez les moyens de lutter contre !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.
Je donne lecture du texte de la commission mixte paritaire :

« Chapitre Ier

« Dispositions tendant à renforcer
la répression du terrorisme

« Section 1

« Dispositions modifiant le code pénal

« Art. 1er. - L'article 421-1 du code pénal est ainsi modifié :
« 1° AA Dans le premier alinéa, après les mots : " lorsqu'elles sont ", il est inséré le mot : " intentionnellement » ;
« 1° A Supprimé.
« 1° à 4 Non modifiés.
« Art. 1er bis . - Dans le premier alinéa de l'article 421-2 du même code, après les mots : " lorsqu'il est ", il est inséré le mot : " intentionnellement.

« Section 2

« Dispositions modifiant le code de procédure pénale


« Section 3

« Disposition modifiant le code civil


« Chapitre II

« Dispositions tendant à renforcer
la répression des atteintes aux personnes
dépositaires de l'autorité publique
ou chargées d'une mission de service public

« Art. 15. - Supprimé .

« Art. 9. - Au 5° de l'article 398-1 du code de procédure pénale, après la référence : " 322-14, ", il est inséré la référence : " 433-3 (premier alinéa), ".

« Chapitre III

« Dispositions relatives à la police judiciaire


« Chapitre IV

« Dispositions diverses

« Art. 23 A. - L'article 21 de l' ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France est complété par un III ainsi rédigé :
« III. - Sans préjudice de l'article 19, ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement du présent article l'aide au séjour irrégulier d'un étranger lorsqu'elle est le fait :
« 1° D'un ascendant ou d'un descendant de l'étranger ;
« 2° Du conjoint de l'étranger, sauf lorsque les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément. »

Quelqu'un demande-t-il la parole sur l'un de ces articles ?...

Vote sur l'ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je serai très bref, car nous avons sans doute tout dit au cours des différentes lectures de ce texte, qui ont été curieusement espacées dans le temps.
Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le préciser, mais je le répète car cela me paraît important, si ce texte avait vraiment été utile à la lutte contre le terrorisme, le Gouvernement aurait été bien coupable d'attendre si longtemps pour le soumettre à nouveau à l'examen du Sénat. Je rappelle en effet que le conseil des ministres l'avait adopté le 25 octobre 1995. Fort heureusement, les mesures proposées n'étaient pas indispensables en la matière puisqu'on a pu continuer à lutter contre le terrorisme.
Bien entendu, nous sommes nous aussi, comme tout le monde, extrêmement sensibles aux actes de terrorisme, que nous condamnons absolument. Cela étant, le texte qui est venu en discussion comportait plusieurs chapitres tout à fait différents les uns des autres, à tel point que l'on avait parlé de texte portant diverses mesures d'ordre pénal.
Certains articles, comme on vient de le rappeler, visaient à aggraver les peines déjà lourdes prévues par le code pénal pour les personnes coupables d'outrage, par exemple à l'encontre des dépositaires de l'autorité publique ou des personnes chargées d'une mission de service public.
D'autres articles tendaient simplement à ajouter les mots de « policiers » ou de « gendarmes » au texte visant et protégeant les dépositaires de l'autorité publique ou les personnes chargées d'une mission de service public, comme si ces mots eux-mêmes ne recouvraient pas déjà ceux de policiers et de gendarmes.
Il s'agit d'effets d'affiche. Il n'y a pas de raison de ne pas continuer à le faire, et il est bien regrettable que le temps et l'attention des parlementaires soient retenus aussi longtemps pour des mesures qui sont totalement inutiles et qui n'ajoutent strictement rien à des dispositions de procédure pénale ou de droit pénal.
Par ailleurs, il a fallu, une fois de plus, définir ce qu'est un officier de police judiciaire, étant entendu que, plus ça va, moins on demande de qualités et d'expérience à ceux qui sont reconnus comme tels.
Enfin, en ce qui concerne les dispositions relatives au terrorisme proprement dit, nous avons, en effet, déploré que les saisies et les perquisitions soient désormais possibles y compris en matière d'enquête préliminaire. Entre les soupçons qui peuvent être portés et l'établissement de la culpabilité, il y a souvent une grande différence.
De même, il est très important de ne pas multiplier les délits qui peuvent être considérés comme liés à des entreprises de terrorisme, dans la mesure où une qualification peut être changée. Qualifier tel ou tel délit comme étant un acte de terrorisme permet de garder les intéressés à vue plus longtemps, mais entraîne aussi la compétence exclusive de Paris, ce qui est gênant tant pour les familles de ceux qui sont mis en examen que pour les éventuelles parties civiles et les familles des victimes. Or ce texte continue à les multiplier.
Le texte comporte deux aspects positifs, auxquels nous nous honorons d'avoir contribué. En premier lieu, nous avons demandé en commission que soit retenu l'adverbe « intentionnellement » pour que soit bien précisé que le fait d'ignorer avoir commis un délit en relation avec des actes de terrorisme évite à son auteur d'être poursuivi pour acte de terrorisme.
Nous sommes reconnaissants au Sénat et au Gouvernement de l'avoir accepté et finalement imposé à l'Assemblée nationale.
En second lieu, concernant le sort réservé aux familles de ceux qui hébergent des proches et qui seraient des clandestins ou des irréguliers, nous sommes dans l'obligation de rappeler que c'est nous qui avons demandé de leur appliquer la même immunité que celle qui est appliquée en matière de recel de criminel.
Nous ne sommes pas arrivés à nos fins. La montagne a accouché d'une souris puisque, en définitive, vous avez bien voulu admettre tout de même que le fait de les exposer à une condamnation de cinq ans de prison alors que les intéressés eux-mêmes ne risquent qu'un an n'était pas normal. Vous avez donc accepté pour eux la limite de la sanction maximale prévue par l'article 19 de l'ordonnance de 1945 plutôt que celle qui figure à l'article 21.
Le combat continuera. Nous espérons convaincre un jour, sinon le Sénat, du moins l'Assemblée nationale dans la mesure où elle a le dernier mot, qu'il serait tout à fait normal de traiter ces proches comme sont traités tous les proches des malfaiteurs lorsqu'ils les recèlent.
Au total, le bilan est négatif et c'est pourquoi nous voterons contre ce texte.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
M. Robert Pagès. Le groupe communiste républicain et citoyen votre contre.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le groupe socialiste également.

(Le projet de loi est adopté.)

6

ENFANCE DÉLINQUANTE
Adoption des conclusions
d'une commission mixte paritaire

M. le président. L'ordre du jour apelle la discussion des conclusions du rapport (n° 403, 1995-1996) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant modification de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Rufin, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a un mois, le Sénat adoptait le projet de loi portant modification de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
Quoique aucun des articles n'ait été voté dans les mêmes termes par les deux assemblées, le texte de l'Assemblée nationale et celui du Sénat étaient en fait proches l'un de l'autre.
A l'article 1er, relatif à la convocation par officier de police judiciaire, la seule modification que nous avions apportée consistait à exiger un écrit du procureur de la République pour recourir à cette procédure.
Ce point a donné lieu à un très large débat au sein de la commission mixte paritaire. Pour les uns, l'exigence d'un écrit devait réduire les risques de nullité en garantissant de manière indiscutable que le procureur de la République a bien eu connaissance de la procédure engagée. Pour les autres, cette exigence aurait été une cause d'alourdissement de la procédure non seulement inutile, mais même souvent impossible à respecter, puisque les gendarmes ne sont pas pourvus, ni équipés de télécopieurs, et que par ailleurs chacun des bureaux, et du Parquet et de l'officier de police judiciaire, a une main courante où sont indiquées toutes les communications téléphoniques et les visites reçues.
C'est cette seconde position, qui avait d'ailleurs été celle du Gouvernement lors de la première lecture, qui a été retenue par la commission mixte paritaire. Celle-ci a donc adopté l'article 1er dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale.
En revanche, à l'article 2, relatif au jugement du mineur après convocation par officier de police judiciaire, c'est le texte du Sénat qui, sous réserve d'une modification purement rédactionnelle, a été adopté par la commission mixte paritaire. Je vous rappelle que nous avions complété cet article en précisant, notamment, que le juge des enfants ne pourrait statuer selon la nouvelle procédure de convocation par officier de police judiciaire s'il ne disposait pas d'informations suffisantes sur les moyens appropriés à la rééducation du mineur.
A l'article 2 bis, relatif aux personnes convoquées et informées par le juge des enfants, la commission mixte paritaire est revenue à la rédaction de l'Assemblée nationale, afin que les personnes convoquées soient les mêmes que les personnes tenues informées. Je vous rappelle que le Sénat avait notamment estimé que le service auquel un mineur est confié ne serait pas convoqué, ledit service n'ayant pas vocation à représenter le mineur en justice.
Pour ce qui est des articles 3 à 4 ter, c'est la rédaction du Sénat qui a été retenue par la commission mixte paritaire.
L'article 3, relatif à la consultation du service éducatif auprès du tribunal dans le cadre d'une comparution à délai rapproché, avait été complété par le Sénat afin que cette consultation intervienne non seulement lorsque la comparution à délai rapproché serait décidée dès le début de la procédure, mais également lorsqu'elle serait décidée en cours de procédure.
A l'article 4, qui institue la comparution à délai rapproché, nous avions notamment exigé que les renseignements sur le mineur dont dispose le juge des enfants soient versés au dossier dès le début de la procédure et que les formalités relatives aux droits de la défense du mineur soient mentionnées au procès-verbal sous peine de nullité.
L'article 4 bis avait été inséré par le Sénat à la suite d'une initiative de nos collègues du groupe socialiste, du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe de l'Union centriste. Cet article supprime toute condition d'âge pour la mise sous protection judiciaire.
L'article 4 ter avait également été inséré par le Sénat. Il étend la procédure d'ajournement devant le tribunal pour enfants afin d'aboutir à une procédure similaire, en pratique, à la césure pénale, procédure réclamée par nombre de nos collègues. Ce faisant, cet article donne satisfaction aux praticiens entendus par la commission, qu'ils soient avocats, magistrats ou éducateurs, qui avaient appelé de leurs voeux l'extension de la césure pénale devant le tribunal pour enfants.
Le dernier article du projet de loi, l'article 5, concerne l'application du texte dans les territoires d'outre-mer et à Mayotte. Le Sénat l'avait complété pour préciser que cette application trouverait ses limites dans les compétences dévolues à ces collectivités par leur statut respectif. La commission mixte paritaire, jugeant une telle précision inutile, est revenue au texte de l'Assemblée nationale.
J'en ai terminé, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avec la présentation du texte de la commission mixte paritaire. Je me suis efforcé d'être bref car, ainsi que je l'ai indiqué au début de mon intervention, le texte de loi adopté par le Sénat était en fait fort proche de celui qui a été adopté par l'Assemblée nationale. En conséquence, le texte que nous vous soumettons aujourd'hui est également fort proche de celui que vous aviez voté le 15 mai dernier. C'est pourquoi, je pense qu'il devrait, dans une large mesure, recevoir l'approbation de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l'ai dit dans les mêmes termes voilà un instant, à propos du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, je me réjouis que, le Sénat et l'Assemblée nationale soient encore une fois, parvenus, en commission mixte paritaire, à élaborer un texte commun qui est examiné ce matin par la Haute Assemblée et qui a été adopté hier soir par l'Assemblée nationale.
Votre rapporteur, M. Michel Rufin, nous a excellemment fait part des discussions qui ont eu lieu et des décisions prises par la commission mixte paritaire.
Je n'y reviendrai donc pas ; je me contenterai de souligner que le Gouvernement approuve les propositions que vous a faites la commission mixte paritaire et demande au Sénat de les adopter.
J'ajouterai simplement que le texte, tel qu'il ressort des travaux de la commission mixte paritaire, présente bien la caractéristique que le Gouvernement avait voulu imprimer au projet de loi, c'est-à-dire l'équilibre. En effet, de nouvelles dispositions de procédure pénale adaptées aux mineurs permettent que le rappel au respect de la loi du mineur délinquant soit plus rapide et plus effectif, et qu'ainsi la justice des mineurs puisse prendre réellement toute sa place dans la lutte contre la délinquance juvénile, laquelle, malheureusement, s'accroît aujourd'hui.
Par ailleurs, cette procédure et les autres dispositions prises dans le cadre du plan de relance pour la ville, telles que la création d'unités à encadrement éducatif renforcé, préservent le principe fondamental qui régit la justice des mineurs en France, à savoir le primat de l'éducatif.
Le projet de loi initial comportait cet équilibre ; le Gouvernement a fait le nécessaire pour que, lors des débats dans les deux assemblées, les majorités le respectent. Aujourd'hui, le texte de la commission mixte paritaire permet lui aussi parfaitement d'atteindre l'objectif recherché.
Les dernières dispositions adoptées par la commission mixte paritaire permettront, si elles sont votées, d'assurer l'environnement éducatif nécessaire pour mettre en oeuvre la décision prise par le juge, dans le cadre de la nouvelle procédure pénale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les raisons pour lesquelles j'invite le Sénat à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire, qui sont, je le crois, à l'honneur du Parlement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avant de donner l'avis de notre groupe sur les conclusions de la commission mixte paritaire, je voudrais rappeler brièvement, d'une part, notre position sur le problème de la délinquance des mineurs, et, d'autre part, les raisons qui ont justifié notre vote contre ce projet de loi en première lecture et qui continuent de motiver notre opposition.
La crise que traverse notre société frappe la jeunesse. Elle frappe encore plus fortement les jeunes de certains quartiers où se concentrent les difficultés et la pauvreté. L'échec scolaire, les conditions de vie difficiles dans certaines cités, enfin et surtout le chômage font, hélas ! basculer de nombreux jeunes dans la délinquance.
Tous ces faits sont connus ; ils ont d'ailleurs été largement développés lors de la discussion du projet de loi en première lecture.
S'il est nécessaire de faire appliquer la loi, s'il ne saurait être question d'excuser les comportements délictueux de mineurs, il est encore plus urgent de s'attaquer aux causes de cette délinquance.
Le Gouvernement est-il décidé à développer et à mettre en oeuvre une véritable politique de prévention ?
Le projet de loi dont nous débattons actuellement, monsieur le garde des sceaux, s'inscrirait dans le contexte d'un pacte de relance pour la ville, qui comporte un volet relatif à la prévention de la délinquance juvénile.
Si j'ai bien écouté votre intervention en première lecture, trois mesures sont prévues : la mise en place de plans départementaux de prévention de la délinquance, dont l'objectif est de renforcer la cohérence des actions en la matière ; la création de vingt unités à encadrement éducatif renforcé pour septembre 1996 ; enfin, l'institution d'une cellule d'information qui facilitera la recherche de lieux d'accueil pour les jeunes délinquants.
Vraiment, l'effort consenti et annoncé par le Gouvernement est dérisoire !
Tant que celui-ci ne se décidera pas à remédier à la pénurie des moyens humains et matériels en matière de prévention sociale, toute mesure ne sera que pur effet d'annonce.
Venons-en maintenant au volet législatif du pacte de relance pour la ville, c'est-à-dire à la réforme de procédure de la justice pénale des mineurs.
L'attitude du groupe communiste républicain et citoyen en ce qui concerne le traitement de la délinquance juvénile est claire : les mesures éducatives doivent être la règle et les sanctions pénales l'exception.
Rien n'est plus inefficace que la répression dans un tel domaine ; elle conduit de manière quasi systématique les jeunes à la récidive - on parle d'un taux de 74 p. 100 sur trois ans ; elle les entraîne dans un processus de marginalisation et d'exclusion accrues.
Le projet de loi a pour objectif d'accélérer le cours de la justice pénale des mineurs afin d'accroître son efficacité.
Ce souci est parfaitement légitime, mais ce faisant on porte atteinte à l'esprit de l'ordonnance de 1945.
Cette ordonnance, qui régit le droit pénal des jeunes délinquants, est la consécration du principe de primauté de l'éducatif. Cette législation organise une procédure spécifique dirigée par le juge des enfants, qui prend en compte la personnalité du mineur et conduit à des mesures éducatives.
La voie que le Gouvernement a choisi d'emprunter pour remédier à la lenteur de la justice me paraît inquiétante.
L'intervention de la police judiciaire et du parquet est renforcée au détriment du juge des enfants. Les deux nouvelles procédures constituent, selon les propos de M. le rapporteur lui-même, une dérogation au principe, jusqu'à présent absolu, selon lequel, en matière de délinquance des mineurs, le jugement ne peut avoir lieu qu'après une information préalable. Cette information est essentielle - faut-il le rappeler ? - pour une appréciation de la personnalité du mineur et donc pour le choix de la mesure éducative adéquate.
Le projet de loi tend à rapprocher le droit pénal des mineurs du droit applicable aux majeurs, risquant ainsi de priver, à terme, les mineurs de la protection originale qui avait été mise en place par l'ordonnance de 1945.
Comment pouvons-nous accepter de telles entorses alors qu'on pourrait remédier au problème de la lenteur de la justice sans réforme de procédure ? Je veux parler, bien sûr, de l'accroissement des ressources financières de l'appareil judiciaire et de la création de nouveaux postes à tous ses niveaux.
Comment, en effet, envisager une politique d'envergure en matière de délinquance juvénile avec seulement trois créations de poste de juge des enfants en 1996 ?
Vous savez bien, monsieur le garde des sceaux, que l'option éducative exige, par sa nature même, du temps et des moyens. Vous savez aussi que ceux-ci font défaut et que tous les professionnels de la justice s'en plaignent.
C'est donc à cette carence de moyens tant matériels qu'humains qu'il faut s'attaquer en priorité, car c'est elle qui rend impossible le respect de délais raisonnables entre la date de l'infraction commise par le mineur et la date du jugement ; c'est elle aussi qui rend difficile un bon suivi éducatif.
Une vraie politique de lutte contre la délinquance juvénile devrait donc développer avant tout la capacité de l'appareil judiciaire et la capacité du service éducatif.
Comme on pouvait s'y attendre, les conclusions de la commission mixte paritaire n'apportent pas de modifications substantielles au projet de loi. Les deux nouvelles procédures proposées par le Gouvernement et adoptées par les deux assemblées en première lecture, à savoir la convocation par l'officier de police judiciaire et la comparution à délai rapproché, sont maintenues.
Néanmoins, on peut se féliciter, à titre de consolation, de l'adoption par la commission mixte paritaire des deux articles additionnels 4 bis et 4 ter , introduits par le Sénat.
Ainsi, la procédure d'ajournement devant le tribunal pour enfants devient applicable aux délits les plus graves, et les mesures de protection judiciaire sont étendues aux mineurs de plus de seize ans ; c'est bien.
Quoi qu'il en soit, le texte du Gouvernement étant reconduit dans ces grandes lignes, les modifications apportées par la commission mixte paritaire ne sauraient, à elles seules, nous satisfaire. Le groupe communiste républicain et citoyen confirme donc qu'il votera contre ce projet de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.
Je donne lecture du texte de la commission mixte paritaire :

« Art. 1er. - L'article 5 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est ainsi modifié :
« 1° Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Lorsqu'il saisira ledit juge des enfants ou ledit président par requête, il pourra requérir la comparution à délai rapproché du mineur en application de l'article 8-2. » ;
« 2° Le troisième alinéa est ainsi rédigé :
« Le procureur de la République pourra également donner instruction à un officier ou un agent de police judiciaire de notifier au mineur contre lequel il existe des charges suffisantes d'avoir commis un délit une convocation à comparaître devant le juge des enfants qui en sera immédiatement avisé, aux fins d'application de l'article 8-1. Cette convocation qui vaudra citation à personne entraînera l'application des délais prévus à l'article 552 du code de procédure pénale. » ;
« 3° Au quatrième alinéa, les mots : "l'interrogatoire de première comparution" sont remplacés par les mots : "l'audience" ;
« 4° Après le septième alinéa, il est ajouté deux alinéas ainsi rédigés :
« La victime sera avisée par tout moyen de la date de comparution du mineur devant le juge des enfants.
« La convocation mentionnée aux alinéas précédents peut être également délivrée en vue de la mise en examen du mineur. »
« Art. 2. - Après l'article 8 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 précitée, il est inséré un article 8-1 ainsi rédigé :
« Art. 8-1. - Lorsqu'il sera saisi dans les conditoins définies aux troisième à sixième alinéas de l'article 5, le juge des enfants constatera l'identité du mineur et s'assurera qu'il est assisté d'un avocat.
« I. - Si les faits ne nécessitent aucune investigation supplémentaire, le juge des enfants statuera sur la prévention par jugement en chambre du conseil et, s'il y a lieu, sur l'action civile.
« Lorsqu'il estime que l'infraction est établie, le juge des enfants pourra :
« - s'il constate que des investigations suffisantes sur la personnalité du mineur et sur les moyens appropriés à sa rééducation ont déjà été effectuées, prononcer immédiatement l'une des mesures prévues aux 2, 3 et 4 de l'article 8 ou, encore, ordonner une mesure ou une activité d'aide ou de réparation dans les conditions prévues par l'article 12-1 ;
« - s'il constate que des investigations suffisantes sur la personnalité du mineur et sur les moyens appropriés à sa rééducation ont déjà été effectuées mais envisage de prononcer l'une des mesures prévues aux 5 et 6 de l'article 8, renvoyer l'affaire à une prochaine audience de la chambre du conseil, qui devra avoir lieu au plus tard dans les six mois ;
« - s'il constate que les investigations sur la personnalité du mineur et sur les moyens appropriés à sa rééducation ne sont pas suffisantes, renvoyer l'affaire à une prochaine audience de la chambre du conseil, qui devra avoir lieu au plus tard dans les six mois. Il recueillera des renseignements sur la personnalité du mineur et sur la situation matérielle et morale de la famille dans les conditions prévues aux quatrième et cinquième alinéas de l'article 8.
« Dans le cas où le juge des enfants fait application des dispositions de l'un ou l'autre des deux alinéas qui précèdent, il pourra ordonner à l'égard du mineur, à titre provisoire, son placement dans un établissement public ou habilité à cet effet, une mesure de liberté surveillée préjudicielle ou une mesure ou activité d'aide ou de réparation à l'égard de la victime, avec son accord, ou dans l'intérêt de la collectivité.
« II. - Si les faits nécessitent des investigations supplémentaires, le juge des enfants procédera comme il est dit aux articles 8 et 10. »
« Art. 2 bis, - Après le premier alinéa de l'article 10 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 précitée, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Quelles que soient les procédures de comparution, le mineur et les parents, le tuteur, la personne qui en a la garde ou son représentant, sont simultanément convoqués pour être entendus par le juge. Ils sont tenus informés de l'évolution de la procédure. »
« Art. 3. - L'article 12 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 précitée est ainsi modifié :
« 1° Dans le premier alinéa, les mots : "l'éducation surveillée" sont remplacés par les mots : "la protection judiciaire de la jeunesse";
« 2° Avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Ce service doit également être consulté avant toute décision du juge des enfants au titre de l'article 8-1 et toute réquisition du procureur de la République au titre des articles 8-2 et 8-3. »
« Art. 4. - Après l'article 8 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 précitée, il est inséré un article 8-2 et un article 8-3 ainsi rédigés :
« Art. 8-2. - En matière correctionnelle, le procureur de la République pourra, s'il constate que les diligences et investigations prévues par l'article 8 ont déjà été accomplies, le cas échéant à l'occasion d'une procédure antérieure, et qu'elles sont suffisantes, et si des investigations sur les faits ne sont pas nécessaires, requérir du juge des enfants, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 5, qu'il ordonne la comparution du mineur devant le tribunal pour enfants ou devant la chambre du conseil dans un délai qui ne pourra être inférieur à un mois ni supérieur à trois mois.
« Dans ce cas, le mineur sera immédiatement présenté au juge des enfants qui constatera son identité et l'informera qu'il a droit à l'assistance d'un avocat de son choix ou commis d'office. Lorsque le mineur ou ses représentants légaux n'auront pas fait le choix d'un avocat, le juge des enfants fera désigner sur-le-champ par le bâtonnier un avocat d'office. L'avocat pourra consulter le dossier dans lequel le juge aura préalablement versé les renseignements sur la personnalité du mineur et sur les moyens appropriés à sa rééducation dont il dispose et communiquer librement avec le mineur. Le magistrat notifiera au mineur les faits retenus à son encontre ainsi que leur qualification juridique et, l'avocat ayant été entendu, recueillera ses déclarations par procès-verbal. Les formalités prévues par le présent alinéa sont mentionnées au procès-verbal à peine de nullité.
« Si le juge des enfants fait droit, à l'issue de la présentation mentionnée au deuxième alinéa, aux réquisitions du procureur de la République, il notifiera au mineur le lieu, la date et l'heure de l'audience. Cette notification sera mentionnée au procès-verbal, dont copie sera remise sur-le-champ au mineur et à son avocat. Les représentants légaux du mineur en seront avisés par tout moyen. Jusqu'à la comparution du mineur, le juge des enfants pourra, le cas échéant, ordonner les mesures prévues aux articles 8, 10 et 11.
« Si le juge des enfants ne fait pas droit aux réquisitions du procureur de la République, il rendra, à l'issue de la présentation du mineur, une ordonnance motivée dont copie sera remise sur-le-champ au mineur, à son avocat et au procureur de la République. Les représentants légaux du mineur en seront avisés par tout moyen.
« Le procureur de la République pourra interjeter appel de cette ordonnance au plus tard le jour suivant la notification de la décision. Cet appel sera notifié au mineur, à ses représentants légaux et à son avocat. Il sera porté devant le président de la chambre spéciale des mineurs de la cour d'appel ou son remplaçant, qui statuera au plus tard dans les quinze jours de sa saisine. La transmission du dossier de la procédure pourra être faite par tout moyen et, notamment, par télécopie.
« Le mineur, ses représentants légaux et son avocat pourront présenter au président de la chambre spéciale des mineurs toutes observations utiles par écrit.
« Le président de la chambre spéciale des mineurs pourra, soit confirmer l'ordonnance du juge des enfants, soit ordonner la comparution du mineur devant le tribunal ou devant la chambre du conseil. Le juge des enfants sera aussitôt avisé de la décision. Lorsque le renvoi aura été ordonné, le procureur de la République devra citer le mineur à comparaître dans le délai fixé par le président de la chambre spéciale des mineurs. Jusqu'à la comparution du mineur, le juge des enfants demeurera compétent pour ordonner, le cas échéant, les mesures prévues aux articles 8, 10 et 11.
« Art. 8-3 . - En matière correctionnelle, le procureur de la République pourra, à tout moment de la procédure, faire application des dispositions de l'article 8-2, sous réserve que les conditions prévues au premier alinéa de cet article soient remplies.
« Le juge des enfants devra statuer dans les cinq jours de la réception de ces réquisitions. Son ordonnance sera susceptible d'appel dans les conditions prévues par les cinquième et sixième alinéas de l'article 8-2.
« Le procureur de la République pourra saisir le président de la chambre spéciale des mineurs ou son remplaçant lorsque le juge des enfants n'aura pas statué dans le délai de cinq jours. Cette saisine sera notifiée au mineur, à ses représentants légaux et à son avocat qui pourront présenter au président de la chambre spéciale des mineurs ou son remplaçant toutes observations utiles par écrit. »
« Art. 4 bis . - Au début du premier alinéa de l'article 16 bis de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 précitée, après les mots : "Si la prévention est établie à l'égard d'un mineur", les mots : "âgé de seize ans" sont supprimés.
« Art. 4 ter . - Il est inséré, après l'article 20-6 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 précitée, un article 20-7 ainsi rédigé :
« Art. 20-7 . - Les dispositions des articles 132-58 à 132-62 du code pénal relatifs à la dispense de peine et à l'ajournement sont applicables aux mineurs de treize à dix-huit ans.
« Toutefois, l'ajournement du prononcé de la mesure éducative ou de la peine pourra être également ordonné lorsque le tribunal pour enfants considérera que les perspectives d'évolution de la personnalité du mineur le justifient. L'affaire sera alors renvoyée à une audience qui devra avoir lieu au plus tard dans les six mois.
« Le tribunal pour enfants qui ajourne le prononcé de la mesure éducative ou de la peine peut ordonner à l'égard du mineur, à titre provisoire, son placement dans un établissement public ou habilité à cet effet, une mesure de liberté surveillée préjudicielle ou une mesure ou une activité d'aide ou de réparation dans les conditions prévues à l'article 12-1.
« Les dispositions des articles 132-63 à 132-70-1 du code pénal ne sont pas applicables aux mineurs. »
« Art. 5. - La présente loi est applicable dans les territoires d'outre-mer et dans la collectivité territoriale de Mayotte. »
Quelqu'un demande-t-il la parole sur l'un de ces articles ?...

Vote sur l'ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le Parlement aura donc voté une loi de plus. Pour quel résultat ? On peut franchement se le demander. Curieuse manière de fêter les cinquante ans de l'ordonnance du 2 février 1945 que d'alourdir la procédure sans, en vérité, en changer grand-chose ! La France est, à juste titre, fière de cette ordonnance du 2 février 1945. Le rôle du juge des enfants est multiple. Devant le tribunal pour enfants, on ne traite pas les affaires, bien sûr, comme devant les juridictions pénales. On cherche à réinsérer le mineur et, pour cela, on le suit.
L'oisiveté étant mère de tous les vices, la crise entraîne un accroissement compréhensible de la délinquance juvénile : il faut donc renforcer considérablement les moyens des juges des enfants.
Je rappelle que, malheureusement, en 1988, sous prétexte d'audit, on avait au contraire supprimé tout effort en la matière. Il y a donc un retard à rattraper. Comme le juge a besoin d'être entouré d'assistants, de personnel de la protection judiciaire de la jeunesse, d'assistantes sociales et de nombreux autres collaborateurs, un effort doit être fait.
Or le projet de loi qui va être voté dans un instant tend à faire en sorte que les juges pour enfants jugent plus rapidement au pénal. S'ils le font réellement, ils seront forcément amenés à moins assumer leur rôle de protection et d'assistance éducative, qui est pourtant au moins aussi important que la mission consistant à juger et, le cas échéant, à condamner.
Quelles sont les principales dispositions du texte issu de nos travaux ? D'une part, les policiers pourront dorénavant citer directement devant le juge des enfants, c'est-à-dire saisir eux-mêmes le juge des enfants. Ils le feront évidemment sur instruction du parquet. Le Sénat avait très sagement demandé que les instructions du parquet soient données par écrit, de manière qu'elles ne puissent pas faire l'objet de contestations ultérieures. Mais je signale, au passage, que le parquet, de toute façon, ne verra pas l'intéressé et qu'il va donc s'en rapporter aux policiers. En commission mixte paritaire, notre rapporteur nous a expliqué qu'il avait appris que les gendarmes ne disposaient pas de fax et qu'il n'était donc pas possible d'exiger de telles instructions écrites. Il y avait pourtant un moyen très simple : équiper les gendarmeries de fax. Non, on a préféré supprimer la mention « par écrit » ! Nous verrons bien ce que donne le contentieux à cet égard.
D'autre part, le texte organise un litige entre le parquet et le juge des enfants puisque, désormais, le parquet pourra exiger que le tribunal pour enfants audience telle ou telle affaire rapidement. Si le juge n'est pas d'accord, il pourra s'y opposer par une ordonnance et le procureur pourra faire appel de cette ordonnance. Mais comme, de toute façon, et fort heureusement, chacun reconnaît qu'un tribunal peut toujours être amené à renvoyer une affaire à une audience ultérieure, si véritablement le juge estime que l'affaire n'est pas en état, il renverra à une audience ultérieure, et nous aurons donc donné un grand coup d'épée dans l'eau. Voilà l'oeuvre que vous aurez accomplie ! Il n'y a pas de quoi être fier.
Nous avons perdu beaucoup de temps pour pas grand-chose. Nous avons porté atteinte aux principes de l'ordonnance du 2 février 1945, sans renforcer les moyens de lutte contre la délinquance juvénile. Le résultat ne sera certainement pas celui que pouvaient espérer ceux qui nous ont élus.
Le groupe socialiste votera contre l'ensemble du projet de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le groupe socialiste vote contre.
M. Robert Pagès. Le groupe communiste républicain et citoyen également.

(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. René Monory.)

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

M. le président. La séance est reprise.

7

PROGRAMMATION MILITAIRE
POUR LES ANNEES 1997-2002

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 415, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002. [Rapport n° 427 (1995-1996) et avis n° 430 (1995-1996).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Charles Millon, ministre de la défense. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, l'Etat est fait pour « libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve ... son droit naturel d'exister et d'agir .... La fin de l'Etat est donc en réalité la liberté ». Ainsi s'exprimait, voilà plus de trois siècles, Spinoza, qui faisait de la sécurité la condition sine qua non de la liberté, de la prospérité et de la paix. Aujourd'hui, cette vérité demeure au coeur de l'action de l'Etat. Fonction régalienne par excellence, la défense constitue le socle de la République. Dissuader l'ennemi, résister à la violence des armes, garantir l'intégrité de notre territoire et de nos intérêts vitaux et stratégiques, voilà l'objet même de la défense, condition première de l'existence et de l'épanouissement de la nation et de notre démocratie.
En réhabilitant la volonté politique, en distinguant clairement les moyens et les fins, le Président de la République a permis à la France de répondre présent à trois rendez-vous : celui des valeurs, celui du courage et celui de la sécurité.
En Bosnie, la France a répondu présent au rendez-vous des valeurs. En affirmant le devoir des armées à réagir, à résister, à riposter à l'inacceptable, le Président de la République a rompu avec le fatalisme, l'attentisme et l'humiliation. Il a fait prévaloir la logique de l'honneur sur la logique de la démission. Il a confirmé ce qui justifie la vocation universaliste de la France et ce qui a inspiré son action en Bosnie : la défense inconditionnelle de la dignité de l'homme, l'attachement indéfectible à la paix en Europe et dans le monde.
Avec la reprise d'une ultime série d'essais nucléaires, la France a répondu présent au rendez-vous du courage. En prenant cette décision à contre-courant, en la menant sans tergiverser à son terme, le Président de la République a redonné pleine priorité à la garantie à long terme des intérêts vitaux de la nation par rapport à des considérations médiatiques, diplomatiques et commerciales de court terme.
M. Yves Guéna. Très bien !
M. Charles Millon, ministre de la défense. En engageant une réforme sans équivalent de sa défense, la France répond présent au rendez-vous de sa sécurité, de ses responsabilités et de son influence. Adapter notre outil de défense aux défis du présent et le préparer à ceux de l'avenir, c'est le choix que le Gouvernement vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs. Poursuivre la hausse des crédits budgétaires serait revenu à léguer à des gouvernements ultérieurs, acculés par la contrainte financière, l'obligation de procéder à des décisions draconiennes et sans doute peu conformes à l'intérêt national. Respecter les habitudes, conforter l'organisation de notre défense aurait conduit les armées à faire un jour l'expérience brutale de leur inadaptation stratégique. Différer les choix d'équipement aurait signifié laisser le dernier mot à la concurrence étrangère.
En vous soumettant cette neuvième loi de programmation militaire de la Ve République, le Gouvernement mène à son terme une démarche stratégique qui a débuté avec les analyses du Livre blanc de 1994 ; il place la réforme non pas à la marge, mais au coeur de l'action politique ; il saisit la représentation nationale du premier acte de l'indispensable modernisation de l'Etat.
Le projet de loi de programmation pour les années 1997-2002 exprime une ambition militaire et stratégique, une ambition économique et industrielle, et enfin, une ambition humaine et civique.
Face au bouleversement radical que connaît la sécurité européenne, ce projet de loi définit une ambition militaire.
La professionnalisation, qui répond à l'évolution des menaces et aux nouveaux impératifs de notre sécurité, en est, vous le savez bien, l'axe majeur. Dès 1994, le Livre blanc constatait que l'agression massive en Centre-Europe n'était plus le scénario principal qui devait guider l'organisation de notre défense. Aujourd'hui, le Gouvernement en prend acte et met fin à un principe d'organisation et de recrutement qui datait de 1905, celui de la conscription militaire.
Première évolution opérationnelle de notre défense, la professionnalisation s'accompagne de la réduction du format des forces. D'ici à 2002, le format de la marine diminuera d'environ 19 p. 100, celui de l'armée de l'air connaîtra une réduction de 24 p. 100, tandis que les effectifs de l'armée de terre seront réduits de près de 36 p. 100. A la structure divisionnaire traditionnelle de l'armée de terre succédera la création de forces dites robustes : une force blindée, une force mécanisée, une force d'intervention blindée rapide et une force d'infanterie d'assaut.
Véritable changement de système d'hommes, la professionnalisation permettra une meilleure adaptation des moyens aux besoins. Le métier, l'entraînement et le savoir-faire des hommes garantiront la cohérence, la disponibilité et l'interopérabilité des forces qui assumeront les quatre grandes fonctions opérationnelles tout en étant capables de s'associer, pour la défense de l'Europe ou le règlement de crises internationales, avec des unités alliées.
Cette révolution humaine va de pair avec la révolution technologique des équipements de nouvelle génération, condition évidente de notre supériorité opérationnelle.
Porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle, chars Leclerc, avions Rafale, hélicoptères Tigre, frégates Horizon, tels sont les nouveaux systèmes d'armes qui seront associés à des armes intelligentes comme les antichars longue portée de troisième génération, les missiles de croisière de précision de la famille Apache et SCALP, ou les armements guidés laser.
Le Triomphant, le Téméraire, le Vigilant, tels sont les sous-marins lanceurs d'engins de nouvelle génération - SNLE-NG - dont la France disposera dans six ans. La commande du quatrième SNLE-NG interviendra en 2000. L'avènement d'une nouvelle génération concernera également les missiles avec le missile balistique M51 et le missile aérobie ASMP amélioré.
Hélios I B, Hélios II, Horus, tels sont les systèmes stratégiques de renseignement qui seront lancés ou développés au cours de la programmation.
Mais, au-delà de l'ambition militaire, il y a l'ambition stratégique, qui se traduit par la poursuite d'une politique de défense résolument européenne et par l'inscription de cet effort dans un cadre transatlantique rénové.
La rupture de 1989 a imposé aux nations européennes de revoir leurs stratégies de défense, et aux alliances de redéfinir leurs missions et leur organisation.
Dans ce contexte, la question de la défense européenne a pris un sens nouveau. Le traité de Maastricht a fait de la politique de défense commune un objectif pour toutes les nations de l'Union européenne.
Le modèle d'armée, dont vous avez débattu au mois de mars dernier et dont la programmation militaire pour les années 1997 à 2002 représente la première étape décisive, s'inscrit dans cette perspective. Les quatre grandes fonctions opérationnelles de nos armées - la dissuasion, la prévention, la projection et la protection - portent d'ailleurs la marque de l'ancrage européen.
Ainsi, s'agissant de la dissuasion, la modernisation de ses deux composantes - la composante aéroportée et la composante maritime - constitue un atout dans la perspective d'une dissuasion concertée, telle qu'elle a été présentée par M. le Premier ministre.
En ce qui concerne la prévention, les programmes spatiaux permettent le développement d'une capacité européenne de renseignement. Tout le processus engagé autour de Hélios et de Horus doit conduire l'Europe à une organisation de l'observation et du renseignement spatial. Chacun sait d'ailleurs que c'est là l'un des pivots d'une identité européenne de défense.
J'en arrive à la projection, avec les moyens de commandement interarmées et les forces projetables. Je n'insisterai jamais assez sur le fait que le projet de loi de programmation prévoit la mise sur pied de structures de commandement projetables qui permettront, dans le cadre européen et en vue de la rénovation de l'Alliance atlantique, de donner à la France un rôle déterminant.
Enfin, la protection porte également la marque de l'ancrage européen, avec la surveillance coordonnée entre tous les pays européens des approches aériennes et maritimes et le prochain renforcement de la coopération en matière de sécurité intérieure, et ce suite aux accords de Schengen.
Certains se sont demandé pourquoi la rénovation de l'Alliance atlantique était au coeur de notre projet.
La construction européenne se fera, y compris dans le domaine de la sécurité et de la défense. Elle se fera d'autant mieux que nous progresserons avec réalisme, en tenant compte des données fondamentales que sont, d'une part, l'Alliance atlantique et, d'autre part, le lien de sécurité euro-américain.
L'accord obtenu à Berlin, en juin, puis à Bruxelles, la semaine dernière, montre qu'une telle entreprise est à notre portée. La réforme que nous engageons est fondée sur un consensus des seize pays membres ; l'Alliance atlantique doit se rénover en profondeur. Il s'agit non pas simplement d'un rhabillage de l'Alliance atlantique, mais d'une rénovation fondamentale. L'Organisation atlantique doit s'adapter, dans le sens d'une plus grande efficacité, au monde de l'après-guerre froide.
Cette adaptation donnera une plus grande légitimité politique aux structures de l'Alliance atlantique grâce à l'affirmation du rôle des instances politiques - le Conseil - et militaires - le comité militaire - conformément à l'une des exigences posées par la France. Ces instances multilatérales non intégrées exerceront donc tout leur rôle.
Cette adaptation apportera une souplesse et une flexibilité accrues au commandement allié, grâce aux groupes de forces interarmées multinationales, les GFIM, qui impliquent la rationalisation et l'allégement de la structure militaire. Elle confortera la dimension européenne au sein de l'Alliance atlantique, conformément au mouvement d'union politique qui organise progressivement le continent. Elle favorisera enfin l'élargissement de l'Alliance atlantique à de nouveaux membres, selon un processus qu'il convient de définir et de respecter avec scrupule.
L'affirmation de l'identité européenne de défense, quant à elle, s'appuiera sur quatre principes qui ont été définis à Berlin et qui permettent de démontrer qu'il n'y a pas contradiction mais, au contraire, renforcement mutuel des initiatives prises dans le domaine de la rénovation de l'Alliance atlantique et de l'affirmation de l'identité européenne.
Ces quatre principes sont les suivants : premièrement, le contrôle politique et la direction stratégique par l'Union de l'Europe occidentale des opérations que les Européens mèneraient ; deuxièmement, l'identification rapide des moyens de l'OTAN qui seraient mis à la disposition des Européens en cas d'engagement d'une opération conduite par l'UEO ; troisièmement, la définition des arrangements nécessaires pour actionner des capacités de commandement européen indispensables à la conduite des opérations dirigées par l'UEO ; quatrièmement, enfin, la planification et l'entraînement dès le temps de paix des éléments ainsi identifiés dans l'OTAN.
Certains observateurs, commentateurs ou hommes politiques font mine d'opposer l'affirmation de l'identité européenne de défense et la rénovation de l'Alliance atlantique. Mais quelle crédibilité aurait aujourd'hui une rhétorique qui réclamerait la constitution d'une organisation militaire complète et spécifique, hors de l'Alliance atlantique ?
Notre politique européenne et notre engagement pour la rénovation de l'Alliance atlantique sont les deux faces d'une même politique. La clarté à l'égard de l'OTAN est une garantie pour le développement, sans complexe, d'une politique de défense européenne.
J'aurai d'ailleurs l'occasion de revenir sur ce point pour démontrer que la politique déterminée par le Président de la République, M. Jacques Chirac, s'inscrit totalement dans la démarche définie par le général de Gaulle en 1966,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah oui ! Cela va être intéressant.
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... démarche qui avait amené le général de Gaulle à quitter le commandement militaire intégré de l'Alliance atlantique parce que l'identité de défense européenne et la garantie d'une autorité partagée n'avaient pas été accordées. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier. Il va falloir distordre l'histoire !
M. Charles Millon, ministre de la défense. A l'époque, vous étiez favorables à ce que l'on reste dans l'Alliance atlantique et vous étiez défavorables aux décisions du général de Gaulle. Alors, aujourd'hui, ne nous donnez pas de leçons sur la politique à suivre ! (Tout à fait ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Gournac. Vous avez la mémoire courte. Vous aviez une politique étrangère à la dérive !
M. Claude Estier. C'est vous qui avez la mémoire courte !
M. Charles Millon, ministre de la défense. La troisième ambition de cette programmation est d'ordre économique : construire une défense plus efficace et moins coûteuse.
C'est l'ambition de faire en sorte que l'effort que la nation consacre à sa défense soit compatible avec les moyens dont elle dispose. C'est l'ambition de construire une programmation qui résiste à l'épreuve du temps.
Fallait-il accepter la facilité d'une programmation militaire dont les crédits, toujours en hausse, seraient sans cesse remis en cause ?
Fallait-il accepter de jouer avec la modernisation des équipements, avec la réussite de la professionnalisation des armées et avec la crédibilité de l'Etat à l'égard des entreprises de défense ?
Fallait-il accepter que la dérive des comptes publics mine la croissance et l'emploi, la cohésion sociale et l'unité nationale, qui sont le socle même de l'esprit de défense ?
Le ministre de la défense a entendu le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et un certain nombre d'orateurs souhaiter, lors du débat d'orientation, que l'on puisse concilier deux objectifs dans cette loi de programmation : d'une part, concilier l'esprit de défense et l'outil de défense ; d'autre part, faire une programmation qui résiste au temps.
Avec 185 milliards de francs constants 1995, l'enveloppe de la programmation est, en matière d'équipements, en retrait de près d'une vingtaine de milliards de francs sur celle qui avait été retenue en 1994 et sur laquelle sont fondés les échéanciers physiques et financiers des équipements militaires en cours de réalisation.
La réforme de la défense apporte donc une contribution essentielle à la réduction des déficits publics, et, ainsi, au redressement des finances publiques et du renforcement de la cohésion sociale.
Mais, pour la première fois, ces ressources sont garanties par un engagement personnel du Président de la République de veiller à ce que la programmation soit respectée.
Pour la première fois, tous les moyens mis à la disposition des forces armées, qu'il s'agisse des emplois, des crédits de fonctionnement et des crédits d'équipement, sont programmés.
Pour la première fois, les investissements sont programmés en termes d'autorisations de programme et de crédits de paiement.
La programmation ne redéfinit pas simplement cette enveloppe financière ; elle place la défense à l'avant-garde de la réforme de l'Etat.
Remettre en cause les habitudes et les structures, redéfinir les besoins et les procédures, reconstruire un nouveau système mieux adapté à notre temps, tel est, en effet, le défi de la réforme, tel est l'objectif poursuivi par ce projet de programmation militaire.
La défense est la mission régalienne par excellence. Elle est la plus ancienne des missions régaliennes. Il n'est donc pas étonnant que sa profonde mutation soit à la fois le symbole de la capacité de l'Etat à se remettre en cause et le moteur de son indispensable réforme.
A l'objectif d'une efficacité accrue de la dépense publique se rattache en grande partie l'ambition industrielle de cette programmation.
Depuis le début des années soixante, notre base industrielle a largement contribué à notre autonomie stratégique, au rang qui est le nôtre dans le concert des nations. Nos scientifiques, nos ingénieurs, nos techniciens ont relevé avec succès tous les défis techniques : la force de dissuation, la supériorité aérienne, le combat aéroterrestre, les bâtiments de surface et les sous-marins classiques ou nucléaires, l'accès à l'espace, les systèmes de commandement et de communication, les moyens de renseignement, etc. Dans tous ces domaines, nous avons développé des capacités nationales qui nous ont ouvert toutes les dimensions de l'armement moderne.
Mais chacun peut constater aujourd'hui que notre industrie de défense est soumise à une compétition acharnée, exacerbée, j'allais dire sans pitié. La grande qualité de ses produits ne suffit plus à emporter les marchés extérieurs. La dérive des coûts des programmes risque d'entraîner nos propres armées sur la pente du désarmement structurel. Si nous n'y prenons garde, si nous n'engageons pas les réformes qui s'imposent, nous nous dirigerons vers la destruction assurée de notre potentiel industriel.
Comment répondre aux défis industriels et commerciaux qui s'annoncent ? En engageant une révolution des modes d'acquisition, en assurant la promotion de la dimension européenne, en acclimatant notre industrie d'armement à la culture de la concurrence. C'est ce que je vous propose de faire, mesdames, messieur les sénateurs.
Tout d'abord, seule une révolution des modes d'acquisition permettra de fournir aux armées françaises les équipements dont elles ont besoin.
Toutefois, cela ne signifie absolument pas, comme certains scribouillards l'ont noté, que l'ont achèterait systématiquement « sur étagère ». cela signifie simplement - j'aurai l'occasion d'y revenir - qu'il faudra définir un mode de fabrication, de développement, d'industrialisation qui soit différent de celui qui, aujourd'hui, est la référence.
M. Claude Estier. Qui sont les scribouillards ?
M. Charles Millon, ministre de la défense. Vous vous êtes reconnus ! (Rires.)
M. Claude Estier. Merci quand même !
M. Guy Penne. C'est trop facile !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Trois impératifs se conjuguent désormais dans le domaine des matériels : l'excellence technique, le meilleur rapport qualité-prix et le respect des délais requis.
Si nous ne voulons pas céder à la facilité de l'achat systèmatique à l'étranger, notre industrie doit diminuer ses coûts. L'objectif de 30 p. 100 de réduction que j'ai fixé au délégué général pour l'armement nous permettra de retrouver des marges financières. Celles-ci faciliteront la transition vers le nouveau modèle d'armée et permettront d'accélérer l'exécution des programmes d'équipement ; j'aurai sans doute l'occasion d'y revenir au cours du débat qu'aujourd'hui j'introduis.
Ensuite, seule la dimension européenne permettra de conforter notre base industrielle et technologique de défense.
Grâce à la diversité et à la qualité de ses activités, l'industrie française doit être au centre de l'indispensable concentration du secteur européen de défense. Pour faire face à la concurrence américaine - c'est une évidence - pour permettre une baisse des coûts, pour faciliter une recherche européenne plus efficace, enfin, pour permettre une synergie qui donne la possibilité à l'Europe d'acquérir une place essentielle, prééminente dans le concert mondial.
Tel est le sens des différentes restructurations industrielles qui ont été engagées.
Les rapprochements entre Aérospatiale et DASA, Matra et British Aerospace, Dassault Aviation et Aérospatiale, la privatisation de Thomson vont dans le sens de la constitution de pôles industriels européens cohérents dans les secteurs de haute technologie. Notre industrie doit s'y préparer et les maîtres d'oeuvre français prendre le chemin de la concentration qu'ont déjà emprunté leurs homoligues américains, britanniques ou allemands.
Enfin, seule la culture de la concurrence permettra de conquérir des marchés extérieurs.
Vous le savez, seule la conquête des marchés extérieurs permettra de stabiliser ces pôles européens de technologie ou d'industrie que je viens d'évoquer.
C'est plus que jamais, pour nos entreprises, une nécessité impérieuse qui permettra d'améliorer leur compétitivité et leur santé financière.
C'est le sens de la réforme engagée pour GIAT Industries et de celle que j'annoncerai dans quelques jours pour la direction des constructions navales, la DCN.
Ces deux opérateurs industriels, qui ont fait l'objet de critiques d'un certain nombre d'observateurs, ont des compétences exceptionnelles. Il convient aujourd'hui de valoriser ces compétences. Or, nous le savons, cette valorisation passe par une réorganisation profonde et une amélioration de leur productivité.
Elles devront également, pour affronter la concurrence, mettre en oeuvre des politiques commerciales offensives. J'ai eu l'occasion de l'expliquer sur le terrain, en ce qui concerne aussi bien GIAT Industries que la DCN.
Mais n'oublions jamais que les matériels de défense se distinguent non seulement par leur qualité, mais également par leur coût, par les services après-vente, par la formation dispensée aux futurs utilisateurs, par les compensations industrielles et par l'ingénierie financière.
C'est dans cet esprit que je présenterai avant la fin de l'année - bien sûr, devant la commission que vous présidiez, monsieur de Villepin, président, mais aussi devant toutes les instances concernées - un plan de soutien à nos exportations.
Je voudrais tout simplement vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il n'est plus possible aujourd'hui d'avoir une industrie de défense qui puisse assurer l'autonomie et l'indépendance stratégique si cette industrie de défense n'a comme marché que le seul marché national.
La baisse des budgets - du budget de la France comme du budget de tous les grands pays développés - conduit inévitablement toutes les industries d'armement à s'ouvrir sur les marchés extérieurs, afin d'assurer leur stabilité et leur rayonnement.
Tel est l'objet du plan de soutien à nos exportations, que j'aurai la responsabilité d'élaborer et l'honneur de présenter.
Le cinquième objectif réside dans l'ambition humaine de la réforme que je vous soumets aujourd'hui.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la défense de la France, c'est une communauté de près de six cent mille personnes composée de militaires d'active, d'appelés et de civils.
La défense de la France, ce sont encore des entreprises, des groupes industriels - petits, moyens et grands - et plus de cinq mille PME, qui rassemblent au total près de un million de salariés.
La défense de la France, ce sont aussi des régions, des départements, des communes, des bassins d'emploi, des vallées, pétris dans cette tradition et répartis sur tout le territoire. Près de trois millions de personnes vivent dans une famille liée à l'industrie de défense.
Le succès de la réforme de notre outil de défense dépend de ces femmes et de ces hommes. Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui, a l'ambition de répondre à leurs attentes.
M. René-Pierre Signé. Ce n'est pas ce qu'ils disent.
M. Charles Millon, ministre de la défense. Dès le mois de décembre dernier, ici même, je me suis engagé à ce qu'un dispositif d'accompagnement de la réforme soit présenté lors du dépôt du projet de loi de programmation militaire. C'était un voeu que vous aviez émis. J'y ai répondu favorablement. Aujourd'hui l'engagement est tenu.
Pour la communauté militaire, accompagner la réforme, c'est prévoir les moyens de réussir la professionnalisation des armées, c'est mettre au point des modes de recrutement, de mutation, d'incitation au départ ou à la mobilité. C'est la raison pour laquelle un fonds de professionnalisation a été prévu dans la loi de programmation d'un montant de 9,1 milliards de francs.
Pour notre outil industriel, accompagner la réforme, c'est prévoir le financement des mesures sociales qui permettront d'adapter les structures : 4,8 milliards de francs sont prévus - 4,1 milliards de francs seront consacrés à la direction de la construction navale et 700 millions de francs à la direction des applications militaires du commissariat à l'énergie atomique, le CEA - et seront suivis au sein d'un fonds d'adaptation industrielle.
Je précise à tous ceux qui doutent que c'est la première fois que, dans une loi de programmation militaire, est inscrit un fonds d'adaptation industrielle doté de crédits importants.
Pour les collectivités locales touchées par les restructurations, accompagner la réforme, c'est mettre en place un dispositif pour faire face aux conséquences de ces mesures sur l'emploi et sur l'aménagement du territoire.
M. René-Pierre Signé. C'est la ruine !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Ainsi, 2,2 milliards de francs seront affectés au financement de mesures de reconversion économique. Cette somme est inscrite dans le projet de loi de programmation.
Examinez bien les lois de programmation militaire précédentes et vous constaterez que peu d'entre elles ont prévu des crédits aussi importants pour accompagner de telles opérations.
M. Claude Estier. C'est vous qui l'avez faite, la dernière !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Permettez-moi, mesdames, et messieurs les sénateurs, d'ajouter un mot sur ce dernier point.
Elus locaux, vous suivez tous avec attention les conséquences de la réforme pour chaque région, chaque département, chaque bassin d'emploi, chaque commune. Je sais que nombre d'entre vous comptent, dans leur commune, dans leur circonscription, dans leur département, dans leur région, des unités militaires ou des établissements industriels du secteur de l'armement. Je comprends vos inquiétudes, car je suis moi-même élu local. Toutefois, je ne peux vous promettre qu'une réorganisation aussi vaste n'aura pas d'incidence sur l'aménagement du territoire. Je ne serais qu'un menteur si je vous affirmais l'inverse.
Certaines unités seront dissoutes ou réorganisées, tandis que d'autres, professionnalisées, bénéficieront d'un pouvoir d'achat accru. Certaines entreprises verront leurs effectifs diminuer, comme elles ont déjà pu, hélas !, le vivre au cours de ces dernières années, tandis que d'autres, qui auront renforcé leur compétitivité et qui auront su exploiter des marchés, intérieurs comme extérieurs, pourront embaucher.
En revanche, je peux m'engager devant vous à ce que le Gouvernement mette tout en oeuvre pour atténuer les conséquences locales des restructurations. Je l'ai dit devant vous et je le répète : ce sera un traitement sur mesure, au cas par cas, bassin par bassin, site par site, entreprise par entreprise.
Le 25 avril dernier, le Premier ministre a présidé le premier comité interministériel pour les restructurations de défense. Les procédures administratives sont prêtes, les hommes qui sont chargés de les mettre en oeuvre ont été nommés, les crédits nécessaires sont inscrits à cet effet dans la programmation.
Mais, vous le savez - en tant qu'élus, vous le savez mieux que quiconque - rien ne pourra se faire sans vous. Les mesures de reconversion économique ne se sont jamais conçues et ne se concevront jamais à Paris.
M. René-Pierre Signé. Où ont-elles été décidées ?
M. Charles Millon, ministre de la défense. Les mesures de reconversion économique se conçoivent au plus près du terrain.
M. René-Pierre Signé. Elles ont été décidées à Paris !
M. Charles Millon, ministre de la défense. C'est pourquoi j'ai mis en place un dispositif extrêmement déconcentré et décentralisé, avec des délégués régionaux et des chargés de mission dans chaque bassin d'emploi concerné.
C'est aussi la raison pour laquelle je compte sur vous qui réagissez pour que, dans votre localité, vous vous investissiez et qu'au lieu de critiquer vous accompagniez ces mesures de conversion.
C'est encore la raison pour laquelle toutes les régions qui le souhaitent pourront signer une convention avec l'Etat fixant les objectifs auxquels nous devons parvenir et déterminant le rôle des uns et des autres.
De telles conventions sont déjà conclues avec les régions Aquitaine, Bretagne, Rhône-Alpes, et le seront bientôt avec les régions Midi-Pyrénées, Centre, Lorraine et Provence - Alpes - Côtes-d'Azur.
M. René-Pierre Signé. N'importe quoi !
Mme Josette Dirieu. Il n'y a rien dans ces conventions !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette réforme sera portée par un corps social qui connaît pour la deuxième fois en trente ans un bouleversement de ses habitudes et de ses traditions.
Militaires, civils, ouvriers de la défense, tous sont animés du même esprit. Tous - j'y insiste - savent faire primer l'intérêt national sur la poursuite d'une carrière. Et qu'on ne me dise pas que c'est la seule discipline des armées qui inspire leur attitude ! Ce serait faire injure au dévouement, au sens du service de la France dont ils font tous les jours la preuve.
M. René-Pierre Signé. Voilà le lyrisme !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Cette réforme sans équivalent révèle l'attachement de la communauté de défense à l'intérêt national. Je voudrais profiter de mon intervention à cette tribune pour lui rendre un hommage tout particulier. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE).
Cette programmation relève également d'une grande ambition civique, ambition qui passe, en premier lieu, par le renforcement du lien armée-nation.
Longtemps, le service national, et singulièrement le service militaire, a été le lieu privilégié où s'est forgé l'attachement à la défense nationale.
Qu'en est-il aujourd'hui ? Le service national est-il encore synonyme d'universalité et d'égalité ? Est-il encore synonyme de brassage social ?
Entre nous, personne n'y croit ; nous savons tous que les jeunes Français qui ont le plus besoin d'être accompagnés ou intégrés sont souvent ceux qui, précisément, sont laissés au bord du chemin parce qu'ils sont dispensés ou exemptés.
Pendant des années, le service national et le service militaire ont rempli un rôle éminent ; ils ont sans doute été l'un des éléments déterminants de la cohésion nationale et républicaine.
Pendant des années, des cadres militaires - je veux de nouveau leur rendre hommage - se sont consacrés avec passion, dévouement et dans l'anonymat à la formation des jeunes du contingent, à leur préparation au combat.
Les évolutions que nous connaissons, sans remettre en cause l'enthousiasme de ces cadres ni leurs compétences, nous amènent toutefois, aujourd'hui, à nous poser un certain nombre de questions.
Notre société a évolué : les menaces auxquelles elle est exposée également. Les travaux conduits par votre commission, sous la présidence de Xavier de Villepin, ont conclu que le service national, dans sa configuration actuelle, ne satisfaisait plus la double vocation, militaire et sociale, qui avait été la sienne pendant des décennies.
A l'Assemblée nationale, la mission d'information commune présidée par Philippe Séguin est parvenue à un constat similaire, sinon identique.
C'est également l'un des principaux enseignements de la consultation nationale conduite par les maires et les associations : on savait les jeunes attachés à une formule de service volontaire ; le débat local aura montré qu'une large majorité d'adultes les rejoignaient dans cette approche.
Dans le même temps, un consensus s'est formé sur l'impérieuse nécessité de préserver, et si possible de promouvoir, le lien armée-nation.
Le risque n'est pas de voir la future armée professionnelle se couper de la nation par je ne sais quel réflexe de repli sur soi. Les militaires professionnels - mes récentes visites dans les armées me l'ont encore confirmé - sont ouverts sur la société. Quand bien même ils auraient tendance à se replier, leur épouse, leurs enfants, leurs amis les amèneraient, en fait, à s'ouvrir sur la société civile !
M. René-Pierre Signé. Il faut compter sur les femmes !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Ils constituent, avec leurs familles, une communauté parfaitement bien intégrée, je dirai même un pôle de stabilité et de sérénité dans une société en proie à bien des tourments et parfois saisie de vertige.
M. Jean-Luc Mélenchon. N'en rajoutez pas !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Le défi que nous avons à relever est donc plutôt de réussir la réforme du service national sans diminuer en rien l'adhésion des Français à la défense du pays, sans dissoudre le lien qui doit les unir à ceux qui ont fait le choix d'y consacrer plusieurs années de leur vie.
Les propositions du Président de la République relatives au rendez-vous citoyen et aux volontariats...
M. Jean-Luc Mélenchon. Gadgets !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... sont, précisément, l'expression d'une volonté de rassemblement et d'échange.
Une volonté de rassemblement, tout d'abord, car, si cette formule est adoptée, après discussion, après amendements, après modifications, le rendez-vous citoyen sera progressivement ouvert à tous, garçons et filles, non à des fins de sélection, comme c'était jusqu'à présent le cas lors des « trois jours », mais afin de leur procurer un bilan personnel, de les sensibiliser aux enjeux de notre société, de les orienter, de faciliter leur intégration dans la vie active et, pour certains, de leur permettre de choisir la voie du service de la nation. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. René-Pierre Signé. En dix jours !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Le nouveau service sera aussi un lieu d'échange puisqu'il permettra aux jeunes, grâce aux volontariats, d'exprimer concrètement leur générosité en offrant plusieurs mois de leur vie au service de la collectivité dans l'un de ces trois domaines : sécurité et défense, cohésion sociale et solidarité, coopération internationale et aide humanitaire.
C'est dans ce dessein que le projet de loi de programmation militaire prévoit l'ouverture progressive de postes de volontaires du service national dans les armées, pour un effectif de 27 200 en 2002.
Tant le rendez-vous citoyen que le volontariat sécurité-défense apporteront leur contribution à la pérennité du lien armée-nation.
Mais l'ambition civique, que j'évoquais à l'instant, ne se limitera pas à cela. Elle sera également présente dans la réorganisation des réserves.
Moins nombreuses que l'effectif thérorique actuel à savoir 500 000, mais beaucoup plus nombreuses en pratique puisque l'effectif pratique actuel et de 50 000, les réserves constitueront, avec 50 000 hommes dans les armées et autant dans la gendarmerie, une véritable force de complément, voire de substitution dans certains cas.
Mieux entraînées, plus disponibles, davantage sollicitées que sous le régime actuel, les futures réserves feront certes appel à d'anciens militaires, à des jeunes passés par le service national sécurité-défense, mais également à des volontaires.
Afin d'offrir aux réservistes les meilleures garanties en matière d'emploi, un statut du réserviste sera élaboré en liaison étroite avec les entreprises, qui seront, de la sorte, associées à cette mobilisation civique.
Enfin, les réserves participeront, elles aussi, à la préservation du lien entre l'armée et la nation auquel j'ai fait référence.
Le Parlement sera, bien sûr, un acteur à part entière de cette évolution. Le débat que nous allons ouvrir sur ce projet de loi de programmation en fournit déjà un premier témoignage. Il sera suivi d'autres débats aux mois d'octobre, novembre et décembre prochains, lorsque nous discuterons du projet de loi portant réforme du code du service national et du projet de loi portant organisation générale de la réserve.
Vous avez bien compris, mesdames, messieurs les députés,... (Exclamations)
M. Jean-Luc Mélenchon. Après les scribouillards, les bafouillards !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... mesdames, messieurs les sénateurs, à travers l'exposé que je viens de faire, l'importance de cette réforme.
Celle-ci n'est pas simplement une réforme de structure. Elle n'est pas simplement une réforme quantitative ou qualitative touchant à la défense nationale. C'est une réforme de société.
Nous arrivons, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme d'une longue réflexion sur la défense de la France.
Cette réflexion a été engagée il y a bien longtemps.
Pour préparer ces débats, qui n'a relu...
M. Jean-Luc Mélenchon. Jean Jaurès !
M. Charles Millon, ministre de la défense... Vers l'armée de métier du général de Gaulle, ou Le Rôle social de l'officier , du maréchal Lyautey (Exclamations sur les travées socialistes), ou encore les écrits de Jean Jaurès (Exclamations de satisfaction sur les mêmes travées) ,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Ça, c'est mieux !
Un sénateur de l'Union centriste. Pas de sectarisme !
M. Charles Millon, ministre de la défense ... comme les écrits de tous les Français qui sont attachés à l'armée et à la nation ?
Qui ne s'est remémoré, pour prendre la mesure des réformes nécessaires, les drames et les victoires, les joies et les sacrifices qui ont marqué ce xxe siècle ?
Qui n'a pris la mesure de la dimension spécifique de la défense ?
Qui n'a compris que la défense ne se réduit pas à la seule force mécanique, au seul matériel, aussi sophistiqué soit-il, aux seuls systèmes de combats ?
Qui n'a saisi le fait que la défense nationale, c'est, au-delà de l'outil, un esprit, l'esprit de défense, l'esprit de volonté, l'esprit de résistance ?
L'aurions-nous oublié que la célébration des héros de la Grande Guerre par le Président de la République, dimanche dernier à Douaumont, ou encore la commémoration, hier, de l'appel du général de Gaulle le 18 juin 1940 seraient venues nous le rappeler !
En participant à ce débat, en votant le projet de loi de programmation militaire que j'ai l'honneur de vous présenter, vous donnerez à nos armées, j'en suis sûr, les moyens d'assumer leurs missions. Mieux, vous affirmerez, je le souhaite, leur confiance en elles pour assurer la défense de la France, de cette France qui dépasse ses habitants, porteuse qu'elle est d'une histoire et de valeurs.
Vous n'oublierez pas tout au long de ce débat ce que le général de Gaulle écrivait dans son ouvrage Vers l'armée de métier : « Si cette refonte nationale devait commencer par l'armée, il n'y aurait là rien que de conforme à l'ordre naturel des choses. Non seulement parce que la force reste plus nécessaire que jamais aux nations qui veulent vivre, mais aussi pour cette raison que le corps militaire est l'expression la plus complète de l'esprit d'une société. »
Vous l'avez bien compris, la loi de programmation militaire s'inscrit dans un projet de réforme, dans un projet de société. Nous n'en sommes qu'à la première étape. Je vous demande de la franchir. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. M. Xavier de Villepin, président et rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est proposé est d'une importance majeure.
Il vise, certes, comme les programmations militaires qui se sont succédé depuis le début des années 60, à fixer l'enveloppe financière des crédits militaires : cette enveloppe sera, pour les six prochaines années, de 185 milliards de francs constants 1995, à hauteur de 99 milliards de francs pour le titre III et de 86 milliards de francs pour les titres V et VI.
Mais, ne nous y trompons pas, cette nouvelle programmation militaire a une ampleur et une ambition tout autres. Elle constitue la traduction législative principale de la réforme d'ensemble, complète et profonde, de notre appareil de défense, dont le Président de la République a tracé les contours les 22 et 23 février dernier et précisé les modalités, en ce qui concerne le service national, le 28 mai.
Il ne s'agit que d'une première étape en vue de la réalisation du modèle d'armée à l'horizon 2015, dont la mise en oeuvre intégrale devra s'étendre - ce n'est pas la moindre des incertitudes - sur les deux programmations suivantes. Mais cette première programmation est, naturellement, décisive pour la réussite de la réforme entreprise.
Cette réforme globale vise fondamentalement à mettre à profit ce que le chef d'état-major des armées a appelé devant notre commission la « pause stratégique » pour adapter notre défense à l'évolution fondamentale des menaces et des besoins de sécurité qui caractérisent l'après-guerre-froide et dont tous les grands pays industrialisés ont d'ailleurs déjà, avant nous, tiré les leçons.
Naturellement, il s'agit non pas de baisser la garde ou de relâcher notre vigilance face à un monde troublé, incertain et imprévisible, mais de tenir compte de deux évolutions majeures : la France, d'abord, ne connaît plus de menace militaire permanente à proximité immédiate de ses frontières, ce qui permet de réduire, à la condition de les garantir et de les stabiliser, les ressources consacrées à la défense ; mais nous devons simultanément faire face à des dangers nouveaux, diffus, imprévisibles mais réels, pour lesquels nos forces sont fréquemment sollicitées - trente fois depuis 1990 - ce qui suppose en particulier de renforcer nos capacités de renseignement et de prévention et de disposer, dans des délais très brefs, de troupes immédiatement disponibles, opérationnelles et donc professionnelles.
Pour atteindre ces objectifs, le projet de loi que vous nous proposez, monsieur le ministre, est fondamentalement une programmation de réforme. L'exercice est exceptionnellement difficile. Cette programmation revêt quatre caractéristiques majeures.
En premier lieu, elle était indispensable : d'abord, pour organiser et planifier cette adaptation globale de notre défense et notamment le bouleversement profond et la très délicate transition qui doit conduire, d'ici à l'an 2002, à l'armée professionnelle ; ensuite, pour définir de façon réaliste les conditions de la modernisation de nos équipements, compte tenu de l'impérative maîtrise des finances publiques et du « décrochage », à l'évidence définitif, entre les prévisions antérieures et la réalité des budgets militaires ; enfin, pour donner aux industriels de la défense la vision minimale de l'avenir qui leur est nécessaire à l'heure où ce secteur industriel traverse une crise et une période de restructurations d'une ampleur exceptionnelle.
Une nouvelle programmation est donc nécessaire. Son exécution pleinement satisfaisante sera indispensable à la réussite de la refonte complète de notre appareil de défense. Si tel ne devait pas être le cas, l'adaptation indispensable de la défense française se trouverait compromise. Après les expériences malheureuses de 1992 - programmation avortée - et de 1994 - programmation mal appliquée et finalement abandonnée - c'est aussi le principe même des lois de programmation qui se trouverait durablement remis en cause.
MM. Charles Pasqua et Jacques Genton. Très bien !
M. Xavier de Villepin, rapporteur. Tout doit être fait pour éviter une telle issue, dont notre défense serait la première victime.
La deuxième caractéristique de cette programmation est qu'elle est financièrement très contrainte, je le souligne, mes chers collègues. Adaptée à nos besoins dans le nouveau contexte international, elle se veut aussi adaptée à nos moyens financiers. Elle a fait à ce titre le pari du réalisme. Elle renverse en quelque sorte le processus habituel : plutôt que de fixer des masses financières conformes à nos ambitions en matière de défense, mais que l'Etat se révèle ensuite incapable de financer, la démarche a été cette fois de garantir à notre défense une enveloppe financière et de bâtir, en fonction de cette enveloppe, un modèle de défense cohérent.
Cette enveloppe financière réduite représente un effort d'économies considérable, d'environ 20 milliards de francs par an par rapport aux prévisions précédentes.
M. René-Pierre Signé. On verra la suite !
M. Xavier de Villepin, rapporteur. Il ne faut pas se leurrer : les difficultés qui devront être surmontées, les efforts qu'il faudra consentir seront considérables. Il s'agit de relever le défi de construire, dans les prochaines années, une armée à la fois plus efficace et moins coûteuse.
Je rappellerai toutefois que voilà quelques mois les hypothèses les plus couramment envisagées étaient encore bien inférieures aux fameux 185 milliards de francs. C'est, d'une certaine manière, un point d'équilibre raisonnable et la moins mauvaise des hypothèses envisageables qui nous est proposée.
Cette enveloppe financière de 185 milliards de francs par an, exprimée en francs constants 1995 et échappant ainsi à la règle qui sera applicable à l'ensemble des ministères civils, n'inclut par ailleurs - écoutez-moi bien, monsieur le ministre - ni les recettes de fonds de concours et la consommation de crédit de report, ni le coût des formes civiles du service national, ni les crédits affectés à la recherche duale.
En ce qui concerne les rustructurations, la défense ne financera que les crédits du FRED et les mesures d'accompagnement social destinées aux personnels de la défense.
S'agissant enfin du financement des opérations extérieures, vous avez précisé, monsieur le ministre, que seules les opérations extérieures « courantes » seront imputées à l'avenir au budget de la défense, et que les opérations « exceptionnelles », décidées par le chef de l'Etat et le Premier ministre, devront donner lieu à une décision d'affectation budgétaire complémentaire. Cette solution va dans le bon sens. Elle ne nous rassure cependant pas complètement, sauf si elle implique que le ministère de la défense se trouvera totalement exonéré du surcoût des opérations jugées « exceptionnelles », ce que je souhaite sans en être totalement convaincu. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous apporter quelques précisions sur ce point ?
M. Claude Estier. C'est important !
M. Xavier de Villepin, rapporteur. Ce projet de loi repose ensuite - c'est sa troisième caractéristique - sur une méthode de programmation affinée, conforme d'ailleurs à des voeux exprimés au cours des dernières années par notre commission.
Il est d'abord global, puisqu'il porte à la fois sur les crédits d'équipement, les moyens de fonctionnement et l'évolution précise des effectifs.
La programmation s'inscrit ensuite dans le cadre d'une planification à long terme, à l'horizon 2015. Le cap est ainsi clairement fixé pour nos forces armées : l'armée de terre sera plus compacte puisque ses effectifs seront réduits à 170 000 hommes, mais elle sera plus souple et interviendra plus facilement sur des théâtres extérieurs ; le tonnage de la marine sera moindre, puisqu'elle comptera vingt bâtiments de moins, mais ses capacités seront maintenues et même modernisées pour ce qui est de leur mise en oeuvre hors métropole ; l'armée de l'air sera fortement resserrée, mais à terme, nous l'espérons, modernisée ; enfin, la gendarmerie sera renforcée.
Exprimé en autorisations de programme et en crédits de paiement, ce projet de loi permet ainsi le développement des commandes pluriannuelles. Je souhaite que ce développement se traduise de la manière la plus large possible, car il s'agit à la fois d'une source d'économies substantielles pour la défense et d'une garantie pour les entreprises.
Ces dispositions positives ne garantissent pas, à elles seules, nous le savons bien, l'application intégrale de la programmation. Celle-ci exigera bien sûr une traduction rigoureuse dans les budgets annuels. Elle supposera surtout de renoncer aux régulations budgétaires en cours d'année, qui sont, je le rappelle, contradictoires avec les votes du Parlement, préjudiciables au bon déroulement des programmes et contraires à tout effort de bonne gestion. Les errements passés, et encore tous récents, doivent être en ce domaine impérativement corrigés.
Rien n'est définitivement acquis. Mais le contexte politique - à cet égard, il faut souligner que la durée de la programmation correspond au mandat du chef de l'Etat - et la détermination affichée par le Président de la République, qui a indiqué solennellement qu'il veillerait personnellement au respect de la programmation, sont de bon augure. Il s'agit là d'un aspect essentiel. (M. René-Pierre Signé manifeste son scepticisme.)
La dernière caractéristique majeure de cette programmation que je voudrais souligner est sa forte dimension européenne.
Des capacités de projection renforcées doivent nous permettre de participer, avec nos partenaires européens et nos alliés, à des opérations en Europe ou hors d'Europe avec des forces professionnelles adaptées, rompues à la coopération interalliée.
Les capacités de prévention et de renseignement doivent être également améliorées par une coopération européenne renforcée, en particulier pour les systèmes spatiaux d'observation.
Il va également de soi que la restructuration accélérée de notre industrie de défense a pour objectif majeur de participer à l'édification de capacités européennes fortes et compétitives de nature à résister à la concurrence internationale, principalement américaine ; enfin, malgré les très fortes contraintes budgétaires qui caractérisent cette programmation, les programmes conduits en coopération européenne verront leurs crédits doubler entre 1997 et 2002.
J'en viens maintenant au passage à l'armée professionnelle, qui constitue le point central de la présente programmation et de la réforme de notre appareil de défense. J'évoquerai successivement quatre points.
La professionnalisation, que je crois pour ma part totalement justifiée, se traduira par un bouleversement des composantes de nos forces. Celles-ci connaîtront, pendant la période de transition que constituera cette programmation, une véritable rupture. Cette mutation sera difficile à vivre. J'ai la conviction que les premières années seront décisives pour son bon déroulement.
Je ne reviendrai pas longuement - de nombreux orateurs le feront - sur les options relatives à l'avenir du service national que notre commission a longuement étudié, et je tiens à en remercier notre collègue M. Serge Vinçon.
La formule du volontariat, préconisée par le rapport de notre commission et proposée par le Président de la République le 28 mai dernier, a fait l'objet d'un amendement du Gouvernement adopté par l'Assemblée nationale. Aux termes de cet amendement, le nombre de « jeunes du service national » sera progressivement réduit à 27 171 volontaires en 2002.
Je rappelle enfin que le principe de la conscription est maintenu avec un « rendez-vous citoyen », dont la durée exacte reste à préciser, mais dont on ne saurait ignorer l'incidence budgétaire dès lors qu'il devra être clairement financé dans le cadre de l'enveloppe annuelle retenue pour le titre III.
La professionnalisation se traduira également par quatre autres évolutions majeures en termes d'effectifs.
Premièrement, nous assisterons à plus d'un doublement du nombre des militaires du rang engagés, dont les effectifs passeront de 44 000 en 1996 à 92 000 en 2002. Cet objectif sera difficile à atteindre pour parvenir à un recrutement suffisant en quantité et en qualité. Cela suppose des incitations financières fortes et des perspectives de reconversion intéressantes ; cela supposera aussi l'allongement de la durée moyenne des engagements.
Deuxièmement, les personnels civils passeront de 73 700 en 1996 à 83 000 en 2002.
Troisièmement, les effectifs de sous-officiers passeront de 215 000 aujourd'hui à 199 000 en 2002, tandis que les effectifs d'officiers diminueront peu - 267 postes - cette quasi-stabilité recouvrant cependant des évolutions plus contrastées selon les armées.
Enfin, quatrièmement, le projet de loi vise, pour 2002, un effectif de 100 000 réservistes. Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre ; je n'y reviens donc pas.
La réduction du format des forces - 24 p. 100 globalement - recouvre, elle aussi, des situations différentes.
Pour l'armée de terre, les effectifs globaux seront réduits de 36 p. 100. Il en résultera des restructurations d'autant plus accélérées que l'armée de terre doit rallier au plus vite son format futur. Ainsi une quarantaine de régiments et plusieurs dizaines de formations devront être dissous.
Je souhaite, pour ma part, que les restructurations que vous annoncerez dans quelques semaines, monsieur le ministre, couvrent les trois prochaines années - 1997, 1998 et 1999 - afin de les préparer sur le plan local, de la manière la moins douloureuse possible.
L'armée de l'air, pour sa part, verra ses effectifs décroître de 24 p. 100 et le nombre de ses bases passer de quarante-quatre en 1993 à trente-neuf en 1997 et à trente-deux en 2002.
En ce qui concerne la marine, ses effectifs subiront une contraction de 19 p. 100. Mais, à la différence de l'armée de terre et de l'armée de l'air, la marine compensera la disparition des appelés non par une augmentation des militaires d'active, mais par le recrutement de personnels civils.
Enfin, la gendarmerie est, vous le savez, la seule force dont les effectifs seront appelés à augmenter, de 4,5 p. 100, pendant la période de programmation. Cette évolution reposera essentiellement sur l'augmentation des effectifs civils.
Ces évolutions considérables exigent, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, de fortes mesures d'accompagnement économique et social. Ce pari sera difficile à tenir et je redoute, pour ma part, des dérives financières dans les prochaines années. Le projet de loi prévoit en effet de consacrer plus de 9 milliards de francs à la professionnalisation.
Les crédits consacrés au recrutement des engagés permettront d'améliorer la rémunération des militaires du rang et de prévoir des mesures de reconversion dans le civil.
Enfin, la gendarmerie est, vous le savez, la seule force dont les effectifs seront appelés à augmenter de 4,5 p. 100 pendant la période de programmation. Cette évolution reposera essentiellement sur l'augmentation des effectifs civils.
Ces évolutions considérables exigent, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, de fortes mesures d'accompagnement économique et social. Ce pari sera difficile à tenir et je redoute, pour ma part, des dérives financières dans les prochaines années. Le projet de loi prévoit en effet de consacrer plus de 9 milliards de francs à la professionnalisation.
Les crédits consacrés au recrutement des engagés permettront d'améliorer la rémunération des militaires du rang et de prévoir des mesures de reconversion dans le civil.
Ma dernière observation portera sur le volume et la cohérence des crédits de fonctionnement.
Compte tenu, en particulier, du poids des rémunérations et des charges sociales, les crédits de fonctionnement devront diminuer de 20 p. 100 durant la période de programmation. Si la réduction du format des armées doit permettre des économies, je suis préoccupé, monsieur le ministre, par l'incidence de cette réduction des crédits de fonctionnement sur la capacité opérationnelle de nos forces. La question est particulièrement aiguë pour l'armée de terre, où les rémunérations et les charges sociales représenteront près de 85 p. 100 du titre III en 2002.
Ce titre III m'apparaît ainsi globalement caractérisé par une très grande rigidité et une très faible marge de manoeuvre. Je crains que les tensions et les difficultés ne soient, dans les années à venir, au moins aussi fortes sur le titre III que sur le titre V.
J'en viens précisément aux crédits d'équipement, qui représentent 86 milliards de francs par an, et aux grands programmes.
En ce qui concerne la dissuasion nucléaire, je relèverai brièvement trois points.
Le premier concerne la réduction sensible du format de nos forces nucléaires.
Ces décisions, permises par le nouveau contexte stratégique et conformes au principe de suffisance, doivent être approuvées, selon moi. Je m'interroge, en revanche, même si l'on peut en comprendre les raisons, sur la décision de démanteler immédiatement nos centres d'expérimentation du Pacifique : la France sera en effet désormais la seule puissance nucléaire définitivement privée de toute capacité matérielle d'expérimentation, alors que la conclusion d'un traité relatif à l'interdiction générale des essais nucléaires réellement universel et vérifiable est loin d'être garantie et que la mise au point des programmes de simulation constitue un défi technologique considérable.
Le deuxième point concerne la modernisation assurée de la composante sous-marine avec, d'abord, la poursuite du programme exceptionnel des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération ; ensuite, la décision, très importante, de commander le quatrième SNLE-NG en l'an 2000 pour une admission au service actif en 2008, ce qui permettra de maintenir, si nécessaire, deux SNLE à la mer ; enfin, le renouvellement programmé des missiles M 45 par des missiles M 51 à l'horizon 2010-2015.
Au total - c'est ma troisième observation - près de 106 milliards de francs, soit 20,5 p. 100 du titre V, seront consacrés au nucléaire sur les six années de la programmation, soit, en moyenne, 17,5 milliards de francs par an. Cela représente une réduction d'environ trois milliards de francs par an des crédits consacrés au nucléaire.
Cette enveloppe est calculée au plus juste. Je crois que l'on atteindra là un seuil strictement incompressible. J'insiste en particulier, monsieur le ministre, pour que les programmes de simulation, qui sont essentiels pour l'avenir à long terme de notre dissuasion, disposent des enveloppes financières indispensables pour être en mesure d'assurer la fiabilité des nouvelles têtes nucléaires.
Le projet de programmation maintient ensuite une priorité marquée en faveur du renseignement, de l'espace et des capacités interarmées. Les programmes militaires spatiaux disposeront ainsi, sur la période de programmation, de 4 p. 100 des crédits inscrits au titre V.
Il faut en particulier se féliciter de l'accord conclu avec l'Allemagne sur les programmes d'observation optique Hélios 2 et radar Horus. Il s'agit là d'un événément stratégique de première importance au moment où l'Europe militaire spatiale est encore balbutiante. Je rappellerai en effet que, malgré son caractère dominant en Europe, le budget militaire spatial français est de moins de 4 milliards de francs par an, alors que le budget américain dépasse largement 15 milliards de dollars...
En ce qui concerne les équipements classiques, les décisions prises visent à la fois à adapter les équipements au resserrement général du format et à rendre crédible l'enveloppe financière.
Cette démarche réaliste et courageuse doit être approuvée. Elle entraîne cependant, pour chacune de nos armées, des sujets de préoccupation sur lesquels je serais heureux, monsieur le ministre, que vous puissiez apporter devant le Sénat quelques précisions.
S'agissant des forces terrestres, la nouvelle réduction de cible des chars Leclerc, finalement limitée à 406 chars sur la base de trente-trois livraisons annuelles, peut être justifiée par l'évolution du contexte international, encore que le char Leclerc, qui est un remarquable instrument de guerre,...
M. René-Pierre Signé. On ne fait plus la guerre !
M. Xavier de Villepin, rapporteur. ... par sa polyvalence et sa mobilité, pourrait être projeté plus facilement que les autres chars dans le cadre d'opérations extérieures.
M. Lucien Neuwirth. Très bien !
M. Xavier de Villepin, rapporteur. On ne saurait en tout cas mésestimer les conséquences industrielles, pour GIAT Industries, des réductions décidées.
Un sénateur du RPR. Tout à fait !
M. Xavier de Villepin, rapporteur. De même, les décisions concernant les hélicoptères Tigre et NH 90, qui se traduisent par une amélioration différée de l'aéromobilité, vont peser lourdement à la fois sur les perspectives industrielles et exportatrices d'Eurocopter et sur les capacités de financement qui seront nécessaires après 2002.
J'en viens, monsieur le ministre, à une question dont je vous ai déjà souvent parlé : les perspectives financières de l'armée de l'air, qui sont à mes yeux les plus préoccupantes pour le futur. L'élément le plus visible du modèle retenu est la diminution du nombre d'avions de combat en ligne, qui passera de 405 aujourd'hui à 360 en 2002. Serons-nous à 300 en 2015, monsieur le ministre ?
Cette forte réduction pourrait, en soi, être jugée inquiétante. Mais le principal sujet d'inquiétude pour les prochaines programmations réside dans la capacité financière de notre armée de l'air d'atteindre ce format lui-même, format pourtant inférieur à celui de nos principaux alliés. Car, pour ses deux programmes majeurs bien que d'ampleur financière différente, le Rafale et l'ATF, l'armée de l'air est contrainte, pour des raisons financières, à l'attentisme et à l'incertitude.
Pour le Rafale, l'effort prévu sur la période de programmation - environ 4 milliards de francs par an pour la loi que nous discutons - se traduit par des économies considérables dans les années à venir, mais il ne permet, mes chers colègues, que deux livraisons et trente-trois commandes sur la période et repousse à 2005 la constitution du premier escadron de Rafale, avec les conséquences qui risquent d'en résulter à l'exportation. En effet, ne passerons-nous pas après l'avion européen concurrent et, bien sûr, après l'avion américain ?
Surtout, ce choix repousse après 2002 l'essentiel de l'effort et il faudra miser alors, pour le seul Rafale, dans la prochaine loi de programmation, non pas sur 4 milliards de francs comme actuellement, mais sur 7 milliards de crédits annuels pour atteindre l'objectif visé en 2015. Il est permis de nourrir de fortes inquiétudes quant à la tenue de ce pari pour notre armée de l'air.
Pour la flotte d'avions de transport, l'incertitude persiste sur les appareils qui devront succéder aux Transall à partir de 2003. Le projet de loi ne comprend aucun financement pour le développement de l'avion de transport futur, l'ATF, et les Allemands nous ont récemment rejoints sur cette position. Notre commission souhaite vivement la réalisation effective du projet européen, dont l'abandon constituerait un inquiétant aveu d'impuissance. Mais pouvons-nous encore y croire ?
J'insiste sur ces difficultés futures. Mais il va de soi que la période de programmation verra simultanément la modernisation et le déroulement satisfaisant de nombreux programmes aériens, à commencer par les Mirage 2000 D et les Mirage 2000-5.
Le principal problème pour la marine, qui sera réduite à terme à 80 bâtiments au lieu de plus de 100 aujourd'hui, concerne l'avenir du groupe aéronaval, sa capacité de permanence et sa capacité défensive.
Première difficulté : le projet de loi ne prévoit, en fin de planification en 2015, que l'éventualité d'un second porte-avions, si les conditions économiques le permettent ; or, le Clemenceau sera retiré du service en 1997 ; le Foch, pour sa part, sera mis en sommeil en 1999 lors de l'admission au service actif du Charles-de-Gaulle, avant d'être remis en service vers 2004 lors de la preimère révision programmée du Charles-de-Gaulle ; au-delà de cette date, il est à craindre qu'une indisponibilité non programmée du porte-avions ne puisse être compensée dans les délais requis par une intervention en temps de crise ; il va enfin de soi qu'au-delà de 2010 la permanence du groupe aéronaval ne pourra être maintenue que si le second porte-avions voit le jour.
Une seconde difficulté pour le groupe aéronaval concerne son aviation embarquée et le délai qui séparera le retrait des Crusader de l'arrivée en 2002 de la première flottille de douze Rafale marine ; ce délai affectera, pendant plus d'un an, la protection du groupe aéronaval.
La dernière partie de mon intervention sera consacrée aux incidences du projet de loi sur les industries de défense. Vous en avez beaucoup parlé, monsieur le ministre. Je formulerai quatre observations sur les mesures nationales indispensables.
La réduction des coûts des programmes constitue une nécessité absolue pour rendre plus compétitive notre industrie. C'est dans cet esprit que vous avez demandé à la délégation générale pour l'armement, la DGA, de diminuer de 30 p. 100, sur la période de programmation, ses coûts et ses délais d'intervention pour parvenir à une réduction équivalente des coûts et des délais des programmes d'armement. Cet objectif, très ambitieux, ne peut constituer qu'un ordre de grandeur. Il sera, à l'évidence, très difficile à atteindre, en tout cas de manière systèmatique et uniforme.
Le but est de renforcer nos structures industrielles. L'Etat a pris à cet égard des initiatives fortes. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez aujourd'hui faire le point devant le Sénat des perspectives concernant la privatisation du groupe Thomson, des modalités et du calendrier envisagé pour le rapprochement difficile annoncé entre Dassault Aviation et Aérospatiale, des perspectives de recapitalisation de GIAT Industries dont, nous en sommes conscients, l'avenir reste sombre et qui, bien qu'implanté sur des sites trop nombreux, touche des bassins d'emploi déjà fortement atteints, et, enfin, sur la répartition des 4,1 milliards prévus dans le projet de loi pour accompagner la lourde mais indispensable adaptation de la Direction des constructions navales, la DCN, à son plan de charge.
Le projet de loi prévoit un dispositif substantiel d'accompagnement économique et social des restructurations.
Ma dernière observation porte sur la nécessité - j'insiste sur ce point, monsieur le ministre -, d'un dispositif cohérent d'aide à l'exportation des industries liées à la défense.
Nous faisons, en matière d'aide à l'exportation, beaucoup moins bien que nos concurrents américains. Il faut renforcer notre présence en ce domaine.
Mes chers collègues, les difficultés de mise en oeuvre de la profonde réforme qui nous est proposée ne doivent en aucune manière être mésestimées.
Ainsi, la professionnalisation de nos forces, qui est, à mes yeux, tout à fait nécessaire, constitue un bouleversement majeur pour nos armées, tout particulièrement pour l'armée de terre. La réussite de la politique de recrutement des engagés constituera une étape très difficile, des efforts exceptionnels devront être consentis, tant pour l'organisation des forces que pour les personnels, et la période de transition qui s'achèvera en 2002 sera, monsieur le ministre, particulièrement délicate à gérer ; il en résultera, et nous devons en être conscients, une limitation de nos possibilités d'engagement extérieur dans les prochaines années.
Par ailleurs, la réduction des crédits d'équipement aura des conséquences lourdes : des efforts d'économies systématiques ont été faits et tout a été calculé « au plus juste », pour reprendre les termes employés par le chef d'état-major des armées.
Enfin, l'effort ne s'arrêtera donc pas en 2002, et il devra être poursuivi au-delà de cette date pour atteindre l'objectif visé pour 2015. Les prochaines programmations seront donc décisives pour le financement d'équipements majeurs et très lourds dont la réalisation a été reportée. Chacune de nos armées sera alors confrontée à ce que l'un de nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a appelé d'inquiétantes « bosses » financières.
C'est avant tout le problème de la montée en puissance du Rafale et du financement simultané des avions de transport pour l'armée de l'air. C'est aussi, pour la marine, le problème de la permanence de la cohérence du groupe aéronaval et du financement du second porte-avions. C'est encore notamment, pour l'armée de terre, la question de l'aéromobilité, dont la modernisation paraît - je dis bien « paraît », monsieur le ministre - avoir été différée. C'est, enfin, l'adaptation impérative des structures de notre industrie d'armement, qui n'ira pas non plus sans difficultés.
Le pari est donc très ambitieux. Il n'en doit pas moins, selon la commission, être relevé, car il s'agit à la fois d'un pari nécessaire et d'un pari raisonné, et cela au moins à quatre titres.
La réforme qui nous est proposée se caractérise d'abord par sa cohérence d'ensemble. La démarche entreprise a un caractère global et prend en compte, pour la première fois, tous les aspects de notre défense. C'est là un premier gage de réussite.
Cette réforme est ensuite caractérisée par son réalisme. Elle se veut adaptée à nos moyens. Il aurait, certes, été aujourd'hui plus facile pour nous d'adopter une loi de programmation ignorant les contraintes financières et le contexte de nos finances publiques. Mais cet effort systématique d'économies constitue précisément le facteur essentiel de crédibilité de la programmation qui nous est soumise. Cette masse financière reste au demeurant ambitieuse puisqu'elle privilégie les crédits militaires qui seront maintenus en francs constants.
La réforme qui nous est soumise se caractérise aussi par son caractère progressif. Cette progressivité est indispensable pour accompagner la professionnalisation et la réduction de format de nos armées.
Enfin, la réforme proposée s'inscrit fondamentalement dans une perspective européenne forte qui touche, là encore, tous les aspects du modèle de défense retenu : organisation de nos forces, équipements, stratégie industrielle.
Pour toutes ces raisons, cette réforme de notre appareil de défense m'apparaît à la fois courageuse et exemplaire. Monsieur le ministre, je tiens à vous en remercier. La programmation qui nous est soumise, malgré toutes les difficultés qu'il faudra surmonter, constitue la rampe de lancement indispensable de l'adaptation de notre défense.
Tel est bien l'enjeu. Nous n'avons dès lors pas le droit à l'erreur. L'échec n'est pas permis. C'est la raison pour laquelle l'exécution fidèle et intégrale de cette programmation constituera un impératif auquel notre commission portera, tout au long des années à venir, la plus grande vigilance.
Je suis, à cet égard, moins pessimiste que pour les précédentes programmations, et ce pour deux raisons majeures : l'enveloppe financière est d'abord, cette fois, raisonnable et réaliste, et l'engagement personnel du Président de la République constitue ensuite un élément primordial de respect de la loi et un gage de crédibilité essentiel.
Mes chers collègues, je voudrais, en quelques mots, vous résumer ma conviction personnelle pour terminer, et je rejoins votre conclusion, monsieur le ministre.
Quatre-vingts ans après la bataille de Verdun, cinquante-six ans après l'appel du 18 juin, l'armée française ouvre aujourd'hui un nouveau chapitre de son histoire. L'heure n'est ni à la résignation ni au scepticisme. Nos armées attendent et méritent avant tout notre engagement résolu, notre reconnaissance et notre soutien.
C'est sous le bénéfice de ces observations que votre commission vous propose, mes chers collègues, d'adopter le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Blin, rapporteur pour avis.
M. Maurice Blin, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien des choses ont déjà été dites sur la décision prise par le Président de la République de procéder à une refonte générale de notre appareil de défense. Elles le furent, souvenez-vous-en, lors du débat d'orientation qui s'est déroulé au Sénat le 26 mars dernier. D'autres remarques, remarquablement pertinentes, et auxquelles je m'associe, viennent d'être faites à l'instant même par le président de la commission des affaires étrangères et de la défense saisie au fond.
L'avis de la commission des finances, que j'ai mission de rapporter devant vous, les rejoint largement. Il se limitera à l'aspect financier de cette loi de programmation à six ans, tout particulièrement au titre V, qui traite des équipements. Il est vrai que cet aspect financier est essentiel dans la mesure où la révision profonde du format de nos armées a été inspirée non seulement par le bouleversement de notre environnement géostratégique, mais aussi et au moins autant par des contraintes budgétaires.
Celles-ci sont en effet bien différentes aujourd'hui de ce qu'elles étaient voilà deux ans lorsque fut élaborée par le précédent gouvernement, puis votée par le Sénat, une première loi de programmation 1994-2000. De l'une à l'autre, les crédits consacrés à notre défense subissent une réduction forte de 20 p. 100 ; ils s'établissent désormais, tous titres confondus, à 185 milliards de francs par an.
Ce chiffre doit cependant être interprété. En réalité, et malgré les apparences, il s'agit moins d'une suppression brutale et massive de moyens que d'un constat. Il représente, en effet, une partie de l'écart qui, de 1991 à 1995, s'est régulièrement établi entre les crédits votés par le Parlement et ceux qui furent réellement consommés. Des annulations ou reports divers, soit 45 milliards de francs en cinq ans, c'est-à-dire 30 p. 100 des crédits initialement prévus, ont affecté essentiellement le titre V. Ceux-ci ont constitué, disons-le très clairement, sur la période la principale variable d'ajustement budgétaire. Ces fluctuations brutales, imprévisibles sont dommageables à bien des titres : elles perturbent les conditions de production des entreprises, elles génèrent des intérêts moratoires que l'Etat doit verser. C'est ainsi - chiffres impressionnants - que ceux-ci ont atteint 350 millions de francs en 1994 et 550 millions de francs en 1995.
En inscrivant dans la loi le montant annuel des crédits qui seront désormais consacrés à la défense nationale, le Gouvernement fait donc oeuvre de vérité et de clarté, S'y ajoutent deux garanties : ces 185 milliards de francs seront calculés en francs constants et cette ligne budgétaire devra être scrupuleusement respectée ; le Président de la République en a pris solennellement l'engagement. Pour les entreprises, l'avenir devrait donc, désormais, être durablement balisé.
Cette loi de programmation à six ans, qui sera suivie de deux autres pour atteindre 2015 dans le cadre d'une planification qui verra s'achever le remodelage complet de notre système de défense, n'est pas, vous le voyez, sans mérite. Elle satisfait en tout cas notre goût bien national d'ordre et de clarté.
Mais, comme chacun le sait depuis Napoléon, en matière militaire, tout est dans l'exécution. Or c'est là, et plus particulièrement dans la période si délicate de mue qui va marquer nos armées jusqu'en l'an 2000, que des ombres apparaissent, et certaines sont malheureusement épaisses.
La première ombre tient à la réduction très sensible de leurs moyens matériels.
Pour l'armée de terre, les crédits régressent de 23,8 milliards à 19 milliards de francs. Les chars passeront de 930 à 420, nombre inférieur à celui de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne, inférieur même à celui des Emirats arabes unis, auxquels nous avons vendu nos chars Leclerc.
M. Emmanuel Hamel. C'est dramatique !
M. Maurice Blin, rapporteur pour avis. Les hélicoptères passeront de 340 à 168, les véhicules tout terrain de 800 à 500, les véhicules de l'avant blindés de 2 000 à 1 230.
La marine perdra 23 bâtiments. Le porte-avions Clemenceau sera désarmé en 1997 ; le Charles-de-Gaulle à propulsion nucléaire sera opérationnel en 1999. La construction d'un second porte-avions de même type n'est pas prévue pour le moment. Or - M. de Villepin l'a rappelé tout à l'heure - pour assurer la présence d'au moins un bâtiment à la mer, il en faut, on le sait, deux. Il est donc envisagé de garder le Foch , quasi-frère du Clemenceau, « en sommeil », situation dont les conditions techniques de mise en oeuvre me paraissent très imprécises. En revanche, un quatrième sous-marin nucléaire sera construit.
Mais c'est - je le répète après M. de Villepin - l'armée de l'air qui va connaître la reconfiguration la plus profonde. Sa flotte d'appareils a vieilli ; ses coûts d'entretien augmentent. Leur nombre devrait passer de 450 avions à 300 en 2015.
Son sort est désormais lié à celui du Rafale. Cet appareil d'un type radicalement nouveau, dans la mesure où il sera polyvalent, propre à la fois à l'interception et à l'attaque, destiné en outre, dans sa version marine, à équiper le porte-avions Charles-de-Gaulle , devait, lorsque sa construction fut engagée, en 1988, être opérationnel en 1996. Or il ne serait plus mis à la disposition de l'armée de l'air qu'en 2005, soit avec près de dix ans de retard. En 2002, il est vrai, douze Rafale-Marine embarqueraient sur le Charles-de-Gaulle et deux seraient livrés à l'armée de l'air aux seules et uniques fins de démonstration.
Ce retard présente deux inconvénients graves ; je pense que vous en conviendrez, monsieur le ministre. Il privera pendant trois ans, de 1999 à 2002, le porte-avions de la protection aérienne qui lui est nécessaire. Mais, surtout, le Rafale risque de voir singulièrement compromises ses chances à l'exportation, celle-ci étant pourtant indispensable à la rentabilisation de son coût de développement très élevé puisqu'il atteint 40 milliards de francs, dont 35 milliards de francs sont à la charge de l'Etat. Dans la concurrence féroce qui caractérise le marché des avions d'armes, le Rafale disposait jusqu'ici d'une avance de plusieurs années par rapport à l'avion européen concurrent et aux appareils américains F 15, F 16 et même F 18, qui, bien que de qualité, sont vieillissants et moins performants, en attendant la sortie du futur avion d'attaque interarmes américain, qui n'est pas prévue avant 2004 en démonstration et 2009 en série.
Il s'ouvrait à lui un créneau qu'il pouvait occuper presque seul sur le plan mondial.
S'il venait à perdre cette avance et si l'armée française ne s'en équipait pas à temps, cet atout majeur disparaîtrait, avec les conséquences commerciales et financières qu'on peut imaginer.
Je m'attarderai moins - cela vient d'être fait par M. de Villepin - sur l'arme nucléaire dont les crédits diminuent de 20 p. 100. Abandon du missile Hadès, qui inquiétait assez justement l'Allemagne, démantèlement du plateau d'Albion, des installations de Pierrelatte et Marcoule, celle-ci à la charge du CEA, poursuite du programme PALEN de miniaturisation des essais nucléaires, tout cela traduit la priorité donnée au vecteur air ou mer de notre force de frappe, moins vulnérable, du moins aussi longtemps que le sous-marin restera indétectable. Si ce n'était plus le cas demain, le choix de l'abandon définitif du plateau d'Albion ne serait pas sans conséquences.
La seconde inquiétude exprimée par la commission des finances concerne les programmes d'équipement prévus dans le cadre de la coopération européenne, plus particulièrement avec l'Allemagne. Ils représentent 60 milliards de francs et sont en forte progression, nous nous en félicitons.
Dans le domaine prioritaire du renseignement, cette coopération devrait se dérouler comme prévu. Nous construirons le satellite Hélios II avec notre voisin allemand, qui a résisté aux pressions insistantes menées par les Etats-Unis pour l'en détourner. Il en sera de même pour les satellites d'observation Horus et Osiris, à la construction desquels d'autres pays européens s'associeront, ainsi qu'en matière de télécommunications pour le satellite Syracuse.
En revanche, dans le domaine des hélicoptères, la situation est beaucoup moins bonne. Le Tigre, hélicoptère d'attaque - appui et protection - produit par la société Eurocopter, dans laquelle Aérospatiale se partage majoritairement le capital avec DASA, s'est déjà heurté à la forte concurrence de l'Apache américain, qui lui a ravi les marchés anglais et hollandais. Il se heurtera, demain, à celle du Comanche, toujours américain. Il devait être produit à 430 exemplaires et être armé du missile Trigat. Mais ce chiffre est désormais incertain et, en tout état de cause, les délais de fabrication seront allongées et passeraient de 1992 à 2002. Il en va de même du NH 90, hélicoptère de transport, qui intéresse sept pays européens, avec un marché estimé entre 500 et 800 appareils.
Mais c'est sur le sort futur de l'ATF que j'insisterai, car il pose, et de loin, le plus gros problème. Je m'étais déjà exprimé à son sujet lors du débat d'orientation de mars dernier, mes chers collègues, certains se le rappellent peut-être. Seul cet appareil garantirait à la fois notre capacité de projection des forces, l'une des raisons d'être de la loi de programmation que vous nous proposez, monsieur le ministre, et assurerait l'indépendance de la France et des pays européens face aux Etats-Unis. Produit à 300 exemplaires pour sept pays, plus de 100 à l'exportation, il entraînerait la création de 15 000 emplois en Europe. Or, et c'est là une étrange contradiction, ce programme est absent du projet de loi que nous examinons. Il ne serait envisagé que dans la prochaine, c'est-à-dire après 2002, et à la condition que notre situation financière le permette.
Au cours des derniers mois, mes chers collègues, cette affaire d'une importance capitale a fait l'objet d'une active confrontation entre les industriels concernés et le Gouvernement. Celui-ci a raison de mettre la barre très haut - elle ne l'a sans doute pas été assez lorsque fut décidée, en son temps, la construction du Rafale - en demandant, d'une part, une réduction significative des spécificités de l'appareil et donc de son coût et, d'autre part, la prise en charge quasi totale de son coût de développement par les industriels. Cette contrainte, sans précédent dans le domaine de l'aviation militaire, peut paraître très, sinon trop sévère. De toute façon, les industriels ne pourraient y consentir que si les Etats clients s'engageaient sur un programme ferme de commandes. C'est en effet la condition sine qua non de la rentabilité du projet et de l'intérêt qu'il pourrait susciter dans les sociétés de droit privé. Si ce chiffre de 3,5 milliards de francs, qui correspondrait à la part que l'Etat pourrait finir par consentir à prendre dans le coût de développement de l'appareil, est exact, il apparaît bien faible par rapport à l'enjeu.
La commission des finances espère donc qu'un accord entre les partenaires - Etats utilisateurs et industriels - pourra être trouvé - il devra l'être - et vous demande, monsieur le ministre, de tout faire en ce sens.
Une troisième source d'incertitude tient à l'exigence, tout à fait justifiée, émise par le Gouvernement de voir réduit de façon très sensible le coût des fabrications d'armement grâce à une augmentation de la productivité de 30 p. 100 à l'horizon de 2002, soit un gain de 5 p. 100 par an.
J'observe que ce coût représente plus du double de ce que prévoyait la loi de programmation de 1994, objectif qui ne fut d'ailleurs pas atteint l'an dernier.
Ce chiffre est très ambitieux. Il nous paraît peu compatible avec la réduction des séries et l'allongement des délais prévus par ailleurs. Il suppose une meilleure articulation entre la recherche civile et militaire, une meilleure coopération avec et entre les différents organismes, fussent-ils d'Etat, tels le CNES, le Centre national d'études spatiales, et le CEA, le Commissariat à l'énergie atomique ; il suppose la forfaitisation systématique des contrats, etc. Mais surtout il implique un changement de culture total de la part de la direction générale des armements, la DGA. En effet, il ne s'agira plus, demain, de répondre comme hier par des moyens financiers régulièrement accrus aux exigences, toujours plus sophistiquées, des techniciens de la chose militaire qui devront désormais, au contraire, adapter leurs demandes aux crédits mis à leur disposition. Cette prise en compte de la loi du marché - puisque c'est l'Etat qui est consommateur - constitue une véritable révolution.
Elle répond, en outre, à un autre impératif qu'on ne sent pas assez, monsieur le ministre, ni dans votre projet de loi ni dans les commentaires qui l'ont accompagné, celui de l'exportation. Le marché des armes connaît une concurrence acharnée. Le facteur prix y joue désormais un rôle déterminant, dû entre autres à la présence accrue de matériels d'occasion. Savez-vous que les ventes françaises d'armes ont chuté en dix ans de 72 p. 100 ? Leur excédent est passé de 34 milliards à 7,2 milliards de francs.
Leur avenir est donc plus que jamais lié à la lutte pour l'abaissement des coûts.
Reste, enfin, une quatrième et dernière source d'inquiétude, et ce n'est pas la moindre. Elle est liée à la fragilité de l'équilibre prévu dans le projet de loi de programmation entre les crédits de fonctionnement et les crédits d'équipement, soit respectivement 99 milliards et 86 milliards de francs. La commission des finances voudrait être certaine qu'on n'assistera pas à des transferts indus des seconds vers les premiers. Ce fut le cas dans le passé. C'est le cas aujourd'hui au niveau du budget général de l'Etat dont, depuis cinq ans, le train de vie n'a cessé d'augmenter alors que les crédits d'équipement civil régressaient.
Notre crainte est d'autant plus vive que les occasions de dérive sont multiples. Le traitement de problèmes aussi difficiles que le redéploiement des sites de production, avec les reconversions économiques et sociales qu'il entraînera, le financement de nouvelles dépenses d'infratructures, faiblement compensé par la cession des actifs immobiliers de l'armée, la recapitalisation des sociétés de conversion, les restructurations industrielles, à l'occasion desquelles les effectifs seront fortement réduits, les compensations assurées à la Polynésie pour la fermeture du centre d'expérimentation du Pacifique : tout cela a, certes, été prévu, mais le coût, estimé approximativement, me semble-t-il, a toutes chances d'être supérieur.
Il en va de même pour le coût des opérations extérieures, estimé à 4 milliards ou 5 milliards de francs. En effet, la distinction faite entre les opérations courantes, dont le financement est prévu dans la loi, et les autres, qui devraient donner lieu à un supplément de ressources, nous paraît bien théorique. Comment qualifier, par exemple, l'engagement de nos troupes en Bosnie ? Que dire encore des mutations touchant le personnel militaire, dont mon collègue M. Trucy parlera tout à l'heure beaucoup mieux que moi ?
Un seul exemple : le coût du « rendez-vous citoyen » est estimé à 750 millions de francs. Mais il peut beaucoup varier selon la durée. Or celle-ci ne sera traitée que dans un prochain projet de loi. Pour l'instant, l'incertitude demeure.
En résumé, mes chers collègues, le contraste est grand entre la clarté et l'ambition du but que le chef de l'Etat a fixé à la nation, but que nous approuvons, et la fragilité des perspectives financières qui entourent les moyens qu'il faudra réunir pour l'atteindre.
Ce contraste paraît plus particulièrement sensible et dangereux à la fin de la période couverte par cette loi de programmation, c'est-à-dire entre 1999 et 2002. A ce moment-là, en effet, comme l'a dit M. de Villepin, le budget devra assumer à la fois le plein effet des mesures de redéploiement des sites de production, ainsi que celui de la conversion du personnel militaire et, dans le même temps, la mise en fabrication de l'avion Rafale et le lancement éventuel de l'ATF.
Il n'y parviendra que si, d'ici là, la charge de la dette publique générale, qui représente aujourd'hui 20 p. 100 de nos recettes, a été, sinon définitivement, du moins significativement réduite. Or elle ne pourra l'être qu'au prix d'une réduction drastique du coût du fonctionnement civil de l'Etat. Et cette tâche, vous le savez, monsieur le ministre, mes chers collègues, sera rude !
A cet égard, toutefois, la loi prévoit, dans son article 3, que le Gouvernement présentera chaque année au Parlement, lors du dépôt du projet de loi de finances, un rapport sur l'exécution de la loi de programmation et sur les mesures à caractère économique et social qui l'accompagneront. De même, tous les deux ans, un débat parlementaire aura lieu sur ce rapport, qui pourra inclure une révision des échéanciers des programmes industriels. Ces dispositions, introduites par l'Assemblée nationale, nous paraissent utiles et méritent notre approbation.
Je conclurai mon intervention en formulant une ultime crainte. Elle touche un point aux incidences financières certaines : la sécurité intérieure. Les menaces que font peser sur celle-ci le terrorisme, la drogue, bref, toutes les formes extrêmes - et il en est bien d'autres - de malaise social, ne sont pas minces. Le renforcement de 4,5 p. 100 des effectifs de la gendarmerie suffira-t-il à y répondre ?
Je rappelle que le plan Vigipirate, pourtant modeste, a exigé le renfort de 50 000 appelés. Cette tâche essentielle pourrait, demain, devenir prioritaire. Une armée professionnelle pourra-t-elle l'accomplir ? A défaut, qui s'en chargera, et avec quels moyens ? La question méritait d'être posée.
Mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations, dont certaines, vous l'aurez constaté, s'assortissent, non pas de réserves...
M. René-Pierre Signé. Si, et très dures !
M. Maurice Blin, rapporteur pour avis. ... mais d'une assez grande perplexité, la commission des finances vous propose d'adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Emmanuel Hamel. Merci de vos arguments pour voter contre ce projet de loi néfaste !
M. le président. La parole est à M. Trucy, rapporteur pour avis.
M. François Trucy, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Ce projet de loi de programmation militaire, vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre, est partie d'un projet de société, partie d'un projet de réforme.
Le budget de la défense prendra sa part des économies de la dépense publique.
Le Gouvernement, que nous soutenons, a entrepris des réformes considérables, toutes nécessaires à notre pays.
Il s'applique tout d'abord à lui-même un effort de réduction du déficit budgétaire de l'Etat, de la dette publique et des dépenses publiques.
Il a mis en route la réforme de la sécurité sociale ; il tente de redresser la situation de la SNCF ; il réforme les télécommunications et modernise le statut de France Télécom. Il réformera, demain, une fiscalité devenue incompréhensible parce que trop complexe et poussera au redressement d'un système bancaire français très mal en point.
Comment imaginer, dans ces conditions, que la défense militaire ne prenne pas sa part de la réduction de la dépense publique ? La géopolitique permet de le tenter ; la situation financière l'exige.
Le budget de la défense économisera donc 20 milliards de francs par an. En échange, il obtient une garantie inusitée : l'assurance doit être doté de 1 110 milliards de francs pour les six années 1997-2002, dont 594 milliards de francs pour le titre III, soit 99 milliards de francs par an.
Puisse cette programmation militaire inaugurer une ère nouvelle de réalisme et de cohérence.
Le projet de loi de programmation militaire qui nous est soumis est la première étape vers le nouveau modèle d'armée ; mais il marque déjà une véritable rupture et amorce une très profonde mutation.
Vous me direz que ce n'est ni la première réforme de notre dispositif de défense ni la première loi de programmation militaire ; vous l'avez rappelé tout à l'heure, c'est la neuvième. Mais les réorganisations successives de l'armée que la France a conduites, soit à l'issue des grands conflits mondiaux, soit à la fin de la phase coloniale de notre histoire, sont déjà oubliées dans la mémoire collective. Le choc d'aujourd'hui est donc tout neuf.
Les lois de programmation successives ont un seul point commun, tout le monde le sait, celui de n'avoir jamais été respectées. L'auraient-elles été dans les lois de finances que, année après année, les régulations budgétaires, les gels de crédits, les changements de programme n'auraient cessé d'annuler, et ce dans des proportions notables, les dispositions retenues dans les budgets de la défense. Le sort cruel réservé à la dernière loi de programmation militaire est très significatif.
Il faut passer de la méthode des voeux et des cachotteries budgétaires à celle du réalisme de la cohérence.
Partageant pleinement toutes les idées exposées à l'instant par MM. de Villepin et Blin, je ne ferai qu'exprimer ici des regrets et des craintes, des satisfactions, des espoirs, avant de faire part de la confiance que j'ai dans la réussite de la réforme et de formuler enfin quelques questions.
Parmi les regrets, figure d'abord celui de voir disjoints les deux débats : programmation, d'une part, et service national, d'autre part.
Bien sûr, monsieur le ministre, vous avez fort honnêtement, pour répondre à cette critique, fait figurer dans le texte le tableau des effectifs des deux options retenues par vous pour le service.
Cela permet de débattre dans la clarté, certes, mais aussi de constater que ces deux options sont à cent lieues de l'organisation actuelle du service. Sur ce point, nous craignons que le débat ne soit donc clos par avance et qu'il n'attende pas les résultats de la prochaine consultation du Parlement.
Regret d'avoir lu et entendu, pas de vous, monsieur le ministre, des propos tout à fait regrettables et psychologiquement maladroits sur la conscription. Ils étaient déplacés, injustes et faisaient bon marché du dévouement et de la compétence des militaires de carrière en charge du service.
Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ! Le service avait de grands défauts, dont le principal était sans doute son caractère de plus en plus inégalitaire, mais ce n'était pas la faute des militaires eux-mêmes.
En tout cas, il était ni utile ni correct de le dénigrer pour mieux promouvoir la professionnalisation.
Regret, à propos du choix de la professionnalisation, des références, à mon avis beaucoup trop louangeuses, aux armées britanniques et américaines.
Je constate, témoignages à l'appui, que l'exemple britannique n'est pas si brillant que cela, vu du côté des Britanniques eux-mêmes, et que l'armée américaine, si puissante soit-elle, n'offre pas le visage de la perfection.
Il faudra donc - et nous adorons cette expression - faire vivre une armée professionnelle à la française. Sur cela, au moins, je ne nourris aucune inquiétude, monsieur le ministre : le pari sera gagné.
Regret de voir se réduire dans de telles proportions les effectifs de trois de nos armées, jusqu'à se poser le problème suivant : le seuil critique est-il atteint ? Est-il dépassé ? Qu'on en juge : 130 000 militaires de moins en regard de quelques civils de plus pour assurer les tâches non opérationnelles jusqu'alors confiées précédemment aux appelés ; au total, 120 000 personnes en moins dans les six ans qui viennent.
Mais, surtout, l'armée n'est-elle pas, de nos jours, non seulement un grand corps de l'Etat, solide et bien organisé, que l'on ne voit pas modifier sans appréhension, mais plus encore l'un de ces corps - j'aurais tendance à dire « le corps » - au sein desquels les notions de patrie, de valeur, de vertu, de courage, de rigueur et de discipline sont le mieux entretenues et défendues, et cela quels que soient les lieux et les circonstances ?
L'armée, même réduite, conservera, j'en suis sûr, toutes ces qualités, mais il y aura un déficit quantitatif dans un domaine qui, de l'avis d'un grand nombre d'entre nous, au Sénat ou ailleurs, est particulièrement peu satisfaisant en France à l'heure actuelle.
Après ces regrets et ces craintes, j'exprimerai des motifs de satisfaction.
Satisfaction de constater que la consultation nationale, le débat d'orientation sur la défense et les multiples dialogues engagés par vous, monsieur le ministre, sur tous les terrains, ont provoqué la prise en compte, quelquefois assez tardive mais réelle, de nombreux éléments importants à nos yeux et qui n'étaient pas traités ou à peine ébauchés dans le projet initial.
Il en est ainsi du problème des réserves et de ce que l'on appelle maintenant le « rendez-vous citoyen », en attendant de trouver une dénomination plus claire. Encore faudra-t-il, monsieur le ministre, que ce rendez-vous soit bien organisé, bien encadré, qu'il ait une durée suffisamment longue pour apporter ce qu'on en attend : éducation civique, esprit de défense, débouchés vers l'une ou l'autre des formes d'engagement, militaire ou civique, mais aussi bilan intellectuel, physique, social et recensement.
Satisfaction, pour le rapporteur du titre III du budget de la défense, de voir enfin le champ de la loi de programmation militaire étendu aux dépenses de fonctionnement. Ne l'avions-nous pas réclamé, à cette tribune, pendant plus de six ans ! Dès 1997, le titre III atteindra 99 milliards de francs 1995, soit le même niveau qu'en 1996.
Autre grande satisfaction : vous avez inscrit dans le projet de loi de programmation militaire des rendez-vous majeurs pour le « rapport annuel sur l'exécution de la loi de programmation militaire » et les mesures d'accompagnement économique et social.
Le débat bisannuel au Parlement sur cette exécution est également prévu à l'article 3. Vous avez précisé, ce qui est très important à nos yeux, qu'il « pourra inclure une révision des échéances des programmes industriels », permettant ainsi de « coller » à la réalité de cette restructuration.
Enfin, vous vous êtes engagé, à l'article 5, à ce que le Gouvernement présente avant la fin de 1996 un rapport sur les mesures d'aide et de soutien à l'exportation des matériels de défense.
J'en viens maintenant aux espoirs et à la confiance dans la réussite de la réforme.
Espoir que les crédits affectés à cette programmation de six ans en francs 1995 resteront intangibles - les deux orateurs précédents ont beaucoup insisté sur cette idée -, quelles que soient les conditions économiques et politiques que la France connaîtra durant cette période, et que les crédits du titre III résisteront à la pression considérable qui s'exercera sur eux.
Si ce n'était pas le cas, les objectifs fixés ne seraient pas atteints, en particulier la restructuration industrielle des établissements de fabrication des matériels militaires, déjà bouleversée par les nouveaux programmes d'armement.
Nous avons enregistré avec soulagement les engagements explicites et chiffrés du Président de la République et les vôtres, monsieur le ministre.
Espoir que les reconversions des sites industriels touchés recevront les crédits promis et, surtout, l'attention minutieuse que réclame la situation des personnels, qu'il s'agisse des ouvriers d'Etat ou des salariés des industries civiles.
Nous savons que ces industries représentent un secteur économique et social vital pour notre pays.
Ces dirigeants, ces ingénieurs, ces cadres, ces salariés de tous grades ont assuré indéfectiblement notre idépendance pendant des décennies et une qualité remarquable de matériels très divers. Ils ont relevé tous les défis technologiques. Nos armes sont excellentes, souvent les meilleures. Il ne faut oublier ni cela ni le fait, qu'a déjà rappelé M. Blin, que c'est une industrie exportatrice, même si chacun est bien conscient, ou doit le devenir, qu'il y a de très gros progrès à accomplir en termes de productivité et de compétitivité.
Espoir que cette loi, qui vise à garantir notre sécurité extérieure face aux nouveaux conflits de notre temps et notre sécurité intérieure face au terrorisme et aux violences de toutes sortes, nous apporte des moyens suffisants.
Ne faut-il pas aussi nous battre contre la concurrence redoutable, dans le domaine des matériels militaires, que les rapporteurs précédents ont évoquée ?
Nos alliés américains affichent ouvertement une volonté de détruire - et je pèse mes mots - l'industrie européenne de l'armement en jetant dans la balance le soutien financier de l'Etat fédéral à la recherche et au développement - supérieur de dix points au nôtre - et une très efficace pression - je n'ai pas dit « chantage » - jouant sur le soutien diplomatique, financier et militaire des Etats-Unis.
Le défi est immense, et il englobe tout, de la révolution technologique à la commercialisation.
Espoir que le débat au Parlement apportera, d'ici à sa conclusion, un maximum de précisions et de réponses à nos questions.
Espoir, enfin, monsieur le ministre, que vous veillerez à l'évolution de chacune de ces réformes dans la réforme, et surtout au respect de tous les engagements.
Mais, au-delà de l'espoir, il y a la confiance.
Nous avons confiance dans la détermination du Président de la République de mener cette réforme à bonne fin, de la soutenir tout au long de son difficile parcours.
Sa volonté, clairement exprimée à plusieurs reprises, l'impulsion qu'il donne, la garantie personnelle qu'il apporte, sous une forme inusitée mais ô combien précise et chiffrée, nous inspirent confiance.
Nous avons confiance en vous, monsieur le ministre, et en votre équipe pour assurer leur pleine efficacité aux objectifs retenus, à savoir la protection de nos intérêts vitaux en France et hors de France, celle de nos intérêts stratégiques de puissance mondiale responsable, le maintien des grandes fonctions opérationnelles de nos armées, c'est-à-dire la dissuasion, la prévention et la projection, la professionnalisation, la cohérence avec une coopération internationale indispensable dans les domaines politiques militaires, économiques et industriels, et, en corollaire, la mutation du service militaire par la conscription vers une autre forme de participation des jeunes au service de la nation.
Monsieur le ministre, durant de longs mois, vous avez multiplié les consultations et les concertations au sein des armées, les visites et le dialogue. Aujourd'hui, au Sénat, vous engagez un débat. Demain, nous savons que vous mettrez la même rigueur à réussir la réforme dans la concertation. Voilà qui mérite notre confiance.
Il faudra également faire confiance au sens civique des Français. Peut-être le challenge est-il plus risqué ? Pour que le lien armée-nation et, plus important, plus fondamental encore, le lien nation-citoyen résistent à la réforme, pour que ces liens ne se délitent pas, il faudra de la confiance, sans doute, mais aussi de la vigilance.
Enfin, et surtout, monsieur le ministre, quelques questions se posent.
S'agissant du sort des personnels, pouvez-vous nous confirmer les propos rassurants et légitimes que vous avez tenus sur la deuxième carrière civile des militaires de carrière quittant le service, qui est un sujet plus brûlant encore qu'autrefois ?
Quel sera le sort des nombreux contractuels ?
Quelles perspectives se dégagent pour les avancements dans ce contexte de réduction des effectifs ? L'encadrement des nouveaux engagés professionnels résoudra-t-il ce problème ?
Le fonds d'accompagnement de la professionnalisation, doté de 9,1 milliards de francs, suffira-t-il à financer les mesures d'incitation au départ, à stimuler le recrutement des engagés, à revaloriser les soldes et à faciliter la reconversion ?
Je ne comprends toujours pas comment le service de santé des armées va s'en sortir sans les appelés médecins, chirurgiens et dentistes. Je suis sûr, monsieur le ministre, que vous me l'expliquerez.
Qu'en est-il de la fermeture d'établissements, de la convention avec les hôpitaux civils, les cliniques privées et les praticiens libéraux ?
Comment maintiendrons-nous, outre-mer, nos forces et le service militaire adapté qui s'est si vite rendu indispensable ?
Comment seront qualifiées - M. Blin l'a dit à l'instant - les opérations extérieures imprévisibles et coûteuses ? Comment seront-elles financées ? Jusqu'à présent, elles l'étaient dans des conditions scabreuses et dans des collectifs.
Le rôle des réserves reste encore, pour certains d'entre nous, nous ne vous le cachons pas, plein d'incertitudes.
Le mois de juin est l'objet de nombreuses manifestations sportives, tant en France qu'à l'étranger. Quel sort sera réservé au bataillon de Jointville, élément fort du sport et de la compétition sportive militaire ?
Telles sont nos réflexions et nos interrogations essentielles. Je suis plein d'espoir et confiant dans votre action.
La tâche est rude pour vous, monsieur le ministre, mais aussi pour chacun d'entre nous et pour un nombre considérable d'hommes et de femmes, qui sont aujourd'hui inquiets sur leur sort et pour l'armée qu'ils aiment et qu'ils servent de leur mieux.
M'exprimant comme M. Maurice Blin à l'instant avec les mêmes mots et dans le même état d'esprit, j'ai proposé à la commission des finances du Sénat de donner un avis favorable sur le titre III du projet de loi de programmation militaire. Puisse l'avenir nous donner à tous raison. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.).
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 85 minutes ;
Groupe socialiste, 73 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 63 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 53 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 40 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 35 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Beaucoup de choses ayant été dites par vous-même, monsieur le ministre, ainsi que par les rapporteurs, je m'efforcerai d'éviter les redites en vous interrogeant sur un certain nombre de points plus précis.
En cet instant, ce débat peut se résumer en trois points : la pertinence de la volonté de réformer, l'audace de la profondeur de la transformation et, enfin, les difficultés d'application que nous ne pouvons pas cacher. Cependant, l'importance des conséquences de cette nouvelle programmation, la neuvième depuis 1958, ne manque pas de susciter certaines interrogations. En effet, elle implique une remise en cause totale de notre système de défense.
Sa mise en oeuvre coïncide peut-être avec le moment le plus difficile du point de vue financier. Nous sommes confrontés, en effet, à un impératif majeur, la limitation des déficits publics, qui impose de privilégier les aspects financiers par rapport à l'ensemble des facteurs économiques. Il en résulte une réduction des budgets de tous les ministères à laquelle l'enveloppe financière de la défense ne peut échapper.
La programmation proposée pour les six prochaines années prévoit donc une baisse sensible des crédits budgétaires par rapport à la précédente et récente loi qui n'a d'ailleurs pas été respectée. On en constate naturellement les effets tant sur le rythme de la modernisation des équipements des forces que dans la réduction de quelque 25 p. 100 des effectifs militaires. Ces conséquences seront sensibles et parfois douloureuses à supporter.
Le regroupement dans les 85 régiments maintenus entraînera la fermeture d'un tiers des installations de garnisons et la restructuration sur l'ensemble des sites conservés. On ne peut nier que ces actions portent en elles le risque de profondes mutations économiques et sociales difficiles à gérer pour les collectivités locales concernées.
Cependant, force est de constater - il faut, sur ce point, ne pas faire preuve d'hypocrisie - que le processus de limitation des crédits budgétaires consacrés à la défense était engagé depuis plusieurs années par les annulations de crédits au travers des lois de finances rectificatives.
Le niveau des crédits de paiement des titres V et VI de 1993, de 1994 et de 1995 a été très proche de celui qui est proposé pour la programmation 1997-2002, soit 86 milliards de francs par an.
Sur ce point, le projet de loi en discussion a l'avantage de la franchise et de la clarté.
Quant aux crédits du titre III, destinés à assurer le fonctionnement, c'est-à-dire la vie quotidienne et l'entraînement des forces, ils sont fixés à 99 milliards de francs par an. Nous n'avons pas à nous réjouir qu'ils prennent le pas sur les crédits du titre V. Il s'agit d'une vieille querelle des rapporteurs du budget de la défense. Faut-il donner la priorité à l'équipement, c'est-à-dire au titre V, ou à la vie quotidienne des armées, c'est-à-dire au titre III ?
En l'espèce, il faut savoir que ces 99 milliards de francs par an permettront tout juste de faire supporter la difficile transition vers la professionnalisation.
L'originalité du projet de loi tient au fait que la programmation affiche les niveaux de crédits à la fois pour les titres V et VI et pour le titre III. Tel était le souhait exprimé depuis longtemps par la commission des affaires étrangères auquel j'ai l'honneur d'appartenir. De plus, elle en garantit la valeur en francs constants 1995 pour toute la durée de la programmation, grâce à une clause d'actualisation par application de l'indice des prix à la consommation hors tabac.
Mais encore faut-il que les 185 milliards de francs consacrés chaque année à la défense de 1997 à 2002, soient, selon l'expression souvent employée, « sanctuarisés », pour éviter d'être touchés par de nouvelles annulations au gré des aléas de la vie financière nationale. Un engagement ferme du Gouvernement sur ce point est nécessaire, car descendre en deçà des chiffres avancés risquerait de mettre en réel danger l'équilibre de la défense de la France.
Ainsi, le projet de loi qui nous est aujourd'hui présenté constitue le volet principal d'un ensemble législatif destiné à permettre à la France de relever le défi de l'adaptation de notre système de défense aux réalités nouvelles du monde.
Cette politique, impulsée par le Président de la République au lendemain de son élection, a le mérite de la cohérence. Le 22 février dernier, M. Jacques Chirac s'adressait aux Français et leur révélait l'ampleur de la réforme et de ses objectifs, à savoir adapter la défense française « aux données stratégiques, technologiques, industrielles et financières de notre pays, pour nous permettre de faire face dans les meilleures conditions aux défis qui se dessinent à l'aube du XXIe siècle ». Cet objectir me paraît plus stimulant que cette longue quête des dividendes de la paix qui a été menée en vain pendant plusieurs années.
Après le chapitre heureusement clos des expériences nucléaires françaises dans le Pacifique, la discussion de ce projet de loi est une étape décisive. Il suffit, pour s'en rendre compte, de reprendre les trois grands chapitres définis dans l'exposé des motifs de ce texte à savoir la professionnalisation des armées, la restructuration de l'outil de défense et la modernisation des équipements, et enfin, l'avancée vers la défense européenne.
S'agissant de la professionnalisation des armées, la mutation sera vraisemblablement délicate quels que soient la nature et les crédits alloués au dispositif prévu à cet effet, en liaison avec les régions. Il s'agit bien de procéder - c'est le fait humain - au départ de deux cent cinquante officiers et de deux mille cinq cents sous-officiers par an pendant six ans et de dissoudre une quarantaine de régiments pour réduire les effectifs des armées au niveau fixé par la réforme.
La professionnalisation des armées sera bien évidemment accompagnée - et c'est le deuxième aspect, le fait psychologique - d'une modification du service national qui, selon la déclaration du Président de la République en date du 28 mai dernier, prendrait la forme d'une suppression du service militaire obligatoire par la suspension de la conscription.
L'hypothèse d'une réduction importante de la durée du service national qui avait été avancée par certains pour en maintenir l'obligation me paraît peu compatible avec le volume de crédits du titre III et sans véritable efficacité opérationnelle. Certes, la question sera débattue au Parlement à l'automne, mais il ne faut pas sous-estimer le fait psychologique.
Nombre de nos concitoyens sont conscients de la nécessité de rénover notre système de défense mais ils sont aussi inquiets de la suppression ou de la suspension de la conscription. Ils craignent que le sentiment de citoyenneté, qui est déjà très affaibli pour une grande partie de la jeunesse française, ne s'en trouve tout à fait altéré.
C'est pourquoi, contrairement à certains de mes collègues, je suis favorable au « rendez-vous citoyen ». Pour qu'il soit une réussite, il doit comprendre deux phases. Tout d'abord, une première semaine, ou cinq journées, serait consacrée au recensement d'une classe d'âge, à l'appréciation des capacités physiques et psychiques, à l'évaluation du niveau des connaissances et à la diffusion indispensable des notions élémentaires de la vie et de la solidarité nationales ainsi que de l'esprit de défense avec la possibilité d'y participer à titre professionnel ou volontaire ou encore dans les réserves.
Une deuxième semaine ou quelques jours encore après une période de réflexion permettrait des rencontres avec des sujets déclarés aptes, ce qui, à mon sens, favoriserait l'engagement ou la possibilité de servir en tant qu'appelé volontaire. Je pense notamment aux VSL, les volontaires service long. A cet égard, un chiffre a d'ailleurs été retenu dans la loi de programmation après le débat à l'Assemblée nationale.
La restructuration de l'outil de défense et la modernisation des équipements posent de sérieux problèmes.
Tout d'abord, il est demandé aux industriels de l'armement de réduire de 30 p. 100 les coûts de fabrication. Je ne sais si ce chiffre correspond à un véritable objectif, mais il me paraît assez difficile à atteindre.
Vous avez appelé la Délégation générale pour l'armement à remettre ses conclusions dans le courant de l'été pour réaliser des économies substantielles. La tâche est particulièrement difficile. Il est à craindre qu'à force de chercher à réduire les coûts on en arrive à opter pour des équipements moins sophistiqués ou pour des achats à l'étranger de matériel sur étagère.
En ce domaine, la concurrence des Etats-Unis est forte. Ceux-ci ont relevé le défi financier et sont parvenus en dix ans à réduire de deux tiers leur budget d'acquisition des armements. L'entreprise n'était pas irréaliste, mais à quel coût social ? Les salariés des industries françaises d'armement ont déjà beaucoup souffert. Des milliers d'emplois ont disparu depuis dix ans.
Le projet de loi de programmation militaire prévoit d'importantes réductions de commandes avec des étalements et des reports de projets. Sommes-nous prêts à payer le prix par une nouvelle vague de suppressions d'emplois ?
A ce sujet, plusieurs questions nous préoccupent. D'abord, le programme Rafale pour l'équipement de l'aéronavale et de l'armée de l'air sera reporté à 2003 ou à 2005. Je partage, à cet égard, le sentiment de M. Blin. N'y-a-t-il pas là un rique de rendre sa commercialisation plus difficile à l'étranger ? On a parlé, pour le Rafale, d'une fenêtre favorable sur le marché international, puisque le nouvel avion de combat américain est en cours de conception et que Eurofighter, son concurrent européen, n'est pas encore performant mais est en cours d'amélioration. Ces éléments ne devraient-ils pas nous inciter à engager un effort particulier ? Cet effort est-il possible ? Tel est le sens de ma question.
J'ajoute que la situation du porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle , admis au service en 1999, sera inconfortable. Devant attendre jusqu'en 2002 sa première flotille de Rafale Marine, il n'aura donc aucune couverture réelle d'intercepteurs. Les Crusaders du Foch et du Clemenceau sont en effet parvenus aux limites d'utilisation. Je note toutefois l'acquisition de trois et non plus de quatre Grumann Hawkeye qui sont également indispensables à la sécurité de notre porte-avions nucléaire.
La différence réside dans le fait qu'un groupe aéronaval a besoin de deux porte-avions pour en avoir toujours un apte à prendre la mer. Le Clemenceau quittera prochainement le service. Le Foch , malgré de nouveaux efforts d'entretien, n'aura qu'une utilisation réduite après l'an 2000. Dès lors, l'importance d'un groupe aéronaval en Méditerranée et sur le flanc sud de la France et de l'Europe incite à une réflexion rapide sur la mise en chantier, non prévue à la programmation, du deuxième porte-avions à propulsion nucléaire.
Naturellement, il ne s'agit pas de décider cette mise en chantier maintenant. Il s'agit d'avoir, au-delà de la programmation militaire, l'assurance que la politique du groupe aéronaval sera poursuivie.
Je constate, par ailleurs, que la dissuasion nucléaire trouve une solution logique d'adaptation avec la fermeture prochaine du site du plateau d'Albion, et la suppression du régiment d'Hadès ainsi que dans les mesures prises pour les composantes maritimes et aériennes, qui permettent d'espérer une dissuasion nucléaire suffisante, mais minimale.
Parallèlement, aucune défaillance ne doit être admise dans le développement du programme PALEN pour remplacer définitivement les essais dans le Pacifique. La réalisation du laser mégajoule au CESTA est bien prévue. Elle doit être menée avec énergie. Je me réjouis, à ce sujet, des accords qui se dessinent pour l'échange d'informations avec les Etats-Unis dans le domaine de la simulation nucléaire en laboratoire afin de s'assurer de la fiabilité des armes. Ainsi, la France pourrait signer la prorogation du traité de non-prolifération et souscrire à l'option zéro en matière d'essais nucléaires, conformément à l'engagement du Président de la République.
J'aurais également souhaité obtenir quelques précisions sur la place des recherches et du développement technologique dans ce projet de loi de programmation, mais le temps qui m'est imparti ne me permettra pas de m'étendre sur ce point.
J'exprimerai enfin un regret, non sur l'attribution annuelle de un milliard de francs à la Polynésie française pour compenser la fermeture du centre d'expérimentation du Pacifique, mais sur le fait qu'il soit prélevé sur les crédits du titre III. J'aurais préféré que des crédits spécifiques soient prévus pour cela. Vous partagez sans doute ce regret, monsieur le ministre ( M. le président de la commission sourit. ) car un crédit supplémentaire de un milliard de francs dans ce projet de loi de programmation aurait été le bienvenu.
Le dernier point de mon intervention concernera la défense européenne. Je suis président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen vous comprendrez donc, monsieur le ministre, que je sois acquis à la construction d'une défense traduisant la solidarité des nations de l'Union européenne. Vous regretterez cependant avec moi, j'en suis convaincu, que la politique étrangère et de sécurité commune soit l'un des objectifs européens les plus difficiles à concrétiser.
La France a, bien entendu, un rôle primordial à jouer dans la matérialisation de cette politique. Notre pays dispose d'atouts indéniables, du point de vue nucléaire, spatial ou aéronautique.
Ainsi, l'espoir existe de voir naître une Agence européenne de l'armement efficace, bien que des désillusions récentes, à l'occasion de la conclusion de marchés d'armement européens, ne nous conduisent pas à accorder une grande confiance à nos partenaires européens. Toutefois, la volonté de coopération de l'Allemagne. Cela est une voie de salut pour nos industries nationales, qui aurait peut-être dû nous inciter à consentir un effort particulier en ce qui concerne la commande d'hélicoptères NH 90 et de Tigre, mais l'un des membres de mon groupe en parlera plus longuement.
La profonde mutation opérée en France à la suite de la réforme en cours fournira des arguments supplémentaires pour plaider en faveur de la défense européenne. De plus, la récente évolution de l'attitude de la France dans le cadre de l'OTAN est également porteuse d'espoirs, grâce à la reconnaissance en cours du pilier européen par nos alliés américains. Il s'agit d'aller au-delà de la brigade franco-allemande et de l'Eurocorps.
Cependant, il serait dangereux de croire trop vite au succès. Une défense européenne verra le jour, j'en suis certain, mais c'est un travail de longue haleine, qui requiert l'adhésion de tous. Les résultats de la conférence intergouvernementale donneront peut-être matière à progresser.
Je conclurai, monsieur le ministre, en reconnaissant l'importance et la nécessité de la réforme que vous nous proposez. Je soulignerai aussi le nombre des difficultés économiques, sociales et culturelles qu'elle soulève. Traduisant une certaine inquiétude, mes interrogations ont été nombreuses. Malgré toutes les réserves émises, je ne pense pas que la France puisse se permettre l'économie de la réforme de son système de défense. C'est pourquoi je voterai le projet de loi aujourd'hui présenté. Au sein du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, certain de mes collègues vous feront part de leur propres réserves, mais la majorité du groupe apportera ses suffrages au projet de loi de programmation, avec l'espoir que ses dispositions seront, cette fois, intégralement respectées. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Xavier de Villepin, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bourges.
M. Yvon Bourges. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit est d'une particulière importance. Chacun d'entre nous en a conscience. Il est souhaitable de l'aborder avec la seule préoccupation de l'intérêt national et une sérénité qui ignore les clivages partisans.
Le projet de loi de programmation militaire qui nous est soumis vient à son heure, car il était grand temps de tirer les enseignements de la nouvelle situation géostratégique née de l'affrontement du bloc communiste et dont les conséquences, évidentes pour l'Europe, ne sont pas moins importantes pour la communauté internationale.
Oui, il n'est que temps d'entamer une réflexion prospective sur les données nouvelles de la sécurité pour la France et l'Europe et au-delà, dans un monde où l'abolition des distances et du temps révèle instantanément la solidarité de tous les continents et de tous les pays.
C'est le mérite du Gouvernement d'ouvrir ce débat sur l'initiative du Président de la République, chef des armées.
Comment, depuis sept années qu'est intervenu un des événements sinon le premier événement majeur de ce siècle, avoir continué à poursuivre, comme si de rien n'était, une politique de défense immuable alors que l'organisation et l'équipement de nos forces armées étaient subrepticement mis en cause, les budgets militaires votés étant partiellement gelés, les programmes d'armement inconsidérément étalés, avec, comme première conséquence, une majoration des coûts ? Ainsi, progressivement, était mise en cause la cohérence de notre outil militaire, comme on ne l'a que trop perçu à l'occasion de la guerre du Golfe ou des événements survenus dans l'ex-Yougoslavie.
La politique de défense qui doit permettre d'assurer la sécurité du pays et de notre continent ainsi que de jouer dans le monde le rôle qui doit être celui de nos vieilles nations, repose sur une analyse de la situation actualisant les menaces et définissant les moyens propres à y faire face.
Le pays connaît les conclusions du comité stratégique chargé de ces études auprès du ministre de la défense et la décision historique et courageuse du chef de l'Etat d'adapter nos armées aux missions qu'elles auront désormais à assurer dans le monde multipolaire face aux incertitudes qu'il recèle.
L'éventualité d'une confrontation massive, totale, avec l'ex-URSS n'est plus plausible, surtout si nous savons associer la Russie à son destin européen. Les menaces sont plus diffuses, aujourd'hui incertaines, mais des situations nées de la misère, de conflits idéologiques, raciaux ou religieux, ou d'une volonté de puissance peuvent conduire à des agressions que l'on ne saurait sous-estimer. A juste titre, le Gouvernement considère que tant le maintien d'une capacité mesurée de dissuasion que la disposition de forces bien équipées, opérationnelles en permanence, sont les exigences de notre temps.
Dans l'organisation et le volume de nos moyens propres, il faut aussi considérer l'Europe et le rôle que nous y pouvons et devons tenir. Nous voulons que l'unité européenne exprime une volonté politique commune dans les domaines des relations extérieures et de la sécurité. Cela se traduira par le rassemblement des capacités militaires de chacun pour répondre à un danger ou un risque partagé. Il faut donc tenir compte de cette solidarité européenne, face à certaines menaces, dans la constitution de nos forces armées.
Enfin, la France a des missions particulières à assumer, qui tiennent à la présence de terres françaises dans tous les océans, d'engagements, notamment de coopération, vis-à-vis de pays alliés ou partenaires et, plus généralement, à sa vocation universelle et à son statut international.
Pour satisfaire à ces missions, le Gouvernement propose une armée plus réduite et professionnalisée. Le projet de loi envisageait deux hypothèses : un service national volontaire ou un service national obligatoire. L'Assemblée nationale a tranché en ne retenant, dans un article 2 bis nouveau, que l'engagement volontaire.
Il est vrai que, dans le volume global des effectifs des armées, le nombre d'engagés ou d'appelés ne varie guère de l'une à l'autre solution et que, dans le cas du maintien d'un service national obligatoire, le nombre des jeunes le remplissant dans les armées ne correspond qu'à un pourcentage de l'ordre de 10 p. 100 d'un contingent, ce qui pose avec acuité le problème de l'inégalité du service militaire.
Pour autant, le service national obligatoire n'est pas écarté. Il s'agit, s'en tenant à la disposition adoptée par l'Assemblée nationale, de définir ce qu'il pourrait être dans son exécution, sa durée et ses moyens. C'est un autre sujet sur lequel nous aurons l'occasion de légiférer à l'automne.
Les auteurs du projet de loi de programmation militaire proposent de décider de l'importance et de l'organisation des armées ainsi que de leur armement et de leurs moyens d'intervention. C'est sur ces deux points que nous avons à nous prononcer.
Nous en avons conscience, le projet de loi dont nous débattons apporte une grande et profonde réforme de nos armées pour en faire une force militaire moderne, adaptée à la situation stratégique de cette fin de siècle. Elle marque un tournant historique de notre politique militaire.
L'armée française, avec un effectif global de 440 000 hommes dont 98 000 gendarmes, n'est pas une armée diminuée ; elle constitue une force adaptée. Son volume est du même ordre que celui de l'armée allemande après réunification et supérieur à celui de l'armée britannique. Elle donnera, à terme, à notre pays une capacité opérationnelle supérieure aux possibilités de notre organisation actuelle.
Il s'agit de faire face aux situations et aux missions que j'ai précédemment rappelées.
L'armée de terre sera organisée à partir de quatre composantes, vous l'avez dit, monsieur le ministre, offrant par leur équipement et leur spécialisation le moyen de constituer sans retard des forces opérationnelles aptes à répondre à une mission déterminée.
Une chaîne de commandement permanente - un état-major des forces et des états-majors d'unités organiques - est conçue pour constituer rapidement un état-major spécifique, adapté à chaque situation particulière.
La professionnalisation et la spécification des diverses composantes des forces, jointes à des moyens de commandement prêts à être immédiatement rassemblés, donnent au pays la possibilité d'agir rapidement et efficacement sur le plan militaire en fonction des circonstances.
La marine va être également constituée en grandes unités organiques répondant aux spécialisations des composantes de la flotte sous-marine ou de surface et offrant au commandement la possibilité de créer des groupes d'intervention satisfaisant aux nécessités de chaque action à conduire.
L'armée de l'air dispose déjà de structures répondant aux capacités propres de chaque type de mission. La réforme portera sur le renforcement de la spécialisation des grandes unités, notamment dans le domaine de la détection et de l'information. Ici encore, le rassemblement des moyens permettra de satisfaire à chaque type de mission pour qu'elle puisse être assurée sans délai.
L'organisation de nos trois armées répond à une même préoccupation : assurer la mise en oeuvre, dans les meilleures conditions, de forces opérationnelles adaptées à chacune des missions qu'elles doivent remplir.
La première de ces missions est la dissuasion, à un niveau qui garantisse la crédibilité des armes confiées à la marine ou à notre aviation. Le retrait des moyens du plateau d'Albion ou des vecteurs Hadès résulte de la nouvelle situation stratégique, qui exige une posture nucléaire redéfinie.
Une autre consiste en la projection sur le théâtre européen, dans le cadre d'une politique commune de défense, ou sur des théâtres extérieurs, pour assumer le rétablissement de situations de crise ou de conflit dans le cadre de nos engagements nationaux ou internationaux.
Tout aussi importante est la prévention des menaces par des moyens de veille appropriés.
Enfin, au rang de ces missions figure la protection du territoire en toutes circonstances par des opérations militaires ou la participation d'unités militaires à un engagement plus global de l'appareil de l'Etat selon la nature de la menace.
Pour ces missions, l'apport des réserves est non seulement nécessaire mais souhaitable. Des crédits sont incrits dans le projet de loi, mais nous souhaitons que soient plus précisement définies les modalités de leur organisation et les moyens dont elles disposeront.
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. Yvon Bourges. Le renouveau de nos armées exige sans nul doute des efforts particuliers pour tous les corps et tous les échelons. Pour ma part, je suis persuadé que la communauté militaire, que je connais bien, accepte ces sacrifices ou ces efforts pour atteindre l'objectif qui a été fixé.
S'il est possible de réaliser l'accomplissement du renouveau des armées dans des limites budgétaires correspondant aux exigences de l'heure, ce ne saurait être cette seule considération qui doit le guider. C'est parce qu'elles répondent à la situation stratégique nouvelle en Europe et dans le monde que nous souscrivons à la dimension et à l'organisation de notre appareil militaire que le Gouvernement propose.
Le deuxième volet du projet de loi de programmation dont nous débattons définit les armements et les moyens d'action dont doivent disposer nos unités militaires.
Sur ce sujet, il est clair que le programme qui nous est soumis est conditionné par les limites des finances publiques. Si l'on peut le regretter, on ne saurait s'en étonner, ni par conséquent le refuser. Il me semble, en tout cas, préférable de disposer d'un cadre réaliste qui apporte la garantie de la réalisation des programmes que de s'en tenir, comme ce fut trop souvent le cas, à des dispositions fallacieuses qui donnent l'illusion de promesses qui ne sont pas tenues. Tel ne sera pas le cas puisque ce projet de loi englobe les titres III - fonctionnement - et V - investissements - et les exprime, outre les autorisations de programme, en crédits de paiement. C'est d'ailleurs la méthode que j'avais choisie pour la loi de programmation du 19 juin 1996 - c'est son anniversaire - pour la période 1977-1982, qui fixait en crédits de paiement les montants des dépenses de fonctionnement et des dépenses d'investissement assurant, chaque année, à ces dernières une part progressive.
Cette procédure permit le respect de ces prévisions financières dans les budgets de 1977 à 1981. Nous sommes assurés qu'il en sera de même pour la période 1997 à 2002, d'autant plus que le Président de la République s'en est porté personnellement garant.
Aussi, mes chers collègues, il me paraît que le projet de loi que nous examinons apporte, dans une époque où les financements publics sont difficiles et, à bien des égards, incertains, l'assurance des moyens, en francs constants, qui seront attribués à nos armées. Encore faut-il, comme l'a souligné le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, que ces crédits soient totalement et exclusivement consacrés aux besoins de nos armées et aux finalités du projet de loi qui nous est soumis. En effet, une érosion des engagements financiers sous prétexte de nécessités étrangères - malgré les apparences - aux exigences de notre défense ne serait pas acceptable pour nous.
Sur ce sujet essentiel, nous attendons, monsieur le ministre, un engagement clair du Gouvernement. A l'occasion de l'examen des articles du projet de loi, nous aurons l'occasion d'en débattre.
M. Xavier de Villepin, rapporteur. Très bien !
M. Yvon Bourges. Il n'en est pas moins vrai que les limites mêmes de cet effort obligent à des choix, tant dans la hiérarchie des projets que dans le calendrier des réalisations. Encore ne faut-il pas oublier que des programmes, importants au double plan technique et financier, ont été lancés, et que l'architecture des investissements ne peut les méconnaître.
La programmation proposée s'efforce de donner à chaque armée les moyens exigés pour leurs missions actualisées. Il s'agit pour notre défense d'une planification qui, au-delà de l'horizon de l'actuel septennat, doit englober une période s'étalant sur une vingtaine d'années et dont le présent projet de loi ne constitue que la première étape. En effet, la conduite d'une politique de défense appelle cohérence dans les objectifs et persévérance dans l'action. C'est pour avoir méconnu ces exigences que notre appareil militaire se dégradait lentement. L'effort conduit de 1960 à 1980 a heureusement permis d'en ralentir le processus.
M. René-Pierre Signé. Et après ?
M. Yvon Bourges. A la dissuasion sont consacrés 20,5 p. 100 des crédits, pour doter la force océanique stratégique de 4 SNLE-nouvelle génération et des missiles M 51 donnant à sa composante marine une modernisation répondant aux exigences de sa sécurité et de sa crédibilité. Les forces aériennes stratégiques, y compris la composante aéronavale, seront dotées d'un nouveau missile ASMP aux performances améliorées. Enfin - et ce n'est pas le moins important - le projet de loi prévoit le financement des programmes de simulation nécessaires à la fiabilité de nos armes nucléaires.
Pour les équipements classiques, l'effort nouveau à retenir est la constitution d'une force de détection, d'information, de surveillance et de contrôle qui disposera, outre des moyens conventionnels, de moyens spatiaux, dont certains en coopération avec l'Allemagne.
Sur un plan général, les programmes d'équipement retenus correspondent aux nécessités des diverses composantes d'une armée renouvelée. Leur contenu valable en qualité est sans doute quantitativement insuffisant. Si, dans l'immédiat, les dotations en sont mesurées, elles s'inscrivent dans un effort à plus long terme. La situation stratégique actuelle nous permet l'étalement de l'effort militaire. Encore ne faut-il pas tarder à l'engager car nul ne sait quelles seront les évolutions à venir dans cette situation.
Je veux croire, monsieur le ministre, que si les ressources budgétaires s'améliorent ou si l'action que vous assumez pour réduire le coût des armements réussit, il sera possible de compléter, de renforcer les programmes d'équipement de nos armées, ce qui me semble constituer une priorité nationale.
La réforme militaire que nous engageons s'inscrit dans le cadre d'une politique extérieure globale tant sur le plan national que sur le plan européen. C'est, à mes yeux, un élément essentiel dans le projet que le Président de la République propose au pays avec l'ambition de donner à la France le rang et l'influence qui doivent être les siens dans les affaires du monde. L'on retrouve dans cet engagement le prolongement de la politique du général de Gaulle, dans un environnement différent et par des moyens adaptés mais répondant à une même inspiration et à une égale ambition. Les gaullistes ne peuvent que l'apprécier et l'approuver sans réserve. Je crois qu'il est possible d'affirmer sans emphase que la France est de retour dans les affaires du monde.
En Europe, nous recherchons la constitution d'un pilier européen dans une Alliance atlantique renouvelée. L'on sait les prémices déjà obtenues récemment dans un contexte qui exige sans doute des délais pour y satisfaire.
Dans le monde, résolument favorable au désarmement et à la lutte contre la prolifération des armes nucléaires, la France entend, dans la fidélité à ses engagements internationaux, participer activement - et notamment avec ses partenaires européens - à la vie internationale et à la sécurité globale. On a vu en Bosnie et plus récemment dans la recherche d'une conciliation entre Israël et les pays arabes ce qu'une volonté clairement affirmée permet d'obtenir. Nous pouvons en être légitimement fiers.
M. René-Pierre Signé. Les Américains !
M. Yvon Bourges. Encore faut-il disposer des possibilités de soutenir cette ambition. C'est bien ce que prévoit et permet, pour ce qui est des moyens militaires, la loi de programmation.
Il est enfin remarquable que dans la conduite de la transformation de nos armées soient pris en compte pour la première fois les moyens nécessaires aux conséquences des restructurations d'unités et des commandes programmées des divers équipements. Le projet de loi n'oublie pas non plus les mesures propres à faire face aux répercussions de la réduction des effectifs tant militaires que civils. Les financements intéressant les reconversions internes à l'outil militaire sont inclus dans la loi de programmation. Les projets de loi sur les mesures d'accompagnement économique et social de la réforme seront inscrits à l'automne à l'ordre du jour de la prochaine session du Parlement.
Vous savez d'expérience, monsieur le ministre, et vous comprenez la légitime préoccupation des élus sur les répercussions que peut avoir sur l'activité et l'économie de leur région la politique militaire que vous avez la charge de mettre en oeuvre. Des conventions, vous l'avez rappelé, sont intervenues et interviendront entre l'Etat et nos collectivités pour apprécier la situation, examiner les mesures et moyens capables d'y faire face, voire les compensations propres et en atténuer les effets. Nous serons - vous le savez - vigilants et exigeants dans la prise des décisions que nous attendons pour que l'accomplissement d'une politique dont nous reconnaissons la nécessité et l'intérêt pour le pays n'entraîne pas une aggravation de la situation économique et de la fracture sociale dans les villes et zones concernées.
M. Lucien Neuwirth. Très bien !
M. Yvon Bourges. En votant le projet de loi de programmation militaire, le groupe du RPR du Sénat, conscient de l'enjeu de ce texte pour le pays, apporte son approbation et son adhésion sans réserve à la politique courageuse du chef de l'Etat, et exprime sa confiance au Gouvernement et à vous-même, monsieur le ministre, pour mener à bien l'ambitieuse réforme de notre défense. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en février dernier, M. le Président de la République traçait les contours d'une réforme d'ensemble, complète et profonde de notre travail de défense et en précisait les modalités, du moins en ce qui concerne le service national, trois mois plus tard.
Je constate avec satisfaction que ces annonces successives sont la concrétisation rapide de la volonté affichée par le chef de l'Etat et par le Premier ministre, dès le printemps de 1995, de faire de la modernisation de notre outil de défense un objectif prioritaire de leur action.
Ce processus, ainsi engagé, trouve aujourd'hui sa traduction législative dans le projet de loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002, que vous nous présentez, monsieur le ministre.
Je voudrais tout d'abord dire un mot de la méthode qui a été retenue, tant elle conditionne le contenu du texte et les prolongements qu'il implique.
En effet, dès votre entrée en fonction, vous vous êtes attelé, monsieur le ministre, à cette très lourde tâche visant à faire en sorte que la France dispose d'une défense à la fois plus efficace, plus moderne et moins coûteuse.
Les plus frileux y verraient une mission impossible. Tel n'est pas votre cas, monsieur le ministre, puisque vous affrontez ces difficultés avec courage et lucidité et, plus encore, avec une ouverture d'esprit...
M. René-Pierre Signé. En fermant les entreprises !
M. Bernard Plasait. ... et un sens de l'écoute dont je voudrais vous remercier et dont témoigne la qualité du débat que nous avons eu ici même le 26 mars dernier.
Au cours de ce débat d'orientation sur la politique de défense, je m'interrogeais sur l'opportunité de présenter une nouvelle loi de programmation militaire - la neuvième du genre depuis 1960, comme cela a été rappelé - tant il est vrai que la dernière, celle de 1994, fut mal appliquée et finalement abandonnée. Comme l'a très justement rappelé M. de Villepin, près de 30 milliards de francs manquent à l'appel dans les lois de finances de 1995 et 1996. Dans ces conditions, il est légitime de craindre que ne se perpétue la fâcheuse habitude prise ces dernières années et consistant à remettre en cause, en cours d'exercice, le budget d'équipement, c'est-à-dire les crédits prévus au titre V du ministère de la défense, et ce sans préavis et de façon massive, et, bien entendu, sans que l'aval préalable du Parlement ait été obtenu.
Cependant, plusieurs éléments sont venus dissiper très largement mes inquiétudes.
Tout d'abord, le calendrier politique fait que, contrairement à ce qui s'est passé pour les dernières lois de programmation, le Chef de l'Etat doit pouvoir conduire à son terme l'exécution de la prochaine loi de programmation, puisque le projet de loi couvre les années 1997 à 2002.
Ensuite - je crois que c'est M. de Villepin qui le rappelait tout à l'heure - le Président de la République a indiqué solennellement, le 23 février dernier, qu'il veillerait personnellement au respect de la loi de programmation.
Enfin, la caractéristique essentielle de ce projet de loi est l'extension de son champ d'application à l'ensemble des crédits d'équipement et la programmation de ces dépenses d'investissement en autorisations de programme et en crédits de paiement, en crédits budgétaires et en francs constants, ce qui garantit le respect intégral des dispositions du texte. Bien entendu, je ne peux que m'en réjouir très vivement.
Visant à adapter notre défense à l'évolution des menaces et des risques auxquels notre pays doit désormais faire face depuis la chute du Mur de Berlin et l'effondrement du bloc soviétique, le présent projet de loi constitue une première étape en vue de la réalisation du modèle d'armée à l'horizon 2015.
Ce modèle vise à obtenir une armée de terre plus compacte et plus souple, avec une organisation territoriale entièrement revue pour accompagner la réduction de 30 p. 100 de ses effectifs, c'est-à-dire pour passer en six ans de 271 500 hommes à 170 000 hommes, et une capacité de projection des forces, avec quatre-vingt-cinq régiments répartis en quatre forces de 15 000 hommes environ.
La marine sera de moindre tonnage, mais ses capacités seront maintenues. Avec, à terme, quatre-vingt-un bâtiments et 54 500 hommes, ses capacités de dissuasion seront inchangées et ses capacités de projection de puissance seront modernisées, grâce en particulier à la mise en service, en 1999, du porte-avions Charles-de-Gaulle doté d'avions Rafale.
Quand à l'armée de l'air, elle sera modernisée et fortement resserrée, avec 70 000 hommes et 300 avions polyvalents de type Rafale, en 2015.
Enfin, la gendarmerie sera renforcée : elle verra ses effectifs croître de 5 p. 100 afin de prendre en compte l'extension de ses missions de protection du territoire.
A cet égard, monsieur le ministre, je voudrais vous poser une question. La tendance de ces dernières années a été de regrouper les unités de gendarmerie, ce qui a pour effet une sorte de désertification en matière d'uniformes bleus. L'augmentation des effectifs de la gendarmerie vous conduira-t-elle à inverser ce mouvement ? Il me paraît en effet très important d'intégrer la gendarmerie dans l'aménagement du territoire.
A l'heure des politiques de proximité, des politiques de qualité de vie, de vie quotidienne, il est primordial de maintenir le gendarme dans le tissu de nos campagnes. Le service public de la sécurité, mission essentielle de l'Etat, doit aussi être rendu comme un service de proximité.
Le présent texte traduit ces objectifs puisqu'il repose sur une enveloppe financière constante de 185 milliards de francs par an, soit au total 1 110 milliards de francs pour l'ensemble des six années - de 1997 à 2002 - couvertes par la programmation.
Les crédits de fonctionnement - 99 milliards de francs par an - marqueront une quasi-stabilité pour accompagner le passage progressif à l'armée professionnelle.
Contrairement aux hypothèses les plus alarmistes, les crédits d'équipement du titre V afficheront une dotation annuelle de 86 milliards de francs 1995, ce qui traduit certes une réduction moyenne d'environ 18 p. 100 par rapport aux dotations prévues par la précédente programmation, mais aussi une stabilisation par rapport aux crédits votés dans la loi de finances initiale de 1996.
Il en résulte certes des abandons ou des différés de programmes ; mais, dans le contexte budgétaire actuel, le réalisme pragmatique du texte est de loin préférable à une utopie porteuse de désillusions.
En tout état de cause, l'enveloppe retenue correspond à un point d'équilibre raisonnable et permet de relever le défi que représente la construction, dans les prochaines années, d'une défense à la fois plus efficace et moins coûteuse.
Cependant, monsieur le ministre, ce projet de loi appelle des prolongements.
En effet, il n'est que la première traduction des objectifs affichés à l'horizon 2015 et il devra être suivi de deux autres lois de programmation qui permettront d'achever l'édifice.
Il est cependant un autre aspect tout aussi important qui concerne les conséquences de la professionnalisation de nos armées. Je considère cette professionnalisation comme souhaitable, mais je ne peux que réitérer ici l'attachement que j'ai marqué à cette tribune au maintien d'un lien fort mais non formel entre l'armée et la nation, tant il me paraît vraiment fondamental que l'armée soit la partie de la nation en armes au service de la nation tout entière.
Ce lien, ou plutôt cette imbrication armée-nation, sera assuré par le maintien d'un service national dont nous aurons à débattre à l'automne prochain. Mais le rôle dévolu aux réserves sera capital, et j'y attache la plus grande importance.
Dans la société civile, la réserve est un peu le gardien de la flamme de l'esprit de défense. C'est un rôle capital qui demande du courage et de la constance, surtout au cours des périodes où la menace n'est pas très fortement ressentie par les citoyens et où la paix semble installée durablement. En effet, parler alors de défense paraît souvent saugrenu.
Pour que la réserve joue pleinement son rôle...
M. René-Pierre Signé. Il faut la guerre !
M. Bernard Plasait. ... et ne reste pas, si j'ose dire, sur la réserve, il faut la motiver, et il faut qu'elle perçoive clairement son rôle intégré dans le système de défense du pays.
C'est l'un des très grands mérites du projet de loi de programmation militaire que vous nous proposez, monsieur le ministre, que d'intégrer totalement, peut-être pour la première fois, les réserves dans le futur système d'hommes de nos armées.
M. René-Pierre Signé. C'est la garde nationale !
M. Bernard Plasait. Comme le rappelait très justement le 6 juin dernier, à l'Assemblée nationale, M. Guy Tessier, « une armée professionnelle, au format strictement limité, a besoin de forces de complément dès l'apparition d'une crise, afin de permettre le renfort opérationnel des forces si c'est nécessaire, la montée en puissance des unités de support logistique ou des unités de santé, entre autres, et, enfin l'utilisation des spécialistes "rares". »
Le Livre blanc sur la défense de 1994 et la mission parlementaire conduite par notre collègue M. Haenel ont permis une réorganisation des réserves afin de les adapter à l'évolution des menaces.
Les réserves sont désormais limitées aux besoins réels des armées.
Les besoins des réserves pour le ministère de la défense ont été évalués à 100 000 hommes, dont 50 000 pour la gendarmerie.
Cette « première réserve » sera utilisée en complément des forces, en substitution, éventuellement en projection et, enfin, en protection du territoire,...
M. René-Pierre Signé. Ils ne sont pas formés !
M. Bernard Plasait. ... ce qui implique une grande disponibilité et donc une grande motivation.
Une « deuxième réserve » comprendra ceux qui ne pourront pas ou plus satisfaire aux exigences de la « première réserve ».
Néanmoins, des questions subsistent, au premier rang desquelles figure le maintien de la possibilité juridique d'un appel automatique ou l'obligation de servir dans la réserve prévue dans le contrat d'engagement dans l'active.
Enfin, la question financière se posera avec acuité, tant il est vrai que des moyens seront nécessaires pour disposer d'effectifs suffisants et de qualité.
Je conclurai mon propos en exprimant mon souhait de voir instituer un statut social du réserviste, qui garantisse le maintien de son emploi civil ou de ses ressources, le maintien d'une couverture sociale, une assurance complémentaire couvrant les risques particuliers de son emploi militaire.
Voilà autant de points particuliers qui justifieront la présentation d'un projet de loi portant organisation générale des réserves.
Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, votre projet de loi est à la fois lucide et courageux, qualités premières qui emportent mon adhésion. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Genton.
M. Jacques Genton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun comprendra, je pense, qu'après avoir été durant plus de vingt ans, depuis 1974, le rapporteur pour le Sénat des projets de programmation militaire je ne puisse m'abstenir d'intervenir dans ce débat.
Bien qu'ayant estimé qu'un bail de longue durée ne devait pas être considéré comme un droit de propriété (Sourires), les charges de rapporteur n'étant pas conférées à vie, et que l'heure était venue de passer la main, au moment où la France s'apprête à tourner un chapitre de son histoire militaire, je ne voudrais pas que ce geste fût, en aucune manière, considéré comme une marque de désintérêt à l'égard de notre défense, à l'avenir de laquelle je suis plus que jamais attaché, non plus que comme un manque d'attention pour la fonction militaire, dont j'ai souvent soutenu les charges et les mérites.
Je concentrerai ma brève intervention autour de trois thèmes : le bien-fondé des lois de programmation militaire, la dimension européenne de notre politique de défense et l'avenir de nos industries de l'armement.
S'agissant de l'existence même des lois de programmation militaire, il serait exagéré de dire que je n'ai jamais ressenti le moindre scepticisme, voire la moindre amertume, devant l'exécution incomplète de ces lois. Et j'approuve totalement M. de Villepin, lorsqu'il estime, dans son rapport écrit, que, si la loi qui résultera de nos débats d'aujourd'hui n'était pas correctement mise en oeuvre, c'est le principe même des lois de programmation qui se trouverait remis en cause et qu'il vaudrait mieux alors « renoncer à un exercice législatif, pourtant souhaitable, mais qui aurait alors perdu toute crédibilité ».
Arriver à cette extrémité serait évidemment très grave, cela signifierait que l'adaptation globale de notre système de défense qui nous est proposée aurait échoué. C'est une hypothèse que je ne veux même pas évoquer, car les conséquences seraient alors désastreuses pour nos forces armées et dangereuses pour notre sécurité. Ce serait d'autant plus regrettable que l'efficacité relative des lois de programmation, si elle est souvent décevante, est toujours réelle et justifie leur pérennité. Je m'étais efforcé de le démontrer dans mes derniers rapports, car les mêmes causes suggéraient déjà les mêmes interrogations. Il apparaissait clairement, d'une part, que l'exécution imparfaite des lois de programmation n'avait finalement pas empêché, sur la longue période, les crédits d'équipement militaire de suivre tendanciellement les montants définis par ces lois et, d'autre part, que les lois de programmation avaient permis, au cours des dernières décennies, depuis 1965, une croissance des crédits d'équipement militaire supérieure à celle des crédits d'équipement civil.
L'évolution de ces dernières années vient-elle infirmer ces conclusions, après la programmation mort-née de 1992 et la caducité, aujourd'hui constatée, de la programmation votée en 1994 ? Je ne le crois pas. Nos contacts avec nos armées et les industriels, qui se trouvent ainsi privés de repères fiables et de la « lisibilité » de l'avenir qui leur est indispensable, nous permettent, au contraire, de mesurer les dégâts causés par la disparition de la référence que doit constituer une programmation militaire.
Je ne saurais mieux faire que de citer, sur ce point, M. Boyon, rapporteur du présent projet de loi de programmation à l'Assemblée nationale : « Aurait-on voulu montrer les dommages que provoque l'absence de programmation qu'on n'aurait pas trouvé meilleur moyen. Rien n'est pire que l'absence de programmation. Mieux vaux une programmation sévère, rigoureuse, peu généreuse. » J'ajouterai seulement ceci : tel est bien le cas du texte qui nous est proposé aujourd'hui !
J'en viens à la dimension européenne de notre politique de défense.
Il est satisfaisant de constater le doublement prévu, sur la période de programmation, des crédits affectés aux programmes conçus en coopération européenne.
Je considère, en particulier, comme très important pour l'avenir le renforcement, principalement avec l'Allemagne, de la coopération dans le domaine de l'espace militaire ; je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez nous préciser les modalités et les conditions de sa mise en oeuvre ; je pense aux programmes Hélios II et Horus d'observation optique et radar. Dans votre déclaration liminaire, vous avez rappelé qu'ils seront lancés et poursuivis et vous avez souligné le rôle qu'ils doivent jouer dans la mise en place d'une Europe de la défense.
Je crains, toutefois, que certaines des décisions que vous avez été conduits à prendre concernant d'autres programmes - qu'il s'agisse de l'abandon du programme Brevel, des reports ou réductions de cibles des programmes d'hélicoptères - ne facilitent ni nos relations avec notre partenaire privilégié qu'est l'Allemagne ni la concrétisation d'une véritable volonté européenne commune en matière de défense.
Je crois, surtout, qu'il faut poursuivre, après les derniers sommets de l'OTAN à Berlin et franco-allemand à Dijon, un effort d'explication, de clarification et d'information de nos partenaires sur les nouvelles orientations de la politique de défense française qui doit favoriser, et non pas contrarier, l'édification de la construction européenne en matière de défense.
J'ai déjà eu l'occasion de dire à plusieurs reprises à cette tribune que l'affirmation concrète de l'identité européenne de défense constitue aujourd'hui un impératif militaire et industriel. Rappellerai-je qu'il s'agit aussi d'une obligation politique pour les pays de l'Union européenne qui se sont engagés à mettre sur pied une politique étrangère et de sécurité commune par un traité ?
C'est dans cet esprit que j'ai compris les propos que vous avez tenus à cette tribune dans votre discours liminaire, monsieur le ministre.
Je serais heureux que vous puissiez préciser devant le Sénat, d'une part, les objectifs que la France souhaite atteindre dans ce domaine dans le cadre de la Conférence intergouvernementale, d'autre part, les conséquences qui vous paraissent devoir résulter, pour l'Union de l'Europe occidentale, l'UEO, des principes retenus à Berlin, notamment en vue de permettre la constitution des fameux « groupements de forces interarmées multinationales ».
J'évoquerai enfin l'avenir - qui demeure très inquiétant - des industries de défense, dont je n'ai pas besoin de rappeler le poids en termes économiques et l'impact en termes d'emplois.
Je me félicite de la politique volontariste et de la stratégie forte et ambitieuse affichée en la matière par le Gouvernement et par le présent projet de loi. Mais nous connaissons aussi l'effet quasi automatique des réductions des crédits d'équipement militaire sur l'industrie et sur ses effectifs.
Le projet de loi que vous nous soumettez est incontestablement plus réaliste que celui qui a été voté voilà deux ans, compte tenu des contraintes financières qui s'imposent aujourd'hui. Il reste qu'il marque une diminution annuelle de quelque vingt milliards de francs des crédits d'équipements !
L'industrie de défense a perdu, depuis 1990, environ dix mille emplois par an. La même tendance, dit-on dans le projet de loi, se poursuivra pendant la prochaine période de six ans couverte par la programmation.
Certes, des mesures d'accompagnement économique et social substantielles sont prévues, qui devraient, si les moyens financiers suivent - cette réserve est essentielle -, atténuer les conséquences de ce nouveau choc subi par ce secteur industriel.
Mais ce choc sera rude, les conséquences locales importantes ; vous ne les avez pas ignorées. J'appartiens au groupe des parlementaires particulièrement attentifs et sensibles à cette situation angoissante pour leur région d'élection. Les nouvelles restructurations s'ajouteront aux précédentes, et les nouvelles suppressions d'emplois à celles, très importantes, qui ont déjà été effectuées. Veillons à ne pas dépasser le seuil du supportable !
S'agissant des restructurations industrielles annoncées, je vous poserai, monsieur le ministre - j'espère aller à votre rencontre -, deux questions.
Tout d'abord, pouvez-vous nous donner des précisions sur le contenu et les modalités du rapprochement souhaité entre Aérospatiale et Dassault Aviation ? Quelles en seront, en particulier, les conséquences sur les liens établis entre ces entreprises et des partenaires étrangers ?
Dans l'industrie des missiles, notamment, les besoins de l'armée française sont le plus souvent coordonnés avec les besoins d'autres pays européens, générant ainsi des programmes développés en coopération européenne. C'est le cas des systèmes de missiles antichars de troisième génération, moyenne portée ou longue portée, en cours de développement entre la France, l'Angleterre et l'Allemagne ; c'est le cas du futur antinavire nouvelle génération, l'ANNG, successeur de l'Exocet, qui fait l'objet d'une coopération franco-allemande ; c'est également le cas des systèmes de défense surface-air moyenne portée utilisant le système missile Aster, missile anti-missile, pour ne citer que quelques exemples.
Il est clair que tout décalage dans le temps du développement et de l'industrialisation de ce type de programme nécessite une concertation avec nos principaux partenaires européens.
Je pense, notamment, aux accords entre Dasa et Aérospatiale, validés lors du sommet franco-allemand du 7 décembre 1995. Cette alliance constituera la première entreprise européenne dans les missiles.
Pour assurer son avenir, cette société a besoin, cela est évident, des programmes en coopération France-Allemagne, en cours depuis longtemps, ainsi que de l'antinavire nouvelle génération que l'actuel projet de loi de programmation ne retient pas.
Ensuite, s'agissant de GIAT Industries, les réductions de commandes de chars Leclerc et les fortes incertitudes qui demeurent dans le domaine des munitions ne risquent-elles pas de compromettre la réussite du dernier plan social de l'entreprise, qui s'est fixé comme objectif un retour à l'équilibre en 1998 ?
Le Parlement a le devoir de prévoir ce qu'il adviendrait si cet objectif n'était pas atteint.
Je conclurai, chers collègues, en saluant la cohérence de ce projet de loi qui s'efforce d'amorcer, dans un contexte financier terriblement restrictif, une refonte d'ensemble de notre défense.
Mais quelle que soit la cohérence de la démarche globale, l'enjeu n'en devient que plus grand et plus périlleux.
C'est pourquoi tout devra être mis en oeuvre pour garantir, cette fois - j'insiste sur ces deux derniers termes - le respect intégral des dispositions financières prévues.
L'effort à accomplir est considérable. Acceptons-le avec lucidité ! Il devra être prolongé au-delà même du terme de la période couverte par le projet de loi que le Gouvernement nous propose. Au moment de voter ce texte, mes chers collègues, nous devons en être tout à fait conscients. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la révision de notre politique de défense, indiquée par le Président de la République et contenue, ainsi que les prévisions de dépenses d'équipement, dans la loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002, suscite à l'évidence bien des réflexions, des interrogations et des inquiétudes.
Je formulerai tout d'abord une remarque sur l'annonce des réformes les plus importantes, pour ne pas dire de véritables « chamboulements », qui modifieront en profondeur notre défense.
Cette remarque, bien des parlementaires l'ont exprimée, tant en mars dernier, lors du débat d'orientation, qu'à l'Assemblée nationale voilà deux semaines.
Le problème me paraît suffisamment grave pour le souligner à nouveau aujourd'hui. Nous avons assisté à une véritable dérive présidentialiste, avec des effets d'annonce intempestifs dans les médias, laissant apparaître les réformes comme déjà décidées par le Président de la République, le Parlement n'ayant plus qu'à les entériner.
Il n'est pas du domaine réservé du Président de la République de décider seul de la création de l'armée de métier, de la suppression de la conscription ou du retour de la France dans l'OTAN !
Vous vous étiez défendu, monsieur le ministre, d'accepter cette dérive à la Eltsine. Pourtant, force est de constater que le gouvernement auquel vous appartenez continue d'accréditer cette démarche.
La publication officielle du Premier ministre, La Lettre du Gouvernement, dans son numéro 10 daté du 5 juin 1996 consacré à la loi de programmation militaire, indique en première page : « Pour parvenir au nouveau modèle d'armée arrêté » - j'insiste sur ce dernier mot - « par Jacques Chirac, le chantier est immense... »
La même publication indique, à la page 4 : « Décidée » - j'insiste également sur ce terme « le 22 février 1996 par le Président de la République, la professionnalisation de l'armée avait pour corollaire la réforme du service national... »
Est-il utile d'ajouter un commentaire à ces citations ?
Mon amie Danielle Bidard-Reydet, qui interviendra pour défendre la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité déposée par mon groupe, aura l'occasion de développer une solide et pertinente argumentation sur ce point comme sur de nombreux autres.
N'ayant pas approuvé la loi de programmation militaire votée en 1994, nous avons quelques raisons de nous réjouir de sa remise en cause et de sa suppression, mais nous avons aussi des raisons d'inquiétude.
Tout d'abord, nous avons des raisons de nous réjouir, car cette loi se caractérisait, nous l'avons dit, par un niveau de dépenses qui ne tenait pas compte de l'évolution du monde et des possibilités financières du pays. Prévoyant la réalisation d'une centaine de programmes d'armements, elle plaçait la France en situation de seule nation industrielle à maintenir à un très haut niveau ses dépenses militaires, notamment à poursuivre de lourds et coûteux programmes de surarmement nucléaire, comme si rien ne s'était passé dans le monde ces dernières années, comme si la guerre froide sévissait toujours.
Les sénateurs communistes avaient été les seuls à voter contre cette loi et la politique qui la sous-tendait. Deux ans plus tard, rien ne nous fait regretter ce vote. Je m'adresse à nos collègues de la majorité sénatoriale qui, voilà deux ans, ricanaient et voulaient nous donner des leçons de patriotisme, des leçons d'esprit de responsabilité parce que nous souhaitions faire baisser de 70 milliards de francs en cinq ans les crédits d'équipement militaire, notamment nucléaires, dans la loi de programmation de 1994 ! Ceux-là mêmes sont prêts aujourd'hui à entériner une baisse de 120 milliards de francs en six ans. Quel retournement de situation, mais quelle incohérence !
Ensuite, nous avons des raisons d'inquiétude, car la faillite de la loi de programmation de 1994 a entraîné de nouvelles et graves perturbations dans notre industrie de défense par la remise en cause de programmes que nous considérons comme prioritaires pour la défense du pays.
Qu'il s'agisse de la défense de notre espace aérien, avec le troisième ou le quatrième report de l'avion Rafale, ce remarquable appareil qui devait assurer à la fin de ce siècle le renouvellement de notre flotte aérienne !
Qu'il s'agisse de la défense de notre espace maritime, avec le non-renouvellement de notre marine nationale dont les trois quarts des bâtiments ont besoin soit d'être remplacés, soit d'être plus ou moins rénovés !
Qu'il s'agisse de l'équipement de nos forces terrestres, avec les reports de commandes du char Leclerc ou la remise en cause des programmes d'hélicoptères !
M. René-Pierre Signé. Quelle philippique !
M. Jean-Luc Bécart. Ce projet de loi de programmation militaire ne corrige pas les désordres qui découlent de la faillite de la loi de programmation de 1994 et il accentue, une fois de plus, la réduction des commandes à l'industrie nationale de défense.
Avec cette terrible perspective de la suppression de 50 000 à 70 000 emplois dans notre industrie d'armement, finalement, vous voulez vous orienter vers la suppression de nos établissements dans leur forme actuelle, fidèle que vous êtes aux orientations atlantistes et aux modalités du traité de Maastricht, notamment avec la création de cette Agence européenne, donc supranationale, de l'armement.
Notre ami Claude Billard axera son propos sur ce point douloureux pour des dizaines de milliers de familles et pour des régions entières.
Avec 85 milliards de francs de dépenses annuelles d'équipement au lieu de 105 milliards de francs, la France engage un effort qui est plus compatible avec ses possibilités financières et avec l'environnement mondial. Mais, vous le savez, monsieur le ministre, nous aurions souhaité que cette diminution des crédits affecte le surarmement nucléaire et épargne les programmes dont la réalisation nous semble indispensable à la défense de notre espace national, que j'évoquais tout à l'heure.
L'heure n'est-elle pas, par exemple, à la conclusion d'un moratoire sur les armes nucléaires nouvelles accompagnant la signature d'un traité international d'interdiction des essais nucléaires ou de leur simulation en laboratoire ?
Nous appelons de nos voeux des initiatives françaises pour redonner vigueur au processus de désarmement nucléaire engagé sur la planète et pour consolider la non-prolifération.
Pour ce faire, doit-on rappeler que la France peut s'appuyer sur certaines décisions positives récentes, comme la signature du traité de dénucléarisation du Pacifique Sud, le démantèlement du centre d'essais nucléaires du Pacifique ou des dix-huit missiles stratégiques S 3 D du plateau d'Albion, le retrait des derniers missiles tactiques Hadès ou la fermeture de l'usine de production de Pierrelatte ?
Au-delà de cela, vous maintenez le cap d'une course aux nouveaux armements nucléaires : le nouveau missile stratégique M 51, le nouveau missile aéroporté ASMP, la nouvelle génération de sous-marins lanceurs d'engins, la simulation en laboratoire des essais nucléaires.
En fait, la France semble ne pas respecter sa parole, donnée solennellement, de s'engager de bonne foi dans le désarmement nucléaire, comme l'article 6 du récent traité de non-prolifération lui en fait obligation.
Ne pas réaliser ce nouveau missile nucléaire M 51, par exemple, nous ferait économiser 10 milliards de francs dans la présente loi de programmation, sur les 31 milliards de francs que coûte ce programme. Renoncer à la simulation en laboratoire nous ferait économiser dix autres milliards de francs.
Ces crédits ne seraient-ils pas plus utiles aux grands programmes visant à défendre notre espace national, dont je parlais tout à l'heure ? Ne pourraient-ils pas donner un ballon d'oxygène salvateur à la direction des constructions navales, la DCN, à GIAT Industries ou à Dassault ? Ce déplacement de crédits ne pourrait-il pas inverser la tendance de déclin imposée à notre industrie de défense et éviter bien des drames humains, en sauvant les emplois menacés, ou tout au moins le plus grand nombre d'entre eux, et surtout un savoir-faire industriel ?
Monsieur le ministre, effectuez ces changements et vous aurez, sur ce point des crédits d'équipement, le soutien du groupe communiste républicain et citoyen !
Je souhaite exprimer aussi notre accord sur le renforcement de nos capacités de renseignement, en particulier par le développement du secteur spatial, car, nous l'avons déjà dit, on ne peut parler de défense nationale véritable sans indépendance complète des moyens de renseignement, de surveillance et de transmission. Vous le savez, tout ce qui va dans ce sens a d'emblée le soutien de notre groupe.
En revanche, vous connaissez nos réserves, voire notre opposition, sur d'autres orientations, comme la création d'une force d'armée de métier projetable, comme la suppression du service militaire de conscription ou encore comme la réintégration de nos forces armées dans l'OTAN.
Il aurait été normal que les questions du format et de la nature de nos forces armées soient débattues et fassent l'objet d'une décision avant l'examen de cette loi de programmation militaire. A nous aussi, il nous paraît en effet logique que le montant des crédits soit établi après la décision concernant le format des armées et le vote de la réforme du service national, que vous avez programmée en octobre prochain.
Certes, pour essayer d'atténuer cette incohérence, vous avez introduit, à l'Assemblée nationale, par simple amendement, un article fixant les effectifs de nos armées. Nous examinons donc aujourd'hui une loi qui, en quelque sorte, anticipe, voire spécule, sur l'adoption d'une future autre loi. C'est une première !
C'est un manque évident de logique, sauf à considérer que le Parlement est une chambre d'enregistrement entérinant sans sourciller les annonces du Président de la République !
Et si le format des armées retenu en octobre n'était pas le même que celui qui esr prévu dans cette loi de programmation, ladite loi deviendrait caduque. Aussi, nous apporterons notre soutien à la motion déposée par nos collègues socialistes, et tendant à opposer la question préalable, ne serait-ce que pour remettre la charrue derrière les boeufs !
Cela étant, nous pensons profondément que le Président de la République, le Gouvernement et sa majorité parlementaire prennent une lourde responsabilité en supprimant la conscription, en réduisant, par là même, les effectifs de nos armées de 150 000 hommes et en décidant la création d'une armée de métier dont la première mission assignée serait la projection de puissance.
C'est là un changement majeur de doctrine. A la notion de défense de l'intégrité du territoire national, vous voulez substituer la notion de défense de nos intérêts vitaux partout où ils seraient menacés, notion aux contours flous comportant des dérives potentielles dangereuses et qui n'est pas sans rappeler quelque part la politique de la canonnière.
Nous redisons avec force notre refus de toute défense engageant nos forces armées au gré d'intérêts n'ayant rien à voir avec la défense du pays. L'armée de métier projetable est d'abord conçue pour aller faire la guerre ailleurs, et nous voulons que l'on mette suffisamment de garde-fous pour écarter les dérives de type corps expéditionnaire ou gendarmerie de l'ordre économique dominant.
Nous comprenons fort bien qu'une partie de nos forces armées soient organisées en unités de forces projetables, mais, pour nous, cette projection de forces armées se conçoit en priorité pour participer à des missions engagées sous mandat de l'ONU, alors que, pour vous, cette projection de puissance se comprend, d'abord, dans le cadre d'interventions placées sous l'égide de l'OTAN et des Américains.
C'est là une des premières raisons de notre opposition à la création de l'armée de métier.
Il y en a d'autres. Je n'insisterai pas sur la jubilation de Le Pen, qui a applaudi en son temps le plus fort à cette idée avec les arrière-pensées que l'on sait !
En revanche, j'insisterai, bien évidemment, sur la sauvegarde de ce pilier démocratique qu'est l'armée républicaine de conscription, composante d'une armée mixte, car, pour nous, professionnalisation de certaines unités et service national d'appelés, loin de se voir opposés, comme vous le faites, doivent être considérés en termes de complémentarité, de cohésion.
Certes, le service militaire est malade. Ce vieux pilier républicain est très souffrant. Les jeunes, pour parler vrai, y perdent beaucoup leur temps. L'instruction civique et militaire y est souvent sommaire et médiocre.
Le service est trop long. C'est, pour beaucoup de jeunes, un obstacle à la recherche du premier emploi, ou un handicap dans le cursus des études ou de la formation.
Il y a trop de passe-droits. Trop souvent, les plus diplômés, les plus favorisés font un service civil ; trop souvent, les plus influents en sont dispensés.
Le service militaire manque cruellement de moyens pour être efficace et formateur. Finalement, faute d'avoir été réformé à temps, il a perdu l'essentiel de sa crédibilité. Oui, il est malade. Aidons-le à guérir plutôt que de décider de sa disparition !
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Jean-Luc Bécart. Car, malgré ses lourdeurs et ses défauts, le service militaire a contribué à favoriser l'émergence de la France moderne par le brassage des classes sociales, par le brassage des terroirs.
Il a contribué à conforter l'adhésion de bon nombre de jeunes aux valeurs républicaines.
Même si, bien sûr, cela était plus vrai autrefois qu'aujourd'hui, il reste malgré tout un passage à l'âge adulte, aidant bon nombre de garçons à sortir de l'adolescence, à commencer à assumer leur condition d'adulte et peut-être, d'une certaine façon aussi, leur condition de citoyen.
Dans une société qui dérive vers l'égoïsme, il reste encore, pour bon nombre de jeunes, une première expérience de vie communautaire, où chacun est obligé de composer avec les autres. Cela vaut aussi bien pour les jeunes surprotégés, qui sortent ainsi de leur cocon, que pour les jeunes des milieux en difficulté, qui sortent pour la première fois de leur ghetto social et vivront ainsi une expérience d'intégration.
De toute façon, nous récusons, vous le savez également, le service national civil généralisé, que vous aviez un temps envisagé, et dont l'aspect « corvée obligatoire » sautait aux yeux, sans compter le danger de suppressions d'emplois dans la fonction publique du fait de l'arrivée annuelle de quelque 250 000 jeunes appelés amenés à exercer une activité souvent en lieu et place d'un fonctionnaire. Cette idée a été abandonnée. Tant mieux !
Nous, nous proposons de maintenir un service militaire de conscription complètement rénové, c'est-à-dire plus court, plus condensé, sans perte de temps inutile, réduisant les obstacles à la recherche du premier emploi et au déroulement des études.
Il faut que ce service soit efficace, avec une instruction civique et militaire digne de ce nom, faisant appel, par exemple, à des réservistes chevronnés et à du personnel de l'éducation nationale pour seconder utilement la tâche des cadres professionnels.
Il faut qu'il soit universel, au moins dans sa phase dite « des classes », et que tout passe-droit soit supprimé.
Il faut aussi qu'il respecte le jeune en tant que citoyen ; la citoyenneté peut tout à fait cohabiter avec les nécessités de la discipline et de la hériarchie.
En résumé, si notre défense a besoin de bons professionnels, elle a autant besoin des jeunes Français ; et, réciproquement, même si cela peut paraître un peu désuet, les jeunes, selon nous, ont besoin, pour devenir des citoyens accomplis, d'une formation civique et militaire de base.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Jean-Luc Bécart. La défense du pays et, plus précisément, l'esprit de défense doivent être l'affaire de chaque Français et pas seulement de ceux qui seraient temporairement payés pour assurer cette défense.
Le Livre blanc de 1994, dont vous avez souligné qu'il était encore le socle de votre politique de défense, disait clairement et justement : « Le service national demeure le meilleur gage de l'attachement de la nation et des citoyens à leur défense. » Rien à redire !
Le même Livre blanc indiquait également : « La conscription, par le potentiel qu'elle recèle, est et sera en mesure de fournir les ressources humaines qui rendront possible le format des armées permettant de faire face, avec l'ensemble de ses moyens, aux risques du futur. »
Quant à l'armée de métier, le même Livre blanc était net : « L'armée de métier ne permettrait pas de répondre à l'ensemble des missions déjà évoquées, sauf à imaginer des dépenses budgétaires et un flux d'engagements qui paraissent déraisonnables, voire hors de portée. »
Par rapport à ce Livre blanc, la même majorité parlementaire va voter, à peine deux ans après, des dispositions fondamentales tout à fait contraires !
M. Emmanuel Hamel. Pas tous ! (Rires.)
M. Jean-Luc Bécart. Sur ce point, en tout cas, mon cher collègue !
Je n'ai guère envie d'épiloguer sur le remplacement des épreuves de sélection du service national, dites « trois jours » - trois jours qui, comme l'on sait, se sont réduits, au fil du temps, à une seule journée - par ce séjour de cinq jours - cinq jours au début, mais combien après ? - baptisé pompeusement « rendez-vous citoyen ».
C'est vraiment une bien pauvre réponse aux inquiétudes suscitées par la suppression du lien principal entre la population française et son armée ! C'est totalement illusoire et déplacé.
Quant à l'argument d'une armée de métier plus performante techniquement qu'une armée mixte, il ne nous paraît pas sérieux, car la conscription apporte à l'armée bon nombre de jeunes formés aux technologies modernes et d'un niveau moyen, il faut bien le dire, supérieur à celui des engagés.
Je souhaite, avant de conclure mon propos, aborder un autre aspect dangereux des changements que le Gouvernement veut entreprendre dans le domaine de la stratégie de défense.
Votre politique de défense, avez-vous dit, monsieur le ministre, s'inscrit désormais dans une perspective européenne et non plus dans une perspective de défense indépendante de l'intégrité du territoire national.
Si l'on peut comprendre que la France tente de se positionner en leader d'une éventuelle politique commune européenne, notamment industrielle, il faut aussi comprendre qu'une perspective de défense européenne indépendante est et sera longtemps encore une vue de l'esprit ou un argument de communication politique.
D'ailleurs, pour avoir une politique de défense commune, il faut avoir une vision politique commune, une politique étrangère commune, une volonté commune d'indépendance vis-à-vis des Américains, une solidarité industrielle et commerciale commune. Tout cela est loin, très loin d'être le cas !
La Grande-Bretagne ne jure que par l'OTAN américanisée. Elle n'est pas prête à renoncer à son matériel américain, à commencer pas ses vecteurs nucléaires.
L'Allemagne a, certes, une position beaucoup plus nuancée, mais elle ne jure que par le parapluie nucléaire américain et achète à tour de bras de l'armement américain, comme, d'ailleurs, la plupart des autres pays européens.
De plus en plus, on éprouve les plus grandes difficultés à mettre en chantier en Europe des programmes de coopération, dès lors que les équipements ainsi créés entreraient trop en concurrence avec ceux qui sont produits par les Américains, qui se sont accaparé plus de 50 p. 100 du marché mondial de l'armement.
Il est à remarquer que le premier acte politique français engagé pour avancer dans cette perspective de défense européenne aura été de réintégrer l'OTAN, qui est, il faut bien le dire, tout sauf une organisation marquant la nécessaire indépendance européenne, dominée qu'elle est par les Américains, militairement, politiquement, voire monétairement.
Mes chers collègues, il faut toujours se souvenir qu'il y a longtemps que le problème de la monnaie unique européenne a été résolu, dans le domaine de l'armement en tout cas, comme d'ailleurs dans celui de l'aéronautique : cette monnaie unique, c'est le dollar américain !
Ce ne sont pas les discussions en cours, notamment les récents accords de Berlin et de Bruxelles, qui modifieront cet état de fait.
Selon nous, il ne pourra y avoir de défense européenne tant qu'il y aura le veto américain sur les décisions du pilier européen de l'OTAN, tant qu'il y aura dépendance complète au niveau des équipements et de la logistique. Sur ce point, les Américains ne sont pas prêts de transiger. Leur hégémonie politique et industrielle dépend trop de leur position dominante dans l'OTAN.
Nous, nous sommes opposés à l'OTAN, car nous sommes opposés à toute dépendance de nos forces armées de toute organisation militaire ou politique que ce soit.
Certes, nous sommes partisans des coopérations militaires les plus larges, à commencer, bien entendu, avec nos partenaires européens, mais à la condition de toujours garder la maîtrise de nos forces armées et de nos technologies.
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les réflexions de mon groupe sur les grandes lignes de la présente loi de programmation militaire.
Elles sont exprimées avec la volonté de voir doté notre pays d'une défense nationale efficace et dissuasive, en phase avec l'environnement mondial, en rapport avec les possibilités financières du pays et les priorités sociales, une défense qui s'appuie sur les valeurs républicaines fondant l'esprit de défense de la population.
Nous aurions souhaité que les moyens soient mieux répartis, qu'ils soient davantage orientés vers nos programmes de défense du territoire, que l'on engage la marche arrière dans le domaine du surarmement nucléaire, que l'on donne à notre industrie de défense, l'oxygène dont elle a besoin pour éviter ces dizaines de milliers de suppressions d'emplois.
Elles sont exprimées, enfin, avec la volonté de mettre le cap sur l'indépendance de notre politique et de nos forces armées, ce qui n'exclut pas les coopérations les plus larges en Europe et au-delà.
Nous ne retrouvons pas tout cela dans ce que vous proposez. Aussi, le groupe communiste républicain et citoyen ne pourra que voter contre votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Emmanuel Hamel. Il aura raison !
Mme Danielle Bidard-Reydet. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, à ce stade du débat, nous allons interrompre nos travaux pour quelques minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à dix-neuf heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë. Que s'est-il donc passé depuis deux ans, monsieur le ministre, pour qu'aujourd'hui vous mettiez les membres de votre majorité parlementaire en situation de se renier ?
Quels événements se sont produits dans le monde pour que vous nous présentiez un projet de loi dont le titre V est inférieur de 18 milliards de francs par année à celui qui a été voté par le Parlement en 1994 ?
Pourtant, en 1993, le RPR, dont M. Jacques Chirac était le président et M. Alain Juppé le secrétaire général, se présentait comme « la seule formation politique à prévoir un effort accru de défense ».
Puisque vous reconnaissez vous-même, monsieur le ministre, que l'ordre géostratégique ne s'est pas modifié depuis 1994, je ne peux pas croire que l'élection de M. Jacques Chirac à la présidence de la République, sans en sous-estimer l'importance, ait à elle seule bouleversé l'ordre des relations internationales.
Vous nous présentez un projet de loi différent de celui que vous avez vous-même voté il y a deux ans. Ce texte, il est vrai, s'inscrit dans la logique de la « décision de professionnaliser l'ensemble des forces de défense », selon les termes très exacts du Président de la République. Je m'étonne d'ailleurs que nous n'ayons pas débattu d'abord du texte sur le service national, qui détermine l'organisation de nos armées. Mais je laisserai le soin à Claude Estier de développer plus en détail ce point en défendant la question préalable déposée par le groupe socialiste, d'autant que la décision prise par le Président de la République constitue une véritable rupture dans l'histoire de la politique de défense de la Ve République.
Je voudais évoquer un point majeur sur lequel, curieusement, nous n'avons pas entendu le Président de la République.
En effet, nous avons appris, au mois de décembre 1995, que le ministre français de la défense et le chef d'état-major des armées pourront désormais siéger au sein du comité militaire de l'OTAN. En soi, cette décision pourrait se justifier au moment où des soldats français servent en Bosnie avec l'IFOR, sous le commandement opérationnel de l'Alliance atlantique. Cependant, nous savons que la modification de l'attitude française sur ce sujet n'est pas dictée par des préoccupations conjoncturelles, mais qu'elle est motivée par un changement profond de politique.
La décision prise à Berlin le 3 juin permettant aux Européens d'utiliser des moyens de l'OTAN sans participation américaine nous est présentée comme un événement historique. Il l'est en effet, car il signifie que la France a choisi de tourner la page de 1966. Je ferai remarquer au passage que le Premier ministre de l'époque, Georges Pompidou, avait tenu à s'exprimer devant le Parlement afin de donner les raisons de ce départ. Nous attendons M. Juppé !
Sur le fond, vous nous dites avoir renforcé l'identité européenne de défense. En fait, je crains que vous n'ayez conclu qu'un marché de dupes. Il suffit d'examiner la presse américaine pour s'apercevoir que la lecture des événements n'est pas la même des deux côtés de l'Atlantique.
Si l'on en croit M. de Charette, la France, après avoir siégé de nouveau au sein du comité militaire, devrait poursuivre sa réintégration au sein des instances de l'OTAN. Les faits vont démontrer qu'il y a antinomie entre le concept de l'intégration européenne et celui de l'intégration atlantique, ainsi que l'affirmait déjà M. Couve de Murville en 1966.
Les raisons du départ de la France du commandement intégré, nous les connaissons. Il ne s'agissait pas, à l'époque, de vouloir rééquilibrer la situation au profit d'un pilier européen. La décision du général de Gaulle était dictée par le souci de l'indépendance nationale. La France était hostile à l'adoption par l'Alliance d'une stratégie de riposte graduée en contradiction avec notre dissuasion nucléaire. La France refusait ainsi d'être entraînée dans un conflit qui ne serait pas le sien. Et surtout, elle refusait toute hégémonie américaine.
Depuis la rencontre dans le Caucase, le 16 juillet 1990, entre le chancelier Helmut Kohl et Mikhaïl Gorbatchev permettant la réunification de l'Allemagne, membre de l'Alliance atlantique, les données sont modifiées. Désormais, le devenir de l'OTAN est posé. Sous l'impulsion de François Mitterrand, la France a pesé de tout son poids politique afin de faire prendre en compte par le Conseil atlantique la nécessité de construire une entité européenne de défense, notamment à travers l'UEO, et ce sans rompre le lien de solidarité avec l'Alliance atlantique.
Or, quoi qu'il en dise, votre gouvernement a abandonné la voie de la construction d'une identité européenne de défense autonome. Les Etats-Unis, tout en en ayant mesuré les risques pour leur influence, ont finalement accepté de donner quelques moyens aux Européens, car ils éviteront ainsi, dans le futur, d'être impliqués dans des opérations non conformes à leurs intérêts stratégiques.
Déjà, en 1952, M. Raymond Aron expliquait, en préface à un ouvrage de George Kennan consacré à la diplomatie américaine, que le « désir de ne pas être entraîné dans des conflits européens est aussi enraciné dans une certaine tradition que la foi dans la mission américaine en Asie ».
Désormais les Etats-Unis ont une porte de sortie pour leurs troupes au sol en Bosnie. Pour monter des opérations, les Européens auront besoin de moyens de transport aérien sur longue distance, d'avions ravitailleurs, de systèmes de commandement, de contrôle et de communication, et de satellites de renseignement. Tous ces moyens américains, ceux-ci garderont de ce fait un droit de contrôle sur ces opérations. De surcroît, celles-ci ne pourront se faire qu'avec le feu vert du Conseil atlantique, ce qui donne un droit de veto aux Etats-Unis.
Sur l'essentiel, les Américains n'ont rien cédé, notamment sur la chaîne de commandement, en particulier le commandement suprême des forces alliées en Europe, le SACEUR, mais ils ont réussi, sans avoir rien demandé - j'insiste sur ce point - à ramener la France au sein des instances militaires de l'OTAN.
En réalité, nous devons juger la volonté des Européens de se doter d'une défense autonome selon deux critères : la définition d'une politique étrangère commune et l'affectation des crédits de défense qui donnent les moyens de l'autonomie. Or, sur ce dernier point, je ne peux que constater le fait suivant : la France est le pays européen qui opère les coupes les plus brutales dans ses crédits d'équipement.
Dès lors, nous comprenons un peu mieux cette loi de programmation militaire. En réduisant nos effectifs, en opérant des coupes dans les programmes, vous entendez vous conformer aux standards de l'OTAN. La réduction des cibles, le décalage des commandes et des livraisons dans le temps, la suppression de plusieurs programmes nous rendrons de plus en plus dépendants de nos alliés pour assurer notre défense. Telle est, monsieur le ministre, la logique de votre programmation.
Vous avez dû, en outre, affronter une autre difficulté : celle de tenir, ou plutôt de tenter de tenir, tous les programmes prévus dans une enveloppe budgétaire réduite à 86 milliards de francs pour le titre V. C'est la sanction du choix de la professionnalisation. Désormais, je le regrette, les dépenses de fonctionnement prendront de plus en plus d'importance, et je crains qu'elles n'aillent en augmentant, au détriment, bien sûr, des crédits d'investissement.
Je souhaite examiner cette loi en reprenant les grandes fonctions opérationnelles définies par le Président de la République et en insistant plus particulièrement sur les grands programmes des trois premières.
Il est indispensable, si nous voulons conserver notre autonomie de décision, de pouvoir être renseignés complètement et de façon indépendante. Si une leçon devait être tirée de la guerre du Golfe, c'est bien celle-là. Je note d'ailleurs avec satisfaction - ce sera le point du projet de loi que j'approuverai, un point seulement - que les grands programmes spatiaux, Hélios I et II, Horus, Syracuse III, sont maintenus et que les organismes de renseignement, la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, et la Direction du renseignement militaire, la DRM, verront leurs effectifs en principe augmenter. Les moyens consacrés à la politique spatiale militaire représenteront, sur six ans, 20,7 milliards de francs, soit 4 p. 100 du titre V.
Nous sommes très loin cependant des 15 milliards de dollars investis chaque année par le Pentagone. Sur ce point, je partage l'analyse que faisait M. de Villepin en 1992 sur la nécessité de poursuivre l'effort financier et de l'amplifier dans les années à venir. Il le chiffrait à l'époque à 8 milliards de francs par an pour la fin du siècle. Cela implique que des sommes importantes soient investies dans les études de recherche-amont. Vous-même, monsieur le ministre, déclariez, le 30 juin 1995 : « L'effort dans ce domaine devra être amplifiée, si nécessaire, au détriment d'autres équipements. »
Nous devons en effet réfléchir au développement d'autres systèmes ; je pense plus particulièrement au satellite de détection avancée et de surveillance anti-balistique, que notre collègue M. Jean Faure chiffrait à 10 milliards de francs dans son dernier rapport.
Le développement et la maîtrise des technologies spatiales revêtent un caractère stratégique. C'est pourquoi la France ne doit pas relâcher son effort, eu égard à ses responsabilités vis-à-vis de ses partenaires européens. Il n'y aura pas de politique spatiale militaire européenne si la France n'en donne pas l'impulsion. L'Allemagne a franchi de ce point de vue un pas positif, que je qualifierai de stratégique, en décidant de participer aux projets Hélios 2 et Horus.
Concernant la deuxième fonction, celle de la dissuasion, je constate l'absence de débat au sujet de la suppression de la composante terrestre. Je le regrette d'autant plus que je crois qu'il existe un consensus en France sur la reconnaissance de la dissuasion nucléaire comme élément fondamental de notre défense et de notre sécurité. Nous le savons tous : si nous fermons le plateau d'Albion, c'est d'abord, et avant tout, pour des raisons budgétaires.
Le missile balistique fixe basé au sol a des qualités que n'a pas le missile aéroporté, à savoir l'instantanéité, la permanence et la sûreté d'emploi. Le site d'Albion avait une vertu stratégique : toute attaque à son encontre aurait signifié une agression caractérisée contre la France et ses intérêts vitaux. Or nous allons démanteler le système stratégique sol-sol le plus protégé et le plus durci implanté en Europe occidentale. Dans la réalité, nous ne conserverons qu'un seul système qui soit réellement stratégique, celui qui est fondé sur les sous-marins.
Le nucléaire perd peu à peu la priorité au profit d'une stratégie d'action. La restructuration de notre appareil de défense a pour objectif la constitution d'une force de projection. Désormais, cette force de 30 000 hommes devrait constituer le noyau de l'armée française. En effet, nous aurons une armée de terre de 136 000 militaires, soit un effectif de 40 000 combattants, si je reprends le ratio d'un combattant sur trois, défini par l'état-major de l'armée de terre.
Avec de tels effectifs, il est évident que nous ne pourrons plus tout faire. La défense conventionnelle de l'Europe reposera désormais sur l'Allemagne, qui n'a pas la même vision de la menace à l'Est que vous, monsieur le ministre. J'en veux pour preuve les déclarations de l'ancien secrétaire d'Etat allemand à la défense, le général Schönbom, qui déclarait récemment à un hebdomadaire français : « il n'y a peut-être plus de menace directe à l'Est, mais personne ne sait quelle sera l'évolution de la Russie. C'est pourquoi nous avons besoin d'une armée conventionnelle nombreuse et équipée. » Ce que l'on a pu constater ces derniers jours, ce que l'on peut redouter pour les semaines, les mois et les années qui viennent m'amènent à penser que l'on devrait méditer cette remarque.
Je ne donnerai qu'un exemple de cette future disproportion de forces. La France, pour assurer sa défense et participer à celle de l'Europe, disposera, en 2002, de 420 chars lourds, dont 250 Leclerc. Ce chiffre correspond à la force blindée du Danemark. Les Allemands disposent d'ores et déjà, quant à eux, de 2 690 chars, dont deux tiers de Leopard 2. Ces chiffres se passent de commentaires.
La France a donc fait le choix de l'intervention extérieure. Il semblerait logique que cette future force de projection soit rapidement dotée des moyens nécessaires afin de faire face à toute crise. Et c'est là tout le paradoxe de votre projet de loi, monsieur le ministre. Cette future force sera dotée de moyens, mais ce seront des moyens virtuels.
En effet, vous arrêtez les crédits de développement du projet d'avion de transport futur. Vous supprimez l'achat des deux A 310. Vous ne prévoyez pas la livraison du Rafale-marine les premières années de la mise en service du futur porte-avions. Vous ne donnez aucun chiffre, dans ce projet de loi, sur le nombre précis d'hélicoptères Tigre et NH 90.
Vous interprétez l'alignement de l'Allemagne sur notre démarche commerciale comme une victoire. J'aimerais partager votre optimisme car ce sont des milliers d'emplois qui sont en jeu. Mais je crains plutôt qu'il ne faille lui donner la signification de la fin des espoirs des Européens de construire leur avion de transport militaire. Les Britanniques avaient déjà porté un coup dur à ce programme en achetant des C 130 J américains. Si Français et Allemands se retirent du projet industriel, pensez-vous un seul instant que les autres partenaires, l'Espagne, l'Italie, qui connaissent également des difficultés budgétaires, resteront dans le projet ? Je sais bien que M. Richard Hoolbroke définit les Etats-Unis comme la seizième puissance européenne, mais est-ce une raison suffisante pour accepter le monopole américain en matière d'avions de transport ?
Je note également qu'aucune solution n'est trouvée quant au remplacement des DC 8. La France a pourtant besoin d'appareils de transport à long rayon d'action. Plutôt que d'acheter des C 17, la possibilité d'utiliser une version militarisée de l'A 340 avait été envisagée. L'auriez-vous abandonnée ?
Quant au porte-avions, vous avez finalement choisi de trancher le débat entre les partisans d'une rénovation des Crusader et ceux de l'achat de F 18. Vous avez adopté une troisième solution : pas d'avions du tout à court terme. En effet, le Charles-de-Gaulle ne sera équipé de sa première flottille d'avions-intercepteurs Rafale qu'en 2002. Cela signifie très concrètement que nous aurons un porte-avions qui devra, durant trois ans, éviter toutes les zones à risque, en Méditerranée par exemple ! Pouvez-vous affirmer que la France pourra éviter toute zone à risque pendant ce temps-là ? Et moi qui croyais que, par définition, un groupe aéronaval était destiné à être employé en zone et en temps de crise !
A l'Assemblée nationale, vous avez accepté l'amendement relatif à la construction d'un deuxième porte-avions « sous réserve que les conditions économiques le permettent ». Je souhaiterais connaître les solutions de remplacement que votre ministère envisage au cas où ces conditions, justement, ne seraient pas remplies.
En effet, lors du débat sur les orientations de la politique de défense, j'avais évoqué la possibilité de construire un bâtiment à vocation mixte pouvant transporter des troupes et du matériel, mais étant capable de mettre en oeuvre des avions à décollage court et des hélicoptères. Dans le cadre d'Euromarfor, ce porte-aéronefs pourrait assurer, en liaison avec ses homologues italien et espagnol, une continuité opérationnelle lorsque le porte-avions nucléaire serait indisponible. Je pense que cette solution mériterait d'être étudiée, et j'attends votre réponse sur ce point.
Je voudrais dire un dernier mot sur les hélicoptères, qui sont un atout maître dans la mobilité des forces et leur protection. Les programmes Tigre et NH 90 semblent être préservés puique onze commandes sont prévues pour la version marine et vingt-cinq pour la version appui-protection du Tigre. Mais nous ignorons tout du nombre global d'hélicoptères que le ministère entend commander. M. le président de Villepin évoque, au conditionnel, à la page 126 de son rapport, les chiffres de 120 Tigre et 68 NH 90. Or, si j'en crois les propos tenus par l'un de nos responsables militaires dans une revue spécialisée, le format minimal de l'aviation légère de l'armée de terre serait de 500 hélicoptères. Cela correspond, à peu près, au nombre d'appareils détenus par le Royaume-Uni pour une armée de terre de 116 000 hommes. Pourriez-vous, monsieur le ministre, donner à la représentation parlementaire des indications plus précises sur ce sujet ?
Les retards apportés dans les livraisons de matériel risquent de compromettre toutes leurs chances à l'exportation. En effet, si le projet de loi ne permet pas d'équiper correctement nos armées, il n'aide pas non plus nos industriels dans la conquête de marchés extérieurs.
Je crains que le chiffre des commandes à l'exportation pour 1996 ne soit encore plus mauvais que celui de 1995. A ma connaissance, mais j'espère me tromper, aucun contrat significatif n'a été signé à ce jour. Or, vous le savez, la concurrence sera de plus en plus dure. Nos matériels aéronautiques ont indiscutablement une avance technologique qui les rend compétitifs, à condition de pouvoir profiter de cette avance. Or vous n'ignorez pas que les Américains ont adopté une démarche résolument « agressive » dans ce domaine. La raréfaction des commandes intérieures par le Pentagone a obligé les industriels américains à se lancer à la conquête des marchés extérieurs, en éliminant tout concurrent et, bien sûr, d'abord les Européens.
L'administration américaine, pourtant peu imprégnée de culture colbertiste, n'hésite pas à faire ce qui semble être un tabou Quai de Bercy. Ainsi, à titre d'exemple, le gouvernement américain vient de décider l'achat de 36 Blackhawk, afin de soutenir l'activité de la firme Sikorsky avant l'arrivée du prochain hélicoptère d'attaque, le Comanche. Cet hélicoptère arrivera sur le marché au moment même des premières livraisons du Tigre. D'ailleurs, s'il y avait le moindre doute, il vient d'être levé avec la révélation faite par le magazine Aviation Week. Un document du département américain du commerce demande à l'ensemble des représentations diplomatiques de se mobiliser afin de conquérir les marchés aéronautiques européens, plus précisément là où les matériels français auraient une chance. Ce sont le NH 90, le Tigre et l'avion de combat Rafale qui sont explicitement visés.
Or, le même problème va se poser avec le Rafale ! L'avance que cet appareil avait sur son concurrent l'Eurofighter 2000 est en train d'être comblée. La première unité opérationnelle d'Eurofighter dans la Luftwaffe est annoncée pour 2003. Or, le premier escadron de Rafale ne sera opérationnel qu'en 2005, voire 2007, si l'on en croit un rapport d'information de notre collègue député Olivier Darrason. D'ici là, les Américains ne resteront pas inactifs. Dès aujourd'hui, ils « cassent leurs prix » sur les F-16. On me cite le chiffre de 17 millions de dollars l'appareil pour un marché au Proche-Orient. L'année prochaine, ils produiront une version améliorée du F/A 18 et, dès septembre 1997, leur avion furtif de supériorité aérienne, le F-22. Vous le voyez, plus nous attendons et plus le Rafale deviendra difficile à exporter.
L'étalement des commandes, la réduction des cibles, l'annulation de programmes, l'incertitude des marchés à l'exportation, toutes ces mesures auront des répercussions sur notre industrie de défense et sur l'emploi. Il semble que le chiffre de 50 000 suppressions d'emplois évoqué par certains soit d'ores et déjà dépassé puisque vous-même, monsieur le ministre, avez parlé de 10 000 suppressions d'emploi par an devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale, le 13 mai dernier.
Nous ignorons tout des intentions de l'Etat quant au devenir de notre industrie de défense. Je constate simplement son désengagement à l'égard de ses obligations régaliennes lorsque vous privatisez Thomson et abandonnez le projet de l'ATF. La logique des intérêts privés semble tenir lieu peu à peu de politique industrielle de défense.
J'aurais pourtant aimé, monsieur le ministre, vous apporter le soutien du groupe socialiste car il s'agit d'un texte qui concerne la défense de la France.
Mais le Président de la République, en décidant de professionnaliser l'ensemble de nos forces armées, va non seulement couper le lien privilégié qui existait entre la nation et son armée, mais également rompre le consensus qui existait sur la défense. Je suis même persuadé - j'en ai eu confirmation tout l'après-midi par nombre d'interventions - que la ligne de clivage ne passe pas seulement entre votre majorité et l'opposition.
Je ne conteste pas la baisse des crédits, mais ce choix de la professionnalisation vous place dans une impasse financière. Les dépenses de fonctionnement ont la priorité et la conserveront dans le futur. Ces 185 milliards de francs sont, certes, considérés aujourd'hui par le ministère des finances comme un « sanctuaire ». Mais qu'en sera-t-il demain, quand on sait que cette loi n'a aucun caractère impératif et que les lois de finances votées par le Parlement - quelles que soient les majorités parlementaires, quels que soient les gouvernements - sont souvent contournées par les gels ou les annulations de crédits.
Cette loi ne prépare pas l'avenir. Elle programme au contraire la désorganisation de nos armées : le Charles-de-Gaulle ne pourra pas s'aventurer au-delà de la rade de Toulon pendant trois ans, l'armée de l'air attendra le bon vouloir du Military Air Command ou bien regardera le prix de location des Antonov pour transporter nos troupes, et l'armée de terre devra patienter encore quelques années avant de se doter d'hélicoptères modernes.
Enfin, on ne prépare nullement nos industriels à subir le choc des assauts de l'industrie d'outre-Atlantique. Bien au contraire, on les désarme en ne commandant pas les matériels nécessaires au moment voulu.
Pour ces quatre raisons principales, monsieur le ministre, le groupe socialiste votera contre votre projet. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai l'honneur de représenter ici un département qui, au cours de l'histoire, particulièrement l'histoire de ce siècle, a connu le prix de la défense de notre pays. Depuis quelques années, il connaît, de plus, le prix des premières restructurations militaires : cinq régiments disparus d'un coup dans un département d'où les industries de pointe ont été chassées entre les deux guerres, au motif qu'il était trop près de la frontière. Cela a été, sur le plan économique, un moment très difficile à passer, et nous n'en sommes pas encore complètement sortis.
C'est vous dire l'attention avec laquelle les habitants de ce département et leurs représentants observent l'évolution actuelle des problèmes militaires. Ils le font, bien sûr, d'un point de vue patriotique, animés par la volonté de voir la défense de notre pays être la plus efficace possible. Mais, dans le même temps, ils s'inquiètent, et au premier chef les responsables des collectivités territoriales, des conséquences que pourraient avoir les réformes en cours sur la vie du département.
Ce débat, me semble-t-il, se déroule dans une étrange époque, donne lieu à l'énoncé d'étranges certitudes et suscite d'étranges réactions chez nos concitoyens.
Etrange époque : il n'y a pas si longtemps, nous étions plongés dans un monde très dangereux, mais aussi très clair dans la mesure où y régnait une certaine cohérence. Nous percevions bien la nature de la menace et, en fin de compte, l'organisation de la défense de la France était relativement facile à concevoir.
Nous sommes maintenant devant une incertitude totale quant à l'évolution du monde, aussi bien en Europe qu'à l'extérieur et, par conséquent, dans une incertitude totale quant à la nature des menaces auxquelles nous aurons à faire face.
Ces menaces pourront être lointaines, nous contraignant donc à nous projeter loin, mais nous savons déjà que nous ne pourrons pas nous projeter seuls.
Ces menaces pourront aussi être proches, voire internes, ce qui nous imposera de concevoir un maillage du territoire ou une défense active de nos frontières. Or, en la matière, les expériences les plus récentes - c'est une autre étrangeté de notre époque - nous prouvent combien il est difficile d'anticiper. C'est d'ailleurs pourquoi je trouve singulièrement surprenantes certaines certitudes affirmées sur le plan de la théorie militaire.
Certes, la guerre du Golfe a montré que nous avions du mal à jouer notre rôle dans une coalition à caractère essentiellement moderne et mécanique. Mais nous ne nous trouverons pas tous les jours dans un désert préservé par un émir pour monter ce genre d'opérations !
Les événements récents au Moyen-Orient attestent que, si performante, si équipée, si moderne que soit une armée, l'absence d'hommes à pied sur le terrain rend l'efficacité de ses méthodes plus relatives qu'on ne le croyait. Et cela fait partie des incertitudes et des étrangetés du climat dans lequel nous sommes actuellement plongés, comme peut-être aussi du débat dans lequel nous sommes engagés.
Et puis il y a les étranges réactions de notre opinion publique.
Je ne parle pas de ceux qui, pendant des années, nous ont expliqué que les crédits militaires étaient toujours trop importants, le surarmement toujours patent, et qui, maintenant, s'indignent de la réduction des crédits, hurlent aux conséquences désastreuses des restructurations. Tout à l'heure, on parlait de front renversé. Eh bien, nous sommes en plein dedans !
Ce que, en cet instant, je veux évoquer, c'est d'abord l'attachement inattendu de nos concitoyens à la notion de service national. Peut-être avait-on pensé que la facilité l'emporterait dans leur esprit. Il s'avère que l'inquiétude à la fois quant au creuset républicain que représente ce service national et quant aux capacités futures de mobilisation de réserves sur le territoire lui-même l'emporte sur la satisfaction relative qu'ils pourraient retirer de la suppression de cette obligation.
Par ailleurs, nous nous trouvons devant un débat - cela a été dit, et pas forcément par mes amis politiques - qui, d'une certaine manière, tire les conséquences d'une décision sur laquelle la représentation nationale n'a pas encore pris de décision, ou du moins n'a pas donné son avis, à savoir la professionnalisation irréversible de notre armée. Et nous retrouvons là l'incertitude des menaces.
L'armée professionnelle, nous en avons sûrement besoin. Mais à partir de quand et jusqu'à quel point peut-on considérer que nous pourrons nous passer d'une masse d'hommes sous les armes à un moment quelconque ? Cette masse d'hommes sous les armes, on ne peut pas la trouver ailleurs que dans des réserves mobilisables, au moins pour la défense opérationnelle du territoire.
Je ne suis pas compétent, je l'avoue, pour parler des caractéristiques des hélicoptères ou de la qualité des satellites d'observation militaire, mais j'ai vu se dérouler le plan Vigipirate et j'ai pu observer le rôle qu'a joué le militaire du rang dans nos rues pour apaiser l'inquiétude de nos populations. Se priver complètement de la capacité de rappeler du monde sur le terrain pour affronter une telle situation - et je rappelle que, voilà quatre-vingt ans, la bataille de Verdun a été gagnée par les hommes et contre le matériel, car, à l'époque, le pari allemand était d'écraser les hommes sous le matériel - comporte une part de risque, et cela trouble ma conscience.
Je sais, monsieur le ministre, que votre conviction est ferme, votre loyauté entière et votre désir de servir le pays immense. Comprenez néanmoins que nous ayons des scrupules au moment de nous engager dans cette démarche et que le représentant du département où se trouve le Chemin des Dames en ait encore plus que d'autres. Mais nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à mesurer la gravité du débat engagé.
Le Gouvernement est dans son rôle lorsqu'il dessine des perspectives mais nous sommes dans le nôtre lorsque nous vous disons nos troubles, d'autant que, en définitive, la question qui nous est posée n'a jamais été évoquée lorsque nous avons reçu le mandat que nous exerçons.
Je me suis trouvé dans la même situation lorsque j'ai été chargé de rapporter le texte sur la suppression de la peine de mort au nom d'une commission des lois qui n'avait pas réussi à se forger une opinion sur la question. De la même façon qu'aujourd'hui nous étions appelés à nous prononcer sur une question qui n'avait pas été soulevée lorsque nous avions postulé les mandats que nous exercions.
Je retrouve, dans l'affaire qui nous réunit, les scrupules qui étaient alors les miens. C'est pourquoi, sans vouloir nuire au Gouvernement, ni vous gêner, monsieur le ministre, mais pour exprimer mon désarroi, je m'abstiendrai lors du vote sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « La France fut faite à coups d'épée, nos pères entrèrent dans l'Histoire avec le glaive de Brennus. Ce sont les armes romaines qui lui portèrent la civilisation. Grâce à la hache de Clovis, la patrie reprit conscience d'elle-même après la chute de l'Empire. [...] Mais s'il faut la force pour bâtir un Etat, réciproquement, l'effort guerrier ne vaut qu'en vertu d'une politique. »
Ces quelques mots de Charles de Gaulle, tirés de La France et son armée, montrent bien, me semble-t-il, toute l'importance du projet de loi qui nous est aujourd'hui présenté. Il s'agit de déterminer l'ampleur de notre effort militaire et, ainsi, d'arrêter notre politique de défense rien de moins, et cela pour plusieurs années, jusqu'en 2002. En réalité, fondée sur une planification à plus long terme, cette loi nous engagera, bien au-delà.
Sans varier quant à ses buts, notre politique de défense, du moins dans le schéma qui nous est proposé, connaît un bouleversement quant à ses moyens. Le principal élément de ce bouleversement est bien la professionnalisation programmée de nos forces. Mais il en est d'autres, qui concernent, en particulier, le déroulement des programmes d'équipement.
C'est dire que le projet qui nous est présenté requiert de notre part et de la part de la nation tout entière un intérêt réaffirmé, un engagement renouvelé.
Ce n'est pas la force de l'habitude, ni le respect d'une tradition qui vous ont poussé, monsieur le ministre, à préparer une nouvelle loi de programmation, c'est une conviction forte, une ferme volonté : permettre à notre défense de prendre un nouveau départ, dans la clarté et avec le souci de la vérité.
Chacun le sait, la situation politique française des dernières années faisait de la précédente loi de programmation militaire une loi d'attente. La situation politique de notre pays a changé : un nouveau chef de l'Etat préside la République, un nouveau chef de gouvernement gouverne, un nouveau ministre de la défense prépare nos armées à leurs missions. A l'attente doit succéder le renouveau.
Cependant, ne nous cachons pas la réalité. Cette loi doit avoir un autre but, j'allais dire une autre vertu : il lui faut rétablir la confiance. Trop de lois non respectées ont insinué le doute et fait naître la défiance des armées, des industriels, de l'opinion publique, et même de certains parlementaires, à l'égard d'une programmation qui, trop souvent, a tenu davantage de l'illusion que d'un exercice sincère de prévision des besoins des armées.
A cette défiance à l'égard de la programmation s'ajoute une défiance à l'égard de son auteur : l'Etat. Je voudrais ici souligner que cette loi ne concerne pas uniquement la défense mais qu'elle doit participer, qu'elle participe de l'ensemble de la politique du Président de la République : rendre l'espoir et la confiance à la nation.
Grâce à l'action menée depuis plus d'une année, Jacques Chirac a su redonner confiance au peuple français quant au rôle de la France dans le monde. La cohérence de son action en politique étrangère a déjà apporté de nombreux succès diplomatiques à notre pays. La réforme de la défense française participe à cette nouvelle expression de l'action extérieure de la France.
Monsieur le ministre, soyez assuré de l'importance majeure que revêt pour nous ce projet de loi de programmation.
Est-il à la hauteur des espoirs que nous avons mis en lui ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire d'examiner l'aune à laquelle nous allons le mesurer. Quels critères doit-on retenir pour juger de la qualité d'une loi de programmation ?
Pour simplifier, il me semble que l'on peut en retenir trois. Une loi de programmation doit, bien évidemment, préparer l'avenir. Mais elle doit aussi assurer le présent, c'est-à-dire les cinq années qui suivront son adoption et qui correspondent à sa durée d'application. Enfin, elle doit assumer le passé. En effet, on ne construit pas sur une table rase. La politique de défense et, plus généralement, la politique de la nation s'inscrivent dans une continuité, cette continuité qui fait, selon sa présence ou son absence, la force ou la faiblesse d'un Etat.
Avouons-le, peut-être plus qu'aucune autre, cette loi doit d'abord assumer le passé ; le poids des programmes militaires engagés précédemment ne permettait pas d'agir autrement.
Mais assumer le passé ne signifie pas tout conserver. Que fallait-il conserver ? Sans doute est-ce là l'une des questions essentielles que vous avez été amené à vous poser, monsieur le ministre.
Vous avez donc dû faire des choix, dont certains ont été douloureux, nous le savons.
Mais l'avenir ne s'arrête pas à l'horizon de cette première loi de programmation de la présente planification.
Ce qui s'imposait, c'était d'engager la profonde réforme de la défense dont notre pays a besoin.
Notre défense, comme d'autres secteurs, a été « mise sous cocon » pendant de trop nombreuses années. Aucune décision n'a été prise, aucun véritable choix n'a été fait, si ce n'est celui d'attendre.
Il fallait assumer ce passé pour repartir sur des bases saines. C'est la voie que le Gouvernement a choisie en maintenant les programmes les plus importants mais en privilégiant un déroulement de ces programmes. D'aucuns jugent ce choix imparfait, mais il est compatible avec les finances publiques dont nous avons hérité.
Assurer le présent était le deuxième impératif de cette loi.
Disons, tout d'abord, que les fondements de notre sécurité demeurent. Ainsi, la dissuasion reste le fondement de notre défense. Certes, notre « posture » nucléaire connaîtra des adaptations avec notamment la suppression de la composante sol-sol. Mais le socle de cette dissuasion, la force océanique stratégique, conservera les capacités nécessaires. Ses armes seront modernisées avec la livraison progressive des SNLE de nouvelle génération et la mise en place des missiles M 45.
Ainsi, dans le contexte géostratégique actuel, notre dissuasion reste conforme au principe de suffisance.
Les forces conventionnelles, quant à elles, seront certes resserrées, mais professionnalisées, densifiées et modernisées. Je ne citerai que quelques exemples. Nous aurons moins de chars lourds mais plus de la moitié seront des chars Leclerc dont on connaît la valeur, la maniabilité et la puissance de feu.
Notre flotte aérienne bénéficiera de l'arrivée des Mirage 2000-5 et de nouvelles livraisons du Mirage 2000-D. Notre marine disposera du porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle et des premiers Rafale-marine.
Voilà pour quelques matériels. Mais, au-delà des équipements, il y a des hommes. Ce sont eux qui font toute la valeur d'une armée. Permettez-moi, ici, de rendre hommage aux militaires français dont notre pays, en toutes circonstances, a toujours pu être fier. Je pense notamment à la guerre du Golfe et au conflit yougoslave.
« L'armée de métier, écrivait le général de Gaulle, assurera aux soldats le ressort de la force et la compensation de leurs sacrifices, à savoir l'esprit militaire. L'esprit militaire, en effet, confère aux guerriers groupés sous son égide le plus haut degré de puissance. »
Or ces militaires d'active spécialement entraînés et prêts au combat seront plus nombreux. De 297 000 hommes en 1996 ils passeront à 330 000 en 2002. Souvenons-nous qu'entre 1988 et 1993 quatre divisions de l'armée de terre, soit une cinquantaine de régiments, ont été supprimées sans accroître pour autant nos capacités opérationnelles.
De plus, 27 170 postes seront offerts aux volontaires du service national. Leur engagement volontaire fera d'eux des soldats plus déterminés, mieux formés, c'est-à-dire des soldats opérationnels.
Assumer le passé, assurer le présent, la loi de programmation devait aussi préparer l'avenir, envisager le long terme. Plus qu'aucune autre elle y parvient. Tout d'abord, elle s'inscrit dans une planification longue dont l'échéance est 2015. Cette loi n'est donc pas un texte de circonstance. Il s'agit d'une étape sur l'ambitieuse et longue voie de la construction d'une nouvelle armée.
Surtout, cette loi fait des choix, retient des priorités. C'est, pour nous, la meilleure garantie. En effet, les précédents textes s'abstenaient de décider. Tous les programmes étaient maintenus en dépit de l'évolution du contexte stratégique et de la situation de nos finances publiques.
Continuer dans cette voie, c'était l'assurance qu'aucun des grands programmes militaires n'auraient pu, en définitive, être réalisé. Nous étions face à un mur financier impossible à franchir. Nos efforts d'aujourd'hui garantissent en vérité l'emploi de demain.
C'est ainsi que nos armées pourront, en fin de compte, disposer des équipements modernes dont elles ont besoin. Je pense au Rafale qu'il aurait été irresponsable de remettre en cause. A cet égard, je m'interroge sur les moyens de faire cesser la déplorable cacophonie, véritable guerre de l'information autour de ce programme, dont les conséquences peuvent être graves pour notre industrie, notre technologie et notre influence.
Je pense aussi au Leclerc, au NH 90 et au porte-avions nucléaire.
S'agissant de l'avenir, permettez-moi de vous poser trois questions.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous exposer la position du Gouvernement sur la défense aérienne élargie, embryon d'une défense antimissile que nous sommes nombreux à appeler de nos voeux ?
Pourriez-vous, en particulier, préciser l'attitude française à l'égard du programme MEADS, qui prévoit la réalisation d'un système sol-air moyenne portée contre tous types de cibles aériennes ?
Par ailleurs, ne sera-t-il pas nécessaire, d'ici peu, d'accentuer notre effort financier pour la réalisation de systèmes d'acquisition d'objectifs tous temps qui ont largement contribué à faire la décision lors de la guerre du Golfe ?
Enfin, je dois vous faire part, comme d'autres, de mon inquiétude sur la solution retenue en ce qui concerne les porte-avions. La « mise sous veille » du Foch est-elle bien réaliste ? Ne fallait-il pas admettre que nous ne disposerions, pendant une période transitoire, que d'un seul porte-avions ? Cela dit, je ne puis que me réjouir de l'annonce, faite voilà quelques jours par le Président de la République à Brest, de la construction du second porte-avions.
Une troisième garantie pour l'avenir est constituée par la mutation de notre industrie de défense. Modernisée, regroupée et plus compétitive, elle devrait permettre à nos armées de s'équiper à un meilleur coût.
Le développement des commandes « pluriannuelles », le recours dans certains cas aux achats « sur étagère » lorsque l'indépendance nationale n'est pas en cause, la réforme de la DGA et de nouvelles méthodes de définition des programmes d'armement seront d'autres atouts essentiels dans cette perspective. Il faut y ajouter la coopération européenne. Notre industrie d'armement a en effet vocation à se recentrer autour de pôles spécialisés à dimension européenne.
La mutation de nos industries a été trop longtemps différée. Depuis plusieurs années, chacun le sait, les industriels souffrent d'une absence de lisibilité de l'avenir.
Sans cette lisibilité, il est impossible de mener à bien les indispensables évolutions qui doivent faire de notre industrie de défense l'un de nos fleurons.
Sans cette lisibilité, le renforcement de notre industrie était voué à l'échec. Nous n'avons que trop tardé. Il nous faut préparer l'avenir de notre défense mais aussi celui de notre industrie : des milliers d'emplois sont en cause. L'immobilisme, le statu quo les condamneraient irrémédiablement.
Face à la concurrence internationale et aux profondes restructurations opérées notamment outre-Atlantique, la relance de notre industrie de défense sur des bases saines et solides est indispensable.
C'est pourquoi la loi de programmation qui est l'un des instruments de cette relance était une urgente nécessité, une ardente obligation. En la déposant, le Gouvernement a pris ses responsabilités. Il lui a fallu du courage. Qui peut nier en effet qu'à court terme la potion sera amère, l'objectif étant de ne pas faire des désespérés plus tard ? A nous, maintenant, d'assumer nos responsabilités devant la nation.
A ce sujet, qui oserait affirmer que les plans Armées 2000 et Optimar ne comportaient pas de rédution d'effectifs ni de suppressions d'emplois ?
S'agissant de notre industrie de défense, je tiens ici à souligner l'importance de deux éléments. En premier lieu, nous ne pourrons la renforcer que si nous adoptons une politique d'exportation plus dynamique. Le marché national est trop étroit, le marché européen, pour être nécessaire, est trop encombré pour offrir des débouchés suffisants. Il nous faut trouver de nouveaux marchés.
Cette politique doit sans doute tendre à un renforcement de la présence de la France dans des zones en forte expansion, comme l'Extrême-Orient ou l'Amérique latine. Elle passe par une implication forte de tous les échelons institutionnels de l'Etat et doit être globale.
Elle ne saurait se limiter à des aspects financiers mais elle doit prendre en compte les domaines de la culture, par une stratégie de communication adaptée, ou de la coopération, notamment grâce à des échanges de personnels.
Il paraît surtout indispensable de donner une plus grande cohérence à l'action des différents intervenants en la matière. Le Gouvernement ne gagnerait-il pas à disposer d'une structure interministérielle qui, loin de limiter son action au contrôle des exportations, serait chargée de les soutenir ? Ne serait-il pas utile de rationaliser le dispositif actuel de commercialisation caractérisé par l'existence d'une multiplicité d'offices ?
Enfin, le financement des opérations d'exportations ne doit pas être négligé. Le dispositif législatif existant ne peut-il être aménagé et amélioré ? Je serais heureux, monsieur le ministre, de connaître vos intentions en la matière.
Nous ne parviendrons à équiper nos armées et à atteindre l'objectif de réduction des coûts - c'est le second élément essentiel - que si la loi de programmation militaire est enfin respectée. Les étalements, les retards et les réductions de cibles ne font qu'accroître les coûts unitaires.
Vous connaissez, monsieur le ministre, ma vigilance, celle de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de son président, M. Xavier de Villepin, en ce qui concerne l'application de la loi de programmation. L'engagement personnel du chef de l'Etat est bien évidemment un fait essentiel sur lequel il me semble nécessaire d'insister. Il constitue, pour nous tous qui croyons à l'avenir de notre industrie de défense, le plus puissant motif d'espoir.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette loi est celle du courage et de l'avenir. Je m'en suis expliqué. Mais il serait absurde de la considérer isolément en la sortant de son contexte. Elle s'inscrit en effet dans l'ambitieux projet du Président de la République de redonner à la France toutes ses chances, après plusieurs années d'immobilisme.
La réforme de notre outil de défense, comme les autres réformes qui ont été mises en oeuvre depuis un an, est caractérisée par l'annonce, la concertation et l'accompagnement.
L'annonce a été faite dès la campagne présidentielle par Jacques Chirac. La concertation a été engagée par vous, monsieur le ministre, lors de débats et de rencontres avec les responsables militaires, les élus locaux et les jeunes.
Enfin, des mesures d'accompagnement seront prises puisque la loi de programmation prévoit un soutien économique et social aux restructurations militaires et industrielles. Ces mesures d'accompagnement sont de grande ampleur et devraient permettre de réussir le passage à l'armée française de demain.
Ce texte n'est pas seulement un assemblage de chiffres et un catalogue de programmes ; il est bien la concrétisation d'un projet, d'un idéal, celui d'une armée forte et moderne pour une France confiante et ravivée, comme l'avait déjà modernisée dès 1960 le général de Gaulle, sans le soutien ni le vote de ceux qui, plus tard, ne contestèrent plus ses choix stratégiques.
« L'armée française sort d'une longue histoire. Pour elle, comme pour Hamlet, "le jour n'est pas si jeune". Quelle qu'elle fût, cependant, on ne la vit puissante que par l'effet d'un idéal, sorti des sentiments dominants de l'époque et tirant de cette harmonie sa vertu et son rayonnement. »
L'idéal, nous l'avons. Sachons lui être fidèle et avec vous, monsieur le ministre, le traduire dans les faits. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Dulait.
M. André Dulait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention dans ce débat sur la programmation militaire des années 1997 à 2002 portera, pour l'essentiel, sur la nécessité de renforcer la formation de l'encadrement de notre armée, sous-officiers et officiers, afin d'assurer avec le maximum d'efficacité le passage à la professionnalisation de notre défense.
Tout d'abord, je souhaite saluer la décision courageuse qu'a prise le Gouvernement, qui a entrepris d'assurer conjointement l'optimisation de notre force de dissuasion dans un contexte international difficile et d'opérer rapidement la modernisation de notre armée afin de rejoindre les principales nations qui, avant nous, ont réalisé cette mutation indispensable.
Le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui, dans des conditions budgétaires dont chacun reconnaîtra qu'elles sont délicates, est particulièrement ambitieux. En effet, il a pour objet la réorganisation de l'ensemble de notre défense afin d'accroître son efficacité, mais également la restructuration de notre industrie d'armement pour renforcer sa compétitivité sans négliger ses conséquences, inévitables pour l'emploi et l'aménagement du territoire.
Je reviendrai tout à l'heure sur cet aspect du problème, mais je note d'emblée avec satisfaction que des dispositions financières ont été prévues afin que ces transformations se fassent avec le minimum de traumatisme social et économique.
Le passage à une armée de métier a permis d'engager un vaste débat dans notre pays. Cela constitue une véritable révolution des mentalités et justifie qu'à l'automne le Parlement examine à son tour ce projet de suppression du service national obligatoire. Dans mon département, les Deux-Sèvres, avec mes collègues parlementaires de la majorité, nous avons également conduit une réflexion sur ce sujet avec le concours d'étudiants et de leurs professeurs qui, de manière très scientifique, ont sondé les jeunes Deux-Sévriens concernés par cette réforme. Les résultats de cette enquête seront, bien entendu, versés au débat.
D'autres collègues, beaucoup plus qualifiés que moi, ont évoqué et évoqueront sans doute le nouveau modèle d'armée, ses missions, ses moyens et son organisation.
Le passage à la professionnalisation de notre armée exige un renforcement des moyens de formation des personnels d'encadrement de nos soldats. En effet, selon le vieil adage, ce sont chez les civils que l'on recrute les militaires, et ce sont les formations dispensées qui font la force des armées. Nos écoles militaires ont une solide réputation et, parmi elles, dans les Deux-Sèvres, monsieur le ministre, l'Ecole nationale des sous-officiers d'active de Saint-Maixent, créée en 1963, après avoir été, depuis 1880, un centre de formation des officiers qui a donné son nom à la ville : Saint-Maixent-l'Ecole. A l'image de cette école, qui accueille chaque année plusieurs centaines de sous-officiers, femmes et hommes, destinés à former un encadrement compétent, efficace et adapté aux technologies modernes, les établissements militaires de formation ont un rôle essentiel à jouer dans le passage à une armée de métier, moderne, apte à une grande diversité de missions.
Les enjeux militaires et stratégiques ont été considérablement bouleversés lors de cette dernière décennie et nous savons combien il est important, pour la France, de conduire, au sein de l'Union européenne, le projet d'une identité européenne de défense. Cette identité européenne de défense s'avère de plus en plus nécessaire, à la lumière des récents événements de l'ex-Yougoslavie.
Aujourd'hui, la définition d'une politique de défense européenne commune fait partie des enjeux de la conférence intergouvernementale, ainsi que des négociations pour la refonte de l'OTAN.
La fin de la confrontation Est-Ouest n'a malheureusement pas mis un terme aux antagonismes et conflits ethniques et culturels.
A la lumière de cette constatation, il apparaît incontestable que les besoins en formation des militaires des pays européens vont aller grandissant. La France ambitionne à juste tire d'oeuvrer à la réalisation de cette politique étrangère de coopération et de sécurité. A cet égard, nos écoles militaires, dont la réputation est excellente, ont un rôle à jouer.
En outre, les récents événements en Afrique illustrent la nécessité du maintien de la politique de coopération de notre pays avec de nombreux Etats africains. Là aussi, je vois l'occasion de développer les échanges en direction de nos écoles militaires.
Ces établissements accueillent des officiers et sous-officiers étrangers qui se plaisent à souligner la qualité de la formation dispensée, ce qui ne peut que conduire le ministère de la défense à développer ces échanges.
J'ajoute que ces écoles militaires participent efficacement à la formation continue de nos soldats dans la perspective d'un retour futur à la vie civile.
La restructuration de notre défense doit être l'occasion de développer le rôle fondamental joué par la formation au sein de nos armées. Cet outil essentiel doit être préservé et amélioré. Nos concitoyens n'ont peut-être pas pris encore pleinement conscience de l'importance du choix, capital, que constitue pour notre pays ce passage à la professionnalisation. Il importe, à cet égard, là aussi, de continuer l'oeuvre pédagogique que vous avez entreprise, monsieur le ministre.
M. de Villepin, tout à l'heure, dans son propos liminaire, soutenait, à ce sujet, le projet d'établissement, tous les deux ans, d'une liste des sites concernés par la restructuration due à la suppression des régiments et à la fermeture de casernes. Ce projet ne paraît pas complètement satisfaisant pour beaucoup d'élus, tant sur le plan de la gestion des moyens que sur le plan psychologique.
Si, en effet, une annonce générale est faite au début du programme, il restera tous les deux ans, dans le projet de loi, des décisions à prendre quant au détail des opérations. Or il semblerait, monsieur le ministre, que cela pose aux élus locaux, maires, conseillers généraux et conseillers régionaux, un certain nombre de problèmes pour l'aménagement de leurs équipements.
Même si les décisions de l'état-major sont accompagnées de mesures de compensation aussi légitimes qu'indispensables, on ne peut laisser les personnels concernés dans l'incertitude et les élus locaux dans l'ignorance quant à l'avenir de leurs écoles, collèges ou lycées.
Il faut, à cet égard, monsieur le ministre, mettre au point un nouveau type de partenariat entre vos services et les élus, de façon à entamer la mise en oeuvre d'une réelle politique d'aménagement du territoire pendant la période de transition qui précédera la professionnalisation.
Les élus, qui ont le souci de préparer l'avenir de leurs communes, doivent être informés du sort qui sera réservé à « leur » régiment, auquel la population est toujours attachée, ne serait-ce que pour conduire différemment leurs projets communaux.
Je crois que l'occasion nous est donnée de mettre en oeuvre de nouvelles formules de démocratie locale.
Cette réserve étant partagée, je pense, par la très grande majorité des élus, je réaffirme résolument mon accord et mon soutien à ce projet de loi fondamental pour l'avenir de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Xavier de Villepin, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Billard.
M. Claude Billard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002 qui nous est soumis découle, de nombreux intervenants l'ont montré, des grandes orientations en matière militaire décidées et exposées par le Président de la République, le 22 février dernier.
En s'éloignant de la conception strictement nationale et défensive d'une politique militaire limitée à la préservation des seuls intérêts du pays, le chef de l'Etat a opté pour une armée de métier dont la vocation principale serait d'être le bras armé d'une Europe étroitement intégrée à une Alliance atlantique sous domination américaine.
Un tel changement de cap ne peut être sans incidences majeures sur notre industrie d'armement, qui connaît, nous le savons tous, de grandes difficultés. Le choix de la constitution d'une armée composée en grande partie de forces projetables aux dépens d'une défense nationale se fera immanquablement au détriment de l'outil industriel national.
La défense du territoire n'apparaît plus comme une préoccupation majeure du Gouvernement, et je voudrais de nouveau relever qu'il est significatif que ne figurent à aucun moment dans le projet de loi les expressions « défense nationale » et « souveraineté nationale ».
Dans votre projet de loi, monsieur le ministre, vous indiquez qu'il faut adapter au nouvel environnement international le secteur de l'armement. Ce qui est grave, dans cette « adaptation », c'est que, à dépenses militaires égales, vous portez atteinte aux outils nationaux de production en les livrant « aux évolutions du marché et de l'environnement politique et financier ».
Le but réel, au-delà des arguments stratégiques, est de permettre la constitution, à partir de la fabrication des armements, de grands groupes européens, comme l'a prévu le traité de Maastricht avec l'Agence européenne de l'armement.
Cette nouvelle politique militaire aura des conséquences importantes sur le type d'armes à utiliser et, de manière plus générale, sur les industries travaillant pour l'armement. En effet, comme les interventions lointaines envisagées s'effectueraient, dans la plupart des cas, sur la base de corps expéditionnaires multinationaux, il est bien évident que les tendances à l'unification des armements conduiront à des productions communes.
C'est pour aller plus vite dans cette réalisation que le Gouvernement incite à la mise sur pied rapide de l'Agence franco-allemande de l'armement.
On s'oriente ainsi vers une politique dite de créneaux et de coproductions, qui impliquerait une spécialisation à outrance, et donc des abandons de production nationale. Mais on veut aussi fondre notre industrie de l'armement dans de grands complexes militaro-industriels allemands ou américains. Par exemple, la mise en place de l'Agence franco-allemande de l'armement se fera certainement au profit des grands groupes dominants à l'échelon mondial et au détriment de notre industrie nationale et de nos arsenaux qui ne réalisent plus, rappelons-le, que 5 p. 100 de nos besoins.
Les ambitions du projet de loi visent à faire de l'industrie de l'armement un marché juteux pour la finance en supprimant des emplois, des productions et en organisant des concentrations destinées à répondre à des objectifs européens au détriment de l'intérêt national.
Votre conception, monsieur le ministre, comme celle du Gouvernement dans d'autres domaines, est que toute fabrication industrielle, qu'elle soit civile ou militaire, ne relève pas de la compétence de l'Etat. Vous êtes en cela fidèle à une démarche financière qui a pris le pas sur une vision industrielle et nationale.
Cette conception explique pour une large part les mesures que vous voulez imposer à nos industries de l'armement. Elle est, par exemple, particulièrement significative en ce qui concerne GIAT Industries ou les projets de construction de l'avion de transport futur.
La situation financière de GIAT Industries s'explique d'abord par le désengagement massif de l'Etat. Elle résulte également - depuis le changement de statut de 1990 qui a de fait transformé le groupe en société de droit privé - d'une gestion hasardeuse guidée par la recherche exclusive de la rentabilité. Vous avez voulu faire de GIAT une entreprise comme les autres, soumise à des impératifs de productivité et de compétitivité dans le commerce des armes.
Votre décision, en mars dernier, d'ouvrir l'entreprise à des capitaux privés laisse entrevoir à terme une privatisation et la possibilité de son contrôle par de grands groupes étrangers de l'armement terrestre. Il s'agit ni plus ni moins d'une mise aux enchères à hauts risques qui est intervenue, il faut le souligner, après le souhait de la Grande-Bretagne de rejoindre l'Agence franco-allemande et de s'associer à la réalisation d'un nouveau véhicule blindé de combat d'infanterie préféré à celui qui devait être réalisé par GIAT et RVI, Renault véhicules industriels. Tout laisse craindre que cette association franco-germano-britannique ne se traduise par l'entrée exigée dans le capital de GIAT Industries de groupes ou de leurs filiales, tels que l'anglais Vikers, l'allemand Krauss-Maffei, et de Thomson, future entreprise privatisée.
Cela entre donc bien dans une stratégie globale : une fois recapitalisée, après la fermeture des sites les moins rentables et une sévère réduction des effectifs, GIAT Industries pourrait ainsi intéresser des entreprises privées avant que n'interviennent des regroupements à l'échelle européenne.
En refusant de financer le développement en Europe de l'avion de transport futur, position à laquelle s'est ralliée l'Allemagne au récent sommet de Dijon, le Gouvernement a innové en matière de défense. C'est en effet la première fois que des Etats délèguent à leur industrie de défense tous les risques financiers et lui demandent de se comporter à l'image du secteur de l'aviation commerciale, où les compagnies aériennes se contentent d'acheter « sur étagères ».
En agissant ainsi, vous avez mis le doigt dans un engrenage pouvant conduire l'Etat à se désengager peu à peu de ses obligations régaliennes de garantir la défense du pays, pour laisser aux lois du marché la régulation des moyens nécessaires à sa sécurité.
Par ailleurs, dans l'hypothèse où le groupe Aérospatiale se verrait confier une partie de la réalisation de l'ATF, la charge représentée par un développement de cet avion sans l'aide de l'Etat viendrait certainement accroître l'endettement et diminuer du même coup la valeur globale de cette entreprise, à un moment où le Président de la République a préconisé une fusion avec Dassault. Il y a là de vraies incohérences.
Comment peut-on, en effet, préconiser une réorganisation dynamique de l'industrie aéronautique de défense sur la base d'un désengagement financier de l'Etat et d'un effondrement des programmes ?
Ce sont ces orientations néfastes à l'intérêt national qui sont à la source du déclin programmé de nos industries de l'armement.
Comment ne pas comprendre la colère des travailleurs des arsenaux et des industries de l'armement apprenant la suppression de dizaines de milliers d'emplois ?
En la matière, le flux annuel, enregistré depuis 1990 - 10 000 disparitions d'emplois par - an devrait se poursuivre pendant toute la période couverte par votre projet de loi. Cela signifie que l'industrie de l'armement pourrait, au bas mot, perdre 60 000 emplois entre 1997 et 2002, soit un salarié sur cinq, dans un secteur qui en occupe directement 200 000 et indirectement 100 000.
On a pu parler de secteur d'activité sinistré ; ce serait vraiment le cas si vos projets devaient aboutir.
Pour GIAT Industries le plan présenté par la direction prévoit la suppression du quart des effectifs et la fermeture de nombreux sites en France.
Si votre projet de loi ne dit rien sur le devenir du statut d'Etat actuel de la DCN, on sait cependant que vous préparez la transformation en trois ans de ses activités industrielles en société anonyme, voie vers la mise en concurrence avec les arsenaux privés, et la mise en cause de leur caractère public. Les annonces répétées de prétendus sureffectifs font entrevoir, là aussi, la perspective de milliers de suppressions d'emplois : 4 500 selon certaines sources, soit 20 p. 100 des effectifs industriels de la DCN.
Les accusations de faible compétitivité ou de médiocre rentabilité ne tiennent pas davantage. La vérité, c'est que la baisse de 20 p. 100 des crédits d'équipement fera perdre à notre marine, en six ans, vingt-huit navires sur un total actuel d'une centaine.
Il faut noter, à cet égard, que la restructuration du secteur serait financée par les fonds pour l'adaptation industrielle dotée de 4,8 milliards de francs, dont 4,1 milliards de francs consacrés à la seule DCN. On se demande vraiment ce qui restera pour les autres.
Quant aux programmes d'armement, la plupart d'entre eux, je pense au Rafale et au char Leclerc, seront étalés dans le temps, ce qui va engendrer le surenchérissement de leur coût et porter atteinte à leur compétitivité sur les marchés.
Ce qui est vrai pour GIAT Industries ou pour la DCN l'est également pour nos industries liées à l'aéronautique, à l'électronique et à l'espace.
Alors que d'importantes économies pourraient être réalisées sur l'armement nucléaire - secteur dans lequel 106 milliards de francs sont prévus pour la poursuite de la modernisation, la simulation et la miniaturisation - l'abandon ou la diminution des commandes d'armes conventionnelles prévus par la défunte loi de programmation précédente aura des conséquences quasi immédiates pour nombre de sociétés.
Dans un premier temps, cela sert de prétexte à des fusions et à des privatisations avec, pour première conséquence, la réduction des effectifs par des économies d'échelle. La logique, poussée à son terme, entraînera des concentrations à l'échelon européen. Le redéploiement de l'activité se fera non pas à notre profit, mais en faveur des consortiums financiers, en particulier allemands.
C'est ainsi que ne peuvent qu'inquiéter de nouveau les intentions qui vous sont prêtées de réduire quasiment de moitié les commandes d'hélicoptères Tigre et NH 90. Si cela était confirmé, ce serait encore un millier d'emplois qui seraient supprimés parmi les 6 300 que compte la branche française du groupe Eurocopter. Je voudrais à cet égard réaffirmer le soutien de notre groupe aux salariés en lutte de cette entreprise, soutien que leur a témoigné notre collègue Louis Minetti par sa présence à la manifestation qu'ils ont organisée hier devant notre assemblée.
Toutes ces perspectives n'augurent rien de bon, c'est le moins que l'on puisse dire. Le tissu économique et social de nombreuses villes sera déchiré. Vos propositions pour pallier les conséquences des restructurations ne sont pas à la hauteur du sinistre qui s'annonce dans nombre de villes, de départements et de régions. Les sommes que vous prévoyez seront presque entièrement englouties par la DCN et porter le F.R.E.D. à deux milliards de francs reste très en deçà de ce qu'attendent les collectivités locales qui seront contraintes de mettre la différence. Nous n'avons d'ailleurs pas de garantie que les fonds proviendront du budget de l'Etat. Comme, de toute façon, ces crédits devront être débloqués, ils proviendront à coup sûr du titre V, ce qui conduirait à restreindre les commandes et donc à augmenter, une nouvelle fois, le nombre de suppressions d'emplois, donc de chômeurs.
A l'opposé des orientations définies dans votre projet de loi, il serait pourtant possible de faire d'autres choix, guidés par deux préoccupations majeures : le maintien de l'emploi et de la souveraineté nationale.
Tant que persisteront des besoins militaires, les équipements des armées devront être produits par des industries placées sous le contrôle de la nation : les armes ne doivent pas être considérées comme des marchandises ordinaires.
Pour adapter nos industries d'armement à la nouvelle donne internationale, qui a certes entraîné une baisse de nos besoins en matériels, il faudrait en priorité rendre aux arsenaux et aux industries d'Etat les productions dont elles sont aujourd'hui dépossédées.
Il faudrait également créer les conditions d'une diversification maîtrisée de l'aéronautique et de l'électronique. Cette mutation indispensable pourrait être conduite sans diminution d'emplois. Pour les établissements d'Etat, la reconquête des productions - on sait, par exemple, que la marine manque de navires de surface pour assurer ses missions côtières - l'embauche définitive des salariés travaillant sous contrats précaires et la limitation du recours à la sous-traitance permettraient la création d'emplois. Ainsi, également, comme le préconise l'ensemble des organisations syndicales de ce secteur, la réduction à trente-cinq heures de la durée du travail sans perte de salaire permettrait la création de plus de 11 000 emplois dans les établissements d'Etat et les arsenaux.
C'est dans cet esprit qu'il faut réintégrer GIAT Industries au sein du ministère de la défense et que nous nous opposerons à un éventuel changement de statut de la DCN. De même, avec un réengagement de l'Etat et des banques, il faudrait constituer un grand pôle public de l'aéronautique et de l'espace, solution évidemment bien différente de celle que vous avez choisie, car les salariés et les régions n'ont pas à payer les conséquences du « tout militaire » imposé depuis des années, ni celles de l'imprévision des gouvernements successifs en matière de diversification.
Enfin, une large concertation avec les organisations syndicales et les élus des régions concernés pourrait définir un moratoire permettant d'élaborer des solutions de nature à préserver l'emploi, les atouts et les nombreux savoir-faire de nos industries.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les membres du groupe communiste républicain et citoyen s'opposeront à votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Penne.
M. Guy Penne. Monsieur le ministre, notre collègue Bertrand Delanoë est déjà intervenu dans la discussion générale pour expliquer les raisons de l'opposition du groupe socialiste à votre projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 1997-2002.
Je souhaite, à mon tour, insister sur quatre points qui ont attiré mon attention à la lecture du projet de loi.
D'abord, pourquoi une nouvelle loi de programmation militaire ?
Lors de la discussion de la précédente loi de programmation militaire, nous avions émis les plus expresses réserves sur les conditions d'application d'une loi qui ne prenait pas en compte des hypothèses financières réalistes et, surtout, qui négligeait la nécessaire planification des réductions de dépenses militaires.
Hier, avec MM. Balladur et Léotard, il s'agissait d'une programmation en trompe-l'oeil. Aujourd'hui, la même majorité, avec M. Juppé et vous-même, monsieur le ministre, voudrait nous faire adopter une programmation « bonsaï ».
C'est sous la contrainte financière que vous avez abandonné la programmation militaire Balladur-Léotard. C'est la même raison qui vous amène à proposer un nouveau projet de loi de programmation militaire. Vous abandonnez la conscription en raison, également, des contraintes financières.
Il n'y a pas de cohérence financière dans le présent projet de loi de programmation militaire. Les rapporteurs eux-mêmes ont présenté des réquisitoires que je trouve un peu sévères contre la crédibilité de vos engagements financiers.
M. Jean-Luc Mélenchon. Sévères, oui, mais pertinents !
M. Guy Penne. Les coûts de la réforme ne sont pas calculés.
Baisser les crédits de la défense, oui ! Mais il fallait entreprendre cette action, comme nous avions commencé à le faire il y a quelques années, d'une façon progressive et en cohérence avec les grands choix de notre défense.
Ce projet de loi n'est pas cohérent non plus avec le maintien d'une industrie de défense forte et performante, susceptible de donner à la France les moyens de son ambition internationale.
Les mesures les plus douloureuses doivent être annoncées dans le détail au mois de juillet prochain, c'est-à-dire après le vote de la loi de programmation.
L'équilibre financier du projet de loi est extrêmement fragile : si les crédits ne sont pas réellement maintenus, dès le budget 1997, tout l'édifice tombe, c'est-à-dire, que la professionnalisation se verra empêchée et, in fine, l'ensemble des programmes d'armement seront remis en cause.
Nous avons remarqué, ces dernières années, l'écart qui s'agrandit entre la loi de finances initiale, la loi votée par le Parlement et la réalité de dépenses « autorisées » par le ministère des finances. D'ailleurs, votre ministère n'est pas le seul à être touché par ce genre de pratiques, monsieur le ministre !
Il y a un pur effet d'annonce de vos économies. Il n'est pas très honnête de dire que le Gouvernement va réaliser 20 milliards de francs d'économies, puisqu'en réalité, par rapport au budget effectivement dépensé, il n'y a pas d'économies. Par exemple, dans le budget de 1994, les dépenses militaires de fonctionnement atteignirent 104 milliards de francs et celles d'équipement militaire 88 milliards de francs. Où est alors l'économie de 20 milliards de francs ?
Le deuxième point de mon intervention concerne les perspectives de la sécurité en Europe.
Je ne peux que regarder avec inquiétude l'évolution des conflits en Europe. Ces dernières années, les guerres se sont multipliées. Sur notre continent, au calme trompeur de la guerre froide succède une prolifération de conflits d'intensité variable.
Nous devons rester attentifs aux évolutions politiques et sociales qui ont lieu à l'Est de l'Europe. Les conditions de la sécurité dans cette partie du monde dépendent de la capacité de l'Union européenne à offrir un modèle politique, social et culturel capable d'entraîner les peuples de l'Est et de l'Ouest vers une cohabitation pacifique et prospère.
Cependant, avant d'en arriver là, nous avons besoin d'affirmer des objectifs communs de politique étrangère et une identité de défense propre à l'Union européenne. Vous l'avez compris, monsieur le ministre, je veux parler de la politique étrangère et de sécurité commune.
Nous avons la très nette impression que la politique européenne de la France change et que le Parlement est tenu à l'écart !
La reprise intempestive puis l'arrêt définitif des essais nucléaires, l'annonce de l'abandon de la conscription, le retour dans les structures militaires de l'OTAN, la remise en cause des programmes industriels militaires modifient les données de la politique européenne de sécurité sans que l'objectif de l'opération soit clair. Nous demandons un débat de fond sur la défense européenne.
Le tournant français en matière de politique étrangère a surpris aussi bien en France qu'à l'étranger.
Nos amis allemands, qui sont nos partenaires européens les plus importants, me semble-t-il, ont manifesté un certain agacement.
Si nous laissons la méfiance s'installer entre alliés, c'est la construction européenne que nous mettons en danger. Nous savons tous que cette construction est fragile, jamais à l'abri d'une « vache folle » ou d'une malencontreuse série d'essais nucléaires. Alors, il vaut mieux ne pas en rajouter et éviter d'accroître le nombre de difficultés.
Comme souvent, il y a les discours d'un côté et les actes de l'autre.
S'agissant des discours, le Président de la République a affirmé, le 8 juin dernier à l'Institut des hautes études de la défense nationale, l'IHEDN : « Il faut bâtir notre politique européenne de défense commune, comme nous y engage le traité de Maastricht » ; et il a ajouté : « l'UEO doit se doter rapidement des capacités de conduite des crises qui lui font défaut aujourd'hui ».
C'est bien ! Mais est-ce vraiment compatible avec le retour à l'OTAN « européanisée » ?
Nous pensons que vous avez décidé de sacrifier l'UEO sur l'autel d'un partenariat transatlantique qui aurait besoin d'un peu plus que d'un simple aggiornamento .
Autre discours, le ministre des affaires étrangères vient de déclarer, s'inscrivant dans la perspective de la Conférence intergouvernementale : « l'UEO, qui est le bras armé de l'Union européenne, doit être le lieu où l'identité européenne en matière de défense s'exprime ».
Pour ce qui est des actes, le retour à l'OTAN n'est pas vraiment concerté ou coordonné avec nos partenaires européens.
D'ailleurs, j'ai l'impression que, avant de discuter de ce que la France dépensera avec sa loi de programmation militaire, nous devrions nous pencher sur la question de nos alliances.
Faut-il des alliances « à l'ancienne », qui correspondaient au système figé, glacé, de l'affrontement entre les superpuissances ? Ou, au contraire, faut-il envisager des coalitions d'un nouveau type, des coalitions ad hoc , en fonction des objectifs à atteindre et des moyens dont on dispose ?
Ce débat mérite d'être engagé. Je pense que, à l'heure actuelle, les alliances traditionnelles peuvent être source de rigidité et d'inefficacité. Sans renier nos engagements internationaux, nous avons intérêt à favoriser un modèle de coalition qui pourrait nous faire gagner en autonomie de décision et en capacité d'initiative pour pouvoir réagir avec souplesse et célérité aux conflits du monde de demain.
Je pose ce problème aujourd'hui parce qu'il constitue une partie importante du débat de fond qui doit avoir lieu sur la défense européenne.
J'ai un souci fondamental : sauvegarder l'autonomie de décision de la France dans un monde où les concepts militaires envahissent l'ensemble de la sphère économique et sociale. C'est ainsi qu'on parle de guerre économique, de guerre de l'information, etc.
Il y avait une spécificité française par rapport à l'OTAN ; vous l'avez mal administrée, me semble-t-il, monsieur le ministre.
En ramenant la France dans les structures intégrées de l'OTAN, quelle autonomie avez-vous gagnée ? Aucune, je le crains !
Une autonomie européenne soumise au bon vouloir et aux moyens matériels américains ne nous convient pas.
Avez-vous alors augmenté les chances de faire émerger une défense européenne ? Là aussi, la réponse risque d'être négative.
Quel intérêt peuvent avoir les Etats-Unis à nous permettre de construire une défense européenne et à affirmer une identité européenne de défense ? Leur rôle de « république impériale », comme disait Raymond Aron, s'en trouverait alors diminué.
Pensez-vous qu'ils vont favoriser l'essor d'une industrie européenne de défense ? Ils font déjà tout ce qui est dans leur pouvoir pour la saborder.
Pensez-vous qu'ils vont accepter un partage raisonnable, équilibré, sinon équitable, des responsabilités internationales, par exemple, en Méditerranée, au Moyen-Orient, et même au regard de la Russie ?
Ne soyons pas naïfs ! Actuellement, la concurrence dans ce monde unipolaire est rude et, souvent, notre allié américain nous joue des tours pendables. Aérospatiale en sait quelque chose !
Franchement, croyez-vous que les Etats-Unis sont disposés à laisser l'Europe se doter d'une autonomie stratégique qui la conduirait à prendre, dans le domaine militaire, des décisions par elle-même ? Je ne le crois pas !
Les Etats-Unis, unique grande puissance, entendent profiter pleinement de leur hégémonie. C'est dans leur intérêt, nous n'avons rien à leur reprocher. Simplement, prenons-en acte et agissons en conséquence.
La marge d'autonomie de la France doit être préservée. Cela devient de plus en plus difficile si les Etats-Unis ont le contrôle du renseignement, de la logistique, de la frappe à distance, l'ambition et les moyens du commandement.
En outre, la politique du Gouvernement contribue à démobiliser les Européens, surtout ceux qui avaient des difficultés à se dégager de la protection exclusive des Etats-Unis.
Le président François Mitterrand avait compris, en complicité, dirais-je, avec le chancelier Kohl...
M. Charles Millon, ministre de la défense. Je vous répondrai sur ce point !
M. Guy Penne. ... qu'il fallait à tout prix maintenir cette idée d'une identité européenne de défense.
Le traité de Maastricht était venu, malgré ses imperfections et ses carences, consacrer cette politique. Avec ce traité, la PESC a acquis ses premières lettres de noblesse. Tous les pays signataires étaient alors d'accord pour que l'UEO devienne le pilier européen de l'Alliance atlantique. Il s'agissait de renforcer le rôle opérationnel de l'UEO.
Votre politique actuelle tourne le dos à cet engagement, enterre l'UEO, et ne montre pas à nos partenaires la volonté de construire ce « pilier européen » ; elle incite, au contraire à rentrer dans le giron américain ou à y rester.
Sans son autonomie stratégique, la France perd de sa crédibilité. En nous alignant sur les positions américaines, nous ne rendons pas service à la PESC.
Cette reculade - c'est ainsi que les commentateurs étrangers analysent votre politique ! - ce retour vers l'atlantisme, nuit non seulement à la France en Europe, mais également à la France dans le monde.
La réforme de la structure du commandement de l'OTAN, décidée lors du Conseil de Berlin, semble répondre aux souhaits des autorités françaises. Toutefois, en ce qui concerne la mise en pratique de la réforme, c'est l'incertitude. Existe-t-il une base solide pour accomplir les prochaines avancées concrètes ?
Les dispositions pratiques de la déclaration de Berlin ne seront pas faciles à mettre en oeuvre sans une ferme volonté politique. Mais cela ne suffira pas ; il faudra pouvoir compter sur la cohésion et la cohérence de la position européenne et avec une réelle bonne volonté et un esprit de coopération de la part des Américains. Les négociations ne seront pas aisées. Or la France a déjà abattu toutes les cartes qu'elle pouvait utiliser dans cette négociation.
Il faut dire les choses clairement : si les Européens souhaitent être indépendants, avoir une politique étrangère et assurer leur sécurité et la défense de leurs intérêts, il faut qu'ils soient disposés à en payer le prix. S'ils font le choix de la « mise sous tutelle » de l'Union européenne, il faut qu'ils sachent que telle n'est pas la vocation de la France.
Quelle est votre stratégie, monsieur le ministre ?
La France désespère-t-elle de la capacité des Européens à se doter d'une défense commune et part-elle dorénavant du principe que seule la force américaine est crédible ? Ou bien considère-t-elle que les nouveaux rapports France-OTAN s'inscrivent vraiment dans une logique d'européanisation de la défense et de désengagement croissant des Etats-Unis ?
Ma troisième préoccupation est partagée par les élus de la région Midi-Pyrénéés, et plus particulièrement par notre collègue Mme Bergé-Lavigne.
Tout a été dit et écrit sur la nécessité de concevoir et de réaliser un avion de transport militaire et sur l'abandon du programme ATF.
L'ATF est-il utile ? J'insisterai sur l'importance qu'il y a à disposer d'un appareil de transport moderne, rustique, au gabarit adapté aux matériels français et utlile à l'accomplissement des missions d'interposition des soldats de la paix, missions qui sont assurées avec beaucoup de courage et d'abnégation par les militaires français au Liban et en Bosnie. Cet avion est nécessaire à l'exécution des missions humanitaires, comme au Rwanda, où l'absence d'un avion gros porteur s'est fait cruellement sentir, puisque nous avons dû louer des Antonov.
Manifestement, d'autres pays européens ont, eux aussi, reconnu l'utilité d'un tel appareil. Le projet de l'ATF apporte une réponse européenne à ce besoin bien réel, exprimé par les différentes armées européennes. En effet, il regroupe huit pays et huit groupes industriels européens, dont Aérospatiale, soit un marché de l'ordre de trois cents avions qui fournirait du travail à trente-cinq mille salariés, dont huit mille en France, pendant plus de vingt ans.
Etant donné les difficultés budgétaires réelles que rencontrent les différents Etats européens, les coûts de l'ATF ont été réduits. Le coût d'acquisition des cinquante-deux avions destinés à l'équipement de nos armées sera ainsi fixé, de façon ferme, à moins de 30 milliards de francs.
Or la décision prise par le gouvernement français, qui consiste à faire financer la construction de cet avion par les industriels, remet en cause le projet lui-même.
Faire appel au financement privé, c'est mettre notre industrie aéronautique dans les mains des banquiers. Cela engendrera un surcoût, monsieur le ministre, car il m'étonnerait que les banquiers prêtent de telles sommes à zéro p. cent d'intérêt.
Trouvera-t-on les financements ? Dans l'industrie aéronautique, les retours sur investissement se font à dix ou à quinze ans. A défaut de financement public préalable, sous forme d'acomptes ou d'avances remboursables, l'ATF ne pourra donc être réalisé.
Aucun programme aéronautique civil n'a d'ailleurs jamais été lancé sans acomptes ou avances remboursables. En effet, jusqu'à présent, la plupart des programmes civils européens ont été aidés à hauteur de 60 p. 100 de leurs coûts.
Même aux Etats-Unis, les programmes d'armement restent financés par des crédits publics. Le marché tiendra-t-il ?
En effet, la tentation sera forte pour les Etats européens d'acheter « sur étagère » - comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, en qualifiant de « scribouillards » ceux qui ont utilisé cette expression (M. le ministre fait un signe d'approbation.) - ces avions américains, à la production déjà rentabilisée, à des coûts inférieurs à ceux de l'ATF, projets qu'ils n'auront pas financés.
Cette solution, ainsi que l'affirme M. de Villepin, président et rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, « risquerait de sonner le glas des espérances industrielles européennes dans ce secteur et, j'ajouterai, de donner à l'industrie américaine un monopole de fait dans le domaine du transport militaire stratégique ».
Le choix du financement du projet ATF par Aérospatiale ne peut que renforcer les difficultés, et, dans le contexte d'une fusion annoncée avec Dassault, diminuerait le poids de l'actionnariat public dans la future entité.
Monsieur le ministre, non seulement, vous n'avez pas répondu au besoin de recapitalisation d'Aérospatiale, mais en lui demandant de financer le projet ATF, vous aggravez son endettement.
« Kill Airbus » est le mot d'ordre qui court les ateliers et bureaux de Boeing. Après le textile, la sidérurgie, les machines-outils et bien d'autres, allons-nous perdre à son tour l'industrie aéronautique ?
Comme l'orateur précédent, je veux être ici l'interprète de l'étonnement, de la stupeur, de la tristesse de tous ceux qui, à l'annonce de l'abandon du financement par l'Etat de ce projet, ont été vraiment touchés.
Comment votre gouvernement peut-il refuser 2,7 milliards de francs à notre industrie aéronautique pour le développement d'un avion européen dont personne ne nie ni l'utilité ni le besoin, et qui contribuerait à créer 8 000 emplois ? Le dernier point de mon intervention concerne les missions des forces de projection.
Nous devrions d'abord dresser le bilan et tirer les leçons des interventions de ces dernières années, notamment en République centrafricaine, au Cambodge, en Bosnie, en Somalie, au Rwanda, ainsi que des plus anciennes au Liban et au Tchad. Vous n'êtes pas responsable de tout, monsieur le ministre ! Cette énumération peut être utile pour comprendre que ce que vous nous présentez comme une grande nouveauté du projet de loi n'en n'est pas une.
Des opérations extérieures sous drapeau national, international, de l'ONU, et peut-être même sans drapeau du tout, il y en a toujours eu, même avec une armée de conscription !
La nouveauté est ailleurs. Elle réside dans le « tout à l'extérieur » que vous voulez nous faire adopter et aussi dans le flou qui entoure cette nouvelle politique.
La nouveauté, c'est la préférence exclusive donnée à la projection par rapport à la défense du territoire et à la défense territoriale de l'Europe.
J'ai l'impression que vous échangez la participation de l'OTAN contre les interventions extérieures élevées au rang de « missions de projection ».
Concrètement, les faiblesses de votre dispositif, tel qu'il apparaît dans ce projet de loi de programmation militaire, vont nous placer sous le contrôle opérationnel des Américains, et nous risquons, à terme, de ne faire que les opérations ayant reçu, si j'ose dire, le feu vert politique de la Maison-Blanche.
Vous nous dites : « missions de projection ». Mais, si la tendance actuelle se confirme, nous aurons un porte-avions sans avions, une armée de terre sans hélicoptères, des forces d'action rapide sans avions de transport. Ce n'est pas raisonnable !
Le projet de loi tendrait à consacrer l'abandon de la défense du territoire à la seule force de dissuasion nucléaire. Vous inscrivez nos forces armées dans une seule perspective, les missions de projection à l'extérieur. Cela ne nous convient pas.
Nous vous demandons, dès maintenant, quelles sont les intentions du Gouvernement en ce qui concerne les principes et les conditions d'engagement de nos forces professionnelles. Nous refusons une dérive de type corps expéditionnaire.
Le général Fricaud-Chagnaud écrivait, en mars 1996 : « Pour éviter tout risque ou tout reproche d'aventurisme, il conviendrait d'adopter une loi sur l'engagement de la force. La possibilité qu'a l'exécutif français d'engager des forces professionnelles sans avoir à référer au Parlement, combinée avec la désuétude de la "déclaration de guerre", jamais utilisée depuis 1939, peut, par paliers, conduire à des engagements importants sans contrôle réel et donc sans que la nation se sente directement impliquée. Souhaiter qu'un tel vide juridico-politique soit rapidement comblé n'est faire à quiconque » - et pas à vous-même, monsieur le ministre - "un procès d'intention". Nous devrions tous méditer ensemble ces sages paroles ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Demilly.
M. Fernand Demilly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les honorables et remarquables rapporteurs des commissions de la défense et des finances nous ont fait part de leurs observations de fond sur ce projet de loi relatif à la programmation militaire, et j'approuve leurs rapports.
Pour ma part, je souhaite intervenir sur un point particulier de ce projet.
Monsieur le ministre, depuis mes récentes interventions d'octobre 1995 et mars 1996, des informations diverses ont circulé concernant le sort des programmes d'armement, notamment des moyens de projection des forces armées. Mon propos concernera, après d'autres interventions, l'avenir de l'ATF.
La position du Gouvernement sur l'ATF est claire, avez-vous dit : nous souhaitons doter l'armée de l'ATF, mais pas à n'importe quel prix ; nous voulons un appareil non pas sophistiqué, mais adapté à la plupart de nos éventuelles missions et à un prix correspondant à nos moyens et au besoin d'exporter. On ne peut, effectivement, être plus clair !
J'ai noté avec satisfaction, au fil des déclarations, qu'il n'était effectivement pas question d'abandonner l'avion de transport futur, mais qu'il fallait redéfinir les modalités financières de son acquisition, que, le financement par l'Etat du développement de l'appareil n'étant pas compatible avec la situation budgétaire du pays, il fallait chercher et trouver de nouvelles modalités de réalisation.
Fin mars, le programme de l'avion de transport militaire européen semblait en passe d'être sauvé : Aérospatiale annonçait son intention d'autofinancer 50 p. 100 du développement, soit 3,5 milliards de francs à lever sur les marchés financiers, le reste étant constitué par des acomptes sur les commandes de l'Etat.
Mais, en avril, le Premier ministre m'informait qu'il était trop tôt pour évaluer si la proposition d'Aérospatiale était compatible avec les orientations à retenir dans le projet de loi de programmation militaire.
C'est alors qu'un groupe de parlementaires, députés et sénateurs, vous demandait, monsieur le ministre, d'étudier la proposition de la société Aérospatiale, l'ATF répondant aux objectifs exprimés par le Gouvernement, constituant la réponse la moins onéreuse aux besoins et permettant à la France et à l'Europe d'accéder à une autonomie totale de moyens.
En mai, vous m'informiez qu'il n'était pas possible de dégager des financements pour le développement de l'appareil dans la planification de vos programmes d'armement et que vous demandiez à vos services que soient recherchées d'autres solutions, mais en maitenant l'exigence du cadre européen.
Nous sommes en juin 1996 : où en sommes-nous après les rencontres de Bonn et de Dijon, et au moment de l'examen du projet de loi de programmation militaire par le Parlement ?
Une version rustique, plus simple et moins chère de l'avion européen est à l'étude. Interrogé début juin, vous déclariez monsieur le ministre, que l'ATF serait prêt pour 2005 : « La France et l'Allemagne se sont mises d'accord et proposent à tous les partenaires européens de faire construire un appareil par un consortium d'entreprises européennes et de passer commande dans une sorte de pool de pays européens qui s'engagent à commander européen ».
En clair, la volonté du Gouvernement est donc de gérer ce projet militaire comme un projet civil, le développement de l'ATF devant être financé en totalité par les constructeurs aéronautiques.
Position clarifiée, certes ! Encore faut-il, monsieur le ministre, pour que cette idée puisse être mise en oeuvre, que les Etats s'engagent sur la commande d'un certain nombre d'appareils !
A ce jour, nous sommes tous convaincus que l'ATF constitue un enjeu européen et national essentiel. M. de Villepin, rapporteur de la commission de la défense, puis M. Maurice Blin, rapporteur pour avis de la commission des finances, ont toutefois fait part de leurs inquiétudes quant à l'avenir de notre aviation, et plus particulièrement de l'ATF.
Que l'on renonce à l'ATF serait d'autant plus difficile à comprendre que la préférence de la France pour une solution européenne a été rappelée à plusieurs reprises et que la plupart des voeux que vous avez exprimés ont été satisfaits, avec la réduction des spécifications au strict nécessaire, l'utilisation maximale des acquis civils, le réaménagement du programme, la réduction des coûts et la constitution d'un consortium européen.
Mais son lancement par ce consortium européen suppose que la France clarifie aussi sa position en tant que client et s'engage, avec les pays partenaires, dans un processus de commandes fermes à brève échéance.
C'est pourquoi je proposerai, monsieur le ministre, un amendement visant à protéger l'émergence de cette alternative européenne.
Lors des discussions à l'Assemblée nationale, le financement bancaire a été évoqué pour l'ATF et accepté, je crois, pour le Rafale, sur proposition de M. Olivier Darrason. L'amendement que je proposerai pourrait assurer également l'avenir de l'ATF, mais il est évident que le développement de cet avion, avec le concours de financements bancaires, ne pourra être lancé sans commandes fermes préalables des Etats, d'où la nécessité de passer la commande française avec celle des autres pays européens en début de programmation et non en 2002, comme vous l'avez prévu dans votre projet.
Monsieur le ministre, au moment où l'industrie européenne est en crise, la question est bien de savoir si les 30 milliards de francs, et d'une façon plus large les 150 milliards de francs qui représentent l'ensemble des besoins européens, iront à la toute-puissante industrie américaine ou feront travailler l'industrie européenne dans toutes ses composantes - cellules, moteurs et équipements.
L'offre européenne est compétitive et porteuse d'emplois et d'avenir pour notre industrie aéronautique. Il faut donc, en clarifiant la loi de programmation militaire, sortir le projet européen de la phase de turbulences qu'il vient de vivre et le faire entrer dans la phase de développement et de fabrication.
Dans ces conditions et à ces conditions, monsieur le ministre, nous partagerons volontiers la confiance que vous affichez dans une procédure qui doit faire avancer l'Europe de l'armement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Husson.
M. Roger Husson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'adoption d'une loi qui engage l'avenir de nos armées, et donc la sécurité de notre pays, a toujours été un moment clé.
Avant de formuler quelques réflexions, je tiens à dire que je partage les orientations qui inspirent ce projet de loi, car celui-ci traduit un contexte dans lequel la France sera plus solidaire de ses alliés dans une Europe où, en principe, la menace conventionnelle majeure a disparu.
Je suis également satisfait de la priorité reconnue à la défense par le Gouvernement, notamment dans le domaine de la prévention et du renseignement, dans un contexte de rigueur budgétaire.
La loi de programmation militaire pour les années 1997-2002 est la première d'une série qui nous amènera au modèle d'armée 2015 ; c'est dire que l'ensemble des décisions, y compris budgétaires, s'étalent sur de longues périodes. Il s'agit là d'un changement qui, s'il a des avantages évidents en termes de planification industrielle et militaire, peut se révéler délicat.
En effet, cette loi prévoit d'attribuer aux armées un budget annuel en francs constants 1995 de 185 milliards, en retrait de 20 milliards de francs par rapport à la loi précédente. Cette baisse est supportée quasi intégralement par les crédits d'équipements, qui seront limités à 86 milliards de francs, les crédits de fonctionnement du titre III étant pratiquement intouchables.
Certes, le projet de loi ne supprime aucun des systèmes d'armement majeurs conçus avant l'élection présidentielle, mais il réduit sensiblement le volume des commandes initialement envisagées et étale leur exécution dans le temps en retardant le calendrier des livraisons.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, mon vote sera assorti d'un certain nombre d'interrogations et de réserves, d'abord dans le domaine des armements classiques, ensuite dans le domaine des restructurations de défense.
En matière d'armements classiques, je commencerai par l'armée de l'air.
Il est évident que, dans ce projet, cette arme est pénalisée, ce qui est assez incompréhensible lorsque l'on regarde l'importance de l'aviation dans les opérations extérieures. La guerre du Golfe est là pour nous rappeler combien les moyens aériens sont essentiels dans les combats. Projeter quelque 50 000 hommes à l'extérieur, c'est bien beau, mais encore faut-il avoir une couverture aérienne de protection efficace et suffisante !
Certes, l'armée de l'air devrait être autorisée à commander trente-trois Rafale, dont deux seront livrés vers l'an 2000 ; mais aucun de ces avions ne sera en ligne en 2002, le premier escadron n'étant opérationnel qu'en 2005.
On assistera donc, pendant la période couverte par la loi, à un vieillissement de la flotte de combat, dont l'âge moyen passera de dix à quatorze ans.
Pour que l'armée de l'air puisse disposer de 150 Rafale, à côté de 150 Mirage 2000, il faudra qu'elle attende l'horizon 2015.
Par ailleurs, le renoncement au financement du développement de l'ATF pose problème, bien que le renouvellement de la flotte par un avion de transport de nouvelle génération soit prévu par la loi, pour un montant de 650 millions de francs.
En effet, la France, en faisant le choix de la projection de puissance, devra se doter d'une flotte de transport au moins comparable à celle qui est actuellement disponible et remplacer, d'ici à 2015, une flotte vieillissante et mal adaptée de Transall et d'Hercules.
Mais, monsieur le ministre, comment concilier projection des forces et abandon du seul programme européen qui répondait à des spécifications très précises et strictement européennes de projection ?
Comment concilier la préférence communautaire avec l'éventuel achat sur étagère, aux USA, de C130J, même s'il est affirmé que la France achèterait européen si l'ATF est disponible à des conditions intéressantes ?
Comment lancer le programme ATF avec une provision budgétaire ne représentant que 2 p. 100 d'acompte, de plus payable en 2002 ?
La conjonction des programmes Rafale et ATF est donc un problème majeur pour l'avenir des capacités de notre armée de l'air, et mon premier réflexe est de vous dire que l'augmentation des crédits du titre V après 2002 me paraît être un impératif absolu.
J'en viens au maintien des capacités opérationnelles de notre groupe aéronaval.
La marine française a toujours joué à fond la complémentarité européenne ; mais en ce qui concerne la capacité de projection de force aéronavale, la complémentarité ne joue plus : seule la France a un groupe aéronaval capable d'une telle projection. A l'horizon 2002-2004, après le retrait du Foch du service actif, le Charles-de-Gaulle , qui aura succédé au Clemenceau , restera seul, ce qui pose un problème pour la permanence du groupe aéronaval et donc pour la commande du second porte-avions.
Un navire de ce type consomme du potentiel chaque année, de 2 000 à 3 000 heures, ce qui nécessite des périodes d'entretien plus ou moins longues. Que fera-t-on pendant ces périodes d'absence ? Pourra-t-on compter sur les porte-aéronefs de la Grande-Bretagne, de l'Espagne et de l'Italie ? Avec leurs appareils à décollage court et vertical, ils ne peuvent pas assurer de missions de suprématie aérienne ou d'attaque massive. Ils sont aptes à la lutte anti-sous-marine ou antisurface, mais moins performants pour la lutte antiterrestre.
En Bosnie, il est flagrant que les appareils britanniques n'ont pas la même capacité que les appareils embarqués français, et que les porte-aéronefs britanniques ne peuvent pas mettre en oeuvre l'avion de guet embarqué américain, ce que le Charles-de-Gaulle pourra faire.
En outre, le groupe aéronaval ne disposera pas de sa première flottille de douze Rafale en version intercepteur avant 2002 et n'aura à sa disposition en 1998 que deux avions de guet embarqués américains, ce qui engendrera une inquiétante vulnérabilité opérationnelle en matière de lutte antiaérienne, compte tenu du fait qu'un appareil de ce type ne peut rester en vol plus de quatre heures.
Ne pas construire un deuxième porte-avions entraînerait donc une rupture historique dans la permanence du groupe aéronaval à partir de 2005 et il ne serait pas économiquement et militairement raisonnable de maintenir Le Foch en sommeil jusqu'en 2011-2012, date du second entretien programmé du Charles-de-Gaulle.
C'est pourquoi la seule solution pour ne pas payer à nouveau les 6 milliards de francs de développement du Charles-de-Gaulle - sur un coût total de 18 milliards de francs - et pour assurer sa relève en 2011 serait de commander un second porte-avions pareil au premier.
Mais cela supposerait de faire figurer ce projet, dès aujourd'hui, dans la planification souhaitée par le chef de l'Etat. Or, je constate, monsieur le ministre, que la présence d'un second porte-avions dans le modèle d'armée de 2015 est encore incertaine.
Pourtant, le chef d'état-major de la marine a réaffirmé devant notre commission que ce porte-avions serait bien programmé et le Président de la République lui-même a confirmé vendredi dernier à Brest la construction d'un second porte-avions en reprenant l'expression qu'il avait utilisée lors de sa campagne électorale : « Les porte-avions, c'est comme les gendarmes, ça va par deux ». Alors pourquoi continuer à faire planer le doute ?
Ma dernière observation concernant les armements classiques portera sur l'armée de terre.
Celle-ci, en effet, devrait être en état de commander trente-trois chars Leclerc chaque année, ce qui signifie une réduction d'un tiers de la cadence initiale de production.
A ce jour, GIAT Industries a reçu une commande ferme de 658 chars se décomposant ainsi : 222 pour l'armée française, 436 pour les Emirats arabes unis, dont 46 chars de dépannage.
A la fin de cette année, nous devrions disposer de 114 Leclerc et, en 2002, sauf réduction de cible, l'Etat aura donc commandé 420 chars Leclerc, objectif que son modèle d'armée 2015 a fixé à son parc de chars lourds.
La France aura ainsi dix fois moins de chars que la Bundeswehr ! On est donc loin des 1 400 exemplaires qui devaient être produits pour les seuls besoins français lorsque le programme a été lancé et qui devaient assurer le plan de charge des treize établissements de GIAT Industries.
De plus, les baisses de commandes vont entraîner des hausses de coûts unitaires et les décalages des intérêts moratoires payés par l'Etat.
Je suis donc légitimement inquiet pour l'avenir de cette entreprise. Aussi, monsieur le ministre, pour me rassurer à ce sujet, pourriez-vous, d'une part, me confirmer que la cible totale de Leclerc est bien de 420 chars et non de 406, comme il est indiqué à la page 42 de ce projet de loi relatif à la programmation militaire et, d'autre part, me dire pourquoi le nombre de dépanneurs « nouvelle génération » développés par GIAT Industries n'apparaît pas dans ce projet ? Serait-il compris dans la cible totale de Leclerc ?
J'évoquerai un autre sujet d'interrogation : les hélicoptères de combat de l'aviation légère de l'armée de terre, l'ALAT.
Je constate avec surprise que le projet de loi ne laisse plus de place à l'aéromobilité et réduit à presque rien les efforts menés ces dix dernières années pour développer un concept d'intervention rapide.
La France dispose actuellement d'une force d'action rapide, la FAR, au sein de laquelle se trouve la 4e DAM basée à Nancy. Ces dix dernières années ont servi à mettre au point ce concept d'intervention autonome.
Aujourd'hui, la 4e DAM est rodée et a prouvé qu'elle s'est adaptée à la gestion des conflits modernes. Or votre projet, monsieur le ministre, indique que l'armée de terre aura, en 2015, 168 hélicoptères en ligne, au lieu de 340 en 1996.
Bien sûr, on ne peut pas avoir autant de Tigre que de Gazelle, mais cette réduction quantitative se révèle anormale par rapport aux moyens de nos voisins.
Ainsi, en l'an 2000, l'Allemagne disposera de deux fois plus d'hélicoptères que la France, qui est pourtant le précurseur dans le domaine de l'aéromobilité.
De plus, ce projet prévoit les premières livraisons des Tigre en 2003. Or, pour des raisons évidentes d'entraînement tactique, l'armée de terre devrait disposer d'une escadrille dès 1999.
Bref, si ces réductions programmées sont maintenues et votées, elles risquent non seulement de mettre en question la capacité de notre armée de terre à assurer des missions de projection, mais encore d'entraîner des milliers de suppressions d'emplois et, comme l'a souligné M. de Villepin dans son rapport, ce projet de loi demeure ambigu et incohérent sur ce sujet, ce que je regrette amèrement.
Comme je vous l'ai annoncé au début de mon intervention, mon vote sera assorti d'interrogations également dans le domaine des restructurations de notre industrie de défense.
Il est évident que la remise à plat de notre défense aura des répercussions sur les industries de l'armement. Le Gouvernement a annoncé la fusion de Dassault avec Aérospatiale, sans grand succès à ce jour, et la privatisation de Thomson. Ce seraient 10 000 emplois directs ou indirects qui seraient supprimés chaque année. Vous avez promis, monsieur le ministre, qu'il n'y aurait pas de licenciement sec.
Certes, le projet de loi prévoit huit milliards de francs pour accompagner les restructurations, mais si ce projet est ambitieux, les inconnues d'ordre financier demeurent, notamment sur le coût réel des restructurations et de leur adéquation avec les fonds débloqués par votre ministère. Les élus comme les salariés de l'armement ont donc de légitimes raisons de s'inquiéter.
Pour conclure, je tiens à vous dire, monsieur le ministre, combien je suis heureux de constater que, dans ce projet de loi, le renseignement stratégique bénéficie d'une augmentation de ses crédits qui lui permettra de se renforcer et de se moderniser.
Maire de la ville de Dieuze, où se trouve implanté l'un des quatre régiments de la BRGE, je sais combien le renseignement, qu'il soit de nature humaine ou de nature spatiale, est l'arme par excellence du politique pour prévenir et gérer une crise.
De plus, cette montée en puissance du renseignement stratégique me laisse présager que la BRGE ne sera pas touchée par le plan de dissolution ou de réduction d'unités que le Gouvernement a prévu de détailler courant juillet, et je m'en réjouis.
Ce projet de loi ne pouvait pas être autre chose en l'état actuel de nos finances publiques. Il est douloureux comme toute prise de conscience et repose sur un double pari : premièrement, que la croissance redémarre, deuxièmement, que les coûts des programmes baissent.
Certes, en annonçant le 22 février dernier, dans un contexte socio-économique difficile, la restructuration de notre défense, le Président de la République a pris une décision courageuse que je tiens à saluer, et du même coup a fait franchir le Rubicon à nos armées.
Je suis convaincu que ce double pari, puisque c'en est un, monsieur le ministre, peut réussir, car l'exécution de ce projet de loi relatif à la programmation militaire ira de pair avec les six dernières années du septennat du chef de l'Etat. C'est mon souhait le plus sincère et le plus cher.
J'ai formulé des observations en exprimant des inquiétudes, éventuellement en faisant quelques critiques, mais c'était mon devoir de représentant de la nation. Je reste donc vigilant et je vous assure, monsieur le ministre, de ma confiance. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, toute ma vie d'élu de base - bien plus de trente années ! - a été consacrée à la pédagogie de contact avec toutes les personnes qui m'entourent, en particulier les militaires. En effet, je suis depuis plus de vingt années conseiller général du canton de Suippes, dans la Marne, canton très rural qui conserve les cicatrices de la Première Guerre mondiale, avec ses cimetières et ses monuments.
Ces régions d'invasion ont accueilli, sous Napoléon III, le camp de Mourmelon, que beaucoup connaissent, et, après 1918, le camp de Suippes. Ces deux établissements sont appelés les grands camps de Champagne.
Européen convaincu, j'ai toujours souhaité la réconciliation franco-allemande et la construction d'une unité européenne, tout comme vous, monsieur le ministre.
A cet égard, le projet de loi de programmation militaire que vous nous présentez - et que je voterai - appelle quelques remarques de ma part.
L'élu local que je suis a toujours cherché à développer les relations entre l'armée et la nation, et pas seulement entre les nombreuses unités militaires qui sont stationnées sur le territoire de mon canton et les élus. D'une façon plus large, j'ai ainsi tenté de favoriser tout ce qui pouvait concourir à une meilleure connaissance de l'armée française par notre population : pas de réunion d'élus sans militaires, pas de manifestation militaire sans élus.
Mes préoccupations ne se limitent pas seulement à promouvoir des échanges et des relations entre ces deux mondes. Pour moi, la coopération armée-nation est avant tout une réalité concrète, et vous l'avez vous-même souligné, monsieur le ministre. J'en veux pour exemple les efforts déployés par les unités militaires de mon canton pour coopérer avec les instances locales à des projets qui bénéficient à l'ensemble de la population, comme celui que j'ai déjà cité à cette tribune de la piscine de Suippes, dont l'investissement et le fonctionnement sont assurés à parité par l'armée pour un tiers et par le district rural pour deux tiers.
Cette pratique de la relation armée-nation me conduit aujourd'hui à m'interroger sur l'avenir de notre armée professionnalisée. Le maintien d'un volontariat dans le cadre du service national et la mise au point d'un « rendez-vous citoyen » me paraissent être des options qui devront alimenter notre réflexion pour maintenir la communication entre l'armée et sa nation. A ce stade du débat, de nombreux points d'interrogation restent posés, mais nous évoquerons de nouveau ce sujet à la rentrée parlementaire.
A cet égard, le problème le plus important me paraît être l'avenir des relations armée-nation dans la phase de transition, période difficile et très sensible, comme chacun l'a souligné, et, une fois passée cette phase de transition, la professionnalisation des armées sera terminée.
Un danger menace ces relations : c'est celui de l'enfermement du monde militaire sur ses préoccupations, et la désaffection de l'opinion pour son armée. Je n'ignore pas que le service militaire n'était qu'un des éléments de la synergie armée-nation. Sa profonde mutation, que vous nous proposez par ce projet de loi de programmation militaire et par le projet de loi qui viendra à la rentrée parlementaire sur le service national, ne devrait pas, du moins je l'espère, trop affecter cet aspect des relations entre l'armée et la nation. Vous avez souhaité cet après-midi, monsieur le ministre, en faisant preuve d'une volonté affirmée, répondre par avance à mes questions sur ce thème armée-nation, mais permettez-moi d'y insister. Le problème est pour plus tard. Plus que jamais, la nation aura besoin de sentir que son armée n'est pas une simple réalité professionnelle, technique de haut niveau, mais située loin d'elle. A cet égard, je crois que le service d'information et de relations publiques des armées, le SIRPA, aura un rôle majeur à jouer pour continuer à faire connaître aux Français leur armée. Mais la communication va dans les deux sens. Il est nécessaire aussi que l'opinion publique continue de s'intéresser à son armée, et ne voit pas en elle un simple instrument de l'Etat destiné à protéger le pays.
M. Jean-Luc Mélenchon. Absolument !
M. Jacques Machet. Les armées de la nation n'ont pas seulement la vocation sacrée de défense de la patrie ; elles forment un prodigieux réservoir de l'identité nationale.
M. Jean-Luc Mélenchon. Exact !
M. Jacques Machet. Elles sont l'instrument, à travers chacune des générations, d'une rencontre entre le passé de la nation, son présent et son avenir. Cette fonction ne devra pas s'affaiblir ni s'étioler. Elle nécessite la mise en place de nouveaux outils qui permettent le va-et-vient entre l'opinion et les armées d'informations et de valeurs, je le rappelle, pendant la longue période de transition et aussi lorsque l'armée de métier sera en place.
Comme mon ami et collègue M. le rapporteur Xavier de Villepin vous l'a demandé, je souhaite, monsieur le ministre, que les mesures nécessaires soient précisées dans les délais les plus proches. Pour nos militaires, nos élus et l'ensemble de nos populations, nous sommes en période de mutation... Pensons, pensez aux soucis du colonel qui va être muté dans un autre régiment et à qui, très bientôt, on annoncera la dissolution du régiment.
A une époque où notre société change, où la culture, sous l'effet des progrès techniques, change, l'armée demeure dépositaire d'une partie de l'identité nationale. Son devoir est de ne pas conserver cette part d'identité nationale uniquement pour elle.
La professionnalisation voulue par le chef de l'Etat, chef des armées, permettra à la France de rester une grande puissance militaire au sein du continent européen, puissance militaire au service de la paix et de l'équilibre européen. Mais il ne faudrait pas que cette « réussite professionnelle » banalise le rapport Etat-nation.
C'est en intensifiant les relations entre l'armée et la nation, tant vis-à-vis des collectivités locales que de l'ensemble de la population, que l'armée remplira son devoir de mémoire au service de la République dans le respect des principes fondamentaux de la grande démocratie qu'est la France. Que de contacts, que de réunions, que de pédagogie pour arriver à cette convivialité ! Cela fait maintenant partie intégrante de nos manières d'être, alors que, voilà environ quinze ou vingt ans, nos contacts sur le terrain n'étaient faits que de contentieux, de procès, de constatation de dégats, d'indemnités... C'est là que l'on voit le chemin parcouru !
Monsieurle ministre, j'aurais pu, comme beaucoup de mes collègues, vous assaillir de questions, de demandes, de rendez-vous !
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais faites !
M. Jacques Machet. Je ne l'ai pas fait...
M. Jean-Luc Mélenchon. Hélas !
M. Jacques Machet. ... car c'est vous qui avez une vue globale de la situation pour opérer cette grande réforme ; moi, je n'ai qu'une vue parcellaire des choses.
Je ne voudrais pas pour autant, monsieur le ministre que l'on dise que, si les militaires partent, c'est que le parlementaire que je suis n'a pas fait son travail. Pour ma part, je considère ma mission tout autre.
Vous êtes l'exécutif et je suis le législatif. Votre vision globale se doit d'être adaptée à chaque situation et mon rôle de sénateur est de vous aider dans cette prise en charge de la réalité. Ne connaissant qu'une partie des problèmes, en l'occurrence ceux de l'armée de terre, dont vous venez de dire qu'elle était la plus touchée - cette armée de terre que j'ai toujours côtoyée depuis que je suis gamin - je n'ai pas l'immodestie de vouloir parler de choses qui ne sont pas de ma dimension. Puis-je me permettre de vous demander, monsieur le ministre, ce que vous inspirent mes réflexions ?
Permettez-moi en terminant mon intervention de m'adresser à tous nos militaires, du plus humble au plus grand, pour les féliciter de la dignité de leur réserve en cette période de grande mutation.
M. Jean-Luc Mélenchon. Il ne manquerait plus que ce soit le contraire !
M. Jacques Machet. Voilà, monsieur le ministre, monsieur le président, mes chers collègues, ce que je voulais vous dire sur cet aspect moral et psychologique de la professionnalisation. Je le répète, ce projet de loi que je voterai ne doit pas simplement aboutir à une modernisation de l'armée ; il doit également permettre le maintien de l'armée dans la nation, mais aussi le maintien de la confiance de la nation dans son armée, au service des idéaux de la France et de ceux de la construction européenne.
Je remercie MM. de Villepin et Blin, ainsi que leurs collaborateurs. Je vous remercie aussi, monsieur le ministre, mes chers collègues, de m'avoir écouté. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Madrelle.
M. Philippe Madrelle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du débat sur les orientations de la politique de défense, j'avais exprimé notre position de principe sur les grandes lignes de la réforme que vous nous présentiez à l'époque.
J'avais alors exprimé mes réticences face à la méthode employée par le Gouvernement, mais aussi mes craintes à l'égard des retombées économiques et sociales des mesures envisagées.
J'avais malheureusement vu juste.
Le Président de la République s'est engagé personnellement dans cette réforme, qui comprend la réduction drastique des effectifs militaires, la professionnalisation des armées, la redéfinition de notre insertion dans les dispositifs de défense de l'Europe et de l'OTAN, la restructuration de l'industrie de la défense.
Il s'est engagé en faveur de dépenses annuelles de 185 milliards de francs constants pour la durée de la loi de programmation. Pourra-t-il tenir cette promesse ?
Une chose est sûre : la seule maîtrise comptable des dépenses ne peut pas servir de doctrine militaire à notre pays. Vous agissez sous la contrainte financière. Vous êtes victime des conséquences de la politique économique du gouvernement Juppé.
Vous attendez que le projet de loi soit adopté par une majorité docile et peu regardante sur ses reniements pour pouvoir annoncer, après la facture sociale de votre réforme, les fermetures des garnisons et les plans sociaux dans l'industrie.
Le titre V risque de faire rapidement les frais de la professionnalisation. Les frais de fonctionnement vont croître proportionnellement aux besoins des engagés. C'est l'équipement qui en pâtira, avec, à terme, de graves conséquences pour nos industries de défense. Nous irons ainsi tout droit vers une dépendance accrue à l'égard des matériels étrangers.
Ce projet de loi aura, à très court terme, de très graves conséquences économiques et sociales : nous en avons un exemple avec le plan de charge des arsenaux de la marine.
Je pense que vos propositions pour les restructurations ne sont pas à la hauteur des enjeux. Un fonds d'adaptation industrielle est prévu pour accompagner le développement de la compétitivité et de la productivité de la direction des constructions navales, la DCN. Mais il n'y a pas que la DCN ! Quelles sont vos idées pour les autres secteurs concernés ? Pour le GIAT par exemple ?
Vous savez bien qu'en portant les crédits du fonds de restructuration pour la défense à 2 milliards de francs, vous ne pouvez pas satisfaire les demandes des collectivités locales.
Je crains que les fonds nécessaires pour les restructurations et pour pallier les retombées sociales de votre réforme ne soient pris dans le budget du ministère de la défense. Le titre V va encore souffrir. Cela signifiera moins de commandes et plus de plans sociaux.
Je ne vois pas dans votre projet de loi de perspectives ouvertes à la reconversion des industries de l'armement.
Il faut du temps et de l'argent pour mettre en place les reconversions nécessaires. Vous manquez de l'un et de l'autre. Je voudrais savoir pourquoi les crédits consacrés au nucléaire atteignent encore 20 p. 100 du total des dépenses ?
Les reports de production des hélicoptères Tigre et NH 90 mettent en danger notre coopération industrielle européenne. Au moment même où l'offensive américaine se fait sentir avec force, nous donnons l'impression de vouloir baisser les bras. C'est très grave, et les salariés d'Eurocopter ont raison de vous demander des comptes.
Des pans entiers de notre industrie de défense sont en danger. L'abandon de l'ATF touche gravement Aérospatiale. Les retards du programme Rafale affectent Dassault. Le quasi-abandon du NH 90 risque de faire plonger Eurocopter. Des centaines de sous-traitants sont aussi touchés par vos mesures.
L'objectif de « zéro licenciement » que vous avez proclamé me semble juste et nécessaire. Mais comment peut-on affirmer qu'il n'y aura pas de licenciement sec dans l'industrie de défense alors que celle-ci est frappée par une réduction de près d'un quart de son plan de charge ?
Vous me permettrez, monsieur le ministre, d'évoquer la situation de l'atelier industriel de l'aéronautique de Bordeaux-Floirac, où deux cents emplois ont disparu depuis quatre ans ! Actuellement, 1 250 employés travaillent encore sur le site. On peut imaginer aisément, avec cette loi de programmation militaire, une perte de 50 p. 100 de l'effectif, ce qui rendrait cet établissement totalement inopérant. N'oublions pas que, en soixante ans d'existence, près de 25 000 moteurs ont été réparés et testés à l'AIA de Bordeaux, des premiers moteurs à piston aux M 53 équipant les Mirage 2000 ! Le changement du statut de l'AIA ne peut constituer une réponse à l'inquiétude des personnels.
Mes chers collègues, nous pouvons craindre que les plans sociaux ne s'enchaînent à un rythme infernal. A cela, vont s'ajouter les conséquences des fermetures de bases.
Monsieur le ministre, vous devez nous préciser les mesures d'accompagnement économique et social des restructurations.
Je vous confirme solennellement, depuis cette tribune, que le groupe socialiste est favorable à la participation des organisations syndicales aux décisions relatives à l'utilisation des crédits consacrés aux restructurations.
Plus largement, je considère qu'il est nécessaire d'associer, sur le plan local, toutes les forces vives à une véritable concertation pour l'action. Nous resterons d'une vigilance extrême sur la question des conséquences économiques et sociales de votre projet de loi.
Pensez-vous sérieusement que les crédits sollicités au titre du programme communautaire Konver ou ceux qui sont prévus en faveur du fonds pour les restructurations de la défense seront à la hauteur des restructurations industrielles et militaires à entreprendre ?
Le fonds d'adaptation industrielle me laisse perplexe. Que comptez-vous faire avec ces sommes ? Combien d'emplois seront supprimés à la DCN et au CEA ? Quel sera le coût de ces suppressions d'emplois ? Est-ce que les interventions de l'Etat en la matière se feront sur le budget de la défense ?
Depuis l'annonce de la réduction des crédits consacrés à la défense, le Gouvernement ne cesse de minimiser les conséquences qu'elle aura pour l'industrie de l'armement, alors que nous savons tous que le coût social de cette réforme sera lourd, douloureux, et qu'il vaut mieux avoir, à cet égard, les yeux bien ouverts.
Votre stratégie industrielle manque de clarté. Avez-vous bien réfléchi à la contradiction qui existe dans le fait de vouloir faire jouer la concurrence pour réduire les coûts tout en favorisant la constitution de quatre pôles industriels, nucléaire, aéronautique et espace, électronique, électromécanique ?
Ce « Meccano » industriel franco-français auquel vous vous employez est-il vraiment pertinent ?
Pourquoi quatre pôles au moment où, par exemple aux Etats-Unis, on cherche plutôt les synergies et les alliances entre l'aéronautique et l'électronique ? L'approche exclusivement technocratique des problèmes industriels n'est sans doute pas la meilleure.
Il y a les paroles et il y a les actes. D'un côté, vous discourez sur une politique européenne dans le domaine des industries de l'armement et, de l'autre, vous poussez aux regroupements franco-français. C'est incohérent et dangereux pour notre avenir industriel et technologique.
Notre collègue M. le président Xavier de Villepin relève, dans son excellent rapport - excellent, mis à part les conclusions (Sourires) - la poursuite d'une politique de réduction drastique de la part de la recherche dans le budget de la défense. Or cette politique compromet l'avenir des industries de défense ; en particulier, elle frappe les PME et PMI du secteur.
Une grave carence existe donc en ce qui concerne les crédits nécessaires aux dépenses de recherche et de développement.
J'attire votre attention, monsieur le ministre, et celle de la Haute Assemblée, sur l'inquiétude éprouvée quant à l'avenir du programme Rafale. Il me semble difficile que ce projet reste en l'état pour les six années à venir. L'évolution du parc d'avions de combat de l'armée de l'air posera alors problème. Cette inquiétude se porte également sur notre industrie et sur l'emploi, mais également sur la capacité réelle de nos forces au début du xxie siècle !
Votre promesse, celle du Président de la République, relative au départ d'officiers et de sous-officiers « sans loi de dégagement de cadres » me semble très difficile à tenir, et j'aimerais avoir des précisions à ce sujet.
Le fonds d'aide à la professionnalisation est doté de 9,1 milliards de francs pour la durée de la programmation, c'est-à-dire, 1,5 milliard de francs par an.
A quoi serviront ces sommes ?
Il faut savoir si les dépenses d'accompagnement des réformes militaires seront financées par différents ministères ou si c'est le budget de la défense qui sera mis à contribution. Il y a un précédent inquiétant : le versement par le ministre de la défense d'environ 900 millions de francs par an aux territoires polynésiens en contrepartie de la fermeture du centre d'essais nucléaires de Mururoa.
Cela laisse à penser que ce sera le budget de la défense qui supportera le plus gros des dépenses liées à la fermeture des garnisons et au déploiement des forces. Or ces dépenses peuvent être estimées à 4 milliards de francs par an pendant six ans.
Pouvez-vous nous dire si les crédits destinés au titre V, en principe consacrés aux fabrications d'armements, seront utilisés aussi pour les recapitalisations des sociétés nationales et pour le paiement des opérations réalisées à l'étranger ?
Le Gouvernement réserve pour la période estivale toutes les mauvaises nouvelles dans le domaine industriel et social.
Combien de suppressions d'emplois ? M. le ministre en a annoncé 10 000 par an pendant six ans.
Sur de nombreux programmes, ce projet de loi demeure flou et ambigu. On apprend dans le rapport de M. le président de la commission des affaires étrangères et de la défense que les commandes d'hélicoptères militaires seront réduites de moitié, ce qui est incohérent avec votre politique affichée de favoriser les missions de projection. Il faut aussi prendre en compte les nombreuses suppressions d'emploi que cela entraînerait. Ces réductions de commandes, qui concernent le Tigre et le NH 90, posent la question de l'aéromobilité.
Nous ne trouvons pas trace du second porte-avions dans votre projet de loi ; un amendement adopté à l'Assemblée nationale y fait allusion. Or, oralement, le Président de la République aurait, lors de sa récente visite à Brest, si on en croit les journaux, confirmé la mise en chantier future d'un second porte-avions. Je pense qu'il a pu, à cette occasion, vérifier le mécontentement des ouvriers de l'arsenal. Cependant, cette promesse présidentielle manque particulièrement de précision. Rien n'a été dit quant à la date de mise en chantier ni quant au mode de propulsion.
Les hypothèses retenues lors de l'élaboration de votre projet de loi ne pourront pas être tenues en 1997 et 1998 ; vous serez obligé de donner un nouveau tour de vis budgétaire, et adieu programmation, adieu Rafale, chars Leclerc et hélicoptères !
En plaçant sa politique dans le long terme, la France doit pouvoir oeuvrer pour une coordination plus étroite des politiques de recherche - j'insiste sur ce terme - et de fabrication d'armements entre pays européens.
Voilà quelques années, nos collègues sénateurs de la majorité s'opposaient aux ministres de la défense des gouvernements socialistes qui proposaient des budgets de la défense d'un montant de 200 milliards de francs. A l'époque, certains esprits forts réclamaient 210 milliards ou 220 milliards de francs par an.
Aujourd'hui, cette même majorité nous annonce des budgets atteignant péniblement 185 milliards de francs. A-t-elle été saisie par les démons du pacifisme ? Non, il s'agit simplement des conséquences de la mauvaise politique budgétaire menée depuis 1994.
C'est sous la contrainte financière qu'on envisage l'abolition de la conscription, la professionnalisation et les restrictions budgétaires. Vous nous proposez de professionnaliser parce que vous pensez faire ainsi des économies. C'est un mauvais calcul !
La professionnalisation totale, vous le savez, conduit à terme à une augmentation considérable du budget de fonctionnement. Le titre III prendra dans peu de temps définitivement le pas sur le titre V. Les crédits d'équipement continueront alors de chuter.
S'agit-il d'une évolution stratégique voulue ? En tout état de cause, c'est inéluctable.
C'est l'une des conséquences majeures de votre réforme militaire. Elle nous semble incompatible avec le modèle français d'indépendance nationale, fondé notamment sur une industrie de défense forte et ambitieuse.
La période postérieure à 2002 ne s'annonce pas meilleure.
Comment avez-vous prévu de financer la production du Rafale ?
Ce projet de loi n'est pas cohérent avec le maintien d'une industrie de défense forte et performante, susceptible de donner à la France les moyens de son ambition internationale.
Nous aimerions comprendre le sens de votre politique. En l'état actuel des choses, notre refus de la cautionner est catégorique.
Nos ouvriers de la défense, nos industriels mais aussi nos soldats attendent vos précisions. Ce projet de loi est un concentré de dangers pour nos industries, pour nos régions.
Nous ne pouvons, dans ces conditions, vous accorder notre confiance.
Nous aurions souhaité être associés à une baisse progressive, maîtrisée et concertée du budget de la défense. Ce n'est pas le cas.
Reconversion industrielle, aménagement du territoire, concertation locale : ces sujets vous sont étrangers.
Pourtant, la politique de défense, ses objectifs et ses moyens doivent faire l'objet d'un consentement toujours plus large, toujours plus marqué de l'ensemble des Français, car l'unité du peuple autour de sa défense est un atout essentiel pour la nation. En négligeant ces aspects-là, on affaiblit la défense nationale.
Avec votre gouvernement, la France entre dans le rang, elle se banalise, elle semble vouloir s'accommoder d'une révision à la baisse de ses ambitions internationales. A voir les moyens que vous consacrez à la politique étrangère et à la défense nationale, on ne peut que craindre le pire. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth. Hier, en fin d'après-midi, je revivais, comme vous-même, monsieur le ministre, au mont Valérien, ce formidable moment de notre histoire commune que fut l'appel du 18 juin.
En quelques phrases fortes, tout était dit : une bataille perdue, qui n'était qu'une bataille régionale dans une guerre mondiale ; les causes de cette bataille perdue, à savoir le retard sur les techniques de pointe de la guerre mécanique, l'insuffisante mobilité des unités, la vision passéiste des états-majors.
Mais aussi quelle formidable leçon de pragmatisme que ce message qui se termine par un appel aux ingénieurs et ouvriers français des industries d'armement se trouvant en Angleterre ou qui viendraient à s'y trouver.
Rappel opportun, ô combien ! au moment où vient en discussion ce projet de loi de programmation militaire, qui découle d'une volonté nouvelle, exprimée avec force par le chef de l'Etat : adapter nos armes aux temps d'aujourd'hui en tirant les leçons des expériences vécues hier.
Errare humanum est, perseverare diabolicum. Je veux parler d'une erreur qui ne vous est pas imputable, monsieur le ministre, d'un sillon tracé dans la mauvaise direction mais que, une fois éclairé, vous ne sauriez continuer à creuser.
De quoi s'agit-il ?
Le 1er juillet 1990, le GIAT - groupement industriel des armements terrestres - est transformé en société nationale de droit privé et devient GIAT Industries.
Hélas ! un homme faisait un rêve, un rêve qui n'était soutenu par aucune des intraitables règles de la logique financière et bancaire, sans même parler des impératifs des intérêts nationaux, totalement oubliés. Sous l'impulsion de son ancien PDG et, par une funeste erreur, avec l'accord du gouvernement de l'époque, GIAT Industries reprit l'entreprise FN-Herstal, au bord de la faillite, et dont les moyens industriels dataient du xixe siècle.
M. Xavier de Villepin, rapporteur. C'est vrai !
M. Lucien Neuwirth. Certes, une coopération européenne dans le domaine de l'arme, associant les entreprises nationales et privées, pouvait répondre à un dessein réaliste et intelligent. Cependant, en ce qui concerne Herstal, les dés étaient pipés ; cela était connu de tous les milieux industriels et bancaires, sauf de la direction du GIAT de l'époque !
Malheureusement, il y a loin du rêve à la réalité. Par cette prise de contrôle, le GIAT espérait devenir le leader mondial de l'arme de guerre de petit calibre, des armes de chasse et de tir, ayant absorbé les grandes marques Winchester et Browning.
Informé par des amis belges que, pour parvenir à ses fins, le GIAT aurait conclu un accord secret prévoyant, en particulier, la mainmise d'Herstal sur la commercialisation de toutes les armes de petit calibre civiles et militaires au niveau mondial, hors le marché français - c'est bien le moins ! - j'intervins publiquement. Le lendemain, le ministre de la défense opposait « le démenti le plus formel ». Tu parles !
Le 16 janvier 1992, à une question écrite que j'avais posée, je recevais une réponse dérisoire, comme à la question orale posée le 14 mai 1992 où j'indiquais : « La direction du GIAT se conduit non en chef d'entreprise mais comme un joueur de Monopoly : elle achète une entreprise belge, mais retire des études à nos concepteurs nationaux. C'est un désastre. Tout un capital humain et technique est ainsi mis en péril. » A quoi le ministre de l'économie, remplaçant M. Joxe - en déplacement à l'étranger avec M. Mellick - me répondait, bottant en touche : « Cette entreprise tient la première place en Europe. » Tiens donc ! Il terminait en affirmant : « Il est vrai que l'avenir de GIAT Industries repose pour une grande part sur le programme du char Leclerc, qui devra être produit à une cadence suffisamment soutenue pour assurer une bonne utilisation de l'outil industriel. »
Et les autres activités du GIAT ? Personne n'en parlait !
Il y a loin de la coupe aux lèvres !
Le journal Les Echos du 7 juin dernier titrait sur cinq colonnes : « GIAT Industries cherche un repreneur pour Herstal ». L'article précisait : « Environ un milliard de francs a déjà été injecté de 1991 à 1995 dans cette industrie rachetée fin 1990. »
M. Xavier de Villepin, rapporteur. C'est vrai !
M. Lucien Neuwirth. Monsieur le ministre, cette bataille étant perdue, il vous reste à gagner la guerre. Comment ? Nous allons le voir.
GIAT Industries avait retenu Herstal comme pôle d'excellence de l'activité « armes de petit calibre », et ce au détriment de Saint-Etienne.
Chargé de la commercialisation sur le marché mondial, Herstal n'a eu de cesse de tenter de substituer au FAMAS son FNC Herstal, ce modèle n'ayant jamais été performant ni en termes de prix, ni au regard de ses qualités de tir, alors que le FAMAS, je le rappelle, est toujours classé au premier rang et retenu en short list par les clients étrangers de plus de vingt et un pays, malgré la campagne d'élimination menée par Herstal. Il faut se rappeler que près de 400 000 FAMAS 5,56 auront été fabriqués à Saint-Etienne.
Le recours est là : le centre de Saint-Etienne possède un parc de machines des plus modernes : mécanisage, canonnerie, montage, tir et conditionnement.
Je crois en l'avenir du GIAT : il a les capacités humaines et matérielles de concrétiser, dans tous ses établissements, la nouvelle politique voulue par le Gouvernement.
Vous êtes, monsieur le ministre, en Rhône-Alpes, notre voisin ; venez voir par vous-même, comme Pierre Messmer, ministre avant vous, qui était venu en une autre époque et s'était exclamé : « A Paris, on m'avait raconté des histoires ! Ce que je vois là est stupéfiant. »
Oui, le recours est là !
Le pôle d'excellence de la mécanique légère doit être désormais rapatrié à Saint-Etienne, d'où il fut arraché inconsidérément.
De la royauté à la République, les armes stéphanoises ont participé aux grands événements du pays. D'autres activités s'y sont jointes depuis - NBC optique - avec une réussite incontestable.
Toute une population y croit. Les organisations syndicales y croient. La sous-traitance, exceptionnelle, est prête. Ils sont là précisément, ces ingénieurs et ouvriers d'armement cités dans l'appel que nous avons entendu hier ensemble !
Une armée de métier pour la France, oui, mais que ses armes individuelles soient forgées de ses mains !
Monsieur le ministre, je ne veux pas douter de votre réponse. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons bien compris que, comme chez nos voisins européens, l'heure était à la réflexion sur une grande réforme de notre défense, qui est appelée à se professionnaliser, car la typologie des risques de conflit de demain ne sera plus celle d'hier.
L'équipement de nos forces armées doit être modernisé. Le renseignement comme les communications devront être à la hauteur de notre ambition de garantir notre souveraineté et la paix dans notre pays. Cette programmation militaire pour les années 1997 à 2002 donne une nouvelle dimension à notre défense. Elle renforce notre sécurité intérieure. Elle doit aussi s'inscrire dans notre volonté de convergence avec les forces armées de nos partenaires européens.
C'est à ce prix que cette vision européenne nous permettra une représentation reconnue et influente au sein d'instances internationales comme l'OTAN.
Tout ce mouvement national, européen et international entraîne de grands bouleversements dans les mentalités, dans la vie des hommes qui concourent à notre défense, qu'ils soient militaires - professionnels et appelés - ou qu'ils travaillent dans l'industrie.
Des mesures d'accompagnement social doivent être mises en place, car ces changements entraîneront des répercussions sur l'emploi du fait même du redéploiement des unités et des effectifs, de la restructuration et de la mutation de notre industrie d'armement. Sur ce point, monsieur le ministre, nous vous faisons totalement confiance.
Nous devons, comme toujours lorsqu'il y a changement, gagner la confiance et l'adhésion de nos concitoyens. En effet, chacun de nous, individuellement, quelle que soit sa place dans la société, est le garant de la paix et de la sécurité. Cela s'appelle, monsieur le ministre, mes chers collègues, la citoyenneté.
Le service national, à cet égard, constitue précisément une étape privilégiée dans la formation du « citoyen responsable ». C'est ce que la nation attend de chacun d'entre nous.
Son évolution est inéluctable, en raison même de la professionnalisation de notre armée, mais cette réforme du service national, auquel sont attachés tous les Français, ne doit pas être un rendez-vous manqué.
Vous avez annoncé, monsieur le ministre, ainsi que M. le Président de la République, une large concertation, qui a été menée au plus près des Français. C'est ainsi que, à votre demande des réunions ont été organisées par les maires. Dans ma commune de 3 000 habitants, plus de cent vingt personnes de tous âges se sont exprimées sur ce que devrait être ce nouveau service national.
Il ressort de cette consultation que les Français restent très attachés à ce rendez-vous avec la nation, pour des raisons variées allant du devoir civique au sentiment de solidarité.
Civil ou militaire, ou militaire et civil à la fois, ce service national doit être suffisamment long pour que chacun prenne conscience de son rôle dans l'entité que représente la nation, de ce que la défense signifie concrètement. Mais il doit aussi être suffisamment souple pour ne pas perturber une entrée dans la vie d'adulte qui devient si complexe de nos jours.
Ce sentiment d'appartenance à un groupe est indispensable à l'unité et à la cohésion nationales. Il doit s'inscrire dans un élan de solidarité entre les générations et entre les différentes couches sociales.
Je reviendrai sur ce sujet, monsieur le ministre, lors du débat sur le service national dans le cadre du projet de loi que vous soumettrez au Parlement à l'automne.
Monsieur le ministre, dans cette brève intervention, je voudrais formuler deux observations.
Tout d'abord, les maires que nous sommes, pour la plupart d'entre nous, sont allés à la rencontre de nos concitoyens. Cette rencontre s'est faite avec l'impression que la décision était déjà prise.
Je crois qu'à l'avenir il nous faut éviter de donner dans la précipitation afin que ce genre de problème ne se reproduise plus. Il en va de la crédibilité de ces rencontres et de ces consultations avec nos concitoyens qui ont manifestement l'avantage d'être plus simples à mettre en oeuvre que le référendum.
Ma seconde observation concerne le projet de loi sur le service national. Là encore, il s'agit non plus d'une impression mais d'une réalité...
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh voilà !
M. Pierre Hérisson. ... même si je reconnais la légitimité du Président de la République dans les décisions concernant la défense nationale.
Comme je vous le disais voilà un instant, la défense de notre pays est et doit rester l'affaire de tous. Elle ne peut se concevoir sans une adhésion massive, au-delà des problèmes budgétaires.
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh oui !
M. Pierre Hérisson. Monsieur le ministre, il eût été plus raisonnable de mettre au conditionnel les termes du projet de programmation militaire pour la partie concernant la transformation du service national.
Mais, au lendemain des anniversaires du 18 juin, qu'a rappelés tout à l'heure notre collègue M. Neuwirth, qu'il s'agisse d'ailleurs de 1815 ou de 1940, dates qui ont marqué l'histoire de notre pays, c'est avec la fidélité du grognard de l'Empire que je voterai ce projet de loi de programmation militaire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les socialistes sont attachés au principe de la conscription comme à l'un des éléments essentiels de l'identité républicaine de la France et de l'efficacité de sa défense nationale. Ils condamnent donc le passage à l'armée de métier prévu par le projet de loi de programmation militaire.
Dans le contexte actuel, ni ce prétendu « rendez-vous citoyen », pitoyable mascarade, ni l'appel au volontariat ne peuvent faire illusion. La conscription est abolie. C'est un fait majeur. Tout un monde civique s'achève.
Oh ! certes, j'en fais l'aveu, nous n'avons pas su rénover autant qu'il le fallait le contenu de cette conscription lorsque nous en avions le pouvoir.
Certes, la réduction du temps de service que nous avions décidée n'a pas été aussi audacieuse que nous l'avions prévue et même promise.
De ce fait, vous avez pu plus facilement miser sur la réticence de la jeunesse face à ce qu'elle sait de ce système pour masquer toute la signification politique de votre réforme, ses implications géopolitiques et le modèle de société qu'elle implique.
Le débat a été habilement concentré sur la seule question du service national obligatoire. Après qu'on eut déclaré qu'elle ne servait plus à rien, l'obligation du service militaire a été mise en débat. Quel beau tour de passe-passe ! Au demeurant, la bonne question aurait été : « Etes-vous pour l'armée de métier ? » Je gage qu'il y aurait eu alors bien moins d'expectative.
Quoi qu'il en soit, je note que, dans les réunions auxquelles j'ai participé sur l'invitation des maires, la jeunesse ne tombait pas dans le panneau du lâche soulagement auquel l'invitait le chef de l'Etat. Du reste, je veux relever que la totalité des organisations de jeunesse dans la mouvance idéologique de la gauche, qui ont pourtant une longue tradition critique à l'égard de l'armée, se sont prononcées contre l'abandon de la conscription.
A nos yeux, cet abandon est la conséquence, et non la cause, du reformatage de notre système de défense. Mais si j'interviens à son sujet, c'est parce qu'il nous paraît essentiel de rappeler sa valeur opérationnelle à la fois du point de vue pratique et du point de vue des principes politiques qui sont en cause. J'ai bien dit « sa valeur opérationnelle », trop souvent balayée d'un revers de main sur la base des mauvais souvenirs du temps perdu à effectuer des corvées folkloriques.
Je récuse le terme de « professionnalisation » qui est utilisé pour caractériser la nature de la réforme engagée. Nos armées n'ont jamais cessé d'être professionnelles, et cela du fait même de la conscription.
Leur haut niveau de technicité est bien plutôt acquis à cette heure encore par la coopération des engagés et des appelés, chacun apportant au système de défense des compétences bel et bien professionnelles.
J'affirme que l'armée de métier que vous n'osez jamais nommer par son nom, sous le prétexte du « rendez-vous citoyen » et sans doute du volontariat, aura une capacité professionnelle moins grande que celle dont nous disposons aujourd'hui. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Comment pourrait-il en être autrement quand on prévoit de se priver des compétences des appelés informaticiens, médecins, ingénieurs, électriciens, mécaniciens, bref, de tout le savoir-faire que procure l'appareil de formation de notre pays ? Et pour les remplacer par qui ? Par des soldats de carrière payés au SMIC ? Qui ne devine aussitôt que ces engagés-là seront, pour l'essentiel, le bataillon des laissés-pour-compte du chômage signant à cette occasion un contrat pour porter les armes, faute de mieux ? A cet égard, les exemples anglais et américains sont tout à fait probants.
Ajoutons que, dans ces conditions, nous paierons six à sept fois plus cher pour une armée qui comptera 150 000 combattants de moins. Après avoir perdu en professionnalisme et en nombre, nous perdrons encore en capacité d'équipement et, de ce fait, en niveau technologique.
En effet, le budget de fonctionnement allant croissant alors que l'enveloppe globale restera constante - les engagements les plus solennels courent à ce sujet - c'est sur l'investissement que porteront les restrictions.
Dès lors, quel démenti est déjà apporté au discours selon lequel l'exigence technologique imposerait une armée de métier ! Au reste, pour moi, la ligne « techno », c'est la ligne Maginot.
M. Guy Penne. Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon. L'histoire récente le confirme. Les deux super-puissances technologiques d'avant 1989, les Etats-unis d'Amérique et l'Union soviétique, ont toutes les deux été vaincues, la première au Vietnam, la seconde en Afghanistan, par des adversaires infiniment moins bien pourvus techniquement. Mais ces adversaires avaient pour eux un atout principal, à savoir l'adhésion de la population aux objectifs de défense et sa participation active.
Cette adhésion et cette participation sont, chez nous, démocratie républicaine, vécues par la conscription. Celle-ci demeure une ardente exigence pour une défense réellement sûre et efficace de notre territoire. On vous la confiez tout entière cette défense à la dissuasion et, pour le reste, à la gendarmerie.
Plusieurs raisons nous conduisent à dire que ce dispositif est bien « poreux » et insuffisant. D'abord, il est impossible d'affirmer qu'à toute forme d'agression de notre territoire répond la dissuasion nucléaire. Evoquons seulement, en cet instant, l'hypothèse d'une offensive terroriste d'envergure dans notre pays. Ici, le ressort fondamental de la capacité de défense repose sur la préparation matérielle et psychologique des populations concernées, notamment autour des sites nucléaires et industriels sensibles du pays, qui sont des centres névralgiques de notre territoire. La gendarmerie et les pompiers, ne vous en déplaise, ne peuvent y suffire. Les effectifs suffisants, les compétences professionnelles nécessaires ne seront alors disponibles que par la conscription. Ajoutons que celle-ci fournirait, dans ces circonstances extrêmes, un élément de solidarité et de discipline nationale irremplaçable.
Nous en avons déjà eu un aperçu à l'occasion de la première phase du plan Vigipirate. Je dis hier « la première phase » pour ne pas donner l'impression, dans mon discours, que j'approuve ce que plan est devenu en termes de police.
Ensuite, telle qu'elle est, la dissuation n'est pas - et nous le savons tous, hélas ! trop bien - à jamais incontournable si l'on veut bien oublier un instant que le dispositif de la dissuasion n'entre en action qu'à titre posthume.
L'efficacité de nos sous-marins nucléaires n'est ce qu'elle est qu'aussi longtemps que les progrès de l'acoustique sous-marine en sont là où ils en sont. De son côté, la composante aérienne ne peut en aucun cas prétendre être incontournable.
Dans ces conditions extrêmes - mais, en matière de défense du territoire parle-t-on, hélas ! d'autre chose que de conditions extrêmes ? N'oublions jamais que l'ultime argument dissuasif et pratique c'est le peuple lui-même et, d'abord, la fraction de ses enfants directement partie prenante du dispositif de défense.
Cet esprit de défense ne se construit pas par l'habitude de confier à d'autres, payés à ce titre comme des prestataires de service, la prise en charge des menaces. Cet esprit de défense, entretenu et éduqué par la conscription, est le socle essentiel de l'indépendance nationale. Il n'est envisageable que si l'on sait ce que l'on défend et pourquoi on le défend. C'est ici l'essentiel. L'obsession pour les forces de projection semble l'avoir fait oublier. Ce n'est pas négliger notre rôle international que de le dire.
Mais la première des missions de nos armées est défensive. Elle s'applique au territoire auquel nous sommes liés par une communauté légale de droits et de devoirs qui fait de nous des citoyens. C'est aujourd'hui le territoire de la France, demain, je le souhaite, celui de l'Union européenne. Mais la décision, dans ces domaines, ne se partagera jamais tant qu'il n'y aura pas des institutions politiques voulues, contrôlées et organisées par les citoyens eux-mêmes.
C'est du territoire de la France dont nous parlons pour le moment. Mais on vérifie à ce propos que la citoyenneté effective, la défense indépendante, nationale ou européenne, sont indissolublement liées. C'est bien pourquoi nous dénonçons un lien de cause à effet très étroit entre l'abandon de la conscription et la réintégration de la France dans l'OTAN qui, quoi que vous en disiez, monsieur le ministre, nous soumet au droit de veto des Etats-Unis pour toute intervention, même de faible ou de moyenne intensité, y compris sur le sol de l'Europe.
C'est déjà commencer à rassembler beaucoup aux Américains et à leur modèle de société que de décider que le peuple est inutile aux armées.
Après la suppression du droit du sol, le démantèlement du service public et de la sécurité sociale, avec le projet de réforme pour un Etat minimum et à présent l'abolition de la conscription, c'est un pan supplémentaire de la nation républicaine qui est dissous dans le bain de la mondialisation libérale que dominent les Etats-Unis d'Amérique.
Voilà une situation si incongrue, mes chers collègues, si contraire à tout ce que nous sommes qu'en abolissant la conscription - permettez-moi cette petite note d'humour un peu grinçant - vous aurez même réussi à faire du refrain de notre hymne national, « Aux armes citoyens », un appel à l'émeute. (Murmures sur les travées du RPR.)
Mes chers collègues, hier et aujourd'hui, engagés et appelés s'exposaient et parfois mouraient pour la paix, pour la France, pour ses engagements internationaux, pour l'ONU, mais toujours pour le peuple français, en son nom et en celui de sa République leurs présents à tout instant dans leurs rangs.
Demain, on s'exposera et on mourra parce qu'on aura signé et qu'on est payé pour ça, et que les Etats-Unis l'auront permis. Quel pitoyable déclin ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste, républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

8

DÉPÔT DE PROJETS DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant la ratification de l'accord du 18 mars 1993 modifiant l'accord du 3 août 1959 modifié par les accords du 21 octobre 1971 et du 18 mai 1981 complétant la convention entre les Etats parties au traité de l'Atlantique Nord sur le statut de leurs forces, en ce qui concerne les forces stationnées en République fédérale d'Allemagne.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 452, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserves, de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relative au service militaire des double-nationaux (ensemble une annexe).
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 453, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

9

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
DE LOI ORGANIQUE

M. le président. J'ai reçu de Mme Hélène Luc, M. Robert Pagès, Mmes Nicole Borvo, Marie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. Claude Billard, Mme Michelle Demessine, M. Guy Fischer, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Félix Leyzour, Paul Loridant, Louis Minetti, Jack Ralite et Ivan Renar une proposition de loi organique tendant à modifier le nombre de sénateurs élus dans les départements.
La proposition de loi organique sera imprimée sous le numéro 448, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

10

DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI

M. le président. J'ai reçu de Mme Hélène Luc, M. Robert Pagès, Mmes Nicole Borvo, Marie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. Claude Billard, Mme Michelle Demessine, M. Guy Fischer, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Félix Leyzour, Paul Loridant, Louis Minetti, Jack Ralite et Ivan Renar une proposition de loi relative à l'exercice des mandats locaux et aux moyens financiers des collectivités locales.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 449, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de Mmes Hélène Luc, Marie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. Claude Billard, Mmes Nicole Borvo, Michelle Demessine, M. Guy Fischer, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Félix Leyzour, Louis Minetti, Robert Pagès, Jack Ralite et Ivan Renar une proposition de loi assurant la parité des femmes et des hommes dans la vie publique.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 450, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Serge Mathieu une proposition de loi relative au certificat d'hébergement.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 451, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Franck Sérusclat, Mme Monique ben Guiga, MM. Robert Badinter, Bertrand Delanoë, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Bernard Dussaut, Pierre Mauroy, Guy Penne, Michel Rocard, Henri Weber et les membres du groupe socialiste une proposition de loi tendant à étendre l'ouverture du droit au transfert du bail en cas de décès ou d'abandon du domicile du titulaire.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 454, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

11

RETRAIT DE PROPOSITIONS DE LOI

M. le président. J'ai reçu une lettre par laquelle Mme Hélène Luc déclare retirer :
- la proposition de loi tendant à assurer une participation à parité des femmes et des hommes à la vie publique (n° 216, 1994-1995) qu'elle avait déposée avec plusieurs de ses collègues au cours de la séance du 18 janvier 1995 ;
- la proposition de loi organique tendant à modifier le nombre de sénateurs élus dans les départements et à abaisser l'âge d'éligibilité des sénateurs (n° 313, 1994-1995) qu'elle avait déposée avec plusieurs de ses collègues au cours de la séance du 18 juin 1995 ;
- la proposition de loi relative à l'exercice des mandats locaux et aux moyens financiers des collectivités locales (n° 364, 1994-1995) qu'elle avait déposée avec plusieurs de ses collègues au cours de la séance du 6 juillet 1995.
Acte est donné de ces retraits.

12

DÉPÔT D'UNE RÉSOLUTION

M. le président. J'ai reçu, en application de l'article 73 bis, alinéa 8, du règlement, une résolution, adoptée par la commission des affaires économiques et du Plan, sur la communication de la commission sur le développement des chemins de fer communautaires. - Application de la directive 91/440/CEE. - Nouvelles mesures pour le développement des chemins de fer et sur la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 91/440/CEE relative au développement des chemins de fer communautaires (n° E-510).
Cette résolution sera imprimée sous le numéro 446 et distribuée.

13

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de directive du Conseil fixant les principes relatifs à l'organisation des contrôles vétérinaires pour les produits en provenance des pays tiers introduits dans la Communauté. Proposition de directive du Conseil modifiant les directives 71/118/CEE, 72/462/CEE, 85/73/CEE, 91/67/CEE, 91/492/CEE, 91/493/CEE, 92/45/CEE et 92/118/CEE en ce qui concerne l'organisation des contrôles vétérinaires pour les produits en provenance des pays tiers introduits dans la Communauté.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-650 et distribuée.

14

DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de M. Philippe François un rapport fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur la proposition de résolution (n° 275, 1995-1996) présentée en application de l'article 73 bis du règlement par M. Philippe François sur la proposition de décision du Conseil concernant un programme d'action communautaire pour la promotion des organisations non gouvernementales ayant pour but principal la défense de l'environnement (n° E-569).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 442 et distribué.
J'ai reçu de M. Henri Revol un rapport fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur la proposition de résolution (n° 194, 1995-1996) présentée en application de l'article 73 bis du règlement par M. Jacques Oudin sur la proposition de décision du Conseil concernant un programme pluriannuel en vue de la promotion de l'efficacité énergétique dans l'Union européenne - SAVE II (n° E-511).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 443 et distribué.
J'ai reçu de M. Bertrand Delanoë un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République tunisienne, d'autre part, (n° 426, 1995-1996).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 444 et distribué.
J'ai reçu de M. Bernard Joly un rapport supplémentaire fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur la proposition de résolution (n° 332, 1995-1996) présentée en application de l'article 73 bis du règlement par M. Nicolas About sur la communication de la commission sur le développement des chemins de fer communautaires. - Application de la directive 91/440/CEE -. Nouvelles mesures pour le développement des chemins de fer et sur la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 91/440/CEE relative au développement des chemins de fer communautaires (n° E-510).
Le rapport supplémentaire sera imprimé sous le numéro 445 et distribué.
J'ai reçu de M. Alain Lambert un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la proposition de résolution (n° 436, 1995-1996) présentée en application de l'article 73 bis du règlement par M. Alain Lambert sur une recommandation de la Commission en vue d'une recommandation du Conseil visant à ce que soit mis un terme à la situation de déficit public excessif en France. Application de l'article 104 C, paragraphe 7, du traité instituant la Communauté européenne (n° E-648).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 447 et distribué.
J'ai reçu de M. Jean-Jacques Robert, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la loyauté et l'équilibre des relations commerciales.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 455 et distribué.

15

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 20 juin 1996 :
A neuf heures trente :
1. - Examen des demandes d'autorisation de missions d'information suivantes :
1° Demande présentée par la commission des affaires culturelles tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information sur la francophonie et l'enseignement du français en République socialiste du Viêt Nam ;
2° Demande présentée par la commission des affaires sociales tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information sur les conditions de renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité des produits thérapeutiques ;
3° Demande présentée par la commission des lois tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information au Liban afin d'étudier les problèmes d'ordre constitutionnel et juridique posés par l'évolution institutionnelle de ce pays.
2. - Suite de la discussion du projet de loi (n° 415, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002.
Rapport (n° 427, 1995-1996) de M. Xavier de Villepin, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Avis (n° 430, 1995-1996) de MM. Maurice Blin et François Trucy, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Aucun amendement n'est plus recevable.
A quinze heures et, éventuellement, le soir :
3. - Questions d'actualité au Gouvernement.
4. - Eventuellement, suite de l'ordre du jour du matin.
5. - Discussion en deuxième lecture du projet de loi organique (n° 433, 1995-1196), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, relatif aux lois de financement de la sécurité sociale.
Rapport (n° 438, 1995-1996) de M. Patrice Gélard, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Aucun amendement n'est plus recevable.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble.

Délai limite général pour le dépôt des amendements

Le délai limite pour le dépôt des amendements à tous les projets de loi et propositions de loi ou de résolution prévus jusqu'à la fin de la session ordinaire, à l'exception des textes de commissions mixtes paritaires et de ceux pour lesquels est déterminé un délai limite spécifique, est fixé, dans chaque cas, à dix-sept heures, la veille du jour où commence la discussion.

Délai limite pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

1° Proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative à l'adoption (n° 396, 1995-1996).
Le délai limite pour le dépôt des amendements est fixé au lundi 24 juin 1996, à onze heures.
2° Débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur la SNCF.
Le délai limite pour les inscriptions de parole dans ce débat est fixé au lundi 24 juin 1996, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à minuit.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





NOMINATION DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

411 (1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'information et à la consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire, ainsi qu'au développement de la négociation collective.

COMMISSION DES FINANCES

436 (1995-1996), présentée en application de l'article 73 bis du règlement, sur une recommandation de la Commission en vue d'une recommandation du Conseil visant à ce que soit mis un terme à la situation de déficit public excessif en France. Application de l'article 104 C, paragraphe 7, du traité instituant la Communauté européenne.

DÉLAI LIMITE POUR LE DÉPÔT DES AMENDEMENTS
À DES PROPOSITIONS DE RÉSOLUTION


En application de l'article 73 bis, alinéa 7, du règlement, la commission des affaires économiques et du Plan a fixé au mardi 25 juin 1996, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à la proposition de résolution qu'elle a adoptée sur la proposition de décision du Conseil concernant un programme pluriannuel en vue de la promotion de l'efficacité énergétique dans l'Union europénne. - SAVE II (n° E 511).
Le rapport n° 443 (1995-1996) de M. Henri Revol sera mis en distribution le jeudi 20 juin 1996.
Les amendements devront être déposés directement au secrétariat de la commission des affaires économiques et du Plan et seront examinés par la commission lors de sa réunion du mercredi 26 juin 1996, à neuf heures.
En application de l'article 73 bis, alinéa 7, du règlement, la commission des affaires économiques et du Plan a fixé au mardi 25 juin 1996, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à la proposition de résolution qu'elle a adoptée sur la proposition de décision du Conseil concernant un programme d'action communautaire pour la promotion des organisations non gouvernementales ayant pour but principal la défense de l'environnement (n° E 569).
Le rapport n° 442 (1995-1996) de M. Philippe François sera mis en distribution le jeudi 20 juin 1996.
Les amendements devront être déposés directement au secrétariat de la commission des affaires économiques et du Plan et seront examinés par la commission lors de sa réunion du mercredi 26 juin 1996, à neuf heures.
En application de l'article 73 bis, alinéa 7, du règlement, la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation a fixé au lundi 24 juin 1996, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à la proposition de résolution qu'elle a adoptée sur une recommandation de la Commission en vue d'une recommandation du Conseil visant à ce qu'il soit mis un terme à la situation de déficit public excessif en France. Application de l'article 104 C, paragraphe 7, du traité instituant la Communauté européenne (n° E 648).
Le rapport n° 447 (1995-1996) de M. Alain Lambert sera mis en distribution le vendredi 21 juin 1996.
Les amendements devront être déposés directement au secrétariat de la commission des finances et seront examinés par la Commission lors de sa réunion du mardi 25 juin 1996, à dix-huit heures trente.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON

ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance du mercredi 19 juin 1996


SCRUTIN (n° 113)



sur l'amendement n° A-1, présenté par le Gouvernement, à l'article 5 du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat (seconde délibération) (abaissement du seuil de surface soumis à autorisation).

Nombre de votants : 315
Nombre de suffrages exprimés : 295
Pour : 222
Contre : 73

Le Sénat a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (15) :
Abstentions : 15.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (24) :

Pour : 19.
Abstentions : 5. _ MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André Boyer, Yvon Collin et Mme Joëlle Dusseau.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (93) :

Pour : 93.

GROUPE SOCIALISTE (74) :

Contre : 73.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Claude Pradille.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (59) :

Pour : 57.
N'ont pas pris part au vote : 2. _ MM. René Monory, président du Sénat, et Jean Faure, qui présidait la séance.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (44) :

Pour : 44.

SÉNATEURS NE FIGURANT SUR LA LISTE D'AUCUN GROUPE (10) :

Pour : 9.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Paul Vergès.

Ont voté pour


Nicolas About
Philippe Adnot
Michel Alloncle
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Alphonse Arzel
Denis Badré
Honoré Bailet
José Balarello
René Ballayer
Bernard Barbier
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Henri Belcour
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jacques Bimbenet
François Blaizot
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Yvon Bourges
Philippe de Bourgoing
Jean Boyer
Louis Boyer
Jacques Braconnier
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Guy Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Camoin
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Jean Cluzel
Henri Collard
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Pierre Croze
Charles de Cuttoli
Philippe Darniche
Marcel Daunay
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Charles Descours
Georges Dessaigne
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
André Egu
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean-Pierre Fourcade
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yann Gaillard
Philippe de Gaulle
Patrice Gelard
Jacques Genton
Alain Gérard
François Gerbaud
François Giacobbi
Charles Ginésy
Jean-Marie Girault
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Jean Grandon
Francis Grignon
Georges Gruillot
Yves Guéna
Jacques Habert
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Bernard Hugo
Jean-Paul Hugot
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Lacour
Pierre Laffitte
Jean-Pierre Lafond
Pierre Lagourgue
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Edouard Le Jeune
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Marcel Lesbros
François Lesein
Maurice Lombard
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Jean Madelain
Kléber Malécot
André Maman
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
François Mathieu
Serge Mathieu
Jacques de Menou
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Daniel Millaud
Louis Moinard
Georges Mouly
Philippe Nachbar
Lucien Neuwirth
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Sosefo Makapé Papilio
Charles Pasqua
Michel Pelchat
Jean Pépin
Alain Peyrefitte
Bernard Plasait
Régis Ploton
Alain Pluchet
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Christian Poncelet
Jean Pourchet
André Pourny
Jean Puech
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Philippe Richert
Roger Rigaudière
Guy Robert
Jean-Jacques Robert
Jacques Rocca Serra
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Maurice Schumann
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Jacques Sourdille
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk


Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Jean-Pierre Vial
Robert-Paul Vigouroux
Xavier de Villepin
Serge Vinçon

Ont voté contre


Guy Allouche
François Autain
Germain Authié
Robert Badinter
Monique ben Guiga
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Jacques Bialski
Pierre Biarnès
Marcel Bony
Jean-Louis Carrère
Robert Castaing
Francis Cavalier-Benezet
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
William Chervy
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Michel Dreyfus-Schmidt
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Aubert Garcia
Gérard Gaud
Roland Huguet
Philippe Labeyrie
Dominique Larifla
Guy Lèguevaques
Claude Lise
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
Michel Manet
Jean-Pierre Masseret
Marc Massion
Pierre Mauroy
Georges Mazars
Jean-Luc Mélenchon
Charles Metzinger
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean Peyrafitte
Jean-Claude Peyronnet
Louis Philibert
Danièle Pourtaud
Roger Quilliot
Paul Raoult
René Regnault
Alain Richard
Roger Rinchet
Michel Rocard
Gérard Roujas
René Rouquet
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent
Franck Sérusclat
René-Pierre Signé
Fernand Tardy
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber

Abstentions


François Abadie
Jean-Michel Baylet
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Danielle Bidard-Reydet
Claude Billard
Nicole Borvo
André Boyer
Yvon Collin
Michelle Demessine
Joëlle Dusseau
Guy Fischer
Jacqueline Fraysse-Cazalis
Félix Leyzour
Paul Loridant
Hélène Luc
Louis Minetti
Robert Pagès
Jack Ralite
Ivan Renar

N'ont pas pris part au vote


MM. Claude Pradille et Paul Vergès.

N'ont pas pris part au vote


MM. René Monory, président du Sénat, et Jean Faure, qui présidait la séance.

Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification, conformes à la liste de scrutin ci-dessus.