SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Commerce et artisanat. - Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p. 1 ).
Discussion générale : MM. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat ; Pierre Hérisson, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis de la commission des lois ; Bernard Dussaut, Georges Mouly, Joseph Ostermann, Bernard Plasait, Louis Moinard, Félix Leyzour, Marcel Bony, Henri Collard, Roger Rigaudière, Ambroise Dupont, André Egu, Marcel Vidal, Jean-Luc Mélenchon.
Renvoi de la suite de la discussion.

3. Transmission d'un projet de loi (p. 2 ).

4. Dépôt d'une proposition de loi (p. 3 ).

5. Dépôt d'une proposition de résolution (p. 4 ).

6. Dépôt de propositions d'acte communautaire (p. 5 ).

7. Ordre du jour (p. 6 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures).

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

COMMERCE ET ARTISANAT

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 381, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat. [Rapport (n° 421, 1995-1996) et avis de la commission des lois.]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi dont vous allez débattre n'est pas un texte de circonstance.
Il s'agit d'un texte de fond qui marque, conformément aux engagements du Président de la République et aux orientations tracées par le Premier ministre lors de la présentation du plan « PME pour la France », une véritable rupture avec les politiques conduites jusqu'à ce jour. Ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est la possibilité pour les artisans et les commerçants de France, qui trop longtemps ont été les parents pauvres des politiques publiques, de s'installer, de se développer, d'embaucher sans entraves, dans un environnement concurrentiel loyal et équilibré.
Le texte que le Gouvernement présente aujourd'hui est donc l'une des pierres essentielles d'un édifice législatif cohérent, qui, avec les mesures votées en loi de finances et le texte relatif au droit de la concurrence notamment, constitue la traduction législative du plan « PME » pour la France.
Permettez-moi de remercier le président de la commission des lois et le président de la commission des affaires économiques, M. Jean François-Poncet ainsi que les rapporteurs, MM. Pierre Hérisson et Jean-Jacques Hyest, qui ont accompli, malgré la brièveté des délais impartis, un travail d'exceptionnelle qualité : sur bien des points, le texte du Gouvernement a ainsi pu être complété et amélioré.
Quel est le diagnostic qui nous a conduits à ce texte ?
Nous sommes aujourd'hui dans une situation où notre pays a besoin des petites et moyennes entreprises et des artisans ; or, au fond, tout est fait pour entraver le développement de ces structures économiques essentielles à l'énergie nationale.
Nous sommes dans une situation où notre pays compte 800 000 artisans, dont 400 000 n'ont ni salariés ni compagnons ; or nous avons besoin d'eux pour la politique de l'emploi.
Nous sommes dans une situation où les petites et moyennes entreprises voient leurs rapports de force se dégrader par rapport à l'ensemble de leurs partenaires. C'est vrai du donneur d'ordre, qui délègue ses flux tendus ; c'est vrai du banquier, qui, souvent, multiplie la « ratiocratie » ; c'est vrai souvent de l'administration, qui multiplie la paperasse ; c'est vrai de l'ensemble des partenaires, autour du chef d'entreprise, autour de la PME et de ses salariés.
L'examen approfondi de l'évolution, depuis ces dernières années, du partenariat de l'entreprise révèle une situation qui s'est affaiblie : les deux plateaux de la balance ne sont plus en équilibres.
Avec le plan « PME pour la France », nous voulons rétablir l'équilibre et faire en sorte que les relations avec le donneur d'ordre, avec le banquier, avec l'administration, avec le distributeur, bref avec l'ensemble des partenaires soient rééquilibrées.
Notre philosophie aujourd'hui est donc la recherche d'un équilibre. Cela nous paraît d'autant plus nécessaire que les petites et moyennes entreprises représentent, on le sait, l'énergie vitale de notre économie. Aujourd'hui, l'analyse nous conduit à observer que ce ne sont pas les grandes entreprises qui créent des emplois, et que toute dynamique et de l'économie et de l'emploi passe, certes, par les entreprises mais également par le développement des petites et moyennes entreprises du commerce et de l'artisanat.
Au fond, monsieur François-Poncet, le débat sur les PME et le débat sur l'aménagement du territoire sont des débats très voisins car, quand les PME et les artisans vivent sur le terrain, les territoires respirent et quand les entreprises sont asphyxiées les territoires sont paralysés.
Ce débat est donc essentiel pour l'ensemble de notre pays, pour rééquilibrer les forces économiques et faire en sorte que tous nos territoires respirent.
Tels sont les constats qui nous ont conduits à présenter le plan « PME pour la France », en indiquant bien notre ambition nationale en cette matière. C'est ainsi que M. le Premier ministre a développé à Bordeaux, le 27 novembre dernier, une série de trente-quatre mesures engageant le Gouvernement dans cette politique pour les petites et moyennes entreprises et les artisans au service de notre pays.
Aujourd'hui, je suis en mesure de dire que près de 80 p. 100 de ces mesures sont concrétisées dans différents dispositifs, notamment dans l'arsenal législatif élaboré. Je pense à la loi sur l'apprentissage, je pense au projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, je pense à la loi relative au droit de la concurrence et au texte qui vous est présenté aujourd'hui, relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat.
Avec la prochaine loi de finances, au terme d'un an d'application du plan « PME pour la France », nous aurons réussi à mettre en place l'ensemble du dispositif tel qu'il avait été prévu.
Le texte qui vous est présenté est un texte de réforme très important qui vise à rééquilibrer les forces économiques dans deux domaines principaux : l'urbanisme commercial et le développement de l'artisanat.
S'agissant de l'urbanisme commercial, la tâche est importante d'autant que ce domaine est régi par un dispositif législatif qui date quelque peu, puisqu'il remonte à la célèbre grande loi Royer de 1973, qui atteint aujourd'hui ses vingt-trois années d'application. Il s'agit donc, sur ce point, d'un texte très important.
Je voudrais brièvement vous rappeler la démarche du Gouvernement.
Nous avons voulu maîtriser l'urbanisme commercial, ce qui était nécessaire tant un certain nombre d'abus avaient été constatés. Il ne s'agit pas là de mettre en cause un secteur économique ni de désigner des boucs émissaires mais simplement de signaler des abus. L'ensemble du dispositif proposé vise à corriger ces derniers.
Depuis que le Gouvernement est engagé dans cette action, je reçois un courrier très important émanant de petites et moyennes entreprises et faisant état de dysfonctionnements, de conditions d'exercice de la profession particulièrement difficiles.
Donc, il nous faut maîtriser l'urbanisme commercial. Nous sommes à saturation dans ce pays, où l'on dénombre 1,5 hypermarché pour 100 000 habitants, c'est-à-dire un taux largement supérieur à celui d'autres pays européens tels que l'Allemagne, la Belgique, l'Italie notamment.
Il nous faut maîtriser l'urbanisme commercial parce que nous avons constaté que son développement excessif aboutissait à déstructurer le tissu urbain de notre pays. Nous voyons aujourd'hui les centres-villes s'atrophier, des périphéries se développer dans le désordre ; notre urbanisme est complètement déséquilibré et nos villes perdent leur caractère convivial, leur cohésion économique, sociale et humaine, à cause d'un urbanisme commercial souvent débridé.
Nous voulons en sorte que l'urbanisme commercial se développe harmonieusement.
Il ne s'agit pas d'empêcher tout développement - la loi qui vous est proposée est une loi de « respiration » - mais de maîtriser un dispositif qui, aujourd'hui, je regrette de devoir le dire, n'est pas satisfaisant. Le système actuel, avec ses différentes commissions telles qu'elle sont organisées, produit, chaque année, un million de mètres carrés supplémentaires d'urbanisme commercial de grande dimension - 800 000 mètres carrés pour cette dernière année, avec des efforts de maîtrise. Tout cela aboutit à un certain nombre de destructurations, notamment, d'emplois.
Dans le domaine du commerce, les emplois non salariés sont toujours oubliés dans les statistiques. Vous, les membres de la Haute Assemblée, avez participé à un travail législatif de première importance pour doter d'un statut social les conjoints collaborateurs et les partenaires de l'entreprise artisanale a qui le méritent, mais qui ne figurent pas dans les statistiques de l'INSEE en tant qu'acteurs économiques. Quand une boulangerie ferme, on compte un boulanger en moins, en oubliant la boulangère et tous ceux qui vivent avec l'exploitant commercial.
Or on assiste, je le répète, à de véritables destructurations d'emplois.
Nous avons choisi, pour lutter contre ces déséquilibres, une démarche en trois étapes.
Afin de permettre au Parlement de débattre et d'élaborer un projet de loi dans des conditions sereines, nous vous avons tout d'abord proposé, à l'occasion du DDOEF, un gel des créations de grandes surfaces de plus de trois cents mètres carrés, et ce pour six mois tous les dossiers des création de nouvelles grandes surfaces ont été gelés depuis le 13 avril dernier, date d'entrée en application du texte, jusqu'au 13 octobre prochain.
Telle est la première étape que nous avons décidée, non pas parce que, pour nous, un gel constituerait une politique, bien au contraire, mais, d'abord, pour montrer la détermination du Gouvernement en la matière et, ensuite, pour permettre aujourd'hui un débat ouvert et détendu, sans que, sur le terrain, des acteurs économiques se précipitent pour multiplier les projets d'ouverture ou pour agir aux niveaux des seuils.
Après le gel des créations, nous proposons une deuxième étape, qui est la rénovation de la loi Royer, notre objectif - ce sera la troisième étape - dont nous avons parlé ensemble à l'occasion du projet portant DDOEF, étant une sortie véritable de la loi Royer, que nous voulons réaliser à l'horizon 1997-1998 avec la mise en place des schémas territoriaux d'urbanisme commercial.
Nous souhaitons aller sur la voie de la décentralisation en matière d'urbanisme commercial et bâtir des schémas locaux d'urbanisme commercial fixant les règles du jeu - naturellement dans un contexte législatif, j'y reviendrai - de manière à avoir, ville par ville, département par département, une logique d'urbanisme commercial qui permette de tenir compte du niveau d'équipement de chacun des territoires. Telle est la perspective qui vous est proposée.
J'en reviens à la rénovation préalable de la loi Royer, qui est l'un des éléments essentiels du texte qui vous est soumis.
Nous estimons que l'organisation actuelle de notre urbanisme commercial permet un développement accéléré des grandes surfaces, dont nous voulons réduire, sans aller jusqu'à l'asphyxier, le niveau d'implantation annuel.
Comment comptons-nous y parvenir ?
Nous proposons d'abord de créer un nouveau seuil, celui des 300 mètres carrés.
Cela signifie qu'à partir d'une telle surface tout projet sera non pas interdit, mais soumis à une instruction publique. A partir de ce seuil, nous souhaitons entrer dans une logique de dossier, de débat et de transparence ; afin d'en finir avec les permis de construire accordés pour un projet de supermaché de 999 mètres carrés, située à la périphérie d'une ville dont on apprend la création en lisant le journal le matin, tout cela dans une perspective de taxe professionnelle ou autre.
Il est important qu'il y ait transparence du dossier dès qu'un projet atteint 300 mètres carrés.
Pourquoi 300 mètres carrés alors que les professionnels avaient retenu une surface de 400 mètres carrés ? Parce qu'un phénomène important se développe dans notre pays, celui du maxidiscompte,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh oui !
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. ... en anglais, le hard discount , forme de commerce qui nous vient de nos partenaires européens, dont la logique n'est ni celle de la qualité ni celle de l'emploi, qui déstructure profondément l'organisation commerciale et qui détruit beaucoup d'emplois. En effet, quand on dévalue le travail des gens, on détruit bien des emplois, et c'est bien de la dévaluation du travail que de vendre à des prix dits prédateurs.
Telle est ma conviction personnelle après avoir visité cinquante-cinq départements, après avoir observé le développement du hard discount , avoir vu les conditions d'achat, les conditions commerciales, et assisté à des destructions d'emplois par dévalorisation du travail.
Nous avons donc souhaité contrôler ce processus des maxidiscomptes, en les limitant à 300 mètres carrés, puisque la majorité de ceux qui se sont installés dans notre pays, notamment ceux qui nous viennent de nos amis allemands, occupent entre 300 et 500 mètres carrés, soit la surface à partir de laquelle nous souhaitons pouvoir fixer les règles de la transparence.
La deuxième idée importante de cette réforme a trait à la commission départementale d'équipement commercial.
Aujourd'hui, avec une commission composée de quatre élus et de trois socioprofessionnels, le système génère, je vous l'ait dit, un million de mètres carrés par an, inflation des surfaces qui est très préoccupante. La composition de cette commission est en fait déséquilibrée. C'est pourquoi nous souhaitons la rééquilibrer en organisant les élus et les socioprofessionnels en deux collèges pouvant délibérer ensemble et rechercher un consensus territorial. Nous sommes évidemment ouverts à la présentation de nouveaux projets, mais nous souhaitons que ceux-ci fassent l'objet d'un consensus et que s'instaure un dialogue réel entre les élus et les professionnels.
Il faudrait, pour obtenir une décision positive, pouvoir recueillir l'accord des deux collèges, l'un pouvant s'être prononcé majoritairement, l'autre minoritairement, l'ensemble formant une majorité qualifiée. Cela nous paraît très important. Jusqu'à maintenant, on assistait très souvent à des débats entre élus, les uns étant favorables au projet, les autres moins, ces derniers pouvant souvent s'opposer au projet proposé, non parce qu'ils y étaient défavorables, mais en raison d'un autre projet en discussion pour l'avenir, ou de la concurrence qui pourrait en résulter pour telle entreprise de telle autre ville...
En rapprochant la décision du projet, en faisant en sorte que les trois élus soient directement concernés, on leur donne, je crois, plus de poids et on dégage ce faisant une dynamique avec les trois socioprofessionnels que sont le représentant des chambres de commerce et d'industrie, le représentant des chambres de métiers et le représentant des consommateurs.
Au sein de votre commission, un débat s'est instauré à plusieurs reprises à propos des chambres d'agriculture. La proposition visant les chambres d'agriculture n'a pas été retenue car les agriculteurs, avec les produits régionaux, avec les coopératives, avec l'ensemble de leurs outils économiques, sont par essence très liés à la grande distribution. Or, nous voulons les protéger des relations qui en feraient à la fois des juges et des partenaires, ce qui ne nous paraît pas particulièrement sain dans ce dispositif.
Nous avons préféré que la commission soit composée de six membres, dont trois élus et trois socioprofessionnels, et qu'une majorité qualifiée de quatre voix soit nécessaire pour emporter la décision.
L'autre innovation qui vous est proposée dans ce texte (en plus du nouveau seuil et de la nouvelle commission) est le programme national présenté par le Gouvernement aux différents commissaires.
Depuis 1973, la loi Royer crée des obligations pour les commissaires, mais ne prévoit pas que ces derniers aient connaissance de la position du Gouvernement.
Ce sujet est d'autant plus important que les conditions du commerce évoluent beaucoup et que la situation commerciale en 1996 n'est plus celle de 1973 !
Nous souhaitons donc que, par décision du conseil des ministres, le Gouvernement puisse faire connaître les orientations du Gouvernement aux commissaires. Ce point me paraît très important. Selon votre commission, les préfets devraient informer plus que donner un avis. Je l'ai noté. Je suis d'accord avec ces améliorations, qui me paraissent correspondre à l'esprit du texte.
Les commissaires doivent avoir connaissance des orientations du Gouvernement pour que, si cette future loi dure ce qu'a duré la loi Royer, on puisse, au fil du temps, tenir compte des évolutions. L'environnement, par exemple, qui n'était pas un problème majeur en 1973, l'est devenu aujourd'hui en matière d'entrée en ville. Mais il y a un certain nombre d'autres sujets très importants, comme aussi naturellement l'emploi. Je pense notamment au statut des caissières, la modernisation et les conditions de travail étant, dans les grandes surfaces, des questions difficiles.
Nous pouvons nous intéresser à ces sujets et certaines dispositions pourraient figurer dans le programme gouvernemental.
Allons-nous refuser à toutes les grandes surfaces la modernisation ? Un certain nombre d'hypermarchés vieillissent et un certain nombre de produits nouveaux apparaissent. Il nous faut donc définir ce que peut être une modernisation. Il serait en effet absurde de concevoir un texte qui ne permette pas au Gouvernement de proposer aux commissaires la modernisation de certaines grandes surfaces existantes.
Cela fait partie du programme gouvernemental. Je me suis engagé à ce que des concertations soient organisées afin que le Gouvernement puisse vous présenter, avant la fin de 1996, un texte d'orientation sur ces priorités. Nous en discuterons le moment venu.
Ma conviction est que des hypermarchés ayant, par exemple, plus de sept ans d'âge et nécessitant une rénovation doivent avoir droit de se moderniser, y compris d'agrandir leur surface pour accueillir des produits nouveaux, voire les nouveaux métiers - je pense à la téléphonie, à l'informatique - qui apparaissent. Mais encore faut-il que cela se passe dans des conditions raisonnables. On pourrait envisager, par exemple, un plafonnement de ces agrandissements à 15 %, la fixation d'un plafond à 2 000 mètres carrés, de façon à permettre l'élaboration d'un programme de modernisation qui autorise une respiration du système, mais une respiration véritablement maîtrisée.
Voilà quelle est l'orientation qui vous est proposée avec ce texte de rénovation de la loi Royer, deuxième étape de notre démarche en matière d'urbanisme commercial.
La troisième étape est celle des schémas territoriaux d'urbanisme commercial pour sortir de la loi Royer. Je m'engage devant vous à présenter un rapport avant la fin de l'année 1997 comportant une proposition et je souhaite, dès le vote de cette loi, une concertation approfondie avec les professionnels, et une dizaine ou une quinzaine d'expérimentations territoriales pour étudier la mise en place de tels schémas.
Nous avons préalablement quelques grandes questions à régler.
D'abord, quel sera le périmètre de ce schéma territorial ? Allons-nous travailler au niveau de l'agglomération, allons-nous travailler au niveau du département ? Allons-nous travailler au niveau de la région ?
L'agglomération semble aujourd'hui bien placée pour emporter nos suffrages ; mais le débat est ouvert et je souhaite l'avoir avec vous pour définir le cadre précis de l'urbanisme commercial, ce qui n'est pas si évident à faire.
En effet, si, dans un certain nombre de cas, l'agglomération serait de la bonne dimension, dans un certain nombre d'autres cas le département serait mieux adapté. Il existe aussi certains départements très imbriqués, je pense à la Drôme et à l'Ardèche, à Romans et à Valence, où nous avons un même bassin économique sur deux départements et deux agglomérations.
Il faudra également trancher - le périmètre - la question la méthode de consultation. Voulons-nous une concertation souple ou une concertation plus rigide, du type enquête publique ? Le Gouvernement préférerait la seconde pour assurer la transparence de la discussion et de la concertation.
Troisièmement, quelle devra être la valeur juridique du schéma ? Un schéma souple, qui serait simplement indicatif pour les commissions départementales d'équipement commercial, ou un schéma qui, tel le POS - plan d'occupation des sols - ou tel le SDAU - schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme - et, a une valeur juridique comme le POS, peut être opposable ? C'est plutôt la dernière formule que je recommande, de manière à nous doter de règles du jeu territoriales fortes qui puissent remplacer le dispositif législatif national.
Nous avons donc à réaliser un travail considérable.
Il est important de réfléchir à toutes ces questions, et je suis prêt à déterminer avec vous comment la Haute Assemblée peut participer à ce travail d'expérimentation et de définition des futurs schémas territoriaux d'urbanisme commercial.
En fait, c'est une démarche structurée dans le temps qui a été engagée. La première étape fut le gel, la deuxième, la rénovation de la loi Royer et la troisième sera le développement des schémas territoriaux d'urbanisme commercial. Dans ce domaine comme dans d'autres, la décentralisation doit être source d'efficacité par la connaissance du terrain et la proximité des acteurs concernés.
L'urbanisme commercial est le premier point traité dans ce projet de loi.
Le second point très important concerne le développement artisanal et, plus particulièrement, le statut de l'artisanat. Il s'agit en quelque sorte de la reconnaissance législative de l'artisanat. Ainsi, le répertoire des métiers acquiert une valeur législative qu'il n'avait pas jusqu'à présent ; la notion de fonds artisanal est définie, pour permettre à nos entreprises d'obtenir un financement plus aisé auprès des banques et mieux séparer le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel.
Cette orientation est très importante. Elle préside à la pérennité de l'entreprise artisanale. C'est un sujet sur lequel j'ai eu l'occasion de travailler et d'effectuer des comparaisons avec nos partenaires européens.
On peut s'interroger sur la politique de création d'entreprises, y compris d'entreprises artisanales, qui, dans le passé, a été développée dans notre pays.
En fait, nombre d'actions économiques ont été engagées sur le fondement de l'indicateur qu'est le nombre mensuel des créations d'entreprises. Or, cet indicateur n'a aucun sens économique, car, au fond, dans notre pays, le problème réside non pas dans la création d'entreprises mais dans la pérennité des entreprises. Or, nous avons la première place au hit-parade de la mortalité des entreprises en Europe : une entreprise sur deux meurt dans les trois ans !
Aussi, au lieu de chercher à augmenter systématiquement le nombre de créations d'entreprises, il vaudrait mieux avoir une politique de qualification de la création d'entreprises et de pérennisation de l'entreprise.
Telle est l'orientation que le Gouvernement souhaite donner à son action en faveur des entreprises.
Ce choix de politique économique en faveur de la pérennité des entreprises nous amène à jouer la carte de la qualification au moment de la création comme il nous a amenés à jouer la carte des allégements fiscaux pour la transmission, deuxième moment où la fragilité de l'entreprise est extrême.
Si nous voulons qualifier l'acte de création, cela commence par la qualification du créateur. C'est une solution d'évidence quand on regarde ce qui se passe chez nos partenaires, mais aussi dans de très nombreux pays développés.
Nous avons donc été conduits à proposer la qualification préalable pour un certain nombre de métiers. Nous avons voulu fixer une priorité de manière que cette qualification préalable - et c'est une attitude nouvelle dans notre droit - puisse être évaluée. Pour ce faire, nous avons fixé un axe prioritaire, celui de l'hygiène et de la sécurité, de telle façon que le consommateur soit protégé. Nous voulons, en effet, protéger le service au consommateur en assurant la qualification de l'artisan et du créateur.
C'est la raison pour laquelle nous avons inclus dans la loi une liste de professions qui doivent satisfaire à une qualification préalable.
Pourquoi faire figurer une telle liste dans la loi ? En fait, si nous voulons que le pouvoir législatif s'affirme face au pouvoir réglementaire, nous devons faire en sorte que tout ce qui concerne la liberté d'entreprendre relève de la loi. Comme il s'agit, en l'occurrence, d'une condition d'exercice de la liberté d'entreprendre, j'ai tenu à ce que ce soit le pouvoir législatif qui établisse la liste des professions concernées. Je sais bien que toute liste a ses défauts, ses insuffisances ; nous en discuterons.
La commission nous soumettra des propositions judicieuses et je serai très heureux, monsieur le rapporteur, de trouver un accord sur un certain nombre de points visant le double objectif que nous nous assignons : la qualification de l'entreprise et l'exigence d'hygiène et de sécurité pour les consommateurs.
Si le Gouvernement défend son projet avec vigueur, s'il prend des mesures fortes en faveur des artisans - je pense à l'enveloppe de prêts bonifiés de 1 milliard de francs au taux de 3,5 p. 100, mesure qui n'a pas d'antécédents - c'est non pas par nostalgie ni parce que nous voulons cultiver particulièrement la tradition artisanale, mais parce que nous croyons que l'entreprise à taille humaine est l'entreprise du futur. Nous ne faisons pas le choix du passé, nous faisons un choix d'avenir.
Les structures qui vivront, ce sont celles qui auront la taille humaine. Tout au long des années quatre-vingt, on nous a fait croire un certain nombre de contre-vérités. On nous a dit qu'on apprendrait mieux dans de très grandes universités, qu'on serait mieux soigné dans de très grands hôpitaux, que l'on vivrait mieux dans les très grandes villes et qu'on embaucherait plus dans les très grandes entreprises.
La réalité, quelle est-elle en cette fin de siècle ? Faut-il supprimer les hôpitaux dans les petites villes ?
M. Bernard Dussaut. Eh oui !
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Apprend-on mieux dans les grands lycées ? N'est-ce pas dans les structures à taille humaine que l'on obtient les meilleurs résultats ? Les PME ne sont-elles pas plus créatrices d'emplois ? A l'évidence, les années quatre-vingt nous ont aveuglés sur tous ces sujets.
Il nous faut revenir aux structures à taille humaine et, si nous soutenons l'artisanat, c'est parce qu'il a cette vertu de permettre l'épanouissement de la liberté de l'individu et de cette première énergie nationale qu'est l'énergie humaine.
Au cours de l'examen de ce projet de loi, nous aurons à débattre d'un certain nombre de sujets importants pour les commerçants. Je pense en particulier au problème des soldes, que nous voulons mieux maîtriser ; je pense à ce que vos collègues députés ont souhaité et qui va sans doute susciter des débats passionnants ! Je veux parler de la maîtrise de l'hôtellerie ; je pense à la maîtrise des salles de cinéma multiplexes. Ce sont là autant de sujets importants qui concernent l'urbanisme, mais également cette logique qui, aujourd'hui, nous conduit à faire des parkings à l'extérieur de nos villes, ces agoras des temps modernes autour desquelles on voudrait rassembler toute la vie de la cité. En traitant de tous ces sujets, nous constaterons de nouveau que le débat sur l'emploi et le débat sur l'aménagement du territoire sont des débats voisins.
Mais il importe surtout, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien veiller, les uns et les autres, à donner confiance à ces commerçants et à ces artisans qui font aujourd'hui, quotidiennement, l'activité économique de ce pays.
Nous bénéficions d'atouts commerciaux majeurs. Nous sommes un peuple de commerçants. Sur l'ensemble de notre territoire, des initiatives apparaissent, qu'il nous faut encourager.
Pour notre part, nous voulons valoriser la liberté du commerce. Quand on prétend que nous rêvons d'un commerce administré, je réponds non. J'ai toujours appris que c'était le droit qui protégeait le mieux la liberté. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui a été examiné en première lecture par l'Assemblée nationale les 22 et 23 mai dernier. Il traduit l'ambition du Gouvernement d'aider les commerçants et les artisans à sortir de la crise actuelle et à résoudre certaines difficultés structurelles.
Cette ambition avait inspiré le « plan PME-artisanat pour la France » présenté par le Premier ministre à Bordeaux, le 27 novembre dernier, et que le présent projet de loi tend à mettre en oeuvre.
En proposant une adaptation de la réglementation applicable à ces secteurs pour tenir compte de l'évolution de leurs pratiques, ce texte se propose, d'une part, de mieux maîtriser le développement de la grande distribution et, d'autre part, de promouvoir l'artisanat.
Ce faisant, il répond également aux préoccupations des Français en termes d'emploi, d'environnement et d'aménagement du territoire.
La commission ne peut, dans ces conditions, que saluer la démarche qui l'inspire.
Au cours de ses travaux, elle a été animée par le souci d'améliorer le texte, tout en cherchant à éviter de tomber dans le piège d'une économie administrée qu'elle ne souhaite pas voir mise en place.
En effet, notre volonté d'aider les professionnels de ce secteur ne doit pas nous faire oublier deux considérations essentielles.
La première tient au fait que nous avons fait le choix d'une économie libérale. Cela ne veut pas dire que la liberté ne doit pas être encadrée, mais je suis amené à mettre en garde tous ceux qui seraient tentés de réglementer à l'excès la vie économique de notre pays et de céder à un malthusianisme dont les effets pervers ne tarderaient pas à se manifester.
La seconde considération concerne les consommateurs que nous sommes tous : les consommateurs doivent également être pris en compte, car, en dernière analyse, ce sont bien eux qui se font les arbitres du marché et que nous souhaitons également respecter et satisfaire.
Je souhaite maintenant évoquer les principaux volets de ce texte et vous présenter la position de la commission des affaires économiques.
Le titre Ier du projet de loi vise à réformer la loi du 27 décembre 1973, que nous connaissons tous sous le nom de « loi Royer ». Cette réforme s'avère en effet nécesaire, car, en dépit des améliorations apportées au dispositif en matière d'équipement commercial, la prééminence de la grande distribution s'affirme toujours davantage.
La loi Royer avait pour objectif de permettre un développement équilibré des différentes formes de commerce et de protéger le petit commerce d'une croissance désordonnée des nouvelles formes de distribution.
En soumettant à autorisation les ouvertures ou extensions de surfaces de ventes supérieures à 1 000 mètres carrés pour les villes de moins de 40 000 habitants et de 1 500 mètres carrés pour les villes de plus de 40 000 habitants, elle a permis, certes, d'éviter un « écrasement brutal » du petit commerce et de ralentir, en les étalant dans le temps, les implantations de grandes surfaces.
Les surfaces de vente ont cependant connu un développement très important et près de 19 millions de mètres carrés ont ainsi été autorisés depuis l'entrée en vigueur de la loi, avec une croissance particulièrement importante jusqu'en 1993.
La loi du 3 janvier 1993, dite « loi Sapin », a représenté une première réforme importante, dont le bilan ne peut pourtant qu'être jugé décevant.
A l'issue de la pause décrétée par M. Edouard Balladur, alors Premier ministre, le 25 avril 1993, le rythme des autorisations est reparti sur un rythme accéléré et inquiétant : plus de 2 millions de mètres carrés ont été autorisés entre 1993 et 1996.
Depuis les années quatre-vingt, le paysage commercial français s'est profondément transformé.
Les hypermarchés et supermarchés se sont particulièrement imposés dans la distribution française et l'ensemble des grandes surfaces à prédominance alimentaire a réalisé 41 p. 100 du chiffre d'affaires du commerce de détail en 1994, contre 23 p. 100 en 1980. Sur le seul marché alimentaire, leur part est passée de 36 p. 100 à 69 p. 100. Les commerces d'alimentation générale de proximité et, dans une moindre mesure, les magasins alimentaires spécialisés - boucheries, fruits et légumes... - ont surtout souffert de cette concurrence entre 1980 et 1994. Leur chiffre d'affaires en volume a régressé respectivement de 46 p. 100 et de 28 p. 100. Les boucheries de proximité, par exemple, n'occupent plus que 30 p. 100 des parts de marché qui étaient les leurs voilà quelques années.
La France se trouve ainsi dotée de l'équipement de grandes surfaces de commerce de détail le plus développé de l'ensemble de la Communauté européenne, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre.
Au 1er janvier 1995, elle disposait de 1 048 hypermarchés, dont 253 de plus de 7 500 mètres carrés.
Les conséquences de cette évolution sont contrastées.
Soulignons, tout d'abord, que la modernisation de l'appareil commercial français présente trois aspects positifs.
Elle a, tout d'abord, permis de contenir l'inflation et, à ce titre, a été encouragée par les pouvoirs publics.
Elle a, ensuite, apporté aux consommateurs une diversité de choix et un confort d'achat, en proposant « tout sous le même toit ».
Elle a, enfin, fait de la distribution française un secteur performant et dynamique qui se développe à l'étranger.
Les conséquences du développement de la grande distribution se révèlent plus discutables et plus délicates à déterminer sur l'emploi. Au total, il est loin d'être évident que le développement de la grande distribution a été positif dans ce domaine.
Par ailleurs, les conséquences sur l'urbanisme et l'environnement sont clairement négatives. Attirées, notamment, par l'espace et par le faible coût du foncier, les grandes surfaces se sont multipliées à la périphérie des villes, enlaidissant les entrées de celles-ci. Elles ont entraîné un processus de dévitalisation des centres-villes et contribué à la désertification des zones rurales.
En vingt-trois ans, la loi Royer a certes présenté des aspects positifs mais elle mérite d'être réformée. En effet, on a constaté qu'elle n'avait pas permis de maintenir un équilibre satisfaisant entre les différentes formes de commerce. En outre, le développement des hard discounts rend inadéquat le niveau des seuils d'autorisation.
Avec un chiffre d'affaires d'environ 40 milliards de francs en 1995, le poids du hard discount s'est affirmé au cours des dernières années. Les supermarchés de maxidiscompte, si l'on veut franciser ce terme, se caractérisent par leur petite taille. Ceux qui ont été ouverts en 1994 ont une surface de vente moyenne de 680 mètres carrés, contre 1 039 mètres carrés pour les supermarchés classiques.
Le fait que des supermarchés de maxidiscompte, souvent situés dans les centres-villes, occupent généralement des surfaces inférieures à 1 000 mètres carrés, contrairement aux supermarchés classiques, explique que les seuils d'autorisation actuellement retenus par la loi Royer soient devenus inadéquats et méritent donc d'être révisés à la baisse.
Parmi les autres carences de la loi, on peut citer le manque de maîtrise des conséquences de l'implantation des très grosses unités, l'absence de contrôle de changement d'activités et des sanctions inefficaces.
Dans ce contexte, lors de la présentation du plan de soutien en faveur des PME à Bordeaux le 27 novembre 1995, le Premier ministre a clairement manifesté sa volonté de réformer, dans un sens restrictif, le dispositif de la loi Royer. Cette réforme se fera en trois étapes. Le présent projet de loi, comme vous l'avez souligné voilà quelques instants, monsieur le ministre, constitue la deuxième étape.
Le titre Ier du présent projet de loi prévoit essentiellement l'abaissement définitif à 300 mètres carrés du seuil des surfaces de vente nécessitant une autorisation préalable et la pérennisation de l'autorisation préalable pour les changements d'activité des grandes surfaces, dont le seuil est de 300 mètres carrés si l'activité est à dominante alimentaire et de 2 000 mètres carrés dans les autres cas.
Il prévoit également la nécessité d'obtenir une autorisation pour la réouverture d'un magasin de plus de 300 mètres carrés fermé depuis plus de deux ans et pour la création ou l'extension d'une station-essence annexée à un magasin ou à un ensemble de magasins de plus de 300 mètres carrés.
Il vise la réutilisation d'un magasin de plus de 300 mètres carrés libéré à la suite d'un transfert.
Il interdit la présentation d'une nouvelle demande d'autorisation pour le même projet pendant un an à compter de la date de la décision de la commission nationale, voire, nous y reviendrons, de la commission départementale.
Il prévoit l'obligation d'une enquête publique préalable, spécifique à l'urbanisme commercial, pour les unités de plus de 6 000 mètres carrés ainsi que le renforcement de la répression des infractions en cas d'exploitation illégale de surfaces commerciales.
Il tend à rééquilibrer la représentation des professionnels par rapport aux élus dans la composition des commissions départementales d'équipement commercial, les CDEC, sans remettre en cause la présence du représentant des consommateurs, et à modifier les règles de vote afin d'obtenir une plus grande sélectivité des commissions et de faciliter l'exercice des recours par les opposants éventuels au sein de la commission.
Il est ainsi proposé d'abaisser de sept à six le nombre des membres de la CDEC, par la suppression de l'un des maires des deux communes les plus peuplées de l'agglomération. Par ailleurs, une autorisation sera accordée si elle recueille quatre votes favorables.
Le titre Ier du projet de loi prévoit, enfin, l'élaboration d'un programme national de développement et de modernisation des activités commerciales et artisanales, qui devra être défini par le Gouvernement avant la fin de 1996, et de schémas de développement commercial.
L'Assemblée nationale a adopté l'essentiel du dispositif contenu dans le projet de loi. Les principales modifications qu'elle y a apportées concernent l'article 5, qui définit les projets soumis à autorisation.
Elle a ainsi étendu cette exigence, d'une part, à la création d'établissements hôteliers, de résidences de tourisme et de résidences hôtelières d'une capacité supérieure à vingt chambres résultant d'une construction nouvelle ou de la transformation d'un immeuble existant et, d'autre part, aux projets de constructions nouvelles ou de transformation d'immeubles existants entraînant la création d'un ensemble de salles de spectacles cinématographiques comportant plus de 1 500 places. L'Assemblée nationale a soumis l'examen de ces projets par les CDEC à la prise en compte de critères spécifiques.
Par ailleurs, à l'article 9, qui définit la procédure applicable devant les commissions départementales d'équipement commercial, l'Assemblée nationale a ramené de trois à deux le nombre de membres de la CDEC pouvant prendre l'initiative de faire appel, l'un devant être un représentant des élus et l'autre un représentant soit des organismes consulaires, soit des organisations de consommateurs.
Quelle est la position adoptée par la commission des affaires économiques ?
Elle estime nécessaire de rendre plus rigoureux le dispositif actuel. Elle souligne toutefois son souci de trouver un équilibre entre le principe fondamental de la liberté du commerce et de l'industrie et les préoccupations légitimes en termes d'emploi, d'aménagement du territoire et d'environnement qui sous-tendent le présent projet de loi.
Par ailleurs, convaincue que ce dernier ne suffira pas, à lui seul, à restaurer l'équilibre entre les différentes formes de commerce et à redynamiser les « villes-centres », la commission des affaires économiques estime que le dispositif proposé devrait rapidement s'accompagner des mesures indispensables au développement des commerces de proximité. Celui-ci exige une meilleure accessibilité. Je songe à des parkings faciles d'accès et gratuits, aux schémas de circulation et à un certain nombre de dispositions concernant les plans d'occupation des sols et les schémas directeurs.
Le dispositif proposé devrait également s'accompagner d'une réforme de la taxe professionnelle perçue sur les implantations et les extensions de grandes surfaces, d'hôtels ou de complexes cinématographiques, afin d'améliorer le dispositif de péréquation, ainsi que de mesures incitant les enseignes à créer des petites surfaces commerciales en zone rurale et à respecter des formes environnementales.
Quels sont les principaux amendements qu'elle vous proposera au titre Ier du présent projet de loi ?
A l'article 5, qui définit les projets soumis a autorisation, s'agissant de la nécessité d'obtenir une autorisation pour la réouverture d'un magasin de plus de 300 mètres carrés fermé depuis plus de deux ans, elle vous proposera, en cas de location et lorsque la surface de vente n'excède pas 2 000 mètres carrés, de ne faire courir ce délai qu'à compter du jour où le propriétaire a recouvré la pleine et entière disposition des locaux.
Elle vous suggérera également de soumettre à autorisation les extensions d'hôtels existants et surtout de relever le seuil applicable aux créations, aux transformations et aux extensions, pour le fixer à trente chambres contre vingt d'une capacité maximale de soixante lits hors de la région d'Ile-de-France, et à cinquante chambres d'une capacité maximale de cent lits dans cette dernière.
Elle vous proposera, par ailleurs, d'exclure de ce dispositif les résidences de tourisme, les résidences hôtelières, ainsi que les départements d'outre-mer.
La commission des affaires économiques vous suggérera de soumettre les extensions de complexes cinématographiques à autorisation, dès lors qu'elles entraîneront la constitution de complexes supérieurs au seuil, qu'elle a maintenu, de 1 500 places de spectateur.
Elle a également prévu de créer des commissions départementales d'équipement cinématographique, auxquelles sera soumis l'examen des projets concernant ce secteur et de préciser les critères sur le fondement desquels ces commissions devront statuer.
Elle vous proposera, enfin, d'adapter la composition de la commission nationale d'équipement commercial, lorsque celle-ci se réunira pour statuer en appel sur ce type de dossiers.
La commission des affaires économiques vous suggérera de regrouper l'ensemble de ces dispositions dans un chapitre II bis relatif à l'équipement cinématographique.
Elle vous proposera, par ailleurs, de ne pas soumettre à autorisation les regroupements de surface de vente de magasins voisins, lorsqu'ils n'entraînent pas la création de surfaces de vente supplémentaires et qu'ils n'excèdent pas soit 2 000 mètres carrés, soit 300 mètres carrés lorsque l'activité nouvelle est à dominante alimentaire. Cette disposition permettra notamment aux commerces situés en centre-ville de se moderniser.
A l'article 7, relatif à la composition des commissions départementales d'équipement commercial, la commission des affaires économiques vous proposera de relever de six à huit le nombre des membres de ces commissions afin, d'une part, de maintenir la participation des quatre élus, notamment des maires des deux communes les plus peuplées de l'agglomération et, d'autre part, de rétablir la parité entre les élus et les socioprofessionnels, à savoir les représentants des professionnels et des consommateurs, en prévoyant la participation du président de la chambre départementale d'agriculture, au même titre que les présidents des deux autres chambres consulaires.
Par voie de conséquence, à l'article 8 relatif aux modalités de vote au sein des CDEC, elle vous proposera de fixer la majorité qualifiée à cinq votes favorables sur huit.
Suivant la même logique, à l'article 9, qui fixe la procédure applicable devant les CDEC, elle vous suggérera de maintenir à trois le nombre de membres de la commission nécessaire pour engager un recours auprès de la commission nationale.
Ce projet de loi a également pour ambition d'assurer la promotion du secteur artisanal, qui joue un rôle essentiel dans le développement économique, l'emploi et l'équilibre territorial de notre pays.
En effet, avec 800 000 entreprises, 2 400 000 personnes employées et 750 milliards de francs de chiffre d'affaires, l'artisanat représente, pour la France, un atout qu'il convient de valoriser.
La place de l'entreprise artisanale dans notre société, sa capacité d'adaptation notamment aux aléas de la vie économique, son rôle essentiel en matière d'emploi et sa contribution au développement du tissu social sont largement reconnus.
L'artisanat est la première entreprise d'insertion des jeunes. En effet, les entreprises artisanales forment six apprentis sur dix et cinq jeunes sous contrat de qualification sur dix, d'où l'ambition du présent projet de loi de promouvoir l'artisanat.
Sans remettre en cause la tradition française de la liberté d'installation, le présent projet de loi tend à introduire une obligation de qualification dans le secteur artisanal pour un nombre plus important d'activités.
La commission des affaires économiques soutient cette démarche, dont les conséquences sur l'emploi seront bénéfiques à un double titre : d'une part, elle favorisera la création d'entreprises de qualité, dont la pérennité sera mieux assurée. En effet, les stastistiques montrent que le taux de survie des entreprises créées est plus élevé lorsque leur fondateur bénéficie d'une qualification. D'autre part, cette démarche encouragera, par définition, la création d'emplois qualifiés et stables.
En revanche, la commission des affaires économiques ne souhaite pas, pour l'instant, étendre l'exigence de cette qualification à l'ensemble des activités artisanales. En effet, le secteur de l'artisanat doit pouvoir continuer d'exercer sa fonction essentielle d'insertion des jeunes, sans être totalement enfermé dans un carcan trop contraignant.
C'est ainsi que l'article 11 vise à imposer une qualification aux personnes exerçant des activités susceptibles de mettre en cause la santé ou la sécurité des personnes.
Ces professions font l'objet d'une liste limitative, que l'Assemblée nationale a complétée pour viser notamment la préparation ou la fabrication de glaces alimentaires, la construction, l'entretien et la réparation des bâtiments ainsi que les activités liées aux réseaux : gaz, chauffage, installations électriques.
La commission des affaires économiques vous proposera d'englober ces dernières activités dans une terminologie à la fois plus large et plus synthétique de façon à viser « la construction, l'entretien et la réparation des bâtiments, ainsi que les activités de travaux publics et privés ».
A l'article 11, la commission des affaires économiques vous proposera, par ailleurs, de supprimer la condition de l'exercice effectif des activités visées pour qu'une personne soit réputée justifier de la qualification requise. Elle a, en effet, estimé que les personnes ayant choisi d'exercer ces métiers dans le passé ne devraient pas être soumises à de nouvelles règles d'entrée dans ces professions plus rigoureuses et de nature à perturber l'exercice de leur activité.
L'article 12 modifie la réglementation applicable à la profession de coiffeurs. Datant de 1946, celle-ci doit aujourd'hui être adaptée à l'évolution des pratiques dans ce secteur d'activité liée à l'apparition de la franchise, à l'exploitation de plusieurs salons par une chaîne à salons multiples et au développement de la coiffure à domicile. Dictées par le souci de garantir la sécurité des clients, les dispositions proposées tendent notamment à renforcer les exigences en matière de qualification pour l'exercice de ce métier.
L'Assemblée nationale a modifié ce dispositif, d'une part, pour supprimer le caractère rétroactif lié à la condition d'exercice effectif de cette activité pendant six ans pour pouvoir faire valider son expérience professionnelle et, d'autre part, pour renforcer les exigences en matière de qualification applicables à la coiffure à domicile, qui échappe aujourd'hui à toute réglementation.
La commission des affaires économiques vous proposera de confirmer cette position.
Le projet de loi a également pour ambition d'affirmer l'identité du secteur artisanal, en permettant notamment aux consommateurs de mieux identifier les entreprises et les produits relevant réellement de ce secteur.
Tel est l'objet du chapitre II du titre II, au sein duquel l'article 13 confère une valeur législative au répertoire des métiers, qui constitue le fondement du statut artisanal.
L'Assemblée nationale a complété cet article, de façon à confier au décret le soin de fixer les conditions du maintien, à titre temporaire ou non - droit de suite - des entreprises dépassant le seuil de dix salariés.
L'article 14 regroupe les dispositions tendant à protéger de manière plus efficace les titres d'artisan et de maître artisan et à assurer une protection de l'utilisation du mot « artisan » et des termes et expressions dérivés.
L'Assemblée nationale a adopté des dispositions complétant cet article. La commission vous proposera cependant de supprimer certaines d'entre elles concernant les conditions dans lesquelles les conjoints collaborateurs ou associés, ou les associés, peuvent se voir reconnaître la qualité d'artisan.
L'article 15 améliore le statut de l'entreprise artisanale en prévoyant que le fonds artisanal pourra faire l'objet d'un nantissement, en garantie de prêts, comme c'est le cas pour le fonds de commerce.
Le projet de loi tend, par ailleurs, à clarifier le régime des soldes, liquidations, ventes au déballage et ventes d'usines.
Cette réforme est justifiée dans la mesure où la réglementation qui les concerne est devenue, au fil des ans, d'application difficile.
Dans la pratique, on constate en effet une utilisation abusive du terme « soldes » pour des opérations de ventes sans réduction de prix effective. Les liquidations se sont multipliées sous de faux prétextes et les ventes au déballage se sont développées, notamment aux abords des grandes surfaces, constituant ainsi un détournement des règles contraignantes relatives à l'équipement commercial.
La réforme proposée par le présent projet de loi tend à améliorer la lisibilité et la validité du dispositif juridique en donnant une définition légale à ces méthodes de vente. Elle permettra, en outre, d'améliorer la loyauté de la concurrence entre les acteurs du commerce dans l'exercice de pratiques de vente correspondant à un écoulement accéléré de marchandises, par soldes et liquidation, ou effectuées sur des emplacements non habituellement destinés au commerce, par vente au déballage.
Mieux qualifier ces opérations particulières, qui sont de nature à affecter la concurrence loyale entre les entreprises commerciales, et les soumettre à un régime d'autorisation plus strict sont les deux soucis qui inspirent les articles 18 à 23.
L'Assemblée nationale n'a que peu modifié les propositions formulées par le Gouvernement dans ce chapitre, qu'elle a en revanche souhaité compléter par l'adoption de deux articles additionnels.
S'agissant des principales modifications apportées au projet de loi initial, je dirai seulement que l'article 20 relatif aux soldes, l'Assemblée nationale a prévu que les soldes, qui seront d'une durée maximale de six mois par an réparties en deux périodes, seraient fixées par année civile, et ce afin de fixer au 1er janvier au plus tôt la date de début des soldes d'hiver.
La commission vous proposera, mes chers collègues, de supprimer cette disposition par trop restrictive.
L'Assemblée nationale a introduit, sur proposition du Gouvernement, un article 20 bis qui confie au pouvoir réglementaire le soin d'encadrer de façon beaucoup plus rigoureuses les annonces de réductions de prix et d'interdire, dans certains secteurs, les réductions de prix exprimées en pourcentage ou accompagnées de la mention du prix antérieurement pratiqué.
Il s'agit, dans ce cas, de lutter contre certaines annonces trompeuses pour le consommateur et susceptibles de désorganiser le marché. La commission vous proposera d'adopter cet article sans modification.
L'Assemblée nationale a, par ailleurs, adopté un article 20 ter qui introduit une réglementation des ventes réalisées dans les magasins d'usine. La commission vous proposera d'adopter une nouvelle rédaction de cet article, plus claire et moins restrictive.
Enfin, ce projet de loi contient deux dispositions diverses.
Ainsi, l'article 24 prévoit la consultation des professionnels intéressés préalablement aux délibérations du conseil municipal concernant des opérations de création, de transfert ou de suppression des halles et marchés communaux. Votre commission s'en félicite.
De même, l'article 25 répond au souci louable d'aligner le régime des prestations maternité des conjointes collaboratrices sur celui des femmes chefs d'entreprise.
En outre, sur l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a introduit trois articles nouveaux à la fin du projet de loi, qui font l'objet du nouveau chapitre IV du titre III.
Il s'agit, d'une part, de l'article 26, qui vise à encadrer les démarches publicitaires des professionnels souhaitant promouvoir leurs produits ou services auprès des consommateurs, et ce pour mieux lutter contre le travail clandestin.
Il s'agit, d'autre part, des articles 27 et 28 tendant à encadrer la pratique de prix abusivement bas dans le secteur du transport routier de marchandises. La commission s'était déjà inquiétée de ce problème à l'occasion de la première lecture du projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales.
Mes chers collègues, la commission des affaires économiques vous proposera d'adopter ces articles sans modification, puis d'adopter l'ensemble du projet de loi sous réserve des amendements que je vous ai brièvement exposés. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE).
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le ministre, vous avez fait un exposé très complet sur le projet de loi actuellement en discussion, entrant dans ses différents aspects, car il comporte trente-quatre articles - mais nous sommes habitués désormais à examiner des textes considérables par leur nombre d'articles. Aussi, compte tenu de l'exposé également très complet de notre excellent rapporteur, M. Hérisson, je me contenterai de quelques observations, la commission des lois s'étant saisie pour avis de l'ensemble du texte. Elle a d'ailleurs été amenée à déposer vingt-huit amendements, qui visent essentiellement à améliorer la rédaction ou la pertinence juridique de certaines dispositions du projet de loi.
Monsieur le ministre, deux aspects fondamentaux se dégagent de votre texte.
C'est, d'abord, la réforme de la loi du 27 décembre 1973. Je n'aime pas appeler les lois par le nom de leur auteur. C'est pour moi un principe : les lois sont votées par le Parlement, c'est donc la loi du 27 décembre 1973.
Je me suis plongé dans les débats qui ont eu lieu à cette occasion. Sans trahir du tout la pensée du ministre de l'époque, M. Jean Royer, je crois pouvoir dire qu'il avait la même ambition que vous pour le petit commerce qu'il souhaitait rééquilibrer, maintenir et développer. Il était d'ailleurs l'un des premiers ministres du commerce, et de l'artisanat, ce qui illustrait bien la volonté du gouvernement de l'époque d'endiguer l'invasion des grandes surfaces qui commençait à menacer notre pays.
L'objectif était bon mais, comme l'a rappelé M. le rapporteur, nous en sommes aujourd'hui à 19 millions de mètres carrés ! C'est tout à fait extraordinaire.
Vous avez dit, monsieur le ministre - cela m'a beaucoup frappé - que nous étions le seul pays à connaître un phénomène d'une telle ampleur. Nous sommes aussi le seul pays qui ait une législation aussi restrictive, ce qui tendrait à prouver que nous avons un certain génie à faire des lois pour mieux passer au travers ensuite.
Il faut chercher les raisons pour lesquelles ce dispositif a été inefficace.
Des raisons, nous en connaissons une, mais la loi du 29 janvier 1993 a corrigé utilement le dispositif, notamment en ce qui concerne les commissions départementales d'équipement commercial, dont la composition a été fortement modifiée. Il est vrai que les élus avaient tendance à accepter l'implantation de grandes surfaces parce que c'était avantageux. Disons-le, cela apportait de la taxe professionnelle essentiellement.
M. Jean Peyrafitte. Oh !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. Mais si ! Les élus ont succombé aux charmes de la taxe professionnelle et, en plus, on leur promettait beaucoup de créations d'emplois.
M. Jean-Luc Mélenchon. Cela apporte aussi du confort de vie !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. Les consommateurs ont bien entendu aussi été attirés dans ces grandes surfaces, qui leur ont apporté un certain nombre de satisfactions. Je ne le nie pas ; simplement je me place du point de vue des élus. Et là, reconnaissons-le, le dispositif a été relativement inefficace, et ce en dépit des adaptations successives et en dépit du gel entré en vigueur le 12 avril 1996. Certes, immédiatement après la mise en oeuvre du gel, et auparavant, après le vote de la loi du 29 janvier 1993, une diminution du nombre des implantations a été constatée. Cela n'a pas été assez efficace.
Je le rappelle, la loi du 29 janvier 1993 avait été votée dans un tout autre contexte que celui d'aujourd'hui : il s'agissait de moralisation. Il faut se souvenir tout de même des débats que cette loi suscita à l'époque.
Aujourd'hui, il s'agit d'une volonté d'aménagement du territoire, une volonté de développer le commerce et de lui permettre, notamment dans les centres-villes, de venir concurrencer les discounts . Je n'aime pas beaucoup le terme, mais c'est ainsi, paraît-il, que l'on désigne ces nouvelles formes de commerce qui commencent à surgir sur notre territoire.
L'objectif est de tenter d'empêcher que ne se renouvelle la triste expérience que nous avons connue avec les grandes surfaces, c'est-à-dire leur développement à la périphérie des villes. Pour ce faire, monsieur le ministre, vous vous appuyez à la fois sur un programme national de développement et de modernisation des activités commerciales - c'est très important qu'il y ait un programme fixé par l'Etat - et sur les schémas territoriaux d'urbanisme commercial.
Vous en avez dit un peu plus que le texte lui-même sur leur opposabilité. S'il y avait un bon schéma, à la limite, ce serait peut-être plus facile ensuite ; les commissions ne seraient plus suspectées a priori de favoritisme !
La commission des lois s'est longuement interrogée sur la composition de cette commission, outre le fait qu'il ne lui paraît pas indispensable de prévoir dans la loi l'avis du préfet, précision de nature réglementaire.
La commission des lois tient, en effet, à ce que le nombre d'élus actuellement prévu soit maintenu. Je ne pense pas que, au niveau départemental, les élus aient démérité au sein des commissions dans leur composition actuelle. De surcroît, monsieur le ministre, la commission nationale est, elle, composée uniquement de représentants de l'Etat et de représentants des professions.
A partir du moment où il y a possibilité d'appel, il n'y a pas vraiment de risque de dérapage.
La commission des lois ne souhaite pas que l'on en arrive à un malthusianisme total et que, en fait, les décisions des commissions soient entre les mains uniquement de ceux qui ne veulent pas du tout de concurrence.
Dans certains cas, c'est vrai, ceux qui sont bien installés seraient heureux de ne pas avoir de nouveaux concurrents.
M. Jean-Luc Mélenchon. Très juste !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. Il nous faut donc être vigilants et ne pas aller introduire de déséquilibre, au risque, sinon, d'aboutir à de mauvaises solutions.
Je passe sur le fait que l'on a étendu aux hôtels et, aux complexes cinématographiques un certain nombre de dispositifs, pour m'attarder sur l'artisanat.
Le titre II du projet de loi traite de la qualification professionnelle et de l'artisanat.
Il est sain d'exiger une qualification professionnelle pour tous les métiers qui relèvent de la sécurité ou de la santé publique ; je pense, notamment, à tout ce qui concerne la fabrication d'aliments.
De nouvelles professions seront donc réglementées. On connaissait la réglementation applicable aux coiffeurs ; maintenant, les coiffeurs à domicile seront également concernés. Et jusqu'aux maréchaux-ferrants, semble-t-il, puisque cette activité a été ajoutée par l'Assemblée nationale.
Si c'est pour des raisons de sécurité que l'on fait figurer les maréchaux-ferrants, j'en conclus que l'on veut éviter, premièrement, que les chevaux ne se blessent, deuxièmement, que les cavaliers ne tombent. S'agissant d'attelage, il faudrait aussi veiller à ce que les carrosses ne soient pas dangereux et donc ajouter à la liste les charrons. C'est important, de bonnes roues ! Ce métier existe encore. Il faut le protéger au même titre que celui de maréchal-ferrant.
Nombre d'autres dispositions de nature diverse sont opportunes. Il en est ainsi des prestations de maternité des conjointes collaboratrices.
Tout aussi opportune est l'extension au fonds artisanal du nantissement, jusqu'ici réservé au fonds de commerce. Certes, à partir du moment où l'on s'interroge beaucoup sur l'avenir du fonds de commerce, on ne va pas ici, à mon avis, dans le sens de l'histoire, mais si le dispositif donne satisfaction et trouve une pertinence, nous ne pourrons que nous en réjouir.
Restent trois articles, qui ont été introduits par des amendements du Gouvernement, les articles 26, 27 et 28.
Monsieur le ministre, ce n'est pas là de très bonne technique législative, car les articles 27 et 28 auraient dû être insérés dans la loi que nous avons votée vendredi soir puisqu'ils ont trait à la concurrence. (M. le ministre opine.) Nous les avions nous-mêmes présentés et il nous avait été répondu que ce n'était pas le bon moment. Maintenant, ces amendements resurgissent. Je n'y suis pas du tout opposé sur le fond, mais je ne trouve pas logique de les introduire dans le texte dont nous débattons aujourd'hui.
De surcroît, ces articles ont été rédigés si rapidement que certaines dispositions se sont trouvées abrogées. La commission des lois proposera leur rétablissement !
Quant à l'article 26, il a trait à la lutte contre le travail clandestin, lutte à laquelle on ne peut être bien entendu que favorable. Ce texte vise à sanctionner la transmission d'informations mensongères relatives à l'identification de l'annonceur. La commission des lois proposera, pour ce texte, une réécriture conforme à l'intention du Gouvernement.
J'en viens à un dernier point, qui a d'ailleurs fait l'objet d'un débat long et important lors de l'examen du projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales : nous créons encore, tous les ans, un certain nombre d'infractions. Il faudra donc bien trouver un jour un système de sanctions civiles qui s'appliquerait aux comportements nuisant à l'équilibre des relations commerciales et à la concurrence entre professionnels, et éviter ainsi de faire toujours intervenir le juge pénal. En effet, si nous continuons, personne ne s'y retrouvera plus dans toutes ces sanctions, et ces dernières, je le crains, ne seront pas appliquées.
Monsieur le ministre, la commission des lois a donné un avis favorable à vos propositions, sous les réserves que j'ai indiquées concernant la composition de la commission départementale d'équipement commercial. Elle a apporté un certain nombre de modifications qui, j'en suis sûr, recueilleront votre accord.
Je rappellerai cependant que la liberté du commerce et de l'industrie est le principe sur lequel il nous faut nous appuyer, la réglementation devant être l'exception. Il ne faudrait pas rétablir les corporations, sans quoi Le Chapelier, qui a donné aussi son nom à une loi, se retournerait dans sa tombe ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 43 minutes ;
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 19 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Dussaut.
M. Bernard Dussaut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre de ce projet de loi est ambitieux : promotion et développement du commerce et de l'artisanat. Chacun se sent concerné, tout le monde est en attente !
Qu'en est-il du contenu ? Parler d'urbanisme commercial, de redynamisation des commerces de proximité, de développement de l'artisanat, c'est parler d'aménagement du territoire, et cela implique donc de relier tous ces paramètres à une volonté politique : politique de la ville, politique de désenclavement des zones rurales !
Le petit commerce et la grande distribution ont un rôle social. Il ne faut pas laisser se développer une seule forme de commerce dans notre pays. Les réalités commerciales de la France de 1996 ne sont pas celles de 1973. Nous sommes donc d'accord sur la nécessité d'un rééquilibrage.
Avant de m'attarder plus précisément sur les dispositions contenues dans ce texte, je tiens à vous faire part de mes interrogations relatives à l'organisation des schémas territoriaux, monsieur le ministre.
Il me semble, en effet, que la base de l'organisation des nouvelles dispositions en termes d'urbanisme commercial est étroitement liée à ces schémas territoriaux puisque toutes les activités de commerces et de services, à l'exception des banques, seront concernées.
Vous nous avez dit, monsieur le ministre, qu'un rapport sera présenté avant la fin de l'année 1997 sur la mise en place de ces schémas. Ces données serviront de cadre de référence à l'urbanisme commercial, aux côtés du programme national de modernisation du commerce, qui sera rendu public par le Gouvernement à la fin de 1996. Et vous considérez, si j'ai bien entendu vos propos, que ce deux documents sont « la clef de la réforme ».
Il me semble que parler de seuil d'autorisation, de commission d'examen des demandes, en un mot d'harmonie d'implantation, sans donner au préalable un cadre indispensable à un rééquilibre territorial, revient à inverser la méthode de travail.
Cela signifie que la troisième phase aurait dû être connue et mise en place avant l'examen de la deuxième phase, qui concerne notamment la fixation de seuils.
Je soulignerai, avant d'aller plus avant, que le texte qui nous est transmis par l'Assemblée nationale est largement amendé, souvent avec pertinence, et qu'un certain nombre de dispositions souhaitées par le rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan du Sénat semblent aller dans le bon sens.
Toutefois, subsistent quelques points sur lesquels nous ne pouvons pas suivre vos propositions. Le seuil d'autorisation de 300 mètres carrés, applicable uniformément pour toutes les opérations d'urbanisme commercial, lors d'une création ou d'une extension, de la réutilisation d'un local ou de sa réouverture, me paraît trop restrictif au regard de ce que j'ai développé plus haut. Le fait de ne pas tenir compte de l'activité va à l'encontre de toute politique d'installation et peut freiner des restructurations. On ne peut pas réglementer de la même manière en région parisienne, en zone de montagne ou en zone rurale fragilisée.
M. Jean-Luc Mélenchon. Parfait !
M. Bernard Dussaut. Cela risquerait d'avoir de graves conséquences pour ceux-là mêmes que vous entendez défendre, monsieur le ministre. C'est pourquoi nous défendrons un amendement visant à ce que puissent être prises en compte ces réalités différentes et que soient modulés les seuils soumis à autorisation.
Cela étant dit, nous saluons l'obligation de prise en considération des incidences sur l'emploi lors de l'examen de la demande d'autorisation et nous ne suivrions pas la commission si elle défendait un amendement en vue d'atténuer cette disposition.
Par ailleurs, nous nous élevons vivement contre la modification de la composition de la commission départementale d'équipement commercial, portant cette dernière à six membres dont trois élus, ce qui nous paraît un recul démocratique dans la mesure où le maire de la seconde commune la plus développée disparaît. Nous défendons donc un amendement visant à rétablir le texte actuellement en vigueur, soit sept membres, dont quatre élus.
Il nous paraît en outre regrettable que l'existence du Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce, le FISAC, soit passée sous silence, d'autant que ce fonds n'est pas utilisé comme il le devrait. Il faudrait élargir son champ d'application et l'intégrer aux politiques départementales soutenues par les chambres de commerce et des métiers.
Je constate par ailleurs, à la lecture de ce texte, que rien n'est prévu pour encadrer la vente par correspondance, pourtant en plein développement.
En ce qui concerne le volet de ce projet de loi concernant l'artisanat, il est vrai, monsieur le ministre, ainsi que vous l'avez souligné à l'Assemblée nationale, que la pérennité des entreprises passe par une qualification du créateur d'entreprise. Le projet de loi initial exigeait une qualification pour les seuls métiers liés à l'hygiène et à la sécurité, ce qui nous semblait insuffisant. Nous sommes donc satisfaits de l'extension à d'autres branches, notamment au secteur du bâtiment, qui représente 42 p. 100 de l'artisanat.
Il est important que la qualification préalable à l'installation concerne tous ces métiers, permettant ainsi des installations mieux assurées - deux sur trois installations disparaissent dans les cinq ans - une diminution possible des accidents du travail grâce à une meilleure connaissance des règles de sécurité et une garantie pour le consommateur. Le travail manuel se trouvera ainsi revalorisé.
Nous pouvons espérer également une minoration de la prime de l'assurance décennale - cette assurance n'existe d'ailleurs que pour les entreprises du bâtiment - dont le coût a augmenté considérablement au cours des dernières années, en liaison avec les sinistres, lesquels sont parfois induits par ce manque de qualification.
Nous regrettons cependant que ce texte n'aille pas assez loin. En effet, comment peut-on exiger une qualification pour l'application de produits dangereux ou pour la mise en oeuvre de matériels nécessitant le respect de normes de sécurité - pose de chaudières à gaz, par exemple - et laisser libre la distribution de ces produits et de ces matériels, notamment dans les grandes surfaces ?
Si l'on va dans le sens d'une meilleure qualification, comme le label de l'artisan, il faut également être vigilant en ce qui concerne la qualification du conjoint collaborateur ou de l'associé. L'expérience professionnelle ne doit pas être le seul critère d'attribution de la qualité d'artisan. Cette dernière doit attester d'un véritable savoir-faire professionnel dans le métier considéré, et nous déposerons donc un amendement allant dans ce sens.
La lutte contre le travail clandestin est au coeur des préoccupations des artisans. Passer sous silence cette question dans la discussion d'un projet de loi relatif au développement et à la promotion de l'artisanat n'est pas réaliste.
La grande distribution contrôle aujourd'hui 80 p. 100 de la distribution alimentaire et se diversifie à marche forcée sur les produits non alimentaires, tels le bricolage, l'équipement de la maison et l'équipement automobile.
Les artisans ne peuvent pas lutter avec les moyens que vous leur donnez, monsieur le ministre. Ne serait-il pas possible d'envisager la mise en place d'un taux de TVA inférieur sur le matériel et les produits fournis par les grossistes aux artisans lorsque leur mise en oeuvre requiert l'intervention d'une entreprise possédant une qualification ?
Votre projet de loi, monsieur le ministre, manque cruellement de volet économique, d'un soutien à une activité on ne peut plus catastrophique, notamment dans le secteur du bâtiment. Cette année encore, les chiffres sont alarmants : annoncée comme stationnaire voilà six mois, l'activité du bâtiment devrait finalement enregistrer une régression d'environ 2 p. 100 en 1996. Ce sera ainsi la sixième année consécutive de recul pour ce secteur.
Les artisans ont besoin non seulement de reconnaissance, mais surtout, ainsi que le soulignait mon collègue et ami Pierre Ducout, à l'Assemblée nationale, de travail. Or l'impact économique de ce texte est quasiment nul.
Notre vote sera conditionné par la discussion des suggestions que nous présenterons par voie d'amendements. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Mouly.
M. Georges Mouly. Monsieur le ministre, s'il est chez nous une règle d'or de l'économie telle que nous la concevons, c'est bien la liberté d'enteprendre ! Si l'on ajoute à ce rappel, à cette considération, le fait que, pour ce qui concerne plus particulièrement le commerce, les grandes surfaces ont été globalement créatrices d'emplois, on pourrait s'interroger sur l'opportunité du présent projet de loi.
Tout bien considéré, ce serait cependant oublier - et ce n'est pas rien ! - qu'il faut aussi, dans notre société, protéger la liberté des plus faibles. L'observation faite en centre-ville bien souvent, en milieu rural plus fréquemment, nous conduit à constater que nous sommes parvenus à un point de rupture, plus précisément à un point critique : celui d'une participation de fait à l'affaiblissement de la cohésion sociale, tant il est vrai qu'un réseau équilibré de commerçants et d'artisans peut être facteur, pour partie, de cette cohésion sociale.
Il me paraît donc opportun de réglementer. Mais, à ce point de mon propos, je me permettrai deux remarques, monsieur le ministre : d'une part, il convient de ne pas tomber dans la réglementation tatillonne et paralysante ; d'autre part, il faut, à mon avis, bien avoir conscience qu'il s'agit aussi ici, pour une part, d'une véritable conversion culturelle. J'apporterai quelques explications à cet égard.
Une réglementation tatillonne peut découler d'un texte de loi ou de décrets - c'est bien connu - mais tout autant de l'interprétation qui peut être faite par une administration par trop zélée. Ainsi, monsieur le ministre, dans mon département, un projet actuel relève de la CDEC, pour un fonctionnaire et pas pour un autre.
Chacun a connaissance d'inutiles et fâcheux tracas administratifs. Il y a mieux à faire - n'est-il pas vrai ? - pour libérer les énergies. Ainsi, M. le Président de la République plaidait lui-même pour une administration moins soucieuse de tout réglementer.
Il faut donc que le pouvoir central fasse bien comprendre aux administrations qu'il n'est pas interdit de faire montre de bon sens, d'intelligence et - pourquoi pas - d'un certain sens des responsabilités. C'est bien connu, la politique du parapluie à tout niveau n'a jamais fait avancer les choses.
Mais j'ai parlé aussi de conversion culturelle : que cela plaise ou non, l'habitude est largement prise de s'approvisionner dans les grandes surfaces.
Soyons réalistes ! Pour l'instant, peu d'éléments dans notre société actuelle plaident, il faut bien l'avouer, en faveur du petit commerce. Nombre de commerces ruraux - hélas ! j'en connais - ont connu ou connaissent des difficultés par manque de clientèle.
Si l'on veut maintenir le commerce de proximité - ce souhait, légitime et naturel, est formulé par une majorité de personnes - encore faut-il le faire fonctionner. C'est affaire de logique et, à la limite - je pèse mes mots - d'esprit civique : il s'agit que tous consentent à mettre le prix pour cette qualité de vie que chacun clame et réclame, que toutes les parties concernées veuillent et puissent voir dans la démarche qui nous occupe aujourd'hui un réel facteur de progrès social. Cela est également à la source de vos préoccupations, monsieur le ministre. Expliquons donc encore et toujours combien de réformes sont incomprises par défaut de communication.
En ce qui concerne le commerce, sans revenir inutilement sur le bien-fondé de la démarche, je formulerai quelques réflexions.
Tout d'abord, s'agissant de la CDEC, la composition prévue par le texte initial me paraît très judicieuse : les élus politiques de terrain trouvent une juste place dans la formule équilibrée qui est proposée. Les maires, confrontés aux dures réalités économiques et sociales, sont plus conscients que jamais de l'opportunité de conduire une politique de développement équilibré et harmonieux dans le cadre d'une démarche de coopération.
Il convient, me semble-t-il, de conserver la possibilité de ce que vous avez appelé, monsieur le ministre, le « consensus du territoire ». A mes yeux, toute modification de la composition des CDEC telle qu'elle est proposée, eût-elle les apparences d'un équilibre maintenu, risquerait d'hypothéquer par trop le bon fonctionnement d'un mécanisme toujours délicat en la matière.
Pour ce qui est des schémas départementaux, il a beaucoup été question de leur statut juridique et de leur périmètre.
En ce qui concerne leur statut juridique, gardons-nous, une fois encore, de compliquer les choses ! Il s'agit, certes, de coopération intercommunale, mais il existe déjà huit catégories juridiques différentes.
S'agissant de la géographie, vous avez parlé d'agglomérations, de départements, de régions ; la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire quant à elle a fait émerger la notion de pays. Dès lors, on s'est demandé, ici et là, comment pouvait s'articuler cette entité avec les syndicats ou autres communautés de communes.
Quoi qu'il en soit, cette notion de pays est actuellement expérimentée en quarante-deux endroits. Il m'apparaîtrait donc judicieux d'attendre les conclusions que l'on pourra tirer de ces expériences de pays tests, non pas pour en être prisonniers, mais pour en tirer les leçons. Ainsi, une expérimentation a eu lieu dans douze ou quinze départements pour l'allocation dépendance, dont les résultats ne sont pas encore connus.
En tout état de cause, là aussi, monsieur le ministre, simplifions, ou tout au moins coordonnons les dispositifs, faute de quoi le manque de lisibilité serait ici, comme en d'autres domaines, fortement préjudiciable, source de confusion et, par conséquent, de possibles conflits.
En ce qui concerne l'artisanat, les points essentiels du projet de loi - par exemple, la qualification, l'identité de l'artisanat - peuvent, me semble-t-il, recueillir une large approbation, sauf à examiner de plus près les amendements qui seront proposés.
L'artisanat a été et demeure l'objet de nombreuses sollicitudes verbales. Après d'autres mesures, le projet de loi qui nous est soumis a, il est vrai, le mérite de prévoir des dispositions concrètes. Cependant, le réel développement et la véritable promotion de l'artisanat ne seront possibles qu'à plusieurs autres conditions ; je me permettrai d'en mentionner quelques-unes, fruits de l'observation de terrain.
A la suite de contacts relativement nombreux que j'ai eus avec les artisans, je formulerai deux remarques relatives à la complexité des démarches et au poids des charges.
Tout d'abord, s'agissant de la complexité des démarches, des progrès ont été réalisés : déclaration unique d'embauche, déclaration unique sociale ; d'autres chantiers de simplification sont en cours. Pourtant, probablement en raison des délais de mise en oeuvre des mesures ou de l'ignorance persistante des intéressés - sans doute les deux ! - nombre d'artisans se disent toujours découragés voire dissuadés d'embaucher. Ce n'est pas la meilleure façon pour développer et promouvoir l'artisanat !
Il conviendrait pour le moins, monsieur le ministre, d'amplifier l'effort d'information auquel, il est vrai, les chambres de métiers ne manquent pas de participer.
J'ai assisté à des rencontres organisées par le corps préfectoral dans mon département. Pour avoir interrogé les participants - artisans et élus - je crois pouvoir dire que tous les efforts de pédagogie qui ont été déployés ne suffisent pas toujours à éclairer ou à convaincre les intéressés, eu égard à ce qui demeure encore trop souvent un maquis administratif.
Pour ce qui est du poids des charges, je n'y insisterai pas, si ce n'est pour répéter que des possibilités offertes - c'est paradoxal, mais c'est ainsi ! - sont insuffisamment connues, qu'il s'agisse d'allègements de charges ou d'autres formes d'aide.
De ce point de vue, je tiens à relever ici ce qui me semble être une anomalie préjudiciable à l'artisanat : désormais, le deuxième et le troisième emploi sont les seuls à n'être pas aidés. Or nombre d'entreprises artisanales ne comptent pas que deux ou trois emplois. C'est incompréhensible !
Chacun a bien conscience, monsieur le ministre - ce sera ma conclusion - que ce qui progresse progresse toujours trop lentement. Les professionnels, les élus, sont impatients. Mais nous savons tous que vous connaissez fort bien les problèmes et nul n'ignore votre ferme volonté d'y porter remède.
Le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui constitue une étape intéressante. Puisse-t-elle précéder d'autres mesures tout aussi nécessaires et attendues ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous débattons aujourd'hui constitue un moment important de notre session. Il correspond au troisième volet du plan « PME pour la France » lancé par le Premier ministre, M. Alain Juppé, en novembre 1995.
Je tiens d'ailleurs à vous féliciter, monsieur le ministre, pour la diligence avec laquelle vous vous attachez à mettre en oeuvre les différentes mesures annoncées dans ce plan.
Le présent projet de loi répond à deux objectifs principaux.
Le premier objectif consiste, comme l'a annoncé le président Jacques Chirac, à « rendre à la distribution un équilibre plus conforme aux exigences d'une vie humaine ».
Le second objectif vise à assurer une véritable reconnaissance aux métiers de l'artisanat en leur attribuant un fondement juridique proche de celui des commerçants ou des agriculteurs et en aménageant le dispositif relatif à la qualification professionnelle.
Ces deux objectifs me semblent être aussi importants l'un que l'autre ; je les commenterai donc successivement.
Le premier volet du projet de loi comporte des mesures relatives à l'équipement commercial.
Les évolutions récentes exigent une réforme de la loi Royer, qui a été adoptée dans un contexte différent et souffre aujourd'hui de diverses inadaptations. En effet, on assiste à la multiplication des supermarchés du type maxidiscomptes depuis leur apparition en France en 1988. Ainsi, deux ouvertures de supermarché sur trois concernent des magasins de ce type.
Ces magasins sont souvent situés en centre-ville et se distinguent des supermarchés classiques par une taille moyenne d'un tiers plus faible. Pour 96 p. 100 de ces supermarchés, la surface de vente est inférieure à 1 000 mètres carrés, seuil à partir duquel s'applique la loi Royer sur la création des grandes surfaces commerciales.
L'abaissement de ce seuil à 300 mètres carrés, tel que le prévoit votre projet de loi, monsieur le ministre, me semble donc aller dans le bon sens, mais ne peut constituer qu'une étape dans l'organisation du commerce et de la distribution dans l'hexagone.
L'article 3 de la loi Royer dispose que les implantations d'entreprises commerciales et artisanales doivent s'adapter aux exigences de l'aménagement du territoire, notamment à l'équilibre des agglomérations et au maintien des activités en zones rurales et de montagne ».
Or force est de constater que ces dispositions n'ont pas connu une application rigoureuse. Le développement de la grande distribution a été accompagné de deux conséquences néfastes sur l'aménagement du territoire.
On assiste, en effet, à la dévitalisation dramatique de nos campagnes. Le petit commerce rural périclite. Ce déclin, conjugué avec le départ de divers services publics et avec l'exode des habitants, conduit nos villages à ne plus constituer aujourd'hui de véritables pôles de vie. La fermeture des commerces de proximité marque la fin d'une certaine convivialité.
Selon une étude menée par l'INSEE lors de l'inventaire communal de 1990, on observe que les campagnes ne présentent plus, en dessous de 1 000 habitants, une fonction d'approvisionnement courant. En dessous de 500 habitants, elles sont largement désertées.
Cette faiblesse de la desserte commerciale touche toute la population, mais plus durement encore les personnes âgées et les consommateurs non motorisés vivant en milieu rural. C'est finalement au profit des villes, et surtout de leur périphérie, que s'est effectuée la concentration spatiale de la desserte commerciale régionale. La grande ville a largement étendu son aire d'influence courante avec l'aisance de transports, le groupement des achats et la concentration de l'offre aux entrées des villes et dans les centres commerciaux périphériques.
Cette modification des relations ville-campagnes se traduit aussi, au sein de la ville, par l'avènement d'un système de distribution dual opposant centre-ville et périphérie.
Il convient, à ce propos, de montrer une volonté politique forte si l'on veut éviter d'aboutir à une situation à l'américaine.
En milieu rural, l'épicerie du village, la boulangerie et la boucherie participent à l'animation de la commune. Ce sont des lieux d'échanges et de convivialité privilégiés.
Quant aux quartiers en difficultés, ils souffrent, eux aussi, de l'absence des vertus intégratrices et cohésives des commerces de proximité.
Face à ce bilan peu encourageant, une conclusion s'impose : la loi Royer souffre d'inadaptations et de défauts qu'il convient de corriger.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, me semble constituer une avancée significative sur ce point. Il prévoit, en effet, notamment de renforcer les critères à prendre en compte pour délivrer les autorisations dans le cadre des commissions départementales d'équipement commercial et de consacrer le rôle des observatoires départementaux d'équipement commercial.
Toutefois, il me paraît primordial d'être prudent et d'éviter de tomber dans deux graves travers.
Le premier serait incontestablement de se servir des grandes surfaces comme boucs émissaires et de les rendre responsables de tous les maux. En effet, dans ce domaine, les responsabilités sont incontestablement partagées.
Loin de moi l'idée de défendre les grands distributeurs. Ayant été sollicités, nous avons, dans ma ville, renoncé à toute implantation et, demain, nous ne serons pas plus candidats qu'hier à l'implantation. En revanche, nous serons candidats à une opération de retructuration de l'artisanat et du commerce, une ORAC.
Il faut néanmoins se faire une raison : la grande surface fait partie intégrante du paysage de la distribution.
La politique de l'aménagement du territoire conduite depuis trente ans a certainement préparé un terrain favorable à l'implantation de la grande distribution, avec la création des villes nouvelles et le développement des métropoles d'équilibre.
Au début des années soixante-dix, une politique favorisant les capitales régionales et les villes moyennes a contribué au développement d'un réseau de grandes surfaces fortement implanté en périphérie urbaine.
Notons aussi que l'aménagement routier autour de nos grandes villes, avec la création de rocades et de voies rapides, a sans doute accentué le phénomène d'extension des grandes surfaces.
En outre, il faut reconnaître que les élus portent aussi, et sans aucun doute, leur part de responsabilité dans l'essor des grandes surfaces. Bien souvent, les considérations économiques, financières et fiscales sont telles qu'au sein de la procédure d'examen des demandes l'aménagement du territoire passe au second plan.
En effet, pour bon nombre d'élus locaux, l'implantation de grandes et moyennes surfaces sur le territoire de leur commune pouvait représenter un moyen de stimuler les emplois et d'attirer d'autres formes d'activités économiques. Elle pouvait aussi constituer un moyen d'éviter une hémorragie de la clientèle vers les communes voisines, les recettes en taxe professionnelle ayant balayé les dernières hésitations. Enfin, les autorisations ministérielles après avis défavorable des CDUC étaient nombreuses.
Pour l'avenir, imposons d'abord que toute création s'effectue dans un cadre intercommunal, avec péréquation fiscale, afin d'éviter d'accentuer les disparités.
La grande distribution est également liée, c'est incontestable, à l'évolution des modes de vie, auxquels elle s'est adaptée.
Une seconde série de griefs a été formulée contre les grandes surfaces lors de la discussion à l'Assemblée nationale en ce qui concerne la précarité de l'emploi.
C'est non seulement vrai, mais également inquiétant.
Puis-je rappeler néanmoins que les dispositifs utilisés ont été votés par nos assemblées et mis à la disposition du secteur commercial et économique ?
Nous devons rapidement revenir à des notions plus réalistes : une formation doit rester une formation et non pas être un emploi déguisé.
Le premier emploi d'un jeune doit représenter pour lui un accès à une vie professionnelle digne et confiante. Prenons les mesures législatives qui s'imposent.
Il convient, enfin, de ne pas tomber dans un second travers, qui consisterait à verser soit dans un libéralisme sauvage, soit dans un interventionnisme étatique outrancier.
Le principe fondamental à respecter, dans ce domaine, est et doit rester la liberté du commerce.
Mais, conformément à l'esprit insufflé par la loi Royer, « les pouvoirs publics doivent veiller à ce que l'essor du commerce et de l'artisanat permette l'expansion de toutes les formes d'entreprises, indépendantes, groupées ou intégrées, en évitant qu'une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l'écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux ».
Ainsi, la liberté du commerce doit être aménagée dans l'intérêt de tous pour éviter les dérives d'un libéralisme sauvage.
Mais il convient aussi de ne pas tomber dans l'excès inverse. Nous ne disposons pas de moyens financiers suffisants, monsieur le ministre, pour tout subventionner, tout étatiser. Par ces temps économiquement difficiles, la rentabilité reste une notion fondamentale.
Je crains, par exemple, qu'une aide de 10 000 francs octroyée à une station-service en zone rurale ne soit pas de nature à garantir sa pérennité. La capacité de vendre dépend grandement aussi de la force d'achat ou du prix qu'on peut imposer.
En revanche, il convient d'encourager les commerçants à mieux répondre aux attentes des consommateurs : meilleur accès, meilleur stationnement, meilleur accueil, personnel formé et compétent.
Les dispositifs d'aide au petit commerce sont très nombreux et sous-utilisés. Ils souffrent parfois d'un manque de coordination et de clarté. Leur multiplicité les rends opaques aux yeux de nombreux maires.
Ne faudrait-il pas, monsieur le ministre, fournir à cet égard un effort d'information, de lisibilité et de simplification afin d'exploiter plus efficacement la richesse de ces aides ?
En effet, une action d'envergure sur la grande distribution ne peut, pour être pleinement efficace, se passer d'une exploitatioon optimale des dispositifs relatifs au petit commerce.
A la lumière de toutes ces remarques, il est donc clair qu'il convient non pas d'opposer intérêts économiques et aménagement du territoire, intérêts des grandes surfaces et persistance du petit commerce, mais au contraire, d'essayer de concilier ces intérêts divers.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous faire une proposition allant dans le sens d'une telle conciliation : pourquoi ne pas « obliger » - je dis bien obliger - les grandes surfaces qui désirent s'installer ou s'agrandir à créer des petits commerces dans les futures zones franches, où les candidats ne seront sans doute pas très nombreux, et en zone rurale, au moins dans les communes de moins de mille habitants, là où l'épicerie traditionnelle n'est plus que difficilement viable alors que sa survie est souhaitable ?
Un tel dispositif devrait être étudié et mis en place grâce à une étroite collaboration entre les observatoires départementaux d'équipement commercial et les communes ou structures intercommunales. Cette collaboration permettrait d'assurer un développement local et de maintenir le commerce en zone rurale.
Ces petits commerces pourraient également fournir à la population des services complémentaires tels qu'un fax, une photocopieuse ou un service de livraison à domicile pour les personnes âgées.
Des expériences de ce type ont déjà été lancées en plusieurs endroits sur un mode contractuel, comme le révèle un article d'un grand quotidien national des 6 et 7 juin 1993. Je sais cependant que les appréciations divergent sur un tel dispositif.
Cette solution permettrait de créer des emplois en zone rurale, de réintroduire une certaine convivialité et d'allier les intérêts de certains aux préoccupations de l'aménagement du territoire.
Je crois que les décisions que nous prenons aujourd'hui, quoique nécessaires, doivent évoluer.
Ne point donner, à moyen terme, les possibilités de modernisation à une profession qui représente près de 750 milliards de francs de chiffre d'affaires me semble dangereux pour l'avenir.
Je veux à présent évoquer le deuxième volet de ce projet de loi relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat.
Parmi les mesures proposées, le rééquilibrage de notre législation en faveur de l'artisanat constitue un point novateur, à mes yeux.
Les artisans, monsieur le ministre, sont des femmes et des hommes placés à la tête de petites entreprises. Ils sont à la fois dévoués et disponibles, surtout en zone rurale, et contribuent très largement au devenir économique de notre pays.
En outre, certains artisans sont intégrés dans des filières susceptibles de générer des retombées économiques importantes, notamment dans les domaines de l'agriculture, de l'élevage - en zone de montagne, principalement - et de certains produits régionaux.
Le texte proposé me paraît important, car il répond à des préoccupations constantes de nos artisans, notamment en ce qui concerne la qualification professionnelle. Ainsi, il vise à offrir la possibilité aux entreprises de se forger une identité propre au sein d'un ensemble de métiers aux contours mieux définis.
En outre, ce projet de loi, monsieur le ministre, préserve le droit local de l'artisanat applicable en Alsace et en Moselle. Les sénateurs des trois départements concernés ne peuvent que s'en féliciter.
Je souhaite maintenant évoquer plus précisément quelques points qui me paraissent fondamentaux.
Le premier, c'est la formation, et d'abord la formation continue.
Face à l'évolution rapide des techniques, des méthodes de gestion et de la réglementation, les artisans doivent se former en permanence. La formation continue est certainement l'outil le plus efficace d'une telle adaptation.
Le problème de la formation préalable à la création de l'entreprise ne doit pas non plus être négligé.
Monsieur le ministre, compte tenu de la situation actuelle, un entrepreneur aventureux et peu scrupuleux peut, après avoir échoué, recréer une autre entreprise sans difficulté.
Nous voyons même des gens ne parlant quasiment pas notre langue et ignorant notre législation créer une entreprise. Est-ce sérieux ?
En outre, bien souvent, ces créateurs d'entreprise n'ont pas la notion du prix de revient de leur travail et, ensuite, lors de l'arrêt de l'exploitation, ils coûtent cher en charges aux entreprises obligées d'équilibrer leur bilan.
Enfin, fréquemment, on doit déplorer la pratique, parfois affichée, du travail illégal. J'y reviendrai dans quelques instants.
Permettez-moi une comparaison avec les obligations de formation faites aux sapeurs-pompiers volontaires.
La récente loi relative au volontariat impose à nos sapeurs-pompiers volontaires une période de formation initiale d'une durée de trente jours, ainsi qu'un stage annuel de recyclage. En revanche, la création d'entreprise n'est soumise pratiquement à aucune obligation de formation.
Dans le Bas-Rhin, avant de toucher des crédits départementaux, le bénéficiaire se voit imposer un stage de quatre-vingt-quatre heures. La formule est bonne mais insuffisante puisque la sortie du stage n'est sanctionnée par aucun certificat de capacité.
Je suis persuadé qu'une installation ne s'improvise plus ; cela s'apprend. Les connaissances juridiques, la viabilité économique, la sécurité, le respect du client et du consommateur sont autant d'impératifs primordiaux.
Permettez-moi de revenir quelques instants aux spécificités alsaciennes.
En Alsace, les chambres de l'artisanat, créées en 1897, étaient entièrement orientées vers la transmission du savoir professionnel.
Aujourd'hui, c'est la chambre des métiers qui a cette charge. L'objectif qu'elle poursuit est, précisément, de qualifier les artisans et les salariés du secteur artisanal. C'est également elle qui forme les apprentis.
Ce détour par le droit local, que je pourrais développer encore, a pour objet de vous montrer, monsieur le ministre, que vous pourriez utilement étendre cette spécificité à la France entière.
L'action du Gouvernement, une action forte et volontaire dans la formation préalable, permet d'espérer le retour à un développement économique durable, surtout dans le domaine de l'artisanat et des petites et moyennes entreprises. Il s'agit d'éviter que les deux tiers des entreprises créées ne disparaissent dans les cinq ans. Ces disparitions coûtent cher au contribuable.
Enfin, monsieur le ministre, je veux rappeler avec force que, sans artisanat fort et sans petit commerce, il est inutile d'espérer un aménagement harmonieux de notre territoire.
Un immeuble se construit sur des fondations solides ; il n'y a guère que le ravalement qui soit commencé par le haut de la façade. Or, l'artisanat est partie intégrante des fondations de l'« immeuble France ».
Ce projet de loi tend à instaurer une immatriculation au registre des métiers dès la création de l'entreprise. Cela me paraît fondamental pour reconnaître une identité à l'artisanat.
Je vous félicite pour la volonté que vous manifestez d'accorder aux métiers de l'artisanat un statut juridique proche de celui des agriculteurs ou des commerçants.
Le répertoire des métiers voit son rôle réaffirmé, dans ce texte. Il permet d'immatriculer et de recenser les entreprises artisanales et d'assurer la base juridique sur laquelle se fonderont les lois, les règlements et les actions économiques concernées.
Je regrette, toutefois, que le projet ne différencie aucunement les artisans et les maîtres artisans, c'est-à-dire les personnes qualifiées et les autres personnes physiques et morales immatriculées au registre des métiers et appartenant au secteur artisanal.
Cette différenciation serait utile pour mettre en valeur, là encore, les métiers nécessitant une véritable filière de formation.
En revanche, la disposition du projet de loi qui a pour objet de valoriser les appellations artisanales, à l'instar de ce qui a été réalisé dans le domaine de la boulangerie artisanale, va dans ce sens, et je fonde beaucoup d'espoirs sur cette disposition.
La création d'un fonds artisanal, semblable au fonds de commerce, me paraît positive. Cela devrait faciliter l'accès au crédit, qui est devenu trop cher pour l'artisan. Vous avez pris des dispositions dans ce sens.
La procédure SOFARIS - société française pour l'assurance du capital risque - contribue à faciliter l'accès au crédit, sans engager le potentiel personnel de l'artisan.
La création de nouveaux hôtels peut à présent être subordonnée à une autorisation préalable. Je m'associe à cette proposition. Il s'agit, dans cette profession, de réfléchir et d'imposer aussi une certaine forme d'aménagement du territoire.
En conclusion, monsieur le ministre, permettez-moi de faire quelques propositions et de lancer quelques pistes de travail afin de compléter cet ensemble d'outils mis à la disposition de l'artisan.
Premièrement, le rôle du conjoint demeure plus que jamais indispensable pour les entreprises individuelles et artisanales ; il est malheureusement encore trop peu reconnu.
Deuxièmement, je me permets d'insister encore sur le rôle de la formation. Je propose d'instaurer une durée de formation obligatoire de l'ordre de 300 heures, couronnée par la délivrance d'un certificat de capacité. L'obtention d'un tel certificat devrait être un préalable à toute immatriculation de l'entreprise.
Troisièmement, il me paraît important de s'orienter vers une simplification des formalités administratives et un allègement des contrôles, nombreux, qui accablent les entreprises.
Quatrièmement, aurons-nous l'audace d'adapter les procédures d'indemnisation du chômage ? Dans bien des cas, les indemnités diverses sont autant sinon plus rémunératrices que le travail et dissuadent certains - j'insiste sur le mot « certains » - de nos concitoyens à rechercher et même à accepter l'emploi.
Ma cinquième suggestion est la résultante à la fois d'une crainte et d'un constat. Je suis dès à présent convaincu que notre décision d'imposer une formation préalable au créateur d'entreprise risque d'avoir pour corollaire le travail illicite. C'est pourquoi je suggère la création rapide d'une structure placée sous l'autorité du préfet, chargé d'intervenir sur appel à tout moment.
Les exemples de travail illicite, appelé communément « travail au noir », sont nombreux. Cette situation est devenue préoccupante, car fortement pénalisante pour l'économie de notre pays. Un récent rapport fait état de plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines, de milliards de francs de perte.
Enfin, le dernier point sur lequel je souhaite insister, monsieur le ministre, concerne les charges pesant sur les salaires en particulier et sur l'entreprise en général.
Je sais que vous êtes conscient du problème. Il faut réformer, réorganiser toutes nos interventions en faveur de l'emploi. Il faut impérativement faire en sorte que soient exonérées les charges des jeunes de moins de vingt-cinq ans.
Beaucoup a déjà été fait dans cette direction, mais il faut aller au-delà, afin d'encourager les entreprises à embaucher les jeunes et d'encourager les jeunes à se tourner vers les métiers manuels, plutôt qu'à se tourner tous vers l'Université.
Mon expérience de l'entreprise me porte à croire que notre société est trop figée, qu'elle a peur de bouger, qu'elle reporte au lendemain les réformes nécessaires pour se préparer à affronter la compétition féroce du XIXe siècle, qui est à notre porte.
Qu'on le veuille ou non, la mondialisation de l'économie s'accélère. De ce constat, découle un état de fait que nous devons, dans notre approche, prendre en considération.
En prenant des options fortes et courageuses, en tenant à nos concitoyens un langage de vérité, nous parviendrons, monsieur le ministre, à nous rassembler, d'abord, à unir nos forces, ensuite, afin de faire porter les efforts d'aujourd'hui sur l'ensemble des Français et non pas seulement sur les plus faibles et sur la jeune génération.
En attendant, monsieur le ministre, les chefs d'entreprises artisanales, petites et grandes, savent que vous manifestez à la fois une forte volonté et de la détermination. Ils connaissent votre compétence et mettent beaucoup d'espoir en votre action.
C'est en souhaitant que les suggestions faites ne restent pas toutes lettre morte que le goupe du RPR et moi-même voterons le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre d'un projet de loi dont l'intitulé : « Développement et promotion du commerce et de l'artisanat », démontre bien l'ambition. Il s'agit véritablement de l'avenir de deux secteurs économiques sociaux et humains essentiels pour notre pays.
Ce texte s'inscrit dans une démarche de grande ampleur annoncée par le Premier ministre le 27 novembre dernier, lors de sa présentation du plan « PME pour la France. »
Mieux maîtriser le développement des grandes surfaces tout en assurant une répartition harmonieuse sur le territoire national des structures commerciales de vente au détail, d'une part, apporter un nouvel élan et un dynamisme accru à l'artisanat, d'autre part, tel est le double enjeu de ce texte important.
Au début des années soixante-dix, affirmant leur volonté d'aménager rationnellement le tissu urbain et conscients de la nécessité sociale de limiter pour certains travailleurs indépendants les aléas de leurs choix économiques, les pouvoirs publics ont voulu permettre aux petits commerçants de résister à la concurrence des grandes surfaces.
Ils l'ont fait notamment en prenant des mesures concernant les structures de distribution elles-mêmes.
La plupart de ces mesures ont été reprises et coordonnées dans la loi du 27 décembre 1973, loi d'orientation du commerce et de l'artisanat, dite loi Royer.
Etabli selon le principe de la régulation, ce texte avait pour objectif d'assurer un développement plus équilibré du grand commerce et, notamment, des supermarchés et hypermarchés, qui posaient des problèmes à l'environnement urbain et risquaient d'entraîner la disparition de bon nombre de petits commerces.
La méthode retenue alors par la loi était celle d'une autorisation préalable donnée par une commission spécialisée, à partir d'un certain seuil de surface.
Comme le rappelait lui-même à juste titre, le 22 mai dernier, à l'Assemblée nationale, le père de la loi de 1973, Jean Royer : « Pendant les dix premières années, son application n'a soulevé aucun problème grâce à la connaissance que l'on avait de la loi dans les profondeurs de la nation : près de 200 000 exemplaires commentés, avec des exemples pour tous les articles de la loi, disponibles dans les chambres de commerce et d'industrie, les chambres de métiers et les municipalités. Enfin, chaque année, un rapport était présenté au Parlement sur l'évolution de son application. »
Ainsi, c'est vrai, pendant une dizaine d'années, plus de la moitié des demandes d'implantation de grandes surfaces ont été refusées.
Par la suite, malheureusement, la situation s'est considérablement dégradée.
D'une part, comme chaque fois qu'existe un effet de seuil, la loi a été facilement contournée : il suffisait que plusieurs magasins, dont les surfaces respectives étaient inférieures aux seuils, se réunissent ; ou encore, la loi ne prévoyant que la création de surfaces nouvelles, l'implantation dans des locaux anciens échappait à toute autorisation.
D'autre part - et il faut voir les choses en face - les élus locaux membres de la commission départementale d'urbanisme commercial se sont bien souvent montrés plus soucieux des avantages procurés par l'implantation d'une grande surface que des équilibres recherchés par le législateur.
En conséquence, malgré la loi Royer, le nombre de grandes surfaces n'a cessé d'augmenter, alors que, dans le secteur de l'alimentation par exemple, la part du petit commerce est passée de 25 p. 100 en 1965 à 10 p. 100 en 1985.
Cette évolution a conduit la France au premier rang, en Europe, pour le nombre d'hypermarchés : un hypermarché pour 65 000 habitants.
De même, les magasins d'alimentation générale dont la surface de vente dépasse 400 mètres carrés représentaient 70 p. 100 de la force de vente en 1982 ; ce chiffre était passé à 82 p. 100 en 1992.
Pour la seule année 1994, on ne dénombrait pas moins de 970 000 mètres carrés de créations ou d'agrandissements de grandes surfaces. Mention particulière doit être faite de cette nouvelle forme de distribution que sont les « maxidiscompteurs », plus couramment et plus justement dénommés hard discount, lesquels prospèrent sur les parts de marché de leurs concurrents, dans une conjoncture rendue difficile par la baisse de la consommation des ménages.
Encore faut-il souligner que 96 p. 100 d'entre eux ont une surface de vente inférieure à 1 000 mètres carrés, échappant de facto aux dispositions de la loi Royer.
Dans ces conditions, il convient de réagir. Et c'est ce que vous faites aujourd'hui, monsieur le ministre, en nous présentant ce projet de loi.
L'honnêteté commande de reconnaître que d'autres avant vous - je pense ici aux lois Doubin de 1990 et Sapin de 1993 - ont essayé de corriger certaines dérives, mais - il faut le dire aussi - sans succès. Peut-être leur démarche manquait-elle de souffle, faute d'être sous-tendue d'une réelle volonté politique !
Tel n'est pas votre cas, monsieur le ministre, car votre démarche s'inscrit dans le droit-fil de la décision prise par le Gouvernement, sur l'initiative du Président de la République, de geler, à compter du 12 avril 1996, toute nouvelle implantation.
Le présent texte soumet à autorisation toutes les créations et extensions au-delà de 300 mètres carrés de surface de vente, cette disposition étant assortie d'une modification de la composition et du fonctionnement des commissions départementales et nationale d'équipement commercial.
Sur ce dernier point, je tiens à indiquer combien la proposition du Gouvernement me paraît équilibrée et, pour tout dire, de loin la meilleure.
En effet, le texte initial prévoit que la commission départementale d'équipement commercial comportera dorénavant six membres : trois élus locaux et trois représentants socioprofessionnels, les décisions étant prises à une majorité de quatre sur six.
La commission des affaires économiques et du Plan et son rapporteur, notre collègue Pierre Hérisson, dont je tiens à saluer le remarquable travail, proposent de porter à huit le nombre des membres siégeant à la commission départementale, en réintroduisant la présence du « quatrième élu » et en permettant la représentation de la chambre d'agriculture.
A cet égard, je ferai deux observations.
La première a trait au caractère somme toute anachronique de cette proposition, car il convient de rappeler que la loi du 3 janvier 1993, dite loi Sapin, avait considérablement réduit le nombre des membres de ces commissions, qui était alors passé de vingt à sept. Il me paraît vraiment souhaitable de poursuivre dans ce sens et non en sens inverse.
Ma seconde observation porte sur la présence d'un représentant de la chambre d'agriculture, proposition dont je comprends fort bien les motivations. Mais on peut s'interroger, me semble-t-il, sur la présence d'un membre dont les approches économiques et les intérêts sont différents, voire opposés, parfois, à ceux de la grande distribution.
La commission des lois, quant à elle, nous propose, par un amendement de Jean-Jacques Hyest, son rapporteur, de passer à sept membres.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. De rester à sept membres !
M. Bernard Plasait. Alors, sept ou huit membres ? Eh bien, pourquoi pas six ?
L'efficacité est à ce prix. C'est aussi le prix de l'équilibre auquel, je n'en doute pas, notre assemblée, dans sa sagesse, se ralliera.
Le second volet du texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, concerne l'artisanat.
Vous comprendrez que l'artisan que je suis se réjouisse que l'on se soucie du développement de l'artisanat, car ce secteur occupe une place à part dans notre pays.
D'abord, son poids économique, que l'on mésestime souvent, est condidérable : 820 000 entreprises employant plus de deux millions de personnes. Il faut aussi souligner son rôle majeur en matière d'aménagement du territoire, puisque 30 p. 100 des effectifs de l'artisanat sont situés dans des communes rurales et 42 p. 100 le sont dans des agglomérations de moins de 200 000 habitants.
Le problème crucial auquel est confronté ce secteur, c'est le taux de mortalité des jeunes entreprises puisqu'une sur deux disparaît dans les trois ans suivant sa création.
Le projet de loi s'attaque à ce fléau en assurant la qualification du créateur et en validant la création du projet. Etablir qu'une qualification professionnelle est requise pour l'exercice de certains métiers est résolument la meilleure voie à emprunter.
Je me félicite vivement qu'une première liste de métiers figure dans le projet de loi et concerne essentiellement les métiers de bouche, où l'hygiène et la sécurité doivent être l'objet de tous nos efforts.
Concernant plus particulièrement les professions de restaurateur et d'hôtelier, je m'associe au souhait de la commission que soit établi un rapport sur leurs conditions d'exercice.
Il est un autre aspect tout aussi essentiel pour défendre la pérennité des entreprises : leur transmission. Mais ce sujet spécifique a été traité par le plan « PME pour la France » et le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, avec la donation-partage.
Enfin, l'objectif est que la loi reconnaisse l'identité artisanale.
Il est en effet indispensable que les métiers au savoir-faire reconnu puissent être identifiés par les consommateurs eux-mêmes. Comme vous avez coutume de le dire, monsieur le ministre « un cuiseur de pain n'est pas un boulanger artisanal ». Cette qualité d'artisan sera désormais exigée pour pouvoir utiliser les termes « artisan » et « artisanal » sur l'enseigne de l'entreprise ou dans la publicité pour le produit. Voilà une disposition qui constitue un grand progrès dans la transparence commerciale.
Je conclurai mon propos en soulignant à quel point les articles 27 et 28 du projet de loi représentent là encore un grand progrès pour un secteur qui souffre depuis des années de la pratique des prix abusivement bas, le secteur du transport routier de marchandises.
Nous avons là l'illustration parfaite du mot célèbre de Lacordaire : « Entre le faible et le fort, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »
La liberté ne devant pas tuer la liberté, ce projet de loi est un texte de progrès, que je voterai avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Moinard.
M. Louis Moinard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus de vingt-deux ans après son adoption, la loi Royer, qui se voulait protectrice du petit commerce, a un réel besoin de rénovation.
Le dispositif qu'elle avait instauré n'a pas permis de faire face au développement des grandes surfaces. Nous sommes obligés de constater que ce développement a un lien direct avec la disparition des petits commerces et des artisans dans les zones rurales et les centres-villes. Il a gravement porté atteinte à un aménagement équilibré du territoire. Quoi de plus triste qu'une ville sans vie de quartier, qu'un village inanimé ?
Je tiens, monsieur le ministre, à vous féliciter d'avoir pris toute la mesure de ce désastre et de vouloir y mettre fin sans tarder.
Autant par les mesures en matière d'urbanisme commercial que par le renforcement de l'identité artisanale, votre projet de loi est à même d'adapter tout un secteur de notre économie aux évolutions de notre société. Son plus grand mérite n'est pas simplement d'accompagner ces évolutions, il est aussi de les maîtriser.
De même qu'il exprime la préoccupation majeure de revitalisation du monde rural, ce texte permet, sans aucun doute, un rééquilibrage des agglomérations entre le centre et la périphérie. Force est de constater que le centre de nos villes et de nos villages se vide inéluctablement. Abaisser à 300 mètres carrés le seuil à partir duquel une autorisation est nécessaire pour créer ou agrandir un magasin est une mesure courageuse que nous, hommes de terrain, ne pouvons que soutenir.
En inscrivant l'impact sur l'emploi parmi les critères permettant aux commissions d'équipement commercial de statuer sur les projets d'implantation ou d'extension, vous faites un pas important dans la lutte contre le chômage.
Comment ne pas être scandalisé par ces magasins en libre-service qui fonctionnent avec deux fois moins de personnel qu'un supermarché classique ?
Ces hard discount ont court-circuité les relais traditionnels du commerce et changé les habitudes des consommateurs. Sur le plan philosophique, je m'interroge et je vous interroge, monsieur le ministre : souhaitons-nous développer le commerce en dehors de toutes relations humaines ? Encore des repères qui sautent...
Cette technique de vente jusqu'à maintenant anarchique est particulièrement nuisible aux petits commerces de détail. Elle est la négation même de l'idée de commerce en faisant de l'argent pour de l'argent sans se soucier le moins du monde de la qualité de l'accueil des consommateurs et de la qualité de l'environnement autant économique que naturel. Pourtant, nous savons tous ici que le commerce a historiquement une fonction de lien social, de cohésion et de solidarité. Nous devons rétablir ces fonctions vitales afin de renforcer la collectivité.
Une étude de l'INSEE, qui ne peut souffrir la polémique, a montré que la croissance de la grande distribution entre 1990 et 1993 s'était soldée par la destruction de près de 70 000 emplois dans l'artisanat et le commerce indépendant alimentaire. Le texte que nous examinons doit stopper cette hémorragie.
En faisant de la redynamisation de l'artisanat le deuxième volet de votre projet de loi, vous répondez, monsieur le ministre, à une forte attente non seulement des artisans, mais aussi des consommateurs.
L'artisanat est un secteur clé, qui représente 250 métiers, 800 000 entreprises et 2 millions d'emplois. Ces chiffres ne doivent pas pour autant faire oublier les difficultés des petits artisans. Les mesures inscrites dans le texte que vous nous soumettez vont dans le sens d'une réelle revalorisation de l'artisanat. Comme vous, je suis convaincu que le développement des petites entreprises est étroitement lié à la qualification des entrepreneurs.
L'exigence d'une qualification préalable dans un certain nombre de métiers permettra de renforcer ce développement indispensable. Elle sera également un excellent outil pour stimuler l'apprentissage et lutter contre le chômage des jeunes.
Je ne vous cacherai pas mon impatience de voir se traduire concrètement les objectifs de la charte de la qualité et du fonds de promotion de l'artisanat.
Vous avez défini une politique globale en faveur de l'artisanat. Nous mesurons, d'ores et déjà, l'importance des changements qu'elle ne manquera pas d'apporter pour le plus grand bénéfice des artisans, mais aussi des consommateurs. Voilà longtemps que nous attendions une telle initiative. Je tiens, monsieur le ministre, à vous en féliciter.
J'attirerai enfin votre attention, monsieur le ministre, sur un point qui est d'une grande importance et qui n'est pas sans relation avec le débat qui nous occupe ce soir.
Puisque ce texte sur le commerce et l'artisanat nous introduit de plain-pied dans le monde des PME, j'aurais souhaité connaître les suites que vous entendez donner à la déclaration du Premier ministre, le 23 mai dernier, concernant la taxe de 6 p. 100 sur les contrats de prévoyance instaurée à la fin de l'an dernier.
En effet, mesurant les effets de ce nouveau prélèvement sur les PME, M. Alain Juppé avait précisé avoir « exigé » que cette mesure soit corrigée lors de l'examen de ce projet de loi, afin que les PME, selon le souhait du Gouvernement exprimé lors de l'annonce de cette mesure, n'en soient pas affectées. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Par ailleurs, quelle base juridique entendez-vous donner à cette mesure ? Une simple circulaire ministérielle pourra toujours être attaquée, sur l'initiative des URSSAF, celles-ci n'étant pas liées par les circulaires du ministre des affaires sociales, surtout en cas d'autorisation de dérogation, ce qui est ouvertement contraire à la loi. J'attends, sur ce point, que vous m'apportiez quelques éclaircissements.
Permettez-moi enfin de profiter de ce débat utile et riche pour vous interroger sur trois points auxquels les élus, les professionnels de nos communes rurales et moi-même sommes particulièrement sensibles.
Premièrement, quels sont les moyens concrets dont vous disposez aujourd'hui pour limiter les rachats d'enseigne par les plus puissants et éviter leur concentration, laquelle sera préjudiciable tant au fournisseur qu'au consommateur ?
Deuxièmement, comme vous le savez, les informations concernant la situation comptable des entreprises sont accessibles à tous. Mais la connaissance des données économiques des fournisseurs devient un argument de négociation pour les centrales d'achat, qui exigent des baisses supplémentaires de prix quand les bilans des producteurs sont positifs - producteurs qui maintiennent ou créent un nombre d'emplois important, est-il besoin de le rappeler ?
Pouvez-vous préciser les moyens que vous entendez mettre en oeuvre pour protéger ces fournisseurs, qui deviennent alors des victimes ?
Troisièmement, la survie des petits pompistes semble aujourd'hui menacée ; ce thème a été longuement débattu dans un autre débat. Quelle réponse le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat peut-il apporter à la colère grandissante qui envahit nos campagnes ?
Pour revenir au texte qui nous occupe ce soir, mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même estimons qu'il emprunte la bonne voie, celle de l'équilibre, de l'équité et de la justice. C'est pourquoi nous vous apporterons notre entier soutien. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Leyzour.
M. Félix Leyzour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le texte sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales qui achève son parcours législatif, le projet de loi relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat constitue le deuxième pilier du plan PME du Gouvernement.
Personne dans cet hémicycle ne contestera, je crois, l'ampleur du problème à traiter, ni la nécessité et l'urgence de remettre un peu d'ordre dans une situation qui se traduit aujourd'hui par bien des contradictions et des inégalités préjudiciables à l'intérêt général.
Les projets successifs qui nous sont proposés correspondent-ils à l'ampleur des problèmes posés ? Nous ne le pensons pas. La guerre commerciale sans merci que se livrent les « grands » de la distribution pour assurer leur hégémonie se traduit par des implantations qui ne sont pas toujours judicieuses sur le plan tant de l'urbanisme que de l'environnement. Cette guerre des « grands » provoque une certaine dévitalisation des centres-villes et des grands quartiers urbains et une déstabilisation, voire la disparition du commerce en milieu rural.
Lors de l'examen du texte relatif à la loyauté des relations commerciales, nous avons vu le poids que les distorsions de concurrence et les pratiques déloyales faisaient peser sur le petit commerce, mais aussi sur les producteurs et sur les consommateurs, c'est-à-dire principalement sur l'emploi et le pouvoir d'achat.
Nous regretterons encore une fois à ce propos que le texte définitif vers lequel nous nous acheminons soit, dans l'ensemble, trop timoré et que certaines des mesures préconisées risquent de se traduire au détriment, et même aux frais des consommateurs.
Pour en venir au problème qui nous préoccupe ce soir, on s'aperçoit maintenant que la tendance à la concentration des structures commerciales est si forte que la liberté du commerce autant que l'intérêt du consommateur et celui d'un aménagement équilibré du territoire seraient menacés.
Cette concentration est à la fois géographique, juridique et financière.
L'implantation géographique des grandes surfaces n'est pas toujours raisonnable et ne correspond pas toujours à un urbanisme commercial suffisamment maîtrisé.
Il faut bien constater que l'on est parvenu dans notre pays à une couverture très importante du territoire, et c'est ce qui fait dire à certains observateurs que l'objectif du Gouvernement de freiner l'implantation des grandes surfaces est d'autant plus facile à proclamer que ces dernières ont déjà occupé pratiquement toute la place qui leur était laissée. On dit aussi que c'est moins par sympathie pour le petit commerce que par crainte des hard discount qui les concurrencent que les grandes surfaces sont intéressées aujourd'hui par une nouvelle réglementation.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est le fonds de l'affaire !
M. Félix Leyzour. La concentration des structures commerciales prend une tournure tout à fait significative. On a en effet vu, dans la dernière période, Casino absorber La Ruche méridionale et Rallye, Carrefour reprendre Euromarché et Promodès-Auchan, de M. Mulliez, s'assurer le contrôle de Discol et de Picard Surgelés.
Dans les circonstances actuelles, nous sommes donc bien face à une tendance à la concentration du commerce de détail entre quelques mains et en des lieux toujours moins nombreux.
Le rapport écrit de M. Hérisson - j'ai de bonnes lectures, monsieur le rapporteur ! - indique d'ailleurs qu'au 1er janvier 1995 notre pays disposait de 1 048 hypermarchés, dont 253 de plus de 7 500 mètres carrés, et qu'entre 1982 et 1992 le nombre de magasins couvrant une surface de vente de plus de 400 mètres carrés a progressé de 51 p. 100 pendant que le nombre de points de vente de moins de 400 mètres carrés se réduisait de 11 p. 100.
Avec 40 p. 100 de l'ensemble du commerce de détail, les grandes et moyennes surfaces détiennent donc désormais une position dominante, ou au moins déterminante dans les principaux secteurs de la distribution.
C'est vrai dans le domaine de l'alimentation, où elles occupent plus des deux tiers du marché, ou, par exemple, dans ceux du petit électroménager, du jouet et de la distribution des carburants.
On nous a beaucoup parlé ces derniers temps de la contribution des super et hypermarchés à la stabilité des prix. Je crois qu'il convient de relativiser très sérieusement les choses puisqu'il s'avère que les grands de la distribution ont poursuivi une politique de développement de leurs marges en maintenant une certaine progression de leurs prix tout en reportant sur leurs fournisseurs et sur les producteurs le coût du passage de la TVA à 20,6 p. 100 et en continuant leur politique de précarisation des salaires et de l'emploi de leurs salariés.
Leur contribution à la modération des prix à la consommation est pour une part due à la faiblesse des salaires qu'ils pratiquent et à la précarité de l'emploi. Les géants de la distribution, qui ne manquent pas d'imagination, utilisent manifestement tous les artifices déstructurants de la législation du travail qu'a institués la loi quinquennale pour l'emploi.
Les prix d'appel sur quelques produits savamment mis en lumière par des publicités abondantes et bien faites et un aménagement particulier des rayons cachent souvent des prix beaucoup plus classiques pour l'immense majorité des produits qui sont référencés dans la grande surface.
Il est à noter que lorsque le Gouvernement et les élus de sa majorité évoquent les difficultés du petit commerce, ils ne font que très peu le lien avec l'affaiblissement du pouvoir d'achat des familles.
Tout le monde sait bien aussi que, au-delà des problèmes d'accessibilité, de stationnement et de chalandise, le principal handicap du petit commerce réside le plus souvent dans les prix qu'il pratique et dans le fait qu'il ne peut rivaliser avec les grandes chaînes de distribution bénéficiant, elles, des économies d'échelle que leur permettent leurs centrales d'achat.
Le chômage, la précarité des salaires et du travail, la réduction du niveau des prestations sociales et la politique de limitation des pensions, traitements et salaires pèsent lourdement sur le petit commerce.
Si les gens vont plus facilement faire leurs courses en voiture au supermarché ou à l'hypermarché une fois par semaine, c'est aussi, dans les grandes agglomérations, par manque de temps pendant le reste de la semaine, en raison d'un aménagement urbain désordonné, qui repousse les emplois toujours plus loin à la périphérie des villes.
Mon ami Gilbert Biessy a dit fort justement à l'Assemblée nationale que lorsque le petit commerce disparaît, c'est l'anonymat qui progresse.
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Exact !
M. Félix Leyzour. La question du maintien du commerce de proximité tant en milieu rural que dans les villes est donc une question de société, une question complexe qu'il convient d'aborder de manière globale si l'on veut trouver les solutions qui correspondent vraiment aux intérêts de la population.
Le maintien d'un tissu commercial suffisamment dense modernisé dans nos centres-villes est un élément d'animation de nos villes, grandes, moyennes et petites.
Toutefois, il faut se garder en la matière de tout raisonnement simpliste. Au contraire, il convient de considérer le développement des différentes formes de commerce de façon complémentaire, ce qui implique de changer en profondeur la politique menée depuis trop longtemps dans ce pays. Les toilettages successifs de la seule législation relative à l'implantation des grandes surfaces ne suffisent pas. On sait comment les représentants des grandes surfaces - c'est un spécialiste qui l'a rappelé tout à l'heure - sont experts en matière de contournement de la législation !
Votre texte, monsieur le ministre, ne s'inscrit pas dans le cadre d'une grande ambition, et c'est, bien entendu, d'abord par cet aspect qu'il pèche.
Il n'est, par exemple, toujours pas question d'une réforme en profondeur de la fiscalité locale en général et de la taxe professionnelle en particulier, alors qu'il est non seulement souhaitable mais aussi urgent de ne plus taxer le petit commerçant ou l'artisan de la même manière que les grandes sociétés de l'industrie, du secteur des banques et des assurances ou les géants de la distribution.
Dans le même ordre d'idée, nous préférons une réforme globale des cotisations sociales qui fasse payer proportionnellement plus les grandes sociétés et moins le petit commerce et l'artisanat en prenant également en compte les bénéfices réalisés à cette politique d'exonération de charges qui déstabilise la sécurité sociale et met en cause, à terme, l'avenir même de notre système de protection sociale.
Nous proposons également qu'une partie des profits réalisés par les géants de la distribution soient taxée afin d'alimenter un fonds qui servirait au maintien et au développement du petit commerce et des artisans, en centre-ville comme en milieu rural. Mais, de cela, il n'est toujours pas question dans le plan PME du Gouvernement.
L'institution du seuil de 300 mètres carrés pour la saisine des commissions départementales d'équipement commercial est, certes, souhaitable, mais cette disposition arrive bien tard, une fois que les principaux sites d'implantation de grandes surfaces sont déjà attribués.
Nous reviendrons, dans la discussion des articles, sur tous ces points, en particulier sur les problèmes de l'hôtellerie et des salles de cinéma.
Le deuxième volet de votre projet de loi, monsieur le ministre, concerne l'artisanat
La reconnaissance du statut de l'artisan est un petit pas en avant. Nous savons quelle est la place de l'artisanat dans la vie économique et sociale du pays. La situation de celui-ci dépend du pouvoir d'achat de la population et de la situation économique et sociale générale.
En retour, l'artisanat est un élément constitutif du tissu économique et social. Il y a, bien évidemment, l'artisanat de service, l'artisanat de production lié à la qualité des produits et servant parfois de base au développement des petites et moyennes entreprises.
L'artisanat perpétue des métiers qui ont derrière eux une longue histoire. Certes, des métiers ont disparu, mais de nombreux autres se sont développés, liés aux produits nouveaux, aux technologies nouvelles. Vous avez parlé de ces 800 000 artisans, dont 400 000 n'ont ni salariés ni compagnons.
Vous avez déclaré que le véritable problème, c'était la mortalité des jeunes entreprises. La transmission, la création d'entreprises artisanales ne peuvent que trouver un soutien dans une meilleure qualification, dans une meilleure maîtrise des questions touchant à la gestion.
Je suis d'accord sur ce point : pour côtoyer de près le monde de l'artisanat, je sais ce que valent la qualification, la maîtrise de la gestion.
Je vais m'arrêter quelques instants sur les artisans du bâtiment, qui couvrent un vaste champ de métiers très divers, qualifiés, qui représentent une masse d'emplois.
Leurs problèmes sont liés à ceux de tout le secteur du bâtiment et des travaux publics, mais c'est surtout du logement que dépend leur activité : constructions de logements collectifs et individuels, amélioration et restauration de l'habitat ancien.
Le logement, notamment le financement du logement, relève d'une compétence de l'Etat, par le biais de laquelle le Gouvernement peut agir sur l'emploi. Les crédits injectés dans ce secteur permettent d'apporter une réponse adaptée aux problèmes sociaux des mal-logés. Ils ont une répercussion immédiate sur le plan de l'emploi.
L'activité du bâtiment est une activité qui ne fait pas beaucoup appel à des produits d'importation et dont la relance ne peut donc jouer contre l'équilibre de la balance commerciale. C'est une activité de main-d'oeuvre. Toute aide en sa faveur a une traduction immédiate en termes de création d'emplois. Voilà donc, monsieur le ministre, un secteur dans lequel le Gouvernement peut agir s'il en a la volonté.
On ne peut pas dire que cette volonté se manifeste fortement. Pourtant, la demande est pressante - nous l'avons vu ces derniers jours - et je crois que le Gouvernement serait bien inspiré d'y répondre.
Vous prévoyez de traiter ultérieurement des marchés publics, ce qu'il faudra faire avec beaucoup d'attention. Dans l'immédiat, il y a beaucoup à faire pour donner un ballon d'oxygène à l'artisanat du bâtiment.
Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, un certain nombre d'observations que nous traduirons par des amendements que nous défendrons avec, pour objectif, de marquer quelques avancées sur les points qui font l'objet de nos discussions. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. Mes chers collègues, nous avons terminé le « premier tour » d'orateurs. Je vais faire le point sur les temps de parole.
Le groupe communiste républicain et citoyen, qui n'a plus d'orateur inscrit, a pratiquement épuisé son temps de parole, à trente secondes près.
Le groupe du Rassemblement démocratique et social européen dispose encore de neuf minutes pour un orateur, le groupe des Républicains et Indépendants de treize minutes pour un orateur, le groupe de l'Union centriste de vingt-deux minutes pour un orateur, le groupe socialiste de vingt-huit minutes et demi pour trois orateurs, enfin, le groupe du Rassemblement pour la République de vingt-deux minutes pour deux orateurs.
M. le président. La parole est à M. Bony.
M. Marcel Bony. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dire que le projet de loi relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat n'est pas un texte d'orientation de ces deux secteurs économiques, comme l'était la loi Royer du 27 décembre 1973, est une évidence.
La voie avait été tracée dès cette année-là, et vous nous proposez en quelque sorte, aujourd'hui, de la rendre plus sûre et plus large, afin qu'elle soit l'unique axe, et je dirai même un axe à sens unique, conduisant à une cohabitation maîtrisée de la grande distribution, d'une part, et du commerce et de l'artisanat traditionnels, d'autre part.
« Injecter de l'humain dans l'économie, humaniser celle-ci », selon vos termes, monsieur le ministre, voilà une saine ambition, une ambition très humaine. Je comprends par là que vous visez une économie impliquant des rapports personnalisés entre ses acteurs, dans un cadre familier marqué par la présence de l'homme.
Sans forcément en tirer les mêmes enseignements que vous, j'adhère a priori à cette logique - qui ne le ferait pas ? - tout en vous faisant remarquer que c'est la simple loi du marché, le principe de la libre entreprise qui a produit l'évolution que nous constatons et qu'a cherché à gérer la loi Royer et ses multiples adaptations successives.
La réforme qui nous intéresse aujourd'hui est une adaptation de plus. Elle prévoit toutefois une porte de sortie intéressante, mais à mon sens trop floue, avec le programme national de développement et de modernisation des activités commerciales et artisanales et la généralisation des schémas territoriaux d'urbanisme commercial.
Alors, n'est-ce pas un combat d'arrière-garde, se disent certains ? N'est-ce pas le texte de la dernière chance, pensent d'autres ?
Je crois, pour ma part, qu'il ne doit pas s'agir d'un combat pour le législateur, car ce n'est pas en spéculant sur la mort de la grande distribution que l'on construira la modernisation et le développement du commerce de proximité. Il appartient aux pouvoirs publics et, en l'occurrence, au Parlement de raisonner sereinement et de rechercher le consensus.
En réalité, la question est complexe, et vous le savez bien, monsieur le ministre. Vous savez qu'une moyenne surface n'a pas toujours un impact négatif sur le commerce environnant. Vous savez qu'elle peut, dans certains cas, se révéler une locomotive pour un territoire. Vous savez qu'elle améliore parfois l'offre et la qualité de vie en centre-ville.
Que faites-vous des consommateurs, nullement présents dans votre réforme ? Leur rôle me semble pourtant de première importance.
Redonnerez-vous réellement confiance aux petits commerçants et artisans ? Permettez-moi d'en douter car aucune mesure d'ordre fiscal, social ou financier n'est prévue pour améliorer leur situation économique et les encourager dans leur activité et aucune relance de la consommation n'est envisagée !
Par ailleurs, le projet de loi ne prévoit rien de concret sur les conditions d'emploi, très souvent détestables, des salariés des grandes surfaces - ce point a été évoqué tout à l'heure. Qui se préoccupe de leur sort ? Humaniser, monsieur le ministre, c'est aussi cela !
C'est pourquoi je fais miennes les remarques qu'a formulées mon collègue et ami Bernard Dussaut sur l'uniformité du seuil prévu, la composition de la commission départementale d'équipement commercial, ainsi que sur le titre II relatif aux artisans, dont la situation mérite d'être examinée de près, notamment dans le secteur du bâtiment.
Je souhaite, pour ma part, insister sur la question de l'hôtellerie, introduite dans le débat à l'Assemblée nationale à la faveur d'un amendement.
L'offre hôtelière française est dans une période de transition liée au contexte de crise, et la vulnérabilité des entreprises hôtelières demeure très accusée. Cette situation est préoccupante à plus d'un titre si l'on considère la place qu'elles tiennent dans le tourisme français et le rôle moteur qu'elles y jouent. Si notre pays est toujours la première destination touristique mondiale, c'est aussi, bien sûr, à l'industrie hôtelière qu'il le doit.
Vous ne l'ignorez pas, monsieur le ministre, les recensements des capacités hôtelières font état de déséquilibres préoccupants dus à l'augmentation du surinvestissement dans les villes de grande et de moyenne importance. Le surinvestissement - ou la surcapacité, comme vous voudrez - est d'ailleurs un phénomène moins de centre urbain que de périphérie ; il concerne généralement les zones industrielles à proximité des principaux axes routiers et les grands équipements structurants de tourisme et de loisirs.
Dans mon département, par exemple, un projet touristique de grande envergure prévoit l'aménagement d'un équipement hôtelier important, alors qu'à quelques kilomètres - trente ou quarante - près de 60 000 lits en hôtellerie traditionnelle sont sous-occupés.
Les conséquences immédiates, vous les connaissez comme moi : chute des taux d'occupation et effondrement des prix.
Dans ces conditions, les risques sont multiples et inquiétants : les hôtels de chaînes, semi-automatisés et sans convivialité, ne créent que peu d'emplois, mais ils déséquilibrent la gestion d'établissements existants et contribuent à leur fermeture. L'arrivée de ces nouveaux hôtels décourage les initiatives individuelles, la plupart du temps à plus haut risque financier. Elle ne participe pas à un aménagement du territoire bien compris, car ces établissements n'ont pas d'attaches avec le pays, leur effet néfaste le plus flagrant étant de vider les centre-villes.
C'est pourquoi l'urbanisme commercial en la matière doit être mieux encadré.
Le groupe socialiste approuve donc le principe de l'intégration de l'équipement hôtelier dans le cadre des décisions des CDEC, sous une condition, que j'exposerai juste après avoir précisé que, en ce qui concerne le seuil retenu, il ne s'agit en aucun cas de figer le parc hôtelier, mais de satisfaire un réel intérêt économique tout en apportant une réponse rapide au problème du développement anarchique des implantations.
Pour autant - et c'est ma réserve - cette approche normative ne doit pas en rester là, car il est essentiel d'insérer l'hôtellerie française dans une stratégie d'ensemble de l'aménagement du territoire et du développement local. Il ne faudrait pas que, sous le prétexte de rétablir une concurrence loyale, la disposition prise constitue une entrave au fonctionnement du marché de l'hôtellerie, car, alors, la profession hôtelière ne pourrait assurer une bonne adaptation du secteur à la concurrence internationale.
Aussi, monsieur le ministre, je souhaite ardemment qu'au titre des schémas de l'article 4 soit mis en perspective un schéma spécifique d'implantation hôtelière ou, à tout le moins, que les schémas projetés par le Gouvernement prennent en compte leur implantation. Pouvez-vous nous apporter cette assurance ? Je peux vous dire que, en ce qui concerne le Puy-de-Dôme, les services compétents sont prêts à mettre en place un tel dispositif, déjà envisagé sous le ministère de M. Bosson.
Je considère qu'une fois mis au point ces schémas devront avoir une valeur juridique contraignante pour les CDEC, qui devront y voir une nouvelle forme de schémas directeurs planifiant l'essor de l'industrie hôtelière. Je me permets d'attirer particulièrement votre attention sur ce point, monsieur le ministre, parce qu'il est absolument primordial et qu'il s'agit peut-être de la plus grande insuffisance de ce texte, qui en comporte toutefois bien d'autres.
A défaut, nous n'aurons pas mené une véritable réflexion sur le traitement dans le temps des déséquilibres et dysfonctionnements constatés, lesquels sont également préjudiciables à nos zones rurales.
Monsieur le ministre, au cours de l'examen de ce texte par le Parlement, j'ai plusieurs fois lu ou entendu que « trop de concurrence tue la concurrence ». Serait-ce une formule magique ? Aurait-on, une fois qu'on l'a prononcée, la possibilité d'intervenir carrément dans une économie fondée chaque jour davantage sur la déréglementation ? En continuant de m'interroger sur ce qui m'apparaît comme un paradoxe, je vous demande de bien veiller à ne pas enfermer notre pays dans une sorte de repli sur soi. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Leyzour applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Collard. M. Henri Collard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'aménagement du territoire sans la présence d'artisans et de commerçants sur le terrain risque d'être un échec. En milieu rural surtout, les artisans et les commerçants sont aussi nécessaires que les services publics et les agriculteurs.
Le secteur du bâtiment, qui était jusqu'à présent considéré comme étant celui qui créait le plus grand nombre d'emplois, est actuellement particulièrement déprimé. Nous constatons en effet un grand nombre de licenciements et la disparition de nombreuses petites entreprises.
La mauvaise santé de l'économie est bien évidemment la cause essentielle du manque d'activité dans le secteur de l'artisanat, comme dans les autres secteurs. Dans le même temps, il faut bien le dire, les artisans subissent nombre de contraintes réglementaires, tant à l'échelon européen qu'à l'échelon national.
Au niveau de Bruxelles, les directives concernant la mise aux normes des machines et la sécurité, si nécessaires et utiles soient-elles, sont pesantes et difficiles à appliquer dans les conditions actuelles, d'autant que les artisans ne se sentent guère concernés par l'activité européenne.
Au niveau français, certaines mesures sont mal supportées. J'en donnerai trois exemples.
Le passage de la TVA à 20,6 p. 100 soit une augmentation de deux points qui, a priori , ne devait pas modifier beaucoup les coûts a eu pour les entreprises un effet néfaste, même s'il est souvent psychologique. Cette mesure a en effet non seulement accru légèrement le coût du travail, mais aussi et surtout favorisé encore davantage le travail au noir.
Cette augmentation de la TVA s'ajoute à des charges que la plupart des artisans jugent, avec juste raison, beaucoup trop lourdes.
L'application des normes et des règlements - ce sera mon deuxième exemple - se traduit par une augmentation rapide du coût de l'assurance construction, qui est également mal supportée par les professionnels. Ainsi, en cinq ans, l'assurance construction, m'a-t-on dit, a augmenté de plus de 50 p. 100.
Enfin, et ce sera mon troisième exemple, les artisans s'inquiètent beaucoup du rôle croissant joué par les associations intermédiaires et d'insertion, même s'ils n'en contestent pas la nécessité, compte tenu de l'aggravation du chômage. Ils estiment que ces organismes accomplissent souvent une partie de leur travail et demandent qu'un contrôle plus rigoureux soit exercé.
Pourtant, depuis trois ans, plusieurs textes, même s'ils étaient incomplets, ont amélioré la situation professionnelle et sociale des artisans et des commerçants. Je songe à la déductibilité du salaire et de la retraite volontaire du conjoint, à l'aide à l'embauche du premier ou des deux premiers salariés, au remplacement du moins-disant par le mieux-disant dans les appels d'offres publics, à l'aide à la transmission et à la création d'entreprise, à la possibilité de souscrire des emprunts à des taux privilégiés, au gel des implantations de surfaces supérieures à trois cents mètres carrés, qui figurait dans le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, au projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, que nous avons adopté voilà quelques jours, encore qu'il ne soit pas certain que les artisans, je pense en particulier aux garagistes, apprécient ce texte, qui continue à les laisser à la merci des grandes surfaces en ce qui concerne le prix de l'essence. Les garagistes ne demandent pas d'aide financière, ils souhaitent simplement que le dispositif relatif aux prix abusivement bas prenne en compte le coût de l'essence.
Le projet de loi qui nous est aujourd'hui présenté doit également contribuer à améliorer la situation professionnelle des commerçants et des artisans. J'en approuve les principaux aspects, et mes observations seront brèves et modestes. La première a trait aux créations et extensions des surfaces commerciales, qui seront soumises à l'autorisation de la CDEC à partir de trois cents mètres carrés.
Monsieur le ministre, pour certaines professions -, je pense en particulier aux garagistes, qui sont aussi des commerçants, mais d'autres secteurs non alimentaires sont également visés - ce seuil me paraît difficilement compatible avec l'exercice d'une activité normale d'autant que de nombreux garages situés tant en ville qu'en milieu rural sont également des stations-service.
Au-delà de trois cents mètres carrés, l'autorisation de la CDEC sera, sans doute accordée, mais il s'agit, avouons-le, d'une complication administrative supplémentaire pour les artisans, qui estiment qu'il y en a déjà beaucoup trop.
Ne serait-il pas possible, monsieur le ministre, d'envisager un seuil intermédiaire, pour les professions non alimentaires ? J'ai déposé un amendement tendant à prévoir une surface de 1 000 mètres carrés. Ce chiffre peut faire l'objet de discussions, mais je me demande s'il ne serait pas opportun pour les professions non alimentaires, notamment pour les garagistes, d'envisager un chiffre supérieur à trois cents mètres carrés.
Par ailleurs, j'estime que le seuil de vingt chambres retenu par l'Assemblée nationale pour les établissements hôteliers situés en dehors de l'Ile-de-France est trop bas. Ce seuil risque en effet de pénaliser le tourisme par car. C'est pourquoi j'approuve totalement l'amendement de la commission des affaires économiques du Sénat tendant à fixer le seuil d'autorisation à trente chambres ou soixante lits. Ce seuil me paraît suffisant pour permettre aux cars de s'arrêter dans les hôtels implantés en centre-ville.
En outre - et ce sera ma troisième observation - la mise en place d'un observatoire départemental d'équipement commercial qui donnera un avis sur l'équipement global du département, avis dont devra tenir compte la CDEC, doit permettre de parvenir à un meilleur équilibre dans la répartition des commerces.
A ce propos, ne serait-il pas souhaitable, monsieur le ministre, d'instaurer une coordination interdépartementale, en particulier lorsque les pôles économiques sont situés dans le département voisin ?
Enfin, ma quatrième observation concerne le rôle de la commission départementale d'équipement commercial.
J'approuve la composition que vous proposez, la règle de la majorité des deux tiers requise pour les décisions d'installation ou d'extension de surfaces supérieures à trois cents mètres carrés ainsi que la décision de porter à un an le délai nécessaire pour qu'un pétitionnaire puisse renouveler sa demande après rejet par la commission nationale.
Mais pourquoi, monsieur le ministre, ne pas prendre une disposition semblable pour la CDEC ? Supposons, par exemple, qu'un pétitionnaire qui n'a pas reçu de la CDEC l'autorisation demandée décide de ne pas engager de recours devant la commission nationale. Qu'est-ce qui l'empêchera de renouveler sa demande immédiatement, voire à plusieurs reprises s'il le faut, et d'encombrer ainsi la commission départementale ?
C'est pourquoi il nous a semblé souhaitable de proposer que, en l'absence de recours devant la CNEC, un délai d'un an soit également nécessaire pour déposer une nouvelle demande de création ou d'extension devant la commission départementale.
En revanche, le délai de quatre mois laissé à la CDEC pour rendre sa décision me paraît un peu trop long. Nous estimons que le délai actuel de trois mois, voire un délai de deux mois, serait suffisant, surtout quand on sait que les candidats à l'extension ou à la création d'une entreprise attendent cette décision de la commission départementale pour s'installer.
Voilà pour ce qui concerne le commerce.
Nous approuvons totalement les dispositions relatives à la qualification professionnelle et à l'artisanat. Elles vont dans le sens de l'amélioration de la situation des artisans, en rendant plus utile le répertoire des marchés, en précisant les conditions d'appellation d'artisan et de maître artisan, en introduisant la possibilité d'un nantissement du fonds artisanal équivalent à celui du fonds de commerce et surtout en rendant obligatoire la qualification pour un certain nombre de professions artisanales.
En conclusion, monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous présentez est un texte important. Il contribuera à l'amélioration des conditions de travail des artisans et des commerçants et à leur maintien tant en centre-ville qu'en milieu rural.
Responsable d'un département dans lequel les artisans restent encore nombreux mais travaillent de plus en plus isolément et dans lequel les commerçants disparaissent progressivement des centres-villes ou des villages, je crois que cette loi est opportune. Mais elle n'est pas suffisante. D'autres textes seront nécessaires pour leur redonner l'espoir qu'ils ont souvent perdu et pour leur donner le désir et la possibilité d'embaucher, car c'est au niveau des petites et moyennes entreprises, des artisans et, sans doute, des commerçants qu'un potentiel d'emplois existe et pourra se développer dès que l'économie repartira.
La réalisation de schémas territoriaux d'urbanisme commercial que vous nous avez annoncée sera une étape déterminante pour la revitalisation du commerce urbain et rural. Ce sera, à mon sens, un élément essentiel d'un véritable aménagement du territoire. C'est dans cet esprit que je voterai ce texte, et je vous remercie, monsieur le ministre, de nous l'avoir présenté. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Rigaudière.
M. Roger Rigaudière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis de prendre à mon tour la parole sur ce projet de loi relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, car j'ai réellement le sentiment que les dispositions qu'il contient sont beaucoup plus que de simples aménagements techniques des professions considérées.
En effet, ces dispositions nous ramènent à cette idée, simple mais essentielle en démocratie, que, même dans un système d'économie libérale, un solide corpus de règles est indispensable si l'on veut que chacun puisse s'exprimer, qu'il soit petit ou grand, puissant ou plus modeste.
Faute d'un tel cadre, les mots de liberté et de libre initiative perdent leur sens, car ils deviennent l'apanage des plus forts. Telle n'est pas notre conception de la démocratie, qui se doit d'être économique autant que politique.
Avant toute chose, je tiens à saluer la cohérence de votre texte, monsieur le ministre, ainsi que la démarche plus vaste dans laquelle il s'inscrit.
A l'origine de cette démarche, il y a la volonté politique d'un homme, Jacques Chirac. Une fois élu Président de la République, il n'a pas oublié qu'il se voulait proche des Français et sensible à leurs préoccupations quotidiennes, ce qui supposait, notamment, une attitude nouvelle de la nation à l'égard du commerce et de l'artisanat.
C'est ainsi que la réforme de la loi Royer s'inscrit dans une politique d'ensemble ambitieuse et bien pensée : « gel » des implantations de supermarchés décidé en 1993, réforme de l'ordonnance de 1986 sur les prix et la concurrence et, dans un proche avenir, établissement des schémas territoriaux d'urbanisme commercial et définition d'un programme national de développement et de modernisation des activités commerciales et artisanales.
Sur le fond, les mesures introduites par le projet de loi sont des dispositions salutaires, attendues par les commerçants et les artisans, désireux d'exercer leur activité dans les meilleures conditions et de continuer à en vivre dignement.
Sans en dresser ici un catalogue inutile, je dirai simplement combien me semble bienvenue, par exemple, l'obligation faite aux opérateurs de soumettre à la commission départementale d'équipement commercial leurs projets de création ou d'extension de surfaces commerciales supérieures à 300 mètres carrés.
De même, on ne peut qu'approuver la prise en compte, par les commissions, des critères d'emploi, d'environnement ou d'équilibre avec les autres formes de commerce.
Pour l'artisanat, le dispositif proposé est éloquent : tout concourt à réduire la tendance au dépôt de bilan rapide des entreprises artisanales nouvellement créées, qu'il s'agisse des exigences en termes de qualification professionnelle, du nouveau stage de préparation à l'installation ou encore de l'officialisation d'un fonds artisanal inspiré du fonds de commerce.
Je me réjouis également des contraintes qui, désormais, accompagneront l'emploi des dénominations « artisan », « artisan d'art » et du qualificatif « artisanal », car elles sont de nature à conforter l'effet positif qu'a sur nos concitoyens le « label » artisanal. Plus encore qu'auparavant, l'artisanat évoquera, à juste titre, l'idée de travail bien fait, de sérieux, de qualité et de tradition, à laquelle tiennent nos compatriotes.
Représentant d'un département rural, j'attache beaucoup de prix à ces diverses mesures de promotion du commerce de proximité et de l'artisanat, tant le lien qui les unit à l'espace rural et à sa vitalité est intime et essentiel.
Que ce soit à la tribune de notre assemblée ou dans l'exercice de mes responsabilités locales, je m'attache toujours à souligner que l'aménagement du territoire repose, avant tout, sur les voies de communication, en particulier les routes, sur l'existence et sur le maintien des communes, ainsi que sur la préservation de l'agriculture. C'est bien volontiers que j'ajouterai aujourd'hui aux routes, à l'institution communale et à l'agriculture cette quatrième pierre angulaire de l'aménagement du territoire que sont le commerce et l'artisanat.
Bien souvent, ils sont l'ultime rempart avant la désertification. La présence dans un village de l'épicerie, du menuisier ou du maçon est aussi importante que celle du bureau de poste.
Pour les personnes âgées, nombreuses à la campagne, les petits commerces sont généralement la seule source d'approvisionnement, et même parfois le dernier lien social.
Quant aux vacanciers et aux touristes, si précieux pour l'économie estivale de nos villages, ils hésiteraient à revenir s'ils ne trouvaient plus sur place les artisans qui réparent, entretiennent et embellissent résidences secondaires et maisons de famille, ou encore si disparaissaient les commerces alimentaires qui leur permettent d'effectuer au moins leurs achats d'appoint et participent à l'animation du bourg.
Ces considérations sur le lien étroit entre commerce et artisanat, d'une part, vitalité de l'espace rural, d'autre part, m'amènent à rappeler que c'est bien un certain choix de société que reflète ce projet de loi.
A cet égard, certains termes ou expressions utilisés pour décrire les orientations du texte, à l'article 1er, parlent d'eux-mêmes : « qualité des services et des produits », « développement de l'emploi », « animation de la vie urbaine et rurale », « maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ».
Tout cela participe d'une même philosophie de l'action publique, que l'on peut résumer en quatre points.
Il s'agit avant tout de la survie des petites structures, face à la logique parfois écrasante des lois du marché et de la concentration, une survie pour laquelle il faut lutter au nom d'un pluralisme commercial plébiscité par nos concitoyens.
Il s'agit aussi du combat pour l'emploi. Et, là, il est bien établi que la grande distribution, en se ramifiant et en étouffant le commerce traditionnel a, au total, détruit infiniment plus d'emplois dans le petit commerce qu'elle n'en a créé en son sein. Quant à l'artisanat, étant donné son lien étroit avec l'apprentissage, il recèle un gisement d'emplois considérable.
Dans le choix de société retenu, on trouve aussi, bien entendu, cette volonté, sur laquelle je ne reviens pas longuement, de promouvoir un développement équilibré et harmonieux du territoire, indispensable si nous souhaitons que l'avenir ne vienne pas confirmer les projections statistiques qui nous annoncent que quatre Occidentaux sur cinq seront des citadins dès les deux premières décennies du XXIe siècle.
Enfin, le choix de société, c'est aussi celui de la convivialité, de la qualité de vie, d'une certaine chaleur dans les rapports sociaux, autant d'aspirations servies davantage par les dimensions humaines des petites structures que par l'anonymat des grandes.
Tels sont, pour l'essentiel, les motifs de réelle satisfaction que l'on trouve à la lecture du projet de loi.
En même temps, je l'avoue, monsieur le ministre, j'aurais aimé que ce texte soit l'occasion de marquer plus clairement la nécessité d'un soutien spécifique au commerce et à l'artisanat en milieu rural, que leur situation dans des zones de chalandise généralement réduites place en situation délicate.
A cet égard, il faut tout de même rendre justice aux zones de revitalisation rurale, de création récente, qui ont déjà permis d'aller dans le bon sens.
Permettez-moi d'ouvrir une brève parenthèse à propos de ces zones. Je regrette que les critères de population retenus pour leur délimitation, étudiés à l'échelon cantonal, aient eu pour effet d'exclure du zonage des cantons qui, bien que foncièrement ruraux, n'ont pas satisfait à l'exigence de faible densité démographique en raison de leur empiètement sur le bassin de population d'une ville. Dans de tels cantons, il aurait été plus pertinent de prendre en considération la dominante des populations communales.
Cette parenthèse étant refermée, j'en reviens au sujet qui nous occupe.
Comme je le disais, le dispositif en faveur des zones de revitalisation rurale indique la bonne direction, car il introduit au bénéfice des créateurs d'entreprise des encouragements à l'investissement et des allégements de charges et de taxes significatifs. C'est encourageant. Mais les aides à l'implantation économique en milieu rural doivent franchir un pas supplémentaire.
Vraiment, je crois qu'il faut, au nom du choix de société que j'évoquais, aider résolument le commerce et l'artisanat ruraux traditionnels. Pour ce faire, quatre axes de réflexion peuvent être retenus.
Le premier d'entre eux consiste dans la poursuite de la réduction des charges telle que l'a initiée le dispositif des zones de revitalisation rurale.
Le deuxième axe, c'est une plus grande liberté laissée aux collectivités locales désireuses d'aider commerçants et artisans à s'installer. Dans ce domaine, les possibilités sont multiples ; notons l'aide aux investissements pour les bâtiments et les véhicules de tournée ou encore l'exonération de taxes locales.
Le troisième axe, je le vois dans des marques de solidarité de la collectivité nationale dans son ensemble, à travers des aides d'Etat.
Actuellement, le fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités commerciales et artisanales, le FISAC, constitue, dans ce domaine, un bon outil ; mais sans doute ne suffit-il plus.
Pourquoi ne pas se pencher sérieusement, ainsi que le suggérait voilà un mois mon collègue député Michel Hunault à la tribune de l'Assemblée nationale, sur la possibilité d'une « dotation aux jeunes artisans et commerçants » ou encore d'une « charte nationale de l'installation » des jeunes commerçants et artisans, comme cela a été fait pour les jeunes agriculteurs ?
Enfin, le dernier axe possible est l'encouragement à la pluriactivité des commerçants et artisans ruraux lorsque, comme c'est souvent le cas, leur activité principale est trop réduite pour les occuper à plein temps et pour les faire vivre. A ce propos, il ne paraîtrait pas aberrant d'autoriser un artisan ou un commerçant à être employé à temps partiel par l'un des services publics de sa commune.
Je tenais, pour finir, et tout en renouvelant mon entier soutien au projet de loi, à exprimer aussi cet espoir de voir encore mieux pris en compte les besoins du commerce et de l'artisanat en milieu rural, alors qu'est précisément en préparation la loi de développement rural.
J'ajouterai, monsieur le ministre, une question plus ponctuelle : serons-nous rapidement informés des mesures en faveur de l'hôtellerie à la ferme qui sont actuellement étudiées par le Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Dupont.
M. Ambroise Dupont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le monde du commerce et de l'artisanat est confronté depuis plusieurs années à d'évidentes difficultés qui découlent de l'évolution en profondeur de notre société. Notons à ce titre l'évolution des modes de consommation le changement du mode d'organisation de nos villes, avec le dépérissement des centres-villes et l'urbanisation croissante et désordonnée des entrées de villes et, enfin, la concentration de notre appareil de distribution.
Votre projet de loi est donc attendu, monsieur le ministre. Un rééquilibrage du paysage commercial au profit des PME s'imposait et, comme vous l'avez si bien souligné, il était temps de redonner la priorité à la proximité du service et à la qualité des échanges, plutôt que de continuer « cette dérive vers le distributeur automatique », bref, de retrouver un vrai service commercial et de maîtriser l'urbanisme commercial.
Votre projet de loi, vous nous l'avez dit, ne se veut pas une déclaration de guerre contre les grandes surfaces, mais vise à rétablir les conditions d'une concurrence loyale, respectueuse de l'emploi, protégeant la vitalité de nos villes et de nos bourgs et protégeant, en définitive, le consommateur.
Votre décision de freiner le maxi-discompte en soumettant à autorisation les ouvertures de surfaces commerciales supérieures à 300 mètres carrés était nécessaire, car les effets déstructurants de cette forme de commerce sont trop connus.
Le surdéveloppement de la grande distribution dans notre pays a des retombées que tout le monde connaît : disparition du petit commerce et de l'artisanat en centre-ville et en centre-bourg ainsi que dans les quartiers, avec tous les inconvénients sociaux qui en résultent pour beaucoup de nos concitoyens ; segmentation spatiale et sociale de la ville ; enlaidissement réel des entrées de villes, où les hangars succèdent aux « boîtes à vendre » et aux parkings, sans aucun souci d'urbanisme. Cependant, la responsabilité de tout cela incombe non pas aux grandes surfaces, mais, hélas, au laisser-faire urbanistique de ces dernières années.
J'ai souligné dans mon rapport sur les entrées de villes le manque de réflexion sur les critères proprement urbanistiques à prendre en compte pour intégrer les équipements commerciaux à l'échelle de l'agglomération. J'ai également noté que les outils de planification de l'espace devenaient des droits à construire sans discernement.
C'est pourquoi je proposerai des amendements à l'article 1er, à l'article 4 et dans la définition des critères d'autorisation et de présentation des projets, afin que les commissions départementales d'équipement commercial prennent mieux en compte la qualité de l'urbanisme et la bonne insertion dans l'environnement urbain et dans le paysage.
Le droit à vendre entraîne le droit à construire. S'il était utile de distinguer l'autorisation de vendre du permis de construire, découpler l'autonomie de la réglementation commerciale du droit de l'urbanisme n'améliorera pas la situation. Comment imaginer, en effet, qu'un maire, responsable de l'octroi du permis de construire, puisse le refuser, alors même que l'autorisation d'implantation dans sa commune aura été donnée ?
A l'occasion de la préparation de mon rapport, j'avais rencontré plusieurs responsables de grandes surfaces qui n'étaient pas opposés à certaines exigences urbanistiques et même architecturales, à condition qu'il n'y ait pas de « prime aux tricheurs » - ce sont leurs mots - et que la règle soit la même pour tous. Aujourd'hui, la grande distribution est même prête, je le sais, à engager des expériences de reconquête des entrées de ville.
Ce projet se plaçant sous le signe d'un encadrement plus rigoureux et d'une réelle ouverture sur l'avenir, l'élaboration du programme national de développement et de modernisation des activités commerciales me paraît très importante. Etant donné l'évolution du paysage commercial français, il est essentiel que le Gouvernement affirme ses priorités. Je me réjouis, monsieur le ministre, qu'au nombre de ces priorités, notamment le maintien et le développement de l'emploi, qui sont évidemment primordiaux, figurent aussi la préservation de l'environnement et le rééquilibrage entre les périphéries urbaines et les centre-villes.
Sans tomber dans une planification étroite, qui ne pourrait que nuire à la liberté du commerce, la dérive de l'économie à laquelle nous assistons rendait nécessaire un document donnant les grandes orientations sur le commerce de centre-ville, l'animation des zones rurales ou la nécessaire modernisation des grandes surfaces. Comptez-vous, monsieur le ministre, associer la représentation nationale à l'élaboration de ce document ? Il me paraît normal que les CDEC prennent des décisions qui s'appuient sur des orientations politiques nationales. Ce doit être le point d'appui de la décentralisation. Le rééquilibrage de ces commissions au profit des socioprofessionnels et des consommateurs me paraît également une bonne chose.
Concernant nos centre-villes, je crois qu'il faudrait faire oeuvre d'imagination, car on ne décrète pas le retour du commerce en centre-ville. Il faut que le marché y revienne et donc que l'on y retrouve des espaces de liberté pour le grand comme pour le petit commerce. Plans de circulation et parkings suffisants y sont nécessaires, notre rapporteur, M. Hérisson l'a très bien dit. En effet, le centre-ville est l'objet de toute les interdictions alors qu'en périphérie tout est possible.
Je m'interroge également sur la définition du « centre-ville », monsieur le ministre. En vérité, il n'en existe aucune. Entendons-nous bien : est-elle utile ? Si oui, il serait opportun de l'introduire dans ce texte puisque, à plusieurs reprises, référence y est faite. Je souhaiterais que vous nous donniez des précisions à ce sujet.
On ne peut manquer d'évoquer également les problèmes de l'hôtellerie et de la restauration en centre-ville. Rappelons qu'entre 1981 et 1991 le nombre d'hôtels de chaîne a progressé de 600 p. 100. Il est évident que la multiplication de ces hôtels automatisés a fait chuter le taux de fréquentation des hôtels traditionnels. Le débat nous éclairera.
J'approuve aussi les arguments qu'ont développés, à l'Assemblée nationale, M. Saint-Ellier et, au Sénat, M. Jean-Marie Girault, à propos des grandes salles de cinéma.
S'agissant des schémas de développement commercial, vous avez devancé mes questions, je ne m'y attarderai donc pas.
Compte tenu de la complexité de la démarche, de la coordination nécessaire avec les règlements d'urbanisme et les directives et schémas régionaux d'aménagement du territoire, vous avez raison de laisser une large place à l'expérimentation. Et nous serons très heureux de disposer rapidement d'un rapport sur les résultats obtenus.
Je me réjouis que vous ayez choisi la Basse-Normandie pour nourrir le débat national sur le sujet. Nous avons tous beaucoup apprécié la semaine que vous venez de passer chez nous. Tous les acteurs sont à votre disposition pour que vous y fassiez des expériences concernant les schémas territoriaux. Le laboratoire est bon, tous les cas de figure y sont présents, vous l'avez bien vu. Je vous remercie de l'avoir si bien compris.
Par ailleurs, ne pourrait-on pas, mieux et plus utiliser le fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités artisanales et commerciales, le FISAC ? Il est financé en partie par la taxe spécifique sur les grandes surfaces et vise à préserver l'équilibre entre les différentes formes de commerce et à maintenir des commerces et des services de proximité.
Lors de la discussion budgétaire, les sénateurs ont été nombreux à demander une déconcentration des décisions d'affectation des crédits. Je souhaite que les attributions du FISAC soient renforcées en faveur non seulement du commerce rural, mais aussi de l'aménagement des centres-villes, afin de faciliter l'accès aux commerces. La réforme de 1995 a augmenté son rendement de 43,3 p. 100. Il faut l'utiliser à des fins d'aménagement du commerce. C'est son but !
Vous avez raison, monsieur le ministre : on ne pouvait plus laisser les récentes évolutions se prolonger librement, car elles sont porteuses de déséquilibres graves. Votre projet de loi va mettre un terme, je le souhaite, à cette dérive. En rééquilibrant les conditions d'implantation commerciales, c'est aussi le territoire que vous allez contribuer à restructurer. En effet, comme nous l'avons souvent entendu dans cette enceinte, le petit commerce est un lieu de rencontre qui favorise les échanges, l'intégration, la communication et lutte, à sa manière, contre l'anonymat de notre société.
Je dirai maintenant un mot sur la seconde partie de ce projet de loi : l'artisanat, qui emploie plus de deux millions de personnes, a bien besoin d'être soutenu. On connaît son rôle essentiel en matière d'aménagement du territoire.
Vos mesures en faveur d'une meilleure qualification professionnelle, de la reconnaissance du métier, de l'affirmation claire de l'identité de l'artisanat, de la valorisation des produits contribueront, j'en suis sûr, à son maintien et à son développement. Mais il me semble que l'on ne pourra pas faire l'économie, dans l'avenir, d'une réforme du statut fiscal et social des travailleurs indépendants. Ces derniers ressentent en effet comme injuste - vous le savez, monsieur le ministre - de cotiser sur leurs résultats d'exploitation et non sur leurs revenus.
Je terminerai cette intervention par une anecdote qui vous montrera, s'il en est besoin, à quel point vos propositions tendant à redonner le goût d'entreprendre à nos concitoyens et à leur faciliter la tâche sont utiles. Je le fais sans reproche pour les hommes, mais en illustration concrète de votre propos.
Voilà un peu moins d'un an, j'ai reçu la visite d'un menuisier compagnon du Tour de France, âgé d'un peu plus de trente ans, marié, père de trois enfants, originaire de Lorraine. Cet homme souhaitant s'installer, je lui conseillai de s'adresser à la chambre des métiers pour connaître la démarche à suivre.
« Monsieur le sénateur, il n'y a rien pour moi ! Je ne suis pas chômeur, je ne suis pas installé et l'on ne peut donc pas m'aider », m'indiqua-t-il après s'être renseigné. D'autant plus étonné qu'une expérience d'opération de restructuration de l'artisanat et du commerce était menée, je téléphonai moi-même à la chambre des métiers, qui me confirma que, comme cet homme n'était ni chômeur ni installé, on ne pouvait l'aider. On pourrait peut-être trouver quelques artifices pour le faire quand même, mais ce n'était pas simple !
Ce jeune menuisier alla donc solliciter un prêt de 120 000 francs auprès de son banquier : « Vous avez un travail ; est-ce bien utile de vous installer ? Et, d'abord, avez-vous du travail devant vous ? » « J'ai trois mois de travail possible », répondit le jeune homme. « C'est ridicule !, dit le banquier. Il vous faudrait au moins trois ans ! » Imaginez-vous un plan de travail de trois ans pour un artisan, monsieur le ministre ? Les clients seraient partis !
Le jeune menuisier me rappelle un peu plus tard pour m'indiquer où il en était : « J'ai été tellement démonté et fatigué que je suis allé voir mon médecin. » « Etes-vous sûr d'avoir suffisamment de santé pour pouvoir vous installer ? », m'a-t-il demandé.
Voilà une anecdote véridique que je voulais livrer à votre réflexion et qui illustre parfaitement votre propos, monsieur le ministre.
Je terminerai mon intervention en vous disant - mais vous l'avez déjà compris - que je voterai ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.) M. le président. La parole est à M. Egu.
M. André Egu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les relations entre consommateurs et commerçants se déshumanisent. Combien de villes ou villages ont perdu leur caractère, leur charme et - oserai-je dire - leur âme en même temps que disparaissaient leurs commerces de détail ? Ces commerces ne participaient-ils pas pourtant au maintien de la cohésion sociale et n'incarnaient-ils pas, bien souvent, la mémoire d'un lieu parce que, tout simplement, ils y maintenaient la vie ? La notion même de commerçant de père en fils n'est-elle pas en train de s'éteindre ?
Que le temps de la communauté villageoise ou de quartier, au sein de laquelle se développaient les échanges commerciaux et les relations humaines, est loin ! Ce dépérissement a eu pour corollaire le développement des banlieues qui, à mesure que se vidaient les campagnes et le centre des villes, ont accueilli une population de plus en plus dense, trop dense, voire explosive.
Le projet de loi que vous nous soumettez a l'immense mérite de vouloir inverser cette tendance, monsieur le ministre. Il est un enjeu crucial de l'aménagement du territoire. En cet instant, je tiens à saluer votre action qui témoigne d'une forte volonté de reconquérir ce territoire auquel nous sommes tous attachés.
S'il est nécessaire de stopper le développement anarchique des grandes surfaces, il faut aussi trouver un équilibre entre les différentes formes de commerce. Sur ce point, la loi Royer de 1973 avait besoin d'être modernisée afin de faire face à une évolution qu'elle n'était plus à même de contrôler.
Aujourd'hui, on l'a dit, la France compte trois fois plus d'hypermarchés qu'il y a vingt ans et elle est le pays d'Europe le plus équipé en grandes surfaces. Cette dérive a eu des conséquences terribles dans les villes, mais plus encore en milieu rural où le petit commerce de détail a été détruit. En milieu urbain et périurbain, c'est tout l'équilibre du tissu commercial qui a été bouleversé : on a remplacé les sentiments par des habitudes, sans contact humain, sans convivialité.
Loin de moi l'idée de dénigrer la grande distribution. Dans ce secteur, la France dispose d'entreprises performantes et - il faut le dire - créatrices d'emplois. Mais combien d'emplois a-t-elle détruit dans le petit commerce, chez les artisans, voire chez les fournisseurs des centrales d'achat dont les exigences sont bien souvent excessives ?
Force est de constater que le dispositif de régulation des implantations est apparu à certains égards comme totalement inefficace.
Les dispositions du présent projet de loi traduisent tout d'abord la volonté que vous avez affiché dans le cadre du plan « PME - artisanat pour la France », monsieur le ministre. Elles pérennisent pour certaines d'entre elles les mesures transitoires que nous avons adoptées au mois de mars. Elles innovent également dans divers domaines. Je citerai pêle-mêle la prise en compte de la dimension indispensable de l'emploi et le rééquilibrage de la composition des commissions départementales d'équipement commercial en faveur des professionnels et des consommateurs.
Monsieur le ministre, vous avez défini les principes d'orientation auxquels je ne peux que souscrire. Je me réjouis par exemple que l'impact sur l'emploi soit introduit parmi les critères qui permettront aux commissions d'équipement commercial de statuer sur les projets d'implantation ou d'extension de commerces soumis à leur autorisation.
Je me réjouis également que le texte érige en principe la modernisation des équipements commerciaux. Leur adaptation à l'évolution des modes de consommation et des techniques de commercialisation est l'un des points forts de ce projet de loi. Il faut y ajouter aussi le souci du confort d'achat du consommateur et l'amélioration des conditions de travail des salariés.
Je dois vous dire mon impatience de voir se généraliser les schémas de développement commercial. Cela devrait permettre, comme vous l'avez rappelé justement, de maîtriser l'évolution des surfaces commerciales et de l'adapter aux réalités locales. Ces schémas ont une importance considérable, notamment en matière d'aménagement du territoire. Le rôle des élus comme des spécialistes en matière d'urbanisme ou d'environnement est essentiel pour l'élaboration de schémas cohérents, et je rejoins à cet égard les propos de notre collègue M. Ambroise Dupont.
Mais un certain nombre de questions restent en suspens. Quel sera l'assise territoriale de ces schémas ? Seront-ils opposables aux tiers ? Je suis, pour ma part, favorable à cette opposabilité, pour assurer une véritable maîtrise de l'urbanisme commercial et pour procéder à une bonne répartition des commerces sur l'ensemble du territoire.
J'évoquerai maintenant le problème de la péréquation de la taxe professionnelle, sujet qui me tient particulièrement à coeur.
La loi du 31 décembre 1990 a certes institué une répartition du produit de la taxe professionnelle correspondant aux créations et extensions de grandes surfaces commerciales. Ainsi, 20 p. 100 des bases communales sont affectées directement à la commune d'implantation, les 80 p. 100 restant étant versés au profit du fonds départemental de la taxe professionnelle. Sur cette part de 80 p. 100, 85 p. 100 des sommes perçues par le fonds départemental sont réparties entre les communes de la zone de chalandise, mais seulement dans un petit périmètre, et ce en proportion de leur population. Ces communes bénéficient donc de 68 p. 100 du produit de la taxe professionnelle. Le solde, c'est-à-dire 12 p. 100, est versé à un fonds régional dont les ressources sont réparties entre des fonds départementaux d'adaptation du commerce rural.
Ce dispositif ne va pas assez loin et n'a rien apporté, ou presque, aux fonds départementaux.
Comme le rappelait voilà quelques années mon collègue Jean-Jacques Robert, dans un rapport d'information du Sénat, il serait souhaitable que les fonds départementaux soient destinés à aider non seulement le commerce, mais aussi l'artisanat rural, ce qui suppose, là aussi, un accroissement de l'aide en faveur des futurs artisans qui souhaitent s'installer.
En outre, il serait nécessaire de revoir le dispositif de la loi de 1990, afin que la péréquation puisse s'appliquer aux grandes surfaces existant sur l'ensemble du département.
La répartition du produit de l'écrêtement de la taxe professionnelle demeure beaucoup trop complexe, et ce sont les services fiscaux qui nous le disent. Il serait à mon avis plus juste d'affecter la totalité de celle-ci au fonds départemental, lequel répartirait les sommes perçues en fonction des critères existants : communes concernées et communes défavorisées.
Ce sujet, je le sais, n'entre pas dans le cadre de votre projet de loi, monsieur le ministre. Il est pourtant d'une grande importance pour l'avenir. La réforme fiscale annoncée par M. le Premier ministre devrait le prendre en considération. Il s'inscrit dans la logique de réforme du commerce et de l'artisanat que vous avez engagée.
Je ne peux pas conclure ce propos sans dire ma satisfaction devant le réel souci que vous avez manifesté, monsieur le ministre, pour rendre aux artisans l'identité et l'espoir qu'ils n'auraient jamais dû perdre. Mais ils attendent de vous une simplification des formalités administratives, fiscales et sociales. Les artisans du bâtiment sont plongés dans un maquis administratif inextricable !
L'artisanat est un grand secteur économique. Il est créateur d'emplois et prometteur pour les jeunes bien formés à ses métiers. Il est donc primordial non seulement de le préserver, mais aussi de lui donner toutes les chances de se développer.
Nous apportons tout notre soutien à votre projet de loi, qui répond en grande partie à ces impératifs. Il s'agit non pas d'un projet de loi conservateur, mais bien d'un texte qui a pour ambition le développement et, nous l'espérons, la réussite. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Vidal.
M. Marcel Vidal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'aborderai qu'un point précis du projet de loi, celui qui a trait à l'ouverture de salles de cinéma de type multiplexes, disposition qui résulte de l'amendement Saint-Ellier adopté par l'Assemblée nationale.
En tant que membre de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis du projet de budget du cinéma, et en ma qualité d'élu local, je ne peux qu'être extrêmement préoccupé par le déferlement actuel de mégacomplexes dans notre pays : actuellement au nombre de quatorze, ils seront demain cinquante si nous laissons se développer leur création anarchique.
Les craintes que je nourris de par mes mandats respectifs sont de deux ordres : les premières sont relatives à l'avenir du cinéma français ; les autres ont trait à une conception politique d'aménagement du territoire équilibré.
Sur le premier point, autant dire que le cinéma français est, au fil des ans, en train de se saborder.
J'observerai tout d'abord à quel point la place qu'occupe dans ce projet de loi sur la promotion du commerce et de l'artisanat le chapitre sur les mégacomplexes de cinéma est révélatrice : le cinéma est, de plus en plus, considéré comme une denrée commerciale. Or il s'agit non pas d'une « marchandise » comme les autres, mais d'un bien culturel, ce qu'occultent le débat et la nature même des salles multiplexes, qui, traitées ainsi, font davantage penser à une opération immobilière qu'à un projet à caractère culturel ou socio-culturel.
Les arguments les plus hypocrites ont été développés pour défendre ces véritables « monstres » que constituent ces complexes de plus de dix salles.
Le premier, selon lequel le choix permet la diversité et favorise le cinéma français, ne tient pas un seul instant : il suffit de consulter les programmes pour s'apercevoir, d'une part, que la production américaine y bat tous les records - cette semaine, par exemple huit films américains sur quinze salles au Ciné Cité Les Halles dont deux fois le même, dans deux salles ; sept films américains sur onze salles à l'UGC Georges-V ; dix films américains sur dix-sept salles à Villeneuve-la-Garenne, située en banlieue nord-ouest - et, d'autre part, qu'une bonne dizaine de ces salles présentent le même film.
Où se trouvent la diversité et la promotion du cinéma français d'auteur ? J'attends une réponse précise.
Tout le monde sait que seuls les distributeurs indépendants prennent des risques en favorisant le cinéma d'auteur. Je ne veux pas faire l'apologie d'un type de cinéma par rapport à un autre. Tous les types de films jouent un rôle intéréssant pour la « bonne santé » du cinéma français et il n'existe, à mes yeux, aucun genre majeur. Tous doivent pouvoir coexister au Ciné Cité Les Halles. Or je crains fort que les mégacomplexes ne tuent un certain type de programmation, certes moins rentable, moins commerciale, mais d'une qualité nettement meilleure.
Par ailleurs, l'argument selon lequel la fréquentation en salles aurait augmenté grâce à l'installation récente de mégacomplexes sur le territoire français ne me paraît pas très solide. La hausse de fréquentation est très souvent liée à la sortie d'un ou deux films porteurs. Il faut également souligner à quel point les chiffres disent ce que l'on veut bien parfois leur faire dire : la fréquentation peut être appréhendée de façon globale, ville par ville ou salle par salle. Le phénomène de « vases communiquants » entre deux salles doit être pris en compte. A qui profite cette hausse de fréquentation ? Sur quels types de films ? Dans quelles conditions ?
Il n'est donc pas évident que cette hausse de fréquentation soit liée à l'installation des mégacomplexes.
En revanche, il est certain que les multiplexes portent et porteront préjudice aux petites salles de centre-ville et ne manqueront pas de compromettre souvent leur survie. L'exemple marquant est celui de Bruxelles, qui a vu, au milieu des années quatre-vingt, se créer à sa périphérie l'un des premiers mégacomplexes d'Europe, le Kinépolis. Depuis, les cinémas indépendants du centre de Bruxelles ont disparu.
Je redoute fort que, à terme, la généralisation du phénomène ne mette en péril le cinéma français, compte tenu de la dominante américaine de la programmation des salles multiplexes.
Le phénomène ne concerne pas seulement la France : partout en Europe on observe un développement accéléré de tels complexes. C'est donc l'ensemble de la culture européenne qui se trouve ainsi menacé.
En matière d'aménagement du territoire, les projets de multiplexes ne me semblent guère plus positifs. Alors que M. Jacques Rigaud, conseiller d'Etat, a été chargé par le Gouvernement d'une mission portant sur la refondation de la politique culturelle - son rapport doit être présenté à l'automne prochain - est-ce à coup de constructions de multiplexes ici et là que l'on compte rétablir l'équilibre du territoire ? J'en doute fort !
Il faut permettre, d'une part aux villes à taille humaine, d'autre part aux bourgs-centres en milieu rural de concevoir et de réaliser des espaces culturels dignes de ce nom. Il y va de l'équilibre « urbain », au sens étymologique du terme, celui qui englobe la vie de la cité.
Si le mégacomplexe peut trouver une légitimité en milieu urbain, comment justifier son existence en milieu rural ?
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est autre chose !
M. Marcel Vidal. Tous les citoyens doivent pouvoir devenir des cinéphiles, quel que soit leur lieu de vie. Mais pourquoi vouloir à tout prix leur imposer le modèle américain ?
On entend dire que les mégacomplexes des périphéries connaissent un succès sans cesse confirmé. Mais, sans autre alternative, on ne peut définitivement affirmer que ces lieux ostentatoires constituent la panacée et un relais pour notre culture française.
Proposer des films américains dans un environnement de fast-food, vente de pop-corn et autres « cybercafés » à l'américaine, est-ce cela le défi du cinéma ? Comme activités de complément du cinéma, on doit rechercher de meilleures formules !
Il existe de véritables activités d'accompagnement à une projection de cinéma : débats autour du film, rencontres avec les auteurs, les comédiens ou les réalisateurs. Certaines salles pratiquent ce genre de rencontres et il est prouvé que le public revient dans ces lieux, où l'on projette le plus souvent des films d'auteur.
Certes, les salles ne sont pas toujours aussi rutilantes et confortables que celles des mégacomplexes. Mais ne perdons pas de vue l'essentiel du débat : une politique du cinéma de qualité et l'implantation de grandes surfaces cinématographiques sont inconciliables.
De telles expériences pourraient être tentées partout localement ; les collectivités territoriales pourraient constituer les meilleurs relais, notamment en veillant à ce que les horaires des transports collectifs soient adaptés aux horaires des séances. Cela participerait d'une politique plus globale destinée à revitaliser le coeur de nos villes et à y développer des activités diversifiées.
L'Etat a également un rôle majeur à jouer. Ainsi, il serait intéressant d'envisager une réforme du système du fonds de soutien, soit par écrêtement des grands groupes, soit par le maintien de la taxe au profit du seul complexe l'ayant générée, soit par réservation d'une part du produit de la taxe à un fonds spécifique de modernisation des salles de centre-ville ; ce fonds pourrait être géré par la commission d'aide sélective à la création et modernisation de salles de cinéma.
Pourrait être également envisagée la mise en place d'une politique incitative qui reconnaîtrait au cinéma un rôle d'animation des quartiers et des villes et prévoirait de lui accorder, à ce titre, recevoir un soutien financier réel.
Mieux, une commission ad hoc pourrait être instituée pour juger de l'opportunité de l'implantation des multiplexes. Je regrette que, malgré les promesses faites par le Gouvernement lors du vote de la mesure provisoire dans le projet de loi portant DDOEF, aucun travail n'ait permis de faire progresser la réflexion sur ce point.
Aujourd'hui, on envisage encore de soumettre l'ouverture des mégacomplexes à la CDEC ou, comme le propose M. le rapporteur, à une commission ad hoc , mais qui ressemble à s'y méprendre, à un ou deux membres près, à la CDEC.
Pour pallier ces carences, le groupe socialiste proposera des sous-amendements à l'amendement de la commission.
Cependant, à cette réserve près, je suis favorable au contrôle strict de l'ouverture des mégacomplexes dès le seuil de 1 500 places, afin de limiter les risques. Mais le réalisme demanderait que l'on appréhende également le nombre d'écrans, le seul nombre de places n'étant pas forcément significatif.
La situation est préoccupante : aujourd'hui, quatorze multiplexes, après-demain, plus de cinquante. Le cinéma français, le cinéma de qualité, le cinéma d'auteur, le cinéma dans sa diversité a fêté récemment ses cent ans. Il doit passer le cap de l'an 2000, et au-delà ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en présentant les motifs qui vont me tenir à distance des raisonnements qui sous-tendent le projet de loi dont nous avons à débattre, je sais que vais me trouver, ici, dans une position isolée : séparé de vous par la frontière entre majorité et opposition, je le suis également de mon président de groupe. Vous le mesurerez en constatant que j'ai accepté, par discipline de groupe, de ne déposer aucun amendement correspondant aux analyses que je vais à présent développer.
Monsieur le ministre, je ne reconnais pas dans les dispositions qui nous sont proposées - je ne doute pas de la sincérité de l'intention - les réalités humaines et sociales auxquelles je suis confronté sur mon terrain, celui des banlieues trentenaires de la mégapole urbaine parisienne. J'imagine que d'autres élus des autres mégapoles régionales, même s'ils ne m'approuvent pas, reconnaîtront que je fais écho à une réalité qu'ils connaissent bien.
Au demeurant, il s'agit de la réalité dominante de notre époque.
De récentes enquêtes de l'INSEE ont confirmé, en chiffres actualisés, les tendances à l'oeuvre depuis plus de vingt ans dans notre pays. En trente ans, notre peuple est devenu un vaste salariat urbain : plus de 85 p. 100 de salariés dans la population active ; plus de 85 p. 100 de résidents en milieu urbain, ou « rurbain », selon le néologisme en vigueur pour désigner les résidents salariés des milieux ruraux tournés vers la ville-centre, ses services et son mode de vie.
Cette réalité nationale rejoint les tendances mondiales spectaculaires qu'a enregistrées la conférence de l'ONU, Habitat II, qui se tient à Instanbul.
En devenant urbaine et salariale, l'histoire humaine connaît une bifurcation fondamentale.
A soi seul, cela suffirait à conduire à examiner d'un oeil nouveau les exigences qui s'imposent dans la fonction essentielle et vitale qu'exercent le commerce et la distribution dans tous leurs aspects.
Je ne vois rien de tel dans votre projet de loi, monsieur le ministre. Tout au contraire, j'y trouve la défense nostalgique d'une vision dépassée du commerce. Vous la surchargez, et je le comprends - mais vous n'êtes pas le seul ! - comme si cela allait de soi, d'un fort pouvoir symbolique devenu, par un retournement de sens bien significatif, synonyme de convivialité.
Et vous y ajoutez encore, par surcroît, une autre image mythique, sur laquelle je voudrais m'attarder, celle du centre-ville par nature commerçant, qui serait resté un centre géographique, un centre géométrique, un centre symbolique, un centre qui ferait encore rayonner sur la périphérie les valeurs essentielles de la symbiose urbaine.
Mon expérience me montre tout autre chose ! Ce centre-ville, quoiqu'on veuille, est aujourd'hui ailleurs qu'au centre prévu.
L'évolution du commerce est au coeur de ce processus de réorganisation de l'espace urbain. Peut-on le nier ? D'ailleurs, l'histoire de nos villes confirme que la centralité urbaine a toujours été fonctionnelle. Hier, c'était celle des lieux naturels du regroupement : le marché, le commerce, l'église à partir de la IIIe République ; la mairie, la préfecture, le centre des impôts venant disputer l'hégémonie sur l'espace public à leurs concurrents religieux et mercantiles.
Ce centre et ses références sont en déclin. En banlieue, là où je vis et où je suis élu, il a le plus souvent déjà disparu depuis longtemps. Il s'est déplacé.
Dans ma ville, Massy, les sondages d'opinion ont montré que, pour une majorité d'habitants - et croyez que cela contrarie l'élu local que je suis - le centre de la ville est situé sur la place où est installée une galerie marchande, aujourd'hui considérée comme à taille humaine mais qui a été la plus importante d'Europe au début des années soixante.
Pourtant, le centre historique de la bourgade de 2 800 habitants qu'était Massy à la fin des années cinquante réunit un marché, deux galeries marchandes, la mairie, le clocher du XIIIe siècle, le commissariat, l'agence de l'ANPE, le centre des impôts et même la salle des fêtes communale, où tout le monde finit par passer un jour ou l'autre.
Pour le tiers des résidents qui se renouvelle tous les quatre ans dans ma ville et pour la jeune génération, le « centre » est situé là où se concentrent quatre grands opérateurs de la distribution nationale. C'est là que, le dimanche, devant les vitrines de magasins fermés, défile un public familial nombreux, trop nombreux peut-être à notre goût et d'après nos valeurs, mais c'est ainsi !
Comment s'étonner que dans un modèle de civilisation tout entier centré autour de la marchandise, les flux commerciaux modèlent l'espace et qu'ils structurent l'imaginaire collectif ? Comment s'étonner qu'il en soit ainsi quand la publicité, devenue un art qui a ses festivals, invite à une consommation basée autant sur la valeur d'usage des produits que sur les valeurs symboliques qui leur sont attribuées ? Vous le savez bien : on vend non plus seulement du yaourt, mais également, et surtout, peut-être la fraîcheur qu'il contient ; on vend non plus seulement de la nourriture, mais également et surtout, souvent, la sveltesse qu'elle permet d'acquérir ou de conserver ; on vend non plus seulement des voitures, mais également de la sécurité routière ! Bref, on vend ce que l'on veut, avec l'argument toujours présent d'une dose d'érotisme intégré et d'hédonisme inclus !
Dès lors, la marchandise est non seulement le centre réel des parcours urbains - j'y insiste - mais aussi le coeur des représentations symboliques auxquelles notre société - il faut bien le reconnaître ! - adhère spontanément le plus fortement. C'est dans l'achat et la consommation que l'imaginaire dominant de notre époque situe la pleine réalisation de la personnalité individuelle.
Ne nous étonnons pas alors que l'hypermarché et les grandes surfaces soient l'agora de notre époque.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, faisant un choix - j'en conviens, assez radical ! - je juge, tout bien pesé, vaines les croisades qui tenteraient de s'y opposer. Je crois plus constructif, plus moderne, plus efficace de partir de cette réalité pour reformuler les exigences sociales et les valeurs symboliques auxquelles je suis attaché.
Je ne m'oppose donc pas à l'épanouissement de la nouvelle agora. Je veux, au contraire, la rendre plus sociale, plus intégrée et plus intégratrice, mieux liée au reste des fonctions urbaines, en un mot plus républicaine, c'est-à-dire plus soumise à l'intérêt général qu'elle a capté à sa manière.
Je juge donc totalement excessive et erronée l'appréciation du chef de l'Etat selon laquelle le bilan de la grande distribution serait entièrement négatif. Je crois, d'après mon expérience d'élu local, que l'avenir du petit commerce populaire réside dans la synergie qu'il lui faut trouver, et qu'il trouve souvent, avec la grande distribution.
Je désapprouve donc le numerus clausus illusoire qu'instaure votre projet de loi, que je dis malthusien.
Je dis que la grande distribution a rendu d'immenses services au pays. Elle a été aussi et reste largement pourvoyeuse d'emplois. Et quand je vois ce que sont ces emplois, qui les occupent, je vois les miens, ceux que je veux représenter.
Je dis alors qu'une vraie loi de maîtrise sociale de la grande distribution devrait rendre impossible le recours systématique aux temps partiels, aux contrats de travail à durée déterminée, les CDD, et autres contrats de travail dits « atypiques » qui sont la lèpre de ces sortes d'emplois.
Je dis que pour six heures de travail payées, et parfois moins, on ne devrait plus autoriser des amplitudes de dix à onze heures de la journée de travail.
La seule mansuétude, je dois le noter, dont votre texte témoigne s'adresse au personnel propriétaire du petit commerce : c'est la promesse d'une mise entre parenthèse illusoire de la concurrence.
Je défends l'idée que la logique qui conduit à la concentration des grandes surfaces favorise la concurrence entre elles et profite aux consommateurs, à ceux qui ne peuvent courir d'un bout à l'autre de la ville pour s'approvisionner au meilleur prix.
J'approuve - je le dis parce qu'il faut que ce point de vue soit entendu - la diffusion des établissements de maxidiscompte parce que les salaires des consommateurs sont bloqués, précarisés et que, chaque jour, cela s'aggrave. Je souhaiterais que leur implantation se fasse sur le lieu même où se trouvent les autres grandes surfaces pour que jouent à plein la concurrence et la possibilité pour les petits budgets de remplir aux meilleures conditions le caddie des courses de fin de semaine.
Je n'ignore pas que ces options ne répondent pas aux difficultés que l'on rencontre en milieu rural excentré. Pour y avoir vécu une bonne partie de ma jeunesse adulte, je crois le connaître.
Je sais aussi quels sont les besoins de commerce de proximité des quartiers urbains éloignés du centre commerçant. Mais, là encore, l'avenir s'appelle non pas malthusianisme, non pas numerus clausus, mais coopératives, antennes décentralisées et, pensant à la tournée de la camionnette de l'épicier de ma jeunesse, service public ou service public mixte de la distribution. Oui, j'ose cette idée devant vous, monsieur le ministre, et je la livre à votre réflexion, ainsi qu'à celle de la Haute Assemblée !
Au demeurant, monsieur le ministre, en inventant une taxe de péréquation, que je juge inadaptée, sur les surfaces vouées à la distribution des carburants au profit des pompistes indépendants, vous avez ouvert une voie qui me donne des idées.
Après tout, n'a-t-on pas aussi assujetti les opérateurs privés des télécommunications au financement du service public ?
Et comme nous connaissons plus d'une commune qui finance le maintien d'un petit commerce au village, comme nous avons vu aussi parfois La Poste et le facteur prendre en charge les distributions de produits de base, j'estime que nous ne sommes plus loin du moment où cette mission de service public mixte de distribution pourra trouver un sens concret.
Dans cet état d'esprit, j'aurais pu approuver quelques-unes des dispositions de votre projet de loi, notamment celles qui visent à un effort de planification des implantations commerciales.
Mais, en l'état, je constate que la valeur juridique des schémas prévus est des plus incertaines, qu'on ne sait toujours pas qui en aura l'initiative, qui aura le dernier mot - j'ai lu très attentivement les débats de l'Assemblée nationale - qu'on ne connaît pas le rayon d'action desdits schémas - sera-ce la commune, l'agglomération, le département, la région ? - que leur valeur normative semble plus faible que les dispositifs en vigueur.
Je juge à ce point qu'il s'agit donc - permettez-moi l'expression - d'un trompe-l'oeil.
J'aurais pu approuver l'idée d'enquête rendue publique avant chaque implantation ; mais le contenu est bien flou.
J'aurais pu approuver le souci de déterminer quel sera l'impact sur l'emploi de chacune de ces implantations ; mais on ne connaît ni les critères d'estimation, ni la zone de chalandise concernée, ni la nature des emplois à prendre en compte, trois incertitudes qui, cumulées, ouvrent la porte à tous les arbitraires.
Il est sûr, en revanche, que je désapprouve totalement ce que l'Assemblée nationale a ajouté au texte concernant le cinéma. Cela, hélas ! pour une fois, me tient à distance de mon excellent camarade Marcel Vidal, dont la sagacité n'a jamais été prise en défaut dans cette assemblée - mais il faut bien une première ! (Sourires.) Nous sommes en désaccord, cher Marcel, cela ne durera pas !
J'aurai l'occasion, à l'article concerné, de m'expliquer. L'économie du cinéma, s'il en est une, c'est celle de l'offre, c'est celle du désir. La fréquentation crée une plus grande fréquentation, et celui qui vous parle a créé dans sa propre commune trois cinémas et sait donc ce qu'il en est du développement de la fréquentation et de la diffusion culturelle autour du cinéma.
En conclusion monsieur le ministre, je veux résumer mes convictions en la matière.
Je ne crois pas que ce texte propose un avenir viable au petit commerce.
J'ai acquis la conviction qu'il s'agissait essentiellement de s'opposer à la diffusion des maxidiscompteurs, dont je soutiens l'existence.
Je ne crois pas que l'intégration de la grande distribution au milieu urbain soit réellement pensée, dans ce texte, dans son contexte civilisationnel et, j'ose le dire, plus particulièrement liée à ces extraordinaires zones de développement que sont nos mégapoles.
Je crois qu'il s'agit d'une loi de renforcement des situations acquises, qui bloque une planification réellement sociale, réellement anticipatrice pour l'avenir.
Je pense qu'au lieu d'oposer les formes de la distribution on devrait, au contraire, organiser avec beaucoup de soin leur complémentarité.
Je ne vois, enfin, nulle part dans ce texte la citoyenneté sociale des salariés de la grande distribution ni la citoyenneté des consommateurs progresser ou simplement être confortées.
J'espère, monsieur le ministre, j'espère, monsieur le rapporteur, j'espère, mes chers collègues, j'espère, mes chers amis du groupe socialiste, que ma contribution aura permis de nourrir les débats à venir. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La suite est renvoyée à la prochaine séance.

3

TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 435, distribué et renvoyé à la commission des affaires économiques et du Plan.

4

DEPO^T D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de MM. Philippe Darniche, Jacques Habert, Jean-Pierre Lafond, André Maman et Alex Turk une proposition de loi tendant à autoriser la vente et la distribution des boissons du deuxième groupe à l'occasion de manifestations sportives amateurs.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 437, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

5

DEPO^T D'UNE PROPOSITION
DE RESOLUTION

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Lambert une proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du règlement, sur une recommandation de la Commission en vue d'une recommandation du Conseil visant à ce que soit mis un terme à la situation de déficit public excessif en France. Application de l'article 104 C, paragraphe 7, du traité instituant la Communauté européenne (n° E-648).
La proposition de résolution sera imprimée sous le numéro 436, distribuée et renvoyée à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

6

DEPO^T DE PROPOSITIONS
D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- projet d'état prévisionnel des dépenses et des recettes propres au Conseil pour l'exercice 1997.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-647 et distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- recommandation de recommandations du Conseil visant à ce que soit mis un terme à la situation de déficit public excessif en Belgique, en Allemagne, en Grèce, en Espagne, en France, en Italie, aux Pays-Bas, en Autriche, au Portugal, en Finlande, en Suède et au Royaume-Uni. Application de l'article 104 C, paragraphe 7, du traité instituant la Communauté européenne.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-648 et distribuée.

7

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mardi 18 juin 1996.
A dix heures :
1. - Suite de la discussion du projet de loi (n° 381, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat.
Rapport (n° 421 1995-1996) de M. Pierre Hérisson, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.
Avis de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Aucun amendement n'est plus recevable.
A seize heures et le soir :
2. - Allocution de M. le président du Sénat.
3. - Discussion des conclusions du rapport (n° 419, 1995-1996) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de modernisation des activités financières.
M. Philippe Marini, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
4. - Discussion des conclusions du rapport (n° 418, 1995-1996) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de réglementation des télécommunications.
M. Gérard Larcher, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
5. - Suite de l'ordre du jour du matin.

Délai limite général pour le dépôt des amendements

Le délai limite pour le dépôt des amendements à tous les projets de loi et propositions de loi ou de résolution prévus jusqu'à la fin de la session ordinaire, à l'exception des textes de commissions mixtes paritaires et de ceux pour lesquels est déterminé un délai limite spécifique, est fixé, dans chaque cas, à dix-sept heures, la veille du jour où commence la discussion.

Délai limite pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

1. - Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002 (n° 415, 1995-1996).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 18 juin 1996, à dix-sept heures.
2. - Proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative à l'adoption (n° 396, 1995-1996).
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 24 juin 1996, à onze heures.
3. - Débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur la SNCF.
Délai limite pour les inscriptions de parole dans ce débat : lundi 24 juin 1996, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée le mardi 18 juin 1996, à zéro heure cinquante.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





ERRATUM
Au compte rendu intégral de la séance du 6 juin 1996
SITUATION EN CORSE

Dans l'intervention de M. Michel Charasse, page 3367, 2e colonne, 3e alinéa, 5e ligne :
Au lieu de : « - Français d'abord, Arabes dehors, corsisation des emplois - »,
Lire : « - Français dehors, Arabes dehors, corsisation des emplois - ».



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Situation de deux fillettes françaises
séquestrées en Egypte

428. - 17 juin 1996. - Mme Joëlle Dusseau attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur la situation particulièrement difficile que connaissent deux fillettes françaises à l'heure actuelle. Nées d'une mère française et d'un père égyptien aujourd'hui divorcés, elles se trouvent actuellement séquestrées en Egypte. En effet, en décembre 1993, au cours d'un droit de visite, le père les a emmenées illégalement en Egypte, alors que l'ordonnance de non-conciliation avait désigné la mère pour garder les enfants et interdit leur sortie du territoire français. En février 1994, le juge aux affaires familiales en charge de la procédure de divorce attribuait l'autorité parentale à la mère seule, ordonnait la suppression du droit de visite paternel et interdisait la sortie des enfants du territoire national. Après de nombreuses démarches, la cour d'Alexandrie, en mars 1995, décidait l'exequatur de la décision française. Malgré cela, les fillettes demeurent toujours en Egypte. Elle souhaite connaître les mesures que compte prendre M. le ministre afin que cette affaire soit rapidement résolue.