A. LES ENTRÉES DE VILLE

Les entrées de ville fournissent l'une des illustrations les plus caractéristiques du peu d'intérêt que suscite la colonisation progressive de l'espace périurbain par la ville.

Comme l'écrivent B. Hervieu et J. Viar : " C'est dans l'abomination des entrées de villes [...] que l'on voit le mieux la frontière entre les villes et la campagne [...]. Ces no man's lands [...] sont des espaces non ou mal organisés et ceux-là ne relèvent pas des causes sociales ou migratoires que l'on attribue à la désorganisation des banlieues et des grandes cités. On voit pour ainsi dire, le non sens à l'état brut et l'archaïsme d'une pensée spatiale où ville et campagne relèvent de logiques communales dépassées et où le lieu de leur frottement est abandonné au mercantilisme sauvage. 10( * ) "

Sans nul doute, le manque d'une volonté politique supracommunale, qu'elle soit territoriale ou étatique, a fortement pesé sur l'absence de choix politique s'agissant des entrées de villes.

Chargé en 1994 par MM. Bernard Bosson, Ministre de l'Equipement, des Transports et du Tourisme et Michel Barnier, Ministre de l'Environnement, d'une mission de réflexion et de proposition sur les entrées de ville, M. Ambroise Dupont sénateur, dans un remarquable rapport, analyse la situation et formule des propositions dont l'une s'est traduite par l'adoption de l'article L. 111-1-4 du code de l'urbanisme lors du vote de la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement.

Dans le constat qu'il établit, M. Ambroise Dupont rappelle " qu'historiquement, " entrer en ville " relevait d'un parcours qui menait la campagne au coeur de la cité. Il se voulait initiatique et représentatif des " splendeurs " de la ville. Celle-ci se donnait à voir durant ce parcours à la fois sous ses aspects les plus prometteurs mais aussi par l'affichage des lois communes (la place des gibets n'était pas innocente). "

Mais depuis plusieurs années, le développement de la périphérie des villes s'est opéré de façon anarchique, au bénéfice d'implantations commerciales multiples, sans aucun souci d'aménagement. Force est de constater que les outils de planification urbaine comme les ZAC (zones d'aménagement concertée) ont été utilisés pour soutenir des intérêts financiers communaux concurrents en raison de la quasi-absence de coopération intercommunale.

Plusieurs raisons expliquent ce développement désordonné :

Dans le souci de préserver les centres-villes, qui concentrent bien souvent l'essentiel du patrimoine historique et artistique d'une cité, les aménagements les plus massifs et les moins esthétiques, tels que les centres commerciaux, les bâtiments industriels et les grands ensembles d'habitation ont été rejetés à la périphérie des villes sans faire l'objet de prescriptions urbanistiques rigoureuses.

Comme le soulignait l'un des interlocuteurs entendus par votre rapporteur, les politiques urbaines n'ont eu de cesse que soient repoussées à la périphérie des villes, les activités les moins nobles et les plus perturbatrices, en termes de nuisances sonores, de feux de circulation et de production de déchets. Ainsi en est-il de la grande distribution qui était historiquement installée en ville. Les contraintes réglementaires ont rendu quasi impossible le maintien en centre-ville d'activités économiques comme les commerces, les garages concessionnaires automobiles voire même les hôtels.

Mais, entre 1970 et 1990, l'implantation de ces activités en périphérie des villes s'est faite sans aucune préoccupation d'urbanisme, d'environnement, ou d'insertion paysagère.

Par ailleurs, les entrées de ville constituent des espaces très convoités par les investisseurs économiques. Ceux-ci veulent bénéficier au maximum de " l'effet-vitrine " qui résulte de l'accessibilité, des disponibilités foncières et de la visibilité des implantations, et qui porte sur les abords des réseaux d'échange stratégique ou le long des infrastructures à fort trafic. " Ce processus se traduit par la prolifération de constructions à usage d'activité ou de service, implantées de façon linéaire en méconnaissance des préoccupations d'urbanisme, architecturales et paysagères, et en ne se préoccupant que du court terme. L'urbanisation s'organise de manière linéaire et monofonctionnelle, sans profondeur et sans structuration véritable au détriment de la cohérence et de la continuité urbaine, ainsi que des possibilités de mutations de ces zones. L'activité commerciale alliée à la fréquentation de la voie appelle souvent une excessive surenchère de la publicité et des enseignes. Les contradictions entre les deux fonctions de la voie (voie de transit et desserte locale) créent de nombreux dysfonctionnements en matière de circulation et de sécurité routière " 11( * ) .

Enfin, comme le soulignait M. Ambroise Dupont, ces implantations commerciales, artisanales ou d'activités de services implantées de façon si anarchique à la périphérie des villes ont également accompagné le mouvement démographique fortement positif caractéristique des territoires périurbains : elles ont suivi une clientèle de plus en plus installée à la périphérie des villes .

L'exemple saisissant d'un laisser-faire aux conséquences souvent désastreuses correspond à l'absence de prise en compte de l'espace périurbain dans la politique de l'environnement. A côté de centres-villes transformés en musées, on a laissé échapper l'occasion de gérer de façon cohérente des espaces où vit la majorité de nos concitoyens.

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