Rapport n° 352 - la réforme du troisième pilier de l'Union Européenne : vers la construction d'un espace judiciaire européen


M. Pierre FAUCHON, Sénateur


Délégation du Sénat pour l'Union européenne - Rapport n°352 - 1996/1997

Table des matières






N° 352

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 22 avril 1997.

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juin 1997.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (1),

sur


la réforme du troisième pilier de l'Union européenne : vers la construction d'un espace judiciaire européen

Par M. Pierre FAUCHON,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : MM. Jacques Genton, président ; James Bordas, Michel Caldaguès, Claude Estier, Pierre Fauchon, vice-présidents ; Nicolas About, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, Paul Loridant, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Denis Badré, Gérard Delfau, Mme Michelle Demessine, M. Charles Descours, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Ambroise Dupont, Jean-Paul Emorine, Philippe François, Jean François-Poncet, Yann Gaillard, Pierre Lagourgue, Christian de La Malène, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Alain Richard, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jacques Rocca Serra, André Rouvière, René Trégouët, Marcel Vidal, Robert-Paul Vigouroux, Xavier de Villepin.

Union européenne - Conférence intergouvernementale CE - Coopération judiciaire - Espace judiciaire européen - Coopération policière -

Mesdames, Messieurs,

Le concept d'espace judiciaire européen semble devoir faire -enfin- quelques progrès à l'occasion des négociations de la Conférence intergouvernementale. Ces progrès suivraient trois axes :

- l'intégration des accords de Schengen au traité sur l'Union européenne, sous la forme d'un protocole annexé qui organiserait une " coopération renforcée " sur la base de " l'acquis de Schengen " (le Royaume-Uni et l'Irlande restant en dehors de ce processus) ;

- la communautarisation progressive d'une partie du domaine du troisième pilier, à savoir les questions ayant trait à la libre circulation des personnes (règles pour le franchissement des frontières intérieures et extérieures, politique d'asile et d'immigration) ;

- un renforcement du troisième pilier pour donner une plus grande efficacité à la coopération judiciaire et policière.

Ce sont les deux premières orientations qui vont modifier le plus la physionomie du troisième pilier. Elles font l'objet d'un autre rapport de la Délégation, qui a été préparé par M. Paul Masson.

Votre rapporteur s'est pour sa part concentré sur le problème de l'amélioration de l'efficacité de l'action menée dans le cadre du troisième pilier maintenu, avec le sentiment que, si les avancées dans ce domaine se sont jusqu'à présent avérées difficiles, elles n'en sont pas moins nécessaires compte tenu du développement d'une criminalité se jouant des frontières des Etats membres.

Il s'agit tout d'abord de la criminalité organisée, qui n'est manifestement pas restée à l'écart du phénomène de " mondialisation ". Non seulement cette forme de criminalité a pris une importance inédite dans certaines zones du globe - ex URSS, Amérique du Sud - mais encore elle est parvenue à parasiter le développement des échanges pour élargir considérablement ses possibilités de profit.

Même si, naturellement, il convient de considérer avec la plus grande prudence de tels chiffres, on peut constater que le chiffre d'affaires du commerce des stupéfiants, à l'échelon de la planète, est souvent évalué à plus de 100 milliards de dollars par an, certaines estimations allant jusqu'à tripler ce montant; or, une part notable de cette industrie est contrôlée par des organisations criminelles. Celles-ci prennent également une part active au développement de certains trafics internationaux (armes, véhicules volés, oeuvres d'art volées, déchets dangereux, réseaux d'immigration clandestine, faux monnayage...).

Les profits considérables tirés de ces activités sont en partie recyclés dans des circuits économiques légaux où ils suscitent un développement de la corruption.

L'importance de la toxicomanie est elle aussi un défi pour l'Union européenne : le développement d'un " tourisme de la drogue " s'est appuyé sur la facilité des communications et la différence des législations, créant une situation où nombre de toxicomanes sont en même temps de petits " dealers ".

De récentes affaires ont également montré l'existence d'une criminalité transfrontalière dans des domaines tels que la pornographie enfantine (trafic de cassettes vidéo) ou le " tourisme sexuel " lié à la prostitution de mineurs.

Les actes de terrorisme qui frappent régulièrement certains pays de l'Union sont fréquemment le fait de réseaux dont l'organisation est transfrontalière.

La mise en oeuvre des politiques communes de l'Union européenne semble donner lieu à des multiples fraudes, parfois à grande échelle, dans certains cas au bénéfice du crime organisé.

Face à de tels phénomènes, qui suscitent à bon droit une profonde inquiétude dans les opinions publiques européennes, les Etats membres n'ont pas su jusqu'à maintenant élaborer une réponse commune. Or, quelques exemples suffisent à le montrer, leur désunion fait la force de la criminalité transfrontalière :

- la législation et les pratiques particulières d'un seul Etat membre diminuent l'efficacité de la lutte anti-drogue dans l'ensemble de l'Union. Ainsi, des données fournies par l'Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), il ressort que les trois cinquièmes de l'héroïne saisie en France, les deux tiers de l'ectasy, et la majeure partie du LSD et des amphétamines provenaient des Pays-Bas ; une part importante des drogues saisies était en transit sur le territoire français à destination de l'Espagne ;

- face à des réseaux terroristes qui jouent de leur implantation dans plusieurs Etats membres, la solidarité communautaire est loin d'être systématique. C'est à une actualité récente qu'appartiennent le refus de la Belgique d'extrader vers l'Espagne deux militants de l'ETA, le refus de la Suède d'extrader vers la France un responsable du GIA, ou l'acquittement inattendu d'un dirigeant du même GIA par la justice belge ;

- la lutte contre le blanchiment des capitaux se heurte non seulement aux obstacles mis par certaines législations nationales à la levée du secret bancaire, mais aussi à un défaut de coopération entre les autorités judiciaires des Etats membres. Un magistrat italien a ainsi révélé, lors d'un audition publique du Parlement européen (1( * )) , que sur les 450 demandes de commission rogatoire lancées dans le cadre de l'opération " Mani pulite ", plus de la moitié étaient restées sans réponse, et que, lorsqu'une réponse avait été fournie, le délai avait parfois atteint plusieurs années.

La suite de ce rapport donnera l'occasion de montrer d'autres exemples de telles carences. Face à celles-ci, les débats byzantins sur la préservation des souverainetés nationales pèsent bien peu. En réalité, on est ici dans une situation où un objectif commun essentiel ne peut être suffisamment réalisé par les Etats membres, et où, en conséquence, il est pleinement légitime et conforme au principe de subsidiarité que l'Union intervienne, dans toute l'étendue nécessaire à l'efficacité.

Pour votre rapporteur, la mise en place d'un espace judiciaire européen apparaît seule à la mesure du défi à relever. Il s'agit là d'une nécessité indépendamment de la réalisation de la libre circulation des personnes par la suppression des contrôles aux frontières intérieures de l'Union. Et l'on peut affirmer que la Conférence intergouvernementale ne contribuera véritablement à répondre aux attentes des citoyens en matière de sécurité que si elle marque une avancée décisive dans cette direction.

I. LES LIMITES DE L'ACTUEL TROISIEME PILIER

1. Une naissance difficile

L'héritage de la coopération entre Etats membres

Créé par le traité de Maastricht, le troisième pilier de l'Union est en partie issu du développement des diverses formes de coopération entre Etats membres qui s'étaient mises en place à partir de 1975 :

- le groupe " Trevi " réunissait deux fois par an les ministres de l'Intérieur ; ses délibérations étaient préparées par un comité de hauts fonctionnaires de la police, lui-même assisté de plusieurs groupes d'experts ;

- le groupe " coopération judiciaire " était chargé de préparer en tant que de besoin des projets de conventions concernant le droit pénal et le droit des personnes, dont certaines ont été conclues entre les Etats membres, et d'autres finalement conclues dans le cadre plus large du Conseil de l'Europe ;

- un comité européen de lutte anti-drogue avait été mis en place ;

- plusieurs groupes traitaient des questions de libre circulation au sens large : groupe ad hoc " immigration ", groupe de coordonnateurs " libre circulation des personnes ", groupe " assistance mutuelle des douanes "...

La création du troisième pilier a également procédé de la volonté d'offrir un cadre à une éventuelle intégration du processus Schengen dans l'Union européenne.

Compromis et complexité

La configuration du troisième pilier a été le fruit d'un compromis entre partisans d'un schéma de type communautaire et défenseurs de l'intergouvernementalité. Il en est résulté des solutions hybrides et parfois peu cohérentes.

Ainsi, au sein de l'article K1 du traité de Maastricht, qui énumère les questions reconnues comme d'" intérêt commun " par les Etats membres, on peut constater -une fois mises à part les questions de libre circulation (points 1 à 3 de l'article) qui n'entrent pas dans l'objet du présent rapport- que coexistent deux grandes catégories de domaines, correspondant à des régimes différents :

- première catégorie : la lutte contre la toxicomanie (point 4), la lutte contre la fraude internationale (point 5) et la coopération judiciaire en matière civile (point 6). Dans ces trois domaines, la Commission européenne dispose d'un droit d'initiative, qu'elle partage avec les Etats membres ; par ailleurs, ces domaines peuvent être communautarisés sans modification du traité, par décision unanime du Conseil approuvée par les Etats membres selon leurs règles constitutionnelles respectives (" passerelle " de l'article K9).

- deuxième catégorie : la coopération judiciaire en matière pénale (point 7), la coopération douanière (point 8), et la coopération policière en vue de la prévention et de la lutte contre le terrorisme, le trafic illicite de drogue et d'autres formes graves de criminalité internationale (point 9). Dans ces domaines, seuls les Etats membres ont le droit d'initiative et la communautarisation n'est pas possible.

On peut constater également que certains des instruments mis à la disposition du troisième pilier -les positions communes et les actions communes- ont été purement et simplement repris des mécanismes de la politique extérieure et de sécurité commune... A ces instruments s'ajoute un instrument normatif propre au troisième pilier, les conventions établies par le Conseil ; celui-ci dispose en outre d'un instrument non contraignant, les résolutions.

Le rôle des différentes institutions porte lui aussi la marque des controverses entre " intergouvernementalistes " et " communautaristes ". La Commission, on l'a vu, dispose d'un droit d'initiative partiel ; par ailleurs, elle est " pleinement associée " aux travaux, et participe donc aux séances du Conseil et aux réunions de ses groupes. Le Parlement européen, quant à lui, est tenu informé, et la présidence en exercice doit le consulter sur les " principaux aspects " des activités du troisième pilier et veiller à que ses vues soient " dûment prises en considération " (article K6). La Cour de justice n'est normalement pas compétente à l'égard des décisions prises dans le cadre du troisième pilier, mais les conventions établies par le Conseil peuvent prévoir qu'elle sera compétente pour interpréter leurs dispositions et pour trancher tout différend concernant leur application (article K3, dernier alinéa). Le Conseil enfin, seul doté d'un pouvoir de décision, statue en général à l'unanimité, mais prend ses décisions à la majorité des deux tiers pour les mesures d'application des conventions qu'il établit (sauf si celles-ci prévoient le contraire) et à la majorité simple pour les questions de procédure ; il peut également décider à l'unanimité que les mesures d'application d'une action commune seront prises à la majorité qualifiée (cette formule, là encore, est reprise du " modèle " de la PESC...).

Bref, la nécessité de trouver un compromis a donné naissance à une construction fort éloignée des canons de l'élégance classique et de la rationalité. Les négociateurs du traité étaient eux-mêmes conscients de la valeur limitée de ce compromis, puisque le traité prévoit (article N, paragraphe 2) sa propre révision sur ce point.

2. Un dispositif lourd, aux contours imprécis

Des structures trop nombreuses

Les négociations sont menées à la base au sein de groupes d'experts qui ont tendance à se multiplier -on compte une centaine de groupes et de sous-groupes- et à s'institutionnaliser.

Les groupes d'experts sont coiffés de trois " groupes directeurs ", composés de directeurs d'administration centrale, au-dessus desquels se trouve le comité institué par l'article K4 du traité (dit " comité K4 ") chargé d'une mission de coordination générale et de préparation des travaux du Conseil.

Enfin, au sommet, l'on retrouve les structures traditionnelles de négociation que sont le COREPER et le Conseil.

Le tableau ci-dessous (où ne figure pas la liste des sous-groupes...) retrace les principaux aspects de cette organisation :

Des compétences mal délimitées

L'exemple de la drogue montre à quel point des actions de l'Union concourant à un même but s'exercent dans des conditions juridiques hétérogènes :

- la lutte contre la toxicomanie relève de l'article K1, point 4 (droit d'initiative partagé, communautarisation possible);

- la lutte contre le trafic de drogue relève de l'article K1, points 7 et 9 (droit d'initiative exclusif des Etats, pas de communautarisation possible) ;

- les actions contre la toxicomanie se rattachant à la santé publique relèvent du pilier communautaire, de même que les mesures contre le détournement de certaines substances pour la fabrication des stupéfiants ;

- la Communauté a créé, dans le cadre du premier pilier, un Observatoire des drogues et de la toxicomanie qui n'entretient aucun lien avec l'" unité drogue " d'Europol relevant, quant à elle, du troisième pilier.

Mais cet exemple n'est pas unique. Ainsi, l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes dont le Conseil vient d'approuver la création relève du premier pilier, mais la lutte contre le racisme et la xénophobie relève, quant à elle, du troisième pilier (avec des régimes différents selon la nature de l'action envisagée) : une action commune contre le racisme et la xénophobie a été au demeurant décidée dans le cadre par le Conseil en mars 1996.

De même, les mesures de lutte contre la fraude au budget communautaire relèvent, selon les cas, tantôt du premier et tantôt du troisième pilier, ce qui ne paraît pas de nature à favoriser la cohérence de l'action de l'Union dans ce domaine.

Des procédures trop lentes

Même si le dialogue continu entre les Etats membres qui s'est organisé dans le cadre du troisième pilier a en lui-même un intérêt certain, il n'en reste pas moins que sa mission est de déboucher dans des délais raisonnables sur des dispositifs efficaces.

Or, on peut constater que, dans des domaines essentiels, les activités du troisième pilier ont bien de la peine à dépasser le stade préparatoire. Les rapporteurs de la délégation de l'Assemblée nationale sur le bilan du troisième pilier, pourtant eux-mêmes favorables à un maintien des mécanismes intergouvernementaux, reconnaissent ainsi que " la lutte contre la criminalité organisée est marquée par une dispersion des initiatives et une absence de résultats tangibles ", et que " la lutte contre le terrorisme motive inégalement les Etats membres " (2( * )).

Lorsque les travaux permettent enfin d'aboutir à un résultat véritablement contraignant pour les Etats membres, c'est-à-dire à une convention, la lenteur -parfois difficilement compréhensible- des ratifications vient s'ajouter à celle des négociations. Ainsi, les deux conventions sur l'extradition établies par le Conseil respectivement en mars 1995 et septembre 1996, la convention sur le fonctionnement d'Europol, établie en juin 1996, et la convention sur la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, établie en juillet 1995, n'ont à ce jour aucun effet juridique, faute de ratification par tous leurs signataires.

3. Un bilan peu convaincant

Une activité importante

Même si on laisse de côté les actes ayant trait à la libre circulation, qui n'entrent pas dans le champ du présent rapport, le bilan du troisième pilier semble au premier abord loin d'être négligeable, d'autant que la plupart des instruments mis à sa disposition sont désormais utilisés.

Pour ce qui est des conventions , on peut constater que, outre les conventions mentionnées plus haut, le Conseil a adopté plusieurs protocoles réglant notamment, pour chaque cas, la question de l'étendue du contrôle de la Cour de Justice. Par ailleurs, plusieurs projets sont en cours de négociation :

- convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés ou des Etats membres ;

- convention " déchéance du permis de conduire " ;

- convention sur l'exécution des jugements en matière matrimoniale...

De nombreuses actions communes ont été lancées :

- échange de magistrats de liaison visant l'amélioration de la coopération judiciaire,

- lutte contre le racisme et la xénophobie,

- tenue de répertoires des compétences et des connaissances en matière de lutte antiterroriste ainsi qu'en matière de lutte contre la criminalité organisée,

- programmes de coopération concernant les documents d'identité (SHERLOCK) et la pratique judiciaire (GROTIUS),

- coopération en matière de lutte contre la drogue (échanges d'informations, coopération des services),

- coopération en matière d'action contre la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des enfants...

Le Conseil a également fait usage des autres instruments, moins contraignants, dont il dispose dans le cadre du troisième pilier : positions communes, décisions, résolutions, recommandations... Si bien que le rapport du Conseil sur " les réalisations dans le domaine " Justice et Affaires intérieures au cours de l'année 1996 ", préparé en vue du Conseil européen de Dublin, donne à première vue l'impression d'une activité foisonnante (document JAI 68 du 4 décembre 1996).

Peu de réalisations concrètes

Un rapide examen suffit cependant pour parvenir à la conclusion que les activités menées dans le cadre du troisième pilier n'ont que des conséquences pratiques limitées, alors que l'amélioration " sur le terrain " de la sécurité des personnes et des biens est aujourd'hui une préoccupation majeure des citoyens des Etats membres.

Ainsi, comme on l'a souligné plus haut, aucune des conventions établies n'a pour l'instant d'effet contraignant, faute d'une ratification par l'ensemble des Etats membres.

Quant aux actions communes , même si leur intérêt n'est pas négligeable, elles consistent pour l'essentiel dans des échanges d'informations et de connaissances techniques, ainsi que dans des programmes d'échanges de fonctionnaires, et n'ont donc pas de conséquences en termes d'harmonisation des politiques menées par les Etats membres. Il en est a fortiori de même pour les autres actes du Conseil, qui ont une valeur indicative et non impérative.

On peut remarquer enfin que le Conseil n'a pas jusqu'à présent utilisé les possibilités de décisions à la majorité que le traité ménage dans certains cas ; pas davantage la " passerelle " de l'article K9 n'a-t-elle été empruntée . Ainsi, alors que la portée restreinte de son action ne pouvait guère faire de doute, le Conseil n'a pas cherché à faire usage des possibilités ouvertes par le traité en vue d'une efficacité plus grande.

Des critiques convergentes

Invités au début de 1995, dans la perspective de Conférence intergouvernementale, à faire un bilan de l'application du traité de Maastricht, tant le Conseil que la Commission européenne estimaient que la création du troisième pilier de l'Union n'avait pas entraîné le surcroît d'efficacité escompté, tout en soulignant que le recul du temps manquait pour porter un jugement dans un tel domaine.

A la fin de 1995, le rapport du " Groupe Westendorp " chargé de préparer la CIG confirmait cette appréciation :

" ... Le Groupe a analysé les dispositions et le fonctionnement du titre VI du traité et, tout en reconnaissant que la coopération JAI n'existe que depuis peu et qu'elle représente un progrès par rapport à la situation antérieure, il a estimé à l'unanimité que l'ampleur des défis est sans commune mesure avec les résultats des actions entreprises jusqu'ici pour y faire face ".

Ce même rapport soulignait que les Etats membres dans leur " grande majorité " regrettaient l'" absence d'objectifs et d'un calendrier pour leur réalisation ", jugeaient " inadéquats " les instruments du troisième pilier, analogues à ceux de la PESC malgré la différence de nature des tâches, et estimaient qu'il manquait " un véritable mécanisme institutionnel d'impulsion ".

Un an plus tard, le " cadre général pour un projet de révision des traités " présenté par la présidence irlandaise a réaffirmé ce diagnostic :

" L'Union européenne doit être maintenue et développée en tant qu'espace de liberté, de sécurité et de justice. Jusqu'à présent, les progrès accomplis dans ce sens n'ont pas été à la mesure des défis auxquels l'Union doit faire face ".

Il est donc clair que l'efficacité limitée de l'actuel troisième pilier est très largement reconnue, et que les Etats membres sont conscients que leurs opinions publiques souhaitent que le traité révisé débouche sur des progrès concrets dans ce domaine.

Quelles conséquences tirer de ce constat ?

Alors qu'ils sont très largement d'accord pour diagnostiquer les insuffisances du troisième pilier, les Etats membres paraissent paradoxalement n'en tirer véritablement les conséquences que pour certains aspects de ce pilier, ceux ayant trait aux questions de libre circulation. Depuis le lancement de la CIG, il est admis que celle-ci doit se traduire par une renforcement institutionnel dans ce domaine précis ; les questions de sécurité n'y sont attachées qu'à titre de " mesures d'accompagnement " et l'essentiel de la coopération en matière de justice et d'affaires intérieures paraît destiné à rester très largement en dehors de la réforme envisagée.

Une telle approche n'est pas sans inconvénients.

Tout d'abord, présenter l'action européenne en matière de sécurité sous l'angle de mesures d'accompagnement de la libre circulation revient implicitement à suggérer que celle-ci est une cause de développement de l'insécurité. Or il est manifeste que les contrôles aux frontières sont des obstacles bien faibles au développement des phénomènes de criminalité internationale et d'immigration irrégulière, et que ce n'est donc pas, pour l'essentiel, comme une sorte de compensation à la libre circulation des personnes que doit être envisagé un renforcement de l'action de l'Union en matière de police et de justice. Ce renforcement est nécessaire en lui-même : il ne serait pas moins justifié si les contrôles aux frontières étaient maintenus.

Ensuite, on perçoit mal la logique de la coupure entre les politiques concernant les contrôles aux frontières, les visas, l'asile, l'immigration, d'une part, principaux domaines appelés à être communautarisés, et les autres grands domaines relevant du troisième pilier, d'autre part. Pourquoi ce qui est valable dans un cas ne le serait-il pas dans les autres ? Ainsi que le souligne Henri Labayle : " Comment ne pas mesurer ce que l'entrée ou le séjour d'un étranger sur le territoire d'un Etat représentent pour la souveraineté nationale, combien il sera difficile pour des Etats si éloignés que le sont les micro-Etats de l'Union et les anciens empires coloniaux de coexister dans ces domaines  ? Doit-on vraiment penser que le droit international privé, le statut des enfants nés hors du mariage, la déchéance du permis de conduire ou la non-extradition en matière fiscale sont des obstacles plus difficiles à franchir, que l'harmonisation du droit privé et des politiques pénales sont plus difficiles à entreprendre ? " (2( * )) . En d'autres termes, la séparation introduite entre les questions de libre circulation et les autres ne paraît justifiée ni par une plus grande facilité à réaliser des transferts de souveraineté dans ce domaine, ni par une urgence plus grande qui s'attacherait à certaines questions plutôt qu'à d'autres.

Pour votre rapporteur, les défis que doivent relever l'Union et les Etats membres en matière de sécurité ne peuvent trouver de réponse satisfaisante dans des mesures fragmentaires, limitées à certains domaines : ils appellent au contraire une vision d'ensemble et une démarche globale.

II. CONSTRUIRE UN ESPACE JUDICIAIRE EUROPEEN

1. La nécessité d'une unification des règles et des procédures

a) L'exemple des fraudes au budget communautaire

L'étendue des fraudes

La fraude au budget communautaire, de l'avis général, est d'une ampleur inquiétante. Les cas détectés par la Commission européenne et les Etats membres ont représenté en 1995 1,35 % du budget communautaire -soit quelque 8,5 milliards de francs sur un budget communautaire de près de 533 milliards de francs ; or, compte tenu de l'efficacité relative des contrôles, il est vraisemblable que le montant effectif des fraudes est bien plus élevé : la Cour des Comptes des Communautés l'a estimé pour 1995 à près de 5 % du budget et certaines estimations, comme celles de M. François d'Aubert (3( * )) vont encore bien au-delà.

Une part notable du montant de ces fraudes résulte de l'activité d'organisations criminelles : la Commission européenne souligne ainsi que, pour l'année 1995, 2 % des cas de fraude en matière de recettes représentent 50 % des montants fraudés, et que 4 % des fraudes en matière de dépenses représentent 57 % des détournements ; on est, dans ces cas, en présence de réseaux ayant des relais dans de nombreux Etats membres et souvent, parallèlement, dans des pays non membres de l'Union.

L'insuffisance des règles dans le cadre actuel

Au cours d'une audition publique organisée en commun, les 15 et 16 avril dernier, par deux commissions du Parlement européen -celle du contrôle budgétaire et celle des libertés publiques et des affaires intérieures- Mme Mireille Delmas-Marty a présenté un projet de " corpus juris " suggérant d'organiser à l'échelon de l'Union, la protection des intérêts financiers des Communautés.

Ce texte souligne qu'aucune des voies empruntées jusqu'à présent pour réprimer les fraudes au budget communautaire n'a été couronnée de succès :

- l' assimilation des fraudes au budget communautaire aux fraudes au budget national, posée par l'article 209 A du traité, n'a eu que des conséquences réduites, faute d'une harmonisation des modalités de contrôle et de sanction, et peut-être aussi faute de motivation des Etats membres ;

- la coopération entre Etats membres s'est avérée, de même, d'une efficacité limitée en raison de la nécessité d'obtenir une ratification par chaque Etat membre, en raison également des effets différents produits par l'insertion des dispositions des conventions dans les ordres juridiques nationaux, et enfin en raison des lacunes des conventions elles-mêmes et de l'enchevêtrement de textes résultant de l'intervention de cadres différents (Conseil de l'Europe, Union européenne, accords de Schengen...) ;

- l' harmonisation n'a été que très partiellement suivie d'effet, notamment en matière de procédure et de preuve où " les disparités restent fortes d'un pays à l'autre dans des domaines aussi essentiels que, par exemple, la charge de la preuve, le degré de certitude qui conditionne la condamnation, la recevabilité de la preuve par documents écrits, ou par renvoi aux déclarations antérieures du défendeur, ou encore la portée du droit au silence ".

La voie de l'unification

Une fois écartées les voies suivies jusqu'à présent, qui n'ont pas fait la preuve de leur efficacité, reste la voie de l'unification. Mme Delmas-Maty propose en ce sens l'adoption d'un ensemble de dispositions pénales -inspirées des principes reconnus dans la très grande majorité des Etats membres- créant les conditions d'une lutte efficace parce qu'unifée sur tout le territoire de l'Union contre les fraudes au budget communautaire.

A cette unification des dispositions pénales applicables doit nécessairement s'ajouter celle de certains aspects de la procédure pénale : le " corpus juris " de Mme Delmas-Marty suggère à cet égard la création d'un ministère public européen (MPE) chargé de diriger l'enquête et la poursuite, d'exercer l'action publique lors du jugement et de veiller à l'exécution des condamnations. Les infractions resteraient jugées par les juridictions compétentes des Etats membres, devant lesquelles la Commission européenne aurait la faculté de se porter partie civile. La Cour de justice des Communautés européennes assurerait l'unité d'interprétation des dispositions pénales communautaires, résoudrait les différends éventuels concernant leur application et trancherait les conflits de compétence.

b) Une démarche à généraliser aux autres aspects du troisième pilier

Le cas du blanchiment des capitaux

Le 25 janvier dernier, un groupe de magistrats a lancé l'" appel de Genève " dénonçant les facilités qu'apportent indirectement les carences de la construction européenne aux opérations de recyclage de " l'argent de la drogue, du terrorisme, des sectes, de la corruption et des activités mafieuses ". Les signataires soulignent que " l'impunité est aujourd'hui quasi assurée aux fraudeurs. Des années seront en effet nécessaires à la justice de chacun des pays européens pour retrouver la trace de cet argent, quand cela ne s'avérera pas impossible dans le cadre légal actuel hérité d'une époque où les frontières avaient encore un sens pour les personnes, les biens et les capitaux ". Ils concluent qu'" il est urgent d'abolir les protectionnismes dépassés en matière policière et judiciaire " et " d'instaurer un véritable espace judiciaire européen "

D'abord expression d'un malaise devant l'inefficacité des solutions retenues jusqu'à présent pour adopter les modalités de la répression à l'évolution de la criminalité, cet appel est significativement amené, par la force des choses, à plaider pour la création d'un " espace judiciaire européen ", c'est-à-dire nécessairement -comme l'a montré le débat organisé dans le cadre de l'audition publique du Parlement européen mentionnée plus haut (4( * )) , où plusieurs hauts magistrats de différents Etats membres sont intervenus- pour une unification de certains aspects au moins des législations pénales et pour la mise en place d'un ministère public européen.

C'est que le raisonnement qui vaut pour la protection des intérêts financiers des Communautés peut s'appliquer mutatis mutandis à la lutte contre le blanchiment des capitaux : face à une criminalité de nature transnationale, la différence des règles de procédure, l'absence d'unité de l'action publique et la disparité dans la définition des délits et des peines aboutissent à une perte d'efficacité des appareils judiciaires nationaux que la voie traditionnelle de la coopération inter-étatique ne parvient pas à combler.

Les cas de la criminalité organisée et du terrorisme

Le handicap que constitue l'absence d'unification du droit et de la procédure pénales est également manifeste dans le cas de la lutte contre la criminalité organisée.

Ainsi, alors que le code pénal italien punit la simple participation à une association mafieuse, sans qu'il soit nécessaire d'invoquer un fait matériel concrétisant la préparation d'un crime déterminé, en revanche le code pénal français définit le délit d'association de malfaiteurs par la participation à une entente établie en vue d'un ou plusieurs crimes contres les personnes ou les biens ; il en ressort que la simple participation en Italie à une association mafieuse ne peut être retenue comme base d'une extradition par la justice française, la convention d'extradition franco-italienne étant fondée sur le principe de la double incrimination (5( * )) .

Or, une modification de la loi française ne pourrait suffire à résoudre complètement le problème ainsi posé, puisqu'elle n'empêcherait pas qu'une disparité de législation analogue continue à exister entre l'Italie et d'autres Etats membres. Il est clair, en revanche, qu'une unification législative à l'échelon de l'Union supprimerait ce type de difficulté qui fait apparaître désarmés les systèmes répressifs nationaux face aux réseaux criminels internationaux.

Dans le cas de la lutte contre le terrorisme, à l'obstacle éventuel de la différence des législations peut s'ajouter une détermination variable des Etats dans la mise en oeuvre de l'action publique. Afin de protéger leurs propres ressortissants, certains Etats peuvent en effet être tentés de ne pas adopter une attitude active vis-à-vis de groupes terroristes ayant une base logistique sur leur territoire, mais commettant leurs attentats dans un autre Etat membre . Face à ce risque, la mise en place d'un ministère public européen constituerait à l'évidence une solution plus efficace que toute formule restant fondée sur la souveraineté des Etats membres.

L'unification pénale contre la criminalité transnationale

La lutte contre les différentes formes de criminalité organisée n'est pas le seul domaine où se manifeste la nécessité d'une unification pénale. Votre rapporteur aurait pu ainsi mentionner la difficulté, dans le cadre actuel, de punir la récidive de crimes sexuels dès lors que les crimes successifs ont lieu dans des Etats membres différents, la définition des crimes pouvant varier d'un Etat à l'autre. Les obstacles qui naissent de la différence des législations dans le cas de la lutte contre le trafic de drogue et la toxicomanie auraient également pu être cités. Mais il ne paraît pas nécessaire de multiplier les exemples pour aboutir à la conclusion que le cadre national, même complété par la coopération inter-étatique, n'est plus adapté à la lutte contre certaines formes de criminalité et que, dès lors, l'efficacité passe par la définition d'un droit pénal de l'Union dans ces domaines et par la création d'un ministère public européen . Ainsi serait véritablement mis en place l'" espace judiciaire européen " régulièrement évoqué depuis plus de vingt ans dans les enceintes communautaires, mais dont les mécanismes intergouvernementaux ne sont pas parvenus à jeter les bases.

2. Comment réaliser l'unification ?

A supposer que soit inscrite dans le traité la base juridique pour la création d'un espace judiciaire européen, l'adoption des textes nécessaires devrait, pour votre rapporteur, passer par plusieurs étapes.

Tout d'abord, la Commission européenne -qui, dans cette optique, devrait naturellement disposer d'un droit d'initiative étendu- devrait procéder aux plus larges consultations avant de soumettre des textes au Conseil.

Les commissions compétentes des parlements nationaux, qui disposent dans ce domaine d'une expérience et d'une expertise irremplaçables, devraient notamment être systématiquement consultées : dans un tel domaine, où il ne s'agit pas d'agréger des intérêts nationaux, mais de trancher des questions de principe, il est en effet particulièrement utile que les parlementaires nationaux puissent confronter leurs points de vue et s'exprimer collectivement. La consultation des parlements nationaux permettrait également de vérifier le bien-fondé de l'idée fréquemment alléguée selon laquelle les questions concernées relèvent de prérogatives nationales intangibles. Ceux qui incarnent les souverainetés nationales ne devraient-ils pas être les premiers consultés sur cette idée ?

On pourrait ainsi concevoir que soit mis en place, dans le cadre de la COSAC, un comité consultatif préparatoire auxquels participeraient des parlementaires nationaux et européens issus des commissions compétentes, auxquels s'adjoindraient des experts des Etats membres et des personnalités désignées par la Commission européenne. Ce comité devrait en particulier approfondir les problèmes d'un ministère public unique et de la définition unifiée des délits.

Les textes élaborés sur cette base devraient être adoptés par le Conseil à la majorité qualifiée, en s'entourant des garanties apportées par le débat parlementaire :

- codécision du Parlement européen,

- consultation parlementaire à l'échelon national (ainsi, en France, par l'application de l'article 88-4 de la Constitution).

Enfin, les parlements nationaux interviendraient à nouveau, le cas échéant, pour les mesures de transposition dans la mesure où elles seraient nécessaires. La marge restreinte dont dispose le législateur pour les mesures de transposition serait, en l'occurrence, compensée par l'association des parlements nationaux tout au long de l'élaboration des textes.

3. Le traité d'Amsterdam doit marquer une avancée dans ce sens

a) Les propositions en discussion

Le " cadre général pour un projet de révision des traités "

Le document présenté par la présidence irlandaise lors du Conseil européen de Dublin met l'accent sur la réforme du troisième pilier. Il retient trois principales orientations :

- la communautarisation d'une partie du domaine du troisième pilier : la politique d'asile, la politique d'immigration et la politique à l'égard des ressortissants des pays tiers, la suppression des contrôles aux frontières intérieures et les règles pour le franchissement des frontières extérieures, " une action cohérente concernant l'abus de drogues ", le renforcement de la coopération entre les autorités douanières ;

- une redéfinition du champ du troisième pilier : allégé des questions de libre circulation, celui-ci recevrait de nouvelles compétences : la lutte contre la corruption de dimension internationale ; les politiques et règles en matière de lutte contre la criminalité organisée ; la lutte contre le racisme et la xénophobie ; la lutte contre le trafic de drogue en tant qu'objectif à part entière ; la lutte contre la traite d'être humains et les crimes contre les enfants ;

- un renforcement des instruments disponibles dans le cadre du troisième pilier : le Conseil pourrait adopter des décisions-cadres visant à rapprocher les législations, y compris en matière pénale, et établir des conventions prévoyant que, dès lors qu'elles ont été adoptées par un nombre d'Etats membres qu'elles déterminent, elles s'appliquent à ces Etats membres ; par ailleurs, Europol serait doté de compétences opérationnelles.

L'" addendum " de la présidence néerlandaise

L'" addendum " de la présidence néerlandaise, présenté le 25 mars dernier, se distingue tout d'abord du document de la présidence irlandaise en ce qu'il prévoit l'intégration dans le traité de l'acquis des accords de Schengen sous la forme d'un protocole annexé mettant en place une " coopération renforcée " entre la plupart des Etats membres (le Royaume-Uni et l'Irlande souhaitant rester à l'écart de ce processus).

Par ailleurs, tout en reprenant l'économie générale du projet de la présidence irlandaise, l'" addendum " apporte certaines modifications dans la définition du domaine destiné à être communautarisé. L'" action cohérente concernant l'abus de drogue " n'est plus mentionnée, au bénéfice d'une mention plus générale de " mesures visant à prévenir et à combattre la criminalité ", celles-ci étant cependant renvoyées au troisième pilier rénové. En revanche, entrent dans le domaine devant être communautarisé certaines questions de droit civil : mesures tendant à améliorer le système de signification des actes judiciaires et extrajudiciaires ainsi que la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, rapprochement des règles en matière de conflits de droit et de compétence, et rapprochement des règles de procédure civile, notamment celles concernant la recevabilité des moyens de preuve.

S'agissant des conventions établies dans le cadre du troisième pilier, l'" addendum " précise que " sauf disposition contraire y figurant, ces conventions entrent en vigueur, une fois qu'elles ont été adoptées par la moitié au moins des Etats membres, dans les Etats membres qui les ont adoptées. Les mesures d'application de ces conventions sont adoptées au sein du Conseil à la majorité des deux tiers des hautes parties contractantes ".

Enfin, le document de la présidence néerlandaise contient des dispositions permettant sous certaines conditions à une partie des Etats membres d'organiser entre eux des " coopérations renforcées " pour la mise en oeuvre des objectifs du troisième pilier.

b) Les limites des propositions contenues dans l' " addendum " de la présidence néerlandaise

Même si les orientations du document présenté par la présidence néerlandaise constituent une avancée indéniable par rapport aux dispositions en vigueur, elles n'en comportent pas moins, pour votre rapporteur d'importantes lacunes :

- si le Conseil peut prendre des décisions-cadres pour le rapprochement des règles de droit pénal des Etats membres, c'est seulement pour " fixer des règles permettant de définir les catégories d'infractions pénales passibles de sanctions d'une sévérité suffisante " ( sic ). La procédure pénale n'est donc pas concernée, et la base pour la création d'un ministère public européen continue à faire défaut ; la coopération judiciaire reste contenue dans un cadre intergouvernemental.

- l'" addendum " précise par ailleurs que les décisions-cadres " ne contiennent pas de dispositions dont le contenu pourrait entraîner un effet direct ", ce qui limite la portée unificatrice qu'elles pourraient revêtir ;

- il ne précise pas si les décisions-cadres sont adoptées par le Conseil à la majorité qualifiée ou à l'unanimité ; la même incertitude subsiste sur les modalités de l'autorisation accordée le cas échéant à certains Etats membres de mettre en place des coopérations renforcées ;

- enfin le texte reste muet sur la consultation des parlements nationaux, qui n'est mentionnée que " pour mémoire ".

c) Les amendements proposés par la France

Les amendements proposés par la France entrent dans la logique consistant à présenter les mesures de sécurité prises à l'échelon de l'Union comme des " mesures d'accompagnement " de la libre circulation des personnes. Cette attitude peut se justifier sur le plan de la tactique des négociations ; sur le fond, votre rapporteur rappelle que la libre circulation des personnes n'est pas la cause principale du développement de la criminalité transfrontalière et que l'adoption de mesures à l'échelon de l'Union pour lutter contre cette forme de criminalité est nécessaire indépendamment de la problématique de la libre circulation.

La France a ainsi présenté le texte suivant, qui tend à subordonner la levée des contrôles aux frontières à la satisfaction préalable de deux types de conditions : non seulement des conditions portant sur la reprise des principaux éléments de l'acquis de Schengen, mais également des conditions relatives à l'adoption de mesures de lutte contre la criminalité :

" Le Conseil arrête, dans le délai de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur du Traité, les dispositions visant (...) à assurer l'absence de tout contrôle des personnes, qu'il s'agisse de citoyens de l'Union ou de ressortissants de pays tiers, lorsqu'elles franchissent les frontières intérieures, ainsi que les mesures d'accompagnement préalables nécessaires, concernant le contrôle des frontières extérieures, l'asile et l'immigration, ainsi que celles visant à prévenir et à combattre la criminalité, le terrorisme et la drogue (...).

" A l'issue du délai de cinq ans, la décision de lever les contrôles aux frontières intérieures est prise par le Conseil à l'unanimité, au vu de la réalisation des mesures d'accompagnement nécessaires, sur la base d'un rapport détaillé de la Commission
".

En complément, la France a proposé un texte prévoyant que le Conseil puisse, à la majorité qualifiée " adopter des mesures visant à l'harmonisation progressive des incriminations et des sanctions dans les domaines de la criminalité organisée transnationale, du terrorisme, de la consommation et du trafic de drogue ". Ces mesures établiraient " les prescriptions minimales applicables progressivement, sans préjudice des conditions et dispositions plus contraignantes en vigueur dans ces Etats ".

Sous la réserve mentionnée plus haut, votre rapporteur approuve cette orientation claire en faveur d'une harmonisation des dispositions pénales qui serait décidée par le Conseil à la majorité qualifiée. Il s'agirait là d'une amélioration notable par rapport au document de la présidence néerlandaise (6( * )). On peut regretter en revanche que cette démarche ne s'étende pas à la procédure pénale, où des raisons tout aussi fortes militent en faveur d'une harmonisation.

Par ailleurs, la France s'est prononcée tout au long de la CIG pour une expression collective des Parlements nationaux sur les questions relevant du troisième pilier (7( * )), qui s'effectuerait dans le cadre de la COSAC. Un tel schéma serait proche de celui suggéré par votre rapporteur, qui entend toutefois souligner que l'association collective des Parlements nationaux sera d'autant plus utile qu'elle s'exercera suffisamment en amont, au stade par exemple de la préparation de " livres verts " définissant des orientations et des principes.

CONCLUSION

Le Traité de l'Union, en consacrant le caractère d'intérêt commun de la lutte contre la toxicomanie, la fraude internationale, le terrorisme et les autres formes graves de criminalité organisée, ainsi que la coopération judiciaire en matière civile et pénale, a reconnu que les Etats membres devaient mener un combat commun contre des ennemis communs et, du même coup, consacré implicitement la notion " d'espace judiciaire européen ".

Cependant, les suites données à cette consécration sont loin d'être à la hauteur de l'enjeu, soit que l'on considère les procédures mises en oeuvre et leur résultat, soit que l'on s'interroge sur les implications mêmes de ce concept.

Sur les procédures mises en oeuvre, il n'est que trop évident, comme le Comité Westendorp l'a reconnu à l'unanimité qu'elles sont par nature " sans commune mesure avec l'ampleur des défis ".

Sous le signe de l'humour, il est permis de penser que les choses ne seraient pas différentes si l'on avait confié aux délinquants internationaux le soin d'organiser la défense de la société face à leurs actions. La multiplication de procédures aux contraintes mal définies et de comités privés de directives claires présentent en effet l'avantage de donner à croire que les problèmes ne sont pas ignorés, sans pour autant courir " le risque " de parvenir à un niveau sérieux d'efficacité.

Symbolique est à cet égard la notion - présentée comme un progrès - de " décisions-cadres " assorties du corollaire qui exclut que leur contenu " puisse entraîner un effet direct ". On imagine le sourire des caïds face à de tels tigres de papier.

Face à l'extension et à la diversification d'une criminalité effrayante, face à la détresse de ses victimes et à la démoralisation collective qui en résulte, qui atteint d'abord la jeunesse, la responsabilité de ceux qui entretiennent de telles méthodes, en s'abritant derrière des prérogatives nationales sur lesquelles on se garde bien de consulter ceux qui en sont les gardiens, ne peut être passée sous silence. Aux yeux d'un juge lucide ne relève-t-elle pas d'une résignation coupable ?

C'est à partir du concept plus mobilisateur d'espace judiciaire européen qu'il convient de reprendre les réflexions du troisième pilier, en intégrant les résultats acquis ou en cours, mais en les dépassant dans une démarche plus opérationnelle parce que résolument unitaire.

Face au danger commun grandissant, l'instauration d'un commandement unique n'est pas moins nécessaire en ce domaine qu'elle le fut au temps des conflits armés. A la communautarisation du crime peut seule répondre la communautarisation de la répression.

Un tel concept n'a rien en réalité de révolutionnaire ou de surprenant. A partir du moment où les nations européennes ont décidé de s'unir, l'unité des règles de droit, de la jurisprudence et de l'organisation judiciaire, dans les domaines où le principe de subsidiarité entendu positivement le justifie, n'est-elle pas la réponse la plus naturelle en même temps que la seule efficace pour des " Etats de droit " ?

Se heurte-t-elle à des difficultés culturelles insurmontables ? Il est permis d'en douter compte tenu de l'unité et de l'imbrication des faits, de l'unité profonde des critères de justice tels que ressentis dans la conscience des citoyens de l'Europe, et de la parenté des concepts qui bien souvent procèdent de racines historiques communes, celles du droit romain.

A tout le moins convient-il de le vérifier. C'est pourquoi nous avons suggéré une procédure associant dès le départ les Parlements nationaux et européen détenteurs de la légitimité législative, qui permettrait seule d'aboutir rapidement à des solutions incontestables et, à défaut, de clarifier les responsabilités.

A supposer qu'une telle démarche ne fasse pas l'unanimité, elle fonderait du moins, dans le domaine concerné, un dispositif de " coopération renforcée " dont la mise en oeuvre porterait des fruits. Il est permis d'espérer que ceux-ci seraient assez convaincants pour entraîner, dans des étapes ultérieures l'adhésion générale à un espace judiciaire européen digne de ce nom et digne des défis du XXI ème siècle.

ANNEXE : AUDITION PUBLIQUE DU PARLEMENT EUROPEEN DES 15 ET 16 AVRIL 1997

COMPTE RENDU SOMMAIRE

Source : Parlement européen


LA PROTECTION DU CONTRIBUABLE EUROPÉEN - VERS UN ESPACE PÉNAL ET JUDICIAIRE COMMUN

Audition publique des 15 et 16 avril 1997 - Bruxelles

Partie I - La réponse de l'UE à l'offensive de la criminalité organisée contre ses finances

En guise d'introduction, Mme Diemut THEATO (PPE, D) présidente de la commission du contrôle budgétaire, a souligné le décalage existant entre la montée en puissance de la criminalité organisée transnationale et le dispositif judiciaire vétuste pour y faire face. L'appel des juges de Genève, qui a eu un large écho auprès de l'opinion publique, souligne l'urgence d'agir contre la corruption et la fraude. Ceci est d'autant plus vrai au niveau communautaire avec le vaste marché sans frontières. L'objectif de l'audition est de faire une analyse des faits et des réalisations à ce jour, mais également de faire la preuve de la volonté de prendre les initiatives politiques nécessaires.

Le rapporteur pour la commission des libertés publiques, M. Rinaldo BONTEMPI (PSE, I) a mis en exergue l'inefficacité des instruments dont dispose l'UE pour lutter contre la criminalité organisée et les très faibles résultats obtenus à ce jour. Il faudrait des instruments opérationnels communs et une coopération accrue. " Le corpus juris est une proposition que le PE peut adopter politiquement dès aujourd'hui... ".

Pour Mme Hedy D'ANCONA (PSE, NL), présidente de la commission des libertés publiques, " il est urgent de concrétiser l'esprit de l'appel de Genève ". Pour ce faire et " combattre la corruption qui accompagne le mercantilisme et le capitalisme triomphant de cette fin de siècle " ... il faut se doter d'un dispositif législatif adéquat, " mais ce qui importe le plus, c'est de modifier les mentalités collectives qui font de la corruption une chose quasi banale... ".

Pour le commissaire Anita GRADIN, responsable pour la lutte contre la fraude, il faut répondre à l'attente des citoyens d'une justice plus efficace. D'autant plus que, dans une période de restrictions budgétaires et de rigueur " la fraude au niveau européen est aux yeux du citoyen plus que jamais inacceptable ". La Commission a assumé sa responsabilité politique : elle a proposé, dans le cadre de la CIG, la communautarisation des éléments de lutte contre la fraude -à l'exception de la coopération policière et judiciaire en matière criminelle.

Elle propose aussi une réforme de l'article 209A du traité, avec une prise de décision à la majorité qualifiée, afin de rendre " la législation plus imperméable à la fraude, plus compréhensible, plus facile à appliquer et à contrôler ".

Le commissaire, outre les mesures d'amélioration de la gestion budgétaire, a mis en exergue les résultats obtenus par l'UCLAF. Elle a insisté sur le besoin pour cette dernière de pouvoir collaborer de manière plus étroite sur le terrain avec les autorités nationales de contrôle. Enfin, pour permettre aux PECO de lutter efficacement contre la fraude, il est important de leur assurer une assistance technique accrue.

Au nom du groupe d'experts qui a réalisé l'étude commandée par la Commission à l'instigation du PE, le professeur Mireille DELMAS-MARTY -Université Sorbonne-Paris I- a présenté le corpus juris portant dispositions pénales pour la protection des intérêts financiers de la Communauté. Ce texte, qui n'est pas un véritable code, comporte 35 règles articulées autour de 7 principes et s'inspire de la jurisprudence de la Cour de Justice et de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Il vise à faciliter la réalisation d'un espace judiciaire européen unique pour la protection des intérêts financiers de l'UE.

Outre les définitions des infractions et de la responsabilité pénale ainsi que les peines prévues, le texte préconise les règles de procédure pénale à appliquer sur tout le territoire des Etats membres. " Clef de voûte du système ", la création d'un Ministère Public Européen (MPE) qui bénéficierait d'un statut d'indépendance à l'égard tant des autorités européennes que nationales. Il pourrait se saisir d'office. Le MPE serait composé d'un Procureur Général Européen (PGE - installé à Bruxelles-) et de Procureurs Européens Délégués (PED - installés dans les différentes capitales-), auquel les ministères publics nationaux (MPN) seraient tenus de prêter assistance. Le respect des droits de la défense serait assuré par un " juge des libertés ", indépendant et impartial, désigné par chaque Etat membre et siégeant au même lieu que le PED.

Le corpus juris prévoit un " mandat d'arrêt européen " exécutoire sur tout le territoire de l'UE. Les jugements rendus pour les infractions définies dans le corpus juris seraient également exécutoires sur tout le territoire de l'Union.

La Cour de Justice européenne serait compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur les conflits de compétence ou sur des questions d'interprétation. Enfin, en cas de lacune du corpus juris , le droit national interviendrait à titre subsidiaire.

Et le professeur de conclure : " Ce corpus juris est perfectible mais l'objectif doit rester : créer un espace judiciaire unique. "

Pour M. Benoît DEJEMEPPE, Procureur du Roi à Bruxelles, la répression efficace de la fraude internationale organisée " implique la construction de l'Europe judiciaire ". Dans un espace judiciaire unique, " un système de compétence judiciaire comparable à celui qui existe en droit interne pourrait être créé, avec une échelle de priorités ". Et pour assurer l'égalité de traitement " un droit pénal communautaire constitue la réponse la plus cohérente ". Car " tant que l'organisation des poursuites demeurera soumise aux impératifs nationaux, la répression des fraudes restera une aventure aux mains de navigateurs sans boussole.... " Il dit oui au corpus juris et se prononce pour " un tribunal pénal européen coiffant l'ensemble des juridictions nationales ".

M. Carlos JIMENEZ VILLAREJO, Chef du Parquet Anticorruption à Madrid, a estimé lui aussi, que " l'on ne peut pas affronter une criminalité organisée transnationale par des actions isolées des Etats membres ". Celle-ci tire profit des disparités entre les systèmes judiciaires nationaux. Dans ce contexte, le corpus juris constitue, sans doute, un progrès. Mais il faudra s'assurer que les définitions des infractions soient similaires à celles des infractions prévues dans les ordres juridiques nationaux. En outre, il y a d'autres questions qu'il faut clarifier: celle, par exemple, de la responsabilité pénale des personnes morales qui est traitée différemment dans les systèmes nationaux. Par ailleurs, il faut éviter que l'effort d'harmonisation des sanctions aboutisse à un affaiblissement de la sanction pénale au regard des sanctions prévues, pour les mêmes infractions, dans l'ordre juridique de certains Etats membres.

Le président de la Commission, M. Jacques SANTER, a plaidé pour un espace juridique européen qui doit être " exemplaire au sens moral, politique et juridique ". L'action de la Communauté contre la fraude doit se compléter par un volet pénal. La Commission a proposé à la CIG le renforcement de l'article 209 A, la codécision PE/Conseil et la prise de décision à majorité qualifiée en la matière. La stratégie de la Commission contre la grande délinquance est cohérente: renforcement de la présence sur le terrain (UCLAF) en collaboration étroite avec les autorités nationales, renforcement du cadre légal communautaire et rapprochement des législations pénales, partenariat actif entre la Commission et les autorités répressives des Etats membres.

Partie II - De la protection du budget communautaire à la défense du citoyen

M. Gherardo COLOMBO, procureur auprès du Tribunal de Milan, a présenté des données chiffrées en matière de demandes d' assistance judiciaire: depuis le début de l'opération " Mani pulite ", sur 450 demandes de commission rogatoire, 270 sont restées sans réponse. Pour les cas où des réponses sont parvenues, il a fallu attendre parfois jusqu' à 5 ans. La principale difficulté réside donc dans les retards. Pour lui, outre les difficultés " de se comprendre " en matière de demande d' assistance, il y a d'autres verrous qu' il faudrait faire sauter : le secret bancaire, assorti de possibilités de recours- offertes surtout dans certains Etats membres- qui aboutissent à des retards rendant l'information, lorsqu'elle arrive, peu pertinente, ou encore le secret d'entreprise. Et d'insister : " plus le temps d'une enquête se prolonge, plus les difficultés de communication se compliquent ... plus les choses avancent, plus les solutions aux problèmes deviennent internationales... ".

Pour M. Renaud VAN RUYMBEKE, Conseiller auprès de la Cour d' Appel de Rennes, " si les frontières physiques, économiques et financières sont tombées, les frontières judiciaires, elles, subsistent... au nom de la souveraineté nationale. Mais l'argent collecté par les organisations criminelles -le chiffre d'affaires annuel atteindrait les 1000 milliards de dollars - ne connaît pas, lui, de frontières ". Il est donc nécessaire de créer un espace judiciaire européen permettant un contact direct entre juges. Il convient également de supprimer les recours contre la levée du secret bancaire qui ne font que paralyser les enquêtes. Il faut en outre uniformiser les législations pénales des Etats membres. Mais surtout l'Europe se doit de s'attaquer " au problème des multiples paradis fiscaux qu'elle abrite en son sein qui assurent l'anonymat de l'argent sale et le fondent avec l'argent propre ". Ceci aboutit à l'impunité de la grande délinquance. Le Sommet d'Amsterdam doit modifier le Traité. " L' Europe y jouera sa crédibilité ".

M. Bernard BERTOSSA, Procureur Général à Genève, estime, en accord avec ses collègues juges communautaires, " que les frontières nationales sont devenues des avantages déterminants pour les délinquants ". La coopération judiciaire entre Etats de l'UE et autorités helvétiques laisse à désirer. Améliorer l'efficacité de la lutte contre toute criminalité transnationale passe, selon lui, par la réciprocité. Les Etats de l'UE doivent montrer l'exemple en matière d'entraide pénale. Les Etats européens non communautaires devraient, par des conventions bilatérales, " s'engager à accorder l'entraide à toute autorité européenne au sens du corpus juris , pour la poursuite des infractions communautaires ... et à exécuter les décisions rendues par les juridictions communautaires ". Il faudra faire face à la question des paradis fiscaux. La notion de délit européen aux termes du corpus juris devra être étendue aux activités des organisations criminelles agissant dans plusieurs pays du continent. Enfin, " tout juge européen devra être autorisé à agir, pour les besoins de l'enquête, dans les autres Etats, les autorités de ces derniers étant simplement avisées ". L'exemple de la pratique Outre Atlantique démontre que tout ceci est réalisable.

Pour le professeur Mme Christine VAN DE WYNGAERT, de l'Université d'Anvers, les instruments existants dont dispose la Communauté dans la lutte contre la fraude et la criminalité organisée " sont inadéquats ". Il faut réformer le troisième pilier. Et de plaider pour " un espace juridique européen pour des crimes spécifiques, où le droit serait appliqué de manière égale dans tous les Etats membres ". Le corpus juris offre la solution avec la création du Ministère Public Européen (MPE). Le " juge des libertés ", désigné par chaque Etat membre, pourra établir les " mandats européens " (d'arrêt, de perquisition, pour des écoutes téléphoniques, etc.) exécutoires sur tout le territoire de l'UE, apportant ainsi une solution aux difficultés de procédures d'extradition ou de commissions rogatoires. " Nous ne proposons pas une Cour Pénale Européenne mais de quoi éviter les écarts dans l'application entre Etats membres ". Bien entendu il faudra également des efforts d'harmonisation surtout en matière de preuves (ex. créer un modèle uniforme pour les PV d'interrogatoire, etc.). Et de conclure : " Ceci semble assez futuriste, mais c'est la voie à suivre ".

M. Baltasar GARZON REAL, Juge d'instruction à Madrid, estime que dans un contexte d'économie mondialisée, " la menace la plus grave est le crime organisé ". L'activité des groupes criminels " sape la stabilité démocratique " de nos sociétés. Le combat est inégal : " c'est comme si des éléphants étaient chargés de rattraper des léopards ".Une attitude identique de la part des Etats membres s'impose donc " quant à l'information et aux opérations à mettre en place face à la criminalité organisée ".Il faut élaborer des normes convergentes au sein du Illème pilier afin d' aboutir à un système judiciaire européen. Mais, d'ores et déjà, en matière d'enquêtes est indispensable une coordination judiciaire et policière. Pour ce faire il faut des initiatives politiques, abolir les entraves à la justice (ex. suppression de la double incrimination en matière fiscale), combattre la méfiance mutuelle et établir des critères clairs de coopération, assurer les contacts directs entre juges, agir pour faire disparaître les paradis fiscaux, lancer une politique commune en matière d'enquêtes criminelles.. ". Pour la mise en place d'un espace judiciaire européen le corpus juris est un premier pas. On pourra envisager plus tard la création d'une juridiction supranationale". Enfin il faut prévoir la création d'un registre informatique judiciaire permettant aux autorités judiciaires d'avoir accès à toute information utile pour une enquête.

M. Edmond BRUTI LIBERATI, Procureur Général à la Cour d'Appel de Milan, estime que le corpus juris est le point de départ: il peut l'être en vue d'aboutir tant à un espace judiciaire qu'à un espace juridique européen. Pour avancer, il faut surtout surmonter les obstacles liés aux commissions rogatoires : " C'est un système obsolète et inefficace ". Passer, en matière d'entraide judiciaire, par la voie diplomatique crée des lenteurs et des retards décisifs face à la rapidité des mouvements de la criminalité organisée. Et de plaider pour le renforcement de la coopération par des contacts directs entre juges. Mais il faut aussi encourager deux projets significatifs : GROTIUS, pour la coopération dans le domaine juridique et l'échange d'informations, visant à développer une approche commune en vue de créer un espace commun, et, le corpus juris . Car, pour lui, " dans ce processus par étapes, les différences entre les systèmes juridiques des Etats membres constituent une richesse pour l'Europe. Il y a là un éventail de possibilités offertes : il s'agit de savoir trouver la meilleure solution qui offre le maximum d'efficacité et qui protège au mieux les justiciables ". Et de rappeler: " Le rendez-vous est déjà pris pour cet automne à Bruxelles afin de faire un bilan au premier anniversaire de l' Appel de Genève ".

M. BONTEMPI, rapporteur de la commission des libertés publiques, s'est félicité des progrès enregistrés lors du débat et a proposé de maintenir la pression sur les Etats membres en vue des ratifications des conventions et des protocoles. " Il faut que le PE fixe un délai pour la ratification. Nous devons prendre l'initiative et organiser à cet effet une Conférence Interparlementaire avec les Parlements nationaux ". Il propose également que la coopération judiciaire soit incluse dans le premier pilier : " C'est une bataille qu'il faudra gagner lors de la réforme du Traité à Amsterdam ". Il plaide aussi pour " que l'on commence à appliquer le corpus juris . C'est un projet politique qui correspond aux propositions mises en avant par le PE depuis 1991. Il nous indique la direction des efforts à entreprendre, et le Président Santer s'est déclaré ouvert pour y travailler ". Il faut enfin explorer les possibilités afin de rendre plus homogènes les différents systèmes judiciaires des Etats membres.

Mme THEATO, rapporteur pour la commission du contrôle budgétaire, constate " qu'on est encore loin de pouvoir assurer une protection efficace du contribuable européen partout dans l'UE ". Elle plaide pour que les Etats membres procèdent rapidement aux ratifications. " S'ils ne peuvent pas le faire il faut faire jouer le principe de subsidiarité. Ce sera à l'Europe d'intervenir sinon le dommage sera irréparable ". Il faut aussi veiller, même après les ratifications, " à ce qu'il y ait application uniforme des dispositions... Le corpus juris constitue une base précieuse ". Et de plaider pour que la CIG aboutisse, lors de la réforme de l'article 209A, " à introduire la notion de l'égalité de protection et le principe d'équivalence en matière de poursuites pénales ". Elle propose également un rôle renforcé pour l'UCLAF. Elle envisage enfin pour " le printemps 1998 l'organisation d'une Conférence Interparlementaire avec les collègues des Parlements nationaux pour faire le bilan ".

S'exprimant au nom de la Présidence en exercice du Conseil, Mme SORDRAGER, Ministre de la Justice, a rappelé les progrès réalisés dans les travaux du Groupe de Haut Niveau institué par le Sommet de Dublin. Elle a pris acte du corpus juris , et de l'idée d'établir un Ministère Public Européen. " Vous allez loin en matière d'harmonisation de règles " a-t-elle estimé, en soulignant que " les discussions sont longues... les résultats seront obtenus par étapes ".

Conclusions

Intervenant au terme de l'audition publique le Président du PE, M. José-Maria GIL-ROBLES GIL-DELGADO a rappelé l'engagement du PE à apporter des propositions concrètes afin de protéger de manière efficace les intérêts financiers de la Communauté mais aussi le citoyen européen face à une criminalité organisée de plus en plus inquiétante. " Le décalogue des propositions faites par mon prédécesseur, M. Klaus HÄNSCH, à ce titre est toujours d'actualité ".

Pour le Président GIL-ROBLES, " établir un droit pénal communautaire paraît l'unique solution viable face à la criminalité organisée... Il nous faudrait un droit pénal communautaire qui pourrait s'appliquer automatiquement sur les territoires des Etats membres, ou bien qui soit au moins compatible avec l'ordre constitutionnel et les dispositions d'ordre public en vigueur dans l'ordre juridique de chacun des Etats membres... Le corpus juris proposé ici démontre que ceci est faisable ".

Et de lancer un appel à la CIG pour adopter les moyens législatifs nécessaires en prévoyant la procédure de codécision pour le PE. Ceci parce qu'..." une série de traités et de conventions de coopération administrative et judiciaire sont lettre morte par manque de ratification ".

Pourtant, un droit pénal unique ne servirait pas à grand-chose si l'application judiciaire des dispositions était freinée par les frontières législatives et institutionnelles des Etats membres. Une coopération s'impose donc pour assurer une action judiciaire efficace et homogène au sein de l'Union. Les conditions pour ce faire sont : des relations directes entre autorités judiciaires, une coordination de ces relations par une autorité centrale, pourquoi pas au niveau communautaire, une centralisation des données à la disposition des autorités nationales pour faciliter la plus ample information et, enfin, l'adoption de mesures coordonnées et l'élimination des obstacles aux efforts de coopération (régler la question de la double incrimination, celles du secret bancaire et des recours suspensifs... ).

" Comme objectif final, nous proposons à l'opinion publique européenne un corpus juris qui offre une solution efficace aux problèmes de coopération. Cet objectif pourra être atteint par étapes. L'expérience de coopération au niveau communautaire peut constituer un modèle pour la réalisation d'un espace juridique et judiciaire commun européen ".



(1) Voir le compte rendu sommaire de cette audition en annexe au présent rapport.

(1)
MM. André Fanton et Xavier de Roux, " La coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures : bilan et réformes souhaitables ", rapport n° 3226, décembre 1996, p. 47-49.

(2) " La coopération européenne en matière de justice et d'affaires intérieures et la Conférence intergouvernementale ", Revue trimestrielle de droit européen, janvier-mars 1997.

(3) " Main basse sur l'Europe " , Plon, 1994 .

(4)
Un compte rendu sommaire de cette audition figure en annexe au présent rapport.

(5)
Voir " La criminalité organisée " , La documentation française, 1996, pp. 163-164 .

(6) Ce document a été modifié depuis la rédaction du présent rapport. Les dispositions concernant l'harmonisation pénale ont beaucoup gagné en clarté, se rapprochant des demandes formulées par la France.

(7) Il est à noter que dans un article commun publié le 22 février dernier au sujet de la réforme du troisième pilier, les ministres des Affaires étrangères de l'Allemagne et de l'Italie, MM. Klaus KINKEL et Lamberto DINI, ont insisté sur le rôle des parlements nationaux : " il sera opportun de prévoir des procédures assurant le droit des Parlements nationaux d'être écoutés avant les décisions du Conseil qui touchent à des aspects essentiels de la souveraineté nationale et des droits fondamentaux de l'individu ".

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