Rapport d'information n° 331 (1995-1996) de M. Nicolas ABOUT , fait au nom de la délégation pour l'Union européenne, déposé le 24 avril 1996

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INTRODUCTION

« La concurrence est un alcaloïde ; à dose modérée, c'est un excitant ; à dose massive, un poison »

Auguste DETOEUF

Propos de O.L. Barenton, confiseur

Le transport ferroviaire a connu en France, comme dans les autres pays européens, un déclin important au cours des dernières décennies. Ses parts de marché se sont réduites de manière continue au profit du transport routier. Ainsi, sur l'ensemble de la Communauté européenne, le chemin de fer assurait en 1970 31,7 % du transport de marchandises et 10,4 % du transport de voyageurs. En 1993, ces chiffres sont respectivement de 15,4 % et de 6,6 %. Le transport ferroviaire n'est donc plus le mode de transport dominant qu'il a été pendant longtemps.

Dans ce contexte, la prise en compte progressive de la dimension européenne peut être une chance de renouveau pour le chemin de fer. Les marchés sur lesquels le rail conserve une pertinence incontestable sont en effet les distances transeuropéennes, pour le transport à grande vitesse, mais aussi pour le transport de marchandises et pour les transports régionaux dans les zones à forte densité de population. En un an d'exploitation, les services d'Eurostar ont acquis une part importante du marché sur deux des lignes européennes où le trafic aérien est le plus dense (environ 40 % du marché pour la liaison Paris-Londres et 35 % pour la liaison Londres-Bruxelles).

Les institutions communautaires sont conscientes de ce que peut apporter l'Europe au chemin de fer et affirment clairement leur volonté de voir se développer ce mode de transport, qui présente de multiples avantages, en termes de sécurité et d'environnement notamment. Ainsi dans une résolution du 19 juin 1995, le Conseil de l'Union européenne a exprimé sa volonté « de créer les conditions adéquates pour permettre de développer la place du transport ferroviaire et du transport combiné dans le système de transport de la Communauté ».

Cette volonté affirmée depuis longtemps s'est concrétisée par l'adoption en 1991 d'une directive importante sur le développement des chemins de fer communautaires. La Commission européenne propose aujourd'hui d'aller de l'avant en accentuant l'ouverture à la concurrence amorcée en 1991.

Votre rapporteur a donc souhaité se pencher sur la politique menée par l'Union européenne dans le domaine du transport ferroviaire, et notamment sur l'équilibre délicat qu'il est nécessaire de trouver entre le développement d'une concurrence stimulante et la prise en compte des particularités d'un secteur tel que celui des chemins de fer. Un processus probablement irréversible est en cours, qui peut apporter beaucoup aux citoyens des Etats membres de l'Union européenne comme aux entreprises ferroviaires, à condition d'être maîtrisé.

Dans ce cadre, on ne peut que constater que la France, qui dispose d'atouts, du fait notamment de sa situation géographique, ne peut plus attendre pour entreprendre des réformes déjà engagées par beaucoup de ses partenaires européens.

I. LA DIMENSION COMMUNAUTAIRE DU TRANSPORT FERROVIAIRE : UNE LENTE EMERGENCE

L'action communautaire dans le domaine du transport ferroviaire est restée relativement limitée jusque dans les années 1980. Certes, dès 1961, un mémorandum sur les transports insistait sur l'importance de l'harmonisation et de la libéralisation nécessaire à la mise en oeuvre de la libre circulation. Cependant, les démarches entreprises n'ont eu qu'une portée restreinte sur l'organisation des chemins de fer européens.

Dans les années 1980, cette situation s'est trouvée modifiée, du fait notamment de la signature de l'Acte unique et de la préparation du grand marché intérieur. La Commission européenne a alors entrepris de nombreuses actions visant à réaliser le marché intérieur, notamment dans les secteurs caractérisés par l'existence de missions de service public. Le transport ferroviaire, marqué par un très fort cloisonnement entre les Etats membres de l'Union européenne, ne pouvait échapper à mouvement, qui a conduit à l'adoption d'un texte fondamental pour l'avenir des chemins de fer européens : la directive du 29 juillet 1991. Certains Etats membres ont entrepris, dans ce contexte, parfois avant même l'adoption de la directive, de profondes réformes structurelles visant à restaurer la compétitivité de leurs chemins de fer.

A. UN TEXTE FONDAMENTAL : LA DIRECTIVE DU 29 JUILLET 1991

Parmi les objectifs de ce texte adopté par le Conseil de l'Union européenne après des négociations difficiles, figure la nécessité de « rendre les transports par chemins de fer efficaces et compétitifs par rapport aux autres modes de transport ». La directive contient, malgré son caractère modéré, plusieurs dispositions impliquant des changements importants dans l'organisation des transports ferroviaires en Europe.

1. La mise en place de droits d'accès au réseau

La disposition la plus controversée de la directive est son article 10, qui prévoit l'octroi à certaines entités de droits d'accès au réseau ferroviaire. Ce type de disposition a naturellement pour objectif de faciliter la réalisation du marché intérieur, en contraignant les entreprises monopolistiques à ouvrir leur réseau à d'autres entités.

Il convient de noter que le texte adopté fait preuve d'une certaine prudence dans ce domaine. En effet, l'article 10 de la directive prévoit que « les regroupements internationaux se voient reconnaître des droits d'accès et de transit dans les Etats membres où sont établies les entreprises ferroviaires qui les instituent, ainsi que des droits de transit dans les autres Etats membres pour les prestations des services de transport internationaux entre les Etats membres où sont établies les entreprises constituant lesdits regroupements.

Les entreprises ferroviaires se voient accorder un droit d'accès, à des conditions équitables, à l'infrastructure des autres Etats membres aux fins de l'exploitation de services de transport combiné internationaux de marchandises ».

Pour pouvoir accéder au réseau d'un Etat membre autre que celui auquel elle appartient, une entreprise doit donc constituer un groupement international ou exercer une activité de transport combiné. En outre, en cas de regroupement international, les droits d'accès sont limités aux Etats dans lesquels sont établies les entreprises participant au regroupement ; dans les autres Etats, ce dernier ne bénéficie que de droits de transit.

La directive dite 91/440 tend donc à introduire la concurrence dans le secteur ferroviaire, mais de manière modérée ; elle prend en compte les spécificités de ce secteur, et notamment les risques de désorganisation qu'aurait pu susciter une ouverture plus large.

2. Autonomie, transparence, assainissement

Les autres dispositions de la directive de 1991 sont parfois passées plus inaperçues, mais présentent néanmoins une grande importance.

Les articles 4 et 5 de la directive prévoient que les Etats membres doivent prendre les mesures nécessaires afin que les entreprises ferroviaires soient dotées d'un statut d'indépendance en matière de direction, de gestion et de contrôle administratif, économique et comptable interne. La directive dispose en particulier que « les entreprises ferroviaires doivent être gérées selon les principes qui s'appliquent aux sociétés commerciales, y compris en ce qui concerne les obligations de service public imposées par l'Etat à l'entreprise et les contrats de service public conclus par l'entreprise avec les autorités compétentes de l'Etat membre ».

L'article 6 prévoit la séparation, au moins comptable, des activités relatives à l'exploitation des services de transport de celles relatives à la gestion de l'infrastructure ferroviaire. Cette séparation peut également prendre la forme de divisions organiques distinctes au sein d'une même entreprise ; elle peut enfin conduire à la mise en place d'entreprises totalement distinctes.

L'article 7 de la directive dispose que les Etats membres « prennent les mesures nécessaires au développement de l'infrastructure ferroviaire nationale en prenant, le cas échéant, en compte les besoins globaux de la Communauté ». En revanche, les Etats peuvent charger les entreprises ferroviaires ou tout autre gestionnaire de la gestion de l'infrastructure ferroviaire, et notamment de la responsabilité des investissements, de l'entretien et du financement que comporte cette gestion sur le plan technique, commercial et financier.

Enfin l'article 9 est relatif à l'endettement des entreprises ferroviaires et prévoit notamment que « les Etats membres mettent en place, conjointement avec les entreprises ferroviaires publiques existantes, des mécanismes adéquats pour contribuer à réduire l'endettement de ces entreprises jusqu'à un niveau qui n'entrave pas une gestion financière saine et pour réaliser l'harmonisation de la situation financière de celles-ci ». Votre rapporteur reviendra sur cette disposition qui laisse aux Etats une marge de manoeuvre non négligeable quant aux modalités d'un éventuel désendettement.

La directive du 29 juillet 1991 constitue donc un ensemble important reposant sur quatre piliers : l'indépendance des entreprises ferroviaires à l'égard des Etats, l'assainissement financier, la séparation entre activité de transport et gestion de l'infrastructure, enfin les droits d'accès au réseau.

3. Deux directives d'application

En 1995, le Conseil de l'Union européenne a adopté deux directives d'application de la directive de 1991 afin de faciliter la mise en oeuvre des dispositions relatives aux droits d'accès :

- une directive concernant les licences des entreprises ferroviaires (1 ( * )) ;

- une directive concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire et la perception de redevances d'utilisation de l'infrastructure (2 ( * )) .

En vertu de la directive sur les licences, une entreprise qui souhaite accéder au réseau d'un Etat membre dans le cadre des dispositions de la directive de 1991, doit bénéficier d'une licence lui reconnaissant la qualité d'entreprise ferroviaire. Les Etats sont appelés à délivrer ces licences en prenant en compte certaines exigences en matière d'honorabilité, de capacité financière et de capacité professionnelle ainsi que de couverture par l'entreprise concernée de sa responsabilité civile.

L'article 8 de la directive dispose que les exigences en matière de capacité professionnelle sont satisfaites lorsque :

« a) l'entreprise ferroviaire qui demande la licence a ou aura une organisation de gestion et possède les connaissances et/ou l'expérience nécessaires pour exercer un contrôle opérationnel et une surveillance sûrs et efficaces en ce qui concerne le type d'opérations spécifiées dans la licence ;

b) le personnel responsable de la sécurité, notamment les conducteurs, possède une qualification pleinement adaptée à son domaine d'activité ;

c) le personnel, le matériel roulant et l'organisation sont de nature à assurer aux services effectués un haut niveau de sécurité ».

Naturellement, ces dispositions sont en principe satisfaites par les opérateurs nationaux traditionnels de chemins de fer et ont surtout vocation à s'appliquer à des entreprises souhaitant entrer dans ce secteur pour offrir un service précis.

La directive sur la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire dite « directive sillons » définit la manière dont seront attribuées les capacités entre les différents opérateurs souhaitant intervenir sur le réseau.

L'article 3 prévoit que chaque Etat membre désigne un organisme de répartition et que la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire doit se faire sur une base équitable et non discriminatoire.

La directive dispose également qu'une priorité pourra être accordée aux services fournis dans l'intérêt du public et aux services qui sont effectués sur une infrastructure spécifiquement construite ou aménagée pour ces services (lignes spéciales à grande vitesse ou spécialisées dans le fret).

L'article 6 de la directive prévoit que « les comptes du gestionnaire d'une infrastructure doivent, dans des conditions normales d'activité, présenter au moins un équilibre considéré sur une période de temps raisonnable entre, d'une part, les recettes tirées des redevances d'utilisation de l'infrastructure et des contributions de l'Etat et, d'autre part, les dépenses d'infrastructure ».

La directive contient, en outre, des dispositions relatives aux redevances d'infrastructure, qui doivent être fixées de manière non discriminatoire et prendre en compte notamment la nature du service, la période du service, la situation du marché ainsi que la nature et l'usure de l'infrastructure.

Le gestionnaire de l'infrastructure peut lui-même être exploitant de services de transport, mais dans ce cas, un recours contre les décisions prises par le gestionnaire doit être possible devant une instance indépendante.

Avec l'adoption par le Conseil de ces deux directives en juin 1995, plus rien ne s'oppose en théorie à l'arrivée de nouvelles entreprises dans le secteur ferroviaire, à condition qu'elles répondent aux conditions prévues par la directive de 1991.

B. QUELQUES REFORMES D'ENVERGURE EN EUROPE

Parallèlement, à la mise en oeuvre d'une action communautaire dans le domaine du transport ferroviaire, certains Etats membres de la Communauté ont entrepris des réformes globales au cours des dernières années, qui méritent d'être brièvement expliquées, dans la mesure où elles offrent des éléments de comparaison précieux au moment où s'imposent des choix cruciaux pour l'avenir de la SNCF.

1. La Grande-Bretagne

En 1993, dans le cadre du Railway Act, les autorités britanniques ont décidé une privatisation par fragmentation des chemins de fer.

Cette réforme a tout d'abord conduit à l'établissement d'un directeur des licences des services voyageurs, d'un régulateur et au maintien d'un organisme de réglementation de la sécurité distinct. En outre, l'infrastructure et les activités de service ont fait l'objet d'une séparation institutionnelle. Ainsi, l'infrastructure a été confiée à l'entreprise Railtrack, qui facture aux exploitants des droits d'accès pour l'utilisation des voies. Railtrack est en principe destinée à être vendue au secteur privé. Les activités voyageurs font quant à elles l'objet de franchises attribuées par le directeur des franchises. Railtrack (qui gère les infrastructures) ne recevant aucune subvention, les péages facturés aux entreprises de transport sont fixés à un niveau élevé, de sorte que le gouvernement britannique subventionne les entreprises titulaires d'une franchise pour l'exploitation de lignes ferroviaires.

Il convient de signaler que, dans le cadre des attributions de franchises pour le transport de voyageurs, la CGEA (Compagnie générale d'entreprises automobiles), filiale de la Compagnie générale des eaux, a été retenue pour gérer le réseau Network South Central qui dessert la région du sud de Londres.

Le modèle britannique suscite de très fortes réticences en France et, d'une manière plus générale, dans les pays d'Europe continentale.

De fait, il est davantage le fruit d'une idéologie que de considérations pratiques . Il faut prendre en compte le fait que le transport ferroviaire n'a pas la même importance au Royaume-Uni qu'en France ou en Allemagne. Comme a pu l'écrire M. Christian Stoffaës dans un rapport publié en 1995 (3 ( * )) : « Même si elle est remarquable par son caractère audacieux et extrêmement radical, la réforme britannique ne saurait plaider pour l'ensemble de l'Europe. La position géographique des îles britanniques, insulaire et périphérique, ses performances modestes dans les comparaisons ferroviaires internationales, la part réduite du transport ferroviaire sur le marché des transports ne font pas du Royaume-Uni un modèle de référence, ni un exemple déterminant au sein de la profession européenne des cheminots ».

Il faut cependant noter que ce système, qui impose des décisions douloureuses, en matière de réduction d'effectifs notamment, peut permettre à l'Etat de faire des économies substantielles susceptibles de conduire à des investissements dans des secteurs créateurs d'emplois. Les effets de la réforme sur le montant des subventions accordées par l'Etat aux entreprises ferroviaires font l'objet d'analyses très contrastées et mériteraient une étude approfondie.

Quoi qu'il en soit, ce modèle doit être examiné avec prudence et ne pourra faire l'objet d'un vrai bilan qu'après plusieurs années de fonctionnement.

2. L'Allemagne

La réforme entreprise en Allemagne est intéressante dans la mesure ou l'entreprise nationale, la Deutsche Bahn (DB), se trouvait, avant cette réforme, dans une situation peut être plus difficile encore que celle de la SNCF avec une dette de 70 milliards de marks. L'Etat fédéral a procédé au désendettement de l'entreprise nationale, a pris en charge les surcoûts liés aux statuts des personnels et a accepté les charges écologiques du passé.

En outre, l'Etat s'est engagé à financer les investissements futurs dans le cadre d'un « préfinancement », ce qui signifie que la DB doit rembourser les investissements rentables. L'entreprise doit assumer les coûts liés à l'entretien de l'infrastructure.

Les autorités allemandes ont en outre prévu un programme d'investissements très important dans le transport ferroviaire pour les années à venir, 120 milliards de marks devant être affectés à ce secteur d'ici 2010.

Les transports ferroviaires de proximité (transports urbains, de banlieue ou régions de moins d'une heure ou de moins de cinquante kilomètres) ont été confiés, pour leur organisation et leur financement, aux Länder. Ceux-ci déterminent donc les principaux éléments du service offert sur chaque ligne et ont la possibilité de fermer une ligne. Pour exercer ces compétences, les Länder bénéficient d'une subvention permettant d'assurer le maintien des services régionaux au niveau atteint en 1993-1994. Les Länder doivent donc prendre en charge d'éventuelles améliorations.

La DB a été scindée en plusieurs activités destinées à devenir des sociétés anonymes sous l'égide d'une holding, puis éventuellement, des sociétés indépendantes. Le principe d'une concurrence généralisée a été accepté.

Cette réforme, qui conduira à de très fortes réductions d'effectifs, du fait notamment des sureffectifs de l'ancienne compagnie d'Allemagne de l'Est, a néanmoins été acceptée par le personnel, qui a obtenu des garanties quant au maintien de son statut (4 ( * )) .

Il est encore difficile de dresser un bilan de cette réforme qui est entrée en vigueur en 1994. Cependant, il est clair que ces profondes modifications ont mis la DB en situation psychologique de prendre un nouveau départ. Celle-ci a dégagé en 1994 un bénéfice après impôt de 180 millions de marks.

Il semble que la structure du bilan de la DB se soit cependant déjà quelque peu dégradée avec une diminution de ses fonds propres. En outre, le Gouvernement allemand, dans la situation économique actuelle, éprouve de grandes difficultés à tenir le programme d'investissement qu'il avait envisagé au moment de la réforme. Il est donc trop tôt pour estimer que la DB est sauvée. Reconnaissons au moins l'importance de cette réforme négociée qui va bien au-delà des prescriptions de la directive de 1991 et qui place l'Allemagne en position favorable dans le cadre de l'ouverture progressive du transport ferroviaire à la concurrence.

3. Deux autres exemples importants : la Suède et les Pays-Bas

La Suède a entrepris une grande réforme de son système ferroviaire dès 1988, c'est-à-dire avant l'adoption de la directive de 1991 et bien avant son adhésion à l'Union européenne. Cette réforme s'est d'abord caractérisée par la division de la compagnie publique avec d'un côté l'administration nationale des voies ferrées suédoises (Bankverkert ou BV) et de l'autre la société des chemins de fer de l'Etat (Statens Järnvägar ou SJ). L'entreprise SJ est considérée comme l'opérateur ferroviaire voyageurs principal et détient le monopole du fret ferroviaire. Elle doit assurer la gestion du fret et des voyageurs sur le réseau principal selon les principes de la rentabilité commerciale.

L'entreprise chargée des infrastructures, BV, peut attribuer des droits de transport à d'autres opérateurs que SJ lorsque des capacités ne sont pas utilisées. Ainsi, une société privée, BK Trains, exploite 600 km de lignes régionales sur trois provinces du Sud et du Nord-Ouest de Stockholm.

Enfin, il faut noter que la société commerciale a été poussée à améliorer ses résultats financiers et que son organisation interne a été profondément modifiée avec la création de quatre grands centres de profit pour les voyageurs, le fret, les matériels roulants et le patrimoine foncier ; les effectifs ont été fortement diminués.

Dans le récent rapport sur l'application de la directive de 1991 qu'elle a publié, la Commission européenne se montre assez convaincue du bien-fondé de cette réforme : « il importe de remarquer que la situation des chemins de fer suédois, cas quasiment unique en Europe, s'est sensiblement améliorée depuis qu'infrastructure et opérateurs ont été séparés (1988) et qu'un système de redevances équitable pour l'utilisation des infrastructures a été introduit ».

Les Pays-Bas ont également entrepris une réforme importante de leur organisation du transport ferroviaire. L'entreprise nationale NS a été divisée en deux secteurs, l'un consacré aux activités commerciales, l'autre aux infrastructures.

La holding NS Groep NV est chargée de l'exploitation commerciale et a trois filiales : Markt BV (voyageurs, gares, matériels roulant et sûreté) ; NS Cargo NV (fret), Vastgoed BV (gestion immobilière). Par ailleurs, deux sociétés se partagent la gestion de l'infrastructure.

La réforme a également conduit à une séparation nette des responsabilités de l'Etat et de l'entreprise nationale ; l'Etat est clairement responsable des infrastructures et de leur financement, de la compensation des obligations de service public et de l'harmonisation des modes de transport.

Votre rapporteur a souhaité évoquer ces exemples, non pour dresser un catalogue exhaustif de l'état de l'Europe ferroviaire, mais parce que ces réformes présentent un certain nombre de caractéristiques communes que la France ne peut ignorer dans ses propres réflexions : clarification des relations entre l'Etat et l'entreprise nationale, clarification aussi entre les différentes activités participant du transport ferroviaire, assainissement financier, reconnaissance d'un rôle accru pour les entités régionales.

II. QUELLE ACTION COMMUNAUTAIRE POUR LES PROCHAINES ANNEES ?

La directive adoptée en 1991 constituait un compromis entre la volonté de faire évoluer en profondeur l'organisation du transport ferroviaire en Europe et la nécessité de mener des réformes difficiles avec prudence. En juillet 1995, la Commission européenne a publié une nouvelle proposition de directive (5 ( * )) visant à compléter le texte de 1991. On peut se demander si cette nouvelle proposition peut à elle seule favoriser le développement du transport ferroviaire en Europe, objectif affiché des institutions communautaires.

A. UNE VOLONTE PREMATURÉE D'ACCENTUER L'OUVERTURE À LA CONCURRENCE

1. La nouvelle proposition de directive

La nouvelle proposition soumise par la Commission européenne au Conseil des ministres vise exclusivement à modifier les dispositions de la directive 91/440 relatives aux droits d'accès à l'infrastructure afin de les élargir :

l'accès au réseau serait accordé à toute entreprise ferroviaire souhaitant offrir des services de transport de marchandises . Cela concernerait donc non seulement le transport international, mais également le cabotage (c'est-à-dire la possibilité pour une entreprise de chemin de fer d'offrir un service national dans un autre Etat membre que celui dans lequel elle est établie) ;

l'accès à l'infrastructure ferroviaire serait également accordé aux entreprises souhaitant offrir des services internationaux de transport de voyageurs , avec la possibilité pour ces entreprises d'accepter et de transporter des voyageurs de et vers tout point intermédiaire entre ceux de départ et d'arrivée.

Il s'agit donc d'étendre de manière importante et en une seule étape les droits d'accès à l'infrastructure. Pour justifier cette nouvelle proposition, la Commission européenne fait notamment valoir que « l'heure est désormais venue pour la Communauté d'accomplir un nouveau pas en avant en établissant la liberté de fournir des services ferroviaires, pour les deux raisons suivantes : la première est l'obligation d'appliquer les principes fondamentaux du traité aux secteurs des transports, notamment aux chemins de fer. Cette évolution doit se poursuivre, même si ce n'est que progressivement. La deuxième raison est la poursuite de la diminution de la part des chemins de fer sur le marché et la poursuite de la dégradation de leur situation financière ».

Compte tenu de la grande généralité des justifications proposées, on ne peut qu'être perplexe face à la nouvelle proposition de la Commission européenne.

2. Une évolution prématurée

a) L'absence de réel bilan de la directive 91/440

La directive du 29 juillet 1991 prévoyait que la Commission européenne présenterait un bilan de son application avant de formuler de nouvelles propositions pour le développement du transport ferroviaire.

Certes, la nouvelle proposition de directive est accompagnée d'un texte intitulé « Mise en oeuvre de la directive 91/440 sur le développement des chemins de fer communautaires ». Toutefois, il faut noter que ce document comporte en tout et pour tout trois pages et est composé d'une série de réflexions extrêmement générales qui ne permettent en aucun cas de se faire une idée des conséquences de la directive de 1991.

A la lecture du document de la Commission européenne, il apparaît que la directive 91/440 est loin d'avoir été transposée dans chacun des Etats membres, alors que cette transposition auraît dû intervenir avant le 1 er janvier 1993. La Grèce et le Portugal n'ont ainsi transposé aucune des dispositions de la directive, tandis que la Belgique, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg et l'Espagne n'ont pas transposé les dispositions relatives aux droits d'accès à l'infrastructure. La France a, pour sa part, transposé la directive par un décret du 9 mai 1995.

Naturellement, le bilan de la Commission européenne était très attendu en ce qui concerne les droits d'accès. Il est en effet très intéressant de savoir combien de nouveaux entrants ont pu bénéficier des dispositions de la directive, et à quelles branches d'activité appartiennent ces nouveaux entrants. Le tableau présenté par la Commission européenne ne peut, à cet égard, que décevoir : « les droits d'accès à l'infrastructure ferroviaire ont éveillé l'intérêt et suscité des controverses. Certains Etats n'ont pas mis en oeuvre ces dispositions. Pour ces raisons, notamment, certains nouveaux venus potentiels ont rencontré des problèmes lorsqu'ils ont voulu se lancer dans des activités : ils ont par exemple éprouvé des difficultés à obtenir en temps utile des informations sur la disponibilité et le coût d'itinéraires ferroviaires et du matériel de traction. Un petit nombre seulement de nouveaux exploitants ont commencé à travailler, bien que les entreprises nationales actuelles se soient employées à créer de nouveaux regroupements » .

A la lecture d'expressions telles que « certains Etats membres », « certains nouveaux venus potentiels », « un petit nombre seulement de nouveaux exploitants », il est singulièrement difficile d'évaluer les conséquences de la directive de 1991 . Il est certes compréhensible que la Commission européenne souhaite préserver la confidentialité de certaines informations relatives aux litiges entre entreprises ; mais peut-on sérieusement envisager un élargissement important des droits d'accès à l'infrastructure sur ces seules bases ?

En France, les dispositions de la directive 91/440 relatives aux droits d'accès semblent n'avoir donné lieu qu'à une seule demande, formulée par une société allemande (Georg GmbH) ayant reçu une licence du Land de Hesse. Toutefois, cette entreprise ne répondant pas aux critères posés par la directive (regroupement international ou activité de transport combiné), sa demande n'a pour l'instant pu aboutir. Néanmoins, d'autres projets pourraient prochainement voir le jour, principalement dans le secteur du fret.

En ce qui concerne l'assainissement financier des enreprises ferroviaires, le bilan présenté par la Commission européenne est également très imprécis. La Commission annonce d'ailleurs son intention de lancer une étude générale de la situation financière actuelle des chemins de fer et des aides qu'ils reçoivent de l'Etat. Peut-on valablement se prononcer sur une proposition de large ouverture à la concurrence sans disposer de ces éléments ?

D'après les renseignements que votre rapporteur a pu obtenir, certains Etats ont entrepris d'alléger les dettes des compagnies ferroviaires. Ainsi, à la fin de 1994 les dettes de British Rail (sans prise en compte de l'entreprise chargé de l'infrastructure) s'élevaient à 0,51 milliard de livres, celles de l'opérateur néerlandais à 4,4 milliards de florins (13 milliards de francs), celles de l'opérateur suédois à 4,7 milliards de couronnes (3,5 milliards de francs). Des mesures de désendettement ont également profité à la compagnie nationale en Belgique, en Espagne et en Italie. En Belgique, l'Etat prend désormais en charge les intérêts des dettes de la SNCB, tandis qu'une société financière s'occupera particulièrement de ce qui a trait au réseau à grande vitesse (grâce à des fonds apportés par l'Etat, par la SNCB et par des institutions privées).

Compte tenu de la grande imprécision du bilan de la directive 91/440 présenté par la Commission européenne, compte tenu de l'incomplète transposition de cette directive, il semblerait préférable de poursuivre la mise en oeuvre de ce premier texte, de veiller à son application complète par l'ensemble des Etats membres avant d'en envisager une extension. En outre, il serait souhaitable qu'un véritable bilan puisse être présenté par la Commission européenne, permettant de disposer d'éléments réellement utilisables pour déterminer les priorités futures.

b) Des conséquences difficiles à prévoir

La nouvelle proposition de directive ne contient que peu d'indications sur les conséquences qu'elle pourrait avoir sur l'organisation du transport ferroviaire. Ainsi, la Commission estime que la libéralisation du transport international de voyageurs ne créera « pas de problèmes significatifs de perte des aspects de synergie dues à l'existence d'une structure de réseau, ni de risque d'écrémage des services les plus rentables ».

On voudrait être convaincu par ces propos optimistes, mais il est cependant difficile d'ignorer que les nouveaux entrants souhaiteront à l'évidence offrir des services sur les lignes les plus rentables. Dans ces conditions, les entreprises ferroviaires verront probablement leurs recettes diminuer, ce qui ne facilitera sans doute pas leur redressement. De la même manière, la question des économies d'échelle, qui deviendront pour les compagnies ferroviaires plus difficiles à obtenir, ne peut être ignorée.

D'autres problèmes devraient être résolus dans la perspective d'une libéralisation accrue du transport ferroviaire. Ne faudrait-il pas envisager des dispositions très strictes en ce qui concerne les normes de sécurité ? De même, la formation du personnel ne devrait-elle pas faire l'objet de dispositions spécifiques de manière à garantir un haut niveau de qualification ?

En ce qui concerne le fret, la Commission européenne évoque le fort développement de cette activité aux Etats-Unis dans le cadre d'une déréglementation très poussée. Cela démontre les limites de l'exercice de comparaison dans ces matières. En effet, quelques paragraphes plus loin, la Commission démonte elle-même cet argument en faisant valoir que « par rapport aux Etats-Unis ou au Canada, les chemins de fer de l'Union européenne font beaucoup de transports de voyageurs. Cela augmente le coût du transport de marchandises, à cause des mesures de sécurité nécessaires, et peut accroître la difficulté de trouver des capacités de transport de marchandises ». Ce qui est exact, c'est que le fret ferroviaire ne peut être rentable que sur des distances assez importantes, ce qui est le cas aux Etats-Unis, et que la dimension européenne peut modifier sensiblement les perspectives de ce mode de transport de marchandises.

Votre rapporteur ne partage pas la vision catastrophiste de certaines organisations professionnelles à l'égard de la libéralisation. Compte tenu des multiples contraintes qu'impose ce mode de transport, on peut penser que le nombre de nouveaux entrants demeurera relativement limité, notamment dans le domaine du transport de voyageurs. En outre, une ouverture à la concurrence maîtrisée permettra aux entreprises ferroviaires de gagner en efficacité, de renforcer leur compétitivité.

Cependant, il semble aujourd'hui souhaitable de poursuivre la mise en oeuvre de la directive de 1991, de veiller à son application complète par l'ensemble des Etats membres, avant de réfléchir à un éventuel élargissement des droits d'accès qui devra faire l'objet d'une réflexion approfondie sur ses conséquences éventuelles. D'autres chantiers méritent de retenir l'attention de l'Union européenne.

B. DES ACTIONS PRIORITAIRES A CONFIRMER

1. Les réseaux transeuropéens

Les réseaux transeuropéens font partie depuis plusieurs années des priorités de l'Union européenne. Inscrits dans le traité sur l'Union européenne, ils doivent contribuer à l'unification de l'espace européen par la réalisation d'infrastructures de transport, de télécommunications et d'énergie. En outre, dans le cadre du Livre blanc sur la croissance, la compétitivité et l'emploi, ces réseaux devront contribuer à soutenir l'activité et l'emploi dans les Etats membres de l'Union européenne.

Lors du Conseil européen d'Essen en décembre 1994, les chefs d'Etat et de gouvernement ont identifié quatorze projets prioritaires dans le domaine des transports, dont plus de la moitié concernent le transport ferroviaire. Ces projets ont été confirmés lors du Conseil européen de Madrid en décembre 1995.

Les 14 projets prioritaires

Nature des projets

Coût prévisible (en millions d'Ecus)

TGV Nord-Sud Berlin-Verone

21.925

TGV Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam-Londres

15.754

TGV Sud Madrid-Montpellier

12.870

TGV Est Paris-Strasbourg

5.100

Ferroutage Rotterdam-frontière allemande

4.117

TGV combiné France-Italie (Lyon-Turin)

13.230

Autoroute Patras-Thessalonique (Grèce)

6.360

Autoroute Lisbonne-Valladolid

970

Rail-route Dublin-Belfast-Stanraer (Irlande)

238

Aéroport de Malpensa-Milan (Italie)

1.047

Pont-tunnel d'Orsund (Danemark-Suède)

3.647

Rail-Route Gola-Stockholm-Malmoë

8.780

Route Irlande - Grande-Bretagne - Benelux

3.340

Rail côte ouest de la Grande-Bretagne

TOTAL

2.160

______

99.538

Aujourd'hui, le sort de ces grands projets paraît incertain, compte tenu de la priorité accordée par les Etats membres de l'Union européenne à la réduction des déficits budgétaires. En janvier dernier, devant le Conseil des ministres de l'économie et des finances, M. Jacques Santer, président de la Commission européenne a fait part de son inquiétude à propos de la réalisation de ces réseaux : « Pour les réseaux des transports, où les besoins sont les plus pressants, les perspectives financières actuelles prévoient, en dehors des Fonds structurels et de cohésion, une enveloppe de 1,8 milliards d'Ecus environ pour la période 1995-1999 pour les 14 projets prioritaires. Les coûts de ceux-ci sont évalués à 40 milliards d'Ecus pour la même période.

Le rapport de la Commission pour le Conseil européen signalait déjà que nos concertations avec les Etats membres démontraient que pour la réalisation sans retard de deux projets prioritaires (PBKAL : Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam-Londres et le TGV-Est), un montant supplémentaire de 760 millions d'Ecus était nécessaire. Si l'on ajoute les 12 autres projets prioritaires, ainsi que les projets liés à la gestion des trafics sur la base des technologies modernes, on arrive à une fourchette de 1.600 à 1.900 millions d'Ecus (...).

Par ailleurs, je m'interroge sur les instruments financiers actuellement disponibles, y compris le guichet spécial de la Banque européenne d'investissement (BEI), qui fonctionne à la satisfaction générale.Même sous des conditions spéciales comme des prêts de très longue durée, il reste des projets dont la rentabilité interne est insuffisante pour pouvoir être financés par les instruments actuellement sur le marché. Dans de tels cas, les partenariats public-privé, par exemple, sont souvent difficiles à mettre en oeuvre.

Pourtant, les bénéfices socio-économiques de tels projets, notamment en tenant compte des effets transfrontaliers, méritent un financement. Dans ces conditions, n'est-il pas normal que les Etats membres concernés, voire la Communauté, interviennent pour assumer le risque qui ne peut être couvert par les instruments disponibles ? (...) » (6 ( * )).

Très récemment, la question du financement de ces grands travaux a donné lieu à un vif débat entre la Commission européenne et le Conseil des ministres de l'économie et des finances. La Commission a en effet exprimé son intention d'affecter une partie des crédits communautaires non utilisés dans le cadre de la politique agricole commune à la réalisation des réseaux transeuropéens de transport. Le Conseil s'est opposé à ce projet, en estimant que ces sommes devaient être reversées aux Etats, lesquels mènent une lutte difficile contre les déficits.

Il convient de souligner que la somme que la Commission souhaite affecter aux réseaux transeuropéens pour compléter les financements déjà attribués à ce secteur ne suffisent pas, en tout état de cause, à assurer la réalisation de ces projets. C'est pourquoi M. Jacques Santer, comme son prédécesseur, M. Jacques Delors, a proposé la formule d'un emprunt communautaire.

Dans son récent avis sur la nouvelle proposition de directive de la Commission européenne, la Communauté des chemins de fer européens (CFFE) a observé que le recours aux capitaux privés pour le financement des grands travaux était potentiellement compromis en raison des incertitudes créées par un régime de libre accès. La CCFE en a conclu qu'il était nécessaire d'examiner l'impact de la libéralisation sur le financement des infrastructures.

Par ailleurs, il faut également noter que le texte relatif aux réseaux transeuropéens de transport fait l'objet d'une procédure de co-décision au niveau communautaire, ce qui signifie que ce texte ne peut être adopté contre l'avis du Parlement européen. Or, celui-ci souhaite apporter des modifications à la liste des quatorze projets prioritaires établie par le Conseil européen ; il désire également qu'une référence plus explicite à l'environnement soit inscrite dans le texte et plaide enfin pour l'introduction de critères de sélection des projets afin de favoriser le rail et le transport combiné au détriment de la route. Une procédure de conciliation doit maintenant s'ouvrir entre le Conseil et le Parlement européen afin que ces institutions trouvent un compromis.

Ces différents éléments ne peuvent que susciter une grande inquiétude quant à la réalisation effective des réseaux transeuropéens. Rien ne serait pire pour la construction européenne que l'annonce de projets ambitieux -trop ambitieux ?- qui ne verraient finalement pas le jour, faute de moyens suffisants. Il est clair que le contexte budgétaire actuel n'est pas le plus favorable pour la réalisation de ce type d'opérations. Il est également certain que ces projets ne seront pas rentables, au moins dans un premier temps, ce qui ne facilite guère la participation du secteur privé à leur réalisation.

Quoi qu'il en soit, il est absolument indispensable qu'intervienne rapidement une clarification sur ce sujet afin que cesse ce contraste entre l'affirmation forte d'une volonté politique et le constat de l'insuffisance criante des moyens mis en oeuvre.

2. L'harmonisation technique

La libre circulation sur le réseau ferroviaire européen est encore handicapée pour une multitude de différences techniques qui concernent notamment la nature du courant de traction, le gabarit des trains, la signalisation et le système de distribution des billets. En France même, deux types de courants coexistent encore et, sur la ligne Rennes-Paris, par exemple, un changement de courant intervient à l'entrée de la gare Montparnasse. Le courant de traction utilisé en France (50 Hz, 25.000 volts) est très différent de celui choisi par l'Allemagne (16 2 / 3 Hz, 15.000 volts). Naturellement, l'exemple le plus souvent cité est celui de l'écartement des rails différent en Espagne de celui du reste de l'Europe.

Ces différences techniques -largement évoquées dans la contribution remise à votre rapporteur par la CFTC (qui figure en annexe du présent rapport)- ne sont jamais insurmontables. Mais elles impliquent des coûts supplémentaires très importants qui ne favorisent pas la compétitivité du transport ferroviaire. Ainsi, Eurostar doit être capable de capter trois courants différents ; le TGV Thalys, qui circulera en Belgique, en Allemagne, aux Pays-Bas, devra capter quatre courants différents.

Il ne saurait être question de résorber l'ensemble de ces incompatibilités dues à l'histoire, dans la mesure où le coût serait disproportionné par rapport aux bénéfices attendus. Cependant, des progrès sont possibles dans de nombreux domaines. La Commission européenne est parfaitement consciente de cela et a proposé au Conseil l'adoption d'une directive sur l'interopérabilité du réseau de trains à grande vitesse (7 ( * )) . Cette proposition vise à créer un cadre pour l'établissement d'exigences essentielles, de spécifications techniques et de normes afin de favoriser la circulation sur le réseau européen.

Par ailleurs, certains opérateurs européens, parmi lesquels la SNCF et la Deutsche Bahn ont entrepris des recherches sur la mise en oeuvre d'un système européen de contrôle-commande des trains. Cette initiative est soutenue par la Commission européenne dans le cadre du quatrième programme-cadre de recherche.

Comme l'affirme la Commission européenne dans le texte présentant sa nouvelle proposition de directive, « il importe désormais d'élaborer une stratégie pour promouvoir l'interopérabilité des chemins de fer classiques sur le réseau transeuropéen, les aptitudes à permettre des mouvements internationaux offrent, en toute sécurité et avec une continuité améliorée, les niveaux de qualité spécifiés ».

Il est maintenant important que ces réflexions soient pleinement mises en oeuvre. On reproche souvent à la Commission européenne de vouloir tout harmoniser en Europe ; dans le domaine du transport ferroviaire un champ d'action encore important demeure ouvert.

3. Le transport combiné

Le transport combiné est défendu depuis longtemps par les institutions européennes compte tenu des avantages qu'il peut présenter en termes de protection de l'environnement, de sécurité... Cependant, ce mode de transport des marchandises ne détient encore que des parts de marché extrêmement limitées. Compte tenu de la pertinence des distances transeuropéennes pour ce mode de transport, une action communautaire peut permettre de substantiels progrès dans le développement de cette activité.

Dans ce domaine, la seule ouverture à la concurrence ne peut suffire à favoriser le développement de ce mode de transport, dans la mesure où la rentabilité ne peut venir qu'après une période assez longue. La Commission européenne fait observer dans son document présentant la nouvelle proposition de directive que « au cours de la période initiale, la quantité de trafic attirée est souvent insuffisante pour remplir un train complet, ce qui se traduit par des coûts de transport unitaires élevés ».

En 1992, la Commission a lancé un programme appelé PACT (Pilot Actions for Combined Transport), qui a permis la mise en place de nouveaux services, notamment entre l'Allemagne et la Grèce via l'Italie, et vers la péninsule ibérique.

Par ailleurs, il semble clair que cette activité nécessitera pendant longtemps des subventions publiques. La Commission européenne en est consciente. Elle a ainsi autorisé la mise en place, par le Royaume-Uni, d'une aide aux exploitants des chemins de fer et à leurs clients, pour lesquels les transports par chemins de fer sont plus coûteux que les transports routiers.

Cette démarche pragmatique doit être poursuivie. Peut-être même conviendrait-il d'accentuer les incitations en faveur de ce mode de transport, afin de lui permettre de prendre un véritable essor. Ce sujet est très lié à celui des réseaux transeuropéens, dans la mesure où plusieurs des grands projets concernent le transport combiné ; il est clair que la réalisation de ces infrastructures pourrait lui donner une impulsion significative.

C. QUELLE POLITIQUE DE CONCURRENCE POUR LE TRANSPORT FERROVIAIRE ?

Quoi qu'il arrive, le secteur du transport ferroviaire est désormais appelé à évoluer vers une concurrence accrue, qui doit faciliter la réalisation d'un espace européen unifié et dont le principe a été accepté par les Etats membres. Dans ce contexte, la manière dont s'exerce cette concurrence est très importante. Le transport ferroviaire n'a que peu en commun avec le secteur des télécommunications où se multiplient les innovations techniques et où le nombre d'entrants potentiels est très important. Une politique de concurrence adaptée au chemin de fer semble donc indispensable. En outre, le problème posé par la concurrence entre modes de transport ne peut être ignoré et la dimension sociale de la politique de concurrence devrait également faire l'objet d'une réflexion.

1. Concurrence et coopération : un équilibre délicat

Les institutions communautaires ont pour objectif le développement du transport ferroviaire en Europe. C'est cet objectif qui doit donc inspirer les actions entreprises à l'égard des chemins de fer. Ce secteur, compte tenu des investissements nécessaires et des contraintes qui lui sont propres est appelé à fonctionner pendant longtemps encore avec un nombre limité d'opérateurs. Dans ces conditions, la réalisation d'un espace européen unifié passe d'abord par des coopérations entre opérateurs. Les institutions communautaires ont encouragé la création de regroupements internationaux dans la directive 91/440. Le problème est que ces coopérations sont susceptibles d'entrer en contradiction avec les dispositions du droit communautaire de la concurrence. Dans ces conditions, il est important de garder à l'esprit que l'objectif de l'Union est le développement du transport ferroviaire et non le développement de la concurrence pour elle-même.

La Commission européenne est consciente des particularités de ce secteur et n'a jusqu'à présent jamais interdit purement et simplement des accords de coopération dans le secteur du transport ferroviaire. Elle a en revanche parfois posé des conditions contraignantes à la réalisation de ces coopérations, conditions qui sont susceptibles de dissuader les compagnies ferroviaires de développer leur offre en dehors du pays où elles sont établies.

La politique de concurrence dans le transport ferroviaire

La Commission européenne a rendu plusieurs décisions concernant des accords passés entre entreprises pour la mise en oeuvre d'un service ferroviaire. Le plus souvent, elle a accordé une exemption à ces accords en considérant que les avantages attendus de ces coopérations étaient plus importants que la restriction à la concurrence qu'ils impliquaient. Elle a néanmoins posé des conditions à cette exemption.

En 1992, la Commission européenne a condamné à une forte amende l'Union internationale des Chemins de fer (UIC) à propos d'un accord entre compagnies concernant les conditions de commercialisation des billets internationaux de transport de voyageurs. Le transport international par chemin de fer, qui suppose une addition de parcours nationaux, nécessite une coopération entre entreprises ferroviaires. La Commission a condamné cete accord, notamment parce qu'il prévoyait que chaque réseau ferroviaire avait la maîtrise de l'agrément des agences de voyage situées sur son territoire. Cette décision a été annulée par le tribunal de première instance et est maintenant devant la Cour de justice des Communautés européennes.

En juillet 1994, la Commission a accordé une exemption aux accords intervenus entre British Rail, la SNCF et Intercontainer. Ces accords ont conduit à la création d'une nouvelle société ACI, opérateur de transport combiné chargé de commercialiser les services ferroviaires de transport intermodal passant par le tunnel sous la Manche. Ces accords sont complétés par un accord de fourniture de wagons au profit d'ACI (l'utilisation du tunnel sous la Manche implique le recours à des wagons spéciaux).

La Commission européenne a posé des conditions à l'exemption : BritishRail et la SNCF devront fournir à tout opérateur de transport combiné les mêmes services que ceux offerts à leur filiale ACI. En outre, elles devront louer à tout opérateur les wagons spécialisés dont elles disposent pour les transports de conteneurs non utilisés pendant six mois.

Une décision similaire a été rendue le 21 septembre 1994, à propos de l'entreprise European Night Services (ENS) créée par les réseaux britannique, français, allemand et néerlandais pour l'exploitation et la commercialisation de transports ferroviaires de voyageurs entre la Grande-Bretagne et le continent par le tunnel sous la Manche.

Enfin en décembre 1994, la Commission a accordé une exemption à la convention d'utilisation des infrastructures du tunnel sous la Manche intervenue entre Eurotunnel, British Rail et la SNCF. Cette convention prévoit une répartition des sillons égalitaire entre, d'une part, les entreprises ferroviaires française et britannique pour le passage des trains, d'autre part, Eurotunnel pour le passage des navettes sur lesquelles sont placées des véhicules.

La Commission a notamment imposé à British Rail et à la SNCF de laisser pour d'éventuels nouveaux entrants 25 % de la capacité horaire du tunnel qui leur est réservée.

Ces décisions visent à permettre que d'éventuels nouveaux entrants puissent accéder à ce que la Commission appelle les « facilités essentielles », c'est-à-dire, dans le cas du transport ferroviaire, les sillons, les wagons, les locomotives, le personnel...

Il est important de veiller à ce que la politique de concurrence n'entrave pas la coopération entre réseaux qui peut permettre des progrès substantiels dans le développement des échanges entre pays européens.

Ces coopérations sont aujourd'hui très nombreuses et la SNCF joue un rôle actif à cet égard. Parmi les accords passés au cours des dernières années avec des opérateurs étrangers, on peut citer :

la signature de deux accords sur le partage des recettes et des coûts de l'exploitation d'Eurostar, l'un entre British Rail et la SNCF, l'autre entre British Rail, la SNCB (opérateur belge) et la SNCF ; les trains de fret par le tunnel sous la Manche sont organisés par par un organe commun à British Rail et à la SNCF, appelé Freight Management Unit.

la création d'un GEIE (Groupement européen d'intérêt économique) avec l'opérateur espagnol, la Renfe, pour les trains entre l'Espagne et la France (Madrid-Paris, Barcelone-Paris, Barcelone-Zurich, Barcelone-Milan) ;

la création de deux GEIE avec l'opérateur italien, les FS, pour les trains de jour et les trains de nuit entre l'Italie et la France ;

la création d'un GEIE avec l'opérateur suisse, les CFF, pour les TGV entre la Suisse et la France (Paris- Lausanne et Paris-Neuchâtel-Berne) ;

la création d'une société coopérative, Westrail International regroupant pour l'instant la SNCF et l'opérateur belge, la SNCB, pour les TGV entre la France et la Belgique puis pour les TGV Thalys allant aux Pays-bas et en Allemagne ;

la création d'une société appelée European Night Services (déjà évoquée) pour les trains de nuit par le tunnel sous la Manche.

Des accords existent également dans le secteur du fret et du transport combiné, dans le domaine de la recherche ; des coopérations se sont développées par la construction du réseau transeuropéen à grande vitesse.

Tous ces accords témoignent du fait que les compagnies ferroviaires ont conscience de l'apport que peut constituer pour le transport ferroviaire la prise en compte de la dimension européenne. Il ne paraît pas souhaitable de fragiliser ces accords au nom de la politique de concurrence . Aujourd'hui, les accords de coopération sont tels que la S.N.C.F. est juridiquement responsable de l'ensemble des trains qui circulent sur son territoire, comme si, en entrant en France, un train international devenait français. Toutefois, dans l'avenir, il est probable que, dans le cadre de ces coopérations, on verra se mettre en place une répartition des sillons qui conduira les voyageurs à pouvoir choisir, par exemple, entre un train français et un train allemand pour effectuer une liaison entre ces deux pays. Dans ce contexte, la concurrence peut se faire sur la qualité des prestations offertes, la restauration, la tarification. Dans le cadre de l'accord qui a donné naissance à la société European Night Services, il est prévu que cette société sera juridiquement le transporteur sur toute la durée des parcours accomplis.

Dans ces conditions, votre rapporteur souhaite que ces coopérations soient examinées avec bienveillance. Répétons une nouvelle fois que l'objectif est de parvenir à une fluidité du trafic dans l'espace européen. Si cette fluidité peut être obtenue par la coopération, on ne peut que s'en réjouir. La concurrence doit être un aiguillon et non une idéologie, surtout dans un secteur où le nombre d'opérateurs sera durablement limité (cette observation doit toutefois être nuancée en ce qui concerne le fret).

Les compagnies ferroviaires sont d'ores et déjà en situation de rivalité et ouvrent des bureaux dans les pays de l'Union européenne. La Deutsche Bahn vient de se doter d'un nouveau train à grande vitesse, appelé I.C.E. 2-2 et destiné exclusivement au transport international ; elle semble n'avoir pas encore choisi sa stratégie dans ce domaine : coopération ou concurrence dans le cadre de la directive 91-440.

Votre rapporteur exprime donc le souhait que la politique communautaire de la concurrence prenne pleinement en compte les particularités du secteur ferroviaire.

2. Concurrence intermodale : la question des coûts externes

Une politique de concurrence adaptée à la situation spécifique du transport ferroviaire s'impose d'autant plus que ce mode de transport subit une concurrence très forte des autres modes de transport et tout particulièrement du transport routier. Cette compétition est extrêmement difficile à soutenir pour le transport ferroviaire dans la mesure où les conditions de concurrence présentent certains déséquilibres. Le transport routier ne supporte pas en effet l'ensemble des coûts qu'il entraîne et se voit reprocher de ne pas payer ses infrastructures ; en outre le non-respect de la législation sociale constitue également une forme de concurrence déloyale.

Ce problème est évoqué depuis longtemps. Pour de nombreuses organisations syndicales, il est la cause la plus importante des difficultés du transport ferroviaire. Dans un récent avis sur la nouvelle proposition de directive visant à élargir l'accès à l'infrastructure ferroviaire, la C.C.F.E. (Communauté des Chemins de Fer Européens), qui rassemble l'ensemble des opérateurs ferroviaires européens, a insisté sur ce problème : « la présence des concurrents routiers et aériens sur leurs marchés a fortement, et en permanence, stimulé les chemins de fer pour innover avec de nouveaux services. Cependant, le fait de ne pas être sur un pied d'égalité avec les autres modes de transport est demeuré l'un des plus grands obstacles. Tant que les conditions de concurrence entre les différents modes, voie navigable, rail, air et route, ne sont pas harmonisées, les chemins de fer subissent un désavantage concurrentiel. Les problèmes à considérer sont l'internalisation des coûts externes (environnement et santé publique, y compris le coût des accidents) dans les mécanismes de tarification, l'égalité du régime fiscal (T.V.A., ventes hors taxes et droits d'accises sur les huiles minérales), l'harmonisation de la législation sociale et l'application uniforme des règles sur le temps de travail » (7 ( * )).

Les institutions communautaires ont pris conscience de ce problème et la Commission européenne a récemment publié un livre vert intitulé : « Vers une tarification équitable et efficace dans les transports » (7 ( * )). Dans ce document, la Commission fait notamment valoir que, chaque année, les encombrements coûtent à l'Union européenne environ 2 % de P.I.B., les accidents 1,5 % et la pollution de l'air et le bruit au moins 0,6 %, soit au total 250 milliards d'Ecus. La Commission observe que 90 % de ces coûts sont imputables aux transports routiers.

Dans ces conditions, la Commission formule un certain nombre de propositions visant à rapprocher la tarification des coûts réels. Elle suggère, par exemple, l'introduction de redevances au kilomètre mesurées électroniquement et calculées en fonction des dégâts causés à l'infrastructure et éventuellement d'autres paramètres (pour les poids lourds), l'introduction d'un péage dans les zones encombrées ou sensibles, l'introduction de taxes sur les carburants modulées en fonction de la qualité des carburants...

Naturellement, un livre vert a d'abord vocation à permettre un débat sur un sujet et ne contient par définition aucune mesure normative. Néanmoins, cette initiative démontre la prise de conscience actuelle des déséquilibres existant dans la compétition entre les différents modes de transport.

Au niveau français, un récent rapport du commissariat général du plan consacré à ce problème, propose une forte augmentation - voire un doublement - de la T.I.P.P. (Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers) sur le carburant des poids lourds, le gazole (7 ( * )). Il est important que ces réflexions puissent conduire à des solutions concrètes. Votre rapporteur n'est pas favorable aux méthodes de contraintes visant à résoudre les problèmes de congestion de certaines routes par des interdictions pures et simples de circuler, sauf dans certaines zones très spécifiques. En revanche, des mécanismes incitatifs peuvent permettre de rééquilibrer les conditions de concurrence entre le rail et la route.

Pour autant, il est illusoire de croire que ce rééquilibrage permettra à lui seul au chemin de fer de regagner des parts de marché importantes. En effet, la concurrence rail-route pour les marchandises concerne essentiellement le transport à longue distance, généralement sur autoroute à péage, de sorte qu'elle n'est théoriquement pas déloyale (si l'on exclut le problème des fraudes à la réglementation). Surtout, le transport ferroviaire ne profitera de ce rééquilibrage que s'il est à même d'améliorer sa qualité de service et de répondre aux attentes de ses clients.

3. L'absence de volet social

Dans le contexte actuel de libéralisation et de multiplication des échanges entre Etats membres de la Communauté, il paraît souhaitable qu'une réflexion soit conduite sur la nécessité éventuelle d'une harmonisation sociale, particulièrement en ce qui concerne la durée du temps de travail. En novembre 1993, le Conseil des ministres de l'Union européenne a adopté une directive concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (7 ( * )) . Toutefois, cette directive ne s'applique pas au secteur des transports. La Commission européenne a alors souhaité que les comités paritaires (composés de représentants des employeurs et des salariés) négocient des dispositions particulières. Le comité paritaire des chemins de fer, malgré de longues négociations, n'est pas parvenu jusqu'à présent à un accord. Récemment, le comité a repris la négociation en examinant comment appliquer la directive générale aux personnels des compagnies ferroviaires dont les tâches ne sont pas considérées comme « spécifiques » (les tâches des conducteurs sont, par exemple, considérées comme « spécifiques »).

Il est important qu'un tel volet social puisse être mis en place pour éviter que l'ouverture progressive à la concurrence ne conduise au développement de « pavillons de complaisance » exploitant l'absence de normes minimales en matière sociale.

III. Y-A-T-IL UNE PLACE POUR LA SNCF DANS L'EUROPE FERROVIAIRE ?

Comme nous l'avons vu, l'émergence de la dimension communautaire est en train de modifier en profondeur les perspectives du transport ferroviaire. Les institutions communautaires sont très favorables au développement de ce mode de transport et ont entrepris de faciliter les échanges entre pays européens. Plusieurs Etats membres ont entrepris des réformes importantes afin de favoriser la compétitivité de leurs chemins de fer.

Dans ce contexte, on peut se demander s'il y a une place pour la SNCF dans l'Europe ferroviaire. La situation dramatique de l'entreprise et l'échec de la préparation du contrat de plan conduisent en effet à s'interroger sur la survie même de la SNCF.

Compte tenu des multiples rapports publiés sur le sujet (7 ( * )) , votre rapporteur ne souhaite pas revenir de manière exhaustive sur la situation de la SNCF, ses origines ou ses conséquences (quelques éléments chiffrés relatifs à la situation de la SNCF figurent en annexe du présent rapport). Il semble en revanche utile d'examiner à quelles conditions la SNCF pourra retrouver le chemin qui lui permettra d'être compétitive dans l'Europe de demain. Ces conditions résident pour l'essentiel dans une clarification des relations de l'entreprise avec l'Etat, dans un renforcement des compétences des autorités régionales et dans la reconnaissance à l'entreprise d'une très large autonomie.

A. CLARIFIER LES RESPONSABILITES

La question la plus importante qui se pose aujourd'hui est celle de la clarification des rapports entre l'Etat et la SNCF. La situation actuelle est caractérisée par une confusion totale dont chacun des acteurs s'est accommodé. Il est presque impossible aujourd'hui d'identifier les principaux responsables des déficits et de l'endettement de la SNCF, impossible également de distinguer clairement les activités compétitives de celles qui ne le sont pas. Comme a pu l'écrire M. Claude Martinand, dans le rapport introductif au débat national sur l'avenir du transport ferroviaire qu'il a récemment présenté : « (...) il faudrait que les pouvoirs publics et l'ensemble des acteurs cessent de demander à la SNCF de remplir des objectifs contradictoires ou de lui formuler des demandes non financées, ce qui l'accule au grand écart permanent et tend à l'exonérer de ses responsabilités budgétaires et financières ».

Ce comportement est tellement ancré dans les esprits qu'on entend encore aujourd'hui des discours selon lesquels l'Etat devrait définir les missions de la SNCF et les financer. Ce type de raisonnement ne peut plus être tenu : la SNCF est une entreprise qui a vocation, pour l'essentiel, à se comporter comme une entreprise. C'est pourquoi il est nécessaire de remettre à plat les relations entre l'Etat et la SNCF.

1. Les infrastructures : des choix stratégiques

Conformément à la loi d'orientation des transports intérieurs de 1982, l'Etat est responsable de la consistance du réseau ferré national. Dans ce cadre, c'est à lui qu'il revient de décider de la construction de nouvelles infrastructures. Il paraît aujourd'hui souhaitable que toutes les conséquences soient tirées de cette réalité et que l'Etat prenne en charge la construction de ces infrastructures. Cela serait en conformité avec la directive 91/440, qui dispose que les Etats membres « prennent les mesures nécessaires au développement de l'infrastructure ferroviaire nationale en prenant, le cas échéant, en compte les besoins globaux de la Communauté ».

Cette clarification s'impose d'autant plus aujourd'hui que les nouvelles lignes de TGV projetées auront une rentabilité très inférieure à celle des précédentes. Ces lignes seront donc le fruit d'une volonté politique qui doit être assumée par celui qui décide. Votre rapporteur, compte tenu du contexte budgétaire actuel, s'interroge sur la nécessité de mettre en chantier rapidement plusieurs lignes de TGV. Dans son avis sur le budget des transports terrestres pour 1996, la commission des Affaires économiques et du Plan du Sénat a qualifié en novembre 1995 les TGV de « vitrine vouée à la remise en cause » (7 ( * )) .

Ne faut-il pas aujourd'hui, dans certains cas, envisager des formules techniques d'accroissement de la vitesse moins coûteuses que la construction d'infrastructures spécifiques ? En tout état de cause, ces projets ne peuvent être supportés par la SNCF.

En ce qui concerne la gestion des infrastructures, l'action communautaire a conduit à une réflexion salutaire en invitant à une séparation entre infrastructures et exploitation. La France a retenu le principe d'une simple séparation comptable plutôt que de mettre en place des entités -voire des entreprises- distinctes. Dans le décret du 9 mai 1995 portant transposition de la directive 91/440, l'article 3 précise que « la SNCF est le gestionnaire de l'infrastructure du réseau ferré national ». Le décret précise également que « compte tenu des concours versés par l'Etat et les collectivités territoriales au titre de la gestion de l'infrastructure, les redevances d'utilisation et les produits divers liés à cette gestion permettent de couvrir l'ensemble des charges de gestion de l'infrastructure ».

Le principe d'une séparation comptable paraît être un bon choix dans la mesure où de puissantes raisons technico-économiques plaident contre une séparation organique entre infrastructures et exploitation. Naturellement, la solution retenue en France n'est viable que si elle se concrétise réellement. Les récentes modifications apportées à l'organigramme de la SNCF par son nouveau président semblent démontrer l'existence d'une volonté de clarifier ce qui relève des infrastructures et ce qui relève de l'exploitation. Sur ce point précis, la directive 91/440 laisse aux Etats la liberté de choisir les modalités de la séparation entre infrastructure et exploitation. Il n'est pas souhaitable que cette situation évolue à l'avenir.

Une fois ces principes affirmés, le plus difficile reste cependant à faire, à savoir de fixer le montant des redevances d'accès à l'infrastructure qui constituera un élément important dans l'équilibre du compte d'infrastructures.

Le décret du 9 mai 1995 fixe un certain nombre de principes pour la fixation du montant des redevances. Ainsi, le calcul des redevances d'utilisation de l'infrastructure devra tenir compte :

« - de la situation du marché des transports et des caractéristiques de l'offre et de la demande, des impératifs de l'utilisation optimale du réseau ferré national et de l'harmonisation des conditions de la concurrence intermodale ;

- de la fréquence d'utilisation, du nombre de sillons demandés et de la durée pour laquelle il sont alloués ;

- des caractéristiques du sillon demandé, du type de ligne et de son coût d'exploitation, de la composition du train, de sa vitesse, de sa charge à l'essieu ».

La manière dont se réglera cette question est très importante. Différentes considérations entrent en effet en jeu. Comment trouver un équilibre pour la SNCF, sachant que la tarification appliquée à d'éventuels nouveaux entrants lui sera également appliquée ? Ne faut-il pas appliquer une tarification différenciée selon que l'axe concerné est saturé ou au contraire peu fréquenté ? Quelle doit être la responsabilité de l'Etat et celle de la SNCF dans l'équilibre du compte d'infrastructure ?

Toutes les solutions ne sont pas possibles, comme l'a relevé M. Claude Martinand, car on ne peut par exemple demander une responsabilité complète de l'Etat sur l'équilibre du compte d'infrastructures et la fixation de la tarification d'usage de l'infrastructure tout en laissant « l'entreprise telle qu'elle est avec son autonomie de gestion ». Dans la mesure où la SNCF est désignée comme gestionnaire de l'infrastructure, il ne paraît pas anormal qu'elle ait une part de responsabilité dans la réalisation de l'équilibre du compte d'infrastructures. Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'Etat aux transports, a récemment estimé qu'il revenait à la SNCF de financer l'entretien de l'infrastructure. Une autre solution consisterait en une prise en charge intégrale par l'Etat de tout ce qui relève des infrastructures, les décisions dans ce domaine relevant alors également exclusivement de l'Etat.

Il convient en outre de souligner que les décisions en ce domaine doivent maintenant intervenir très vite. Qu'adviendra-t-il en effet si des entreprises manifestent leur volonté d'accéder au réseau français dans le cadre de la directive 91/440 ? Quelle tarification d'usage des infrastructures leur sera appliquée ? Ce problème des infrastructures est hautement symbolique des difficultés que pose la clarification des responsabilités respectives de l'Etat et de l'opérateur.

2. Le service public : une définition à préciser

Là encore, une clarification est désormais nécessaire. La SNCF n'est pas un service public, le transport ferroviaire n'est plus aujourd'hui un service public dont l'accès doit être offert à chacun, quelle que soit sa situation sur le territoire. Le service public à prendre en considération aujourd'hui est celui du transport collectif de voyageurs, qui peut prendre des formes très diverses. La SNCF est appelée à exercer des missions de service public, mais celles-ci doivent être désormais plus clairement définies.

Dans un règlement communautaire de 1969, on peut lire une définition assez pertinente de ce que sont les obligations de service public : « par obligation de service public, il faut entendre les obligations que, si elle considérait son propre intérêt commercial, l'entreprise de transport n'assurerait pas ou n'assurerait pas dans les mêmes conditions » (7 ( * )) .

Les missions de service public aujourd'hui concernent essentiellement les tarifs sociaux et les lignes d'intérêt régional ou les trains de banlieue parisienne ; certaines grandes lignes participent également de la politique d'aménagement du territoire. Ces missions de service public sont appelées à faire l'objet de conventions ou de contrats avec les autorités publiques, qui définissent alors, de manière explicite, les objectifs à atteindre, la politique tarifaire et les contributions publiques éventuellement nécessaires.

A propos des services nationaux des voyageurs, l'article 7 du projet de contrat de plan abandonné après les grèves de décembre dernier prévoyait notamment la possibilité de contrats de service public entre la SNCF d'une part, l'Etat ou les collectivités territoriales concernées, pour l'aménagement de services ou de dessertes. Cet article prévoyait également qu' « en tout état de cause, la SNCF poursuivra l'exploitation des services nationaux assurés sur les axes structurant le réseau national tout en prenant les mesures nécessaires pour réduire leur déficit éventuel ».

Il est tout à fait clair que l'exercice de missions de service public par la SNCF doit faire l'objet de compensations adéquates. Si l'on veut que la SNCF se comporte comme une entreprise, on ne saurait lui faire porter des charges qu'aucune entreprise libre de ses décisions n'accepterait.

Dans ce contexte, on perçoit l'intérêt d'un transfert aux régions des décisions relatives aux transports régionaux. Les conseils régionaux sont les instances les plus aptes à effecteur les choix qui s'imposent sur les lignes placées sous leur responsabilité. Il leur reviendra de mettre en balance l'intérêt d'une ligne et les coûts qu'elle entraîne afin de déterminer la meilleure solution possible pour assurer le service public. Ce n'est pas en effet parce qu'une ligne relève du service public qu'aucun progrès n'est envisageable en termes d'efficacité et de rentabilité.

En tout état de cause, la clarification des missions de service public et la clarification de leurs coûts ne signifie aucunement la remise en cause du service public. Ce qui doit être pris en considération, ce sont les missions de service public beaucoup plus que les moyens mis en oeuvre pour exercer ces missions.

3. La dette : un assainissement indispensable

Il est très difficile d'imaginer que la SNCF pourra prendre un nouveau départ si sa situation n'est pas assainie. La directive 91/440 invite explicitement les Etats membres à assainir la situation de leurs entreprises ferroviaires dans son article 9.

Le projet de contrat de plan abandonné en décembre dernier prévoyait un mécanisme de désendettement progressif de la SNCF, dépendant pour une part des efforts accomplis par l'entreprise en termes de compétitivité. Cette méthode dite du « donnant-donnant » a suscité l'incompréhension des cheminots et fait partie des raisons pour lesquelles le projet de contrat de plan n'a pu aboutir.

Dans ces conditions, quelles solutions peut-on imaginer aujourd'hui ? Un désendettement complet de l'entreprise présenterait un avantage psychologique certain, l'entreprise pouvant prendre un nouveau départ sans souffrir d'un quelconque handicap du passé. Naturellement, cela demande une réflexion sur les modalités de cette reprise de la dette, compte tenu de l'état actuel des finances publiques. Pendant la préparation du projet de contrat de plan, l'idée d'une structure de cantonnement de la dette avait été évoquée ; elle pourrait être examinée à nouveau. Quoiqu'il en soit, cette reprise serait un élément supplémentaire de clarification, les agences de notation considérant d'ores et déjà la dette de l'entreprise comme une dette de l'Etat.

Il reste que la reprise de la dette n'est possible qu'à condition que cette dette ne se reconstitue pas dans les prochaines années. Qu'on appelle cela « donnant-donnant » ou pas, il est indispensable que l'Etat soit assuré de n'avoir pas à renouveler cette opération. D'une manière ou d'une autre, il devra être clair que le désendettement intervient une fois pour toutes.

Il faut souligner que le contexte européen incite à un assainissement rapide de l'entreprise. La directive 91/440 appelle un tel assainissement. Mais dans l'avenir, il n'est pas certain que des aides massives des Etats aux entreprises ferroviaires continueront à être acceptées dans un contexte plus concurrentiel.

B. RENFORCER LE RÔLE DES REGIONS

En 1993, notre collègue M. Hubert Haenel, dans le cadre de la commission d'enquête du Sénat sur la SNCF, avait proposé le transfert aux régions de la responsabilité du transport ferroviaire régional. Cette idée s'est progressivement imposée et a été reprise dans la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, dont l'article 67 précise :

« Afin d'assurer la mise en oeuvre de la politique nationale d'aménagement et de développement du territoire, une loi définira, après une phase d'expérimentation qui débutera un an au plus tard après l'adoption de la présente loi, les modalités d'organisation et de financement des transports collectifs d'intérêt régional et les conditions dans lesquelles ces tâches seront attribuées aux régions, dans le respect de l'égalité des charges imposées au citoyen ainsi que de l'égalité des aides apportées par l'Etat aux régions ».

Le projet d'expérimentation a fait l'objet d'un protocole d'accord conclu en avril 1995 entre la SNCF et neuf régions : Alsace, Aquitaine, Basse-Normandie, Centre, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Pays de la Loire et Rhône-Alpes.

Dans ce cadre, les régions auraient la responsabilité de la consistance des dessertes, de la qualité du service offert, des tarifs pratiqués.

Un tel transfert de compétences présente l'avantage considérable de rapprocher la décision de l'usager et de contribuer à la clarification des responsabilités qui constitue la première condition de survie de la SNCF. Les régions sont mieux à même que l'Etat d'apprécier les besoins, les demandes de la population, les moyens adéquats d'assurer le service public du transport.

Naturellement, un tel transfert de compétences implique que les régions soient dotées des moyens nécessaires à la prise en charge de ces services. C'est pourquoi la méthode de l'expérimentation réversible est la seule possible, les régions devant être convaincues qu'il ne s'agit pas en fait d'un simple transfert de charges. Un audit commandé par l'Etat, la SNCF et l'ANER (Association nationale des élus régionaux) a abouti à la conclusion que l'actuelle contribution de 4 milliards de francs versée par l'Etat pour le transport régional devrait être augmentée de 1,9 milliard de francs dans le cadre du transfert de compétences.

Par ailleurs, ce transfert de responsabilités ne peut être envisagé que dans le cadre d'une réflexion globale et en mettant en oeuvre la clarification appelée de ses voeux par votre rapporteur. Peut-on attendre en effet des conseils régionaux qu'ils prennent des décisions parfois douloureuses si l'Etat de son côté ne donne pas un signal politique fort et ne définit pas un cadre pour l'avenir ?

En ce qui concerne la consistance du réseau, le transfert de compétences aux régions peut être positif. Jusqu'à présent, les décisions de fermeture de lignes -rares au demeurant- se faisaient dans la confusion, sans que les usagers sachent d'où venait la décision. Dans le cadre régional, la situation des lignes déficitaires pourra être examinée de manière complète, en prenant en compte les points de vue de tous les intéressés. Des débats au niveau local peuvent être organisés afin de déterminer si une ligne est d'intérêt public, si le rail est le moyen le plus pertinent pour assurer cette liaison. Il est probable qu'on aboutira à une diversification des solutions retenues susceptible de limiter le déficit d'exploitation de certaines lignes.

Actuellement, certaines lignes d'intérêt régional nécessitent des subventions publiques manifestement disproportionnées par rapport à l'intérêt de la liaison : la ligne Saint-Claude-Oyonnax nécessite un financement public de 495 F par voyageur pour 33 km ; la ligne Bayonne-Saint-Jean de Pied-de-Port un financement de 365 F par voyageur pour 50 km...

Il faudra évidemment supprimer un certain nombre de lignes et il est préférable de le faire rapidement afin que la SNCF puisse se concentrer sur les secteurs porteurs d'avenir.

Dans de nombreux cas, la mise en place de liaisons par autocar, voire par taxi collectif pourrait suffire sans que l'usager pâtisse de cette évolution. De telles transformations ont d'ores et déjà été assurées sur certaines lignes, comme le montrent les exemples suivants:

Entre Aurillac et Bort-les-Orgues, la ligne SNCF a été fermée en juillet 1994 et remplacée par une desserte routière avec le même nombre de points d'arrêts. La fréquentation s'est accrue de 25 % par an et l'économie réalisée (9,6 millions de francs) a profité à la région ;

Entre Millau et Montpellier, la ligne SNCF a été remplacée en septembre 1994, par deux allers-retours par jour en car. Le temps de parcours a été réduit de 2 H 40 à 1 H 35 ; la fréquentation s'est fortement accrue et le coût de la desserte est passé de 10 millions de francs par an à 1,5 million de francs.

Ces fermetures de lignes sont toujours difficiles, dans la mesure où existe la crainte d'une disparition à terme du service public lui-même. C'est pourquoi des débats devront avoir lieu directement avec les usagers fréquentant une ligne menacée afin qu'il soit clairement expliqué qu'un éventuel transfert sur route n'est pas le préalable à la disparition totale du service.

Cependant, ce transfert sur route peut parfois être évité sur des lignes régionales déficitaires. Beaucoup d'organisations syndicales font remarquer qu'en diminuant l'offre ferroviaire, on est évidemment assuré que la demande n'augmentera pas ! C'est pourquoi dans certains cas, une réflexion sur la redéfinition de l'offre, la modification des horaires, l'évolution des conditions d'exploitation peut permettre le maintien de certaines lignes apparaissant condamnées. L'expérience de l'entreprise CFTA (Chemins de fer et transports automobiles) montre que ce type de solution est parfois opérant.

L'expérience de CFTA

En 1990, le Conseil régional de Bretagne a décidé avec la SNCF de faire acquérir par CFTA trois autorails d'un type nouveau spécialement conçus pour une exploitation peu coûteuse. Ces autorails ont été utilisés sur les lignes Carhaix-Guingamp et Guingamp-Paimpol. Le trafic avait considérablement diminué sur cette ligne avant la mise en oeuvre de cette expérience, passant de 151.568 voyageurs en 1985 à 107.884 en 1990. A partir de cette date, ce trafic a de nouveau régulièrement augmenté pour atteindre 142.500 voyageurs en 1995.

Ce résultat a été obtenu grâce à un renforcement de l'offre de service, une adaptation des horaires, une utilisation intensive du matériel et une importante réduction des coûts d'exploitation (notamment grâce à la présence d'un conducteur-receveur sans agent d'accompagnement, à une consommation de carburant réduite, à un coût de maintenance abaissé).

Naturellement, ces résultats doivent être observés avec prudence dans la mesure où l'entreprise CFTA n'assume pas les coûts liés à l'infrastructure. Il faut néanmoins souligner que les dépenses d'exploitation sont passées de 10,3 millions de francs en 1989 à 8,7 millions de francs en 1993, soit une diminution de 16 %.

CFTA, qui est une filiale de la CGEA (Compagnie générale Entreprises automobiles) exploite d'autres lignes pour la SNCF, mais également pour le compte de collectivités locales (ligne Nice-Digne des Chemins de Fer de la Provence et Chemin de Fer de La Rhune dans les Pyrénées-Atlantiques). Cette entreprise exerce également des activités de transport de frêt pour le compte de la SNCF et gère également les installations ferroviaires d'entreprises industrielles raccordées au rail.

Dans certains cas, le maintien d'une desserte ferroviaire est donc possible, à condition d'adapter l'offre, de faire preuve de flexibilité et de dynamisme. La SNCF peut-elle, avec son mode de fonctionnement et ses structures actuels, mettre en oeuvre de telles actions de redynamisation de l'offre ? Dans un récent entretien, M. Le Floch-Prigent, nouveau président de la SNCF a estimé que ce type de solution devait être étudiée avant d'envisager la fermeture d'une ligne :

« Nous avons une mission générale qui me paraît être celle du transport de beaucoup de gens pour assurer les grandes migrations. Si une ligne ne va pas bien, dans une zone où il y a des migrations, on doit augmenter l'offre, la rendre dynamique, puis voir si la demande est là. S'il apparaît qu'il y a de moins en moins de gens sur la ligne et qu'il n'y a rien à faire, il faut que, lucidement, au niveau de la région ou du département, on se pose la question de ce qu'on va faire avec cette ligne. Cela ne veut pas dire la fin de la ligne. Mais il faut réfléchir sur l'usage que l'on peut en faire. Y-a-t-il un usage alternatif en voie dédiée de fret ? Y-a-t-il du tourisme à assurer sur cette voie ? Y-a-t-il un désenclavement à assurer autour de cette ligne ? Le train n'est pas adapté pour faire du transport individuel. » (8 ( * )) .

C. POUR UNE LARGE AUTONOMIE DE LA SNCF

Nous avons vu que l'Etat et les collectivités publiques ont des responsabilités à assurer dans le domaine du transport ferroviaire, qu'il s'agisse de la définition du service public, des infrastructures...

Pour le reste, il paraît souhaitable que la SNCF puisse jouir de l'autonomie nécessaire à une entreprise commerciale, qu'elle puisse se doter d'un projet, prendre les initiatives pour se réformer. Cette nécessité pour l'entreprise de prendre son destin en main est d'ailleurs ressentie aussi bien par la direction que par le personnel, même si cette volonté ne pourra réellement s'apprécier que lorsque les premières décisions visant à restaurer la compétitivité de la SNCF seront mises en oeuvre.

Au cours des entretiens préparatoires au présent rapport, de nombreuses pistes ont été évoquées pour l'amélioration du fonctionnement et de l'efficacité de l'entreprise.

Le président de la SNCF, constatant une disproportion importante entre le nombre de personnes travaillant au siège de l'entreprise et le nombre total de salariés de la SNCF, paraît décidé à alléger les effectifs du siège (10.500 personnes sur 180.000 au total) et à renforcer dans le même temps la présence dans les établissements régionaux. Cette évolution pourrait s'accompagner d'un nouveau système de contrôle de gestion, comme l'a récemment déclaré M. Le Floch-Prigent : « Ce qu'il nous faut, c'est un système de gestion beaucoup plus rustique et rapide que celui qui existe. Ce nouveau système nécessitera la présence sur place des gens dans les établissements régionaux, liés à un système central dégonflé. Les salariés du système central vont se retrouver en nombre plus faible et déconcentré dans les différentes régions. Dans une entreprise comme la SNCF aujourd'hui, la structure centrale, c'est ce qui coûte le plus cher. Il faut qu'elle soit pleinement utilisée ».

Naturellement, la mise en oeuvre de réformes de structure implique que la SNCF jouisse d'une autonomie suffisante, notamment en ce qui concerne la gestion des effectifs. Le 14 décembre 1995, le Gouvernement s'est engagé à ce qu'aucune modification n'intervienne, pendant la phase de préparation d'un nouveau contrat de plan, en ce qui concerne « les données de base qui caractérisent aujourd'hui les structures, les modes de fonctionnement et les effectifs de la SNCF ». Il est clair qu'un tel moratoire, décidé dans une situation de crise majeure, ne saurait constituer une politique pour l'avenir.

La situation des gares devrait également faire l'objet d'un examen approfondi. Ces espaces sont-ils suffisamment valorisés ? Les liens avec les autres modes de transport sont-ils assurés de manière optimale ? Certains ont évoqué la possibilité d'accueillir dans les gares de nouveaux services, qui pourraient dynamiser ces espaces. Cette hypothèse est intéressante et peut permettre une meilleure valorisation des gares, à condition toutefois que ces services soient plus faciles à trouver pour l'usager que les guichets à la gare Montparnasse !

Un autre problème est celui de la rentabilité du capital. La sous-utilisation du matériel n'est assurément pas un gage d'efficacité. Nous avons évoqué le fait que, dans certains cas, une relance et une dynamisation de l'offre pourraient conduire à une relance de la demande. Cette politique permettrait une utilisation plus intensive du capital. Certaines organisations professionnelles ont évoqué l'abandon des trains de nuit par la SNCF, en faisant valoir que cette solution présenterait pourtant des avantages sur certaines distances lorsqu'il est nécessaire d'atteindre une destination tôt le matin, à condition naturellement d'offrir une qualité de service suffisante.

En ce qui concerne le fret, il semble évident que la SNCF doit améliorer sa rapidité, sa souplesse, sa capacité de réaction face à des demandes de transport. Le fret est l'un des secteurs pour lesquels la dimension communautaire peut présenter de grands avantages pour le transport ferroviaire, qui n'a une réelle pertinence que sur des distances assez longues. Dans son rapport, M. Claude Martinand s'interrogeait sur la possibilité de mettre en place des infrastructures exclusivement consacrées au fret. Cette solution, largement développée aux Etats-Unis, pourrait permettre des économies importantes, l'entretien de telles infrastructures étant moins coûteux que l'entretien d'infrastructures sur lesquelles évoluent des trains de voyageurs.

Ce ne sont là que quelques pistes qui ont été évoquées au cours des entretiens conduits par votre rapporteur. Elles démontrent simplement qu'il existe de nombreux moyens pour la SNCF d'améliorer son fonctionnement et sa compétitivité. D'une manière générale, il semble que la SNCF doive concentrer désormais son attention sur la satisfaction de ses clients. Les usagers captifs d'autrefois sont aujourd'hui des clients qui ont souvent le choix entre plusieurs modes de transport. La SNCF doit s'adapter pleinement - elle a d'ailleurs commencé à le faire - à cette situation nouvelle. Cette tâche de restauration de son efficacité appartient à la seule SNCF, qui doit disposer de la marge de manoeuvre la plus étendue possible en ce domaine, mais qui est appelée à être jugée sur les résultats qu'elle obtiendra.

Les changements qui s'imposent dans l'organisation du transport ferroviaire en France sont donc considérables. Certains doivent être rapidement mis en oeuvre, d'autres nécessiteront plus de temps. A terme, on peut se demander si la loi d'orientation des transports intérieurs ne devrait pas faire l'objet d'une modification, afin de prendre acte des évolutions en cours, de définir de manière plus précise les relations entre l'Etat et la SNCF. En tout état de cause, il est souhaitable que le Parlement soit pleinement associé aux décisions qui seront prises, compte tenu du fait que l'avenir du transport ferroviaire concerne l'ensemble des citoyens, compte tenu également de l'ampleur des enjeux financiers. Une déclaration du gouvernement suivie d'un débat peut-elle suffire à assurer cette association du Parlement aux décisions sur l'avenir du transport ferroviaire ?

Votre rapporteur ne le pense pas, c'est pourquoi il a souhaité déposer une proposition de résolution qui pourrait permettre au Sénat de défendre quelques orientations fortes sur l'avenir du transport ferroviaire européen.

CONCLUSION

Les évolutions en cours en Europe dans le domaine du transport ferroviaire conduisent les Etats membres à une réflexion tout à fait positive sur la manière dont ils envisagent l'avenir de leurs chemins de fer.

Il est exact que la Commission européenne défend parfois une conception idéologique de la concurrence, que notre délégation a maintes fois stigmatisée. Cela ne saurait masquer que, dans certains cas, les initiatives européennes permettent de mettre en oeuvre une modernisation des entreprises chargées de missions de service public, jusqu'alors rendue impossible par des pesanteurs accumulées depuis trop longtemps.

La France se doit aujourd'hui d'avoir une position offensive dans le domaine du transport ferroviaire. La SNCF a de multiples atouts à faire valoir sur le marché européen, mais doit s'adapter à un nouvel environnement, dans lequel la concurrence jouera un rôle accru.

On s'accorde aujourd'hui à reconnaître que la directive de 1991 est un bon texte, malgré les réticences qu'elle a suscitées lors de son adoption. Elle doit être mise en oeuvre de manière complète avant d'être modifiée dans le sens d'une ouverture accrue à la concurrence ; cette période doit être mise à profit pour restaurer la compétitivité de la SNCF. En outre, toute nouvelle étape dans l'ouverture de ce secteur devra naturellement, pour réussir, être accompagnée d'une réflexion approfondie sur les risques d'écrémage du marché, sur les conséquences sociales et sur l'avenir des missions de service public.

Le Conseil européen de Turin, réuni le 29 mars 1996, a défini les objectifs de la Conférence intergouvernementale qui s'est ouverte le même jour et a estimé que « la Conférence intergouvernementale pourrait aussi aborder la question de la compatibilité entre la concurrence et les principes de l'accès universel aux services essentiels, dans l'intérêt du citoyen ». Le message adressé par la France sur la question des missions de service public a donc été entendu par ses partenaires.

Sans rien céder sur les missions de service public indispensables à l'aménagement du territoire, la France doit aujourd'hui moderniser en profondeur l'organisation du transport ferroviaire. Tout retard pris dans des adaptations indispensables ne les rendra que plus difficiles.

Après avoir examiné le présent rapport, la Délégation s'est prononcée en faveur du dépôt d'une proposition de résolution dont le texte est le suivant :

PROPOSITION DE RESOLUTION

Le Sénat,

Vu la proposition d'acte communautaire E 510 ;

Considérant que l'unification de l'espace européen peut constituer un facteur important de renouveau pour le transport ferroviaire ;

Considérant que la directive 91/440 du 29 juillet 1991, relative au développement des chemins de fer européens, repose sur quatre piliers : l'indépendance des entreprises ferroviaires à l'égard des Etats, l'assainissement financier, la séparation entre activité de transport et gestion de l'infrastructure, enfin une ouverture limitée du réseau ferroviaire à la concurrence ;

Considérant que le bilan de l'application de la directive de 1991 présenté par la Commission européenne ne permet aucunement d'évaluer les résultats de ce premier texte, qui n'a pas encore été transposé dans l'ensemble des Etats membres ;

Considérant que la proposition d'acte communautaire E 510 a pour objet d'étendre les droits d'accès à l'infrastructure, qui seraient désormais accordés à toutes les entreprises souhaitant offrir des services de transport de marchandises ou des services internationaux de transport de voyageurs ;

Considérant que les conséquences possibles de l'extension des droits d'accès n'ont fait l'objet d'aucune réflexion préalable, notamment en ce qui concerne les risques d'écrémage du marché, la nécessité de maintenir un haut niveau de sécurité et un niveau de formation du personnel satisfaisant ;

- Demande au Gouvernement de s'opposer à la proposition d'acte communautaire E 510 afin de permettre, dans un premier temps, une application complète de la directive 91/440 ; souhaite qu'un bilan approfondi de cette directive puisse être établi par la Commission européenne et que les conséquences d'une plus large ouverture à la concurrence soient étudiées avec précision ;

Considérant que la coopération entre opérateurs ferroviaires peut souvent permettre des progrès substantiels dans l'unification de l'espace européen ; que la politique communautaire de la concurrence doit prendre en compte les particularités du transport ferroviaire ;

Considérant également que l'ouverture progressive à la concurrence est un phénomène irréversible et que les entreprises ferroviaires peuvent en tirer un important profit en termes d'efficacité ;

- Demande que les accords de coopération entre opérateurs soient examinés en fonction des spécificités du transport ferroviaire et non seulement au regard des principes généraux de la politique communautaire de la concurrence ;

Considérant que l'absence de prise en compte de certains coûts externes -pollution, encombrements, accidents...- nuit au développement du transport ferroviaire ; que le chemin de fer ne pourra toutefois profiter d'une modification de cette situation que s'il améliore sensiblement ses performances dans le domaine du transport de marchandises ;

- Estime important de poursuivre les études sur la prise en compte des coûts externes entraînés par les différents modes de transport, afin de parvenir à une concurrence plus équilibrée entre le rail et la route ;

Considérant que la politique de l'Union européenne en matière de réseaux transeuropéens de transport paraît aujourd'hui fragilisée du fait de l'absence de financements suffisants ;

- Invite le Gouvernement à agir au sein du Conseil afin qu'une clarification soit apportée sur la situation des projets de réseaux transeuropéens de transport, dont la réalisation paraît aujourd'hui compromise, faute de financement suffisants ;

Considérant que l'harmonisation technique entre réseaux et matériels européens a progressé tout en restant insuffisante ; que les incompatibilités techniques sont source de coûts importants, qui nuisent à la compétitivité du transport ferroviaire ;

- Souligne la nécessité de renforcer les actions menées dans le domaine de l'harmonisation technique, afin de faciliter l'unification de l'espace européen ;

Considérant que le transport combiné, malgré les soutiens dont il fait l'objet, tant au niveau communautaire qu'au niveau français, ne connaît qu'un développement assez lent et ne détient encore que des parts de marché limitées ;

- Souhaite que le transport combiné, compte tenu de ses avantages, fasse l'objet de mesures de soutien, tant au niveau communautaire qu'au niveau français ;

Considérant que la politique européenne n'est pas la source des difficultés de la SNCF ; que l'action communautaire offre au contraire une opportunité de mettre en oeuvre des réformes indispensables trop longtemps différées ;

Considérant que la SNCF est aujourd'hui dans une situation extrêmement difficile, qui pose la question de sa survie dans un environnement en profonde évolution ;

Considérant qu'il est aujourd'hui en pratique impossible d'identifier les responsabilités respectives de l'Etat et de la SNCF dans la situation et l'évolution du transport ferroviaire ; que la séparation comptable entre exploitation et gestion de l'infrastructure doit permettre de progresser dans cette voie ; qu'il paraît désormais peu souhaitable de laisser la SNCF prendre en charge la construction des nouvelles infrastructures ferroviaires ;

- Souligne la nécessité d'une clarification des responsabilités respectives de l'Etat et de la SNCF dans l'organisation du transport ferroviaire en France ; estime qu'il convient d'envisager une prise en charge par l'Etat de la construction de nouvelles infrastructures ;

Considérant que la situation financière de la SNCF n'est aujourd'hui plus supportable pour l'entreprise et qu'elle conduit à une démotivation profonde ; que la directive du 29 juillet 1991 invite les Etats à assainir la situation des entreprises ferroviaires ;

- Estime qu'un assainissement important et rapide de la situation financière de la SNCF est indispensable ;

Considérant que la France est légitimement attachée au maintien de missions de service public ; que la SNCF n'est pas un service public, mais qu'elle est appelée à exercer des missions de service public ; que ces missions ne sont actuellement pas clairement identifiées ;

- Réaffirme son attachement à l'existence d'un service public du transport, élément indispensable de la politique d'aménagement du territoire et de la cohésion sociale ; observe que les missions de service public confiées à la SNCF devraient être définies de manière plus précise;

Considérant que le transfert aux régions de la gestion du transport régional contribuera à la clarification des responsabilités et permettra de rapprocher la décision de l'usager ; qu'un tel transfert doit naturellement être accompagné d'un transfert de moyens suffisants ; qu'il convient, dans un premier temps, de mettre en place une expérimentation réversible ;

- Souhaite une mise en oeuvre rapide du transfert aux régions de la responsabilité du transport régional, dans le cadre de l'expérimentation prévue par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 ; estime que ce transfert devrait se faire dans le cadre d'une réflexion globale, au niveau de l'Etat, sur l'avenir du transport ferroviaire ;

Considérant que la SNCF est une entreprise, qu'elle doit, à ce titre, disposer d'une large autonomie pour entreprendre les réformes indispensables à l'amélioration de son efficacité ; qu'elle doit dès lors être jugée sur les résultats qu'elle obtiendra ;

- Souligne que la SNCF, qui dispose de nombreux atouts, doit entreprendre de profondes réformes de fonctionnement et améliorer rapidement ses performances, afin d'être un opérateur dynamique et conquérant dans l'espace européen.

EXAMEN DU RAPPORT

M. Nicolas About a présenté son rapport lors de la réunion de la Délégation tenue le 24 avril 1996.

Au cours du débat qui a suivi, Mme Michelle Demessine, tout en approuvant le souhait du rapporteur que la France s'oppose aux nouvelles propositions de la Commission européenne, a contesté la démarche adoptée par la proposition de résolution en estimant qu'il était contradictoire de s'opposer aux nouvelles propositions tout en souhaitant l'application de la directive de 1991 ; elle a fait valoir que cette dernière portait atteinte à l'unicité de la SNCF et risquait de conduire à un démantèlement du service public.

Mme Michelle Demessine a également observé que le rapporteur défendait une vision réductrice du service public, dans laquelle la SNCF ne conserverait que les activités les moins rentables, tandis que les autres seraient laissées à la concurrence. Elle a enfin indiqué que son groupe déposerait également une proposition de résolution sur la proposition d'acte communautaire E 510.

M. Nicolas About a tout d'abord remarqué que la directive de 1991 avait été introduite dans notre droit interne, qu'elle était applicable et qu'il ne servait à rien de s'y opposer. Il a fait valoir que les risques de cette directive pour la SNCF étaient très limités et qu'elle offrait au contraire une opportunité de mener à bien des réformes indispensables.

M. Nicolas About a souligné que, en revanche, la nouvelle proposition suscitait de nombreuses inquiétudes, dans la mesure où certaines dispositions de la précédente directive, notamment celles relatives au désendettement de l'entreprise ferroviaire, ne sont pas encore appliquées.

A propos du service public, M. Nicolas About a estimé que, dans son esprit, la SNCF n'avait évidemment pas vocation à rester responsable des seules activités non rentables. Il a observé qu'on constatait plutôt un certain désengagement de la SNCF à l'égard de ces activités, soit par le transfert sur route de certaines liaisons, soit par la concession à un autre opérateur comme la CFTA (Chemins de fer et Transports automobiles), qui gère certaines lignes de Bretagne.

M. Christian de La Malène a déclaré partager la position du rapporteur visant à demander au gouvernement de s'opposer, en l'état, à l'adoption de la proposition E 510. Il a souhaité que, dans un domaine aussi sensible, le refus par le Sénat de cette nouvelle directive soit affirmé rapidement, afin qu'il puisse être pris en compte dans les travaux du Conseil. Il a remarqué que cette position aurait davantage de force si elle donnait lieu à un vote en séance publique.

M. Nicolas About lui a répondu que sa proposition de résolution avait précisément pour objet de permettre au Sénat de débattre de ces questions importantes et de se prononcer par un vote sur quelques grands principes. Il a déclaré souhaiter que la commission des affaires économiques puisse mener une instruction rapide de cette proposition de résolution.

M. Emmanuel Hamel s'interrogeant sur l'état d'application de la directive de 1991, M. Nicolas About a rappelé que cette directive avait fait l'objet d'une transposition en France et était donc applicable. Il a toutefois souligné que certaines dispositions importantes, comme l'assainissement financier de l'entreprise ferroviaire, n'étaient pas encore appliquées et a exprimé la crainte que l'élaboration du contrat de plan Etat-SNCF ne prenne encore beaucoup de temps. Il a ajouté que l'application très partielle de la directive de 1991dans de nombreux Etats membres faisait sans doute partie des raisons qui avaient poussé la Commission européenne à formuler rapidement de nouvelles propositions. Celle-ci espère probablement accélérer ainsi les choses et pousser les Etats en retard à appliquer la première directive.

La Délégation a ensuite examiné la proposition de résolution présentée par M. Nicolas About.

M. Jacques Habert observant que de nombreux passages de la proposition de résolution concernaient davantage la situation de la SNCF que la politique communautaire, M. Nicolas About a souligné que la SNCF ne pourrait jouer un rôle dans l'espace européen que si de profondes réformes étaient entreprises au niveau français. Il a souligné qu'il était impossible sur un tel sujet de scinder les questions purement européennes et les questions nationales.

M. Emmanuel Hamel s'est interrogé sur le paragraphe de la proposition de résolution demandant au gouvernement de s'opposer à la proposition E 510 « afin de permettre, dans un premier temps, une application complète de la directive 91/440 ». Il a exprimé la crainte que la Commission européenne ne fasse alors pression sur la France afin que la directive soit appliquée.

M. Nicolas About a souligné qu'il était de l'intérêt de la SNCF et de la France d'appliquer la directive de 1991, et notamment ses dispositions relatives à l'assainissement financier des entreprises ferroviaires. Il a rappelé que d'autres pays avaient pris de l'avance sur la France dans la mise en oeuvre de réformes profondes de l'organisation du transport ferroviaire.

M. Christian de La Malène s'est alors déclaré très méfiant à l'égard des expériences anglaises dans ce domaine. Il a ajouté, que, afin que la concurrence ne soit pas faussée au profit des transports routiers, il fallait que les infrastructures ferroviaires transeuropéennes soit prises en charge par le budget communautaire et que la dette de la SNCF soit reprise par l'Etat.

La Délégation a ensuite adopté le rapport d'information de M. Nicolas About et a approuvé le dépôt, par M. Nicolas About, de sa proposition de résolution sur la proposition d'acte communautaire E 510.

AUDITIONS DU RAPPORTEUR

- M. Franck BOROTRA, ministre de l'industrie, de la Poste et des télécommunications

- Mme Anne-Marie IDRAC, secrétaire d'Etat chargée des transports

- M. Loïk LE FLOCH-PRIGENT, président de la SNCF

- M. Alain POINSSOT, directeur général délégué « clientèles » de la SNCF

- M. Hervé de TRÉGLODÉ, directeur délégué aux affaires européennes à la SNCF

- M. Jean BERGOUGNOUX, ancien président de la SNCF

- M. Claude MARTINAND, directeur des affaires économiques et internationales au ministère de l'équipement, des transports et du tourisme

- M. François PETER, président directeur général de CFTA (chemins de fer et transports automobiles)

- M. Henri PROGLIO, directeur de la Compagnie générale des eaux, président directeur général de la Compagnie générale d'entreprises automobiles (CGEA).

Organisations professionnelles

CGT : MM. Lucien LECANU

Jean-Marc COPPOLA

CFDT : MM. Jean-Pierre BINETRUY

Francis VERITA

FGAAC ( Fédération Générale Autonome des agents de conduite) :

MM. Jean-Luc DENISE

Michel HONTANG

Claude LEMERRER

Force Ouvrière :

MM. Jean-Jacques CARMENTRAN

Pierre DUPINET

Jacques DURON

CFTC : MM. Joseph GOUTORBE

Jacques LANGLET

Pierre FUCHS

Jean-Michel HULLOT de COLLART

FMC : MM. Paul ROCHE

Jacques MALLET

CGC : MM. Jacques BROQUIN

Philippe PALLAC

Vincent CATANESE

François JOUANNE

* (1) Directive 95/18/CE du Conseil du 19 juin 1995.

* (2) Directive 95/19/CE du Conseil du 19 juin 1995.

* (3) L'Europe : avenir du ferroviaire, rapport au ministre des transports, ASPE, 1995.

* (4) Pour une analyse plus détaillée de la réforme allemande, voir le rapport de M. Paul Chollet : « Les Chemins de fer : à la recherche du temps perdu », délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, 13 février 1996, n° 2566.

* (5) Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 91/440/CEE relative au développement des chemins de fer communautaires, COM (95) 337 final.

* (6) Agence Europe, Samedi 3 février 1996, n° 6659.

* (1) Proposition de directive COM (94) 107 final du 15 avril 1994.

* (3) Document de politique de la C.C.F.E. quant à la proposition de la Commission pour une directive du Conseil modifiant la directive du Conseil 91-440 sur le développement des chemins de fer communautaires, 13 novembre 1995.

* (5) Livre vert présenté par la Commission le 20 décembre 1995, COM (95) final.

* (7) Transports : le prix d'une stratégie, Atelier présidé par Alain Bonnafous, Commissariat général du Plan.

* (9) Directive 93-104 du 23 novembre 1993

* (11) Voir notamment :

- le rapport de la commission d'enquête du Sénat présidée par M. Hubert HAENEL, n° 335 (seconde session ordinaire de 1992-1993) ;

- le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée Nationale présidée par M. Henri CUQ, n° 1381 (15 juin 1994).

* (12) Georges Berchet, avis de la commission des Affaires économiques et du Plan du Sénat sur le budget des transports terrestres pour 1996, tome XVIII, n° 79 (1995-1996).

* (7) Règlement 1191/69 du 26 juin 1969.

* (8) Les Echos, 25 mars 1996.

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