Rapport d'information n° 45 (2022-2023) de MM. Albéric de MONTGOLFIER et Claude NOUGEIN , fait au nom de la commission des finances, déposé le 12 octobre 2022

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N° 45

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 octobre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l' organisation et les moyens de la Douane face au trafic de stupéfiants ,

Par MM. Albéric de MONTGOLFIER et Claude NOUGEIN,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

Albéric de Montgolfier et Claude Nougein, rapporteurs spéciaux de la mission « Gestion des finances publiques », ont présenté le mercredi 12 octobre 2022 les conclusions de leur contrôle budgétaire sur l'organisation et les moyens de la Douane face au trafic de stupéfiants.

La Douane, administration en « première ligne » face au trafic de stupéfiants.

Trois constats ont conduit les rapporteurs spéciaux à mener ce travail de contrôle :

1. la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) est un acteur majeur de la lutte contre le trafic de stupéfiants , à l'origine de 60 % à 80 % des saisies de produits stupéfiants sur le territoire national ;

2. le rôle de la Douane est amené à se renforcer, alors qu'il demeure encore méconnu. Pourtant, les services douaniers ont parfois l'impression de « vider la mer à la petite cuillère » , avec des méthodes qui demeurent encore « artisanales » ;

3. la menace liée au trafic de stupéfiants ne cesse de s'accroître, avec des flux toujours plus dynamiques et de multiples vecteurs d'entrée sur le territoire . L'Europe est le deuxième plus grand marché du monde pour la cocaïne et l'un des plus grands centres mondiaux de production de drogues synthétiques.

I. « ADMINISTRATION DE LA FRONTIÈRE ET DE LA MARCHANDISE », LA DOUANE EST AU CoeUR DE LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS

A. LA DOUANE EST, EN FRANCE, L'ADMINISTRATION A L'ORIGINE DES PLUS IMPORTANTES SAISIES DE PRODUITS STUPÉFIANTS

« Administration de la marchandise », la Douane surveille et contrôle l'ensemble des flux de marchandises entrant et sortant du territoire. L'une de ses missions fondamentales, réaffirmée dans le cadre de sa démarche de performance, est de lutter contre les trafics et la criminalité organisée . La DGDDI mobilise pour ce faire l'ensemble des services territoriaux , de ses attachés douaniers à l'étranger et des directions spécialisées , à l'instar de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), du service d'enquête judiciaire des finances (SEJF) ou encore de la direction nationale garde-côtes des douanes (DNGCD).

La Douane a saisi

La cocaïne représente

La Douane a mis en cause

de produits stupéfiants en 2021, 31,5 % de plus qu'en 2020

des saisies, contre 65 % pour le cannabis, 16,7 % pour le khat, 1,3 % pour les drogues de synthèse et 0,9 % pour l'héroïne et les amphétamines

personnes physiques pour des faits liés aux produits stupéfiants

Si la crise sanitaire avait pu conduire à un léger reflux du volume des saisies, du fait des mesures de restriction sur les déplacements, l'année 2021 a marqué un net rebond, illustrant de fait le dynamisme des flux de produits stupéfiants .

Saisies de produits stupéfiants par la Douane (en volume)

(en kilogrammes)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la DGDDI

Quatre services et administrations réalisent des saisies de stupéfiants sur le territoire national : la Douane, la direction générale de la police nationale (DGPN), la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et la Marine nationale. De par son positionnement aux frontières et sa mission de surveillance des flux, la Douane est à l'origine de la majorité des saisies de produits stupéfiants sur le territoire national : elle joue en effet le rôle de « premier rideau ».

Part de la Douane dans les saisies de produits stupéfiants en 2021

(en tonne et en %)

* en millions de doses

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la DGDDI

Si les résultats obtenus en termes de saisies illustrent indubitablement les efforts de la Douane en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, leur évolution peut être difficile à interpréter et l'efficacité de la Douane difficile à évaluer : eu égard à leur caractère illicite, il n'est pas possible de rapporter les résultats obtenus aux flux totaux de produits stupéfiants .

Les saisies augmentent-elles parce que l'efficacité de la Douane s'accroît ou parce que les flux de produits stupéfiants augmentent eux aussi ?

En l'état des données budgétaires, il est par ailleurs i mpossible de connaître les effectifs et les moyens alloués à titre exclusif ou principal à la lutte contre les trafics de toute nature , et encore moins au trafic de stupéfiants.

B. DE PAR SON POSITIONNEMENT SUR L'ENSEMBLE DES FRONTIÈRES, LA DOUANE SURVEILLE ET CONTRÔLE LES MULTIPLES VECTEURS D'ENTRÉE DES STUPÉFIANTS SUR LE TERRITOIRE

« Administration de la frontière », la Douane dispose d'un positionnement privilégié, au coeur des principaux vecteurs d'entrée des stupéfiants sur le territoire national. Si « tenir » la frontière est historiquement l'une des missions essentielles de la Douane, la frontière se caractérise désormais par son aspect multidimensionnel.

La frontière est « terrestre, numérique, maritime, aérienne, nationale et européenne », lieu de transit des personnes, marchandises et données.

La Douane déploie dans ce contexte et sur tous les vecteurs ce qu'elle qualifie de « stratégie du bouclier » : il s'agit avant tout d'intercepter les chargements de produits stupéfiants susceptibles d'être introduits puis disséminés sur le territoire national et européen. Les territoires ultra-marins font l'objet d'une attention spécifique, du fait de leur situation géographique, à la croisée d'importantes routes maritimes et aériennes vers l'Union européenne.

La voie maritime est un vecteur privilégié pour le trafic de cocaïne, la Douane intervient dès lors sur les ports (conteneurs) - le port du Havre disposant du premier scanner fixe de France - mais aussi en haute mer, grâce à ses moyens aéromaritimes (vedettes, avions, hélicoptères).

Le vecteur terrestre est quant à lui plus fréquemment utilisé pour le trafic de résine de cannabis, notamment en provenance d'Espagne, et d'héroïne, par la route des Balkans. La Douane dispose pour contrôler ces flux, outre de la possibilité de fouiller les véhicules, de trois camions scanners mobiles , qu'elle déploie sur le territoire (grands axes routiers, péages, ports).

Les flux aériens sont propices au transport de multiples catégories de stupéfiants. Une retient toutefois l'attention des autorités et des services depuis plusieurs années : la cocaïne, avec en particulier le phénomène des passeurs (les « mules »). Les produits peuvent être transportés dans les bagages, à corps ou ingérés ( in corpore) et en grande majorité depuis la Guyane . Il y a parfois plusieurs dizaines de passeurs par vol, les réseaux privilégiant une stratégie de « saturation des vols », en étant prêts à sacrifier les premiers pris.

Une tendance également se dégage depuis plusieurs années et inquiète les services douaniers : le contournement des voies traditionnelles par le recours au fret express et postal. La crise sanitaire n'a ici eu pour effet que de contribuer à renforcer une tendance antérieure, favorisée par l'essor du commerce en ligne.

Saisies de produits stupéfiants par la Douane sur le fret express et postal

(en kilogrammes et en doses pour l'héroïne et les amphétamines)

Source : commission des finances, d'après les informations transmises par la DGDDI

II. RÉORGANISER, INVESTIR ET COOPÉRER : TROIS AXES À PRIVILÉGIER POUR L'ACTION DE LA DOUANE FACE AU TRAFIC DE STUPÉFIANTS

A. TROIS IMPÉRATIFS : RÉORGANISER LES EFFECTIFS, ACQUÉRIR DES ÉQUIPEMENTS PLUS PERFORMANTS ET VALORISER LA DONNÉE

Pour leurs recommandations, les rapporteurs spéciaux ont souhaité s'inscrire dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens (COM) de la Douane pour la période 2022-2025, qui prévoit une stabilisation des effectifs et une légère baisse du budget global de la Douane. Il est impératif dans ce contexte de pouvoir réorganiser les effectifs, de dépenser mieux et d'accroître l'efficacité du ciblage des contrôles.

Le COM 2022-2025 prévoit, sur la période, un effort supplémentaire de 148 millions d'euros pour les dépenses de fonctionnement et d'investissement de la Douane. 97 millions d'euros au minimum seront alloués à des dépenses d'équipement, dont la plupart concourra à l'exercice par la Douane de sa mission de lutte contre les trafics de produits illicites.

Répartition des crédits supplémentaires alloués à la Douane
pour ses dépenses de fonctionnement et d'investissement
sur la période 2022-2025

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après le contrat d'objectifs et de moyens de la Douane pour la période 2022-2025

Cette enveloppe de 148 millions d'euros supplémentaires n'est toutefois pas exempte de critiques . Outre le fait que les rapporteurs spéciaux s'interrogent sur l'allocation des 51 millions d'euros restants, qu'ils estiment devoir être principalement alloués à l'acquisition de scanners et à la refonte des systèmes d'information, ils doutent également de la sincérité de « l'effort supplémentaire » vanté par la Douane et par la direction du budget . Il était par exemple déjà prévu que deux nouveaux scanners à rayons X soient installés au centre de tri postal de Wissous et de Roissy dès 2023. De même, les acquisitions pour les hélicoptères et les vedettes sont anticipées depuis plusieurs années, eu égard au vieillissement du parc et au besoin opérationnel de renouveler les moyens aéromaritimes de la Douane. Ce ne sont d'ailleurs pas deux vedettes qui devront être acquises par la Douane à moyen terme, mais bien cinq si elle veut maintenir son parc en l'état.

Il est également permis de s'interroger sur la pertinence de retenir, dans cet effort supplémentaire, les projets immobiliers , qui ne relèvent pas à proprement parler des équipements dont la Douane a besoin pour assurer ses missions de surveillance et d'opérations commerciales, mais qui s'apparent davantage à des dépenses pour les fonctions support. La Douane avait en outre déjà bénéficié de crédits supplémentaires pour ses dépenses immobilières, en provenance du plan de relance (7,6 millions d'euros en 2021).

Comment, dans ce cadre contraint, donner plus de moyens à la Douane pour qu'elle accomplisse sa mission de lutte contre les trafics illicites ?

1. Réorganiser les effectifs

Dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens, il n'est pas prévu de création de postes (en équivalents temps plein). Les rapporteurs spéciaux estiment toutefois qu'il existe des réserves de postes , qui pourront être réalloués le cas échéant vers les missions de surveillance, vers le contrôle du fret express et postal et vers les directions spécialisées. Par exemple, la DGDDI ne connait pas encore le nombre exact d'ETP qui seront affectés par le transfert des missions fiscales vers la direction générale des finances publiques (DGFiP) et elle s'est également engagée à conduire un bilan sur le dimensionnement de son réseau comptable à l'issue du transfert de ces compétences fiscales. La dématérialisation croissante des procédures de dédouanement suscitera nécessairement des gains de productivité , qui pourront se traduire à terme par une réorientation des effectifs vers des missions plus intensives en main d'oeuvre. C'est le cas par exemple des enquêtes ou du contrôle des colis : tous les colis douteux ou ciblés doivent être ouverts afin que leur contenu soit vérifié et aucune machine ne peut le faire.

De même, et pour raisonner cette fois-ci à l'échelle de la masse salariale , la Douane a entrepris une révision de ses régimes indemnitaires , très sévèrement critiqués par la Cour des comptes en 2020. La Cour soulignait la multiplication des régimes statutaires dérogatoires et la persistance de primes obsolètes. Une simplification de ces régimes devrait permettre à la DGDDI de réaliser des économies sur ses dépenses de personnel.

2. Investir dans des moyens plus performants

L'acquisition de matériels et d'équipements plus performants, une priorité pour lutter contre le trafic de stupéfiants.

Au-delà d'un sujet d'effectifs, les rapporteurs spéciaux ont pu constater lors de leurs déplacements à Orly et au Havre que les services douaniers manquaient d'équipements performants : scanners systématiques pour les bagages au départ et à l'arrivée, notamment dans les aéroports d'Orly et de Cayenne, scanners à ondes millimétriques pour les passagers, scanners 3D et scanners industriels à haute capacité pour le fret express et postal, scanners mobiles pour les camions et les conteneurs, scanner fixe dans les ports.

À ceux-ci doivent être ajoutés les hélicoptères, les avions et les vedettes , particulièrement utilisés dans les Antilles, mais également les drones , de plus en plus mobilisés par la direction nationale garde-côtes des Douanes. Enfin, et au regard des vulnérabilités croissantes sur ces plateformes, la sécurisation des ports fait également partie des enjeux fondamentaux pour la Douane à moyen terme, même si ces coûts doivent être partagés avec les opérateurs.

Ces équipements ont un coût, de l'ordre de plusieurs dizaines de millions d'euros , mais qui doit être mis au regard d'un accroissement de l'efficacité de la Douane dans sa mission de lutte contre le trafic de stupéfiants. Une partie de ces équipements sera financée par l'enveloppe de 148 millions supplémentaires mais les rapporteurs spéciaux estiment que les cibles d'acquisition ne sont pas suffisantes pour répondre aux besoins des services douaniers. Toutefois, et pour rester dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens, ils ne proposent pas de revoir à la hausse les crédits alloués à la Douane sur ces trois prochaines années.

Les rapporteurs spéciaux défendent en revanche des mesures de gestion qui visent à permettre, à budget global constant, de pouvoir allouer plus de moyens à l'acquisition de matériels performants et à la modernisation des systèmes d'information. Dans ces mesures se trouve tout d'abord l'engagement de reporter chaque année les crédits non consommés et de les allouer à l'achat de nouveaux matériels et aux dépenses informatiques de la DGDDI.

Pour dégager des économies, et tenir son budget tout en répondant aux priorités d'action qui lui sont fixées, la Douane pourrait en parallèle poursuivre la rationalisation de ses emprises immobilières. Pour les rapporteurs spéciaux, cette rationalisation porterait tant sur la répartition des postes sur le territoire que sur la simplification de la politique de logement de la Douane, là-encore très critiquée par la Cour des comptes pour son inefficacité. La DGDDI gagnerait également à mutualiser l'acquisition de ses moyens aéromaritimes, après de nombreux dysfonctionnements lors de l'acquisition de sa flotte actuelle (retards, défaut de livraison, défaut d'équipements ou encore problèmes techniques). Si la mutualisation de ces achats, avec les directions spécialisées des ministères des armées et de l'intérieur, est impossible du fait de besoins divergents, elle pourrait à tout le moins porter sur l'entretien et la formation des agents. Ces équipements sont cruciaux pour la lutte contre les trafics, en particulier en mer.

Toujours dans l'optique de financer l'acquisition de matériels innovants et performants, les rapporteurs spéciaux considèrent qu'une réflexion devrait être engagée pour que la Douane puisse se voir affecter une partie des sommes confisquées ou issues de la vente de biens confisqués par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) dans des affaires de lutte contre le trafic de stupéfiants.

3. Valoriser la donnée

La Douane fut l'une des premières administrations à développer un projet de grande ampleur de valorisation de la donnée, avec notamment la création du service d'analyse de risque et de ciblage (SARC) en 2016.

L'un des objectifs de ce service mais également des nouvelles techniques d'analyse des données de masse est de parvenir à mieux cibler les contrôles , générant de fait un gain de temps pour les douaniers et tout au long de la chaîne de contrôle. La Douane développe ainsi une banque de données d'images pour déceler plus facilement les produits illicites, à partir de précédents colis « positifs ». Les rapporteurs spéciaux soutiennent cette initiative et estime qu'elle devrait pouvoir s'inscrire à terme dans un projet similaire au niveau européen : en créant une base européenne de données, un « lac de données » auquel l'ensemble des services douaniers des États membres auraient accès, les contrôles pourraient être plus ciblés.

Pour ce faire, la Douane doit aussi pouvoir avoir accès à l'ensemble des données qu'elle juge nécessaire, et sous réserve des garanties en matière de protection des données personnelles et commerciales. A ce titre, une réflexion doit être lancée sur l'accès aux données de chargement , afin que les services de ciblage puissent croiser encore davantage d'informations. Elle doit également pouvoir disposer des compétences nécessaires : la difficulté à recruter des informaticiens et des experts de la donnée (datascientists) est commune à l'ensemble des administrations du ministère de l'économie et des finances, qui ont un fort besoin de recrutement sur ces compétences spécialisées mais souffrent encore d'un déficit d'attractivité, notamment par rapport au secteur privé . C'est un sujet que les rapporteurs spéciaux suivent depuis plusieurs années, et en particulier les mesures mises en place par le secrétariat général du ministère pour remédier à ces difficultés.

B. UNE NÉCESSITÉ : ACCROÎTRE LA COOPÉRATION ENTRE L'ENSEMBLE DES SERVICES DE L'ÉTAT

Dans sa mission de lutte contre le trafic de stupéfiants, la Douane doit pouvoir coopérer avec l'ensemble des services de l'État impliqués dans cette mission . La création de l'Office antistupéfiants (Ofast), nouveau chef de file de la lutte contre cette forme de criminalité, a eu un effet bénéfique pour fluidifier les relations entre l'ensemble des parties prenantes. Elle a également permis d'insister sur le caractère multidimensionnel de la lutte contre le trafic de stupéfiants : au-delà des saisies, il faut également s'intéresser aux flux financiers , pour pouvoir « frapper les organisations criminelles sur leurs vulnérabilités ». À cet égard, et alors que les frontières sont de plus en plus mouvantes et que les réseaux criminels s'adaptent en permanence à la législation, la Douane n'a pas les moyens d'agir et de saisir lorsqu'elle se trouve en présence de capitaux douteux mais hors de tout franchissement de frontières ; une évolution du cadre juridique devrait être envisagée.

Plusieurs points de frictions doivent par ailleurs être résolus , dans l'optique d'accroître l'efficacité des contrôles et l'effet dissuasif de la politique menée par la France en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants. Un exemple sera utilisé ici : celui des personnes transportant de la drogue (bagage, à corps ou ingérés) par voie aérienne . La situation est aujourd'hui celle d'une véritable « embolie » de la chaine administrative et judiciaire de contrôle .

Lorsque les douaniers interceptent une personne suspectée de transporter de la drogue in corpore , ils doivent la transporter à l'Hôtel-Dieu, faute de disposer d'une unité médicalisée sur place ou d'une unité médico-judiciaire plus proche des aéroports . Résultat, ce sont trois à quatre douaniers retenus pendant près d'une demi-journée pour une seule personne. De même, lorsqu'ils interceptent des personnes avec plus de deux kilogrammes de stupéfiants, ils doivent les remettre à l'Office antistupéfiants. Or, à Orly, les agents de l'antenne de l'Ofast n'acceptent plus de remises après 17-18 heures et ne sont donc plus présents lors de l'arrivée des vols du soir en provenance de Guyane, les douaniers devant se déplacer à Roissy.

La Douane ne dispose pas des moyens et des effectifs suffisants pour mener seule des contrôles « à 100 % » sur un vol (passagers, bagages, avion, équipage, etc.), que ce soit au départ ou à l'arrivée : la mise en place de ce dispositif, extrêmement dissuasif, suppose une réorganisation des services ainsi que l'installation de nouveaux équipements et infrastructures (ex. médicales).

LISTE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

Trois impératifs : réorganiser les effectifs, acquérir
des équipements plus performants et valoriser la donnée

Recommandation n° 1 (DGDDI, direction du budget, Parlement) : pour permettre à la Douane de réallouer des postes à la lutte contre les trafics illicites, d'acquérir des équipements plus performants et de poursuivre la modernisation de ses systèmes d'information, définir un programme d'économies qui porterait d'une part sur la masse salariale de la Douane (dématérialisation des procédures douanières, révision des régimes indemnitaires, dimensionnement de son réseau comptable) et d'autre part sur la rationalisation de ses emprises immobilières et de sa politique de logement.

Recommandation n° 2 (DGDDI, Parlement) : identifier les blocages pouvant entraver l'accès de la Douane à certains documents et informations relatifs au chargement. Proposer, d'ici au projet de loi de finances pour 2024, les évolutions, législatives ou règlementaires, qui pourraient être apportées pour lever ces blocages.

Recommandation n° 3 (DGDDI, Union européenne) : développer au niveau européen une base de données commune, exploitable à terme par les services douaniers de l'ensemble des États membres.

Recommandation n° 4 (DGDDI, direction du budget, Parlement) : s'engager à reporter les crédits non consommés sur la période 2022-2025 à l'acquisition d'équipements et de matériels (scanners fixes et mobiles, échographes, moyens aériens et navals, modernisation des systèmes d'information).

Recommandation n° 5 (DGDDI, ministères des armées et de l'intérieur) : mutualiser les procédures d'achat pour les équipements aéromaritimes et privilégier l'acquisition à la location. Lorsque la mutualisation est impossible, du fait de besoins et de périmètres d'action trop divergents, recourir à l'expertise technique des directions spécialisées du ministère des armées et de l'intérieur pour définir le cahier des charges de la commande. Mutualiser une partie de la formation des opérateurs ainsi que l'entretien et la maintenance des appareils.

Recommandation n° 6 (DGDDI, Parlement) : conduire une étude de faisabilité sur l'extension des prérogatives de la Douane en matière de saisie de capitaux lors du contrôle de véhicules et de marchandises, hors franchissement de frontières.

Recommandation n° 7 (Parlement, Agrasc, DGDDI) : pour financer l'acquisition de nouveaux matériels de contrôle et de surveillance performants, affecter à la DGDDI une partie des sommes confisquées ou issues de la vente de biens confisqués par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) dans des affaires de lutte contre le trafic de stupéfiants. Envisager, à terme, de confier à l'Agrasc la gestion d'une partie des saisies douanières opérées dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants.

Une nécessité pour les services de l'État : poursuivre la fluidification de leur coopération, dans la perspective de mener des contrôles « à 100 % »

Recommandation n° 8 (DGDDI, ministère de la santé) : installer à proximité voire à l'intérieur des aéroports d'Orly et de Cayenne, puis de Roissy à terme, des unités médicalisées disposant d'échographes, afin de pouvoir traiter plus rapidement les personnes transportant de la drogue ingérée. À court terme, rouvrir les discussions avec le ministère de la santé pour qu'un établissement plus proche de ces aéroports puisse accueillir les personnes interceptées avec de la drogue in corpore .

Recommandation n° 9 (DGDDI, ministère de l'intérieur) : engager les discussions avec l'Office antistupéfiants pour qu'il dispose d'une véritable antenne à Orly, avec des plages horaires correspondant aux horaires de vols en provenance de Guyane et des Antilles. Plus généralement, ouvrir les négociations avec les services de police judiciaire, de gendarmerie et de l'Ofast pour s'accorder sur une nouvelle répartition des transports et des détentions des personnes interceptées avec des stupéfiants.

Recommandation n° 10 (DGDDI, ministère de l'intérieur) : conduire, à intervalle régulier, des contrôles « à 100 % » sur les vols au départ et en provenance de Guyane, sur le modèle de ce que peuvent faire les Pays-Bas. La mise en place de tels contrôles suppose toutefois de disposer des effectifs dédiés, d'un renforcement de l'Ofast et des services de police judiciaire, ainsi que des infrastructures nécessaires, notamment médicales.

Un enjeu pour le Parlement et pour les citoyens : disposer de davantage de données sur l'action de la Douane en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants

Recommandation n° 11 (DGDDI) : afin de disposer d'une évaluation plus qualitative des résultats de la Douane en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et de pouvoir les rapprocher des coûts de toute nature encourus pour les atteindre, procéder régulièrement à des analyses d'efficience par type de vecteur, voire par type de trafic et par type de marchandise.

Recommandation n° 12 (secrétariat général du ministère de l'économie et des finances) : publier, dans le cadre des documents budgétaires relatifs à la mission « Gestion des finances publiques », un bilan des actions menées par les administrations du ministère de l'économie et des finances pour renforcer leur attractivité auprès des informaticiens et des experts de la donnée ( datascientists).

AVANT-PROPOS

Nous avons décidé, au début de l'année 2020, de demander à la commission des finances de nous autoriser à conduire un contrôle budgétaire sur l'organisation et les moyens de la Douane face au trafic de stupéfiants .

Trois constats nous avaient conduits à choisir ce sujet de contrôle.

Premièrement, la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) est un acteur majeur de la lutte contre le trafic de stupéfiants . Elle est ainsi à l'origine de 60 % à 80 % des saisies de stupéfiants sur le territoire national.

Par ailleurs, si le rôle de la Douane dans la lutte contre le trafic de stupéfiants est encore trop souvent méconnu ou sous-estimé, il est pourtant amené à se renforcer. Le transfert de la plupart des missions fiscales de la DGDDI à la direction générale des finances publiques (DGFiP) a en effet conduit la Douane à mener une revue stratégique de ses missions et à se recentrer sur ses prérogatives en tant qu'« administration de la frontière et de la marchandise ».

Enfin, la menace liée au trafic de stupéfiants ne cesse de s'accroître : augmentation des flux et des saisies, hausse de la criminalité connexe, vulnérabilité des ports et des aéroports. La consommation demeure également très élevée, soulevant un vrai enjeu de santé publique. Pourtant, les acteurs impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants ne peuvent masquer une certaine lassitude en ayant parfois l'impression, face à l'ampleur sans cesse grandissante du trafic, de « vider la mer à la petite cuillère ».

Le trafic de stupéfiants est resté dynamique et n'a que peu souffert de la crise sanitaire. La situation apparaît désormais critique en France, du fait des multiples voies d'entrée sur le territoire : trafic maritime en provenance d'Amérique du sud et d'Afrique de l'Ouest, échanges terrestres avec les pays frontaliers, fret postal et express depuis l'ensemble du monde. Les territoires d'Outre-mer, et notamment la Guyane et les Antilles, sont particulièrement vulnérables - comme l'avait déjà souligné la mission d'information du Sénat sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane 1 ( * ) .

Il ne s'agit pas, ici, de proposer une réforme de notre politique pénale ou de notre politique de santé publique. Bien que la lutte contre le trafic de stupéfiants suppose une approche globale et que ces enjeux soient cruciaux, ce présent rapport s'intéressera avant tout à une administration en première ligne dans la lutte contre le trafic de stupéfiants : la Douane .

PREMIÈRE PARTIE

« ADMINISTRATION DE LA FRONTIÈRE
ET DE LA MARCHANDISE », LA DOUANE EST EN PREMIÈRE LIGNE FACE AU TRAFIC DE STUPÉFIANTS

En 2021, la Douane a saisi 115 tonnes de produits stupéfiants et réalisé près de 21 000 constatations .

Le trafic de stupéfiants représente une menace croissante pour la France et pour ses partenaires européens : au-delà de ses effets délétères sur la santé publique, il est également facteur de criminalité. Ainsi, Europol 2 ( * ) relève que le trafic de stupéfiants représente, en termes de réseaux et de criminels impliqués ainsi que de profits générés, la principale activité des organisations criminelles en Europe. La grande majorité des faits violents attribués aux organisations criminelles a trait au trafic de stupéfiants. 262 faits de violence entre délinquants ont été recensés en France en 2021 et 110 victimes de règlements de compte, dont 44 décès 3 ( * ) .

L'Europe est le deuxième plus grand marché du monde pour la cocaïne et l'un des plus grands centres mondiaux de production de drogues synthétiques (ecstasy et amphétamines) 4 ( * ) . En France, selon les données de l'Insee publiées pour l'année 2021, les ménages français auraient dépensé environ 4,8 milliards d'euros pour des produits stupéfiants 5 ( * ) . C'est deux fois plus qu'en 2010, quatre fois plus qu'en 2000.

Si plusieurs services de l'État ont pour mission de lutter contre le trafic de stupéfiants, l'action de la Douane, centrale, est pourtant méconnue . De par son positionnement, en tant qu'« administration de la frontière et de la marchandise », la Douane est au coeur du contrôle des principaux vecteurs d'entrée des stupéfiants sur le territoire national . Son rôle est d'autant plus appelé à se renforcer au cours des prochaines années que l'unification du recouvrement des taxes et impositions sous l'égide de la direction générale des finances publiques (DGFiP) a conduit la Douane à mener une revue stratégique de ses activités. La définition de la nouvelle stratégie de la DGDDI et de ses priorités à moyen terme a confirmé la place de la prévention et de la répression des trafics parmi ses missions fondamentales.

I. ADMINISTRATION EN CHARGE DU CONTRÔLE DES FLUX DE TOUTES LES MARCHANDISES, LA DOUANE EST AU CoeUR DE LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS

A. LA LUTTE CONTRE LES TRAFICS DE TOUTE NATURE FAIT PARTIE DES COMPÉTENCES MÉTIER DE LA DOUANE

La lutte contre les trafics de toute nature constitue une part prépondérante des missions de la Douane, alors même que l'essentiel de l'attention se focalise le plus souvent sur le contrôle des flux de marchandises (légales) aux frontières, en particulier depuis la décision du Royaume-Uni de sortir de l'Union européenne et du marché commun.

Dans le cadre de la démarche de performance de la Douane, trois objectifs sont ainsi érigés au rang de priorités :

- amplifier la lutte contre les trafics et la criminalité organisée et garantir la conformité des marchandises sur l'ensemble de la chaîne logistique ;

- optimiser et moderniser le traitement des flux de marchandises en frontière et consolider l'accompagnement des entreprises ;

- faire de la Douane une administration moderne et innovante.

La lutte contre le trafic de stupéfiants suppose la mobilisation de nombreux moyens - effectifs, renseignement, équipements - et une coopération accrue avec l'ensemble des services de l'État impliqués dans cette mission ainsi qu'avec les homologues de la Douane à l'étranger .

1. La lutte contre le trafic de stupéfiants, une mission essentielle de la Douane mais difficile à évaluer sur le plan budgétaire
a) Des effectifs mobilisés dans les deux branches « surveillance » et « opérations commerciales »

Les effectifs de la Douane sont classés selon deux branches : la branche « surveillance » (SU) et la branche « opérations commerciales et administration générale (ÀG/CO) ». En 2022, et dans les seules directions régionales - c'est-à-dire hors directions nationales et spécialisées - 6 518 agents sont affectés à la branche ÀG/CO et 6 740 à la branche SU.

Les agents de ces deux branches sont amenés à intervenir dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, qui mobilise l'ensemble des services de la surveillance - brigades terrestres et groupes interministériels de recherche (GIR) par exemple - ainsi que les agents des bureaux en charge du fret express et postal pour ce qui relève des services des opérations commerciales. À ces effectifs s'ajoutent ceux des directions spécialisées, notamment plus de 750 enquêteurs et agents de renseignement douanier et plus de 240 officiers de douane judiciaire.

La Douane recourt également à des compétences particulières , parmi lesquelles des marins (environ 500 agents), des personnels aériens (environ 150 agents), des maîtres de chien (environ 250 agents) ou encore des informaticiens (environ 400).

Il n'y a toutefois pas de données plus précises sur les missions sur lesquelles sont affectés, à titre principal ou secondaire, les agents de la Douane.

b) Des crédits difficiles à évaluer

S'il existe des informations quant au coût des scanners, des vedettes ou des aéronefs, trois types d'équipement particulièrement utilisés dans la lutte contre les stupéfiants, il est en revanche impossible, en l'état des données budgétaires, de pouvoir évaluer avec précision le montant des crédits mobilisés par la Douane pour assurer sa mission de lutte contre les trafics de toute nature , et encore moins en ne retenant que les seuls produits stupéfiants.

Les crédits alloués à la Douane sont retracés au sein de la mission « Gestion des finances publiques », sur le programme 302 « Facilitation et sécurisation des échanges ». Deux actions ont plus particulièrement trait aux missions de la Douane en matière de contrôle des flux de marchandises illicites : l'action 01 « Surveillance douanière des flux de personnes et de marchandises et lutte contre la grande fraude douanière » - 536,1 millions d'euros en crédits de paiement pour 2022 - et l'action 03 « Préservation de la sécurité et de la sûreté de l'espace national et européen » - 147,4 millions d'euros.

La Douane a transmis une ventilation indicative des crédits de l'action 01 :

Ventilation indicative des crédits de paiement
portés par l'action 01 du programme 302
de la mission « Gestion des finances publiques » pour 2022

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

L'action 01 totalise 7 323 équivalents temps plein travaillés (ETPT) en 2022, soit une baisse de 3 % (232 ETPT) par rapport à 2021, compte tenu notamment du transfert de certaines missions fiscales de la Douane à la DGFiP. Ces effectifs correspondent aux brigades de surveillance douanières présentes sur les frontières terrestres, portuaires, aéroportuaires ainsi que sur les noeuds routiers et autoroutiers, aux services régionaux d'enquête qui réalisent les contrôles douaniers et fiscaux des entreprises, à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et au service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF).

2. Pour lutter contre le trafic de stupéfiants, la Douane mobilise l'ensemble de ses compétences et de ses directions

En plus de la participation des services territoriaux des deux branches de la Douane, il faut également retenir, dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, le rôle joué par les directions spécialisées : la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), le service d'enquête judiciaire des finances (SEJF), la direction nationale garde-côtes des douanes (DNGCD) et le service commun des laboratoires (SCL).

a) Le renseignement, un facteur clé dans la stratégie de la Douane en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants

La direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) est un acteur central de la lutte contre la criminalité organisée et le trafic de stupéfiants. Son objectif est d'entraver les filières d'approvisionnement et d'identifier les commanditaires et leurs complices. Pour certaines de ses enquêtes, elle peut par exemple demander aux services douaniers de ne pas saisir les produits stupéfiants afin de pouvoir les suivre et d'obtenir des informations sur l'organisation criminelle ou le réseau impliqué dans le trafic. Ce sont les « livraisons surveillées ». La DNRED a ainsi saisi directement 3,3 tonnes de stupéfiants en 2021 - ces chiffres excluant les concours apportés par la direction aux autres services douaniers.

Comptant 769 ETP en 2021 , la DNRED se structure autour de trois directions : la direction du renseignement douanier , la direction des enquêtes douanières et la direction des opérations douanières , appuyées par les services centraux (secrétariat général, contrôle interne, gestion des ressources humaines, etc.). Elle dispose de plus d'une vingtaine d'implantations territoriales , sous la forme d'échelons et d'antennes.

Le principal atout de la direction réside dans sa double affiliation douanière et renseignement, qui lui donne accès à deux types d'instruments juridiques : la DNRED peut d'une part mettre en oeuvre les pouvoirs conférés par le code des douanes (saisie, retenue douanière, contrôle des flux, enquêtes administratives, visite domiciliaire 6 ( * ) ) et elle peut d'autre part, en tant que service de renseignement du premier cercle 7 ( * ) , mettre en oeuvre l'ensemble des techniques de renseignement prévues aux articles L. 851-1 et suivants du code de la sécurité intérieure.

Au sein de la direction du renseignement, trois divisions sont respectivement consacrées à l'analyse (ex. détection des menaces), au ciblage des contrôles et aux stupéfiants. La division « analyse » comprend le service « Cyberdouane », chargé de collecter des informations sur internet et de mener des opérations en ligne. Par exemple, et avec l'autorisation du parquet, les agents de Cyberdouane peuvent réaliser des « coups d'achat », c'est-à-dire se faire passer pour des clients et acheter des stupéfiants en ligne, pour ensuite remonter vers la source des trafics.

Un exemple de saisie par la DNRED et Cyberdouane

Au mois de mai 2021, et après plusieurs mois d'investigation par le service Cyberdouane sur le darknet , les agents de la DNRED sont parvenus à identifier les administrateurs de la plateforme « Le Monde Parallèle », qui proposait à la vente divers produits et services illicites, dont des stupéfiants. Les deux administrateurs ont été interpellés et la plateforme démantelée.

L'opération contre cette plateforme s'inscrivait à la suite du démantèlement de deux autres plateformes en 2018 et en 2019 et devait permettre de désorganiser encore davantage le trafic de drogues utilisant le darknet pour alimenter le marché français.

Source : communiqué de presse n° 1031 du 21 mai 2021 , MM. Le Maire et Dussopt, ministre de l'économie, des finances et de la relance et ministre délégué chargé des comptes publics

La DNRED peut également être amenée à coopérer avec des services de police étrangers. Ce fut le cas par exemple au mois de juin 2021, une opération menée avec la police fédérale brésilienne ayant abouti à la saisie de quatre tonnes de cannabis sur un voilier parti du Portugal.

b) Le service d'enquête judiciaire des finances

Créé le 1 er juillet 2019, le service d'enquête judiciaire des finances (SEJF), issu de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude 8 ( * ) , résulte de la transformation du service national de douane judiciaire (SNDJ). Dirigé par un magistrat, il se compose d'environ 240 officiers douaniers judiciaires et d'une quarantaine d'officiers fiscaux judiciaires . Le service ne dépend de la DGDDI que pour ses fonctions support : la direction ne générale connait pas de ses affaires en cours ni de leur avancement.

Avec la DNRED, le SEJF a contribué à identifier, entraver et démanteler 93 organisations criminelles 9 ( * ) en 2021, pour un objectif fixé à 75 dans le projet annuel de performances 10 ( * ) .

Si le SEJF n'est pas compétent en matière de stupéfiants, il peut en revanche intervenir sur le volet blanchiment des produits issus du trafic de stupéfiants et transmettre les informations recueillies au cours de ses enquêtes aux services compétents. Sur les 30 467 condamnations pour infraction à la législation sur les stupéfiants prononcées en 2021, 356 avaient trait à des faits de blanchiment ; 1 731 à des infractions douanières.

Dans sa stratégie pour la période 2022-2025, la Douane insiste particulièrement sur ce point : « la lutte contre les trafics illicites doit être conjuguée à la lutte contre le blanchiment des produits illicites qu'ils génèrent. [...] la Douane est la force de frappe naturelle pour le faire » 11 ( * ) .

c) La direction nationale garde-côtes des douanes

La direction nationale garde-côtes des douanes (DNGCD), créée le 1 er juillet 2019, dispose en 2022 d'un budget d'environ 31 millions d'euros et de près de 900 ETP. À ces crédits doivent être ajoutés 6,5 millions d'euros liés au renouvellement d'un marché de maintien en condition opérationnelle de sa flotte d'hélicoptères EC 135.

La direction représente la Douane dans la gouvernance de l'action de l'État en mer , sous l'égide du secrétaire général de la mer au niveau central et des préfets maritimes ou des délégués du Gouvernement pour l'action de l'État en mer dans les territoires ultra-marins. La DNGCD participe ou mène des opérations de lutte contre les trafics en haute mer . Le comité interministériel antistupéfiants a ainsi souligné la complémentarité, pour l'action de l'État en mer, des services de renseignement et d'enquête (DNRED, Office antistupéfiants) et des moyens d'intervention, à savoir essentiellement ceux de la Douane et de la Marine nationale 12 ( * ) .

Les moyens de surveillance aérienne et maritime à disposition de la DNGCD lui permettent de détecter des mouvements anormaux de bateaux en mer, qui sont ensuite analysés pour cibler les actions de contrôle. Les informations ainsi exploitées sont enrichies de celles reçues de la DNRED ou des autres partenaires de la douane en mer. Fortement impliquée dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, la direction est à l'origine de la saisie de 6,5 tonnes de produits stupéfiants en 2021 , après 7,8 tonnes en 2019 et 753 kilogrammes en 2020.

La DNGCD, comme elle en a fait la démonstration aux rapporteurs spéciaux lors de leur déplacement au Havre, dispose également d'une flotte de drones , mobilisable sur des opérations de surveillance de marchandises. Ces drones sont considérés comme des aéronefs d'État, au même titre que les avions, et ne sont donc pas soumis aux règles de l'aviation civile. Leurs opérateurs doivent suivre une formation d'État spécifique pour être agréés.

d) Les laboratoires, un service commun mutualisé

Le service commun des laboratoires (SCL) est rattaché à deux directions : la DGDDI et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Ses crédits sont portés par le programme 218 « Conduite et pilotage des politiques économiques et financières » de la mission « Gestion des finances publiques » et s'élèvent à 7,6 millions d'euros en 2022.

Le SCL, structuré autour de pôles de compétence nationaux, dispose d'un champ d'intervention extrêmement vaste en matière douanière puisqu'il couvre les produits soumis à fiscalité, la régulation des échanges commerciaux mais aussi la protection de la santé publique et de l'environnement et la lutte contre la fraude et les produits illicites.

Son rôle est primordial : lorsque les tests « simples », effectués au moment de la saisie, ressortent négatif alors qu'il existe de très fortes présomptions quant à la nature illicite du produit, les services douaniers peuvent consigner la marchandise pendant 10 jours et demander au laboratoire de procéder à des tests en urgence. Ces tests permettent ensuite aux douaniers d'identifier et de détecter de nouvelles méthodes de dissimulation des produits stupéfiants.

B. LA DOUANE EST, EN FRANCE, L'ADMINISTRATION À L'ORIGINE DES PLUS IMPORTANTES SAISIES DE PRODUITS STUPÉFIANTS

1. Un rôle clé de la Douane dans les saisies de stupéfiants sur le territoire national
a) L'augmentation des saisies : une traduction de l'efficacité de la Douane ou de la hausse des flux de produits stupéfiants ?

La Douane a saisi plus de 115 tonnes de produits stupéfiants en 2021, soit 31,5 % de plus qu'en 2020 - année marquée par les confinements successifs du fait de la crise sanitaire - et 14,5 % de plus qu'en 2019 .

Saisies de produits stupéfiants par la Douane (en volume)

(en kilogrammes)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

La Douane communique également sur les saisies en valeur , ce qui permet de disposer de premières estimations quant au volume des flux financiers sous-jacents au trafic de stupéfiants . Ces estimations s'appuient toutefois sur des valeurs théoriques, qui ne sont ni les prix de production, ni les prix d'achat pour les consommateurs. Pour ces derniers, le prix dépend en partie de la pureté du produit.

Saisies de produits stupéfiants par la Douane (en valeur)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

Comme souligné par la directrice générale des douanes, les résultats obtenus en matière de saisies peuvent être difficiles à interpréter : l'augmentation des saisies traduit tout autant l'expertise des agents des douanes en matière de contrôle des flux et le renforcement de leur coopération avec l'ensemble des administrations mobilisées dans la lutte contre le trafic de stupéfiants que la croissance des échanges et de la production de ces produits, dans un contexte de hausse de la demande sur le marché européen .

Ainsi, dans le même temps, et selon les données publiées lors du deuxième comité interministériel contre les stupéfiants (2 mars 2022), les constatations de trafics ont augmenté de 24 % entre 2020 et 2021 pour s'établir à plus de 15 000 et le nombre de trafiquants mis en cause a augmenté de 21 % (18 756).

Pour la cocaïne par exemple, un rapport commun d'Europol et de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) 13 ( * ) souligne que la cocaïne est de plus en plus disponible sur le marché européen, avec une efficacité accrue des réseaux criminels pour entrer sur le territoire . Le trafic est décrit comme étant devenu à la fois plus compétitif et plus efficace, avec des routes plus directes vers les principaux centres de distribution européens. Les deux organisations estiment la production de cocaïne au niveau mondial à près de 1 800 tonnes en 2019, pour 200 tonnes saisies en Europe de l'Ouest et centrale et 250 tonnes saisies aux États-Unis .

L'évolution des saisies permet également de constater que certains produits sont plus facilement « détectables » ou circulent davantage que d'autres : c'est notamment le cas du cannabis, de la cocaïne et du khat. Ils forment ainsi la grande majorité des produits saisis, avec une hausse ces dernières années de la part de la cocaïne, premier produit stupéfiant consommé par les résidents français. Les saisies de cocaïne ont atteint leur plus haut niveau en 2021.

Evolution de la part de plusieurs produits stupéfiants
dans le total des saisies opérées par la Douane

(en %)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

Les premières données disponibles pour l'année 2022 confirment ces tendances : les saisies de cannabis s'élevaient à 12,7 tonnes au 28 février 2022, et 4,9 tonnes pour la cocaïne. S'il faut bien sûr prendre avec prudence toute projection annuelle réalisée sur la base de ces deux premiers mois de l'année, le dynamisme des flux pour ces deux produits se confirme, ainsi que la forte tendance haussière constatée en 2021 .

Les saisies des autres produits stupéfiants sont plus fluctuantes, alors même que plusieurs rapports, de l'ONUDC comme d'Europol, ainsi que les personnes entendues par les rapporteurs spéciaux, s'inquiètent de la hausse de la consommation des amphétamines et des drogues de synthèse, avec des laboratoires de production désormais installés en Europe (Belgique, Pays-Bas). Les saisies de la Douane restent cependant encore limitées sur ces produits.

Évolutions des saisies de plusieurs
produits stupéfiants depuis 2012

(en kilogrammes)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

N'apparaissent pas sur ces graphiques, pour des raisons de lisibilité, le nombre de doses saisies pour certains produits, tels que l'ecstasy. Le constat est en revanche similaire, avec une forte hausse en 2021 : près d'1,1 million de doses ont été saisies en 2021, contre 834 000 doses en 2020, soit une hausse de 28 %.

L'action de la Douane en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants ne se mesure pas seulement à l'aune des saisies réalisées, mais également à celui des personnes physiques mises en cause . Sur cet aspect, le constat est le même : le nombre de mises en cause est en hausse sur le long terme, avec une augmentation significative en 2021 après un léger reflux en 2020, du fait de la fermeture des frontières pendant les confinements.

Nombre de personnes physiques mises en cause
par la Douane pour des faits liés aux produits stupéfiants

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

Il est toutefois dommage de ne pas pouvoir disposer des données relatives aux retenues douanières ou aux visites domiciliaires en matière de trafic de stupéfiants, qui permettraient de donner un autre aperçu de l'activité des services douaniers dans la lutte contre les trafics de stupéfiants. Ces données étaient disponibles jusqu'en 2016 et devraient l'être bientôt de nouveau pour les années 2019 et suivantes, la DGDDI ayant décidé de reprendre la rédaction de ce bilan.

b) La Douane, à l'origine de la majorité des interceptions de produits stupéfiants sur le territoire national

Quatre services et administrations réalisent des saisies de stupéfiants sur le territoire national : la DGDDI, la direction générale de la police nationale (DGPN) 14 ( * ) , la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et la Marine nationale. De par son positionnement aux frontières et sa mission de surveillance des flux, la Douane est à l'origine de la majorité des saisies de produits stupéfiants sur le territoire national .

Part de la Douane dans les saisies
de produits stupéfiants en 2021

(en tonne et en %)

* en millions de doses

Source : commission des finances, d'après les informations transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

Les rapporteurs spéciaux considèrent que cette part de la Douane dans les saisies, au regard des effectifs potentiellement impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, est un indicateur plutôt positif de l'efficacité de la Douane, avec un bon ratio de saisies par agent .

La prédominance de la Douane dans les saisies s'explique par une répartition des tâches qualifiée de « naturelle » par le directeur général adjoint de la police nationale : la Douane intervient sur les flux, la police intervient sur les trafics et les organisations criminelles , en descendant jusqu'aux consommateurs, par le biais notamment des amendes forfaitaires délictuelles 15 ( * ) .

En réalité, la distinction apparaît moins nette : la Douane, notamment par le biais de la DNRED, dispose de compétences et de prérogatives importantes lui permettant de mener des enquêtes et de démanteler des organisations criminelles. Il y a d'ailleurs eu par le passé quelques frictions entre les différents services , même si, de l'avis de plusieurs personnes auditionnées, la coopération s'est améliorée avec la création de l'Office antistupéfiants. Les services de police et de gendarmerie peuvent par ailleurs tirer profit de l'exercice par les services douaniers des prérogatives spécifiques qui leur sont confiées par le code des douanes.

La Douane joue donc plutôt le rôle de « premier rideau », en interrompant un certain nombre de flux et en empêchant les produits d'atteindre les circuits de commercialisation . Cet asséchement du marché doit être poursuivi, et couplé à un asséchement des flux financiers (cf. infra ).

2. La Douane, administration à part entière des plans interministériels de lutte contre le trafic de stupéfiants

La Douane contribue aux plans interministériels mis en place pour améliorer la lutte contre le trafic de stupéfiants. Elle y joue un rôle clé de par ses prérogatives stratégiques en matière de contrôle des flux, sa présence dans tous les territoires métropolitains et ultra-marins ainsi que sa participation à la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment d'argent.

Elle est ainsi impliquée dans le plan interministériel de lutte contre le trafic de stupéfiants (« Plan stupéfiants », septembre 2019) et dans la déclinaison de sa mesure 20, le plan d'action interministériel de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane :

- le « Plan stupéfiants », qui vise à renouveler les modalités de coopération entre les services de police, de gendarmerie et de la douane comprend 55 mesures. Trois sont pilotées par la DGDDI sur les vecteurs terrestre, maritime (conteneurs) et fret express et postal ;

- le plan de lutte contre les « mules » de Guyane, désormais pleinement repris au sein de la mesure n° 20 du « Plan stupéfiants », est piloté par la direction des affaires criminelles et des grâces (ministère de la justice). Les 27 agents des douanes de la brigade de surveillance de l'aéroport Félix Eboué à Cayenne sont quasiment exclusivement dédiés à la lutte contre les passeurs de cocaïne. Ils s'appuient pour cela sur le travail des cinq agents de la cellule de ciblage. À Orly, principal aéroport d'arrivée pour les vols en provenance de Guyane, la lutte contre ces passeurs fait partie des priorités des 155 agents des brigades de surveillance, aidés dans cette tâche par les 16 agents de la brigade d'investigation locale et de ciblage (BILC).

3. Un réseau à l'international et une coopération multilatérale sources d'importantes saisies

La Douane dispose de son propre réseau international en ambassade : les attachés douaniers . Ils sont 19 en poste en 2022 au sein des ambassades et consulats de Washington, Miami, Bogota, Sao Paulo, La Haye, Londres, Madrid, Berlin, Belgrade, Dakar, Dubaï, Pékin, Bangkok et Moscou. C'est un poste de moins qu'en 2021, le poste d'attaché douanier à Rabat ayant été fermé.

La plupart des attachés douaniers disposent d'une compétence régionale puisque ce sont en tout 78 pays qui sont couverts : l'attaché douanier en poste à la Haye est ainsi accrédité sur la zone des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg. Ils interviennent comme relais entre les services opérationnels douaniers français et les services partenaires étrangers pour des interventions opérationnelles, sur tous les types de vecteurs de trafic de stupéfiants.

Il y a également un officier de liaison douanier et deux experts nationaux détachés auprès d'Europol, et cinq experts techniques internationaux sont sous contrat avec l'Union européenne ou avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et participent à des projets en lien avec la lutte contre le trafic de stupéfiants. Ils sont en poste à Alger, Niamey, Abidjan, Dakar et Tunis. Par ailleurs, dans le cadre de la constitution progressive d'un corps européen de 10 000 garde-frontières et garde-côtes sous uniforme Frontex, la Douane devrait y détacher plusieurs personnels, des douaniers français étant déjà mis à disposition de l'agence européenne.

En 2021, plus de 3 300 renseignements opérationnels ont été transmis par le réseau des attachés douaniers aux services de la DGDDI en charge de la lutte contre la fraude, tandis que 7 880 collaborations opérationnelles ont été réalisées avec les services de la DNRED et 203 soutiens opérationnels apportés au SEJF. 62 livraisons surveillées internationales de produits stupéfiants ont également été réalisées.

Les personnes auditionnées par les rapporteurs spéciaux se sont montrées très positives sur le travail accompli par les attachés douaniers et le volume des saisies réalisées grâce à la coopération internationale illustre l'apport de ces agents dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.

Coopération internationale dans le domaine
de la lutte contre le trafic de stupéfiants

(en kilogrammes de produits saisis)

*ÀRE : affaires réalisées à l'étranger, affaires réalisées par des autorités étrangères sur renseignement opérationnel émanant de la DGDDI.

**LSI : livraisons surveillées internationales, découverte de produits stupéfiants sur le territoire

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

Si la décomposition par type d'opération n'est pas encore disponible, le chiffre des saisies opérées à l'étranger sur renseignement de la Douane française en 2021 est tout à fait inédit , avec 10,9 tonnes de cocaïne et 70,3 tonnes de cannabis saisies. La DGDDI explique cette très forte hausse par rapport à 2020 par un rebond dû à la sortie de la crise sanitaire et par l'expertise de la Douane en matière de renseignement maritime.

II. DE PAR SON POSITIONNEMENT SUR L'ENSEMBLE DES FRONTIÈRES, LA DOUANE SURVEILLE ET CONTRÔLE LES MULTIPLES VECTEURS D'ENTRÉE DES STUPÉFIANTS SUR LE TERRITOIRE

Si « tenir » la frontière est historiquement l'une des missions essentielles de la Douane, la frontière se caractérise désormais par son aspect multidimensionnel , comme le rappelle le contrat d'objectifs et de moyens de la Douane pour 2022-2025 : elle est « terrestre, numérique, maritime, aérienne, nationale et européenne » et voit « transiter des flux de personnes, de marchandises et de données » 16 ( * ) . Il est demandé à la Douane de pouvoir se déployer sur l'ensemble de ces dimensions , en particulier pour lutter contre les trafics illicites.

La direction déploie dans ce contexte ce qu'elle qualifie de « stratégie du bouclier » : il s'agit avant tout d'intercepter les chargements de produits stupéfiants susceptibles d'être introduits puis disséminés sur le territoire national et européen.

A. LES VOIES MARITIMES ET TERRESTRES SONT LES VECTEURS TRADITIONNELS D'ENTRÉE DES STUPÉFIANTS SUR LE TERRITOIRE MÉTROPOLITAIN

1. La voie maritime, un vecteur privilégié pour le trafic de stupéfiants

Le volume des conteneurs de marchandises licites transportés chaque jour rend le trafic maritime vulnérable à la pénétration de marchandises illicites, dont les stupéfiants. Les voies maritimes, par conteneur, restent ainsi le vecteur privilégié pour le trafic de cocaïne.

Dans cette situation, l'impératif pour la France et donc pour la Douane est de ne pas faire partie, à l'instar de la Belgique et des Pays-Bas, des principaux centres de trafics de cocaïne à destination de l'Europe . Europol a en effet souligné, dans son dernier rapport sur le crime organisé en Europe, que « l'épicentre du marché de la cocaïne en Europe s'[était] déplacé vers le nord ». Rotterdam et Ànvers sont des voies privilégiées d'entrée de la cocaïne sur le territoire européen.

Or, au-delà de ces deux ports majeurs et à mesure que les Pays-Bas et la Belgique prennent conscience de la menace et adoptent de nouvelles mesures de dissuasion et de rétorsion, ce sont les ports secondaires proches qui se trouvent de plus en plus menacés, tels que celui du Havre en France - le plus concerné - mais aussi d'autres ports plus petits, comme ceux de Marseille, Dunkerque ou encore Rouen. Les Douanes ont par exemple saisi plus d'une tonne de cocaïne à Rouen, dissimulée dans plusieurs dizaines de conteneurs. Ces derniers avaient été préalablement ciblés : ils arrivaient en provenance d'Amérique du sud et le navire de transport avait fait escale dans plusieurs ports du nord de l'Europe 17 ( * ) .

Le Havre reste toutefois pour le moment la plateforme portuaire la plus vulnérable du fait de la forte croissance de l'activité logistique et économique, avec 39 lignes maritimes régulières, dont plusieurs en provenance d'Amérique latine.

69 tonnes de cocaïne ont été saisies au port de Rotterdam en 2021 (+ 74 % par rapport à 2020), 90 tonnes à Anvers (+ 36 %) et 10 tonnes au Havre (+ 170 %) . Pour les interlocuteurs entendus par les rapporteurs spéciaux, un seuil a désormais été franchi en France pour le trafic de cocaïne par voie maritime, avec une trajectoire très dynamique pour 2022 .

La Douane dispose toutefois d'une expertise reconnue à la fois en termes de connaissance de la logique portuaire et de lutte contre le trafic de stupéfiants par voie maritime, grâce également à l'action du renseignement et de la direction des garde-côtes. En 2021 et sur le territoire national, l'action de la Douane a conduit à 24 constatations et à la saisie de 10,7 tonnes de cocaïne dans des conteneurs maritimes.

a) Une connaissance de la logistique portuaire

Plusieurs brigades douanières interviennent sur les ports : les brigades de surveillance extérieure des navires, les brigades de surveillance des conteneurs ou encore les brigades de surveillance extérieure et portuaire. Ces dernières sont dédiées au contrôle de l' hinterland , en « deuxième ligne », pour tenter de saisir les produits parvenus à sortir du port. Ces brigades peuvent recevoir l'appui des acteurs du ciblage , assuré spécifiquement par des cellules spécialisées dans les principales plateformes portuaires (Le Havre, Marseille, Dunkerque et Nantes).

Les directions de la DNRED peuvent également intervenir sur les ports, par exemple pour identifier et entraver les compromissions sur la plateforme, et empêcher les trafiquants de trouver une sortie. Comme expliqué aux rapporteurs spéciaux lors de leur déplacement au Havre, les organisations criminelles s'appuient en effet largement sur la complicité interne pour chercher et trouver des voies de sortie des ports pour leurs marchandises.

Plusieurs techniques sont utilisées par les trafiquants - cache aménagée, rip-off 18 ( * ) , switch 19 ( * ) , conteneurs-hôtel 20 ( * ) ou encore cheval de Troie 21 ( * ) . Elles sont plus ou moins onéreuses et dépendent de la valeur de la cargaison, et des moyens que sont prêts à déployer les réseaux criminels pour en disposer. Elles peuvent donc s'avérer extrêmement violentes : les douaniers doivent désormais se protéger d'éventuelles attaques armées contre les convois transportant la drogue saisie, ce qui suppose la mobilisation de plusieurs unités afin de dissuader les attaques.

Les brigades chargées de contrôler les conteneurs et les navires doivent s'adapter aux méthodes sans cesse changeantes et de plus en plus sophistiquées des trafiquants, qui sont souvent très au fait des techniques de contrôle utilisées par la Douane. Un réseau des référents douaniers portuaires a été mis en place au mois de juin 2021 pour contribuer à l'identification des bonnes pratiques, pour les structurer et les généraliser, dans l'objectif d'atteindre un niveau de protection élevé sur l'ensemble des plateformes portuaires.

b) Les saisies en mer

La direction nationale garde-côtes des douanes (DNGCD) est à l'origine de la saisie de 6,5 tonnes de produits stupéfiants en 2021, dont 4,3 tonnes (65,7 %) de saisies en haute mer , illustrant ici le dynamisme de la voie maritime - hors portuaire - dans le trafic de stupéfiants.

Les moyens de la DNGCD sont utilisés pour contrôler en mer les navires ayant fait l'objet d'un ciblage dans les eaux territoriales ou en haute mer : la direction a intercepté en 2021 un bateau de pêche en Méditerranée avec plus de quatre tonnes de résine de cannabis à bord, une embarcation rapide aux Antilles avec plus d'une tonne de cocaïne et un cargo dans la Manche avec également plus d'une tonne de cocaïne à son bord.

Au total, et au-delà de la seule activité de la DNCGD, ce sont 44 tonnes de stupéfiants qui ont été saisies et détruites en 2021 par la Marine nationale en eaux internationales : 26 tonnes de cannabis - dont 5 tonnes dans les Antilles, 11 tonnes de cocaïne - dont 6,1 tonnes dans l'océan Atlantique, 2,7 tonnes d'héroïne et d'opiacés et 3,5 tonnes d'amphétamine et de méthamphétamine. Près de trois quarts des saisies ont eu lieu dans l'Océan indien.

La Douane peut être considérée comme la première administration civile de la mer et dispose de prérogatives spécifiques , très utiles pour lutter contre les trafics de marchandises illicites. Elle est ainsi la seule administration à pouvoir fouiller intégralement un navire sans autorisation d'un magistrat et elle est la seule à pouvoir intervenir dans la zone contiguë 22 ( * ) , ce qui lui octroie une capacité d'interception et de contrôle unique parmi les services de l'État.

Ainsi, à la frontière entre les saisies portuaires et maritimes, la DGDDI a récemment développé un nouveau programme de formation pour les brigades de surveillance extérieure des navires . Certains de ces agents ont été formés afin de pouvoir être hélitreuillés directement sur les navires , lorsque la brigade dispose d'informations fiables quant à la présence de marchandises interdites à bord. Après plusieurs tests, ces nouvelles modalités d'intervention devraient bientôt être pleinement déployées. D'autres agents, et il s'agit là d'une spécificité au sein de la Douane, sont formés à l'intervention et au contrôle dans les espaces confinés des navires .

2. La voie terrestre, propice au trafic de cannabis

La voie terrestre est privilégiée pour le trafic de cannabis sur le territoire métropolitain , ainsi que l'illustre cette carte produite par Europol, dans le cadre de son rapport annuel sur la criminalité organisée. Le trafic en provenance d'Espagne, où la production est élevée, emprunte quasi-exclusivement une voie terrestre, que ce soit par voiture (pour un tiers environ) ou par camion, y compris par la « contamination » de cargaisons légales.

Trafic de cannabis : les routes
à destination et depuis l'Union européenne

Source : Europol (2021), European Union serious and organised crime threat assessment, À corrupting influence: the infiltration and undermining of Europe's economy and society by organised crime, Publications Office of the European Union, Luxembourg

Le cannabis reste le produit le plus consommé en Europe, ce qui explique également qu'il demeure le produit le plus saisi par la Douane française . Si le vecteur terrestre est majoritaire, les réseaux utilisés pour l'introduire sur le territoire européen sont de plus en plus variés. Une voie se développe par exemple par la Méditerranée, en particulier par le port de Marseille. La production sur le territoire national est également très dynamique, avec des méthodes sans cesse plus sophistiquées qui rendent les produits plus difficiles à détecter.

Le trafic de résine de cannabis à destination des Antilles est lui aussi en hausse constante, dans le cadre d'un « troc » entre la résine de cannabis en provenance d'Europe et la cocaïne en provenance d'Amérique du sud (cf. infra ). Le développement de ces échanges implique une grande vigilance des services douaniers dans ces territoires, en particulier sur le vecteur maritime.

En revanche, pour ce qui concerne l'héroïne, le fret commercial, par voie terrestre et par l'intermédiaire de transporteurs, demeure le vecteur privilégié, principalement par les Balkans.

Pour intercepter ces échanges et ces flux, la Douane recourt à plusieurs méthodes : elle peut arrêter les véhicules , de manière spontanée ou sur ciblage, et procéder à leur fouille avant de saisir les éventuelles marchandises illicites . Elle dispose également de scanners mobiles , qui permettent de vérifier l'intérieur des camions sans avoir à les ouvrir.

Un exemple de saisie de cannabis par la Douane

Au mois d'avril 2021, les services douaniers d'Avignon ont saisi trois tonnes de résine de cannabis conditionnée sous forme de tomates. La Douane s'était positionnée à la barrière de péage d'Arles, pour contrôler les véhicules circulant dans le sens Espagne-Italie. Un chien anti-stupéfiants avait marqué positivement le camion, qui a donc été fouillé par les services douaniers.

Source : Communiqué de presse n° 894 du 16 avril 2021 , M. Dussopt, ministre délégué chargé des comptes publics

Les chiens anti-stupéfiants, dressés à l'école des douanes de La Rochelle, se révèlent très efficaces pour repérer le cannabis et la résine de cannabis et, dans une moindre mesure, pour déceler d'autres produits stupéfiants. C'est pour cette raison qu'ils sont utilisés par les douaniers sur les voies terrestres mais également pour le contrôle des bagages aux aéroports. Lors de leur déplacement à Orly, les rapporteurs spéciaux ont pu assister à un contrôle des bagages par un maître de chien.

B. SI LA CRISE SANITAIRE NE S'EST PAS TRADUITE PAR UN TARISSEMENT DES FLUX DE STUPÉFIANTS, ELLE A CONDUIT À UNE PROGRESSION SIGNIFICATIVE DE L'UTILISATION DU FRET POSTAL ET DU FRET EXPRESS POUR LES TRAFICS

1. Une adaptation rapide des organisations criminelles à la fermeture des frontières et au contrôle des déplacements

La crise sanitaire et l'interruption des déplacements non essentiels ont eu un effet sur les saisies opérées par la Douane, avec une baisse de 13 % du volume des produits saisis - la totalité des quantités interceptées marquant un point bas depuis 2017. Les constatations ont été moins nombreuses au premier semestre 2020, alors que la plupart des liaisons aériennes étaient fermées ou réduites.

La Douane avait néanmoins anticipé les effets des confinements et surtout de la levée des mesures de restriction , par exemple sur le vecteur terrestre, avec notamment un « déstockage » du cannabis de l'Espagne vers la France. Une opération de contrôles routiers de grande ampleur avait ainsi été organisée sur un mois avec la gendarmerie et la police nationale. Elle a conduit à la saisie de 6,15 tonnes de cannabis, dont 94 % par la Douane.

Les saisies ont ensuite connu un net rebond en 2021 , avec une hausse de plus de 31 % par rapport à 2020, illustrant de fait le maintien de flux de trafics extrêmement dynamiques .

Evolution des quantités de produits stupéfiants
saisies depuis 2017

(en kilogrammes)

Source : commission des finances, d'après les informations transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

Dans le même temps, les services douaniers ont constaté un report de plus en plus fréquent des organisations criminelles vers le fret postal et express . Par exemple, selon les informations transmises par le directeur régional des douanes en Guyane, territoire particulièrement affecté par le trafic de cocaïne, les quantités saisies sur le vecteur voyageur ont nettement diminué entre 2019 et 2020, passant de 950 kilogrammes à 660 kilogrammes, mais les quantités saisies sur le fret express et postal ont plus que doublé, de 105 kilogrammes à 258 kilogrammes, soit 28 % des saisies.

Saisies de produits stupéfiants
par la Douane sur le fret express et postal

(en kilogrammes et en doses pour l'héroïne et les amphétamines)

Source : commission des finances, d'après les informations transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

À l'issue de la crise sanitaire, deux constats peuvent être faits : les vecteurs et les modes opératoires ont évolué durant la crise sanitaire, mais certaines tendances observées en 2020 perdurent depuis la fin des mesures de restriction. Le vecteur du fret express et postal demeure par exemple très dynamique .

2. Le fret postal et le fret express, nouvelle zone poreuse pour le trafic de stupéfiants ?

La crise sanitaire n'a eu pour effet que de contribuer à renforcer une tendance antérieure, favorisée par l'essor du commerce en ligne : la levée des restrictions sanitaires n'a donc pas conduit à ce que le vecteur du fret express et postal ne soit plus utilisé comme une voie de contournement.

Part des saisies réalisées
sur le fret express et postal depuis 2015

(en kilogrammes et en %)

Source : commission des finances, d'après les informations transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

Les rapporteurs spéciaux ont déjà eu l'occasion de souligner, notamment dans leurs rapports budgétaires 23 ( * ) , que la Douane n'était pas encore suffisamment équipée face aux flux massifs que représentent le fret express et le fret postal . Le commerce électronique est en effet un ressort important de fraude fiscale (fraude à la TVÀ 24 ( * ) ) et de trafics illicites, alors que la Douane ne peut raisonnablement pas contrôler les centaines de millions de colis arrivant chaque année sur le territoire métropolitain . Le commerce en ligne représentait 112 milliards d'euros d'échanges en 2020, 13,4 % du commerce de détail, avec une croissance de 10 % par an. Surtout, il est estimé qu'environ 22 % des achats en ligne se traduisent par une opération d'importation.

À Roissy comme à Orly, des effectifs sont dédiés au contrôle du fret (fret, bagages non accompagnés [BNA], fret postal et fret express). Ces services s'appuient également sur les travaux de ciblage de la brigade d'investigation locale et de ciblage (BILC). La Douane dispose par ailleurs d'un droit de communication des données dont disposent les entreprises de fret express et les prestataires de services postaux relatives à l'identification des marchandises et des objets acheminés ainsi que leurs moyens de transport.

À Orly, les principales quantités de cocaïne sont saisies dans les BNA (35,6 %) mais les constatations les plus nombreuses, pour des quantités nettement moindres, sont réalisées sur le fret postal et le fret express, préalablement au dédouanement. Le bureau de contrôle d'Orly doit gérer environ 74 tonnes de fret par an .

À Roissy, dans le cadre d'une expérimentation qui pourrait se généraliser, de nouvelles méthodes sont testées pour limiter la porosité du vecteur du fret express et postal : le centre de contrôle reçoit des renforts ponctuels des brigades de surveillance et des équipes maîtres de chien antistupéfiants.

L'activité de contrôle du fret est en effet chronophage et très consommatrice de ressources humaines . Chaque colis suspect doit être ouvert . Les produits sont ensuite testés pour en vérifier la nature et des procès-verbaux de découverte sont dressés le cas échéant. Enfin, soit la direction des opérations douanières de la DNRED décide de se saisir du dossier, soit la Douane saisit le procureur pour flagrant délit et saisie sèche.

Les personnes entendues dans le cadre du contrôle ont également souligné que le fret semblait devenir le vecteur privilégié pour le trafic de drogues de synthèse . Les laboratoires de production se situent de plus en plus sur le territoire européen, par exemple aux Pays-Bas, mais aussi en Belgique, en Allemagne ou en République tchèque : certains réseaux se rendent alors en voiture en France et utilisent le réseau postal - et notamment les hubs postaux et express d'Île-de-France, pour envoyer leurs produits partout dans l'Union européenne et à l'international . La France sert donc de voie de contournement pour l'expédition des colis de drogues de synthèse : dans certaines zones du monde, les colis en provenance des Pays-Bas sont de plus en plus surveillés, et des équipes sont donc chargées d'envoyer les colis plutôt depuis la France.

C. LE TRANSPORT DE STUPÉFIANTS PAR LE VECTEUR AÉRIEN EST PLUS SPÉCIFIQUE AUX FLUX EN PROVENANCE DES TERRITOIRES ULTRA-MARINS, QUI SONT ÉGALEMENT AFFECTÉS PAR LE TRAFIC PAR VOIE MARITIME

La Douane est de fait un acteur majeur du contrôle des voyageurs sur le vecteur aérien et, dès lors, de la lutte contre les passeurs de cocaïne en provenance de Guyane . Au sein des aéroports de Paris (Orly et Roissy), 733 agents sont affectés aux opérations commerciales et 866 à la surveillance - c'est par exemple bien plus que les effectifs présents en Nouvelle-Aquitaine, en Occitanie ou encore en Normandie. Les stupéfiants saisis dans les aéroports proviennent en grande partie de l'Outre-mer.

Les territoires ultra-marins sont en effet particulièrement affectés par le trafic de stupéfiants , en raison de leur insularité et de leur implantation dans des zones traversées par les routes du trafic international, aériennes et maritimes. Les Antilles et la Guyane sont les territoires les plus touchés par le trafic de stupéfiants. Si des saisies sont également réalisées en Polynésie, avec notamment une hausse des saisies de cannabis et d'amphétamines, ainsi qu'à Mayotte et à La Réunion, c'est dans une ampleur bien moindre que les quantités interceptées au départ ou en provenance de la zone Antilles-Guyane.

Les effectifs douaniers présents dans les territoires ultramarins représentent environ 9 % des effectifs totaux de la Douane , hors directions spécialisées.

Effectifs douaniers présents
dans les directions ultramarines en 2022

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

S'il serait inexact de ne tenir compte que des seuls effectifs de la branche « surveillance » pour approcher le nombre d'agents chargés de lutter contre les trafics de toute nature, les choix opérés dans la répartition des postes entre les deux branches donnent une première indication des enjeux pour chacune des directions régionales. À titre d'exemple, en Guyane, il y a une nette priorité donnée aux activités de la branche « surveillance » : le directeur régional des douanes a ainsi indiqué aux rapporteurs spéciaux que la quasi-totalité des effectifs de la branche « surveillance » était mobilisée sur le plan ministériel anti-mules, à l'exception des renforts alloués entre 2016 et 2020 affectés à la lutte contre l'orpaillage illégal.

1. Le transport de stupéfiants par les « mules »25 ( * )

Les données transmises par la Douane aux rapporteurs spéciaux confirment ces constats : les saisies de cannabis et de cocaïne par la direction régionale d'Orly, par la direction régionale de Roissy-Voyageurs et par la direction régionale de Guyane, pour le flux voyageurs, augmentent tendanciellement, après un reflux dû à la crise sanitaire et à l'interruption de la plupart des liaisons aériennes . La cocaïne demeure l'un des produits les plus transportés par voie aérienne et représente quasiment 100 % des saisies pour le flux voyageurs de Guyane.

Saisies des produits stupéfiants aux aéroports par
les directions régionales des douanes d'Orly, de Roissy et de Guyane

(en kilogrammes et en %)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

Le même constat peut être fait pour la mise en cause de personnes physiques : les seules direction interrégionale de Paris-Aéroports et direction régionale de Guyane pour l'aéroport de Cayenne comptent pour une large proportion des constatations et expliquent en grande partie leur dynamisme.

Part des directions régionales dans les mises en cause
de personnes physiques pour des faits liés aux produits stupéfiants

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

Depuis plusieurs années, priorité a donc été donnée, dans la zone Guyane-Antilles, à la lutte contre les passeurs de cocaïne, les « mules » . Trois modes de transport sont utilisés par ces passagers aériens : transport de drogue dans les bagages, à corps et in corpore (ingéré) . Si les décès ou accidents graves de santé sont devenus très rares pour les cas de drogues ingérées, ce mode de transport demeure pour les passeurs une prise de risque pour leur santé et, pour les agents douaniers, une source de grande inquiétude. Les suspicions de drogue ingérée ne peuvent par ailleurs pas toujours être confirmées par un test urinaire, les ovules de cocaïne étant de mieux en mieux emballées et protégées.

Les données publiées dans le cadre de la participation de la Douane au plan interministériel de lutte contre le phénomène des « mules » (mesure n° 20 du « Plan stupéfiants ») illustrent 1/ que la cocaïne est surreprésentée dans les quantités saisies et 2/ que la majorité des saisies de cocaïne opérées à Roissy comme à Orly ont lieu sur des voyageurs en provenance de Guyane .

Près de 15 % des saisies de cocaïne par la Douane en 2021 ont été réalisées par la direction d'Orly sur des voyageurs en provenance de Guyane et par la direction régionale de Guyane sur des voyageurs et sur le territoire du département, et quasiment 100 % des saisies de cocaïne réalisées par la direction régionale d'Orly sont liées à des voyageurs en provenance de Guyane. 2,9 tonnes de stupéfiants ont été saisies par la direction interrégionale Guyane-Antilles en 2021. Dans le cadre du plan interministériel, les contrôles douaniers ont donc été renforcés sur les filières, de la frontière surinamaise jusqu'à l'intérieur du territoire métropolitain, avec une focalisation sur les deux points de passage cruciaux que sont les aéroports de Cayenne et d'Orly . La DGDDI mène en parallèle une action spécifique concernant la détection des flux financiers illicites issus de la vente de cocaïne en métropole, en retour vers la Guyane ou le Suriname.

À Orly, les équipes de la Douane mènent des contrôles renforcés sur les vols en provenance de Cayenne et sur certains vols de contournement potentiels, notamment en provenance de Guadeloupe, de Martinique, de Saint-Martin, de Saint-Domingue ou du Brésil . En complément, les 16 agents de la brigade d'investigation locale et de ciblage (BILC) peuvent indiquer aux brigades de surveillance extérieure quels sont les passages ou les bagages qui devraient être plus particulièrement contrôlés.

Les rapporteurs spéciaux ont pu assister à Orly au contrôle renforcé d'un vol en provenance de Cayenne. L'ensemble des bagages est contrôlé par la Douane à l'arrivée, avec un maître de chien par exemple. La Douane surveille en amont l'acheminement des bagages depuis l'avion, pour s'assurer qu'aucun d'eux n'est récupéré avant qu'il n'ait pu passer au contrôle. Dans le hall de récupération des bagages, les passagers en provenance de Cayenne sont isolés, afin de pouvoir être mieux observés - les douaniers peuvent ainsi plus facilement repérer des comportements suspects et cibler les passagers à contrôler, en passant leurs bagages au scanner et en les ouvrant le cas échéant.

Dans le cadre de contrôles renforcés inter-unités, la Douane contrôle non seulement les bagages et les passagers, mais également les membres de l'équipage et les équipes de ménage, et l'ensemble de l'avion, de la soute aux cabines.

2. Le troc « résine de cannabis contre cocaïne »

Une autre spécificité du trafic de stupéfiants dans la zone Antilles-Guyane tient aux échanges de produits entre les organisations criminelles européennes et sud-américaines : résine de cannabis contre cocaïne. Ce troc date de plusieurs années : déjà, en 2015, la direction régionale de la douane en Guadeloupe avait attiré l'attention sur cette tendance et décidé de renforcer son positionnement sur ce vecteur, en plus de l'aérien et du fret postal et express.

C'est pour lutter contre ce troc et contre l'utilisation des Antilles comme zone de rebond pour les trafics que les moyens aéromaritimes de la Douane sont particulièrement mobilisés dans la région des Antilles . La voie des Antilles est en effet utilisée comme une voie de « contournement » des vecteurs de transport plus traditionnels des produits stupéfiants.

Par exemple, dans les eaux proches de la Guadeloupe et de la Martinique, des petits bateaux en provenance des côtes d'Amérique du Sud alimentent en cours de route les bateaux et cargos à destination de l'Union européenne. Les douaniers en Guadeloupe sont également attentifs au transbordement dans les ports, une pratique fréquente qui consiste à transférer la marchandise - licite ou illicite - de bateau à bateau, sans qu'elle ne soit déchargée à quai et stockée.

DEUXIÈME PARTIE

RÉORGANISER, INVESTIR ET COOPÉRER :
TROIS AXES POUR MODERNISER L'ACTION DE LA DOUANE FACE AU TRAFIC DE STUPÉFIANTS

Au regard du dynamisme du trafic de stupéfiants , les rapporteurs spéciaux ne peuvent que partager le constat du président de la République, qui a estimé que ce trafic alimentait « la plus importante des sources d'insécurité » et formait « la matrice économique de la violence dans notre pays ». Il a qualifié la lutte contre ce trafic de « mère des batailles » 26 ( * ) . Pour autant, s'il a bien souligné la mise en place des amendes forfaitaires pour les consommateurs, les opérations contre les « points de deal » ou encore la création de l'Office antistupéfiants, nul mention de la Douane. Elle joue pourtant, comme cela a été démontré, un rôle fondamental .

Ce rôle est d'autant plus essentiel que la menace augmente . Europol l'a relevé : l'usage de la violence est de plus en plus fréquent, que ce soit sous la forme d'incidents violents, d'assassinats, de fusillades, d'usages d'explosifs, d'enlèvements, de faits de torture et d'intimidations 27 ( * ) . La France commence sans doute tout juste à prendre la mesure de l'ampleur de la menace , avec une crainte partagée : que la France n'en vienne à connaître la situation de la Belgique et des Pays-Bas avant que les autorités de ces pays ne décident de durcir leurs mesures de lutte contre le trafic de stupéfiants.

Pour éviter que les services impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, et en particulier les douaniers, ne cèdent à une certaine lassitude, il est important qu'ils disposent des moyens nécessaires à l'exercice de leur mission et que l'organisation, notamment avec les autres services de l'État, soit optimisée . Il ne faut pas laisser à la Douane l'impression, pour citer une personne auditionnée, de « vider la mer à la petite cuillère ».

I. RÉORGANISER, ACQUÉRIR ET VALORISER : TROIS IMPÉRATIFS POUR PERMETTRE À LA DOUANE D'ACCROÎTRE SON EFFICACITÉ DANS LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS

Le transfert du recouvrement et de la gestion de la plupart des impôts indirects de la DGDDI à la DGFiP a conduit la Douane à mener une revue stratégique de ses missions. Un constat en est ressorti, celui de la nécessité pour la DGDDI de se recentrer sur les missions qui sont au coeur de ses métiers, dont fait partie la lutte contre les trafics de toute nature.

C'est dans le cadre de cette réorganisation stratégique, autour de la Douane comme « administration de la frontière et de la marchandise » , que les rapporteurs spéciaux souhaitent inscrire leurs propositions. Les effectifs et les moyens, sans être augmentés, doivent être redirigés vers cette mission , les recommandations s'inscrivant, pour les trajectoires en effectifs et en crédits, dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens de la Douane pour la période 2022-2025 .

Le rôle de la Douane en matière de lutte contre les stupéfiants demeure encore trop peu connu et apprécié. Au regard des éléments précédemment exposés, il est pourtant crucial et les moyens doivent être à la hauteur de cette mission et des résultats obtenus par les services douaniers.

A. IDENTIFIER ET RÉORGANISER LES EFFECTIFS DE LA DOUANE AU SERVICE DE LA LUTTE CONTRE LES TRAFICS DE TOUTE NATURE

1. Réallouer des effectifs dans un cadre contraint

Le contrat d'objectifs et de moyens de la Douane pour la période 2022-2025 prévoit une stabilisation des effectifs de la DGDDI , avec un schéma d'emploi positif en 2022 (+ 33 équivalents temps plein [ETP]) puis négatif de 2023 à 2025 (- 11 ETP par an), à périmètre constant.

Or, comme indiqué précédemment, il est difficile d'évaluer le nombre d'agents de la DGDDI qui concourt, à titre principal ou secondaire, à la lutte contre les trafics illicites . Il n'existe pas de classification par « métier » ou par « fonction » des agents de la Douane, mais simplement par branche (surveillance et opérations commerciales), ce qui reste très générique. C'est un aspect sur lequel il serait opportun de pouvoir disposer de davantage de données , afin d'avoir une idée plus précise des effectifs que la Douane consacre à ses grandes missions.

Au-delà du nombre d'ETP, il est primordial de raisonner sur l'agrégat de la masse salariale , qui permet de tenir compte de la rémunération des agents.

La stabilisation des emplois de la DGDDI s'opère à périmètre constant de missions, une fois retirés les ETP précédemment affectés à des missions fiscales. Le transfert de la gestion de la plupart des impôts indirects à la DGFiP occasionne en effet des transferts d'emplois, ainsi que la mise en oeuvre d'un plan d'accompagnement pour le départ des agents concernés .

Il existe toutefois d' importantes incertitudes concernant les effets de ce transfert sur la masse salariale . Tout d'abord, et en dépit de leurs demandes répétées, y compris lors de l'examen des projets de loi de finances, les rapporteurs spéciaux n'ont jamais pu avoir la confirmation exacte du nombre d'ETP qui seraient supprimés ou transférés du fait du transfert à la DGFiP de la plupart des missions fiscales de la Douane. Il est donc probable qu'au terme des transferts, dont les derniers auront lieu au 1 er janvier 2024, il existe des réserves sur les emplois , qui permettront de recruter davantage de personnes dans la branche « surveillance » ou dans les services en charge du fret express et postal .

Ensuite, l'accompagnement des départs des agents auparavant chargés de la gestion des taxes et amendes déjà transférées à la DGFiP suppose la mise en oeuvre d'un dispositif indemnitaire qualifié « d'important » par la direction générale . Les rapporteurs spéciaux avaient à plusieurs reprises alerté sur les coûts que pouvait induire le transfert du recouvrement, en défendant l'idée qu'il fallait dans la mesure du possible privilégier une réallocation des emplois . De même, la DGDDI s'est engagée, dans le cadre de son contrat d'objectifs et de moyens à réaliser une étude d'ici la fin de l'année 2023 sur le dimensionnement de son réseau comptable spécifique à l'issue des transferts de missions fiscales. Ce bilan permettra sans doute d'identifier des réserves d'emploi , pour réduire les postes en surnombre et recruter de nouveaux personnels sur les missions prioritaires.

Les rapporteurs spéciaux estiment qu'il y a également des réserves d'économie en matière de gestion des ressources humaines, et notamment au regard des régimes indemnitaires dérogatoires qui ont longtemps prospéré au sein de la Douane .

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021 et de l'examen de la mission « Gestion des finances publiques » 28 ( * ) , les rapporteurs spéciaux avaient consacré un développement spécifique à ce sujet, à la suite de la publication d'un rapport de la Cour des comptes très sévère à l'encontre de la gestion des ressources humaines au sein de la Douane. Si la directrice générale de la douane et des droits indirects leur avait confié qu'une simplification était en cours, elle avait également admis que le régime de traitement de la DGDDI se caractérisait par sa « stratification indemnitaire ».

Les critiques de la Cour des comptes sur la gestion
des ressources humaines à la DGDDI

Parmi les critiques de la Cour des comptes, les rapporteurs spéciaux relèvent :

- la multiplication des régimes statutaires dérogatoires avantageux et parfois injustifiés, qu'il s'agisse d'une durée de temps de travail inférieure à la durée annuelle règlementaire (1 563 heures contre 1 607 heures) ou l'octroi de primes de pénibilité à l'ensemble d'un service, sans tenir compte de l'exercice réel de leurs fonctions ;

- l'existence d'un régime indemnitaire complexe, foisonnant et parfois obsolète. Il est possible de relever ici l'indemnité de garde des chapiteaux d'alambics (versée à seulement quelques agents) ou l'indemnité de langue étrangère ;

- l'existence de régimes indemnitaires très diversifiés selon les branches ;

- des dysfonctionnements persistants dans la politique du logement, « la Masse des Douanes » : les taux de vacance et de loyers impayés sont élevés, les logements parfois vétustes. Cette politique de logement n'est pas non plus mise à contribution pour favoriser les mobilités ;

- une gestion prévisionnelle des compétences à construire, pour à la fois avoir une véritable adéquation entre les besoins et les affectations, mais également mieux gérer le temps de travail des agents. Dans la branche « surveillance en mer », du fait des sous-effectifs et de la mobilisation sur de longues heures, certains agents ont accumulés un nombre considérable de jours d'avance (450 jours pour l'un des commandants de bord) ;

- les freins à la mobilité des agents du fait de la multiplication de ces régimes dérogatoires.

Source : Cour des Comptes, « La direction générale des douanes et des droits indirects. Exercices 2013-2019. Un recentrage nécessaire » (septembre 2020)

Simplifier les régimes statutaires et indemnitaires pourrait permettre de réduire la masse salariale et de réutiliser les économies ainsi induites pour financer les nouveaux emplois, en particulier dans les brigades de surveillance extérieure (ports, aéroports) ainsi qu'au sein de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières et des services en charge du fret express et postal.

Enfin, il est probable que la dématérialisation croissante des procédures de dédouanement se traduise par des gains de productivité pour certaines opérations commerciales. Auquel cas, à schéma d'emploi constant, de nouveaux emplois pourraient être réalloués vers la lutte contre les trafics de produits illicites.

Recommandation n° 1 (DGDDI, direction du budget, Parlement) : pour permettre à la Douane de réallouer des postes à la lutte contre les trafics illicites, d'acquérir des équipements plus performants et de poursuivre la modernisation de ses systèmes d'information, définir un programme d'économies qui porterait d'une part sur la masse salariale de la Douane (dématérialisation des procédures douanières, révision des régimes indemnitaires, dimensionnement de son réseau comptable) et d'autre part sur la rationalisation de ses emprises immobilières et de sa politique de logement.

2. Comment mieux mesurer l'efficacité de la Douane dans la lutte contre le trafic de stupéfiants ?

Le problème auquel se heurtent les rapporteurs spéciaux dans l'identification des effectifs de la Douane impliqués dans la lutte contre les trafics illicites se retrouve également dans la mesure de l'efficacité des services douaniers. Les données ne sont pas disponibles, principalement pour des raisons méthodologiques.

Il a été demandé à l'ensemble des personnes entendues et rencontrées en déplacement leur interprétation des résultats en hausse de la Douane sur les saisies de produits stupéfiants, avec une question fondamentale : l'augmentation des saisies traduit-elle les progrès de la Douane en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants ou l'augmentation des flux de ces produits ? Les deux ont-elles répondu, avec en revanche une réelle inquiétude sur l'ampleur de la menace à laquelle la France doit répondre, l'une des personnes auditionnées parlant même d'un « véritable tsunami ».

La même question se posera si la Douane réorganise ses effectifs et acquiert de nouveaux matériels pour renforcer son rôle en première ligne dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Il est par définition impossible de rapprocher les résultats de la Douane du volume total du trafic : les flux étant illicites, ils ne peuvent qu'être approchés et non précisément mesurés .

Cette difficulté se pose avec d'autant plus d'acuité que, comme cela a été expliqué, il n'existe pas d'estimation précise de la part des effectifs et des crédits budgétaires affectés, à titre exclusif ou à titre principal, à la lutte contre les trafics de marchandises illicites .

Afin de répondre, ne serait-ce que partiellement, à cette problématique, et pour reprendre une recommandation de la Cour des comptes, la Douane pourrait procéder à des analyses d'efficience par type de marchandise, par type de trafic ou peut-être plus facilement par vecteur . Il s'agirait pour la DGDDI de davantage mettre en regard les résultats de son action avec les coûts de toute nature encourus pour les obtenir .

En réponse aux interrogations des rapporteurs spéciaux, la DGDDI a indiqué travailler à renforcer une approche par efficience, en croisant les données issues de ses divers systèmes d'information.

Recommandation n° 11 (DGDDI) : afin de disposer d'une évaluation plus qualitative des résultats de la Douane en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et de pouvoir les rapprocher des coûts de toute nature encourus pour les atteindre, procéder régulièrement à des analyses d'efficience par type de vecteur, voire par type de trafic et par type de marchandise.

B. ACQUÉRIR DE NOUVEAUX MATÉRIELS ET DE NOUVELLES TECHNOLOGIES, UNE PRIORITÉ POUR LA DOUANE

La Douane doit assurer sa mission de lutte contre le trafic de stupéfiants dans un environnement contraint , avec la double difficulté de perfectionner sans cesse les équipements techniques à sa disposition et de s'adapter aux méthodes toujours plus ingénieuses (et parfois violentes) des trafiquants.

Or les procédures utilisées par la Douane demeurent encore très artisanales et reposent beaucoup sur les compétences et l'expérience acquises par les douaniers dans la lecture des images tirées des scanners par exemple. Au final, encore plus que sur les effectifs, l'effort doit porter sur l'acquisition d'équipements de pointe, qui doivent permettre à la Douane d'accroître son efficacité dans la lutte contre le trafic de produits stupéfiants à effectif quasi constant .

1. Dans les ports, scanners et sécurisation

L'action sur les ports et sur le trafic maritime est essentielle, en particulier pour assécher les flux de cocaïne. Le dispositif douanier doit être adapté à l'ampleur du trafic, avec le redéploiement d'effectifs vers les zones portuaires, et notamment pour des actions de surveillance. L'action de la douane gêne et fonctionne : il faut désormais faire en sorte qu'il soit trop onéreux pour les organisations criminelles de faire passer leurs marchandises par les ports français .

a) Le déploiement de scanners fixes et mobiles

Lors de leur déplacement au port du Havre, les rapporteurs spéciaux ont pu observer le fonctionnement du premier scanner fixe déployé en France et opérationnel depuis le mois de septembre 2021. S'il présente l'inconvénient d'être localisé à l'extérieur du port, l'emplacement choisi pour ce scanner fixe permet aussi, sans bloquer les sorties du port, de pouvoir scanner un nombre important de conteneurs par jour - entre 30 et 40 actuellement, avec un potentiel de 20 camions par heure.

Pour l'installation de leurs scanners, les Douanes travaillent avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui exerce la plus grande vigilance sur la puissance des rayons X utilisés et sur l'absence de dommages causés par les rayons sur les marchandises. La procédure est très encadrée : le conducteur du camion doit sortir lors du scanner et le dispositif est placé sous vidéo-surveillance. Ainsi, et alors qu'il est arrivé que le scanner dévoile la présence de personnes à bord des conteneurs, chargées de surveiller et d'accompagner les produits stupéfiants jusqu'à leur lieu de livraison finale, la dose de rayons X émise lors d'un seul passage du scanner n'est pas nocive pour la santé.

Le dispositif de scanner fixe, inédit en France, est apprécié des services douaniers de la direction régionale du Havre . Il peut également être mis à disposition de la gendarmerie. Au regard des résultats constatés au Havre, et des vulnérabilités de plus en plus fortes au port de Marseille, il serait opportun d'acquérir au minimum un nouveau scanner fixe , dont le coût s'élève à environ 1,7 million d'euros.

La Douane dispose en complément de camions scanners mobiles , qui peuvent être déployés tant dans les ports que sur les vecteurs terrestres. Les trois camions acquis en 2007 et en 2008 ont été renouvelés au début de l'année 2021 et déployés à compter du mois de mai 2021, pour un coût unitaire par appareil de 340 000 euros pour la location des nouveaux systèmes. Ils sont pour l'instant au seul nombre de trois, ce qui apparaît insuffisant pour quadriller le territoire français .

Sept petits scanners mobiles sont en cours d'acquisition pour 2023, dans le cadre plus spécifiquement du contrôle dans les ports, pour la France métropolitaine et les territoires ultra-marins. Ces investissements doivent être poursuivis : même avec ces acquisitions, le parc apparaît toujours sous-dimensionné par rapport aux territoires et aux vecteurs à couvrir .

b) La sécurisation des ports, une logique à poursuivre

La sécurisation des infrastructures est essentielle pour la Douane : alors que les voies d'entrée maritimes se déportent de plus en plus vers les ports secondaires, il est impératif que les ports français ne deviennent pas aussi vulnérables que ceux d'Anvers et de Rotterdam, qui ont désormais entamé leur rattrapage en matière de sécurité. Les ports demeurent des zones poreuses et les trafiquants se servent de ces failles ainsi que de complicités en interne , y compris par le biais de la corruption et de l'intimidation.

La biométrie pour les badges et l'identification obligatoire des personnels commencent à peine à se diffuser au sein des ports, où la culture de la sûreté est bien plus faible que dans l'aéroportuaire . Dans les aéroports par exemple, la vidéosurveillance permet aux services douaniers de pouvoir repérer d'éventuels comportements suspects autour des avions.

Les services de la Douane conduisent ainsi des réunions régulières avec les opérateurs portuaires pour mieux diffuser cette culture, avec parfois le risque d'être accusé de vouloir freiner les opérations marchandes. L'une des stratégies des brigades de surveillance extérieure des navires, par exemple au Havre, est d'assurer une présence quotidienne sur le port, dans un objectif de sécurisation du port et pour encourager les dockers et les manutentionnaires à recourir à la douane en cas de difficulté.

Les solutions avancées pour sécuriser les ports, et notamment les zones d'exploitation et de débarquement des conteneurs, se heurtent en effet parfois à la résistance des dockers , par exemple pour ce qui concerne la vidéo-surveillance ou la surveillance par drone. De même, certains équipements de contrôle ont pu être abimés par des personnes travaillant sur les plateformes portuaires. La Cour des comptes avait également relevé les difficultés rencontrées par la Douane pour pénétrer dans toutes les installations et accéder à toutes les marchandises sur les plateformes aéroportuaires 29 ( * ) . Elle citait l'exemple du port de Marseille, où la collaboration des dockers n'était pas toujours assurée puisqu'ils pouvaient refuser de déplacer des conteneurs ou rendre plus difficile l'intervention des services douaniers.

Or, et alors que ces phénomènes persistent aujourd'hui, il faut bien souligner qu'il s'agit avant tout d'un enjeu de sécurité pour les dockers eux-mêmes et pour l'ensemble des prestataires : l'augmentation du trafic de stupéfiants se traduit par une hausse de la criminalité connexe, dont les premières victimes sont les personnes travaillant sur les ports.

Une enquête très récente de journalistes du Monde 30 ( * ) sur le port d'Anvers a mis en lumière les phénomènes de corruption au sein des services portuaires, avec des « prestations », tel que le déplacement d'un conteneur, rémunérées des milliers d'euros. En dépit du renforcement des contrôles sur le port d'Anvers, ces phénomènes persistent, renforcés par le fait que « chacun se connait » sur le port. Des faits similaires commencent à affleurer dans les ports français.

La directrice de l'Ofast a ainsi expliqué qu' il ne suffit plus, pour apprécier les résultats de la lutte contre le trafic de stupéfiants, de se satisfaire du montant des saisies . Il convient également de s'intéresser aux phénomènes de corruption privée, aux menaces qui pèsent sur les dockers et au développement de la criminalité connexe .

2. Dans les aéroports, scanners et unités médicalisées
a) Des scanners bagages et passagers

Dans les aéroports, et en priorité aux aéroports de Cayenne, d'Orly et de Roissy, il est primordial d' investir dans de nouveaux scanners .

(1) Pour les passagers

Deux scanners à ondes millimétriques ont été acquis pour l'aéroport de Cayenne mais il a fallu attendre de nombreux mois avant qu'ils puissent être utilisés pour la recherche de stupéfiants et plus seulement pour la sûreté aéroportuaire 31 ( * ) . Alors que la lutte contre les passeurs de cocaïne est un enjeu premier pour lutter contre le trafic de stupéfiants, il n'est pas satisfaisant que l'autorisation de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) soit intervenue aussi tard pour l'utilisation de ces scanners .

Le passage systématique des voyageurs sous ce scanner entraînait un retard d'environ une heure au départ des vols, en période de reprise du trafic aérien. Comme l'a souligné la DGDDI aux rapporteurs spéciaux, si l'effet dissuasif a été salué localement, la possibilité de maintenir un tel niveau de contrôles lors de la reprise à plein du trafic aérien semblait fortement compromise. L'alternative serait, et les rapporteurs spéciaux la soutiennent, d'investir, pour l'aéroport de Cayenne, dans un autre body scanner .

(2) Pour les bagages

La demande de plusieurs directions régionales de disposer de davantage de scanners de bagages doit être soutenue : il s'agit non seulement de contrôler les bagages à l'arrivée des vols, mais également au départ, en complément de l'action que peuvent par exemple mener les maîtres de chien.

L'aéroport de Cayenne vient juste de recevoir un tel scanner, conformément à ce qui était prévu dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens de la Douane pour la période 2022-2025. À cet égard, les rapporteurs spéciaux tiennent à attirer l'attention sur les annonces du Gouvernement du 1 er octobre 2022 concernant les renforts de sécurité et de matériels en Guyane face au trafic de stupéfiants : les effectifs et les nouveaux équipements annoncés (scanners) ne relèvent pas d'un effort supplémentaire du ministère mais s'inscrivent dans la lignée des efforts déjà prévus pour la Douane dans le cadre de son contrat d'objectifs et de moyens .

Il n'en demeure pas moins que l'ajout de scanners bagages dans les aéroports est un impératif.

b) Une unité médicale pour les cas de drogue ingérée

Dès qu'il y a suspicion de drogue ingérée ( in corpore ), les douaniers doivent conduire la personne interceptée dans une unité médico-légale , afin qu'elle soit placée sous surveillance médicale et qu'elle passe, sous réserve de son accord, une échographie.

Or, l'aéroport d'Orly, principale destination pour les « mules », en particulier depuis la Guyane, ne dispose pas d'une telle unité. Les douaniers doivent donc conduire les individus interceptés à l'Hôtel-Dieu , au centre de Paris. Il en résulte une importante perte de temps, d'autant que ce sont au minimum trois à quatre douaniers qui sont réquisitionnés pour chaque transport . De même, au départ, à Cayenne, les effectifs sont rapidement débordés et l'hôpital saturé en cas d'interception de plusieurs personnes transportant de la drogue in corpore .

Il y a désormais un consensus pour qu'il soit remédié à ce point extrêmement bloquant dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, qui conduit à une embolie de la chaîne douanière .

Deux solutions sont défendues par les rapporteurs spéciaux :

- l'installation d'une unité médicale ou de lits médicalisés à proximité voire dans les aéroports de Cayenne et d'Orly , pilotée par une équipe médicale, avec des échographes. Les médecins pourraient être soit recrutés directement par la Douane, soit détachés depuis le ministère de la santé. Dans le cadre du renforcement des moyens de la Douane pour ses dépenses d'équipements, il doit être tenu compte, dans la mise en place d'une telle unité, du coût de l'utilisation d'un échographe et de la prestation médicale associée ;

- à court terme et en complément, un accord avec le ministère de la Santé pour définir un établissement de référence plus proche pour les passeurs de cocaïne interceptés à Orly .

Recommandation n° 8 (DGDDI, ministère de la santé) : installer à proximité voire à l'intérieur des aéroports d'Orly et de Cayenne, puis de Roissy à terme, des unités médicalisées disposant d'échographes, afin de pouvoir traiter plus rapidement les personnes transportant de la drogue ingérée. À court terme, rouvrir les discussions avec le ministère de la santé pour qu'un établissement plus proche de ces aéroports puisse accueillir les personnes interceptées avec de la drogue in corpore .

3. Sur le fret express et postal, scanners 3D et banque de données

Comme indiqué précédemment, le fret express et postal devient un vecteur de contournement de plus en plus important pour le trafic de produits stupéfiants . La lutte contre le trafic par ce vecteur est d'ailleurs l'objet de la mesure n° 13 du plan national de lutte contre les stupéfiants, mesure dont le pilotage a été confié à la DGDDI.

Pour leur recommandation, les rapporteurs spéciaux s'appuient sur les constats tirés de leur déplacement à Orly (contrôle des bagages non accompagnés et du fret) et de ce qu'ils ont pu dire précédemment sur l'enjeu d'un meilleur ciblage des contrôles sur le fret postal et express, notamment dans le cadre de leurs rapports budgétaires sur la mission « Gestion des finances publiques », centrés sur la lutte contre la fraude fiscale.

Ainsi, et alors que des centaines de millions de colis et de bagages non accompagnés arrivent chaque année en France, il est bien sûr inenvisageable d'opérer un contrôle à 100 % , qui supposerait des milliers d'effectifs supplémentaires. Il faut en effet, dès qu'il y a un doute, que le colis soit ouvert par un agent de la Douane, contrôlé et ensuite refermé si aucun produit illicite n'a été détecté.

Il est en revanche souhaitable que la Douane se dote d'appareils rayons X plus performants, ainsi que de scanners 3D, qui permettraient aux agents en charge du contrôle d'améliorer le ratio de contrôles positifs sur les colis ouverts . La Douane souhaite ainsi s'équiper de scanners industriels à haute capacité , des outils de détection non intrusifs plus performants que les scanners déployés aujourd'hui dans les centres de contrôle du fret. Ces appareils pourraient scanner jusqu'à 2 500 colis par heure.

Un autre axe d'amélioration consiste en une efficacité toujours plus forte du ciblage des colis suspects , ce qui suppose une exploitation encore plus performante de la donnée , à partir de banques d'images de colis « positifs » (cf. infra ).

4. Valoriser la donnée, un axe de progression identifié depuis plusieurs années par la Douane

« Investir le monde des données », pour reprendre l'intitulé de l'axe 17 du contrat d'objectifs et de moyens, est une priorité pour la Douane.

a) La mise en place d'un service national de risque et de ciblage dès 2016

Un arrêté du 29 février 2016 32 ( * ) a entériné la création d'un nouveau service à compétence nationale au sein de la DGDDI : le service national d'analyse de risque et de ciblage (SARC). La création de ce service visait à centraliser au niveau national les compétences d'analyse de risque et à y adjoindre une fonction d'analyse fondée sur les sciences de la donnée .

Le SARC est structuré autour de trois groupes opérationnels : « avant dédouanement et prohibitions », « dédouanement » et « fiscalité ». La cellule de datascientists du SARC est chargée de valoriser les données douanières, le SARC orientant ensuite l'action des services à partir des analyses de risque qu'il produit. Une fois validées et identifiées, les cibles opérationnelles sont transmises aux services territoires ou aux directions spécialisées, pour effectuer selon les situations des contrôles ou des enquêtes.

Le ciblage en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants relève du pôle « avant dédouanement et prohibitions » , avec une notable montée en puissance : à l'origine de 397 contentieux au total pour le pôle en 2019, le nombre de ciblages positifs s'élevait à 797 au 31 juillet 2021.

L'une des problématiques soulignées par les personnes auditionnées, et qui n'est pas propre à la Douane et au SARC, concerne les difficultés rencontrées par l'administration dans le recrutement des informaticiens et des datascientists . Il y a en effet un déficit de ces compétences spécialisées alors même que le service public peut sembler moins attractif que le secteur privé pour ces profils rares.

Dans le cadre de leurs rapports budgétaires, les rapporteurs spéciaux ont déjà eu l'occasion de souligner et de soutenir les mesures prises par le secrétariat général du ministère de l'économie et des finances pour faciliter ces recrutements : accélération des processus de recrutement, perspective de carrières décloisonnées, meilleure communication auprès des établissements de l'enseignement supérieur, grille de traitement dérogatoire du droit commun, etc. 33 ( * ) .

Recommandation n° 12 (secrétariat général du ministère de l'économie et des finances) : publier, dans le cadre des documents budgétaires relatifs à la mission « Gestion des finances publiques », un bilan des actions menées par les administrations du ministère de l'économie et des finances pour renforcer leur attractivité auprès des informaticiens et des experts de la donnée ( datascientists).

b) Exploiter la donnée pour mieux cibler les contrôles

Il y a certes toute une étape de la chaîne de contrôle qui ne peut pas être automatisée et qui s'avère chronophage : ouverture des colis suspects, contrôle, fermeture des colis licites.

En revanche, et face au volume des colis et des bagages non accompagnés, il est tout à fait possible et souhaitable de mieux cibler les transports douteux, pour un déploiement plus efficace des effectifs disponibles . L'entrée en vigueur du paquet « TVA e-commerce » le 1 er juillet 2021, qui a supprimé la franchise de TVA pour les envois auparavant dits de « valeur négligeable », devrait conduire au dépôt de 300 à 400 millions de déclarations par les opérateurs de fret express et postal, contre 20 millions auparavant . Pour la Douane, c'est à la fois un immense chantier qui s'ouvre en matière de contrôle mais aussi une opportunité pour accroître son efficacité dans l'exercice de ses missions de contrôle fiscal et de surveillance des flux de marchandises .

Ainsi, tant sur le volet de la lutte contre la fraude fiscale que sur celui de la lutte contre les marchandises dangereuses, la Douane a pour objectif de bâtir et d'investir ce qu'elle nomme la « nouvelle frontière numérique », avec un système d'information dédié qui doit à terme pouvoir analyser l'ensemble des données relatives aux colis importés . L'analyse de ces données, et l'enrichissement du système d'information au fur et à mesure des détections et des contrôles, doit permettre d'améliorer le ciblage des colis frauduleux ou dangereux.

L'un des objectifs est de construire une banque d'images à partir des photographies de tous les colis positifs et de leurs caractéristiques , pour ensuite pouvoir repérer plus facilement les colis similaires et donc potentiellement douteux. Pour que l'installation puisse repérer un produit suspect, en s'appuyant sur l'analyse des images précédemment transmises, il faut en moyenne entre 200 et 2 000 images par produit. Le but à moyen terme est de constituer une base nationale, consultable par tous, pour reconnaître certaines marchandises illicites.

Pour ce faire, la Douane demande à pouvoir disposer d'un accès automatique à certains documents, tels que les documents de chargement, les manifestes ou encore les plans de déchargement . L'identification des blocages qui persistent en la matière pourrait éventuellement être confiée à l'administrateur de la donnée en douane, chargé entre autres de concevoir une stratégie des données et de rationaliser le traitement des questions juridiques.

Recommandation n° 2 (DGDDI, Parlement) : identifier les blocages pouvant entraver l'accès de la Douane à certains documents et informations relatifs au chargement. Proposer, d'ici au projet de loi de finances pour 2024, les évolutions, législatives ou règlementaires, qui pourraient être apportées pour lever ces blocages.

Par ailleurs, le système de banques de données et d'images, que des pays comme l'Espagne ont pu commencer à développer, sera d'autant plus performant qu'il pourrait, à terme, être connecté à un « lac de données », exploitable par les services douaniers de l'ensemble des États membres . Cette recommandation est soutenue par le « groupe de sages » qui conseille la Commission européenne dans le domaine douanier.

Dans un rapport 34 ( * ) visant à « Faire passer l'union douanière de l'Union européenne à l'étape supérieure », le groupe recommande d'adopter une nouvelle approche de la donnée, d'améliorer sa qualité en croisant les données de source commerciale, de mieux la partager entre les administrations et de mieux l'utiliser pour les analyses de risque en Union européenne . L'ensemble des données ainsi recueillies serait stocké dans une base centrale, protégée. Ce point d'entrée unique pourrait même inciter les opérateurs à davantage partager leurs informations puisqu'ils disposeraient en retour d'un portail unique pour consulter l'ensemble de leurs propres données.

Au-delà de cette approche, surtout défendue dans un objectif commercial et de facilitation des échanges, le groupe propose également de définir un véritable cadre de coopération entre les douanes, les autorités de supervision des marchés, les services de maintien de l'ordre et les administrations fiscales. Ce cadre couvrirait les échanges d'information , toujours dans l'optique de mieux protéger les intérêts de l'Union européenne et de mieux gérer les risques auxquels elle se trouve confrontée.

Recommandation n° 3 (DGDDI, Union européenne) : développer au niveau européen une base de données commune, exploitable à terme par les services douaniers de l'ensemble des États membres.

C. UN FINANCEMENT DES ÉQUIPEMENTS DE LA DOUANE À BUDGET GLOBAL CONSTANT, DANS LE CADRE DE SON CONTRAT D'OBJECTIFS ET DE MOYENS POUR LA PÉRIODE 2022-2025

1. 148 millions d'euros supplémentaires pour les équipements de la Douane, un effort qui soulève plusieurs interrogations

Dans un contexte de dépense publique contrainte, et conscients des efforts que doivent conduire chaque ministère et administration en ce sens, les rapporteurs spéciaux ne proposent pas une augmentation nette des crédits de la Douane , et veulent se placer dans la trajectoire globale qui a été définie dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens de la Douane pour la période 2022-2025.

148 millions d'euros supplémentaires seraient alloués à la DGDDI sur la période pour des dépenses de fonctionnement et d'investissement qui seraient a priori exclusivement dédiées à l'acquisition de nouveaux matériels et équipements, même si la répartition n'est pour l'instant connue que pour environ 97 millions d'euros .

Répartition des crédits supplémentaires alloués
à la Douane pour ses dépenses de fonctionnement
et d'investissement sur la période 2022-2025

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après le contrat d'objectifs et de moyens de la Douane pour la période 2022-2025

Sur les 148 millions d'euros, 68,7 millions d'euros seraient labellisés en dépenses de fonctionnement et 79,3 millions d'euros en dépenses d'investissement . Les dépenses de fonctionnement supplémentaires ne devraient être allouées qu'à l'acquisition de matériels de contrôle et de surveillance, et non aux dépenses quotidiennes des directions. Il est par ailleurs possible que le montant des dépenses d'investissement s'avère au final légèrement surestimé : il est constaté chaque année, dans le cadre de l'examen de la loi de règlement et d'approbation des comptes, que les dépenses d'investissement sont souvent sous-exécutées au profit des dépenses de fonctionnement. Cet écart tient généralement à la difficulté de labelliser les dépenses informatiques mais aussi à l'importance des dépenses d'entretien au regard des équipements de la Douane (moyens aéromaritimes, scanners) et aux choix de gestion des services. Une location d'hélicoptère comptera comme une dépense de fonctionnement, une acquisition comme de l'investissement.

Plusieurs des postes de dépenses prévus pour ces 148 millions d'euros supplémentaires sont positifs , que ce soit l'acquisition de scanners et de moyens aéromaritimes ou encore le soutien apporté à la modernisation des systèmes d'information de la Douane. Les rapporteurs spéciaux alertent en effet depuis plusieurs années sur la « dette technologique » de la DGDDI et sur la nécessité, pour accroître les gains de productivité et pour faciliter le travail de la Douane, de moderniser les systèmes d'information et de les rendre plus robustes.

Les 20,3 millions d'euros supplémentaires alloués à la modernisation des outils informatiques et numériques s'inscrivent d'ailleurs dans un contexte de forte hausse, depuis quelques années, du budget informatique de la Douane (+ 30 % en crédits de paiement prévu en 2022 par rapport à 2021). La trajectoire haussière est donc déjà engagée par la DGDDI et les 20,3 millions d'euros supplémentaires ne peuvent être qu'un minimum.

Par ailleurs, outre le fait que les rapporteurs spéciaux s'interrogent sur l'allocation des 51 millions d'euros restants , qu'ils estiment devoir être principalement alloués à l'acquisition de scanners et au projet de valorisation de la donnée, ils doutent également de la sincérité de « l'effort supplémentaire » vanté par la Douane et par la direction du budget .

En effet, il était déjà prévu que deux nouveaux scanners à rayons X soient installés en 2023 au centre de tri postal de Wissous et au centre de tri de Roissy. De même, les acquisitions promises pour les hélicoptères et les vedettes sont prévues depuis plusieurs années, au regard du vieillissement du parc et du besoin opérationnel de renouveler les moyens aéromaritimes de la DGDDI. Ce ne sont d'ailleurs pas seulement deux vedettes qui devront être acquises à moyen terme par la Douane, mais bien cinq si elle veut pouvoir renouveler l'ensemble de son parc .

Une troisième interrogation porte ensuite sur le calendrier de cet effort supplémentaire . En effet, au regard des délais de livraison et de formation sur les appareils, il importe de ne pas diluer l'effort pour les équipements pouvant être livrés rapidement : scanners, téléphones et ordinateurs par exemple. Comme l'ont indiqué les services douaniers lors de leurs déplacements à Orly et au Havre, il ne suffit pas simplement d'acheter un scanner : il faut définir une doctrine d'emploi, obtenir les autorisations nécessaires de l'Autorité de sûreté nucléaire pour les scanners mobiles et fixes, former les agents au nouveau matériel, réorganiser les effectifs et les brigades en fonction de l'utilisation de ces nouveaux matériels. La DGDDI estime ainsi que les nouveaux scanners mobiles ne pourront pas être pleinement utilisés avant la fin de l'année 2023, et un peu plus tôt pour les scanners de colis postaux.

Enfin, les rapporteurs spéciaux s'interrogent sur la pertinence de retenir, dans cet effort supplémentaire, les projets immobiliers, qui ne relèvent pas à proprement parler des équipements dont la Douane a besoin pour assurer ses missions de surveillance et d'opérations commerciales , mais qui relèvent davantage du support . La DGDDI a de plus bénéficié de crédits en provenance du plan de relance pour sa programmation immobilière, à hauteur de 7,6 millions d'euros en 2021, pour un volet immobilier s'élevant au total à 11,8 millions d'euros.

Recommandation n° 4 (DGDDI, direction du budget, Parlement) : s'engager à reporter les crédits non consommés sur la période 2022-2025 à l'acquisition d'équipements et de matériels (scanners fixes et mobiles, échographes, moyens aériens et navals, modernisation des systèmes d'information).

2. Des marges de progrès dans l'exécution même de la dépense

Dans un cadre de dépense publique contraint, il convient d'identifier les marges de progrès dont peuvent disposer les responsables de programme.

a) Favoriser la mutualisation des achats pour les équipements aéromaritimes

La première marge de progrès concerne l'acquisition d'équipements lourds et complexes, tels les vedettes et les hélicoptères . La Cour des comptes a régulièrement critiqué le déploiement par la Douane de ses moyens aéromaritimes 35 ( * ) , en venant à estimer, au mois de septembre 2020, que les problèmes de gestion de ces moyens plaçaient « régulièrement [les agents de la Douane] dans l'incapacité de mener à bien leurs missions de lutte contre les fraudes et trafics » 36 ( * ) . Les rapporteurs spéciaux y ont donc accordé une attention particulière dans le cadre de leurs auditions et déplacements, d'autant plus qu'il s'agit d'équipements particulièrement mobilisés dans les territoires ultra-marins et dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.

Plusieurs points de vigilance avaient été relevés : la nécessité pour la Douane de bien dimensionner son parc aéromaritime , en n'acquérant pas plus de navire ou d'hélicoptère qu'elle ne peut en équiper, en entretenir et en faire naviguer avec un taux de disponibilité opérationnelle suffisant, tenir compte des perspectives budgétaires à moyen et long terme , prioriser les investissements , en privilégiant d'abord le domaine informatique.

Au total, la DGDDI dispose de 15 vedettes garde-côtes, de 13 vedettes de surveillance rapprochées, de 7 avions biturbines et de 9 hélicoptères . D'après les données transmises aux rapporteurs spéciaux, le coût annuel de la maintenance pour les avions de la Douane s'élève à plus de 3,6 millions d'euros, sans qu'il ne soit jugé représentatif - tous les appareils n'étant pas en service opérationnel. Pour les hélicoptères, le constat le plus inquiétant a trait à leur vétusté, quatre d'entre eux ayant été acquis entre 1992 et 1993, pour un coût annuel de maintenance de 1,5 million d'euros. Deux d'entre eux ont été retirés du service, et les deux autres devraient l'être à la fin de l'année 2022.

Le contrat d'objectifs et de moyens, autrement que de prévoir l'acquisition de deux vedettes et la location de deux nouveaux hélicoptères demeure peu précis sur le traitement de l'obsolescence des avions et de la flotte de manière générale .

Il convient également de s'interroger sur le choix de la Douane de louer des hélicoptères et non de les acquérir , a contrario de sa décision initiale visant à faire l'acquisition de six nouveaux appareils. La location implique en effet que les appareils ne disposent pas de la qualification d'aéronefs d'État et sont donc soumis aux règles de l'aviation civile, plus contraignantes. Si la location peut-être une solution à court terme, l'acquisition serait préférable à long terme, avec l'engagement des crédits nécessaires dès l'année 2023.

Il est certainement dommage que la Douane ait renoncé à son processus d'acquisition, qui était pourtant conçu pour atteindre un haut niveau d'interopérabilité avec les autres services de l'État (gendarmerie nationale, sécurité civile), ce qui aurait permis de développer des mutualisations et des synergies communes en matière de maintenance, d'entrainement et de formation. Ce sont en plus des services qui ont souvent l'occasion d'intervenir ensemble, notamment dans les Antilles. Le suivi et le maintien en conditions opérationnelles de ces moyens auraient ainsi pu être confiés à la direction générale de l'armement et à la direction de la maintenance aéronautique (ministère des armées).

Les critiques adressées par la Cour des comptes à la gestion
par la Douane de ses moyens aéromaritimes et leur actualité

Dans un rapport publié en 2017 37 ( * ) , la Cour des comptes avait adressé de sévères critiques à la gestion par la Douane de ses moyens aériens et navals, parlant « d'échecs répétés et coûteux », démontrant que Douane était « incapable d'acquérir, de maintenir et d'opérer seule des matériels complexes ». Parmi ces critiques, les rapporteurs spéciaux relèvent :

- le défaut d'anticipation des besoins de remplacement , qui demeure encore aujourd'hui problématique. Certes, la DGDDI a davantage travaillé sur les calendriers de remplacement et d'obsolescence des appareils mais les achats se font encore au « coup par coup », en fonction des disponibilités budgétaires. Le renfort des crédits pour l'achat de deux vedettes et la localisation de deux hélicoptères sur la période 2022-2025 en est une illustration : qu'en est-il du besoin de renouvellement des autres appareils ?

- une autarcie délibérée de la Douane . Sur ce point, la DGDDI a entrepris d'importants efforts pour se rapprocher des directions spécialisées des ministères des armées et de l'intérieur. Plusieurs achats sont mutualisés, par exemple pour les munitions ou les équipements des agents, même si cela ne concerne pas le matériel « lourd » ;

- des retards coûteux, parfois dus aux contraintes de disponibilité des crédits budgétaires, parfois à l'incapacité technique de la DGDDI à coordonner les prestataires . Les délais de livraison ont en plus nui à l'intégration des équipements technologiques dans les appareils : les évolutions technologiques intervenant pendant la période de livraison des différents appareils ont entrainé des ajustements dans le montage des équipements. Lors de la livraison des appareils en 2016, aucun n'était opérationnel et des pilotes avaient été formés en vain. Pour mesurer les progrès réalisés par la Douane sur ce point, il conviendra de suivre avec attention le programme de renouvellement des vedettes et de location des hélicoptères ;

- des dysfonctionnements répétés dans le renouvellement partiel de la flotte navale : retards de livraison du fait de problèmes techniques, liés pour partie à des exigences nouvelles des brigades locales, sans que la direction centrale n'en ait été informée, bateaux inutilisables en l'absence de définition précise des exigences opérationnelles, une embarcation payée mais non livrée. La DGDDI est supposée avoir mener les réformes nécessaires pour prévenir toute répétition de ces dysfonctionnements.

Répondant en partie à ces critiques, la DGDDI avait entamé une réorganisation interne afin de regrouper la compétence achat dans un service unique, et non pas dans plusieurs bureaux. La réorganisation visait également à mieux distinguer les services prescripteurs de l'achat, le plus souvent à l'origine des doctrines d'emploi des moyens aériens et navals, des services qui achètent les nouveaux moyens.

D'après les informations recueillies, des progrès notables ont été accomplis par la Douane dans la gestion de ses moyens aériens et navals . Ces évolutions ne répondent toutefois pas encore entièrement aux critiques de la Cour des comptes et l'ensemble des observations précédentes concourt à ce que les rapporteurs spéciaux défendent une approche mutualisée pour l'acquisition des équipements lourds de la Douane .

Lorsque cette mutualisation est impossible, du fait d'obligations et d'exigences divergentes, la Douane devrait à tout le moins recourir à l'expertise des directions spécialisées des ministères des armées et de l'intérieur . Du reste, si les achats ne sont pas mutualisés, il demeure entièrement possible de mutualiser la maintenance - certains services de l'État recourant à l'externalisation de leur maintenance - et de développer des synergies entre les services de l'État, par exemple pour la formation des opérateurs et l'entretien des appareils . La Douane a déjà engagé cette démarche de mutualisation sur certains achats et formation, elle doit la poursuivre : les opérations menées par la Douane seule doivent devenir une exception.

Recommandation n° 5 (DGDDI, ministères des armées et de l'intérieur) : mutualiser les procédures d'achat pour les équipements aéromaritimes et privilégier l'acquisition à la location. Lorsque la mutualisation est impossible, du fait de besoins et de périmètres d'action trop divergents, recourir à l'expertise technique des directions spécialisées du ministère des armées et de l'intérieur pour définir le cahier des charges de la commande. Mutualiser une partie de la formation des opérateurs ainsi que l'entretien et la maintenance des appareils.

b) Rationaliser les emprises immobilières

La Douane peut encore progresser dans la rationalisation de ses emprises immobilières , en particulier pour celles situées aux frontières terrestres intérieures, alors même que l'instauration du marché unique a conduit à alléger le dispositif douanier dans ces postes. La Douane compte encore environ 670 implantations territoriales, 119 ayant été fermées entre 2013 et 2021 .

Non seulement la rationalisation du réseau doit tenir compte de l'activité des postes mais aussi du transfert de certaines missions fiscales à la DGFiP, certaines emprises étant quasi-exclusivement dédiées à la gestion d'un impôt ou d'une taxe. Par exemple, le bureau de Nice-port était dédié à la gestion de la taxe générale sur les activités polluantes et de nouvelles missions ont été proposées aux agents.

La Douane a également engagé une réflexion sur sa politique de logement , alors que la Cour des comptes avait souligné une série de dysfonctionnements dans la gestion de l'établissement public administratif de la « Masse des douanes » , qui a pour mission de pourvoir au logement des agents de la DGDDI. Le parc immobilier était qualifié de vétuste et de peu adapté aux besoins des agents, avec un taux de vacance bien plus élevé que dans le parc immobilier social national 38 ( * ) .

Une rationalisation des emprises de la Masse des douanes ainsi qu'une révision de la politique de logement de la Douane devraient permettre de dégager des économies supplémentaires sur le fonctionnement de la DGDDI , économies qui pourraient être redéployées au profit de l'acquisition de matériels de pointe et de la modernisation des systèmes d'information de la Douane.

Recommandation n° 1- suite (DGDDI, direction du budget, Parlement) : pour permettre à la Douane de réallouer des postes à la lutte contre les trafics illicites, d'acquérir des équipements plus performants et de poursuivre la modernisation de ses systèmes d'information, définir un programme d'économies qui porterait d'une part sur la masse salariale de la Douane (dématérialisation des procédures douanières, révision des régimes indemnitaires, dimensionnement de son réseau comptable) et d'autre part sur la rationalisation de ses emprises immobilières et de sa politique de logement.

3. Une diversification des sources de financement de la Douane à encourager

Les rapporteurs spéciaux défendent enfin une diversification des sources de financement de la Douane , que ce soit par l'intermédiaire de fonds budgétaires nationaux ou européens .

La DGDDI a par exemple remporté un appel à projet auprès de la direction interministérielle du numérique (Dinum), dans le cadre du plan France Relance , pour bénéficier d'un financement relatif au développement des capacités de détection, via des expérimentations d'algorithmes de détection.

La Douane a également bénéficié à plusieurs reprises du Fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP), qui octroie sur appel à projets des cofinancements aux administrations souhaitant développer des projets sources d'économie sur la dépense publique. Le programme 3D (Développement de la Donnée en Douane) a bénéficié de 18 millions d'euros en provenance du FTAP et plusieurs des cas d'usage développés dans le cadre de ce programme portent directement sur le ciblage (détection des atypies dans le fret conteneurisé pour mettre à jour des envois de marchandises prohibées, aide à la décision et au ciblage des envois d'e-commerce à contrôler). Ce programme permet aussi d'investir sur la plateforme technique, le « lac de données », utilisé aussi bien par le SARC que pour les autres bénéficiaires du projet 3D.

Il est en revanche curieux que, dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens conclu par la Douane avec la direction du budget, les signataires aient déjà prévu un certain montant de crédits complémentaires, liés à ces appels à projets : non seulement ces sources de financement ne pouvaient être garanties au moment de la signature, mais il ne faudrait pas non plus qu'un échec se traduise par une amputation des crédits alloués par la Douane à l'acquisition d'équipements de contrôle et de surveillance ou à la modernisation de ses systèmes d'information. Les montants prévus sont de l'ordre de quatre à six millions d'euros en crédits de paiement hors dépenses de personnel, et 0,7 à 2,3 millions d'euros en titre 2 (dépenses de personnel), hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions ».

Au niveau européen, la Douane a répondu à un appel à proposition auprès du Fonds pour la gestion intégrée des frontières , instrument de soutien financier relatif aux équipements de contrôle douanier. Les rapporteurs spéciaux ont appris lors de leur déplacement au Havre que 100 % des fonds européens demandés devraient bien être alloués à la DGDDI pour cofinancer l'acquisition de scanners industriels à haute capacité .

Ce cofinancement devrait permettre à la Douane, tout en respectant l'enveloppe des 20 millions d'euros prévus pour les scanners, d'en acquérir plus que neuf : le contrat d'objectifs et de moyens de la Douane a en effet été signé avant que la Douane ne sache qu'elle bénéficierait de cofinancements européens. Les rapporteurs spéciaux appellent donc à ne pas modifier à la baisse l'enveloppe initiale ou les cibles d'acquisition sur crédits budgétaires, en profitant de cette hausse de financements pour acquérir des matériels supplémentaires plus performants.

II. SI LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS FAIT PARTIE DES MISSIONS FONDAMENTALES DE LA DOUANE, ELLE DOIT SE CONCEVOIR DANS UN CADRE INTERMINISTÉRIEL

A. SI QUELQUES ADAPTATIONS SONT ENCORE NÉCESSAIRES, LA COOPÉRATION EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS A PROGRESSÉ ENTRE LA DOUANE ET LES SERVICES DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR ET DE LA JUSTICE

1. La création de l'Office antistupéfiants a permis de fluidifier la coopération en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants
a) Une structure regroupant la police, la gendarmerie et les douaniers

L'Office antistupéfiants (Ofast) s'est substitué le 1 er janvier 2020 à l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), en prenant le statut de service à compétence nationale . Initialement doté de 100 agents, l'Ofast devrait voir ses effectifs atteindre 230 agents en 2022 au niveau central. Il dispose de 13 antennes territoriales - chefs de file dans les territoires et chargées du pilotage du réseau des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), de la remontée centralisée de l'information opérationnelle et de l'élaboration d'un état de la menace au niveau territoire - et de 11 détachements ayant une vocation exclusivement opérationnelle .

Antennes et détachements de l'Office antistupéfiants
et répartition des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants

Source : ministère de l'intérieur, organisation de l'Office antistupéfiants

Élément de nature à favoriser la coopération entre l'ensemble des services de l'État impliqués dans la lutte contre les stupéfiants, la police, la gendarmerie et la Douane dirigent chacune l'un des trois pôles de l'Ofast , à savoir :

- le « pôle stratégie » (douane), chargé d'analyser et de diffuser la connaissance en matière de produits, de trafics et de routes, notamment via la production de « l'état de la menace » ;

- le « pôle renseignement » (gendarmerie), chargé de développer le recueil du renseignement sur le territoire national et à l'étranger. L'Ofast fait partie du second cercle du renseignement ;

- le « pôle opérationnel » (police nationale), chargé d'assurer la conduite des enquêtes judiciaires et leur coordination à travers le réseau des Cross, mais aussi des partenaires internationaux. Il apporte également son appui pour développer les investigations (cyber, financières, internationales, etc.).

Huit douaniers étaient en poste à l'Ofast au 1 er juin 2021 . Pour citer la directrice de l'Ofast, le « mélange des cultures » fonctionne et a permis de fluidifier les relations avec la DGDDI.

Une fois son chef de filât en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants consolidé, l'Ofast a produit son premier état de la menace, au mois de mai 2022 . Cet état de la menace devrait être actualisé chaque année, en tenant également compte de la corruption perpétrée par les organisations criminelles et de la criminalité connexe.

b) Une structure chef de file de la lutte contre le trafic de stupéfiants

L'Ofast est désormais le chef de file du plan national de lutte contre les stupéfiants et plus largement de la lutte contre le trafic de stupéfiants . S'il demeure encore des frictions, notamment sur le plan opérationnel et de la coopération quotidienne entre l'Ofast et les services douaniers, la plupart des personnes auditionnées s'accordent à dire que la création de l'Ofast a permis de fluidifier les relations entre les différents services de l'État impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants . C'était en effet un attendu de cette organisation, en parallèle du renseignement et de l'opérationnel ; elle devait « mettre fin aux concurrences stériles entre les services » et aux conflits de compétences.

L'Ofast doit en effet faire en sorte que les services se parlent et se coordonnent . Ainsi, l'Ofast a créé au mois d'août 2020 une cellule « cyber » et veut développer son propre réseau de compétences pour recueillir du renseignement et conduire des « coups d'achat », à l'instar de ce que fait Cyberdouane. Une expérience avait également été menée à Marseille pour détecter et suivre les comptes activés sur les réseaux sociaux par les trafiquants locaux. Pour éviter les doublons et améliorer l'efficacité de la lutte contre le trafic de stupéfiants, le développement de ces compétences au sein de l'Ofast doit compléter et non entrer en concurrence avec ce que fait déjà Cyberdouane, qui dispose d'une expérience reconnue en la matière . La communication entre l'Ofast et la DNRED se doit d'être parfaite sur ce point.

2. La coopération avec la police et les autorités judiciaires, essentielle pour les suites à donner aux interceptions douanières

Lors des différentes auditions, les services douaniers ont rappelé que la quasi-totalité des dossiers initiés par la Douane en matière de stupéfiants faisait désormais l'objet d'un traitement dans un cadre judiciaire , que ce soit en flagrance puis en enquête préliminaire, ou dans le cadre d'une commission rogatoire avec saisie d'un juge d'instruction pour les dossiers les plus importants. Les enquêtes judiciaires s'appuient donc sur les enquêtes administratives douanières. Les remises aux services de police des personnes interceptées dépendent quant à elle, pour certaines zones, des quantités saisies, de l'extranéité des infracteurs et des modalités de transport ( in corpore ou non).

Si la Douane joue un rôle clé dans le dispositif interministériel déployé en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, par rapport aux autres services de l'État, c'est également dû aux spécificités de la procédure douanière . Les services de la Douane agissent dans le cadre d'une procédure administrative et non judiciaire , à partir des dispositions du code des douanes. Les prérogatives qui en découlent - fouille des moyens de transports et des personnes, visites domiciliaires 39 ( * ) , droit de communication - se justifient par la nécessité de contrôler des flux de marchandises et de capitaux, et non des personnes . Pour autant un certain nombre de ses pouvoirs, en particulier les plus coercitifs, demeurent soumis au contrôle de l'autorité judiciaire.

Concernant la coordination des services, l'alimentation du « Fichier national des objectifs en matière de stupéfiant » (FNOS), commun à la douane, la police et la gendarmerie, doit permettre d'empêcher les risques de perturbation d'une procédure judiciaire en cours par une action douanière . Si la Cour des comptes avait pu relayer en 2015 40 ( * ) les critiques adressées par la police nationale à la DGDDI quant à l'alimentation du FNOS, la Douane a depuis transmis aux services de la direction des opérations douanières des instructions écrites leur intimant d'inscrire systématiquement dans le fichier toutes les personnes physiques identifiées dans le cadre des investigations qu'ils ont engagées.

Le FNOS, encore considéré comme trop « cloisonné », doit bientôt être remplacé par le fichier antistupéfiants (FAST), dans le but d'améliorer la coordination entre les services. Une première version du FAST a été déployée au début du mois de janvier 2022, une seconde version devrait l'être à compter du mois de mars 2023.

3. L'échange de renseignements, un atout dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, sur le territoire comme à l'international
a) Les Cross, un lieu d'échange de renseignements privilégié

Les personnes auditionnées se sont montrées plutôt satisfaites du fonctionnement des 103 cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), installées dans chaque département : environ 11 000 renseignements ou fiches d'information sont remontés aux différents services compétents en 2021 . 35 Cross sont permanentes, sur les territoires les plus frappés par le trafic de stupéfiants.

La Douane dispose de douaniers référents pour chacune de ces Cross , qui permettent très concrètement de partager, d'analyser et d'enrichir les renseignements transmis . En complément des 8 ETP mis à disposition de l'Ofast, 11 agents supervisent 14 Cross permanentes, 18 agents sont référents de 19 Cross permanentes et 45 agents sont référents de 69 Cross non permanentes. Les douaniers référents des Cross sont soit issus de la DNRED, soit des directions régionales opérationnelles.

De plus, et c'est un élément apprécié des services, deux Cross nationales thématiques ont été créées, dédiées au portuaire et à l'aéroportuaire, et toutes deux co-pilotées par la DNRED et par l'Ofast . La Cross portuaire a été mise en place dans le cadre de la mesure n° 12 du plan de lutte contre les stupéfiants, relative à la détection et au ciblage des conteneurs maritimes. La Cross aéroportuaire s'intéresse quant à elle à la criminalité aéroportuaire ainsi qu'aux complicités dans les sociétés de fret postal et express et leurs sous-traitants.

Il reste cependant quelques marges de progression, sur des points de friction . L'apport de chacune des Cross dépend du niveau d'implication de la hiérarchie locale et la Douane contribue davantage au renseignement qu'elle ne se voit confiée de dossiers ou de renseignements opérationnels . Ce déséquilibre s'explique toutefois en grande partie par la priorité donnée au démantèlement des « points de deal », qui ne relève pas de la compétence de la DGDDI.

Au-delà de ces échanges opérationnels, la direction du renseignement douanier produit également des analyses, études ou points d'attention, à destination des services impliqués dans la lutte contre les produits stupéfiants. Ces fiches, qui fournissent des informations détaillées et précises, sont à diffusion restreinte.

b) La coopération européenne et internationale, un impératif pour intercepter les flux de stupéfiants

En matière de coopération et d'échange de renseignements, l'échelon européen demeure incontournable : par définition, les pays de l'Union européenne forment un seul marché et les contrôles aux frontières terrestres sont moindres.

Dans leur rapport sur le trafic de cocaïne 41 ( * ) , Europol et l'ONUDC appellent eux-aussi les autorités européennes à davantage se coordonner et échanger des informations pour pouvoir anticiper et intercepter les produits aux frontières et pour mieux identifier les réseaux criminels et les poursuivre .

Une première prise de conscience de cette problématique semble affleurer : la Commission européenne a publié une proposition visant à créer une Agence européenne des stupéfiants, en renforçant le mandat de l'observatoire européen des drogues et des toxicomanies ainsi qu'annoncé qu'elle allait proposer une réforme de l'union douanière au mois de décembre 2022 afin de renforcer les capacités des douanes, de mieux les coordonner au niveau européen et de mieux répartir les tâches fiscales et non fiscales .

Surtout, les rapporteurs spéciaux ont assisté, entre leurs auditions menées en 2021 et celles menées en 2022, à un changement de tonalité sur la coopération avec les Pays-Bas . Les progrès sont désormais notables, après que les Pays-Bas ont brutalement pris conscience des failles de leur dispositif antistupéfiants à la suite de l'assassinat d'un journaliste et d'un avocat en 2019, ainsi que des menaces énoncées à l'encontre du Premier ministre Mark Rutte. Les menaces à l'égard des travailleurs portuaires et des participants aux trafics se sont accrues, allant jusqu'à des enlèvements et des actes de torture. La porosité des frontières néerlandaises au trafic de stupéfiants, en particulier à Rotterdam, s'est plus globalement traduite par une augmentation de la criminalité connexe au trafic (violence, corruption, etc.).

Les autorités néerlandaises acceptent aujourd'hui de participer avec la Douane et l'Office antistupéfiants à des opérations de substitution : en vue de sortir un produit du marché mais pour permettre de remonter une filière de trafic, les produits sont remplacés par des substituts. Il faut souligner ici le rôle important joué par l'attaché douanier en poste à La Haye , qui gère directement les échanges d'informations avec les autorités belges et néerlandaises, de manière à sécuriser les transmissions au regard des risques de corruption et de fuites, qui demeurent encore assez élevés chez nos voisins. C'est également l'attaché douanier qui sert d'intermédiaire à la DNRED pour la majorité des demandes d'informations opérationnelles. La Douane française, du fait de son expertise en matière de renseignement, transmet aux Pays-Bas un volume de renseignements plus important que celui qu'elle reçoit, menant à d'importantes saisies par les services douaniers néerlandais.

À titre d'exemple de cette coopération renouvelée, les services des douanes néerlandaises ont saisi 20 kilos de cocaïne sur un navire vraquier à Amsterdam le 27 mai 2021. Cette saisie a pu être réalisée grâce au travail de collecte et d'enrichissement d'informations transmises à la DNRED par le réseau des attachés douaniers (Bogota, La Haye), la DNRED ayant ensuite signalé aux autorités néerlandaises ce navire potentiellement contaminé par des paquets de cocaïne aimantés et peints de la même couleur que la coque du bateau.

Au niveau international, la DNRED a traité 1 440 signalements transmis par ses partenaires internationaux , dont 199 signalements dans le cadre de l'assistance administrative mutuelle internationale (informations spontanées), 1 133 signalements transmis par l'Office européen de lutte antifraude, 102 signalements transmis dans le cadre d'Europol et 6 signalements transmis par l'Organisation mondiale des douanes. Ces signalements portent sur les trafics de toute nature, et pas seulement sur le trafic de stupéfiants.

B. AU REGARD DES MOYENS DE LA DOUANE, ET DES OBJECTIFS AFFICHÉS EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS, L'ENGAGEMENT SEUL DE LA DOUANE NE SUFFIRA PAS

Dans le contrôle des flux et les saisies de stupéfiants, le terme qui est le plus souvent revenu durant les auditions et les déplacements est celui de l'embolie des services et de toute la chaîne, administrative comme judiciaire . Si, pour les conteneurs et le fret postal et express, les rapporteurs spéciaux ont défendu l'acquisition de matériels plus performants, la gestion de ces flux - et en particulier au niveau du vecteur aérien - suppose également d' apporter des ajustements à la répartition des tâches entre les services de l'État .

Les douaniers se retrouvent en effet aujourd'hui dans une situation paradoxale : ils sont soit accusés de ne pas en faire assez contre le trafic de stupéfiants soit d'en faire trop et de paralyser l'ensemble de la chaîne de traitement des personnes transportant de la drogue (douane, santé, police, justice).

1. Des ajustements à apporter pour remédier à « l'embolie » des services de l'État impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, en particulier dans les aéroports
a) Un accord impératif avec les services de santé

Au regard des contraintes liées au traitement des personnes ayant ingéré de la drogue, il est inconcevable que puissent être conduits des contrôles à 100 % sans installation au préalable d'une unité médicale à Orly et à Cayenne .

À plus court terme, et en complément de l'installation de ces équipements, il est impératif qu'un accord soit trouvé avec un hôpital plus proche de l'aéroport. Les discussions avec le ministère de la santé n'avaient pas pu aboutir précédemment, il est désormais urgent qu'elles reprennent et se traduisent par un accord de coopération plus opérationnel pour la Douane . Il s'agit à la fois d'un impératif de santé publique et d'un gage d'efficacité dans la lutte contre le trafic de stupéfiants par le biais des « mules ». Le ministère de la santé doit prendre sa part dans le cadre du plan interministériel dédié à cette problématique.

b) Une meilleure répartition des tâches avec les services de police
(1) Alléger les contraintes pesant sur les douaniers et la police aux frontières

Que ce soit pour les cas de drogue ingérée, transportée à corps ou dans les bagages, le risque est au final celui d'une embolie des services, que les douaniers doivent eux-mêmes gérés la situation des personnes interceptées ou les remettre à la police . C'est d'ailleurs un point sur lequel comptent les réseaux criminels, qui saturent les vols au départ de Cayenne, en sacrifiant les « premiers pris ».

Du temps et des effectifs doivent être dégagés dans les aéroports pour la lutte contre les trafics illicites : l'automatisation de certains contrôles dans les aéroports , par exemple celui des passeports, permettrait aux agents de la police des frontières (PAF) de pouvoir davantage soutenir les services douaniers . À Cayenne, la PAF met déjà en oeuvre des mesures de refoulement à l'encontre des « mules », procède de temps à temps à des saisies de stupéfiants et agit parfois, à la suite des constatations douanières, comme le service de remise à la police ou aux autorités judiciaires.

L'embolie, notamment à l'aéroport de Cayenne, est aussi alimentée par la procédure douanière aménagée prévue pour le ressort de Cayenne, avec notamment le recours à la convocation par agent des douanes 42 ( * ) . Cette procédure génère des gains de temps pour les services de police judiciaire mais aggrave la paralysie des services douaniers, 27 agents seulement composant la brigade de surveillance postée à l'aéroport de Cayenne, pour 103 agents au total dans le département. Si cette procédure a démontré son utilité en termes de simplification, la direction des affaires criminelles et des grâces pourrait être invitée à rouvrir les discussions sur le recours à cette procédure, en tenant mieux compte des contraintes des services douaniers, en première ligne pour la saisie des produits stupéfiants.

Dans ce contexte, les rapporteurs spéciaux estiment plus que temps de pourvoir les renforcements annoncés par le ministre en charge des comptes publics sur la brigade de surveillance de l'aéroport de Cayenne . 10 nouveaux agents devraient s'ajouter aux 27 déjà présents d'ici à la fin de l'année 2023.

(2) Faire en sorte que l'Ofast dispose d'une antenne complète à Orly

Enfin, concernant les remises des personnes interceptées avec de la drogue à corps ou in corpore , l'Ofast devrait sans doute davantage les prendre en charge, au regard des contraintes des services douaniers, « premier rideau » dans les aéroports. Une antenne de l'Ofast devait ainsi être ouverte à Orly mais elle n'est que très faiblement dotée et n'existe presque que sur le papier, sans immobilisation immobilière concrète. Pourtant, les douaniers doivent remettre les personnes interceptées à l'Ofast dès lors que la quantité transportée excède deux kilogrammes.

Or, d'après les éléments recueillis par les rapporteurs spéciaux lors de leur déplacement à Orly, l'antenne de l'Ofast n'a été en mesure de traiter sur place que 30 % des remises douanières en 2021 - les douaniers devant dans certains cas se déplacer à Roissy . De plus, les agents de l'Ofast n'acceptent plus de remises après 17 heures ou 18 heures et ne sont plus présents lors de l'arrivée des vols du soir en provenance de Guyane . La personne doit alors être retenue toute la nuit par le service douanier, bloquant de fait certains agents, alors même qu'il n'y a que six cellules de retenues douanières à Orly. Cette organisation apparaît totalement en décalage par rapport aux impératifs liés à la lutte contre les passeurs de cocaïne , et les rapporteurs spéciaux peuvent partager ici le désarroi des services douaniers, présents quasiment en continu à l'aéroport.

Recommandation n° 9 (DGDDI, ministère de l'intérieur) : engager les discussions avec l'Office antistupéfiants pour qu'il dispose d'une véritable antenne à Orly, avec des plages horaires correspondant aux horaires de vols en provenance de Guyane et des Antilles. Plus généralement, ouvrir les négociations avec les services de police judiciaire, de gendarmerie et de l'Ofast pour s'accorder sur une nouvelle répartition des transports et des détentions des personnes interceptées avec des stupéfiants.

c) La réorganisation des services de l'État, condition sine qua none de la mise en oeuvre de contrôles « à 100 % »

De l'avis des personnes auditionnées, la mise en place de contrôle à « 100 % » par les Pays-Bas sur les vols en provenance du Suriname a eu un vrai effet dissuasif sur les trafiquants . C'est d'ailleurs en s'inspirant de ce modèle que la mission d'information du Sénat sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane avait défendu la mise en oeuvre de tels contrôles pour les vols en provenance de Cayenne 43 ( * ) .

Les rapporteurs spéciaux soutiennent cette proposition, mais jugent indispensables d' apporter les ajustements précédemment décrits avant de pouvoir procéder à ce type de contrôles , au risque sinon de totalement paralyser le trafic aérien et les services de l'État.

Il peut y avoir jusqu'à 60 « mules » sur un vol de 240 personnes, avec parfois des familles entières impliquées, dont des mineurs. Or, en considérant que l'interception d'une seule personne, et encore sans drogue ingérée, retient une équipe de deux à trois douaniers pendant trois à quatre heures, il est impossible que les brigades de Cayenne et d'Orly puissent seules procéder aux retenues, aux rétentions et aux remises aux divers services de police. Il ne suffira pas par ailleurs, comme l'a annoncé le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin, que les effectifs policiers et gendarmes soient augmentés pour contrôler 100 % des vols : il faut également des lits médicalisés, de la place pour accueillir les personnes interceptées, au minimum un scanner à ondes millimétriques supplémentaire et la mise en opération du scanner bagages.

Par ailleurs, et comme l'a rappelé l'attaché douanier en poste à La Haye, les Pays-Bas, dans le cadre des contrôles « à 100 % » ne contrôlent pas 100 % des vols mais 100 % d'un vol : l'avion est entièrement fouillé à vide, les bagages de l'ensemble des passagers sont contrôlés ainsi que les membres d'équipage et les passagers. Pour ce faire, les autorités ont consenti à des investissements immobiliers, en équipements et en effectifs massifs, y compris en installant sur place une unité médicalisée, ce qui permet d'opérer le contrôle pour les suspicions de drogue ingérée en 30 minutes, contre une demi-journée minimum pour la France avec le transfert vers l'Hôtel-Dieu. L'effet dissuasif de ces contrôles à 100 % est notable, avec une forte baisse des interpellations de passeurs de cocaïne depuis 10 ans.

Recommandation n° 10 (DGDDI, ministère de l'intérieur) : conduire, à intervalle régulier, des contrôles « à 100 % » sur les vols au départ et en provenance de Guyane, sur le modèle de ce que peuvent faire les Pays-Bas. La mise en place de tels contrôles suppose toutefois de disposer des effectifs dédiés, d'un renforcement de l'Ofast et des services de police judiciaire, ainsi que des infrastructures nécessaires, notamment médicales.

2. Progresser dans la saisie des avoirs, pour entraver les organisations criminelles

L'ensemble des personnes auditionnées se sont accordées sur une marge d'amélioration importante dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, mais qui ne dépend pas strictement des Douanes : l'impératif de progresser sur la saisie des avoirs pour « frapper les organisations criminelles au portefeuille » et faire surtout tomber les « têtes de réseaux » .

Les directions entendues par les rapporteurs spéciaux ont conscience que cela doit désormais faire partie de leurs priorités dans le traitement des dossiers et dans la conduite des investigations. L'Ofast axe par exemple une partie de son travail sur l'identification et la détection des avoirs des plus grands trafiquants français ou résidant en France.

Des progrès sont à constater au niveau de l'ensemble des services de l'État même si les volumes demeurent encore trop faibles au regard des flux de produits stupéfiants et de leur valeur. L'Ofast a saisi 90 millions d'euros en 2021 et estime avoir pu saisir 15 % des avoirs criminels en parallèle des saisies de produits stupéfiants, contre 10 % auparavant. Les nouvelles antennes régionales de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) à Lyon et à Marseille ont saisi 14,4 millions d'euros en lien avec le trafic de stupéfiants en 2021.

Pour progresser sur la saisie des avoirs et le volet financier des infractions à la législation sur les produits stupéfiants, la Douane peut quant à elle s'appuyer sur le service d'enquête judiciaire des finances (SEJF), qui peut être saisi pour des infractions de blanchiment de produits issus du trafic de stupéfiants . Le SEJF peut être saisi avec l'Ofast pour qu'ils travaillent ensemble sur l'ingénierie du blanchiment.

La lutte contre le blanchiment des produits issus du trafic de stupéfiants fait également partie des mesures prioritaires du plan national de lutte contre les stupéfiants, auquel Tracfin participe pleinement .

Le blanchiment des avoirs issus du trafic de stupéfiants

Depuis 2018, Tracfin reçoit en moyenne 400 signalements annuels liés à un trafic présumé de stupéfiants, 90 % des informations provenant d'établissements de paiement. L'analyse nationale des risques en matière de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme identifie en effet le trafic de stupéfiants comme l'une des menaces les plus importantes touchant le territoire national, espace de consommation mais aussi de transit vers d'autres pays.

Le blanchiment des avoirs et des produits issus du trafic de stupéfiants repose sur des méthodes traditionnelles de transmission de fonds, de transport physique d'espèces et de virements internationaux ainsi que sur des méthodes plus sophistiquées de réseaux de collecte d'espèces, de compensation ou de conversion d'espèces en or. Parmi les autres méthodes utilisées figurent les acquisitions immobilières et l'injection de fonds suspects dans des entreprises actives dans des secteurs considérés comme risqués, ces entreprises transférant ensuite les fonds à d'autres sociétés par le biais de fausses factures.

Source : TRÀCFIN 2020 , Activité et analyse, 6 juillet 2021

L'axe 6 du contrat d'objectifs et de moyens le rappelle bien : la Douane doit désormais amplifier sa lutte contre les trafics et la criminalité organisée, le blanchiment et le financement du terrorisme . Elle doit tirer parti de son ancrage à Bercy et de son contrôle, dans l'exercice de ses missions quotidiennes, des professions à risque et des flux d'argent liquide. Une nouvelle obligation déclarative a par ailleurs été mise en place pour l'argent liquide « non accompagné » , c'est-à-dire envoyé par fret postal et express ou dans des bagages non accompagnés.

Les douaniers peuvent également repérer et signaler les infractions de blanchiment de produits issus du trafic de stupéfiants , par exemple lors du contrôle de véhicules aux frontières, en saisissant les capitaux et en retenant les personnes mises en cause. La DGDDI s'estime en revanche insuffisamment armée juridiquement pour le cas où, à l'occasion de la fouille d'un véhicule et du contrôle de marchandises sans passage de frontières, elle détecterait des capitaux suspects . Dans ce cas, et ne s'agissant pas d'une infraction douanière, elle doit prévenir le procureur de la République qui, en retour, peut saisir des officiers de police judiciaire - la Douane devant dans l'intervalle essayer de retenir la personne et sa marchandise. Cette difficulté est d'autant plus soulignée par la Douane qu'il y a de moins en moins de mouvements de fonds aux frontières « physiques », les réseaux ayant adapté leurs circuits financiers . Les instruments juridiques doivent pouvoir évoluer avec les pratiques des réseaux criminels et des trafiquants.

Recommandation n° 6 (DGDDI, Parlement) : conduire une étude de faisabilité sur l'extension des prérogatives de la Douane en matière de saisie de capitaux lors du contrôle de véhicules et de marchandises, hors franchissement de frontières.

De manière plus générale, les rapporteurs spéciaux s'interrogent sur la possibilité de confier à l'Agrasc la gestion des saisies douanières , ainsi que cela a pu être suggéré par plusieurs personnes auditionnées. Seraient principalement concernés les avoirs et matériels saisis et confisqués, les marchandises dangereuses suivant par définition un circuit de mise sous scellés et/ou de destruction, particulier. Or, l'Agrasc a non seulement développé une expertise dans la gestion de ces avoirs, mais elle peut également affecter à titre gratuit des biens meubles au bénéfice des enquêteurs et des juridictions ou les vendre.

2 453 biens meubles ont ainsi été vendus par l'Agrasc en 2021 , un chiffre en légère baisse par rapport à 2019 (3 060 biens meubles) et 2020 (2 496 biens meubles), pour un montant total de 13,2 millions d'euros , en forte hausse par rapport aux années antérieures (environ huit millions d'euros en 2019 et 2020) 44 ( * ) .

Les sommes confisquées ou issues de la vente de biens confisqués sont affectées au budget général de l'État, au fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées lorsqu'il s'agit d'infractions de proxénétisme ou de traite des êtres humains et à la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) lorsqu'il s'agit de dossiers de trafic de stupéfiants . La Mildeca a ainsi reçu 49 millions d'euros en 2021, contre 17,8 millions d'euros en 2020. 75 millions d'euros ont été reversés au budget général de l'État (49 millions d'euros en 2020).

Eu égard au rôle de la Douane dans la saisie des produits stupéfiants et des avoirs qui y sont liés, il pourrait être envisagé, pour les dossiers de trafic de stupéfiants, d'affecter une partie des sommes confisquées ou issues des ventes à la DGDDI afin qu'elle finance l'acquisition d'équipements de surveillance et de contrôle , tels que des scanners par exemple.

Recommandation n° 7 (Parlement, Agrasc, DGDDI) : pour financer l'acquisition de nouveaux matériels de contrôle et de surveillance performants, affecter à la DGDDI une partie des sommes confisquées ou issues de la vente de biens confisqués par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) dans des affaires de lutte contre le trafic de stupéfiants. Envisager, à terme, de confier à l'Agrasc la gestion d'une partie des saisies douanières opérées dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 12 octobre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de MM. Albéric de Montgolfier et Claude Nougein, rapporteurs, sur l'organisation et les moyens de la Douane face au trafic de stupéfiants.

M. Claude Raynal , président . - Albéric de Montgolfier et Claude Nougein, rapporteurs spéciaux de la mission « Gestion des finances publiques » vont maintenant nous présenter les conclusions de leur contrôle budgétaire sur l'organisation et les moyens de la Douane face au trafic de stupéfiants.

M. Claude Nougein , rapporteur spécial . - C'est au début de l'année 2021 que nous avons décidé, avec Albéric de Montgolfier, de mener un travail de contrôle sur l'organisation et les moyens de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) face au trafic de stupéfiants. Trois constats nous avaient conduits à faire ce choix.

Tout d'abord, l'impression que les missions de la douane sont encore trop méconnues. On a beaucoup parlé de son action depuis le Brexit ; elle joue aussi un rôle fondamental dans la lutte contre les trafics de marchandises illicites, dont les stupéfiants.

Ensuite, nous avions eu l'écho, pendant nos auditions budgétaires, d'une certaine lassitude des services douaniers face à l'ampleur de la menace. Pour reprendre une expression entendue en audition, les services ont parfois l'impression de devoir « vider la mer à la petite cuillère », avec des méthodes encore très artisanales.

Enfin, l'ampleur de la menace : le trafic de stupéfiants ne cesse de croître. Je crois que, pendant longtemps, les pouvoirs publics n'ont pas entièrement pris conscience de ce que représente le trafic de stupéfiants en matière de flux et de produits financiers.

Il va sans dire qu'il s'agit aussi d'un sujet qui touche aux politiques pénales et à celles de santé publique. En tant que rapporteurs spéciaux de la commission des finances, nous avons toutefois centré notre propos sur la douane, une administration en première ligne face au trafic de stupéfiants.

Lors de ce contrôle, nous avons entendu la quasi-totalité des acteurs douaniers et quelques acteurs du ministère de l'intérieur, avec qui la douane est amenée à coopérer. Nous nous sommes également déplacés à l'aéroport d'Orly et au port du Havre, où nous avons pu prendre connaissance du quotidien des brigades de surveillance. Les équipements dont ils disposent sont encore sommaires alors qu'ils doivent surveiller et contrôler les flux de milliers de conteneurs ou de millions de colis qui arrivent chaque jour.

Le positionnement de la douane explique le rôle aussi important qu'elle joue dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Administration de la marchandise et de la frontière, elle se situe au coeur de la surveillance de l'ensemble des vecteurs d'entrée des produits sur le territoire. La frontière est aujourd'hui multidimensionnelle : elle est terrestre, maritime, numérique, aérienne, nationale et européenne. Elle voit transiter des flux de marchandises, de personnes, mais aussi de données. C'est sur l'ensemble de ces vecteurs que la douane doit déployer sa « stratégie du bouclier » pour servir de « premier rideau » et empêcher une partie des produits stupéfiants de pénétrer le territoire national. Pour y parvenir, elle utilise ses prérogatives spécifiques, telles que la saisie, la fouille ou l'interception de marchandises.

Cette stratégie semble pour partie porter ses fruits. La douane a saisi 115 tonnes de produits stupéfiants en 2021, soit 32 % de plus qu'en 2020, année marquée par les confinements et les restrictions de déplacement. C'est aussi près de 15 % de plus qu'en 2019, ce qui illustre le dynamisme du trafic. Les produits les plus saisis sont le cannabis, le khat et la cocaïne.

Pourtant, il est difficile de savoir si les saisies de la douane augmentent parce que ses services sont de plus en plus efficaces ou parce que les flux augmentent. Toutes les personnes que nous avons interrogées nous ont répondu que la vérité se situait sans doute entre les deux.

Les services douaniers sont à l'origine de la grande majorité des saisies de stupéfiants sur le territoire national. La douane a ainsi réalisé 67 % des saisies de cannabis en 2021, 70 % des saisies de cocaïne, 80 % des saisies d'amphétamines et 74 % des saisies d'ecstasy. Cette prépondérance s'explique une nouvelle fois par son positionnement au coeur des flux de trafic, tandis que la police et la gendarmerie interviennent davantage sur les enquêtes et auprès des consommateurs.

La douane participe ainsi pleinement au plan interministériel de lutte contre le trafic de stupéfiants, qui comprend 55 mesures. Elle en pilote trois, dédiées notamment à la lutte contre le trafic par voie maritime, par voie terrestre et par fret express et postal. Elle joue également un rôle crucial dans l'interception des passeurs de drogue par voie aérienne, et notamment dans la lutte contre le phénomène dit des mules, ces passeurs de cocaïne en provenance de Guyane. Ils transportent la drogue dans leurs bagages, à corps ou in corpore , c'est-à-dire après l'ingestion des produits illicites.

Nous avons pu observer à Orly une inspection approfondie d'un vol en provenance de Cayenne, avec un contrôle systématique des bagages et le ciblage de certains passagers. Les douaniers avaient à cette occasion saisi deux kilos de cocaïne transportés assez simplement dans deux enveloppes placées dans un sac à dos.

Les services douaniers nous indiquent qu'ils sont aujourd'hui dans l'incapacité de lutter contre le phénomène des passeurs, alors que les organisations criminelles saturent les vols : ils acceptent de sacrifier les premiers pris, en sachant très bien que les services douaniers ne pourront pas arrêter tout le monde. S'ils agissaient ainsi, cela provoquerait d'importants retards et surtout une embolie de toute la chaîne administrative et judiciaire.

Pour remédier à ces difficultés et au regard des frictions que nous avons pu constater, nous formulons deux propositions.

Première proposition : nous estimons primordial d'installer, à proximité des aéroports d'Orly et de Cayenne - voire à l'intérieur même des aéroports - des unités médicalisées permettant de traiter les personnes ayant ingéré de la drogue. En cas de suspicion, les personnes interceptées doivent aujourd'hui être transportées depuis Orly ou Roissy vers l'Hôtel-Dieu. Elles peuvent alors soit donner leur accord pour une échographie soit être placées en observation. Pour une personne interceptée, ce sont trois à quatre douaniers bloqués pendant une demi-journée. À titre de comparaison, à Amsterdam, faire passer une échographie prend une demi-heure, des équipements ayant été installés dans l'enceinte de l'aéroport. À court terme, le ministère de la santé doit proposer des solutions pour que des hôpitaux plus proches des aéroports soient utilisés.

Deuxième proposition : il faut revoir les modalités de répartition des transferts et des remises judiciaires des personnes retenues par la douane. En cas de transport de plus de deux kilogrammes de stupéfiants, les personnes doivent être remises à l'Office anti-stupéfiants (Ofast). Or l'antenne supposée être en place à Orly relève davantage d'une structure fantôme. Les officiers de l'Ofast n'acceptent plus de remise après 17 ou 18 heures et ne sont même plus présents pour les vols du soir ! Par conséquent, il revient aux douaniers de mobiliser des effectifs pour surveiller les personnes retenues, alors qu'ils ne disposent que de six cellules à Orly. De nouvelles infrastructures doivent être créées si nous voulons contrôler la totalité des passagers d'un vol, à l'image de l'action menée aux Pays-Bas depuis plusieurs années.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur spécial . - Si nous nous sommes intéressés à l'ensemble des produits stupéfiants, force est de constater que les flux de cocaïne inquiètent tout particulièrement. Cette déferlante blanche touche particulièrement les pays d'Europe du Nord, notamment la Belgique et les Pays-Bas, décrits dans un récent rapport d'Europol comme les points d'entrée de la cocaïne en Europe.

Nous avons identifié plusieurs axes d'action en vue d'accroître l'efficacité de la douane.

L'un des principaux points d'amélioration, si ce n'est le plus important, réside en l'acquisition de moyens plus modernes. La douane ne dispose que d'un seul scanner fixe pour les conteneurs transitant par le port du Havre : seule une infime partie des camions en transit sont inspectés. Il convient en parallèle d'achever la sécurisation des ports. La vidéosurveillance est quasiment inexistante pour des raisons sociales - les personnels n'en veulent pas.

La douane ne dispose en complément du scanner fixe du Havre que de trois scanners mobiles, qui doivent couvrir à la fois les ports et les grands axes routiers. C'est le seul moyen efficace et rapide pour contrôler un poids lourd de 44 tonnes.

Les aéroports d'Orly, de Roissy et de Cayenne ne disposent pas des équipements nécessaires pour scanner systématiquement tous les bagages. La direction régionale des douanes de Guyane a dû batailler pour obtenir des scanners à ondes millimétriques pour les passagers. Ces matériels avaient bien été acquis, mais la direction générale de l'aviation civile (DGAC) n'a donné son autorisation pour les utiliser afin de repérer la drogue à corps qu'après de longs mois. Pendant longtemps, ces équipements sont restés inutilisés.

De même, alors que le fret postal et express est de plus en plus utilisé par les trafiquants, les scanners en service sont peu performants et ne permettent par exemple pas de disposer d'une image en 3D. À Orly, nous avons assisté au contrôle des colis et des bagages non accompagnés : la procédure demeure très artisanale, avec beaucoup de « faux positifs », du fait d'une qualité d'image loin d'être optimale. Ce travail ingrat suscite le découragement des personnels. Il entraîne également une perte de temps pour les brigades. Au seul centre de tri d'Orly, ce sont près de 74 tonnes de fret qui arrivent chaque année. Nous savons que le fret express et postal est un vecteur privilégié de la fraude fiscale et du transport de marchandises illicites. Les douaniers nous ont même expliqué que de plus en plus d'organisations situées en Belgique et aux Pays-Bas se rendaient en France pour envoyer des colis contenant de la drogue, en profitant de notre réseau postal.

En résumé, la douane manque d'équipements performants. Améliorer le ciblage des colis et des bagages est évidemment crucial, mais pas suffisant. La douane construit ainsi une banque de données des images de colis « positifs », afin que soient ensuite développés des algorithmes capables de reconnaître des formes similaires lors des passages au scanner - encore faut-il disposer des équipements pour.

Je précise que, pour nos recommandations, nous avons souhaité nous inscrire dans le contrat d'objectifs et de moyens de la douane pour la période 2022-2025 et donc tenir compte d'un contexte de dépenses publiques contraint.

Le contrat d'objectifs et de moyens de la douane vise à stabiliser le schéma d'emploi et à diminuer légèrement les crédits. Nous avons toutefois relevé un effort supplémentaire de 148 millions d'euros en vue de l'acquisition de nouveaux équipements ou de la modernisation des systèmes d'information. Nos propositions concernant la réorganisation des effectifs et l'acquisition d'équipements se placent dans cette trajectoire. La douane bénéficie par ailleurs de crédits du fonds pour la transformation de l'action publique et de cofinancements de fonds européens.

Concernant les effectifs, nous savons que la dématérialisation croissante des procédures douanières ainsi que la poursuite du transfert des missions fiscales de la DGDDI à la direction générale des finances publiques (DGFiP) devraient se traduire par la suppression d'équivalents temps plein (ETP). Ces emplois doivent être réorientés vers la branche « surveillance », vers les brigades en charge du fret express et postal ainsi que vers les directions spécialisées.

Concernant les crédits, nous souhaitons que les crédits non consommés soient reportés d'une année sur l'autre et affectés exclusivement à l'acquisition d'équipements récents et à la modernisation des systèmes d'information. Nous estimons également qu'il existe des marges d'amélioration quant à l'efficacité de la dépense. Les ventes de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) sont en forte augmentation. Une partie de ses recettes pourrait être affectée à l'achat de nouveaux matériels, c'est en tout cas une réflexion qui pourrait être menée.

Nous proposons également une rationalisation des emprises immobilières de la douane et la simplification de sa politique de logement. La DGDDI dispose encore d'un parc immobilier de logement. Celui-ci est désormais peu adapté aux besoins des agents. Il est souvent vétuste et les taux de vacances sont jusqu'à trois fois plus élevés que dans le secteur du logement social locatif.

Un autre exemple de rationalisation de la dépense concerne l'acquisition des moyens aéromaritimes par la douane, tels que les vedettes, les hélicoptères ou les navires. Ces moyens sont absolument essentiels, notamment dans les Antilles : ils permettent de repérer des mouvements suspects en mer, de procéder à des saisies en haute mer et de lutter contre le troc consistant à échanger de la résine de cannabis contre de la cocaïne. Pourtant, l'acquisition de ces moyens n'a pas toujours été optimale : des retards de livraison, des dysfonctionnements ou des malfaçons ont souvent été constatés. La douane devrait donc davantage recourir à la mutualisation, en particulier avec les ministères des armées et de l'intérieur. Si celle-ci est impossible en raison de besoins et de champs d'action trop différents, la douane peut au moins bénéficier de l'expertise de ces ministères et mutualiser la formation ou l'entretien des appareils.

Nous ne sommes pas sûrs que le choix de recourir à la location soit le plus judicieux pour les hélicoptères de la douane : les appareils ne seront pas considérés comme des aéronefs d'État et seront donc soumis aux règles de l'aviation civile, ce qui pose plusieurs difficultés opérationnelles. Certes, il faut agir en urgence, puisque certains appareils sont parfois âgés de plus de 30 ans, mais en retenant la solution la plus efficace. Là encore, il s'agit d'un défaut d'anticipation dans le renouvellement des équipements opérationnels.

Il est enfin difficile d'évaluer l'action de la douane en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants : nous ne savons pas combien d'effectifs sont dédiés, à titre principal ou exclusif, à cette mission. Nous connaissons seulement le nombre d'agents rattachés à la DGDDI - environ 16 000 personnes -, avec des compétences spécialisées et une répartition par branche, entre la surveillance et les opérations commerciales. Le même problème se pose pour les crédits.

J'en viens à une autre difficulté dans l'évaluation du rôle de la douane : eu égard au caractère illicite des marchandises, nous ne pouvons pas savoir quel est le ratio d'efficacité des services douaniers. Nous savons juste, selon plusieurs observateurs, que la demande de produits stupéfiants est en hausse sur le marché européen et que les réseaux sont de plus en plus compétitifs et efficaces pour trouver des points d'entrée en Europe. La cocaïne fait des ravages dans tous les milieux sociaux et dans toutes les régions de France. La hausse des saisies traduit-elle une augmentation de la consommation ou une plus grande efficacité des douanes ? La réponse se situe sans doute un peu entre les deux. Nous recommandons donc que la douane produise des analyses d'efficience. Celles-ci recenseraient les quantités saisies par rapport aux coûts de toute nature encourus par la DGDDI pour accomplir cette mission. Elles nous permettraient aussi de mieux apprécier le rôle de la douane dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.

Les douaniers sont découragés : ils assurent le meilleur travail possible, en faisant preuve de la meilleure volonté possible, mais avec des moyens inadaptés. En saturant les voies aériennes et maritimes, les trafiquants l'ont bien compris.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Nous avons l'impression que les douaniers courent après la délinquance. Certes, des moyens supplémentaires seraient utiles, mais il est également nécessaire de renforcer la coopération opérationnelle entre les différents services de l'État. La Douane n'est pas la seule administration de l'État impliquée dans les plans interministériels de lutte contre le trafic de stupéfiants.

M. Marc Laménie . - Élu d'un département frontalier, je constate que le rôle de la douane est méconnu. Elle joue pourtant un rôle très important dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Ses moyens sont insuffisants. Quelles sont les pistes que vous envisagez en matière de réorganisation des effectifs ?

M. Rémi Féraud . - Votre rapport montre que la guerre contre la drogue reste un slogan et que les trafiquants ont une longueur d'avance. Vos propositions permettraient de gagner en efficacité dans ce combat.

J'estime que l'État fait montre de fatalisme en Guyane. Pourtant, le crime organisé fait peser des menaces importantes sur notre pays. Des magistrats nantais luttant contre ces trafics ont dû être placés sous protection policière.

Vous soulignez qu'il est difficile d'évaluer l'efficacité de la douane par rapport à ses coûts. Je pense que les recettes issues de ses missions pourraient être bien plus importantes.

La dépénalisation du cannabis permettrait-elle de concentrer l'action de la douane dans la lutte contre le trafic de cocaïne ?

M. Georges Patient . - La Guyane a d'abord été considérée comme le pays du bagne ; elle est devenue aujourd'hui le pays de la cocaïne. Elle ne produit pourtant pas un gramme de cocaïne, mais elle est devenue un point de passage privilégié du trafic. Toutefois, l'État n'a pas pris les mesures nécessaires pour le limiter, contrairement au Surinam : les moyens sont insuffisants à l'aéroport de Cayenne. Le transport de drogue est une activité facile et lucrative, puisqu'un seul passage peut rapporter entre 5 000 et 10 000 euros. Environ 30 % des femmes détenues à la maison d'arrêt de Fresnes seraient d'origine guyanaise.

Je regrette de ne pas avoir disposé de vos recommandations avant le déplacement de Gabriel Attal en Guyane, qui a eu lieu récemment. J'espère que l'arrivée d'un nouveau scanner bagages à l'aéroport de Cayenne ne restera pas une vaine promesse.

Mme Sylvie Vermeillet . - À l'occasion des travaux de la mission d'information relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, à laquelle j'ai participé, nous avions organisé un déplacement au parquet national financier. Depuis sa création, ce dernier a permis à l'État de récupérer 11 milliards d'euros. Serait-il possible de disposer des mêmes informations concernant les saisies effectuées par les services des douanes ? Certes, les médias évoquent les prises d'ampleur, mais nous ne disposons pas de bilan annuel.

Selon vous, un pays se distingue-t-il par la qualité des moyens affectés à la lutte contre le trafic de drogue ?

M. Jérôme Bascher . - Je suis surpris par les informations que viennent de nous communiquer nos rapporteurs et Georges Patient. Comme le dirait le Président de la République, j'ai l'impression que nous sommes cul par-dessus tête ! Il est incroyable de constater que des équipements neufs ne sont pas utilisés faute d'autorisation. Il en va de même pour les hélicoptères loués qui ne sont pas autorisés à voler en permanence...

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Ils peuvent voler, mais uniquement dans certaines conditions, à certaines heures...

M. Jérôme Bascher . - Bercy préfère la location. Ne s'agit-il pas d'un moyen de réaliser des économies de bouts de chandelle ?

M. Victorin Lurel . - J'accueille avec faveur ce rapport.

Voilà une dizaine d'années, je m'étonnais déjà, en tant que président de région, de l'absence de scanner à l'aéroport de Pointe-à-Pitre et du manque de surveillance au port. Or nous recevions des régimes de bananes venant de Colombie. Dix ans après, rien n'a changé ! En plus, les effectifs de la douane diminuent. Cette prétendue « rationalisation » nous prive des moyens de notre politique.

On dessaisit la douane de compétences qu'elle exerçait depuis longtemps. La Poste commence à exercer des missions autrefois dévolues à la douane. Elle prélève par exemple des taxes sur de petits colis, avec des tarifs que nul ne comprend, qui sont payées en liquide, parfois sans reçu...

Le rapport préconise non pas une hausse des moyens, mais une amélioration des mesures de gestion et un plan d'économie : le postulat est que la douane disposerait de suffisamment de moyens et qu'il suffirait de mieux les utiliser. Je suis sceptique. Il faut donner à la douane les moyens d'assurer ses missions.

M. Claude Raynal , président . - On ne peut pas reprocher à nos rapporteurs de manquer de cohérence : ils souhaitent une baisse de la dépense publique et ils proposent des pistes. On peut en revanche ne pas être d'accord.

M. Jean-Marie Mizzon . - Quelle serait la situation si la lutte contre la drogue n'était pas une priorité ? On peut s'interroger.

Je regrette que le Gouvernement n'ait pas utilisé le plan de relance pour acheter des scanners. La drogue participe aux désordres que l'on connaît dans les banlieues. Si l'on a une ambition pour la jeunesse, on doit faire preuve d'ambition dans la lutte contre le trafic de drogue.

M. Claude Raynal , président . - Je ne sais pas si c'est dans les banlieues que l'on consomme le plus de cocaïne. Celle-ci est plutôt développée dans les beaux quartiers.

M. Victorin Lurel . - Le procureur de la République de Cayenne a instauré une politique pénale expérimentale consistant à classer sans suite les affaires dans lesquelles la mule interpellée est porteuse de moins d'1,5 kilogramme de cocaïne. Il s'agirait aussi d'améliorer la chaîne pénale.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Si l'on a pu connaître des guerres entre services de police, une vision plus interministérielle se développe avec l'Ofast, mais certains problèmes demeurent et on a parfois l'impression que les services travaillent chacun dans leur coin. Des améliorations restent possibles.

En ce qui concerne les effectifs, certains postes doivent être supprimés, car les missions des douanes évoluent. Le recouvrement de certains impôts et de certaines taxes est transféré à la DGFiP. Mieux vaudrait conserver ces postes et les réaffecter.

M. Féraud a raison, il faudrait changer de logiciel. Certes, les saisies de drogue augmentent, mais c'est aussi le signe que le trafic augmente. Une piste serait de faciliter les saisies des avoirs financiers criminels. Les magistrats n'ont pas toujours ce réflexe, en dépit du travail de l'Agrasc.

Nous nous sommes intéressés à la cocaïne. Le cannabis fait l'objet d'une approche différenciée en Europe. Le crack pose des problèmes de santé publique majeurs, car ses effets sur les consommateurs sont dévastateurs. Certes on peut gagner facilement plusieurs milliers d'euros en transportant du crack, mais, au-delà des peines encourues, on met sa vie en danger avec le risque d'ingérer des boulettes de drogue. Les trafiquants embauchent maintenant des mineurs comme mules.

Les Pays-Bas ne sont pas plus liberticides que la France, mais ils ont trouvé les solutions juridiques et techniques qui leur permettent de pratiquer des contrôles systématiques au départ, alors que l'on n'y parvient pas en France. Pourtant, il n'est pas besoin de médecin pour réaliser une radiographie, mais simplement d'un assistant médical. Si on pouvait pratiquer des contrôles systématiques au départ, les difficultés seraient aplanies. Elles sont d'ordre divers - manque de coopération de l'agence régionale de santé, absence d'unité médicale à l'aéroport, aéronefs qui ne peuvent pas pleinement être utilisés... - , mais l'on peut se poser la question, au-delà de l'affichage, de la volonté réelle de les résoudre.

Nous l'avons dit, la location d'aéronefs ne nous semble pas être forcément la voie à privilégier, car elle induit des conséquences particulières pour l'utilisation des appareils. Peut-être que les douanes gagneraient à mutualiser certains moyens pour la formation des pilotes ou la maintenance.

Quant au plan de relance, le ministère de l'intérieur a réussi à y intégrer ses dépenses pour acquérir de nouveaux véhicules de police, alors que le ministère en charge des douanes a échoué à y faire figurer ses dépenses pour des aéronefs.

Le métier de douanier est sans doute décourageant dans certains de ses aspects.

M. Claude Nougein , rapporteur spécial . - Je ne crois pas que l'augmentation des effectifs puisse résoudre quoi que ce soit. Il faut surtout des moyens techniques. Nous l'avons constaté en nous rendant dans les aéroports, que des fonctionnaires de qualité, mais pas forcément plus nombreux, suffisent à assurer un service public efficace.

La coopération avec les autres ministères existe. Toutefois, si l'on ne peut pas faire d'échographie sur place à Cayenne ou ailleurs, c'est par manque d'une unité médicale et de personnel médical. Il faudrait donc que le ministère de la santé accepte de fournir un radiologue, à Orly, ce qui éviterait d'avoir à emmener les personnes suspectées jusqu'à l'Hôtel-Dieu, à Paris. Le problème est d'organisation plus que d'effectifs.

Pour ce qui est du rapport entre le coût et le gain, en 2021, la douane a saisi 115 tonnes de produits stupéfiants, pour une valeur calculée sur une base théorique, et non à partir du prix de production ou d'achat, de plus d'un milliard d'euros.

Autoriser le cannabis ne réglera pas le problème, car le trafic se reportera sur la cocaïne. Si on libère les drogues douces, d'autres arriveront sur le marché, qui seront de plus en plus dures. Le cannabis est par ailleurs utilisé dans le cadre de troc « résine contre cocaïne » dans les Antilles par exemple. Le risque est donc aussi d'alimenter ces échanges.

La Douane a changé d'avis sur l'acquisition et la location des hélicoptères, pour choisir à court terme la deuxième option. L'un des arguments évoqués est celui du coût de l'entretien. Il faudrait que les douanes mutualisent ces coûts avec les services des ministères des armées et de l'intérieur.

Plus récemment, la Douane a vu être remis en cause son droit de « visite » des marchandises, des moyens de transport et des personnes, les dispositions ayant été jugées non conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Des douaniers avaient saisi 47 000 euros d'argent liquide au péage de Vierzon, dans une voiture, mais la justice a estimé qu'ils n'avaient pas le droit d'intervenir. Il faut donc modifier la loi pour résoudre ce problème.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur spécial . - Il faudrait également envisager de confier à l'Agrasc les saisies douanières, y compris celles d'avoirs et d'argent liquides, à la suite d'un contrôle opéré dans le cadre de la lutte contre les stupéfiants. Il conviendrait aussi d'affecter une partie des produits saisis au financement d'investissements ou d'équipements de la douane.

La quantité d'avoirs saisis augmente, mais les Douanes n'en reçoivent qu'une infime partie. Ce serait là une solution pour financer les équipements.

M. Claude Raynal , président . - Il s'agit de la recommandation n° 12 que vous ajoutez donc à la liste de vos recommandations.

M. Victorin Lurel . - Je suis d'accord en ce qui concerne les effectifs, même si nous n'avons pas évalué le transfert qui se ferait en dessaisissant la douane de ses anciennes compétences. En revanche, il faut absolument dégager des moyens pour les équipements et cette recommandation y contribuera.

M. Claude Raynal , président . - Je vous remercie.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorisé la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Direction générale des douanes et des droits indirects

- Mme Isabelle BRAUN-LEMAIRE, directrice générale des douanes et des droits indirects ;

- M. Jean-François DUTHEIL, directeur général adjoint ;

- Mme Corinne CLEOSTRATE, sous-directrice des affaires juridiques et de la lutte contre la fraude ;

- M. Cyrille COHEN, chef du bureau de la lutte contre la fraude.

Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED)

- Mme Corine CLÉOSTRATE, directrice de la DNRED (2021).

Direction régionale des douanes de Guyane

- M. Alexis LOPES, directeur régional des douanes de Guyane.

Direction régionale des douanes de Guadeloupe

- M. Philippe RICHARD, directeur régional des douanes pour la Guadeloupe.

Service d'enquêtes judiciaires des finances

- Mme Nathalie BÉCACHE, directrice du service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF).

Ambassade de France aux Pays-Bas

- Mme Morgan MARTIN, magistrate de liaison aux Pays-Bas ;

- M. Lucien ARLERI, attaché de sécurité intérieure ;

- M. Cédric ROLLET, attaché douanier.

Office anti-stupéfiants (OFAST)

- Mme Stéphanie CHERBONNIER, cheffe ;

- Mme Tiphanie BINCTIN, commissaire de police, adjointe à la cheffe du pôle renseignement.

Direction générale de la police nationale (DGPN)

- M. Jérôme LEONNET, directeur général adjoint ;

- M. Hadrien HADDAK, conseiller budgétaire ;

- Mme Estelle DAVET, conseillère judiciaire.

Service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN)

- M. Guillaume VALETTE-VALLA, directeur ;

- Mme Marie-Gabrielle BAGUE, chargée de mission au sein du département du renseignement et de la lutte contre le terrorisme.

M. Arnaud LE MARCHAND, maître de conférences en sciences économiques à l'université du Havre.

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Orly - 17 mai 2022

Direction générale des douanes et des droits indirects

- M. Jean-François DUTHEIL, directeur général adjoint ;

- Mme Corinne CLÉOSTRATE, sous-directrice des affaires juridiques et de la lutte contre la fraude ;

- M. Cyrille COHEN, chef du bureau lutte contre la fraude.

- M. Jean-Claude CAZALBOU, directeur régional Orly ;

- M. Olivier GOURDON, chef du pôle orientation des contrôles d'Orly ;

- Mme Jacqueline PLANTIER, cheffe divisionnaire de la division d'Orly ;

- Mme Audrey NOIRET, secrétaire interrégionale de la direction interrégionale des Douanes de Paris-Aéroports (DIPA) ;

- M. Patrick DUPONT, secrétaire général interrégional DIPA par intérim ;

- Mme Anaë ZENONI, rédactrice chargée de communication à la DIPÀ ;

- Mme Jacqueline PLANTIER, cheffe divisionnaire, et M. Bruno Collet, chef des services douaniers de la surveillance ;

- M. Bastien THEUREY, chef de la brigade d'investigation et de ciblage (BILC) ;

- M. Michel TICHIT, chef du bureau de douane Orly Aéro.

Le Havre - 25 mai 2022

Direction générale des douanes et des droits indirects

- Mme Corinne CLÉOSTRATE, sous-directrice des affaires juridiques et de la lutte contre la fraude ;

- M. Cyrille COHEN, chef du bureau lutte contre la fraude ;

- M. Christian BOUCARD, directeur interrégional des douanes de Normandie ;

- M. Perry MENZ, directeur régional des douanes du Havre ;

- M. Ronan BOILLOT, directeur national garde-côtes des douanes ;

- Mme Cécile ROUMEAU, cheffe divisionnaire Havre Énergie Surveillance ;

- M. Marin DE LOZE DE PLÀISANCE, directeur adjoint orientation et contrôle (direction régionale des douanes du Havre) ;

- M. Sébastien TIRAN, adjoint au chef de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ;

- Mme Mélanie GUILLON, chargée de mission à la direction nationale garde-côtes des douanes.


* 1 Rapport d'information de M. Antoine KARAM, fait au nom de la mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane n° 707 (2019-2020) - 15 septembre 2020. « Mettre fin au trafic de cocaïne en Guyane : l'urgence d'une réponse plus ambitieuse ».

* 2 Europol (2021), European Union serious and organised crime threat assessment, À corrupting influence: the infiltration and undermining of Europe's economy and society by organised crime , Publications Office of the European Union, Luxembourg.

* 3 Comité interministériel de lutte contre les stupéfiants du 28 mai 2021.

* 4 Office des Nations Unies contre la drogue et le crime - World Report 2022 .

* 5 Insee, Consommation des ménages en 2021 - Consommation effective des ménages par fonction, 31 mai 2022.

* 6 À noter, le Conseil constitutionnel a déclaré non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 60 du code des douanes concernant la visite domiciliaire. La déclaration d'inconstitutionnalité prendra effet au 1 er septembre 2023, ce qui laisse au législateur le soin d'y apporter les modifications nécessaires pour en assurer la conformité à la Constitution ( Décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022).

* 7 Confirmé par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

* 8 Article 2 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

* 9 La définition retenue pour les organisations criminelles répond à la définition fixée au niveau européen par la décision-cadre 2008/841/JÀI du Conseil du 24 octobre 2008 relative à la lutte contre la criminalité organisée. Une organisation criminelle est une association structurée établie dans le temps, de plus de deux personnes agissant de façon concertée en vue de commettre des infractions punissables d'une peine privative de liberté d'au moins quatre ans, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier et/ou un avantage matériel.

* 10 Projet annuel de performances de la mission « Gestion des finances publiques », programme 302 « Facilitation et sécurisation des échanges », annexé au projet de loi de finances pour 2021.

* 11 DGDDI, « La Douane change. Stratégie 2022-2025 de la direction générale des douanes et droits indirects », 7 décembre 2021.

* 12 Comité interministériel contre les stupéfiants du 28 mai 2021.

* 13 UNODC and EUROPOL, The illicit trade of cocaine from Latin America to Europe - from oligopolies to free-for-all? , Cocaine Insights 1, UNODC, Vienna, September 2021.

* 14 Incluant, dans les données transmises, la police judiciaire, l'Office antistupéfiants, la direction centrale de la sécurité publique, la préfecture de police de Paris et la police de l'air et des frontières.

* 15 La procédure de l'amende forfaitaire délictuelle pour les consommateurs de produits stupéfiants a été généralisée au 1 er septembre 2020. Près de 134 000 amendes ont été adressées entre le 1 er septembre 2020 et le 31 décembre 2021.

* 16 Contrat d'objectifs et de moyens de la Douane pour la période 2022-2025.

* 17 Communiqué de presse n° 894 du 1 er avril 2021 , M. Dussopt, ministre délégué chargé des comptes publics.

* 18 Les stupéfiants sont placés dans un envoi commercial entre deux sociétés et à leur insu. Dès que le conteneur arrive, les complices sont prêts à rapidement récupérer (« arracher ») la marchandise illicite.

* 19 Un conteneur arrive chargé de marchandises illicites, son contenu est très rapidement transvasé vers un conteneur vide à quai et apparemment à destination d'une zone « sûre ».

* 20 Les criminels attendent la marchandise dans des conteneurs-hôtel sur le port afin de pouvoir la sortir le plus vite possible à son arrivée à quai.

* 21 Une personne se trouve à bord du conteneur et accompagne la marchandise lors de son transport, afin de la sortir rapidement du port une fois le conteneur débarqué.

* 22 Zone qui se situe au-delà des eaux territoriales, entre 12 et 24 miles nautiques des côtes.

* 23 Rapport général n° 138 (2020-2021) sur le projet de loi de finances pour 2021, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2020. Contribution de MM. Albéric de Montgolfier et Claude Nougein sur la mission « Gestion des finances publiques » ; Rapport général n° 163 (2021-2022) sur le projet de loi de finances pour 2022 fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 novembre 2021. Contribution de MM. Albéric de Montgolfier et Claude Nougein sur la mission « Gestion des finances publiques ».

* 24 Voir également « Les douanes face au commerce en ligne : une fraude fiscale importante et ignorée », rapport d'information n° 93 (2013-2014) de MM. Albéric de Montgolfier et Philippe Dallier, au nom de la commission des finances, déposé le 23 octobre 2013.

* 25 Pour une description plus détaillée de ce phénomène et de ces enjeux, les rapporteurs spéciaux invitent à se reporter au rapport d'information de M. Antoine KARAM, fait au nom de la mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane n° 707 (2019-2020) - 15 septembre 2020. « Mettre fin au trafic de cocaïne en Guyane : l'urgence d'une réponse plus ambitieuse ».

* 26 Interview du président de la République Emmanuel Macron , Figaro, 18 avril 2021.

* 27 Europol (2021), European Union serious and organised crime threat assessment, À corrupting influence: the infiltration and undermining of Europe's economy and society by organised crime , Publications Office of the European Union, Luxembourg.

* 28 Rapport général n° 138 (2020-2021) sur le projet de loi de finances pour 2021, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2020. Contribution de MM. Albéric de Montgolfier et Claude Nougein sur la mission « Gestion des finances publiques »

* 29 Cour des comptes, « L'action de la Douane dans la lutte contre les fraudes et trafics », 19 février 2015.

* 30 Le Monde, Simon Piel et Thomas Saintourens, « Le Port d'Ànvers, épicentre des trafics » , 23 décembre 2021.

* 31 Pour les passagers ayant sonné au portique de détection métallique ou ayant refusé la palpation de sécurité.

* 32 Arrêté du 29 février 2016 portant création d'un service à compétence nationale dénommé « service d'analyse de risque et de ciblage ».

* 33 Voir par exemple le rapport général n° 138 (2020-2021) sur le projet de loi de finances pour 2021, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2020. Contribution de MM. Albéric de Montgolfier et Claude Nougein sur la mission « Gestion des finances publiques » et précédemment, le rapport général n° 140 (2019-2020) sur le projet de loi de finances pour 2020 fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 novembre 2019. Contribution de MM. Claude Nougein et Thierry Carcenac sur la mission « Gestion des finances publiques ».

* 34 Wise Persons Group on the reform of the EU Customs Union, “Putting more Union in the European customs. Ten proposals to make the EU Customs Union fit for a geopolitical Europe”, mars 2022.

* 35 Cour des comptes, « L'action de la Douane dans la lutte contre les fraudes et trafics », 19 février 2015.

* 36 Cour des comptes, « La direction générale des douanes et droits indirects. Exercices 2013-2019. Un recentrage nécessaire », septembre 2020.

* 37 Cour des comptes, « Rapport public annuel 2017. Le renouvellement des moyens aériens et navals de la Douane : des échecs répétés et coûteux, une mutualisation à imposer », 8 février 2017.

* 38 D'après les éléments figurant dans le rapport de la Cour des comptes sur « La direction générale des douanes et des droits indirects. Exercices 2013-2019. Un recentrage nécessaire » (septembre 2020).

* 39 Sous la réserve précédemment énoncée relative à la décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022.

* 40 Cour des comptes, « L'action de la Douane dans la lutte contre les fraudes et trafics », 19 février 2015.

* 41 UNODC and EUROPOL, The illicit trade of cocaine from Latin America to Europe - from oligopolies to free-for-all? , Cocaine Insights 1, UNODC, Vienna, September 2021.

* 42 La loi n° 2019-222 du 23 mars 2022 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a prévu la possibilité pour un agent de la Douane de convoquer en justice un prévenu sur instruction du procureur de la République. La convocation vaut donc citation en justice et permet de passer directement de la procédure douanière à la phase de jugement, sans qu'il ne soit nécessaire de faire intervenir un officier de police judiciaire.

* 43 Rapport d'information de M. Antoine KARAM, fait au nom de la mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane n° 707 (2019-2020) - 15 septembre 2020. « Mettre fin au trafic de cocaïne en Guyane : l'urgence d'une réponse plus ambitieuse ».

* 44 L'ensemble des chiffres cités concernant l'activité de l'Agrasc proviennent de son rapport annuel 2021 .

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