B. FAIRE MIEUX : DISPOSER DU RÉFÉRENTIEL LE PLUS PRÉCIS POSSIBLE POUR LES DÉPENSES ÉLIGIBLES, EN VISANT À LONG TERME UN ALIGNEMENT SURLA TAXINOMIE EUROPÉENNE

Il est impératif que l'augmentation du volume des dépenses éligibles pour l'émission des OAT vertes ne se fasse pas au détriment de la qualité du processus de sélection de la dépense . Le rapporteur spécial défend la mise en oeuvre, par étapes successives, d'une grille d'analyse plus fine pour l'identification de ces dépenses éligibles, afin de ne conserver que celles considérées comme étant les plus efficientes pour atteindre les objectifs fixés par la France dans son document-cadre des OAT vertes.

1. À court terme, assurer une parfaite coïncidence entre les dépenses éligibles aux OAT vertes et les dépenses favorables à l'environnement identifiées dans le budget vert

Le directeur de l'Agence France Trésor a expliqué lors de son audition que la première édition du budget vert avait permis de vérifier de manière empirique que la comptabilisation des dépenses éligibles pour l'OAT verte n'avait pas conduit à l'exclusion de certaines dépenses ayant pourtant un impact favorable sur l'environnement.

En sens inverse, il s'agit également de vérifier que toutes les dépenses retenues pour les émissions d'OAT vertes bénéficient bien d'une cotation positive au sein du budget vert. C'est à plus de 95 % le cas : le différentiel s'explique par la granularité plus fine retenue pour la sélection des dépenses éligibles aux OAT vertes par rapport à celle utilisée pour le budget vert : ce dernier est construit autour des actions, voire des sous-actions (budgétaires), tandis que le processus pour les OAT vertes peut permettre de ne sélectionner que des parties d'actions.

Des progrès ont depuis été accomplis pour rapprocher les deux référentiels, aux caractéristiques finalement assez proches. Par exemple, au-delà de la mesure de l'impact sur les six objectifs environnementaux susmentionnés, la méthodologie du budget vert reprend pour partie celle des OAT vertes, en rattachant chaque dépense à un secteur d'activité (agriculture, sylviculture et pêche ; transports ; bâtiments et travaux publics ; production d'énergie et industrie ; protection de l'environnement ; recherche et expertise).

Pour le rapporteur spécial, il convient donc désormais de progresser vers une coïncidence à 100 % entre les dépenses vertes identifiées dans le budget vert et les dépenses éligibles aux OAT vertes . Pour ce faire, un tamis plus fin doit être adopté dans le cadre du budget vert, et ce afin de ne pas exclure des dépenses du champ des OAT vertes. Une seule exception pourrait être envisagée et concernerait les taxes affectées : sont en effet exclues du champ des dépenses éligibles aux OAT vertes toutes les dépenses qui pourraient donner lieu à un risque de double-compte, et notamment donc celles qui sont financées par des taxes affectées.

Cet alignement entre les deux référentiels doit être un objectif de court terme (projet de loi de finances pour 2025). D'ici à cette échéance, il serait souhaitable d'inclure, dans le rapport d'allocation et de performance des OAT vertes, voire également dans le budget vert, la « matrice de passage » permettant de passer des dépenses favorables à l'environnement (budget vert) aux dépenses éligibles (OAT vertes), accompagnée d'une justification des écarts de périmètre.

Recommandation n° 8 ( ministère de l'économie et des finances et Commissariat général au développement durable) : d'ici au projet de loi de finances pour 2025, prévoir que le périmètre des dépenses vertes identifiées dans le budget vert coïncide avec celui des dépenses éligibles aux OAT vertes. D'ici là, inclure dans le rapport d'allocation de l'OAT verte et dans le budget vert une « matrice de passage » entre ces deux référentiels, avec une justification des différences de périmètre.

2. À moyen terme, viser un alignement des dépenses éligibles aux OAT vertes avec la taxinomie européenne, sous réserve d'une poche de flexibilité

En adoptant le standard européen sur les obligations vertes, sous la condition préalablement établie du maintien d'une poche de flexibilité pour les émetteurs souverains, la France s'engagerait à plus long terme sur l'alignement des dépenses éligibles sur la taxinomie européenne . Ce rapprochement est appelé de ses voeux par l'ICMA qui, dans la version 2021 des Green Bond Principles , « encourage, lorsque cela est pertinent, la communication d'informations sur le degré d'alignement des projets avec les taxonomies officielles ou élaborées par le marché ». De même, la Climate Bond Initiative , membre observateur du Conseil d'évaluation des OAT vertes, demande, par l'intermédiaire de son président, que la liste des dépenses éligibles se rapproche de la taxinomie verte européenne. Il faut enfin s'attendre à ce que les investisseurs qui détiennent des OAT vertes demandent un tel alignement, ne serait-ce que pour faciliter leur propre reporting de durabilité.

Plusieurs facteurs sont de nature à envisager un tel rapprochement à moyen terme . Tout d'abord, le budget vert, dont le périmètre des dépenses favorables à l'environnement doit à court terme coïncider avec les dépenses éligibles aux OAT vertes, s'appuie, pour ses six axes d'impact, sur les six objectifs environnementaux retenus par la taxinomie.

Ensuite, s'il est vrai qu'il y a eu d'importantes inquiétudes autour du sort réservé au gaz et au nucléaire dans la taxinomie européenne - ces deux sources d'énergie étant finalement présentes dans l'acte délégué complémentaire relatif aux objectifs climatiques 54 ( * ) - ces inquiétudes doivent être relativisées dans le cadre des émissions des obligations vertes souveraines 55 ( * ) . En effet, la France a exclu de son référentiel d'éligibilité des dépenses aux OAT vertes plusieurs secteurs jugés trop controversés pour les investisseurs, écartant ainsi les activités liées aux combustibles fossiles, à l'armement et au nucléaire. Cette exclusion devait prévenir tout risque de polémique sur le cadre français, toujours dans l'objectif de pouvoir émettre la dette française dans les conditions les plus favorables possibles (prix, demande).

Ainsi, même si la taxinomie intégrait le gaz et le nucléaire, et que le standard européen était adopté par la France, la question du financement de ces activités par les OAT vertes ne se poserait pas.

Il est vrai toutefois que la mise en conformité totale des dépenses éligibles à l'OAT verte à la taxinomie européenne pose plusieurs autres difficultés à court terme :

- des difficultés méthodologiques d'abord, liées au manque de données statistiques et à l'absence de processus de remontées d'information ;

- et des difficultés opérationnelles , avec l'absence de certains secteurs dans la taxinomie 56 ( * ) . Le projet d'acte délégué complémentaire relatif aux objectifs climatiques 57 ( * ) identifie en effet les activités économiques éligibles par leur code NACE (nomenclature statistique européenne des activités économiques), ce qui pose par ailleurs un autre problème, celui de l' absence de matrice de passage entre les lignes budgétaires et ces codes , utilisés par la taxinomie.

Il y a donc, avant l'adoption du standard européen et l'alignement sur la taxinomie, tout un ensemble de processus techniques à tester et à mettre en oeuvre .

À titre intermédiaire, le rapporteur spécial propose de publier, au sein du rapport d'allocation et de performance, la part des dépenses éligibles que le Gouvernement estime alignée sur la taxinomie européenne . C'est d'ailleurs la position retenue par la Commission européenne pour ses obligations vertes dans le cadre du financement du plan NexGenerationEU 58 ( * ) . Cette identification serait effectuée en parallèle de la « taxinomie interne » à la France qui permettrait d'identifier les activités contribuant pour une grande partie aux objectifs nationaux rappelés dans le document-cadre des OAT vertes.

En complément, et cette fois-ci en aval de l'émission et de l'allocation des fonds, les rapports d'évaluation de l'impact des dépenses éligibles pourraient désormais inclure systématiquement un développement sur les dépenses alignées avec la taxinomie , sans pour autant supprimer les autres informations utiles aux investisseurs. Le rapport d'évaluation remis en 2021 sur le programme d'investissement d'avenir a fait un premier pas dans cette direction en proposant une analyse de l'alignement des projets sur la taxinomie européenne.

Le rapport d'évaluation d'impact environnemental sur le programme d'investissement d'avenir et la taxinomie verte européenne

Le rapport d'évaluation sur le PIA, publié en 2021, a porté sur deux programmes opérés par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) : les démonstrateurs de la transition énergétique et le développement des véhicules du futur. Les financements de ces deux programmes font partie des dépenses de l'État adossées aux OAT vertes depuis 2017 et ont représenté, entre 2016 et 2019, 505 millions d'euros, pour 262 projets.

Les évaluateurs ont cherché, dans ce rapport d'impact, à mesurer le degré d'alignement des projets financés par le PIA à la taxinomie européenne, en s'appuyant sur la publication par la Commission européenne de l'acte délégué complémentaire relatif aux objectifs climatiques. 79 % des projets étudiés sont issus d'activités couvertes par la taxinomie européenne sur ses objectifs climatiques . Parmi ces 119 projets, 22 (18 %) ne sont pas en conformité avec les critères définis par la taxinomie pour définir une activité durable, au sens des objectifs climatiques . Les auteurs relèvent toutefois que ces projets pourraient contribuer aux quatre autres objectifs identifiés dans le cadre de la taxinomie, mais pour lesquels les actes délégués n'avaient pas encore été publiés. Huit projets (6 %) ne peuvent par ailleurs pas être analysés, faute des données nécessaires.

Une fois définies les projets éligibles, les évaluateurs ont cherché à identifier ceux qui seraient alignés sur la taxinomie , c'est-à-dire ceux qui apporteraient une contribution substantielle à un ou à des objectifs environnementaux, telle que définie par les critères techniques d'examen mis en place par la Commission européenne, et qui, dans le même temps, ne causeraient pas de préjudice important sur les autres objectifs. 82 projets sur les 89 éligibles ne sont pas accompagnés de suffisamment d'informations pour passer le premier critère d'alignement, à savoir la contribution substantielle aux objectifs climatiques.

À noter, le Conseil d'évaluation des OAT vertes avait également proposé de partager les résultats de cette étude avec la Commission européenne et la Plateforme sur la finance durable de l'Union européenne, le groupe de parties prenantes chargé de conseiller la Commission européenne sur la taxinomie verte (auparavant le TEG). Selon le CGDD, les évaluations mises en place par la France permettent en effet de formuler de nombreuses recommandations sur les méthodologies d'évaluation, qui s'adressent autant aux opérateurs évalués qu'aux autorités européennes chargées de définir le futur cadre applicable aux obligations vertes et à la finance durable de manière plus générale .

Source : rapport d'évaluation d'impact sur la stratégie d'innovation du PIA , 26 novembre 2021

Recommandation n° 9 (ministère de l'économie et des finances et Commissariat général au développement durable ) : aligner, à moyen terme, les dépenses éligibles aux OAT vertes, et donc les dépenses favorables à l'environnement identifiées dans le budget vert, sur la taxinomie verte européenne. Cette exigence découle de la recommandation n° 3 relative à la mise en oeuvre du standard européen sur les obligations vertes par la France pour ses OAT vertes, à la condition qu'une poche de flexibilité soit bien maintenue. D'ici à cet alignement, prévoir que les rapports d'allocation des OAT vertes et d'évaluation de l'impact environnemental des dépenses éligibles qui y étaient adossées comprennent une partie consacrée à l'analyse de l'alignement avec la taxinomie.

3. À plus long terme, exclure des dépenses éligibles les dépenses de fonctionnement, à l'exception de celles ayant un impact direct sur l'un des quatre objectifs poursuivis par les OAT vertes

Au regard du niveau de la dette publique française, et des critiques qui pèsent sur les dépenses qu'elle finance, le rapporteur spécial s'est interrogé sur la pertinence d'exclure, d'ici quelques années, les dépenses de fonctionnement des dépenses éligibles aux OAT vertes . Or, la distinction budgétaire traditionnelle par titre de dépenses n'est pas le référentiel le plus adapté pour les dépenses vertes : ne retenir que les dépenses d'investissement et les dépenses d'intervention conduirait à exclure des dépenses visant à l'entretien de certains équipements ou à la protection de la biodiversité.

Le rapporteur spécial considère en effet que la préservation de la biodiversité est un objectif absolument fondamental pour justifier la sélection de dépenses éligibles aux OAT vertes , et que les montants alloués pourraient être renforcés, y compris pour des acteurs dont ce n'est pas le coeur de métier premier, en témoigne l'exemple de Voies navigables de France (VNF).

Voies navigables de France
et la préservation de la biodiversité

Voies navigables de France se définit comme l'opérateur national de l'ambition fluviale, avec trois grandes missions au service du public : la promotion de la logistique fluviale, la participation à l'aménagement du territoire et la gestion globale de l'eau, dans une logique de durabilité. L'établissement dispose d'un budget en 2022 de 734 millions d'euros, la subvention pour charge de service public s'élevant à 244 millions d'euros en 2022, un montant inchangé depuis 2017.

Dans le cadre de son contrat d'objectifs et de performance couvrant la période 2020-2029, VNF s'est engagé à déployer plusieurs axes stratégiques de travail contribuant directement à sa mission en faveur du développement durable. L'un de ces objectifs stratégiques est de préserver la biodiversité, que ce soit à travers la gestion des espèces exotiques envahissantes, la mise en place de passes à poissons ou à faune ou encore la sauvegarde des zones humides. VNF a ainsi défini un programme de mise en conformité des ouvrages pour renforcer la continuité écologique, en se fixant un taux de 3 % des ouvrages en conformité d'ici 2022, et 10 % d'ici 2029.

C'est un rôle sans doute plus inattendu pour cet opérateur, dont la mission première demeure la valorisation du fluvial. Pour autant, c'est aussi au regard de cet objectif que la subvention de VNF éligible à l'OAT verte a été évaluée en 2019, dans le cadre du rapport d'évaluation d'impact. La majorité des dépenses de VNF en faveur de la biodiversité relève de dépenses de fonctionnement : entretien pour lutter contre les plantes invasives, dragage pour vider les infrastructures, abattage des arbres malades et replantage le long du canal du Midi, etc.

Source : audition des représentants de Voies navigables de France et réponses de VNF au questionnaire du rapporteur spécial

Les autorités publiques ont en effet un rôle important à jouer en matière de préservation de la biodiversité, un objectif beaucoup plus difficile à mesurer pour les acteurs et les investissements du secteur privé. L'impact sur la biodiversité est en effet, pour une entreprise émettrice, beaucoup plus difficile à objectiver que les émissions carbone par exemple (cf. infra ).

La nature même des dépenses vertes appelle donc une grille d'analyse plus fine . Celle-ci conduirait d'une part à ne retenir que les dépenses pour lesquelles le Gouvernement dispose d'une assurance raisonnable quant à leur efficience environnementale , dans la lignée de ce que proposait le rapporteur spécial pour les indicateurs de performance (cf. supra ). D'autre part, elle ne retiendrait, pour les dépenses de fonctionnement, que celles relatives à l'installation ou à l'entretien d'équipements qui répondent à l'un des objectifs climatiques ou environnementaux définis dans le budget vert et/ou dans le document-cadre des OAT vertes (par exemple l'installation de passes à faune pour protéger la biodiversité).

Cette nouvelle matrice pourrait sans doute n'être mise en place qu'à un horizon d'au moins quatre à cinq ans , et ce pour deux raisons. Il faut d'abord laisser le temps nécessaire aux administrations, sous l'égide du Commissariat général au développement durable, de développer une méthodologie commune pour la mesure de l'efficience environnementale d'une dépense dite verte . Ensuite, et pour ne pas risquer de réduire brusquement le champ des dépenses éligibles aux OAT vertes, ce renforcement des exigences sur leur sélection ne doit se faire qu'une fois les plans de moyen terme établis, pour conserver un volume de dépenses éligibles élevé.

Recommandation n° 10 (ministère de l'économie et des finances, Commissariat général au développement durable) : pour garantir la qualité de la dépense verte, prévoir, à horizon de cinq à six ans, que ne soient plus retenues dans le périmètre des dépenses éligibles aux OAT vertes que celles ayant démontré leur efficience environnementale. Exclure également les dépenses de fonctionnement , à l'exception de celles relatives à l'installation ou à l'entretien d'équipements répondant à l'un des objectifs environnementaux fixés dans le document-cadre des OAT vertes.

*

Ainsi, si le marché des obligations vertes demeure encore un marché restreint par rapport au marché obligataire 59 ( * ) , celui des obligations souveraines vertes l'est encore plus. Il constitue pourtant un point d'entrée sur les problématiques qui s'opposent aujourd'hui au développement de la finance durable , à savoir la définition de ce qu'est effectivement un actif « vert », la disponibilité de la donnée et sa certification, la crédibilité des engagements des acteurs financiers et non financiers en faveur de la transition environnementale. Ces interrogations se posent en effet avec d'autant plus d'acuité pour les acteurs privés qu'il n'existe pas, pour ce marché, d'autorité centralisatrice capable d'imposer aux acteurs un standard unique sur les trois axes que sont la définition du vert, la donnée et la crédibilité des engagements .


* 54 Mais dont le contenu pourrait évoluer selon les discussions engagées au Parlement européen.

* 55 Concernant le secteur privé, le rapporteur spécial y reviendra en deuxième partie.

* 56 Agence France Trésor, Rapport d'activité 2020 , 27 juillet 2021.

* 57 Cet acte délégué est également celui qui prévoit de couvrir certaines activités des secteurs du gaz et du nucléaire au regard de l'atténuation du changement climatique et de l'adaptation au changement climatique. Les projets gaziers et nucléaires seraient ainsi inclus dans la taxinomie en tant qu'activités transitoires.

* 58 Commission européenne. Questions et réponses : NextGenerationEU : cadre pour les obligations vertes et mise à jour du plan de financement , 7 septembre 2021.

* 59 D'après les données publiées par la Commission européenne, les obligations vertes ne représenteraient encore qu'environ 4 % de l'ensemble des obligations sur le marché européen, mais avec une plus forte dynamique.

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