EXAMEN EN COMMISSION

I. EXAMEN EN COMMISSION (6 JUILLET 2022)

Réunie le mercredi 6 juillet 2022 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial, sur les obligations assimilables du Trésor (OAT) vertes.

M. Claude Raynal , président . - Mes chers collègues, nous examinons ce matin le rapport de notre collègue Jérôme Bascher, rapporteur spécial des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État », sur les obligations assimilables du Trésor (OAT) vertes.

M. Jérôme Bascher , rapporteur spécial . - Alors que le Gouvernement ne cesse de présenter de nouvelles mesures en réponse à l'inflation, nous assistons à un retour dans le débat public - le ministre Bruno Le Maire s'en est fait l'écho récemment - de la question de la dette publique et de son coût.

J'ai choisi de mener un travail de contrôle budgétaire sur les OAT vertes, que M. Anthony Requin, alors directeur général de l'Agence France Trésor (AFT), était venu présenter devant notre commission en février 2018 après le lancement du programme. S'intéresser aux OAT vertes conduit rapidement à s'intéresser à la finance verte, avec une question primordiale, celle de définir ce qui est « vert » et ce qui ne l'est pas. C'est peut-être là le coeur du sujet.

Les obligations vertes sont en effet des obligations dont le produit de l'émission est exclusivement utilisé pour financer les projets verts. Il s'agit d'un marché mondial de 1 600 milliards de dollars qui a longtemps été tiré par les émetteurs souverains.

Si la France est le premier pays à s'être engagé à émettre une obligation verte souveraine à la suite de l'Accord de Paris en 2015, elle a été battue sur le fil par la Pologne pour sa première émission, qui a eu lieu au mois de janvier 2017, contre décembre 2016 pour la Pologne. La France est toutefois aujourd'hui le premier émetteur d'obligations souveraines vertes, pour un encours qui s'élevait au mois de janvier 2022 à 42,3 milliards d'euros. Elle a de nouveau innové en émettant au mois de mars 2022 la première obligation verte indexée sur l'inflation. Dans le contexte actuel, ce produit, qui a été émis pour quatre milliards d'euros, a été très apprécié des investisseurs.

Conserver la qualité des titres de la dette de l'État est un impératif au regard du volume de la dette française. Cet objectif implique d'une part de respecter les critères énoncés, c'est-à-dire faire du « vert », et, d'autre part, de diversifier les produits obligataires, une nécessité absolue. C'est le sens de la première recommandation que je formule.

Si les OAT vertes répondent à une demande exprimée par les investisseurs, elles présentent surtout un avantage pour la France. Émettre une obligation verte permet de bénéficier de ce que l'on désigne sous le terme de greenium, c'est-à-dire une prime verte de quelques points de base, entre un et trois, ce qui, compte tenu du volume de la dette, n'est pas négligeable. L'existence de cette prime verte repose toutefois sur la mise en place d'un cadre exigeant pour l'émission des obligations vertes.

Or la France s'est certes montrée pionnière en émettant une obligation souveraine verte, mais aussi en construisant un cadre de contrôle et d'évaluation parmi les plus rigoureux du monde. Le document-cadre des OAT vertes françaises s'appuie sur les quatre piliers identifiés par l' International Capital Market Association (ICMA) dans les Green bond principles (GBP).

Le premier pilier correspond à l'utilisation des fonds. Les dépenses éligibles aux OAT vertes doivent contribuer à l'un des quatre objectifs : atténuation du changement climatique, protection de la biodiversité, réduction de la pollution de l'air, du sol et de l'eau et adaptation au changement climatique. Elles sont réparties en six secteurs : les bâtiments, le transport, l'énergie, les ressources vivantes, l'adaptation et la pollution.

Le deuxième pilier est celui de la sélection et de l'évaluation des dépenses. En France, les dépenses éligibles sont identifiées par chacun des ministères, arbitrées par un comité interministériel, puis soumises à l'avis du Conseil d'évaluation des OAT vertes et à l'avis d'un tiers indépendant, que l'on appelle un fournisseur de « seconde opinion ». Pour la France, ce tiers est Moody's ESG Solutions.

Le troisième pilier est la gestion des fonds. L'AFT produit chaque année un rapport d'allocation des OAT vertes, soumis à une seconde opinion, tandis que les comptes présentés dans ce rapport sont soumis à un audit.

Le dernier pilier est le reporting . La France publie chaque année un rapport d'analyse de l'impact d'une dépense éligible à laquelle était adossée l'OAT verte. Ce fut le cas pour le crédit d'impôt pour la transition énergétique en 2018, pour Voies navigables de France en 2019, et ce sera le cas pour Météo France en 2022. Le rapport est rédigé sous la supervision de deux référents académiques et soumis à l'avis du Conseil d'évaluation des OAT vertes. Ce n'est donc pas l'État qui se juge lui-même.

Ce cadre est exigeant, c'est même le plus exigeant au monde. Il est vrai que nous avons une dette publique parmi les plus élevées d'Europe. Pour conserver notre niveau d'exigence, nous allons sans doute devoir adopter le standard européen sur les obligations vertes. Ce standard prévoit des modalités d'évaluation renforcées, ce que la France a déjà mis en place pour ses propres émissions, mais, surtout, il suppose un alignement sur la taxinomie européenne.

Pour rappel, une activité sera considérée comme alignée sur la taxinomie européenne des actifs durables si elle contribue à l'un des six objectifs environnementaux identifiés dans la taxinomie - atténuation et adaptation au changement climatique, protection des ressources aquatiques, économie circulaire, prévention et réduction de la pollution, biodiversité -, si elle ne cause pas de préjudice significatif sur l'un des six autres objectifs et si elle est exercée dans le respect de garanties minimales en matière de droits de l'homme et de droit du travail.

Je ne propose évidemment pas une mise en oeuvre « aveugle » de ce standard européen, qui est trop exigeant. Il est notamment très important qu'une poche de flexibilité soit conservée pour les émetteurs souverains. Les discussions à l'échelon européen portaient sur un ordre de grandeur de 20 % des émissions ; c'est un minimum.

Le contenu du texte, à l'issue des discussions en commission des affaires économiques et monétaires au Parlement européen, ne semble pas aller dans ce sens. Les députés européens ont une vision, je le crains, trop restrictive en la matière, ce qui risque de mettre à mal la finance verte. À force de vouloir être « plus vert que vert », l'on risque de voir fleurir de nouveaux standards moins exigeants mais plus faciles à mettre en oeuvre par les acteurs financiers et non financiers.

Il faut, me semble-t-il, des étapes intermédiaires. C'est notamment le cas s'agissant des collectivités territoriales ou des établissements publics qui émettent de la dette verte, et pour qui le standard européen n'est pas forcément le plus adapté.

Je l'ai indiqué, les OAT vertes fonctionnent et sont prisées des investisseurs. Elles doivent servir à financer non pas uniquement ce qui est vert, mais tout ce qui permet la transition écologique, dont le coût est colossal. Étant moins efficace économiquement, la transition écologique est plus chère et source d'inflation.

Mes recommandations n os 6 à 10 insistent donc sur un double impératif pour l'émission des OAT vertes : faire plus et faire mieux.

Faire plus, c'est demander à l'ensemble des administrations et des opérateurs publics de présenter un plan de moyen terme permettant d'identifier toutes leurs dépenses qui pourraient être éligibles aux OAT vertes. Pour l'instant, elles ne le font pas. Sachant qu'en 2021, 60 % des dépenses de l'État ont été financées par des recettes et 40 % par de la dette, il serait intéressant d'examiner les dépenses vertes que l'on pourrait financer par une dette moins chère.

Faire mieux, c'est faire coïncider les dépenses éligibles aux OAT vertes avec celles qui sont évaluées comme favorables à l'environnement dans le budget vert. J'estime que la dette est faite pour financer de l'investissement et je préconise donc également d'exclure des dépenses éligibles aux OAT vertes les dépenses de fonctionnement, à l'exception de celles qui sont destinées à installer ou à entretenir des infrastructures favorables à l'environnement. Je pense par exemple à des dépenses de protection de la biodiversité.

Globalement, la France se comporte bien. L'État doit se comporter mieux.

Mon travail sur les OAT vertes m'a conduit à m'intéresser aux définitions qui existaient aujourd'hui du « vert », aux données disponibles pour identifier ces dépenses dites vertes et les certifier ainsi qu'aux instruments financiers à même d'accompagner les acteurs financiers et non financiers dans leur transition. Je vais présenter cette problématique autour de trois axes.

Le premier axe concerne la donnée et sa certification. La taxinomie européenne est, en quelque sorte, le dictionnaire de ce qui est « vert ». Nous ne disposons toutefois pas, mondialement, de toute la donnée nous permettant de dire qu'une activité est verte et de mesurer son impact environnemental. Nous avons besoin de travailler sur la disponibilité de la donnée pour avoir une notation extra-financière qui soit standardisée.

La Commission européenne a tenté d'apporter une première réponse à cette difficulté, avec la future directive sur le reporting de durabilité des entreprises. Les entreprises de plus de 250 salariés et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 40 millions d'euros devront, à compter de 2024, détailler leur stratégie environnementale et sociale, se fixer des objectifs sur les six axes environnementaux retenus dans la taxinomie européenne et réaliser un bilan carbone de leurs activités. Simplement, là encore, il nous faut disposer de standards harmonisés pour procéder à ce reporting enrichi.

Deux acteurs sont en concurrence pour assurer la standardisation. D'un côté, l' European Financial Reporting Advisory Group (Efrag) travaille déjà sur le sujet. De l'autre côté, le bureau international des normes comptables pour le reporting durable, créé au sein de l'organisme des normes comptables internationales, les International financial reporting standards (IFRS), devrait faire ses propositions au mois de novembre. Il y a un véritable risque de concurrence des normes, avec des conséquences potentiellement fortes sur les acteurs financiers et sur les entreprises.

Les deux organismes s'opposent sur le choix de la simple ou de la double matérialité. La simple matérialité consiste à tenir compte de l'impact des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance sur l'entreprise tandis que la double matérialité prend en plus en compte l'impact des activités de l'entreprise sur l'environnement et sur la société. Il nous faut gagner cette bataille de la norme, la double matérialité étant plus à même de permettre d'apprécier les engagements des acteurs financiers et non-financiers en faveur de la transition environnementale.

La directive sur le reporting de durabilité des entreprises prévoit en outre que celui-ci soit soumis à l'avis d'un tiers indépendant, qui pourra être l'auditeur habituel de l'entreprise ou un auditeur différent. Les commissaires aux comptes (CAC) pourraient certifier ces données. Mais, pour cela, il faut qu'eux-mêmes soient formés. Aujourd'hui, tout est « vert », mais personne n'est formé pour savoir ce qui est « vert » et comment le définir. Il faut donc mettre en place des formations et des certifications.

Le deuxième axe recouvre la mobilisation des produits financiers les plus appropriés pour les investisseurs et les entreprises. Ce sont les recommandations n os 14, 15, 17 et 18. Le principe est simple : la politique financière doit démontrer la transformation d'un acteur. Il me semble à cet égard que les sustainability linked bonds (SLB) constituent l'un des meilleurs outils, à condition d'être encadrés. Les SLB sont des obligations par lesquelles l'émetteur s'engage à atteindre des cibles d'impact environnemental et, s'il ne les atteint pas, à payer plus cher les investisseurs. Simplement, comme il fixe lui-même ses objectifs, le risque est qu'il opte pour un objectif déjà atteint, et fasse ainsi du greenwashing, c'est-à-dire de l'écoblanchiment. Il faut donc encadrer encore plus ces SLB. Je propose que l'Autorité des marchés financiers (AMF) joue un rôle plus important en la matière.

Sur les produits également, il ne me semble pas forcément nécessaire de créer aujourd'hui de nouveaux labels, avec le risque de contribuer à un manque de lisibilité. Il existe aujourd'hui un label pour la finance durable : le label ISR. Un rapport de l'inspection générale des finances (IGF) a conclu voilà plus d'un an que ce label ne fonctionnait pas bien et qu'il fallait le réformer. La réforme engagée est prometteuse : chaque investisseur devrait ainsi respecter des exigences minimales sur les trois dimensions de l'ESG que sont l'environnement, le social et la gouvernance, mais pourrait ensuite s'engager à être plus ambitieux sur un objectif donné, tel que le climat ou la transition. Ce système par « brique » semble plus judicieux, ne serait-ce que pour conserver une certaine lisibilité pour les épargnants.

Le troisième axe concerne le carbone. C'est la seule chose que nous sachions parfaitement mesurer et pour laquelle les pays ont pris des engagements, avec l'objectif de limiter la hausse de la température de la Terre à 1,5° C maximum d'ici la fin du siècle. Le carbone ne peut plus être aujourd'hui considéré simplement comme une externalité, mais doit être intégré au bilan de l'entreprise. Je propose - et d'autres l'ont suggéré avant moi, y compris des gens très libéraux - que toutes les entreprises, en commençant par les plus grandes, adoptent une comptabilité carbone. C'est essentiel pour assurer la transparence et la crédibilité des engagements des entreprises, et pour soutenir les efforts entrepris pour décarboner les portefeuilles. L'introduction d'une comptabilité carbone ouvre par ailleurs un « champ des possibles ». On pourrait ainsi envisager, à terme, de moduler l'impôt sur les bénéfices dû par les entreprises en fonction de leur efficience énergétique et de leur trajectoire en la matière. Il y a des modalités nouvelles à inventer.

Pour conclure, je rappellerai les mots de Mark Carney en 2015, qui, lorsqu'il était gouverneur de la Banque d'Angleterre, avait appelé à « briser la tragédie des horizons ». C'est aujourd'hui tout à fait nécessaire si nous voulons financer la transition écologique et notre dette, qui, à défaut, sera plus chère et moins efficace.

M. Claude Raynal , président . - Malgré la qualité de vos travaux, le sujet est d'une complexité rare. Vous proposez vingt-deux recommandations, et je vous ai trouvé un certain talent pour passer de la mission « Engagements financiers de l'État » à une vision mondiale de la question.

Votre intervention sera suivie de l'audition de M. Ophèle, président de l'AMF, qui reviendra sur les difficultés posées par le marché des obligations vertes.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je vous remercie pour ce rapport dense, qui mêle une satisfaction toute française à une certaine prudence. Il vise peut-être, si vous me permettez cette image, à faire de M. Bascher l'architecte permettant de passer d'un jardin à l'anglaise à un jardin à la française, où les enjeux seraient clairement énoncés.

Je veux également saluer le travail réalisé par l'Agence France Trésor sur les OAT vertes.

Notre commission a organisé plusieurs auditions au sujet de la finance verte, dont le ton était souvent celui de la satisfaction. Pour autant, pour certains, dans la presse économique en particulier, il y a un décalage entre cette satisfaction et l'efficacité réellement constatée de cette finance verte.

Nous partageons la plupart de vos recommandations, en particulier les recommandations n os 6 et 10.

Je voudrais toutefois émettre une alerte sur la recommandation n° 4, au terme de laquelle les départements de plus d'un million d'habitants et les régions devraient produire un « budget vert ». Pourquoi, au lieu d'une telle obligation, ne pas mettre en place une expérimentation dans quelques départements volontaires avant de généraliser cette exigence ?

Pouvez-vous également nous en dire plus sur la mise en oeuvre par les entreprises d'une comptabilité carbone, qui s'ajouterait à la comptabilité des recettes et des dépenses ? Nous dirigeons-nous vers une simplification, avec une évaluation menée par un tiers indépendant sur leur reporting de durabilité, ce qui me semble positif, ou ajoute-t-on d'autres contraintes alors que les produits financiers ne sont dans le même temps pas encore parvenus à maturité ?

Pourriez-vous enfin nous préciser comment pourrait être concrètement mise en oeuvre la recommandation n° 21, qui vise à introduire une composante d'efficience énergétique au sein du calcul de l'impôt sur les sociétés ?

Nous devons être attentifs aux aspects opérationnels de ces dispositifs complexes.

M. Claude Raynal , président . - Je propose que notre débat se concentre sur les questions du budget et des OAT vertes françaises, les questions plus larges pouvant être conservées pour l'audition de M. Ophèle.

M. Pascal Savoldelli . - Une phrase du rapport m'a particulièrement plu : « les capitaux existent, mais ils ne sont pas à la bonne place. »

Le rapport est clair : la finance verte est un nouveau marché. M. Bascher nous dit qu'il y aurait un problème de standardisation et d'objectivité des critères, mais la loi objective de tous les marchés financiers, c'est d'abord de se développer et de créer des profits.

Favoriser le financement des marchés est susceptible d'aggraver les déséquilibres, au détriment de trois ensembles d'acteurs : les petites collectivités territoriales voulant s'investir dans l'écologie, les très petites entreprises (TPE), qui souffrent face aux plus grosses entreprises et enfin les ménages. Parler de « verdissement » n'est pas suffisant et n'est pas au niveau des enjeux climatiques auxquels nous devons répondre.

Il faudrait qu'une évaluation des conséquences de la finance verte sur le niveau de l'emploi soit réalisée. Il faut sept fois moins de chiffre d'affaires pour créer un emploi dans une TPE que dans une très grande entreprise ! Si les petites entreprises pouvaient accéder au dispositif des obligations vertes, cela pourrait avoir des conséquences positives pour l'emploi, comme le développement de filières professionnelles dans des secteurs liés aux enjeux écologiques.

M. Vincent Delahaye . - Plusieurs questions demeurent après la présentation de ce rapport. Les obligations vertes permettent-elles à l'État de réaliser des économies par rapport aux obligations « conventionnelles » ? Par ailleurs, sont-elles assorties de contraintes réelles, ou s'agit-il simplement d'un affichage permettant de réunir davantage d'investisseurs ? Des agences comme Moody's ont-elles évalué les coûts de ces obligations ?

Si elle ne sert qu'à renforcer encore les obligations des collectivités, je partage les réserves du rapporteur général concernant la recommandation n° 4. S'il s'agit de rajouter encore davantage de contraintes, cela vaut-il en effet la peine de promouvoir l'émission d'obligations vertes ou durables ?

Je souhaiterais par ailleurs que le qualificatif « vert » soit placé entre guillemets.

M. Roger Karoutchi . - Ma question sera simple : depuis que ces obligations vertes existent, en quoi ont-elles réellement participé à la transition écologique ? S'agit-il simplement d'un marché financier supplémentaire, ou ces obligations ont-elles des effets mesurables pour la transition écologique ?

M. Michel Canévet . - Certains acteurs financiers ont annoncé leur intention d'orienter leurs investissements vers la finance verte. Le fait d'avoir proposé une obligation verte indexée sur l'inflation ne comporte-t-il pas le risque de conduire à une augmentation de la charge de la dette française ? Pour l'année 2022, l'inflation provoquerait une augmentation de la charge de la dette de près de 15 milliards d'euros.

Le rapporteur a indiqué qu'il fallait promouvoir le financement par les obligations vertes, en identifiant le maximum de dépenses éligibles. La recommandation n° 10 indique toutefois que les dépenses de fonctionnement ne doivent plus être éligibles aux OAT vertes. N'y a-t-il pas là une contradiction ?

M. Christian Bilhac . - Je m'interroge également sur l'efficacité réelle de ces fonds : quelles sont leurs véritables conséquences sur l'environnement ?

Une approche particulière doit concerner les petites communes rurales, où les artisans sont souvent désemparés face à cette politique de lutte contre le réchauffement climatique. Il ne faut pas leur faire subir de nouvelles contraintes, alors que leurs moyens sont bien inférieurs à ceux des grandes entreprises.

Quelle est l'efficacité réelle des aides écologiques ? Laissez-moi vous donner deux exemples : il y a une dizaine d'années, j'ai installé des panneaux photovoltaïques sur mon toit. Au cours des travaux, une aide de l'État de 4 000 euros a été supprimée, mais le prestataire m'a proposé de réduire sa facture de la même somme, du jour au lendemain. Autre exemple : les viticulteurs sont poussés à acheter des interceps afin de nettoyer entre les pieds de vigne. Ces outils sont facturés le double de leur prix, mais les fournisseurs nous disent que ce n'est pas grave, car il est possible de bénéficier d'une aide de l'État pour compenser.

Il y a là matière à réflexion : il faut aider pour financer la transition écologique, mais cela ne doit pas devenir un puits sans fonds pour les finances de l'État, et les subventions devraient être limitées.

Mme Christine Lavarde . - Je souhaiterais revenir sur la recommandation n° 4. La collectivité de Boulogne-Billancourt, à laquelle j'appartiens, a mis en place un « budget vert », en suivant la dernière nomenclature budgétaire travaillée en particulier par l'association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, France urbaine et d'autres associations directement concernées.

Le travail demandé par la recommandation n° 4 a déjà été réalisé il me semble. À Strasbourg, ville dirigée par des écologistes, et à Boulogne-Billancourt, les structures d'investissement sont identiques : moins de 20 % des dépenses d'investissement ont un impact négatif sur l'environnement, les seules dépenses considérées comme négatives étant des dépenses informatiques, que la nomenclature a décidé de classer ainsi.

Cette recommandation ne me semble donc pas pertinente. Pour l'appliquer, il faudrait à nouveau changer la nomenclature budgétaire des collectivités, alors qu'elle vient d'être modifiée. Il me paraît difficile de voter cette recommandation en l'état.

L'idée de mettre en place une comptabilité carbone dans les entreprises s'éloigne de l'action des entreprises. Durant l'intersession, pour la commission des affaires européennes, j'ai étudié la proposition de directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. On demande beaucoup aux entreprises, y compris aux PME, alors que nous n'avons aucun standard permettant d'évaluer les conséquences positives ou négatives des actions sur l'environnement ou le droit des travailleurs.

Il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs : nous devons d'abord disposer d'un cadre discuté au moins au niveau européen, et dans l'idéal à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Les intentions sont louables, mais avant de faire ces recommandations, notre commission devrait engager le travail sur ce sujet.

M. Jean-François Rapin . - Sommes-nous sûrs qu'il existe un lien étroit entre l'émission d'obligations vertes et la fameuse souveraineté européenne, que l'on attend toujours sur l'industrie et sur le vert ? Est-il certain que les financements ne sont pas dirigés vers un simple verdissement à l'extérieur de l'Union européenne ?

M. Jean-Claude Requier . - Les mécanismes en jeu sont très complexes. Comment les expliquer aux citoyens, et comment rendre l'écologie populaire ?

Par ailleurs, je crains que nous n'ajoutions de la réglementation à la réglementation, comme on l'a vu avec les certificats d'économies d'énergie (CEE).

Enfin, quelle est l'efficacité réelle de ces politiques ? Il faut faire du vert, mais vu le coût des dispositifs, je n'y vois que du bleu...

Mme Isabelle Briquet . - Le sujet est en effet si complexe qu'il en devient presque opaque. Selon le rapport, il faut « définir le vert ». Mais comment, d'un point de vue administratif ou légal, déterminer la valeur verte d'un placement financier ?

M. Albéric de Montgolfier . - La question est en effet complexe. Je souscris à l'idée de faire de la France un émetteur d'OAT vertes, ce qui permettrait d'atténuer les coûts des émissions, mais je suis dubitatif concernant le fait d'imposer des contraintes nouvelles aux entreprises, dès lors qu'elles ne seraient que nationales. Obliger les entreprises à tenir une double comptabilité verte aurait des conséquences en matière de compétitivité, d'autant que la recommandation n° 19 s'appliquerait à 50 000 entreprises, et descendrait au niveau des PME ou d'entreprises intermédiaires. Je suis réticent vis-à-vis de cette recommandation. Pour l'État, les OAT permettent effectivement de diminuer les coûts et de rendre compétitive la place financière de Paris. Mais prendre des décisions unilatéralement pourrait avoir des conséquences pour les entreprises.

M. Jérôme Bascher , rapporteur spécial . - Je ne suis pas un ayatollah vert, cela se saurait !

Oui, il y a bien une différence entre grandes et petites entreprises. Mais c'est la banque qui prête de l'argent aux gros comme aux petits. Comme la banque serait tenue de préciser les investissements verts qu'elle a réalisés, les petits pourraient aussi bénéficier de ces investissements.

Pour pouvoir se financer, les États ont eux aussi un intérêt à proposer des OAT vertes. Soit les États et les banques démontrent que leurs investissements sont verts, soit ils payent plus cher : voilà la vérité qui est en train de se mettre en place, avec ou sans nous.

J'ai entendu les critiques et les points d'alerte sur la double comptabilité carbone. La Banque centrale européenne (BCE) a indiqué en début de semaine qu'elle tiendra compte, à partir de l'automne prochain, du changement climatique dans ses achats d'obligations d'entreprise, puis dans son dispositif de garantie et dans ses exigences de déclaration et de transparence en matière climatique applicables aux garanties reçues lors de ses opérations de crédits.

Nous pouvons tous nous mettre la tête dans le sac, et dire que cela coûte trop cher ou que c'est trop contraignant. Mais alors que nous étions en avance sur ce sujet, nous risquerions de voir l'Union européenne nous imposer des critères beaucoup plus sévères !

Si nous ne sommes pas les premiers à aller vers des comptabilités vertes certifiées et à montrer que cela marche, nous serons forcés soit de le faire - avec l'imposition à terme d'exigences européennes très élevées et qui mettront un coup de massue aux entreprises européennes et au système bancaire européen - soit de laisser la place aux standards américains qui nous dépasseront. Ces standards permettront bien de faire du vert, mais je crains que ce ne soit davantage des billets verts que des projets écologiques.

Il y a des injonctions paradoxales dans l'écologie. Nous sommes en pleine contradiction : tous les pays se sont engagés sur des objectifs climatiques dans le cadre de l'Accord de Paris et des conférences de parties (COP) mais, en vérité, nous ne mettons rien en place, et nous nous exposons à des condamnations coûteuses. Nous avons peut-être signé ces engagements trop vite, en choisissant des dates que nous ne sommes pas capables de tenir, et cela nous pose problème aujourd'hui.

Je suis tout à fait ouvert à l'idée de modifier certaines recommandations en enlevant, par exemple, des dates qui ne doivent pas être considérées comme des impératifs.

À combien s'élève la prime verte perçue sur les OAT vertes par rapport aux OAT « conventionnelles » ? L'Agence France Trésor nous a indiqué que la « prime » verte était de l'ordre de deux à trois points de base, ce qui n'est pas négligeable au regard du volume de notre dette. J'ai bien sûr en tête le fait qu'il faille décompter, pour obtenir l'avantage net, le coût de la certification et du cadre mis en place par la France pour ses OAT vertes. Il est par ailleurs tout aussi important de proposer des titres diversifiés. Tous les moyens sont bons pour assurer la qualité de la dette et trouver des astuces pour ne pas qu'elle nous coûte trop chère !

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur l'efficience de la finance verte. Elle est certaine, mais des progrès peuvent encore être accomplis pour l'encadrer et minimiser le risque d'écoblanchiment. Reprenons l'exemple des SLB, ces obligations par lesquelles les émetteurs s'engagent sur des cibles de performance en matière environnementale ou sociale. Certains groupes ont choisi d'émettre des SLB sur des maturités très courtes, de trois ans par exemple, alors même que cela ne semble pas être l'horizon temporel d'une transition. Ils s'engagent en réalité sur des objectifs qu'ils sont sûrs d'atteindre ou qui sont déjà quasiment atteints, pour payer moins cher leurs titres. Nous devons mieux encadrer ces produits.

Là est bien le sujet : si nous ne définissons pas les standards du vert, les grands groupes et les grands pétroliers expliqueront faire du vert alors que rien n'aura finalement été fait pour lutter contre le réchauffement climatique. On peut choisir de se mentir, ce n'est pas mon choix. Il faudra certes plus de temps et de remontées d'informations pour évaluer les choses, mais on le saurait si la transition pouvait prendre cinq ans !

On retrouve cet enjeu des standards et des normes sur la double comptabilité carbone. La Société du Grand Paris émet des obligations vertes. Mais comment faire sans standard ? Les tunneliers qui creusent les nouvelles lignes de métro ne sont pas forcément électriques, et fonctionnent peut-être avec des énergies fossiles. Mais leur efficacité est certaine : ils limiteront à terme les émissions de carbone en permettant un report des voyageurs de la voiture vers les transports collectifs.

Tout l'intérêt de la double matérialité par rapport à la simple matérialité réside bien dans cette capacité, et cet impératif, de pouvoir mesurer les conséquences des activités des acteurs sur la société. Si l'on ne choisit pas cette norme, on pourra appeler vert tout ce qu'on veut, sans vraiment tenir compte de l'impact des produits, des actifs ou des activités dits « verts ».

Il faut être honnête sur ce sujet : soit on mesure vraiment, soit on dit qu'on ne sait pas le faire, et qu'il nous faut davantage de temps pour établir ces critères.

Certes, monsieur de Montgolfier, cela signifie plus de normes, mais passer à une comptabilité carbone est la seule façon d'objectiver l'affaire. Tout le reste n'est que littérature... C'est vrai, les échéances que je propose sont sans doute trop proches ; c'était une forme de provocation destinée à susciter des réactions. Mais, je le répète, sans comptabilité carbone, toutes les déclarations ne sont que du mensonge, nous nous mentons à nous-mêmes, à tous les échelons. Pour assurer la transition écologique, il faut des bilans complets, respectant les scopes d'émissions 1, 2 et 3, ainsi que la double matérialité.

Vous déplorez, monsieur Requier, que l'on « ajoute de la réglementation à la réglementation » ; c'est exact, mais c'est parce que nous ne sommes pas cohérents dans nos réglementations. Je le regrette autant que vous. C'est uniquement parce qu'on ne fait rien et que tout le monde prétend verdir son activité pour payer moins cher que nous sommes obligés de distinguer clairement ce qui est vert de ce qui ne l'est pas.

Cela étant dit, je suis prêt à discuter pour modifier les trois recommandations qui ont suscité des difficultés.

Mme Christine Lavarde . - Je me fais la porte-parole du groupe Les Républicains pour demander que le vote n'ait lieu que dans une semaine, afin de nous laisser le temps de lire cette communication, qui est extrêmement complexe. Nous ne sommes pas sûrs d'avoir compris l'intégralité des enjeux et nous avons des difficultés à l'égard de certaines recommandations.

Cela permettra d'obtenir un consensus sur ces questions.

M. Jérôme Bascher , rapporteur spécial . - Je suis tout à fait d'accord.

M. Claude Raynal , président . - Le rapporteur y étant favorable, j'accède à votre demande, ma chère collègue. Nous aurons d'ici là une proposition du rapporteur pour modifier ou préciser certaines recommandations.

M. Jérôme Bascher , rapporteur spécial . - Je transmettrai ces éléments en amont de notre réunion de commission.

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