III. FAIRE DU « VERT » : METTRE À DISPOSITION DES INVESTISSEURS DES LABELS EXIGEANTS ET SOUTENIR LES ACTEURS DANS LEUR TRANSITION, EN ASSURANT LA CRÉDIBILITÉ DE LEURS ENGAGEMENTS ET EN INTÉGRANT DAVANTAGE LE CARBONE

Les fondations étant désormais stabilisées, l'édifice de la finance verte peut prendre forme. La définition du « vert » est en effet bien avancée, sous réserve des modifications qui pourraient être apportées au Parlement européen, et plusieurs initiatives règlementaires comme opérationnelles devraient permettre de standardiser les données publiées, il revient aux acteurs financiers et non financiers de se mobiliser . Ils pourront pour ce faire s'appuyer sur les labels existants et sur les outils de financement de la transition d'ores et déjà à leur disposition, et qui bénéficieraient d'être complétés sur les aspects « carbone » .

« Faire du vert », participer à la transition, recouvre en effet deux aspects : une mobilisation des produits financiers les plus appropriés , y compris par la labellisation, et une intégration du carbone comme un élément à part entière des contraintes des acteurs.

A. L'EXISTENCE D'OUTILS LABELLISÉS ET ENCADRÉS DOIT PERMETTRE DE FAIRE EN SORTE QUE LA POLITIQUE FINANCIÈRE DES ACTEURS PRIVÉS REFLÈTE LEUR TRANSFORMATION

L'article 2.1 c) de l'accord de Paris affirme que l'un des axes d'action dans le renforcement de la « riposte mondiale à la menace des changements climatiques » doit être de rendre « les flux financiers compatibles avec un profil d'évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques » . Atteindre ces objectifs suppose toutefois une importante phase de transition, avec une allocation des actifs plus efficace au regard des objectifs climatiques poursuivis . Le rapporteur spécial insiste sur le fait que cette transition doit être soutenue : ce n'est pas en investissant seulement dans le « vert » que les flux de capitaux seront réorientés vers des actifs plus durables et que les entreprises adapteront leurs comportements . La transition demeure une étape cruciale et il existe aujourd'hui plusieurs outils à même de soutenir les acteurs financiers dans cette démarche.

Le rapport d'Yves Perrier 91 ( * ) a pour grand mérite de poser le cadre en ces termes, en insistant sur le fait que la question du climat n'est pas seulement une question morale, mais qu'elle doit être pensée et traitée comme une nouvelle révolution industrielle . Elle suppose de modifier nos processus de production, nos produits et nos chaînes de valeur. Or renverser notre mix énergétique en faveur des énergies renouvelables ou parvenir à zéro émission nette de carbone en 2050 ne pourra pas se faire en deux ans, cinq ans ni même dix ans. Il y a auparavant toute une période de transition à accompagner et à financer, à condition qu'elle s'appuie sur des engagements crédibles de la part des acteurs .

1. Les modifications à venir sur le label « ISR » devraient permettre de mieux identifier les produits verts et d'accompagner la transition
a) Le label ISR, un label reconnu par les acteurs financiers

Le label ISR (investissement socialement responsable) a été créé par l'État en 2016, avec l'objectif de distinguer les placements financiers dits « responsables » , c'est-à-dire ceux pour lesquels les sociétés de gestion tiennent compte, dans leurs décisions d'investissement et d'engagement des entreprises, des facteurs environnementaux, sociaux ou de gouvernance (ESG).

Au premier trimestre 2022, plus de 900 fonds, détenus par 160 sociétés de gestion de portefeuille et représentant 700 milliards d'euros d'actifs , sont labellisés ISR. Le label français est désormais le premier label finance responsable européen, devant le label belge.

La méthodologie et la procédure
d'octroi du label ISR

Le label ISR valorise pour une durée de trois ans une gestion financière intégrant des critères ESG selon un référentiel précis élaboré avec les parties prenantes et arrêté par l'État, dont le respect est homologué par un des trois certificateurs (Afnor Certification, Deloitte, Ernst&Young France) à l'issue d'un processus d'audit exigeant.

Les certificateurs vérifient ainsi, à l'aune du référentiel, que le gérant :

- précise les objectifs recherchés par le fonds au travers de la prise en compte de critères ESG (pilier I) ;

- détaille sa méthodologie de notation et sélection ESG (pilier II) ;

- démontre le caractère mesurable de sa stratégie de sélection ESG (pilier III) ;

- met en oeuvre une politique d'engagement ESG vis-à-vis des parties prenantes clés (pilier IV) ;

- s'engage en faveur d'une transparence renforcée vis-à-vis des investisseurs (pilier V) ;

- démontre la performance ESG du fonds à partir d'indicateurs concrets (pilier VI).

Dans les cas où des non-conformités ont été détectées lors de l'audit de certification initial, ou lors d'audits de suivi, et doivent faire l'objet de corrections, des audits de suivi spécifiques peuvent être programmés par l'organisme certificateur.

La certification peut être suspendue ou retirée, au regard du nombre de non-conformités détectées, dans le cas :

- de non-conformités graves ;

- de non-conformités majeures non levées sous trois mois ;

- de non-conformités mineures déjà détectées pour lesquelles la société de gestion de portefeuille n'a pas proposé ou mis en oeuvre des actions correctives pertinentes.

Enfin, pour la certification et la labellisation, les certificateurs s'appuient sur la méthodologie de notation et de sélection ESG de la société de gestion. Ainsi, ce ne sont ni la notation ESG des émetteurs, ni la qualité des données collectées par la société de gestion auprès des émetteurs et des tiers qui sont certifiées par le label ISR .

Source : réponses de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur spécial

Le label ISR n'est pas, au contraire du label Greenfin un label vert, mais un label finance durable , qui vise donc un progrès sur l'ensemble des dimensions ESG. Selon Michèle Pappalardo, présidente du comité du label ISR, si la nature fondamentale du label ISR veut être préservée, il ne faut pas qu'il soit procédé à l'exclusion d'office de certaines activités , contrairement à ce que l'IGF avait préconisé dans un rapport publié à la fin de l'année 2020 et appelant à une profonde réforme du label.

Le rapport de l'Inspection générale des finances
sur le label ISR

Au mois de décembre 2020, l'IGF a remis un rapport sur le label ISR. Ses constats étaient très sévères , l'IGF estimant notamment qu'à moins d'une évolution radicale, le label ISR s'exposait « à une perte inéluctable de crédibilité et de pertinence » et, qu'en dépit du volume des encours labellisés, « ses faiblesses intrinsèques [obéraient] son adaptation à un marché en forte évolution ». La gouvernance du label n'avait pas non plus été exempte de critiques, tant sur sa formalisation insuffisante que sur son manque de moyens.

L'IGF plaidait alors pour un « recentrage stratégique du dispositif », le label ISR devant avant tout « assumer une promesse simple vis-à-vis de l'épargnant particulier, celle que son placement contribue effectivement au financement d'un modèle économique durable ». La mission soulignait également qu'il fallait absolument « inscrire le label ISR dans une perspective européenne réaliste ».

La mission défendait ainsi la mise en oeuvre d'un nouveau référentiel en 2022, articulé autour des axes suivants : l'inclusion explicite d'un objectif de contribution au développement économique durable (mesuré à partir des ODD ou de la taxinomie européenne), l'exclusion de certains secteurs 92 ( * ) (au titre du principe de l'absence de préjudice significatif du placement), la préservation de l'approche généraliste du label ISR et sa transformation en « label à niveaux » ou encore la prise en compte, dans certains cas, de l'alignement sur la taxinomie européenne.

Source : Inspection générale des finances, « Bilan et perspectives du label « investissement socialement responsable (ISR) », décembre 2020

Le comité pourrait en revanche proposer que le label ISR ne puisse être obtenu par un fonds qu'à la condition de satisfaire à une obligation minimale de transparence et d'engagement sur l'aspect climat de la dimension « E » (environnement). Une telle évolution apparaît conforme à ce qui fait la force du label ISR : les importantes obligations de transparence imposées aux détenteurs du label. Le comité réfléchit également à créer de nouveaux référentiels du label ISR spécifiques à certaines catégories de produits ( private equity , fonds monétaires, dérivés, gestion passive), comme cela a été fait par exemple pour les valeurs immobilières.

Les modifications proposées seront soumises par le comité du label ISR au ministère de l'économie et des finances et devraient faire l'objet d'un arrêté d'ici à la fin de l'année 2022.

Michèle Pappalardo a ainsi expliqué lors de son audition que l'objectif de ces modifications était triple : « l'exigence, la crédibilité et l'efficacité du label ISR ». L'efficacité se mesure aussi à la capacité à faire avancer les acteurs de la Place sur des préoccupations dont certains d'entre eux ne se sont jusqu'ici pas saisis : les plus verts, les plus durables ont finalement moins besoin du label ISR que ceux cherchant à asseoir la crédibilité de leurs engagements durables.

Le label français sera sans doute également amené à coexister avec l'éco-label européen sur les produits financiers , dont l'objectif est d'orienter l'épargne les ménages vers des produits qui financent la transition énergétique, en leur apportant l'information et la confiance nécessaire pour leurs investissements. Ce label serait en revanche uniquement « vert » et non durable. L'existence d'un label vert solide et crédible pourrait ainsi permettre de limiter les effets d'aubaine 93 ( * ) , c'est-à-dire le financement par des obligations vertes de projets qui auraient été de toute façon financés par des obligations conventionnelles.

L'éco-label européen

L'éco-label européen concernerait les produits d'investissement de détail, ainsi que les produits d'assurance avec une composante d'investissement (ex. les unités de compte pour l'assurance vie). Le groupe de travail a proposé que six critères soient retenus pour l'octroi de ce label, avec des exigences d'évaluation et de vérification sur chacun d'entre eux :

1. les investissements portent sur des activités économiques vertes et de transition au sens de la taxinomie européenne ;

2. les activités environnementales nuisibles sont exclues, tout comme les obligations souveraines des États n'ayant pas ratifié des accords internationaux tels que l'accord de Paris ;

3. les principes sociaux et de gouvernance tels que définis sur la base de standards et de textes internationaux sont respectés ;

4. une politique d'engagement est mise en oeuvre, notamment via le vote en assemblée générale des actionnaires ;

5. le consommateur est régulièrement informé de la répartition de ses investissements, mais aussi des procédures de contrôle interne et de gouvernance mises en place ;

6. les règles d'information sur l'éco-label sont respectées.

Source : Finance for Tomorrow, « Du plan d'action européenne à la stratégie renouvelée sur la finance durable, décryptage des avancées règlementaires », mai 2020

L'entrée en vigueur de ce label est nécessairement subordonnée à celle de l'ensemble des actes délégués relatifs à la taxinomie des actifs durables et à celle du standard européen sur les obligations vertes. Ces nouveaux éléments amèneront sans doute, comme l'a indiqué au rapporteur spécial Michèle Pappalardo, à revoir le label ISR d'ici trois ans, pour tenir compte des évolutions intervenues au niveau européen .

Recommandation n° 15 ( comité du label ISR, ministère de l'économie et des finances) : revoir les critères et le fonctionnement du label ISR a minima tous les trois ans , en tenant compte des meilleures pratiques du marché et des évolutions règlementaires intervenues au niveau européen.

b) La transformation du label ISR en une labellisation « par brique »

D'après les informations transmises par la présidente du comité du label ISR, le comité travaillerait bien à introduire des exigences minimales sur les trois critères ESG, avec l'instauration de planchers à respecter pour obtenir la labellisation. Plusieurs niveaux d'exigence optionnels seraient ensuite ajoutés, avec des déclinaisons thématiques sur le climat, l'emploi ou encore la santé par exemple.

Pour Nathalie Layani, directrice de la politique durable de la Caisse des dépôts, c'est cette évolution qui doit être privilégiée : un socle de base , auquel pourraient ensuite s' ajouter des briques permettant à un fonds de démontrer qu'il est plus exigeant sur la dimension environnementale par exemple.

Pour résumer, il serait possible de labelliser un fonds comme plus ambitieux sur une dimension, mais il serait impossible de labelliser un fonds ne respectant pas des critères minimaux sur chacune des dimensions couvertes par le label ISR. Pour le rapporteur spécial, cette approche a le mérite de conserver un cadre unique par le label ISR, sans multiplier les étiquettes. À ce titre, il pourrait même être envisagé d'intégrer le label Greenfin sous la forme d'une nouvelle brique du label ISR, en estimant que faire du vert ne dispense pas de respecter un socle minimal d'exigences sur les autres dimensions ESG, ce qui est déjà pour partie prévu dans Greenfin .

La méthodologie et la procédure
d'octroi du label Greenfin

L'attribution du label Greenfin par trois certificateurs (Afnor Certification, Ernst&Young France, Novethic), repose sur un référentiel bâti sur quatre critères :

- la part verte : une nomenclature liste huit éco-activités d'activités éligibles au financement du fonds candidat (énergie, bâtiment, gestion des déchets et contrôle de la pollution, industrie, transport propre, TIC, agriculture et forêt, adaptation au changement climatique), une part doit être réservée à ces activités au sein du fonds candidat. Des seuils définissent les règles d'allocation a minima entre trois « poches » d'investissement, définies par « l'intensité » de la « part verte » dans le chiffre d'affaires des émetteurs dans lesquels chaque « poche » est investie.

- les exclusions : le référentiel exclut du périmètre d'investissement des fonds labellisés certaines activités économiques « contraires » à la transition énergétique et écologique, ou actuellement controversées (l'exploration-production et l'exploitation de combustibles fossiles ; l'ensemble de la filière nucléaire ; quelques exclusions partielles).

- la prise en compte des critères ESG dans la construction et la vie du portefeuille et la gestion des controverses ESG.

- « l'impact » positif sur la transition énergétique et écologique : le fonds candidat doit avoir mis en place un mécanisme de mesure de la contribution effective de ses investissements à la transition énergétique et écologique (informations sur les moyens humains, la méthode d'évaluation de l'impact et les indicateurs d'impact retenus).

Au mois de mars 2022, environ 80 fonds étaient labellisés Greenfin, pour un encours d'environ 20 milliards d'euros .

Source : réponses de la direction générale du Trésor au rapporteur spécial

De telles évolutions supposent toutefois de disposer de la donnée nécessaire et certifiée , ce qui reprend les constats énoncés précédemment par le rapporteur spécial. Michèle Pappalardo soutient dans ce cadre la volonté de la Commission européenne de proposer en 2023 un nouveau cadre règlementaire pour la notation ESG (cf. supra ), les agences de notation s'apparentant encore selon elle à des « boîtes noires ».

La même logique de brique pourrait ensuite être appliquée pour intégrer le développement de la finance à impact .

La finance à impact

Sous l'impulsion et sous l'égide de Finance For Tomorrow (F4T), branche finance responsable de Paris Europlace née à la suite de l'adoption de l'accord de Paris, plusieurs acteurs - assureurs, banques, gestionnaires d'actifs, organisations non gouvernementales, investisseurs institutionnels - ont signé une déclaration de soutien au développement de la finance à impact .

Aux termes de cette déclaration, la finance à impact est définie comme une stratégie d'investissement ou de financement qui vise à accélérer la transition juste et durable de l'économie réelle, en apportant une preuve de ses effets bénéfiques. Elle repose sur trois piliers : l'intentionnalité, l'additionnalité et la mesure de l'impact , pour démontrer :

1. la recherche conjointe, et dans la durée, d'une performance écologique et sociale et d'une rentabilité financière , tout en maîtrisant l'occurrence d'externalités négatives ;

2. l'adoption d'une méthodologie claire et transparente décrivant les mécanismes de causalité via lesquels la stratégie contribue à des objectifs environnementaux et sociaux définis en amont, la période pertinente d'investissement ou de financement, ainsi que les méthodes de mesure, selon le cadre dit de la théorie du changement ;

3. l' atteinte de ces objectifs environnementaux et sociaux s'inscrivant dans des cadres de référence, notamment les Objectifs de Développement Durable, déclinés aux niveaux international, national et local.

Source : Déclaration de soutien au développement de la finance à impact , novembre 2021

Finance For Tomorrow (F4T) plaide ainsi pour que le label ISR inclue une déclinaison propre à la finance à impact . Il ne s'agirait donc pas d'un nouveau label, l'objectif étant de ne pas les multiplier au nom de l' exigence de lisibilité pour les épargnants, mais d'une nouvelle « brique ».

Recommandation n° 16 (ministère de l'économie et des finances) : valider les modifications du référentiel du label ISR proposant d'introduire des exigences minimales sur les trois dimensions E (environnement), S (social) et G (gouvernance) ainsi que des exigences optionnelles sur certaines dimensions, préalable à la transformation du label ISR en un label « par brique ».

2. Le développement des sustainability-linked bonds pour le financement de la transition doit être tout à la fois encouragé et encadré
a) Privilégier les outils existants plutôt qu'un nouveau label transition

Le rapport d'Yves Perrier 94 ( * ) propose, en sa recommandation n° 19, de créer aux côtés du label ISR un label dédié à la transition climatique, ayant vocation à valoriser les investissements dans la transition carbone . Or, au regard de ce qui a été dit précédemment sur les évolutions apportées au label ISR et des propos entendus lors des auditions, le rapporteur spécial estime que créer un label en propre n'est peut-être pas le format le plus adapté .

Plusieurs acteurs auditionnés par le rapporteur spécial s'accordent en effet à dire qu' il ne faut pas multiplier les labels sur la dimension environnementale , alors que la France est le seul pays européen à en avoir deux - le label ISR à vocation généraliste et le label Greenfin - et qu'un label européen pourrait en plus être développé.

Par ailleurs, l'orientation des modifications proposées sur le label ISR, avec l'instauration d'un socle de base enrichi de briques spécifiques contient cette idée de transition. Par exemple, la brique « climat » ne pourrait être obtenue que si le fonds démontrait son implication pour la transition bas carbone.

Rien n'empêche enfin, pour les entreprises et les acteurs financiers engagés dans une logique de transition, de s'appuyer sur la taxinomie européenne, qui n'est pas un outil d'exclusion. Le rapporteur spécial considère en effet que l'analyse de l'alignement sur la taxinomie ne peut se satisfaire d'une approche binaire (activité alignée ou non alignée) ; elle doit également servir à analyser les trajectoires d'alignement, de manière à encourager les acteurs à poursuivre leur transition et le verdissement des activités 95 ( * ) . Ce n'est en effet pas en ne soutenant que le « vert » que nous parviendrons à tenir les objectifs climatiques et environnementaux fixés pour 2030 et 2050.

La taxinomie n'exclut pas en elle-même cette approche dynamique . Sur l'objectif d' atténuation du changement climatique , trois catégories d'activités alignées sont par exemple prévues :

- les activités vertes , qui peuvent être considérées comme durables même à l'horizon 2050 ;

- les activités de transition , qui contribuent à réduire les émissions de gaz à effet de serre quand il n'existe pas d'activités alternatives déjà durables. Ces activités sont amenées à être revues régulièrement avec des exigences de plus en plus fortes (ex. gaz, nucléaire) ;

- les activités habilitantes , qui permettent le développement des activités durables.

Ainsi, à côté d'imposer aux distributeurs des produits d'épargne de devoir proposer au moins un fonds ISR ou un fonds Greenfin dans leur gamme d'unités de compte et aux gestionnaires d'actifs de disposer d'un pourcentage de vert, il est impératif de leur imposer ou de les inciter à disposer d'un pourcentage d'investissements d'entreprises s'engageant à se conformer à la taxinomie d'ici telle ou telle échéance 96 ( * ) . Les investissements seraient dès lors conditionnés à une trajectoire climatique crédible (mise en oeuvre d'une stratégie certifiée, engagement sur les échéances avec des dates précises, engagements de sortie et d'entrée dans certaines activités).

Recommandation n° 17 (acteurs de la Place, ministère de l'économie et des finances) : préparer, par le biais d'un engagement de Place, les gestionnaires de fonds et de produits d'épargne à pouvoir disposer d'un pourcentage d'investissements d'entreprises s'engageant de manière crédible à se conformer à la taxinomie verte européenne à une échéance précisée dans leur stratégie environnementale.

b) Adopter une politique financière démontrant la transformation

D'autres instruments existent aujourd'hui pour financer la transition et sont privilégiés par les entreprises, à l'instar des sustainability-linked bonds (SLB) . La première société à avoir émis cette forme d'obligation, l'italienne ENEL, l'a d'ailleurs fait parce qu'il lui était impossible de lever des fonds par le biais d'une obligation verte. Les caractéristiques mêmes des SLB, avec un engagement de l'émetteur à atteindre des objectifs clés de performance sur le climat ou sur l'environnement ou, à défaut, à verser un surcroît d'intérêt aux porteurs ou à une ONG, font de ces produits un support à privilégier, à la condition qu'ils soient encadrés .

Pour reprendre les termes d'une personne auditionnée, la politique financière d'une entreprise doit démontrer sa transformation . Elle doit démontrer ses engagements environnementaux, tels que l'alignement de la politique de l'entreprise sur un scénario limitant le réchauffement de la planète à 1,5° C d'ici 2050 ou la réduction des émissions de scope 3 par exemple. Une entreprise ne décide pas de recourir à l'émission d'une SLB et de définir ensuite ses indicateurs clés de performance, elle définit d'abord son ambition climat, convient que les investisseurs doivent accompagner cette transformation et choisit donc d'émettre des SLB.

Comme cela a pu être expliqué précédemment, les SLB apparaissent toutefois comme davantage susceptibles de conduire à de l'éco-blanchiment , avec une incertitude sur l'allocation des fonds ou sur la pertinence des indicateurs de performance retenus par les émetteurs, en l'absence de lien direct obligatoire avec les fonds levés (cf. supra ).

Les SLB peuvent certes faire l'objet d'une seconde opinion , l'émetteur transmettant sa documentation avant l'émission. Toutefois, ainsi que l'ont bien rappelé les représentants de S&P's, cette seconde opinion ne porte, comme pour les émissions souveraines, que sur l'alignement avec les principes applicables aux SLB, à la méthodologie retenue par l'émetteur. Il ne revient pas par exemple à l'entité mandatée de se prononcer sur la pertinence des objectifs de performance .

Pour prévenir ces soupçons et assurer aux émetteurs privés un financement de marché dans les meilleures conditions possibles, de plus en plus de banques les aident à bien cibler leurs indicateurs et leurs objectifs de performance. L'enjeu est de fixer des cibles suffisamment ambitieuses , eu égard au marché, au secteur d'activité, au point de départ de l'émetteur et aux avances technologiques. Or, juger de l'ambition d'une trajectoire est extrêmement compliqué, avec des compétences, des données et des méthodologies encore très limitées dans ce domaine 97 ( * ) . Il s'agit pourtant d'un enjeu essentiel alors que la déconnexion entre le montant émis et l'objectif choisi, propre aux SLB, peut poser d'importantes difficultés pour la crédibilité du titre et de l'émetteur.

L'Autorité des marchés financiers a accordé le 11 mai 2021 son premier visa sur l'émission d'un sustainability-linked bond de droit français , en approuvant son prospectus permettant son admission sur Euronext Paris. Le prospectus doit présenter les objectifs de durabilité que s'est fixés l'émetteur à l'émission, ces objectifs chiffrés étant définis par des indicateurs clés de performance ( key performance indicators - KPI). L'autorité insiste sur la nécessité pour les émetteurs de convaincre les investisseurs de la crédibilité des paramètres retenus (KPI, rehaussement du coupon en cas d'objectif manqué) 98 ( * ) .

L'AMF s'attend à ce que les émissions de SLB prennent de plus en plus d'importance et s'étendent aux opérations obligataires admises à la négociation sur les marchés règlementés 99 ( * ) . Lors de son audition, WWF a estimé que l'encours des SLB pourrait atteindre 200 milliards d'euros à la fin de l'année 2022 , soit près d'un quart du total des émissions d'obligations vertes annuelles. Les SLB représenteraient déjà 10 % du marché de la dette durable et 50 % des obligations vertes 100 ( * ) .

Il devient dès lors impératif de renforcer le cadre qui leur est applicable , en portant une attention particulière à la fixation des indicateurs de performance, qui doivent être à la fois réalistes en termes d'effort à accomplir et pertinents pour le coeur de métier de l'émetteur. Le rapporteur spécial s'interroge sur l' opportunité de confier un rôle plus large à l'AMF sur les SLB , par exemple en lui confiant la possibilité d'échanger avec l'émetteur sur la crédibilité de ses KPI.

Recommandation n° 18 ( Autorité des marchés financiers) : engager dans les six prochains mois une étude d'impact et de faisabilité sur l'opportunité de confier à l'Autorité des marchés financiers un droit d'appréciation des indicateurs clés de performance choisis par les émetteurs dans leur cadre des sustainability-linked bonds . Si les résultats sont probants, modifier les dispositions législatives et règlementaires afférentes d'ici au 1 er juillet 2023.


* 91 Rapport Perrier, « Faire de la place financière de Paris une référence pour la transition climatique : un cadre d'actions », remis au ministre de l'économie et des finances le 10 mars 2022.

* 92 Il s'agissait plus précisément des armes non-conventionnelles, du tabac, des activités liées à la déforestation, de l'extraction et de la production de charbon et de fossiles non-conventionnels ainsi que de la production de chaleur et d'électricité incompatible avec un scénario d'évolution de la température de la Terre d'au moins 2° C.

* 93 Pierre Bui Quang, Jean-Brieux Delbos, Simon Perillaud, Clément Bourgey, « En plein essor, le marché des obligations vertes nécessite d'être mieux mesuré », Bulletin de la Banque de France 226/6, novembre-décembre 2019.

* 94 Rapport Perrier, « Faire de la place financière de Paris une référence pour la transition climatique : un cadre d'actions », remis au ministre de l'économie et des finances le 10 mars 2022.

* 95 Cette approche du rapporteur spécial s'appuie sur son audition avec la Caisse des dépôts.

* 96 Un point rappelé lors de son audition par Pauline Becquey, directrice générale de Finance For Tomorrow.

* 97 Audition par le rapporteur spécial de représentants du Crédit agricole.

* 98 Autorité des marchés financiers, rapport d'activité pour l'année 2021 , 18 mai 2022.

* 99 Autorité des marchés financiers, « L'AMF approuve, pour la première fois, un prospectus obligataire permettant l'admission sur Euronext Paris de `Sustainable Linked Bonds' », 17 décembre 2021.

* 100 Selon les prévisions d'Ostrum Asset Management, reprises dans Les Échos, « Obligations durables : un tri s'impose pour les gérants d'actifs », 31 mai 2022.

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