Rapport d'information n° 576 (2021-2022) de M. Guillaume CHEVROLLIER et Mme Denise SAINT-PÉ , fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, déposé le 15 mars 2022

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N° 576

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 mars 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur la réforme du marché carbone européen dans le cadre du paquet « Ajustement à l' objectif 55 »,

Par M. Guillaume CHEVROLLIER et M me Denise SAINT-PÉ,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot , président ; M. Didier Mandelli, Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Joël Bigot, Rémy Pointereau, Frédéric Marchand, Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Médevielle, Ronan Dantec , vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Angèle Préville, MM. Pascal Martin, Bruno Belin , secrétaires ; MM. Jean-Claude Anglars, Jean Bacci, Étienne Blanc, François Calvet, Michel Dagbert, Mme Patricia Demas, MM. Stéphane Demilly, Michel Dennemont, Gilbert-Luc Devinaz, Mme Nassimah Dindar, MM. Gilbert Favreau, Jacques Fernique, Mme Martine Filleul, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Éric Gold, Daniel Gueret, Mmes Nadège Havet, Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Olivier Jacquin, Gérard Lahellec, Mme Laurence Muller-Bronn, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Philippe Pemezec, Mmes Évelyne Perrot, Marie-Laure Phinera-Horth, Kristina Pluchet, MM. Jean-Paul Prince, Bruno Rojouan, Mme Denise Saint-Pé, MM. Philippe Tabarot, Pierre-Jean Verzelen .

L'ESSENTIEL

I. EN L'ÉTAT, UN MARCHÉ CARBONE EUROPÉEN EN DÉCALAGE AVEC L'AMBITION CLIMATIQUE DE L'UNION EUROPÉENNE

Le système d'échange de quotas d'émission (SEQE-UE) est un pilier de la politique climatique européenne s'appuyant sur :

- un « plafond » d'émissions de gaz à effet de serre (GES) , abaissé au fil du temps ;

- l'allocation de quotas correspondant à ce plafond aux entreprises des secteurs couverts, soit par une vente aux enchères par l'État, soit par une allocation gratuite ;

- la possibilité pour les entreprises d'échanger ces quotas sur un marché européen .

Le prix du CO 2 découle de la confrontation entre l'offre et la demande de quotas .

Source : Cour des comptes européenne .

è 3 Secteurs couverts par le SEQE-UE : énergie, industrie et transport aérien intra-européen.

è Dans les autres secteurs émetteurs (transport, bâtiment, agriculture et déchets), les États membres sont tenus responsables de la réduction des émissions au titre du règlement sur la répartition de l'effort (RRE).

Source : Réseau action climat.

Pour atteindre le nouvel objectif de réduction des GES de 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990, des objectifs distincts sont assignés aux secteurs relevant du SEQE-UE (- 61 % d'ici 2030 par rapport à 2005) et aux secteurs relevant du règlement RRE (- 40 % d'ici 2030 par rapport à 2005) .

A. UN SYSTÈME N'AYANT À CE JOUR CONTRIBUÉ QU'À LA MARGE À L'ATTEINTE DES OBJECTIFS CLIMATIQUES EUROPÉENS

Le SEQE-UE a atteint les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre assignés pour l'année 2020, par rapport à 2005.

Toutefois, le SEQE-UE n'a joué qu'un rôle très modeste dans la réalisation effective de cet objectif : pendant une majeure partie de la dernière décennie, jusqu'en 2018, le prix de la tonne de CO 2 a été trop faible (< 10€) pour pouvoir enclencher la décarbonation de l'économie. D'autres outils, tels que la réglementation, ont à cet égard apporté une contribution déterminante.

B. EN L'ÉTAT, LE SYSTÈME NE PERMETTRAIT PAS D'ATTEINDRE LES NOUVEAUX OBJECTIFS CLIMATIQUES, NOTAMMENT EN RAISON DE LA DISTRIBUTION DE QUOTAS GRATUITS

Surtout, le cadre actuel est manifestement insuffisant pour atteindre le nouvel objectif européen de réduction de 55 % des émissions carbone d'ici 2030 par rapport à 1990. Le maintien de quotas gratuits associés au SEQE-UE - mis en place pour lutter contre les phénomènes de fuites de carbone dans l'industrie - constitue en particulier un obstacle évident à ce relèvement de l'ambition.

Les fuites de carbone correspondent à un phénomène par lequel une activité est déplacée en dehors de l'Union européenne pour échapper à une norme environnementale, soit du fait d'une délocalisation, soit du fait d'une perte de compétitivité vis-à-vis de concurrents étrangers.

C. UNE RÉDUCTION TROP LIMITÉE DES ÉMISSIONS DES SECTEURS HORS SEQE-UE

Les difficultés rencontrées par les autres secteurs (principalement le bâtiment, le transport routier et le transport maritime) dans leurs efforts de décarbonation semblent encore plus significatives . À politiques publiques constantes, les émissions relevant du règlement RRE ne baisseraient que de 31 % d'ici 2030 par rapport à 2005, en décalage avec le nouvel objectif de - 40 %.

II. LE PROJET DE LA COMMISSION EUROPÉENNE : UNE MISE À JOUR DES RÈGLES DU SEQE-UE, COMPLÉTÉE PAR UN MÉCANISME D'AJUSTEMENT CARBONE AUX FRONTIÈRES ET L'INSTAURATION D'UN NOUVEAU SEQE POUR LES SECTEURS DU BÂTIMENT ET DU TRANSPORT ROUTIER

La réforme du marché carbone européen et le projet de mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, proposés par la Commission européenne, visent à répondre à ces difficultés et s'intègrent dans un paquet plus large - « Ajustement à l'objectif 55 » - qui doit placer l'Union européenne sur la voie du nouvel objectif climatique du continent à horizon 2030.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION : DES AVANCÉES NOTABLES, MAIS DES AMBITIONS À RELEVER ET DES INQUIÉTUDES LÉGITIMES AU SUJET DE LA CRÉATION DU SEQE- BIS

A. RÉFORME DU SEQE-UE : UN INDISPENSABLE RENFORCEMENT DU SYSTÈME EUROPÉEN

La commission accueille favorablement les grands axes du projet de réforme du SEQE-UE, nécessaire à l'atteinte des objectifs climatiques de l'Union européenne.

Elle souhaite toutefois que le projet de la Commission européenne soit complété d'un outil pour donner plus de visibilité aux acteurs économiques sur l'évolution du prix du CO 2 , par exemple par l'instauration d'un corridor de prix sur le SEQE-UE ( recommandation n° 1 ). Ce complément apparaît particulièrement nécessaire dans le contexte géopolitique actuel de la guerre entre l'Ukraine et la Russie, marqué par une envolée des prix de l'énergie .

Si elle se félicite également des propositions de réforme associées aux transports aériens et maritimes , elle appelle à renforcer l'ambition du texte à plusieurs égards , en aboutissant à une régulation ambitieuse des émissions maritimes sous l'égide de l'Organisation maritime internationale ( recommandation n° 2 ), en permettant aux États membres de fixer des prix planchers sur les billets d'avion afin d'accélérer le report modal vers le train ( recommandation n° 3 ), en étudiant l'effet conjugué des mesures du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » en matière de fuites de carbone dans le transport aérien ( recommandation n° 4 ) et en renforçant la régulation environnementale des trajets aériens internationaux pour compléter le mécanisme CORSIA ( recommandation n° 5 ).

Enfin, si la commission estime très positif que les recettes du SEQE-UE soient plus largement orientées vers le financement de la transition climatique, elle appelle à élaborer une stratégie européenne globale de financement à la hauteur des besoins ( recommandation n° 6 ) et à adapter les règles du pacte de stabilité et de croissance ( recommandation n° 7 ).

B. MÉCANISME D'AJUSTEMENT CARBONE AUX FRONTIÈRES : UN OUTIL PERTINENT DEVANT ÊTRE COMPLÉTÉ POUR ATTEINDRE SA CIBLE

La commission souscrit à la proposition visant à instaurer un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) , porté par la France, et particulièrement par le Sénat, depuis de nombreuses années. Elle forme le voeu que ce mécanisme contribue, dans les secteurs couverts, à protéger de manière efficace les industries européennes dans leurs efforts de décarbonation et permette l'extinction progressive des quotas gratuits au titre du SEQE-UE, sans induire de risques de fuites de carbone .

La proposition de la Commission européenne pourrait toutefois être complétée pour mieux atteindre sa cible environnementale, industrielle et diplomatique, en avançant à 2030 au lieu de 2036 l'extinction totale des quotas gratuits du SEQE-UE ( recommandation n° 8 ), en envisageant l'intégration de produits de base supplémentaires et de certains produits finis d'ici 2026 ( recommandations n° 10 et 11 ) et en mobilisant l'intégralité des recettes du MACF pour accompagner les pays les moins avancés et les pays voisins de l'Union européenne affectés par la mise en place du mécanisme ( recommandation n° 12 ).

C. CRÉATION DU SEQE-BIS POUR LES SECTEURS DU BÂTIMENT ET DU TRANSPORT ROUTIER : FACE AUX INQUIÉTUDES LÉGITIMES, DES AJUSTEMENTS, DES GARANTIES ET DES COMPENSATIONS À PRÉVOIR

La création d'un nouveau système d'échange des quotas d'émission pour le bâtiment et le transport routier (SEQE- bis ) suscite de légitimes inquiétudes partagées par un large panel d'instances entendues , acteurs économiques comme organisations non gouvernementales.

è Crainte que le signal-prix pénalise à court-terme les classes moyennes et populaires , sans que les solutions bas-carbone ne puissent être mobilisées assez rapidement pour le contrebalancer ;

è Incertitude sur le bénéfice environnemental du dispositif , car le prix du CO 2 devrait atteindre des niveaux très élevés pour être réellement efficace dès 2026, date d'entrée en vigueur envisagée du SEQE- bis , et espérer baisser significativement les émissions d'ici la fin de la décennie.

Mais une opposition au SEQE- bis ne devrait pas conduire à affaiblir l'ambition climatique du paquet : la commission appelle donc à veiller à la cohérence d'ensemble du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » ( recommandation n° 13) .

Les rapporteurs appellent en tout état de cause à prévoir des ajustements, garanties et compensations dans l'hypothèse où la proposition de création d'un SEQE- bis viendrait à être mise en oeuvre : exclusion des particuliers , qui devra alors être compensée afin de maintenir le paquet à hauteur de l'objectif de 55 % ; instauration d'un prix plafond de la tonne de CO 2 sur le SEQE- bis ; allocation de moyens supplémentaires à l'accompagnement des ménages les plus précaires ( recommandation n° 14 ).

LISTE DES RECOMMANDATIONS
ADOPTÉES PAR LA COMMISSION

Recommandation n° 1 : dans un contexte d'envolée des coûts du CO 2 et de l'énergie, renforcer les outils de stabilisation du prix du carbone sur le SEQE-UE par l'instauration d'un corridor de prix sur le marché ou la possibilité de prélever des quotas de la réserve en cas d'augmentation importante du prix moyen d'allocation.

Recommandation n° 2 : faire de l'intégration partielle des émissions des trajets maritimes extra européens au système d'échange de quotas d'émission un levier de négociation en vue d'aboutir à une régulation ambitieuse sous l'égide de l'Organisation maritime internationale (OMI).

Recommandation n° 3 : permettre de fixer des prix planchers sur les billets d'avion afin de lutter contre le dumping social et environnemental de certaines compagnies et d'accélérer le report modal vers le train, conformément à la volonté législative exprimée par l'article 144 de la loi « Climat et résilience ».

Recommandation n° 4 : étudier l'effet conjugué des mesures du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » en matière de fuites de carbone dans le transport aérien et, dans l'éventualité où ces risques de fuites viendraient à se réaliser, mobiliser, à l'avenir, des mesures de protection adéquates et proportionnées, s'appuyant par exemple sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

Recommandation n° 5 : renforcer la régulation environnementale des trajets aériens internationaux pour compléter le mécanisme CORSIA, particulièrement peu ambitieux et, pour l'heure, inopérant.

Recommandation n° 6 : élaborer une stratégie européenne globale de financement à la hauteur des besoins et envisager, le cas échéant, le regroupement des différents fonds qui contribuent à l'atteinte des objectifs climatiques du continent.

Recommandation n° 7 : adapter les règles du pacte de stabilité et de croissance pour encourager les États membres à mobiliser les moyens budgétaires en direction de la décarbonation de l'économie européenne.

Recommandation n° 8 : au regard des enjeux climatiques et industriels, avancer l'extinction totale des quotas gratuits à 2030, au lieu de 2036.

Recommandation n° 9 : sous réserve d'une étude d'impact approfondie et du respect des critères énoncés par la Commission européenne, envisager l'intégration de produits de base supplémentaires au MACF d'ici 2026, le cas échéant, dès l'examen du projet de règlement au Conseil et au Parlement européen.

Recommandation n° 10 : afin de résorber le déficit de compétitivité dont pourraient souffrir les entreprises exportatrices européennes, étudier l'opportunité d'une extension du MACF, d'ici 2026, à certains produits finis particulièrement exposés à un risque de fuites de carbone, et tenir compte des émissions indirectes des produits couverts.

Recommandation n° 11 : utiliser la période transitoire précédant l'entrée en vigueur du mécanisme pour rapprocher, voire lier, le SEQE-UE à d'autres systèmes d'échange de quotas d'émission équivalents.

Recommandation n° 12 : mobiliser l'intégralité des recettes du MACF pour accompagner les pays les moins avancés et les pays voisins de l'Union européenne affectés par la mise en place du mécanisme, par exemple sous la forme des contrats de partenariat climatique sur le modèle de l'accord conclu pendant la COP26 avec l'Afrique du Sud.

Recommandation n° 13 : veiller à la cohérence climatique d'ensemble du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », y compris dans l'hypothèse où la proposition de création d'un SEQE- bis ne serait pas retenue par les États membres et par le Parlement européen.

Recommandation n° 14 : prévoir des ajustements, garanties et compensations dans l'hypothèse où la proposition de création d'un SEQE- bis viendrait à être maintenue :

• envisager une exclusion des particuliers du dispositif, qui devrait alors être compensée par des alternatives afin de maintenir le paquet à hauteur de l'objectif de 55 % ;

• instaurer un prix plafond de la tonne de CO 2 sur le SEQE- bis pour renforcer la stabilité du marché ;

• allouer des moyens supplémentaires à l'accompagnement des ménages les plus précaires, dans l'hypothèse du maintien du dispositif pour les particuliers, compte tenu des moyens trop limités du fonds social pour le climat proposé par la Commission européenne.

RAPPORT

I. LE SEQE-UE : UN SYSTÈME À L'EFFICACITÉ DÉBATTUE

A. LE SEQE-UE : UN SYSTÈME UNIQUE AU MONDE, N'AYANT À CE JOUR CONTRIBUÉ QU'À LA MARGE À L'ATTEINTE DES OBJECTIFS CLIMATIQUES EUROPÉENS

1. Le SEQE-UE, une innovation européenne
a) L'instauration d'un système de « plafonnement et d'échange », outil de marché au service de l'atténuation du changement climatique

Le système d'échange de quotas d'émission (SEQE-UE ou European Union Emissions Trading Scheme , EU-ETS ) est un système de « plafonnement et d'échange » des émissions de gaz à effet de serre, créé par la directive 2003/87/CE 1 ( * ) et mis en place en 2005 pour faciliter l'atteinte des objectifs de l'Union européenne au titre du Protocole de Kyoto de 1997 - premier accord climatique international imposant aux Parties signataires développées une réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Il a depuis lors été conforté comme un des piliers de la politique climatique de l'Union européenne .

Ce système repose, d'une part, sur la fixation d'un « plafond » d'émissions de gaz à effet de serre , abaissé au fil du temps de manière à faire diminuer la quantité totale d'émissions et, d'autre part, sur l' allocation de quotas correspondant à ce plafond aux entreprises de certains secteurs . Un quota représente une tonne de dioxyde de carbone (CO 2 ) , principal gaz à effet de serre, ou d'équivalent CO 2 pour les autres gaz couverts par le SEQE-UE.

Les quotas d'émission sont alloués par la puissance publique par le biais d'enchères ou par une distribution gratuite . Depuis 2013, la mise aux enchères est la méthode par défaut d'allocation des quotas : la distribution gratuite constitue une exception , bénéficiant aux installations relevant de certains secteurs spécifiques, exposés à un risque de fuites de carbone (voir infra ).

Les entreprises assujetties à ce régime ont par ailleurs la possibilité d'échanger ces quotas sur le marché européen des quotas d'émission : les installations émettant plus que leur allocation doivent se procurer les quotas manquants, là où les installations émettant moins que leur allocation peuvent revendre leurs quotas non utilisés. Un prix du CO 2 découle ainsi de la confrontation entre l'offre et la demande de quotas .

Ce système de « plafonnement et d'échange » - le premier à être mis en place dans le monde - constitue en théorie un outil particulièrement efficace de réduction des émissions de gaz à effet de serre (voir encadré ).

Le SEQE : un système de « plafonnement et d'échange »,
outil de réduction des émissions de gaz à effet de serre

Les systèmes de « plafonnement et d'échange » ( cap and trade ), théorisés dans les années 1960 par les économistes Ronald Coase et John Dales, constituent dans la théorie économique un des trois outils à disposition de la puissance publique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, aux côtés de :

- la réglementation, visant à encadrer les comportements et les pratiques, par exemple via des normes (ex. normes européennes sur les émissions de véhicules), voire à les interdire (ex. interdiction de locations de « passoires thermiques ») ;

- la taxation pigouvienne 2 ( * ) , par laquelle les activités économiques sont taxées à hauteur des externalités négatives qu'elles induisent, soit, en l'espèce, de leurs émissions de gaz à effet de serre.

Comme le système de « plafonnement et d'échange », la taxe pigouvienne climatique est un outil visant à instaurer un signal-prix, incitant les acteurs économiques à orienter leurs activités vers des modes de production et de consommation moins émetteurs de gaz à effet de serre.

Les deux outils reposent toutefois sur des logiques opposées :

- dans le système de « plafonnement et d'échange », le signal-prix n'est pas fixé par la puissance publique, mais résulte de la confrontation de l'offre et de la demande sur le marché ou dans le cadre des enchères de quotas, et, en définitive, de la quantité maximale de pollution fixée par la puissance publique via l'allocation des quotas ;

- avec une taxation pigouvienne, il revient à la puissance publique de déterminer le taux adéquat pour atteindre la cible de pollution visée. En théorie, le taux de la taxe est alors fixé à un niveau où le coût marginal de réduction d'une quantité donnée de pollution est égal au coût marginal des effets négatifs de cette pollution.

En théorie, le système de « plafonnement et d'échange » permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre à moindre coût.

En effet, suivant la loi de l'offre et de la demande, le marché déterminera empiriquement le prix optimal de la réduction d'émission en fonction de l'objectif de réduction des émissions, prédéterminé par la puissance publique. Le marché carbone garantit donc, en principe, l'adaptation constante du prix des quotas à la réalité économique. À l'inverse, le recours à une taxation climatique impose le calcul en amont d'un taux optimal.

En pratique, le système d'échange de quotas peut cependant induire des coûts de transaction et être particulièrement sensible aux chocs exogènes (ralentissement ou accélération de l'activité économique), ainsi qu'aux autres régulations environnementales et économiques, le rendant difficilement pilotable par la puissance publique.

Enfin, le signal-prix dispose en théorie d'une plus grande efficacité que la réglementation environnementale. Tout d'abord en raison du caractère statique de cette dernière : la norme est en effet plus difficile à faire évoluer que le taux d'une taxe ou le nombre de quotas distribués. Ensuite, puisque la norme s'applique uniformément à l'ensemble des agents, ne rendant pas compte des différents coûts marginaux de réduction d'une quantité donnée de pollution.

La réglementation présente toutefois l'avantage d'aboutir efficacement au but recherché, puisque le non-respect des normes peut être directement sanctionné. Par ailleurs, la taxation et le système d'échange de quotas sont susceptibles de peser plus largement sur les ménages modestes. Cela est particulièrement vrai pour les biens et services dont l'élasticité-prix est faible : l'augmentation du signal-prix ne se traduit alors pas principalement par une réduction de la pollution, mais par une baisse de pouvoir d'achat des ménages concernés.

b) Un système ayant ouvert la voie à la création de mécanismes similaires, à l'instar du SEQE chinois, désormais le plus vaste au monde

L'expérience européenne, novatrice, a ouvert la voie à la création d'autres systèmes de « plafonnement et d'échange », couvrant à ce jour 16 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (voir infographie). Il existe ainsi différents systèmes d'échange de quotas d'émission :

o nationaux : Allemagne 3 ( * ) , Chine, Corée du Sud, Kazakhstan, Mexique, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni 4 ( * ) , Suisse 5 ( * ) ;

o régionaux :

o Canada : Nova Scotia et Québec ;

o Chine : Fujian, Guangdong et Hubei ;

o États-Unis : Californie, Regional Greenhouse Gas Initiative (RRGI) regroupant onze États américains (Connecticut, Delaware, Maine, Maryland, Massachusetts, New Hampshire New Jersey, New York, Rhode Island, Virginie, Vermont).

o Japon : Saitama.

o métropolitains :

o Chine : Pékin, Chongqing, Shanghai, Shenzhen, Tianjin ;

o Japon : Tokyo.

Si le SEQE-UE a longtemps été le plus grand marché carbone au monde, couvrant à son origine 5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre , le SEQE chinois, lancé en 2021, est désormais le plus vaste au monde .

Il s'appuie sur l'expérience acquise dans la mise en oeuvre de plusieurs marchés pilotes au niveau infranational, dans cinq villes (Pékin (2013), Shanghai (2013), Shenzhen (2013), Tianjin (2013), Chongqing (2014)) et dans les trois provinces du Guandong (2013), du Hubei (2014), et du Fujian (2016). Ce marché national porte aujourd'hui sur le secteur de la production d'électricité - soit 40 % du total des émissions de CO 2 en Chine - mais devrait être étendu à d'autres secteurs, suivant le modèle des marchés pilotes infranationaux.

2. Une extension progressive mais partielle du SEQE-UE
a) Depuis sa création en 2005, une extension géographique, physique et sectorielle

Depuis 2005, le SEQE-UE s'est progressivement étendu pour couvrir aujourd'hui 11 000 installations 6 ( * ) représentant près de 45 % des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne .

Cette extension fut tout d'abord géographique : restreint lors de la Phase 1 (2005-2007) aux États membres de l'Union européenne, le SEQE-UE a été élargi lors de la Phase 2 (2008-2012) à trois pays extérieurs : la Norvège, le Liechtenstein et l'Islande .

Par ailleurs, seul le dioxyde de carbone (CO 2 ) , principal gaz à effet de serre, était initialement intégré au mécanisme. Le périmètre s'est progressivement étendu au protoxyde d'azote (N 2 O) dès la Phase 2, puis au perfluorocarbure (PFC) dès la Phase 3 (2013-2020) 7 ( * ) .

On observe enfin, depuis 2005, un agrandissement progressif du périmètre sectoriel du dispositif : la production d'électricité et de chaleur , ainsi que les principaux secteurs industriels , intégrés dès la mise en place du SEQE-UE en 2005, ont été rejoints en 2012 par les vols intra-européens (voir encadré ) et de nouvelles installations industrielles dès la Phase 3 en 2013.

Émissions du transport aérien :
depuis la décision «
stop the clock » , le SEQE-UE partiellement applicable

Les émissions du transport aérien sont officiellement intégrées au SEQE-UE depuis 2012. Toutefois, sous la pression diplomatique d'États tiers - notamment des États-Unis et de la Chine - qui menaçaient de bloquer l'élaboration d'une politique environnementale ambitieuse pour l'aérien et de mettre en oeuvre des représailles commerciales, notamment vis-à-vis d'Airbus, l'Union européenne a suspendu en avril 2013 la mise en oeuvre du SEQE-UE pour les vols internationaux, tout en continuant à l'appliquer aux vols intérieurs à l'espace économique européen (décision dite « stop the clock »).

En parallèle, les négociations menées sous l'égide de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) ont abouti à la mise en place du mécanisme CORSIA ( Carbon Offsetting and Reduction Scheme ), système d'obligation d'achat de crédits de compensation des émissions de CO 2 .

Le mécanisme prévoit deux phases de mise en oeuvre : une première entre 2021 et 2026, reposant sur le volontariat (81 États participants), une seconde à partir de 2027 où le dispositif s'appliquera de façon universelle (les pays les moins développés, les plus enclavés et ceux dont le transport aérien est le moins mature sont toutefois exemptés).

Les compagnies aériennes des États participants sont ainsi contraintes d'acheter des crédits de compensation carbone pour les émissions supérieures au niveau enregistré en 2019 ; initialement, il était prévu de retenir la moyenne des émissions de 2019 et 2020. Cette cible a été modifiée par l'OACI pour tenir compte des conséquences du Covid-19 sur le trafic aérien mondial.

Si l'Union européenne n'a officiellement pas renoncé à assujettir les vols internationaux au SEQE-UE, deux systèmes coexistent en pratique : les vols intra-européens sont assujettis au SEQE-UE et les vols internationaux à CORSIA.

b) Une couverture partielle, laissant de côté plusieurs secteurs particulièrement émissifs

41 % des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne 8 ( * ) sont ainsi couverts par le SEQE-UE, qui s'applique ainsi à trois secteurs : l'énergie, l'industrie et le transport aérien .

Au regard du nombre de secteurs assujettis, le SEQE-UE est moins étendu que les systèmes canadien, californien, sud-coréen ou néo-zélandais , qui intègrent, en tout ou partie, les secteurs du bâtiment, du transport, des déchets et de la forêt (voir schéma ci-après).

Les États membres sont tenus responsables de la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs émetteurs non couverts par le SEQE-UE - transport, bâtiment, agriculture et déchets . Dans ces secteurs, une cible européenne et des cibles nationales sont fixées par l'Union européenne au titre du règlement sur la répartition de l'effort (RRE) . Il revient alors aux États membres d'instaurer des politiques climatiques et énergétiques adéquates pour atteindre ces objectifs .

3. Un paradoxe : des objectifs atteints pour 2020, un rôle limité du SEQE dans leur réalisation
a) Des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2020 atteints

Pour atteindre l'objectif européen de baisse des émissions de gaz à effet de serre de 20 % en 2020 par rapport à 1990, fixé par le paquet énergie climat de 2008, l'Union européenne a établi des objectifs spécifiques aux secteurs relevant du SEQE-UE (- 21 % par rapport à 2005) et aux autres secteurs, couverts par le règlement sur la répartition de l'effort (- 10 % par rapport à 2005).

Cette différence entre les objectifs assignés au SEQE-UE et aux autres secteurs est justifiée par une logique d'efficacité économique qui sous-tend l'ensemble de la politique climatique européenne . La priorité donnée à la décarbonation des secteurs de l'industrie et de l'énergie s'explique ainsi par un plus faible coût de réduction des émissions dans ces secteurs disposant de gisements de réduction importants, ainsi que par les effets bénéfiques que cette décarbonation pourrait engendrer sur les filières en aval , notamment le transport et le chauffage, en raison par exemple de l'électrification des usages.

Afin de respecter la cible assignée au SEQE-UE, un plafond d'émissions a été fixé à 2 096 MtCO 2 (millions de tonnes équivalent CO 2 ) pour la Phase 1 (2005-2007) et à 2 049 MtCO 2 lors de la Phase 2 (2008-2012). Dès 2013, première année de la Phase 3, le plafond de 2 084 MtCO 2 a fait l'objet d'une réduction annuelle de 1,74 % pour atteindre un plafond de 1 816 MtCO 2 en fin de phase 3 (2020).

Phase 1
2005-2007

Phase 2
2008-2012

Phase 3
2013-2020

Phase 4
2021-2030

Plafond d'émissions initial (en MtCO 2 )

2 096

2 049

+ 210 (transport aérien, dès 2012)

2 084

+ 38 (transport aérien, en tenant compte de l'exclusion des vols internationaux)

1 572

+ 38 (transport aérien)

Facteur de réduction linéaire annuel

-

-

1,74 % de la moyenne de l'allocation 2008-2012

Pas de facteur de réduction linéaire pour le transport aérien

2,2 % de la moyenne de l'allocation 2008-2012
(y compris pour le transport aérien)

L'objectif de réduction d'émissions assigné au SEQE a été atteint dès 2014 , avec une baisse de 42,2 % observée en 2020 par rapport à 2005 (- 35 % en 2019, avant la survenue de la pandémie).

La réduction des émissions au titre du règlement RRE est relativement plus modérée , bien que l'objectif pour 2020 ait également été atteint (- 15,2 % en 2020, - 10,2 % en 2019 avant la survenue de la pandémie) 9 ( * ) .

Au total , les émissions de gaz à effet de serre ont chuté de 31 % dans l'Union européenne en 2020 par rapport à 1990 (- 24 % en 2019 ).

L'objectif pour 2030 fixé en 2018 à l'occasion de la révision de la directive - baisse de 43 % des émissions couvertes par le SEQE-UE par rapport à 2005 - devrait par ailleurs être atteint. En effet, selon le scénario de référence 2020 établi par la Commission européenne, à législation constante, les émissions des secteurs relevant du SEQE-UE devraient baisser de 48,2 % par rapport à 2005 - considérant notamment le nouveau facteur de réduction linéaire de 2,2 % retenu pour la Phase 4 (2021-2030).

Par ailleurs :

o les émissions des secteurs relevant du règlement sur la répartition de l'effort ( RRE ) devraient être réduites de 30,7 % par rapport à 2005 , niveau légèrement supérieur à la cible fixée à cette échéance (- 30 %) ;

o les émissions de l'Union européenne baisseraient de 43,8 % par rapport à 1990 , légèrement plus que l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % fixé en octobre 2014.

Le SEQE a donc permis d'atteindre les objectifs fixés pour 2020 et permettra vraisemblablement d'atteindre l'ancien objectif pour 2030 de réduction des émissions de 40 % par rapport à 1990, fixé en 2014. Mais le cadre actuel est manifestement insuffisant pour atteindre le nouvel objectif européen de réduction de 55 % des émissions d'ici 2030 par rapport à 1990, acté lors du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020 et inscrit dans la « loi européenne sur le climat » de juin 2021 .

Objectif 2020

2019

2020

Objectif 2030 (avant révision)

Estimation 2030 (à législation constante)

Total des émissions de gaz à effet de serre (par rapport à 1990)

- 20 %

- 24 %

- 31 %

- 40 %

- 43,8 %

SEQE-UE
(par rapport à 2005)

- 21 %

- 35 %

- 42,2 %

- 43 %

- 48,2 %

RRE
(par rapport à 2005)

- 10 %

- 10,2 %

- 15,2 %

- 30 %

- 30,7 %

b) Lors de la décennie écoulée, une incapacité chronique du SEQE-UE à établir un signal-prix satisfaisant

Le dépassement des objectifs initialement fixés semble à première vue paradoxal .

En effet, le SEQE-UE a souffert, pendant la majeure partie de la décennie écoulée, de limites structurelles importantes . Les Phases 2 et 3 du SEQE se sont ainsi caractérisées par une allocation de quotas supérieure au niveau d'émissions constatés , produisant un surplus récurrent ayant considérablement affaibli le signal-prix du marché .

En 2008 , alors que la tonne de CO 2 avait atteint 30 euros, le prix de marché a connu une baisse brutale, suivie d'un maintien du cours, pendant une large partie de la décennie suivante, à un niveau très bas, inférieur à 10 euros. S'il n'est pas aisé de définir le niveau de prix pertinent pour enclencher une décarbonation efficace de l'économie - dès lors qu'un même signal-prix peut avoir des effets très différents selon le secteur concerné et que le temps passant conduit à la détermination de valeurs du carbone toujours plus élevées - un prix inférieur à 10 euros pour la décennie 2010 semblait très largement insuffisant , notamment pour inciter les systèmes électriques à sortir du charbon.

Deux explications ont été avancées pour expliquer cette difficulté chronique du SEQE 10 ( * ) :

- la première a trait à l' incapacité de l'offre de quotas à s'adapter aux chocs économiques exogènes . La chute brutale du prix de la tonne de CO 2 en 2008 s'explique ainsi par le déclenchement de la crise financière et économique et son maintien à un niveau bas tout au long de la décennie suivante tient notamment aux difficultés persistantes de l'économie européenne sur cette période .

- l'incapacité chronique du SEQE-UE à donner un signal-prix suffisant s'explique également par l'absence d'ajustement du marché aux politiques climatiques européennes et nationales menées parallèlement, notamment en matière d'efficacité énergétique et d'énergies renouvelables. Ces politiques sectorielles ont parfois contribué à des baisses d'émissions importantes, influençant la demande de quotas sur le marché et donc le prix de la tonne de CO 2 .

La règlementation, notamment en matière d'efficacité énergétique et d'énergies renouvelables, semble donc avoir joué un rôle bien plus déterminant dans l'atteinte des objectifs que le SEQE-UE, dont l'impact réel a été très limité.

c) Des réformes tardives du SEQE-UE pour stabiliser et accroître le prix de la tonne de CO2

En 2018, plusieurs mesures ont été mises en place pour tenter de résorber le surplus de quotas accumulé sur le SEQE depuis le début des années 2010.

Tout d'abord, un report d'enchères de 900 millions de quotas entre 2014 et 2016 à 2019-2020 a été acté ( backloading) . Dès 2014, pour la première fois depuis la création du SEQE, le nombre de quotas alloués a ainsi été inférieur aux émissions vérifiées dans les secteurs couverts.

Dans un second temps, une réserve de stabilité de marché (MSR) a été mise en place en janvier 2019, dans l'objectif de résoudre les difficultés de déséquilibre chronique entre offre et demande de quotas sur le marché européen et d'améliorer ainsi la résilience du SEQE face à de potentiels chocs exogènes.

Règles de fonctionnement de la réserve de stabilité de marché (MSR)

Le fonctionnement de la réserve de stabilité de marché s'appuie sur l'évaluation annuelle du nombre de quotas en circulation sur le marché.

Quand le nombre de quotas est supérieur à 833 millions, 24 % du surplus constaté est retiré des enchères et placé dans la réserve pour une durée de 12 mois. Lors de la mise en place de la réserve en 2019, il a été prévu que ce taux soit abaissé à 12 % dès 2023.

Quand le nombre de quotas est inférieur à 400 millions, 100 millions de quotas sont prélevés de la réserve et injectés au marché sous la forme d'enchères. Lors de la mise en place de la réserve en 2019, il a été prévu qu'un niveau minimum de 200 millions de quotas soit constamment en réserve jusqu'en 2023.

Dès cette date, les quotas placés en réserve ne pourront par ailleurs pas excéder le nombre de quotas mis aux enchères l'année précédente ; les réserves excédentaires seront donc supprimées.

De plus, les quotas non alloués entre 2014 et 2016 ( backloading ) ont été placés dans la réserve en 2019.

Enfin, plusieurs ajustements en Phase 4 (2021-2030) doivent également contribuer à renforcer la stabilité du marché. L 'augmentation du rythme du facteur de réduction linéaire de 1,74 % à 2,2 % doit en particulier contribuer à ajuster le plafond d'émissions à la trajectoire d'évolutions des émissions réelles, évitant le risque de constitution de surplus.

Ces différentes réformes ont largement contribué à renforcer la crédibilité du SEQE-UE et à augmenter le prix des quotas depuis 2018, qui a atteint les 30 euros en 2020, avant le déclenchement de la crise sanitaire .

La pandémie n'a eu qu'un impact modéré sur l'évolution du prix de marché : après une chute de près de 40 % en mars 2020, le quota a retrouvé son niveau d'avant-crise dès le mois de juin 11 ( * ) . La croissance du cours a par la suite connu sa tendance haussière, jusqu'à atteindre un prix record de 96 euros en février 2022 , avant que la guerre russo-ukrainien ne provoque une nouvelle baisse autour des 60/70 euros.

Les analyses de marché pour la période 2021-2030 s'accordent sur la pérennité de la tendance haussière observée depuis 2018 et avant la guerre en Ukraine : le prix de la tonne de CO 2 pourrait ainsi atteindre 80, voire 105 euros en 2030 12 ( * ) (voir graphique ci-dessous).


En raison de cette hausse du prix de la tonne de CO 2 et, dans une moindre mesure, de l'extension sectorielle, physique et géographique du système (voir supra ), les revenus du SEQE-UE ont largement augmenté à la fin de la décennie : sur les 81 milliards de dollars prélevés depuis 2009, 55 l'ont été sur la seule période 2018-2020. Avec près de 22 milliards de dollars de revenus, l'année 2020 a concentré plus du quart des revenus du SEQE-UE depuis 2009.

En définitive, ce n'est donc que récemment - dès 2018 - qu'il a été mis fin à la faiblesse chronique du signal-prix du SEQE-UE .

Le système d'échange de quotas n'a donc joué qu'un rôle très modeste dans la réalisation effective de l'objectif qui lui était assigné pour 2020 .

B. EN L'ÉTAT, UN SYSTÈME QUI NE PERMET PAS À L'UNION EUROPÉENNE DE RESPECTER L'OBJECTIF DE RÉDUCTION DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE DE 55 % D'ICI 2030

Si la trajectoire actuelle permettra vraisemblablement de respecter l'objectif de réduction des émissions de 40 % d'ici 2030, le cadre actuel est manifestement insuffisant pour atteindre le nouvel objectif européen de réduction de 55 % des émissions d'ici 2030 par rapport à 1990, acté lors du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020 : à législation constante, les émissions de l'Union ne baisseraient en effet que de 44 % environ.

Pour combler l'écart de plus de 10 points entre la trajectoire actuelle et la nouvelle cible d'émissions, les objectifs au titre du système d'échange de quotas doivent nécessairement être renforcés ; le surcroît d'effort ne saurait reposer uniquement ou principalement sur les secteurs du règlement RRE (transport, bâtiment, agriculture et déchets) dont les coûts de réduction des émissions sont bien plus élevés que ceux des secteurs relevant du SEQE. De plus, une décarbonation des secteurs en amont - énergétiques et industriels - est une condition indispensable à la décarbonation des filières en aval, notamment dans le transport et le bâtiment.

Autrement dit, si la réussite d'une transition bas-carbone nécessite un effort économique transversal, son efficacité implique que cet effort soit particulièrement poussé, dans la décennie à venir, dans les secteurs énergétiques et industriels, couverts par le SEQE.

À cet égard, la persistance de quotas gratuits associés au SEQE - mis en place pour lutter contre les phénomènes de fuites de carbone dans l'industrie - constitue un obstacle évident à ce relèvement de l'ambition.

Plus largement, si les secteurs couverts par le système peineraient, à cadre constant, à réduire leurs émissions suffisamment pour atteindre le nouvel objectif climatique de l'Union, les difficultés éprouvées par les autres secteurs dans leurs efforts de décarbonation semblent encore plus significatives.

1. Une part significative de quotas gratuits, en dépit d'ajustements progressifs visant à mieux concilier protection contre les fuites de carbone et incitation à la décarbonation
a) L'instauration de quotas gratuits pour limiter les risques de fuites de carbone

Les fuites de carbone correspondent à un phénomène par lequel une industrie émettrice de gaz à effet de serre délocalise sa production en dehors de l'Union européenne afin d'éviter de s'acquitter des coûts associés à l'acquisition de quotas et/ou à la décarbonation de ses activités.

De manière extensive, ce concept peut également s'appliquer à la situation dans laquelle une industrie émettrice de gaz à effet de serre perd des parts de marché aux dépens d'industries de pays tiers , en raison d'un recul de compétitivité associé au déploiement des politiques publiques climatiques.

Effets pervers potentiels du relèvement de l'ambition climatique d'un pays ou d'une zone économiques, les fuites de carbone doivent donc être évitées dès la conception d'un système d'échange de quotas . Non seulement puisqu'elles annulent l'effort environnemental entrepris par la zone économique qui en est victime - réduisant artificiellement ses émissions domestiques, compensées par une augmentation des émissions en dehors de ses frontières - mais également puisqu'elles détruisent de la valeur économique et des emplois .

Dès sa mise en place en 2005, l'Union européenne a donc tenté de prévenir ce risque par l'allocation de quotas gratuits au titre du SEQE , reconnue par la directive comme une méthode d'allocation à titre « transitoire » et exceptionnelle.

Lors des phases 1 et 2, la dérogation a pourtant été largement majoritaire : environ 90 % des quotas ont été attribués gratuitement entre 2005 et 2012 .

b) De premiers ajustements lors de la phase 3 (2013-2020) afin de mieux concilier protection contre les fuites de carbone et incitation à la décarbonation

Lors de la phase 3 (2013-2020), plusieurs ajustements ont été introduits pour mieux concilier protection contre les fuites de carbone et incitation à la décarbonation .

- Il a tout d'abord été mis fin aux quotas gratuits pour la production d'électricité . Une dérogation optionnelle a toutefois été maintenue pour la modernisation du secteur électrique des dix États membres dont le PIB était inférieur de 60 % à la moyenne européenne. Huit d'entre eux y ont eu recours au cours de la phase 3. Une allocation exceptionnelle à titre gratuit est également prévue pour la cogénération de chaleur des producteurs d'électricité. Environ 20 % des quotas ont ainsi été alloués à titre gratuit pour la chaleur et l'électricité tout au long de la phase 3 (2013-2020).

- Les autres installations bénéficient encore en principe de quotas gratuits , mais des référentiels fondés sur les installations les plus performantes sont mis en place, afin d'encourager les exploitants moins efficaces à accroître leurs efforts.

Ø Pour les industries stationnaires , les référentiels s'appuient sur les niveaux d'activité constatés en 2007-2008 et sont fixés à la moyenne des 10 % des installations les plus efficaces dans chaque sous-secteur. Les sous-secteurs considérés comme exposés à un risque de fuites de carbone reçoivent des quotas gratuits à hauteur de 100 % des référentiels ; ceux considérés comme non exposés à un risque de fuites de carbone reçoivent des quotas gratuits à hauteur de 80 % des référentiels en 2013, taux chutant progressivement à 30 % en fin de phase 3 (2020).

En phase 3, l'exposition à un risque de fuites de carbone est appréciée à l'aune des critères suivants :

o augmentation des coûts directs et indirects supérieure à 30 % ;

o ou intensité commerciale 13 ( * ) vis-à-vis de pays tiers supérieure à 30 % ;

o ou augmentation des coûts directs et indirects supérieure à 5 % et intensité commerciale vis-à-vis de pays tiers supérieure à 10 %.

Si la demande de quotas gratuits excède le montant total de quotas disponibles pour l'allocation gratuite, fixé ex-ante , un facteur de correction transsectoriel est appliqué ex-post pour réduire, dans une même proportion et quel que soit le secteur, les quotas pouvant être alloués à titre gratuit.

Ø Dans le secteur aérien, 82 % des quotas sont attribués gratuitement sur l'ensemble de la phase 3. 3 % de quotas sont détenus dans une réserve spéciale pour les exploitants d'aéronefs en croissance rapide et pour les nouveaux entrants sur le marché. Le reste (12 %) a été vendu aux enchères.

Au total, dans l'ensemble des secteurs couverts par le SEQE-UE, 57 % des quotas ont été mis aux enchères et 43 % des quotas ont été attribués gratuitement tout au long de la phase 3 (2013-2020) 14 ( * ) .

c) Un meilleur ciblage des quotas gratuits poursuivi en phase 4 (2021-2030)

La phase 4 (2021-2030) a poursuivi cette tendance au meilleur ciblage des quotas gratuits, sans toutefois modifier largement la logique initiée en 2013.

Ø Dans l'industrie , plusieurs changements ont été introduits pour mieux cibler l'allocation des quotas gratuits.

Tout d'abord, l'exposition à un risque de fuites de carbone est appréciée à l'aune d'un nouvel indicateur , associant l'intensité commerciale - déjà prise en compte lors de la phase 3 - et l'intensité émissive 15 ( * ) , critère nouvellement introduit en phase 4. Les secteurs sont considérés comme exposés à un risque de fuites de carbone dès lors que :

o intensité commerciale x intensité émissive > 0,2 ;

o ou intensité commerciale x intensité émissive > 0,15. Dans ce cas, une analyse quantitative, tenant compte du potentiel de réduction des émissions dans le secteur donné, des caractéristiques de marché et des marges, est menée pour déterminer si le secteur est considéré comme exposé à un risque de fuites de carbone ou non.

La part des secteurs industriels considérés comme exposés à un risque de fuite de carbone a ainsi été considérablement réduite pour la phase 4, en passant de 62 % à 20 %. Toutefois, la part des émissions ainsi couvertes par la liste des secteurs exposés à un risque de fuites de carbone n'a que peu évoluée, passant de 98 à 94 % des émissions de l'Union européenne.

Les secteurs considérés comme non exposés à un risque de fuites de carbone pourront recevoir des quotas gratuits à hauteur de 30 % des référentiels jusqu'en 2026, ce taux baissant dès cette date jusqu'à l'extinction des quotas gratuits en fin de période ( 2030 ).

Les secteurs exposés à un risque de fuites de carbone continuent de recevoir des quotas gratuits à hauteur de 100 % des référentiels .

Le mode de calcul des référentiels est par ailleurs modifié , afin de rendre l'allocation de quotas gratuits plus dynamique, en s'appuyant sur des données réelles et actualisées : les référentiels sont ainsi ajustés annuellement, avec un taux de réduction variant de 0,2 % à 1,6 % selon les progrès technologiques observés dans chaque sous-secteur. Dans le secteur de l'acier, faisant face à des coûts de réduction des émissions élevés et d'importants risques de fuites de carbone, la réduction annuelle de 0,2 % s'applique par défaut. Par ailleurs, il était prévu que les référentiels soient mis à jour en 2026, pour refléter les progrès technologiques dans les secteurs concernés.

Ø Dans le domaine de l'énergie , la vente aux enchères reste appliquée en principe et les dérogations prévues en phase 3 - notamment pour les États membres dont le PIB était inférieur de 60 % à la moyenne européenne - sont maintenues.

Ø Les règles sont inchangées pour le transport aérien .

Comme pour la phase 3, 57 % des quotas ont vocation à être mis aux enchères au cours de la phase 4 16 ( * ) . Jusqu'à 3 % de cette part peut être transformée en allocations à titre gratuit 17 ( * ) .

De plus, une part des quotas mis aux enchères ont vocation à alimenter le Fonds pour l'innovation et le Fonds pour la modernisation, crées lors de la phase 4 (voir encadré ).

Le Fonds pour l'innovation et le Fonds pour la modernisation :
deux nouveautés de la phase 4, rendues opérationnelles dès 2021

Le Fonds pour l'innovation a vocation à soutenir les innovations de rupture dans l'industrie, ainsi que les solutions de capture de carbone et de stockage des énergies renouvelables. Le fonds est abondé par la vente de 450 millions de quotas et par le budget restant du NER 300 (735 millions d'euros), précédent programme de recherche adossé au SEQE-UE lors de la phase 3.

Le Fonds pour la modernisation vise à soutenir la modernisation des systèmes énergétiques et l'efficacité énergétique en direction des pays disposant d'un PIB inférieur à 60 % de la moyenne européenne, notamment les investissements d'accompagnement pour une transition sociale juste vers une économie décarbonée (par exemple par la formation ou la reconversion des salariés affectés par cette transition). Le Fonds de modernisation est alimenté par la mise aux enchères de 2 % des quotas totaux de la phase 4.

2. Une allocation de quotas gratuits insuffisamment ciblée, source d'inefficacité du SEQE-UE

Comme l'a montré un récent rapport spécial de la Cour des comptes européenne 18 ( * ) , l'allocation des quotas gratuits est une source d'inefficacité du SEQE-UE : un meilleur ciblage de cette allocation « aurait apporté de multiples avantages aux fins de la décarbonation, aux finances publiques et au fonctionnement du marché unique » , sans pour autant exposer plus largement les industries concernées à un risque de fuites de carbone.

a) Allocation de quotas gratuits pour la modernisation du secteur de l'électricité des pays les moins riches de l'Union européenne : un effet incertain sur la décarbonation des systèmes énergétiques

Premier constat du rapport de la Cour des comptes européenne : l'allocation de quotas à titre gratuit pour la modernisation du secteur électrique des dix États membres dont le PIB était inférieur de 60 % à la moyenne européenne n'a pas encouragé la décarbonation au cours de la phase 3.

Il apparaît tout d'abord que la majorité des recettes provenant des quotas alloués à titre gratuit ont très majoritairement été utilisées pour rénover des centrales électriques au lignite et au charbon , principalement en Pologne, en République Tchèque, en Roumanie et en Bulgarie.

Surtout, les chiffres montrent que la diminution de l'intensité de carbone a été beaucoup moins nette dans les États membres qui avaient obtenu des quotas gratuits pour moderniser leur secteur de l'électricité que dans la moyenne des pays de l'Union européenne (voir graphique ci-après).

b) Allocation de quotas gratuits dans l'industrie et le transport aérien : un frein à la décarbonation des secteurs

Selon la Cour des comptes européenne, aucun élément probant attestant de l'existence de fuites de carbone n'a été relevé ces dernières années 19 ( * ) ; certaines études ont au demeurant constaté que ce risque ne s'était pas matérialisé précisément grâce à l'allocation de quotas à titre gratuit 20 ( * ) .

Mais la Cour des comptes européenne a dans le même temps souligné l'insuffisant ciblage des quotas gratuits .

Si la part des secteurs industriels considérés comme exposés à un risque de fuite de carbone a été considérablement réduite pour la phase 4, en passant de 62 % à 20 % , la part des émissions ainsi couvertes n'a que peu évolué, passant de 98 à 94 % des émissions de l'Union européenne. Autrement dit, les secteurs produisant plus de 90 % des émissions industrielles continuent, en l'état actuel du SEQE, à recevoir l'intégralité ou la plupart de leurs quotas à titre gratuit .

La Cour des comptes européenne admet toutefois que le recours à des référentiels pour allouer les quotas à titre gratuit a renforcé progressivement l'incitation à réduire les émissions : ces référentiels constituent indéniablement une amélioration par rapport aux phases précédentes du SEQE. Il n'en demeure pas moins que l'allocation de quotas à titre gratuit freine la décarbonation des secteurs concernés .

Le rapport considère en particulier que l'allocation de quotas à titre gratuit a favorisé les déplacements en avion au détriment du transport ferroviaire. Le coût supplémentaire par passager induit par le SEQE a été ainsi très limité pour le secteur aérien, largement bénéficiaire de quotas gratuits, avec un impact allant de 0,3 à 2 euros pour les principaux vols étudiés, là où le transport ferroviaire , majoritairement électrifié en Europe, a dû supporter les coûts du SEQE-UE répercutés par le secteur de la production d'électricité.

3. Une réduction trop limitée des émissions non couvertes par le SEQE-UE

Si les secteurs couverts par le SEQE-UE peineraient, à cadre constant, à réduire leurs émissions suffisamment pour atteindre le nouvel objectif climatique de l'Union - une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990 - les difficultés rencontrées par les autres secteurs dans leurs efforts de décarbonation semblent encore plus significatives.

Ainsi, en 2019, avant le début de la pandémie de Covid-19, les émissions des secteurs relevant du règlement sur la répartition de l'effort (secteurs RRE) - non couverts par le SEQE-UE - n'avaient baissé que de 10,2 % par rapport à 2005, un résultat tout juste supérieur à l'objectif qui leur était assigné pour 2020 (- 10 %). En comparaison, les secteurs relevant du SEQE-UE avaient connu une baisse significative de leurs émissions (- 35 % en 2019 par rapport à 2005), soit 14 points de mieux que l'objectif pour 2020 (- 21 %).

À politiques publiques constantes, la trajectoire actuelle serait largement insuffisante au regard du nouvel objectif assigné aux secteurs relevant du règlement sur la répartition de l'effort : leurs émissions ne baisseraient que de 31 % d'ici 2030 par rapport à 2005 , pour une cible « d'au moins - 40 % ».

a) Dans le bâtiment

Les émissions directes du secteur du bâtiment représentent environ 12 % des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne. Si elles ont largement baissé par rapport à 1990, elles l'ont fait à un rythme largement ralenti ces dernières années : entre 2014 et 2018, elles ont même augmenté de 3 %.

Selon les projections de la Commission européenne, les émissions du bâtiment ne reculeraient , à politiques publiques constantes, que de 33 % d'ici 2030 par rapport à 2015 ; l'atteinte de l'objectif de 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990 nécessiterait d'accroître significativement cet effort .

b) Dans le transport routier

Les émissions du transport routier - environ 20 % des émissions de l'Union européenne - ont augmenté depuis 1990 .

Selon les projections de la Commission européenne, elles ne baisseraient , à politiques publiques constantes, que de 23 à 25 % d'ici 2030 par rapport à 2015, un niveau également insuffisant au regard de l'objectif climatique de l'Union européenne.

c) Dans le transport maritime

Depuis 1990, les émissions du transport maritime ( 3 à 4 % des émissions totales de l'Union européenne) ont également augmenté, poussées par les émissions du transport international (+ 36 % par rapport à 1990), dont la hausse n'a été compensée que pour partie par la baisse des émissions domestiques (- 26 %, sur la même période). Les émissions internationales - 90 % des émissions du secteur - pourraient croître, à politiques publiques constantes, de 14 % entre 2015 et 2030 . Cette trajectoire est là aussi incompatible avec le nouvel objectif climatique de l'Union européenne .

Ces chiffres reflètent l'hétérogénéité et l'incomplétude du cadre régulatoire applicable au transport maritime : si le transport maritime domestique est couvert par le règlement sur la répartition de l'effort - sa trajectoire d'émissions relevant à ce titre de la responsabilité des États membres - tel n'est pas le cas du transport maritime international, qu'aucune régulation spécifique ne vient encadrer, contrairement au transport aérien international avec CORSIA.

II. LA PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE : UNE MISE À JOUR DES RÈGLES DU SEQE-UE, COMPLÉTÉE PAR UN MÉCANISME D'AJUSTEMENT CARBONE AUX FRONTIÈRES ET L'INSTAURATION D'UN NOUVEAU SEQE POUR LES SECTEURS DU BÂTIMENT ET DU TRANSPORT ROUTIER

Annoncé en décembre 2019, officiellement lancé en décembre 2020, le « Pacte vert » européen constitue un ensemble d'initiatives politiques et législatives visant à accélérer la transition écologique du continent .

Ce Pacte doit tout particulièrement faciliter l'atteinte du nouvel objectif européen de réduction d'au moins 55 % des émissions d'ici 2030 par rapport à 1990 , acté lors du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020 et inscrit dans la « loi européenne sur le climat » 21 ( * ) adoptée en juin 2021 . Cet objectif tient compte des nouvelles capacités d'absorption par les puits carbone : sans ces nouvelles capacités, l'objectif de baisse des émissions serait en réalité de 52,8 % .

Le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » - traduction législative de cette ambition - a été présenté par la Commission européenne le 14 juillet 2021 .

Ce paquet comporte des textes transversaux .

Ø La révision du règlement sur la répartition de l'effort (RRE) . Le règlement RRE traduit l'engagement européen de réduction des émissions en objectifs annuels contraignants pour chaque État membre dans quatre secteurs : l'agriculture, la gestion des déchets, le transport routier et le bâtiment. Le champ d'application du RRE n'est modifié qu'à la marge : le transport maritime serait exclu de ce champ en raison de son intégration au SEQE-UE. Sur ce périmètre, l'objectif de baisse des émissions est fixé à « au moins 40 % » d'ici 2030 par rapport à 2005 , contre 30 % actuellement. La répartition des efforts entre les États membres demeure largement fondée sur le PIB par habitant : les réductions d'émissions en 2030 par rapport à 2005 s'échelonnent ainsi entre 10 % et 50 % pour les secteurs coiffés par le règlement (voir graphique ci-après). La France se voit assigner un objectif de 47,5 % .

Le dépassement des objectifs fixés au titre du SEQE-UE ou de l'UTCATF peut pour partie compenser un objectif « RRE » non atteint.

Ø La révision du règlement Utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie (UTCATF) . Ce règlement reflète les émissions et absorptions d'émissions de gaz à effet de serre découlant des activités humaines liées à l'utilisation des terres, à leurs changements d'affectation et à la forêt. Ce secteur est aujourd'hui le seul permettant de réaliser des émissions négatives grâce aux puits de carbone naturels , que sont la biomasse - forêts, haies, agroforesterie - et les sols. Sur ce périmètre, il est fixé une nouvelle cible européenne d'absorption de carbone pour 2030 : pour la première fois, il est prévu d'augmenter la capacité d'absorption de 15 % par rapport à l'objectif actuel pour atteindre 310 MtCO 2 , et de déterminer des objectifs nationaux contraignants aux États membres. La révision prévoit par ailleurs d' intégrer dès 2031 les émissions hors CO 2 de l'agriculture - issues de l'élevage ou des engrais notamment - jusqu'ici couvertes par le règlement RRE. Elle vise enfin l'atteinte en 2035 de la neutralité carbone dans le périmètre du règlement UTCATF ainsi modifié .

Ø La révision de la directive relative au système d'échange de quotas d'émission (SEQE-UE) . La Commission propose une réduction des émissions des secteurs du SEQE-UE de 61 % à l'horizon 2030 par rapport aux niveaux de 2005 , soit une augmentation de 18 points par rapport à l'objectif précédent assigné à ces secteurs. La révision de la directive vise à ajuster les paramètres du SEQE-UE à ce nouvel objectif , en prévoyant une réduction accélérée du nombre de quotas mis en circulation, en ciblant mieux les quotas distribués à titre gratuit, tout en renforçant les règles de la réserve de stabilité de marché pour garantir une plus grande visibilité aux acteurs économiques et en accroissant les moyens du Fonds d'innovation pour financer le développement des technologies innovantes. Pour accélérer la décarbonation des autres secteurs, il est par ailleurs prévu une extension du SEQE-UE au transport maritime et la création d'un nouveau SEQE pour les secteurs du transport routier et du bâtiment (SEQE- bis ) .

Ø La proposition de règlement établissant un Fonds social pour le climat . Ce fonds vise à compenser le coût du SEQE- bis pour les ménages les plus modestes et les micro-entreprises. Il a vocation à être financé par 25 % des recettes du nouveau système d'échange des quotas d'émission.

Ø La proposition de règlement relatif au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) . Ce mécanisme doit permettre l'instauration d'un prix du CO 2 applicable à certains importateurs et aligné sur les prix du marché du SEQE-UE . Il est conçu comme une alternative à l'allocation de quotas gratuits en tant qu'outil de lutte contre les risques de fuites de carbone .

Ce paquet est complété par plusieurs textes sectoriels :

Ø Énergie : révision de la directive sur les énergies renouvelables ; proposition de refonte de la directive sur la fiscalité de l'énergie ; proposition de refonte de la directive sur l'efficacité énergétique ;

Ø Transports : révision du règlement fixant des normes de performance pour les émissions de CO 2 des voitures et des camionnettes ; propositions de directive sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs, de règlements sur les carburants durables pour le maritime et sur les carburants durables pour le transport aérien .

Enfin, des textes à dimension climatique ont également été présentés par la Commission européenne en dehors du paquet « Ajustement à l'objectif 55 ». On peut notamment évoquer la révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments (présentée en décembre 2021) ou encore la proposition de règlement de lutte contre la déforestation importée (présentée en novembre 2021).

Le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », composante climatique du « Pacte vert » européen, constitue donc un ensemble cohérent, visant à atteindre les objectifs inscrits dans la « loi européenne sur le climat » .

Si la réforme du SEQE-UE ne constitue donc qu'un volet de cet ensemble, il faut noter l'interdépendance des propositions présentées par la Commission européenne .

Plus encore, la réforme du SEQE-UE est très directement liée aux propositions du règlement établissant un Fonds social pour le climat et du règlement relatif au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), ces deux textes agissant comme des boucliers sociaux et économiques associés à la refonte du système d'échange de quotas d'émission .

A. LA PROPOSITION DE RÉFORME DU SEQE-UE : AJUSTER LE SYSTÈME AUX NOUVEAUX OBJECTIFS EUROPÉENS

1. Une réduction accélérée des quotas pour faciliter l'atteinte des objectifs européens
a) Une réduction annuelle des quotas multipliée par deux

Pour atteindre l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990, la Commission a proposé d' accroître de 18 points l'objectif spécifiquement assigné aux secteurs relevant du SEQE-UE, désormais fixé à -61 % à l'horizon 2030 par rapport aux niveaux de 2005.

Pour atteindre cet objectif, la Commission propose une accélération de la réduction annuelle des quotas , par un doublement du facteur de réduction linéaire, qui passerait ainsi de 2,2 à 4,2 % par an, y compris dans le transport aérien.

Cet ajustement s'appliquerait un an après l'entrée en vigueur de la directive révisée.

b) Un « changement de base » du plafond d'émissions

Par ailleurs, le plafond d'émissions serait réduit initialement , pour être ajusté au niveau qu'il aurait atteint en cas d'application du nouveau facteur de réduction linéaire dès 2021. Cet ajustement serait effectué à l'entrée en vigueur de l'accroissement du facteur de révision linéaire. L'ampleur de ce « changement de base » dépendrait donc en définitive de la date d'entrée en vigueur de la directive révisée.

En cas d'application du nouveau facteur de réduction linéaire en 2024, le « changement de base » se traduirait par une réduction du plafond initial de 119 millions de tonnes 22 ( * ) .

2. Un meilleur ciblage des quotas gratuits, pour inciter plus largement à la décarbonation sans induire de risques de fuites de carbone

Partant du constat que la persistance de quotas gratuits - mis en place pour lutter contre les phénomènes de fuites de carbone dans l'industrie - constituait un obstacle évident au relèvement de l'ambition climatique dans les secteurs couverts par le SEQE, la Commission européenne entend assurer un meilleur ciblage de leur allocation .

Tel est l'objectif principal du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) , proposé par la Commission européenne, qui devrait permettre l'extinction progressive des quotas gratuits dans les secteurs couverts jusqu'à leur extinction complète en 2036 (voir infra ).

La proposition de révision de la directive SEQE-UE doit par ailleurs contribuer à mieux cibler les quotas gratuits dans les secteurs non couverts par le projet de MACF .

a) Dans les industries non couvertes par le MACF, une réduction accrue de la valeur des référentiels et une allocation gratuite conditionnée à la réalisation d'audits énergétiques

Lors de la révision de 2018 de la directive SEQE-UE, le mode de calcul des référentiels - qui servent de support à l'allocation des quotas gratuits depuis 2013 - avait été modifié, afin de rendre cette allocation plus dynamique. Il avait ainsi été prévu que les référentiels soient ajustés annuellement , avec un taux de réduction variant de 0,2 % à 1,6 % selon les progrès technologiques observés dans chaque sous-secteur. Afin de mieux cibler les quotas gratuits et d'inciter plus largement à la décarbonation, le projet de révision de la directive SEQE-UE prévoit d'accroître ce taux maximal de réduction annuel de la valeur des référentiels de 1,6 % à 2,5 % dès 2026 .

Par ailleurs, les installations soumises à une obligation de réaliser un audit énergétique au titre de la directive sur l'efficacité énergétique devraient mettre oeuvre les mesures recommandées dans ces audits ou justifier de la mise en oeuvre de mesures à effets équivalents. Le projet de révision de la directive SEQE-UE prévoit que ces quotas gratuits soient réduits jusqu'à 25 % si les installations ne respectent pas cette obligation.

Enfin, la proposition de révision ne remet pas en cause l'extinction programmée à 2030 des quotas gratuits pour les secteurs qui ne sont pas exposés à un risque de fuites de carbone.

b) Une extinction des quotas gratuits dans le transport aérien d'ici à 2027

La Commission européenne propose par ailleurs de supprimer progressivement les quotas gratuits dans le transport aérien d'ici à 2027 . À compter de cette date, les quotas devraient donc être acquis aux enchères par les compagnies pour les vols intra-européens couverts par le SEQE-UE.

Les vols intra-européens ne seraient par ailleurs pas assujettis au mécanisme CORSIA , qui ne serait appliqué qu'aux vols internationaux 23 ( * ) .

3. Un renforcement des règles de la réserve de stabilité de marché, pour garantir une plus grande visibilité aux acteurs économiques et crédibiliser l'augmentation du prix de la tonne de CO2

Dans la continuité de la précédente réforme du SEQE-UE, la proposition de la Commission européenne entend renforcer les règles de la réserve de stabilité de marché, pour garantir une plus grande visibilité aux acteurs économiques et crédibiliser l'augmentation du prix de la tonne de CO 2 .

a) Un taux de placement dans la réserve de 24 % maintenu au-delà de 2023

À ce jour, il est prévu que 24 % du surplus constaté, et 12 % dès 2023, soit retiré des enchères et placé dans la réserve pour une durée de 12 mois quand le nombre total de quotas en circulation est supérieur à 833 millions.

La Commission européenne propose de reconduire le taux de 24 % au-delà de 2023, jusqu'en 2030 , l'étude d'impact estimant le taux de 12 % insuffisant pour réduire le surplus de quotas et renforcer la stabilité du marché.

b) L'instauration d'un mécanisme pour éliminer les effets de seuil

La proposition de la Commission européenne vise également à éliminer les effets de seuil pouvant découler des paramètres actuels de la réserve : en effet, une faible variation du nombre total de quotas en circulation - dès lors que ce nombre est très proche du seuil de 833 millions - peut conduire au déclenchement ou, au contraire, à l'annulation de la mise en réserv e. Cette incertitude est susceptible de créer une instabilité du prix de marché , limitant ainsi l'efficacité du dispositif.

La Commission européenne propose donc d'introduire un mécanisme pour écarter ce risque : dès lors que le seuil de 833 millions de quotas en circulation serait dépassé et que le nombre total de quotas en circulation resterait inférieur à 1096 millions, le nombre de quotas placés en réserve serait égal à la différence entre ce nombre total de quotas en circulation et le seuil de 833 millions 24 ( * ) . Le taux de placement dans la réserve de 24 % s'appliquerait uniquement dès lors que le nombre total de quotas en circulation dépasse 1096 millions.

Le calcul du nombre total de quotas en circulation serait enfin modifié, pour intégrer les émissions du transport maritime - auquel le SEQE-UE sera étendu - et celles du transport aérien , jusqu'ici exclues de ce calcul.

c) Plus de prévisibilité sur le nombre de quotas placés en réserve

Lors de la mise en place de la réserve, il avait été prévu que, dès 2023, les quotas placés en réserve ne pourraient excéder le nombre de quotas mis aux enchères l'année précédente, les réserves excédentaires devant ainsi être supprimées.

La proposition de la Commission européenne vise à donner aux acteurs économiques une plus grande prévisibilité par une simplification de ces règles : il est ainsi prévu que les quotas placés en réserve au-dessus du seuil de 400 millions seront automatiquement supprimés .

Parallèlement, la règle prévoyant un niveau minimum de 200 millions de quotas en réserve, devant expirée en 2023, pourrait être prolongée jusqu'en 2030.

d) L'instauration d'une stabilité de réserve spécifique pour le SEQE-bis, applicable au bâtiment et au transport routier

La Commission européenne propose également qu'une réserve de stabilité du marché soit instaurée dans le cadre du nouveau système d'échange de quotas d'émission applicable au transport routier et au bâtiment (SEQE- bis ). Des seuils seront similairement fixés pour déterminer quand les quotas pourront être prélevés de la réserve, ou au contraire, placés dans la réserve 25 ( * ) .

De surcroît, afin de limiter les risques de volatilité des prix, des quotas supplémentaires pourraient être prélevés de la réserve, en cas d' augmentation importante du prix moyen d'allocation .

4. Des recettes du SEQE-UE plus largement orientées vers le financement de la transition climatique

Plusieurs éléments de la réforme envisagée visent enfin à mieux orienter les recettes du SEQE-UE vers le financement de la transition climatique .

a) Un fléchage intégral des recettes du SEQE-UE vers des politiques climatiques

Dans le cadre actuel du SEQE-UE, les États membres sont tenus de consacrer au moins la moitié des recettes tirées de la mise aux enchères de quotas à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, au déploiement des énergies renouvelables, au captage et au stockage du carbone et à l'amélioration de l'efficacité énergétique et du chauffage urbain.

La proposition de la Commission européenne prévoit de contraindre les États membres à utiliser l'intégralité de ces recettes à des projets liés au climat et à l'énergie (qui peuvent notamment inclure des investissements en faveur de véhicules ou d'offres de mobilité à émissions nulles, d'améliorations de l'efficacité énergétique et de rénovation des bâtiments).

Selon l'étude d'impact de la Commission européenne, en 2019, 77 % des recettes du SEQE-UE ont été utilisées sur cette période par les États membres à des fins liées au climat et à l'énergie.

b) Un renforcement important des fonds pour l'innovation et pour la modernisation

La Commission européenne propose de dégager davantage de moyens pour les Fonds pour l'innovation et pour la modernisation , respectivement voués à soutenir les innovations de rupture dans l'industrie, ainsi que la modernisation des systèmes énergétiques et l'efficacité énergétique des dix États membres aux PIB les plus faibles.

Le Fonds pour l'innovation - actuellement doté de 450 millions de quotas pour la période 2021-2030 et des fonds inutilisés du NER 300 (735 millions d'euros) - pourrait être complété par 50 millions de quotas au titre du SEQE-UE , 150 millions de quotas provenant du nouveau SEQE- bis , ainsi que par les quotas mis aux enchères dans les secteurs industriels qui bénéficiaient jusqu'ici d'une allocation gratuite et qui devraient être couverts par le MACF. Cette proposition devrait en pratique contribuer à doubler le volume du Fonds d'innovation .

Le Fonds pour la modernisation , actuellement doté de 2 % du nombre total de quotas pour la période 2021-2030, en direction des pays disposant d'un PIB inférieur à 60 % de la moyenne européenne, pourrait également bénéficier de la réforme envisagée par la Commission européenne. Un abondement supplémentaire de 2,5 % du total des quotas est proposé par l'exécutif européen pour la période 2026-2030, pour les États membres dont le PIB est inférieur à 65 % de la moyenne européenne (ce nouveau périmètre permettra d'intégrer la Grèce et le Portugal, en plus des 10 pays de l'Est déjà bénéficiaires).

B. LA PROPOSITION DE CRÉATION D'UN MÉCANISME D'AJUSTEMENT CARBONE AUX FRONTIÈRES : UNE ALTERNATIVE À L'ALLOCATION GRATUITE DE QUOTAS

Pour mieux cibler les quotas gratuits - condition essentielle au respect de l'objectif de baisse des émissions du SEQE-UE de 61 % d'ici 2030 par rapport à 2005 - tout en limitant les risques de fuites de carbone, la Commission européenne propose la mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) . Dans les secteurs non couverts par ce dispositif, la réduction du nombre de quotas gratuits passerait par d'autres leviers déjà identifiés par le présent rapport 26 ( * ) .

Le règlement MACF proposé par la Commission européenne en 2021 constitue l'aboutissement d'une série d'initiatives européennes , et en particulier françaises, depuis la création du SEQE-UE en 2005.

Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières : quinze ans de propositions, notamment à l'initiative de la France

Au niveau européen, les réformes relatives aux différentes phases du SEQE ont fait émerger la question de la mise en place d'un MACF, à trois reprises :

- en 2007 , en vue de la troisième phase du SEQE (2013-2020), la Commission européenne a émis une proposition informelle visant à inclure les importateurs européens de secteurs ciblés dans le marché carbone et à rembourser des exportateurs européens, en prenant en compte la moyenne européenne des émissions de produits considérés ;

- en 2009 , la France proposait que des importateurs soient contraints de prendre part au SEQE, et ce dans le respect des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) : les pays les moins coopératifs en matière climatique étaient ciblés, et seules les émissions de production étaient retenues ;

- en 2016 , au lendemain de la signature de l'Accord de Paris, la France a de nouveau été force de proposition : l'industrie européenne du ciment devait intégrer un système de tarification des émissions des produits importés, en substitution des allocations de quotas gratuits.

En définitive, ces projets n'ont pas été formellement repris par la Commission européenne, le troisième ayant notamment fait l'objet d'un amendement finalement rejeté par le Parlement européen, lors de l'examen du projet de réforme du SEQE relatif à sa quatrième phase (2021-2030).

Par trois fois, le maintien du système d'allocations gratuites et la plus grande rationalisation dans l'attribution de ces quotas - notamment par la mise en place des référentiels - ont donc été privilégiés à la mise en place d'un MACF, alors jugé fragile eu égard aux bases juridiques de l'OMC.

Le MACF s'envisage, sinon comme une condition nécessaire, du moins comme le corollaire de l'augmentation du prix du carbone européen du SEQE-UE , en ce qu'il permet de préserver l'ambition climatique de l'Union européenne et de garantir des conditions de concurrence équitables , tout en incitant ses partenaires commerciaux à s'aligner sur le signal prix européen du carbone.

Si la finalité du MACF est donc bien identifiée, sa nature juridique, hybride, est quant à elle plus difficile à déterminer (voir encadré).

Un outil hybride de politique publique, entre mécanisme fiscal et droit de douane

A priori , le MACF s'intègre à la famille des ajustements fiscaux à la frontière (AFF). Établie en 1970 par le GATT, confirmée par l'OMC en 1997 et retenue plus largement par l'OCDE, la définition des AFF recouvre « toutes mesures fiscales qui donnent effet, complètement ou partiellement, au principe du pays de destination, c'est-à-dire qui permettent d'exonérer en totalité ou en partie, les produits exportés de la taxe grevant dans les pays exportateurs les produits nationaux similaires vendus aux consommateurs sur le marché intérieur et de prélever, en totalité ou en partie, sur les produits importés vendus aux consommateurs la taxe grevant dans le pays importateur les produits nationaux similaires » .

Pour assimiler le MACF à un AFF, encore faudrait-il considérer le SEQE-UE européen comme un outil fiscal. Or, le SEQE-UE constitue bien un mécanisme de marché décentralisé, et non un prélèvement direct ou indirect appliqué à un produit.

Il apparait que le MACF, tel qu'il est proposé par la Commission européenne, ne peut donc pas être assimilé à un instrument fiscal. Deux options - d'une part, une taxe carbone appliquée aux importations ajustée en fonction de la tarification carbone européenne, et d'autre part, un droit d'accise sur les matériaux particulièrement intensifs en carbone qu'ils soient importés ou consommés au sein de l'Union - sont d'ailleurs présentées par l'étude d'impact comme des alternatives au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et n'ont pas été retenues par la Commission européenne.

À première vue, le MACF présente également des caractéristiques comparables aux droits de douane, dès lors qu'il vise à imposer un droit sur des produits importés. Cette comparaison est néanmoins limitée. Tandis que le droit de douane est conditionné par l'origine des produits importés et a comme fait générateur l'entrée physique d'un produit sur le territoire, aucun de ces critères ne s'applique réellement au mécanisme proposé par la Commission européenne. Contrairement aux droits de douane, le MACF ne peut exister indépendamment des mesures fiscales internes, puisque son objet consiste à assurer une équivalence de traitement entre les produits importés et les produits européens.

1. Le MACF : un « miroir » au SEQE-UE, appliqué aux importations

Le MACF peut être défini comme un dispositif de tarification du carbone sur les importations, à hauteur de la tarification pratiquée sur le marché intérieur . Il constitue à ce titre un mécanisme de protection des industries européennes, contraintes de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre dans le cadre du système d'échange de quotas d'émissions.

Selon la proposition de règlement présentée par la Commission européenne en 2021, les importateurs devraient déclarer les émissions directes réelles associées à la fabrication des produits importés .

Si le contenu carbone d'un produit importé ne peut être déterminé de manière satisfaisante, la valorisation serait alors fondée sur la moyenne des émissions de chaque pays exportateur , et à défaut sur l'intensité moyenne des émissions des 10 % d'installations les moins performantes de l'Union.

Les importateurs devraient, dans un second temps, restituer à l'autorité nationale compétente le nombre de certificats correspondant aux émissions déclarées. Il pourra, le cas échéant, être tenu compte du prix du carbone payé dans le pays d'origine .

Le prix d'achat des certificats serait équivalent à la valeur de clôture des quotas du SEQE-UE pour chaque semaine civile, garantissant ainsi une corrélation entre les prix assignés aux produits intégrés au MACF et les prix fixés sur le système d'échanges de quotas.

En cas de non restitution de tout ou partie des certificats au-delà du délai imparti, le déclarant serait passible d'une amende pouvant être majorée en proportion du nombre de certificats restant à restituer. Les éventuels excédants de certificats MACF pourraient être rachetés par l'autorité compétente, au prix initialement payé par le déclarant.

75 % des revenus générés par le système abonderaient le budget européen - soit 1 milliard d'euros par an en moyenne entre 2026 et 2030 - le reste ayant vocation à couvrir les coûts de fonctionnement du mécanisme.

2. Un mécanisme limité à certains produits de base

En l'état, le périmètre du MACF proposé par la Commission s'applique aux producteurs d'électricité, de fer et d'acier, d'aluminium, de ciment et d'engrais .

Plusieurs critères ont été mobilisés pour déterminer les secteurs assujettis au mécanisme :

- capacité à calculer l'intensité carbone des produits importés. Ce critère se justifie notamment par la volonté d'assurer la conformité du mécanisme aux règles de l'OMC (voir infra ). À ce stade, il conduit de fait à limiter le mécanisme aux produits de base, et à exclure les produits finis ;

- exposition des secteurs à un risque de fuites de carbone . En pratique, seuls les secteurs bénéficiant d'une pleine allocation de quotas gratuits au titre de SEQE-UE peuvent donc être intégrés ;

- niveau d'émissions de gaz à effet de serre des secteurs justifiant la mise en place d'un mécanisme en substitution des quotas gratuits.

Par ailleurs, une analyse du système prévue d'ici à 2026 doit permettre d'envisager l'élargissement du périmètre du MACF à d'autres produits ou encore la prise en compte des émissions indirectes , c'est-à-dire celles issues de la production d'électricité nécessaire à la fabrication des produits, pour l'heure non prises en compte.

3. Une phase transitoire dès 2023, une entrée en vigueur progressive dès 2026, jusqu'à l'extinction totale des quotas gratuits en 2036

Entre 2023 et 2025 , les importateurs seraient simplement soumis à une obligation de déclaration de l'empreinte carbone des produits importés en vue de la mise en place effective du MACF.

Le mécanisme commencerait à s'appliquer en 2026, sans pour autant que les quotas gratuits au titre du SEQE-UE ne disparaissent à cette date.

En effet, à compter de 2026, une période de transition de dix ans permettra de réduire progressivement l'allocation de quotas gratuits dans les secteurs couverts, à hauteur de 10 % par an.

Dans les secteurs concernés, le MACF viendrait donc se substituer pleinement à l'allocation gratuite au titre du SEQE-UE dès 2036.

C. LES PROPOSITIONS DE CRÉATION D'UN NOUVEAU SYSTÈME D'ÉCHANGE DE QUOTAS D'ÉMISSION POUR LES SECTEURS DU BÂTIMENT ET DU TRANSPORT ROUTIER ET D'EXTENSION DU SEQE-UE AU TRANSPORT MARITIME : ACCÉLÉRER LA DÉCARBONATION DE SECTEURS PARTICULIÈREMENT ÉMISSIFS

Pour accélérer la décarbonation de plusieurs secteurs relevant du règlement sur la répartition de l'effort, la Commission européenne propose d' étendre le principe du système d'échange de quotas d'émission :

- au bâtiment et au transport routier , par la création d'un nouveau système d'échange de quotas d'émission propre, distinct du SEQE-UE, sans pour autant exclure ces secteurs du périmètre du règlement sur la répartition de l'effort ;

- au transport maritime domestique et international 27 ( * ) , par l'inclusion de ce secteur au SEQE-UE ; le transport maritime domestique, pour l'heure intégré au périmètre du règlement sur la répartition de l'effort, en serait donc exclu.

1. Un nouveau SEQE pour les secteurs du bâtiment et du transport routier, accompagné d'un Fonds social pour le climat
a) La création d'un nouveau système d'échange de quotas d'émission pour les secteurs du bâtiment et du transport routier

Selon la proposition de la Commission européenne, le nouveau système d'échange de quotas d'émission porterait sur l'amont des secteurs du bâtiment et du transport routier ( SEQE- bis ) : il encadrerait donc directement les fournisseurs de carburants, plutôt que les automobilistes, les professionnels du transport routier ou les occupants d'immeubles. Les fournisseurs seraient ainsi chargés de déclarer la quantité de carburant mise sur le marché et de restituer les quotas d'émission chaque année en fonction de l'intensité de carbone des carburants. Ce mode de fonctionnement diffère de celui du SEQE-UE, dans lequel les installations consommatrices d'énergie ou les producteurs d'électricité sont directement assujettis aux obligations de restitution des quotas. Cette approche semblait difficile à répliquer dans les secteurs du bâtiment et du transport routier, compte tenu du nombre d'acteurs concernés par le dispositif.

Le SEQE- bis commencerait à produire pleinement ses effets en 2026 , date à laquelle les fournisseurs de carburants seraient tenus de détenir une autorisation d'émettre des gaz à effet de serre et de déclarer leurs émissions pour 2024 et 2025.

Le plafond d'émissions spécifique au SEQE- bis serait fixé à partir de 2026 , en s'appuyant sur les données collectées dans le cadre du règlement sur la répartition de l'effort. Le plafond serait par la suite abaissé chaque année, selon un facteur de réduction linéaire, pour parvenir à un objectif spécifique à ces secteurs de réduction des émissions de 43 % en 2030 par rapport à 2005 . Le nombre total de quotas pourrait être ajusté pour l'année 2028, en fonction des données collectées sur la période 2024-2026.

Dès 2026, les quotas seraient en principe vendus aux enchères .

Une réserve de stabilité spécifique serait instaurée pour limiter les risques de volatilité du prix de la tonne de CO 2 ; 150 millions de quotas du SEQE- bis seraient par ailleurs fléchés vers le Fonds d'innovation (voir supra ).

L'instauration d'un nouveau système d'échanges de quotas d'émission distinct du SEQE-UE dans les secteurs du bâtiment et du transport routier ne remettrait pas en cause l'inclusion de ces secteurs au périmètre du règlement sur la répartition de l'effort : les politiques publiques nationales devraient donc continuer à accompagner la réduction de ces émissions, les États membres restant responsables du respect des objectifs dans ce périmètre au titre du règlement RRE.

Par ailleurs, la mise en place d'un système d'échange de quotas d'émissions ne serait pas le seul outil de tarification du carbone mobilisé pour réduire les émissions de ces secteurs : la proposition de refonte de la directive sur la fiscalité de l'énergie vise également à ce que les énergies fossiles soient plus fortement taxées à l'échelle des États membres.

La Commission européenne reconnaît au demeurant que « la tarification du carbone en elle-même ne répond pas à tous les obstacles au déploiement de solutions à émissions faibles ou nulles dans les secteurs du transport routier ou de la construction ». Des outils normatifs sectoriels devront donc être développés en complément par les États membres et l'Union européenne. C'est d'ailleurs la vocation de plusieurs textes proposés par l'exécutif européen, dans ou en dehors de son paquet « Ajustement à l'objectif 55 » 28 ( * ) .

b) La mise en place d'un fonds social pour le climat pour faire face aux conséquences sociales du SEQE-bis

Pour faire face aux conséquences sociales découlant de la mise en place du SEQE- bis - qui exercerait très probablement une pression à la hausse sur le prix des carburants - la Commission européenne a également présenté une proposition de Fonds social pour le climat , mis à disposition des États membres pour des dépenses en faveur des ménages vulnérables ainsi que des micro-entreprises .

Le fonds permettrait de soutenir les mesures et les investissements destinés à réduire la dépendance à l'égard des combustibles fossiles grâce à l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments, à la décarbonation de leur chauffage et de leur refroidissement - y compris au moyen de l'intégration d'énergies produites à partir de sources renouvelables - et à l'amélioration de l'accès à la mobilité et aux transports à émissions nulles et faibles.

L'utilisation du fonds par les États membres serait conditionnée au respect de cibles listées dans un plan social d'action climatique soumis par les États à la Commission en juin 2024. Bruxelles disposerait ensuite de six mois pour valider les plans, le cas échéant avec possibilité de les amender. Les premiers déboursements pourraient ainsi intervenir en 2025 , soit un an avant l'introduction du SEQE- bis .

Le Fonds social pour le climat a vocation à être financé par 25 % des recettes du SEQE- bis . L'étude d'impact estime ainsi que ce fonds pourrait dégager 72,2 milliards d'euros sur sept ans , de sa mise en place en 2025 à 2032. Les mesures devront être cofinancées, à hauteur de 50 %, par les États membres. Ce sont ainsi 144,4 milliards d'euros qui pourraient être mobilisés sur l'ensemble de la période . En attendant la pleine montée en puissance du SEQE- bis , le fonds serait financé par les ressources propres du budget de l'Union européenne (à hauteur de 23,7 milliards d'euros sur la période 2025-2027).

Plusieurs critères sont pris en compte pour répartir le fonds entre les différents États membres : part de population dans les zones rurales, taux de pauvreté énergétique, émissions de CO 2 des ménages, revenu national brut par habitant ou objectifs nationaux fixés par le règlement RRE.

La France pourrait ainsi bénéficier de 8 milliards d'euros sur la période 2025-2032 , soit 11 % du total ; elle serait ainsi contributrice nette au dispositif , compte tenu de la part plus élevée de son économie dans le PIB européen (près de 20 %).

2. Une extension du SEQE-UE au transport maritime

L'extension du SEQE-UE proposée par la Commission européenne concernerait les grands navires - dont le tonnage brut supérieur est à 5 000 - qu'ils portent le pavillon d'un État membre de l'Union européenne ou d'un autre État. Seront assujetties les émissions des navires faisant escale dans un port européen pour des voyages intra-UE et 50 % des émissions provenant de voyages internationaux, commençant ou se terminant en dehors de l'UE . Les émissions survenant lors du stationnement à quai des navires seront également intégralement visées. Le SEQE-UE couvrirait ainsi les deux tiers des émissions du transport maritime - soit 90 millions de tonnes de CO 2 .

La proposition s'appuie sur les dispositions en vigueur dans les autres secteurs couverts par le SEQE-UE : les compagnies maritimes devraient ainsi acheter et restituer des quotas d'émission du système d'échange pour chaque tonne d'émissions de CO 2 reportée. Une période transitoire est prévue : dès 2023, les compagnies maritimes ne devraient restituer des quotas que pour une partie de leurs émissions. Le système devrait couvrir 100 % de ces émissions 3 ans après l'entrée en vigueur de la directive.

Les autorités gestionnaires des États membres s'assureraient de la conformité de ces informations en utilisant les mêmes règles que pour les autres secteurs, en s'appuyant plus spécifiquement sur le système de surveillance, de déclaration et de vérification des émissions du transport maritime, mis en place par l'Union européenne en 2018 pour recenser les émissions des navires faisant escale dans tous les ports de l'Union.

En plus des règles de droit commun applicable aux autres secteurs couverts par le SEQE-UE, les navires pourraient se voir refuser l'accès aux ports de l'UE lorsque la compagnie maritime responsable n'a pas restitué les quotas nécessaires pendant deux années consécutives ou plus.

La proposition d'extension du SEQE-UE est complétée par une proposition de règlement sur les carburants durables pour le maritime fixant des objectifs de baisse de l'intensité carbone de ces carburants de 2 % en 2025 pour atteindre 75 % en 2050 par rapport à 2020. La refonte de la directive sur la taxation de l'énergie vise par ailleurs à mettre fin aux exonérations dont bénéficie le pétrole lourd utilisé par le transport maritime , pour les trajets au sein de l'Union européenne.

Le SEQE-UE contribuerait précisément à accompagner cette décarbonation , en donnant un signal prix à même de réduire la différence de prix entre les carburants alternatifs et les carburants maritimes traditionnels.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION : DES AVANCÉES NOTABLES, MAIS UNE AMBITION À RELEVER ET DES INQUIÉTUDES LÉGITIMES AU SUJET DE LA CRÉATION D'UN NOUVEAU SEQE POUR LES SECTEURS DU BÂTIMENT ET DU TRANSPORT ROUTIER

A. RÉFORME DU SEQE-UE : DES MODIFICATIONS QUI CONTRIBUERONT À RENFORCER LE SYSTÈME EUROPÉEN

1. Une répartition des objectifs entre secteurs globalement satisfaisante

La commission accueille tout d'abord favorablement l'équilibre proposé entre l'objectif de réduction des émissions d'ici 2030 assigné aux secteurs relevant du règlement sur la répartition de l'effort (- 40 % par rapport à 2005) et celui assigné aux secteurs relevant du SEQE-UE (- 61 % par rapport à 2005). On constate ainsi une répartition inégale de l'effort entre les deux périmètres - avec un relèvement de l'ambition de 10 points pour le premier, contre 18 points pour le second . La Commission européenne a ainsi rejeté l'idée d'une répartition proportionnelle de l'objectif de baisse des émissions de 55 % par rapport à 1990 : cette logique aurait conduit à assigner un objectif de - 47 % aux secteurs relevant du règlement RRE et de -56 % à ceux relevant du SEQE-UE.

La proposition de l'exécutif européen reflète donc une nouvelle fois la priorité donnée à la décarbonation de l'industrie et de l'électricité , suivant une logique de recherche d'efficacité économique. Le coût de la réduction des émissions est en effet plus faible dans ces secteurs ; leur décarbonation prioritaire a par ailleurs des effets bénéfiques sur les filières en aval, notamment le transport et le chauffage, en raison par exemple de l'électrification des usages.

Mais la Commission européenne a légèrement tempéré ce principe coût-efficacité : si elle avait intégralement suivi cette logique, l'objectif au titre du SEQE-UE aurait pu être poussé à - 65 %, quand celui au titre du règlement RRE aurait été abaissé à - 37 %. Les objectifs nationaux au titre du règlement RRE n'auraient donc que très peu varié, ce qui aurait pu provoquer une inertie plus forte des secteurs - transport, bâtiment et agriculture - dont la décarbonation doit être engagée dès à présent à un rythme soutenu pour espérer atteindre la neutralité carbone en 2050. L'importance de l'objectif assigné au SEQE-UE aurait a contrario conduit à faire porter un effort considérable sur les pays de l'Europe centrale et orientale, très dépendants du charbon.

2. Règles de fonctionnement du SEQE-UE : une réforme paramétrique et structurelle nécessaire à l'atteinte des objectifs climatiques

Les rapporteurs portent également un regard favorable sur la réforme des règles de fonctionnement du SEQE-UE proposée par la Commission européenne .

a) L'accélération de la réduction du nombre de quotas : un ajustement paramétrique bienvenu, mais qui, seul, n'aurait pas suffi pour l'atteinte de l'objectif climatique de l'Union

L' augmentation du facteur de réduction linéaire - de 2,2 à 4,2 % - semblait tout particulièrement nécessaire pour ajuster la trajectoire de décarbonation à l'objectif de baisse des émissions de 61 % d'ici 2030 par rapport à 2005 assigné aux secteurs couverts par le SEQE-UE. Le débat au sein des institutions européennes pourrait même aboutir à un relèvement de ce facteur.

À côté de cet ajustement - qu'on pourrait qualifier de paramétrique - il est heureux que la Commission européenne ait proposé des réformes plus structurelles du SEQE-UE , d'une part, en accélérant la suppression des quotas gratuits et, d'autre part, en poursuivant ses efforts pour stabiliser le prix de la tonne de CO 2 .

Pour cause, si les secteurs du SEQE-UE ont respecté les engagements qui leur étaient fixés à échéance 2020, les politiques de décarbonation de l'électricité et d'efficacité énergétique ont probablement contribué plus largement à ce résultat que le système d'échange de quotas, compte tenu de la faiblesse du prix de la tonne de CO 2 durant la majeure partie de la dernière décennie.

À cet égard, un ajustement paramétrique du SEQE-UE n'aurait probablement pas suffi à respecter le nouvel objectif pour 2030 ; dans la continuité de la réforme de 2018, la Commission se devait de proposer des réformes structurelles du système .

b) Le meilleur ciblage des quotas gratuits dans les secteurs exposés à un risque de fuites de carbone, axe essentiel du paquet proposé par la Commission européenne

Le meilleur ciblage des quotas gratuits est indéniablement une condition essentielle au respect de l'objectif de baisse des émissions de 61 % d'ici 2030 par rapport à 2005 assigné au SEQE-UE.

La suppression d'ici 2030 des quotas gratuits dans les secteurs non exposés au risque de fuites de carbone avait déjà été actée lors de la révision de la directive en 2018.

Mais ces secteurs représentent une très petite part du total des émissions couvertes par le SEQE-UE ; l'attention portée par la Commission européenne en direction des quotas gratuits dont bénéficient les secteurs exposés à un risque de fuites de carbone était donc essentielle.

La commission ne peut donc que se féliciter de l'entrée en vigueur du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières , qui permettra une extinction progressive des quotas gratuits dans les secteurs bénéficiant de ce mécanisme (voir infra ).

Elle accueille également favorablement les propositions de réduction accrue de la valeur des référentiels et d'allocation gratuite conditionnée à la réalisation d'audits énergétiques, qui devraient permettre d'accompagner les industries non couvertes par le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières dans leurs efforts de décarbonation, sans les exposer pour autant à des risques de fuites de carbone.

Les rapporteurs notent que le meilleur ciblage des quotas gratuits ex-ante constitue un excellent moyen d' éviter le recours, ex-post , au facteur de correction transsectoriel 29 ( * ) , dont l'utilisation est économiquement inefficace puisqu'elle met à contribution l'ensemble des installations, quelle que soit leur exposition réelle à un risque de fuites de carbone.

c) Des ajustements complémentaires à réaliser pour stabiliser le prix de la tonne de CO2 et éviter une envolée incontrôlée des prix de l'énergie

Les rapporteurs jugent pertinent le renforcement des règles de la réserve de stabilité de marché , pour garantir une plus grande visibilité aux acteurs économiques et crédibiliser l'augmentation du prix de la tonne de CO 2 .

Ces réformes s'inscrivent dans la droite ligne de la précédente révision de 2018 , qui avait instauré la réserve de stabilité de marché dans un contexte de prix très bas de la tonne de CO 2 . Les propositions visent ainsi essentiellement à empêcher la constitution de surplus sur le marché - par une augmentation du nombre de quotas placés en réserve en cas de dépassement d'un certain seuil de quotas en circulation - et à donner plus de visibilité aux acteurs en cas d'activation de la réserve pour résorber ce surplus - par une application plus progressive de la mise en réserve (voir supra ).

Les rapporteurs constatent toutefois que la réforme proposée n'apporte pas réellement de réponse à l'envolée constatée du cours du CO 2 sur le SEQE-UE, qui a frôlé en février dernier les 100 euros/tonne, à un niveau largement supérieur à son niveau structurel actuel, estimé par de nombreuses analyses à environ 40 euros.

L'augmentation du prix du carbone est le signe que les difficultés structurelles rencontrées par le SEQE-UE lors de la dernière décennie sont pour partie résorbés : le système est enfin sorti d'une période où le prix de marché était manifestement trop bas pour accélérer la décarbonation des secteurs couverts.

Mais une hausse trop brutale du coût du CO 2 , sans lien direct avec l'évolution des fondamentaux du marché, serait également problématique : la transition bas-carbone ne pourra être réussie qu'à condition d'offrir suffisamment de visibilité aux acteurs économiques. Stabiliser le prix du carbone s'avère d'autant plus nécessaire dans un contexte d'envolée des prix de l'énergie , consécutive notamment au déclenchement de la guerre russo-ukrainienne.

Des ajustements complémentaires pourraient donc être apportés pour stabiliser le prix du carbone sur le SEQE-UE :

- la proposition, portée de longue date par la France, d'instaurer un corridor de prix - composé d'un prix plancher et d'un prix plafond - pourrait utilement être replacée au coeur du débat européen ;

- alternativement, il pourrait être prévu que des quotas soient prélevés de la réserve, en cas d'augmentation importante du prix moyen d'allocation (par exemple, si pendant plus de six mois consécutifs le prix moyen des quotas sur le SEQE-UE est supérieur à deux fois leur prix moyen au cours des deux années précédentes). Ce mécanisme serait analogue à celui proposé par la Commission européenne pour la réserve de stabilité de marché spécifique au SEQE- bis applicable au transport routier et au bâtiment.

Recommandation n° 1 : dans un contexte d'envolée des coûts du CO 2 et de l'énergie, renforcer les outils de stabilisation du prix du carbone sur le SEQE-UE par l'instauration d'un corridor de prix sur le marché ou la possibilité de prélever des quotas de la réserve en cas d'augmentation importante du prix moyen d'allocation.

3. SEQE-UE dans les transports maritimes et aériens : des modifications bienvenues, méritant d'être approfondies
a) Une extension opportune du SEQE-UE au transport maritime, devant servir de levier à une régulation internationale sous l'égide de l'OMI

La commission porte un regard favorable à l' extension proposée du système d'échange des quotas d'émission au transport maritime , qui permettra d'accompagner ce secteur dans la transition décarbonée de ses activités.

Elle note avec intérêt l'interaction de cette réforme avec la refonte de la directive sur la taxation de l'énergie - qui mettra fin aux exonérations dont bénéficie le pétrole lourd utilisé par le transport maritime - et avec la proposition de règlement sur les carburants durables pour le maritime fixant des objectifs de baisse de l'intensité carbone des carburants maritimes de 2 % en 2025 pour atteindre 75 % en 2050 par rapport à 2020, trajectoire qui pourrait être, de l'avis des rapporteurs, renforcée . Le SEQE-UE constituera un atout majeur à l'accélération de cette incorporation , en donnant un signal prix à même de réduire la différence de prix entre les carburants alternatifs et les carburants maritimes traditionnels.

Par ailleurs, l' intégration de 50 % des émissions des trajets extra-UE au système d'échange de quotas d'émission constitue une avancée pertinente au regard du poids croissant des émissions internationales dans l'empreinte carbone du secteur.

Il convient toutefois de se rappeler de l' expérience de l'extension du SEQE-UE au transport aérien . En 2012, l'Union européenne avait souhaité intégrer les vols extra-européens au système de quotas, avant de devoir reculer quelques mois plus tard face à la pression diplomatique d'États tiers. Cette décision - dite « stop the clock » - avait conduit aux négociations, sous l'autorité de l'OACI, ayant abouti à la mise en place du mécanisme CORSIA.

L'Union européenne devra donc tenir compte des réactions que pourraient provoquer son projet d'intégration des émissions internationales du transport maritime au système d'échange de quotas .

Comme le transport aérien, le transport maritime est un secteur par essence international : l'extension du SEQE-UE doit donc être perçue comme un levier de négociation en vue d'aboutir à une régulation internationale ambitieuse sous l'égide de l'Organisation maritime internationale (OMI).

Recommandation n° 2 : faire de l'intégration partielle des émissions des trajets maritimes extra-européens au système d'échange de quotas d'émission un levier de négociation en vue d'aboutir à une régulation ambitieuse sous l'égide de l'Organisation maritime internationale (OMI).

b) Fin des quotas gratuits dans le transport aérien : une évolution opportune, qui n'apporte toutefois pas de réponse à la problématique des émissions internationales du secteur
(1) Une réforme répondant à la volonté du législateur national d'accélérer le report modal vers le train

Les rapporteurs constatent également que la proposition de suppression progressive d'ici 2027 des quotas gratuits dont bénéficie le transport aérien répond à la volonté de favoriser le report modal vers le train : comme l'a montré le rapport de la Cour des comptes européenne précédemment cité, le système dérogatoire appliqué à l'aérien offre à ce mode de transport un avantage comparatif freinant le développement des offres ferroviaires à l'échelle européenne , a fortiori puisque le transport ferroviaire majoritairement électrifié s'acquitte d'une tarification carbone indirecte en s'approvisionnant en électricité intégralement couverte par le SEQE-UE.

Couplée avec la proposition de refonte de la directive sur la taxation de l'énergie qui mettra fin aux exonérations dont bénéficie le kérosène pour les vols intra-européens et avec la proposition de règlement sur l'incorporation de biocarburants dans le transport aérien, la suppression progressive des quotas d'ici 2027 répond à la volonté législative exprimée par l'article 142 de la loi « Climat et résilience » 30 ( * ) , prévoyant l'instauration d'une tarification carbone appropriée du secteur en privilégiant sa mise en place au niveau européen .

La commission souligne que ces propositions pourraient être utilement complétées par des mesures de lutte contre la vente à perte des billets d'avion, conformément à la volonté exprimée par l'article 144 de la loi « Climat et résilience », introduit à l'initiative du Sénat. Une évolution du règlement européen du 24 septembre 2008 31 ( * ) - qui pose le principe d'une liberté tarifaire des compagnies aériennes, conduisant certaines d'entre elles à proposer des tarifs très bas ne couvrant pas entièrement le coût des vols et ne reflétant pas les externalités négatives engendrées par le trafic aérien - serait particulièrement bienvenue en ce qu'elle permettrait de fixer des prix planchers sur les billets d'avion pour lutter contre ce « dumping » social et environnemental.

Recommandation n° 3 : Permettre de fixer des prix planchers sur les billets d'avion afin de lutter contre le dumping social et environnemental de certaines compagnies et d'accélérer le report modal vers le train, conformément à la volonté législative exprimée par l'article 144 de la loi « Climat et résilience ».

(2) Fuites de carbone : des risques semblant pour l'heure non fondés, devant toutefois être évalués à l'avenir

Plusieurs entités auditionnées ont avancé que ces propositions, cumulées, exposaient le transport aérien européen à un risque de fuites de trafic - et donc de fuites de carbone - des hubs du continent vers les hubs des pays non européens (Londres, Istanbul, Dubaï, voire Addis-Abeba ou Casablanca).

Comme l'a en effet rappelé la direction générale de l'aviation civile, « un vol Marseille / Shanghai qui transite par Paris-CDG ou Amsterdam-Schiphol sera taxé sur sa partie intra-européenne alors qu'il sera exempté de toute taxe s'il transite par les aéroports d'Istanbul ou de Dubaï » : le différentiel de compétitivité découlant des différentes réglementations environnementales pourrait donc, théoriquement, détourner les Européens de leurs hubs au profit des hubs extra-européens .

Les rapporteurs invitent donc la Commission européenne à étudier l'effet conjugué des mesures du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » en matière de fuites de carbone et, dans l'éventualité où ces risques de fuites viendraient à se réaliser, à mobiliser, à l'avenir, des mesures de protection adéquates et proportionnées , s'appuyant par exemple sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

Néanmoins, selon une récente étude de l'organisation non gouvernementale « Transport & Environnement » 32 ( * ) , publiée en janvier 2022, le cumul des propositions du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » ne conduirait pas à des phénomènes de fuites de carbone , y compris pour les vols en direction de l'est et du sud-est asiatique, réputés plus exposés.

L'étude de « Transport & Environnement » conclut ainsi à l'absence d'avantage économique d'un transit via les hubs extra-européens , les surcoûts en carburant et en taxations aéroportuaires surpassant le gain économique tiré de l'évitement de la norme européenne. La perte de temps associée à ce transit limite encore plus l'intérêt d'une telle stratégie de contournement.

Cela vaut pour les hubs orientaux d'Istanbul ou de Dubaï . Quant au hub de Londres , s'il est théoriquement susceptible d'attirer les vols de transit européens en raison de sa proximité géographique des grands hubs européens de Paris, d'Amsterdam et de Francfort, la mise en place d'une politique britannique de tarification carbone proche du niveau pratiqué en Europe réduit en pratique ce risque.

Recommandation n° 4 : étudier l'effet conjugué des mesures du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » en matière de fuites de carbone dans le transport aérien et, dans l'éventualité où ces risques de fuites viendraient à se réaliser, mobiliser, à l'avenir, des mesures de protection appropriées et proportionnées, s'appuyant par exemple sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières .

(3) Un angle mort : les émissions internationales du transport aérien

Les rapporteurs constatent que les mesures du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » n'offriront un cadre de régulation que pour les émissions des vols intra-UE .

Pour cause, la révision de la directive sur la taxation de l'énergie ne conduira à la fin des exonérations dont bénéficie le kérosène que pour ces trajets intérieurs . Quant à la fin des quotas gratuits au titre du SEQE, elle contribuera à imposer une tarification du carbone pour les seuls vols intra-UE , les vols internationaux ayant été exclus du système suite à la décision « stop the clock » de 2013.

Les trajets internationaux, hors-UE, ne seront régis que par le mécanisme CORSIA, particulièrement peu ambitieux car les compagnies aériennes des États participants ne seront contraintes d'acheter des crédits de compensation carbone que pour les émissions supérieures au niveau enregistré en 2019. CORSIA ne commencera donc à être opérant qu'à la date où le trafic aura retrouvé son niveau d'avant-crise sanitaire, au mieux en 2024. Par ailleurs, le prix des crédits de compensation associés au CORSIA devrait être particulièrement faible (pour l'heure inférieur à 10 euros/tonne de CO 2 ), en tout état de cause inférieur aux prix désormais pratiqués sur le SEQE-UE.

Recommandation n° 5 : renforcer la régulation environnementale des trajets aériens internationaux pour compléter le mécanisme CORSIA, particulièrement peu ambitieux et, pour l'heure, inopérant.

4. Fléchage des recettes du SEQE-UE vers le financement de la transition climatique : une tendance positive mais probablement insuffisante au regard des besoins
a) Une volonté politique de mieux flécher les recettes du SEQE vers la transition, devant être saluée

Le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » traduit une volonté politique de mieux flécher les recettes du système d'échange de quotas vers la transition climatique , initiative que la commission ne peut que saluer.

Elle porte ainsi un regard favorable sur la proposition de la Commission européenne, tendant à ce que les États membres consacrent l'ensemble des recettes issues du SEQE-UE à des dépenses associées à leurs politiques climatiques, suivant le modèle mis en oeuvre par la France , où le produit de la mise aux enchères des quotas vient financer le plan de rénovation thermique des logements dans le cadre du programme « Habiter Mieux » de l'Agence nationale de l'habitat (Anah).

Cette proposition est d'autant plus pertinente que les recettes du SEQE-UE devraient augmenter au cours de la décennie , de 20 milliards d'euros annuellement, pour atteindre 38 à 52 milliards d'euros en 2030 33 ( * ) , sous l'effet conjugué de l'extinction progressive des quotas gratuits, associée à l'augmentation du prix de la tonne de CO 2 , qui surpassera la réduction progressive de l'assiette (baisse des émissions de gaz à effet de serre).

Dans le même ordre d'idée, l' accroissement des moyens du Fonds pour l'innovation - qui devraient être doublés par la réforme du SEQE-UE et la mise en place d'un SEQE- bis - permettra de stimuler la R&D climatique du continent .

Par ailleurs, le Fonds social pour le climat pourrait permettre de dégager 144 milliards d'euros sur 7 ans (soit environ 20 millions d'euros par an en moyenne), en tenant compte du co-financement à parts égales par les contributions des États membres.

En dehors du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », des moyens spécifiques ont par ailleurs été mobilisés dans le contexte de la crise sanitaire , principalement via le Next Generation EU , plan de relance européen doté de 750 milliards d'euros . Au sein de ce plan de relance, la « Facilité pour la reprise et la résilience » doit contribuer à financer la transition écologique ; le « Fonds pour une transition juste », instrument financier relevant de la politique de cohésion, doté de 17,5 milliards d'euros pour la période 2021-2027 (soit près de 3 milliards d'euros par an en moyenne), doit soutenir les territoires confrontés à de graves difficultés socio-économiques résultant de la transition vers la neutralité climatique.

Les rapporteurs notent par ailleurs la volonté de mobiliser les financements privés par la mise en place d'une taxonomie verte , système de classification visant à distinguer de façon transparente les investissements verts des autres investissements.

b) L'absence de stratégie globale de financement et de réflexion sur l'adaptation des règles budgétaires encadrant les finances publiques des États membres

Si on ne peut ainsi que constater la multiplication des outils mobilisés - fléchage des revenus du SEQE-UE, fonds social pour le climat, fonds d'innovation, facilité pour la reprise et la résilience, fonds pour la transition juste, taxonomie européenne -, on peut s'interroger sur l'adéquation des moyens au niveau d'investissement particulièrement élevé requis pour atteindre les objectifs à l'horizon 2030 puis la neutralité carbone à l'horizon 2050.

Source : I4CE, Panorama des financements climat, édition 2021.

En France, comme l'illustrent notamment les travaux menés par I4CE. De 2024 à 2028, ce déficit d'investissements doublera (voir schéma ci-dessus).

Les rapporteurs invitent donc la Commission européenne à présenter une stratégie globale de financement adaptée à ces enjeux et, le cas échéant, à envisager le regroupement des différents fonds qui y contribuent .

Recommandation n° 6 : Élaborer une stratégie européenne globale de financement à la hauteur des besoins et envisager, le cas échéant, le regroupement des différents fonds qui contribuent à l'atteinte des objectifs climatiques du continent.

Il est toutefois certain que les outils européens, et a fortiori , les recettes issues des systèmes d'échange de quotas d'émission - sur lesquels se focalise le présent rapport - n'ont pas vocation, seuls, à combler le déficit de financements constaté .

Moins que la problématique des financements européens de la transition climatique, c'est donc bien les règles européennes encadrant les finances publiques des États membres - nommément celles du pacte de stabilité et de croissance 34 ( * ) - qui constituent l'angle-mort principal du paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

À cet égard, pour encourager les États membres à mobiliser les moyens budgétaires en direction de la décarbonation de l'économie européenne, une adaptation des règles du pacte de stabilité et de croissance semble aujourd'hui inévitable.

Recommandation n° 7 : adapter les règles du pacte de stabilité et de croissance pour encourager les États membres à mobiliser les moyens budgétaires en direction de la décarbonation de l'économie européenne.

Plus spécifiquement, des moyens supplémentaires devront être alloués à l'accompagnement des plus fragiles , notamment en cas de maintien de la proposition de la Commission européenne de création d'un système d'échange de quotas d'émission pour les secteurs du bâtiment et du transport (voir infra ).

B. MÉCANISME D'AJUSTEMENT CARBONE AUX FRONTIÈRES : UN OUTIL PERTINENT DEVANT ÊTRE COMPLÉTÉ POUR ATTEINDRE SA CIBLE ENVIRONNEMENTALE, INDUSTRIELLE ET DIPLOMATIQUE

La commission se félicite de la proposition visant à instaurer un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) , porté par la France, et particulièrement par le Sénat, depuis de nombreuses années 35 ( * ) .

Elle forme le voeu que ce mécanisme contribue, dans les secteurs couverts, à protéger de manière efficace les industries européennes dans leurs efforts de décarbonation et permette l'extinction progressive des quotas gratuits au titre du SEQE-UE , sans induire de risques de fuites de carbone qui conduiraient à une délocalisation de ces activités en dehors de l'Union européenne.

1. Une préoccupation essentielle : la compatibilité du mécanisme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce

Les rapporteurs se félicitent que la compatibilité du mécanisme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) , traité régissant le commerce international de marchandises, ait manifestement servi de boussole à l'élaboration du projet de la Commission européenne .

Cette articulation entre MACF et droit international du commerce semblait essentielle à plusieurs égards .

Il s'agissait, tout d'abord, de garantir la cohérence des positions européennes à l'échelle internationale, l'Union ayant toujours fait du multilatéralisme un leitmotiv de sa politique commerciale , en plaidant par exemple pour le maintien d'un mécanisme de règlement des différends de l'OMC contraignant.

Par ailleurs, une contestation juridique du MACF saperait les efforts diplomatiques climatiques entrepris par l'Union européenne et limiterait la capacité d'entraînement du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières sur les partenaires commerciaux extra-européens.

Enfin, un mécanisme juridiquement mal ajusté mettrait à risque la dynamique multilatérale inhérente aux Accords de Paris de 2015, dont l'article 4 dispose que « les Parties tiennent compte, dans la mise en oeuvre du présent Accord, des préoccupations des Parties dont l'économie est particulièrement touchée par les effets des mesures de riposte, en particulier les pays en développement Parties » .

Les clauses essentielles du GATT et leurs exceptions

- Le principe de la nation la plus favorisée (article I du GATT) : il prohibe toute discrimination externe, de sorte qu'un pays membre ne peut accorder un avantage commercial à un produit importé en provenance d'un pays A sans l'accorder aux produits « similaires » provenant d'un pays B, la similarité des produits étant établie par la jurisprudence de l'OMC selon des critères spécifiques ;

- L' interdiction des discriminations entre les importations et les produits domestiques (article III) : elle interdit la discrimination règlementaire et fiscale entre produits importés et nationaux, en anticipation des tentations de protection des productions nationales ;

- Les exceptions aux clauses susmentionnées ( article XX ) : cet article établit une série d'exceptions visant, entre autres, à assurer la mise en place de mesures « nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux » (article XX. b) ou encore à « la conservation des ressources naturelles épuisables » (article XX. g). Ces exceptions sont toutefois encadrées de sorte à ce qu'elles ne soient « pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international ».

L'article XX du GATT autorise donc, en théorie, les États à mettre en place de mesures restrictives en vue de protéger l'environnement . La reconnaissance accrue de l'environnement a par ailleurs été confortée dans les textes et la jurisprudence de l'OMC : établi en 1994, le texte de l'accord de Marrakech instituant l'organisation reconnait, en préambule, l'importance de « l'utilisation optimale des ressources mondiales conformément à l'objectif de développement durable ». De même, l'organe d'appel de l'OMC a pu plaider en faveur du caractère « important » et « légitime » de cet objectif, les membres de l'organisation disposant « d'une large autonomie pour déterminer leurs propres politiques en matière d'environnement (y compris la relation entre l'environnement et le commerce) ».

Au regard des clauses susmentionnées, l'intégration du MACF au cadre de l'OMC implique le respect des principes suivants .

(1) La nécessité et la proportionnalité

Ø Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières doit être justifié par le risque réel et quantifiable de voir se produire d'importantes fuites de carbone du fait du rehaussement de l'ambition climatique européenne et, en particulier, de l'augmentation des objectifs au titre du SEQE-UE. Cette condition est manifestement remplie par le projet de la Commission européenne : l'Union européenne se dotant d'un nouvel objectif de réduction des émissions dans le secteur industriel couvert par le SEQE-UE, elle risque, sans mesure de protection adéquate, de faire face à une délocalisation d'installations.

Ø Le MACF doit par ailleurs constituer le moyen le moins restrictif pour empêcher ce phénomène de fuites de carbone . La proposition de la Commission européenne respecte également ce point : les allocations gratuites au titre du SEQE-UE sont certes une alternative à la mise en place d'un MACF, mais elles ont constitué, depuis des années, un véritable frein à la décarbonation des secteurs couverts.

(2) L'équité

Le dispositif ne doit pas créer de discriminations injustifiables entre la tarification domestique du carbone et celle des importations ; ces discriminations pourraient notamment être assimilées à des restrictions déguisées au commerce international .

Plusieurs exigences découlent de ce principe.

Ø Le MACF doit tout d'abord être envisagé comme une alternative à l'allocation de quotas gratuits . Cette condition semble également respectée par la proposition de la Commission européenne , le mécanisme n'étant pas paramétré pour coexister, à terme, avec les quotas gratuits dans les secteurs couverts.

Ø Les tarifications au titre du SEQE-UE et du MACF doivent être alignées . Le prix d'achat des certificats MACF devant être équivalent à la valeur de clôture des quotas du SEQE-UE pour chaque semaine civile, une corrélation entre les prix assignés aux produits intégrés au MACF et les prix fixés sur le système d'échange de quotas est en principe garantie .

Ø Les produits importés ne doivent pas être assujettis deux fois à une tarification du carbone . Cette préoccupation a bien été intégrée par la Commission européenne, puisque les importateurs pourront déduire le prix du carbone payé dans le pays d'origine du coût acquitté dans le cadre du MACF.

Ø Le calcul de l'intensité carbone des produits importés ne saurait être arbitraire . Cette préoccupation a conduit la Commission européenne à permettre aux importateurs de s'appuyer sur les émissions réelles pour calculer l'intensité carbone des produits importés. Ce n'est que si le contenu carbone d'un produit ne peut être déterminé de manière satisfaisante, que la valorisation pourrait être fondée sur la moyenne des émissions de chaque pays exportateur, et à défaut sur l'intensité moyenne des émissions des 10 % d'installations les moins performantes de l'Union européenne.

2. Des interrogations sur le rythme de réduction des quotas gratuits, dont l'extinction totale devrait intervenir avant 2036

Les rapporteurs s'interrogent toutefois sur l'adéquation du rythme de réduction des quotas gratuits au regard des objectifs climatiques et industriels du paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

En l'état, le MACF n'entrerait en vigueur qu'en 2026 et l'extinction totale des quotas n'interviendrait pas avant 2036 , après une réduction annuelle de 10 %.

Les rapporteurs voient dans ce calendrier un paradoxe : une des mesures principales de ce paquet se fixant pour horizon la fin de la décennie portera la majorité de ses effets dans la décennie suivante . En étalant à ce point l'entrée en vigueur du MACF, la Commission européenne prend en effet le risque de reporter une part importante du verdissement des industries européennes sur la décennie suivante et, en définitive, de manquer la cible de réduction des émissions de 61 % d'ici 2030 assignée aux secteurs couverts par le SEQE-UE.

L'enjeu n'est pas seulement climatique . Il est également industriel : retarder l'effort demandé aux installations du continent n'est pas rendre service à l'industrie européenne , la construction des filières innovantes rendues inévitable par la contrainte climatique, nécessitant une réorientation massive des capitaux et des investissements . Si l'Union européenne ne se donne pas cette ambition, elle se fera damer le pion par ses concurrents et ratera le virage de la nouvelle révolution industrielle , comme elle le fit malheureusement avec le numérique au début du siècle. Le rythme d'extinction des quotas gratuit au titre du SEQE-UE conditionne ainsi pour partie la capacité de l'Europe et de la France à engager leur « réindustrialisation verte » et assurer leur souveraineté économique , à l'heure où leur dépendance vis-à-vis de certains États tiers influence leur politique extérieure.

Enfin, conformément au principe d'équité précédemment énoncé , le cumul du MACF et des quotas gratuits au titre du SEQE-UE ne saurait être que transitoire et ne doit pas offrir de protection supplémentaire aux industries européennes. En étalant à ce point le calendrier d'entrée en vigueur, l'Union européenne ne prend-t-elle pas le risque d'une incompatibilité du mécanisme aux règles de l'OMC ? Ce serait d'autant plus dommageable que cette préoccupation a largement été intégrée à l'élaboration du projet de règlement présenté par la Commission européenne.

Au regard de ces différentes appréciations, la commission estime que l'extinction totale des quotas gratuits devrait être avancée avant 2036, par exemple à 2030.

Recommandation n° 8 : au regard des enjeux climatiques et industriels, avancer l'extinction totale des quotas gratuits à 2030, au lieu de 2036.

3. Un périmètre qui devrait être étendu à l'avenir
a) De nouveaux produits de base à intégrer d'ici 2026

La commission souscrit également aux critères retenus pour déterminer la liste des secteurs couverts par le MACF . En particulier, en limitant le mécanisme aux seuls produits dont l'intensité carbone peut être calculée, la proposition évite en principe l'instauration d'une taxation arbitraire des importations qui rendrait la proposition de la Commission européenne incompatible avec les règles de l'OMC.

Elle constate toutefois, qu'en l'état, de nombreux secteurs continueraient de bénéficier de quotas gratuits sur le SEQE-UE , faute d'être intégrés au MACF. Compte tenu du bilan environnemental négatif des quotas gratuits, et en dépit des efforts réalisés pour assortir cette allocation gratuite d'efforts en matière d'efficacité énergétique, notamment grâce aux référentiels, cet équilibre ne saurait être considéré comme optimal .

À l'aune des critères déjà énoncés, et sous réserve d'une étude d'impact approfondie , des produits de base supplémentaires devraient donc être intégrés au mécanisme d'ici 2026 , le cas échéant, dès l'examen du projet de règlement au Conseil de l'Union européenne et au Parlement européen.

Des propositions ont déjà faites dans ce sens, pour intégrer au mécanisme de nouveaux produits de base, comme les produits chimiques organiques, l'hydrogène et ou encore les polymères.

Recommandation n° 9 : sous réserve d'une étude d'impact approfondie et du respect des critères énoncés par la Commission européenne, envisager l'intégration de produits de base supplémentaires au MACF d'ici 2026, le cas échéant, dès l'examen du projet de règlement au Conseil de l'Union européenne et au Parlement européen.

b) Une intégration de certains produits finis à envisager afin de résorber le déficit de compétitivité dont pourraient souffrir les entreprises exportatrices européennes

La commission constate de surcroît que les entreprises exportatrices européennes pourraient souffrir , en l'état du dispositif, d'une perte de compétitivité , en raison d'une augmentation du prix des produits de base couverts par le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et concernés par l'extinction progressive des quotas gratuits au titre du SEQE-UE.

Elle appelle donc à étudier l'opportunité d'une extension du MACF , d'ici 2026 , à certains produits finis particulièrement exposés à un risque de fuites de carbone. À cette fin, des méthodes devront être établies pour calculer fidèlement l'intensité carbone de tels produits , de manière à assurer la compatibilité du dispositif aux règles de l'OMC .

Enfin, la proposition de la Commission européenne ne tient pas compte - pour l'heure - des émissions indirectes des produits couverts , c'est-à-dire celles issues de la production d'électricité nécessaire à leur fabrication. Ces émissions pourraient être intégrées dans le périmètre du MACF, pour garantir une véritable égalité de traitement entre les industries européennes et étrangères.

Recommandation n° 10 : afin de résorber le déficit de compétitivité dont pourraient souffrir les entreprises exportatrices européennes, étudier l'opportunité d'une extension du MACF, d'ici 2026, à certains produits finis particulièrement exposés à un risque de fuites de carbone et tenir compte des émissions indirectes des produits couverts.

4. Faire du MACF un outil de la diplomatie climatique européenne

La lutte contre le dérèglement climatique est un enjeu mondial : l'Union européenne, qui représente moins de 8 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, ne peut donc répondre à elle seule à cet enjeu. Un effort diplomatique doit donc être déployé pour inciter les États tiers à suivre le chemin de la neutralité carbone.

À cet égard, le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » doit constituer le pilier de la diplomatie climatique de l'Union européenne , en agissant comme un levier en vue du relèvement de l'ambition des autres États , notamment des principaux États développés et des grands États émergents, tout en prévoyant des aménagements et adaptations pour les pays les moins avancés , notamment ceux du continent africain.

Tout particulièrement, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières devra agir comme courroie de transmission entre l'ambition des politiques publiques climatiques de l'Europe, d'une part, et le rôle d'entraînement qu'elle entend jouer à l'échelle mondiale, d'autre part. Le MACF ne pourra jouer ce rôle qu'à condition d'être compris et accepté par les États tiers . Cela nécessitera une conformité du mécanisme au droit international du commerce et une capacité de l'Union européenne à convaincre ses partenaires du caractère environnemental - et non protectionniste - du dispositif.

a) Inciter les pays développés ou émergents à mettre en place des outils de tarification du carbone et faciliter la constitution d'un « club carbone »

Le MACF peut tout d'abord encourager les États développés ou les grands émergents (Chine, Inde...) à relever leur ambition climatique en les incitant à mettre en place des outils de tarification du carbone proches de ceux développés dans l'Union européenne : en effet, le coût du CO 2 déjà payé à l'étranger sur les produits importés pourra être déduit du coût payé par les importateurs dans le cadre du MACF.

Plus encore, le MACF pourrait faciliter la constitution d'un « club carbone » (voir encadré).

La théorie des « clubs carbone » (William Nordhaus)
appliquée au SEQE-UE et au MACF

La théorie des « clubs carbone », formalisée par l'économiste américain William Nordhaus en 2015 36 ( * ) , part du constat que les comportements non-coopératifs sont susceptibles de ralentir, voire de sérieusement entraver la réduction effective des émissions CO 2 à l'échelle mondiale. En effet, si la mise en place de politiques climatiques dans un pays ou une zone économique bénéficie à l'ensemble de la communauté internationale, elle peut contribuer à déséquilibrer les conditions de concurrence au profit des États ou des zones économiques les plus récalcitrants à avancer plus rapidement vers une réduction de leurs émissions de CO 2 .

Pour répondre à cette problématique, Nordhaus envisage la mise en place d'un traité climatique international combinant tarification du carbone et utilisation de sanctions commerciales modérées vis-à-vis des États se comportant en « passager clandestin ».

Les pays s'alignant sur une même ambition climatique et mettant en oeuvre des politiques cohérentes avec cet objectif appartiennent à un « club carbone ». La constitution du « club » peut alors passer par l'harmonisation de leurs politiques domestiques de tarification du CO 2 et/ou l'ouverture de leur marché carbone les uns aux autres. À cet égard, le SEQE-UE, en ce qu'il a été rejoint par des pays extérieurs à l'Union européenne (Liechtenstein, Islande, Norvège) et a été lié, dès 2020, à un système d'échange de quotas d'un autre État (Suisse), peut être considéré comme une forme de « club carbone ».

Afin d'inciter les pays extérieurs à rejoindre le club, une tarification carbone uniforme peut être imposée aux importations en provenance de ces pays « hors club », par exemple sous la forme d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

Les importations de pays relevant du même « club carbone » que les États membres de l'Union européenne - soit puisqu'ils sont déjà intégrés au SEQE-UE (Liechtenstein, Islande, Norvège) soit puisque leur système d'échange de quotas d'émission est lié au système européen (Suisse) - seront, de fait ou de droit, exonérées de tarification du carbone au titre du MACF. La période transitoire précédant l'entrée en vigueur du mécanisme devrait donc être utilisée par la Commission européenne pour rapprocher , voire lier , le SEQE-UE à d'autres systèmes d'échange de quotas d'émission équivalents , par exemple au Canada ou en Nouvelle-Zélande, afin d'élargir le « club carbone » organisé de facto autour du système d'échange de quotas d'émission européen.

Recommandation n° 11 : utiliser la période transitoire précédant l'entrée en vigueur du mécanisme pour rapprocher, voire lier, le SEQE-UE à d'autres systèmes d'échange de quotas d'émission équivalents.

b) Tenir compte de l'impact du MACF sur les pays les moins avancés et sur les pays voisins de l'Union européenne

Une attention devra également être portée à l' impact du MACF sur les pays les moins avancés et sur les pays voisins de l'Union européenne , dans la perspective de préserver des relations essentielles à l'avancée des négociations climatiques annuelles - les conférences des parties (COP) - organisées sous l'égide de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).

Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pourrait en effet être perçu par les pays les moins avancés comme un repli protectionniste de l'Union européenne, alimentant les critiques des pays en développement au sujet du manque de solidarité financière des pays développés . Le MACF ne doit pas contribuer à creuser plus encore la crise de confiance entre pays du Nord et pays du Sud s'étant fait jour lors de la récente COP26 de Glasgow. Le risque serait en définitive de renforcer l'alliance entre les pays en développement et les « grands émergents » (Chine, Inde), à travers le groupe de négociation « G77+Chine », alliance qui participe à limiter l'ambition climatique générale, comme observé en fin de COP26 avec l'atténuation demandée par l'Inde et la Chine de la mention sur la sortie du charbon 37 ( * ) .

Des aménagements à l'application du MACF pourraient donc être prévus pour les pays les moins avancés , par exemple sous la forme de compensations ciblées visant à accompagner ces pays dans le développement d'industries bas-carbone.

La commission constate également que le MACF pourrait affecter certains pays voisins de l'Union européenne , comme l'Ukraine (producteur d'acier et d'aluminium), la Serbie (acier, aluminium, électricité importée) ou l'Algérie (engrais). De la même manière, un accompagnement ciblé pourrait être mis en place pour contribuer à la décarbonation de l'économie de ces pays.

Ce soutien en direction des pays les moins avancés et des pays voisins de l'Union européenne pourrait s'inspirer du partenariat de 8,5 milliards de dollars conclu pendant la COP26 entre les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne et l'Union européenne, d'une part, et l'Afrique du Sud , d'autre part, visant à accompagner la transition du pays d'une production d'électricité au charbon vers une production renouvelable dans les cinq prochaines années. Dans son récent rapport sur le bilan de la COP26, la commission a déjà souligné l'intérêt des accords de ce type , qui permettront d'accélérer la transition dans certains États partenaires particulièrement émetteurs , tout en bénéficiant au secteur économique des États donateurs.

À cet égard, l'affectation principale des recettes du MACF au budget européen - proposé par la Commission européenne - n'est pas à la hauteur des enjeux : le gain financier de cette proposition serait faible (1 milliard d'euros par an sur la période 2026-2030), pour un coût diplomatique et symbolique particulièrement élevé . Les rapporteurs appellent donc à mobiliser l'intégralité des recettes du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières au financement d'accords de partenariat climatique , sur le modèle de l'accord conclu pendant la COP26 avec l'Afrique du Sud.

Recommandation n° 12 : mobiliser l'intégralité des recettes du MACF pour accompagner les pays les moins avancés et les pays voisins de l'Union européenne affectés par la mise en place du mécanisme, par exemple sous la forme des contrats de partenariat climatique sur le modèle de l'accord conclu pendant la COP26 avec l'Afrique du Sud.

C. CRÉATION DU SEQE-BIS POUR LES SECTEURS DU BÂTIMENT ET DU TRANSPORT ROUTIER : FACE AUX INQUIÉTUDES LÉGITIMES, DES AJUSTEMENTS, DES GARANTIES ET DES COMPENSATIONS À PRÉVOIR

1. Systèmes d'échange de quotas d'émission pour les secteurs du bâtiment et du transport routier : des inquiétudes légitimes, tant du point de vue social qu'écologique

La commission note que la création d'un nouveau système d'échange des quotas d'émission pour les secteurs du bâtiment et du transport routier (SEQE- bis ) suscite de larges inquiétudes, relayées par un large panel d'instances auditionnées , acteurs économiques comme organisations non gouvernementales.

La majorité des États membres ne cachent pas leurs interrogations , voire leur opposition frontale , vis-à-vis du projet de la Commission européenne. La France, bien que tenue à un devoir de réserve en tant que présidente du Conseil de l'Union européenne, avait également partagé, avant ce premier semestre 2022, ces réserves.

Plusieurs critiques et inquiétudes ont été avancées par les acteurs entendus par la commission et par les rapporteurs.

Tout d'abord, la mobilisation d'un outil de tarification du carbone commun à l'ensemble de l'Union européenne dans les secteurs du bâtiment et du transport routier n'a rien d'évident d'un point de vue théorique . Si la mise en place d'un système commun d'échange de quotas dans les secteurs énergétiques et industriels se justifiait notamment par l'intégration de ces activités dans un marché unique européen, cette dimension est moins prégnante pour le bâtiment et pour le transport routier de particuliers, des niveaux de tarification du carbone différenciés entre les États membres étant peu susceptibles de produire des effets de bord autres que climatiques sur les autres États de l'Union.

Par ailleurs, l'instauration d'un SEQE- bis porterait sur les fournisseurs de carburant et exercerait en définitive une pression haussière sur les prix des énergies fossiles utilisés par les professionnels et les ménages en aval. L'ensemble des quotas du SEQE- bis ont vocation à être mis aux enchères, à l'inverse des industries du SEQE-UE, qui bénéficient encore de quotas gratuits : l'impact tarifaire de la proposition de la Commission européenne serait donc immédiat, dès la mise en place du système en 2026.

Dans les secteurs visés par le SEQE- bis - le transport routier et le bâtiment -, il est à craindre que le signal-prix pénalise à court terme les classes moyennes et populaires , sans que les solutions bas-carbone ne puissent être mobilisées assez rapidement pour amortir une perte de pouvoir d'achat immédiate.

Dans le bâtiment , c'est par exemple le cas des locataires , qui subiront la tarification du carbone, alors qu'ils ne sont responsables ni de la rénovation de leur logement, ni du changement du système de chauffage.

Dans le transport , les déplacements de particuliers sont aujourd'hui la plupart du temps contraints dans les territoires où il n'existe pas d'alternative à la voiture individuelle et l'acquisition d'un véhicule moins émetteur peut parfois s'avérer difficile pour certains ménages, notamment pour des raisons financières. Instaurer une tarification du carbone avant de mobiliser une large palette de solutions alternatives à la voiture thermique individuelle reviendrait alors à « mettre la charrue avant les boeufs », pour reprendre l'intitulé d'une note de l'Institut Jacques Delors consacré au projet de création d'un SEQE dans les bâtiments 38 ( * ) .

Comme l'expérience française du mouvement des « Gilets jaunes » l'a démontré, une tarification du carbone mal calibré et aux effets mal anticipés est pourtant susceptible d' affecter les plus fragiles et de provoquer une vague de contestation massive à l'encontre des politiques climatiques. Elle peut s'avérer contreproductive au regard de l'objectif recherché ; rappelons en effet que l'augmentation de la composante carbone de la TICPE, dite « taxe carbone » - à l'origine du mouvement des « Gilets jaunes » en France -, a depuis été gelée et que le débat sur la tarification du carbone en est aujourd'hui au point mort dans le débat national.

S'il faut donc craindre les conséquences sociales de la proposition de la Commission européenne, ses bénéfices environnementaux semblent également incertains , comme l'ont souligné les organisations non gouvernementales entendues par les rapporteurs. En effet, le prix du CO 2 devrait atteindre des niveaux très élevés pour être réellement efficace dès 2026, date d'entrée en vigueur envisagée du SEQE- bis , et espérer baisser significativement les émissions d'ici la fin de la décennie.

Rappelons enfin que la mise en place d'un SEQE- bis ne remettrait pas en cause le périmètre applicable du règlement sur la répartition de l'effort : la baisse des émissions du transport routier et du bâtiment relèverait toujours, à titre principal, des politiques publiques des États membres. Se pose toutefois une question relative à la redevabilité démocratique des institutions nationales et européennes : qui pourrait être tenu responsable en cas de non-atteinte des objectifs climatiques ? Les États membres, officiellement en charge d'assurer le respect des objectifs dans ces secteurs, conformément aux dispositions du règlement RRE ? Ou la Commission européenne, en cas de dysfonctionnement du nouveau SEQE ?

2. Une cohérence climatique du paquet à maintenir

Les rapporteurs sont toutefois conscients du défi que représente la décarbonation des secteurs du bâtiment et du transport routier.

Selon les projections de la Commission européenne, les émissions du bâtiment ne baisseraient, à politiques publiques constantes, que de 33 % d'ici 2030 par rapport à 2015 ; l'atteinte de l'objectif de 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990 nécessiterait donc d'accroître significativement cet effort. Quant aux émissions du transport routier, qui ont augmenté depuis 1990, elles ne reculeraient, à politiques publiques constantes, que de 23 à 25 % d'ici 2030 par rapport à 2015, un niveau également insuffisant au regard de l'objectif climatique de l'Union européenne.

Pour rester dans le respect des objectifs de l'Accord de Paris , l'Union européenne et ses États membres doivent donc redoubler d'efforts et mobiliser des politiques publiques ambitieuses pour réduire les émissions spécifiques aux secteurs du bâtiment et du transport routier. À cet égard, la proposition de création du SEQE- bis , en dépit de ses nombreux défauts, a le mérite de susciter le débat sur les moyens à mobiliser pour décarboner ces secteurs .

La Commission européenne et la France, en tant que présidente du Conseil de l'Union européenne, ont par ailleurs rappelé la nécessité de préserver la cohérence climatique générale du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » : autrement dit, dans l'hypothèse où la proposition de création d'un SEQE- bis ne serait pas retenue par les États membres et par le Parlement européen, ou si son ambition était réduite, il faudrait sans doute compenser l'absence de signal-prix au niveau européen par un relèvement de l'ambition des prescriptions relatives à l'efficacité énergétique des bâtiments et aux transports , à hauteur de l'objectif de 55 %.

La commission estime cette approche fondamentale , en dépit des réserves exprimées sur le projet de création d'un système d'échange de quotas d'émissions dans les secteurs du transport routier et du bâtiment.

Elle appelle donc la France à veiller, tout au long des négociations, au maintien de cette cohérence climatique d'ensemble : il en va de la crédibilité de l'action climatique de notre pays et de l'Union européenne.

Recommandation n° 13 : veiller à la cohérence climatique d'ensemble du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », y compris dans l'hypothèse où la proposition de création d'un SEQE- bis n'était pas retenue par les États membres et par le Parlement européen.

3. Des ajustements, garanties et compensations à envisager dans l'hypothèse où la proposition de création d'un SEQE-bis viendrait à être maintenue

Compte tenu des réserves exprimées, la commission estime que des ajustements, des garanties et des compensations devront être envisagés dans l'hypothèse où la proposition de création d'un système d'échange des quotas d'émission pour les secteurs du bâtiment et du transport routier viendrait à être maintenue.

Premièrement, une exclusion des particuliers du dispositif , pour le bâtiment et le transport routier, ou pour l'un ou l'autre des secteurs, pourrait être proposée. Conformément au principe de cohérence climatique précédemment énoncé, il reviendrait alors aux États membres et au Parlement européen de proposer des alternatives , notamment règlementaires, pour maintenir l'ambition du paquet à hauteur de l'objectif de 55 %.

Deuxièmement, les rapporteurs jugent nécessaire de renforcer la proposition de la Commission européenne concernant la stabilité du prix de la tonne de CO 2 sur le SEQE-bis. La mise en place d'une réserve de stabilité de marché spécifique va dans le bon sens, tout comme la possibilité de prélever des quotas supplémentaires de la réserve en cas d'augmentation important du prix moyen d'allocation. Cette proposition pourrait être utilement complétée par l'instauration d'un prix plafond sur le SEQE-bis , a fortiori dans un contexte d'envolée des prix de l'énergie, consécutive notamment au déclenchement de la guerre russo-ukrainienne.

Troisièmement, la commission juge indispensable, dans l'hypothèse du maintien du dispositif pour les particuliers, que des moyens supplémentaires soient alloués à la compensation des coûts associés à la création du SEQE- bis pour accompagner les ménages les plus précaires dans la rénovation de leurs logements et l'accès à une mobilité bas-carbone, notamment dans les zones rurales. La proposition de Fonds social pour le climat - qui serait financé par 25 % des recettes du SEQE- bis et accompagné de co-financements à parts égales des États membres - reflète cette préoccupation. Les moyens de ce fonds semble néanmoins insuffisants au regard des besoins. Les rapporteurs invitent en conséquence la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen à formuler des propositions adaptées à cet enjeu.

En tout état de cause, la commission estime indispensable que le système envisagé, quel que soit son dimensionnement final, demeure distinct du système d'échange des quotas d'émission actuellement en place dans les secteurs de l'énergie, de l'industrie et du transport aérien (SEQE-UE).

Recommandation n° 14 : prévoir des ajustements, garanties et compensations dans l'hypothèse où la proposition de création d'un SEQE- bis viendrait à être maintenue :

- envisager une exclusion des particuliers du dispositif, qui devrait alors être compensée par des alternatives afin de maintenir le paquet à hauteur de l'objectif de 55 % ;

- instaurer un prix plafond de la tonne de CO 2 sur le SEQE- bis pour renforcer la stabilité du marché ;

- allouer des moyens supplémentaires à l'accompagnement des ménages les plus précaires, dans l'hypothèse du maintien du dispositif pour les particuliers, compte tenu des moyens trop limités du Fonds social pour le climat proposé par la Commission européenne.

TRAVAUX EN COMMISSION

Examen du rapport en commission (15 mars 2022)

Réunie le 15 mars 2022, la commission a examiné le rapport d'information sur la réforme du marché carbone européen et voté sur les propositions des rapporteurs.

M. Jean-François Longeot , président . - Mes chers collègues, nous allons examiner le rapport d'information relatif à la réforme du marché carbone européen.

Ce rapport s'inscrit dans la continuité de la proposition de résolution européenne portant sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », adoptée au début de ce mois par la commission des affaires européennes et qui fait suite à un travail approfondi des trois commissions concernées, dont la nôtre. Pour rappel, le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » rassemble douze textes, règlements et directives, visant à réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne d'ici 2030 par rapport à leur niveau de 1990.

Le rapport d'information que nous allons examiner s'intéresse spécifiquement à l'un de ses volets : le marché carbone européen, dont la réforme, pour le moins technique, est complétée par la mise en place de deux outils de protection : le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) et le Fonds social pour le climat.

Je souligne que les orientations et les propositions du rapport qui vont vous être exposées par nos deux rapporteurs, Guillaume Chevrollier et Denise Saint-Pé, sont parfaitement cohérentes avec le contenu de la proposition de résolution européenne, en voie de devenir résolution du Sénat d'ici à quelques semaines.

M. Guillaume Chevrollier , rapporteur . - Le rapport d'information que nous vous présentons cet après-midi développe les orientations de la proposition de résolution européenne sur l'un des volets du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » : la réforme du marché carbone européen et les projets associés de mises en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et d'un fonds social pour le climat.

La grande majorité des recommandations que nous proposons dans ce rapport - 10 sur 14 - sont explicitement inscrites dans la proposition de résolution européenne. Les autres recommandations sont totalement cohérentes avec le texte adopté il y a quelques jours.

Je commencerai par les éléments relatifs à la réforme du marché carbone existant.

Pour rappel, afin de réduire d'ici 2030 les émissions de gaz à effet de serre de 55 % par rapport à leur niveau de 1990, la Commission européenne propose une réduction des émissions des secteurs relevant du marché carbone européen - l'énergie, l'industrie et le transport aérien - à l'horizon 2030 de 61 % par rapport aux niveaux de 2005, soit une augmentation de 18 points par rapport à l'objectif précédemment assigné à ces secteurs. La révision de la directive vise à ajuster les paramètres du marché carbone européen à ce nouvel objectif, en prévoyant une réduction accélérée du nombre de quotas mis en circulation, en ciblant mieux les quotas distribués à titre gratuit, tout en renforçant les règles de la réserve de stabilité de marché pour garantir une plus grande visibilité aux acteurs économiques quant à l'évolution du prix de la tonne de CO 2 et en accroissant les moyens du fonds d'innovation pour financer le développement des technologies innovantes. Il est par ailleurs prévu une extension du marché carbone au transport maritime.

Comme nous l'avons rappelé dans la proposition de résolution européenne, nous accueillons favorablement les grands axes de ce projet, nécessaires à l'atteinte des objectifs climatiques de l'Union européenne.

Nous souhaitons toutefois que la proposition de la Commission européenne soit complétée par un outil pour donner plus de visibilité aux acteurs économiques sur l'évolution du prix du CO 2 , dans un contexte marqué par une envolée des prix de l'énergie. Nous proposons donc de renforcer les outils de stabilisation du coût du carbone sur le marché par l'instauration d'un corridor de prix ou la possibilité de prélever des quotas de la réserve de stabilité en cas d'augmentation importante du prix moyen d'allocation.

Par ailleurs, nous nous félicitons des propositions de réforme du marché concernant les transports aérien et maritime, mais nous aimerions renforcer l'ambition du texte à plusieurs égards.

Tout d'abord, dans le transport maritime, nous appelons à faire de l'intégration partielle des émissions des trajets internationaux au marché carbone un levier de négociation en vue d'aboutir à une régulation ambitieuse sous l'égide de l'Organisation maritime internationale (OMI).

Dans le transport aérien, nous souhaitons que la fixation de prix planchers sur les billets d'avion soit permise afin de lutter contre le dumping social et environnemental de certaines compagnies et d'accélérer le report modal vers le train, conformément à la volonté législative exprimée dans la loi « Climat et résilience » à l'initiative de notre commission.

Autre proposition : il nous semble important d'étudier l'effet conjugué des mesures du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » en matière de fuites de carbone dans le transport aérien. Les études actuelles sont relativement rassurantes : en l'état, le paquet proposé par la Commission européenne ne devrait pas conduire à un affaiblissement des hubs de l'Union européenne aux dépens des hubs orientaux d'Istanbul ou de Dubaï. Dans l'éventualité où ces risques de fuites viendraient à se réaliser à l'avenir, nous estimons que des mesures de protection adéquates et proportionnées, s'appuyant par exemple sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, pourraient être mobilisées.

De surcroît, nous constatons que les mesures du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » n'offriront un cadre de régulation que pour les émissions des vols européens, notamment puisque la fin de quotas gratuits au titre du marché carbone d'ici 2027, proposée par la Commission européenne, contribuera à une tarification du carbone pour les seuls vols intra-Union européenne. Les trajets internationaux, en dehors du marché carbone, ne seront couverts que par le mécanisme Corsia, particulièrement peu ambitieux car les compagnies aériennes des États participants ne seront contraintes d'acheter des crédits de compensation carbone que pour les émissions supérieures au niveau enregistré en 2019. Corsia ne commencera donc à être opérant et porteur d'effets qu'à la date où le trafic aura retrouvé son niveau d'avant la crise sanitaire, au mieux en 2024. Par ailleurs, le prix des crédits de compensation associés au Corsia devrait être particulièrement faible, en tout état de cause inférieur aux prix désormais pratiqués. Nous appelons donc à renforcer la régulation environnementale des trajets aériens internationaux pour compléter le mécanisme Corsia, particulièrement peu ambitieux et, pour l'heure, inopérant.

Enfin, si la commission estime très positif que les recettes du marché carbone soient plus largement orientées vers le financement de la transition climatique, elle regrette que la question du financement demeure l'un des grands angles morts du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », et formule deux propositions structurantes à cet égard : élaborer une stratégie européenne globale de financement à la hauteur des besoins et envisager, le cas échéant, le regroupement des différents fonds qui contribuent à l'atteinte des objectifs climatiques du continent ; adapter les règles du pacte de stabilité et de croissance pour encourager les États membres à mobiliser les moyens budgétaires en direction de la décarbonation de l'économie européenne.

Mme Denise Saint-Pé , rapporteur . - J'en viens à la proposition de la Commission européenne visant à instaurer un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, idée portée par la France, particulièrement par le Sénat, depuis de nombreuses années. Le mécanisme doit permettre l'instauration d'un prix du CO 2 applicable à certains importateurs et aligné sur les prix du marché du système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (SEQE-UE). Il est conçu comme une alternative à l'allocation de quotas gratuits en tant qu'outil de lutte contre les risques de fuites de carbone.

Nous formons le voeu que ce mécanisme contribue, dans les secteurs couverts, à protéger de manière efficace les industries européennes dans leurs efforts de décarbonation, et permette l'extinction progressive des quotas gratuits sur le marché carbone européen, sans induire de risques de fuites de carbone.

Notre appréciation de la proposition de la Commission européenne est globalement favorable, même si nous estimons qu'elle pourrait être complétée pour mieux atteindre sa cible environnementale, industrielle et diplomatique.

Tout d'abord, nous sommes très réservés sur le calendrier envisagé. En l'état, le mécanisme n'entrerait en vigueur qu'en 2026, et l'extinction totale des quotas n'interviendrait pas avant 2036, après une réduction annuelle du nombre de quotas de 10 %.

Il y a là un paradoxe : l'une des mesures principales d'un paquet qui se fixe pour horizon la fin de la décennie produira la majorité de ses effets dans la décennie suivante ! En étalant à ce point l'entrée en vigueur du MACF, la Commission européenne prend en effet le risque de reporter une part importante du verdissement des industries européennes sur la décennie suivante. L'enjeu n'est pas seulement climatique. Il est également industriel : retarder l'effort demandé aux installations du continent n'est pas rendre service à l'industrie européenne, la construction des filières innovantes rendue inévitable par la contrainte climatique nécessitant une réorientation massive des capitaux et des investissements. C'est pourquoi, compte tenu des enjeux climatiques et industriels, nous proposons d'avancer l'extinction totale des quotas gratuits à 2030, au lieu de 2036.

Par ailleurs, nous estimons que des produits de base supplémentaires pourraient être intégrés au mécanisme d'ici 2026, à condition d'être en mesure de calculer l'intensité carbone de ces importations.

De plus, nous constatons que les entreprises exportatrices européennes pourraient souffrir, en l'état du dispositif, d'une perte de compétitivité, en raison d'une augmentation du prix des produits de base couverts par le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et concernés par l'extinction progressive des quotas gratuits. Nous appelons donc la Commission européenne à étudier l'opportunité d'une extension du mécanisme, d'ici 2026, à certains produits finis particulièrement exposés à un risque de fuites de carbone. De plus, la proposition de la Commission européenne ne tient pas compte - pour l'heure - des émissions indirectes des produits couverts, c'est-à-dire celles qui sont issues de la production d'électricité nécessaire à leur fabrication. Ces émissions pourraient être intégrées dans le périmètre du mécanisme, pour garantir une véritable égalité de traitement entre les industries européennes et étrangères.

Enfin, nous estimons nécessaire de faire du mécanisme un levier de la diplomatie climatique européenne. Nous formulons, à cet égard, deux propositions.

La première vise à utiliser la période transitoire précédant l'entrée en vigueur du mécanisme pour rapprocher, voire lier le marché carbone européen à d'autres systèmes d'échange de quotas d'émission équivalents. Ces pays seraient alors exonérés de taxation carbone sur leurs exportations vers l'Union européenne. Par ce biais, nous pouvons inciter les pays tiers à mettre en place des outils de tarification du carbone proches de ceux qui ont été développés dans l'Union européenne.

Nous demandons par ailleurs de mobiliser l'intégralité des recettes du mécanisme pour accompagner les pays les moins avancés et les pays voisins de l'Union européenne affectés par sa mise en place, par exemple sous la forme des contrats de partenariat climatique, sur le modèle de l'accord conclu pendant la COP 26 avec l'Afrique du Sud. L'objectif est de préserver des relations essentielles à l'avancée des négociations climatiques et de faire en sorte que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ne soit pas perçu par les pays en développement comme un repli protectionniste de l'Union européenne.

Il nous reste enfin à aborder l'épineux sujet du projet de marché carbone dans les secteurs du bâtiment et du transport routier.

Nous avons constaté que la création de ce nouveau marché carbone suscite de fortes inquiétudes, partagées par un large panel d'instances auditionnées, acteurs économiques comme organisations non gouvernementales. Les craintes sont multiples. La première a trait au risque social : le signal-prix pourrait pénaliser à court terme les classes moyennes et populaires, sans que les solutions bas-carbone puissent être mobilisées assez rapidement pour le contrebalancer. Il y a par ailleurs une incertitude sur le bénéfice environnemental du dispositif : le prix du CO 2 devrait atteindre des niveaux trop élevés pour qu'il soit réellement efficace dès 2026, date d'entrée en vigueur envisagée du nouveau marché, et que l'on espère baisser significativement les émissions d'ici la fin de la décennie.

Cependant, nous sommes conscients du défi que représente la décarbonation des secteurs du bâtiment et du transport routier. Nous estimons donc qu'une opposition au nouveau marché carbone ne devrait pas conduire à affaiblir l'ambition climatique du paquet. C'est pourquoi nous appelons les instances européennes et la France à veiller à la cohérence climatique d'ensemble du paquet « Ajustement à l'objectif 55  », en s'assurant, par exemple, que les prescriptions relatives à l'efficacité énergétique des bâtiments et aux transports soient relevées dans l'hypothèse où la proposition de création d'un marché carbone pour ces secteurs serait écartée par les États membres et par le Parlement européen.

En tout état de cause, nous estimons qu'il est nécessaire de prévoir des ajustements, des garanties et des compensations dans l'hypothèse où la proposition de création d'un marché carbone pour les secteurs du bâtiment et du transport routier viendrait à être maintenue. Une exclusion des particuliers du dispositif pourrait être envisagée ; elle devrait alors être compensée par des alternatives afin de maintenir le paquet à hauteur de l'objectif de 55 %. Ensuite, un prix plafond sur ce nouveau marché pourrait être instauré pour en renforcer la stabilité. Enfin, il semble nécessaire d'allouer des moyens supplémentaires à l'accompagnement des ménages les plus précaires en cas de maintien du dispositif pour les particuliers, compte tenu des moyens trop limités du fonds social pour le climat proposé par la Commission.

M. Jean-François Longeot , président . - Je félicite les rapporteurs du travail qu'ils ont réalisé et de leurs propositions.

M. Jean-Michel Houllegatte . - Je remercie les rapporteurs et me félicite que notre commission affiche une ambition. C'est extrêmement important.

Nous apportons notre marque de fabrique, en cohérence avec la proposition de résolution qui a été votée.

Au reste, l'expertise qui a ainsi été développée permet d'étudier les chemins du possible pour essayer d'améliorer encore les mesures susceptibles d'être prises au titre du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. À cet égard, notre commission est tout à fait dans son rôle.

M. Jean-François Longeot , président . - En effet, les propositions traduisent bien l'ambition que nous avons.

Nous allons désormais procéder au vote sur les propositions des rapporteurs.

La commission adopte les recommandations proposées par les rapporteurs et autorise la publication du rapport de la mission d'information sur la réforme du marché carbone européen dans le cadre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

M. Jean-François Longeot , président . - Je me réjouis du consensus qui se dégage.

Je rappelle enfin que la proposition de résolution européenne sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » adoptée par la commission des affaires européennes deviendra résolution du Sénat le 5 avril prochain. Je m'en félicite.

Audition sur les enjeux de la présidence française de l'Union européenne en matière environnementale et son impact sur le Green deal (5 janvier 2022)

Réunie le mercredi 5 janvier 2022, la commission a mené une audition sur le thème : « Enjeux de la présidence française de l'Union européenne en matière environnementale : comment la France peut-elle impacter le Green deal ».

M. Jean-François Longeot , président . - Avant d'ouvrir notre table ronde, permettez-moi de vous adresser mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année.

Lancé en décembre 2020, le Pacte vert constitue un ensemble d'initiatives politiques et législatives visant notamment à accompagner l'Europe sur le chemin de la neutralité climatique d'ici 2050 avec un objectif intermédiaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990. Il se compose de stratégies transversales ainsi que d'un paquet climat de règlements et de directives présenté en juillet, puis complété en novembre et décembre 2021. Cette initiative politique inédite doit connaître des avancées décisives au cours de l'année 2022, notamment lors du premier semestre, période pendant laquelle la France assure la présidence du Conseil de l'Union européenne.

Le Pacte vert va considérablement influencer les politiques environnementales de notre pays et les législations nationales à venir. Par son ampleur et son caractère systémique, il devrait marquer en profondeur la vie de nos concitoyens.

Le rôle que la France est susceptible de jouer dans l'avancée du Pacte vert constitue notre point d'attention. Pour aborder ce sujet, nous accueillons : Pascale Joannin, directrice générale de la Fondation Robert Schuman, Nicolas Berghmans, chercheur sur l'énergie et le climat à l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) et Phuc-Vinh Nguyen, chercheur sur les politiques énergétiques françaises et européennes à l'Institut Jacques Delors que je remercie vivement de leur présence.

Cette table ronde ouvre un cycle d'auditions consacrées au Pacte vert et à la présidence française de l'Union européenne qui se poursuivra cet après-midi par une audition de la ministre de la transition écologique. Cette réflexion est menée en lien avec la commission des affaires européennes dont les travaux devraient aboutir au dépôt d'une proposition de résolution européenne consacrée au volet climat du Pacte vert. Je salue tout particulièrement Marta de Cidrac et Jean-Yves Leconte désignés par la commission des affaires européennes pour travailler sur cette proposition de résolution. Notre commission sera naturellement étroitement associée à sa rédaction et à son adoption prévue pour la fin du mois de février. À cet effet, un rapporteur sera désigné à la fin de cette table ronde.

Les enjeux de la présidence française de l'Union européenne en matière environnementale sont au coeur du sujet qui nous réunit ce matin.

J'aimerais tout d'abord vous interroger sur l'approche française dans le cadre de ces négociations. Un rapport d'expert remis au Gouvernement en novembre dernier recommandait à la France de faire preuve de plus d'humilité et de concertation pendant sa présidence. Le rapport préconisait en résumé de faire « plus de Robert Schuman et moins de Victor Hugo » . Comment la France peut-elle continuer à être force de proposition, comme elle l'a souvent été dans l'histoire de la construction européenne, sans provoquer de tensions ou de ressentiments chez ses partenaires, ce qui serait évidemment très préjudiciable à l'avancée du Pacte vert ?

Sur le fond, les points d'attention sont très nombreux et vous pourrez y revenir plus en détail en réponse aux questions posées par les membres de notre commission.

Dans un premier temps, focalisons-nous sur la clé de voûte de l'édifice : la réforme du marché carbone européen et la mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. La réforme du système d'échange de quotas d'émissions (SEQE ou European Union Emission Trading Scheme - EU ETS en anglais) passe par la fin progressive de l'allocation des quotas gratuits et répond à une attente forte tendant à ce qu'un signal d'ampleur européenne soit enfin donné. En revanche, plusieurs pays, mais aussi de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG), s'opposent actuellement à l'extension de l'ETS au bâtiment et au transport, en raison des risques importants que cette extension ferait peser sur les ménages les plus précaires. Si l'ETS venait à ne pas être étendu au bâtiment et au transport routier, quelles pourraient être les solutions alternatives afin d'accélérer la décarbonation de ces deux secteurs qui sont aujourd'hui les plus émetteurs dans notre pays ?

La mise en place d'un mécanisme d'ajustement aux frontières préconisée par la France depuis de nombreuses années doit être accueillie comme une excellente nouvelle, mais, pour garantir son effectivité et sa pérennité, l'Union européenne doit maintenant s'assurer de sa compatibilité avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et plus largement de son acceptation par ses partenaires. Comment la France peut-elle accompagner l'avancée de ce dossier et lever les réticences de plusieurs États fortement exportateurs tout en s'assurant de l'ambition du mécanisme ?

Madame, messieurs, je vous laisse la parole.

M. Nicolas Berghmans, chercheur, énergie et climat, IDDRI . - Tout d'abord, je vous remercie pour cette invitation.

La présidence française du Conseil de l'Union européenne arrive à un moment clé pour le Pacte vert. Avec celui-ci, douze dossiers législatifs sont sur la table pour transformer l'économie européenne. Un des objectifs de la présidence française sera de faire avancer certains de ces dossiers, peut-être même tous. La France a fait du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières une priorité, mais il conviendra d'avancer sur l'ensemble des dossiers pour parvenir à trouver le compromis européen nécessaire. Cette situation invite à réfléchir à l'ambition à se fixer.

En ce domaine, il faut rester raisonnable et parvenir à des avancées concrètes sur le plan diplomatique au cours des six prochains mois plutôt que de viser une victoire sur un seul dossier. Néanmoins, il faudra avancer et avancer vite. L'Union européenne s'est engagée à Glasgow, lors de la 26 e conférence des parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 26) à revenir en 2025 avec un nouvel objectif climat pour 2035. Le temps est donc compté puisque le paquet climat, qui est la mise en oeuvre de l'objectif renforcé à 2030, devra être fini pour laisser la place à la discussion sur les mesures à prendre pour la période 2030-2035.

Que doit faire la France pour trouver des compromis européens ? Elle peut tout d'abord former des alliances. La solution peut sembler banale, mais les positions des États membres au Conseil offrent une diversité suffisamment large pour en créer de nouvelles. De plus, sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, les positions ont évolué depuis la première mise en débat de cette proposition en 2017. À cette époque, beaucoup de pays y étaient réticents ; aujourd'hui, beaucoup s'y intéressent. Lors des dernières élections outre-Rhin, les principaux partis allemands se sont, par exemple, prononcés en faveur de ce mécanisme. Pour autant, beaucoup de points de détail restent à régler, notamment concernant les exportations et l'épineuse question du périmètre de secteurs couverts par le mécanisme. Pour ces raisons, il sera essentiel d'animer une discussion ouverte sur ces points.

La position de l'Europe vis-à-vis de l'extérieur sera aussi un point clé. Pour le moment, l'Europe n'est pas arrivée avec une position forte vis-à-vis de ses partenaires extraeuropéens concernant la mise en place de ce mécanisme d'ajustement. Trouver des alliés en dehors de l'Europe est pourtant primordial. Par exemple, les pays les moins avancés ou les pays en développement pourraient tirer bénéfice d'un accès privilégié ou d'une mise en place progressive de ce mécanisme pour leurs exportations, voire d'un fléchage de l'utilisation des recettes de ce mécanisme vers des politiques de décarbonation ou d'aide à la décarbonation sur leurs territoires.

Par ailleurs, vis-à-vis des règles de l'OMC, si le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières se met en place, il faudra prouver qu'il s'agit d'un mécanisme environnemental, ce qui suppose de réduire les allocations gratuites dans le système européen d'échange de quotas carbone. Le dossier des exportations sera également à analyser puisque, selon l'OMC, toute subvention aux exportations est considérée incompatible avec le droit de l'OMC. La mise en place de ce mécanisme soulève aussi la question de la compétitivité de certaines productions industrielles en dehors de l'Europe, argument avancé par certains pays qui voient venir avec crainte la mise en place de ce mécanisme.

Je propose à ce stade de laisser la parole aux autres intervenants avant d'enchaîner sur d'autres points.

M. Phuc Vinh Nguyen, chercheur sur les politiques énergétiques et environnementales françaises et européennes, Institut Jacques Delors . - Je tiens tout d'abord à vous remercier pour l'organisation de cette table ronde qui s'inscrit à un moment crucial dans le cadre des négociations climatiques à l'échelle de l'Union européenne.

Avant de répondre à votre question demandant comment la France peut continuer à être force de proposition, rappelons tout d'abord que la présidence française du Conseil de l'Union européenne ne veut pas dire que nous arriverons à trouver des compromis en six mois ni que nous arriverons à solutionner l'ensemble des dossiers sur la table. En revanche, il appartient à la France de continuer à faire avancer les négociations le plus rapidement possible dans une logique d'ensemble, car le Pacte vert constitue un ensemble très cohérent. Il existe en effet des interdépendances fortes entre chacun des dossiers. En effet, à partir du moment où vous décidez de placer la priorité sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, d'autres dossiers avanceront mécaniquement comme celui du marché carbone européen ou encore celui du Fonds social pour le climat.

En appui de ma démonstration, je souhaite vous projeter un document qui rend compte des instruments climatiques dont dispose l'Union européenne aujourd'hui et qui liste les propositions mises en avant par la Commission européenne. Ce panorama illustre la densité du paquet et rend compte du fait que nous ne pourrons pas obtenir des résultats concrets sur l'ensemble des dossiers. C'est aussi pour cela que la priorité devra être placée sur certains dossiers, ce qui leur conférera une visibilité et offrira la possibilité de faire avancer le paquet de manière cohérente.

L'ETS permet de renchérir les émissions de CO 2 des industries électro-intensives et des industries productrices d'électricité. Le marché carbone européen fixe actuellement un prix proche de 80 euros la tonne de CO 2 , ce qui est une excellente chose, car cette mesure a permis d'encourager nos voisins européens à décarboner la production d'électricité. L'Allemagne, par exemple, est passée d'une forte consommation de charbon à une très forte consommation d'énergies renouvelables (plus de 40 % du mix électrique).

Pour autant, le marché carbone européen n'est pas parfait, car les industriels bénéficient d'un système d'allocations gratuites, aujourd'hui trop importantes, qui ne les incitent pas à décarboner leur mode de production. L'ambition est donc de réformer ce système et de réduire progressivement le nombre d'allocations gratuites. La France, qui promeut une politique industrielle à l'échelle de l'Union européenne, doit faire entendre sa voix pour pousser les industriels à s'orienter vers une économie décarbonée. Aujourd'hui, les pays représentant plus de 80 % du PIB mondial se sont engagés sur l'objectif de neutralité carbone, c'est-à-dire que le marché de l'acier de demain sera celui de l'acier vert, que le marché futur du ciment sera celui du ciment bas carbone. En prévision de ces mutations, la réforme doit inciter les industriels à changer progressivement leurs modes de production via une réduction des allocations gratuites pour que ces industries s'inscrivent en cohérence avec la demande future, sans que les futures productions d'acier, de pâte à papier, de ciment ne soient importées de pays qui n'auraient pas d'ambitions aussi fortes en matière environnementale.

La Commission européenne propose également une extension du marché carbone au secteur du transport routier et au bâtiment. Cette orientation signifie que les consommateurs paieront plus cher leur litre de carburant à la pompe ou leur facture du chauffage en vertu du principe pollueur/payeur.

L'Institut Jacques Delors a commencé à approfondir ces sujets. Nous sommes très sceptiques quant à la mise en place d'une telle réforme, car, en France, la crise des « Gilets jaunes » a montré que toute réforme doit être acceptable socialement. La question sociale est par conséquent un des points que la France doit mettre en avant, car la mise en oeuvre du marché carbone européen doit s'accompagner d'une redistribution sociale. Pour cela, l'allocation des nouveaux revenus issus du marché carbone, directement tirés des particuliers, devra favoriser une transition plus juste, notamment pour permettre l'acceptation de la réforme.

Quant à l'alternative à l'extension du marché carbone européen, elle passe par une réglementation plus forte. C'est tout l'enjeu des négociations : soit l'on mettra « tous ses oeufs dans le panier » du marché, soit dans celui de la réglementation. Les propositions actuelles de la Commission européenne sont très ambitieuses, mais les États membres, dont la France, ont la possibilité de pousser à davantage d'ambitions. Or si cette ambition accroît la réglementation (comme la rénovation des bâtiments, le déploiement de la mobilité électrique, etc.), il sera possible de ne pas mettre en place le marché carbone européen. C'est aussi une solution qui permettra de ne pas faire supporter le coût de la transition énergétique directement sur les factures des particuliers et c'est certainement un des points qui sera discuté lors de la présidence française de l'Union européenne.

Mme Pascale Joannin, directrice générale de la Fondation Robert Schuman . - Je vous remercie pour votre invitation. Je ne reviendrai pas sur les propos tenus par les deux précédents orateurs, mais j'insisterai sur deux points essentiels pour la présidence française du Conseil de l'Union européenne.

Premièrement, cette présidence est celle du Conseil de l'Union européenne qui est la chambre haute de l'organisation européenne. Toutefois, il faudra rechercher aussi des conciliations avec le Parlement européen, qui en est la chambre basse. Il conviendra donc de trouver un consensus entre les 27 États membres au niveau du conseil et, parallèlement, négocier avec le Parlement européen puisque tout règlement ou directive a besoin des deux chambres dès lors que l'on se place dans le cadre de la procédure législative ordinaire.

La transition verte est la priorité affichée depuis décembre 2019 par la présidente Ursula von der Leyen. Cette transition touchera tous les secteurs, dont l'énergie. Je me réjouis donc que l'Union européenne ait fait un pas le 1 er janvier pour réintégrer le nucléaire, qui est une énergie bas carbone, dans la taxonomie même si certains de nos partenaires européens demeurent très effrayés par ce mode de production. Rappelons cependant que le nucléaire permet à la France de jouir d'une certaine autonomie énergétique tout en proposant une énergie peu chère et bas carbonée.

La transition verte touche aussi à la mobilité et aux transports. Nous avons parlé du transport routier, mais nous pouvons parler aussi du transport maritime et aérien. Tous les secteurs du transport doivent se questionner sur les transformations à opérer. Air France a lancé de premières initiatives avec un avion utilisant un carburant alternatif. Plusieurs solutions sont sur la table et il faudra déterminer quelles solutions répondent le mieux aux besoins.

La transition verte vise aussi l'agriculture et je sais que l'agriculture est un thème cher aux sénateurs ici présents. Dans ce secteur d'activité, l'arrêt de l'utilisation des pesticides est louable, mais il ne faudrait pas que la conséquence soit de mettre à mal notre agriculture exportatrice dès lors que les autres pays ne seraient pas soumis à la même réglementation. Il faut plutôt faire en sorte que les autres rejoignent les positions qui sont les nôtres pour que la concurrence soit juste, libre et non faussée.

Les dossiers sur la table concernent aussi la finance verte et ses conséquences sur l'investissement dans les industries comme le ciment ou l'acier qui ne sont pas encore bas carbone.

Face à tous ces enjeux, il faut aller vite, mais de manière raisonnable - je dirai même - de manière pragmatique et réaliste pour embarquer tous les Européens, citoyens et parties prenantes, pour que tous acceptent cette transformation de l'économie. En effet, il ne s'agit pas d'une transition qu'il faut réussir, mais bel et bien d'une transformation. Pour la mener à bien, il faudra faire preuve de pédagogie et associer le maximum pour ne pas courir le risque d'une non-acceptabilité des changements. Si tel n'est pas le cas, il sera avancé le fait que la transformation coûte cher, que les ménages n'en ont pas les moyens. Dans ce mouvement, il faudra résolument veiller à éviter toute fracture énergétique ou fracture verte entre les différentes populations.

Mettre en place un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières suppose de parler avec les autres parties, comme l'ont dit mes collègues avant moi. L'Union européenne a certes dessiné un projet très ambitieux, mais il n'est pas partagé par tous à travers le monde. Si nous visons la neutralité carbone en 2050, les Chinois l'ambitionnent en 2060 et les Indiens en 2070. L'enjeu de la présidence française du Conseil sera donc de discuter aussi avec nos partenaires extraeuropéens, dont nos partenaires africains lors du sommet qui se tiendra au mois de février, mais aussi nos partenaires asiatiques pour que les décisions qui seront prises par les Européens soient le plus possible partagées. L'enjeu des prochains mois sera donc aussi de convaincre nos partenaires non européens lors des prochaines discussions internationales qui vont s'ouvrir. Plusieurs rendez-vous sont déjà programmés sur toute l'année 2022 et les Français, dans un premier temps, puis les Tchèques qui nous succéderont au deuxième semestre, auront à préparer des positions. Dans ce domaine, la France devra tirer profit de son statut, de son influence au niveau international, de sa position de membre permanent au Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU) pour faire entendre nos arguments et faire en sorte que nos partenaires rejoignent les positions européennes.

Ce sont donc ces deux volets - les négociations au sein de l'Union européenne, au Conseil d'abord, puis au Parlement européen, et celles en dehors de l'Union européenne - qu'il faudra viser afin que les dossiers puissent avancer, même si les discussions ne sont pas finalisées dans les six mois à venir.

M. Jean-François Longeot , président . - Je vous remercie. Je vais donner la parole à mes collègues qui ont des questions à vous poser.

M. Jean Bacci . - Nous envisageons d'investir des milliards d'euros pour décarboner notre économie et nous comptons beaucoup sur la forêt pour stocker le carbone et produire des matériaux décarbonés, mais encore faudrait-il consacrer quelques millions d'euros pour protéger notre forêt ! Sur la base de l'exploitation des données portant sur les derniers incendies ayant eu lieu dans le Var en 2021, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et AtmoSud ont estimé que l'incendie d'un hectare de forêt méditerranéenne dégageait 46 tonnes de CO 2 . Or, pendant la reconstitution de cette forêt, ce sont entre 80 à 100 tonnes de CO 2 qui ne sont pas stockées. Cet été, 7 000 hectares ont brûlé en quatre jours, soit environ l'équivalent des émissions dégagées par la circulation dans l'agglomération marseillaise pendant un an et demi. Au niveau du pourtour méditerranéen, toutefois, ce ne sont pas 7 000 hectares qui ont brûlé, mais 220 000 hectares. Il est donc important d'agir au niveau de l'Union européenne pour que soit constituée une force aérienne d'intervention qui pourrait venir en appui des forces nationales, d'autant que nos canadairs ont aussi été utilisés, pendant l'été 2021, en Grèce comme en Algérie et en Espagne. De plus, sans être dans un état critique, force est de reconnaître que la maintenance de nos avions devient difficile et que les lignes de production de canadairs sont arrêtées et ne pourraient être réactivées que si un marché important est lancé. Je pense que l'Europe a un rôle à jouer.

M. Jean-Michel Houllegatte . - Vous n'avez pas répondu à la question posée par le président Longeot dans son introduction lorsqu'il vous interrogeait sur la création d'un nouveau marché carbone en 2026 pour le transport routier et le chauffage des bâtiments, proposition qui soulève aussi des interrogations de la part des ONG et même de certaines personnalités politiques. Pascal Canfin, député européen, pointait en effet lui-même que le gain pour le climat serait très faible pour un coût politique certainement très élevé. Certes, des mécanismes de compensation vont être mis en place, mais quels sont selon vous les critères d'une transition juste ? La transition juste touche à la fois des territoires, qui peuvent être touchés par des mutations comme ceux qui accueillent les centrales à charbon, mais aussi les populations, et souvent les plus fragiles. Aussi que pensez-vous du Fonds social pour le climat ? Comment faudra-t-il l'activer et l'alimenter ? Comment est-il possible de dépasser ce paradoxe qui fait que les mécanismes de redistribution sont plutôt situés au niveau des États membres tandis que les décisions sont prises au niveau de l'Union européenne ? Comment favoriser une bonne articulation entre ces mécanismes ?

M. Éric Gold . - La France affiche certaines ambitions de réduction dans l'utilisation des produits phytosanitaires. Le Président de la République a d'ailleurs affirmé vouloir une sortie accélérée des pesticides dans le cadre de la présidence française. Il fait référence notamment à la directive européenne sur l'utilisation durable des pesticides qui prévoit que les États membres adoptent des plans d'action nationaux pour fixer leur objectif quantitatif, leur cible, leurs mesures et le calendrier. Ce sujet est bien sûr source de tensions dans le secteur agricole ainsi que chez les producteurs de produits phytosanitaires qui comprennent mal que la France puisse interdire seule la production sur son territoire quand les produits sont facilement disponibles de l'autre côté de nos frontières. Comment analysez-vous la position de la France à ce sujet ? Sous quel angle la France pourrait-elle porter cette question comme une priorité avec des chances de réelles avancées ?

M. Jean-François Longeot , président . - Je vous invite à répondre à cette première salve de questions.

M. Nicolas Berghmans . - Le paquet « Fit for 55 » propose une modification sur les puits de carbone dont font partie les forêts. Jusqu'à maintenant, les États membres devaient maintenir leur niveau de carbone séquestré dans leurs puits naturels alors que le paquet « Fit for 55 » les engagera à séquestrer une quantité supérieure. D'ici 2030, 2,2 % de la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % devront être portés par les puits de carbone naturels. Cette ambition soulève des questions, tout d'abord celle de la répartition de l'effort pour parvenir à cet objectif. Certains États membres sont inquiets, en particulier ceux de l'est et du sud de l'Europe alors qu'ils voient se multiplier les incendies. Cependant, la présidence française de l'Union européenne pourra aussi jouer le rôle de mettre sur le devant de la scène de nouveaux sujets pour inspirer ensuite des législations et réglementations, mais aussi inciter à la mise à disposition de moyens, notamment pour la protection des forêts. Dans ce domaine, la Commission européenne a déjà commencé à travailler sur un mécanisme incitatif visant à renforcer la séquestration carbone dans les puits carbone naturels. À cette fin, nous pourrions imaginer réutiliser les revenus issus des mécanismes existants pour inciter à la séquestration carbone dans des puits naturels. Cependant, un objectif ambitieux a été posé et il faut s'interroger sur les moyens de l'atteindre.

Concernant le mécanisme ETS, lors de sa deuxième phase, une crainte importante était l'incapacité du marché à donner un prix suffisant au carbone. En effet, le prix de la tonne de CO 2 a longtemps été bas avant d'atteindre un prix de 80 euros la tonne, aujourd'hui. Ce prix à la tonne correspond à un équivalent de 25 ou 30 centimes sur le litre de carburant en cas d'extension du marché au transport. Face à cela, la question de la redistribution se pose. Ce que propose l'Europe, c'est d'utiliser une partie des recettes du mécanisme pour que les États les redistribuent à leur guise. Les États pourront alors redistribuer cet argent directement à leur population ou financer des actions de plus long terme. À mon avis, c'est cette dernière option qu'il faut favoriser, notamment pour financer la rénovation énergétique qui est une solution de long terme pour lutter contre la variation des prix de l'énergie. Ces revenus peuvent aussi servir à financer l'électrification des transports, pas nécessairement en accordant une aide pour chaque achat, mais en soutenant un mécanisme de prêt dès lors que l'accès au crédit pour l'achat d'un véhicule automobile électrique est le premier frein à l'équipement. Par ailleurs, le Fonds social climat doit entrer en vigueur en 2025, avec le marché carbone, alors qu'il faut encourager dès maintenant la rénovation énergétique comme l'évolution du parc automobile sachant que ces deux mutations s'inscrivent sur un temps long. Une option serait peut-être alors d'avancer certains financements en puisant dans les recettes générées par le marché carbone existant qui offre des moyens compte tenu de la hausse du prix de la tonne de carbone.

Lors de sa présidence, la France peut aussi impulser une réflexion sur l'après-Plan de relance européen. En effet, faut-il relancer un deuxième endettement européen en commun ? Faut-il exclure les dépenses climat du calcul des déficits publics ? La France dans le cadre de sa présidence pourrait se saisir de toutes ces questions pour envisager les voies et moyens d'investir après la fin du plan de relance en 2023.

M. Phuc Vinh Nguyen . - Le Fonds social pour le climat a vocation à entrer en vigueur en 2025, soit un an avant la possible extension du nouveau marché carbone européen, ce qui permet de dire que la Commission européenne a cerné le potentiel abrasif de cette extension puisqu'elle tente de limiter l'impact d'une éventuelle hausse des prix sur les consommateurs. Nous pensons qu'il faut adopter le Fonds social pour le climat le plus rapidement possible, et ce même si nous venions à abandonner l'idée d'une extension du second marché carbone, car les recettes de l'actuel marché carbone européen sont beaucoup plus importantes, grâce notamment à l'ambition déployée dans le Green Deal, ce qui doit permettre de financer une partie du Fonds social pour le climat et d'utiliser ces recettes pour financer des politiques ambitieuses et adaptées aux besoins de chaque État membre. En effet, ce n'est pas la Commission européenne qui dictera à chaque État membre quoi faire, mais chaque État pourra prendre ses propres décisions en fonction de sa situation propre. Par exemple, la Suède qui est très peu concernée par la pauvreté énergétique car les bâtiments y sont très bien isolés pourrait utiliser ces fonds pour investir sur les interconnexions permettant d'exporter son électricité. Chaque État membre devra être libre dans sa manière de redistribuer ces sommes dans une logique de compensation sociale.

La communication de la Commission européenne du 14 décembre 2021 à destination des États membres les invite aussi à apporter une réponse sur le front social dans la perspective du Conseil européen de mars 2022. Cette communication aborde le thème de la transition juste et souligne que de nouveaux dispositifs de formation devront être mis en place au bénéfice des travailleurs des industries polluantes dont les métiers vont être supprimés ou réduits en nombre, comme l'industrie automobile qui va perdre une partie de ses emplois. Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, la France aura un rôle à jouer pour que les conclusions du Conseil européen de mars soient ambitieuses sur le plan social et que la transition juste ne soit pas un voeu pieux, mais une réalité.

Vous avez aussi évoqué les propos de Pascal Canfin sur la possible extension du mécanisme, mais les discussions en cours n'aboutiront pas avant juillet au sein du Parlement européen. Ce calendrier permettra peut-être à la position française d'être prise en compte, mais les trilogues n'interviendront pas avant septembre. Il faut rappeler aussi qu'il existe un trio de présidences, qui suppose que la France travaille de concert avec les Tchèques, puis avec les Suédois, et c'est en cela que la Présidence française de l'Union européenne ne se limite pas à six mois. Elle se poursuivra aussi dans la manière dont nous pourrons accompagner nos partenaires. Alors que la présidence française sera marquée par des élections nationales importantes, il faudra aussi s'appuyer sur l'administration et les hauts fonctionnaires pour assurer une continuité ainsi que sur le Sénat qui pourra être le garant d'un suivi de la présidence française de l'Union européenne.

Mme Pascale Joannin . - La forêt représente environ 43 % de la superficie de l'Union européenne, mais, aujourd'hui, seuls sept États ont une politique forestière compatible avec les engagements pris par l'Europe. Il existe en revanche un mécanisme de sécurité civile au niveau européen et une solidarité qui se met en place lorsque des États membres connaissent des cataclysmes. Il faudra peut-être renforcer ce mécanisme et densifier le corps de sécurité civile d'autant plus que, comme l'a souligné le sénateur Bacci, nos canadairs quasiment en fin de vie devront être remplacés.

La transformation de l'économie par le numérique et par l'écologie doit être acceptée par le plus grand nombre et le Fonds social européen pour le climat doit s'assurer que des populations ne soient pas les laissées pour compte de la transition et deviennent ainsi de fervents opposants aux transformations. Au contraire, ces mutations doivent être partagées et non imposées.

Je souhaiterais répondre aussi à la question posée sur l'utilisation des produits phytosanitaires, car il s'agit là d'une vraie compétence de l'Union européenne. Il a été fait référence à une directive en vigueur, la directive Sud. Il convient de faire en sorte que l'agriculture soit la plus verte possible par l'intermédiaire notamment de la nouvelle politique agricole commune (PAC). Ces réformes vont dans le bon sens, mais nous devons discuter avec nos partenaires européens, car les questions agricoles figurent parmi les questions les plus sensibles et les agriculteurs ne doivent pas se sentir lésés, car on leur imposerait des règles qui ne seraient pas celles des Américains ou des Chinois. En effet, la non-utilisation des produits phytosanitaires ne doit pas conduire à fausser la concurrence ni à offrir les marchés à d'autres pays, alors même que l'agriculture européenne est exportatrice dans des pays qui luttent contre la malnutrition. C'est ce point qui m'amène à dire que l'orientation prise dans le domaine des produits phytosanitaires est vertueuse, mais tout en prenant garde à ses répercussions.

M. Jean-François Longeot , président . - Cette précision est en effet importante.

Mme Marta de Cidrac . - La France a fait de l'ajustement carbone aux frontières une priorité de sa présidence. C'est un changement significatif en Europe et une véritable avancée diplomatique. Cependant, trouver un accord sur le sujet en six mois paraît très ambitieux, a fortiori avec nos échéances électorales nationales. En réalité, ces six mois d'action seront raccourcis. De plus, certains États européens souhaiteraient revoir ces ambitions à la baisse et nous ne pouvons pas dire qu'il existe un consensus autour de ces avancées.

L'un des points d'achoppement au Parlement comme au Conseil concerne la fin des quotas gratuits, corollaire à l'introduction de l'ajustement carbone aux frontières afin de rester conforme aux règles de l'OMC. La France, comme d'autres pays, plaide pour une extinction progressive jusqu'en 2030, mais tous les acteurs ne sont pas sur la même ligne. Est-il réaliste de penser qu'un accord sera trouvé sur l'ajustement carbone aux frontières lors de la présidence française ? Précipiter les négociations ne conduira-t-il pas à un accord a minima et donc à de très nombreux « trous dans la raquette » ? Quel est l'état des positions et des négociations sur la fin des quotas gratuits au Conseil et au Parlement ?

M. Gilbert-Luc Devinaz . - La volonté de produire de l'énergie décarbonée a remis sur le devant de la scène l'énergie nucléaire. Si les centrales nucléaires produisent de l'énergie décarbonée, elles ont des conséquences sur l'environnement, avec le réchauffement des cours d'eau et la question du traitement des déchets nucléaires. Aussi comment remettre la question de la biodiversité au coeur de l'accord vert européen qui est aujourd'hui très climatico-centré ?

Alors que nous arrivons en France à la fin d'un quinquennat, je souhaiterais aussi pouvoir profiter de votre éclairage pour mesurer l'écart entre déclaration et action. Selon vous, le Président de la République fait-il partie des dirigeants qui ont freiné l'ambition de l'accord vert européen ou a-t-il été l'un des moteurs de la transition écologique en Europe ?

M. Joël Bigot . - Vous annoncez que la présidence française arrive à un moment clé pour décarboner notre économie, mais aussi qu'il faut privilégier une logique d'ensemble et embarquer tous les Européens. Après la crise des « Gilets jaunes », la France est consciente que l'enjeu climatique ne peut pas ignorer l'enjeu social. La lutte contre le réchauffement climatique ne peut donc s'envisager sans prendre en compte la précarité des ménages, comme vous l'avez rappelé concernant la mobilité et la rénovation énergétique des logements. Quelles sont, selon vous, les pistes que la France doit faire valoir pour une ambition écologique articulée à la lutte contre les inégalités ?

Monsieur Nguyen a aussi indiqué plus tôt qu'il faudrait peut-être envisager une réglementation plus forte. Le règlement européen établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique du 30 juin 2021 édicte vouloir atteindre « de manière juste, socialement équilibrée, équitable et efficace en termes de coûts l'objectif de température à long terme fixé par l'Accord de Paris » . La formule est à mon sens trop floue et ne garantit pas une prise en compte optimale de l'enjeu social. Pour vous, quelles sont les garanties qu'il faut accoler à ces déclarations ? Pensez-vous que des mesures contraignantes peuvent être adoptées ? Je rappelle que le haut conseil a plaidé pour que soit réalisé un suivi des engagements internationaux afin de mieux orienter les investissements et offrir une visibilité aux acteurs. Comment passer de l'incitation à une réglementation plus forte sur la base d'un cahier des charges permettant de mesurer l'état des lieux ?

M. Guillaume Chevrollier . - Le Pacte vert a pour ambition d'opérer une transformation de l'économie européenne et de permettre une réindustrialisation de l'Europe, et en particulier de la France. Pour cela, vous dites que la France doit nouer des alliances, cependant qu'en est-il de l'alliance entre la France et l'Allemagne ? Comment pourrons-nous trouver des convergences sur la politique énergétique, et notamment sur la taxonomie ?

Dans le domaine de l'agriculture, le Pacte vert prévoit une initiative dite « de la ferme à la table », mais cette ambition ne s'est pas accompagnée d'une étude d'impact sur les conséquences de ces orientations sur l'agriculture européenne, ce qui soulève des inquiétudes notamment chez les agriculteurs français. Il avait notamment été évoqué une baisse de 10 % de la production agricole européenne. Avez-vous des informations à ce sujet ?

Par ailleurs, quel impact aura, selon vous, l'élection présidentielle en France pendant la Présidence française du Conseil de l'Union européenne ?

M. Jean-Yves Leconte . - Est-il raisonnable d'envisager la rénovation thermique sans mettre en place parallèlement un marché carbone pour le bâtiment ?

Les outils pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % et au-delà sont d'agir sur les coûts, notamment via le marché carbone, et de créer de la norme. Ce sont des compétences européennes, mais les États membres souhaitent garder la main sur les compensations sociales, c'est-à-dire que nous avons des politiques européennes pour atteindre des objectifs tandis que les compensations restent nationales. Est-il raisonnable de poursuivre dans ce schéma déséquilibré ? Au contraire, faut-il envisager des politiques de compensation plus européennes ?

Lors des auditions que nous organisons avec Marta de Cidrac, nous nous sommes rendu compte que beaucoup d'acteurs considéraient que l'ensemble des propositions est un bloc interdépendant sans possibilité de négocier de manière isolée. Cependant, pourrons-nous réellement avancer si nous considérons que le tout forme un bloc que l'on ne peut pas dissocier ?

M. Nicolas Berghmans . - Sans dire qu'il faut tout traiter d'un bloc, je pense qu'il fait sens de regarder ensemble quelques mesures. Par exemple, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, la réforme du marché carbone et l'extension à de nouveaux secteurs forment sans doute un ensemble à étudier conjointement, ne serait-ce que parce que les paramètres sont liés entre eux. En effet, la fin des allocations gratuites doit aller de pair avec l'entrée en vigueur du mécanisme d'ajustement carbone.

Cependant, peut-être des choix sont-ils à effectuer pour faire avancer certains dossiers quitte à traiter les autres dans une autre temporalité. Pour autant, les 12 dossiers présentés en juillet dernier, puis ceux présentés en décembre, devront être passés en revue.

Concernant la rénovation énergétique, vous avez raison : pour investir dans la rénovation énergétique, il faut un signal prix. Ce signal existe déjà puisqu'il existe des taxations sur l'énergie, mais la question est de savoir s'il faut inclure l'habitat dans le marché carbone et ainsi renchérir le prix payé par le consommateur final. Un équilibre est à trouver : on ne peut pas faire simplement de la réglementation ou simplement de la tarification carbone, mais viser une combinaison des instruments.

En outre, il faudra aussi placer l'effort pour orienter en priorité les actions vers la rénovation des passoires thermiques et vers l'aide aux ménages les plus modestes. C'est une politique que l'Europe essaie de mener depuis longtemps, mais il n'en demeure pas moins vrai que 7 millions de logements restent des passoires thermiques en France, même si ce nombre est une estimation. Bien évidemment, la rénovation thermique des bâtiments prend du temps. De plus, l'objectif est que ces logements ne puissent plus être loués sur le long terme. Aussi, si le signal prix n'est pas suffisant et n'incite pas les citoyens à mener des travaux de rénovation, alors il faudra peut-être renforcer les moyens alloués à la rénovation énergétique via les revenus carbone ou d'autres ressources. C'est une vraie question de politique publique qui se pose à l'échelle des États membres.

J'ajouterai aussi quelques mots sur l'alliance franco-allemande. La question de la part du nucléaire dans la production d'électricité est certes en débat entre les partenaires. À mon sens, ce qui est proposé par la Commission européenne est une recherche de compromis entre les points de vue français et allemand. Je regrette pour ma part l'inclusion du gaz dans la taxonomie, car nous savons que le gaz naturel est un moyen de produire de l'électricité qui émet à long terme des gaz à effet de serre. Toutefois, il faut relativiser le poids de la taxonomie, car celle-ci vise à orienter les investissements vers des fonds durables, mais elle ne guidera qu'une partie des financements. Que la taxonomie inclue le nucléaire et le gaz ou non n'empêchera pas certains pays d'investir dans le nucléaire ou le gaz. Ce qui importera en revanche, ce sont les règlements, le niveau du prix carbone, la réforme du marché carbone, mesures qui auront des impacts directs sur la production d'électricité et sur les productions industrielles. Ces éléments seront ceux qui seront cruciaux pour la décarbonation de l'économie européenne.

Concernant la fin des quotas gratuits, une position a été prise au niveau du Parlement européen à la suite du rapport d'initiative qui défend le maintien des allocations gratuites. À mon sens, cette position est problématique, car elle mettrait le système en porte à faux par rapport aux règles de l'OMC avec un cumul entre les allocations gratuites et un prix payé par les importateurs, c'est-à-dire la mise en place d'une double mesure pour lutter contre les fuites de carbone. J'espère que cette position sera revue. Hormis quelques pays à l'est de l'Europe, je n'ai pas entendu beaucoup d'États membres soutenir fortement le maintien des allocations gratuites. C'est aussi la position française qui a été très claire dès le début et qui a joué un rôle important en proposant le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. C'est un sujet dont il faudra suivre l'évolution des discussions au niveau du Parlement européen et qui doit inviter le Conseil de l'Union européenne à tenir sur cette question pour ne pas ajouter de difficultés, car il faudra bien réduire les allocations gratuites en parallèle de la mise en place du mécanisme.

M. Phuc Vinh Nguyen . - Vous nous interpellez sur le fait que la compensation reste au niveau national et non européen, mais il est difficile pour la Commission européenne, notamment pour des questions de moyens humains, mais aussi pour des questions d'acceptabilité, de prendre en compte toutes les considérations nationales. Les États membres veulent aussi garder la main sur ces questions. À terme, devrons-nous viser une plus forte intégration sur ces questions ? Je pense que la question pourra se poser lorsque nous aurons un retour sur les politiques mises en place. À mon avis, une telle mesure sera difficile avant 2030.

Concernant les conséquences des élections présidentielles, je rappelle que le code électoral dispose que les ministres devront respecter un devoir de réserve à partir de la fin du mois de mars. La représentation permanente de la France à Bruxelles devra prendre le relais dans les négociations. À partir de là, nous n'aurons plus de figures médiatiques pour incarner la présidence française, mais le travail de fond se poursuivra. De plus, il faut rappeler que la précédente présidence française de l'Union européenne avait déjà eu à traiter d'un paquet climat, c'est-à-dire que la France dispose d'ores et déjà d'une expérience sur ces questions. Par conséquent, même si le pilotage ne sera plus aussi visible, la haute administration et les fonctionnaires resteront aux manettes.

Sur la taxonomie, je partage le point de vue exprimé par Nicolas Berghmans. La taxonomie suscite aujourd'hui le débat, car elle confronte deux modèles de mix de production électrique. Cependant, la taxonomie est une « goutte d'eau » dans la lutte contre le changement climatique. Si le nucléaire avait été exclu de la taxonomie, les États membres auraient quand même eu la possibilité d'investir dans le nucléaire. La taxonomie va donc potentiellement faciliter ces investissements, mais elle n'est en rien un blanc-seing et chaque État membre restera maître de son mix électrique en vertu des dispositions des traités.

Une question a également été posée sur le suivi des mesures. À ce sujet, je rappelle que la loi Climat européenne propose la mise en place de l'équivalent d'un Haut conseil pour le climat au niveau européen. Cette instance permettra un meilleur suivi des réglementations. Le modèle qui pourrait être utilisé comme source d'inspiration est le modèle mis en place au Royaume-Uni où le Haut conseil, créé il y a une dizaine d'années, dispose de fonds et peut contrôler l'impact environnemental des législations. En France, le Haut conseil pour le climat est de création beaucoup plus récente. L'initiative prise au niveau européen peut être jugée pertinente, car elle permettra de faire remonter l'ensemble des préconisations nationales des États membres et d'émettre des recommandations au travers d'un comité d'experts désignés pour quatre ans. Ces recommandations pourront être reprises par le Parlement européen. C'est donc un garde-fou sur le contrôle démocratique et la bonne prise en compte de la dimension environnementale dans toutes les futures réglementations.

Vous nous interpellez aussi sur la manière dont nous pouvons juger de l'action du Président de la République sur ces questions. De manière impartiale et apolitique, je commencerai par souligner les avancées qui sont faites sur ces questions. Est-ce que toutes ces avancées sont imputables au président Macron ? Non. Est-ce qu'une partie peut être mise à son crédit ? Certainement. L'emprunt européen en réponse à la crise sanitaire a notamment permis d'esquisser une plus grande intégration européenne. Par ailleurs, l'objectif de réduction de 55 % a été poussé par Emmanuel Macron pour avancer une position pour la COP 26. Au niveau national, en revanche, nous pouvons relever que l'ambition européenne n'a pas été reprise dans la loi issue des travaux de la convention citoyenne pour le climat, ce qui est dommageable. Nous pouvons espérer que le futur président ou la future présidente de la République retiendra cet objectif de réduction de 55 %, ramené en France entre 43 et 50 % selon les modélisations actuelles, pour lancer diverses mesures.

Enfin, je pense qu'il est raisonnable de viser un accord sur le mécanisme d'ajustement carbone pendant la présidence française de l'Union européenne, mais cet accord pourrait être accolé de certains astérisques. En fait, ce mécanisme d'ajustement est intimement lié à la réforme du marché carbone européen. Nous pourrions donc viser un wording , c'est-à-dire des conclusions d'ensemble, qui permette d'esquisser un accord modulo certaines questions plus épineuses qui pourraient être tranchées dans le cadre de négociations ultérieures sur le marché carbone européen puisque ces négociations seront plus longues notamment, car plusieurs États membres y émettent des réserves. Pour autant, un accord semble accessible d'autant que la France qui affiche cette ambition depuis longtemps a préparé le terrain en commençant les négociations en amont et a annoncé vouloir faire de ce mécanisme d'ajustement - appelé taxe carbone à tort - son ambition. Il ne serait donc pas incongru de voir émerger un accord sur ces questions.

Mme Pascale Joannin . - Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières fait partie des négociations importantes pour l'Union européenne, car les revenus tirés de ce mécanisme doivent à terme constituer une nouvelle source de ressources pour l'Union européenne et ainsi affaiblir le poids des contributions nationales au budget européen. Il apparaît donc important de trouver une solution, mais je ne suis pas certaine que nous puissions parvenir à un accord pendant la présidence française. Cela étant dit, il existe manifestement une volonté politique du côté du Président de la République française qui est le plus européen de tous les dirigeants.

Concernant nos alliances, nous n'aurons pas d'autres choix que de nous entendre avec nos amis allemands. Ce n'est pas sur le climat que nos antagonismes sont les plus forts ; les discussions pourraient être plus vives sur d'autres dossiers comme ceux portant sur la stratégie de défense ou l'économie et les règles budgétaires. Toutefois, le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz a réalisé son premier voyage en France ainsi que la ministre des affaires étrangères, qui avait initialement envisagé d'autres destinations. Ce symbole démontre que le couple franco-allemand reste déterminant. Si l'on souhaite une position commune du Conseil face au Parlement européen, il faut que la France et l'Allemagne soient dans le même camp, sinon aucun accord ne sera possible.

En France, des élections législatives suivront les élections présidentielles de 2022. Il a cependant été fait le choix de ne pas modifier le calendrier de la présidence tournante après le Brexit, alors qu'il était possible de l'amender. La présence des Français sera donc intense jusqu'au 25 mars 2022 avant les élections du mois d'avril. Cependant, il faut rappeler que la France n'est pas le seul État concerné par des élections. La Hongrie, le Portugal, mais aussi d'autres pays organiseront des élections au premier semestre et les discussions pourront en être plus difficiles à planifier. Ce calendrier électoral entraînera des pauses liées aux élections ou à la formation des gouvernements. Je rappelle ici que les Néerlandais ont mis neuf mois à former leur gouvernement.

Une question a été posée plus tôt sur l'impact des orientations prises en matière agricole. Une étude des services de la Commission européenne montre que l'application de la réglementation européenne impacterait très fortement les producteurs céréaliers, notamment de blé. Je pourrai faire suivre cette étude à la commission, le si vous le souhaitez. Bien entendu tous les céréaliers sont montés au créneau pour dire que ce n'était pas acceptable. L'Europe existe depuis 71 ans et constitue un modèle qui fonctionne, mais ce modèle exige un travail constant puisqu'il faut travailler avec les 26 autres États membres qui ont d'autres particularités et d'autres besoins.

Je souhaite aussi rappeler, concernant la concomitance de la présidence française du Conseil et les élections, que la présidence française de 1995 s'était tenue lors d'une alternance électorale de même nature sans empêcher sa bonne tenue.

Enfin, concernant la taxonomie, il me semble heureux que le nucléaire y soit intégré. Ce n'est peut-être pas si important, mais l'exclure aurait obéré beaucoup de choses. La France n'a pas été la seule à pousser cette décision, mais 14 autres pays ont signé une tribune en ce sens. Le premier EPR qui verra le jour en Europe est situé en Finlande. Des centrales nucléaires sont installées à la frontière slovène et croate. Pour ne pas être tributaires du gaz russe ou d'Asie centrale, beaucoup de pays préfèrent disposer d'une autonomie énergétique avec le nucléaire. Cette question est plus large que la question environnementale, car elle pose la question de l'autonomie stratégique, géopolitique et géoéconomique. Elle pose aussi la question de la place de l'Europe dans le monde face à des partenaires chinois et américains qui proposent d'autres modèles. La question posée est de savoir ce que nous devons faire pour que le modèle qui est le nôtre, dans toutes ses dimensions, puisse être valorisé pour que les citoyens européens soient fiers. Rappelons en effet que le triptyque de la présidence française repose sur ces trois mots : relance, puissance et appartenance.

Mme Angèle Préville . - Il est annoncé que le marché carbone européen générera de belles ressources propres. Cependant, qui établit ces principes, si ce n'est des experts économiques ? Pourquoi ne pas prendre en compte la dimension sociale dès la conception du dispositif ? En procédant de la sorte, il nous est demandé de tenir compte après coup de l'acceptabilité, de la redistribution sociale, alors que nous devrions le faire à la base. De plus, lorsque la redistribution intervient dans un second temps, elle n'est jamais complètement opérante compte tenu du non-recours aux droits. Cette mécanique risque finalement d'accroître les inégalités. En tout cas, c'est le cas en France où la pauvreté a progressé ainsi que la précarité énergétique qui est une réalité vécue par des millions de Français.

Concernant la taxonomie, j'ajouterai que le gaz n'est pas une énergie verte et ne le sera jamais, car il est émetteur de gaz à effet de serre. Cette question renvoie aussi à la définition d'une « énergie verte » : est-ce une énergie qui ne pollue pas l'environnement ? Auquel cas, l'énergie nucléaire pose la question de la gestion des déchets issus du cycle nucléaire sur des milliers d'années.

M. Rémy Pointereau . - Que pense Madame Joannin de ces entreprises hollandaises ou allemandes qui viennent solliciter des agriculteurs français ayant des terres à faible potentiel céréalier pour leur proposer de louer leurs terres pour du reboisement pour des sommes allant de 1 000 à 2 000 euros l'hectare ? Ces propositions vont à l'encontre de la préservation des terres agricoles. Certains agriculteurs indiquent qu'ils sont intéressés par ces propositions, mais ces reconversions se feront aussi au détriment de notre autonomie alimentaire. Certes, ces opérations concernent des terres à faible potentiel, mais elles gardent quand même un intérêt économique.

M. Jean-François Longeot , président . - Ces approches ne sont pas uniquement du fait des pays membres de l'Union européenne, mais également d'entreprises chinoises qui approchent les agriculteurs français.

M. Ronan Dantec . - Comment les Chinois et les Américains vont-ils se positionner face au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ? Rappelons-nous que, sur l'ETS Aviation, la mobilisation des Chinois avait été très forte.

Le Pacte vert aborde-t-il la question des marchés publics qui sont totalement encadrés par la législation européenne et qui sont un outil très puissant de transition, notamment les marchés publics passés par les collectivités ? Ces marchés publics sont-ils inclus dans l'agenda européen ?

Mme Pascale Joannin . - La France défend mieux son agriculture que nos partenaires néerlandais ou allemands, par exemple, et nous devons veiller à ce que notre choix d'une agriculture forte et exportatrice ne soit pas entravé par les pays qui soldent leur agriculture. Je suis disposée à vous rencontrer pour regarder ce dossier.

Comme je l'ai indiqué plus tôt, nous devrons avoir une position commune pour échanger avec nos partenaires extérieurs. Nous pourrons défendre les intérêts qui sont les nôtres et obtenir une réciprocité de nos interlocuteurs. Ce sera « donnant donnant ». La négociation devra être équilibrée et prendra peut-être du temps, mais elle est à portée de main, car nous avons déjà obtenu des avancées dans le passé. Les Chinois revendiquent d'être la première puissance du monde en 2049 selon leur modèle. De plus, leur calendrier n'est pas le nôtre sur la neutralité carbone. Il faudra donc être vigilant et ne pas être naïf pour garantir que nous ne serons pas les seuls à faire des efforts.

M. Phuc Vinh Nguyen . - Il me semble nécessaire d'éviter de dire que l'on va créer de nouvelles ressources propres pour rembourser la dette covid, ce qui reviendrait à taxer à cette fin les consommateurs européens. La création éventuelle de ressources propres doit permettre de favoriser la transition énergétique.

Beaucoup d'ONG, d'associations de consommateurs et certains industriels étaient opposés au marché carbone européen, mais la Commission européenne a néanmoins pris la décision d'emprunter cette voie et c'est ici qu'est intervenue la création du Fonds social pour le climat. Cette genèse montre que la Commission ne prend pas en compte ces questions de manière systémique, mais qu'elle est néanmoins à l'écoute. De plus, la présidence de la France peut être l'occasion de mettre au coeur la question sociale.

Concernant la pauvreté énergétique, la crise des prix des énergies fossiles, et notamment du gaz, a des conséquences importantes sur les factures payées par les ménages, mais cette crise ne peut pas être résolue dans l'immédiat au niveau européen. Ce sont les États membres qui disposent des moyens pour atténuer les effets de cette hausse. En France, le gel des tarifs réglementés de ventes (TRV) poursuit cet objectif ainsi que la distribution du chèque inflation. Certains pays comme la Grèce subventionnent les premiers kilowattheures d'électricité, d'autres comme l'Italie suppriment certaines taxes. L'Union européenne n'a pas la compétence pour agir directement, mais le Pacte vert est le moyen de résoudre cette crise sur le moyen terme parce que, en développant massivement les énergies renouvelables, en accélérant la rénovation des bâtiments, en proposant des moyens de transport alternatifs, nous pourrons sortir de cette dépendance aux énergies fossiles.

S'agissant enfin du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, les États-Unis et la Chine ne seront pas les seuls pays à prendre en compte, mais il faudra regarder aussi du côté des principaux exportateurs des produits et services - aluminium, fer, électricité, engrais, ciment - concernés par le mécanisme. Par exemple, l'acier peut être importé de Turquie, d'Ukraine ou de Russie. Ce sont donc bien tous nos partenaires internationaux avec lesquels il faudra discuter.

M. Nicolas Berghmans . - Certes, il ne faut pas regarder uniquement vers les États-Unis et la Chine, car la Chine, ou d'autres États, pourront former des alliances avec des États qui nous sont proches, d'où l'intérêt de parler avec des pays en développement et avec nos voisins. Nous pensons ici naturellement à la Turquie ou à la Russie.

Par ailleurs, le mécanisme d'ajustement carbone prévoit des exemptions pour les pays qui mettent en place des mesures équivalentes. Aujourd'hui, les seules mesures équivalentes sont des mesures de tarification carbone. Or la Chine a déjà mis en place un marché carbone, ne couvrant pas tous les secteurs industriels visés par l'Europe, mais qui pourrait s'étendre à terme, et pourrait prétendre à être exemptée du mécanisme d'ajustement au prétexte qu'elle met en place une taxation carbone sur ses émissions industrielles au niveau domestique. Aux États-Unis, en revanche, il n'existe pas de mesures fédérales de tarification carbone, mais uniquement des mesures dans certains États. La situation politique est très bloquée et laisse peu d'espoir à l'avènement d'une telle tarification aux États-Unis sous l'administration Biden. Pour autant, les États-Unis, mais aussi le Canada ont fourni des signaux laissant entendre qu'ils seraient prêts à travailler sur un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières à plus long terme, ce qui suppose qu'ils arrivent à résoudre la question de la tarification carbone sur leurs territoires.

Les marchés publics constituent un levier intéressant, notamment pour faire émerger les matériaux bas carbone de rupture, puisque la commande publique peut permettre à certaines industries de franchir une étape. Je pense notamment à la production d'acier bas carbone ou de ciment bas carbone. Il est essentiel d'enclencher dès maintenant ces nouvelles technologies pour parvenir à la neutralité d'ici 2050 sachant que les cycles de l'industrie sont très longs. Il n'existe pas un agenda européen sur cette question de la commande publique, mais l'Europe ne fixerait pas de barrières à la possibilité de lancer des commandes publiques dédiées pour avantager les matériaux bas carbone. Dans ce domaine, certains pays avancent vite, en particulier l'Allemagne où l'accord de coalition affirme clairement que la commande publique sera le premier marché des investissements dans l'acier vert ou les cimenteries vertes. Au-delà des textes législatifs en discussion, il faudra favoriser un alignement européen sur les standards pour créer une dynamique et un marché unifié. En effet, si nous partons avec des standards différents, un blocage sera à attendre avec des pays et industriels qui défendront des modèles différents.

M. Olivier Jacquin . - Avec une présidence française de l'Union européenne pendant une élection de premier plan, le temps utile dont la France disposera sera de fait limité à deux ou trois mois.

Je souhaite également en écho aux propos du président revenir sur le sujet de dissertation proposé également aux étudiants de Sciences Po de Nancy et qui porte sur l'intérêt de s'inspirer de Robert Schuman plutôt que de Victor Hugo. Je trouve cette mise en perspective assez intéressante d'autant plus que la France apparaît souvent, vu de l'étranger, comme une donneuse de leçons.

M. Étienne Blanc . - Dans le grand enjeu de la décarbonation de l'économie, il me semble que la place du nucléaire est prépondérante, mais cette filière pose la question majeure du traitement des déchets. Le Centre européen de recherche nucléaire, situé en partie en Suisse, mais aussi en France, développe des technologies nouvelles, notamment autour du thorium et du refroidissement au plomb. Les Américains et les Russes considèrent que c'est une filière essentielle. Elle peut permettre notamment de produire des réacteurs nucléaires de petite dimension mieux adaptés à une couverture de l'ensemble du territoire. À l'occasion de la présidence française, des programmes de recherche spécifiques et des accompagnements seront-ils proposés autour de ces technologies nouvelles afin de relancer notamment une filière nucléaire française qui est aujourd'hui un peu en panne ? Au début de sa mandature, le Président de la République annonçait la fermeture de réacteurs nucléaires, mais il termine cette même mandature en annonçant qu'il va relancer une filière nucléaire, notamment sur de petites unités de production. Nous aimerions donc des éclaircissements et savoir si une stratégie européenne sera mise en place au service d'une dynamique nouvelle.

M. Phuc Vinh Nguyen . - Sur le nucléaire, nous pouvons imaginer au mieux qu'une coalition d'États membres se mette en place pour faire émerger un programme de recherche nucléaire, car nous n'arriverons jamais à un accord unanime des 27 États membres. La France envisage d'organiser en mars 2022 un sommet sur la finance durable, portant notamment sur le rôle qu'occupera le nucléaire dans l'économie de demain et dans la décarbonation de l'industrie. En revanche, nous ne devons pas nous attendre à une prise de position ou à un consensus quand on voit comment le dossier de la taxonomie a été repoussé de plus d'un an compte tenu des divergences entre les États membres.

Une autre remarque était relative à la qualité de la parole de la France lors de l'élection présidentielle. Nos partenaires européens sont déjà au fait d'une éventuelle instrumentalisation et le président du Conseil européen, Charles Michel, a indiqué qu'il serait vigilant pour éviter une instrumentalisation de la présidence française de l'Union européenne à des fins électorales. Nous pouvons aussi compter sur l'expérience des représentants français à Bruxelles pour tenter d'adoucir ou de tempérer une image qui est bien souvent jugée arrogante vis-à-vis de nos partenaires. Cette question renvoie aussi à celle de la promotion de la langue française au sein de l'Union européenne. À ce sujet, je précise que le Pacte vert européen a été publié le 14 juillet 2021 en anglais, mais la traduction française n'a été disponible que le 19 septembre. Le français comme langue officielle a donc encore du chemin à parcourir pour être reconnu comme l'équivalent de l'anglais. Un des axes de la présidence française de l'Union européenne sera peut-être aussi de relancer l'usage du français dans les institutions européennes.

En revanche, je ne me risquerai pas de disserter sur la question posée comparant une position « à la Schuman » ou une position « à la Victor Hugo ».

Mme Pascale Joannin . - Je souhaite ajouter quelques mots sur l'approche Schuman en ma qualité de directrice de la Fondation qui porte son nom. Sa méthode est celle des petits pas, des avancées concrètes, des solidarités de fait. Certes, ces progrès se font pas à pas, mais sans rupture. Cette méthode Schuman a peut-être été oubliée ces derniers temps par volonté d'aller vite et d'embarquer tout le monde. Cependant, l'Europe, depuis sa création, avance à petits pas et doit continuer à le faire sans exclure ni mettre de côté. Cette méthode mérite donc d'être davantage mise en application en 2022, car les pas concrets sont aussi un moyen d'emporter l'adhésion et de démontrer que l'Europe est utile. Nous fêterons d'ailleurs le 9 mai prochain le 72 e anniversaire de sa déclaration fondatrice. Plus globalement, nous pouvons peut-être nous inspirer de cette méthode sur la question nucléaire. Il existe un important programme de recherche Horizon Europe développé dans le cadre pluriannuel et il n'est donc pas exclu que l'Europe soutienne la recherche.

M. Jean-François Longeot , président . - Au nom de la commission, je remercie nos invités pour la qualité de leurs réponses. Nous mesurons toute l'ampleur du travail qui est à réaliser et la volonté farouche qu'il faudra pour faire avancer ce Pacte vert. À l'aube d'une échéance électorale importante, la présidence française intervient à un moment crucial.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Lundi 17 janvier 2022

- Institut Jacques Delors : M. Thomas PELLERIN-CARLIN , directeur du centre énergie de l'Institut Jacques Delors, chercheur senior, politique européenne de l'énergie.

- Réseau Action Climat (RAC) - France : M. Neil MAKAROFF , responsable Europe.

Vendredi 21 janvier 2022

- CLER - Réseau pour la transition énergétique : MM. Étienne CHARBIT , responsable de projets efficacité énergétique, et Danyel DUBREUIL , responsable rénovation des logements.

- Table ronde « transporteurs routiers » :

• Fédération nationale des transports routiers (FNTR) : Mme Florence BERTHELOT , déléguée générale ;

• Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE) : M. Jean-Marc RIVÉRA , secrétaire général, et Mme Laure DUBOIS , secrétaire générale adjointe ;

• Union des entreprises Transport et logistique de France (Union TLF) : Mmes Olga ALEXANDROVA , directrice déléguée au pôle « Terrestre », et France BEURY , directrice déléguée aux affaires européennes et internationales.

- Fédération nationale de l'aviation marchande (FNAM) : MM. Alain BATTISTI , président, et Laurent TIMSIT , délégué général.

- Direction générale de l'aviation civile (DGAC) : M. Bertrand DE LACOMBE , sous-directeur de l'Europe et de l'international à la direction du transport aérien, et Mme Nora SUSBIELLE , sous-directrice du développement durable à la direction du transport aérien.

Jeudi 27 janvier 2022

- Ministère de la transition écologique - Direction des affaires européennes et internationales (DAEI) : Mme Aude CHARRIER , sous-directrice de l'action européenne, et M. Fabien PÉROUZE , chef du bureau environnement et climat.

- Ministère de la transition écologique - Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) : MM. Olivier DAVID , chef du service climat et efficacité énergétique, et Julien VIAU , chef de bureau des marchés du carbone.

Mardi 1 er février 2022

- Ministère de la transition écologique - Cabinet de la ministre : MM. Mehdi MAHAMMEDI-BOUZINA , chargé des relations avec le Parlement et les élus, Philippe DEPRÉDURAND , conseiller Europe, et Benjamin CARENTINO , conseiller décarbonation de l'économie et adaptation.

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- Armateurs de France ;

- Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) ;

- Mouvement des entreprises de France (Medef) ;

- Union des ports de France (UPF) ;

- Union des transports publics et ferroviaires (UTP).

ANNEXE : PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
SUR LE PAQUET « AJUSTEMENT À L'OBJECTIF 55 », DÉPOSÉE LE 28 FÉVRIER 2022
ET ADOPTÉE LE 1ER MARS 2022
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 91, 100, notamment son paragraphe 2, 113, 114, 192 et 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),

Vu l'Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 et ratifié le 5 octobre 2016,

Vu la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, et en particulier son article 1 er et son chapitre V,

Vu la communication de la Commission européenne du 11 décembre 2019 intitulée « Le pacte vert pour l'Europe », COM(2019) 640 final,

Vu la communication de la Commission européenne du 14 janvier 2020 sur le plan d'investissement pour une Europe durable, COM(2020) 21 final,

Vu la résolution du Sénat n° 44 (2019-2020) du 14 janvier 2020 demandant au Gouvernement de porter au niveau de l'Union européenne un projet de barrière écologique aux frontières,

Vu la résolution du Parlement européen du 15 janvier 2020 sur le pacte vert pour l'Europe, 2019/2956(RSP),

Vu la « Stratégie de développement à long terme à faibles émissions de gaz à effet de serre » de l'Union européenne et de ses États-membres, notifiée le 6 mars 2020 par le Conseil européen à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC),

Vu la résolution européenne du Sénat portant avis motivé n° 88 (2019-2020) du 22 mai 2020 sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant le règlement (UE) 2018/1999 (loi européenne sur le climat), COM (2020) 80 final,

Vu le règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l'établissement d'un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088,

Vu le rapport du Sénat intitulé « Les biocarburants : Un atout pour la transition et l'indépendance énergétiques » n° 136 (2019-2020) - 20 novembre 2019 - de M. Pierre CUYPERS, fait au nom de la commission des affaires économiques par le groupe de travail commun à la commission des affaires économiques et à la commission des affaires européennes, sur la filière française des biocarburants,

Vu le rapport du Sénat intitulé « Pour une transition numérique écologique » n° 555 (2019-2020) - 24 juin 2020 - de MM. Hervé MAUREY, Patrick CHAIZE, Guillaume CHEVROLLIER et Jean-Michel HOULLEGATTE, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable par la mission d'information sur l'empreinte environnementale du numérique,

Vu la communication de la Commission européenne du 8 juillet 2020, intitulée « Une stratégie européenne pour l'intégration du système énergétique » COM(2020) 299 final,

Vu la communication de la Commission européenne du 8 juillet 2020 intitulée « Une stratégie hydrogène pour une Europe climatiquement neutre », COM(2020) 301 final,

Vu le rapport spécial de la Cour des comptes européennes n° 18 du 15 septembre 2020 intitulé « Le système d'échange de quotas d'émission de l'UE : l'allocation de quotas à titre gratuit devrait être mieux ciblée »,

Vu l'étude d'impact présentée par la Commission européenne le 17 septembre 2020, en accompagnement de sa communication relative à un niveau plus élevé d'ambition climatique pour l'Europe à l'horizon 2030, SWD(2020) 176 final,

Vu les conclusions du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020,

Vu la décision (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l'Union européenne,

Vu l'accord interinstitutionnel du 16 décembre 2020 entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne sur la discipline budgétaire, la coopération en matière budgétaire et la bonne gestion financière, ainsi que sur de nouvelles ressources propres, comportant une feuille de route en vue de la mise en place de nouvelles ressources propres,

Vu le règlement (UE, Euratom) 2020/2093 du Conseil du 17 décembre 2020 fixant le cadre financier pluriannuel pour les années 2021 à 2027,

Vu le règlement (UE, Euratom) 2020/2094 du Conseil du 17 décembre 2020 établissant un instrument de l'Union européenne pour la relance en vue de soutenir la reprise à la suite de la crise liée à la covid-19,

Vu le rapport du Sénat intitulé « L'impact économique de la règlementation environnementale 2020 (RE2020) : aider les ménages et les entreprises à renforcer l'efficacité énergétique des logements neufs » n° 434 (2020-2021) - 10 mars 2021 - de M. Daniel GREMILLET, fait au nom de la commission des affaires économiques sur l'impact économique de la règlementation environnementale 2020 (RE2020),

Vu la résolution du Sénat n° 84 (2020-2021) du 23 mars 2021 invitant le Gouvernement à étudier la possibilité d'une mise en cohérence de sa politique énergétique avec ses ambitions écologiques,

Vu le règlement (UE) 2021/1056 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2021 établissant le Fonds pour une transition juste,

Vu le rapport du Sénat intitulé « Où en est l'application de la loi “ Énergie-Climat ” ? Où en est l'atteinte de l'objectif de “ neutralité carbone ” ? » n° 553 (2020-2021) - 5 mai 2021 - de M. Daniel Gremillet, fait au nom de la commission des affaires économiques,

Vu le rapport du Haut conseil pour le climat intitulé « Renforcer l'atténuation, engager l'adaptation », publié le 30 juin 2021,

Vu le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n° 401/2009 et (UE) 2018/1999, dit « Loi européenne sur le climat »,

Vu la communication de la Commission européenne du 14 juillet 2021 intitulée « Ajustement à l'objectif 55 : atteindre l'objectif climatique de l'UE à l'horizon 2030 sur la voie de la neutralité climatique », COM(2021) 550 final,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/87/CE établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans l'Union, la décision (UE) 2015/1814 concernant la création et le fonctionnement d'une réserve de stabilité du marché pour le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre de l'Union et le règlement (UE) 2015/757, COM(2021) 551 final,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/87/CE en ce qui concerne la contribution de l'aviation à l'objectif de réduction des émissions à l'échelle de l'ensemble de l'économie de l'Union et mettant en oeuvre de manière appropriée un mécanisme de marché mondial, COM(552) final,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2018/841 en ce qui concerne le champ d'application, la simplification des règles de conformité, la fixation des objectifs des États membres pour 2030 et l'engagement dans la réalisation collective de la neutralité climatique d'ici à 2035 dans le secteur de l'utilisation des terres, de la foresterie et de l'agriculture, et le règlement (UE) 2018/1999 en ce qui concerne l'amélioration de la surveillance, des rapports, du suivi des progrès et de la révision, COM(2021) 554 final,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2018/842 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l'action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris, COM(2021) 555 final,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2019/631 en ce qui concerne le renforcement des normes de performance en matière d'émissions de CO2 pour les voitures particulières neuves et les véhicules utilitaires légers neufs conformément à l'ambition accrue de l'Union en matière de climat, COM(2021) 556 final,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil, le règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil et la directive 98/70/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la promotion de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, et abrogeant la directive (UE) 2015/652 du Conseil, COM(2021) 557 final,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l'efficacité énergétique (refonte), COM(2021) 558 final,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs et abrogeant la directive 2014/94/UE du Parlement européen et du Conseil, COM(2021) 559 final,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'instauration d'une égalité des conditions de concurrence pour un secteur du transport aérien durable, COM(2021) 561 final,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'utilisation de carburants renouvelables et bas carbone dans le transport maritime et modifiant la directive 2009/16/CE, COM(2021) 562 final,

Vu la proposition de directive du Conseil restructurant le cadre de l'Union de taxation des produits énergétiques et de l'électricité (refonte), COM(2021) 563 final,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, COM(564) final,

Vu la proposition de décision du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/87/CE en ce qui concerne la notification de la compensation dans le cadre d'un mécanisme de marché mondial pour les exploitants d'aéronefs établis dans l'Union, COM(2021) 567 final,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un Fonds social pour le climat, COM(2021) 568 final,

Vu la proposition de décision du Parlement européen et du Conseil modifiant la décision (UE) 2015/1814 en ce qui concerne la quantité de quotas à placer dans la réserve de stabilité du marché pour le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre de l'Union jusqu'en 2030, COM(2021) 571 final,

Vu la communication de la Commission européenne du 14 juillet 2021 intitulée « Plan de déploiement stratégique visant à définir un ensemble d'actions supplémentaires pour soutenir le déploiement rapide d'une infrastructure pour carburants alternatif », COM(2021) 560 final,

Vu la communication de la Commission européenne du 16 juillet 2021 intitulée « Une nouvelle stratégie de l'UE pour les forêts pour 2030 », COM(2021) 572 final,

Vu le rapport sur les entreprises européennes et le changement climatique 2020-2021 de la Banque européenne d'investissement, publié le 9 août 2021,

Vu le sixième rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies, et en particulier, du rapport de son groupe I intitulé « Changement climatique 2021 : les éléments scientifiques », publié le 9 août 2021,

Vu la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, et en particulier son article 1 er ,

Vu le rapport spécial de la Cour des comptes européenne n° 22 du 20 septembre 2021 intitulé « Finance durable : l'UE doit agir de façon plus cohérente pour réorienter les financements vers les investissements durables »,

Vu le rapport du Sénat intitulé « La méthanisation : au-delà des controverses, quelles perspectives ? » n° 872 (2020-2021) - 29 septembre 2021 - de M. Daniel SALMON, fait au nom de la mission d'information « La méthanisation dans le mix énergétique : enjeux et impacts », présidée par M. Pierre CUYPERS, sur la filière française du biogaz,

Vu la communication de la Commission européenne du 13 octobre 2021 intitulée « La lutte contre la hausse des prix de l'énergie : une panoplie d'instruments d'action et de soutien », COM(2021) 660 final,

Vu la résolution du Parlement européen du 21 octobre 2021 sur les lignes directrices concernant les aides d'État au climat, à la protection de l'environnement et à l'énergie, 2021/2923(RSP),

Vu l'avis politique de la commission des affaires européennes du Sénat du 28 octobre 2021 relatif à la consultation publique lancée par la Commission européenne, intitulée « Commerce et développement durable dans les accords commerciaux de l'Union européenne : réexamen de l'approche actuelle »,

Vu la résolution du Sénat n° 22 (2021-2022) du 2 novembre 2021 visant à affirmer la nécessité d'un accord ambitieux lors de la COP26 de Glasgow permettant de garantir l'application effective de l'Accord de Paris sur le climat,

Vu la lettre de mission du 4 novembre 2021 du Président du Sénat à M. Louis-Jean de Nicolaÿ, sénateur, en tant que représentant du Sénat à la réunion organisée par l'Union interparlementaire, le 7 novembre 2021, à Glasgow, à l'occasion de la COP26,

Vu la résolution européenne du Sénat portant avis motivé n° 31 (2021-2022) du 8 novembre 2021 sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2018/841 en ce qui concerne le champ d'application, la simplification des règles de conformité, la fixation des objectifs des États membres pour 2030 et l'engagement dans la réalisation collective de la neutralité climatique d'ici à 2035 dans le secteur de l'utilisation des terres, de la foresterie et de l'agriculture, et le règlement (UE) 2018/1999 en ce qui concerne l'amélioration de la surveillance, des rapports, du suivi des progrès et de la révision,

Vu le Pacte de Glasgow adopté le 13 novembre 2021,

Vu le rapport de la présidence du Conseil de l'Union européenne sur l'état d'avancement des travaux concernant le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » du 22 novembre 2021,

Vu le rapport de la présidence du Conseil de l'Union européenne sur l'état d'avancement de cinq dossiers relatifs à l'environnement dans le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » du 6 décembre 2021,

Vu la résolution européenne du Sénat n° 47 (2021-2022) du 7 décembre 2021 sur l'inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables,

Vu le rapport du Sénat n° 279 (2021-2022) - 9 décembre 2021 - de MM. Didier MANDELLI, Guillaume CHEVROLLIER et Ronan DANTEC, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, relatif au bilan des négociations climatiques de Glasgow (COP26),

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la performance énergétique des bâtiments (refonte), COM(2021) 802 final,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant des règles communes pour les marchés intérieurs des gaz renouvelables, des gaz naturels et des gaz à effet de serre et de l'hydrogène, COM(2021) 803 final,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur les marchés intérieurs des gaz renouvelables et naturels et de l'hydrogène (refonte), COM(2021) 804 final,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la réduction des émissions de méthane dans le secteur de l'énergie et modifiant le règlement (UE) 2019/942, COM(2021) 805 final,

Vu la proposition de décision du Conseil modifiant la décision (UE, Euratom) 2020/2053 relative au système des ressources propres de l'Union européenne, COM(2021) 570 final,

Vu le discours prononcé par Mme Christine LAGARDE, présidente de la Banque centrale européenne, à l'occasion de la réunion des présidents de la Conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l'Union européenne (COSAC) au Sénat, le 14 janvier 2022,

Vu le document d'analyse de la Cour des comptes européenne n° 1 du 31 janvier 2022 sur la taxation de l'énergie, la tarification du carbone et les subventions à l'énergie,

Considérant la multiplication et l'intensification des phénomènes climatiques et météorologiques extrêmes causées par le réchauffement climatique, dont le caractère anthropique est largement établi par les travaux scientifiques internationaux, synthétisés par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) ;

Considérant que le changement climatique est porteur de conséquences dramatiques dont l'étendue et la nature sont sans doute encore sous-estimées en matière économique, sociale, culturelle, à l'instar de ses conséquences alimentaires ou sanitaires, en favorisant par exemple l'émergence de maladies à risques pandémiques ;

Considérant que le changement climatique constitue, en ce sens, une menace existentielle pour l'espèce humaine et les civilisations qui la composent, ainsi que pour les espèces animales et végétales qui peuplent la planète ;

Considérant l'impérieuse nécessité de mettre en oeuvre l'accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 et ratifié le 5 octobre 2016, en vue de contenir l'élévation de la température moyenne de la planète à un niveau bien inférieur à 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre les efforts pour limiter encore davantage l'augmentation de la température à 1,5 degré Celsius ;

Considérant que le pacte vert pour l'Europe et sa traduction opérationnelle au travers de la loi européenne sur le climat et du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », présenté par la Commission européenne, le 14 juillet 2021, permettent d'ajuster la trajectoire climatique européenne aux objectifs de l'Accord de Paris ;

Considérant l'interdépendance des propositions présentées par la Commission dans le cadre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » ainsi que les liens directs de ce paquet avec d'autres mesures législatives, notamment la proposition de décision du Conseil modifiant la décision relative au système des ressources propres ;

Considérant que la mise en oeuvre du pacte vert pour l'Europe représente un changement d'approche majeur, ce qui nécessite de prêter une attention toute particulière à ses effets sociaux, économiques et territoriaux, aux moyens publics d'accompagnement des efforts requis, à la capacité financière des ménages et des entreprises de l'Union à assumer le coût de la décarbonation ainsi qu'à la mise en place de capacités technologiques européennes susceptibles de répondre aux enjeux ;

Considérant que ce changement d'approche requiert un engagement politique fort à tous les niveaux pour être compris et partagé par les citoyens de l'Union, et qu'il doit être socialement inclusif ;

Considérant que ce changement d'approche doit en outre conduire les politiques publiques à favoriser le report modal vers des modes de transport faiblement émetteurs en carbone et à mieux prendre en compte les usages et l'ensemble du cycle de vie des produits au regard des enjeux de neutralité carbone ;

Considérant qu'il serait dès lors utile de développer des indicateurs adaptés tant en matière de comptabilité publique que de comptabilité privée ;

Considérant que les effets potentiels du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » et la forte hausse des prix des énergies invitent à réformer le marché européen de l'électricité ;

Considérant que l'article 194 du TFUE reconnaît que les mesures prises dans le domaine de l'énergie ne doivent pas porter atteinte au droit d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ;

Considérant la nécessité de préserver et de renforcer encore la compétitivité des entreprises de l'Union, tout en leur offrant les perspectives nécessaires pour leur permettre de s'adapter aux enjeux de la décarbonation, en prenant en compte les effets potentiels de recomposition des filières économiques, notamment sur l'emploi ;

Considérant les opportunités économiques offertes par la transition climatique et le besoin d'accélérer le développement d'industries bas-carbone européennes pour faire de l'Europe un fer-de-lance industriel en la matière ;

- Concernant les objectifs généraux et la méthode de négociation du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » :

Renouvelle son soutien aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % en 2030, par rapport à 1990, et d'atteinte de la neutralité carbone à l'horizon 2050 ;

Rappelle la nécessité pour la France de respecter ces engagements, inscrits à l'article 1 er de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat et, à l'initiative du Sénat, à l'article 1 er de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ;

Invite le Gouvernement, dans le cadre de l'exercice de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, à favoriser l'adoption d'orientations générales du Conseil sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » d'ici la fin du premier semestre 2022, période également retenue par le Parlement européen pour définir sa position de négociation, afin de pouvoir engager rapidement la phase de trilogues ; souligne l'urgence de parvenir à un cadre clair et soutenable pour les ménages, les entreprises et les territoires, compte tenu de l'ambition élevée affichée à l'horizon 2030 ;

Observe la difficulté d'appréhension du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » compte tenu des interactions entre les différentes mesures proposées ; insiste sur la nécessité de préserver la cohérence d'ensemble de celui-ci afin d'atteindre effectivement l'objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030, par rapport au niveau de 1990 ; demande dès lors instamment à la Commission européenne de présenter, en cours de négociation, des études d'impact actualisées, intégrant des approches sectorielles et territorialisées ainsi que des estimations financières complémentaires, pour à la fois s'assurer de la capacité des mesures proposées à atteindre les objectifs définis et évaluer leur impact sur les ménages, les entreprises et les territoires de l'Union ;

Juge nécessaire de mettre en place des modalités adaptées d'association des parlements nationaux aux négociations puis lors de la mise en oeuvre des mesures, compte tenu de leur impact budgétaire pour les Etats membres mais aussi de leurs impacts sociaux, économiques et territoriaux ; rappelle à cet égard que, pour en entrer vigueur, la décision du Conseil modifiant la décision (UE, Euratom) 2020/2053 relative au système des ressources propres de l'Union européenne, qui inclut des éléments du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », ne pourra entrer en vigueur qu'une fois ratifiée par les parlements nationaux ;

Émet des réserves quant aux critères retenus par la Commission européenne pour la mise en oeuvre de certains dispositifs, qui conduisent à une prise en compte insuffisante du rapport coût-efficacité ; appelle à réévaluer cet enjeu ;

Rappelle que les États membres déterminent souverainement la structure générale de leur approvisionnement énergétique ; demande de prendre en compte de manière adaptée les situations différentes des États membres au regard de l'enjeu de décarbonation de leur économie dans la mise en oeuvre des dispositifs du paquet ; estime que les États membres dont la production d'électricité est déjà largement décarbonée doivent pouvoir s'appuyer sur cette stratégie pour valoriser leur engagement dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et qu'il ne peut leur être imposé d'objectifs de diversification inadaptés à la structure même de leur système énergétique ; appelle en outre à garantir une complète neutralité technologique entre les procédés, les technologies ou les projets de recherche et d'innovation concourant de manière équivalente à cette décarbonation de l'économie ;

Considère que les États membres doivent disposer d'une marge de manoeuvre suffisante pour atteindre les objectifs fixés, au regard notamment de la structure de leur économie et de leur degré actuel de décarbonation ; juge important que la Commission européenne s'assure du respect par les différents États membres des objectifs qui leur sont assignés afin d'éviter des stratégies de contournement et de permettre à l'Union dans son ensemble d'atteindre ses objectifs ; appelle la Commission européenne à mettre en place des mécanismes de suivi n'impliquant pas une charge administrative disproportionnée ;

Rappelle le besoin d'une stabilité normative et de perspectives claires pour développer les investissements dans la transition vers une économie décarbonée ; invite donc la Commission européenne à éviter l'instabilité de la législation européenne en matière d'énergie, notamment ;

Affirme que la transition vers une économie décarbonée ne doit pas être synonyme de décroissance ; souligne la nécessité de concilier lutte contre les dérèglements climatiques, développement durable, développement économique et inclusion sociale ; rappelle que l'Union européenne ne doit se priver d'aucune technologie permettant d'atteindre les objectifs ambitieux qu'elle s'est assignés, en particulier en termes de neutralité climatique et d'efficacité énergétique, et qu'elle doit favoriser le développement d'une économie circulaire, notamment dans le secteur de l'automobile, par exemple par le reconditionnement de véhicules ou la réutilisation de pièces détachées ;

Souligne le risque de contestation sociale, voire de rupture d'image de l'action de l'Union européenne, qui résulterait d'une mauvaise évaluation de la capacité d'absorption des mesures proposées et de leur rythme de déploiement par les ménages, les entreprises et les territoires ; considère que le risque d'accroissement des inégalités résultant des mesures proposées doit être pris en considération ; invite instamment le Conseil à veiller à ce que les mesures puissent être acceptables sur le plan social, économique et territorial et à prévoir les dispositifs pertinents d'accompagnement et d'inclusion sociale de cette transition en amont ; appelle à un équilibre optimal entre mesures de marché, mesures réglementaires, soutiens budgétaires et incitations fiscales, tant au niveau de l'Union européenne qu'au niveau de chacun des États membres ;

Estime à cet égard que le niveau d'investissement particulièrement élevé requis pour atteindre les objectifs à l'horizon 2030 puis la neutralité carbone à l'horizon 2050 doit conduire à une réflexion approfondie sur le partage entre financement public et financement privé et à une action urgente sur la complétude de la taxonomie verte, ainsi qu'à prévoir une adaptation des règles du pacte de stabilité et de croissance ; invite la Commission européenne à préciser les enjeux financiers liés à la transition climatique ; s'inquiète de l'adéquation des ressources prévues aux besoins, notamment au regard du niveau des ressources propres actuelles et futures, largement en deçà des dépenses prévues et appelle la Commission à présenter une stratégie globale de financement adaptée aux enjeux et, le cas échéant, à envisager le regroupement des différents fonds qui y contribuent ; rappelle que les nouvelles ressources propres doivent prioritairement être affectées au remboursement de l'emprunt mutualisé levé pour financer l'instrument de relance Next Generation EU ;

Rappelle l'importance de l'approche territoriale et demande à la Commission européenne de présenter une stratégie globale de financement adaptée aux capacités et opportunités d'action des territoires ; estime que la mobilisation et la mise en cohérence des différents fonds structurels, des fonds d'investissement européens et des divers programmes de soutien financier intéressant les collectivités territoriales est une condition nécessaire à l'atteinte des objectifs à l'horizon 2030 et de la neutralité carbone en 2050 ;

Considère que la transition vers une économie décarbonée présente de réelles opportunités de développement économique mais que le niveau d'ambition affiché par l'Union européenne lui impose de jouer le rôle de meneur sur les plans économique et du développement durable ainsi que de prescripteur de normes en matière de durabilité ; juge essentiel que cette transition contribue à accroître la résilience de l'économie européenne et à renforcer l'indépendance et la souveraineté énergétique de l'Union européenne, dans une perspective d'affirmation de son autonomie stratégique ; forme le voeu qu'elle permette également une « réindustrialisation » verte à l'échelle de l'Union ; souligne néanmoins la nécessité d'accompagner l'évolution des acteurs économiques, des ménages et des territoires les plus vulnérables pour permettre une transition juste et de préserver la capacité d'innovation des acteurs économiques européens afin de ne se priver d'aucune avancée technologique potentielle susceptible de contribuer à la réalisation des ambitions climatiques de l'Union ou de répondre aux besoins des marchés des États tiers en ce domaine ;

S'inquiète de l'empreinte carbone du numérique qui représente déjà, à l'échelle française, 2 % des émissions de gaz à effet de serre et qui pourrait s'établir à 6,7 % d'ici à 2040 ; invite la Commission et les États membres à intégrer cette problématique et à veiller, dans le cadre de la transition numérique, à maîtriser l'empreinte carbone du numérique ;

- Concernant le règlement sur la répartition de l'effort :

Observe que la Commission européenne propose de maintenir le champ du règlement sur la répartition de l'effort alors qu'elle propose par ailleurs d'étendre le champ des secteurs couverts par le système d'échanges de quotas d'émission de gaz à effet de serre de l'Union (SEQE-UE) ; approuve à ce stade le maintien du périmètre du règlement sur la répartition de l'effort ; relève également les nouvelles interactions entre ce règlement et celui modifiant le règlement (UE) 2018/841 en ce qui concerne le champ d'application, la simplification des règles de conformité, la fixation des objectifs des États membres pour 2030 et l'engagement dans la réalisation collective de la neutralité climatique d'ici à 2035 dans le secteur de l'utilisation des terres, de la foresterie et de l'agriculture, et le règlement (UE) 2018/1999 en ce qui concerne l'amélioration de la surveillance, des rapports, du suivi des progrès et de la révision ;

Accueille favorablement l'équilibre proposé entre l'objectif de réduction des émissions d'ici 2030 assigné aux secteurs relevant du règlement de répartition de l'effort et celui assigné aux secteurs relevant du SEQE-UE ;

Note que la méthode de calcul utilisée pour la détermination des objectifs nationaux reste fondée sur le PIB par habitant, un nombre limité de corrections ciblées étant appliquées afin de répondre aux préoccupations en matière d'efficacité au regard des coûts ; estime que le rapport coût-efficacité a été insuffisamment pris en compte ; relève ainsi l'écart important entre les objectifs assignés aux États membres, les réductions d'émissions en 2030 par rapport à 2005 s'échelonnant entre 10 % et 50 % pour les secteurs couverts par le règlement sur la répartition de l'effort ; rappelle que l'ensemble des États membres devront s'engager dans une trajectoire ambitieuse de décarbonation pour permettre à l'Union d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 ; appelle à permettre un recours adapté aux flexibilités prévues par le projet de règlement ;

Considère qu'un mécanisme de sanctions, le cas échéant financières, pourrait être mis en oeuvre en cas de non-respect manifeste et délibéré des objectifs par les États membres au titre du règlement de répartition de l'effort, afin de s'assurer de la détermination de l'ensemble des États membres à honorer les trajectoires qui leur sont assignées et de crédibiliser l'objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % en 2030 par rapport à 1990 ;

- Concernant la prise en compte de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie :

Relève que le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » détermine un niveau d'absorption de carbone à hauteur de 310 millions de tonnes d'équivalent CO2 en 2030, réparti entre les États membres en tant qu'objectifs contraignants, et fixe un objectif de neutralité climatique des terres à l'horizon 2035 ; note que seraient prises en compte dans ce cadre, à compter de 2031, les émissions hors CO2 du secteur agricole ;

Considère qu'il s'agit d'un objectif ambitieux, les absorptions de CO2 ayant diminué dans le secteur des terres ces dernières années ;

Insiste sur la nécessité de disposer d'évaluations précises de l'impact de la trajectoire proposée sur l'évolution de l'activité agricole ;

- Concernant le système d'échange de quotas d'émissions (SEQE-UE) actuellement en place dans les secteurs de l'énergie, de l'industrie et du transport aérien (SEQE-1) :

Prend acte des évaluations de la Commission européenne sur les résultats du système d'échange de quotas d'émissions ; estime toutefois que ce bilan appelle une évaluation approfondie et contradictoire, compte tenu de la faiblesse du prix de la tonne de CO2 au cours de la période, les politiques de décarbonation de l'énergie et d'efficacité énergétique ayant probablement contribué largement à ce résultat ;

Accueille favorablement les propositions de réforme du système d'échange des quotas d'émission actuellement en place dans les secteurs de l'énergie, de l'industrie et du transport aérien (SEQE-1), notamment par l'augmentation du facteur de réduction linéaire visant à ajuster la trajectoire de décarbonation à l'objectif de baisse des émissions de 61 % d'ici 2030 par rapport à 2005 assigné à ces secteurs, ou par le meilleur ciblage des quotas gratuits en direction des industries exposées à un risque de fuites de carbone qui ne bénéficieront pas de la protection du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ;

Juge pertinente la proposition de consolidation de la stabilité de réserve (MSR) pour renforcer la stabilité du prix de la tonne de CO2 sur le SEQE ;

Porte un regard favorable sur la proposition de la Commission européenne, tendant à ce que les États membres consacrent l'ensemble des recettes issues des enchères de quotas relevant du SEQE-1 à des dépenses associées à leurs politiques climatiques, suivant le modèle mis en oeuvre par la France ;

- Concernant la proposition de création d'un système d'échange de quotas d'émissions pour les secteurs du bâtiment et du transport routier (SEQE-bis) et la création d'un fonds social pour le climat :

Note que la création d'un nouveau système d'échange des quotas d'émission pour les secteurs du bâtiment et du transport routier (SEQE-bis) suscite de larges inquiétudes au regard du risque de renchérissement des prix de l'énergie pour les ménages, ainsi que pour les petites et moyennes entreprises ; relève que la grande majorité des déplacements de particuliers sont contraints dans les territoires où il n'existe pas d'alternative à la voiture individuelle et que l'acquisition d'un véhicule moins émetteur peut s'avérer difficile pour certains ménages, notamment pour des raisons financières ; observe en outre que le système d'échange de quotas d'émission envisagé, à compter de 2026, supposerait un prix du carbone fixé à un niveau particulièrement élevé pour espérer baisser significativement les émissions d'ici la fin de la décennie ;

Considère dès lors, compte tenu de la balance entre ses conséquences sociales et son bénéfice climatique incertain, que cette proposition n'est pas acceptable en l'état ; juge insuffisants les éléments d'évaluation fournis par la Commission concernant l'impact social de cette mesure et la capacité du nouveau fonds social pour le climat à répondre aux besoins d'accompagnement, compte tenu des dispositifs européens mis en place par ailleurs au titre du cadre financier pluriannuel 2021-2027 et de l'instrument de relance Next Generation EU ;

Constate néanmoins la nécessité de mobiliser des politiques publiques ambitieuses pour réduire les émissions spécifiques aux secteurs du bâtiment et du transport, qui représentent près de la moitié des émissions européennes ;

Affirme ainsi que des garanties et compensations devront être prévues dans l'hypothèse où la proposition de création d'un système d'échange des quotas d'émission pour les secteurs du bâtiment et du transport routier venait à être maintenue ; considère en particulier que ces garanties pourraient consister en l'exclusion des particuliers du dispositif et l'instauration d'un prix plafond sur ce marché ;

Juge indispensable, dans l'hypothèse du maintien du dispositif pour les particuliers, que des moyens supplémentaires soient alloués à la compensation des coûts associés à la création du système d'échange des quotas d'émission sur les secteurs du bâtiment et du transport routier pour accompagner les ménages les plus précaires dans la rénovation de leurs logements et l'accès à une mobilité bas-carbone, notamment dans les zones rurales ; invite en conséquence la Commission à formuler des propositions adaptées en fonction de l'évolution des négociations ;

Estime en tout état de cause indispensable que le système envisagé, quel que soit son dimensionnement final, demeure distinct du système d'échange des quotas d'émission actuellement en place dans les secteurs de l'énergie, de l'industrie et du transport aérien ;

Juge nécessaire que la recherche et développement bénéficient d'un plus ample soutien financier afin d'accompagner la décarbonation de l'économie européenne et la réindustrialisation verte du continent, par exemple par l'allocation d'une part des revenus du SEQE-bis au Fonds pour l'innovation ;

Relève que les éventuelles évolutions du dispositif en cours de négociation devront être prises en compte dans les négociations sur le fonds social pour le climat et la décision modificative du Conseil sur les ressources propres ;

- Concernant l'application du SEQE-UE au transport aérien et au transport maritime :

Observe que la proposition de suppression progressive d'ici 2027 des quotas gratuits dont bénéficie le transport aérien répond à la volonté législative exprimée par l'article 142 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience, visant à instaurer une tarification carbone appropriée en privilégiant sa mise en place au niveau européen ;

Invite la Commission européenne, dans l'éventualité où des risques de fuites de carbone viendraient à se réaliser du fait de la suppression des quotas gratuits dans le transport aérien, à étudier l'opportunité, à l'avenir, de mesures de protection adéquates et proportionnées, s'appuyant par exemple sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ;

Souligne la nécessité de mesures complémentaires pour accélérer le report modal vers le train, notamment par une évolution de la réglementation européenne permettant d'instaurer un prix minimal de vente des billets d'avion, conformément à la volonté exprimée par le législateur par l'article 144 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience ;

Formule à cet égard le voeu que les moyens accrus du Fonds pour l'innovation bénéficient à la recherche et au développement en faveur de la décarbonation du transport aérien, notamment en appui du développement d'une filière d'incorporation de biocarburants ;

Porte un regard favorable sur l'extension proposée du système d'échange des quotas d'émission au transport maritime, pour accompagner ce secteur dans la transition décarbonée de ses activités ;

- Concernant le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières :

Se félicite de la proposition de la Commission européenne visant à instaurer un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, porté par la France, et particulièrement par le Sénat, depuis de nombreuses années, afin de prévenir le risque de fuites de carbone, d'assurer une équité dans les relations commerciales internationales et de concilier lutte contre les dérèglements climatiques, développement durable, développement économique et inclusion sociale ;

Forme le voeu, en particulier, que ce mécanisme contribue, dans les secteurs couverts, à protéger de manière efficace les industries européennes dans leurs efforts de décarbonation et permette l'extinction progressive des quotas gratuits au titre du SEQE-1, sans induire de risques de fuites de carbone qui conduiraient à une délocalisation de ces activités en dehors de l'Union européenne ; juge le mécanisme proposé inabouti à cet égard ;

Considère donc que les produits de base émissifs exposés à un risque de fuites de carbone devraient être couverts par le mécanisme d'ajustement, dès lors que l'intensité carbone des produits importés peut être évaluée ; estime également qu'à l'aune de ce critère, et sous réserve d'une étude d'impact approfondie, des produits de base supplémentaires pourraient être intégrés au mécanisme à l'occasion de la clause de revoyure prévue par la Commission européenne en 2026 ;

Constate que les entreprises exportatrices européennes souffriraient, en l'état du dispositif, d'une perte de compétitivité, en raison d'une augmentation du prix des produits de base couverts par le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et concernés par l'extinction progressive des quotas gratuits au titre du SEQE-1 ; souligne que cette situation n'est pas acceptable ; estime donc indispensable de trouver une solution conforme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) afin de ne pas pénaliser les entreprises exportatrices européennes et, d'ici la clause de revoyure en 2026 et sous la même contrainte de compatibilité avec les règles de l'OMC, d'étudier l'opportunité d'une extension du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières à certains produits finis exposés à un risque de fuites de carbone ;

Relève les interrogations sur l'adéquation du rythme de réduction des quotas gratuits, jusqu'à leur extinction prévue en 2036, au regard de l'indispensable accélération de la décarbonation des industries européennes au cours de la décennie et du souhait de favoriser la construction de filières industrielles innovantes qui contribueraient à la réindustrialisation verte de l'Europe ;

Invite la Commission à s'assurer des conditions de compatibilité du dispositif aux règles de l'OMC, qui pourraient conduire à interdire le cumul des protections commerciales au titre du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, d'une part, et de l'allocation de quotas gratuits, d'autre part ;

Considère que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières peut et doit constituer un outil de la diplomatie climatique de l'Union européenne, dans la perspective des prochaines négociations sous l'égide de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, notamment en vue de la 27ème Conférence des parties prévue en 2023 ; à cet égard, afin d'inciter les États tiers à relever leur ambition climatique, invite la Commission européenne à utiliser la période transitoire précédant l'entrée en vigueur du mécanisme en 2026 pour rapprocher le SEQE européen de systèmes d'échange de quotas d'émission équivalents ; à cette fin, estime également que des aménagements pourraient être prévus pour les pays les moins avancés, en particulier ceux du continent africain, afin d'apaiser la crise de confiance, constatée lors de la COP26, entre pays développés et pays en développement, risquant de paralyser durablement la négociation climatique ; juge opportun de prendre en compte les effets de ce mécanisme d'ajustement sur les États candidats à l'adhésion ainsi que ceux membres de l'union douanière de l'Union européenne, relevant de la politique européenne de voisinage ou du partenariat oriental, et le cas échéant de les accompagner dans leurs politiques de décarbonation ;

- Concernant les normes d'émissions des véhicules :

Observe que la Commission européenne propose une fin de mise sur le marché européen des véhicules thermiques neufs en 2035, en se fondant sur les recommandations faites par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) pour l'atteinte de la neutralité carbone d'ici 2050 ;

Estime, compte tenu de l'accélération de la transition vers les motorisations électriques par les constructeurs français et européens et des efforts d'adaptation constatés dans le secteur automobile, que cette perspective apparaît ambitieuse et qu'elle ne saurait être anticipée ; demande en outre la mise en place d'un régime dérogatoire et transitoire permettant le maintien de la première mise sur le marché européen de véhicules hybrides jusqu'en 2040 ;

Juge nécessaire d'accompagner la filière automobile par le biais d'un soutien à la formation professionnelle, voire à la reconversion des salariés qui pourraient être affectés par cette transition ;

- Concernant la fiscalité de l'énergie :

Estime nécessaire de tenir compte du contexte de crise des prix des énergies et de son impact sur les ménages et les entreprises ;

Invite à consolider les incitations fiscales prévues pour les entreprises énergo-intensives ;

Demande que soit appliquée une neutralité technologique entre l'hydrogène renouvelable et celui bas-carbone et entre l'électricité renouvelable et celle bas-carbone dans la taxation de l'électricité ; appelle à prévoir une fiscalité simple et incitative, pour les biocarburants, le biogaz, le gaz bas-carbone et le bois-énergie ;

Invite à prendre en considération la spécificité des collectivités territoriales et de leurs groupements, en tant qu'autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE), en leur appliquant un régime fiscal idoine et en les associant aux négociations sur la taxation de l'électricité ;

Attire l'attention sur le fait que la définition des ménages en situation de précarité énergétique susceptibles d'être soutenus fiscalement doit relever de la compétence des États membres ;

- Concernant la promotion de l'énergie produite à partir de sources renouvelables :

Juge nécessaire de tenir compte des caractéristiques économiques et climatiques des bouquets énergétiques, en prévoyant des objectifs de diversification généraux, réalistes et adaptés ; invite à prendre en considération l'impact de ces objectifs de diversification sur l'équilibre et la performance du système énergétique, notamment sur les prix des énergies, de même que sur l'équilibre, le pilotage, le stockage et le bilan carbone de ces énergies ;

Considère que les États membres doivent être pleinement souverains dans la définition de leur bouquet énergétique, et notamment de l'ampleur et du délai de leur diversification ; attire l'attention sur la nécessité de ne pas imposer d'objectifs de diversification inadaptés aux États membres dont la production d'électricité est déjà largement décarbonée ;

Relève que les biocarburants répondent d'ores et déjà aux critères de durabilité ; appelle à promouvoir les biocarburants, quelle que soit leur génération, en veillant à exclure ceux présentant un risque élevé en termes de bilan carbone, notamment au regard du changement d'affectation des sols, tels que ceux issus de l'huile de palme ou du soja ;

Invite à mieux intégrer le biogaz et le gaz-bas carbone, en particulier issus de déchets exempts de conflits d'usages, les réseaux de chaleur et de froid et la cogénération ;

Demande que soit appliquée une neutralité technologique entre l'hydrogène renouvelable et celui bas-carbone dans la décarbonation de l'industrie ;

Appelle à ne pas déstabiliser les critères de durabilité applicables à la biomasse, s'agissant notamment du principe de cascade, des seuils de puissance, du niveau d'émission et de l'encadrement du bois-énergie ;

Demande à étendre l'obligation d'information, prévue pour les produits industriels, de l'énergie renouvelable vers celle bas-carbone ;

Invite à prendre en considération la spécificité des collectivités territoriales et de leurs groupements, en tant qu'autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE), en renforçant leur association à la mise en oeuvre des projets d'énergies renouvelables ;

- Concernant l'efficacité énergétique :

Considère que les États membres doivent être pleinement souverains dans l'application du principe de primauté énergétique, et pouvoir à ce titre le compléter par un principe d'efficacité carbone et de définir les actions d'efficacité énergétique à destination des ménages en situation de précarité énergétique ;

Demande que soit prise en compte la spécificité des bailleurs sociaux dans l'appréciation de l'obligation de réduction de la consommation d'énergie en leur appliquant un statut juridique idoine ;

Considère que la spécificité des réseaux d'électricité, de gaz, de chaleur et de froid doit également être prise en considération dans cette même appréciation ;

Estime que les collectivités territoriales et leurs groupements, en tant qu'autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE), doivent être mieux associés à la mise en oeuvre des actions d'efficacité énergétique ;

Considère que la mobilisation des contrats de performance énergétique et les critères de commande publique dans un but d'efficacité énergétique doivent être encouragés ;

- Concernant la performance énergétique des bâtiments :

Estime que la mise en oeuvre des nouvelles normes en matière de performance énergétique pour les constructeurs, les propriétaires (bailleurs privés ou sociaux, monopropriétaires ou copropriétaires) et les locataires doit s'accompagner d'un soutien financier ;

Demande que soit prise en compte la spécificité des bailleurs sociaux dans l'appréciation de l'obligation de réduction de la consommation d'énergie en leur appliquant un statut juridique idoine ;

Considère que la spécificité des bâtiments tertiaires doit également être prise en considération dans cette même appréciation ;

Juge que doit être appliqué un seuil d'émission, adapté, ambitieux et graduel, pour les énergies fossiles utilisées pour le chauffage et le refroidissement, plutôt qu'une interdiction sèche ;

Demande que soit appliquée une neutralité technologique entre l'énergie renouvelable et celle bas-carbone, et entre les énergies renouvelables sur site et celles de réseau, notamment dans la définition des bâtiments faiblement émissifs ;

Demande que soit prévue l'expérimentation d'un système d'alimentation des bâtiments au biogaz ;

Appelle à maintenir une bonne articulation entre normes européennes et nationales ;

- Concernant l'initiative sur l'incorporation de carburants durables dans le secteur aérien :

Appelle à affiner les délais, compenser les surcoûts et encourager les investissements dans la mise en oeuvre de l'objectif d'incorporation de carburants durables dans le secteur aérien ;

Demande que soit appliquée une neutralité technologique entre l'hydrogène renouvelable et celui bas-carbone et entre l'énergie renouvelable et bas-carbone dans cette incorporation ;

Estime nécessaire de mieux intégrer les différents biocarburants et carburants synthétiques ;

- Concernant l'initiative sur l'intégration des carburants durables dans le secteur maritime :

Souhaite accroître la limitation de l'intensité des émissions de gaz à effet de serre de l'énergie utilisée à bord pour renforcer l'incorporation des carburants durables dans le secteur maritime ;

Demande que soit prévu un accompagnement des collectivités territoriales et leurs groupements, en tant qu'autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE), dans les surcoûts induits par l'électrification à quai ;

Appelle à permettre l'utilisation des garanties d'origine pour favoriser l'incorporation du bio-GNL et du GNL ;

Estime nécessaire de mieux intégrer les différents biocarburants et carburants synthétiques ;

- Concernant le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs :

Appelle à renforcer les objectifs contraignants de déploiement des infrastructures de recharge pour tous les modes de transports, a minima pour les infrastructures électriques destinées aux véhicules utilitaires légers ;

Estime nécessaire de mieux intégrer le GNL, le GNC, le bio-GNL et le bio-GNC ainsi que les différents biocarburants et les carburants synthétiques ;

Appelle à renforcer et à anticiper l'objectif prévu et pour les infrastructures de recharge à hydrogène ;

Demande que soit appliquée une neutralité technologique entre l'hydrogène renouvelable et celui bas-carbone et entre l'énergie renouvelable et bas-carbone dans l'appréciation des carburants durables ;

- Concernant l'intégration de l'hydrogène, du biogaz et du gaz bas-carbone :

Demande que soit appliquée une neutralité technologique entre l'hydrogène renouvelable et celui bas-carbone, dans l'appréciation des seuils d'émission ;

Appelle à la vigilance sur les seuils d'émission et les critères d'additionnalité et de corrélation prévus pour l'hydrogène qui seront fixés par un acte délégué de la Commission européenne ;

Fait valoir que l'injection de l'hydrogène dans les réseaux de gaz naturel doit constituer un débouché limité ;

Invite à accorder une place au biogaz et au gaz bas-carbone, aux côtés de l'hydrogène, dans la décarbonation du secteur du gaz ;

- Concernant les enjeux communs aux secteurs aérien et maritime :

Se félicite des propositions de baisse de l'intensité carbone pour les carburants du secteur maritime et d'obligation d'incorporation de biocarburants dans le transport aérien, qui donneront à ces secteurs une visibilité sur la trajectoire de décarbonation à tenir pour atteindre la neutralité carbone d'ici le milieu du siècle ;

Est attentif à ce que cette obligation ne génère pas de distorsions de concurrence, susceptibles d'affaiblir l'attractivité des hubs ou des ports de l'Union mais aussi la compétitivité des entreprises européennes de ces secteurs, ou des fuites de carbone à l'extérieur des frontières européennes ;

Constate cependant que l'obligation de ravitaillement en carburant à hauteur d'au moins 90 % dans les aéroports européens devrait permettre d'écarter les risques de distorsion de concurrence qui pourraient découler de l'application des règles d'incorporation des biocarburants ;

Fait valoir que la réduction des émissions de CO2 de l'aviation repose pour l'essentiel, en l'état actuel des technologies, sur l'utilisation de carburants d'aviation durables (SAF) et soutient le développement d'un marché européen et d'une certification internationale des SAF ;

Souligne la nécessité d'investir dans les différentes technologies de production des carburants alternatifs durables et de disposer de filières industrielles de production à la hauteur des ambitions de décarbonation des secteurs économiques ;

Constate que la fin des exonérations dont bénéficient le kérosène nécessaire au transport aérien et le pétrole lourd utilisé dans le transport maritime accélérera la transition de ces secteurs et incitera à un recours à des solutions technologiques moins carbonées ; estime nécessaire le maintien de l'exonération pour le secteur de la pêche ;

Rappelle la nécessité de finaliser la mise en oeuvre du Ciel unique européen et d'accélérer la digitalisation du contrôle aérien, qui doivent notamment contribuer à une réduction de l'impact environnemental du secteur aérien ;

- Concernant la place de l'Union européenne dans la lutte contre le changement climatique et sa capacité d'entraînement :

Rappelle que la lutte contre les dérèglements climatiques est un enjeu mondial et que l'Union européenne, qui représente moins de 8 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, ne peut répondre à elle seule à cet enjeu ;

Considère que le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » doit constituer le pilier de la diplomatie climatique de l'Union européenne, en agissant comme un levier en vue du relèvement de l'ambition des États tiers, notamment des principaux États développés et des grands États émergents, tout en prévoyant des aménagements et adaptations pour les pays les moins avancés, notamment ceux du continent africain ;

Juge essentiel que l'Union mette en cohérence l'ensemble de ses politiques au regard des objectifs du pacte vert pour l'Europe, afin d'utiliser tous les moyens à sa disposition pour jouer un rôle d'entraînement à l'échelle mondiale sur le fondement de ses normes et de ses valeurs, en portant une attention particulière aux travaux menés dans le cadre de certaines organisations internationales sectorielles ou d'instances internationales de normalisation ; estime nécessaire de prendre pleinement en compte les effets du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » sur les États tiers bénéficiant d'un lien particulier avec l'Union, en particulier pour les États candidats à l'adhésion, les États membres de l'union douanière de l'Union européenne ou bénéficiant d'accords économiques privilégiés, ou encore des États inclus dans la politique de voisinage ou le partenariat oriental, en étudiant le cas échéant la possibilité de mesures d'accompagnement spécifiques ;

Insiste sur le fait que l'Union européenne forme le plus grand bloc commercial du monde et dispose d'un important réseau d'accords commerciaux, ce qui lui permet notamment, sous réserve qu'elle s'en donne effectivement les moyens, d'assurer la mise en oeuvre de ses normes, de ses valeurs et de ses cadres de durabilité, mais aussi d'utiliser la politique commerciale en appui de ses objectifs géopolitiques ;

Salue le fait que l'Union européenne s'efforce de favoriser le développement durable et une croissance inclusive en enrichissant ses accords commerciaux d'un chapitre sur le commerce et le développement durable (CDD), engageant en particulier les signataires à mettre en oeuvre les accords multilatéraux environnementaux auxquels ils sont parties ainsi qu'à ratifier et mettre en oeuvre les conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT) ; constate néanmoins que la mise en oeuvre de ce type de chapitres se révèle complexe, ce qui doit conduire l'Union à se doter des moyens appropriés pour s'assurer d'une mise en oeuvre effective des engagements pris par les signataires ; considère que le plan d'action en quinze points élaboré en février 2018 par les services de la Commission correspond à un état des réflexions aujourd'hui dépassé, à la lumière des débats apparus au cours des dernières années, et devrait conduire l'Union à rehausser son niveau d'ambition concernant le contenu de ces chapitres, notamment s'agissant de la lutte contre le changement climatique, de la préservation de la biodiversité, de la lutte contre la déforestation et de la conduite responsable des entreprises ;

Considère que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) doit intégrer dans ses travaux les problématiques liées au développement durable et adapter ses règles à l'impératif de lutte contre le changement climatique et qu'elle a également un rôle important à jouer afin de contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable des Nations Unies concernant le travail décent et l'égalité entre les sexes ; soutient la volonté de la Commission de moderniser le fonctionnement de l'OMC, engagée dans un cadre international plus large, en vue notamment d'aboutir à la modernisation des règles relatives aux subventions par un renforcement des obligations de transparence et de notification et une précision des règles applicables aux subventions industrielles horizontales ; appelle à trouver au plus vite une solution permettant de restaurer le fonctionnement de l'Organe d'appel du système de règlement des différends de l'OMC ;

Rappelle que le marché intérieur de l'Union constitue un atout fondamental dont l'intégrité doit être préservée ;

Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.


* 1 Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil.

* 2 De l'économiste Arthur Cecil Pigou.

* 3 Parallèlement au SEQE-UE, l'Allemagne a lancé en 2021 son propre système de « plafonnement et d'échange » sur le bâtiment et le transport. Le système commencera avec un prix fixe, qui augmentera annuellement.

* 4 Le Royaume-Uni s'est doté de son propre SEQE après sa sortie de l'Union européenne.

* 5 Le SEQE suisse est lié au SEQE-UE depuis janvier 2020. Cette association des deux marchés est l'aboutissement d'une négociation engagée en 2010, conclue par un accord fin 2017. En pratique, ce lien permet aux installations couvertes d'utiliser des quotas des deux marchés pour remplir leurs obligations.

* 6 Les « installations » désignent, dans le vocabulaire de la directive SEQE-UE, les sites et entreprises assujettis au système d'échange de quotas.

* 7 Le méthane (CH 4 ) n'est donc pas couvert par le SEQE-UE. Il faut dire que la très grande majorité des émissions de méthane se trouvent en dehors du champ sectoriel du système d'échanges : un tiers de ces émissions sont en effet d'origine naturelle, et l'essentiel des deux autres tiers - les émissions anthropiques de méthane - proviennent de secteurs relevant des politiques nationales au titre du règlement RRE (agriculture, déchets) ou de l'exploitation et du transport des énergies fossiles, en partie situées en dehors de l'Union européenne.

* 8 Chiffre de l'étude d'impact de la proposition de révision de la xxx .

* 9 Agence européenne pour l'environnement (AEE), Rapport annuel sur les tendances et projections en matière d'émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l'Union européenne, 2021.

* 10 Comme l'a notamment souligné le rapport de Pascal Canfin, Alain Grandjean et Gérard Mestrallet, Propositions pour des prix du carbone alignés avec l'Accord de Paris , juillet 2016.

* 11 International Carbon Action Partnership, Emissions Trading Worldwide : Status Report 2021.

* 12 ERCST, Wegener Center, BloombergNEF and Ecoact, State of the EU ETS, 2021.

* 13 L'intensité commerciale est déterminée par la formule suivante : (imports + exports) / (imports + production).

* 14 À noter qu'une flexibilité avait été introduite en 2013 : 5 % des allocations totales étaient mises en réserve pour assister les installations nouvellement intégrées dans le SEQE ou pour accompagner des installations dont les capacités auraient augmenté significativement en cours de période. Ces quotas, inutilisés lors de la phase 3, ont été reportés lors de la phase 4 (2021-2030).

* 15 L'intensité émissive est calculée par la formule suivante : [émissions directes + (consommation d'électricité x facteur d'émission de l'électricité)]/valeur ajoutée brute.

* 16 90 % de ces quotas mis aux enchères sont distribués entre les États membres en fonction de leur niveau d'émissions. Les 10 % restants sont distribués aux pays de l'Union au plus faible PIB.

* 17 Pour éviter un recours au facteur de correction transsectoriel - qui peut être appliqué ex-post afin de réduire, dans une même proportion et quel que soit le secteur, les quotas alloués à titre gratuit - une flexibilité est introduite en phase 4 : 450 millions de quotas prévus pour la mise aux enchères (3 % du total des quotas) peuvent être distribués gratuitement si le volume initial d'allocations gratuites venait à s'épuiser.

* 18 Cour des comptes européenne, Le système d'échange de quotas d'émission de l'UE : l'allocation de quotas à titre gratuit devrait être mieux ciblée, 2020.

* 19 Voir notamment Bolscher, H., Graichen, V., Hay, G., Healy, S., Lenstra, J., Meindert, L., Regeczi, D., Von Schickfus, M.-T., Schumacher, K. Timmons-Smakman, F., Carbon Leakage Evidence Project :Factsheet for selected sectors, Ecorys, Rotterdam, septembre 2013.

* 20 Voir notamment Montenegro, R., Fahl, U., Zabel, C., Lekavièius, V., Bobinaité, V., Brajkoviæ, J., D3.2 - Case study on carbon leakage and competitiveness, projet REEEM, 2018.

* 21 Règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n° 401/2009 et (UE) 2018/1999.

* 22 À noter qu'une augmentation de ce plafond sera par ailleurs prévue pour tenir compte de l'inclusion du transport maritime dans le SEQE-UE. Cette augmentation reflètera le niveau d'émissions constatées dans le transport maritime pour les années 2018 et 2019, ajustée - un an après l'entrée en vigueur de la directive révisée - au niveau que ce plafond aurait atteint en cas d'application du facteur de révision linéaire de 4,2 % dès 2021.

* 23 L'article L. 229-55 du code de l'environnement prévoit en revanche un double assujettissement des vols intérieurs français, d'une part au SEQE-UE et, d'autre part, au système national de compensation des émissions créé par l'article 147 de la loi « Climat et résilience ».

* 24 Concrètement, si le nombre total de quotas en circulation est de 1095, 262 (1095-833) millions de quotas seraient placés dans la réserve. Si le nombre total de quotas en circulation est de 1097, 24 % de ce total serait placé en réserve, soit 263 millions de quotas. Le seuil haut de 1096 millions a donc été calculé de manière à éliminer totalement les effets de seuil, tout en permettant à la réserve de prélever plus largement des quotas sur le marché en cas de dépassement de ce niveau.

* 25 Des quotas seront initialement créés et placés dans la réserve dès la création du SEQE-bis.

* 26 Réduction accrue de la valeur des référentiels et allocation gratuite conditionnée à la réalisation d'audits énergétiques ; extinction des quotas gratuits dans le transport aérien d'ici à 2027 ; extinction d'ici 2030 des quotas gratuits dans les industries considérées comme non exposées à un risque de fuites de carbone (disposition déjà prévue par la révision de la directive SEQE-UE en 2018).

* 27 Pour rappel, le transport international maritime n'est pas intégré dans le périmètre du règlement sur la répartition de l'effort, qui ne couvre que le transport maritime domestique.

* 28 Révision de la directive sur les énergies renouvelables ; proposition de refonte de la directive sur l'efficacité énergétique ; révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments ; révision du règlement fixant des normes de performance pour les émissions de CO2 des voitures et des camionnettes ; propositions de directive sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs.

* 29 Pour rappel, ce facteur de correction peut être appliqué ex-post afin de réduire, dans une même proportion et quel que soit le secteur, les quotas alloués à titre gratuit, dans l'hypothèse où la demande de quotas gratuits excèderait le montant total de quotas disponibles pour l'allocation gratuite.

* 30 Loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience.

* 31 Règlement (CE) n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l'exploitation de services aériens dans la Communauté.

* 32 Transport and Environment, “Assessment of carbon leakage potential for European aviation Direct flights stopping over in non-EU airports”, janvier 2022.

* 33 Étude d'impact de la Commission européenne.

* 34 Le pacte de stabilité et de croissance est un ensemble de règles pour la coordination des politiques budgétaires nationales au sein de l'Union européenne. Il vise notamment à ce que le déficit budgétaire des États membres ou le niveau de leur dette publique ne dépassent pas respectivement 3 % et 60 % du PIB.

* 35 Voir notamment la résolution du Sénat n° 44 (2019-2020) du 14 janvier 2020 demandant au Gouvernement de porter au niveau de l'Union européenne un projet de barrière écologique aux frontières.

* 36 Nordhaus, W., Climate Clubs to Overcome Free-Riding, Issues in Sciences and Technology, n° 4 summer 2015.

* 37 Voir rapport d'information n° 279 (2021-2022) de MM. Didier MANDELLI, Guillaume CHEVROLLIER et Ronan DANTEC, relatif au bilan des négociations climatiques de Glasgow (COP26), fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, déposé le 9 décembre 2021.

* 38 Camille Defard, Jacques Delors Energy Centre, « Mettre la charrue avant les boeufs ? Perspectives sur un marché du carbone européen couvrant les bâtiments résidentiels », juillet 2021.

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