Rapport d'information n° 556 (2021-2022) de Mme Catherine MORIN-DESAILLY et M. Louis-Jean de NICOLAY , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 1er mars 2022

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N° 556

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er mars 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur l' Union européenne et le patrimoine ,

Par Mme Catherine MORIN-DESAILLY et M. Louis-Jean de NICOLAŸ,

Sénatrice et Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin , président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Henri Cabanel, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique , vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Jérémy Bacchi, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Philippe Bonnecarrère, Pierre Cuypers, Laurent Duplomb, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Véronique Guillotin, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Louis-Jean de Nicolaÿ, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger .

L'ESSENTIEL

Nouveaux défis, nouveaux enjeux :
une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine

La commission des affaires européennes a adopté à l'unanimité, le mardi 1 er mars 2022, la proposition de résolution européenne n° 555 (2021-2022) et le rapport d'information n° 556 (2021-2022) de Catherine Morin-Desailly et Louis-Jean de Nicolaÿ sur l'Union européenne et le patrimoine.

I. La présidence française de l'Union européenne est une chance pour porter au niveau européen les nouveaux enjeux du patrimoine

Notre patrimoine est un précieux héritage . Il n'est pas fait que de vieilles pierres : il parle au coeur des Européens, comme en témoigne l'engouement suscité par les Journées européennes du patrimoine (environ 30 000 évènements et 30 millions de visiteurs dans toute l'Europe pour la dernière édition en septembre 2021). Il n'est pas l'expression d'une nostalgie, mais d'un enracinement, source de fierté et d'une identité européenne, facteur d'attractivité et de rayonnement pour notre continent .

La France, qui est à l'origine de plusieurs initiatives européennes dans le domaine de la politique du patrimoine, comme le Label du patrimoine européen, et qui a fortement participé à l'Année européenne du patrimoine 2018, avec plus de 1 500 événements officiellement labellisés sur 23 000 dans toute l'Europe, doit saisir la chance de sa présidence du Conseil pour relancer la politique européenne du patrimoine.

La crise sanitaire a considérablement freiné la fréquentation des sites. Mais la passion des Européens pour leur patrimoine n'a pas été brisée, elle doit être stimulée de nouveau, avec une force redoublée. D'autant que la demande de qualité et de proximité augmente . En effet, la crise sanitaire a nourri un mouvement de retour vers les territoires et d'attention au patrimoine, à tous les patrimoines, y compris le patrimoine paysager, et le patrimoine que l'on dit vernaculaire, pour ne pas le qualifier de « petit » ou « de proximité ».

Les aspirations des Européens en matière de qualité du cadre de vie se sont accrues avec la pandémie qui a accentué un mouvement, observé auparavant, vers les villes petites et moyennes, ou les espaces ruraux. Pour certains chercheurs, c'est une véritable transition sociétale qui est en cours. Le patrimoine, culturel, mais aussi naturel et paysager, est un facteur clé de cette évolution.

Cet enjeu de la qualité et de la proximité concerne au premier chef le tourisme, alors que 68 % des Européens interrogés avant la pandémie reconnaissaient que le patrimoine pouvait influer sur le choix de leur destination. C'est à un tourisme plus durable, plus qualitatif qu'ils aspirent également. L'accueil de ces « nouveaux touristes » est un enjeu européen.

Le développement des territoires, en particulier dans les espaces ruraux, est un autre enjeu et l'action menée par le réseau de l'association des petites Cités de caractère de France est à cet égard très inspirant.

II. De nouveaux défis pour l'action de l'Union européenne

A. Elle doit relever le défi de sa compétence

Pour répondre à ces nouveaux enjeux, l'Union européenne doit affirmer sa compétence.

L'article 6 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne place son action en matière culturelle parmi les « compétences d'appui » de l'Union européenne. À ce titre, elle « dispose d'une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l'action des États membres ».

Et, en vertu de l'article 167 du TFUE, l'Union européenne est pleinement fondée à agir en vertu de cette compétence d'appui, en particulier dans le domaine de « la conservation et la sauvegarde du patrimoine culturel d'importance européenne ». Or le patrimoine s'inscrit aujourd'hui dans son environnement, son paysage, dans une dimension écologique durable.

Cette compétence s'étend donc bien au-delà du champ culturel. Pour autant, cette compétence d'appui ne remet nullement en cause, conformément au principe de subsidiarité, les compétences de chaque État membre.

B. Elle doit relever le défi de la lisibilité et de la coordination

Sa politique patrimoniale, construite par touches successives, est pointilliste. Il convient de la rassembler en une nouvelle stratégie.

1. Affirmer le rôle des collectivités territoriales, reconnaître le rôle des associations et fédérer leurs réseaux

Pour échanger les bonnes pratiques et accompagner les initiatives territoriales il est proposé de fédérer les élus et les associations en faveur du patrimoine et de créer un réseau européen des cités et territoires de caractère , qui s'appuie notamment sur l'expérience des associations Sites et Cités remarquables de France et Petites Cités de caractère de France.

2. Créer une Liste du patrimoine européen

Aujourd'hui, l'octroi du label du patrimoine européen n'implique en soi aucune aide financière.

L'Unesco et la Liste du patrimoine mondial, très ouverte au patrimoine immatériel, offrent des points de comparaisons. Le Conseil de l'Europe, aussi, avec le rôle fédérateur de l'institut des itinéraires culturels européens, qui accompagne et aide les projets labellisés.

Il y a, entre ces différents labels, des complémentarités et des spécificités qui nécessitent de les relier davantage, de voir plus grand, d'élargir les perspectives : c'est pourquoi le Sénat propose la création d'une Liste du patrimoine européen , articulée avec les différents labels existants.

C. Elle doit relever le défi du financement

1. Mieux communiquer sur les programmes existants

De nombreux outils existent, qui sont dispersés, peu lisibles.

Le programme « Europe Créative » est doté d'un budget en très forte progression : 2,442 milliards d'euros pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027, soit 63 % de plus que le programme 2014-2020.

L'UE soutient également la recherche sur le patrimoine par l'intermédiaire du programme-cadre pour la recherche et l'innovation Horizon Europe .

Le guide interactif de financement, dénommé CulturEU, qui vient d'être mis en ligne doit être traduit intégralement en français pendant la présidence française.

2. La valorisation du patrimoine doit faire partie intégrante des objectifs des fonds de cohésion

Les fonds régionaux apportent une contribution très importante mais dispersée.

Le FEDER (Fonds européen de développement régional) dont fait à présent partie le programme de coopération transfrontalière INTERREG , est le fonds le plus important. Il est doté, pour la période 2021-2027 de quelque 300 milliards d'euros au total, dont 9 milliards pour INTERREG. Le FEDER a aidé à la restauration de la baie du Mont Saint-Michel, par exemple.

Les dépenses en faveur de la culture représentaient, pour la période de programmation 2014-2020, environ 4,7 milliards d'euros, soit 2,3 % du total du FEDER. Le Sénat rejoint le constat de la Cour des comptes européenne : « les investissements de l'UE dans les sites culturels gagneraient à être mieux ciblés et coordonnés ». Au cours de la période 2010-2017, les montants investis au titre du FEDER dans les sites culturels représentaient plus de 25 % de tous les investissements publics culturels dans environ un tiers des États membres et plus de 50 % au Portugal et en Grèce. Qu'en sera-t-il de la présente période de programmation 2021-2027 ?

Les investissements patrimoniaux doivent être considérés comme une priorité du FEDER car la cohésion sociale, économique et territoriale, objectif principal du fonds, est favorisée par ces investissements.

3. Mobiliser de nouvelles sources de financement en faveur du patrimoine européen

Il est proposé d'étudier la création d'un Loto du patrimoine européen . Les exemples français, anglais, néerlandais et italiens en la matière sont des succès.

La Commission européenne n'étant pas habilitée à recevoir de tels fonds, la transposition d'un tel modèle aux pays volontaires voire à l'ensemble des États membres nécessite de créer une Fondation européenne du patrimoine .

Par ailleurs, une tarification différenciée est proposée pour qu'en complément des contribuables européens, les visiteurs extra-européens participent à la restauration et à l'entretien des sites et monuments qu'ils fréquentent en grand nombre.

III. Les chantiers d'avenir du patrimoine à ouvrir dès cette année

A. Le « nouveau Bauhaus européen » est une chance pour mettre en valeur le rôle écologique du patrimoine

Lancé par la présidente de la Commission européenne, ce nouveau programme qui invite à la création apporte une dimension culturelle au pacte vert pour l'Europe . Conception, durabilité, accessibilité, et esthétisme sont les maîtres mots de ce nouveau projet.

Le Sénat invite les collectivités territoriales à faire remonter leurs projets dans ce cadre. Outre son effet de levier souhaitable sur le regroupement des financements, ce nouveau programme offre une chance pour l'intégration du patrimoine et de l'architecture , y compris paysagère et de proximité. C'est une belle occasion à saisir pour un rôle plus actif des architectes.

B. Mieux communiquer sur le patrimoine au niveau européen

Pour rendre le patrimoine plus visible, plus accessible, il convient d'utiliser toutes les ressources possibles, notamment Europe Créative, pour inciter à la création de plateformes numériques locales et au développement d'applications mobiles pour mieux faire connaître les sites : le numérique n'est pas tant une fin en soi qu'un moyen d'ouvrir le plus largement l'accès au patrimoine.

La création de contenus, sur tous supports, multilingues , doit être encouragée, pour forger un « grand récit » européen du patrimoine, fait d'une multitude d'histoires. Ainsi, le patrimoine européen doit être inscrit au cahier des charges des médias de service public , grâce à l'Union européenne de radiodiffusion (UER). Le développement européen d'Arte , chaine multilingue, doit être conforté.

Par ailleurs, des effigies des hauts lieux du patrimoine européen labellisé ou des personnages emblématiques de l'histoire européenne devraient figurer sur les nouveaux billets de banque en euros , et non plus des images symboliques.

C. Favoriser la résilience du patrimoine

La stratégie européenne préconisée par le Sénat doit accroître la résilience du patrimoine face aux périls qui le menacent. Pour anticiper les bouleversements climatiques et faire face aux catastrophes, la création d'un Fonds de sauvegarde du patrimoine en péril pourrait s'étendre aux phénomènes naturels prévisibles et inéluctables, telle l'érosion du trait de côte ou le risque sismique.

Ce fonds doit être aussi ouvert au patrimoine menacé ou abîmé par les actes de guerre , y compris dans les pays du partenariat oriental, comme l'Ukraine.

D. L'atout de l'Année européenne de la jeunesse

L'année 2022 ayant été déclarée Année européenne de la jeunesse, cet atout doit être utilisé au service de la connaissance et de la transmission du patrimoine.

Quant à Erasmus +, un volet dédié au patrimoine devrait être prévu à l'occasion de cette année, avec un circuit des chantiers de jeunes bénévoles européens du patrimoine .

Enfin, il est proposé d'utiliser les programmes et projets mis en oeuvre par la Commission européenne, pour créer une Académie européenne du patrimoine , et rendre les métiers et savoirs du patrimoine attractifs, en associant les écoles d'architecture.

LISTE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

Mieux valoriser et développer le patrimoine européen

1°) Affirmer le rôle des collectivités territoriales et fédérer un réseau d'élus en faveur du patrimoine

2°) Créer un réseau européen des cités et territoires de caractère

3°) Étendre et renforcer le label du patrimoine européen

4°) Créer une Liste européenne du patrimoine, articulant ce label, les labels de l'Unesco et les itinéraires du Conseil de l'Europe, comportant les Merveilles de l'Europe (grands sites et monuments), les Mémoires de l'Europe (lieux incluant les maisons des Illustres de l'Europe et le grand patrimoine immatériel), et les Fiertés de l'Europe (patrimoine de proximité et savoir-faire typiquement européens)

Mieux protéger et financer le patrimoine européen

5°) Renforcer durablement la coordination transversale des différents fonds européens dédiés au patrimoine

6°) Créer un Super-Loto européen du patrimoine

7°) Créer une Fondation européenne du patrimoine et rassembler en son sein élus, associations, représentants de toutes les parties prenantes

8°) Mettre en place une tarification différenciée des visiteurs selon leur provenance européenne ou extra-européenne

9°) Inciter les sites et monuments européens à mieux valoriser et protéger leur marque en la déposant.

Penser le patrimoine au futur

12°) Développer la composante patrimoniale du « nouveau Bauhaus européen » et utiliser le levier de ce nouveau programme pour faire du patrimoine une compétence transversale, sous l'autorité de la présidente de la Commission européenne et de la Commissaire chargée de la Culture.

13°) Mieux communiquer sur le patrimoine européen

14°) Créer une plateforme de numérisation et de développement d'applications mobiles dédiées au patrimoine

15°) Inscrire le patrimoine européen au cahier des charges des missions de service public définies par l'UER

16°) Aider à la création de contenus et de récits mettant en scène le patrimoine européen

17°) Accélérer le déploiement et renforcer la visibilité d'Europeana, bibliothèque numérique européenne

18°) Imprimer des billets en euro ornés d'images représentant ces fleurons du patrimoine européen

19°) Créer une aide à la traduction et à la publication sur tous supports (papier et numérique) pour la promotion du patrimoine européen

20°) Placer le patrimoine au centre de l'année européenne de la jeunesse

21°) Créer une Académie européenne du patrimoine pour structurer les réseaux professionnels et développer les incitations à la recherche et à l'enseignement sur le patrimoine européen

22°) Créer des chantiers européens de jeunes bénévoles du patrimoine

23°) Créer un fonds de sauvegarde en faveur du patrimoine européen mis en péril par les catastrophes ou les phénomènes naturels et climatiques, et leurs conséquences actuelles ou prévisibles, et, dans les pays liés à l'Union européenne par des accords d'association au titre du Partenariat oriental, du patrimoine emblématique endommagé par des actes de guerre.

AVANT-PROPOS

« Les guerres naissant dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes qu'il faut élever les défenses de la paix » : cet incipit de l'Acte constitutif de l'organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco), élaboré le 16 novembre 1945, résonne tragiquement avec l'actualité, alors que l'Europe connaît à nouveau la guerre. Il fait aussi écho au préambule du traité de Rome, par lequel, il y a bientôt 65 ans, les États membres affirmaient être « déterminés à établir les fondements d'une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens » et « être résolus à affermir, par la constitution de cet ensemble de ressources, les sauvegardes de la paix et de la liberté, et appel[er] les autres peuples d'Europe qui partagent leur idéal à s'associer à leur effort ».

L'ambition de Jean Monnet, l'un des principaux architectes du traité, n'était-elle pas ainsi exprimée d'emblée : « notre mission n'est pas de coaliser des États, mais d'unir des hommes » ?

Notre patrimoine est un précieux héritage qui concilie nature et culture, qui allie patrimoine et paysage et qui célèbre le « monument historique » mais aussi son environnement « naturel », façonné par l'homme au long des siècles. Il importe qu'il soit préservé et que l'Union européenne, dont les valeurs se sont développées à partir de cet héritage, participe à sa préservation.

Le patrimoine européen est un témoignage vivant de l'histoire de l'Europe, de sa longue construction au fil des siècles. Il n'est pas fait que de vielles pierres : il parle au coeur des Européens. Il n'est pas l'expression d'une nostalgie, mais d'un enracinement, source de fierté et d'une identité européennes, nationales et régionales, ouvertes sur l'avenir.

La pandémie l'a replacé au centre des préoccupations des citoyens européens.

Quatre ans après l'année européenne du patrimoine déclarée en 2018, et au début de la présidence française de l'UE, il doit devenir une priorité transversale, au cours du présent cadre financier pluriannuel et au-delà. Il peut en effet être revendiqué comme une véritable compétence, certes d'appui, mais rendue lisible et cohérente.

Le cadre d'action de l'Union européenne en faveur du patrimoine s'est construit peu à peu et demeure en devenir (I). La présidence française de l'Union européenne offre l'opportunité de dynamiser la politique européenne du patrimoine à court et moyen terme et permet d'esquisser quelques lignes de force d'un chantier d'avenir en faveur du patrimoine européen. (II)

Un café à Vienne, Autriche

I. LE CADRE D'ACTION DE L'UNION EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE PATRIMOINE EST EN DEVENIR

A. LE PATRIMOINE EST PROGRESSIVEMENT ENTRÉ DANS LA CONSTRUCTION JURIDIQUE DE L'UNION EUROPÉENNE

1. Le patrimoine, socle de la culture et vecteur d'identité d'une Union européenne « unie dans la diversité »

« Le patrimoine culturel de l'Europe, matériel et immatériel, est notre richesse commune - l'héritage que nous ont légué les générations d'Européens qui nous ont précédés et que nous lèguerons à notre tour aux générations futures » : ce constat, toujours actuel, a été dressé par la Commission européenne dans sa communication du 22 juillet 2014 1 ( * ) au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, intitulée « Vers une approche intégrée du patrimoine culturel européen ». On y lit également, ce qui peut faire aussi l'unanimité : « Le patrimoine culturel constitue une ressource partagée et un bien commun ».

L'Europe est diversité, comme l'a montré, par exemple, Fernand Braudel 2 ( * ) , parmi beaucoup d'autres historiens. Mais sa diversité même se conjugue en une unité qui est immédiatement perceptible dans d'autres régions du monde.

George Steiner 4 ( * ) propose cinq critères pour définir l'identité européenne. Parmi eux, on peut relever le premier qui est celui des cafés : « les cafés font l'Europe» ; le deuxième est son paysage humanisé : « L'Europe a été et reste parcourue à pied ». Et d'ajouter que la dignité de l'homme européen réside dans « la création de beauté ».

E pluribus unum : à parcourir l'histoire et la géographie de l'Europe apparaît une identité esthétique, subjective et ressentie, mais aussi objective et bien documentée, dans les pays, régions, villes et campagnes.

Oui, il existe une Europe des cathédrales, une Europe des monastères, une Europe des pèlerinages, une Europe des universités, une Europe des théâtres et des opéras, comme il y a une Europe des foires, une Europe des châteaux, des places fortes et des collines inspirées, une Europe des places de villages et des cafés, mais aussi une Europe des bassins miniers et des ports de pêche. Agrégés, tous ces legs vivants de notre histoire commune forment le visage singulier, reconnaissable entre tous, de notre Europe, au fond si unie dans une telle diversité, comme le dit sa devise : c'est justement ce socle commun qui nous tient ensemble, fonde nos politiques et nos projets.

2. La prise en compte progressive du patrimoine par l'Union européenne
a) Une prise en compte tardive

La prise en compte du patrimoine est d'abord étrangère au système communautaire : c'est par l'économie, la mise en commun des marchés que les pères fondateurs ont construit les communautés européennes.

En revanche, d'autres organisations internationales, à commencer naturellement par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) dont c'était la vocation première, ou intergouvernementales, tel le Conseil de l'Europe, ont tôt pris position dans ce domaine, dont la responsabilité est pour l'essentiel laissée aux États membres, dans la diversité de leurs organisations administratives, les pouvoirs régionaux ou locaux ayant souvent d'importantes compétences en cette matière dans les États fédéraux ou décentralisés.

Dans notre pays, c'est l'État qui s'est doté très tôt des prérogatives nécessaires, non seulement à la conservation du patrimoine, mais aussi à son ouverture aux publics. L'ambition créatrice imprimée par André Malraux au « ministère des affaires culturelles » est emblématique : « assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel ». Elle s'entend à l'échelle nationale, même s'il fallait « rendre accessibles les grandes oeuvres de l'humanité ». Si le discours fondateur d'André Malraux à la conférence générale de l'Unesco invoque l'indivisibilité de l'art et du patrimoine mondial, c'est que l'Europe des Communautés a d'autres priorités.

En revanche, le Conseil de l'Europe fut, dès sa création, compétent dans le domaine culturel. L'article premier de son statut souligne la possibilité pour ses membres de « conclure des accords et d'adopter une action commune dans le domaine culturel ». 5 ( * ) Dès le 18 décembre 1954, par la Convention culturelle européenne, chaque État membre du Conseil de l'Europe s'engage à « prendre les mesures propres à sauvegarder son apport au patrimoine commun de l'Europe » et à en encourager le développement. 6 ( * ) Mais le cadre d'action reste ici intergouvernemental, donc essentiellement national.

S'agissant de l'Unesco, les États membres ont adopté la convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, lors de sa 17 e conférence générale, à Paris, le 16 novembre 1972.

b) Une vaste compétence d'appui de l'Union européenne

La culture fut longtemps envisagée par les Communautés européennes sous l'angle de sa vocation économique. Ainsi, l'un des premiers textes européens dédiés uniquement à la culture (une communication publiée en 1977 par la Commission européenne, intitulée « L'action communautaire dans le secteur culturel ») explique en introduction que son contenu n'est autre que « l'application du traité CEE à ce secteur ». Il s'agit de libre-échange, de liberté de circulation et d'établissement, d'harmonisation de la fiscalité et d'harmonisation des législations.

Il faut donc attendre le Traité sur l'Union européenne (appelé Traité de Maastricht), signé le 7 février 1992 et toujours en vigueur, pour que la Communauté économique européenne devienne l'Union européenne, et que se mettent en place de véritables politiques communes, notamment dans le domaine de la culture. Son préambule proclame, dès le deuxième paragraphe, que les signataires « s'inspir[ent] des héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe, à partir desquelles se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie et l'État de droit ».

Le sixième paragraphe du préambule affirme que les chefs d'État sont « désireux d'approfondir la solidarité entre leurs peuples dans le respect de leur histoire, de leur culture et de leurs traditions. »

L'article 3, paragraphe 3 dudit Traité exige de l'Union européenne qu'elle « veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel ».

Quant au Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), son article 6 explique que « l'Union dispose d'une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l'action des États membres » dans certains domaines et notamment la culture. Autrement dit, celle-ci fait partie des « compétences d'appui » de l'Union européenne. Soulignons que le tourisme, mais aussi l'éducation, la formation professionnelle, la jeunesse font également partie des domaines énumérés par cet article.

Certes, le respect du principe de subsidiarité s'impose, l'Union européenne ne pouvant intervenir dans le secteur culturel que si les objectifs de son intervention ne peuvent être atteints dans ce domaine par les États membres. C'est la raison pour laquelle la grande majorité des textes relatifs à la culture, et notamment au patrimoine, sont des communications de la Commission ou des recommandations du Conseil qui donnent simplement le point de vue des institutions européennes sur ce sujet et ne sont donc pas juridiquement contraignants pour les États-membres.

En vertu de l'article 167 du TFUE, consacré à la culture, le rôle de l'Union européenne dans ce domaine consiste à appuyer, coordonner ou compléter l'action des États membres. L'UE est donc pleinement fondée à agir en vertu de cette compétence d'appui.

L'article 167 dispose tout d'abord que « l'Union contribue à l'épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun ».

Puis, il précise : « L'action de l'Union vise à encourager la coopération entre États membres et, si nécessaire, à compléter leur action dans les domaines suivants :

- l'amélioration de la connaissance et de la diffusion de la culture et de l'histoire des peuples européens ;

- la conservation et la sauvegarde du patrimoine culturel d'importance européenne ;

- les échanges culturels non commerciaux ;

- la création artistique et littéraire, y compris dans le secteur audiovisuel. »

Il ajoute que « l'Union et les États membres favorisent la coopération avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes dans le domaine de la culture, et en particulier avec le Conseil de l'Europe ».

Enfin, « L'Union tient compte des aspects culturels dans son action au titre d'autres dispositions des traités, afin notamment de respecter et promouvoir la diversité de ses cultures ».

Ces quatre premiers alinéas de l'article 167 du TFUE ouvrent un vaste champ d'action en matière de patrimoine lato sensu. Même si « toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres » est par définition exclue, s'agissant d'une compétence d'appui, le Parlement européen et le Conseil peuvent adopter des « actions d'encouragement » et le Conseil, sur proposition de la Commission, des recommandations.

Ces compétences sont d'autant plus larges que le TFUE reconnaît également le rôle spécifique que joue le patrimoine dans la préservation de la diversité culturelle, de même que la nécessité d'assurer sa protection au sein du marché unique. Ainsi, l'article 36 dudit traité autorise les interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique. Plusieurs directives ou règlement ont été pris sur ce fondement et sur celui de l'article 114 du même traité relatif au marché intérieur. L'article 107 7 ( * ) du TFUE dispose que peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur les aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine. 8 ( * )

Outre les traités eux-mêmes, la Charte des droits fondamentaux de l'UE, dans son préambule, mentionne le « patrimoine spirituel et moral » et « le respect de la diversité des cultures et des traditions des peuples de l'Europe ». Les articles 13, relatif à la liberté artistique et académique, et 22, réaffirmant le respect de la diversité culturelle, religieuse et linguistique, sont également applicables au champ du patrimoine.

L'approche très progressive et prudente de la Commission, à l'égard de cette compétence d'appui, comme la diversité des statuts applicables et compétences relatives au patrimoine dans les différents États membres, expliquent sans doute que la politique patrimoniale ait été menée par touches successives.

B. UNE POLITIQUE PATRIMONIALE POINTILLISTE

Sur ces fondements, de nombreuses initiatives ont été prises et se sont accumulées au cours du temps, formant une véritable politique patrimoniale européenne, mobilisant des instruments divers et épars.

1. Une longue gestation

Le premier Conseil formel des ministres de la culture se tînt le 22 juin 1984, sous la présidence de Jack Lang. En 1985 fut lancé le programme des « capitales européennes de la culture », moteur en matière de patrimoine et d'attractivité culturelle 9 ( * ) .

Le premier programme d'action communautaire spécifique dans le domaine du patrimoine culturel fut le programme RAPHAEL, établi officiellement par la décision 10 ( * ) du 13 octobre 1997 du Parlement européen et du Conseil, pour la période allant du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2000. Les objectifs spécifiques du programme consistaient à :

- encourager la conservation et la restauration des éléments du patrimoine culturel qui présentent une importance européenne, en contribuant à leur valorisation et à leur rayonnement ;

- encourager le développement de la coopération transnationale entre les institutions et/ou les opérateurs du patrimoine culturel, afin de contribuer à la mise en commun du savoir-faire et des meilleures pratiques ;

- améliorer l'accès au patrimoine et encourager la participation active du grand public, et notamment des enfants, des jeunes, des personnes défavorisées ainsi que des personnes vivant dans les régions périphériques ou rurales.

Le programme disposait d'une enveloppe financière de 30 millions d'ECU pour la période concernée. Il était ouvert à la participation des pays associés d'Europe centrale et orientale, de Chypre, de Malte et des autres pays tiers ayant conclu des accords de coopération avec l'UE comportant des clauses culturelles.

Le premier programme-cadre pour la culture, en application du Traité de Maastricht, vit le jour le 1 er janvier 2000 et fut intitulé « Culture 2000 ».

Depuis lors, tous les quatre ans, les États membres élaborent un programme de travail en faveur de la culture. Ce programme définit les thèmes prioritaires devant faire l'objet d'une « méthode ouverte de coordination » (MOC), cadre principal de coopération culturelle européenne offert par la Commission européenne aux États membres dont l'objectif est de faciliter « la compréhension commune des problèmes et l'élaboration d'un consensus sur les solutions et leur mise en oeuvre concrète ». Cela conduit à l'organisation de réunions, de conférences, ou d'études par plusieurs groupes d'experts issus de plusieurs États membres. Il faut noter que ce programme de travail pour la période 2015-2018 comptait déjà le patrimoine culturel parmi ses quatre grands axes à développer.

2. Le label du patrimoine européen : une belle histoire qui n'en est qu'à ses débuts
a) Une initiative intergouvernementale communautarisée

Initiative française au départ, surgie des conclusions des rencontres pour l'Europe de la culture, qui réunirent à Paris, les 2 et 3 mai 2005, quelque 800 personnalités et acteurs européens de la culture, la création du label du patrimoine européen fut portée au niveau européen par Renaud Donnedieu de Vabres, alors ministre de la culture et de la communication, puis reçut très vite un fort soutien de l'Espagne et de la Grèce. En avril 2006, lors d'une réunion informelle à l'invitation de leur collègue espagnole, les ministres de la culture européens réunis à Grenade lancent l'initiative gouvernementale. Le 20 novembre 2008, sous présidence française, le Conseil de l'UE adopte des conclusions 11 ( * ) qui appelaient à transformer le label intergouvernemental du patrimoine européen, en une action de l'Union européenne.

Une décision du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 12 ( * ) établit une action de l'Union européenne pour le label du patrimoine européen, désormais communautarisé et ouvert à tous les États membres.

Ouvert à tous types de patrimoine, à condition qu'il soit emblématique de l'histoire longue de la construction européenne, le label intergouvernemental a été décerné à 68 sites dans 19 pays européens.

Le label décerné par l'Union européenne en a gardé l'orientation initiale : les sites, choisis tous les deux ans par un jury indépendant, à l'issue d'une sélection nationale, à raison d'un seul site par pays, doivent être témoins de l'héritage européen et choisis pour leur valeur symbolique , le rôle qu'ils ont joué dans l'histoire européenne et les activités qu'ils proposent, afin de rapprocher les Européens de leur histoire commune, de l'Union européenne et de ses valeurs démocratiques .

À ce jour, 48 sites européens ont été labellisés 13 ( * ) par l'UE dont 5 français : Cluny (Bourgogne), la maison de Robert Schuman (Lorraine), le quartier européen de Strasbourg (Alsace), l'ancien camp de concentration de Natzweiler et ses camps annexes (France-Allemagne), le lieu de Mémoire au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire).

Collège des Bernardins

b) Un bilan et des comparaisons qui font apparaître des lacunes

Au total, près de dix ans après, il revient à la présidence française actuelle de tirer un premier bilan, encourageant, de la mise en oeuvre de cette initiative, qui suscite beaucoup d'enthousiasme et fédère beaucoup d'énergies mais reste limitée dans les moyens qu'elle mobilise comme dans ses conséquences concrètes pour les sites. Elle concerne des lieux de mémoire de la construction européenne ou des valeurs qu'elle incarne, dont elle reconnaît la valeur patrimoniale, mais laisse de côté des pans entiers pourtant représentatifs du patrimoine européen.

La très grande compétence et l'engagement important des experts qui sont mobilisés par le processus de sélection tant au niveau européen qu'au niveau national et que le label permet de mettre en réseau avec les gestionnaires des sites retenus ne sont évidemment pas en cause. L'explication semble plutôt tenir aux critères très restrictifs : maximum un site par pays par année de sélection, avec une sélection tous les deux ans. Ce label est limité aux pays membres, contrairement au label intergouvernemental. Or il pourrait prendre tout son sens pour des sites européens de pays ayant une perspective de rapprochement avec l'UE. Par ailleurs, trois pays de l'UE ne comptent encore aucun site couvert par ce label, en dépit des efforts du jury pour atteindre une répartition géographique équitable.

Enfin, comme l'a relevé la Cour des comptes européenne, l'octroi de ce label ne donne droit à aucune aide financière, seulement à une communication sur le site, même si le fait d'avoir obtenu le label est souvent pris en compte pour l'obtention d'autres sources de financements. Mais ce n'est pas nécessairement lié.

L'Unesco et la Liste du patrimoine mondial, bien connue et très ouverte au patrimoine immatériel, offrent des comparaisons inspirantes, même si le concept et les modalités de ce label sont bien différents. Le rôle du centre du patrimoine mondial, coordinateur des initiatives nationales surgies des territoires, doit être souligné.

Quant au Conseil de l'Europe, il convient de relever, parmi les nombreuses initiatives qu'il a prises, le rôle fédérateur de l'institut des itinéraires culturels européens, qui accompagne et aide les projets labellisés, et qu'a valorisé l'accord partiel élargi sur les itinéraires culturels du Conseil de l'Europe du 20 décembre 2013 14 ( * ) .

Depuis le 20 mai 2021, cinq nouveaux itinéraires sont certifiés itinéraires culturels du Conseil de l'Europe, dont deux concernent la France, la route Alvar Aalto-Architecture et design du XX e siècle et la route européenne d'Artagnan, ce qui porte à 32 le nombre total de ces itinéraires sur le territoire français sur les 45 existants.

La certification, par le Conseil de l'Europe, de ces itinéraires touristiques et culturels, inaugurés par les chemins de Saint-Jacques de Compostelle en 1987, ont un impact sur le développement des territoires traversés, qui sont à 90 % ruraux.

Il y a, entre ces différents labels, des complémentarités et des spécificités qui nécessitent sans doute de les relier davantage, de voir plus grand et d'élargir les perspectives du label européen.

3. L'élan prometteur de l'année européenne du patrimoine culturel en 2018

L'Année européenne du patrimoine 2018 a rassemblé 12,8 millions de participants dans 23 000 événements (dont plus de 1 500 officiellement labellisés en France). Des plus petits villages aux villes les plus grandes, ils ont témoigné de l'attachement des Européens à leur patrimoine culturel.

La qualité de la coopération entre les nombreux et divers acteurs du patrimoine fut exemplaire : les 28 États membres y ont participé, de même que 9 pays non membres de l'UE, 38 organisations actives dans le domaine du patrimoine et 19 services de la Commission européenne ont travaillé main dans la main. Il faut souligner les progrès réalisés grâce à cette Année, dans la coordination des réseaux professionnels, par exemple le groupe d'experts pour le patrimoine culturel.

Un cadre européen d'action en faveur du patrimoine culturel a été élaboré à cette occasion pour forger un référentiel commun.

Les résultats attestés par les publics des manifestations proposées ont confirmé ceux d'une étude publiée par Eurostat en décembre 2017 posant la question : « comment les Européens perçoivent-ils leur patrimoine culturel ? ». Les chiffres sont édifiants : 84 % des citoyens interrogés convenaient de l'importance du patrimoine, 88 % estimaient que le patrimoine culturel devait être enseigné dans les écoles et 51 % des Européens se disaient personnellement impliqués dans le domaine du patrimoine culturel. Enfin, 68 % des Européens interrogés reconnaissaient que le patrimoine pouvait influer sur leur choix de destination de vacances.

C'était avant la crise sanitaire, bien sûr, qui a considérablement freiné l'élan de cette année exceptionnelle : la fréquentation des sites, mais aussi leur entretien et les échanges professionnels en ont sévèrement pâti. L'élan n'a pas été brisé, mais il doit être stimulé de nouveau, avec une force redoublée.

D'autant que la demande de qualité et de proximité augmente. En effet, la crise sanitaire a aussi nourri un mouvement de retour vers les territoires et d'attention au patrimoine, à tous les patrimoines, y compris le patrimoine paysager, et le patrimoine que l'on dit vernaculaire, pour ne pas le qualifier de « petit » ou ajouter « de proximité ».

4. La diversité des sources de financements reste peu lisible
a) Des programmes de la DG EAC de plus en plus structurés

La direction générale de l'éducation, de la jeunesse, du sport et de la culture (DG EAC) s'appuie, pour mener ses actions en faveur du patrimoine sur divers instruments financiers.

Le programme « Europe Créative » ne s'adresse pas qu'aux « industries » créatives et culturelles, il finance aussi des actions en faveur du patrimoine, même s'il n'intervient pas directement sur la restauration du patrimoine, et son budget est en très forte progression : il est doté de 2 442 milliards d'euros pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027, en augmentation de 63 % par rapport au programme 2014-2020.

Le volet culture représente au moins 33 % de ce total et le volet transsectoriel jusqu'à 9 %.

Il faut y ajouter le programme Erasmus + qui renforce les compétences et l'employabilité par l'éducation, la formation, la jeunesse et le sport. Les principales possibilités de financement pour le secteur du patrimoine culturel relèvent de l'action clé n° 2 du programme Erasmus + intitulée « coopération en faveur de l'innovation et de l'échange de bonnes pratiques ».

Le programme intervient dans les domaines suivants :

- partenariats stratégiques ;

- renforcement des capacités dans le domaine de l'enseignement supérieur ;

- projets de renforcement des capacités dans le domaine de la jeunesse ;

- alliances de la connaissance ;

- alliances pour les compétences sectorielles.

Au cours de l'Année européenne du patrimoine culturel, Erasmus + a octroyé près de 92 millions d'euros à 965 projets de coopération et de mobilité portant sur le patrimoine culturel.

Par ailleurs, l'UE soutient la recherche sur le patrimoine par l'intermédiaire de ses programmes de recherche. Horizon 2020, le programme-cadre de l'UE pour la recherche et l'innovation, était doté d'un budget de 80 milliards d'euros sur la période 2014-2020. Les trois piliers du programme de soutien à la recherche sur le patrimoine sont les suivants :

- excellence scientifique ;

- primauté industrielle ;

- problématiques sociétales.

Le nouveau programme-cadre pour la recherche et l'innovation s'intituler Horizon Europe. La promotion du patrimoine culturel relève du pôle 2 du pilier 2 « Culture, créativité et société inclusive ».

Les activités de recherche et d'innovation de ce pôle viseront notamment à améliorer la protection, la valorisation, la conservation et l'efficacité de la restauration du patrimoine culturel européen.

En outre, le programme « L'Europe pour les citoyens » vise à mieux faire connaître l'UE, son histoire et sa diversité. Il encourage également les citoyens à participer aux processus démocratiques au niveau de l'UE.

Une partie importante du programme est axée sur le travail de mémoire, en lien avec le patrimoine et l'histoire.

Les projets de jumelages entre collectivités territoriales englobent également des activités liées au patrimoine, ainsi que la promotion de la participation et de l'engagement civiques au niveau de l'UE.

b) Une contribution très importante mais dispersée des fonds régionaux

Le FEDER (Fonds européen de développement régional) peut contribuer au financement de tout projet visant à « préserver et protéger l'environnement... en conservant, protégeant, favorisant et développant le patrimoine naturel et culturel ». Le FEDER a aidé à la restauration de la Baie du mont Saint Michel par exemple.

Les dépenses en faveur de la culture représenteraient, pour la période de programmation 2014-2020, environ 4,7 milliards d'euros, soit 2,3 % du total du FEDER, selon la Cour des comptes européenne, dans un rapport spécial d'audit d'août 2020 intitulé « Les investissements de l'UE dans les sites culturels gagneraient à être mieux ciblés et coordonnés » 15 ( * ) . Elle relevait que l'exercice de cartographie des fonds de l'UE disponibles pour les actions dans le domaine culturel, auquel s'était livré la Commission, « n'était pas exhaustif » et « n'a pas permis de recueillir des données détaillées et actualisées sur les montants des financements alloués et dépensés par l'UE en faveur du patrimoine (...) ». Et d'ajouter, « il n'existe à ce jour, au niveau de l'UE, aucun cadre obligatoire pour la collecte de données et l'établissement de rapports sur la culture ou sur les sites culturels ».

Concernant période 2010-2017, la Cour des comptes européennes a constaté que les montants investis au titre du FEDER dans les sites culturels se sont élevés à quelque 750 millions d'euros par an. Ils représentaient plus de 25 % de tous les investissements publics culturels dans environ un tiers des États membres et plus de 50 % au Portugal et en Grèce 16 ( * ) .

Toutefois, la Cour des Comptes européenne relève que « les investissements dans les sites culturels ne sont pas considérés comme une priorité du FEDER ». En effet, celui-ci soutient un autre objectif du traité, qui est la cohésion sociale, économique et territoriale. Même si le patrimoine contribue à cette cohésion, la Commission, pour sa part, tend à renvoyer à la compétence des États membres.

En France, ce sont les régions qui sont chargées de la gestion de ces fonds. Elles déploient des efforts importants et croissants pour accompagner les projets patrimoniaux à ce titre. Les appels d'offres nécessitent souvent une expertise et une ingénierie complexes que peuvent apporter les élus et les collectivités, mais aussi des structures dédiées, notamment associatives, comme les Relais Culture Europe, via des conventionnements avec les collectivités et les opérateurs, comme c'est le cas, par exemple, dans la région Normandie.

Depuis peu, la Commission européenne vient de mettre en ligne un guide interactif de financement, dénommé CulturEU 17 ( * ) , destiné à aider et à inspirer les secteurs de la culture et de la création dans la recherche des principales possibilités de financement de l'UE. Malheureusement ce guide n'est disponible à ce jour qu'en anglais. Les services de la Commission ont assuré aux rapporteurs qu'une traduction était en cours. Pour l'instant n'est proposée qu'une traduction automatique, page à page. Il importe qu'il soit traduit intégralement en français pendant la présidence française. Il reste que le montant des fonds disponibles au titre du FEDER n'y est mentionné que globalement.

Pour sa part, le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) soutient « les études et les investissements liés à l'entretien, à la restauration et à la réhabilitation du patrimoine culturel et naturel des villages, des paysages ruraux et des sites à haute valeur naturelle ».

Compte tenu des difficultés de la profession agricole, qui concentre naturellement l'essentiel des interventions, c'est l'axe « Liaison Entre Actions de Développement de l'Économie Rurale » ( LEADER) , de ce fonds, qui offre le plus d'opportunités pour soutenir des actions patrimoniales. La sélection des opérations est confiée dans certaines régions, au plus près du terrain, à des groupes d'action locale, constitués d'acteurs publics et privés d'un bassin de vie. Malgré leur montant parfois modeste, les financements LEADER constituent néanmoins un outil important permettant de concrétiser des projets de dimension locale en milieu rural .

Des projets de coopération transfrontalière entre partenaires de différentes collectivités européennes sont aussi possibles dans le cadre du programme de coopération territoriale INTERREG.

Le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) finance quant à lui des projets de développement, mis en oeuvre par des acteurs locaux, visant à promouvoir le patrimoine, notamment maritime, dans les zones de pêche.

Le Fonds social européen FSE+ est le principal dispositif européen de soutien à l'emploi. Il intervient pour aider les personnes à trouver des emplois de meilleure qualité et pour offrir des perspectives professionnelles plus équitables à tous les citoyens de l'UE ; il peut également être utilisé pour favoriser la formation à la restauration du patrimoine.

Enfin, le programme LIFE, consacré à la lutte contre le changement climatique, doté d'un budget total de 5,4 milliards d'euros pour la période 2021-2027, peut également financer des actions en faveur du patrimoine culturel et naturel, ainsi que le programme Connecting EU, via les bourses pour le projet de numérisation du patrimoine Europeana, et le programme InvestEU.

Cette liste des principaux fonds européens utilisés pour le patrimoine est loin d'être exhaustive, le guide en ligne précité pouvant utilement permettre de la compléter.

De grands efforts sont encore souhaitables pour faire renaître « l'approche intégrée » du patrimoine appelée de ses voeux par la Commission dès 2014 et ranimer l'élan constaté lors de l'Année européenne du patrimoine, dans le cadre de l'actuel programme de travail de la Commission, et en s'appuyant sur les collectivités territoriales et les élus.

De fait, la place de la culture au sein de la politique de cohésion s'est réduite depuis une quinzaine d'années , et plus particulièrement sur la période 2014-2020. En effet, les programmes européens ont vu sur cette période leurs objectifs s'aligner sur ceux de la stratégie Europe 2020 18 ( * ) , au sein de laquelle la culture occupe une place secondaire.

II. AFFIRMER UNE VÉRITABLE POLITIQUE EUROPÉENNE DU PATRIMOINE

En s'appuyant sur les textes fondateurs de l'Union européenne, il est légitime d'affirmer une véritable politique en faveur du patrimoine. Celle-ci doit être revendiquée, rendue lisible et cohérente et rendue accessible à ceux qui en sont les acteurs, élus, collectivités, organismes publics et privés, associations et fondations.

La Présidence française du Conseil de l'Union européenne est une opportunité à saisir pour impulser un sursaut et affirmer cette politique européenne du patrimoine en valorisant les territoires.

A. AFFIRMER LE RÔLE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DANS LA POLITIQUE PATRIMONIALE EUROPÉENNE POUR DÉVELOPPER L'ATTRACTIVITÉ DES TERRITOIRES EUROPÉENS

La période post-pandémique où nous entrons est propice pour développer le patrimoine comme levier d'attractivité et de tourisme.

1. S'appuyer sur l'exemple des petites Cités de caractère pour créer un réseau européen

Le réseau territorial de l'association Petites Cités de caractère est né en 1975 en Bretagne et comprend aujourd'hui près de 200 communes en France. Présidée par la sénatrice Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, cette association peut fournir un exemple inspirant pour une action européenne élargie et renouvelée dans ce domaine, s'appuyant sur l'expérience des élus de terrain, autour de la valorisation du patrimoine de leurs communes 19 ( * ) .

Le patrimoine, culturel, naturel et paysager a des effets d'entraînement en termes de croissance, de créations d'emplois, notamment dans le secteur du tourisme, mais aussi de développement durable et d'attractivité des territoires.

Les aspirations des Européens en matière de qualité du cadre de vie se sont renforcées avec la pandémie qui a accentué un mouvement observé auparavant, vers les villes petites et moyennes, ou les espaces ruraux. 20 ( * ) Pour certains chercheurs, c'est une véritable transition sociétale qui est en cours. Les élus locaux, au plus près du terrain, observent et accompagnent cette profonde évolution qualitative qui paraît constituer une tendance lourde. Le patrimoine, culturel, mais aussi naturel et paysager, apparaît comme un facteur clé de cette évolution.

Celle-ci ne touche pas que les « nouveaux » habitants de nos cités et de nos villages, mais s'étend aussi à une nouvelle conception du tourisme, plus durable, un tourisme de sens, de valeurs et de partage culturel, à laquelle le patrimoine des petites cités de caractère correspond.

Il en va de même des itinéraires culturels, qui peuvent contribuer à développer un tourisme d'itinérance, en dehors ou en complément des plus hauts lieux, qui aura pour effet de répartir les flux.

La crise sanitaire a accéléré l'évolution vers un tourisme plus localisé, plus soucieux du développement durable dans ses multiples dimensions : l'usage des transports et l'empreinte carbone, le développement local et les circuits courts, la protection de la biodiversité et des paysages, les itinérances douces.

Les expériences en ce domaine sont légion. Celles qui sont portées par le réseau des petites cités de caractère ont vocation à essaimer ou à rencontrer des expériences similaires au niveau européen, centrées sur cette nouvelle conception du patrimoine, en parfaite cohérence avec les priorités du pacte vert de la Commission européenne.

Il s'agit d'ouvrir et de nourrir un réseau d'échanges de bonnes pratiques territoriales à l'échelle européenne. De nombreuses collectivités, de nombreux acteurs sont tout à fait disposés à le faire, comme le montrent les réponses reçues 21 ( * ) par les rapporteurs au questionnaire envoyé à l'été 2021 aux services culturels de nos ambassades dans les pays de l'UE, notamment en Espagne (Communauté autonome de Castilla y Léon), en Italie (région de Vénétie), mais aussi en Lettonie.

C'est pourquoi il importe de fédérer les élus territoriaux européens en faveur du patrimoine et de créer un réseau européen des cités et territoires de caractère.

Ce réseau pourrait être soutenu par la Commission européenne, au titre du programme Europe Créative, « le patrimoine culturel en action », et déboucher sur un nouveau prix du patrimoine européen de proximité.

2. Rendre lisible et cohérente la politique de labellisation en valorisant le label du patrimoine au sein d'une nouvelle Liste européenne du patrimoine.

Pour approfondir et étendre la dynamique du label du patrimoine européen, plusieurs pistes sont à explorer.

Dans un premier temps, il s'agirait de renforcer le rôle des coordinateurs nationaux, qui forment un réseau expérimenté, et dont le rôle correspond en partie à celui du centre du patrimoine mondial de l'Unesco, puis de réviser la décision de 2011 afin d'en revoir les critères, d'enrichir le contenu du label, de l'approfondir et d'en étendre le champ. Un groupe de travail ad hoc pourra être créé à partir du groupe d'experts sur le patrimoine, mais qui devra comporter des correspondants de la direction générale des réseaux numériques, du contenu et des technologies (DG CONNECT), de la direction générale de la politique régionale et urbaine (DG REGIO) et de la direction générale de l'agriculture et du développement rural (DG AGRI) de la Commission européenne, le cas échéant, afin d'établir une liaison avec les divers sources de financement existants et que soient explicités et définis les liens entre le label et les financements.

Deux options méritent examen : soit un maintien et une extension de l'existant, soit un changement plus profond.

Dans le second cas, il faudrait desserrer les contraintes actuelles, pour inclure les pays qui ne sont pas couverts, permettre les candidatures transnationales, et surtout doter l'attribution du label de moyens ou d'une liaison vers les fonds existants.

Dans tous les cas, le caractère transsectoriel du patrimoine, participant de la transition écologique en faveur de développement durable, doit être affirmé plus nettement encore. À cette fin, une « mission » transversale dédiée au patrimoine européen, fondé sur le patrimoine culturel mais englobant le patrimoine environnant, pourrait être créée pour fédérer les initiatives et encourager les candidatures.

3. Créer une « Liste du patrimoine européen » articulée notamment avec la Liste du patrimoine mondial de l'Unesco et les itinéraires culturels du Conseil de l'Europe

Il ne s'agit pas de rajouter une touche supplémentaire dans un paysage déjà très pointilliste, mais au contraire, de tenter une harmonisation « par le haut » de ce paysage. Au cas où l'option de changement plus radical préconisée ci-dessus serait retenue pour métamorphoser le label du patrimoine européen, l'architecture des labels et prix existants, dans le cadre de l'UE, mériterait d'être restructurée afin :

1°) de l'articuler avec celle des labels de l'Unesco et du Conseil de l'Europe ;

2°) de renforcer sa hiérarchisation thématique et, partant, sa cohérence et sa visibilité.

La liste du « patrimoine européen que cela permettrait d'élaborer comprendrait :

1°) les « merveilles de l'Europe », grands sites et monuments historiques ou naturels, dont ceux inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l'Unesco, mais aussi les éléments du patrimoine immatériel classés sur celle-ci ;

2°) les « mémoires de l'Europe », lieux de mémoire, maisons des illustres européens et éléments du patrimoine immatériel ancestral et remarquables qui ne seraient pas classés au titre de l'Unesco ;

3°) les « fiertés de l'Europe » regrouperaient le patrimoine vernaculaire ou de proximité, y compris le patrimoine rural, notamment celui qui bénéficie des aides du FEADER via les régions, mais pourraient inclure le « petit » patrimoine, tels les lavoirs, calvaires, croix, etc., mais aussi le patrimoine immatériel tel que les savoir-faire artisanaux régionaux, qui font la diversité de l'Europe ; ainsi la notion de patrimoine d'intérêt européen serait reliée au local, au régional ;

4°) ces différents niveaux seraient reliés entre eux par les « routes de l'Europe », qui reprendraient les itinéraires culturels du Conseil de l'Europe et leurs carrefours, bien identifiés et passeraient par de petites cités de caractère.

Ce maillage serait doté de moyens et d'une signalétique renforcée et visible, qui matérialiserait le sentiment d'appartenance et l'identité européenne des lieux et régions d'Europe.

Il importe de souligner qu'il ne s'agit pas d'une création ex nihilo mais d'une mise en relation, en synergie, en dynamique participative des réseaux existants, au niveau européen.

Sans doute faut-il mieux connaître les fonds existants, renforcer les dispositifs existants, relier explicitement le FEDER et INTERREG en particulier au patrimoine, pour mieux les utiliser en accompagnant les porteurs de projets. Dans un contexte de ressources publiques limitées, il convient aussi de poser la question de moyens nouveaux.

B. RENFORCER LES DISPOSITIFS EXISTANTS ET LES CONSOLIDER EN MOBILISANT DE NOUVELLES SOURCES DE FINANCEMENT EN FAVEUR DU PATRIMOINE EUROPÉEN

1. Promouvoir un Loto du patrimoine européen et créer une Fondation européenne du patrimoine

L'exemple français tire les leçons des expériences pratiquées de longue date dans des pays membres ou ex-membres de l'UE : le National Heritage Fund au Royaume-Uni, la GlückSpirale en Allemagne, la BankGiroLoterij aux Pays-Bas, le Lottomatica en Italie.

Dès sa première année en 2019, l'opération française du loto du patrimoine a permis de récolter 50 millions d'euros supplémentaires pour le patrimoine en danger. Outre ces moyens nouveaux, on note une augmentation significative des financements privés induits : le gain de notoriété et la visibilité accrue des projets ont permis d'accroître de 6 millions d'euros les ressources des monuments concernés, tant en mécénat qu'en financements participatifs ( crowdfunding ) et par l'augmentation du nombre de visiteurs. Ces fonds ont financé la restauration de 270 monuments historiques, dont 18 sites emblématiques, un par régions identifiés par la mission dirigée par Stéphane Bern en liaison avec la fondation du patrimoine et le ministère de la culture et de la communication.

La Commission européenne n'étant juridiquement pas habilitée à recevoir de tels fonds, la transposition d'un tel modèle aux pays volontaires voire à l'ensemble des États membres nécessiterait de passer par une Fondation européenne du patrimoine, qui pourrait être une fondation de droit national, ou, mieux une fondation européenne, ce qui implique de remettre sur le métier le projet de statut de fondation européenne qui avait été retiré de l'agenda législatif en 2014 par la précédente Commission européenne, en raison de l'absence d'unanimité, requise en matière fiscale.

Un tel statut permettrait aussi d'attirer un mécénat européen vers ces projets.

2. D'autres voies novatrices à étudier : la tarification différenciée et le droit des marques

Les besoins de restauration des grands sites et monuments les plus fréquentés augmentent au fur et à mesure de leur surfréquentation, dont on peut penser qu'elle tendra à se poursuivre dès que les restrictions de circulation liées à la crise sanitaire seront levées. De même, l'intérêt croissant des citoyens, des élus et des territoires pour le patrimoine de proximité risque d'augmenter les besoins de financements exigés par la protection du patrimoine de proximité.

Face à cette évolution, il convient d'étudier de nouvelles sources de financement.

a) La tarification différenciée

La tarification différenciée permettrait de générer des ressources liées directement à la fréquentation du monument, qui sont des ressources propres pour l'établissement gestionnaire du site ou du monument. Par surcroît, des ressources fiscales sont générées par la TVA associée.

La fréquentation massive abîme les grands sites : les Européens doivent-ils seuls ou en grande majorité en supporter la charge (par les prélèvements obligatoires), là où les visiteurs extra-européens sont les plus nombreux ?

Aussi pourrait-on envisager d'appliquer un tarif d'entrée différent aux visiteurs, selon qu'ils sont ou non ressortissants de l'Union européenne ou de pays associés au titre de l'élargissement ou du partenariat oriental. Cette distinction, respectueuse du principe de non-discrimination au sein de l'Union européenne, permettrait de faire participer les touristes extra-européens davantage que les contribuables européens à la protection et à l'entretien du patrimoine européen qu'ils visitent.

b) Protéger les marques patrimoniales

Une autre voie est ouverte par la protection du droit des marques. Les noms de lieux les plus emblématiques où se trouvent les monuments et sites les plus renommés peuvent être actuellement dénués de protection à ce titre, soit qu'ils aient cédé leurs droits (cas de Vendôme) ; soit qu'ils aient été exposés, pour la production de produits dérivés dans le cadre de la déclinaison de leur marque et de la recherche de nouvelles ressources, aux prétentions de compagnies extra-européennes privées leur demandant de payer des droits sur leur propre nom (cas de Chambord).

Il s'agit de conserver un droit de regard aux gestionnaires des lieux et sites sur leur marque, afin qu'ils puissent tenir compte de l'utilisation qui en est faite, et, le cas échéant, percevoir des ressources correspondantes.

Au-delà de la jurisprudence 22 ( * ) et des législations nationales applicables en la matière, il convient d'inciter les responsables à appliquer les règles en vigueur pour déposer et mieux protéger leurs marques.

III. LE PATRIMOINE EUROPÉEN : UN CHANTIER D'AVENIR OPPORTUN ET PROMETTEUR

A. LE GRAND CHANTIER DU « NOUVEAU BAUHAUS » EUROPÉEN : UN APPEL TRANSVERSAL A LA CRÉATION EUROPÉENNE POUR UN PATRIMOINE EUROPÉEN

1. L'engagement de la présidente von der Leyen : une démarche transversale pilotée au plus haut niveau de la Commission

Lancé par la présidente de la Commission européenne dans son discours sur l'état de l'Union du 15 septembre 2020, le « nouveau Bauhaus européen » est un projet environnemental, économique et culturel visant à concevoir de futurs modes de vies plus esthétiques, durables et inclusifs, à la croisée des chemins entre l'art, la culture, l'inclusion sociale, la science et la technologie. Mme von der Leyen a précisé dans son discours sur l'état de l'Union du 15 septembre 2021, que ce projet fait le lien entre les enjeux globaux liés au réchauffement climatique et les préoccupations plus locales des citoyens. En somme, il confère une dimension culturelle au pacte vert pour l'Europe. Conception, durabilité, accessibilité, et esthétisme sont les maîtres mots de ce nouveau projet, porté par Ursula Von der Leyen et qui a fait l'objet d'une communication de la Commission européenne le 15 septembre 2021 23 ( * ) .

La commissaire européenne chargée de la politique de cohésion, Elisa Ferreira, s'est elle aussi exprimée sur l'intérêt d'un nouveau Bauhaus européen en ces termes : « Grâce à son approche transdisciplinaire et participative, le nouveau Bauhaus européen renforce le rôle des collectivités locales et régionales, des entreprises, des acteurs de l'innovation et les esprits créatifs qui coopèrent pour améliorer notre qualité de vie. La politique de cohésion permettra de transformer les idées nouvelles en mesures concrètes au niveau local. »

2. Les effets de levier souhaitables sur le regroupement des financements

Le programme étant totalement transversal, il puisera dans les sources de financement existantes, en deux volets.

D'une part, le financement sera issu de différents programmes de l'Union européenne tels que le programme Horizon Europe pour la recherche et l'innovation, le programme LIFE en faveur de l'environnement et de l'action pour le climat, et le FEDER.

D'autre part, la Commission invitera les États membres à appliquer les valeurs fondamentales du nouveau Bauhaus européen dans leurs stratégies de développement territorial et socio-économique et à mobiliser en ce sens les volets concernés de leurs plans pour la reprise et la résilience, ainsi que les programmes relevant de la politique de cohésion.

Fondé sur des appels d'offres spécifiques, ainsi que sur la remise de prix annuels et sur un festival annuel dont la première édition aura lieu au printemps à Bruxelles, ce nouveau programme peut constituer une chance de faire valoir l'impératif d'intégration du patrimoine et de l'architecture, y compris paysagère et de proximité. Ce peut être une belle occasion pour un rôle plus actif des architectes, ce qu'a bien saisi le conseil des architectes de l'Europe, dans une récente déclaration. 24 ( * )

Ce nouveau programme coïncide avec l'année européenne de la jeunesse, autre levier prometteur pour valoriser le patrimoine européen.

B. PATRIMOINE ET RÉSILIENCE, UN LIEN À CONSOLIDER

1. Mettre en valeur le rôle écologique du patrimoine

Le patrimoine, y compris paysager est un facteur de résilience, de protection, un bouclier face aux défis du changement climatique, comme l'a montré le tout récent Livre vert sur le patrimoine culturel européen, publié en février 2022, par Europa Nostra en partenariat avec le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), avec le soutien de la Commission européenne et de la Banque européenne d'investissement.

L'enjeu de la qualité du patrimoine et du bâti de proximité doit être pleinement pris en compte parmi les priorités de l'UE en faveur du pacte Vert.

2. Renforcer le rôle du patrimoine comme ciment social en le rendant plus visible et plus accessible

Afin que le patrimoine européen apparaisse davantage dans les imaginaires et les narratifs proposés à la jeunesse de l'Europe et du monde, le programme Europe Créative, dans son volet médias qui est le plus doté, devrait être mobiliser pour aider à la création de contenus numériques innovants fondés sur des récits enracinés dans le patrimoine européen pour les séries diffusées sur internet, les jeux vidéo, les formats courts sur les réseaux sociaux, etc.

Dans le même esprit, pour renforcer l'accessibilité du patrimoine grâce au multilinguisme , il est proposé de créer une aide à la traduction et à la publication sur tous supports (papier et numérique) pour la promotion du patrimoine européen, toujours dans le cadre d'Europe créative.

De même, imprimer de nouveaux billets en euro avec des images représentant les fleurons du patrimoine européen, voire des éléments plus modestes de la Liste du patrimoine européen, ou du label du patrimoine européen, participerait à la diffusion de son image, à son appropriation par les citoyens européens, à en faire une source de fierté, d'identité, d'échanges, de solidarité.

Enfin, pour le rendre plus accessible à tous, forger un « grand récit » européen du patrimoine, fait d'une multitude d'histoires, pour nourrir les imaginaires et raconter l'Europe, il conviendrait d'inciter à inscrire le patrimoine européen au cahier des charges des médias de service public, grâce à l'Union européenne de radiodiffusion, (UER), présidée par Mme Delphine Ernotte-Cunci, présidente de France-Télévisions, afin de développer la production et la diffusion d'émissions d'information, de documentaires, mais aussi de fictions.

Dans ce domaine, il convient de saluer et de soutenir, en particulier, l'action de la chaîne Arte .

3. Accroître la résilience du patrimoine face aux périls qui le menacent

Dans ses conclusions du 21 juin 2021 25 ( * ) , le Conseil a développé l'approche de l'UE à l'égard du patrimoine culturel en période de conflit et de crise, appuyée sur l'expertise du Service européen d'action extérieure (SEAE) et sur les compétences des Etats membres.

Pour accroître la résilience du patrimoine face aux bouleversements climatiques et aux catastrophes, mieux protéger le patrimoine et donner à l'UE des moyens d'action et d'intervention renforcés dans ce domaine pour les pays membres, mais aussi pour les pays candidats, et ceux du partenriat oriental. Au-delà des interventions d'urgence ponctuelles, pour manifester concrètement la solidarité européenne. Face au risque sismique (par exemple en Croatie), ou aux inondations, il faut envisager la création d'un Fonds de sauvegarde du patrimoine en péril. Celui-ci s'appuierait sur l'expertise et les échanges de bonne pratique entre spécialistes des Etats membres, de la Commission et des organisations partenaires, tel ICOMOS.

Il s'étendrait au patrimoine menacé par la guerre, à l'heure où celle-ci sévit en l'Ukraine.

C. L'ANNÉE EUROPÉENNE DE LA JEUNESSE : UNE CHANCE À SAISIR POUR LE PATRIMOINE EUROPÉEN, UN HÉRITAGE A TRANSMETTRE

L'année européenne de la jeunesse poursuit cinq objectifs principaux :

- mettre en évidence la manière dont les transitions écologique et numérique offrent des possibilités aux jeunes

- aider les jeunes à devenir des citoyens actifs et engagés

- promouvoir les possibilités offertes aux jeunes

- intégrer le point de vue de la jeunesse dans les politiques de l'Union

- créer un site web dédié avec des activités, une section d'actualité, la voix des jeunes Européens représentée.

1. Favoriser l'accès au patrimoine grâce au numérique

S'il est axé sur le pacte vert, le nouveau Bauhaus comprend précisément un volet numérique.

En ce domaine, il convient d'accélérer le développement et surtout la visibilité de la base de données du patrimoine numérisé européen Européana, qui contient essentiellement des documents écrits .

Dans le cadre de l'année européenne de la jeunesse 2022, il convient d'utiliser toutes les ressources possibles, et notamment Europe Créative, pour inciter à la création de plateformes numériques locales en réseau européen, adossées aux labels et à la liste, et au développement d'applications mobiles pour mieux faire connaître les sites et inciter les jeunes à venir les visiter : le numérique, en matière de patrimoine, n'est pas tant une fin en soi qu'un moyen d'ouvrir le plus largement l'accès au patrimoine.

2. Promouvoir l'engagement des jeunes en faveur du patrimoine

Erasmus+ est un programme destiné à la mobilité des jeunes : un volet dédié au patrimoine pourrait être identifié dans ce programme et mis en valeur à l'occasion de cette année, à la fois en termes de moyens et de communication, avec un circuit des chantiers de jeunesse européens du patrimoine, doté d'un prix dédié.

Il conviendrait également de développer la formation au patrimoine, l'éducation au patrimoine européen et l'enseignement des compétences professionnelles .

Les programmes et projets suivants, mis en oeuvre par la Commission européenne, pourraient être utilisés pour créer une Académie européenne du patrimoine, destinée à susciter des vocations et à constituer un centre de ressources permanent, pour rendre les métiers et savoirs du patrimoine attractifs :

- les écoles d'architecture, qui ont déjà développé des liens bilatéraux avec leurs partenaires dans d'autres pays d'Europe ;

- INCREAS qui relie le secteur du patrimoine aux secteurs de la culture et de la création et propose des solutions innovantes et créatives en matière d'éducation ;

- CHARTER qui recense les déficits de compétences dans le secteur du patrimoine et propose des formations et des programmes pour le développement de nouvelles compétences pour les professionnels du patrimoine culturel ;

- Projet conjoint UNESCO/UE: Engaging Youth for an Inclusive and Sustainable Europe ;

- le Forum européen des jeunes professionnels du patrimoine.

En complément, la Commission européenne pourrait encourager la création de contenus pédagogiques, sur l'ensemble des facettes du patrimoine européen, ainsi qu'elle le fait par la sensibilisation et l'apprentissage du patrimoine culturel immatériel dans le réseau des écoles associées de l'UNESCO dans l'ensemble de l'UE, et mettre à disposition un kit de ressources pour les enseignants.

CONCLUSION GÉNÉRALE

« L'histoire est mouvement. Au sein de ce mouvement, l'Europe est construction. Elle se fait lentement, dans la longue durée, comme toutes les créations historiques d'importance. » Jacques Le Goff, Visions d'Europe.

Ce rapport se veut un rapport d'étape, formulant quelques propositions ouvertes à la discussion, à l'échange, à la réflexion pour unir les efforts de tous pour faire vivre le patrimoine européen.

Ces propositions, si l'embellie sanitaire le permet, ont vocation à donner lieu à discussions avec des responsables des institutions européennes et les parlementaires des autres États membres et du Parlement européen, pour agir de concert.

Le patrimoine, culturel et naturel, traverse toutes les priorités actuelles d'action de la Commission européenne : la double transition écologique et numérique, l'inclusion sociale, la jeunesse. Car il est avant tout un héritage à transmettre.

Mieux valoriser le patrimoine européen, c'est améliorer, à long terme, la résilience des citoyens européens, le cadre de vie post-pandémique et quotidien des Européens et leur sentiment d'appartenance à l'Europe. C'est aussi maintenir et développer le rayonnement de l'Europe dans le monde face aux autres puissances.

Puisse la présidence française fournir l'occasion de raviver l'élan européen en faveur du patrimoine, qui constitue un lien fort entre tous les Européens : un véritable plan de reliance !

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le 1 er mars 2022 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par Mme Catherine Morin-Desailly, et M. Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteurs, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean-François Rapin , président . - Nous passons au second point de notre ordre du jour : l'Europe de la culture et du patrimoine. Nos collègues Catherine Morin-Desailly et Louis-Jean de Nicolaÿ ont entrepris il y a plusieurs mois un travail approfondi sur ce sujet. Il s'agit d'un sujet de fond, qui est particulièrement important - en ce qu'il constitue le socle de la construction européenne. Le partage d'un patrimoine commun est en effet notre ciment et participe au sentiment d'appartenance dont la Présidence française a fait un enjeu primordial. Nous allons donc écouter les rapporteurs avec intérêt.

Mme Catherine Morin-Desailly , rapporteure . - L'Acte constitutif de l'Unesco, du 16 novembre 1945, commence par ces mots : « Les guerres naissant dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes qu'il faut élever les défenses de la paix. » Cette phrase résonne particulièrement alors que la guerre est aux portes de l'Europe. Il peut paraître décalé de parler culture et patrimoine par les temps qui courent ; il est bon de rappeler qu'il s'agit là de ce qui forge notre identité européenne et nourrit notre sentiment d'appartenance, en renforçant la cohésion de l'Union et en favorisant la transmission et le partage de nos valeurs. Jean Monnet disait : « Notre mission n'est pas de coaliser des États, mais d'unir des hommes. » Témoin de l'Histoire de l'Europe et de sa longue construction au fil des siècles, le patrimoine n'est pas fait que de vieilles pierres : il parle au coeur des Européens. Il n'est pas l'expression d'une nostalgie, mais d'un enracinement, source de fierté et d'une identité partagée, européenne, nationale et régionale, que nous voulons ouverte sur l'avenir.

Avec Louis-Jean de Nicolaÿ, nous voulions profiter de la présidence française de l'Union pour dresser un bilan des politiques en faveur du patrimoine et, surtout, réfléchir à la manière de dynamiser la politique européenne du patrimoine. L'idée est de la rendre à la fois plus revendiquée et plus lisible, tout en esquissant quelques lignes de force pour l'avenir. C'est un travail au long cours, et ce rapport n'est au fond qu'un rapport d'étape.

L'écrivain et philosophe George Steiner affiche, en tête des cinq critères qu'il propose pour définir l'identité européenne, les cafés qui, dit-il, font l'Europe ; en deuxième critère, il place le paysage humanisé : l'Europe a été, et reste, parcourue à pied. Il ajoute encore que la dignité de l'homme européen réside dans la création de beauté. Nous pourrions multiplier les exemples de l'identité esthétique européenne : il existe une Europe des cathédrales, une Europe des foires et des marchés, une Europe des théâtres, des ports de pêche, des monastères, des universités...

Paradoxalement, la prise en compte du patrimoine par l'Union européenne a été très progressive, voire très lente. Notre rapport en rappelle toutes les étapes. Ce n'est pas avant le traité de Maastricht, en 1992, que le patrimoine a été intégré aux politiques européennes. En fait, la prise en compte du patrimoine de l'Europe a été extérieure au système communautaire. Elle fut d'abord le fait de l'Unesco, puis du Conseil de l'Europe qui, très tôt, avaient intégré dans leur politique la prise en compte de la culture et du patrimoine.

L'article 6 du Traité sur l'Union européenne (TUE) place le patrimoine parmi les compétences d'appui de l'Union européenne. En vertu de son article 167, l'Union est pleinement fondée à agir en vertu de cette compétence d'appui, qui ne remet aucunement en cause les politiques nationales. Il n'y a pas de visée d'harmonisation des politiques publiques nationales dans ce domaine.

Ainsi, non explicitement revendiquée comme telle, la politique patrimoniale a été menée par touches successives, sans grande cohérence, il faut l'admettre, et sans beaucoup de lisibilité. Notre rapport parle d'une construction lente et d'une politique pointilliste...

Pour citer quelques exemples de ces initiatives, le Label du Patrimoine européen est parti d'une initiative française, due à Renaud Donnedieu de Vabres, puis intergouvernementale, avant de relever de l'action de l'Union européenne en 2011. Il est décerné par l'Union européenne à des sites témoins de l'héritage européen et choisis pour leur valeur symbolique. À ce jour, 48 sites européens ont été labellisés par l'Union, dont cinq en France : l'abbaye de Cluny, la maison de Robert Schuman en Lorraine, le quartier européen de Strasbourg, l'ancien camp de concentration de Natzweiler et ses camps annexes, et le lieu de mémoire au Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire.

Il revient à la présidence française d'en dresser un bilan. Celui-ci est encourageant, puisqu'il s'agit de la mise en oeuvre d'une belle initiative qui suscite de l'enthousiasme et mobilise beaucoup d'énergie. Mais cette initiative reste limitée dans ses moyens et les conséquences concrètes pour les sites sont faibles, car, comme l'a souligné la Cour des comptes européenne, l'octroi de ce label n'implique en soi aucune aide financière.

L'UNESCO, elle, dresse une liste du patrimoine mondial, très ouverte au patrimoine immatériel et qui offre des points de comparaison. Le Conseil de l'Europe joue un rôle fédérateur, avec l'Institut des itinéraires culturels européens, qui accompagne et aide des projets labellisés. Il y a, entre ces labels, des complémentarités et des spécificités qui nécessitent de les relier davantage entre eux, de voir plus grand, d'élargir les perspectives, de les coordonner.

Autre initiative importante, l'année européenne du Patrimoine de 2018 a été un grand succès. À l'issue, un cadre européen d'action en faveur du patrimoine culturel a été élaboré pour forger un référentiel commun.

L'affluence des publics aux manifestations proposées a confirmé les résultats d'une étude publiée par Eurostat en décembre 2017 et posant la question : « comment les Européens perçoivent-ils leur patrimoine culturel ? ». Les chiffres sont édifiants : 84 % des citoyens interrogés convenaient de l'importance du patrimoine ; 88 % estimaient que le patrimoine culturel devait être enseigné dans les écoles, et 51 % des Européens se disaient personnellement impliqués dans le domaine du patrimoine culturel. Enfin, 68 % des Européens interrogés reconnaissaient que le patrimoine pouvait influer sur leur choix de destination de vacances. La crise sanitaire, malheureusement, a considérablement freiné l'élan de cette année exceptionnelle. La fréquentation des sites, leur entretien, les échanges professionnels en ont sévèrement pâti. Pour autant, l'élan n'a pas été brisé, mais il doit être stimulé de nouveau, avec une force redoublée.

La crise environnementale et le défi climatique imposent une prise de conscience de la fragilité de la planète et de la nécessité de travailler à sa durabilité, qu'il s'agisse de la nature, de nos paysages ou de notre patrimoine au sens large. La crise sanitaire a contribué à accélérer cette prise de conscience et a même nourri un mouvement de retour vers les territoires, générant un besoin de proximité, de qualité de vie et d'attention à notre environnement. Au-delà du patrimoine monumental, existe un patrimoine paysager, vernaculaire... C'est dans ce contexte que des politiques favorables au patrimoine au sens large, environnemental comme monumental, matériel comme immatériel, doivent être aujourd'hui menées.

Pour accompagner ce mouvement, de nombreux outils existent. Nous les avons recensés, mais ils sont dispersés et peu lisibles. Parfois, les acteurs eux-mêmes ignorent leur existence ! Le programme Europe Créative, d'abord, est en très forte progression, puisqu'il est doté de 2,44 milliards d'euros pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027, soit 63 % de plus que pour la période 2014-2020. L'Union soutient également la recherche sur le patrimoine par l'intermédiaire du programme Horizon Europe. Les fonds régionaux apportent une contribution très importante, mais dispersée. Le Fonds européen de développement régional (Feder) a aidé, par exemple, à restaurer la baie du Mont Saint-Michel.

Les dépenses en faveur de la culture représentaient, pour la période de programmation 2014-2020, environ 4,7 milliards d'euros, soit 2,3 % du total du Feder. La Cour des comptes européenne a toutefois estimé en 2020 que « les investissements de l'Union dans les sites culturels gagneraient à être mieux ciblés et mieux coordonnés. » Au cours de la période 2010-2017, les montants investis au titre du Feder dans les sites culturels représentèrent plus de 25 % de tous les investissements publics culturels dans environ un tiers des États membres, et plus de 50 % au Portugal et en Grèce. Toutefois, la Cour des comptes européenne relève que les investissements dans les sites culturels ne sont pas considérés comme une priorité du Feder. En effet, celui-ci soutient un autre objectif du traité, la cohésion sociale, économique et territoriale. Nous revendiquons l'ajout explicite du patrimoine : il va de soi, pour nous, qu'il contribue à cette cohésion.

Dans notre pays, ce sont les régions qui sont chargées de ces fonds. Nous saluons et soutenons les efforts importants et croissants qu'elles déploient pour accompagner les projets patrimoniaux depuis qu'elles gèrent ces fonds. Cela nécessite une expertise et une ingénierie complexe, que les élus et les collectivités peuvent apporter, mais aussi des structures dédiées, notamment associatives, comme les Relais Culture Europe, via des conventionnements avec les collectivités et les opérateurs, comme on l'observe, par exemple, dans la région Normandie.

La Commission européenne vient de mettre en ligne un guide interactif de financement, dénommé CulturEU . Nous déplorons toutefois que ce guide ne soit disponible à ce jour qu'en anglais. Les services de la Commission nous ont assuré qu'une traduction était en cours. Nous demandons instamment que ce guide soit traduit intégralement en français pendant la présidence française. Il est significatif - et regrettable - que le montant des fonds disponibles au titre du Feder pour les projets patrimoniaux n'y soit pas mentionné.

Le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et l'axe nommé Leader (Liaison entre actions de développement de l'économie rurale) permettent aussi de soutenir des actions patrimoniales en milieu rural. Des projets de coopération transfrontalière entre les partenaires de différentes collectivités européennes sont également possibles dans le cadre du programme Interreg. Le programme LIFE (instrument financier pour l'environnement et le climat), enfin, est consacré à la lutte contre le changement climatique. Doté d'un budget total de 5,4 milliards d'euros pour la période 2021-2027, il peut également financer des actions en faveur du patrimoine culturel et naturel.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ , rapporteur . - Cette liste est loin d'être exhaustive. Notre proposition vise à faire renaître l'approche intégrée du patrimoine et à donner toute leur place aux élus. En effet, la place de la culture au sein de la politique de cohésion s'est réduite depuis une quinzaine d'années. Nous affirmons le rôle des collectivités territoriales dans la politique patrimoniale européenne pour développer l'attractivité des territoires européens.

Dans la période post-pandémique où nous entrons, le patrimoine doit être développé comme levier d'attractivité. Le réseau territorial de l'association des Petites Cités de caractère, présidée par Françoise Gatel, nous paraît fournir un exemple inspirant pour une action européenne élargie et renouvelée, s'appuyant sur l'expérience des élus de terrain, autour de la valorisation du patrimoine de leurs communes.

La Commission européenne ne peut qu'être sensible - nous l'espérons - aux effets d'entraînement du patrimoine, culturel, naturel et paysager, en termes de croissance, de créations d'emplois, notamment dans le secteur du tourisme, mais aussi de développement durable et d'attractivité des territoires.

Les aspirations des Européens en matière de qualité du cadre de vie se sont accrues avec la pandémie qui a accentué un mouvement, observé auparavant, vers les villes petites et moyennes, ou les espaces ruraux. Pour certains chercheurs, c'est une véritable transition sociétale qui est en cours. Le patrimoine culturel, mais aussi naturel et paysager, est un facteur clé de cette évolution.

Cette nouvelle conception du patrimoine est en parfaite cohérence avec les priorités du Pacte vert de la Commission européenne. C'est pourquoi nous proposons de fédérer les élus territoriaux européens en faveur du patrimoine et de créer un réseau européen des cités et territoires de caractère.

Nous proposons aussi d'approfondir et d'étendre la dynamique du label du patrimoine européen. Plusieurs pistes s'ouvrent à nous : dans un premier temps, enrichir le contenu du label, l'approfondir et en étendre le champ. Ensuite, une liste du patrimoine européen pourrait être articulée avec la Liste du patrimoine mondial de l'Unesco et les itinéraires culturels du Conseil de l'Europe. Il ne s'agit pas de rajouter une touche supplémentaire dans un paysage déjà très pointilliste, mais au contraire, de tenter une harmonisation par le haut de ce paysage.

Nous proposons aussi de mobiliser de nouvelles sources de financement en faveur du patrimoine européen. Nous demandons d'étudier la création d'un Loto du patrimoine européen et de créer, peut-être, une Fondation européenne du patrimoine.

En effet, l'exemple français en la matière est un succès, il faut le souligner. La Commission européenne n'étant pas habilitée juridiquement à recevoir de tels fonds, la transposition de notre modèle aux pays volontaires, voire à l'ensemble des États membres, nécessiterait de passer par une Fondation européenne du patrimoine, qui pourrait être une fondation de droit national, ou, mieux, une fondation européenne, ce qui impliquerait de remettre sur le métier le projet de statut de fondation européenne, qui avait été retiré de l'agenda législatif en 2014 par la précédente Commission.

D'autres voies novatrices peuvent être étudiées. La tarification différenciée permettrait de générer des ressources propres liées directement à la fréquentation du monument ou du site. Il s'agirait d'appliquer un tarif d'entrée différent aux visiteurs selon qu'ils sont, ou non, ressortissants de l'Union européenne ou de pays associés au titre de l'élargissement ou du partenariat oriental. Ceci permettrait de faire participer les touristes extra-européens davantage que les contribuables européens à la protection et à l'entretien du patrimoine européen qu'ils visitent.

Une autre voie est ouverte par la protection du droit des marques. Les noms de lieux les plus emblématiques, où se trouvent les monuments et sites les plus renommés, sont parfois actuellement dénués de protection à ce titre, soit qu'ils aient cédé leurs droits, comme Vendôme, soit qu'ils aient été exposés aux prétentions de compagnies extra-européennes privées leur demandant de payer des droits sur leur propre nom, comme à Chambord. Il s'agit de conserver un droit de regard aux gestionnaires des lieux et sites sur leur marque.

Nous nous sommes également intéressés au grand chantier du « nouveau Bauhaus européen ». Lancé par la présidente de la Commission européenne, ce nouveau programme, qui invite à la création, apporte en fait, pour simplifier, une dimension culturelle au Pacte vert pour l'Europe. Conception, durabilité, accessibilité, et esthétisme sont les maîtres-mots de ce nouveau projet.

La commissaire européenne chargée de la politique de cohésion, Elisa Ferreira, a déclaré : « grâce à son approche transdisciplinaire et participative, le nouveau Bauhaus européen renforce le rôle des collectivités locales et régionales, des entreprises, des acteurs de l'innovation et des esprits créatifs qui coopèrent pour améliorer notre qualité de vie.»

Nous soulignons les effets de levier, souhaitables, de ce nouveau programme sur le regroupement des financements. Fondé sur des appels d'offres spécifiques, il peut constituer une chance pour faire valoir nos préoccupations quant à l'intégration du patrimoine et de l'architecture, y compris paysagère et de proximité. Ce peut être une belle occasion à saisir pour promouvoir un rôle plus actif des architectes, comme l'a bien souligné le Conseil des architectes de l'Europe dans une récente déclaration.

Ce nouveau programme coïncide avec l'année européenne de la jeunesse, autre levier prometteur pour valoriser le patrimoine européen. Dans ce cadre, il convient d'utiliser toutes les ressources possibles, notamment Europe Créative, pour inciter à la création de plateformes numériques locales et au développement d'applications mobiles pour mieux faire connaître les sites et inciter les jeunes à venir les visiter : le numérique, en matière de patrimoine, n'est pas tant une fin en soi qu'un moyen d'ouvrir plus largement l'accès au patrimoine.

Et, dans le cadre d'Erasmus+, nous proposons qu'un volet dédié au patrimoine soit mis en valeur cette année, avec un circuit des chantiers de jeunesse européens du patrimoine. Enfin, nous proposons d'utiliser les programmes et projets mis en oeuvre par la Commission européenne pour créer une Académie européenne du patrimoine et rendre attractifs les métiers et savoirs du patrimoine, en associant les écoles d'architecture. En complément, nous proposons à la Commission européenne d'encourager la création de contenus, sur tous supports.

Pour le rendre plus accessible à tous et forger un grand récit européen du patrimoine, fait d'une multitude d'histoires, il conviendrait d'inciter à inscrire le patrimoine européen au cahier des charges des médias de service public, grâce à l'Union européenne de radiodiffusion (UER).

Pour accroître la résilience du patrimoine face aux bouleversements climatiques et aux catastrophes, nous demandons enfin la création d'un Fonds de sauvegarde du patrimoine en péril. Ce fonds pourrait couvrir les phénomènes naturels prévisibles et inéluctables, comme l'érosion du trait de côte. C'est le sens de la proposition de rédaction que je vous propose d'adopter au point 75 du projet de résolution européenne que nous vous soumettons. Nous proposons aussi que ce fonds couvre le patrimoine menacé par la guerre - ce dont l'actualité en Ukraine illustre la nécessité.

M. Jean-François Rapin , président . - Merci pour ce rapport, qui fourmille de propositions !

Mme Laurence Harribey . - Merci pour ce rapport très intéressant. Je suggère toutefois aux rapporteurs d'éviter l'expression « chantiers de jeunesse », lourdement connotée ! La terminologie européenne parle plus volontiers de « chantiers de jeunes bénévoles. »

M. Louis-Jean de Nicolaÿ , rapporteur . - C'est noté, nous rectifions.

M. Jean-François Rapin , président . - Le Loto du patrimoine est une bonne idée. Chez nous, cela fonctionne bien. Y a-t-il eu des initiatives comparables ailleurs en Europe ?

Mme Catherine Morin-Desailly , rapporteure . - Oui, en Italie, en Allemagne et en Grande-Bretagne. C'est même la France qui s'est inspirée de ses voisins, en l'espèce. Nous avons eu un dialogue fructueux avec Stéphane Bern, qui nous suggère une idée toute simple : faire figurer sur les pièces et billets en euros des monuments emblématiques de notre histoire et de notre patrimoine européens. C'est par le quotidien, en effet, que passe l'appropriation de notre histoire et de notre patrimoine commun.

C'est la somme des propositions figurant dans notre rapport qui permettra de créer davantage de dynamique et d'impulsion. Nous assumons la revendication d'une Europe de la culture et du patrimoine, ce qui impose de mettre en place un cadre structuré, cohérent et prévisible, en lieu et place des dispositifs multiples et dispersés qui existent aujourd'hui. Il importe aussi que les règles fixant ce cadre soient traduites dans les langues des pays concernés.

C'est pourquoi, aussi, nous incluons dans nos recommandations l'UER, qui est, par chance, présidée par une Française, Delphine Ernotte. La chaîne Arte, aussi, va être déployée en plusieurs langues, ce qui est un projet fort. Toutes les initiatives prises par rapport à des émissions à caractère patrimonial devraient être renforcées, et partagées avec l'ensemble des États membres. Bref, il faut plus de coordination et d'impulsion.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ , rapporteur . - Le Label du patrimoine ne doit pas bénéficier qu'aux grandes villes et métropoles. Tous les territoires qui font des efforts importants pour mettre en valeur le patrimoine, dans tous les pays d'Europe, doivent pouvoir être reconnus au niveau européen. Il importe d'allier patrimoine culturel, architectural, paysager, matériel et immatériel, le tout dans le cadre du développement durable.

M. Jean-François Rapin , président . - Je mets aux voix la proposition de rédaction formulée par le rapporteur, et qui consiste à rédiger le point 75 de la manière suivante :

Demande la création d'un fonds d'intervention d'urgence, de sauvegarde et de restauration durables, en faveur du patrimoine européen mis en péril par les catastrophes ou les phénomènes naturels et climatiques, et leurs conséquences actuelles ou prévisibles, et, dans les pays liés à l'Union européenne par des accords d'association au titre du Partenariat oriental, du patrimoine emblématique endommagé par des actes de guerre,

La proposition de rédaction est adoptée.

M. Jean-François Rapin , président . - Je mets aux voix la proposition de résolution européenne ainsi modifiée.

La commission autorise la publication du rapport d'information et adopte la proposition de résolution européenne ainsi modifiée, disponible en ligne sur le site du Sénat , ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Pour une politique européenne du patrimoine renforcée
au service de l'attractivité des territoires

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le préambule et l'article 3 du traité sur l'Union européenne, Vu les articles 36, 114, 167, et 174 à 178 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu le préambule et les articles 14 et 22 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, Vu la convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, adoptée par les Etats membres de l'organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco), lors de sa 17 e conférence générale, à Paris, le 16 novembre 1972,

Vu la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée par les États membres de l'Unesco, lors de sa 33 e conférence générale, à Paris, le 20 octobre 2005,

Vu la convention-cadre du Conseil de l'Europe du 13 octobre 2005 sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (STCE n°199), dite convention de Faro,

Vu l'accord partiel élargi sur les itinéraires culturels du Conseil de l'Europe CM(2013)148-addfinal du 20 décembre 2013,

Vu la décision n° 1194/2011/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 établissant une action de l'Union européenne pour le label du patrimoine européen,

Vu la décision (UE)2017/864 du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2017 relative à l'Année européenne du patrimoine culturel (2018),

Vu les conclusions du Conseil du 21 mai 2014 (2014/C 183/08) sur la dimension stratégique du patrimoine culturel pour une Europe durable,

Vu les conclusions du Conseil (2018/C460/10) du 21 décembre 2018 sur le programme de travail 2019-2022 en faveur de la culture,

Vu les conclusions du Conseil du 21 juin 2021 (9837/21) sur l'approche de l'UE à l'égard du patrimoine culturel en période de conflit et de crise,

Vu la position adoptée en première lecture par le Parlement européen le 14 décembre 2021 sur la proposition de décision du Parlement européen et du Conseil relative à l'Année européenne de la jeunesse (2022),

Vu la déclaration des ministres de la culture réunis à Grenade en avril 2006, tendant à lancer, sur la proposition de plusieurs Etats membres dont la France, une initiative intergouvernementale concernant un label du patrimoine européen,

Vu la déclaration des ministres des Etats parties à la convention culturelle européenne réunis à Namur les 23 et 24 avril 2015,

Vu le discours sur l'état de l'Union 2021 de Mme Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, devant le Parlement européen du 15 septembre 2021,

Vu la communication de la Commission européenne COM(2007) 242 final du 10 mai 2007 relative à un agenda européen de la culture à l'ère de la mondialisation et la résolution du Conseil du 16 novembre 2007 relative à l'agenda européen de la culture,

Vu la communication de la Commission européenne du 22 juillet 2014 COM(2014)477 final « Vers une approche intégrée du patrimoine culturel européen »,

Vu la communication de la Commission européenne du 15 septembre 2021 COM(2021)573 final relative au « nouveau Bauhaus européen estétique, durable, ouvert à tous »,

Vu la communication de la Commission européenne du 19 octobre 2021 COM(2021)645 final, présentant son programme de travail pour 2022, intitulée « Ensemble pour une Europe plus forte »,

Vu l'avis politique relatif au programme de travail de la Commission européenne pour 2022, adopté par la commission des affaires européennes du Sénat le 17 janvier 2022,

Vu le rapport spécial d'audit de la Cour des Comptes européenne d'août 2020 sur les investissements de l'Union européenne dans les sites culturels,

Vu le plan stratégique 2020-2024 de la direction générale de la Commission européenne pour l'Education, le Sport et la Culture (DG EAC), notamment sa première partie relative aux priorités de la Commisison européenne,

Vu les actes des Rencontres pour l'Europe de la culture, réunies à Paris les 2 et 3 mai 2005,

Vu le rapport « Le patrimoine culturel compte pour l'Europe », publié en juin 2015, par un consortium d'organisations et de réseaux de la société civile, avec le soutien de la Commission européenne,

Vu le rapport « Année européenne du patrimoine culturel 2018, un patrimoine en partage », publié par la direction générale des patrimoines du ministère de la Culture et de la Communication en octobre 2019,

Vu le guide « Placer les personnes et le patrimoine au coeur du projet de territoire », publié en juin 2021 par l'association Petites cités de caractère de France,

Vu la déclaration du conseil des architectes d'Europe en date du 2 décembre 2021 sur les conclusions du Conseil des ministres de l'Union européenne chargés de la culture du 30 novembre 2021 sur « la culture, l'architecture de qualité et l'environnement bâti en tant qu'éléments clés du Nouveau Bauhaus européen »,

Vu le livre vert sur le patrimoine culturel européen, publié en février 2022, par Europa Nostra en partenariat avec le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), avec le soutien de la Commission européenne et de la Banque européenne d'investissement,

Considérant les priorités de la Présidence française du Conseil de l'Union européenne présentées par le Président de la République le 9 décembre 2021,

Considérant que les signataires du traité sur l'Union européenne affirment, dans son préambule, « s'inspir[er] des héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe »,

Considérant que, dès son préambule, la charte européenne des droits fondamentaux reconnaît le « patrimoine spirituel et moral » de l'Union européenne et appelle celle-ci à préserver et développer les valeurs communes en résultant, dans le respect de la diversité culturelle des peuples de l'Europe,

Considérant que les traités fondent la compétence de l'Union européenne, dans le respect du principe de subsidiarité, à « veiller à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel » qui constitue « une ressource partagée et un bien commun » des Européens et à « contribuer à l'épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun »,

Considérant qu'ils reconnaissent aussi la protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique comme motif légitime à des restrictions à la liberté de circulation des marchandises dans le marché intérieur,

Considérant qu'en vue d'un développement harmonieux de l'ensemble de l'Union, ils fondent la compétence de celle-ci à « développer et poursuivre son action tendant au renforcement de sa cohésion économique, sociale et territoriale »,

Considérant qu'il appartient donc à la Commission européenne de soutenir et compléter les actions des États membres visant à préserver et promouvoir le patrimoine culturel européen, d'élaborer des politiques et programmes pertinents et de soutenir la collaboration entre les États membres et les parties prenantes dans le domaine du patrimoine culturel,

Considérant que la politique européenne du patrimoine s'appuie sur de nombreux instruments et programmes, relevant de différentes directions générales de la Commission européenne dont la DG EAC, notamment en charge des programmes Horizon Europe et Europe créative et du label du patrimoine européen, la direction générale de la politique régionale et urbaine (DG REGIO), notamment en charge du fonds européen de développement régional (FEDER) et du programme de coopération territoriale européenne Interreg, et la direction générale de l'agriculture et du développement rural (DG AGRI), notamment en charge du fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et de son axe « Liaison entre action de développement de l'économie rurale » (LEADER),

Considérant que cette diversité de moyens et d'instruments présente l'avantage d'offrir de nombreux leviers d'action, mais également l'inconvénient d'une certaine dispersion nuisant à la lisibilité de l'ensemble, y compris auprès des principales parties prenantes dans les Etats membres et leurs collectivités locales et régionales, acteurs publics ou privés du patrimoine,

Considérant que la Cour des comptes européenne estime, dans son rapport spécial d'audit d'août 2020, que les investissements de l'UE dans les sites culturels gagneraient à être mieux ciblés et coordonnés,

Considérant que le programme Europe créative est doté de 2 442 milliards d'euros en crédits d'engagement dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027, en augmentation de 63 % par rapport au cadre 2014-2020,

Considérant que le patrimoine, non seulement monumental ou architectural, mais aussi paysager et vernaculaire, incluant le « petit » patrimoine ou patrimoine de proximité, constitue un « tout », contribuant à l'identité des villes, villages, territoires et paysages de l'Europe, dont les traits caractéristiques se distinguent de ceux qui prévalent dans d'autres régions du monde, constitutif de l'identité et de la fierté européennes,

Considérant que « l'approche intégrée » du patrimoine culturel européen prônée par la Commission européenne dès 2014 reste toujours et plus que jamais à l'ordre du jour et justifie de mener une politique transsectorielle en ce domaine,

Considérant que le patrimoine est un facteur important d'attractivité économique et de rayonnement culturel des territoires,

Considérant que l'Année européenne du patrimoine 2018, a rassemblé 12,8 millions de participants à l'occasion de 23 000 événements, démontrant une grande adhésion populaire, et a débouché notamment sur un cadre européen d'action en faveur du patrimoine culturel et sur des groupes de travail d'experts auprès de la Commission,

Considérant que la pandémie de Covid-19 a accéléré un mouvement durable, dans plusieurs Etats membres, d'exode urbain des grandes métropoles vers les villes petites ou moyennes, voire vers les espaces ruraux, en raison d'une aspiration à une meilleure qualité de vie, et qu'après avoir gravement affecté le secteur du patrimoine, elle a été suivie par une levée progressive des restrictions sanitaires qui a montré que l'attachement populaire au patrimoine était toujours vivace, en dépit des baisses de fréquentation induites par les confinements successifs,

Considérant que la numérisation du patrimoine, dans ses multiples composantes, doit être encouragée mais que celle-ci n'a pas réduit la demande de fréquentation physique du patrimoine, et que l'une et l'autre peuvent progresser de concert,

Considérant que la résilience du secteur du patrimoine doit être encouragée et contribue à celle de l'Europe dans son ensemble,

Considérant que le patrimoine culturel, mais aussi paysager et naturel, forme un tout, au regard des objectifs du pacte vert, et un moteur du développement durable des territoires,

Considérant que l'action de l'association Petites cités de caractère de France est emblématique d'un développement durable inclusif des territoires concernés, reposant sur la préservation et la valorisation du patrimoine,

Considérant que 2022 a été déclarée Année européenne de la jeunesse,

Considérant les menaces inquiétantes que font peser sur le patrimoine les actes de guerre perpétrés actuellement par la Russie en Ukraine,

Considérant qu'un Conseil des ministres de la culture est prévu les 3 et 4 avril 2022 sous présidence française,

Salue les actions engagées par la Commission européenne pour la préservation et la promotion du patrimoine européen dans le cadre de son programme de travail pour 2022 et dans le cadre du programme de travail pour la culture 2019-2022,

L'invite à développer fortement et rapidement les outils de communication sur les programmes et instruments existants en la matière, en ligne et hors ligne, dans toutes les langues de l'Union européenne, dans le but de rassembler l'information éparse, de la clarifier et de la rendre accessible aux parties prenantes, collectivités locales et régionales, et acteurs du patrimoine, privés comme publics,

Souhaite que cette visibilité accrue et multilingue de la politique européenne du patrimoine soit suivie d'une nette amplification de celle-ci, dès le présent cadre financier pluriannuel,

Estime à cet égard que l'élan prometteur de l'Année européenne du patrimoine 2018 doit être ranimé et approfondi, pour retrouver une dynamique ralentie par la pandémie,

Appelle de ses voeux, à l'occasion de la présidence française, une relance de la politique européenne du patrimoine, résolument transversale, coordonnée au niveau des différentes directions générales concernées de la Commission européenne, grâce à un dispositif institutionnel et organisationnel approprié,

Affirme le rôle central des collectivités territoriales dans la mise en oeuvre de cette politique patrimoniale européenne, afin de développer l'attractivité des territoires européens,

Préconise que cette politique inclue, dans une même approche transversale et intégrée, le patrimoine culturel et le patrimoine naturel et paysager qui ensemble forment un puissant facteur de développement durable dans le cadre de la transition écologique,

Recommande que la Commission européenne s'inspire du modèle de l'association Petites cités de caractère de France pour créer un réseau de collectivités volontaires, soutenu par l'Union européenne, et établisse à cette fin un cahier des charges européen en concertation avec toutes les parties prenantes,

Suggère par ce moyen de généraliser, systématiser et encourager les échanges de bonnes pratiques territoriales à l'échelle européenne,

Demande que soit approfondi et étendu le label du patrimoine européen, par une révision de la décision afférente de 2011, afin de renforcer le rôle des coordinateurs nationaux, de créer une mission du patrimoine européen transversale destinée à fédérer les initiatives et encourager les candidatures, d'accompagner l'attribution du label par un soutien des fonds européens, voire d'élaborer une véritable Liste du patrimoine européen, plus large que le label, articulée avec la Liste du patrimoine mondial de l'Unesco et les itinéraires culturels du Conseil de l'Europe,

Recommande que le patrimoine immatériel soit pleinement pris en compte au sein du label et de cette Liste, ainsi que le patrimoine maritime et le patrimoine industriel,

Souhaite que soient accrues et diversifiées les sources de financement au service du patrimoine européen,

Propose à cette fin que soit étudiée la création d'un Loto européen du patrimoine, dont les bénéfices seraient répartis par une Fondation européenne du patrimoine, susceptible d'exercer un effet de levier auprès du secteur privé et du mécénat,

Appelle, pour assurer un financement accru et durable des grands sites et monuments dont les besoins de restauration s'acroissent à mesure de la surfréquentation qu'ils subissent, à étudier la possibilité de proposer des tarifs d'accès différenciés aux visiteurs européens et extra-européens,

Insiste, dans le même objectif, pour que soit approfondie et valorisée la protection des grandes marques patrimoniales européennes, quand bien même il s'agirait de noms de lieux, dès lors qu'ils sont immédiatement identifiables comme tels,

Soutient le programme transversal du « Nouveau Bauhaus européen », porté par la présidente de la Commission européenne elle-même,

Souhaite que la dimension patrimoniale et territoriale de ce programme soit affirmée et déclinée concrètement, y compris dans des projets de proximité, alliant restauration du patrimoine et conception architecturale,

Demande la création d'une Académie européenne du patrimoine afin de structurer et fédérer les réseaux professionnels et de développer les incitations à l'enseignement et à la recherche sur le patrimoine, en utilisant pleinement les programmes existants et notamment Erasmus+,

Affirme que le patrimoine doit constituer une composante à part entière de l'Année européenne de la jeunesse 2022,

Appelle à développer à cette fin des incitations à la numérisation et à la création d'applications mobiles, afin de faciliter l'accès du patrimoine aux jeunes Européens,

Souhaite l'inscription de la promotion du patrimoine européen au cahier des charges des missions de service public définies par l'Union européenne de radiodiffusion (UER),

Juge nécessaire que l'Union soutienne la création de contenus, sur tous supports, en particulier pour des narratifs destinés à la jeunesse, mettant en scène le patrimoine européen,

Demande la création d'un fonds d'intervention d'urgence, de sauvegarde et de restauration durables, en faveur du patrimoine européen mis en péril par les catastrophes ou les phénomènes naturels et climatiques, et leurs conséquences actuelles ou prévisibles, et, dans les pays liés à l'Union européenne par des accords d'association au titre du Partenariat oriental, du patrimoine emblématique endommagé par des actes de guerre,

Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours et à venir au Conseil.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Élus, associations d'élus, collectivités territoriales

Sites & Cités remarquables de France

- M. Martin MALVY , président

Association des Maires de France (AMF)

- M. Philippe LAURENT , secrétaire général

- Mme Karine GLOANEC MAURIN , co-présidente de la commission des communes et territoires ruraux de l'Association des Maires de France (AMF), Présidente de la Communauté de communes des Collines du Perche, adjointe au Maire de Couëtron au Perche

Association des Petites Cités de caractère de France

- Mme Françoise GATEL , sénateur d'Ille-et-Vilaine, présidente

- M. Laurent MAZURIER , directeur

Ville de Versailles

- M. François de MAZIERES , maire de Versailles

Fondations et autres associations

Europa Nostra

- M. Philippe TOUSSAINT , président

- M. Bertrand de FEYDEAU , vice-président

- Mme Sneka QUAEDVLIEG-MIHAILOVIC, secrétaire générale

Mission Patrimoine, dite « Mission Bern »

- M. Stéphane BERN , animateur, producteur

Fondation du patrimoine

- Mme Célia VEROT , directrice générale

- M. Alexandre GIUGLARIS , secrétaire général.

Association Internationale Ruralité Environnement Développement/RED

- M. Gérard PELTRE , président

Relais Culture Europe

- M. Pascal BRUNET , directeur

Europa Nova

- M. Guillaume KLOSSA, président

Institutions européennes

Commission européenne

- Mme Viviane HOFFMANN , directrice générale adjointe et Mme Catherine MAGNANT , chef de l'Unité politique culturelle à la Direction générale de la jeunesse, du sport et de la culture (DG EAC),

- Mme Rehana SCHWINNINGER-LADAK , chef de l'Unité Technologies interactives et numériques pour la Culture et l'Éducation (DG EAC),

- Mme Ruth REICHSTEIN , directrice adjointe du service Inspirer, débattre, engager et accélérer l'action (IDEA), service de prospective de la présidence de la Commission européenne,

- M. Xavier TROUSSARD , chef d'unité, centre commun de recherche de la Commission européenne, Nouveau Bauhaus européen

Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne

- Mme Aurélie CHAMPAGNE , conseillère Culture, audiovisuel, droits d'auteur

Conseil de l'Europe

- Mme Kathrin MERKLE , chef du département du Patrimoine Culturel, direction générale de l'Éducation , de la culture et du patrimoine, de la jeunesse et du sport (DG IV),

- M. Stefano DOMINIONI , directeur de l'Institut des Itinéraires culturels (DG IV),

- Mme Gabriella BATTAINI-DRAGONI , ancienne secrétaire générale adjointe Politiques patrimoniales en Europe (réseau HEREIN : réseau européen d'information sur le patrimoine).

Autres institutions

Ambassade de France au Sénégal

- M. Philippe LALLIOT, a mbassadeur, ancien ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l'Unesco

Présidence de la République de Lettonie

- M. Rolands LAPPUKE , ambassadeur, conseiller du président de la République

Université Bordeaux-Montaigne

- Mme Corinne MARACHE , professeure, spécialiste de l'histoire des paysages ruraux.

Ministère de la Culture

Direction générale des patrimoines

- M. Bruno FAVEL , chef du service des affaires européennes et internationales

- Mme Orane PROISY , responsable du pôle « Réseaux et musées »

- Mme Béatrice BOISSON SAINT-MARTIN , responsable du pôle « Patrimoine mondial - UNESCO »

Direction régionale des affaires culturelles

- M. Hilaire MULTON , directeur régional des affaires culturelles des Hauts de France

École nationale supérieure d'architecture Paris-Malaquais

- M. Luc LIOGER , directeur

Établissement public du domaine national de Chambord

- M. Jean d'HAUSSONVILLE , directeur général

Autre personnalité

- M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES , ancien ministre de la Culture, président de RDDV Partners

ANNEXES

1. Labels et récompenses de l'UE en rapport avec la promotion des sites culturels

Label/Récompense

Description

Capitales européennes de la culture (depuis 1985)

Titre conféré chaque année à deux villes européennes différentes, qui leur permet de présenter leur vie et leur développement culturels

Prix du patrimoine européen
(depuis 2002)

Il encourage les meilleures pratiques concernant la conservation, la gestion, la recherche, l'éducation et la communication relatives au patrimoine

Destinations européennes d'excellence (depuis 2006)

Elles encouragent le tourisme durable en renforçant la visibilité de destinations européennes émergentes et non traditionnelles

Label du patrimoine européen
(depuis 2013)

Décerné aux sites patrimoniaux qui possèdent une valeur européenne symbolique. Il couvre aussi le patrimoine immatériel

Logo de l'Année européenne du patrimoine culturel (depuis 2018)

Logo utilisé lors de manifestations et de festivités organisées dans le cadre de l'Année européenne du patrimoine culturel

Capitale européenne du tourisme intelligent (depuis 2019)

Décerné à des destinations touristiques pour les catégories suivantes: durabilité, accessibilité, numérisation, patrimoine culturel et créativité

Source : Cour des comptes européenne

2. Principales caractéristiques des labels Patrimoine européen, Patrimoine mondial et Itinéraires culturels

Sources : Cour des comptes européenne, sur la base des documents suivants:

1) décision n° 1194/2011/UE établissant une action de l'Union européenne pour le label du patrimoine européen (JO L 303 du 22.11.2011, p. 1-9);

2) orientations devant guider la mise en oeuvre de la Convention du patrimoine mondial, 2017;

3) informations provenant des itinéraires culturels du Conseil de l'Europe et de la résolution CM/Res(2013)67 révisant les règles d'octroi de la mention «Itinéraire culturel du Conseil de l'Europe»

3. Label du patrimoine européen : liste des sites

Année

Sites Labellisés Patrimoine européen

Ville

Pays

2013

Palais de la Paix

La Haye

Pays-Bas

Maison de la Grande Guilde

Talinn

Estonie

Site archéologique de Carnuntum

Petronell-Carnuntum

Autriche

Camp de concentration de Westerbock

Westerbork

Pays-Bas

2014

Traités de Westphalie

Münster et Osnabrück

Allemagne

Château de Hambach

Neustadt an der Weinstraße

Allemagne

Coeur de la cité antique d'Athènes

Athènes

Grèce

Archives de la Couronne d'Aragon

Barcelone

Espagne

Résidence d'étudiants de Madrid

Madrid

Espagne

Abbaye de Cluny

Cluny

France

Maison de Robert Schuman

Scy-Chazelles

France

Parc du Mémorial du pique-nique pan européen

Sopron

Hongrie

Maison-musée d'Alcide de Gasperi

Pieve Tesino

Italie

Ville de Kaunas (1919-1940)

Kaunas

Lituanie

Traité de l'Union de Lublin

Lublin

Pologne

Constitution polonaise du 3 mai 1791

Varsovie

Pologne

Chantiers navals de Gdañsk

Gdañsk

Pologne

Bibliothèque générale de l'Université de Coimbra

Coimbra

Portugal

Traité de l'abolition de la peine de mort

Lisbonne

Portugal

Hôpital des partisans Franja

Cerkno

Slovénie

2015

Site de l'homme de Néandertal de Krapina

Krapina

Croatie

Château des Pøemyslides et musée archidiocésain d'Olomouc

Olomouc

République tchèque

Pointe de Sagres

Sagres

Portugal

Palais impérial de Hofburg

Vienne

Autriche

Ensemble historique de l'université de Tartu

Tartu

Estonie

Académie de musique Franz Liszt

Budapest

Hongrie

Mundaneum

Mons

Belgique

Cimetière no 123 du front de l'Est de la Première Guerre mondiale

£una

Pologne

Quartier européen de Strasbourg

Strasbourg

France

2017

Sites du patrimoine musical de Leipzig

Leipzig

Allemagne

Bois du Cazier

Marcinelle

Belgique

Camp de concentration de Natzweiler-Struthof

Natzwiller

France - Allemagne

Fort de Cadine (it)

Trente

Italie

Grande synagogue de Budapest

Budapest

Hongrie

Convention de Schengen

Schengen

Luxembourg

Traité de Maastricht

Maastricht

Pays-Bas

Mémorial de Sighet

Sighetu Marma?iei

Roumanie

Église de l'Esprit Saint de Javorca

Tolmin

Slovénie

2019

Site archéologique d'Ostia Antica

Rome

Italie

Patrimoine culturel subaquatique des Açores

Archipel des Açores

Portugal

Colonies de bienfaisance

Frederiksoord , Ommerschans , Veenhuizen , Wilhelminaoord et Willemsoord
Merksplas et Wortel

Pays-Bas
Belgique

Patrimoine vivant de Szentendre

Szentendre

Hongrie

Château de Kynúvart - Lieu de rencontres diplomatiques

Láznì Kynúvart

Tchéquie

Lieu de mémoire de Lambinowice

£ambinowice

Pologne

Zdravljica - le Message du printemps européen des peuples

Slovénie

Lotissements du Werkbund

Stuttgart , Wroclaw , Brno , Prague et Vienne

Autriche , Tchéquie , Allemagne , Pologne

Lieu de mémoire du Chambon-sur-Lignon

Le Chambon-sur-Lignon

France

Les Trois Frères

Riga

Lettonie

4. Financements FEDER en faveur des sites culturels (2010-2018)

Source : Cour des comptes européenne

5. Synthèse des réponses reçues aux questionnaires adressés aux services culturels des ambassades de France dans les États membres de l'Union européenne

Un questionnaire a été adressé aux services culturels des ambassades de France dans les 27 pays membres de l'Union européenne, afin de cerner les fondamentaux de leur législation, de leur politique et de leurs attentes en matière patrimoniale à l'égard de l'Union européenne, dans le cadre de la présidence française en particulier. Onze réponses complètes ont été reçues. En voici la synthèse, anonymisée à la demande du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, au regard de chaque question posée.

1. Dans le pays où vous représentez la France, quel est le cadre législatif général de la protection, de la sauvegarde et de la valorisation du patrimoine ? Comment se répartit cette compétence (État, collectivités...) ? Y a-t-il, à l'instar de la France, une politique de l'inventaire ? Si oui, par qui est-elle exercée ? L'inventaire est-il satisfaisant ?

Dans la plupart des pays européens, une législation et un cadre national déterminent la politique de protection et de sauvegarde du patrimoine ; sa valorisation fait l'objet, soit d'une législation, soit d'une réglementation spécifique, ou peut être déléguée à des collectivités régionales ou locales ou à des acteurs locaux. La structure constitutionnelle de l'État, unitaire et centralisée, ou fédérale ou quasi, explique la diversité des situations et des autorités concernées : ministère de la Culture, en lien ou non avec d'autres ministères, agences de l'État, centres nationaux, régions ou collectivités, municipalités ou établissements publics nationaux et locaux ; une pluralité d'acteurs de divers statuts interviennent dans ce domaine selon la nature institutionnelle et la culture juridique des différents États. Les réponses reçues témoignent en effet d'une grande diversité mais toutes ont en commun une ossature nationale et/ou régionale, reliée à l'adhésion de chaque pays aux conventions internationales prévalant en la matière, en particulier celles de l'Unesco.

Le champ de la politique patrimoniale diffère selon les pays : parfois strictement limitée aux monuments historiques d'importance nationale ou internationale, elle s'étend aussi souvent, selon les cas, au patrimoine naturel et aux paysages.

Les politiques d'inventaire marquent fortement ces différences. Elles se limitent parfois aux monuments historiques protégés nationalement. Elles peuvent aussi, moins fréquemment, être déclinées au plan régional ou local et s'étendent encore plus rarement au cadre naturel ou paysager. Selon les pays, des lacunes apparaissent, en particulier pour le patrimoine de proximité.

2. Quelles sont les principales associations de défense du patrimoine ? Sont-elles en contact avec Europa Nostra ou à votre connaissance en lien avec d'autres associations de défense du patrimoine à travers l'Europe ?

Le tissu associatif est toujours très présent et actif sur le terrain et aux niveaux national et régional, le plus souvent dense, mais son maillage varie selon les pays. La plupart des grandes associations nationales sont reliées d'une manière ou d'une autre à Europa Nostra , ou en constituent le relai dans le pays, en particulier pour concourir aux prix organisés par ce réseau européen, qui sont unanimement appréciés. Les réponses de la plupart des postes constituent un répertoire de référence des principales associations oeuvrant dans ce domaine.

3. Quels sont les dispositifs sectoriels mis en place par l'Union européenne utilisés par les autorités et mis au profit du patrimoine ? Les jugent-elles satisfaisants ?

Outre les programmes à vocation culturelle, comme Europe créative - dont l'augmentation des crédits dans le présent cadre financier pluriannuel est plusieurs fois soulignée - et Horizon 2020, les fonds structurels européens sont fréquemment cités, en particulier le Fonds européen de développement régional (FEDER), les programmes INTERREG et LEADER.

4. La question d'une plus grande implication de l'Union Européenne dans cette politique de sauvegarde et de valorisation du patrimoine se pose-t-elle ? Si oui, de quelle manière ?

Ici, il faut établir une assez claire distinction entre pays du Nord de l'Europe, d'une part, pour lesquels la question ne se pose pas de manière évidente, et qui paraissent plutôt satisfaits d'une lecture minimaliste de la compétence d'appui de l'Union européenne et du respect strict principe de subsidiarité et, d'autre part, les pays du Sud et de l'Est, qui souhaitent une implication accrue de l'Union européenne, pour valoriser dans toutes ses dimensions le patrimoine, dans le respect des compétences des États membres.

5. Quel bilan établissez-vous de la participation de l'Union Européenne dans le pays où vous représentez la France à la préservation du cadre patrimonial général, des grandes et petites cités mais également des paysages ? Est-il fait appel à des dispositifs sectoriels mis en place par l'Union ?

Tous les pays qui ont répondu attendre davantage d'implication de l'Union européenne souhaitent privilégier une politique intégrée et intégrative du patrimoine, réunissant les dimensions naturelle et paysagère, l'environnement urbain et rural, dans le cadre de la politique de cohésion. Le recours au FEDER est à cet égard fréquemment cité, mais aussi au programme LEADER et à INTERREG pour les actions de valorisation transfrontalières.

La problématique des éoliennes est citée dans un pays, comme emblématique de l'articulation entre les politiques patrimoniales et les logiques de développement durable.

L'impact du changement climatique (et des catastrophes naturelles, des guerres ou des phénomènes prévisibles) sur le patrimoine revient comme une préoccupation croissante, ou récente, notamment dans certains pays éprouvés par des séismes, soucieux du soutien de l'Union européenne non seulement à la restauration, mais aussi à la sauvegarde et à la résilience du patrimoine.

6. Toujours dans le pays où vous représentez la France, quels sont les fonds européens qui, selon vous, ont été le mieux mobilisés jusqu'à maintenant pour la sauvegarde du patrimoine et de son environnement ? Savez-vous à quelle hauteur ? Quelles sont les difficultés rencontrées lors de cette mobilisation des fonds européens ? Une simplification de la gestion des fonds européens a-t-elle été évoquée ? Quelles formes devrait prendre cette simplification, selon vos interlocuteurs ?

Le FEDER vient assurément en tête, INTERREG est aussi très utilisé par quelques pays pour les projets transfrontaliers, le programme LIFE également, pour les sites naturels et paysagers. On constate néanmoins peu de statistiques récentes disponibles sur la quotité de ces fonds mobilisée en faveur du patrimoine, celui-ci n'étant qu'un objectif secondaire, par rapport à la création d'emplois, au développement économique et territorial. Il s'agirait de mieux flécher les fonds structurels en faveur du patrimoine, et d'afficher ce dernier comme une composante prioritaire en tant que telle.

La visibilité des programmes, leur accessibilité, est une préoccupation largement partagée. La complexité de gestion est souvent évoquée, tant au niveau des administrations que des porteurs de projets. La lourdeur administrative est perçue comme un frein, surtout pour les petites structures qui peuvent être découragées, bien que réalisant un travail de qualité.

7. Toujours dans le pays où vous représentez la France, y a-t-il une réflexion sur la manière d'aborder le patrimoine en synergie avec l'environnement, l'urbanisme, le développement économique et le tourisme ? Pouvez-vous nous donner des exemples ?

Plusieurs exemples sont donnés, qui attestent d'un véritable essor de cette réflexion, qui prend de l'ampleur à la suite des confinements dus à la crise sanitaire. Une approche intégrée du patrimoine est privilégiée dans tous les pays, avec un accent fort mis sur le tourisme culturel, mais aussi le développement durable, et le déploiement des interactions entre les deux, qui doit toutefois composer avec la diversité des structures administratives concernées, qui fonctionnent encore trop en silos dans certains pays. Mais la volonté politique est là, avec son potentiel d'entraînement et de fédération des volontés.

8. L'Année Européenne du patrimoine culturel a été un grand succès tant en France qu'en Europe. Aujourd'hui, plusieurs institutions et acteurs nationaux et européens se mobilisent pour que le patrimoine soit au coeur du projet européen ; la Commission européenne a mis en place un cadre européen d'action en faveur du patrimoine culturel depuis 2019, ainsi qu'un groupe européen d'experts du patrimoine composé des représentants des administrations responsables du patrimoine, des réseaux professionnels et de la société civile. Le pays où vous représentez la France est-il actif dans ce projet ? Si oui, à travers quels acteurs ?

Tous les pays ayant répondu ont participé à l'Année européenne du patrimoine culturel, valorisée à travers de nombreux événements, et considèrent qu'elle a été un grand succès. La plupart d'entre eux se soucient, au-delà de la sensibilisation des publics, de la continuité des actions entreprises à la faveur de cette mobilisation et de la reconduction de certaines d'entre elles, financées notamment dans le cadre d'Horizon2020.

Tous participent au groupe d'experts européen, avec des attentes variées, des plus modestes aux plus ambitieuses. Ce lien professionnel, constitutif d'un véritable réseau européen transversal, est unanimement apprécié. La plupart des acteurs relèvent du ministère de la Culture de chaque État membre.

9. La future présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022 encouragera sans doute une action européenne pour le patrimoine. Le pays où vous représentez la France est-il susceptible dans son action européenne de soutenir cette démarche ?

La plupart des pays répondent oui, avec enthousiasme et dans l'attente d'une relance et d'un développement de la politique européenne du patrimoine. Deux pays attendent des propositions concrètes avant de se prononcer.

10. Créé en 2005 à l'initiative de la France par plusieurs États membres, le label du patrimoine européen a été repris par l'Union européenne pour mettre en valeur la dimension européenne de monuments et sites qui bénéficient ainsi d'une communication à l'échelle de l'Union et intègrent le réseau informel des sites labellisés. Quelles sont les attentes, à l'égard de ce label et de ce réseau, dans le pays où vous représentez la France ?

La très grande majorité des pays de l'échantillon interrogé apprécient cette initiative et envisagent d'y participer. Certains pays ne possèdent aucun site labellisé et, parmi ceux-ci, l'un au moins n'a pas de structure de coordination nationale outillée pour présenter des candidatures. Mais c'est une exception. La plupart considèrent ce label comme un « plus », un vecteur de mobilisation pour renforcer le sentiment d'appartenance à l'Union européenne et envisagent de présenter plusieurs nouvelles candidatures en 2023.

Mais l'attente est très forte d'un soutien financier directement associé à la labellisation, pour l'aménagement et la mise en valeur du site qui fait actuellement défaut, au-delà des actions de communication. Plusieurs pays demandent que le label soit directement relié à l'attribution de fonds européens et concoure ainsi à la restauration et au développement des sites labellisés. Un bilan est unanimement souhaité à l'occasion de la PFUE.

11. Avez-vous des remarques ou des informations complémentaires à porter à notre connaissance ?

Peu d'initiatives sont signalées, quelques informations spécifiques aux pays concernés sont communiquées.


* 1 COM(2014)477 final, p.2

* 23 Notamment dans ses ouvrages Grammaire des civilisations, 1987, Arthaud-Flammarion et L'Identité de la France, 1986, Arthaud-Flammarion

* 4 Une certaine idée de l'Europe , 2005, Actes Sud

* 5 Cf. Oriane Calligaro, « Quelle(s) culture(s) pour l'Europe ? Les visions contrastées du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne de 1949 à nos jours. » Politique européenne 2017/2 (N°56)

* 6 Article premier de ladite convention, STCE n° 18

* 7 Paragraphe 3, point d

* 8 « Quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges et de la concurrence dans l'Union par une mesure contraire à l'intérêt commun ».

* 9 Des évaluations de ce programme ont montré, selon la Commission européenne, que chaque euro dépensé en rapportait jusqu'à 8. Ce programme a aussi permis à certaines villes lauréates d'axer durablement leur développement sur le patrimoine et le tourisme. Les villes de Kaunas en Lituanie, Esch-sur-Alzette au Luxembourg et Novi-Sad en Serbie sont les trois capitales européennes de la culture en 2022.

* 10 Décision n°2228/97/CE

* 11 JO C 319 du 13.12.2008, p.11-12

* 12 Décision n° 1194/2011/UE

* 13 Cf. liste en annexe

* 14 CM(2013)148-addfinal

* 15 L'audit portait sur les travaux de la Commission et sur 27 projets dans sept États membres.

* 16 Source : Cour des comptes européenne, sur la base de données fournie par Eurostat, rapport précité, p. 26

* 17 https://culture.ec.europa.eu/funding/cultureu-funding-guide

* 18 Europe 2020, qui a succédé à la stratégie de Lisbonne-Göteborg, est une « stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive » adoptée par le Conseil européen du 17 juin 2010.

* 19 Cf le guide « Placer les personnes et le patrimoine au coeur du projet de territoire », publié en juin 2021 par l'association Petites cités de caractère de France.

* 20 Cf Valérie Jousseaume, Plouc Pride, un nouveau récit pour les campagnes , édition de l'Aube, 2021, 301 p. qui fait notamment appel au « génie territorial » des élus.

* 21 La synthèse de ces réponses figure en annexe.

* 22 Par exemple Conseil d'État, ass., 13 avr. 2018

* 23 COM(2021) 573

* 24 Cf. la déclaration du conseil des architectes d'Europe en date du 2 décembre 2021 sur les conclusions du Conseil des ministres de l'Union européenne chargés de la culture du 30 novembre 2021 sur « la culture, l'architecture de qualité et l'environnement bâti en tant qu'éléments clés du Nouveau Bauhaus européen »,

* 25 (9837/21)

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