Rapport d'information n° 195 (2021-2022) de Mme Françoise DUMONT , fait au nom de la commission des lois, déposé le 24 novembre 2021

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N° 195

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la sécurité civile ,

Par Mme Françoise DUMONT,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Ludovic Haye, Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 24 novembre 2021, sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), la commission des lois a examiné, sur le rapport de Françoise Dumont (Les Républicains - Var), les crédits du programme 161 « Sécurité civile » de la mission « Sécurités », inscrits au projet de loi de finances pour 2022 . À cette occasion, elle a entendu Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur 1 ( * ) .

Le programme 161 « Sécurité civile » est l'un des quatre programmes de la mission « Sécurités » 2 ( * ) qui « concourt à la stratégie du ministère de l'intérieur visant à protéger et secourir les Français sur l'ensemble du territoire » 3 ( * ) .

L'État est « garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national ». À ce titre, il « en définit la doctrine [...] coordonne ses moyens [...] évalue en permanence l'état de préparation aux risques et veille à la mise en oeuvre des mesures d'information et d'alerte des populations » 4 ( * ) . Le ministère de l'intérieur est son bras armé.

Piloté par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), le programme « Sécurité civile » finance les moyens nationaux de la sécurité civile, qu'il s'agisse des outils d'intervention opérationnels mis en oeuvre au quotidien pour le secours à personne, les opérations de déminage ou déclenchées en cas de catastrophes majeures, qu'elles soient naturelles comme les feux de forêt, les inondations, les tempêtes ou les séismes, ou technologiques avec les risques NRBC-E (nucléaire, radiologique, biologique, chimique et explosif).

La commission a constaté la hausse globale des crédits alloués au programme 161 tout en soulignant que cette hausse est aussi la conséquence d'effets de périmètre . La commission accueille également favorablement le développement des moyens aériens de la sécurité civile avec la poursuite des livraisons d'avions Dash 8 et l'achat de quatre hélicoptères. Elle entend toutefois que ces efforts soient poursuivis lors des exercices à venir. Enfin, la commission s'inquiète du retard pris par le programme NexSIS porté par l'Agence du numérique de la sécurité civile et attend qu'il soit pallié par des moyens supplémentaires de la part de l'État.

I. LA HAUSSE DES MOYENS DU PROGRAMME « SÉCURITÉ CIVLE »

A. DES CRÉDITS EN HAUSSE

Le projet de loi de finances pour 2022 transmis au Sénat prévoit une augmentation tant des autorisations d'engagement (AE) que des crédits de paiement (CP) .

Les AE passent de 413 à 678 millions d'euros, soit une augmentation de 64,1%. Cette augmentation s'explique principalement par un effet de périmètre puisque les coûts de maintien en condition opérationnelle (MCO) des aéronefs de la sécurité civile ont été réintégrés dans le programme « sécurité civile ».

En loi de finances initiale (LFI) 2021, ces coûts avaient exceptionnellement été imputés dans la mission « plan de relance » . Les AE du programme 161 avaient alors subit une baisse faciale de 15,5 %, passant de 491 millions d'euros à 413 millions d'euros. La réintégration de ces crédits au sein du programme 161 est d'autant plus significative que la reconduction, pour cinq années, du marché de maintenance des avions de la sécurité civile confié à la société Sabena Technics à compter du 1 er octobre 2022 correspond à 184 millions d'euros d'AE.

Le rapatriement des crédits dédiés au MCO des aéronefs dans le programme 161 justifie également, en partie, l'augmentation des CP pour l'année 2022 puisque 37 millions d'euros étaient imputés, en loi de finance initiale (LFI) 2021, à la mission « Plan de relance ». Comme Jean-Pierre Vogel, rapporteur spécial de la commission des finances, la rapporteure de la commission des lois s'étonne que le retour des crédits de MCO de la mission « Plan de relance » vers le programme 161 « sécurité civile » n'ait pas été identifié comme un simple effet de périmètre par le projet annuel de performance ou par les réponses au questionnaire budgétaire.

Évolution des crédits
de la sécurité civile sur deux ans
(en euros)

Numéro et intitulé
de l'action

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

• Ouvertes en LFI 2021

Demandées pour 2022

Évolution
(en %)

Ouverts en LFI 2021

Demandés pour 2022

Évolution
(en %)

11

Prévention et gestion des crises

34 599 586

35 484 054

+ 2,6 %

35 625 134

37 727 406

+5,9 %

12

Préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux

237 467 999

490 934 414

+ 106,7 %

341 365 926

378 425 040

+ 10,9 %

13

Soutien aux acteurs de la sécurité civile

130 551 552

140 851 325

+ 7,9 %

130 958 532

141 254 599

+ 7,9 %

14

Fonctionnement, soutien et logistique

10 821 284

11 222 909

+ 3,7 %

10 821 284

11 222 909

+ 3,7 %

TOTAL

413 440 421

678 492 702

+ 64,1 %

518 770 876

568 629 954

+ 9,6 %

Cette année, les crédits n'ont pas été modifiés par une seconde délibération à l'Assemblée nationale.

Évolution des crédits
de la mission « Sécurité civile » sur huit ans
(en millions d'euros)

B. DES EFFECTIFS EN LÉGÈRE BAISSE

Le plafond d'emplois diminue de 2,44 équivalents temps plein travaillé (ETP), passant de 2 490 en LFI 2021 à 2 487,56 pour le PLF 2022. L'extension en année pleine des schémas d'emplois 2021 sur 2022 conduit à une augmentation nette de 10 ETPT, compensée par des schémas d'emplois pour 2022 conduisant, eux, à la suppression de 13,44 ETPT auxquels un effet de périmètre conduit à ajouter la création d'un ETPT (remplacement d'un personnel navigant relevant du statut des sapeurs-pompiers de Paris par un personnel technique).

Les dépenses de personnel (titre 2) augmentent légèrement au sein de ce PLF, passant à 190,4 millions d'euros demandés cette année en AE et en CP, contre 189,4 millions d'euros en LFI 2021. Cette augmentation de la masse salariale est à rapprocher des efforts faits en faveur des pilotes de la sécurité civile. Entendue par la commission des lois, Marlène Schiappa, indiquait que : « nous avons tenu à revaloriser dans ce PLF la rémunération des pilotes d'avions et d'hélicoptères, comme celle des mécaniciens opérateurs, afin de les fidéliser, mais aussi parce que, au vu des risques encourus, nous considérons qu'un rattrapage leur était dû » 5 ( * ) .

Le plafond d'emplois du programme « Sécurité civile » pour 2021 6 ( * )

2 487,56 ETPT, soit -2,44 ETPT par rapport à 2021 7 ( * ) :

- 132,33 personnels administratifs (+ 4,33) ;

- 507,45 personnels techniques (+7,45) ;

- 1 412,18 militaires (hors gendarmes) (- 2,82) ;

- 49,93 ouvriers d'État (- 11,07) ;

- 81 hauts fonctionnaires, ou personnels des corps de conception et de direction, et corps de commandement (police nationale) (-) ;

- 304,67 personnels de corps d'encadrement et d'application (- 0,33).

C. L'ÉVOLUTION DES MOYENS AÉRIENS DE LA SÉCURITÉ CIVILE

La remise à niveau de la flotte aérienne de la sécurité civile est un des principaux chantiers de la DGSCGC depuis quatre ans.

Cette remise à niveau se traduit principalement par la poursuite de l'exécution du marché public notifié le 10 janvier 2018 à la société CONAIR portant sur l'acquisition de six appareils multi-rôles de type Dash 8 Q400M 8 ( * ) afin de pallier le retrait des sept Tracker 9 ( * ) que comptait la flotte de la sécurité civile. Ces avions arrivant au terme des 25 000 heures de vol fixées par le constructeur, il était initialement prévu de les retirer progressivement à mesure des livraisons des Dash 8. Toutefois, la perte d'un Tracker et le décès de son pilote pendant la saison des feux 2019 puis la détection d'un problème technique sur les trains d'atterrissage de ces appareils a conduit la DGSCGC au retrait anticipé de l'ensemble des Tracker au cours de l'année 2020.

Le premier appareil Dash 8 a été livré en 2019 avant qu'un second ne le rejoigne en 2020, conformément au calendrier prévisionnel prévu par le marché. Pour l'année 2021, seul un appareil sur les deux prévus a été effectivement livré, la livraison du second devant intervenir qu'en toute fin d'année 10 ( * ) .

L'échéancier actualisé de ces acquisitions est le suivant :

En M€

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

TOTAL

Commande

6

6

Livraison

1

1

2

1

1

6

AE

-

322,06

1,62

2,33

6,72

15,81

14,74

364,49

CP

-

34,35

64,17

66,09

79,29

66,2

53,18

364,49

Comme lors de la saison dernière, le retrait anticipé des Tracker a également été compensé par la location d e deux hélicoptères bombardier d'eau de type EC225.

Répartition sommaire des appareils
du Bureau des moyens aériens de la DGSCGC
(octobre 2021)
11 ( * )

Appareils

Échelon central

-

Groupement « Avions »

17 avions bombardiers d'eau :

12 Canadair CL 415 amphibies

5 bombardiers lourds polyvalents Dash 8

3 avions de liaison de type Beechraft King 200

Groupement « Hélicoptères »

33 hélicoptères EC 145 biturbines

2 hélicoptères EC 225 bombardiers d'eau (location)

Seule habilitée à passer des marchés publics portant sur l'acquisition d'aéronefs, la direction générale de l'armement a reçu une demande de la DGSCGC, le 7 mai 2020, pour le lancement du marché d'acquisition de deux avions bombardier d'eau amphibie. Ces deux appareils devraient être financés par le programme européen RescUE à 90 %. Cette demande prévoit, au-delà des deux avions RescUE, la possibilité optionnelle de commander 2 avions supplémentaires sur fonds propres DGSCGC. Toutefois, comme l'indique la DGSCGC, « le retard pris par la société Viking sur la décision de lancement de sa chaîne de production retarde la décision de lancer ces commandes » 12 ( * ) .

La flotte d'hélicoptères a récemment perdu trois appareils (deux en 2019 et un en 2021) portant le nombre d'hélicoptères EC 145 à 33. Dans le cadre du Plan de soutien à l'aéronautique et pour une industrie verte et compétitive du 9 juin 2020, la DGSCGC a passé un marché tendant à l'acquisition ferme de deux hélicoptères H145 D3 de la société Airbus Helicopters ainsi que deux appareils en option sur la base de crédits ouverts dans la troisième loi de finances rectificative de 2020. Les deux appareils prévus par la tranche ferme du contrat sont aujourd'hui en attente de livraison.

En outre, le président de la République a récemment annoncé lors du congrès de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) que deux hélicoptères supplémentaires devraient être commandés d'ici l'année prochaine via la part optionnelle du marché passé, sur la base de crédits qui ne sont pas inscrits dans le présent PLF. La flotte d'hélicoptères de la sécurité civile devrait donc bientôt compter 37 appareils bien que la DGSCGC, évalue « un besoin cible de 38 appareils pour armer l'ensemble des bases et détachements saisonniers ainsi que pour dédier 1 à 2 machines à l'instruction et au nécessaire maintien en compétence des équipages » 13 ( * ) .

La rapporteure estime, en conséquence, que les efforts fournis pour l'acquisition de nouveaux hélicoptères sont souhaitables mais devront être accentués dans les années à venir.

II. LE PROJET NEXSIS : UN ENJEU FONDAMENTAL POUR LES SERVICES D'INCENDIE ET DE SECOURS NÉCESSITANT UN SOUTIEN PLUS FORT DE L'ÉTAT

1. NexSIS : une solution d'avenir pour la modernisation des SGA-SGO des SDIS

Initié en 2016, le projet « NexSIS 18-112 » est porté par l'Agence nationale de la sécurité civile (ANSC), en application de l'article R. 732-11-2. du code de la sécurité intérieure. Il a pour objet d'offrir aux SDIS qui le souhaitent une solution permettant le remplacement de leurs systèmes de gestion des alertes - systèmes de gestion opérationnels (SGA-SGO). Les SGA-SGO sont des systèmes d'information principalement utilisés par les centres de traitement des appels - centres opérationnels départementaux d'incendie et de secours (CTA-CODIS) des SIS. Ils permettent, en temps réel, d'identifier et de localiser les moyens humains et matériels dont dispose le SIS pour répondre à une alerte donnée. La structuration des moyens humains (sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires), la diversité des moyens matériels et leur répartition au sein des centres de secours du département font du SGA-SGO la moelle épinière des SIS et de leur capacité opérationnelle .

En 2019, l'ANSC a désigné le SDIS de Seine-et-Marne comme SDIS préfigurateur pour la mise en place du système NexSIS et a établi une liste des SDIS primo-accédant pour le déploiement de ce système. Ainsi, sept SIS devaient initialement voir leurs SGA-SGO actuels remplacés par le système NexSIS en 2021, puis quatorze SIS supplémentaires ainsi que la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris en 2022. Or, le conseil d'administration de l'ANSC du 7 juillet 2021 a révélé que le calendrier initial ne pourrait être tenu du fait de certaines contraintes induites par la crise sanitaire ainsi que par un manque de personnels qualifiés.

2. Un retard inquiétant à plusieurs titres

Le principal risque induit par le retard de livraison concerne la remise en cause des capacités opérationnelles des SIS concernés . Certains SGA-SGO, devenus particulièrement obsolètes, ne sont plus mis à jour par leurs éditeurs et certains systèmes anciens ne proposent pas les fonctionnalités récentes mises à disposition par la DGSCGC ou l'ANSC telles que la géolocalisation des appels d'urgence.

En outre, la maintenance des systèmes devient de moins en moins facile pour les SIS puisque les sociétés historiquement en charge ne disposent parfois plus des compétences pour intervenir sur des systèmes dont le remplacement a, en tout état de cause, été annoncé. La maintenance des matériels informatiques est également problématique puisque les SGA-SGO les plus anciens fonctionnent avec du matériel datant parfois des années 1990 et dont le remplacement total ou partiel peut être difficile. De plus, certains SDIS ont anticipé le lancement de NexSIS en ne renouvelant pas leur contrat de maintenance. C'est notamment le cas pour celui du Var, dont le contrat prendra fin l'année prochaine.

Il résulte de ces différents facteurs un risque croissant de pannes lourdes pouvant, le cas échéant, aboutir à une perte totale du système qui impliquerait un passage en mode « ultra-dégradé » pour la gestion des appels d'urgence depuis la prise d'appel jusqu'au déclenchement des sapeurs-pompiers dans les casernes (méthode « téléphone - papier - crayon ») alors que les SDIS ont reçu près de 16 millions d'appels en 2020 14 ( * ) et que certains d'entre eux, comme ceux du Var ou de la Gironde, procèdent à plus de 100 000 interventions par an.

Une panne lourde de SGO-SGA aurait donc des conséquences dramatiques dans les départements concernés , sans aucune commune mesure avec la panne des numéros d'appels d'urgence connue le 2 juin dernier sur le réseau de l'opérateur Orange.

En outre, ce retard pourrait porter préjudice à l'expérimentation des plateformes communes de réception des appels d'urgence prévue à l'article 31 de la proposition de loi « Matras » définitivement adoptée par le Parlement le 16 novembre dernier 15 ( * ) . Il semble difficilement envisageable de procéder au regroupement des CTA-CODIS et des centres de réception des appels des services d'aide médicale urgente (SAMU) sans utiliser le système NexSIS, alors qu'il a vocation à être adopté par une part significative des SIS et qu'il a justement été conçu pour rendre possible un tel regroupement.

Enfin ce retard est particulièrement préjudiciable pour les SIS qui, en application de l'article R. 732-11-17 du code de la sécurité intérieure, ont d'ores et déjà versé des subventions d'investissement à l'ANSC en vue de se doter du système NexSIS en application de conventions concluent « entre l'agence et les services utilisateurs concernés pour préciser les modalités financières et comptables de ces rémunérations et subventions » .

Ces subventions représentent un montant cumulé de plus de 12,5 millions d'euros pour les années 2019 et 2020, soit un effort significatif pour les SIS et les collectivités qui contribuent à leur financement. Ces dernières sont donc particulièrement inquiètes à la vue du retard que prend le projet.

3. Des manques de moyens difficilement acceptables

Le retard de déploiement de NexSIS est difficilement acceptable pour les collectivités contributrices puisque les dotations de l'État à destination de l'agence sont constituées d'une subvention pour charges de service public d'un montant de 5 millions d'euros en AE et en CP et d'une dotation en fonds propres de 2 millions d'euros en AE et en CP au titre de la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS 16 ( * ) .

Pour rappel, cette dotation avait été créée en 2016 pour redéployer les économies permises par la réforme de la prestation de fidélisation et de reconnaissance (PFR) versée aux sapeurs-pompiers volontaires 17 ( * ) , qui s'était traduite par une diminution significative du montant de la participation versée à ce titre par l'État aux départements , passée de 32 millions d'euros en 2015 à 3 millions d'euros en 2017.

Concomitamment, il avait donc été décidé qu'une large partie de cette économie viendrait abonder un fonds de soutien aux SDIS , appelé « dotation de soutien aux investissements structurants des services d'incendie et de secours » , et destiné à financer des projets « présentant un caractère structurant, innovant ou d'intérêt national » 18 ( * ) .

En 2017, l'engagement de l'État avait été respecté avec une dotation aux investissements structurants atteignant 25 millions d'euros 19 ( * ) . Mais, depuis lors, l'écart cumulé entre les économies réalisées au titre de la NPFR et les montants redistribués via la dotation aux investissements structurants n'a cessé de croitre et était évalué, en 2020, par Catherine Troendlé, alors rapporteure pour avis de la commission des lois, à plus de 62 millions d'euros 20 ( * ) .

À l'heure actuelle, la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS se limitant à la seule dotation à destination de l'ANSC, il est donc regrettable que celle-ci se limite à un montant de 2 millions d'euros.

Ainsi, au regard du caractère vital du programme NexSIS, du retard déjà enregistré pour son déploiement, des engagements financiers significatifs portés par les SIS et de la baisse récurrente de la dotation aux investissements structurants des SDIS depuis 2017, la rapporteure de la commission des lois appelle à un effort financier conséquent de l'État pour le financement de l'ANSC.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 24 NOVEMBRE 2021

M. François-Noël Buffet , président. - Nous entendons désormais la communication de Françoise Dumont sur les crédits du programme « Sécurité civile » du projet de loi de finances pour 2022.

Mme Françoise Dumont , rapporteure . - Le programme 161 est l'un des quatre programmes de la mission « Sécurités » qui concourt à la stratégie du ministère de l'intérieur visant à protéger et secourir les Français sur l'ensemble du territoire.

Piloté par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), le programme « Sécurité civile » finance les moyens nationaux de la sécurité civile, qu'il s'agisse des outils d'intervention opérationnels mis en oeuvre au quotidien pour le secours à personne, les opérations de déminage ou déclenchées en cas de catastrophes majeures, qu'elles soient naturelles comme les feux de forêt, les inondations, les tempêtes ou les séismes, ou technologiques avec les risques NRBC-E - nucléaire, radiologique, biologique, chimique et explosif.

Cette année, les moyens alloués à ce programme connaissent une hausse tant en autorisations d'engagement (AE) qu'en crédits de paiement (CP). Les AE passent de 413 à 678 millions d'euros, soit une augmentation de 64,1 %. Cette augmentation s'explique principalement par un effet de périmètre puisque les coûts de maintien en condition opérationnelle (MCO) des aéronefs de la sécurité civile ont été réintégrés dans le programme « Sécurité civile », alors qu'ils avaient été basculés, l'année dernière, dans la mission « Plan de relance ».

La réintégration de ces crédits au sein du programme 161 est d'autant plus significative que la reconduction, pour cinq années, du marché de maintenance des avions de la sécurité civile confié à la société Sabena Technics à compter du 1 er octobre 2022 correspond à 184 millions d'euros d'AE.

Le rapatriement des crédits dédiés au MCO des aéronefs dans le programme 161 justifie également, en partie, l'augmentation des CP pour l'année 2022, passant de 518 millions d'euros en loi de finances initiale de 2021 à 568 millions d'euros.

Un des principaux chantiers portés par la DGSCGC au travers du programme 161 concerne les moyens aériens de la sécurité civile. Cette année, il se traduit principalement par la poursuite de l'exécution du marché public notifié en 2018 portant sur l'acquisition de six appareils multi-rôles de type Dash 8 afin de pallier le retrait des sept Tracker que comptait la flotte de la sécurité civile. Ces avions arrivant au terme des 25 000 heures de vol fixées par le constructeur, il était initialement prévu de les retirer progressivement à mesure des livraisons des Dash 8. Toutefois, la perte d'un Tracker et le décès de son pilote pendant la saison des feux 2019 puis la détection d'un problème technique sur les trains d'atterrissage de ces appareils ont conduit la DGSCGC au retrait anticipé de l'ensemble des Tracker au cours de l'année 2020.

Le premier appareil Dash 8 a été livré en 2019 avant qu'un second ne le rejoigne en 2020, conformément au calendrier prévisionnel prévu par le marché. Pour l'année 2021, seul un appareil sur les deux prévus a été effectivement livré, la livraison du second devant intervenir qu'en toute fin d'année.

Le Président de la République a récemment annoncé, lors du congrès de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, que deux hélicoptères supplémentaires devraient être commandés d'ici à l'année prochaine en plus des deux unités en attente de livraison qui ont été commandées l'année dernière. La flotte d'hélicoptères de la sécurité civile devrait donc bientôt compter 37 appareils, bien que la DGSCGC évalue « un besoin cible de 38 appareils ». Les efforts doivent donc être poursuivis dans les années à venir.

Enfin, la présentation de ce budget est, pour moi, l'occasion de partager mes inquiétudes quant au retard du programme NexSIS porté depuis 2016 par l'Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC). Ce programme a pour objet d'offrir aux services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) qui le souhaitent une solution permettant le remplacement de leurs systèmes de gestion des alertes et de gestion opérationnelle (SGA-SGO).

Les SGA-SGO sont des systèmes d'information principalement utilisés par les centres de traitement de l'alerte - centres opérationnels départementaux d'incendie et de secours (CTA-CODIS) des SIS. Ils permettent, en temps réel, d'identifier, de localiser et de mobiliser les moyens humains et matériels dont dispose le SIS pour répondre à une alerte donnée. La structuration des moyens humains - sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires -, la diversité des moyens matériels et leur répartition au sein des centres de secours du département font du SGA-SGO la moelle épinière des SIS et de leur capacité opérationnelle.

En 2019, l'ANSC a désigné le SDIS de Seine-et-Marne comme SDIS préfigurateur pour la mise en place du système NexSIS et a établi une liste des SDIS primo-accédant pour le déploiement de ce système. Ainsi, sept SIS devaient initialement voir leurs SGA-SGO actuels remplacés par le système NexSIS en 2021, et quatorze SIS supplémentaires ainsi que la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris en 2022. Or, le conseil d'administration de l'ANSC du 7 juillet 2021 a révélé que le calendrier initial ne pourrait être tenu du fait de certaines contraintes induites par la crise sanitaire ainsi que par un manque de personnels qualifiés.

Ce retard est inquiétant à plusieurs titres. Le principal risque concerne la remise en cause des capacités opérationnelles des SIS concernés. Certains SGA-SGO sont devenus particulièrement obsolètes et ne sont plus mis à jour par leurs éditeurs. La maintenance des systèmes devient de moins en moins facile pour les SIS puisque les sociétés historiquement en charge ne disposent parfois plus des compétences pour intervenir sur des systèmes dont le remplacement a, en tout état de cause, été annoncé. La maintenance des matériels informatiques est également problématique puisque les SGA-SGO les plus anciens fonctionnent avec du matériel datant parfois des années 1990 et dont le remplacement total ou partiel peut être difficile. De plus, certains SDIS ont anticipé le lancement de NexSIS en ne renouvelant pas leur contrat de maintenance. C'est notamment le cas pour celui de mon département, le Var, dont le contrat prendra fin l'année prochaine.

Il résulte de ces différents facteurs un risque croissant de pannes lourdes pouvant, le cas échéant, aboutir à une perte totale du système qui impliquerait un passage en mode « ultra-dégradé » pour la gestion des appels d'urgence depuis la prise d'appel jusqu'au déclenchement des sapeurs-pompiers dans les casernes - méthode « téléphone-papier-crayon » - alors que les SDIS ont reçu près de 16 millions d'appels en 2020 et que certains d'entre eux, comme ceux du Var ou de la Gironde, procèdent à plus de 100 000 interventions par an.

Une panne lourde de SGO-SGA aurait donc des conséquences dramatiques dans les départements concernés, sans aucune commune mesure avec la panne des numéros d'appels d'urgence connue le 2 juin dernier sur le réseau de l'opérateur Orange.

En outre, ce retard pourrait porter préjudice à l'expérimentation des plateformes communes de réception des appels d'urgence prévue à l'article 31 de la proposition de loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers, dite proposition de loi « Matras » définitivement adoptée par le Parlement le 16 novembre dernier. Il semble difficilement envisageable de procéder au regroupement des CTA-CODIS et des centres de réception des appels des services d'aide médicale urgente (SAMU) sans utiliser le système NexSIS, alors qu'il a vocation à être adopté par une part significative des SIS et qu'il a justement été conçu pour rendre possible un tel regroupement.

Enfin, ce retard est particulièrement préjudiciable pour les SIS qui ont d'ores et déjà versé des subventions d'investissement à l'ANSC dont le montant cumulé atteint plus de 12,5 millions d'euros pour les années 2019 et 2020. Il s'agit d'un effort significatif pour les SIS et les collectivités qui contribuent à leur financement et ces dernières sont donc particulièrement inquiètes à la vue du retard que prend le projet.

Le retard de déploiement de NexSIS est difficilement acceptable pour les collectivités contributrices puisque les dotations de l'État à destination de l'agence sont constituées d'une subvention pour charges de service public d'un montant de 5 millions d'euros en AE et en CP et d'une dotation en fonds propres de 2 millions d'euros en AE et en CP au titre de la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS.

Pour rappel, cette dotation avait été créée en 2016 pour redéployer les économies permises par la réforme de la prestation de fidélisation et de reconnaissance (PFR) versée aux sapeurs-pompiers volontaires, qui s'était traduite par une diminution significative du montant de la participation versée à ce titre par l'État aux départements, passée de 32 millions d'euros en 2015 à 3 millions d'euros en 2017.

En 2017, l'engagement de l'État avait été respecté avec une dotation aux investissements structurants atteignant 25 millions d'euros. Mais, depuis lors, l'écart cumulé entre les économies réalisées au titre de la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance (NPFR) et les montants redistribués via la dotation aux investissements structurants n'a cessé de croître et était évalué, par Catherine Troendlé, en 2020, à plus de 62 millions d'euros.

À l'heure actuelle, la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS se limitant à la seule dotation à destination de l'ANSC, il est donc regrettable que celle-ci se limite à un montant de 2 millions d'euros.

Ainsi, au regard du caractère vital du programme NexSIS, du retard déjà enregistré pour son déploiement, des engagements financiers significatifs portés par les SIS et de la baisse récurrente de la dotation aux investissements structurants des SDIS depuis 2017, j'appelle à un effort financier conséquent de l'État pour le financement de l'ANSC.

M. Hussein Bourgi . - Le projet NexSIS ayant été annoncé pour être opérationnel lors des jeux Olympiques (JO) de 2024, le retard pris nous inquiète pour des raisons budgétaires, mais aussi dans la préparation des JO ; nous pourrions auditionner le ministre de l'intérieur sur ce point.

Il faut analyser les chiffres de ce budget à l'échelle du quinquennat, puisque les crédits de la sécurité civile ont augmenté puis baissé : sur la durée, ils n'ont pas plus progressé que l'inflation. Dans le détail, sur le programme 161, la seule action qui augmente concerne la gestion des crises majeures tandis que les crédits à la prévention restent stables, de même que le soutien aux acteurs de la sécurité civile. Or, le changement climatique est là, les risques sont là, les catastrophes vont se multiplier : il faut investir en amont et non pas se contenter de renforcer les moyens d'urgence.

Mme Françoise Dumont , rapporteure . - Pour avoir présidé l'ANSC de sa création jusqu'à l'année dernière, je sais combien les SGA-SGO des SDIS sont obsolètes et difficiles à maintenir, certains sont au bord de la rupture et une panne obligerait à passer en mode « ultra-dégradé », avec des risques évidents pour la sécurité civile. Cette situation est effectivement inquiétante dans la perspective des JO. J'ai indiqué il y a quinze jours au cabinet du ministre de l'intérieur, que l'ANSC manquait de 12 équivalents temps plein (ETP) pour aider les SDIS à s'adapter. L'année prochaine sera décisive ; le Gouvernement s'est engagé à combler les vides par redéploiement ; nous avons convenu de nous revoir régulièrement : nous resterons vigilants.

La commission donne acte de sa communication à la rapporteure et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de l'intérieur

Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGS)

M. Alain Thirion , directeur général

M. Stéphane Thebault , sous-directeur des affaires internationales, des ressources et de la stratégie

Conférence nationale des services d'incendie et de secours (CNSIS)

M. Olivier Richefou , président de la CNSIS et président du Conseil départemental de la Mayenne

Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF)

Cgl Éric Florès , vice-président, charge' du positionnement des sapeurs-pompiers de France

M. Guillaume Bellanger , directeur de cabinet

Assemblée des départements de France (ADF)

M. André Accary , président du Département de Saône-et-Loire, membre du bureau de l'Assemblée des Départements de France, président de la commission « sapeurs-pompiers »

M Yoann Charlot , directeur de cabinet

Col Jean-Baptiste Estachy , conseiller sécurité civile (SDIS)

Mme Marylène Jouvien , conseillère Relations avec le Parlement


* 1 Le compte rendu de cette réunion est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20211115/lois.html

* 2 Les autres programmes sont examinés dans le rapport d'Henri Leroy.

* 3 Article 1 er de la loi du 13 août 2014 relative à la modernisation de la sécurité civile.

* 4 Article L. 112-2 du code de la sécurité intérieure.

* 5 Le compte rendu de cette réunion est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20211115/lois.html

* 6 Source : projet annuel de performances Sécurités 2022.

* 7 Les totaux et variations tiennent compte des effets de mesures de transferts et de périmètre, des effets de corrections techniques et de l'impact du schéma d'emploi pour 2022.

* 8 Les appareils de type « Dash 8 » sont des avions multi-rôles, bimoteurs à turbopropulseurs, rapides et d'une capacité d'emport de 10 tonnes d'eau contre 3 pour les Tracker.

* 9 Les Tracker de la DGSCGC sont des avions bombardiers d'eau bimoteurs à turbopropulseurs dérivés d'appareils conçus dans les années 1950 et initialement destinés à la lutte anti-sous-marine par la marine américaine.

* 10 Source : audition du directeur général de la DGSCGC.

* 11 Données issues de réponses au questionnaire budgétaire.

* 12 Réponse au questionnaire budgétaire.

* 13 Ibidem .

* 14 Les statistiques des services d'incendie et de secours, édition 2021, page 31.

* 15 Article 31 de la proposition de loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels.

* 16 Source : projet annuel de performance annexé au PLF pour 2022.

* 17 Loi n° 2007-1867 du 27 décembre 2016 relative aux sapeurs-pompiers professionnels et aux sapeurs-pompiers volontaires.

* 18 Article L. 1424-36-2.-I du code général des collectivités territoriales issu de l'article 17 de la loi du 27 décembre 2016 précitée.

* 19 Voir l'avis budgétaire de la commission des lois sur le programme 161 de la mission « sécurités » du PLF 2020, page 19.

* 20 Ibidem , page 20.

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