Rapport d'information n° 468 (2018-2019) de M. Albéric de MONTGOLFIER , rapporteur général, fait au nom de la commission des finances, déposé le 29 avril 2019

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N° 468

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 avril 2019

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022 ,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Rapporteur général,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Mme Fabienne Keller, MM. Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le Conseil des ministres a adopté, le 10 avril dernier, le projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022 , qui présente, pour cette période, la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement ainsi que le scénario macroéconomique sous-jacent.

Véritable support des engagements européens de notre pays en matière budgétaire, ce projet s'accompagne du programme national de réforme , qui a pour finalité d'exposer les mesures programmées ou déjà mises en oeuvre afin de réaliser les objectifs fixés.

Dans le cadre du semestre européen, ces deux documents doivent être transmis à la Commission européenne avant le 30 avril . Par la suite, l'examen du programme de stabilité par les institutions européennes donnera lieu d'ici le mois de juillet à une recommandation du Conseil de l'Union européenne , prise sur la base d'une proposition de la Commission européenne.

L'exercice présente cette année des enjeux encore plus importants, du fait de sa double particularité .

D'une part, il est l'occasion, pour le Gouvernement, non seulement de tirer les conséquences budgétaires du ralentissement de l'économie, mais également de mettre à jour sa trajectoire pour tenir compte des mesures adoptées à la suite des annonces du Président de la République du 10 décembre 2018 , afin de répondre aux préoccupations exprimées par le mouvement dit des « gilets jaunes ».

D'autre part, la programmation pluriannuelle a été établie indépendamment des conclusions tirées du Grand débat national - et ce alors même que celles-ci auront à n'en pas douter un impact sur la trajectoire budgétaire.

Aussi, votre commission a demandé que le projet de programme de stabilité fasse l'objet d'un débat en séance publique . Il se tiendra le lundi 29 avril 2019 en vertu de l'article 30.1 du règlement du Sénat. Cependant, pour la huitième année consécutive, le Sénat ne sera pas appelé à se prononcer par un vote sur ce projet, contrairement à l'Assemblée nationale.

Dans ce contexte, le présent rapport procède à un examen aussi approfondi que possible du projet de programme de stabilité, avant sa communication aux institutions européennes , conformément à une tradition établie de la commission des finances du Sénat, qui publie un avis circonstancié sur les projets de programme de stabilité depuis 2011.

I. UN SCÉNARIO MACROÉCONOMIQUE RÉALISTE QUI PREND ACTE DU RALENTISSEMENT DE L'ÉCONOMIE

Principales hypothèses du scénario macroéconomique 2018-2022

(taux d'évolution en volume, sauf indication contraire)

2018

2019

2020

2021

2022

Produit intérieur brut

1,6

1,4

1,4

1,4

1,4

Déflateur

0,9

1,2

1,2

1,5

1,7

Indice des prix à la consommation

1,8

1,3

1,3

1,5

1,75

Écart de production

- 0,3

- 0,1

0,0

0,1

0,1

Croissance potentielle

1,25

1,25

1,25

1,30

1,35

OAT à 10 ans (moyenne annuelle)

0,8

0,9

1,7

2,4

3,2

Élasticité des prélèvements obligatoires au PIB

1,2

1,0

1,0

1,0

1,0

Taux de change effectif nominal

2,7

- 0,9

0,0

0,0

0,0

Prix du pétrole (baril de Brent en $)

71

64

65

65

65

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

A. LE SCÉNARIO DE CROISSANCE EST REVU À LA BAISSE AFIN DE TENIR COMPTE DES SIGNAUX CONJONCTURELS DÉFAVORABLES ET DE LA FERMETURE DE L'ÉCART DE PRODUCTION

Alors que le projet de loi de finances pour 2019 avait déjà été marqué par une révision à la baisse du scénario de croissance gouvernemental, les hypothèses d'évolution du produit intérieur brut (PIB) retenues dans le cadre du présent programme de stabilité sont de nouveau en net recul .

Évolution du scénario de croissance retenu par le Gouvernement

(taux d'évolution du PIB en volume)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

1. La confirmation du ralentissement de l'économie observé depuis l'été 2018 s'accompagne d'une révision à la baisse des perspectives de croissance de court terme (2019-2020)

S'agissant des perspectives de croissance de court terme (2019-2020), le Gouvernement prend acte du ralentissement de l'économie observé depuis le début de l'année 2018 .

La révision à la baisse (- 0,3 point) de l'hypothèse de croissance 2019 par rapport au projet de loi de finances tient ainsi principalement à deux facteurs .

D'une part, un « effet base » 2018 défavorable.

À l'issue de l'exercice 2018, l'acquis de croissance - qui représente le taux de croissance qui serait observé en 2019 si l'activité restait au niveau du dernier trimestre de 2018 - est ainsi légèrement inférieur à 0,4 % , soit un niveau inférieur de 0,3 point à celui anticipé à l'automne dernier. À titre de comparaison, l'acquis de croissance était de 1,0 % à l'issue de l'exercice 2017.

D'autre part, le ralentissement plus fort qu'anticipé du commerce mondial et de l'activité en zone euro pèse sur les exportations françaises.

Évolution des prévisions de croissance du Consensus forecasts
pour l'année 2019

(taux d'évolution du PIB en volume)

Source : commission des finances du Sénat

La hausse de la demande adressée à la France serait ainsi limitée à 2,7 % en 2019 , en net recul tant par rapport au précédent programme de stabilité qu'au projet de loi de finances pour 2019.

Évolution de la prévision de demande adressée
à la France en 2019

(taux d'évolution en volume)

Source : commission des finances du Sénat

En revanche, la demande intérieure resterait dynamique , comme le suggère la bonne tenue des enquêtes de conjoncture de début d'année et compte tenu de l'effet attendu sur l'activité des réponses apportées à la crise des « gilets jaunes » ( voir le 2 du A du II ).

Après avoir chuté en fin d'année, l' indicateur de confiance des ménages a ainsi retrouvé un niveau comparable à celui de l'automne dernier, même s'il demeure inférieur à sa moyenne historique.

Indicateur de confiance des ménages

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de l'Insee)

L'indicateur synthétique du climat des affaires reste quant à lui bien orienté, à un niveau significativement supérieur à sa moyenne historique.

Indicateur synthétique du climat des affaires

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de l'Insee)

Il peut être noté qu'atteindre un taux de croissance annuel de 1,4 % à l'issue de l'exercice 2019 suppose une croissance trimestrielle de 0,4 % .

Croissance annuelle 2019
en fonction du taux de croissance trimestriel

(taux d'évolution en volume)

Croissance trimestrielle

Croissance annuelle

0,0

0,4

0,1

0,6

0,2

0,9

0,3

1,1

0,4

1,4

0,5

1,6

0,6

1,9

0,7

2,1

0,8

2,4

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de l'Insee de mars 2019)

À titre de comparaison, la dernière estimation de la Banque de France fait état d'une croissance de 0,3 % au premier trimestre 2019 1 ( * ) , tandis que l'Insee tablait en mars dernier sur un rythme de 0,4 % 2 ( * ) .

Au total, l'hypothèse de croissance retenue par le Gouvernement pour 2019 (1,4 %) apparaît réaliste au regard des principales estimations disponibles, ainsi que l'a d'ailleurs souligné le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) dans son avis rendu le 9 avril dernier 3 ( * ) .

Comparaison des prévisions de croissance pour l'année 2019

(taux d'évolution du PIB en volume)

Source : commission des finances du Sénat

Si elle se situe dans la fourchette haute des estimations, l'écart par rapport à la moyenne (0,1 point) n'est pas très significatif 4 ( * ) et présente des enjeux modestes pour les finances publiques, dans la mesure où une croissance inférieure de 0,1 point à la prévision augmenterait le déficit de seulement 0,06 point de PIB environ 5 ( * ) .

L'hypothèse de croissance retenue pour l'année 2020 (1,4 %, en baisse de 0,3 point) apparaît pour sa part en ligne avec la moyenne des prévisions des instituts de conjoncture et des organisations internationales.

Comparaison des prévisions de croissance pour l'année 2020

(taux d'évolution du PIB en volume)

Source : commission des finances du Sénat

Si le présent projet de programme de stabilité est marqué par une dégradation des perspectives de croissance de court terme, le scénario de moyen terme est également revu à la baisse - une première depuis le début du quinquennat.

2. La « normalisation » des hypothèses d'écart de production conduit également à dégrader le scénario de croissance à moyen terme (2021-2022)

À cet horizon, l'évaluation des hypothèses de croissance retenues par le Gouvernement repose moins sur l'analyse des indicateurs conjoncturels que sur l'appréciation portée sur la position dans le cycle et le potentiel de croissance de l'économie française, qui sont actuellement soumis à de fortes incertitudes 6 ( * ) .

La position de l'économie dans le cycle est traditionnellement appréhendée à l'aide du concept d' écart de production , qui représente la différence entre le PIB effectif et le niveau d'activité « soutenable » sur longue période sans provoquer de déséquilibre sur les marchés des biens et du travail, appelé PIB potentiel. L'écart de production constitue ainsi en bas de cycle une estimation du « potentiel de rebond » de l'économie et, en haut de cycle, de son niveau de « surchauffe ».

Chaque année, l'évolution de l'écart de production dépend de l'écart entre la croissance effective et la croissance potentielle : si la croissance effective est inférieure à la croissance potentielle, l'écart de production se creuse ; inversement, si la croissance effective est supérieure à la croissance potentielle, le « potentiel de rebond » de l'économie diminue.

Dans ce cadre, la croissance potentielle , qui correspond au taux d'évolution du PIB potentiel, joue le rôle d'un « limitateur de vitesse » : une fois l'écart de production résorbé, la croissance effective doit se rapprocher de la croissance potentielle. Autrement dit, la croissance effective ne peut durablement s'écarter de la croissance potentielle .

De ce point de vue, alors que le Gouvernement faisait jusqu'à présent l'hypothèse que l'économie française entrerait dans une phase haute du cycle économique en fin de quinquennat, tel n'est plus le cas dans le cadre du présent projet de programme de stabilité .

Évolution de l'écart de production entre 2017 et 2022

(en points de PIB potentiel)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Une fois l'écart de production refermé en 2020, la croissance effective (1,4 %) resterait ainsi très proche de la croissance potentielle (1,35 % en 2022), ce qui maintiendrait l'écart de production au voisinage de zéro.

Ce nouveau scénario recueille l'assentiment du HCFP , qui le qualifie de « raisonnable » 7 ( * ) , alors qu'il considérait à juste titre l'an passé que « le scénario retenu d'une croissance effective demeurant continûment supérieure à la croissance potentielle jusqu'en 2022 » était « optimiste » 8 ( * ) .

Les hypothèses de croissance effective qui en découlent apparaissent en tout état de cause en ligne avec les principales estimations disponibles .

Comparaison des prévisions de croissance
pour les années 2021 et 2022

(taux d'évolution du PIB en volume)

Source : commission des finances du Sénat

B. LES AUTRES HYPOTHÈSES SOUS-JACENTES AU SCÉNARIO MACROÉCONOMIQUE NE SONT PAS SUBSTANTIELLEMENT MODIFIÉES ET DEMEURENT RAISONNABLES

Si le débat sur le cadrage macroéconomique gouvernemental se focalise le plus souvent sur le scénario de croissance, d'autres hypothèses jouent un rôle décisif pour les finances publiques , au premier rang desquelles figurent l'élasticité des prélèvements obligatoires à l'activité et l'évolution des taux d'intérêt.

1. Une élasticité des prélèvements obligatoires à l'activité unitaire

Ainsi, le déficit public est davantage sensible à l'hypothèse d'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB qu'à l'estimation de la croissance : une élasticité des prélèvements obligatoires de 0,1 point plus élevée diminue le déficit de 0,1 point environ 9 ( * ) .

L'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB

L'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB est le coefficient par lequel il faut multiplier la croissance du PIB en valeur pour obtenir la croissance « spontanée » des prélèvements obligatoires (c'est-à-dire avant les modifications du droit, appelées « mesures nouvelles »), l'année considérée.

Sur longue période, les prélèvements obligatoires « spontanés » tendent à augmenter à la même vitesse que le PIB. On dit alors que leur élasticité au PIB est égale à 1.

En revanche, il arrive fréquemment à court terme que cette élasticité s'éloigne de l'unité . Ainsi, certaines années (en général quand la croissance du PIB est forte), les prélèvements obligatoires augmentent plus rapidement que le PIB : leur élasticité au PIB est alors supérieure à 1 . D'autres années (en général quand la croissance du PIB est faible), les prélèvements obligatoires au PIB augmentent moins rapidement que le PIB : leur élasticité au PIB est alors inférieure à 1 .

Source : « Quels prélèvements obligatoires pour la sortie de crise ? », rapport d'information n° 45 (2009-2010) de Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances et déposé le 15 octobre 2009

Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement bénéfice d'un fort dynamisme des recettes, qui a grandement facilité l'atteinte de ses objectifs budgétaires , avec une élasticité des prélèvements obligatoires au PIB de 1,4 en 2017 et de 1,2 en 2018.

Évolution de l'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données historiques reconstituées par le Haut Conseil des finances publiques dans son avis HCFP-2018-02 et les données du présent projet de programme de stabilité pour les années 2017 et 2018)

En dehors de la période récente (2016-2018), il peut être observé que l'élasticité n'est restée supérieure à l'unité pendant trois exercices consécutifs qu'à une seule reprise (1999-2001) depuis 1990.

Dans ce contexte, votre rapporteur général observe avec satisfaction que le Gouvernement retient l'hypothèse raisonnable d'un retour à une élasticité unitaire sur l'ensemble de la période 2019-2022.

Élasticité des prélèvements obligatoires au PIB

2017

2018

2019

2020

2021

2022

1,4

1,2

1,0

1,0

1,0

1,0

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

2. Un scénario de remontée des taux d'intérêt conservateur

La question du rythme de la remontée des taux d'intérêt revêt également une importance majeure pour apprécier la crédibilité du scénario budgétaire gouvernemental, compte tenu du niveau actuel de la dette publique.

À titre d'illustration, l'effet sur la charge de la dette de l'État d'un choc haussier de 100 points en début d'année 2019 qui se maintiendrait sur toute la durée de la projection est estimé à 9,1 milliards d'euros en 2022 10 ( * ) .

Dans le cadre du présent projet de programme de stabilité, le Gouvernement continue à faire l'hypothèse d'une remontée des taux longs au rythme de 75 points de base par an .

Votre rapporteur général a déjà eu l'occasion de souligner que ce scénario apparaît très prudent 11 ( * ) . Ainsi, alors que le programme de stabilité 2018 tablait sur une remontée des taux longs à 1,6 % en fin d'année 2018, l'OAT à 10 ans se situe à la mi-avril 2019 autour de 0,35 % seulement 12 ( * ) .

Ce scénario apparaît aujourd'hui d'autant plus conservateur que la dégradation des conditions macroéconomiques a conduit la Banque centrale européenne (BCE) et ses principaux homologues à ralentir la normalisation de leur politique monétaire.

Sans surprise, les prévisions de taux d'intérêt du Gouvernement diffèrent donc fortement du scénario central du Consensus forecasts et des projections de la Banque de France, fondées sur l'information extraite de la courbe des taux 13 ( * ) .

Comparaison des prévisions de taux d'intérêt à long terme pour la France
(OAT à 10 ans)

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (d'après le Consensus forecasts d'avril 2019 et les projections macroéconomiques de la Banque de France de mars 2019 pour la France)

De tels écarts se traduisent naturellement par une appréciation différente du poids de la charge de la dette .

Comparaison des prévisions du montant
de la charge de la dette en 2021

(en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat

En 2021, la charge de la dette s'élèverait ainsi à 1,3 point de PIB d'après la Banque de France, contre 1,6 point de PIB dans le scénario gouvernemental. À titre de comparaison, un tel différentiel correspond au surcoût induit par la suppression complète de la taxe d'habitation.

Si la prudence peut se justifier, dans un domaine où l'incertitude est grande, il apparaît étonnant de retenir des hypothèses aussi éloignées du consensus . À cet égard, votre rapporteur général tient une nouvelle fois à rappeler que la prévision de charge de la dette n'a pas vocation à constituer une forme de « réserve de budgétisation » cachée, qui échapperait au contrôle du Parlement et dont la sous-exécution viendrait compenser les dérapages sur les autres dépenses.

II. UNE TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE DÉGRADÉE QUI NE LAISSE PAS D'INQUIÉTER

Principales évolutions du scénario budgétaire 2018-2022

(en points de PIB)

* hors crédits d'impôts

Note : les effets sur la dépense publique et les prélèvements obligatoires de la création de France Compétences ne sont pas neutralisés. À titre de rappel, le choix du Gouvernement faire transiter certains flux financiers liés à la formation professionnelle par ce nouvel établissement public, et non plus par les organismes paritaires collecteurs agréés, qui étaient hors du champ des administrations publiques, rehausse simultanément les ratios de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires de 4,6 milliards d'euros en 2019 puis de 1,5 milliard d'euros en 2020. L'effet est neutre sur le solde.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

A. LES AMBITIONS BUDGÉTAIRES DU GOUVERNEMENT SONT SIGNIFICATIVEMENT REVUES À LA BAISSE

1. La révision du scénario de croissance et le surcoût lié à la crise des « gilets jaunes » pèsent sur les comptes publics...

Depuis le projet de loi de finances pour 2019, trois principaux facteurs ont conduit le Gouvernement à modifier son scénario budgétaire de moyen terme.

a) L'exécution 2018, meilleure qu'escompté, permet au Gouvernement de disposer d'un « effet base » positif de 0,1 point de PIB

Le premier facteur tient à une exécution 2018 légèrement plus favorable qu'escompté , avec un déficit public de 2,5 % du PIB, contre une prévision de 2,6 % du PIB dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2018 - permettant ainsi au Gouvernement de disposer d'un « effet base » positif de 0,1 point pour l'exercice 2019 .

La décomposition du solde public fait apparaître que ce résultat est le produit de deux effets contraires .

D'une part, un solde conjoncturel plus dégradé que prévu (- 0,1 point) , en lien avec un taux de croissance 2018 (1,6 %) inférieur de 0,1 point à la prévision associée au projet de loi de finances (1,7 %).

D'autre part, un effort de maîtrise des dépenses plus important qu'anticipé (+ 0,2 point) , conséquence d'une évolution de la dépense publique (- 0,3 % en volume, 1,3 % en valeur) inférieure à la prévision associée au projet de loi de finances (0 % en volume, 1,6 % en valeur).

Décomposition de l'évolution du solde public 2018

(en points de PIB)

PLF 2019

Pstab 2019

Solde public

- 2,6

- 2,5

Solde conjoncturel

- 0,1

- 0,2

Mesures ponctuelles et temporaires

- 0,2

-0,2

Solde structurel

- 2,2

-2,1

Ajustement structurel

0,1

0,2

Effort structurel

0,0

0,2

Mesures nouvelles en prélèvements
obligatoires

- 0,2

- 0,2

Effort en dépense

0,2

0,4

Clé en crédits d'impôts

0,0

0,0

Composante non discrétionnaire

0,0

0,0

Source : commission des finances du Sénat

Si les résultats détaillés de l'exécution ne sont pas encore connus et feront l'objet d'une analyse approfondie dans le cadre de l'examen du projet de loi de règlement, il peut être souligné que les collectivités territoriales paraissent avoir grandement contribué à cette bonne tenue de la dépense , avec une progression des dépenses de fonctionnement limitée à 0,8 % en comptabilité nationale et à 0,7 % en comptabilité budgétaire, soit un niveau significativement inférieur à l'objectif fixé dans le cadre du mécanisme de contractualisation.

Évolution des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités territoriales en comptabilité budgétaire au cours de l'année 2018
(bilan provisoire à fin janvier 2019)

(en points de PIB)

Ensemble des collectivités

322 collectivités concernées par la contractualisation

Autres collectivités

Objectif

1,2

1,2

1,2

Réalisation

0,7

0,3

1,3

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

b) La dégradation des perspectives de croissance pèse à hauteur de 0,5 point de PIB sur la trajectoire de redressement des comptes publics

Si l'exécution 2018 permet donc au Gouvernement de disposer d'un « effet base » positif de 0,1 point de PIB, celui-ci est plus que compensé par la dégradation des perspectives de croissance 2019-2022 ( voir le A du I pour une description détaillée ), qui pèse à hauteur de 0,5 point de PIB sur le solde en 2022.

Effet sur le solde public de la dégradation des perspectives de croissance
par rapport au scénario du projet de loi de finances pour 2019

(en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat

c) Le surcoût lié aux réponses apportées à la crise des « gilets jaunes » intégré au scénario budgétaire pèse également à hauteur de 0,5 point de PIB

Enfin, la trajectoire budgétaire est également bouleversée par les réponses apportées à la crise des « gilets jaunes » dans le cadre des lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2019 et de la loi portant mesures d'urgence économiques et sociales.

Le coût brut 14 ( * ) de ces décisions peut être estimé à 7,4 milliards d'euros en 2019, soit 0,3 point de PIB - sous l'hypothèse favorable d'une mise en oeuvre intégrale des économies annoncées sur l'État (1,5 milliard d'euros en 2019, soit 40 % des crédits mis en réserve dans le budget 2019) et d'un rendement de la taxe dite « GAFA » conforme à la prévision (400 millions d'euros).

Coût des décisions liées à la crise des « gilets jaunes » en 2019

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires et le rapport public annuel 2019 de la Cour des comptes)

En 2022, l'impact des mesures sur le niveau du déficit public est plus difficile à apprécier.

D'une part, l'estimation implique de neutraliser les mesures qui correspondent à l'anticipation d'engagements initialement séquencés sur la période 2019-2022 . À cet égard, si le surcoût temporaire lié à l'avancement de la désocialisation des heures supplémentaires peut naturellement être entièrement neutralisé, il est difficile de savoir quelle augmentation de la prime d'activité avait réellement été intégrée à la trajectoire budgétaire 2019-2022 par le Gouvernement. Faute d'information précise à ce sujet 15 ( * ) , l'hypothèse retenue pour les calculs effectués ci-après, favorable au Gouvernement, consiste à neutraliser entièrement le coût de la mesure « prime d'activité ».

D'autre part, l'impact sur le déficit 2022 dépendra fortement des décisions qui seront prises en matière de fiscalité énergétique . En effet, si l'annulation de la hausse de la fiscalité écologique est acquise pour l'année 2019, une incertitude demeure pour la suite du quinquennat, les hausses initialement prévues sur la période 2020-2022 ayant également été supprimées à l'initiative de votre commission des finances, sans que le Gouvernement ne se prononce clairement sur leur éventuel rétablissement. Par conséquent, il a été décidé de retenir deux scénarios, selon que la hausse de la fiscalité écologique prévue sur la période 2020-2022 est complètement annulée ou, au contraire, totalement rétablie.

Coût des décisions liées à la crise des « gilets jaunes » en 2022

(en milliards d'euros)

Note méthodologique : l'écart entre le coût 2019 (7,4 milliards d'euros, voir graphique précédent) et le coût minimum en 2022 (5,2 milliards d'euros) tient à la neutralisation des mesures qui correspondent à l'anticipation d'engagements initialement séquencés sur la période 2019-2022 (prime d'activité, désocialisation des heures supplémentaires), à la neutralisation du report de la baisse de l'impôt sur les sociétés et à la prise en compte de l'effet « année pleine » de certaines mesures.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires, les réponses au questionnaire adressé au Gouvernement et le rapport public annuel 2019 de la Cour des comptes)

En 2022, l'impact des mesures sur le niveau du déficit public serait ainsi compris entre 5,2 milliards d'euros, soit 0,2 point de PIB , et 12,9 milliards d'euros, soit 0,5 point de PIB , selon le scénario retenu.

Il peut être noté que l'écart entre le coût 2019 (7,4 milliards d'euros) et le coût minimum en 2022 (5,2 milliards d'euros) est faible . C'est donc à tort que le Gouvernement indique dans le présent projet de programme de stabilité que les mesures mises en place pour répondre à la crise « correspondent pour la majeure partie à une accélération d'engagements qui avaient été séquencés sur la période 2019-2022 » 16 ( * ) .

Par ailleurs, dès lors que le Gouvernement a confirmé ne pas avoir intégré de hausse de la taxe carbone pour les années 2020 à 2022 dans le cadre du présent projet de programme de stabilité, c'est bien l'estimation maximale, soit 0,5 point de PIB, qu'il faut retenir ici .

Hausse nette de la fiscalité énergétique intégrée à la trajectoire

(en milliards d'euros)

2018

2019

2020

2021

2022

Pstab 2018*

3,8

7,6

10,2

13,4

15,5

Pstab 2019

3,8

3,7

3,7

3,7

3,7

* y compris la suppression de la dépense fiscale sur le gazole non routier

Note de lecture : il s'agit des montants nets, en niveau, à compter de 2018. Ces montants, qui comprennent la hausse de la fiscalité carbone ainsi que la convergence gazole/essence, incluent les remboursements et dégrèvements, ainsi que les impacts induits en matière d'impôt sur le revenu, d'impôt sur les sociétés et de TVA.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses au questionnaire adressé au Gouvernement)

Au total, l'effet combiné de l'exécution 2018 meilleure qu'escompté (+ 0,1 point de PIB), de la dégradation des perspectives de croissance (-0,5 point de PIB) et des mesures « gilets jaunes » (- 0,5 point de PIB) pèse donc à hauteur de 0,9 point de PIB sur le solde 2022.

2. ... et ne sont pas compensés par un plus grand effort de maîtrise de la dépense publique

Cet impact défavorable sur la trajectoire de redressement des comptes publics n'est malheureusement pas compensé par un plus grand effort de maîtrise de la dépense publique sur la période 2019-2022 17 ( * ) .

Si le taux de croissance annuel moyen de la dépense publique, exprimé en valeur, est légèrement inférieur (- 0,1 point) dans le cadre du présent projet de programme de stabilité, cela tient à la révision à la baisse des anticipations d'inflation. En volume, la croissance de la dépense publique apparaît à l'inverse légèrement supérieure (+ 0,1 point) à celle prévue dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019.

Croissance de la dépense publique hors crédits d'impôts

(taux d'évolution)

2019

2020

2021

2022

TCAM*

PLF 19

Pstab

PLF 19

Pstab

PLF 19

Pstab

PLF

Pstab

PLF 19

Pstab

En valeur

1,9

1,9

1,9

1,7

1,8

1,7

2,1

1,9

1,9

1,8

En volume

0,6

0,8

0,5

0,7

0,1

0,3

0,4

0,1

0,4

0,5

* taux de croissance annuel moyen sur la période couverte

Note : les effets sur la dépense publique de la création de France Compétences ne sont pas neutralisés.

Source : commission des finances du Sénat

Faute d'un plus grand effort de maîtrise de la dépense publique, le solde 2022 s'en trouve donc dégradé de 0,9 point de PIB par rapport au projet de loi de finances pour 2019, éloignant ainsi un peu plus la France du retour à l'équilibre des comptes publics initialement anticipé par le Gouvernement.

Évolution de la trajectoire de redressement
du solde public entre 2017 et 2022

(en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat

Cette remise en cause de la trajectoire de réduction du déficit public conduit naturellement à un moindre infléchissement du ratio d'endettement , qui ne se réduirait que de 1,6 point à l'échelle du quinquennat, loin des ambitions initiales.

Évolution des objectifs budgétaires 2017-2022
depuis le précédent programme de stabilité

(en points de PIB)

Note : la neutralisation de la mise en place de France compétences conduirait à une réduction supplémentaire des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires de l'ordre de 0,2 point dans le cadre du PLF 2019 et du Pstab 2019.

Source : commission des finances du Sénat

En outre, si l'effort de maîtrise de la dépense n'est pas sensiblement modifié, la révision à la baisse des perspectives de croissance conduit mécaniquement à une moindre réduction du poids de la dépense publique dans le PIB (- 0,6 point par rapport au projet de loi de finances pour 2019).

À l'inverse, la réduction de la part des prélèvements obligatoires dans le PIB est plus importante qu'escompté (+ 0,4 point par rapport au projet de loi de finances pour 2019), en lien avec les réponses apportées au mouvement des « gilets jaunes » précédemment décrites.

Principales mesures nouvelles en prélèvements obligatoires en 2018-2020
(à champ constant)

(en milliards d'euros)

2018

2019

2020

Ménages

- 1,4

-10,6

- 3,1

Dégrèvement de la taxe d'habitation pour 80% des ménages

- 3,2

- 3,8

- 3,1

Création de l'Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI)

- 3,2

Mise en place d'un prélèvement forfaitaire unique

- 1,4

- 0,8

0,4

Augmentation des taux Agirc-Arrco

1,1

- 0,1

Bascule cotisations CSG

4,4

- 4,0

- 0,3

Baisse de la CSG pour les retraités modestes

- 1,6

0,1

Fiscalité du tabac

0,9

0,5

0,6

Hausse de la fiscalité énergétique

2,4

0,0

0,0

Élargissement du crédit d'impôt pour l'emploi de personnes à domicile

- 1,0

Prolongation et prorogation du CITE

- 0,3

1,1

0,1

Exonération et défiscalisation des heures supplémentaires

- 3,0

- 0,8

Entreprises (hors bascule CICE)

- 9,0

0,2

- 2,4

Baisse du taux d'IS de 33 % à 25 %

- 1,2

- 0,8

- 3,2

CICE - montée en charge et hausse de taux de 6 % à 7 %

- 3,7

- 0,4

0,0

Surtaxe exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés

- 4,8

- 0,1

Hausse de la fiscalité énergétique (part entreprises = 38 %)

1,3

- 0,1

0,0

Augmentation des taux Agirc-Arrco

0,7

Mesures d'intégration fiscale (dont niche « Copé »)

0,4

0,2

Taxe GAFA

0,4

0,1

Création d'un crédit d'impôt sur la taxe sur les salaires

- 0,6

0,6

Autres mesures

0,3

- 18,7

13,1

Effet temporaire de la bascule CICE cotisations

- 20,0

13,1

Ressources affectées à France Compétences contribuant au financement du
Plan d'Investissement dans les Compétences

0,3

1,3

Total

- 10,1

- 29,2

7,5

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

À l'issue du quinquennat, le poids des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale resterait néanmoins sensiblement supérieur à celui observé avant la crise financière (+ 1,7 point) et s'établirait à un niveau comparable à 2012 (+ 0,1 point) - permettant ainsi uniquement d'« effacer » les « cinq années sans modération fiscale » de la précédente majorité 18 ( * ) .

Évolution du poids des prélèvements obligatoires

(en points de PIB)

Note : la transformation du CICE en baisse de cotisations conduit à diminuer fortement le taux de prélèvements obligatoires en 2019, sous l'effet de la baisse des cotisations sociales, alors que la consommation des créances de CICE constituées antérieurement à la transformation s'étale jusqu'à la fin du quinquennat, ce qui fait légèrement remonter ce taux en fin de période. La neutralisation de la mise en place de France Compétences aboutirait à réduire le taux de prélèvements obligatoires de 0,2 point supplémentaire en fin de période.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de l'Insee et les documents budgétaires)

B. CE NOUVEAU REPORT DU REDRESSEMENT DES COMPTES PUBLICS RISQUE DE FRAGILISER LA CRÉDIBILITÉ DE LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE FRANÇAISE ET LA CAPACITÉ DE L'ÉCONOMIE À FAIRE FACE AUX CHOCS

Si ce nouveau report de l'ajustement budgétaire ne paraît fort heureusement pas susceptible de remettre en cause la capacité de notre pays à se financer dans des conditions très favorables auprès des marchés financiers à court terme, il risque néanmoins de faire naître un doute sur la crédibilité de la politique budgétaire française .

1. Plutôt que de profiter d'un contexte historiquement favorable pour retrouver des marges de manoeuvre sur le plan budgétaire...

Par comparaison avec nos voisins européens, la stratégie budgétaire française de sortie de crise s'est singularisée par la volonté de ne pas fragiliser la timide reprise économique , en engageant un redressement plus progressif de la situation des comptes publics après la période de relance contra-cyclique initiale.

Ce choix contribue ainsi à expliquer le « retard » français en matière d'ajustement budgétaire . Que l'on s'attache au solde public ou à des indicateurs plus sophistiqués tels que le solde primaire structurel, qui donne une image plus fidèle de l'orientation discrétionnaire de la politique budgétaire, en neutralisant l'effet du cycle économique, des mesures exceptionnelles et du poids de la dette, la France se situe actuellement en « queue du peloton » européen, juste avant l'Espagne.

Solde primaire structurel et solde public en 2018

(en points de PIB potentiel, en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des prévisions de la Commission européenne pour le solde primaire structurel, des résultats d'exécution d'Eurostat pour le solde public et de la trajectoire gouvernementale)

Cette stratégie budgétaire n'est pas dénuée de fondement sur le plan économique . En effet, de nombreux travaux ont confirmé qu'il est sous-optimal de mener des plans de consolidation budgétaire de grande envergure en bas de cycle, compte tenu de leurs effets récessifs très importants, liés au niveau des multiplicateurs budgétaires, aux contraintes pesant sur la politique monétaire et aux effets de débordement 19 ( * ) .

Sa crédibilité repose néanmoins sur la détermination du Gouvernement à s'engager résolument dans un effort de redressement des comptes publics une fois l'économie revenue à son niveau d'activité potentiel, afin de reconstituer des réserves budgétaires en vue de la prochaine crise.

De ce point de vue, le contexte actuel apparaît doublement favorable .

D'une part, l'écart de production est pratiquement résorbé à l'issue de l'exercice 2019 (- 0,1 point de PIB potentiel) et devrait même passer en territoire positif à compter de 2020, ce qui signifie que les conditions économiques sont désormais propices à la mise en place de plans de consolidation budgétaire .

D'autre part, la France bénéficie depuis 2017, comme la totalité des pays de la zone euro à l'exception de l'Italie 20 ( * ) , d'un effet « boule de neige » positif , qui facilite la réduction du ratio d'endettement . Ainsi, même un léger déficit primaire serait suffisant pour engager la diminution du ratio d'endettement.

Qu'est-ce que l'effet « boule de neige » ?

D'une année sur l'autre, la variation du taux d'endettement peut être décomposée comme la somme de trois facteurs .

Premièrement, le solde primaire , qui correspond au solde public hors charge de la dette.

Deuxièmement, l'ajustement stock-flux , qui correspond à la partie de la variation de l'endettement qui n'est pas reflétée dans le déficit (par exemple, les recettes tirées des privatisations, qui n'ont pas d'effet sur le déficit car elles constituent une opération financière au sens de la comptabilité nationale mais permettent de diminuer la dette).

Troisièmement, le différentiel entre le taux d'intérêt moyen que les administrations publiques paient sur leur dette (dit taux d'intérêt « apparent ») et le taux de croissance nominal de l'économie , rapporté au taux d'endettement initial.

Ce dernier facteur est communément désigné sous le terme d' effet « boule de neige » . En effet, il implique que même si une économie atteint l'équilibre primaire, l'endettement continue d'augmenter « tout seul » si le taux d'intérêt apparent est supérieur au taux de croissance nominal - et ce dans des proportions d'autant plus importantes que le stock de dette initial est élevé.

À titre d'exemple, si le solde public primaire est nul et que la dette publique atteint 100 % du PIB, le numérateur du ratio d'endettement va s'accroitre du montant de la charge de la dette, tandis que le dénominateur évolue au même rythme que le taux de croissance nominal. Si le taux d'intérêt est supérieur au taux de croissance nominal, le numérateur augmente plus vite que le dénominateur. Par conséquent, le ratio d'endettement augmente, alors même que l'équilibre primaire est atteint. On parle alors d'effet « boule de neige » défavorable.

À l'inverse, si le taux d'intérêt apparent est inférieur au taux de croissance nominal, un solde primaire à l'équilibre (ou même légèrement négatif) suffit pour diminuer l'endettement. On parle alors d'effet « boule de neige » favorable.

Source : commission des finances du Sénat

Un tel effet « boule de neige » favorable, qui devrait se prolonger jusqu'à la fin du quinquennat d'après le scénario macroéconomique gouvernemental, apparaît d'autant plus remarquable qu'il ne connaît pas de précédent historique depuis le milieu des années 1980 .

Différentiel entre le taux d'intérêt apparent sur la dette
et la croissance nominale en France depuis 1980

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee et du scénario gouvernemental)

Au regard des conditions de marché actuelles, cet effet « boule de neige » favorable pourrait même se poursuivre au-delà du quinquennat . En effet, avec une croissance potentielle de 1,3 %, même en retenant un taux d'inflation de 1,7 %, inférieur à la cible de la BCE (2,0 %), la croissance nominale française devrait se situer autour de 3,0 %. Or, les taux sur les emprunts français se situent actuellement à 0,32 % à 10 ans et à 1,36 % à 30 ans 21 ( * ) . Si l'orientation de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) explique en partie la faiblesse de ces taux, les services de la BCE estiment que son effet baissier sur l'OAT à 10 ans est limité à 160 points de base environ 22 ( * ) . Même en l'absence de facteurs monétaires, la France continuerait donc de se financer à cette échéance à un taux (autour de 2 %) significativement inférieur à sa croissance nominale potentielle (autour de 3 %).

En conséquence, il serait opportun de tirer profit de ce contexte favorable pour infléchir l'endettement. Cela se justifie d'autant plus que la politique budgétaire française se caractérise depuis 25 ans par un laxisme dont il ne peut être exclu qu'il finisse, à terme, par porter atteinte à sa crédibilité auprès des investisseurs.

En effet, contrairement à la situation allemande ou italienne, l'orientation discrétionnaire de la politique budgétaire française n'a pas permis de contenir l'endettement entre 1995 et 2017 mais en a au contraire renforcé la dynamique.

Décomposition de l'évolution du ratio d'endettement
entre 1995 et 2017

(en points de PIB)

Note de lecture : la hausse de 43 points du ratio d'endettement de la France entre 1995 et 2017 tient pour 19 points à l'orientation discrétionnaire de la politique budgétaire (accumulation de déficits primaires corrigés du cycle), pour 17 points à un effet « boule de neige » défavorable (différentiel intérêt-croissance positif), pour 6 points à l'ajustement stock-flux et pour 1 point à l'effet du cycle économique.

Source : commission des finances du Sénat (calculs réalisés à partir de la base de données AMECO de la Commission européenne)

La comparaison avec la situation allemande est à cet égard éclairante : si les deux pays ont souffert d'un effet « boule de neige » défavorable de même ampleur sur la période, celui-ci a été compensé en Allemagne par l'accumulation d'excédents primaires structurels.

2. ... le Gouvernement préfère une nouvelle fois reporter l'ajustement, au risque de renforcer la trajectoire singulière des finances publiques françaises à l'échelle de la zone euro

Pourtant, plutôt que de profiter de ce contexte historiquement favorable pour retrouver des marges de manoeuvre et renforcer la crédibilité de la politique budgétaire française, le Gouvernement préfère une nouvelle fois reporter l'ajustement , ainsi que l'illustre la comparaison de la trajectoire gouvernementale avec les règles budgétaires européennes.

L'ajustement structurel, qui correspond à l'évolution du niveau du déficit structurel et permet ainsi de neutraliser l'effet du cycle économique et des mesures exceptionnelles et temporaires, est ainsi revu à la baisse sur la période 2019-2021 , alors même qu'il s'écartait déjà significativement des prescriptions du pacte de stabilité 23 ( * ) .

Évolution du solde structurel

(en points de PIB potentiel)

2019

2020

2021

2022

PLF 19

Pstab

PLF 19

Pstab

PLF 19

Pstab

PLF 19

Pstab

Solde structurel

- 2,0

- 2,1

- 1,7

- 1,9

- 1,2

- 1,6

- 1,1

-1,3

Ajustement structurel

0,3

0,1

0,3

0,1

0,4

0,3

0,2

0,3

Source : commission des finances du Sénat

En dépit de la sortie du volet « correctif » du pacte de stabilité à l'issue de l'exercice 2017, la France reste en effet soumise dans le cadre du volet « préventif » à l'obligation de réduire chaque année son déficit structurel de 0,6 point au minimum jusqu'à atteindre son objectif structurel de moyen terme, avec un écart maximum autorisé de 0,25 point en moyenne sur deux ans et de 0,5 point sur une année.

Au regard de cette règle, les efforts prévus dans la trajectoire gouvernementale apparaissent insuffisants sur l'ensemble du quinquennat - l'écart maximum autorisé sur deux ans étant dépassé dès 2019.

Comparaison de la réduction du déficit structurel requise par les règles budgétaires européennes avec celle prévue par le Gouvernement

(en points de PIB potentiel)

Source : commission des finances du Sénat

Les déviations maximales autorisées dans le cadre de la règle de dette - dont le respect implique dans le cas français un ajustement structurel linéaire minimum de 0,6 point entre 2018 et 2020 -, ainsi que dans le cadre de la règle en dépense européenne , seraient également dépassées 24 ( * ) .

Évaluation du respect de la règle en dépense européenne

(en points de PIB, sauf mention contraire)

2018

2019

2020

2021

2022

Agrégat de la règle en dépense net des mesures nouvelles

53,8

53,8

52,5

52,2

51,4

Croissance de l'agrégat en valeur (%)

1,8

2,5

2,3

2,4

2,2

Objectif cible (%, en valeur)

1,2

1,4

1,3

1,6

1,8

Écart

0,3

0,6

0,5

0,4

0,2

Source : commission des finances du Sénat (à partir des réponses au questionnaire adressé au Gouvernement)

Si le Gouvernement pourra sans doute de nouveau compter sur la « souplesse » des institutions européennes, ce choix aura pour conséquence directe de nourrir la divergence de notre trajectoire d'endettement par rapport au reste de la zone euro .

Évolution du taux d'endettement anticipée sur la période 2017-2022

(en points de PIB, sauf mention contraire)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données d'exécution, de la trajectoire gouvernementale et des prévisions d'avril 2019 du FMI pour les autres pays de la zone euro)

Le différentiel d'endettement avec l'Allemagne, déjà particulièrement marqué à l'heure actuelle, atteindrait ainsi 48 points à l'horizon 2022.

Comparaison de l'évolution du ratio d'endettement de la France
et de l'Allemagne depuis 2006

(en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données d'exécution, de la trajectoire gouvernementale et des prévisions d'avril 2019 du FMI pour l'Allemagne)

Ne pas mettre à profit les conditions économiques favorables pour retrouver des marges de manoeuvre budgétaires apparaît risqué sur le plan économique .

3. ... et de rendre l'économie française vulnérable face aux chocs

S'il n'existe pas de « seuil magique » au-delà duquel l'endettement exerce systématiquement un effet négatif sur la croissance 25 ( * ) , un tel choix est susceptible d'avoir une incidence défavorable sur l'économie française par différents canaux 26 ( * ) .

En particulier, il risque de limiter la capacité de l'économie à faire face à un ralentissement économique, en empêchant la politique budgétaire de jouer son rôle d'amortisseur par le jeu des stabilisateurs automatiques et des plans de relance discrétionnaires.

À cet égard, de récents travaux empiriques suggèrent qu' un niveau d'endettement important altère fortement la résistance de l'économie aux chocs . Pour une crise financière de même ampleur, les pays disposant d'importantes marges de manoeuvre budgétaires (taux d'endettement de 25 % du PIB) connaissent ainsi une perte durable de PIB de moins d'un point en moyenne, tandis que les pays dont l'endettement est déjà élevé (taux d'endettement de 95 % du PIB) font face à une perte d'environ sept points de PIB, toutes choses égales par ailleurs 27 ( * ) . Le différentiel est encore plus significatif lorsque la politique monétaire est également contrainte, ce qui risque d'être le cas en zone euro 28 ( * ) .

En outre, un niveau élevé d'endettement rend l'économie plus vulnérable à des enchaînements autoréalisateurs défavorables .

Ainsi, pour des niveaux d'endettement élevés, un surcroît d'endettement de faible ampleur peut se traduire par une élévation brutale des taux d'intérêt auxquels l'État se finance sur les marchés financiers 29 ( * ) , même si d'autres facteurs jouent également un rôle important (antécédents budgétaires, perspectives de croissance, etc .). L'exemple italien est d'ailleurs récemment venu rappeler l'importance de ce risque.

Dans une telle situation, la hausse des coûts de financement se transmet au secteur privé et le poids de la charge de la dette peut contraindre le Gouvernement à couper dans les dépenses publiques productives ou à avoir recours à des impôts sources de distorsions , au risque de grever durablement le potentiel de croissance de l'économie, comme l'illustre l'épisode de consolidation budgétaire en zone euro 30 ( * ) .

Le choix du Gouvernement de renoncer à ramener le ratio d'endettement à un niveau prudent dans un délai raisonnable n'est donc pas exempt de risques sur le plan économique.

C. AUSSI PEU AMBITIEUSE SOIT-ELLE, LA TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE GOUVERNEMENTALE RESTE SUJETTE À CAUTION

Aussi modeste soit-elle, la nouvelle trajectoire de redressement de comptes publics proposée par le Gouvernement est entourée de nombreuses incertitudes .

1. La trajectoire budgétaire concentre l'effort d'économies sur la fin du quinquennat...

Un premier facteur de fragilité tient au fait que la trajectoire budgétaire gouvernementale concentre les efforts d'économies les plus significatifs sur les années 2021 et 2022 , alors même que les exemples passés suggèrent qu'il est particulièrement difficile de respecter ses engagements en matière de maîtrise de la dépense publique à l'approche de la campagne présidentielle 31 ( * ) .

Objectifs de maîtrise de la dépense publique sur la période 2019-2022

(taux d'évolution)

2019

2020

2021

2022

Part de la dépense publique (hors crédits d'impôts) dans le PIB

54,0

53,5

53,0

52,3

Croissance de la dépense publique (hors crédits d'impôts) en volume

0,4

0,6

0,3

0,1

Note : les effets de la création de France Compétences sur la croissance de la dépense publique ont été neutralisés, afin de ne pas sous-évaluer les économies à réaliser en 2019 et 2020.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

D'un montant de 13 milliards d'euros en 2020, les économies à réaliser pour respecter cette trajectoire s'élèveraient ainsi à 20 milliards d'euros en 2022 .

Estimation du montant des économies à réaliser pour respecter
l'objectif d'évolution de la dépense publique

(en milliards d'euros)

Note : les effets de la création de France Compétences sur la croissance de la dépense ont été neutralisés, afin de ne pas sous-évaluer les économies à réaliser en 2019 et 2020.

Source : commission des finances du Sénat (calculs réalisés à partir du tendanciel d'évolution de la dépense publique retenu par la Cour des comptes dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques 2017)

2. ... alors même qu'elle reste très peu documentée

Un second facteur de fragilité tient au manque de documentation de la trajectoire budgétaire , qui ne permet pas réellement au Parlement de porter un jugement sur la crédibilité des engagements pris.

Sur le plan des recettes , le Gouvernement ne fournit aucun détail des mesures nouvelles en prélèvements obligatoires intégrées à la trajectoire budgétaire au-delà de l'année 2020 - et ce en dépit des demandes de votre rapporteur général en ce sens.

Même pour l'année 2020, les mesures en prélèvements obligatoires figurant dans le programme de stabilité ne concordent pas toujours avec les orientations déjà adoptées ou en cours d'examen par le Parlement .

En particulier, un écart positif non expliqué de 1,5 milliard d'euros apparait s'agissant de l'impact budgétaire de la trajectoire de baisse du taux normal de l'impôt sur les sociétés adoptée en loi de finances pour 2018 et que l'article 2 du projet de loi portant création d'une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés, adopté par l'Assemblée nationale le 9 avril dernier et en cours d'examen au Sénat, propose de décaler pour 2019. Alors que l'effet de la baisse du taux normal de l'impôt sur les sociétés, retraité de l'ajustement proposé pour 2019, devrait s'établir, pour 2020, à - 4,7 milliards d'euros, un montant de - 3,2 milliards d'euros est retenu dans le programme de stabilité. Cet écart laisse envisager qu'un nouveau décalage de la baisse du taux normal d'impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises est d'ores-et-déjà acté - ce que tendent d'ailleurs à suggérer les réponses adressées à votre rapporteur général par le Gouvernement 32 ( * ) . En dépit des engagements répétés du Président de la République à abaisser le taux normal d'impôt sur les sociétés à 25 % en 2022, un tel objectif serait de plus en plus difficile à atteindre en cas de nouveau décalage, faisant douter de sa réalité . En effet, une baisse de 6 milliards d'euros lors des deux derniers exercices serait alors nécessaire pour atteindre l'objectif fixé en 2022.

Sur le plan des dépenses, il se contente de rappeler les éléments déjà connus de sa stratégie de maîtrise de la dépense publique , à savoir :

- pour l'État , une norme de dépenses pilotables et un objectif de dépenses totales (ODETE) ;

- pour les administrations sociales , un objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) fixé chaque année à 2,3 % sur l'ensemble de la période et des économies sur l'assurance-chômage comprises entre 1 et 1,3 milliard d'euros en moyenne par an sur la période 2019-2021 ;

- pour la sphère locale , un mécanisme de contractualisation pour les collectivités territoriales les plus importantes visant à assurer une évolution de leurs dépenses de fonctionnement contenue à 1,2 % par an.

En pratique, les économies permettant de respecter ces objectifs ne sont pas réellement documentées .

Décomposition de la croissance en volume de la dépense publique
par sous-secteurs des administrations publiques

(taux d'évolution en volume)

2018

2019

2020

Croissance de la dépense publique (hors France compétences)

1,3

1,6

1,6

État

0,5

1,0

1,9

Organismes divers d'administration centrale

0,2

1,8

2,2

Administrations publiques locales

2,4

2,7

0,9

Administrations de sécurité sociale

1,7

2,0

1,6

Source : commission des finances du Sénat

Même pour l'exercice en cours, les incertitudes sont importantes. Ainsi, les économies d'1,5 milliard d'euros annoncées sur l'État pour financer une partie du coût des réponses apportées à la crise des « gilets jaunes » ne sont pas précisées - et ce alors même qu'il faudra également compenser le nouveau décalage de la mise en oeuvre de la « contemporanéisation » des aides au logement (600 millions d'euros d'économies attendues cette année) et le retard dans la mise en oeuvre des nouvelles règles d'indemnisation du chômage (entre 1 milliard d'euros et 1,3 milliard d'euros d'économies intégrées à la trajectoire budgétaire en moyenne par an sur la période 2019-2021).

Pour les années postérieures, le volontarisme affiché ne paraît pas étayé par des mesures concrètes . L'exemple de la maîtrise de la dépense sociale est à cet égard paradigmatique. Alors que le Conseil constitutionnel a annulé la mesure de sous-revalorisation des pensions et des prestations sociales prévue en 2020, qui devait permettre de dégager une économie de plus de 3 milliards d'euros, le programme de stabilité se contente d'indiquer que le ralentissement des dépenses des administrations de sécurité sociale attendu en 2020 est « à relier à celui des prestations » et « tiendrait à un quantum d'économies proche de celui de 2019 » 33 ( * ) , sans fournir davantage de détails. Interrogé sur ce point, le Gouvernement n'a pas précisé la nature de ces économies.

3. La trajectoire budgétaire risque fort d'être bouleversée par les conclusions du Grand débat national...

Au-delà de ce défaut habituel, une troisième faiblesse, cette fois spécifique à l'exercice de cette année, tient au fait que le programme de stabilité a été « établi indépendamment des conclusions qui pourront être tirées du Grand débat national » - le Gouvernement allant même jusqu'à indiquer qu'il constitue ainsi un simple « point de référence technique préalable à la formulation des décisions de sortie de ce débat, notamment en matière de fiscalité ou de dépense publique » 34 ( * ) .

Plus que jamais, le présent projet de programme de stabilité apparaît donc déconnecté des arbitrages budgétaires - ce qui est de nature à créer un doute sur la crédibilité de ce document, pourtant supposé constituer le support des engagements européens de notre pays en matière budgétaire.

En première analyse, quatre des mesures annoncées par le Président de la République le 25 avril dernier risquent de peser significativement sur la trajectoire de redressement des comptes publics , si elles ne sont pas compensées, à savoir :

- la baisse de l'impôt sur le revenu , pour un montant d'environ 5 milliards d'euros ;

- la réindexation partielle des pensions en 2020, qui représenterait une moindre économie de 1,4 milliard d'euros environ 35 ( * ) ;

- le renoncement à la suppression de tout ou partie des 120 000 postes dans la fonction publique à l'échelle du quinquennat, dont l'économie attendue, estimée à partir des coûts moyens des agents entrants, était légèrement supérieure à 3 milliards d'euros ;

- la décision de porter à 1 000 euros la pension minimale pour les carrières complètes dans le privé, qui représenterait un surcoût de 150 millions d'euros par génération à compter de 2020 36 ( * ) .

Au total, les enjeux budgétaires pourraient donc aller jusqu'à 0,4 point de PIB , en l'absence de mesure de compensation.

Aussi, votre rapporteur général tient à affirmer qu'il ne serait pas acceptable de financer une nouvelle fois ces annonces par le recours à l'endettement et fera preuve d'une grande vigilance sur la réalité des mesures de compensation évoquées.

4. ... ou une nouvelle dégradation du contexte macroéconomique

Enfin, la trajectoire gouvernementale pourrait également pâtir d'une nouvelle dégradation du contexte macroéconomique , compte tenu des aléas importants susceptibles de peser sur le scénario de croissance gouvernemental à la hausse (principalement les aléas internes) mais aussi à la baisse (principalement les aléas externes).

Principaux aléas identifiés susceptibles d'affecter
le scénario de croissance

Nature

Effet sur la croissance

Aléas externes

Sortie sans accord du Royaume-Uni de l'Union européenne

Négatif

Montée des tensions protectionnistes

Négatif

Ampleur du ralentissement en zone euro

Positif ou négatif

Atterrissage plus rapide que prévu de l'économie chinoise

Négatif

Évolution des prix du pétrole

Positif ou négatif

Concrétisation des risques financiers aux États-Unis
ou dans certains pays émergents

Négatif

Aléas internes

Position de l'économie française dans le cycle
(« capacité de rebond »)

Positif ou négatif

Effets macroéconomiques du gain en trésorerie
lié à la bascule du CICE

Positif

Retour du taux d'épargne des ménages vers sa moyenne historique

Positif

Rythme de normalisation de l'investissement des entreprises

Positif ou négatif

Atonie de l'investissement des ménages, en lien avec l'évolution des permis de construire et des mises en chantier

Négatif

Source : commission des finances du Sénat

À cet égard, si la trajectoire gouvernementale se fonde légitimement sur le scénario macroéconomique le plus probable, il est utile d' examiner la sensibilité de la trajectoire budgétaire aux hypothèses macroéconomiques retenues.

Afin d'essayer de circonscrire le champ des possibles, votre rapporteur général a ainsi pour habitude d' élaborer deux scénarios macroéconomiques alternatifs à partir des prévisions les plus optimistes et les plus pessimistes des instituts de conjoncture et des organisations internationales :

- le premier, qualifié de « défavorable » , se fonde ici sur le scénario de croissance de court terme (1,0 % en 2019 et en 2020) de l'institut de conjoncture le plus pessimiste du Consensus forecasts 37 ( * ) et une hypothèse d'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB légèrement inférieure à l'unité (0,9) tant en 2019 qu'en 2020 (contre 1,0 dans le scénario gouvernemental). Pour le scénario de croissance de moyen terme (2021-2022), il est fait l'hypothèse que la croissance effective convergerait vers l'hypothèse de croissance potentielle retenue par la Commission européenne (1,1 % en 2022), moins favorable que celle du Gouvernement (1,35 % en 2022) 38 ( * ) ;

- le second, qualifié de « favorable » , se fonde par parallélisme sur le scénario de croissance de court terme (1,5 % en 2019 et 1,8 % en 2020) de l'institut le plus optimiste du Consensus forecasts , une hypothèse d'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB qui s'établirait à 1,1 tant en 2019 qu'en 2020 (contre 1,0 dans le scénario gouvernemental) et une convergence de la croissance effective vers l'hypothèse de croissance potentielle du FMI (1,5 %) en 2021-2022, plus favorable que celle du Gouvernement (1,35 % en 2022) 39 ( * ) .

Les résultats des simulations sont présentés graphiquement ci-après.

Sensibilité de la trajectoire d'évolution du solde public au scénario macroéconomique

(en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat

S'agissant du solde public , la réalisation du scénario défavorable conduirait à dégrader le niveau du déficit de 0,9 point de PIB en 2022, tandis que la réalisation du scénario favorable l'améliorerait de 0,5 point de PIB - suggérant ainsi que les aléas baissiers l'emportent sur les aléas haussiers .

De façon plus rassurante, la réalisation du scénario défavorable ne conduirait pas à dépasser le seuil maastrichtien de 3 % du PIB en 2020 - ce qui risquerait de conduire à l'ouverture d'une nouvelle procédure de déficit excessif à l'encontre de la France, compte tenu du dépassement déjà prévu dans le scénario gouvernemental en 2019, en lien avec le surcoût temporaire lié à la transformation du CICE.

En revanche, le retour à l'équilibre budgétaire à l'issue du quinquennat, qui figurait parmi les objectifs initiaux du Gouvernement, resterait hors d'atteinte , même dans le scénario favorable.

S'agissant de la dynamique de la dette publique , la principale information tient à ce que la réalisation du scénario défavorable conduirait à porter le ratio d'endettement au-delà du seuil symbolique de 100 % du PIB dès 2020 .

Sensibilité de la trajectoire d'évolution de la dette publique
au scénario macroéconomique

(en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat

TRAVAUX EN COMMISSION

I. AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES (10 AVRIL 2019)

Réunie le mercredi 10 avril 2019, sous la présidence de M. Yvon Collin, vice-président, la commission a entendu M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité.

M. Yvon Collin , président . - Le conseil des ministres a adopté ce matin le projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022, qui présente, pour cette période, la trajectoire budgétaire retenue ainsi que le scénario macroéconomique sous-jacent.

Cette année, il est l'occasion pour le Gouvernement d'apporter des modifications profondes à sa trajectoire budgétaire afin, notamment, de tenir compte des mesures « gilets jaunes » annoncées en fin d'année dernière.

Compte tenu des enjeux, nous avons souhaité qu'un débat soit organisé en séance publique sur ce programme de stabilité. Il se tiendra le lundi 29 avril à 17 heures. Cela pourrait d'ailleurs être l'occasion pour nous d'interroger le Gouvernement sur l'impact des suites qui seront données au Grand débat national sur la trajectoire budgétaire.

Dans ce contexte, nous avons le plaisir d'accueillir Didier Migaud, afin qu'il nous présente l'avis du Haut Conseil des finances publiques sur ce programme de stabilité, en sa qualité de président. Je précise que cet avis porte uniquement sur les prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité, et non sur le scénario de finances publiques lui-même, conformément à l'article 17 de la loi organique du 17 décembre 2012.

M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques . - Je vous remercie de votre invitation. Je suis accompagné de François Monier, rapporteur général du Haut Conseil, de Vianney Bourquard et de Vladimir Borgy, rapporteurs généraux adjoints, et de Cyprien Canivenc, rapporteur.

C'est la septième fois que le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur le programme de stabilité. Avant de détailler devant vous le contenu de ce nouvel avis, je formulerai deux remarques préalables.

La première porte sur le calendrier. Conformément au droit de l'Union, le programme de stabilité a été établi, comme chaque année, au début du mois d'avril et sera transmis à la Commission européenne d'ici à la fin de ce mois, après des débats à l'Assemblée nationale et au Sénat. Cette contrainte calendaire pèse particulièrement cette année puisque le texte a été bâti indépendamment des suites qui seront données au Grand débat national. Par ailleurs, les conditions de mise en oeuvre du Brexit, dont l'échéance initiale était fixée au 29 mars 2019, continuent de représenter un aléa majeur pour les perspectives de croissance européenne et française.

La seconde remarque concerne le mandat du Haut Conseil des finances publiques. L'examen du programme de stabilité qu'il réalise chaque année porte sur les prévisions macroéconomiques sous-jacentes à la trajectoire des finances publiques et non sur la trajectoire des finances publiques, même si notre avis tient compte de l'impact des finances publiques sur la macroéconomie et inversement. Le mandat du Haut Conseil est limité. Il s'appuie sur des prévisions émanant de multiples institutions telles que la Commission européenne, la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ainsi que sur les travaux d'autres organismes comme l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la Banque de France, Rexecode et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Avant de vous présenter les observations du Haut Conseil sur les prévisions du Gouvernement, j'interviendrai brièvement sur le contexte macroéconomique dans lequel le programme de stabilité français a été établi. Je vous présenterai ensuite notre appréciation sur les prévisions du Gouvernement portant sur l'année 2019, puis nos observations relatives au scénario macroéconomique établi pour les années 2020 à 2022.

S'agissant du contexte macroéconomique actuel, le Haut Conseil constate d'abord le caractère moins porteur de l'environnement économique mondial et européen dans lequel paraît le programme de stabilité de notre pays. Nous observons en effet un fort ralentissement de la croissance du commerce international depuis la fin de l'année 2018. Ce repli est notamment dû à l'escalade des droits de douane, initiée par les États-Unis, au ralentissement de la croissance des pays émergents, en particulier de la Chine, et aux difficultés qui affectent le secteur automobile dans plusieurs pays. Ainsi, malgré un rebond attendu au cours de l'année 2019, la croissance du commerce mondial en moyenne annuelle se situerait cette année à un niveau plus faible qu'en 2017 et en 2018.

La zone euro connaît pour sa part un fléchissement très prononcé de sa croissance. Le ralentissement de l'activité observé au second semestre de l'année 2018 reflète celui du commerce mondial et a été amplifié, notamment en Allemagne, par les difficultés d'adaptation du secteur automobile lors de la mise en oeuvre de nouvelles normes d'homologation au 1 er septembre 2018.

Aussi, si la zone euro pourrait retrouver au premier semestre 2019 une croissance modérée, tirée par la consommation, les prévisions pour l'ensemble de l'année ont été sensiblement révisées à la baisse. En 2019, les prévisions de croissance pour la zone euro sont en effet comprises entre 1,3 % selon la Commission européenne et le gouvernement français, 1,2 % selon l'OCDE, et 1,1 % selon la Banque centrale européenne, ce qui correspond, quelle que soit l'estimation retenue, à une progression sensiblement inférieure à celle observée en 2017 (2,5 %) et en 2018 (1,8 %).

Depuis la mi-2018, notre pays connaît une croissance un peu plus soutenue que celle de ses principaux partenaires européens. Par rapport à la zone euro, la France a en effet bénéficié au second semestre 2018 d'un investissement des entreprises plus élevé et d'une contribution des échanges extérieurs un peu plus favorable. En revanche, l'investissement des ménages français a été moins dynamique que chez nos voisins européens. De même, la consommation a été atone au quatrième trimestre de l'année 2018 sous l'effet, notamment, des mouvements sociaux intervenus en fin d'année. L'écart de croissance de la France par rapport à la zone euro devrait toutefois se maintenir au premier semestre 2019. Le climat des affaires s'est en effet légèrement redressé aux mois de février et de mars, et se situe actuellement à un niveau un peu supérieur à sa moyenne de longue période. Enfin, la demande intérieure serait renforcée par un rebond de la consommation, soutenu par des gains significatifs de pouvoir d'achat au quatrième trimestre 2018 et au premier trimestre 2019.

Le Haut Conseil estime toutefois que ce contexte macroéconomique présente plusieurs facteurs d'incertitudes susceptibles d'affecter l'activité mondiale et européenne, et en conséquence la trajectoire de croissance française. Tout d'abord, les conditions de mise en oeuvre du Brexit constituent un aléa majeur pour notre dynamique de croissance. Ensuite, nous devons intégrer le risque d'une reprise plus lente que prévu du commerce mondial sous l'effet d'un possible durcissement des tensions protectionnistes, ou d'un ralentissement accru de l'activité en Chine ou aux États-Unis. Enfin l'activité française pourrait être freinée si le ralentissement observé ces derniers mois en Italie et en Allemagne était amené à se poursuivre.

À l'inverse, d'autres facteurs pourraient affecter positivement notre trajectoire. Certains pays européens pourraient ainsi utiliser les marges de manoeuvre budgétaires dont ils disposent pour soutenir davantage l'activité. Je pense également aux politiques monétaires plus accommodantes qui résultent des décisions prises par la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne au cours des derniers mois, qui atténuent le risque d'une remontée rapide des taux d'intérêt.

J'en arrive aux observations formulées par le Haut Conseil sur les prévisions du Gouvernement pour l'année 2019.

La prévision de croissance formulée dans le programme de stabilité pour 2019 par le Gouvernement s'élève à 1,4 %. Elle est donc en baisse par rapport à la prévision de la loi de finances pour 2019, qui s'établissait à 1,7 %. Cette prévision de croissance est en ligne avec celle formulée par plusieurs organisations internationales telles que le Fonds monétaire international et la Commission européenne, qui l'évaluent à 1,3 % pour 2019, ainsi qu'avec celle établie par d'autres organismes qui oscille entre 1,5 % selon l'OFCE, 1,4 % selon la Banque de France et 1,3 % selon Rexecode.

Dans le détail, la consommation des ménages français devrait être soutenue par d'importants gains de pouvoir d'achat résultant de la poursuite de la croissance des revenus d'activité, par le ralentissement de l'inflation et par les différentes mesures fiscales et sociales prises à la fin de l'année 2018. Ces gains de pouvoir d'achat, concentrés sur le quatrième trimestre 2018 et le premier trimestre 2019, ont été jusqu'ici absorbés en grande partie par la hausse du taux d'épargne, qui a atteint un niveau singulièrement élevé. La consommation française dépendra donc au cours des prochains trimestres de la perception qu'auront les ménages de l'évolution de leur pouvoir d'achat et de leur confiance dans l'avenir.

Enfin, la hausse de l'investissement des entreprises devrait également se poursuivre, ce qui est cohérent avec les niveaux élevés de taux d'utilisation des capacités de production.

En résumé, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance pour 2019 formulée dans le programme de stabilité est réaliste. Il en est de même pour les prévisions d'emploi et de masse salariale établies par le Gouvernement pour 2019.

S'agissant de l'inflation, le Haut Conseil juge plausible la prévision du Gouvernement, à 1,3 % pour 2019. Toutefois les premières estimations de l'indice d'inflation du mois de mars 2019 laissent à penser que la hausse attendue de l'inflation sous-jacente pourrait être plus lente que celle prévue par le Gouvernement.

Pour finir, je vous présenterai les observations du Haut Conseil sur le scénario macroéconomique du Gouvernement pour les années 2019 à 2022.

Il convient d'abord d'examiner les hypothèses de croissance de produit intérieur brut potentiel, c'est-à-dire la production dite soutenable qui peut être réalisée sans engendrer de tensions dans l'économie. Le Gouvernement n'a pas modifié ses hypothèses par rapport à la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. La croissance potentielle de l'économie française est ainsi estimée à 1,25 % pour chacune des années comprises entre 2018 et 2020. Elle augmenterait cependant très légèrement en fin de période pour tenir compte de l'impact des réformes structurelles, et s'établirait alors à 1,35 % en 2022. Le Haut Conseil renouvelle donc l'avis qu'il a déjà exprimé lors de l'examen de la loi de programmation, considérant que les hypothèses retenues par le Gouvernement pour cette période sont raisonnables. Il convient ensuite d'évaluer la position de l'économie française dans le cycle en 2019 et en 2020. Elle est estimée grâce à l'écart de production, également appelé output gap . Cet écart constitue en principe un indicateur de la capacité de rebond d'un pays quand il est négatif ou d'une perspective de ralentissement quand il est positif. Les estimations du Gouvernement établissent un écart de production très légèrement négatif pour 2018 et 2019, et se situent dans la fourchette des estimations disponibles.

Cependant l'incertitude portant sur l'écart de production est importante. En effet, cet écart ne correspond pas à une donnée observable ou comptable. Ces estimations sont régulièrement sujettes à des révisions significatives. Comme en avril 2018, la fragilité des évaluations de l'écart de production est mise en lumière par les messages divergents délivrés par les indicateurs d'inflation et de tension. Ainsi l'inflation sous-jacente fluctue faiblement et reste à un bas niveau, ce qui ne témoigne pas de signe de tension. En revanche, les taux d'utilisation des capacités de production dans l'industrie manufacturière et les difficultés de recrutement s'établissent depuis 2019 au-dessus de leur moyenne de long terme.

J'en viens au scénario de croissance établi par le Gouvernement pour la période 2020-2022. L'an dernier, dans notre avis sur le programme de stabilité d'avril 2018, nous avions considéré que le scénario d'une croissance effective demeurant continument supérieure à la croissance potentielle jusqu'en 2022 était optimiste. Le nouveau scénario présenté cette année se prête moins à cette critique. Le Gouvernement a en effet révisé à la baisse son scénario de croissance par rapport au programme de stabilité transmis en 2018. Les prévisions de croissance établissaient ainsi un taux de 1,4 % par an. Ce niveau est proche de la croissance potentielle jusqu'en 2022. En conséquence, l'écart de production serait durablement proche de zéro. Ce nouveau scénario constitue une base plus raisonnable que dans le programme de stabilité précédent pour établir une trajectoire pluriannuelle de finances publiques.

Pour conclure, j'évoquerai l'impact du scénario macroéconomique présenté par le Gouvernement sur les finances publiques. Dans l'ensemble, le Haut Conseil note que le Gouvernement a souhaité rendre plus crédible le scénario macroéconomique de moyen terme. La comparaison des trajectoires de finances publiques du programme de stabilité transmis en avril 2018 et de celui-ci montre qu'un scénario optimiste de croissance tel que celui de l'an dernier tend à minorer le déficit et à afficher une trajectoire favorable de dettes publiques. Tandis que le solde public effectif devait être positif dans le dernier programme de stabilité à hauteur de 0,3 point de PIB en 2022, celui de cette année prévoit désormais un déficit public de 1,2 point au même horizon. Le programme de stabilité établi en avril 2019 inscrit donc une dégradation du déficit de 1,5 point de PIB par rapport à celui de l'an passé. Dans l'ensemble, cette évolution est expliquée pour un peu plus de la moitié par la révision de la trajectoire de croissance économique sur la période de 2018 à 2022, et pour un peu moins de la moitié par les choix faits en matière de finances publiques, essentiellement le choix d'une baisse plus forte des prélèvements obligatoires sans effort supplémentaire en matière de maîtrise de la dépense publique.

En conséquence, dans le nouveau scénario, en 2022 le solde structurel restera éloigné de l'objectif de moyen terme fixé à moins 0,4 point de PIB. Il serait encore de moins 1,3 point de PIB en 2022 contre moins 0,6 point initialement fixé dans le programme de stabilité établi en avril 2018. La révision du scénario de croissance, et dans une moindre mesure de celui des finances publiques, se traduirait aussi par une modification significative de la trajectoire de diminution du ratio de dette sur PIB.

D'après le programme de stabilité transmis par le Gouvernement, il ne diminuerait sur l'ensemble de la période 2018-2022 que de 1,6 point dans le programme de stabilité d'avril 2019, contre 7,2 points initialement anticipés dans le programme de stabilité établi l'année dernière. La baisse du ratio de dette annoncée ne commencera qu'en 2021, alors qu'elle était attendue à compter de 2018 dans le programme de stabilité d'avril 2018.

Le Haut Conseil relève donc que pour des raisons tenant à la fois aux perspectives de croissance révisée à la baisse et au choix fait d'une baisse plus forte des prélèvements obligatoires, le nouveau programme de stabilité conduit, par rapport au précédent, à une réduction sensiblement moindre des déficits effectif et structurel à l'horizon 2022, et en conséquence de notre dette. Cette évolution rend d'autant plus nécessaire un strict respect des objectifs de dépenses publiques si les pouvoirs publics veulent respecter les engagements pris.

M. Yvon Collin , président . - Je vous remercie.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - L'avis du Haut conseil des finances publiques sur le programme de stabilité a été transmis ce matin même au Parlement - sous embargo alors que son contenu a été en partie diffusé par la presse depuis plusieurs jours. Les ministres eux-mêmes ont distillé des annonces. C'est à se demander à quoi l'on sert ! Le Sénat s'apprête à entendre le Premier ministre parler dans le cadre du Grand débat mais il n'annoncera rien puisqu'il faudra attendre la parole du Président de la République. D'autres mesures budgétaires et fiscales seront proposées par l'exécutif et dans ces conditions, quelle est la crédibilité d'un document déjà dépassé ?

Deux questions néanmoins. D'abord, quel est l'impact sur la croissance des mesures prises en décembre pour répondre au mouvement des « gilets jaunes » ? On a laissé filer le déficit puisque les mesures en recettes ont été différées. Quel est le coefficient multiplicateur retenu pour calculer l'effet retour sur la croissance ? On regrettera que le Sénat n'ait pas été entendu plus tôt, alors que nous proposions déjà il y a un an des mesures en faveur des retraités et sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

Ensuite, avez-vous estimé les effets d'un Brexit « dur » sur l'activité commerciale ?

M. Yvon Collin , président . - Ma première remarque porte également sur la sincérité du projet de programme de stabilité. Comment a-t-on pu élaborer un programme de stabilité indépendamment des suites qui seront données au grand débat national, dont tout laisse à croire qu'elles auront un impact non négligeable sur le scénario budgétaire gouvernemental ? Est-ce à dire que les services de la Commission européenne vont se prononcer dans quelques semaines sur un programme de stabilité déjà obsolète ? Un rectificatif est-il envisageable ?

J'ai par ailleurs une question sur la capacité de rebond de l'économie française, ce que les économistes appellent dans leur jargon « l'écart de production ». Comme vous le soulignez dans votre avis, les conjoncturistes et le Gouvernement estiment que l'économie française aura épuisé sa capacité de rebond à l'issue de l'exercice 2019 et devrait dès lors croître à un rythme proche de son potentiel. Logiquement, la résorption de l'écart de production s'accompagne de tensions sur les salaires et les prix. Pourtant, l'inflation sous-jacente demeure atone. Comment expliquer cette contradiction ?

M. Didier Migaud . - Je ne peux évidemment me prononcer sur les remarques du rapporteur général. Nous avons travaillé dans les conditions habituelles, à partir des documents que le Gouvernement nous a transmis mercredi dernier. Le Haut Conseil des finances publiques a terminé la rédaction de son avis hier dans l'après-midi et l'a immédiatement transmis au Parlement.

Quant à la crédibilité de l'exercice, le scénario macroéconomique, tel qu'il nous a été présenté, nous paraît réaliste. Le fait que le programme de stabilité ait été préparé indépendamment des suites du grand débat et du calendrier du Brexit est la simple conséquence du calendrier européen, qui exige la présentation de ce programme avant la fin du mois.

Les mesures prises pèseront-elles sur la croissance en 2019 ? Ce n'est pas sûr, en revanche, elles pèseront certainement sur le scénario de finances publiques pour la période 2020-2022.

Le coefficient multiplicateur des mesures prises à la suite de la crise des gilets jaunes n'a pu être mesuré. Les mesures prises en faveur du pouvoir d'achat entre le quatrième trimestre 2018 et le premier trimestre 2019 ont eu des effets, mais pas sur la consommation, qui est restée atone au quatrième trimestre 2018. Le lien entre la hausse de pouvoir d'achat et la hausse de la consommation n'est pas systématique. Le Gouvernement prévoit ainsi une augmentation de 2 % du pouvoir d'achat en 2019 et une hausse de la consommation de 1,6 %. Cette hypothèse, qui repose sur un taux d'épargne élevé, nous semble prudente. Le pouvoir d'achat supplémentaire ne sera pas forcément consommé rapidement. Tout dépendra, ensuite, de la confiance des ménages français dans les mesures prises et de leur foi dans l'avenir.

Ces mesures sont intervenues dans un contexte d'affaiblissement de la demande extérieure causé par un ralentissement européen et mondial ; elles peuvent expliquer pourquoi la croissance française a assez bien résisté.

Il n'appartenait pas au Haut Conseil des finances publiques d'estimer les effets du Brexit ; à terme, il peut bien sûr se traduire par des pertes économiques, notamment à cause d'une baisse des échanges commerciaux. Certains instituts ont évalué la perte de croissance pour le Royaume-Uni à deux points de PIB depuis le vote du Brexit, en raison d'une baisse de l'investissement et de la consommation des ménages. Une étude de l'Insee a évalué les effets d'une augmentation des droits de douane sur l'activité française dans deux scénarios : un soft et un hard Brexit. Dans le premier cas, la perte de croissance serait de 0,3 point, étalée sur plusieurs trimestres ; dans le second, de 0,6 point. La France ne serait pas le pays le plus affecté : l'Irlande serait la plus touchée pour des raisons évidentes, mais l'Allemagne y perdrait également beaucoup. Cela explique la volonté de la chancelière d'éviter une sortie sans accord.

Le Fonds monétaire international a lui aussi publié ses prévisions hier. En cas de Brexit sans accord, l'Union européenne perdrait de 0,1 % à 0,4 % de croissance dès 2019, et 0,2 % à 0,4 % supplémentaires jusqu'en 2021. Nul ne peut déterminer avec précision les effets du Brexit ; seule certitude, il n'est bon pour personne...

La croissance potentielle et l'écart de production sont des sujets sensibles au sein de la communauté des économistes. Leur estimation est difficile, et il n'existe aucune méthode pleinement satisfaisante d'estimation. Ce sont néanmoins des notions utiles, et nous continuons à y travailler. L'hypothèse de croissance potentielle présentée par le Gouvernement a paru raisonnable au Haut conseil. Les avis divergent également sur l'écart de production, et la possibilité d'une évolution de la croissance potentielle. Le Gouvernement a évalué l'impact des réformes de structure à 0,1 point : la croissance tendancielle serait ainsi portée de 1,25 % à 1,35 % à l'échelle du quinquennat.

L'OCDE et le FMI intègrent des effets plus importants des réformes structurelles que ne le fait le Gouvernement. Le FMI va jusqu'à 1,5 point de croissance potentielle. En revanche, la Commission européenne diverge totalement dans ses appréciations, car elle ne prend pas en compte les réformes annoncées. Elle part de ce qui est voté effectivement par les parlements.

Vous m'avez demandé si un pays pouvait avoir une croissance effective supérieure à sa croissance potentielle sur une longue période. Je n'ai aucune certitude sur ce point. C'est difficilement envisageable, même si l'Allemagne et les États-Unis ont prouvé que c'était possible.

Actuellement, la prévision de 1,4 % est proche de la croissance potentielle de la France. On peut penser que ce scénario n'est pas déraisonnable.

M. Roger Karoutchi . - Lors de la restitution du Grand débat au Grand Palais, je n'ai pu applaudir que l'annonce du Premier ministre visant à donner plus de pouvoirs à la Cour des comptes.

Plus sérieusement, beaucoup d'économistes et de financiers prédisent l'arrivée d'une crise financière dans les mois qui viennent. Qu'en pensez-vous ? Cet élément a-t-il été pris en compte dans vos évaluations ?

M. Jérôme Bascher . - J'ai bien compris que nous étions en fin de cycle. Cependant, la dégradation du solde budgétaire en fin de période est massive. Y a-t-il eu des mensonges dans le passé ? Le solde ne risque-t-il pas de se dégrader encore avec la révision à la baisse de 0,3 point de la croissance prévisionnelle, même s'il y a de bonnes nouvelles en base ?

M. Michel Canévet . - La loi de finances pour 2019 a été préparée et votée sur des prévisions de croissance de 1,7 %. Aujourd'hui, un certain nombre d'éléments extérieurs, comme la situation aux États-Unis ou le Brexit, sont de nature à affecter cette croissance. L'ajustement à 1,4 % est-il vraiment réaliste, sachant que la croissance au premier trimestre a été de 0,3 % ? Que faudrait-il pour éviter encore une dégradation du ratio d'endettement ?

Mme Christine Lavarde . - Monsieur Migaud, les doutes que vous aviez émis sur la levée de l'impôt dans le cadre de la mise en oeuvre du prélèvement à la source ont-ils été dissipés ? Avez-vous relevé une modification des habitudes de consommation suite à la mise en place du prélèvement à la source ?

M. Bernard Delcros . - Le Gouvernement a annoncé la suppression totale de la taxe d'habitation. Cela représente 10 milliards d'euros, résidences secondaires comprises. Le programme de stabilité 2019-2022 en tient-il compte ? Sinon, quelle sera l'incidence de cette suppression ?

M. Thierry Carcenac . - Vous avez mentionné deux aléas pouvant peser sur l'activité : la sortie du Grand débat et le Brexit.

Moi, je m'inquiète du coût de l'énergie. Le prix du baril est fortement remonté, ce qui impacte le coût de l'énergie en général. Quel impact cela aura-t-il sur le pouvoir d'achat ?

S'agissant du Brexit, ne peut-on pas considérer qu'il y a eu une anticipation des entreprises dès 2018, ce qui aurait eu un impact sur l'activité ?

M. Jean-Claude Requier . - Les mesures de pouvoir d'achat, justifiables malgré leur coût, ne doivent pas faire oublier la nécessité de réhausser la croissance par d'autres canaux. Quels sont selon vous les principaux leviers de croissance du côté de l'offre ?

M. Didier Rambaud . - Le Grand débat a été l'occasion d'un plébiscite pour la Cour des comptes dont personne ne demande la disparition, contrairement à d'autres institutions.

La loi de programmation 2018-2022 a mis en place un nouveau principe budgétaire qui consiste à affecter toute bonne nouvelle en matière de recettes à la baisse du déficit, donc à la réduction de l'endettement, intégralement si cette évolution est conjoncturelle, et à moitié si elle est structurelle. Pouvez-vous faire un point d'étape sur la mise en oeuvre de ce principe ?

M. Didier Migaud . - Nous sommes sensibles à ce qui remonte des territoires s'agissant de la Cour des comptes.

Je ne sais pas s'il faut que la Cour ait plus de pouvoirs. Il faut se prémunir contre le gouvernement des juges. En revanche, il faudrait que les gouvernements puissent davantage motiver leurs choix de ne pas suivre nos recommandations. De tels débats devraient avoir lieu au Parlement, devant l'opinion publique. Je remarque que l'ordre du jour réservé au contrôle dans les deux chambres est plus souvent occupé par des propositions de loi que par des débats de contrôle.

Les Français comprennent mal que des dysfonctionnements soient signalés par la Cour sans que des conséquences en soient tirées par les gestionnaires publics. Entre la responsabilité politique et la responsabilité pénale, je suis convaincu qu'il existe un espace pour une véritable responsabilité administrative et financière.

Le scénario ne prend pas en compte l'éventualité d'une nouvelle crise financière. C'est un aléa, mais qui reste peu probable dans des délais très courts. Il y aura toujours des économistes pour vous dire le contraire, d'autant plus que le souvenir de celle de 2008, que peu avaient anticipée, les incite à la prudence... Il y a des indicateurs dans ce sens, mais d'autres vont dans le sens contraire, comme l'absence d'inflation. Certes les entreprises sont endettées, mais les taux sont bas ; les entreprises françaises ont une trésorerie plutôt correcte, notamment cette année grâce à la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

La remontée des taux aura lieu un jour ou l'autre. Mais la Réserve fédérale et la Banque centrale européenne feront en sorte qu'elle soit maîtrisée. La charge de la dette sera même vraisemblablement inférieure à ce qui était prévu dans la loi de finance initiale.

Je ne peux pas empiéter dans mes réponses sur les travaux que la Cour mène en ce moment, comme le rapport sur l'exécution du budget de l'État que nous vous remettrons autour du 20 mai et le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques - je pense aux questions de M. Rambaud ou de Mme Lavarde.

Le prix du pétrole retenu dans l'hypothèse, à 65 dollars le baril, est à un niveau bas - en 2008, il était en moyenne de 71 dollars. Mais plusieurs économistes considèrent qu'un ralentissement de l'activité au niveau mondial devrait se répercuter à la baisse sur le prix du pétrole, même si nous n'y assistons pas encore.

Nous pensons que la prévision de croissance est réaliste. Les deux premiers trimestres devraient être assez bons, compte tenu des gains de pouvoir d'achat, avec une croissance de 0,4 % à chaque fois, selon l'Insee, ce qui permet un acquis de croissance de 1,1 %. Espérer 0,3 % de plus pour les deux trimestres suivants semble réaliste.

J'entends parfois que le scénario est optimiste à 0,1 point près. Les écarts peuvent être beaucoup plus importants : ayons un peu de recul face à un chiffre qui ne peut être que provisoire. Mais, je le répète, 1,4 % me semble réaliste.

Quelles sont les conséquences du programme de stabilité ? Comment expliquer que le ratio de dette évolue moins positivement que prévu ? Il y a d'abord les révisions de croissance : si on passe de 1,7 % à 1,4 %, cela a des conséquences. Il y a aussi les mesures supplémentaires prises en matière de baisse des prélèvements obligatoires : l'effort de maitrise des finances publiques restant au même niveau, le déficit est plus grand. Cela implique une vigilance d'autant plus forte sur la maîtrise des dépenses. L'effort proposé est plus ambitieux que les années précédentes, mais cela ne suffit pas à faire face à la baisse des prélèvements obligatoires. C'est ce qui explique le solde dégradé par rapport aux prévisions de l'année dernière. Tous les effets ont été pris en compte, indépendamment d'éventuelles mesures nouvelles qui pourraient être annoncées à la suite du grand débat.

Nous aurons l'occasion de revenir à ces sujets lorsque nous évoquerons les rapports sur l'exécution du budget de l'État et sur la situation et les perspectives des finances publiques.

M. Yvon Collin , président . - Merci, Monsieur le président, d'avoir fait preuve de la même rigueur que d'habitude et d'avoir rappelé notre mission en matière d'évaluation et de contrôle.

II. EXAMEN EN COMMISSION (29 AVRIL 2019)

Réunie le lundi 29 avril 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu une communication de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur le projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022.

M. Vincent Éblé , président . - Comme il est de tradition, M. le rapporteur général va nous présenter son rapport d'information sur le projet de programme de stabilité. Cette présentation intervient cette année dans un contexte bien particulier après le grand débat et les récentes déclarations du Président de la République.

Je lui laisse la parole, pour qu'il expose son analyse de ce projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Le conseil des ministres a adopté, le 10 avril dernier, le projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022, qui présente pour cette période la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement ainsi que le scénario macroéconomique sous-jacent. Or ce document important est devenu obsolète du fait des annonces du Président de la République jeudi dernier. De qui se moque-t-on, si ce n'est de nos partenaires ou du Parlement européen ?

Considéré en principe comme le véritable support des engagements européens de notre pays en matière budgétaire, ce projet s'accompagne du programme national de réforme, qui a pour finalité d'exposer les mesures programmées ou déjà mises en oeuvre afin de réaliser les objectifs fixés.

Ce document est théoriquement important et c'est la raison pour laquelle notre commission a souhaité qu'un débat en séance publique soit prévu aujourd'hui, alors que le Gouvernement n'avait pas envisagé de l'inscrire à l'ordre du jour. Le président Éblé et moi-même avons ainsi défendu l'organisation de ce débat, conformément à la volonté du bureau de notre commission. Cela nous est apparu d'autant plus nécessaire que l'exercice exigé par la transmission du programme de stabilité présente cette année une double particularité : d'une part, il tire les conséquences budgétaires du ralentissement de l'économie et donne l'occasion au Gouvernement de mettre à jour la trajectoire au regard des mesures adoptées fin décembre par le Parlement, afin de répondre aux préoccupations exprimées par le mouvement dit « des gilets jaunes » ; d'autre part, la programmation pluriannuelle a été établie indépendamment des conclusions tirées par le Président de la République du grand débat national, et ce alors même qu'elles risquent fort d'avoir un impact non négligeable sur la trajectoire budgétaire.

Commençons par examiner le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement. Comme le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), je pense que le scénario retenu constitue une base réaliste pour asseoir la programmation pluriannuelle des finances publiques, dès lors qu'il prend acte du ralentissement de l'économie française. Alors que le projet de loi de finances pour 2019 avait déjà été marqué par une révision à la baisse du scénario de croissance, les hypothèses retenues par le Gouvernement dans le cadre du présent programme de stabilité enregistrent un nouveau recul. La croissance serait ainsi limitée à 1,4 % du PIB en volume sur l'ensemble de la période 2019-2022, soit 0,3 point en deçà du précédent scénario.

La révision à la baisse des perspectives de court-terme pour la première période, de 2019 à 2020, tient essentiellement à un « effet base » 2018 défavorable et au ralentissement du commerce et de l'économie européenne. En effet, le ralentissement est plus fort que les prévisions pour le commerce mondial et l'activité de la zone euro, ce qui pèse sur les exportations françaises.

La hausse de la demande adressée à la France serait ainsi limitée à 2,7 % en 2019, également en net recul par rapport au précédent programme de stabilité, ainsi qu'au projet de loi de finances pour 2019. En revanche, la demande intérieure resterait dynamique, comme le suggèrent les enquêtes de conjoncture du début d'année et compte tenu de l'effet des mesures sur le pouvoir d'achat et des réponses apportées à la crise des « gilets jaunes » sur la croissance - cet effet est estimé à 0,3 point de PIB.

Les hypothèses retenues sont donc globalement en ligne avec les prévisions les plus récentes.

Si le présent projet de programme de stabilité est marqué par une dégradation des perspectives de croissance de court terme, le scénario de moyen terme est également revu à la baisse - une première depuis le début du quinquennat !

À cet horizon, l'évaluation des hypothèses de croissance retenues par le Gouvernement repose moins sur l'analyse des indicateurs conjoncturels que sur l'appréciation de la position dans le cycle de l'économie française et sur son potentiel de croissance, lesquels sont actuellement soumis à de fortes incertitudes.

Vous le savez, la croissance potentielle joue en quelque sorte le rôle d'un « limitateur de vitesse » : une fois l'écart de production résorbé, la croissance effective doit se rapprocher de la croissance potentielle. De ce point de vue, alors que le Gouvernement faisait jusqu'à présent l'hypothèse que l'économie française entrerait dans une phase de légère « surchauffe » en fin de quinquennat, tel n'est plus le cas dans le cadre du présent projet de programme de stabilité. Une fois l'écart de production refermé en 2020, la croissance effective - 1,4 % - resterait ainsi très proche de la croissance potentielle - 1,35 % en 2022 -, ce qui maintiendrait l'écart de production au voisinage de zéro.

Le HCFP qualifie ce scénario de « raisonnable », alors qu'il considérait à juste titre l'an passé que « le scénario retenu d'une croissance effective demeurant continûment supérieure à la croissance potentielle jusqu'en 2022 » était « optimiste ». Les hypothèses de croissance effective qui en découlent apparaissent en tout état de cause en ligne avec les principales estimations disponibles de la Banque de France, du FMI, etc.

Si le débat sur le cadrage macroéconomique gouvernemental se focalise le plus souvent sur le scénario de croissance, d'autres hypothèses jouent un rôle décisif pour l'évolution des finances publiques, au premier rang desquelles figurent l'élasticité des prélèvements obligatoires à l'activité et l'évolution des taux d'intérêt.

Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement bénéficie d'un fort dynamisme des recettes, qui a grandement facilité l'atteinte de ses objectifs budgétaires, avec une élasticité des prélèvements obligatoires, de 1,4 point de PIB en 2017 et de 1,2 point de PIB en 2018. Il s'agit d'une situation atypique, car l'élasticité n'est restée supérieure à l'unité pendant trois exercices consécutifs qu'à une seule reprise depuis 1990. Pour la suite du quinquennat, le Gouvernement retient une hypothèse plus réaliste, celle d'un retour à une élasticité unitaire.

La question du rythme de la remontée des taux d'intérêt revêt également une importance majeure pour apprécier la crédibilité du scénario gouvernemental compte tenu du niveau actuel de la dette publique.

En dépit de la décision de la Banque centrale européenne (BCE) de ralentir la normalisation de sa politique monétaire, le Gouvernement continue à établir l'hypothèse d'une remontée des taux assez importante, au rythme de 75 points de base par an - scénario dont j'avais déjà souligné le caractère conservateur l'an dernier.

Sans surprise, les prévisions de taux d'intérêt du Gouvernement diffèrent donc fortement du scénario central des conjoncturistes et de la Banque de France, ce qui conduit naturellement à une appréciation différente du poids de la charge de la dette. Celle-ci s'élèverait en 2021 à 1,3 point de PIB d'après la Banque de France, contre 1,6 point de PIB dans le scénario gouvernemental. Cette différence correspond au surcoût induit par la suppression complète de la taxe d'habitation.

Si la prudence peut se justifier dans un domaine où l'incertitude est grande, il apparaît étonnant de retenir des hypothèses aussi éloignées des conjoncturistes. Ces prévisions concernant la charge de la dette n'auraient-elles pas vocation à constituer une forme de « réserve de budgétisation » cachée, qui échapperait au contrôle du Parlement et dont la sous-exécution viendrait compenser les dérapages sur les autres dépenses ?

Venons-en maintenant à la trajectoire budgétaire, qui ne recueille pas, cela ne vous surprendra pas, le même assentiment que le scénario macroéconomique. En effet, le nouveau scénario budgétaire apparaît significativement dégradé, au point que l'on peut se demander si le Gouvernement ne sacrifie pas les finances publiques pour tenter de répondre au mouvement des gilets jaunes et plus largement aux attentes fortes des Français. Je pense à la renonciation à 120 000 postes de fonctionnaires et à l'abandon ou au report de réformes.

Par rapport au scénario du projet de loi de finances, trois changements notables expliquent la révision des objectifs budgétaires gouvernementaux.

Le premier facteur tient à une exécution 2018 légèrement plus favorable qu'escompté, avec un déficit public de 2,5 % du PIB, contre une prévision de 2,6 % du PIB. Cela permet ainsi au Gouvernement de disposer d'un « effet base » positif de 0,1 point pour l'exercice 2019.

La décomposition du solde public fait apparaître que ce résultat est le produit de deux effets contraires : d'une part, un solde conjoncturel plus dégradé que prévu, en lien avec un taux de croissance 2018 - 1,6 % - inférieur de 0,1 point à la prévision associée au projet de loi de finances - 1,7% -; d'autre part, un effort de maîtrise des dépenses plus important qu'anticipé - supérieur de 0,2 point. Malheureusement, ce sont encore une fois les collectivités territoriales - à qui l'on donne souvent des leçons - qui ont grandement contribué à cette bonne tenue de la dépense, avec une progression des dépenses de fonctionnement limitée à 0,7 % en comptabilité budgétaire, soit un niveau significativement inférieur à l'objectif de 1,2 % fixé dans le cadre du mécanisme de contractualisation.

L'effet base positif de 0,1 point de PIB issu de l'exécution 2018 est toutefois plus que compensé par la dégradation des perspectives de croissance 2019-2022, qui pèse à hauteur de 0,5 point de PIB sur le solde en 2022.

Enfin, la trajectoire budgétaire est également bouleversée par les réponses apportées à la crise des gilets jaunes en décembre dernier.

Le coût de ces décisions, que le ministre nous a demandé de voter sans savoir à l'époque les expliquer, peut être estimé à 7,4 milliards d'euros en 2019, soit 0,3 point de PIB - selon l'hypothèse favorable d'une mise en oeuvre intégrale des économies annoncées sur le budget de l'État, 1,5 milliard d'euros, soit 40 % des crédits mis en réserve - et d'un rendement de la taxe GAFA conforme à la prévision, soit 400 millions d'euros. Je demande à voir... En 2022, le coût s'élèverait à 12,9 milliards d'euros, soit 0,5 point de PIB, en retenant l'hypothèse du présent programme de stabilité d'un gel complet de la trajectoire carbone jusqu'à la fin du quinquennat.

Faute d'un plus grand effort de maîtrise de la dépense publique, et en dépit des grandes déclarations de Bruno Le Maire concernant le déficit, l'effet combiné de ces trois facteurs pèserait donc à hauteur de 0,9 point de PIB sur le solde 2022, éloignant ainsi un peu plus la France du retour à l'équilibre des comptes publics initialement anticipé par le Gouvernement.

Cette remise en cause de la trajectoire de réduction du déficit public conduit naturellement à un moindre infléchissement du ratio d'endettement, qui ne diminuerait que de 1,6 point à l'échelle du quinquennat, loin des ambitions initiales. En outre, la révision à la baisse des perspectives de croissance conduit mécaniquement à une moindre réduction du poids de la dépense publique dans le PIB. À l'inverse, la réduction de la part des prélèvements obligatoires dans le PIB est plus importante qu'escompté - 0,5 point supplémentaire par rapport au projet de loi de finances -, du fait des réponses apportées à la crise des gilets jaunes.

À l'issue du quinquennat, le poids des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale resterait supérieur de 1,7 point à celui qui a été observé avant la crise financière. Le niveau atteint en 2022 serait sensiblement le même qu'en 2012. Autrement dit, en matière de prélèvements obligatoires, le quinquennat Macron permettra tout juste d'effacer les excès du  quinquennat Hollande !

M. Sébastien Meurant . - Quelle vision !

Mme Sophie Taillé-Polian . - C'est expiatoire...

M. Bernard Delcros . - Chacun son passé.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Ce n'est pas moi qui ai inventé le « ras-le-bol fiscal » !

Alors, quel regard porter sur la nouvelle trajectoire budgétaire proposée dans le programme de stabilité ?

S'il était légitime de répondre à la crise des « gilets jaunes », même s'il aurait mieux valu éviter d'allumer l'incendie, - le Sénat a voté le premier le gel de la trajectoire carbone qui a fait l'objet d'un consensus entre nous, mais aussi l'ensemble des mesures d'urgence pour le soutien au pouvoir d'achat en décembre dernier -, il me semble que leur coût aurait dû être compensé par un plus grand effort de maîtrise de la dépense. Aussi, je suis inquiet de ce nouveau report du redressement des comptes publics, qui risque de fragiliser la crédibilité de notre politique budgétaire et la capacité de l'économie française à faire face aux chocs. Il faut se souvenir que la stratégie budgétaire française de sortie de crise s'est singularisée par la volonté de ne pas fragiliser la reprise économique, en engageant un redressement plus progressif de ses comptes publics. Ce choix contribue ainsi à expliquer le retard français en matière d'ajustement budgétaire.

Que l'on s'attache au solde public ou à des indicateurs plus sophistiqués tels que le solde primaire structurel, la France se situe actuellement en « queue du peloton » des grands pays européens, avec l'Espagne. Cette stratégie budgétaire n'est pas dénuée de tout fondement sur le plan économique. En effet, des travaux ont confirmé qu'il est sous-optimal de mener des plans de consolidation budgétaire de grande envergure en bas de cycle. Sa crédibilité reposerait sur la détermination du Gouvernement à s'engager résolument dans un effort de redressement des comptes publics une fois l'économie revenue à son niveau d'activité potentiel. Or les grandes réformes ont toutes été oubliées, alors que le contexte actuel apparaît doublement favorable.

D'une part, l'écart de production est pratiquement résorbé à l'issue de l'exercice 2019 et devrait même être positif à compter de 2020, ce qui signifie que les conditions économiques sont désormais propices à la mise en place de plans de consolidation budgétaire. D'autre part, la France bénéficie depuis 2017 d'un effet « boule de neige » positif, qui facilite la réduction du ratio d'endettement. Ainsi, même un léger déficit primaire serait suffisant pour engager la diminution du ratio d'endettement. Mais il faudrait que la situation se prolonge jusqu'à la fin du quinquennat, ce qui est inédit depuis le milieu des années quatre-vingt.

Plutôt que de profiter de ce contexte historiquement favorable pour commencer à réduire notre endettement, le Gouvernement préfère une nouvelle fois reporter l'effort en « surfant » sur la conjoncture. La réduction du déficit structurel prévue par le Gouvernement, qui s'écartait déjà significativement des règles européennes, est ainsi revue à la baisse sur la période 2019-2021. Les efforts prévus apparaissent bien insuffisants sur l'ensemble du quinquennat. Si le Gouvernement pourra sans doute de nouveau compter sur la « souplesse » des institutions européennes, ce choix aura pour conséquence directe de nourrir la divergence de notre trajectoire d'endettement par rapport au reste de la zone euro. Seule l'Italie devrait faire pire en matière d'évolution de son endettement. Le différentiel d'endettement avec l'Allemagne atteindrait ainsi 48 points à l'horizon 2022 - 34 milliards d'euros qui partiront en fumée, sachant que cette charge représente le deuxième poste du budget de l'État. Et nos services publics requièrent de nouvelles infrastructures.

Or ce choix risque de rendre l'économie française plus vulnérable aux chocs, pour deux raisons. Tout d'abord, il risque de limiter la capacité de l'économie à faire face à un ralentissement économique, en empêchant la politique budgétaire de jouer son rôle d'amortisseur. Selon de récents travaux empiriques, dans l'hypothèse d'une crise financière de même ampleur, voire d'un krach boursier, les pays disposant d'importantes marges de manoeuvre budgétaires connaîtront une perte de PIB de moins d'un point en moyenne, tandis que les pays dont l'endettement est déjà élevé devront faire face à une perte d'environ 7 points de PIB - en 2008, il a fallu faire appel à la dépense publique, nationaliser des banques.

En outre, un niveau élevé d'endettement rend l'économie plus vulnérable à des enchaînements autoréalisateurs défavorables sur les marchés. Ainsi, un surcroît d'endettement de faible ampleur peut se traduire par une élévation brutale des taux d'intérêt. L'exemple italien, avec des taux souverains de 7 % à 8 % est d'ailleurs récemment venu rappeler l'importance de ce risque sur les marchés en cas de crise, notamment pour les pays dont les taux d'endettement avoisinent le PIB. Les taux pratiqués en Allemagne permettront toujours d'emprunter. Le choix du Gouvernement de reporter encore une fois l'inflexion du ratio d'endettement n'est donc pas exempt de risques sur le plan économique.

Pour l'heure, la trajectoire de redressement proposée par le Gouvernement reste sujette à caution.

Un premier facteur de fragilité tient au fait que la trajectoire budgétaire gouvernementale concentre les efforts sur les années 2021 et 2022, soit la fin du quinquennat, alors qu'il est très rare de réaliser des économies à l'approche de la campagne présidentielle. D'un montant de 13 milliards d'euros en 2020, les réductions nécessaires s'élèveraient ainsi à 20 milliards d'euros en 2022.

Un deuxième facteur de fragilité tient au manque de documentation de la trajectoire budgétaire, qui ne permet pas réellement au Parlement de porter un jugement sur la crédibilité des engagements pris. Même pour l'exercice en cours, les incertitudes sont importantes. Ainsi, les économies de 1,5 milliard d'euros annoncées sur l'État pour financer une partie du coût des réponses apportées à la crise des « gilets jaunes » ne sont pas précisées, alors même qu'il faudra également compenser le nouveau décalage de la mise en oeuvre de la « contemporanéisation » des aides au logement...

M. Philippe Dallier . - C'est trop compliqué !

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - ...et le retard dans la mise en oeuvre des nouvelles règles d'indemnisation du chômage.

Une troisième faiblesse tient au fait que ce programme de stabilité a été établi « indépendamment des conclusions qui pourront être tirées du grand débat national ». Ite missa est : ce projet est déjà obsolète !

M. Philippe Dallier . - On aurait pu commencer par là !

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - En effet, au moins quatre des mesures annoncées jeudi dernier pourraient se traduire par un impact significatif sur la trajectoire budgétaire, d'après les premiers éléments de chiffrage dont nous disposons.

Je pense bien sûr à la baisse annoncée de l'impôt sur le revenu, pour un montant d'environ 5 milliards d'euros, même si des économies en dépense et un rabot de certaines « niches fiscales » - lesquelles ? - viendraient en partie compenser ce coût. Je pense également à la réindexation partielle des pensions en 2020 et qui représenterait un « manque à gagner » de 1,4 milliard d'euros environ. Le renoncement total ou partiel à la suppression de 120 000 postes dans la fonction publique à l'échelle du quinquennat pourrait également peser sur les finances publiques - l'économie attendue était initialement estimée à 3 milliards d'euros environ. Enfin, porter à 1 000 euros la pension minimale pour les carrières complètes dans le privé représenterait un surcoût de 150 millions d'euros par génération à compter de 2020.

En première analyse, les enjeux budgétaires pourraient donc aller jusqu'à 10 milliards d'euros, soit environ 0,4 point de PIB, en l'absence de mesure de compensation.

Il ne serait pas acceptable de financer une nouvelle fois ces annonces par le recours à l'endettement, déjà particulièrement élevé. Il faudra malheureusement attendre l'actualisation de la trajectoire budgétaire à l'été dans le cadre du débat d'orientation des finances publiques pour que le Gouvernement précise les économies supplémentaires qu'il entend mettre en oeuvre pour compenser le coût de ces nouvelles annonces.

En tout état de cause, le présent projet de programme de stabilité apparaît plus que jamais déconnecté des arbitrages budgétaires, ce qui est de nature à créer un doute sur la crédibilité de ce document, pourtant supposé constituer le support des engagements européens de notre pays en matière budgétaire. Et à moins que le ministre nous annonce tout à l'heure qu'il compte le réviser, je ne manquerai pas de l'interroger sur ce point.

Enfin, la trajectoire gouvernementale pourrait également pâtir d'une nouvelle dégradation du contexte macroéconomique, compte tenu des aléas importants susceptibles de peser sur le scénario de croissance gouvernemental à la hausse - principalement les aléas internes - mais aussi à la baisse - principalement les aléas externes.

Si la trajectoire gouvernementale se fonde légitimement sur le scénario macroéconomique le plus probable, il est utile d'examiner la sensibilité de la trajectoire budgétaire aux hypothèses macroéconomiques retenues. Afin de circonscrire le champ des possibles, j'ai élaboré deux scénarios macroéconomiques alternatifs à partir des prévisions les plus optimistes et les plus pessimistes des instituts de conjoncture et des organisations internationales.

La réalisation du scénario défavorable conduirait à dégrader le niveau du déficit public de 0,9 point de PIB en 2022, tandis que la réalisation du scénario favorable l'améliorerait de 0,5 point de PIB, ce qui suggère que les aléas baissiers l'emportent sur les aléas haussiers.

De façon plus rassurante, la réalisation du scénario défavorable ne conduirait pas à dépasser le seuil maastrichtien de 3 % du PIB en 2020 - ce qui risquerait de conduire à l'ouverture d'une nouvelle procédure de déficit excessif à l'encontre de la France, compte tenu du dépassement déjà prévu dans le scénario gouvernemental en 2019, en lien avec le surcoût temporaire lié à la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

En revanche, le retour à l'équilibre budgétaire à l'issue du quinquennat, qui figurait parmi les objectifs initiaux du Gouvernement, annoncé à de nombreuses reprises urbi et orbi , resterait hors d'atteinte, même dans le scénario favorable. La réalisation du scénario défavorable risquerait de porter le ratio d'endettement public au-delà du seuil symbolique de 100 % du PIB dès 2020.

Il est donc urgent d'agir, et j'espère que les finances publiques ne seront pas une nouvelle fois sacrifiées sur l'autel des annonces.

M. Vincent Éblé , président . - Merci de ce propos étayé et stimulant pour notre réflexion collective, je donne maintenant la parole aux commissaires.

M. Roger Karoutchi . - Certes, tout cela devient virtuel, mais faire des annonces en dehors de tout texte est habituel. En décembre dernier, nous avons voté 10 milliards d'euros en 24 heures... C'est dire si le contrôle du Parlement est essentiel !

Presque tous les pays de l'OCDE revoient leurs prévisions de croissance dramatiquement à la baisse pour 2019 et 2020 - parfois de l'ordre de la moitié voire les trois quarts de l'évolution... La contraction du commerce international et l'augmentation continue des prix de l'énergie, et notamment du pétrole, y contribuent. Or le Gouvernement français semble avoir stabilisé sa prévision de croissance à 1,4 %, sans la modifier en raison de ces facteurs qui auront de probables conséquences sur l'économie française. Nous risquons de ne pas tenir nos prévisions...

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Un scénario est toujours sujet à caution. Sans remettre en cause les hypothèses du HCFP, il existe des facteurs contradictoires en Europe. Parmi les facteurs négatifs, il y a la dégradation de la croissance de plusieurs pays européens, et la réduction du commerce international - même si nous n'y sommes pas trop exposés, puisque nous n'exportons pas beaucoup. En facteur positif, le Parlement a voté des mesures en urgence, équivalant à 0,3 point de PIB. Le Sénat avait voté de telles mesures initialement, en alertant sur les impacts de la hausse de la TICPE et de la non-indexation des retraites sur les entreprises et les ménages ; nous nous y sommes opposés non pas pour nous faire plaisir, mais parce que c'est la réalité économique ! Et ne négligeons pas l'impact de la contraction de la croissance en Europe ; il y a de nombreux facteurs d'incertitude...

M. Philippe Dallier . - Je félicite le rapporteur général pour sa présentation, mais la situation est ubuesque. Que fait-on là ? Je croyais que ce débat était une obligation du Gouvernement, avec comme seule différence un vote à l'Assemblée nationale, mais pas obligatoirement au Sénat... Or c'est la commission des finances qui a, in fine, décidé d'inscrire ce débat à l'ordre du jour du Sénat ; le Gouvernement voulait-il s'en passer ?

Or certaines données ne sont déjà plus d'actualité. Je doute que les 9 milliards ou 10 milliards d'euros d'annonces de jeudi dernier et les 9 milliards d'euros de suppression de taxe d'habitation soient mentionnés dans ces prévisions, alors que le Gouvernement sera obligé de supprimer la taxe d'habitation pour tous - comme l'a demandé le Conseil constitutionnel. Si ces sommes ne sont pas prévues, quel est le sens de ce débat ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Le Gouvernement est seulement obligé de transmettre au Parlement le programme de stabilité et le programme national de réforme. Ce débat en séance publique a été réclamé avec insistance par notre commission, mais le Gouvernement n'était pas obligé de le proposer. L'Assemblée nationale en débattra demain.

M. Philippe Dallier . - Et les députés voteront ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Oui.

La suppression complète de la taxe d'habitation est bien intégrée dans la trajectoire de la dépense publique. Le seul ratio pour lequel nous sommes en désaccord concerne l'évolution des taux d'intérêt. L'hypothèse retenue par le Gouvernement lui permet d'avoir davantage de marges de manoeuvre.

Dans quinze jours, nous examinerons le projet de loi de taxation des services numériques, dite taxe GAFA, qui revient aussi sur la baisse d'impôt sur les sociétés (IS) pour les grandes entreprises. Le Gouvernement prévoit éventuellement « un lissage de la trajectoire pour les entreprises ayant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros », qui « ne modifierait pas l'ancre de 25 % pour toutes les entreprises en 2022 » et serait prévu pour le projet de loi de finances pour 2020. Le Gouvernement se réserve donc le droit de reporter à plus tard la baisse de l'impôt sur les sociétés... en 2022, l'année des miracles !

M. Vincent Éblé , président . - Lorsque le rapporteur général et moi-même avons réclamé ce débat sur le programme de stabilité, nous n'en connaissions pas le contenu. Nous pensions qu'à la mi-avril nous aurions des éléments précis sur les décisions consécutives au grand débat national...

M. Marc Laménie . - Merci de votre expertise de qualité et réaliste. Votre rapport porte bien sur le programme de stabilité des finances publiques, et notamment de la dette publique, document qui nous a été remis ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Tout à fait.

M. Marc Laménie . - D'où vient l'augmentation du coût des décisions prises en réponse aux gilets jaunes, qui passent de 7,4 milliards d'euros en 2019 à 12,9 milliards en 2022 ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Nous portons précisément nos appréciations sur deux documents - le programme de stabilité et le programme national de réforme, qui montrent les engagements en cours de mise en oeuvre ou devant l'être - que la France enverra à nos partenaires européens. Le programme national de réforme précise les moyens de mise en oeuvre de la soutenabilité de la dépense publique.

Le différentiel entre 2019 et 2022 pour les mesures accordées aux gilets jaunes est dû à l'annulation de l'augmentation de la taxe carbone, qui devait intervenir chaque année. Nous avons gelé le tarif au niveau de 2018, il y aura donc moins de recettes qu'escompté - recettes qui devaient croître jusqu'en 2022. Le Gouvernement avait trouvé un impôt invisible, voté une seule fois, mais qui n'est pas indolore...

M. Vincent Capo-Canellas . - Merci pour ce rapport extrêmement tonique. Les mesures de décembre et celles qui viennent d'être annoncées par le Président de la République sont-elles conjoncturelles, nées de nécessités sociales, ou vont-elles avoir une mise en oeuvre plus structurelle ? Bascule-t-on d'une politique de l'offre vers une politique de la demande ou les vannes sont-elles juste un peu ouvertes ? Ce revirement est-il complet ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Nous revenons à une juste proportion d'annulations d'erreurs relatives à des décisions qui n'avaient, pour certaines, pas encore été mises en oeuvre, comme l'augmentation de la taxe carbone. Le Gouvernement avait expliqué au Sénat qu'il ne pouvait revenir au tarif de 2018, il a fini par le faire...

La baisse annoncée d'impôt sur le revenu est plus fondamentale. Nous verrons à qui celle-ci bénéficiera : certaines tranches, les classes moyennes ?

Il n'y a pas de changement fondamental par rapport à la politique entreprise ; ce sont juste des corrections d'erreurs qui ne sont absolument pas mesurées. Le taux de prélèvements obligatoires restera à un niveau extrêmement élevé, loin devant l'Allemagne, le Canada, le Royaume-Uni, et même l'Espagne et le Portugal, qui ont fait des réformes structurelles. Nous avons seulement fait des réformes cosmétiques.

M. Jean-Marc Gabouty . - Nous faisons un débat théorique. Il aurait été difficile d'avoir déjà des déclinaisons opérationnelles des orientations du Président de la République, alors que de nombreux arbitrages n'ont pas encore été rendus... Il sera difficile de réaliser un bilan complet de ces mesures avant la rentrée prochaine. Restons prudents, sans pécher par excès d'optimisme ou de pessimisme. Les réductions de niches fiscales pour les entreprises ne sont pas précisées.

Le Président de la République ne renonce pas à supprimer 120 000 fonctionnaires, mais ce n'est plus un objectif absolu : il faut faire d'abord d'autres réformes dans l'éducation nationale ou les services publics de proximité. Même sans la crise de cette année, la suppression de ces 120 000 fonctionnaires aurait été difficile à tenir, à la moitié du quinquennat...

Supprimons plutôt les organismes qui se superposent les uns aux autres. Nous en sommes tous d'accord, mais attendons de voir comment chacun sera défendu... En dix-huit ans, nous sommes passés de deux à dix-huit agences ! Je ne suis pas sûr qu'elles soient structurellement plus efficaces et moins coûteuses que l'État. Nous ne pouvons pas juger en connaissance de cause. Certes, le Gouvernement reprendra d'une main ce qu'il donne de l'autre, mais pas forcément aux mêmes personnes...

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Dont acte. Je ne reproche pas au Gouvernement de ne pas chiffrer des mesures récentes, mais enverra-t-il une lettre corrective à ses partenaires européens ?

M. Jean-Marc Gabouty . - Il devrait y en avoir une. C'est en tout cas nécessaire, une fois les mesures connues.

M. Michel Canévet . - L'Insee envisage pour fin juin un surplus de croissance, qui serait alors supérieure à 1,4 %. Attend-on des recettes supplémentaires, notamment de TVA, à la suite de ces dernières mesures qui seront favorables au pouvoir d'achat ? Avez-vous pris en compte la baisse de 10 milliards d'euros de charge des intérêts de la dette d'ici à 2021, telle qu'annoncée dans Les Échos ? Ce serait une source d'économies importantes.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - La baisse de la charge de la dette est bien prise en compte. On estime à 0,3 point de PIB l'impact des mesures en faveur des « gilets jaunes », mais avec un taux d'élasticité des recettes évalué à 1,4. Il y aura un petit impact sur les recettes de TVA, mais mieux vaut prendre en compte un taux d'élasticité des recettes proche de l'unité ; le taux de 1,4, récemment connu, est exceptionnel. Normalement la progression des recettes suit celle de la croissance économique. Celle-ci s'est élevée à 0,4 % au premier trimestre.

M. Bernard Lalande . - Je ne suis pas surpris par le ton du rapporteur général dans une période où il faut montrer sa connaissance du terrain. Mais en 1995, la dette publique était de 56,1 % du PIB ; 68,8 % en 2008, et 90,6 % en 2012. Certains gouvernements ont donc leur part de responsabilité : 34 points pour la droite, alors que la dette était gérée par des administrateurs de sociétés... Sous le quinquennat de François Hollande, la dette atteignait 98 % du PIB, certes, mais comparons ce qui est comparable...

La crise actuelle est une crise sociale, et pas seulement une crise des gilets jaunes - ce dernier terme est un raccourci facile et médiatique. Le Gouvernement doit évidemment répondre à cette crise pour ne pas tomber dans une crise plus importante. Nous parlons, au total, de 20 milliards d'euros... Or on avait bien réussi à trouver 20 milliards d'euros pour conforter la reprise des marges des entreprises par le biais du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE)... Les Gouvernements successifs ont voulu réadapter l'économie à une réalité française.

Le programme de stabilité ne tient pas compte des éléments du grand débat national. Les chiffres prévus sont meilleurs que ce que nous avons pu - et vous avez pu - faire, ce qui serait rassurant pour l'économie.

Pour infléchir la dette, nous avons besoin de réponses et de solutions, et pas seulement de critiques. On pourrait augmenter l'âge de départ en retraite à 64 ans et supprimer de nombreux fonctionnaires d'État - mais le Gouvernement précédent avait augmenté ce nombre pour des raisons de sécurité.... Quelles autres mesures proposez-vous pour infléchir la dynamique de la dette ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - En 2008, il y avait la crise...

M. Philippe Dallier . - Oh, si petite...

M. Bernard Lalande . - La droite était aux affaires jusqu'en 2012...

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - À part l'Italie, les autres pays ont fait des efforts massifs de désendettement. En cas de crise ou de krach financier, les pays qui ont presque 100 % de dette publique sont plus exposés, car les marchés risquent de ne plus leur prêter. La France fait partie d'un marché européen, avec des règles de convergence et une monnaie commune... Tous les gouvernements successifs portent la responsabilité de la dette française. Nous avons pu profiter d'un début de quinquennat avec un fort taux d'élasticité des recettes de 1,4. Affirmer que les réformes seront faites en 2022 n'est pas réaliste. La réduction des dépenses publiques permettrait d'enclencher le désendettement. Le retard de deux ans du départ en retraite ferait gagner 1 point de PIB, soit 20 milliards d'euros. La fonction publique d'État représente 40 % du budget de l'État, si on prend le compte d'affectation spéciale (CAS) Pensions, soit 140 milliards d'euros.

Sommes-nous mieux administrés aujourd'hui qu'il y a vingt ans ? Nos concitoyens en doutent. Il y a de moins en moins de fonctionnaires sur le terrain, alors qu'il faudrait réduire le nombre de ceux qui produisent des normes, comme les fonctionnaires des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (Drire), des agences régionales de santé (ARS), des agences de l'eau, devenus des monstres ingouvernables. L'État n'a pas besoin de s'occuper des aides aux entreprises, puisque ces compétences reviennent largement aux régions. Localement, tout est automatisé, mais il y a beaucoup de monde pour produire des normes. Nous avons conservé le ministère de la santé malgré les ARS. Les agences de l'eau ont-elles apporté quelque chose ? Je n'en suis pas sûr... L'âge de départ à la retraite est un grand poste des dépenses sociales qui nous différencie des autres pays.

La commission a autorisé la publication de la communication de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sous la forme d'un rapport d'information.


* 1 Selon l'indicateur synthétique mensuel d'activité (ISMA) de la Banque de France (troisième estimation, mise en ligne le 8 avril 2019).

* 2 Insee, note de conjoncture, mars 2019.

* 3 HCFP, Avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2019 à 2022, 9 avril 2019, p. 7.

* 4 À titre d'illustration, une étude rétrospective menée par votre rapporteur général sur la période 1997-2017 montre que le Fonds monétaire international (FMI), les instituts de conjoncture et le Gouvernement se trompent en moyenne de 0,9 point sur le niveau de la croissance française de l'année à venir au moment de l'élaboration de la loi de finances. Voir sur ce point : rapport général (Tome I) n° 147 (2018-2019) d'Albéric de Montgolfier sur le projet de loi de finances pour 2019, p. 18.

* 5 Ce résultat correspond à la valeur de semi-élasticité budgétaire retenue par la Commission européenne (0,603) à partir de l'estimation économétrique de l'élasticité individuelle des recettes et dépenses sensibles à la conjoncture et de leur poids moyen dans le PIB. Intuitivement, il s'explique par le fait que les postes sensibles à la conjoncture représentent un peu plus de la moitié du PIB.

* 6 Voir sur ce point : rapport n° 628 (2017-2018) d'Albéric de Montgolfier relatif au projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2017, fait au nom de la commission des finances et déposé le 4 juillet 2018, p. 12 et s.

* 7 HCFP, Avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2019 à 2022, 9 avril 2019, p. 11.

* 8 HCFP, Avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2018 à 2022, 15 avril 2018, p. 13.

* 9 Une approximation de ce résultat peut facilement être retrouvée. L'augmentation spontanée des prélèvements obligatoires est obtenue en multipliant le montant des prélèvements obligatoires de l'année n, hors mesures exceptionnelles et temporaires, par le taux de croissance en valeur et l'élasticité de l'année n+1.

* 10 Projet de programme de stabilité 2019-2022, p. 28.

* 11 Voir par exemple : rapport d'information n° 438 (2017-2018) d'Albéric de Montgolfier relatif au projet de programme de stabilité 2018-2022, fait au nom de la commission des finances et déposé le 18 avril 2018, p. 15.

* 12 Il peut être souligné que la prévision de charge d'intérêts est également sensible à l'inflation, car la part d'obligations indexées sur l'inflation atteint 13 % de l'encours de titres de la dette négociable d'État à plus d'un an. Le rebond de l'inflation, dans un contexte de forte hausse du pétrole, explique ainsi la très légère augmentation de la charge de la dette en 2018 (+ 0,4 %, soit 200 millions d'euros, d'après l'Insee), en dépit d'une remontée des taux plus lente qu'escompté.

* 13 Pour une description détaillée de la méthodologie retenue par la Banque de France dans le cas des taux longs, voir : Banque centrale européenne, bulletin mensuel, décembre 2008, p. 40 et s.

* 14 Pour calculer le coût net, il faudrait tenir compte de l'« effet retour » des mesures sur le scénario de croissance initial. En effet, les mesures exercent à court terme un effet favorable sur l'activité économique (qui est pris en compte dans le nouveau scénario macroéconomique du Gouvernement), ce qui se traduit par des recettes supplémentaires pour les administrations publiques venant en diminuer le coût brut. À partir d'un multiplicateur budgétaire de court terme égal à 1,0 (hypothèse centrale au regard des principales estimations disponibles, de la position de l'économie française dans le cycle et de la composition des mesures) et de la semi-élasticité budgétaire à l'écart de production qu'utilise la Commission européenne (0,0603), le taux d'« effet retour » en proportion du coût brut, qui correspond au produit de ces deux valeurs, peut être estimé à 60 %. Autrement dit, le coût net des mesures correspond à 40 % de leur coût brut, une fois pris en compte leur effet favorable sur la croissance à court terme, qui améliore le solde public. Pour une description détaillée des enjeux liés à la prise en compte de l'« effet retour » des ajustements budgétaires, voir : Bureau fédéral du Plan, « Une approche macrobudgétaire stylisée pour simuler des trajectoires de finances publiques », mai 2017. Pour une synthèse récente sur le niveau des multiplicateurs, voir : « Quelle stratégie pour les dépenses publiques ? », Les notes du Conseil d'analyse économique, n° 43, juillet 2017.

* 15 Interrogé sur ce point par votre rapporteur général, le Gouvernement s'est contenté d'indiquer que « si la trajectoire intègre les évolutions des différentes dépenses, en particulier de l'État, le programme de stabilité est établi sur la base de l'évolution des différents agrégats de la dépense publique et ne retrace pas explicitement l'évolution de chacun des dispositifs ou prestations ».

* 16 Projet de programme de stabilité 2019, p. 12.

* 17 Si l'on excepte les économies de 1,5 milliard d'euros sur les dépenses de l'État annoncées pour 2019, déjà prises en compte ci-avant.

* 18 « Cinq années sans modération fiscale », rapport d'information n° 113 (2016-2017) d'Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances et déposé le 9 novembre 2016.

* 19 Pour une synthèse de ces travaux, voir par exemple : Trésor-éco, « Vers un meilleur pilotage de l'orientation budgétaire de la zone euro ? », n° 163, mars 2016.

* 20 Cristina Checherita-Westphal, « Le différentiel entre les taux d'intérêt et de croissance et la dynamique de la dette publique », Bulletin économique de la Banque centrale européenne, n° 2/2019, p. 65.

* 21 Au 10 avril 2019.

* 22 « Bilan du programme d'achats d'actifs de l'Eurosystème après l'arrêt des achats nets d'actifs », Bulletin économique de la Banque centrale européenne, n° 2/2019, p. 95.

* 23 Voir sur ce point : rapport général (tome I) n° 147 (2018-2019) d'Albéric de Montgolfier relatif au projet de loi de finances pour 2019, fait au nom de la commission des finances et déposé le 22 novembre 2018, p. 28.

* 24 En vertu de cette règle, la croissance des dépenses publiques « pilotables », nette des mesures nouvelles en recettes, ne peut excéder un taux de référence fixé à un niveau cohérent avec la trajectoire d'ajustement structurel. Une hausse des dépenses publiques « pilotables » supérieure au taux de référence n'est donc admise que si elle est financée par une hausse des recettes. Pour une description détaillée de ces deux règles, voir : rapport n° 645 (2016-2017) relatif au projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2016 d'Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances et déposé le 19 juillet 2017, p. 13 et s.

* 25 Voir sur ce point : A. Pescatori, D. Sandri et John Simon, « Debt and Growth: Is There a Magic Threshold ? », IMF Working Paper WP/14/34, 2014.

* 26 Pour une synthèse récente, voir par exemple : « Dette publique et viabilité à long terme des finances publiques », Bulletin économique de la Banque centrale européenne, n° 3/2016, p. 55 et s.

* 27 Christina D. Romer et David H. Romer, « Fiscal Space and the Aftermath of Financial Crises », Brookings, 2019, p. 15.

* 28 Christina D. Romer et David H. Romer, « Why some times are different : Macroeconomic policy and the aftermath of financial crisis », NBER Working Paper No. 23931, octobre 2017.

* 29 Alors qu'un surcroît d'endettement de 10 points de PIB se traduit en moyenne par une hausse des primes de risque de 25 points de base, celle-ci peut atteindre 200 points de base lorsque l'endettement initial est important. Cf. Werner Roeger, Jan in't Veld, « Expected defaults and fiscal consolidations », Commission européenne, Economic Papers 479, 2013, p. 3 et s.

* 30 Globalement, les dépenses publiques les plus propices à la croissance ont diminué, en particulier dans les pays les plus vulnérables, tandis que les dépenses au titre des retraites ont augmenté régulièrement sur toute la période d'ajustement. Voir sur ce point : « La composition des finances publiques dans la zone euro », Bulletin économique de la Banque centrale européenne, n° 5/2017, p. 49 et s.

* 31 À titre d'illustration, le projet de loi de finances pour 2017 prévoyait de contenir l'évolution de la dépense publique en volume à 0,8 %, pour un résultat en exécution de 1,4 %, soit un dépassement de 0,6 point.

* 32 Interrogé sur ce point, le Gouvernement indique ainsi qu'un « lissage de la trajectoire pour les entreprises ayant un chiffre d'affaires de plus de 250 millions d'euros, qui ne modifierait pas l'ancre de 25 % pour toutes les entreprises en 2022, sera possible en PLF 2020, en fonction de l'actualisation de la situation des finances publiques qui sera faite à l'été et des débats au Parlement » .

* 33 Programme de stabilité 2019, p. 31.

* 34 Ibid ., p. 4.

* 35 Le Monde, « L'exécutif s'apprête à faire un geste pour les retraités les plus modestes », 16 avril 2019.

* 36 Les Échos, « Retraités pauvres : 50 euros de plus par mois en 2020 », 26 avril 2019.

* 37 Les scénarios de croissance alternatifs ont été élaborés à partir de l'édition d'avril 2019 du Consensus Forecasts , qui rassemble les projections macroéconomiques de 24 instituts de conjoncture pour la France.

* 38 Un tel scénario repose implicitement sur l'hypothèse que le niveau actuel de l'écart de production est supérieur à l'estimation gouvernementale, comme pourraient le suggérer les résultats de certaines enquêtes de conjoncture.

* 39 Un tel scénario repose implicitement sur l'hypothèse que l'écart de production serait plus creusé qu'anticipé par le Gouvernement, comme pourrait le suggérer l'atonie des prix et des salaires.

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