B. UN « CHOC » DE LA DÉMOGRAPHIE MÉDICALE : DES TENSIONS ACCRUES SUR L'OFFRE DE SOINS AU COURS DES DIX PROCHAINES ANNÉES

1. Un creux démographique qui affecte principalement l'exercice libéral, et en particulier la médecine générale

Les inégalités de répartition de l'offre médicale s'inscrivent dans une tendance que des interlocuteurs ont qualifié de « choc » de la démographie médicale, dont les effets devraient être marqués à l'horizon de cinq à dix ans. Ce creux démographique contribuera à aviver les difficultés liées aux inégalités territoriales de répartition , d'autant qu'il devrait affecter principalement la médecine de ville.


• Le vieillissement de la population médicale , qui devrait entraîner une concentration des départs en retraite, en est l'un des premiers facteurs : au 1 er janvier 2016, 27,1 % des médecins inscrits en activité régulière au tableau de l'ordre des médecins sont âgés de 60 ans et plus , tandis que les moins de 40 ans ne représentent que 18,6 % des effectifs.

Cette situation est notamment la conséquence des fortes variations du numerus clausus , passé de 8 700 en 1977 à 3 500 en 1993 : la baisse de 20% entre 2000 et 2016 des effectifs de médecins de moins de 60 ans en exercice diplômés en France en est la conséquence directe 13 ( * ) .

Le déséquilibre de la pyramide des âges affecte principalement les professionnels libéraux : si leur part dans l'ensemble des médecins a légèrement diminué entre 2001 et 2015 (passant de 70 à 68 % chez les généralistes et de 51 à 48 % chez les spécialistes), on observe « une contraction significative de la part des médecins de moins de 50 ans exerçant en libéral , qui passe de 69 à 63 % pour les généralistes et de 49 à 36 % chez les spécialistes » 14 ( * ) .

Ainsi, d'après les données de l'ordre, 80,3 % des médecins ayant fait valoir leurs droits à retraite en 2015 exerçaient dans le secteur libéral.

Pyramide des âges des médecins en activité régulière - France entière

Source : Atlas de la démographie médicale, 1 er janvier 2016, Cnom

La Drees, dans une étude précitée sur « les médecins d'ici à 2040 », projette ainsi, selon différentes hypothèses, une baisse des effectifs de médecins libéraux « marquée et durable » jusqu'en 2027 : « à cette date, les libéraux exclusifs (hors remplaçants) seraient 24 % de moins qu'en 2012 et les libéraux ou mixtes (hors remplaçants) 8 % de moins. En parallèle, les effectifs de médecins salariés devraient poursuivre leur croissance dans les prochaines années sans connaître de période de baisse » 15 ( * ) .

Cette tendance serait durable quoique transitoire : « la densité médicale , c'est-à-dire le nombre de médecins pour 1 000 habitants, chuterait davantage que les effectifs en raison de l'augmentation de la population française de 10 % au cours de la période ; elle baisserait de 3,27 à 3,18 médecins pour 1 000 habitants entre 2015 et 2021, atteignant à cette date un point bas égal à la densité de 2006, avant de remonter pour retrouver en 2028 le niveau de 2015 . En 2040, la densité de médecins serait supérieure de 18 % à la densité de 2015. »


• La médecine générale , porte d'accès aux soins primaires de proximité, devrait être la plus impactée par cette crise démographique .

La diminution du nombre de médecins généralistes est déjà une réalité : elle a concerné, d'après les données de l'ordre des médecins, 8,4 % des effectifs entre 2007 et 2016, tandis que les effectifs des autres spécialités médicales augmentaient dans le même temps de 7 %.

En outre, leur moyenne d'âge est plus élevée que celle des médecins spécialistes (52 ans contre 51 ans au 1 er janvier 2016) ; si la part des 60 ans et plus est sensiblement identique, celle des moins de 40 ans est en revanche bien inférieure chez les généralistes (16 %) que chez les spécialistes (20 %).

Pyramide des âges des médecins généralistes en activité régulière

Source : Atlas de la démographie médicale, 1 er janvier 2016, Cnom

D'après ses analyses, l'ordre des médecins estime que la tendance à la baisse a « une forte probabilité de se confirmer jusqu'en 2025 » , pour atteindre à cette date 81 455 médecins généralistes en activité régulière, tous modes d'exercice confondus, contre 88 886 au 1 er janvier 2016 (soit une nouvelle diminution de plus de 8 %). Pour les seuls praticiens libéraux ou en exercice mixte - hors les médecins généralistes salariés dont le nombre devrait poursuivre sa hausse modérée - la diminution des effectifs a été de 13 % entre 2007 et 2016 et serait encore de 15 % entre 2016 et 2025.


• Il faut noter que le développement du cumul emploi-retraite , soutenu par la réforme des retraites de 2003 16 ( * ) , peut contribuer à amortir la baisse du nombre de praticiens libéraux, y compris des médecins généralistes : au 1 er janvier 2016, 26 % des médecins retraités continuent à exercer la médecine, en majorité en activité libérale ou mixte (57 %).

L'installation de médecins diplômés à l'étranger - qui pourraient représenter 6 % de l'ensemble des médecins en 2024 d'après la Drees -impacterait moins fortement cette diminution des effectifs de médecins généralistes libéraux, puisque ceux-ci sont à 80 % des spécialistes, et exercent essentiellement sous le statut de salarié.


• Globalement, les effectifs des autres spécialités médicales devraient poursuivre leur croissance (de l'ordre de 7 %), toutefois, celle-ci serait portée essentiellement par le salariat 17 ( * ) .

Plusieurs spécialités en accès direct, comme l' ophtalmologie , pour lesquelles le nombre de postes ouverts n'a été rehaussé que tardivement, devraient connaître des tensions accrues sur leurs effectifs : déjà en baisse de plus de 5 % depuis 2007, le nombre de praticiens - notamment libéraux - devrait encore diminuer jusqu'en 2025 (de plus de 6 % d'après les prévisions de l'ordre des médecins), compte tenu d'une moyenne d'âge élevée (54 ans).

Évolution prévisionnelle des effectifs de médecins spécialistes en accès direct par mode d'exercice

Champ : France métropolitaine et DROM, y compris Mayotte

Source : Adeli, RPPS, Projections Drees 2015

2. Un déséquilibre croissant entre l'offre et la demande de soins

Les données chiffrées relatives à la démographie médicale ne donnent qu'une indication partielle voire tronquée sur les déséquilibres réels entre l'offre et la demande de soins, en particulier dans les zones sous-dotées. D'autres éléments sont en effet à prendre en compte.


• D'une part, comme l'ont souligné plusieurs professionnels de santé rencontrés par vos rapporteurs, l'évolution des manières de travailler joue sur le temps médical disponible : la présidente du syndicat national des jeunes médecins généralistes a considéré qu'il fallait compter sur 1,5 voire 2 nouveaux médecins pour remplacer un départ en retraite ; les jeunes médecins consacrent à la fois un temps plus long aux consultations et privilégient, davantage que leurs aînés, l'équilibre vie privée-vie professionnelle.

Si le temps de travail des médecins se situe encore à un niveau globalement très élevé (57 heures en moyenne par semaine), les études confirment une évolution des pratiques, tenant aux souhaits des nouvelles générations de médecins mais également au développement des cumuls emploi-retraite : la Drees note ainsi que « l'offre de travail est actuellement plus faible pour les nouvelles générations, pour les médecins en fin de carrière et plus élevée pour les hommes. La féminisation 18 ( * ) et le renouvellement des générations devraient donc conduire à une baisse de l'offre de soins (c'est-à-dire du nombre de médecins converti en ETP) d'une ampleur plus importante que celle des effectifs : de 23 % (entre 2016 et 2027) pour la première contre 14 % pour les seconds. » 19 ( * )


• D'autre part, confrontée aux évolutions prévisibles de la demande de soins, la tension sur l'offre devrait s'accroître .

En intégrant des besoins de soins plus élevés liés au vieillissement de la population, la Drees estime que la « densité médicale standardisée », calculée sur la base du recours par âge aux médecins de ville, « diminuerait de 3,21 à 3,06 médecins pour 1 000 habitants entre 2015 et 2023 et stagnerait autour de ce point bas - qui constitue un minimum depuis 1991 - jusqu'en 2025, amorçant ensuite une remontée pour retrouver en 2032 le niveau de 2015 » .

L'offre libérale rapportée à la demande serait la plus durement impactée, puisqu'elle baisserait, d'après les mêmes hypothèses, de 30 % entre 2016 et 2027 . En outre, « en 2040, rapportée à la demande, l'offre de soins en médecine libérale serait toujours inférieure de 18 % à celle observée en 2015 » .

Source : Drees, Études et résultats, n° 1011, mai 2017, Les médecins d'ici à 2040

L'offre de soins correspond à des effectifs en équivalents temps plein (ETP). La densité standardisée est exprimée en nombre d'ETP pour 1 000 habitants, base 100 en 2015.


• Les associations de maires ainsi que les représentants des usagers entendus par vos rapporteurs ont attiré leur attention sur les conséquences de ces évolutions en termes d'accès géographique aux soins .

Dans une étude sur la « fracture sanitaire » publiée en juin 2016, l'UFC-Que choisir relève ainsi qu' « en quatre ans, 27 % des Français ont vu leur accès géographique aux généralistes reculer, et jusqu'à 59 % pour les gynécologues » ; près de 15 millions de Français, soit 23 % de la population métropolitaine, ont des difficultés à consulter un médecin généraliste à moins de trente minutes de route de leur domicile ; pour les spécialistes étudiés (ophtalmologistes, gynécologues et pédiatres), l'accès dans un trajet maximal de 45 minutes est difficile pour 28 à 33 % de la population métropolitaine 20 ( * ) .

L'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé (Unaass) 21 ( * ) a souligné, de même, combien ce sujet était au coeur des préoccupations de nombre de nos concitoyens : une de ses enquêtes a montré que 63 % des usagers avaient déjà été dans l'impossibilité d'obtenir un rendez-vous médical (généraliste ou spécialiste) dans un délai raisonnable, cette proportion étant de plus 47 % pour un rendez-vous chez un ophtalmologiste.

Le recours - souvent inapproprié - aux urgences hospitalières ou un renoncement aux soins peuvent être des « effets de bord » de cette situation, a fortiori alors que la « consommation » de soins n'échappe pas à l'exigence, accrue, d'immédiateté d'une partie des patients.


* 13 Source : Drees, étude précitée, « Les médecins d'ici à 2040 ».

* 14 Portrait des professionnels de santé en 2016, Drees. Données issues des répertoires Adeli et RPPS.

* 15 Comme le souligne la Drees, ces simulations ne prennent pas en compte une éventuelle évolution de l'offre de postes salariés (à l'hôpital essentiellement) qui pourrait contraindre les choix des médecins.

* 16 La loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites a autorisé les médecins libéraux ressortissant de la Carmf à cumuler leur retraite des trois régimes avec une activité libérale sous quelle que forme que ce soit, à condition que le revenu net tiré de cette activité soit inférieur au plafond de la Sécurité Sociale. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a libéralisé ce dispositif en supprimant le plafond de ressources autorisées.

* 17 Les projections de la DREES ne tiennent pas compte toutefois d'une saturation éventuelle des postes salariés et prennent pour hypothèse un flux constant de médecins diplômés à l'étranger.

* 18 D'après les données du conseil national de l'ordre des médecins, les femmes représentent, en 2015, 58% des médecins nouvellement inscrits à un tableau de l'ordre. Parmi les médecins âgés de moins de 30 ans, les femmes représentent 66% des effectifs.

* 19 Étude précitée « Les médecins d'ici à 2040 », mai 2017.

* 20 Réalisée à partir des données de l'assurance maladie sur la localisation des médecins libéraux, disponibles sur son « annuaire santé », l'étude adopte la classification suivante : l'accès aux médecins est considéré comme difficile quand la densité médicale est de plus de 30 % inférieure à la moyenne nationale.

* 21 Ex-CISS (collectif interassociatif sur la santé), l'Unaass est devenue « France Assos Santé ».

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