VI. LA FORMATION INITIALE : UN MOMENT-CLÉ POUR CRÉER L'ANCRAGE GÉOGRAPHIQUE DES FUTURS PROFESSIONNELS

Pour un grand nombre de personnes entendues par vos rapporteurs, les études médicales forment un moment-0clé pour créer l'ancrage géographique des jeunes praticiens.

Deux types de réponses ont été développés pour inciter les étudiants à s'orienter, dès cette phase de formation, vers les zones sous-dotées :

- les systèmes de bourses d'étude : dans le prolongement des aides instaurées par des collectivités territoriales, le contrat d'engagement de service public , créé au plan national, a constitué, on l'a vu, l'une des premières mesures législatives pour lutter contre les inégalités territoriales de répartition des professionnels médicaux ;

- le développement des stages en médecine de ville pendant la formation, pour permettre une découverte précoce des différents modes et lieux d'exercice.

Si des avancées sont à saluer, des marges de progression existent. Pour vos rapporteurs, faire porter des efforts sur ce levier d'action doit constituer une priorité.

A. LE CONTRAT D'ENGAGEMENT DE SERVICE PUBLIC : UNE ATTRACTIVITÉ À CONSOLIDER

1. Les objectifs : inciter les étudiants et internes en médecine à s'orienter vers les zones du territoire sous-dotées

Instauré par la loi HPST du 21 juillet 2009 au bénéfice des étudiants et internes en médecine et prévu à l'article L. 632-6 du code de l'éducation, le contrat d'engagement de service public (CESP) vise à orienter, sur la base du volontariat, les jeunes praticiens vers les zones du territoire sous-dotées en ressources médicales. Ce contrat peut être signé à compter de la deuxième année et à tout moment de la formation, avant la dernière année d'internat.

Le CESP a été étendu aux étudiants en odontologie par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 74 ( * ) .


• En contrepartie d'une allocation mensuelle d'un montant brut de 1 200 euros 75 ( * ) , les bénéficiaires s'engagent à exercer leurs fonctions, à la fin de leur formation dans une zone sous-dotée et à appliquer les tarifs conventionnels (secteur 1).

Le choix se construit au cours du cursus :

- à l'issue des épreuves classantes nationales, les étudiants ayant signé un CESP choisissent, selon leur rang, leur poste d'interne, sur une liste spécifique établie chaque année par arrêté, qui cible les spécialités et les régions en difficulté ;

- au cours de la dernière année de leurs études, les internes ayant signé un CESP choisissent leur lieu d'exercice sur une liste nationale établie par le centre national de gestion (CNG) sur proposition des ARS ; ils peuvent se porter candidats à cinq lieux d'exercice, classés par ordre de préférence.

La durée de l'engagement est égale à celle du versement de l'allocation et ne peut être inférieure à deux ans . Le bénéficiaire peut exercer ses fonctions à titre libéral, salarié (dans un centre de santé) ou sous la forme de remplacements.

En cas de désengagement avant le terme de l'obligation d'exercice, le bénéficiaire doit s'acquitter d'une indemnité dont le montant est dégressif et au plus égal aux sommes perçues au titre du contrat, majorée d'une pénalité 76 ( * ) .

2. Une montée en charge progressive


•Le CESP est entré en vigueur à compter de l'année universitaire 2010-2011 pour les étudiants et internes en médecine, et à compter de l'année universitaire 2013-2014, pour les étudiants en odontologie.

Le nombre de contrats offerts, réparti entre UFR, est fixé chaque année par arrêté.

Sur les 400 contrats « médecine » proposés la première année, seul un tiers environ a trouvé signataire, du fait d'une notoriété réduite. Le dispositif est progressivement monté en puissance :

- le nombre de postes offerts aux étudiants et internes en médecine est passé à 478 en 2016-2017 (soit + 19 %) ;

- en parallèle, pour l'odontologie, le nombre de contrats proposés est passé de 50 la première année (2013-2014) à 112 en 2016-2017 ;

- entre 2010-2011 et 2014-2015, sur un total de 2 134 CESP proposés aux étudiants et internes en médecine, 1 141 contrats ont été signés (soit 53,5 % des contrats offerts), au profit de 743 étudiants et de 398 internes ;

- le taux de signature des contrats a augmenté : globalement pour la médecine et l'odontologie, il est de plus de 80 % en 2015-2016, mais marque un léger recul en 2016-2017.

Pour mettre ces données en perspective, le nombre de CESP offerts aux seuls étudiants en médecine (262) en 2016-2017 représente de l'ordre de 3 % du total des admis en deuxième année de médecine (8 124 postes).

Évolution du nombre de CESP
offerts et signés par année universitaire (en médecine puis en médecine et odontologie à compter de 2013-2014)


• Un bilan du CESP « médecine » établi en février 2016 77 ( * ) montre que les étudiants sont plus nombreux à opter pour ce contrat que les internes . L'âge moyen à l'entrée dans le dispositif est, sur la période 2010-2014, de 24,3 ans pour les étudiants et 26,3 ans pour les internes.

Si les entrées dans le dispositif des étudiants se sont faites de façon globalement équilibrée entre les deuxième et sixième années, ce sont dans une large majorité les internes en médecine générale qui ont signé le CESP (plus de 89 % des contrats signés par les internes), le plus souvent dès la première année d'internat.


• Le CESP est financé par l'assurance maladie, à l'origine à travers le fonds d'intervention pour la qualité et la coordination des soins (Fiqcs -supprimé par la loi de financement de la sécurité sociale 2014), puis au titre de l'enveloppe « fonctionnement ». Les charges liées à ce dispositif font partie du périmètre du septième sous-objectif de l'Ondam.

D'après les données transmises à vos rapporteurs par la DGOS, le coût du dispositif (réel ou prévisionnel) est retracé dans le tableau suivant.

Coût du dispositif de CESP
(en cumulé par an)

(en millions d'euros)

Année

Coût

2013

8,5

2014

12,9

2015

18,0

2016 ( prévisionnel )

22,8

2017 ( prévisionnel )

28,1

Source : DGOS

3. Améliorer l'accompagnement des bénéficiaires
a) Donner de la visibilité aux étudiants et renforcer leur suivi

Le recul sur le devenir professionnel des bénéficiaires du CESP est encore insuffisant pour évaluer réellement la portée de ce dispositif , notamment à travers la réalisation effective de l'engagement et la stabilité des installations des jeunes praticiens dans les zones sous-dotées.

L'attention de vos rapporteurs a néanmoins été attirée sur plusieurs signes de fragilité :

- les aléas qui entourent les conditions de l'engagement peuvent susciter des réticences en donnant aux étudiants le sentiment de « signer un chèque en blanc » : lorsqu'ils s'engagent, les étudiants ne connaissent pas les postes ciblés et les lieux d'exercice potentiels ;

- des ruptures de contrat interviennent principalement au moment du choix du poste d'interne, à l'issue des épreuves classantes nationales : sans que cela ne représente un volume massif, 20 ruptures de contrat ont été enregistrées entre 2012 et 2014, principalement en raison d'une inadéquation entre les postes proposés et les projets des contractants. 15 ruptures ont été enregistrées en 2015, ce qui traduit peut-être le volontarisme des ARS dans la signature des contrats et une certaine incompréhension des signataires devant la nature des engagements souscrits.

Des éléments de souplesse ont été introduits en 2013 78 ( * ) , telles que la dispense de pénalité en cas de rupture du contrat lorsque la zone indiquée dans le projet professionnel du bénéficiaire communiqué à l'ARS n'est plus identifiée en tant que zone sous-dotée, ou la précision selon laquelle l'engagement à exercer en zone sous-dotée porte sur la seule activité de soins (les bénéficiaires pouvant donc exercer des activités de recherche ou d'enseignement sur tout le territoire).

Le dispositif, s'il répond à une ambition louable, présente encore des marges d'amélioration, pour être mieux connu des étudiants et plus attractif . Si le nombre de contrats signés a augmenté année après année, un quart des contrats proposés aux étudiants et internes en médecine pour l'année universitaire 2016-2017 n'était pas pourvu au 20 mars 2017.

Pour certaines personnes entendues, la possibilité de mieux cibler, dès la signature du contrat, les zones d'activité permettrait de donner aux étudiants et internes une meilleure visibilité quant à la portée de leur engagement.

En outre, le suivi de ces bénéficiaires par les ARS, en liaison avec les universités, est essentiel :

- d'une part, en amont et tout au long du contrat, pour bien informer les étudiants et internes sur la nature de l'engagement, de façon à éviter les déconvenues par la suite, et pour leur proposer un accompagnement individuel aux différentes étapes de leur parcours et notamment au moment de la préparation de l'installation ;

- d'autre part, pour suivre, a posteriori , les trajectoires professionnelles des bénéficiaires et permettre une évaluation précise de l'efficacité de ce dispositif.

b) En amont, expérimenter le tutorat ?

Lors du déplacement dans l'Aisne, l'ARS des Hauts-de-France a mis en avant une initiative de « filière d'excellence » engagée en 2014 en Picardie en partenariat avec le rectorat et l'université. Cette expérimentation instaure un tutorat de lycéens originaires de territoires déficitaires pour les accompagner vers la réussite en première année commune aux études de santé (PACES). 30 élèves, sélectionnés sur dossier scolaire, lettre de motivation et critères sociaux, bénéficient de cet accompagnement mis en place depuis septembre 2016 ; cette mesure est financée par le FIR.

Vos rapporteurs notent avec intérêt cette initiative, qui part du constat selon lequel les jeunes issus des territoires ruraux sont plus enclins à revenir s'y installer. Elle prolonge, en amont, la logique du CESP. Son extension à d'autres territoires volontaires pourrait être envisagée, en fonction des résultats qui pourront être tirés de son évaluation.


* 74 Loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012. Article L. 634-2 du code de l'éducation.

* 75 Cette allocation, imposable, peut se cumuler avec les rémunérations auxquelles les étudiants et internes peuvent prétendre du fait de leur formation.

* 76 Avant l'obtention du DES, cette pénalité s'élève à 200 euros par mois de perception de l'allocation et ne peut être inférieure à 2 000 euros. Après l'obtention du DES, cette pénalité s'élève à 20 000 euros.

* 77 « Bilan de la mise en place des contrats d'engagement de service public (étudiants et internes en médecine) - campagnes 2010-2011 à 2014-2015 », centre national de gestion (CNG) des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière, février 2016.

* 78 Décret n° 2013-734 du 14 août 2013 relatif aux modalités de passation et d'exécution du contrat d'engagement de service public durant les études médicales, modifiant le décret n° 2010-735 du 29 juin 2010.

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