Rapport d'information n° 618 (2016-2017) de MM. Jean-Yves LECONTE et André REICHARDT , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 6 juillet 2017

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N° 618

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 juillet 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur les relations entre l' Union européenne et la Turquie ,

Par MM. Jean-Yves LECONTE et André REICHARDT,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Émorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, M. Claude Haut, Mmes Sophie Joissains, Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard, Alain Vasselle.

AVANT-PROPOS

La Turquie traverse aujourd'hui une période critique de son histoire. Déjà en proie aux attentats terroristes menés par Daesh, d'une part, et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), d'autre part, la Turquie a également dû faire face à une violente tentative de coup d'État, le 15 juillet 2016.

Pour faire face à cette situation, les autorités turques ont restreint les libertés et décrété l'état d'urgence. Toutefois, les mesures prises apparaissent comme disproportionnées, tant pour l'Union européenne que pour l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. L'adoption par référendum, le 16 avril 2017, d'une réforme constitutionnelle renforçant les pouvoirs du Président de la République confirme les craintes d'une dérive autoritaire du régime.

Une telle dérive serait incompatible avec les valeurs de l'Union européenne et remettrait en cause le processus d'adhésion.

C'est dans ce contexte que vos rapporteurs se sont rendus en Turquie, à Ankara et à Istanbul, du 25 au 28 avril 2017, pour évaluer la situation sur place. Il s'agit également de voir comment l'Union européenne et la Turquie peuvent continuer à collaborer dans l'intérêt des deux parties.

I. UNE SITUATION SÉCURITAIRE DÉGRADÉE

A. LA MENACE TERRORISTE

La Turquie doit faire face au terrorisme de Daesh, d'une part, et du PKK, d'autre part. Les attentats commis par ces deux organisations ont causé la mort de plus de 400 personnes entre juillet 2015 et janvier 2017.

Le premier attentat attribué à Daesh date du 20 juillet 2015 à Suruç. Dans cette ville majoritairement kurde, située près de la frontière syrienne, une explosion a interrompu un rassemblement d'étudiants, volontaires à la Fédération des associations de jeunes socialistes. Cet attentat-suicide a fait 33 morts et plus de 100 blessés. Ce sera le début d'une longue série. L'attentat d'Ankara du 10 octobre 2015 a fait au moins 102 morts et plus de 500 blessés. Il s'agit à ce jour de l'attentat le plus meurtrier de l'histoire de la Turquie. Le 28 juin 2016, à Istanbul cette fois, à l'aéroport international Atatürk, 47 personnes ont été tuées. L'attentat de Gaziantep, le 20 août 2016, lors d'un mariage, a causé la mort de 57 personnes, dont 34 enfants. Le 1 er janvier 2017, lors de la nuit du Nouvel An, une fusillade contre une discothèque d'Istanbul a fait au moins 39 morts et 65 blessés.

L'attentat de Suruç du 20 juillet 2015 aura également pour conséquence de relancer le conflit armé avec les combattants du PKK. En effet, il visait de jeunes militants kurdes. Suite à cet attentat, dénonçant la politique de « complicité » du Gouvernement turc accusé d'avoir laissé faire, les combattants du PKK assassinent deux policiers turcs. En représailles, l'État turc déclenche des frappes aériennes contre l'État islamique en Syrie. Mais il frappe également le PKK dans le Kurdistan irakien, mettant ainsi fin au processus de paix entamé en 2012.

Deux attaques, revendiquées par les Faucons pour la liberté du Kurdistan (TAK), mouvement proche du PKK ont été particulièrement meurtrières : la première à Istanbul, le 10 décembre 2016, qui a fait 44 morts et la seconde à Kayseri dans le centre du pays, le 17 décembre 2016, qui a fait 13 morts. Ces attentats visaient principalement des militaires.

B. LE CONFLIT DANS LE SUD-EST DU PAYS

La question kurde domine le débat politique en Turquie. Pour Abdullah Gül, Président de la République de Turquie de 2007 à 2014, ce serait même le problème numéro un. Les Kurdes sont une ethnie du Moyen-Orient répartie sur un territoire à cheval sur quatre États : la Turquie (avec environ 18 millions de personnes), l'Iran (8 millions), l'Irak (7 millions) et la Syrie (2 millions). L'effondrement de l'Empire ottoman à l'issue de la première guerre mondiale ouvrit la voie à la création d'un État kurde, prévue par le traité de Sèvres en 1920, situé dans l'est de l'Anatolie et dans la province de Mossoul. Mais après la victoire de Mustafa Kemal (« Atatürk ») en Turquie et de son mouvement nationaliste, les Alliés revinrent sur leur décision et, en 1923, le traité de Lausanne consacra la domination de la Turquie, de l'Iran, de la Grande-Bretagne (pour l'Irak) et de la France (pour la Syrie) sur les populations kurdes. Lors de la création de la République de Turquie, Mustafa Kemal souhaitait une république unifiée et a imposé une assimilation forcée aux kurdes, niant ainsi leurs spécificités culturelles.

C'est dans ce contexte qu'en 1978, Abdullah Öcalan a fondé le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le but de faire reconnaître les droits des kurdes. En 1984, le PKK décida d'engager la lutte armée contre l'État turc. Ce conflit aurait fait depuis lors plus de 45 000 morts. Abdullah Öcalan, quant à lui, est emprisonné depuis 1999. Si le PKK avait pour objectif initial la création d'un État du Kurdistan, il milite davantage aujourd'hui pour plus d'autonomie au sein de la Turquie et une reconnaissance des spécificités culturelles kurdes comme la langue. Les Kurdes affirment aujourd'hui vivre dans des régions oubliées du pouvoir central, notamment en termes d'investissements pour la modernisation des infrastructures, et être traités comme des citoyens de seconde zone.

À l'automne 2012, après une année particulièrement meurtrière, un cessez-le-feu a été décrété. L'attentat de Suruç en juillet 2015 y a mis fin. Depuis, la région du Sud-Est, où réside une grande majorité de kurdes, vit au rythme des affrontements quotidiens entre l'armée et la police turques, d'une part, et les combattants du PKK et des mouvements associés, d'autre part.

Depuis juillet 2015, on estime le nombre de morts à 927 du côté des forces de l'ordre turques et à 1 257 du côté des combattants kurdes. En outre, 395 civils auraient également été tués, selon International Crisis Group .

Dans sa résolution du 22 juin 2016, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'est inquiétée de l'intensification des opérations de sécurité dans cette région. Le 7 décembre 2016, le Commissaire aux droits de l'Homme a estimé que ces mesures n'étaient ni légales, ni proportionnées au but légitime poursuivi par la Turquie.

En effet, des couvre-feux de longue durée imposés 24 heures sur 24 ainsi que de grands projets de transformation urbaine ont occasionné le déplacement d'environ 500 000 personnes.

En outre, des exactions auraient été commises contre des populations civiles par les forces de l'ordre turques. Le 7 février, entre 60 et 90 personnes ont été tuées lors d'un assaut de l'armée turque à Cizre. Alors que l'État affirme que les victimes étaient des combattants du PKK, des sources kurdes ont déclaré qu'il s'agissait en réalité de civils ayant trouvé refuge dans un sous-sol pour échapper au conflit. De même, dans le village de Kuruköy, trois personnes auraient été tuées et 39 autres détenues et torturées après que le couvre-feu a été déclaré dans neuf villages des districts de Mardin, le 11 février 2017.

Enfin, un rapport de mars 2017 du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe indique que près de 90 maires et adjoints ont été emprisonnés et que 82 municipalités sont désormais dirigées par un administrateur nommé par le Gouvernement. 80 % des villes concernées étaient dirigées par un parti pro-kurde.

C. LA TENTATIVE DE COUP D'ÉTAT DU 15 JUILLET 2016

La Turquie a connu cinq coups d'État depuis la fin de la Seconde guerre mondiale :

- le coup d'État de 1960 pour renverser le Parti démocratique accusé de violer la Constitution pour rester au pouvoir : trois ministres seront exécutés et une nouvelle constitution sera promulguée ;

- le coup d'État de 1971 pour rétablir l'ordre après des mois de grèves et d'affrontements dans les rues entre l'extrême-gauche et l'extrême-droite : la loi martiale est instaurée et ne sera levée qu'en septembre 1973 ;

- le coup d'État de 1980 suite à de nouveaux affrontements entre la gauche et les nationalistes qui a abouti à la promulgation d'une nouvelle constitution rédigée sous l'égide de l'armée ;

- le coup d'État de 1997 qui prend la forme d'un mémorandum soutenu par l'armée, les milieux d'affaires et de la justice, et d'une partie de la classe politique pour contraindre à la démission le Premier ministre qui était perçu comme une menace pour la laïcité ;

- le coup d'État du 15 juillet 2016 qui est le seul à ne pas avoir abouti à la destitution de l'exécutif.

Ainsi, le 15 juillet 2016 au soir, un groupe de généraux tente de s'emparer du pouvoir. Ils procèdent à l'arrestation d'autres généraux, bloquent les deux ponts reliant les rives du Bosphore et occupent la chaîne de télévision publique TRT. Le Parlement et le palais présidentiel sont bombardés.

Mais les membres loyalistes de l'armée parviennent à protéger le président Erdogan alors en vacances à Marmaris dans le sud-ouest du pays. Celui-ci intervient via Facetime sur CNN TÜRK pour demander à ses sympathisants de descendre dans la rue et défendre l'État de droit, ce qu'ils font.

Les députés de tous bords et les autorités religieuses s'opposent au coup d'État.

Celui-ci échoue et le président Erdogan en sort renforcé.

Les autorités turques attribuent cette tentative de coup d'État au prédicateur Fethullah Gülen et à ses partisans, membres du mouvement FETÖ qu'il a créé. Celui-ci vit aux États-Unis depuis 1999. Après avoir été l'allié de M. Erdogan dans sa conquête du pouvoir, les tensions se sont exacerbées suite aux enquêtes pour corruption lancées par la justice turque contre des proches de M. Erdogan en 2013. Ce dernier avait alors accusé les partisans de Fethullah Gülen d'être à l'origine des enquêtes destinées à le mettre en cause.

Pour la plupart des observateurs, ce coup d'État a été mal préparé. On s'étonne qu'il ait eu lieu dans la soirée et pas en pleine nuit. On suppose que les auteurs se savaient menacés par le régime et ont dû agir rapidement.

Cette tentative de coup d'État a causé la mort de 248 personnes et fait 2 200 blessés. Cette opération a profondément choqué le peuple turc qui a manifesté en masse le 9 août 2016 pour exprimer son attachement à la démocratie.

Suite à cela, l'état d'urgence a été décrété et il est toujours en vigueur.

D. LA GUERRE AUX FRONTIÈRES

La Turquie accueille aujourd'hui près de 3 millions de réfugiés : 2,7 millions de Syriens et 130 000 Irakiens qui ont fui la guerre. Ceci peut, à terme, devenir source de tensions notamment si la situation économique en Turquie venait à se détériorer.

En outre, la Turquie craint que le conflit syrien ne se solde par la création d'une région kurde autonome en Syrie, à sa frontière. La Turquie veut éviter cela à tout prix. Elle considère en effet le PYD, parti des Kurdes de Syrie, comme un mouvement terroriste allié au PKK et menaçant sa stabilité.

La Turquie est donc intervenue militairement en Syrie contre Daesh mais également contre le PYD dès juillet 2015 par le biais de frappes aériennes. Le 26 août 2016, dans le cadre de l'opération « bouclier de l'Euphrate », l'armée turque est entrée sur le territoire syrien officiellement pour lutter contre Daesh, mais aussi pour instaurer à sa frontière une zone tampon où il sera possible de réinstaller des Syriens.

II. LA REMISE EN CAUSE DE L'ÉTAT DE DROIT

A. DES ATTEINTES RÉPÉTÉES AUX DROITS FONDAMENTAUX DEPUIS 2015

1. La liberté de la presse gravement attaquée

En 2017, la Turquie se classe 155 ème sur 180 au classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse. Elle recule de 4 places par rapport à 2016.

Accusés de soutenir le terrorisme, de nombreux médias ont été mis en cause par la justice turque.

Ainsi, en mars 2016, le journal Zaman a été placé sous tutelle judiciaire et les journalistes ont été remplacés de telle sorte que le journal adopte aujourd'hui une ligne éditoriale favorable à l'AKP, le parti de M. Erdogan.

De même, quelques semaines avant les élections législatives de novembre 2015, plusieurs chaînes de télévision critiques à l'égard du Gouvernement ont été retirées des bouquets des fournisseurs de services numériques. Cela fait suite à une demande du parquet d'Ankara dans le cadre d'enquêtes ouvertes pour soutien au terrorisme.

Les journalistes, quant à eux, risquent la prison. Ainsi, le 31 octobre 2016, le rédacteur en chef du journal Cumhuriyet Murat Sabuncu et son représentant à Ankara Güray Öz, ainsi que 16 journalistes et caricaturistes, ont été arrêtés. Ils risquent entre 7 et 43 ans de prison.

Le photo-journaliste français Mathias Depardon a été arrêté le 8 mai dernier dans le sud-est du pays. Il sera détenu pendant un mois.

Lors de leur déplacement, vos rapporteurs ont pu évaluer la situation de la chaîne IMC TV qui a été fermée. Cette chaîne avait pourtant clairement affirmé son soutien au président Erdogan lors de la tentative de coup d'État du 15 juillet 2016. Sa fermeture semble davantage liée à sa ligne éditoriale, plutôt de gauche. La journaliste Aysegül Dogan a expliqué à vos rapporteurs qu'aujourd'hui 85 % des médias en Turquie dépendraient du Gouvernement ou partageraient sa ligne politique.

2. Des attaques contre les universitaires

Le 11 janvier 2016, 1 128 chercheurs et universitaires, ont rendu publique une pétition pour dénoncer les violences dont sont victimes les Kurdes dans le sud-est du pays. Par la suite, 1 000 universitaires de plus ont signé cette pétition. Les signataires ont fait l'objet de mesures disciplinaires au sein de leurs universités et de poursuites judiciaires. Quatre personnes ont été détenues pendant plus d'un mois.

Lors de leur déplacement, vos rapporteurs ont pu rencontrer Mmes Buket Turkmen et Tuðba Yýldýrým, deux signataires membres du collectif « Universitaires pour la paix » et professeures à l'université de Galatasaray. Elles ont dénoncé une volonté d'imposer aux universités la ligne politique du Gouvernement, avec la complicité de certains recteurs qui ont renvoyé des signataires de la pétition. Par ailleurs, certains signataires ont vu leur photo et leur adresse publiées dans la presse accompagnées d'appel à la haine. Malgré les plaintes, ces faits n'ont pas donné lieu à des poursuites judiciaires.

Pour l'AKP, il s'agit de contrôler le secteur de l'enseignement supérieur où l'influence de FETÖ est considérée comme importante.

Par ailleurs, les deux professeures ont salué le programme PAUSE mis en place par les universités françaises pour accueillir des chercheurs turcs en exil.

3. La levée de l'immunité parlementaire des députés

Le 12 avril 2016, la Grande Assemblée nationale de Turquie a adopté un amendement constitutionnel permettant au ministre de la justice ou au Premier ministre de lever, dans un délai de 15 jours à compter de l'adoption de cet amendement, l'immunité parlementaire des députés pour lesquels une demande de levée d'immunité avait été déposée au moment du vote de l'amendement.

Celui-ci a été voté à une forte majorité, les députés du principal parti d'opposition, le CHP, ne souhaitant pas être accusé de couvrir des terroristes ou des criminels.

139 députés issus de tous les partis politiques sont concernés. Mais seuls 27 appartiennent à l'AKP parmi les 317 députés que compte ce parti alors que 51 appartiennent au HDP, parti de gauche pro-kurde, qui ne compte que 59 députés.

Suite à ce vote, le 3 novembre 2016, 9 députés du HDP sont aujourd'hui emprisonnés, parmi lesquels les deux co-présidents du parti Figen Yuksekdag et Selahattin Demirta°.

4. La réforme de la justice

Les atteintes à la liberté d'expression en Turquie s'appuient sur une législation donnant une définition très extensive du terrorisme. C'est ainsi que le fait de dénoncer les opérations du Gouvernement dans le sud-est du pays pour les dommages causés aux populations civiles peut être considéré comme un soutien aux terroristes du PKK.

En 2014, ont été institués les juges de paix pénaux avec pour mission de prendre des mesures conservatoires dans le cadre d'une enquête, de contrôler les publications sur Internet et de juger les infractions de la route. Les mesures conservatoires incluent l'arrestation, la détention provisoire, les perquisitions et saisies, la garde à vue, l'examen physique du suspect et les prélèvements biologiques. Dans ce cadre, ces juges de paix sont notamment en charge des affaires liées au terrorisme. Ils sont nommés par le Haut Conseil des juges et des procureurs fortement influencé par le ministre de la justice depuis la réforme de février 2014.

La Commission de Venise 1 ( * ) , dans son avis du 13 mars 2017, reproche aux juges de paix des décisions peu motivées pour ce qui concerne les mesures conservatoires, compte tenu de leur charge de travail notamment. Elle estime également que le système d'appel horizontal entre juges de paix d'une même région entrave le bon fonctionnement de la justice.

B. DES PURGES MASSIVES SUITE AU COUP D'ÉTAT MANQUÉ DU 15 JUILLET 2016

Selon le rapport sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie publié par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe 2 ( * ) le 5 avril 2017, on recense suite à la tentative de coup d'État du 15 juillet 2016 :

- 154 000 personnes révoquées de la fonction publique ;

- 44 000 personnes placées en détention provisoire dont 2 400 juges, 7 000 militaires et plus de 9 000 policiers ;

- 177 organes de presse fermés, 150 journalistes placés en détention provisoire et 2 550 journalistes qui ont perdu leur emploi ;

- 1 800 associations et fondations dissoutes ;

- 2 100 écoles, foyers d'étudiants et universités fermés ;

- 3 994 membres du système judiciaire suspendus.

Ces mesures ont été prises dans le cadre de l'État d'urgence. Les articles 119 à 121 de la Constitution turque disposent, que suite à une catastrophe naturelle ou en cas de trouble à l'ordre public menaçant gravement les institutions, le Conseil des ministres, réuni sous la présidence du Président de la République, peut proclamer l'État d'urgence et édicter des décrets-lois dans les matières qui rendent nécessaires l'État d'urgence. C'est donc le Gouvernement qui définit les dispositions qu'il entend mettre en oeuvre dans le cadre de l'État d'urgence par le biais de ces décrets-lois, qui sont pris sous le contrôle du Parlement. Ainsi, le régime de l'État d'urgence a permis de porter la durée de la garde à vue à 30 jours, de démettre des fonctionnaires, enseignants et magistrats notamment, et de fermer plusieurs établissements privés d'enseignement, associations ou organes de presse. Aucune possibilité de recours n'est prévue pour les citoyens mis en cause.

Rappelons qu'en France, les dispositions qui peuvent être mises en oeuvre dans le cadre de l'État d'urgence sont expressément déterminées par la loi du 3 avril 1955, modifiée par la loi du 24 juillet 2016. Il s'agit essentiellement d'assignations à résidence, de perquisitions administratives dans les domiciles privés de jour et de nuit, d'interdiction de manifestations et réunions ou encore de fermeture des lieux de culte. Ces mesures sont susceptibles d'un recours devant le tribunal administratif qui en apprécie les motifs et la proportionnalité.

En Turquie, des dispositions à caractère économique ont également été prises par décret-loi pour renforcer l'emprise des amis de l'AKP sur l'économie nationale.

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a dénoncé le manque de proportionnalité de ces mesures. La Commission de Venise a présenté le 9 décembre 2016 son avis sur les décrets-lois pris en Turquie dans le cadre de l'état d'urgence. Dans cet avis, elle a reconnu que les dangers que représentait le coup d'État manqué du 15 juillet 2016 nécessitaient certainement le recours à l'état d'urgence. Mais les mesures prises sont allées au-delà de ce qu'autorisent la Constitution turque et les engagements internationaux de la Turquie. Elle a critiqué l'allongement à trente jours de la durée légale de garde à vue sans contrôle judiciaire, l'absence de véritable contrôle du Parlement et de la Cour constitutionnelle sur les décrets-lois, et surtout la révocation collective de nombreux fonctionnaires sans référence à des preuves vérifiables de leur culpabilité et sans recours possible.

Suite à cela, le Gouvernement turc a publié plusieurs décrets-lois le 23 janvier 2017 destinés à répondre aux critiques de la Commission de Venise. La durée de la garde à vue a été réduite à 7 jours renouvelables et la présence d'un avocat a été autorisée dès le début de celle-ci, alors qu'elle était interdite durant les cinq premiers jours auparavant. En outre, une commission chargée de recevoir les recours contre les mesures individuelles prises dans le cadre de l'état d'urgence a été créée. Toutefois, les associations de défense des droits de l'Homme estiment que celle-ci ne dispose pas des moyens nécessaires pour traiter dans un délai raisonnable les recours. De plus, cette commission apparaît comme un moyen d'éviter que les recours turcs n'aboutissent devant la CEDH dans un délai raisonnable.

Ces évolutions ont été perçues par les défenseurs des droits de l'Homme en Turquie comme une manoeuvre pour montrer la prétendue bonne volonté des autorités turques à respecter les droits fondamentaux.

C. UNE RÉFORME CONSTITUTIONNELLE CONTESTÉE

1. Une volonté ancienne du président Erdogan

Depuis son accession au pouvoir en 2003 en tant que Premier ministre, M. Erdogan a souhaité la mise en place d'un régime institutionnel accordant une place prépondérante au Président de la République. En 2007, la révision constitutionnelle devant permettre l'élection du Président de la République au suffrage universel direct a été adoptée par référendum. En 2014, M. Erdogan a été le premier Président de la République élu au suffrage universel direct.

Pour M. Erdogan, le Président de la République bénéficie désormais d'une légitimité populaire que n'a pas son Premier ministre. En outre, la Turquie a dû faire face à une tentative de coup d'État et est toujours en proie au terrorisme, ce qui nécessite de renforcer la stabilité du régime. C'est dans ce contexte que M. Erdogan a proposé une nouvelle réforme constitutionnelle renforçant les pouvoirs du Président de la République.

Le 21 janvier 2017, le projet de loi constitutionnelle a été adopté par la Grande Assemblée nationale de Turquie. La majorité des trois cinquièmes au sein de cette assemblée, nécessaire pour l'adoption du texte, a pu être réunie grâce à une alliance de l'AKP avec le MHP (parti de droite nationaliste).

2. La présidentialisation du régime

Cette réforme va accroître de manière considérable les pouvoirs du Président de la République. En effet, le poste de Premier ministre est supprimé conférant au seul Président le pouvoir exécutif. Il signera les décrets et procèdera à de nombreuses nominations au sein de l'administration, dont les ministres.

La concomitance des élections législatives et présidentielles, ainsi que la possibilité de cumuler les fonctions de Président de la République et de chef de parti politique lui donneront une influence certaine sur le Parlement.

Enfin, le Président de la République désignera 6 des 13 membres nommés du Conseil des juges et des procureurs de la République. En outre, il nommera également le ministre de la justice et son sous-secrétaire d'État, membres de droit de cette institution.

Ainsi, il exerce une forte influence sur l'ensemble des autres organes constitutionnels.

3. Les critiques de la Commission de Venise

La Commission de Venise a pointé le risque d'une dérive autoritaire dénonçant l'absence de contre-pouvoirs. Elle a qualifié cette réforme de « régression dangereuse » pour la démocratie en Turquie.

En effet, les contre-pouvoirs sont affaiblis. Les moyens de contrôle du Parlement ne sont pas renforcés et si le Parlement décide de destituer le Président de la République, cela entraîne automatiquement une dissolution de celui-ci. En outre, l'influence du Président de la République sur le Conseil des juges et des procureurs de la République est prépondérante alors qu'il nomme déjà 14 des 17 membres de la Cour constitutionnelle.

Les comparaisons établies par le régime turc avec les régimes présidentiels aux États-Unis ou en France ne sont pas fondées. Par exemple, aux États-Unis, les nominations du Président et ses décisions en matière de politique étrangère sont soumises à l'approbation du Congrès. En France, le Sénat et le Conseil constitutionnel apparaissent comme des contre-pouvoirs efficaces pour limiter les pouvoirs du Président de la République lorsque celui-ci et son Premier ministre sont soutenus par une majorité à l'Assemblée nationale. En outre, lorsque le Président de la République perd la confiance de l'Assemblée nationale, il perd l'essentiel de ses prérogatives.

4. Un référendum aux résultats contestés

La réforme constitutionnelle a été adoptée avec 51,3 % des voix et un taux de participation de 87 %, lors du référendum du 16 avril 2017. Toutefois, le « non » l'a emporté dans plusieurs grandes villes dont Ankara, Istanbul et Izmir.

La Commission de Venise avait, dans son avis du 10 mars 2017 sur cette réforme constitutionnelle, regretté les conditions dans lesquelles le scrutin allait se dérouler. En effet, elle estimait que les conditions n'étaient pas équitables puisque, dans le cadre de l'état d'urgence, le pouvoir en place peut interdire certaines réunions et faire pression sur les médias. De plus, la situation dans le Sud-Est reste compliquée avec 500 000 personnes déplacées. Ces difficultés ont été confirmées par les observateurs du Conseil de l'Europe et de l'OSCE. Ceux-ci ont dénoncé le manque d'information impartiale des électeurs sur la réforme.

Le résultat du référendum a également été contesté. L'opposition a dénoncé de nombreuses irrégularités, reprochant notamment au Haut conseil électoral d'avoir accepté des bulletins de vote qui ne portaient pas le sceau officiel. Lors de notre déplacement, l'opposition n'a pas hésité à parler de fraudes.


Le vote de la diaspora turque

La diaspora turque en Europe est évaluée à environ 5 millions de personnes. 2 700 000 vivent en Allemagne, 750 000 en Bulgarie, 420 000 aux Pays-Bas, 400 000 en France et 300 000 au Royaume-Uni.

Cette diaspora constitue un enjeu important pour les autorités turques. Sur le plan électoral, il s'agit d'un réservoir de voix non négligeable et sur le plan économique, les investissements réalisés par la diaspora en Turquie représentent une manne importante. Elle reste étroitement liée à la Turquie. Des organisations étatiques, religieuses ou politiques continuent d'encadrer cette diaspora en Europe.

65 % des turcs vivant en France ont voté « oui » au référendum du 16 avril 2017, 63 % en Allemagne et 70 % aux Pays-Bas, contre seulement 21 % au Royaume-Uni.

D. UNE SITUATION DÉNONCÉE PAR LE CONSEIL DE L'EUROPE ET L'UNION EUROPÉENNE

1. La réouverture de la procédure de suivi

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a décidé de réouvrir la procédure de suivi pour la Turquie suite au vote de la résolution du 25 avril 2017. La procédure de suivi est une mesure qui doit permettre de surveiller la situation des droits de l'Homme, de la démocratie et de l'État de droit dans les pays membres du Conseil de l'Europe.

La Turquie avait intégré ce processus en 1996 et grâce aux réformes réalisées, notamment l'abolition de la peine de mort, elle en était sortie en 2004.

La dégradation de la situation des droits de l'Homme en Turquie était pointée du doigt depuis 2016 par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Le dialogue entre la Turquie et l'Assemblée n'a pas permis d'aboutir aux évolutions escomptées d'où la réouverture de la procédure de suivi.

2. Les critiques de l'Union européenne

Le 26 octobre 2016, le Parlement européen a adopté une résolution sur la situation des journalistes en Turquie.

Il a tout d'abord condamné la tentative de coup d'État du 15 juillet 2016 et a exprimé son soutien aux institutions légitimes de la Turquie.

Toutefois, il a estimé que la tentative de coup d'État manquée ne saurait servir de prétexte au Gouvernement turc pour bâillonner l'opposition légitime et pacifique, ni priver les journalistes et les médias de l'exercice de leur liberté d'expression.

Lors des différents débats tenus sur cette question, les députés européens ont été particulièrement critiques sur l'évolution de la situation en Turquie.

Le commissaire européen à l'élargissement, M. Johannes Hahn, s'est montré plus modéré. À plusieurs reprises, il a appelé néanmoins la Turquie à respecter les principes de la démocratie et de l'État de droit, condition indispensable pour pouvoir adhérer à l'Union européenne.

III. LE PROCESSUS D'ADHÉSION À L'UNION EUROPÉENNE COMPROMIS

A. LES AMBIGUÏTÉS DE LA TURQUIE DEPUIS 2002

1. Une forte croissance économique et une volonté d'ouverture politique

Le PIB de la Turquie a plus que triplé, atteignant 857 milliards de dollars US en 2016 contre 231 milliards de dollars US en 2002, année où l'AKP est arrivé au pouvoir.

Cette réussite économique et sociale a bénéficié à l'ensemble de la population. Elle a aidé l'AKP à consolider son socle électoral.

Elle est en partie liée à l'Union douanière qui a permis à la Turquie d'intégrer l'acquis communautaire dans de nombreux domaines et de rassurer ainsi les investisseurs étrangers. En effet, celle-ci a favorisé une baisse de l'inflation qui est passée de 29,5% en 2002 à 8,5% en 2016. En outre, elle a permis le développement d'une législation plus transparente et de nature à favoriser l'investissement. Ainsi, la Turquie a su faire les efforts nécessaires pour éliminer les entraves techniques à la libre circulation des marchandises en adoptant les normes de l'Union européenne.

Sur le plan politique, la Turquie a aboli la peine de mort. De plus, l'AKP a favorisé la dépolitisation de l'armée, processus qui a abouti à la suppression des juridictions militaires n'ayant pas trait à la discipline dans l'armée, dans le cadre de la réforme constitutionnelle de 2017.

L'AKP au pouvoir a également pris des initiatives encourageantes destinées à montrer l'ouverture du régime sur la question des droits de l'Homme. En 2012, un cessez-le-feu a été décrété avec le PKK et un débat sur le génocide arménien avec une plus grande liberté d'expression a pu s'ouvrir en Turquie.

Ces efforts semblent montrer que l'objectif de la Turquie est d'adhérer à l'Union européenne. Pourtant, certains soupçonnent l'AKP et son président d'avoir un « agenda caché » et de se servir de l'Union européenne pour instaurer un régime en opposition avec les valeurs de l'Union.

2. Un parti au pouvoir avec des valeurs différentes de celles de l'Union européenne

L'AKP est un parti islamo-conservateur dont les valeurs sont en opposition avec celles prônées par Kemal Atatürk qui souhaitait une société turque laïque rattachée à l'Europe. Ainsi, ce parti milite pour le port du voile à l'université et dans les forces armées. Les Gülenistes, mouvement du prédicateur Fetullah Gülen accusé d'être à l'origine de la tentative du coup d'État du 15 juillet 2016, est un mouvement religieux qui a infiltré avec la bénédiction de l'AKP de nombreuses structures étatiques. Ceci montre le choix de l'AKP d'une présence plus forte de l'Islam au sein de la société turque.

À l'heure des printemps arabes, M. Erdogan nourrissait des ambitions hégémoniques sur les pays arabes rappelant la culture ottomane. Ceci justifie la politique d'exemptions de visa menée à l'égard de nombreux pays arabes.

Aujourd'hui, la Turquie se tourne davantage vers les pays du Moyen-Orient et l'Azerbaïdjan pour équilibrer sa balance commerciale et dynamiser le secteur du tourisme, en difficulté suite aux attentats.

Les interlocuteurs que vos rapporteurs ont rencontrés ont affirmé qu'au sein de l'AKP, deux tendances se font face : une pro-européenne et une favorable à une rupture avec l'Occident. Si cette deuxième tendance l'emportait, la Turquie pourrait sortir de l'OTAN. On observe d'ailleurs un rapprochement avec la Russie après une période de vives tensions.

B. DES DIFFICULTÉS ANCIENNES

La Turquie a manifesté son intention d'adhérer à l'Union européenne dès la fin des années 50. Le protocole d'Ankara signé entre la Communauté économique européenne et la Turquie indique clairement que cet accord est un préalable en vue de préparer l'adhésion de la Turquie.

La Turquie est candidate depuis 1987 pour adhérer à la Communauté économique européenne. Après la reconnaissance officielle de la candidature turque en 1999 lors du Conseil d'Helsinki, l'ouverture des négociations a débuté en octobre 2005.

Mais l'arrivée au pouvoir de Mme Merkel en Allemagne et de M. Sarkozy en France a freiné les négociations et la perspective d'une adhésion n'était plus crédible.

Les difficultés sont alors très vite apparues.

À titre de comparaison, les négociations avec la Croatie ont débuté le 3 octobre 2005 et ce pays a adhéré à l'Union européenne le 1 er juillet 2013.

1. Les relations avec la Grèce et la République de Chypre

Tout d'abord, les relations avec la Grèce et la République de Chypre restent tendues depuis 1974. Cette année-là, en réponse à un coup d'État appuyé par la Grèce en vue d'un rattachement de l'île, la Turquie intervient militairement et occupe une partie de l'île.

Depuis, la communauté chypriote grecque vit au sud de l'île, et les Chypriotes turcs sont regroupés au nord, au sein de la « République turque de Chypre Nord » autoproclamée en 1983, mais qui n'est reconnue que par la Turquie.

Puis, lorsque la République de Chypre est devenue membre de l'Union européenne en mai 2004 en même temps que neuf autres États, la Turquie a signé le protocole d'Ankara qui étend l'union douanière aux dix nouveaux membres. Toutefois, la Turquie refuse de reconnaître la République de Chypre et donc d'appliquer complètement cet accord.

Le Conseil européen a alors gelé l'ouverture de certains chapitres de négociations en décembre 2006. En outre, la République de Chypre bloque de manière unilatérale l'ouverture d'autres chapitres, ce qui complique davantage la poursuite du processus d'adhésion.

2. Les craintes suscitées par l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne

Tout d'abord, au-delà de la question de savoir si la Turquie est située en Europe ou non, sa proximité géographique avec les pays du Moyen-Orient est une première source d'inquiétude. En effet, il s'agit d'une région instable, aujourd'hui ravagée par la guerre.

En outre, la Turquie compte 74 millions d'habitants. En cas d'adhésion, elle disposerait d'un pouvoir de blocage non négligeable au Conseil et d'un nombre de députés conséquent au Parlement européen.

De plus, les différences culturelles ont été présentées comme un obstacle à l'intégration de la Turquie au sein de l'Union européenne.

Enfin, sur le plan économique et financier, certains s'inquiètent du montant des aides, transferts et prêts qu'il faudra accorder à la Turquie.

3. Les droits de l'Homme et la question kurde

L'article 2 du traité sur l'Union européenne prévoit que celle-ci est fondée sur un ensemble de valeurs telles que le respect de la dignité humaine, la démocratie, l'État de droit et le respect des droits de l'Homme. Elle se définit donc comme une communauté de valeurs que les membres doivent partager.

Les inquiétudes sur la capacité de la Turquie à intégrer ces valeurs sont vives.

Ainsi, la volonté d'un État turc centralisé et unitaire se heurte à la volonté kurde d'une plus grande reconnaissance culturelle et sociale. Cette opposition a débouché sur un conflit armé entre les combattants du PKK et les forces de l'ordre turques. La situation des kurdes est un point de blocage persistant dans les négociations entre l'Union européenne et la Turquie.

Au-delà de la question kurde, le respect des droits fondamentaux reste un sujet préoccupant. En 2012, dans son rapport de suivi des négociations, la Commission européenne s'inquiétait déjà du respect des droits fondamentaux en Turquie, notamment en ce qui concerne le sort réservé aux minorités, la torture, la situation dans les prisons et la liberté d'expression. La répression des manifestants du parc Gezi à Istanbul en 2013 a été sévèrement condamnée par la Commission européenne et le Parlement européen.

C. UN PROCESSUS D'ADHÉSION QUI S'EST ENLISÉ

L'ouverture des négociations se fonde sur un respect suffisant des critères politiques définis par le Conseil européen de Copenhague en 1993 :

- la présence d'institutions stables garantissant la démocratie, l'État de droit, les droits de l'Homme, le respect des minorités et leur protection ;

- une économie de marché viable et la capacité à faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l'intérieur de l'Union européenne ;

- l'aptitude à assumer les obligations découlant de l'adhésion, notamment la capacité à mettre en oeuvre avec efficacité les règles, les normes et les politiques qui forment le corpus législatif de l'Union - l'acquis communautaire - et à souscrire aux objectifs de l'union politique, économique et monétaire.

Comme les autres pays candidats, la Turquie doit respecter ces critères pour pouvoir adhérer à l'Union européenne. Pour s'assurer de cela, l'acquis communautaire a été réparti en 35 chapitres couvrant chacun un domaine spécifique. La Commission assure le suivi des progrès réalisés par la Turquie dans les différents domaines.

Ces chapitres seront ouverts et clos par le Conseil de l'Union européenne à l'unanimité, indépendamment les uns des autres. La clôture d'un chapitre signifiera que la Turquie a intégré l'acquis communautaire relatif à ce chapitre. Pour permettre l'intégration de cet acquis, la Turquie reçoit une aide technique et financière au titre de l'instrument de pré-adhésion. Elle se monte à 600 millions d'euros par an.

L'adhésion pourra avoir lieu lorsque tous les chapitres auront été ouverts puis clos. Elle sera le résultat d'une décision des membres du Conseil prise à l'unanimité.

À ce jour, 16 chapitres ont été ouverts dont un provisoirement clos.

Le chapitre 22 intitulé « politique régionale et coordination des instruments structurels » a été ouvert le 12 février 2013. Depuis, aucun chapitre n'a été ouvert jusqu'à ce que les discussions entre l'Union européenne et la Turquie ne s'engagent pour tenter de répondre à la crise des migrants qui fuient notamment la Syrie.

Lors du sommet bilatéral du 29 novembre 2015 entre les chefs d'État et de Gouvernement de l'Union européenne et le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu, il a été décidé que le chapitre 17 relatif à la politique économique et monétaire serait ouvert à l'occasion de la conférence intergouvernementale du 14 décembre 2015, ce qui fut le cas.

Dans le cadre de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie du 18 mars 2016, il était prévu l'ouverture prochaine du chapitre 33 relatif aux « dispositions financières et budgétaires », ce qui sera fait le 30 juin 2016. Il s'agit là d'une ouverture très symbolique puisque ce chapitre, en principe abordé à la fin des négociations d'adhésion, traite plutôt de dispositions techniques. Dans ce cadre, les deux parties ont également envisagé l'ouverture prochaine de nouveaux chapitres pour relancer le processus d'adhésion.

Toutefois, cette relance risque d'être compliquée. En effet, l'Union européenne bloque toujours 8 chapitres en raison du refus de la Turquie d'étendre l'Union douanière à la République de Chypre et cette dernière bloque de manière unilatérale 6 chapitres de plus. La réunification de l'île pourrait avoir une influence positive sur le processus d'adhésion. Des discussions sont actuellement en cours sous l'égide de l'ONU dans ce but.

Mais surtout, la situation des droits de l'Homme s'est considérablement dégradée, comme cela a été montré précédemment, compromettant l'avenir du processus d'adhésion.

Chapitres de négociations relatifs à l'adhésion
de la Turquie à l'Union européenne

Numéro

Titre

Statut

1

Libre circulation des marchandises

Blocage UE

2

Libre circulation des travailleurs

Blocage Chypre

3

Droit d'établissement et de libre prestation de services

Blocage UE

4

Libre circulation des capitaux

Ouvert

5

Marchés publics

Blocage Turquie

6

Droit des sociétés

Ouvert

7

Droit de la propriété intellectuelle

Ouvert

8

Politique de concurrence

Blocage Turquie

9

Services financiers

Blocage UE

10

Société de l'information et médias

Ouvert

11

Agriculture et développement rural

Blocage UE

12

Sécurité sanitaire des aliments, politique vétérinaire et phytosanitaire

Ouvert

13

Pêche

Blocage UE

14

Politique des transports

Blocage UE

15

Énergie

Blocage Chypre

16

Fiscalité

Ouvert

17

Politique économique et monétaire

Ouvert

18

Statistiques

Ouvert

19

Politique sociale et emploi

Blocage Turquie

20

Politique d'entreprise et politique industrielle

Ouvert

21

Réseaux transeuropéens

Ouvert

22

Politique régionale et coordination des instruments structurels

Ouvert

23

Pouvoir judiciaire et droits fondamentaux

Blocage Chypre

24

Justice, liberté et sécurité

Blocage Chypre

25

Science et recherche

Provisoirement clos

26

Éducation et culture

Blocage Chypre

27

Environnement

Ouvert

28

Protection des consommateurs et de la santé

Ouvert

29

Union douanière

Blocage UE

30

Relations extérieures

Blocage UE

31

Politique extérieure de sécurité et de défense

Blocage Chypre

32

Contrôle financier

Ouvert

33

Dispositions financières et budgétaires

Ouvert

34

Institutions

35

Questions diverses

D. UNE RELANCE DU PROCESSUS D'ADHÉSION COMPROMISE

Aujourd'hui, le processus d'adhésion est à l'arrêt, résultat d'une défiance et d'une méfiance réciproques, chaque partie dénonçant un manque de sincérité et de bonne volonté.

1. L'Union européenne reproche au régime une dérive autoritaire incompatible avec les valeurs de l'Union
a) Des tensions avec les institutions de l'Union européenne

Le Parlement européen a adopté, le 24 novembre 2016, une résolution demandant le gel temporaire des négociations d'adhésion. Il rappelle que le cadre des négociations entre l'Union européenne et la Turquie prévoit une procédure permettant cela. En effet, en cas de violation grave et persistante, en Turquie, des principes de l'État de droit et des libertés fondamentales, la Commission, agissant de sa propre initiative ou à la demande d'un tiers des États membres, peut recommander la suspension des négociations. Elle indiquera les conditions à remplir pour qu'elles soient reprises. Après avoir entendu la Turquie, le Conseil statuera à la majorité qualifiée sur cette recommandation et décidera de la suspension éventuelle des négociations et des conditions de leur reprise.

Suite au référendum constitutionnel en Turquie, le 24 avril 2017, le Commissaire européen à l'élargissement, Johannes Hahn, a estimé qu'une « évaluation approfondie des relations » entre l'Union européenne et la Turquie était nécessaire, et peut-être même « une redéfinition ».

b) Des tensions avec les États membres

Aux difficultés avec l'Union européenne, s'ajoutent les tensions diplomatiques entre la Turquie et certains pays membres de l'Union dont la Bulgarie, l'Autriche, l'Allemagne et les Pays-Bas.

Ainsi, la Bulgarie a reproché à la Turquie de s'immiscer dans les élections législatives bulgares de mars dernier. Son ambassadeur en Bulgarie et son ministre des affaires sociales ont pris position ouvertement pour un parti politique créé en Bulgarie et prétendant rassembler les citoyens bulgares d'origine turque.

Les relations sont aussi compliquées avec l'Autriche qui souhaite la suspension des négociations d'adhésion « qui ne sont aujourd'hui qu'une fiction ».

De même, le ministre des affaires étrangères des Pays-Bas s'est dit favorable, en novembre 2016, à un gel des négociations. La tension est ensuite montée d'un cran, en mars 2017, lorsque les autorités néerlandaises ont refusé que des ministres turcs participent à des réunions publiques en faveur du « oui » au référendum constitutionnel turc. M. Erdogan a alors qualifié les Pays-Bas d'État fasciste et nazi.

Enfin, les tensions sont également vives avec l'Allemagne. En effet, Mme Merkel a refusé de laisser des ministres turcs participer à des réunions électorales en Allemagne, en faveur du « oui » au référendum. M. Erdogan a alors évoqué « les pratiques nazies » de Mme Merkel. En juin 2017, le Gouvernement turc a refusé aux parlementaires allemands l'accès à la base militaire d'Incirlik où sont stationnés des soldats allemands. Cette décision est pour le Gouvernement turc une réponse au fait que l'Allemagne ait accordé l'asile politique à des militaires soupçonnés d'avoir participé à la tentative de coup d'État de juillet 2016. L'Allemagne a alors décidé de redéployer ses soldats vers la Jordanie.

2. La Turquie reproche à l'Union de ne pas prendre en compte sa situation sécuritaire
a) Le discours de rupture du parti au pouvoir ...

M. Erdogan a, à plusieurs reprises, évoqué un référendum sur l'avenir du processus d'adhésion et un référendum visant à rétablir la peine de mort. Pour les dirigeants de l'Union européenne, le rétablissement de la peine de mort signifierait la fin du processus d'adhésion.

Au cours de leur déplacement, vos rapporteurs ont rencontré M. Mustafa Yeneroðlu, président de la commission d'enquête sur les droits de l'Homme, député d'Istanbul et membre de l'AKP. Pour lui, quand l'Union européenne donne des leçons en matière de droits de l'Homme à la Turquie, elle ne prend pas en compte la situation sécuritaire dans le pays. Il a estimé que le premier des droits de l'Homme est le droit à la vie et il a jugé légitime le droit de l'État à lutter contre le terrorisme. Il a également dénoncé le soutien des pays européens au PKK.

Concernant la relation entre l'Union européenne et la Turquie, il a fustigé l'incapacité des européens à apporter une aide aux réfugiés. Il a dénoncé les nombreuses « promesses non honorées » de l'Union européenne ainsi que son « attitude hégémonique inacceptable ».

Il faut rappeler que M. Erdogan dans ses discours ne cesse de dénoncer l'attitude méprisante et condescendante d'une Union européenne sur le déclin. En outre, le discours de l'Union européenne sur la défense des droits de l'Homme en Turquie est occulté par l'attitude des États membres face à l'arrivée des migrants. En effet, l'Union perd là toute crédibilité aux yeux de l'opinion publique turque.

b) ... atténué par celui des autres partis politiques

L'AKP, parti au pouvoir soutenant M. Erdogan, s'est allié au MHP, parti de droite nationaliste pour permettre l'adoption de la réforme constitutionnelle. Vos rapporteurs ont pu rencontrer M. Erhan Usta, vice-président du groupe MHP à l'Assemblée.

Il a expliqué que la situation sécuritaire en Turquie est compliquée et que le seul moyen d'y faire face est le maintien de l'état d'urgence qualifiant de « proportionnées » les mesures prises dans ce cadre. Il a appelé les autorités européennes à ne pas mettre un terme au processus d'adhésion car dans ce cas, tous les efforts faits depuis des années auraient été inutiles. Il a estimé que le comportement de l'Union européenne avec la Turquie est injuste. Il a souhaité que la dignité nationale turque soit respectée. Enfin, il a indiqué que l'Union ne doit pas chercher à pousser la Turquie dans ses retranchements pour la forcer à rompre les relations avec l'Union et les négociations d'adhésion.

Vos rapporteurs ont également pu s'entretenir avec des membres des partis d'opposition.

M. Garo Paylan, député HDP d'Istanbul et Mme Ayse Berktay, membre du HDP ont affirmé à vos rapporteurs que M. Erdogan et son parti utilisaient l'Union européenne à des fins de politique intérieure. Ils ont souhaité que l'Union européenne reste fidèle à ses valeurs et qu'elle ne plie pas devant M. Erdogan. À ce sujet, la perspective d'adhésion doit être maintenue même si c'est à long terme. Pour le moment, les négociations sur l'Union douanière doivent se poursuivre et être assorties de conditions relatives aux droits de l'Homme.

Vos rapporteurs ont également rencontré des représentants du CHP (parti kémaliste) : M. Öztürk Yýlmaz, vice-président chargé des relations internationales du CHP, membre de la commission des Affaires étrangères de la GANT, député d'Ardahan et M. Niyazi Nefi Kara, membre de la commission d'harmonisation UE - Turquie, député d'Antalya. Ils ont indiqué qu'ils partageaient les constats exposés dans la résolution du Parlement européen du 26 novembre 2016 mais pas ses conclusions. En effet, ils souhaitent que les négociations d'adhésion se poursuivent. Leur suspension est souhaitée par M. Erdogan qui couperait ainsi davantage la Turquie de l'extérieur pour mieux y installer sa dictature. Ils dénoncent un manque de sincérité dans les deux camps affirmant que l'Union européenne devrait ouvrir les chapitres 23 (Pouvoir judiciaire et droits fondamentaux) et 24 (Justice, liberté et sécurité), si elle veut vraiment discuter des droits de l'Homme avec la Turquie. Ils condamnent cette stratégie du pourrissement mise en place par les deux parties. Pour eux, la fin des négociations d'adhésion serait équivalente à une mise à mort de la démocratie turque.

IV. LA RECHERCHE DE NOUVELLES VOIES DE DIALOGUE

Face à l'enlisement du processus d'adhésion, la recherche d'autres « canaux de dialogue » est nécessaire. Le maintien des relations entre l'Union européenne et la Turquie est indispensable aux deux parties. Aucune ne souhaite prendre l'initiative de la rupture tant les intérêts des deux parties sont liés. Ils se concentrent aujourd'hui principalement autour de l'union douanière, de la lutte contre le terrorisme et de la gestion des flux de migrants.

Suite à leur rencontre avec M. Erdogan, le 25 mai 2017, Donald Tusk, président du Conseil européen, et Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, ont souligné leur volonté de continuer à coopérer avec Ankara.

A. LA GESTION DES MIGRANTS ET LA LIBÉRALISATION DU RÉGIME DES VISAS

1. L'accord controversé du 18 mars 2016

Face à l'arrivée massive de migrants fuyant la guerre en Syrie et en Irak pour rejoindre les côtes grecques (2 000 par jour en moyenne), il était urgent d'agir. Les États membres de l'Union ne parvenant pas à s'entendre pour apporter une réponse coordonnée et efficace à cette situation, des discussions ont été engagées avec la Turquie, pays de transit.

Un premier sommet bilatéral a eu lieu le 29 novembre 2015. L'Union européenne et la Turquie s'étaient alors accordées sur la mise en place d'un plan d'action conjoint visant à limiter le flux de migrants en provenance de Turquie. Ce plan prévoyait notamment que la Turquie empêcherait les migrants irréguliers d'atteindre les côtes européennes et conclurait des accords de réadmission bilatéraux pour permettre le retour de ces migrants irréguliers dans leur pays d'origine. En contrepartie, l'Union devait relancer le processus d'adhésion et verser la somme de trois milliards d'euros pour aider les réfugiés présents en Turquie.

Malgré cela, le nombre de personnes arrivant sur les côtes grecques n'a pas diminué.

Le 18 mars 2016, un nouvel accord a été conclu pour endiguer le flux de réfugiés et casser le modèle économique des passeurs. Cet accord prévoyait que :

- tout nouveau migrant arrivé illégalement sur les îles grecques via la Turquie, à compter du 20 mars 2016, y sera reconduit, après examen d'une éventuelle demande d'asile ;

- pour chaque Syrien renvoyé en Turquie en provenance des îles grecques, un Syrien sera installé au sein de l'Union européenne en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations unies ;

- la Turquie devra prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter l'ouverture de nouvelles routes de migration irrégulières, maritimes ou terrestres ;

- une aide financière de 3 milliards d'euros s'ajoutera aux 3 milliards accordés dans le cadre de l'accord du 29 novembre 2015 pour aider les réfugiés présents en Turquie.

À ces dispositions relatives à la gestion de la crise des migrants s'ajoutent deux contreparties visant à un approfondissement des relations politiques entre l'Union européenne et la Turquie :

- l'ouverture du chapitre 33 qui concerne les dispositions budgétaires et financières  dans le cadre du processus d'adhésion ;

- la libéralisation du régime des visas pour autant que tous les critères énumérés dans la feuille de route du 16 décembre 2013 soient remplis.

Cet accord a fait l'objet de nombreuses critiques. Les associations venant en aide aux réfugiés ont notamment fait valoir que la Turquie n'est pas un « pays tiers sûr » pour que l'on puisse y renvoyer des migrants qui demandent l'asile. La question de sa légalité a également été soulevée devant la Cour de justice de l'Union européenne. Celle-ci a considéré qu'il s'agissait d'un engagement pris par les chefs d'État des pays membres de l'Union européenne et pas un engagement de l'Union : elle s'est donc déclarée incompétente. Enfin, il a été reproché à l'Union de se décharger de ses responsabilités sur la Turquie et de céder au chantage de celle-ci en promettant des contreparties politiques.

2. Un bilan mitigé

Une mission commune d'information du Sénat conduite par MM. Jacques Legendre et Michel Billout a présenté en octobre 2016 un rapport sur ce sujet 3 ( * ) . Il a été adopté à l'unanimité.

Il présente un bilan mitigé de cet accord. Certes, le nombre d'arrivées a considérablement diminué passant de 2 000 à 50 par jour. Mais, seuls 1 798 migrants ont été renvoyés vers la Turquie et ce en raison de l'engorgement du service d'asile grec, mais aussi de la réticence des autorités de l'asile grec à considérer la Turquie comme un « pays tiers sûr ».

Toutefois, la mission commune d'information du Sénat a estimé qu'il était de l'intérêt de l'Union européenne de préserver cet accord.

3. Les critiques turques de cet accord

Le nombre total de réinstallations depuis la Turquie en application de la déclaration du 18 mars 2016 s'élève désormais à 6 254. Ce qui pour la Turquie est insuffisant. En effet, la déclaration prévoyait un total de 72 000 réinstallations. Les autorités turques estiment ce nombre dérisoire, d'autant plus que la Turquie accueille 3 millions de réfugiés.

En outre, la Turquie juge que le versement des sommes allouées dans le cadre de la facilité tarde à se concrétiser, malgré les efforts de l'Union. 2,9 milliards ont été engagés et des contrats d'une valeur totale de plus de 1,5 milliard d'euros ont été signés, mais seulement 780 millions d'euros ont été décaissés.

La mission commune d'information du Sénat avait d'ailleurs demandé aux autorités européennes d'honorer sans tarder leurs engagements sur les volets liés à la question des réfugiés.

La situation des réfugiés en Turquie n'est certes pas parfaite. Les ONG que vos rapporteurs ont rencontrées ont indiqué que dans le cadre de l'état d'urgence, la Turquie ne pouvait être considérée comme un « pays tiers sûr ». Tout ressortissant étranger peut être expulsé au seul motif qu'il représente une menace pour l'ordre public, sans recours possible. En outre, elles ont insisté sur la nécessité de mieux contrôler l'utilisation des fonds versés au titre de la facilité qui sont davantage alloués aux associations proches du pouvoir.

Toutefois, il ne faut pas sous-estimer les efforts faits en Turquie pour offrir des conditions de vie décentes aux réfugiés, notamment en ce qui concerne l'accès à l'éducation et à la santé. Selon la Commission européenne, plus de 600 000 réfugiés en Turquie bénéficient du programme de filet de sécurité sociale d'urgence tandis que le nombre de Syriens aidés au moyen de versements directs d'espèces devrait rapidement atteindre 1,3 million. Mme Simona Gatti, chef de la coopération à la délégation de l'Union européenne, a rendu hommage aux efforts faits par la Turquie. Cette année, 150 000 enfants syriens en plus seront scolarisés grâce notamment à l'installation de préfabriqués dans les cours d'écoles. Mais on estime que 300 000 enfants restent encore en dehors du système scolaire.

Ainsi, l'effort fait par la Turquie pour accueillir les réfugiés est indéniable. Toutefois, certains membres de l'opposition turque pensent que le président Erdogan cherche à renforcer l'islam sunnite au sein de la société turque en accueillant des arabes. Ceci lui permettrait de réduire la place des minorités religieuses telles que les alévis. Ainsi, à Sivricehüyük en Anatolie, dans le sud de la Turquie où vivent quelque 3 000 Alévis, l'État turc construit un camp de réfugiés pouvant accueillir 27 000 personnes.

4. Les difficultés liées à la libéralisation du régime des visas
a) Une contrepartie conditionnée au respect de la feuille de route adoptée le 16 décembre 2013

La libéralisation du régime des visas consiste, pour la Turquie, à exempter les ressortissants turcs de l'obligation de visa pour les séjours de courte durée, soit d'une durée maximale de 90 jours sur toute période de 180 jours, dans le cadre de voyages d'affaires, touristiques ou à des fins familiales dans l'espace Schengen.

Pour parvenir à cela, un certain nombre d'étapes sont nécessaires. Tout d'abord, la Turquie doit conclure avec l'Union européenne un accord de réadmission. Celui-ci a été signé en décembre 2012. Il permettra de réadmettre les ressortissants turcs entrés illégalement sur le territoire de l'Union européenne mais aussi les ressortissants de pays tiers détenant un titre de séjour délivré par la Turquie ou détenant, lors de la demande de réadmission, un visa en cours de validité délivré par la Turquie. Celui-ci est entré en vigueur le 1 er octobre 2014 mais seulement pour les ressortissants turcs.

Suite à la signature de l'accord de réadmission, une feuille de route, avec des critères propres à chaque pays, est élaborée. Les progrès accomplis dans le but de remplir ces critères sont régulièrement évalués par la Commission européenne. Une fois ces critères remplis, la Commission doit présenter une proposition de règlement visant à modifier le règlement (CE) n° 539/2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa. Cette proposition doit être adoptée par le Conseil et le Parlement européen.

Concernant la Turquie, la feuille de route adoptée le 16 décembre 2013 énumère 72 critères se répartissant en cinq groupes thématiques : sécurité des documents, gestion des migrations, ordre public et sécurité, droits fondamentaux et réadmission des migrants irréguliers.

La Commission a présenté un premier rapport d'évaluation le 20 octobre 2014 assorti de nombreuses recommandations sur les différents thèmes.

La question de la libéralisation du régime des visas a ensuite été évoquée dans le cadre du sommet UE-Turquie du 29 novembre 2015. Celui-ci avait pour objectif de renforcer la coopération entre l'Union et la Turquie pour gérer l'afflux massif de migrants arrivant par bateau de Turquie en Grèce.

À cette occasion, il a été décidé qu'un deuxième rapport d'évaluation serait présenté début mars.

Comme convenu, le 4 mars 2016, la Commission a présenté son deuxième rapport d'évaluation soulignant les progrès importants accomplis par la Turquie et identifiant les critères restant à remplir.

L'accord du 18 mars 2016 fait de la libéralisation du régime des visas une contrepartie à la coopération turque pour réduire le flux de migrants. Cette libéralisation était prévue pour le 30 juin 2016, pour autant que tous les critères énumérés dans la feuille de route du 16 décembre 2013 soient remplis.

Ainsi, la libéralisation du régime des visas suit un processus bien défini et reste conditionnée au respect des critères définis par la feuille de route de 2013. Or, l'accord du 18 mars prévoit d'enfermer ce processus dans des délais qui ne sont pas réalistes, ce qui est source d'incompréhension et de tensions.

b) Un processus de libéralisation compromis

Le 4 mai 2016, la Commission a présenté son troisième rapport d'évaluation des progrès accomplis par la Turquie en vue de la libéralisation du régime des visas.

Elle a identifié sept critères qui n'étaient pas satisfaits. Ainsi, la Turquie doit encore :

- adopter des mesures de prévention de la corruption ;

- garantir la protection des données à caractère personnel ;

- conclure un accord de coopération opérationnelle avec Europol ;

- proposer à tous les États membres de l'Union européenne une coopération judiciaire effective en matière pénale ;

- réviser la législation visant à lutter contre le terrorisme ;

- mettre aux normes de l'Union européenne les passeports biométriques délivrés par les autorités turques ;

- mettre en oeuvre complètement les dispositions de l'accord de réadmission, notamment en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers.

Aujourd'hui, les tensions se cristallisent sur le critère indiquant que la Turquie doit revoir sa législation visant à lutter contre le terrorisme (critère 65). La Commission estime que la définition du terrorisme donnée par cette législation est trop extensive. Le Gouvernement turc a indiqué que ce n'était pas possible de mener cette révision dans le contexte actuel, compte tenu des attaques terroristes dont la Turquie est victime. Face à cela, M. Juncker, président de la Commission européenne, et M. Schulz, alors président du Parlement européen, ont rappelé que ces critères n'étaient pas négociables.

Le 4 mai 2016, la Commission européenne a présenté un texte visant à permettre la libéralisation du régime des visas avec la Turquie mais tant que les critères ne seront pas remplis, il ne sera pas examiné.

Pour la mission commune d'information du Sénat, la libéralisation du régime des visas ne doit pas être liée à la question des réfugiés.

c) Un point fondamental pour la Turquie

Concernant la libéralisation du régime des visas, la Turquie considère que l'Union européenne ne respecte pas ses engagements.

Aux yeux des interlocuteurs turcs, il s'agit d'une question de respect : « pourquoi ce qui a été accordé à l'Ukraine et à la Géorgie ne le serait-il pas à la Turquie ? » Le député du CHP que vos rapporteurs ont rencontré, a indiqué que le refus d'accorder la libéralisation du régime des visas est vécu comme une punition par les turcs. Pour M. Mehmet Samsar, directeur général des affaires consulaires au ministère des affaires étrangères, il s'agit de réobtenir ce droit car avant le coup d'État de 1980, les citoyens turcs pouvaient voyager sans visa dans les pays européens.

Les autorités turques indiquent qu'elles fourniront prochainement une feuille de route expliquant comment la Turquie souhaite remplir les critères restant. Le responsable ministériel souligne d'ores-et-déjà que la Turquie n'appliquera l'accord de réadmission pour les ressortissants de pays tiers que lorsque le régime de libéralisation des visas sera mis en place. Il précise que depuis le 4 avril 2016, conformément à l'accord du 18 mars, la Turquie réadmet les migrants arrivés sur les côtes grecques.

Par ailleurs, M. Mehmet Samsar a tenu à expliquer à vos rapporteurs que la libéralisation du régime des visas n'entraînerait pas la venue massive de ressortissants turcs dans les pays de l'Union européenne. Tout d'abord, parmi les migrants qui fuient vers la Grèce, aucun n'est turc. De plus, seuls 6 millions de personnes possèdent un passeport en Turquie. Enfin, la Turquie a mis en place un régime des visas pour les ressortissants de certains pays tiers qui souhaiteraient entrer sur son territoire : c'est le cas pour les Algériens, les Syriens voyageant par bateau ou avion, les Libyens et les Irakiens. En effet, si officiellement la politique de « la porte ouverte » pour les Syriens et Irakiens fuyant la guerre est maintenue, dans la réalité, les autorités ne laissent entrer que les personnes ayant besoin de soins médicaux urgents. Pour notre interlocuteur, ces éléments sont de nature à rassurer l'Union européenne.

Enfin, l'Union européenne a adopté en 2016 un mécanisme de suspension du régime sans visa. Il permet d'y mettre fin temporairement avec un pays donné si la Commission constate une hausse du nombre de ressortissants de ce pays demandant l'asile.

B. LA RÉFORME DE L'UNION DOUANIÈRE

1. Une réforme qui intéresse les deux parties

En 1963, la Communauté économique européenne et la Turquie ont signé un accord d'association, l'accord d'Ankara, dans lequel les deux parties ont convenu d'instaurer progressivement une union douanière.

Un protocole additionnel, signé en novembre 1970, établit un échéancier pour la suppression des droits de douane et des contingents applicables aux produits industriels circulant entre les parties. La phase définitive de l'union douanière a été achevée le 1 er janvier 1996.

La Turquie est aujourd'hui le cinquième partenaire commercial de l'Union européenne dans le monde et représente 4 % du commerce extérieur total de l'Union européenne avec un solde positif de 17 milliards d'euros pour l'Union en 2015. L'Union européenne est le principal partenaire commercial de la Turquie et représente 41 % de son commerce mondial.

La Commission européenne a déposé en décembre 2016 un texte pour demander au Conseil de l'autoriser à engager des négociations avec la Turquie pour permettre la modernisation de l'union douanière.

En effet, il apparaît nécessaire d'adapter la structure de l'Union douanière au développement des échanges internationaux. Ces dernières années, l'Union européenne a conclu de nombreux accords de libre-échange avec des pays tiers. Or, la Turquie, dans le cadre de l'Union douanière, doit suivre la politique commerciale de l'Union avec les pays tiers, sans disposer pour autant de moyens juridiques lui permettant de convaincre ces pays tiers de conclure parallèlement de tels accords avec elle. En outre, il serait nécessaire d'améliorer l'échange d'informations et le mécanisme de notification pour permettre à la Turquie de s'adapter rapidement aux exigences techniques de la législation européenne. Enfin, le cadre commercial bilatéral ne comprend pas de mécanisme efficace de règlement des différends.

Une révision du cadre de l'Union douanière doit donc permettre de résoudre ces difficultés notamment en permettant à la Turquie de bénéficier des avantages liés aux accords bilatéraux conclus par l'Union européenne.

Par ailleurs, l'objectif est d'étendre le champ d'application de l'Union douanière aux produits agricoles, aux services et aux marchés publics pour développer les échanges, tout en harmonisant les règles relatives aux aides de l'État.

2. Une négociation qui peut permettre un dialogue sur la question des droits de l'Homme

Tous nos interlocuteurs se sont accordés pour dire que la croissance économique de ces dernières années a permis à M. Erdogan de consolider son pouvoir, et l''Union douanière doit précisément favoriser le développement économique en Turquie.

Dès lors, les membres du HDP que vos rapporteurs ont rencontrés suggèrent de conditionner la mise en oeuvre du futur accord sur l'Union douanière au respect de critères relatifs aux droits de l'Homme.

Pour le TUSIAD, syndicat patronal turc, et son Secrétaire général, M. Bahadýr Kaleaðasý, il n'y a pas d'économie sans démocratie et État de droit. Il souhaite que la coopération entre l'Union européenne et la Turquie se poursuive même si le processus d'adhésion est à l'arrêt. Pour lui, les négociations sur l'Union douanière doivent être engagées pour permettre à l'Union de disposer de leviers supplémentaires vis-à-vis de la Turquie. La mise en oeuvre effective de l'accord pourrait être conditionnée au respect de critères clairs en matière de droits de l'Homme.

C. LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME

1. Une menace terroriste omniprésente pour les deux parties

La Turquie et l'Union européenne doivent faire face à la menace terroriste. En effet, Daesh a commis de nombreux attentats en Turquie, mais aussi en France et dans d'autres États membres, en Belgique, en Allemagne, en Suède et au Royaume-Uni en particulier. Il est donc de l'intérêt des deux parties de coopérer face à cet ennemi commun.

Pour M. Mustafa Hilmi Dülger, membre de la commission de la sécurité et du renseignement de la Grande Assemblée nationale de Turquie, la coopération est bonne, ce que les autorités françaises sur place nous ont confirmé.

Par ailleurs, la Turquie est un pays de transit pour toutes les personnes qui souhaitent aller combattre en Syrie et pour ceux qui en reviennent, avec parfois l'intention de commettre des attentats en Europe. La Turquie a établi en partenariat avec les pays de l'Union européenne des listes de noms de ressortissants étrangers interdits d'entrée sur son territoire.

Vos rapporteurs se sont inquiétés de savoir comment la Turquie allait continuer à mener la lutte contre le terrorisme alors que de nombreux soldats, juges et policiers ont été arrêtés ou limogés suite à la tentative de coup d'État du 15 juillet 2016. Lorsque vos rapporteurs étaient sur place, plus de 1 000 policiers ont été arrêtés et environ 9 000 ont été démis de leurs fonctions. M. Mustafa Hilmi Dülger a affirmé que la Turquie saurait faire face car son État est fort. Il n'est pas davantage entré dans les détails.

2. La volonté turque d'une plus grande coopération de l'Union européenne contre le PKK

La Turquie regrette le manque de soutien de l'Union européenne dans sa lutte contre le PKK. M. Mustafa Hilmi Dülger a indiqué à vos rapporteurs qu'il ne fallait pas faire de différence entre les actes terroristes commis par Daesh et ceux commis par le PKK. Il a souhaité une plus grande coopération des États membres de l'Union européenne notamment pour tarir les ressources financières du PKK.

M. Mustafa Yeneroglu, président de la commission d'enquête sur les droits de l'Homme, a regretté la liberté d'action dont bénéficient les membres du PKK dans les États de l'Union européenne. Il s'agit, selon lui, d'un manque de considération pour ce que vit la Turquie face au terrorisme.

Plus généralement, les dirigeants turcs se plaignent du manque de solidarité de l'Union européenne. Ainsi, ils déplorent également le refus de nombreux pays de l'Union d'extrader les soldats soupçonnés d'avoir participé au coup d'État manqué du 15 juillet 2016.

CONCLUSION

Les relations entre l'Union européenne et la Turquie se sont considérablement dégradées ces deux dernières années. Cela fait suite aux mesures sécuritaires jugées disproportionnées et contraires aux droits de l'Homme prises par la Turquie dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et suite au coup d'État manqué du 15 juillet 2016.

Concernant le processus d'adhésion, chaque partie dénonce un manque de sincérité. L'Union européenne reproche à la Turquie sa dérive autoritaire alors que pour la Turquie, le processus était déjà bien ralenti auparavant.

Pourtant aucune des deux parties ne souhaite prendre la responsabilité de rompre les négociations. Les menaces relatives à un référendum en Turquie sur la peine de mort ou l'avenir du processus d'adhésion semblent relever davantage de la rhétorique électorale. En effet, même si ce processus est aujourd'hui à l'arrêt, l'Union européenne et la Turquie ont trop besoin l'un de l'autre pour arrêter toute coopération.

Ainsi, en dépit des tensions diplomatiques, les accords pour lutter contre le terrorisme ou limiter l'afflux de migrants ne sont pas remis en cause. De même, la modernisation de l'union douanière reste un sujet d'actualité pour chacun.

Quel que soit le sort du processus d'adhésion, les liens avec la Turquie et le peuple turc doivent être maintenus car ce qui se passe en Turquie ne saurait être sans conséquence pour l'Union européenne.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 6 juillet 2017 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Jean-Yves Leconte et André Reichardt, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet , président . - Merci à nos deux rapporteurs pour leur travail sur ce dossier difficile sur lequel Simon Sutour, Hubert Haenel et Robert del Picchia se sont penchés dans le passé. La Turquie appellera toute notre attention pendant plusieurs années encore. Si je tire une conclusion de ces travaux, c'est bien que l'Union européenne doit rester fidèle à ses valeurs. Face aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Moyen-Orient, l'Union européenne représente un pôle de stabilité dans un monde turbulent.

Je souhaite que Jean-Yves Leconte et André Reichardt puissent retourner en Turquie et se rendre dans le sud-est du pays dans des conditions de sécurité convenables.

M. André Gattolin . - Félicitations aux deux rapporteurs, qui ont une grande maîtrise du dossier. Lorsque ce député de l'AKP parle de se tourner vers d'autres partenaires que l'Union européenne, il faut rappeler la logique de dépendance de l'Union européenne vis-à-vis de la Turquie liée à la triple opération de sous-traitance effectuée par celle-ci : sous-traitance intérieure - qui a beaucoup arrangé l'Allemagne notamment ; sous-traitance interne - en tant qu'atelier de l'Europe, pour le textile et d'autres industries ; sous-traitance migratoire.

Comme Jean-Yves Leconte, je pense que le référendum n'a pas été un franc succès pour M. Erdogan. On constate que la société résiste. Au-delà de la menace de Daesh et de celle, surévaluée, des Kurdes, le régime ne tient que par la croissance économique, comme le parti communiste en Chine. M. Erdogan restera au pouvoir tant que la croissance demeurera si élevée. En cela, l'Union européenne est complice.

On oublie un accord silencieux, ô combien stratégique : celui des États-Unis. L'alliance entre la Turquie et la Russie est mise en avant, mais la méfiance est de mise entre ces deux pays. En revanche, je ne vois pas le discours de l'administration Trump. Les États-Unis observent un silence de connivence et ne remplissent pas leur rôle historique.

Mme Nicole Duranton . - En tant que membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je souhaite préciser que lors de la session d'avril dernier, la réouverture de la procédure de suivi à l'encontre de la Turquie a été votée. Après le coup d'État et la mise en oeuvre de l'état d'urgence, les autorités turques ont incarcéré des hommes politiques, des journalistes, des fonctionnaires ; après le référendum, le président Erdogan souhaite rétablir la peine de mort. Tout ceci va à l'encontre des valeurs du Conseil de l'Europe.

Il a été demandé aux autorités turques de lever l'état d'urgence dès que possible ; d'arrêter de promulguer des décrets-lois contournant la procédure parlementaire sauf si cette pratique s'avère strictement nécessaire en vertu de la loi sur l'état d'urgence ; de libérer tous les parlementaires en détention dans l'attente de leur procès ; de libérer tous les journalistes détenus ; de veiller à ce que les procès se tiennent dans le respect des garanties d'une procédure régulière ; de prendre d'urgence des mesures restaurant la liberté d'expression de la presse ; de mettre en oeuvre aussi rapidement que possible les recommandations de la Commission de Venise. La Turquie n'a pas entrepris de respecter ces engagements.

Je me suis rendue en Turquie en tant qu'observatrice du référendum. Si nous n'avons pas constaté d'irrégularités dans le processus de vote, les partisans du « non » ont dénoncé une campagne inéquitable, déclarant qu'ils ne pouvaient pas s'exprimer librement auprès de la presse. Nous l'avons consigné dans notre rapport. Depuis, le président Erdogan considère que les parlementaires qui se sont rendus en mission d'observation sont des terroristes.

M. René Danesi . - Je souhaite revenir sur le problème de l'intégration des diasporas dans les pays de l'Union européenne. La campagne du référendum a été presque frénétique en Allemagne et en France. Ce n'est pas la première fois que l'on constate un décalage. Les Tunisiens résidant en France ont très largement voté pour Ennahdha. Pourquoi ces diasporas sont-elles manifestement très éloignées des opinions publiques de leurs pays d'accueil ?

Le rapport n'émet pas d'appréciation qualitative sur le devenir possible de la Turquie. Personne ne croit que la Turquie puisse adhérer à l'Union européenne. Est-ce même souhaitable ? La seule perspective possible est celle d'accords sectoriels, dans le domaine de l'économie et de la sécurité. Le chancelier Kohl conseillait d'être toujours « une marche en dessous », « eine Stufe darunter ».

En conclusion, ce rapport est une excellente photo, mais sans légende. Il faut l'interpréter soi-même...

Mme Gisèle Jourda . - Ce rapport m'a rappelé le déplacement en Turquie que j'ai effectué avec Michel Billout et Jacques Legendre pour évaluer l'accord entre l'Union européenne et la Turquie. C'était après le premier attentat à Istanbul et j'avais senti que le feu couvait sous la cendre, mais nous ne pouvions imaginer la situation actuelle.

Lors de notre déplacement, les Turcs avaient mentionné leur souhait que les fonds liés à l'accord migratoire - vous dites que 780 millions d'euros ont été décaissés sur les trois milliards qui devaient l'être - ne transitent pas par les ONG qu'ils décriaient mais par le Croissant rouge. Les ONG que les rapporteurs ont rencontrées disent que c'est désormais le cas. Sur place, nous avions senti que les ONG étaient très critiques - le rapport le rappelle, pour elles, la Turquie ne constitue pas un « pays tiers sûr ». L'éclairage apporté par ce rapport d'étape est plus que pertinent.

Nous sommes très mitigés quant à la situation aux portes de l'Europe.

Lors de notre déplacement enfin, les Turcs brandissaient la menace de suspendre l'accord sur les réfugiés si cette politique ne se mettait pas en place selon leurs souhaits.

M. Claude Kern . - Je suis en phase avec les conclusions des rapporteurs.

L'industrie turque de l'armement lourd est très forte, elle s'appuie sur d'excellents ingénieurs. Les industriels européens se plaignent de cette concurrence déloyale sur les grands marchés, où les entreprises turques sont souvent moins-disantes, notamment grâce aux aides de l'État. Il est donc nécessaire de conserver des relations avec la Turquie.

Mme Patricia Schillinger . - Merci pour ce rapport. L'Alsace accueille une forte communauté turque ; depuis deux ou trois ans, je constate une dégradation des relations entre les associations turques et les parlementaires, ainsi qu'une forte radicalisation. J'ai été choquée par la pression exercée sur les Turcs français pour aller voter. Il y avait même des bus ! Il faut être très vigilant sur l'installation des commerces, le blanchiment d'argent, mais aussi la condition de la femme. Je n'ai jamais autant vu de femmes voilées. À Mulhouse, des enfants de six ans portent le voile, des gants, des lunettes. C'est inquiétant. J'appelle à plus de vigilance.

Les entreprises turques durent deux ans puis changent, elles ne paient pas les charges sociales. Le nombre de restaurants kebab a explosé. À Mulhouse, il y en a près de 200 pour 100 000 habitants ! C'est pareil en Allemagne.

Il faut aussi contrôler ce qui se passe dans les universités, alors que la jeune génération est confrontée au fanatisme et à la radicalisation.

M. Michel Billout . - Les rapporteurs nous offrent une photographie des relations toujours complexes entre l'Union européenne et la Turquie et je comprends qu'ils aient du mal à conclure, parce que nous assistons à une gigantesque partie de poker menteur entre l'Union européenne et la Turquie. André Gattolin a employé le mot « sous-traitance » pour qualifier cette relation, je parlerai plutôt d'interdépendance, du point de vue économique - la Turquie a besoin du marché européen pour écouler une partie de sa production et l'Union européenne est fortement intéressée par le marché intérieur turc qui ne cesse de croître -, mais aussi du point de vue de la gestion des flux migratoires.

L'Union européenne dénonce la situation des droits de l'Homme en Turquie et le traitement des populations kurdes : l'armée turque a perpétré des massacres sur les populations civiles - un rapport d'Amnesty International indiquait que 500 000 Kurdes turcs avaient été déplacés en moins d'un an, après avoir vu leurs biens détruits ou confisqués. Une telle situation aux portes de l'Europe est gravissime, mais l'Union européenne ne peut agir avec toute la fermeté nécessaire, précisément en raison de l'interdépendance économique que j'évoquais et de celle que nous avons créée sur la question migratoire.

Le rapport rappelle que la mission commune d'information à laquelle j'ai participé avait estimé « qu'il était de l'intérêt de l'Union européenne de préserver l'accord conclu avec la Turquie » pour endiguer le flux de réfugiés. Notre conclusion était motivée par le fait que la Grèce n'était pas en mesure de supporter de nouveaux flux migratoires, mais nous indiquions que l'Union européenne portait la responsabilité de la situation de blocage en Grèce, du fait de la fermeture de la frontière des Balkans et d'une politique migratoire non assumée. Dans nos conclusions, nous déconseillions à l'Union européenne de conclure de nouveaux accords de ce type, mais elle poursuit dans cette voie, notamment avec la Libye. Du coup, des situations complexes se créent où l'Union européenne s'expose au chantage.

Cette évolution est très préjudiciable à nos relations avec la Turquie, qu'il faut maintenir, tout en exerçant des pressions si nous ne voulons pas abandonner nos valeurs. Comme le disait André Gattolin, les meilleures pressions seront économiques. Je m'interroge ainsi sur l'opportunité de la conclusion d'un accord douanier dans ce contexte : il me semble qu'il faut rester prudent. Si Erdogan s'est maintenu si longtemps au pouvoir, c'est grâce à une réussite économique dont les Turcs lui savent gré : continuer de l'aider économiquement, c'est l'aider à rester au pouvoir. Je ne suis pas certain que ce soit l'intérêt de l'Union européenne, du point de vue des relations bilatérales, mais aussi du point de vue de la situation globale de la région. La façon dont Erdogan gère la question kurde n'est pas un problème purement turc, c'est un problème mondial. Les Kurdes jouent un rôle extrêmement important dans la perspective du règlement du conflit en Syrie et en Irak et on ne peut pas simplement tenter de les rayer de la carte.

M. Louis Nègre . - Il a fallu que j'attende d'être membre de la commission des affaires européennes du Sénat pour m'asseoir à côté d'une terroriste !

Je félicite les rapporteurs d'avoir su montrer l'ambivalence de nos relations avec la Turquie, au moins sur le plan économique. Cette ambivalence est à l'origine d'un certain nombre d'errements.

Il est clair que la Turquie considère le PKK comme une organisation terroriste, mais je n'ai pas bien compris quelle était sa position face aux terroristes de Daesh. Dans un premier temps, sa position n'a pas été absolument évidente et elle a évolué à partir du moment où les États-Unis, la coalition internationale et la Russie ont exercé une pression plus forte.

Cette ambiguïté pose un problème que le président de la commission a bien résumé : que voulons-nous ? Qui sommes-nous ? Quelles conclusions tirons-nous ? Certes, nous devons avoir des relations économiques avec tout le monde, mais évitons d'être naïfs !

Je n'ai pas affaire à la diaspora turque dans mon département, mais je sais que, tout en étant incluse dans la société, elle forme un îlot pratiquement étanche à nos valeurs. Tout le monde reconnaît l'existence de zones de non-droit dans notre pays, s'y ajoutent désormais des diasporas qui posent de surcroît des problèmes démocratiques. Je refuse de voir l'Union européenne se dissoudre dans un grand marché, comme les Britanniques le souhaitaient, car elle doit défendre ses valeurs fondamentales, qui sont humanistes. Quand vous voyagez dans des pays qui ne connaissent pas nos libertés, vous entendez dire que la force de l'Europe, ce sont ses valeurs.

Il faut faire du commerce avec tout le monde, mais en gardant les yeux ouverts, et en adoptant des positions beaucoup plus offensives sur un certain nombre de dossiers, à commencer par l'immigration. Nous nous laissons marcher sur les pieds parce que nous le voulons bien ! Les flux migratoires ne passent plus par la Turquie : l'accord conclu avec elle est-il toujours d'actualité ? Si nous continuons à verser des millions d'euros à la Turquie, il faut exiger d'elle que l'immigration incontrôlée soit stoppée. J'attire donc l'attention de notre commission sur la nécessité de réagir.

M. Didier Marie . - La présentation du rapport et les interventions de nos collègues montrent que la question des relations avec la Turquie est extrêmement sensible.

Tout d'abord, il faut toujours penser au respect des droits fondamentaux des Turcs eux-mêmes, qui vivent une situation très difficile.

Ensuite, Louis Nègre vient d'évoquer l'implication de la Turquie dans la lutte contre Daesh et sa position à l'égard du conflit en Syrie et en Irak. Par ailleurs, la Turquie est membre de l'OTAN et les dérives actuelles de son gouvernement peuvent créer un certain nombre de difficultés du point de vue de l'équilibre des relations internationales.

M. Erdogan tient grâce à une croissance annuelle de 5 %. Celle-ci lui a permis d'obtenir l'appui électoral des populations rurales d'Anatolie qui ont largement bénéficié du développement économique. Il a moins d'appuis dans les populations du littoral, les résultats du référendum l'ont montré. Quant aux 5 millions de Turcs qui vivent en Europe, ils ont voté massivement en faveur du oui. Cette diaspora bénéficie, elle aussi, de la croissance économique grâce aux investissements qu'elle réalise en Turquie.

M. Erdogan a adopté une stratégie qui vise à accroître sa mainmise sur le pays par un autoritarisme toujours plus assumé. Il cherche parallèlement à desserrer la contrainte liée à la relation avec l'Union européenne en investissant massivement dans les Balkans, dans le Golfe, en Égypte et dans les anciennes républiques soviétiques.

Nous assistons donc à la mise en place d'un schéma subtil : la dérive autoritaire manifeste pour contrôler le pays ne peut s'appuyer que sur une croissance économique forte ; les relations avec l'Union européenne ne vont pas s'arranger, il faut donc desserrer l'étau en développant le marché intérieur et en allant conquérir des marchés extérieurs.

L'Union européenne et la France doivent trouver un juste équilibre entre le maintien d'un dialogue avec le gouvernement turc et l'AKP et la dénonciation de la dérive autoritaire. J'estime que nous devons être intransigeants sur nos valeurs ; encore faudrait-il que l'Union européenne les défende suffisamment et les assume pleinement en son sein, faute de quoi il lui sera difficile de donner des leçons. Cette position doit aussi se traduire dans les relations bilatérales : il n'est pas question d'alléger le dispositif d'octroi de visas dès lors que M. Erdogan veut rétablir la peine de mort et ne respecte pas les sept critères évoqués par André Reichardt, notamment la reconnaissance de Chypre.

La question kurde n'a pas été suffisamment évoquée. Elle constitue un problème interne à la Turquie, mais aussi un problème régional très important qui détermine en grande partie la position de ce pays sur la scène irako-syrienne et ne pourra trouver de solution autre que politique. Malgré l'intransigeance affichée d'Erdogan, existe-t-il un espoir de le voir trouver à terme un accord avec le HDP et les Kurdes ?

M. Jean Bizet , président . - Le nombre de questions posées par nos collègues prouve l'intérêt qu'ils portent à ce sujet. Je donne la parole aux rapporteurs.

M. Jean-Yves Leconte . - J'aimerais partager l'optimisme de nos collègues sur les effets des pressions économiques. Il y a un paradoxe : la situation économique renforce Erdogan, mais elle fragilise son projet politique. En Russie, la crise économique a incité Poutine à adopter un discours encore plus nationaliste. Je ne crois pas que l'on affaiblira le gouvernement turc du simple fait de l'adoption de sanctions économiques.

Quant aux relations entre la Turquie et les États-Unis, il ne vous aura pas échappé qu'il existait une divergence sur le rôle des Kurdes dans la lutte contre Daesh et cette opposition peut peser lourd sur l'avenir de la relation bilatérale. De même, M. Gülen habite à Philadelphie et fait l'objet d'une demande d'extradition...

L'Allemagne considère que la Turquie devient un allié imprévisible et craint que sa qualité de membre de l'OTAN n'engage ses partenaires sur des terrains où ils ne souhaitent pas s'aventurer. D'autres membres de l'alliance s'interrogent sur la place de la Turquie, mais ce n'est pas encore le cas des États-Unis. L'armée turque tient beaucoup à sa participation à l'alliance, parce que c'est son rang qui est en jeu ; si jamais cette participation était remise en cause, elle pourrait changer d'attitude.

La diaspora turque est très diverse, comme le peuple turc. Dans le passé, elle a été structurée par le mouvement Gülen, en particulier dans les écoles, et l'AKP essaie maintenant de le remplacer. Au moment des élections ne s'expriment que les proches de l'AKP, parce que les autres ne veulent pas avoir de contacts avec les consulats, etc. La communauté kurde est également importante au sein de la diaspora et elle n'est pas allée voter. Je serai donc un peu moins pessimiste que nos collègues sur ce point.

En revanche, les schémas des investissements de la diaspora en Turquie, via des confréries et des associations, donnent parfois matière à de véritables prises d'otages, en créant une relation de dépendance de ces investisseurs à l'égard de réseaux politiques turcs. Cela explique en partie le fait que la diaspora soit si étroitement contrôlée, sans parler des moyens mis en oeuvre par l'État.

Dans sa relation avec la Turquie, l'Union européenne ne peut pas échapper à sa géographie. Soit elle se laisse prendre en otage, soit elle essaie de trouver un accord et une forme de complicité avec la Turquie. Aujourd'hui, nous sommes clairement otages de notre géographie.

J'insiste sur le fait que l'AKP a détruit beaucoup de ce que le kémalisme avait construit sur les ruines de l'empire ottoman. Il ne faut pas s'imaginer que, du jour où Erdogan ne sera plus au pouvoir, on retrouvera la Turquie du début des années 2000. Au contraire, on retrouvera toute la complexité byzantine.

En ce qui concerne la relation de la Turquie avec Daesh, on a pu avoir des doutes, mais la coopération franco-turque dans ce domaine a toujours été sérieuse, car il y a une grande différence entre les discours et les actes. La divergence d'appréciation sur le rôle des Kurdes est en revanche évidente : le gouvernement turc ne veut pas entendre parler de solution politique du problème kurde - la tentative de 2015 a fragilisé le pouvoir interne d'Erdogan.

En ce qui concerne les visas, je suis très partagé. On ne peut pas laisser la population turque se faire prendre en otage par son gouvernement. Au contraire, il faudrait essayer de dissocier cette question de la réponse à apporter à la dérive autocratique du régime.

On peut affirmer qu'il faut être intransigeant sur les valeurs, mais quand 80 millions de personnes, plus pauvres en moyenne que la population européenne, accueillent trois fois plus de réfugiés que l'Union européenne, ce discours n'est plus crédible. Notre position ne sera solide que si elle s'appuie sur des actes, notamment sur notre capacité à ne pas faire payer par les citoyens turcs le comportement de leur gouvernement. Même les partis d'opposition nous le disent : il faut favoriser les échanges, Erdogan dût-il en tirer un profit politique.

À titre personnel je pense que nous ne pouvons pas échapper à notre géographie respective. Si nous ne nous accordons pas sur des objectifs communs, nous en resterons otage. Si cela passe par l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, ce sera la meilleure manière de soumettre toutes les entreprises aux mêmes règles et de mettre fin au dumping .

M. André Reichardt . - Je suis à peu près d'accord sur tout avec Jean-Yves Leconte, sauf peut-être sur les visas.

Nous étions en Turquie le jour où l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a décidé la réouverture de la procédure de suivi : nous avons pu constater que cette décision déplaisait fortement...

Pour répondre à René Danesi, il est évident que nous avons du mal à donner une conclusion à notre rapport, parce que, comme l'a dit Michel Billout, nous assistons à une gigantesque partie de poker menteur. Si Erdogan organise demain un référendum sur la peine de mort, on ne pourra plus parler de l'avenir des relations entre l'Union européenne et la Turquie. Bien malin qui peut dire jusqu'où il ira.

J'étais de ceux qui pensaient qu'Erdogan était le problème, mais depuis que j'ai rencontré des membres de l'AKP, je ne le pense plus, car il me paraît finalement assez modéré. La situation est donc très complexe, c'est pour cela que j'ai indiqué qu'il ne s'agissait que d'un rapport d'étape.

La Turquie a d'énormes besoins pour faire face à la présence des réfugiés syriens. L'aide de l'Union européenne est donc essentiel et il faut reconnaître qu'elle est pour l'instant insuffisante. Les jeunes Syriens réfugiés ne sont que très insuffisamment scolarisés : c'est une véritable bombe à retardement.

Patricia Schillinger a évoqué la dégradation des relations entre les élus locaux français et les communautés turques. Il faut savoir que les plus actifs au sein de ces communautés sont les pro-Erdogan, parce que les autres se sont progressivement éloignés. Nous savons bien que les mosquées turques en France sont majoritairement dans la mouvance du ministère turc des affaires religieuses, le DITIB. Je note que, depuis le 1 er juillet, le Conseil français du culte musulman est présidé par un Turc.

Enfin, l'Union européenne doit rester fidèle à ses valeurs, mais elle doit aussi se montrer solidaire du peuple turc. Il ne faut pas rompre le dialogue avec le pouvoir en place - même si on ne sait pas très bien où il va - et surtout pas avec la société civile.

M. Jean Bizet , président . - Je remercie nos deux rapporteurs. Ce sujet est très délicat, nous devons rester attentifs, nous montrer proches du peuple turc qui souffre, tout en gardant les yeux grands ouverts.

*

À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

À PARIS :

- M. Ahmet Insel, professeur de droit et d'économie,

- Mme Claire Visier, maître de conférences,

- M. Berdan Özürk, député du HDP.

AU COURS DU DÉPLACEMENT EN TURQUIE DU 25 AU 28 AVRIL 2017 :

- M. Garo Paylan, député HDP d'Istanbul, Mme Ayse Berktay, membre HDP,

- Mme Aysegül Dogan, journaliste IMC TV,

- Mme Begüm Ba°da°, professeure à Boðaziçi et coordinatrice de campagnes pour Amnesty International, Mme Özlem Dalkýran, membre de Amnesty International, M. Veysel E°siz, membre du Centre des Droits des Réfugiés, M. Okyat Durukan, membre du Centre des Droits des Réfugiés,

- M. Bahadýr Kaleaðasý, secrétaire général de TÜSIAD,

- Mme Füsun Türkmen, professeure de Relations internationales à l'université de Galatasaray, Mme Gül Günver Turan, présidente du TURABDER, M. Erkut Emcioðlu, professeur à Okan Üniversitesi,

- Institut français d'études anatoliennes (IFEA) : M. Jean-François Pérouse, directeur de l'IFEA, Mme Elif Aksaz, AMiMo (programme Migrations et Mobilités), Mme Sümbül Kaya, IFEA (responsable du pôle contemporain) Mme Adélie Chevée, Université de Londres (Intellectuels de la révolution syrienne), Mme Solène Poyraz, Paris 1 (Scolarisation des enfants syriens), Mme Maysam Nimer (Intégration des jeunes syriens),

- Mme Buket Turkmen et Mme Tuðba Yýldýrým, professeures au département de sociologie l'université de Galatasaray, membres de « Academics for peace »,

- M. Mehmet Samsar, ambassadeur, directeur général des Affaires consulaires,

- M. Öztürk Yýlmaz, vice-président chargé des relations internationales du CHP, membre de la commission des Affaires étrangères de la grande Assemblée nationale de Turquie (GANT), député d'Ardahan et M. Niyazi Nefi Kara, membre de la commission d'harmonisation UE-Turquie, député d'Antalya (CHP),

- M. Erhan Usta, vice-président du groupe MHP de la GANT, député de Samsun,

- M. Mustafa Yeneroðlu, président de la commission d'enquête sur les droits de l'Homme et député d'Istanbul (AKP),

- M. Mustafa Hilmi Dülger, député de Kilis (AKP) et membre de la commission des affaires intérieures et de la commission sécurité et renseignement,

- Autorités françaises en Turquie : M. Charles Fries, ambassadeur, M. Bertrand Buchwalter, Consul général et M. Christophe Parisot, premier conseiller.


* 1 La Commission européenne pour la démocratie par le droit -- plus connue sous le nom de Commission de Venise, ville où elle se réunit - est un organe consultatif du Conseil de l'Europe sur les questions constitutionnelles.

* 2 Rapport n° 14282

* 3 Rapport d'information n° 38 (2016-2017).

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