Rapport d'information n° 606 (2016-2017) de M. Serge DASSAULT , fait au nom de la commission des finances, déposé le 4 juillet 2017

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N° 606

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juillet 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les risques financiers liés à la remontée des taux d' intérêt ,

Par M. Serge DASSAULT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Éblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Claude Nougein, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Les taux d'intérêt sont aujourd'hui très faibles en France, ce qui lui permet de s'endetter à bas coût , sans en sentir immédiatement les conséquences budgétaires. Les taux d'intérêt payés par l'État sur sa dette de court et de long terme ont ainsi diminué de façon quasi continue depuis dix ans. À titre d'illustration, le taux des titres d'État à long terme (10 ans) est passé de 4,07 % en 2007 à 0,88 % en mai 2017, soit une baisse de près de 80 %. Alors que le stock de dette a augmenté de 66 % entre 2008 et 2017 (soit un accroissement de 673 milliards d'euros), la charge de la dette a quant à elle baissé de 8 % (soit de 3,5 milliards d'euros au total) sur la même période.

Mais il n'est pas impossible que nous retrouvions des taux d'intérêt élevés rapidement, ce qui pourrait avoir des conséquences dramatiques.

Si le taux apparent de 2016 s'était maintenu au niveau de 2010, la charge d'intérêt de la dette souveraine française en 2016 aurait été supérieure de 19 milliards d'euros à son niveau réel ! Au total, la baisse des taux a permis à la France « d'économiser » près de 67 milliards d'euros depuis 2010, mais en continuant à s'endetter.

La faiblesse des taux d'intérêt, observée à des degrés divers dans presque tous les pays développés depuis 2010, est liée à des facteurs largement externes à l'action des pouvoirs publics français (politique monétaire accommodante de plusieurs banques centrales, fuite vers la qualité, baisse du cours des matières premières, croissance et inflation atones...). Elle ne peut pas être expliquée par la qualité de la politique budgétaire et fiscale française.

Bien au contraire, la France se caractérise par le maintien d'un déficit budgétaire important avec des prélèvements obligatoires extrêmement élevés pour financer une augmentation permanente des dépenses.

Ne nous faisons aucune illusion : les taux d'intérêt vont finir par remonter et la hausse pourrait intervenir dans un futur proche.

La France ne doit alors pas négliger le risque d'un mouvement de défiance des investisseurs, dont les stratégies sont avant tout opportunistes. Ceux-ci ont déjà, dans le passé, exprimé des inquiétudes, relatives tant à la solidité financière de notre pays qu'à la politique budgétaire et fiscale menée par les gouvernements précédents : la facilité de la dette permet une véritable fuite en avant.

La France n'est pas l'émetteur de référence de la zone euro et, comme les épisodes précédents de tensions sur le marché de la dette publique française l'ont démontré, elle se trouvera en première ligne dans le cas d'une nouvelle crise européenne ou nationale.

Certes, en cas de remontée des taux, l'effet sur la charge de la dette est partiellement différé dans la mesure où seule la dette émise chaque année (déficit budgétaire et amortissements d'emprunts arrivant à échéance) est touchée par les nouvelles conditions de taux.

Mais les émissions annuelles de l'État sont loin d'être négligeables : chaque année, la France émet environ 200 milliards d'euros de dette souveraine. Ainsi, une hausse de 3 % des taux d'intérêt entraînerait une augmentation de la charge de la dette de 18 milliards d'euros dès la troisième année suivant le choc. Pour éviter la cessation de paiement, voire la faillite, ces charges nouvelles devront être financées par des économies d'autant plus douloureuses qu'elles auront été repoussées et seront décidées dans l'urgence.

Alors que faire ? La seule façon de maîtriser notre dette et les risques qui lui sont liés serait de mener une politique de réduction des dépenses résolues. Mais non pas celle qui conduirait à réduire de nouveau les dotations des collectivités locales, et encore moins à supprimer des impôts locaux, comme cela est déjà envisagé par le gouvernement actuel. Cela déstabiliserait totalement le budget des collectivités territoriales.

Si le Gouvernement veut réduire les dépenses publiques, il devra nécessairement redéfinir le périmètre d'action de l'État Providence, dont le financement repose aujourd'hui sur l'emprunt. Il faudra aussi reconstruire un système fiscal plus simple et plus juste, notamment à travers une refonte totale de notre système fiscal sur le revenu à taux progressifs, par la mise en place d'un impôt simplifié à trois taux inspiré de la contribution sociale généralisée (CSG), se rapprochant d'une « flat tax » et payé par l'ensemble des contribuables - alors qu'aujourd'hui, le produit de l'impôt sur le revenu est acquitté par moins de la moitié des ménages français.

Ce système permettrait d'augmenter les recettes fiscales car il s'accompagnerait de la suppression d'un certain nombre de niches fiscales, devenues inutiles.

Ainsi, en simplifiant et en réduisant l'impôt sur le revenu de tous, l'État pourra enfin disposer de revenus suffisants pour réduire le déficit budgétaire, ce qui permettra de soustraire la France de la menace permanente d'un désastre financier.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Les taux d'intérêt sur la dette souveraine de la France ont atteint des niveaux exceptionnellement bas depuis plusieurs années, conduisant à réduire la charge de la dette malgré une augmentation de l'encours. Le Gouvernement du dernier quinquennat a donc pu profiter de la diminution du service de la dette pour augmenter ses dépenses de fonctionnement et de personnel ainsi que ses dépenses sociales tout en affichant, dans le même temps, une réduction du déficit budgétaire.

Cette baisse prolongée ne sera évidemment pas éternelle et, lorsqu'elle touchera à sa fin, elle fera mécaniquement repartir à la hausse le service de la dette. Dans le contexte budgétaire contraint et fragile qui est celui de la France, avec un taux de dépenses et de prélèvements obligatoires par rapport au PIB particulièrement élevé par rapport aux autres pays européens, toute déstabilisation du budget de l'État pourrait avoir des conséquences graves.

Comme le soulignait Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget de 2014 à 2017, dans un article paru en 2013 dans la Revue française de finances publiques, « le risque d'une mise sous tutelle financière de notre pays n'est pas théorique : la France a perdu son triple A en janvier 2012 et si les conditions d'emprunt dont elle bénéficie aujourd'hui sont privilégiées, celles-ci pourraient néanmoins se dégrader si les créanciers doutaient de sa capacité à rembourser » 1 ( * ) .

Le rapport vise donc à cerner les conséquences budgétaires, pour l'État, d'une remontée des taux d'intérêt , afin de la préparer au mieux et d'assurer la soutenabilité de la dette publique et la qualité de la signature de la France. Les risques ne sont évidemment pas les mêmes selon que la hausse serait due à une reprise de l'inflation, à un redémarrage de la croissance ou bien à un mouvement de défiance de la part des investisseurs. Ils dépendent également du rythme auquel les taux augmenteront : de façon progressive ou plus rapide.

Mais une constante se dégage des différents cas qui peuvent être présentés : le sérieux de la politique budgétaire et économique de la France est un facteur-clé pour assurer la soutenabilité de la dette et de la charge d'intérêts .

C'est dire l'importance d'une politique résolue de maîtrise des dépenses et d'allègement des prélèvements obligatoires, notamment grâce à une refonte de notre système fiscal autour d'un impôt sur le revenu des particuliers inspiré d'une « flat tax », comme la contribution sociale généralisée (CSG).

Seules des réformes ambitieuses et courageuses nous permettront de renouer avec la croissance et d'être capables de faire face aux chocs sur les taux d'intérêt qui ne manqueront pas, tôt ou tard, de survenir.

UN ENDETTEMENT RENDU INDOLORE PAR LA FAIBLESSE SANS PRÉCÉDENT DES TAUX D'INTÉRÊT SOUVERAINS

La France connaît, comme nombre d'autres pays, une situation inédite : les taux d'intérêt sont extrêmement faibles voire, pour certains émetteurs et certaines maturités, négatifs - ce qui signifie que le débiteur est payé pour s'endetter !

La réduction des taux d'intérêt en France ne résulte pas, bien au contraire, d'une amélioration de la signature française liée à la qualité de la politique budgétaire et fiscale. Elle s'explique avant tout par des facteurs économiques mondiaux et la politique monétaire accommodante menée par la Banque centrale européenne.

Elle permet à l'État de s'endetter sans en subir immédiatement les effets : ce caractère « anesthésiant » s'illustre ainsi dans le fait que le stock de dette a augmenté de 66 % entre 2008 et 2017 (soit un accroissement de 673 milliards d'euros) tandis que la charge de la dette a quant à elle baissé de 8 % (soit de 3,5 milliards d'euros au total) sur la même période.

1. Une diminution des taux d'intérêt très marquée pour l'ensemble des économies développées

Les taux d'intérêt qui s'appliquent à la dette souveraine émise par l'État sont aujourd'hui très bas . Comme le souligne un rapport de l'OCDE relatif à la dette souveraine des pays de l'OCDE, publié en 2016, « les taux d'intérêt [ sur la dette souveraine ] sont faibles par comparaison à de très nombreux points de référence historiques, à la fois en termes nominaux et réels. Ils sont faibles tant à court qu'à long terme et certains taux sont même négatifs » 2 ( * ) .

Ainsi, selon les données mensuelles de la Banque centrale européenne, les taux d'intérêt de long terme sur la dette publique française ont atteint un niveau plancher en août 2016 - ils s'élevaient alors à 0,15 % - et demeurent, depuis, à un niveau très inférieur aux taux constatés dans le passé . De 1993 à 2010, les taux d'intérêt de long terme sur la dette souveraine française (donnée mensuelle) s'élevaient en moyenne à 5,0 %. Depuis 2010, ils atteignent en moyenne 2,2 %, soit moins de la moitié.

Le constat est le même concernant la dette de court terme : les taux sont même devenus négatifs depuis l'année 2014.

Évolution du taux d'intérêt nominal sur la dette française souveraine
de long terme

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de la Banque de France)

Ce n'est certes pas la première fois que les taux d'intérêt sur la dette souveraine française connaissent une inflexion à la baisse, y compris en termes réels : une analyse sur longue période fait apparaître une diminution marquée du taux réel des emprunts souverains français à dix ans depuis le début des années 1990.

Évolution du taux d'intérêt nominal, du taux d'intérêt réel
et de l'inflation en France

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de la Banque de France et de l'Insee)

Cependant, comme le souligne la Banque des règlements internationaux dans son rapport annuel paru en 2016 3 ( * ) , la faiblesse actuelle des taux d'intérêt est inédite . Une analyse centrée sur la période la plus récente permet de voir que le mouvement marqué de baisse des taux d'intérêt débute, en France, en 2011 et se prolonge jusqu'à aujourd'hui.

Cette diminution des taux d'intérêt ne touche pas que la France : les autres pays de la zone euro et la plupart des émetteurs souverains dont la signature est jugée de bonne qualité ont connu une évolution similaire à la baisse - même si elle est, dans certains cas, de moindre ampleur. Ainsi, d'après le rapport annuel 2015-2016 de la Banque des règlements internationaux 4 ( * ) , à la fin du mois de mai 2016, environ 8 billions (milliards de milliards) de dollars de dette souveraine à long terme a été échangée à des taux d'intérêt moyens négatifs au niveau mondial . La réduction des taux d'intérêt touche tant l'Europe que les États-Unis ou le Japon.

Évolution des taux d'intérêt de six pays de l'OCDE depuis 1991

(en %)

Source : OCDE (2016)

Cette réduction des taux d'intérêt n'est pas non plus propre aux émetteurs souverains . En effet, les entreprises du secteur privé s'endettent elles aussi à des taux très faibles : ainsi, l'entreprise pharmaceutique Sanofi a emprunté à taux négatif en septembre 2016 5 ( * ) . Les ménages connaissent aussi un environnement de taux bas, qui a d'ailleurs eu des conséquences sur le marché immobilier.

Le fait que la baisse des taux concerne de nombreux pays et différents secteurs de l'économie témoigne du fait qu'elle n'est pas liée à la qualité de la politique budgétaire et économique mise en oeuvre par la France depuis plusieurs années. En d'autres termes, les principaux facteurs explicatifs de la diminution des taux d'intérêt sur la dette souveraine sont largement extérieurs à l'action des pouvoirs publics français .

2. Une baisse qui ne résulte pas, bien au contraire, de la politique budgétaire française

De nombreux facteurs interagissent pour conduire au contexte actuel de faibles taux d'intérêt .

Il faut d'abord noter que la diminution des taux d'intérêt observée depuis le début des années 1990 s'explique pour partie, en Europe, par la mise en place de la monnaie unique européenne : les dix premières années d'existence de l'euro ont vu un alignement à la baisse des taux d'intérêt souverains de la quasi-totalité des pays de la zone . La convergence des taux d'intérêt souverains à long terme faisait d'ailleurs partie des critères dits de Maastricht devant favoriser la coordination des politiques budgétaires et fiscales des différents États membres afin d'assurer la cohérence de la zone monétaire.

Un premier ajustement des taux à la hausse a suivi la faillite de la banque américaine Lehman Brothers en septembre 2008. Après une brève amélioration, la crise des dettes souveraines a débuté à la fin de l'année 2009 avec l'annonce, par le Premier ministre grec Georges Papandreou, de graves problèmes financiers touchant la Grèce dont le déficit public s'avérait deux fois plus important que les estimations initiales.

La perception du risque souverain des pays de la zone euro par les investisseurs a connu à partir de la fin de l'année 2009 un renversement brutal , conduisant à une hausse importante et soudaine de l'écart de taux entre les pays jugés fragiles et l'Allemagne, l'émetteur de référence de la zone euro. La crise s'est accentuée et étendue en 2011 et 2012. La note de la France a été abaissée une première fois en janvier 2012 (par l'agence Standard & Poor's ), puis une deuxième fois en novembre 2013 (par la même agence, suivie par les autres agences de notation en 2014 puis en 2015). Au total, la note de notre pays est passée de AAA (la meilleure note possible) à AA.

La crise des dettes souveraines a peu à peu été maîtrisée , notamment en raison de la politique monétaire non conventionnelle de la Banque centrale européenne qui a mis en place des programmes de rachats d'actifs dès la fin de l'année 2014 (voir encadré ci-après), de l'absence de réalisation de certains risques anticipés par les investisseurs (comme la sortie d'un État de la zone euro) et d'un renforcement des procédures de suivi de la politique budgétaire et fiscale des États membres.

À la hausse des taux d'intérêt sur les titres souverains européens en 2010-2013 a succédé une baisse marquée , dont les facteurs d'explication sont multiples.

Tout d'abord, les fondamentaux économiques de la zone euro sont restés pendant plusieurs années au point mort . L'inflation a décru depuis 2011 jusqu'en 2015 dans les principales économies de la zone euro et certains pays, comme la Grèce ou l'Espagne, ont même connu des épisodes de déflation.

Sur le plus long terme, comme l'explique l'Agence France Trésor dans sa réponse au questionnaire du rapporteur spécial, « le meilleur contrôle de l'inflation [...] résulte de multiples facteurs, souvent structurels (évolution démographique, réformes ayant eu pour effet de réduire les mécanismes d'indexation automatique, ouverture des marchés et intensification de la concurrence, enfin l'insertion dans le commerce international de pays à faible coût de production) sans oublier l'émergence de banques centrales plus indépendantes et qui ont graduellement fait de la maitrise de l'inflation leur objectif principal ».

Cette tendance à la baisse a été renforcée par l'évolution du cours du pétrole qui a lui aussi connu une chute significative à partir de 2014 , ce qui peut s'expliquer à la fois par le ralentissement de la croissance chinoise et des pays émergents, le développement de la production non conventionnelle de pétrole et la stratégie des pays producteurs de l'OPEP. En France, le taux d'inflation calculé par Eurostat devrait s'élever à 0,3 % en 2016. La croissance est également restée faible et devrait s'élever, au sein de la zone euro, à 1,8 % en 2016.

En outre, face au risque de déflation, la Banque centrale européenne est allée plus loin que le seul abaissement de ses taux directeurs et elle a choisi de mettre en place une politique monétaire dite « non conventionnelle » de soutien à l'activité au sein de la zone euro . La BCE rachète des titres de dette privée et publique afin de soutenir les marchés financiers et d'assurer que les acteurs de l'économie disposent de liquidités suffisantes pour permettre un redémarrage de l'investissement et de la consommation.

Ces achats massifs - la BCE a déjà consacré plus de 1 800 milliards d'euros à son programme d'assouplissement quantitatif - contribuent à faire baisser les taux car ils augmentent la demande de titres de dette souveraine.

Le programme d'achat d'actifs de la Banque centrale européenne

Le programme d'achats d'actifs de la BCE ( Asset Purchase Programme ou APP) est composé de quatre volets :

- un programme d'achats d'obligations sécurisées ( Covered bond purchase programme 3 ou CBPP3), mis oeuvre depuis le 15 octobre 2014, tendant à faciliter le fonctionnement du marché monétaire européen ;

- un programme d'achats de titres adossés à des actifs ( Asset Backed Securities ou ABS) lancé le 21 novembre 2014 visant à aider les banques à diversifier leurs sources de financement et à stimuler le crédit privé ;

- un programme d'achats d'obligations privées ( Corporate Sector Purchase Programme ou CSPP) existant depuis le 8 juin 2016 afin d'apporter un soutien plus direct au financement des entreprises ;

- et un programme d'achats de titres publics ( Public Sector Purchase Programme ou PSPP) lancé le 9 mars 2015.

Les achats de titres publics et privés s'élèvent à environ 60 milliards d'euros par mois depuis avril 2017 (ils atteignaient également 60 milliards d'euros de 2014 à avril 2016 et 80 milliards d'euros d'avril 2016 à avril 2017). Au total, la BCE avait procédé, à la fin du mois d'avril 2017, à l'achat de titres pour 1 834,4 milliards d'euros, dont plus de 80 % de titres publics .

Le programme d'achats de titres publics recouvre à la fois des titres souverains, des titres publics émis par des administrations nationales locales et sociales (par exemple, en France, la Cades, l'Agence France Locale, ou encore la Sfil sont éligibles au PSPP) et des titres émis par des entités supranationales (par exemple la Banque européenne d'investissement). La BCE procède à environ 20 % des achats ; le reste est effectué par les banques centrales nationales.

Les titres publics doivent tous respecter plusieurs critères pour être éligibles au programme d'achats de l'Eurosystème (qui comprend la BCE et les banques centrales nationales) : leur maturité résiduelle doit être comprise entre 2 et 30 ans (pas de titres de court terme ni de très long terme) et l'Eurosystème ne peut pas détenir plus de 33 % d'une ligne obligataire émise par une autorité nationale (50 % dans le cas d'une autorité supranationale).

En ce qui concerne la dette souveraine , la répartition des achats entre les États membres de la zone euro est, en principe, proportionnelle à la participation de chaque État au capital de la BCE (soit environ 26 % pour l'Allemagne, 21 % pour la France, 18 % pour l'Italie...).

En réalité, les volumes d'achats sont adaptés selon le contexte financier et la France est surreprésentée par rapport à sa part dans le capital : 21,5 % des titres souverains achetés dans le cadre du PSPP sont français, soit une déformation de 2,4 points au regard de la répartition théorique. Les autres pays faisant l'objet d'achats plus importants que prévu sont l'Italie (+ 2 points) et, de façon beaucoup moins marquée, l'Espagne (+ 0,6 point), la Belgique (+ 0,4 point), l'Autriche (+ 0,3 point) et les Pays-Bas (+ 0,2 point).

Source : commission des finances du Sénat

Les taux d'intérêt européens ont également probablement été influencés par la situation outre-Atlantique : la Réserve fédérale américaine avait mis en oeuvre une politique d'assouplissement quantitatif dès 2008 et a procédé dans ce cadre à l'achat de titres privés et publics pour plus de 3 500 milliards de dollars (soit environ 3 220 milliards d'euros), tout en abaissant simultanément ses taux directeurs à des niveaux proches de zéro.

Les obligations souveraines auraient également bénéficié de la constitution d'importantes réserves de change dans les pays émergents , en particulier asiatiques 6 ( * ) .

Doit également être pris en compte, du côté des investisseurs privés, le phénomène de « fuite vers la qualité » : dans un contexte économique mondial fragile et parfois tangent, les acheteurs tendent à se reporter vers des actifs jugés sûrs - c'est-à-dire émis par des débiteurs solvables - et liquides. Or la France est l'un des principaux émetteurs de la zone euro et sa stratégie d'émission vise à garantir la liquidité de chacun des points de la courbe des taux. Au surplus, l'émetteur souverain français bénéficie encore d'une notation de bon niveau (AA). Sa dette est donc perçue comme sûre et liquide. Dans la mesure où elle est un peu mieux rémunérée (donc moins chère) que la dette souveraine allemande, la dette de l'État français est donc encore attractive pour de nombreux investisseurs.

Enfin, les nouvelles règles pesant sur les établissements financiers et les assureurs suite à la crise de 2008 jouent également un rôle : elles contraignent ces acteurs économiques à détenir des actifs jugés « sûrs » en proportion accrue par rapport à la situation antérieure à la mise en place de ces régulations. Or les titres de dette souveraine sont définis comme plus sûrs que les obligations privées : les acteurs financiers n'ont donc d'autre choix que de procéder à des achats importants de titres souverains afin de respecter les ratios des accords de Bâle. Cela ne va d'ailleurs pas sans créer des interrogations quant à la soutenabilité d'un tel modèle et au traitement prudentiel du risque souverain , qualifié par certains analystes de « boîte de Pandore » 7 ( * ) au regard de règles qui paraissent pour l'heure particulièrement avantageuses et dont la remise en cause est malaisée pour des raisons à la fois économiques (pression supplémentaire sur les établissements financiers) et politiques 8 ( * ) .

Au total, la baisse des taux d'intérêt n'est pas liée au redressement de la situation économique française et à l'amélioration de la signature de l'État , mais bien à l'interaction de nombreux facteurs qui pourraient, d'un jour à l'autre, se retourner et provoquer une hausse.

3. Une situation qui permet à l'État de s'endetter sans en subir immédiatement la charge budgétaire

La faiblesse des taux d'intérêt à l'émission permet de réduire la charge de la dette pesant sur le budget de l'État, malgré une augmentation du stock de dette . Comme le montre le graphique ci-dessous, alors que le stock de dette a augmenté de 66 % entre 2008 et 2017 (soit un accroissement de 673 milliards d'euros), la charge de la dette a quant à elle baissé de 8 % (soit de 3,5 milliards d'euros au total) sur la même période.

Évolution comparée de l'encours et de la charge de la dette
souveraine française depuis 2008

(en milliards d'euros)

Note de lecture : l'encours se lit par rapport à l'échelle de gauche, la charge sur celle de droit. Les chiffres indiqués pour l'année 2017 sont prévisionnels.

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données des projets et rapports annuels de performances de la mission « Engagements financiers de l'État »)

Ainsi, le taux apparent (ou implicite) 9 ( * ) de la dette de l'État est passé de 6 % en 2000 à 2 % en 2016 . Si le taux apparent de 2016 s'était maintenu au niveau de 2010, la charge d'intérêt de la dette souveraine française aurait été supérieure de 19 milliards d'euros à son niveau actuel ! Au total, la baisse des taux a permis à la France d'économiser près de 67 milliards d'euros depuis 2010 .

UN RISQUE RÉEL POUR LE BUDGET DE L'ÉTAT EN CAS DE REMONTÉE DES TAUX

La baisse des taux d'intérêt constitue, pour la France, un véritable cadeau empoisonné : elle permet à l'État de s'endetter dans des proportions considérables sans pour autant devoir payer des sommes plus importantes à ses créanciers. Le Gouvernement du dernier quinquennat a donc pu profiter de la diminution du service de la dette pour augmenter ses dépenses de fonctionnement et de personnel ainsi que ses dépenses sociales tout en affichant, dans le même temps, une réduction - quoique très modérée - du déficit budgétaire.

Cependant, la remontée des taux est inévitable et le renouvellement de la dette de l'État, qui refinance chaque année une partie de l'encours, conduira à une augmentation marquée de la charge de la dette .

Sa soutenabilité dépendra de la situation économique du pays, mais aussi et surtout du sérieux de la politique budgétaire et fiscale menée par le Gouvernement : la seule façon de maîtriser notre dette et les risques qui lui sont liés est de mener une politique de réduction des dépenses résolue, associée à une refonte totale de notre système fiscal , à travers la mise en place d'un impôt inspiré d'une taxe à taux unique (« flat tax »), sur le modèle de la contribution sociale généralisée, pour simplifier l'impôt sur le revenu et sécuriser les recettes du budget de l'État sans pour autant asphyxier l'économie.

1. Au niveau mondial, une hausse des taux d'intérêt inéluctable bien que difficile à prévoir

Il est très probable que les taux d'intérêt sur la dette souveraine des États membres de la zone euro vont croître dans les années à venir, pour deux séries de raisons.

D'une part, les différents facteurs qui ont conduit à la baisse des taux vont progressivement s'estomper : il est probable que la croissance et l'inflation en zone euro repartent à la hausse en 2017. La BCE a indiqué qu'elle poursuivrait sa politique monétaire accommodante jusqu'en décembre 2017, mais qu'elle réduirait son programme de rachats de 80 milliards à 60 milliards d'euros à partir d'avril 2017 : il est donc possible qu'en cas de reprise de l'activité et de l'inflation, elle engage elle aussi une décélération plus marquée de son programme de rachats de titres et qu'elle relève ses taux directeurs à partir de 2018. La Réserve fédérale américaine a déjà mis fin à son programme de rachat d'actifs en 2014 et procédé, depuis 2015, à plusieurs hausses de son taux directeur 10 ( * ) . Ce mouvement de réévaluation devrait se poursuivre en 2017 11 ( * ) . Enfin, en cas de consolidation de la croissance mondiale, il ne serait pas surprenant que le phénomène de fuite vers la qualité soit moins aigu.

D'autre part, il est à craindre que la prime de risque demandée par les acheteurs sur la dette souveraine des États membres de la zone euro ne connaisse une hausse liée aux incertitudes politiques récurrentes qui agitent les États membres. Bien que les résultats de l'élection présidentielle française aient permis un relâchement temporaire de la tension sur les marchés financiers, de nombreuses autres échéances à venir sont de nature à déstabiliser les marchés de la dette souveraine, en particulier les élections en Italie dont le secteur bancaire est particulièrement fragile ou les discussions autour du programme d'aide à la Grèce.

Le risque politique est désormais une composante essentielle des anticipations des investisseurs , comme en témoignent les tensions sur les taux d'intérêt et la hausse du spread de taux entre la France et l'Allemagne consécutives à l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis d'Amérique à la fin de l'année 2016 et des incertitudes entourant la campagne électorale présidentielle française à partir de la fin du mois de janvier 2017 : en février 2017, la prime de risque sur les titres souverains français s'est rapprochée de celle constatée lors de la crise des dettes souveraines (78 points de base en février 2017, contre 90 en 2011).

2. Le risque d'un ajustement à la hausse très rapide des taux d'intérêt

En outre, les taux d'intérêt pourraient croître très rapidement si les investisseurs venaient à considérer que la situation financière de la France est trop dégradée et met en jeu sa solvabilité ou que la crédibilité de la zone euro est remise en cause.

Les risques les plus graves sont ceux liés à une hausse très abrupte, qui pourrait résulter d'un mouvement de panique sur les marchés en lien avec la réalisation d'un risque politique comme la sortie d'un État de la zone euro.

La France n'est pas l'émetteur de référence de la zone euro et, en cas de tensions sur les marchés financiers, elle subit beaucoup plus durement que l'Allemagne une hausse de sa prime de risque. Ainsi, alors que l'écart entre le taux allemand et le taux français sur la dette souveraine à long terme était quasiment nul entre octobre 1996 et avril 2007, il a beaucoup crû depuis la crise financière et n'est jamais revenu à son niveau précédant la crise .

Évolution du taux d'intérêt sur la dette souveraine à long terme de la France
et de l'Allemagne depuis 1993

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de la Banque centrale européenne)

Lors de la crise des dettes souveraines, si la France n'était pas aussi touchée que la Grèce, l'Italie, l'Espagne, l'Irlande et le Portugal, les analyses présentées dans un article de la Banque centrale européenne de mai 2014 12 ( * ) permettent de montrer qu'elle ne se situait clairement pas non plus dans le groupe des pays les plus solides (Allemagne, Finlande, Pays-Bas, Autriche). Même si elle a pour partie bénéficié du phénomène de « fuite vers la qualité », la France constituait en réalité, avec la Belgique, une sorte de groupe « intermédiaire » dont la situation n'était pas aussi grave que celle des pays les plus en difficulté mais qui se distinguait nettement, par le niveau de la prime de risque demandée par les investisseurs, des émetteurs les plus stables. Dans les premières années de la crise, la France était bien plus touchée par la contagion financière des déséquilibres constatés dans d'autres pays qu'elle ne bénéficiait du phénomène de fuite vers la liquidité . Certains analystes 13 ( * ) ont même avancé l'idée que la France ne faisait plus partie des pays du « coeur » de la zone euro, censément les plus sûrs et les plus solides d'un point de vue financier, par opposition à ceux de la « périphérie ».

Si la maîtrise de la crise des dettes souveraines a permis à la France de retrouver aujourd'hui un faible écart de taux avec l'Allemagne, sa fragilité face à un mouvement de défiance des investisseurs ne doit pas être sous-estimée , comme l'a montré le début d'année 2017 qui a vu cet écart augmenter dans des proportions importantes en raison des incertitudes relatives à l'élection présidentielle française - et ce malgré le renforcement des règles européennes en matière de suivi des finances publiques des États membres et des tentatives de coordination des politiques d'émission nationales, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) de 2012, entré en vigueur en 2013, prévoyant ainsi à son article 6 que les États contractants informent à l'avance le Conseil et la Commission de leurs plans d'émission de dette publique, afin de prévenir les situations de concomitance d'émissions susceptibles de provoquer des tensions sur les marchés.

Une baisse de la note attribuée à la France par les agences de notation pourrait entraîner des conséquences catastrophiques en poussant les investisseurs à demander une prime de risque plus élevée - ces difficultés ne concerneraient pas seulement l'État mais aussi l'ensemble des acteurs publics dans la mesure où la notation des acteurs sociaux et locaux est calculée par référence à celle de l'État central.

Le risque paraît d'autant plus important que la politique budgétaire et fiscale de la France demeure, pour l'heure, marquée par un manque d'ambition et de réformes structurelles . Tout l'édifice de la dette repose sur la confiance, la France ne doit pas l'oublier . Les investisseurs nous accordent encore la leur, poussés par un environnement de politique monétaire exceptionnel et par des régulations bancaires forçant les acteurs financiers à détenir beaucoup de titres souverains - mais il est à craindre qu'ils revoient la prime de risque à la hausse si la France ne donne pas rapidement des gages sérieux en matière budgétaire et fiscale et ne parvient pas à relancer la croissance.

En outre, à cette incertitude au niveau national s'ajoute une inconnue liée à la situation internationale . En effet, les raisons pour lesquelles les taux d'intérêt sur la dette souveraine atteignent des niveaux historiquement bas ne sont pas encore totalement identifiées. Les différents facteurs présentés supra induisent sans conteste une pression à la baisse sur les taux d'intérêt de la dette souveraine des pays dont la dette est jugée sûre, mais la tendance à la baisse des taux d'intérêt observée depuis les années 1990 reste assez mal expliquée . Plusieurs hypothèses ont été avancées, dont la plus médiatique est sans doute celle de l'excès d'épargne (« saving glut ») mais les analyses économétriques ne sont pas encore concluantes.

Comme le souligne la Banque des règlements internationaux dans son rapport précité, « si, pour quelque raison que ce soit, les taux d'intérêt obligataires sont « trop faibles « , ils pourraient rebondir dès lors que les anticipations de marché connaîtraient un ajustement . L'ampleur d'un tel renversement du marché et la perturbation qu'il pourrait causer sont moins liés aux caractéristiques des provisions de liquidité à court terme qu'aux conséquences des ventes forcées et à la capacité des institutions financières à absorber le choc » 14 ( * ) .

Cette analyse invite donc à la plus grande prudence concernant l'évolution future des marchés financiers : en l'absence de compréhension fine des phénomènes qui ont provoqué la réduction des taux d'intérêt, il est difficile de prévoir combien de temps ceux-ci continueront de se maintenir à un faible niveau et l'hypothèse d'une hausse des taux d'intérêt très rapide et de grande ampleur n'est pas à exclure .

3. Une augmentation inévitable du service de la dette

La hausse des taux d'intérêt va mécaniquement provoquer un renchérissement de la charge d'intérêt . Son ampleur dépend, outre du volume de dette, de la structure de l'encours de dette par maturité et par type de taux (fixe ou variable).

L'augmentation de la charge de la dette de l'État sera ainsi différée dans la mesure où l'État ne renouvelle pas l'intégralité de son stock de dette chaque année et s'endette majoritairement à taux fixe (environ 10 % de l'encours est indexé sur l'inflation). Les pleins effets de la hausse des taux mettront donc plusieurs années à se traduire dans le budget général de l'État, d'autant plus que l'Agence France Trésor a fait le choix d'un allongement de la maturité moyenne de la dette de l'État à travers la réduction du stock de titres de court terme (BTF) et l'augmentation de la durée de vie des titres de moyen et long terme à l'émission (OAT). Ainsi, la maturité moyenne résiduelle de la dette souveraine française est de 7,6 années en 2016, contre 6,9 années en 2009. La hausse de la durée de vie de la dette permet ainsi de réduire le risque pesant sur les finances publiques en cas de remontée des taux, dans la mesure où le renouvellement de la dette est plus lent.

Ainsi, comme le montre le tableau ci-après résumant une simulation effectuée par la commission des finances du Sénat 15 ( * ) , un choc de taux de 100 points de base (1 accompagné d'une dégradation du déficit budgétaire se traduirait, la première année, par un surcroît de charge budgétaire limité à un peu plus de 2 milliards d'euros, mais ce montant croîtrait fortement pour atteindre 10 milliards d'euros dès la cinquième année suivant le choc et s'élèverait à 19 milliards d'euros dix ans plus tard.

Impact d'une hausse des taux d'intérêt sur la charge de la dette de l'État,
en fonction de l'évolution du déficit budgétaire

(en milliards d'euros)

Évolution des taux d'intérêt

Évolution du déficit budgétaire

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

2026

Cumul 2017-2026

+ 100 points de base (1 pp) en début de période

Amélioration de 5 % chaque année

2,1

4,6

6,7

8,7

10,3

11,7

12,9

13,9

14,9

15,8

101,6

Dégradation de 5 % chaque année

2,1

4,6

6,8

9,0

10,9

12,6

14,2

15,6

17,2

18,7

111,7

+ 200 points de base (2 pp)

en début de période

Amélioration de 5 % chaque année

4,2

9,2

13,4

17,4

20,6

23,4

25,8

27,8

29,8

31,6

203,2

Dégradation de 5 % chaque année

4,3

9,3

13,7

17,9

21,3

24,6

27,8

30,8

34,0

37,2

220,9

Note de lecture : la charge d'intérêt résultant de la hausse des taux est répartie sur toute la durée de vie des titres émis.

Source : commission des finances du Sénat

Afin de mettre en perspective ces montants, il peut être utile de les comparer au budget annuel des politiques régaliennes de l'État. Ainsi, le budget annuel de la justice s'élève, d'après la budgétisation initiale pour 2017, à 8,5 milliards d'euros en crédits de paiement. Le budget de la police nationale et de la gendarmerie est inférieur à 19 milliards d'euros et 40 milliards d'euros sont prévus au titre de la Défense.

En d'autres termes, un choc de taux de 1 point de pourcentage en 2017 accompagné d'une dégradation modérée du déficit budgétaire donnerait lieu à un surcroît d'intérêts supérieur au budget de la justice dès 2019 et dépassant le budget de la police et de la gendarmerie dès 2021. Dix ans après le choc, la charge d'intérêts aurait augmenté d'un montant proche de celui du budget consacré à l'armée française toute entière !

Encore ne s'agit-il que de chiffres annuels, et non de l'impact cumulé sur plusieurs années : même dans le cas le plus favorable (choc de taux de 1 point de pourcentage, amélioration du déficit budgétaire), l'augmentation de la charge de la dette cumulée pendant dix ans dépasse cent milliards d'euros. Dans le cas le plus défavorable, il atteint 221 milliards d'euros, soit plus de 10 % du PIB de la France en 2016.

Il faut également avoir à l'esprit que le caractère différé de la hausse sera limité par le décaissement de décotes à l'émission : l'État émettant des titres sur des souches « anciennes », dont le taux ne correspond pas à celui du marché, il encaisse (dans le cas de primes) ou verse (lorsqu'il s'agit de décotes) des sommes destinées à compenser l'écart entre le taux « facial » du titre et le taux du marché (voir l'annexe du présent rapport). À titre d'exemple, l'État avait dû verser 2,2 milliards d'euros en 2008 (décotes nettes des primes). Depuis lors, il a bénéficié de primes en raison de la diminution marquée des taux d'intérêt.

Ces décotes ne sont pas prises en compte dans les simulations proposées par l'Agence France Trésor ou la commission des finances du Sénat , car la proportion de titres émis sur souches anciennes dépend fortement de la demande du marché et est donc difficile à anticiper.

Cependant, elles ne sauraient être nulles et alourdiront, en comptabilité budgétaire, la charge pesant sur l'État l'année d'émission du titre 16 ( * ) .

En outre, une hausse des taux peut aussi se traduire par une accélération de la croissance de l'encours de dette publique , ce qui dégraderait la trajectoire d'endettement public en France et contribuerait à son tour à l'augmentation de la charge de la dette : comme le souligne la Commission européenne dans un rapport de février 2017, « toutes choses restant égales par ailleurs, une hausse de 1 [point de pourcentage] du taux d'intérêt appliqué aux obligations nouvellement émises et à la dette refinancée ferait croître le ratio de la dette publique [française] au PIB de 6 points de pourcentage (équivalant à quelque 190 milliards d'euros) d'ici à 2027 par rapport à la projection de référence » 17 ( * ) .

4. Pour assurer la soutenabilité de la dette, l'urgence d'une consolidation budgétaire

Au-delà du montant de l'augmentation de la charge de la dette qui résultera d'une hausse des taux d'intérêt, c'est donc sa soutenabilité qu'il s'agit d'évaluer.

Celle-ci dépendra, pour une part, des facteurs sous-jacents de la hausse : ainsi, une augmentation des taux d'intérêt liée à une reprise de la croissance et de l'inflation serait, toutes choses égales par ailleurs, moins problématique qu'une hausse résultant uniquement de celle de la prime de terme puisqu'elle devrait s'accompagner d'un surcroît de recettes fiscales et d'une diminution de certaines dépenses (en particulier les prestations sociales) permettant de compenser tout ou partie de la hausse de la charge d'intérêts.

Cependant, la soutenabilité de l'augmentation de la charge de la dette ne sera pas seulement fonction des facteurs sous-tendant la hausse : pour une part essentielle, elle reposera aussi sur la politique budgétaire et fiscale mise en oeuvre par le Gouvernement .

Ainsi, même dans le scénario optimiste où la hausse résulterait d'une reprise de la croissance et s'accompagnerait donc d'une augmentation des recettes du budget de l'État, la hausse des dépenses ne sera inférieure à celle des recettes qu'à la condition que le Gouvernement ne profite pas de ce desserrement de la contrainte budgétaire pour créer de nouvelles dépenses d'intervention ou recruter encore davantage de fonctionnaires. Il faudra donc que le Gouvernement mette en oeuvre une politique résolue de maîtrise des dépenses .

La refonte de notre système fiscal constituera également un passage obligé pour assurer la soutenabilité de nos finances publiques . Ainsi, la rationalisation du barème de l'impôt sur le revenu autour de quelques taux et quelques tranches, selon un modèle inspiré par une taxe à taux unique (« flat tax »), permettrait d'alléger la pression fiscale et de simplifier le système complexe et illisible qui existe aujourd'hui . Cette rationalisation pourrait s'accompagner de la suppression d'une partie des dépenses fiscales, souvent créées pour atténuer l'impact de taux trop élevés.

En l'absence d'une politique de consolidation budgétaire, la hausse de la charge de la dette résultant de la hausse des taux d'intérêt pourrait vite atteindre des proportions incontrôlables. Cet enjeu conditionne donc la viabilité de nos finances publiques .

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 4 juillet 2017, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication de M. Serge Dassault, rapporteur spécial, sur les risques financiers liés à la remontée des taux d'intérêt .

M. Serge Dassault , rapporteur spécial . - Ce rapport a bien sûr été préparé avant la déclaration de politique générale du Premier ministre devant l'Assemblée nationale. Permettez-moi de dire que j'ai été déçu : de nombreuses annonces sont faites, mais personne n'indique comment elles seront financées ! Ce n'est certes pas nouveau, mais on aurait pu espérer mieux...

Le seul élément que je retiens de cette déclaration, c'est l'affirmation selon laquelle nous dansons sur un voælcan. Je suis entièrement d'accord : à cause du risque permanent d'augmentation des taux d'intérêt, nous sommes en permanence sous la menace d'une grave crise de nos finances publiques. Le report de la réforme de l'impôt sur la fortune (ISF) est regrettable : cet impôt - qui rapporte peu - est antiéconomique et fait partir les investisseurs français et étrangers. Repousser cette réforme pour économiser quelques milliards me paraît incompréhensible : n'y a-t-il pas d'autres mesures à envisager qui permettraient de limiter nos dépenses, en particulier concernant les dépenses d'intervention de l'État comme le RSA ?

La France est dans une situation économique et financière catastrophique : notre dette atteint 2 220 milliards d'euros, qui s'accroit chaque année en raison de notre déficit budgétaire. Nous empruntons chaque année 200 milliards d'euros par an, pour financer le déficit et les échéances de nos emprunts. Je vous rappelle que, pour les entreprises, il est interdit d'emprunter pour rembourser les intérêts de prêts contractés dans le passé : cela s'appelle de la cavalerie et mène droit à la faillite.

La fiscalité est trop élevée et démotivante, les charges sur les salaires trop lourdes et la durée du travail non compétitive, ce qui entraine une faible croissance, un chômage récurrent et aggravent notre déficit.

Les taux d'intérêt, aujourd'hui encore très faibles à moins de 1 %, permettent à la France de s'endetter à faible coût, sans en sentir immédiatement les conséquences budgétaires. La charge de la dette annuelle, une dépense incompressible, s'élève à 42 milliards d'euros en 2017 : c'est donc un des budgets les plus importants de l'État.

Une augmentation des taux d'intérêts nous obligera à emprunter chaque année une somme encore plus élevée et conduira à faire croître la charge de la dette. Si cette situation perdure, elle fragilisera les finances publiques françaises et aggravera d'autant le déficit budgétaire. Bruxelles observe d'ailleurs la France avec inquiétude...

Il faut rappeler que la faiblesse des taux d'intérêt observée aujourd'hui n'est pas liée à l'action de nos précédents gouvernements qui ont tous mené une politique budgétaire déséquilibrée avec des dépenses excédant largement les recettes. Le déficit budgétaire pour 2017 présente d'ailleurs, comme la Cour des comptes l'a montré, un fort risque de dépasser 3 % du PIB.

Pire, ils ont pris de grands risques avec un État providence qui nous ruine. Nous n'avons plus les ressources fiscales nécessaires pour financer les dépenses de fonctionnement et d'intervention.

L'emprunt n'est pas un puits de pétrole inépuisable où l'on peut se servir quand on en a besoin. Le puits sera rapidement vide dès que les investisseurs, avant tout opportunistes, n'auront plus confiance dans la qualité de la signature de la France et que les taux remonteront. Ils ont déjà exprimé des incertitudes. La situation est très grave.

Par exemple, dans le cas d'une augmentation de taux de 2 points de pourcentage, l'augmentation de la charge de la dette dépasserait 9 milliards d'euros dès la deuxième année et s'élèverait à plus de 21 milliards d'euros dans cinq ans. Elle passerait de 42 milliards à 63 milliards !

Alors, que faire ?

La seule façon de réduire notre déficit budgétaire et les risques qui lui sont liés serait de changer totalement notre fiscalité en s'inspirant du système de « flat tax », c'est-à-dire de taxe à taux unique le plus vite possible.

Si le nouveau gouvernement conserve la fiscalité actuelle, qui bloque toute possibilité de croissance, alors le déficit budgétaire ne diminuera pas et les risques liés à l'augmentation des taux d'intérêts seront très importants.

En appliquant trois taux constants, faibles, sur l'assiette de la contribution sociale généralisée (CSG), suivant le niveau de revenus, on supprimerait totalement l'impôt sur le revenu actuel, avec une partie de ses niches. Le taux serait nul pour les plus faibles revenus. Le taux maximal s'élèverait à 25 %. Cela augmenterait le pouvoir d'achat de nombreux ménages, leur permettant d'investir davantage dans l'économie et donc de soutenir la croissance.

En élargissant l'assiette et en baissant les taux, on se rapproche de certaines recommandations du Premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, concernant le rapprochement de l'impôt sur le revenu et de la CSG.

Ainsi, au lieu d'avoir une fiscalité excessive et paralysante qui oblige l'État à créer des niches fiscales toujours plus nombreuses, qui atteignent aujourd'hui 90 milliards d'euros, tous les contribuables disposeront de moyen financiers pour satisfaire leurs besoins et l'État bénéficiera de revenus supplémentaires.

Grâce à la suppression des niches fiscales, le gouvernement pourra ramener les impôts sur les bénéfices des entreprises, sur les dividendes et les plus-values à 20 %, ce qui contribuera aussi au développement de l'économie.

L'État pourrait également obtenir des recettes supplémentaires en vendant les participations qu'il détient dans un certain nombre de sociétés privées. Ces participations atteignent près de 100 milliards et elles ne sont pas, pour la plupart, pertinentes.

En suivant ces quelques pistes, le Président de la République pourrait disposer, pour le budget 2018, de recettes supplémentaires lui permettant de réduire les impôts et de cesser la baisse des dotations aux collectivités territoriales, enclenchant un cycle vertueux de reprise de la croissance. À cet égard, la suppression de la taxe d'habitation est une très mauvaise idée : elle priverait les collectivités locales de ressources indispensables à leur bon fonctionnement.

Ce sont des propositions que je porte depuis longtemps et j'espère que le nouveau Gouvernement comprendra enfin ces arguments de bon sens.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - La création annoncée tout à l'heure par le Premier ministre d'un prélèvement sur le capital, de l'ordre de 30 %, se rapproche d'une flat tax .

Il existe par ailleurs des exigences constitutionnelles de progressivité de l'impôt, que la proposition de Serge Dassault respecte puisqu'elle repose sur trois taux.

M. Claude Raynal . - Je constate que vous avez fortement élargi le champ de votre contrôle, portant sur le risque de remontée des taux. Je ne m'y attendais pas totalement. Il y a des choses sur lesquelles nous ne pouvons pas vous suivre, comme la mise sur un même plan de l'ISF et du RSA.

Je suis toutefois d'accord avec vous sur un sujet précis : je confirme que les deux discours que nous avons entendus, aujourd'hui et hier, n'ont eu aucun contenu.

Il serait impossible de rentrer dans le détail de tous les sujets que vous avez évoqués. S'agissant toutefois des participations de l'État, il y a des cas dans lesquels elles ont du sens. Lorsqu'il s'agit, par exemple, de sauver l'entreprise Peugeot ou de trouver des solutions pour la relancer sans perdre le contrôle national, l'intervention de l'État peut se justifier, surtout lorsque les familles d'actionnaires sont déficientes, ce qui arrive parfois. Nous pourrions citer bien d'autres exemples.

Concernant les taux d'intérêt, la situation n'est pas si catastrophique que cela. Elle est difficile, je le reconnais, mais la question fondamentale est celle du lien entre la remontée des taux et l'inflation. S'il y a une franche remontée des taux dans un contexte de reprise de l'inflation, les problèmes sont moins graves. Je trouve que la façon dont les taux remontent, progressivement et avec des efforts, de la part des banques centrales, pour mieux informer les marchés, dissipe - pour le moment - le risque que vous mettez en avant. En outre, il faut, en France, sept à huit ans pour que cette hausse des taux se répercute sur l'ensemble du stock de dette. Vous avez raison de vous pencher sur ce sujet, mais il ne faut pas sonner le tocsin : la remontée des taux par elle-même n'est pas forcément dramatique. Il faut regarder les choses sans catastrophisme.

M. Marc Laménie . - Avez-vous quantifié l'impact, en milliards d'euros, d'une augmentation possible des taux ?

M. Michel Canevet . - Je remercie le rapporteur de nous avoir rappelé la situation préoccupante des finances publiques. Claude Raynal ne la juge pas catastrophique, mais lorsque la dette publique approche 100 % du PIB, la situation paraît quand même alarmante.

Y a-t-il encore des investisseurs qui prêtent à la France à des taux négatifs ?

Par ailleurs, j'ai bien entendu les propositions du rapporteur, mais je m'inquiète du niveau de la dette et du déficit budgétaire. Une diminution des recettes ne risquerait-elle pas de les aggraver ? Certains peuvent considérer que le Président de la République n'a rien dit lundi devant le Congrès, mais il a tout de même évoqué l'objectif de porter les dépenses militaires à 2% du PIB. Le rapporteur souscrit-il à cet objectif ?

M. Bernard Lalande . - Je ne suis pas particulièrement surpris par la tonalité de ce rapport. Néanmoins je pense que gouverner, c'est avant tout assurer à tous une vie de dignité et d'égalité, ce qui n'empêche pas les talents de pouvoir s'exprimer, et la possibilité de vivre dans un pays de liberté.

Pour en revenir aux taux d'intérêt, j'ai entendu que le Gouvernement souhaitait stabiliser la dépense publique. Mécaniquement, cela se traduira par des économies si la dépense publique est stabilisée. Par ailleurs, s'il est évident que la dette et le poids des intérêts doivent diminuer, il conviendrait de redistribuer cette économie à ceux qui en ont le plus besoin sur notre territoire. Or le rapporteur nous propose de consacrer cette économie à des baisses d'impôt.

M. Serge Dassault , rapporteur spécial . - Les taux d'intérêt pourraient augmenter de manière soudaine et abrupte en raison d'un mouvement de défiance des investisseurs, ce qui serait très grave. Le risque politique est une composante essentielle de l'évolution des taux d'intérêt, comme nous avons pu le voir lors de la campagne pour les élections présidentielles cette année. Les investisseurs étaient très inquiets de l'élection possible de candidats représentant des partis extrêmes.

Par ailleurs, si j'entends les remarques de certains, mais il n'en reste pas moins que l'État ne fait pas d'économies ! Certes, la suppression de certaines dépenses ne sera pas agréable pour tout le monde, mais il faut aussi que les gens se responsabilisent et qu'ils travaillent. À quoi cela rime-t-il de payer des gens qui ne travaillent pas ? Beaucoup de personnes qui bénéficient d'aides sociales ne cherchent pas d'emploi - et certains viennent même de l'étranger pour bénéficier de ces allocations.

Les investisseurs s'inquiètent... Cela fait des années que l'on nous promet que tout va s'arranger !

La réduction des impôts aura un effet vertueux sur l'activité et la croissance, et donc sur les embauches. La France sera beaucoup plus attractive avec un système fiscal moins lourd. C'est le cas à Dubaï : il n'y a quasiment pas d'impôt et une croissance extraordinaire ! Car l'argent est réinvesti dans l'économie.

M. Bernard Lalande . - Je ne pense pas qu'il suffise de ne pas payer d'impôt pour que les gens vivent bien. J'ai constaté que les pays dans lesquels on paie le moins d'impôts sont ceux dans lesquels le peuple vit le moins bien. Il doit y avoir un juste milieu entre l'impôt et le bonheur et la dignité des peuples.

La commission a donné acte de sa communication à M. Serge Dassault, rapporteur spécial, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Banque de France

- M. Pierre SIDSIC, directeur de la conjoncture et des prévisions macroéconomiques ;

- Mme Véronique BENSAÏD-COHEN, conseillère parlementaire auprès du Gouverneur.

Standard & Poor's

- M. Yann LE PALLEC, Directeur général (Executive Managing Director), responsable mondial notation ;

- M. Patrice COCHELIN, Directeur Senior (Senior Director), responsable analytique notations souveraines ;

- Mme Solange FOUGÈRE, juriste S&P Global ratings.

Natixis

-M. Jean CHEVAL, directeur financier risques.

Agence France Trésor

- M. Anthony REQUIN, directeur général ;

- M. Maxime QUENIN-CAHN, responsable de la cellule Trésorerie.

ANNEXE

Si la notion de « taux d'intérêt » peut sembler, de prime abord, évidente, elle recouvre en réalité plusieurs concepts bien distincts .

Concernant la dette souveraine de l'État, on peut distinguer au moins sept types de taux d'intérêt , dont le mode de calcul diffère et qui ne permettent pas de mener les mêmes analyses : taux d'intérêt nominal, taux d'intérêt réel, taux d'intérêt fixe, taux d'intérêt variable, taux d'intérêt à l'émission, taux d'intérêt du marché et taux apparent.

1. Quatre notions à ne pas confondre : taux d'intérêt, coupon, prix et principal

Avant de présenter les différents taux d'intérêt qui s'appliquent à la dette de l'État, il paraît opportun de faire un rapide rappel du fonctionnement d'une émission obligataire , c'est-à-dire de la façon dont l'État vend de la dette à des investisseurs puis la rembourse.

Quand l'État a besoin de se financer, par exemple parce qu'il connaît un déficit budgétaire, il peut faire appel aux marchés financiers et choisir d'émettre de la dette, c'est-à-dire de créer des titres par lesquels il reconnaît être débiteur envers ceux qui les détiennent.

Le programme d'émission est défini en amont , afin que les investisseurs connaissent à l'avance les montants que l'État compte émettre et les caractéristiques des titres, comme la durée ou le taux à l'émission. La prévisibilité des émissions participe de la crédibilité de la signature française

Le jour de la vente de dette, qui s'appelle une adjudication, l'État émet de nouveaux titres de dette auxquels sont associés des taux d'intérêt .

Le taux d'intérêt détermine le montant du « coupon », c'est-à-dire le montant des intérêts qui sont versés chaque année au créancier. Par exemple, une obligation d'une valeur de 100 euros, émise par l'État pour une durée de 10 ans et avec un taux fixe de 5 % donne lieu au paiement, par l'État, de 5 euros tous les ans pendant 10 ans.

Ces titres sont vendus aux banques spécialistes en valeur du Trésor 18 ( * ) , qui sont de grandes banques internationales ayant le monopole de l'achat de dette sur le marché primaire, c'est-à-dire directement auprès de l'État. Les banques indiquent le montant qu'elles souhaitent acheter (par exemple, 2 milliards d'euros) et le taux d'intérêt minimum qu'elles sont prêtes à accepter sur toute la durée de l'emprunt. Ce taux minimal acceptable pour le créancier ne correspond pas nécessairement au taux d'intérêt fixé par l'État lors de l'émission (voir infra ).

Sur le marché primaire, en l'absence de primes et décotes à l'émission, le prix des titres est égal au capital emprunté par l'État : pour reprendre l'exemple ci-dessus, une obligation d'une valeur de 100 euros, émise par l'État pour une durée de 10 ans et avec un taux de 5 % donne lieu au versement, au profit de l'État, d'une somme de 100 euros par la banque spécialiste en valeur du Trésor qui achète le titre 19 ( * ) .

La banque spécialiste en valeur du Trésor peut ensuite revendre les titres de dette à d'autres investisseurs , par exemple des fonds d'assurance-vie, des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), des banques centrales...

Sur ce marché de la « revente », qu'on appelle le marché secondaire, le prix de l'obligation n'est plus forcément égal au capital emprunté .

Une obligation peut en effet être revendue à un prix plus ou moins élevé selon que la demande du marché est forte ou que les investisseurs sont, au contraire, plutôt réticents à investir.

Le prix dépend aussi de la date d'échéance du titre, c'est-à-dire de la date à laquelle le capital est remboursé et les intérêts cessent d'être versés : si celle-ci est très rapprochée, beaucoup moins d'intérêts restent à échoir - son prix est donc moins élevé, toutes choses égales par ailleurs, que celui d'une obligation dont l'échéance est lointaine. Le prix de certains titres varie plus rapidement que d'autres.

À l'issue de la période, l'État doit rembourser le capital emprunté, que l'on appelle aussi le « principal » - c'est-à-dire, dans l'exemple choisi, une somme de 100 euros.

2. Les différents types de taux d'intérêt de la dette souveraine
a) Taux d'intérêt nominal et taux d'intérêt réel

Il faut tout d'abord distinguer le taux d'intérêt nominal du taux d'intérêt réel.

Le taux d'intérêt nominal est le taux d'intérêt facial.

Le taux réel est le taux d'intérêt nominal corrigé de l'inflation . Par exemple, si le taux (nominal) d'une obligation est de 3 % mais que l'inflation s'élève à 2 %, le taux d'intérêt réel est approximativement égal à 1 % 20 ( * ) .

b) Taux d'intérêt fixe et taux d'intérêt variable

Le taux d'intérêt peut également être fixe ou au contraire variable : par exemple, le taux peut être indexé sur l'inflation.

c) Taux d'intérêt à l'émission, taux d'intérêt du marché et taux d'intérêt apparent

Il ne faut également pas confondre le taux d'émission, le taux de marché et le taux apparent.

Le taux d'émission, ou coupon obligataire , est le taux d'intérêt défini par l'État au moment de l'émission du titre de dette. Il permet de fixer le montant versé par l'État à ses créanciers chaque année. Ce taux est défini une fois pour toutes et, pour un titre donné, son mode de calcul reste inchangé.

Le taux de marché, ou rendement obligataire , est le taux d'intérêt que les investisseurs sont prêts à accepter à un instant donné pour un titre donné.

Ce taux varie en permanence puisqu'il dépend de l'appétence des investisseurs pour un titre, qui découle à son tour de très nombreux facteurs : anticipations d'inflation et de croissance bien sûr mais aussi politique monétaire, perception des investisseurs concernant la qualité de la signature de l'émetteur, offre de titres de la part d'autres émetteurs, anticipations quant à l'évolution du marché...

Il faut noter que, pour un titre donné, le rendement et le prix varient en sens inverse .

La différence entre le taux d'émission et le taux de marché a des conséquences budgétaires importantes pour l'État : elle donne lieu à des primes à l'émission si le taux de marché est inférieur au taux à l'émission, ou à l'inverse à des décotes si le taux de marché est supérieur au taux à l'émission.

Ce cas est fréquent car l'Agence France Trésor, pour assurer la liquidité des titres émis, procède souvent à l'émission de titres sur des souches anciennes . Une « souche » est une catégorie de titre associée à un coupon et à une date d'échéance. Par exemple, la souche OAT 1,5 % 01/02/2037 regroupe toutes les OAT émises à un coupon de 1,5 % qui arriveront à échéance le 1 er février 2037 (c'est-à-dire qui devront être remboursés à cette date). Une souche d'un montant important attire davantage les investisseurs qu'une souche de taille très réduite, car les investisseurs favorisent les marchés profonds, en général plus liquides. Pour mémoire, la liquidité d'un marché financier représente la capacité à acheter ou à vendre rapidement les actifs qui y sont cotés sans que cela ait d'effet majeur sur les prix. Plus un marché est liquide, plus il est aisé, rapide et peu coûteux d'y réaliser des transactions.

Enfin, le taux apparent est le taux moyen constaté sur tout le stock de dette d'un émetteur. Ce taux varie dans le temps.

Ses évolutions suivent celles des taux de marché, mais avec retard et de façon amortie . En effet, seule une fraction de la dette de l'État est financée chaque année et la majeure partie du stock de dette continue de refléter les conditions de marché des années précédentes : une hausse ou une baisse des taux ne fait donc augmenter ou diminuer le coût de l'endettement de l'État que de façon progressive.


* 1 C. Eckert, « Le contrôle de la dette publique par le Parlement: un enjeu politique devenu majeur », Revue française des finances publiques (RFFP), Paris, n° 123, septembre 2013, p. 3.

* 2 OCDE, Sovereign Borrowing Outlook , 2016, p. 23 : « Interest rates are low, by many different historical standards, both in nominal and in inflation-adjusted terms. They are low both at the short and the long end, and some rates are even negative » (traduction de la commission des finances du Sénat).

* 3 Bank of International Settlements (BIS), 86 th Annual Report , Bâle, 26 juin 2016, p. 31 : « Such low levels of interest rates and yields are in most respects historically unprecedented ».

* 4 Ibid. , p. 29.

* 5 Denis Cosnard, « Sanofi première société française payée pour s'endetter », Le Monde , 7 septembre 2016.

* 6 C'est la thèse connue sous le nom de « Saving Glut » notamment défendue par l'ancien président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke.

* 7 A. Cochey et S. Shohet, « Le traitement prudentiel du risque souverain : une nouvelle boite de Pandore ? », Revue Banque , Paris, 10 février 2017.

* 8 William Coen, secrétaire général du Comité de Bâle, a déclaré devant la commission des finances du Sénat le 22 février 2017 que : « Le Comité de Bâle a également étudié de près la dimension du risque souverain dans ses évaluations. Ce travail a été achevé et l'étape suivante amènera celui-ci à en tirer les conclusions. Quand ? Je ne peux pas vous le dire, mais je peux en tout cas vous dire que le GHOS se saisira de cette question » (compte-rendu disponible en ligne sur le site du Sénat).

* 9 Pour une définition du taux apparent, se référer à l'annexe du présent rapport.

* 10 Une hausse en 2015, une hausse en 2016 et une hausse en mars 2017.

* 11 Deux hausses supplémentaires du taux directeur sont prévues au cours de l'année 2017.

* 12 Banque centrale européenne, « The determinants of euro area sovereign bond yield spreads during the crisis », Bulletin mensuel , Francfort, mai 2014, pp. 67-83, en particulier pp. 76-77.

* 13 Gabriele Steinhauser, « France, Belgium : The `Semi-Core' », The Wall Street Journal , 20 juillet 2012.

* 14 Bank of International Settlements, op. cit., p. 33 : « If, for whatever reason, bond yields are «too low», they could snap back at some point as market expectations adjust. The size and potential disruption of a reversal have less to do with the characteristics of day-to-day liquidity provision than with the incidence of forced sales and financial institutions' capacity to absorb the hit » (traduction de la commission des finances du Sénat).

* 15 Rapport d'information (n° 566, session 2016-2017) sur la dette publique, fait par Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, 31 mai 2017, p. 137.

* 16 En comptabilité nationale, les primes et décotes sont étalées sur toute la durée de vie du titre. Il faut souligner qu'au total, les primes et décotes ne modifient pas la charge d'intérêts versée par l'État sur l'intégralité de la durée de vie du titre : elles en modifient seulement la répartition dans le temps.

* 17 Services de la Commission européenne, Rapport 2017 pour la France comprenant un bilan approfondi des mesures de prévention et de correction des déséquilibres macroéconomiques, Bruxelles, 22 février 2017, p. 26.

* 18 Rapport d'information n° 50 (2016-2017) relatif aux spécialistes en valeur du Trésor, de Serge Dassault, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 octobre 2016.

* 19 Dans le cas simplifié où l'adjudication ne donne pas lieu à des primes ou à des décotes à l'émission. Sinon, le montant versé par la banque acheteuse est augmenté (dans le cas d'une prime) ou diminué (dans le cas d'une décote).

* 20 En réalité, le taux d'intérêt réel ne se calcule pas par simple soustraction du taux d'inflation au taux d'intérêt nominal et le raisonnement ici présenté ne vaut qu'à titre illustratif.

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